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105 6. L’ENVIRONNEMENT A MADAGASCAR : UN ATOUT A PRESERVER, DES ENJEUX A MAITRISER Jean Christophe Carret, Bienvenu Rajaonson, Paul Jean Feno and Jurg Brand 97 1. Quelques caractéristiques de l’environnement à Madagascar L’environnement se définit comme l’ensemble des composantes naturelles de notre planète: les espèces animales et végétales, le sol, l’air et l’eau 98 . On y ajoute le climat depuis quelques années. Afin de dresser le contexte pour les sections suivantes, trois des composantes de l’environnement à Madagascar sont décrites succinctement : la biodiversité et les ressources naturelles renouvelables, l’environnement naturel (l’eau, l’air et les paysages), et le climat. La biodiversité et les ressources naturelles renouvelables Madagascar se présente comme un pays à méga-diversité biologique : le pays concentre en effet un nombre élevé des espèces végétales et animales mondiales (12 000 espèces de plantes et 1 000 espèces de vertébrés – mammifères, reptiles, amphibiens, oiseaux) dont la plupart sont endémiques à la grande île (près de 10 000 pour les plantes et près de 1 000 pour les vertébrés). Le nombre des espèces végétales et animales ainsi que leur taux d’endémicité font de la 97 Cette note de la Banque mondiale a été écrite en concertation avec la FAO, le PNUD, JICA, la Coopération allemande, l'USAID, la Norvège, l'AFD, la Coopération suisse, Conservation International (CI), World Conservation Society (WCS), World Wildlife Fund for Nature (WWF), Tany Meva et la Fondation pour les Aires Protégées et la Biodiversité de Madagascar (FAPBM). Elle a été discutée avec le groupe de partenaires techniques et financiers organisé autour de l'Environnement sous la direction actuelle du PNUD. Elle a été aussi partagée lors d’une session du dialogue sur le développement économique avec la participation de la société civile, du secteur privé, du secteur académique, des représentants techniques de Ministères et des média. Cette version a tenu compte des commentaires reçus lors de ces rencontres. 98 A Madagascar, l’Office National de l’Environnement (ONE) publie chaque année un tableau de l’environnement. Le document le plus récent e st le tableau de bord 2008, 400 pages d’information sur l’environnement à Madagascar. Cette note de politique sur l’environnement à Madagascar s’organise en quatre sections : la première offre une présentation succincte (et partielle) de l’environnement à Madagascar : biodiversité et capital naturel, environnement naturel et climat. La deuxième section retrace rapidement 20 ans (1990-2009) de Programme National d’Actions Environnementales (PNAE). La troisième décrit trois des enjeux actuels et à venir de l’environnement à Madagascar: le financement durable à grande échelle du bien public mondial qu’est la biodiversité, la participation des populations riveraines à la conservation de la biodiversité, le pillage des ressources naturelles vue à travers la crise des bois précieux qui aura marqué toute l’année 2009 et la gestion des impacts environnementaux des grands projets, miniers mais également pétroliers. La quatrième section esquisse quelques idées à l’adresse des décideurs malgaches pour faire face aux nouveaux enjeux.

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6. L’ENVIRONNEMENT A MADAGASCAR : UN ATOUT A PRESERVER, DES ENJEUX A MAITRISER

Jean Christophe Carret, Bienvenu Rajaonson, Paul Jean Feno and Jurg Brand97

1. Quelques caractéristiques de l’environnement à Madagascar

L’environnement se définit comme l’ensemble des composantes naturelles de notre planète: les espèces animales et végétales, le sol, l’air et l’eau98. On y ajoute le climat depuis quelques années. Afin de dresser le contexte pour les sections suivantes, trois des composantes de l’environnement à Madagascar sont décrites succinctement : la biodiversité et les ressources naturelles renouvelables, l’environnement naturel (l’eau, l’air et les paysages), et le climat. La biodiversité et les ressources naturelles renouvelables Madagascar se présente comme un pays à méga-diversité biologique : le pays concentre en effet un nombre élevé des espèces végétales et animales mondiales (12 000 espèces de plantes et 1 000 espèces de vertébrés – mammifères, reptiles, amphibiens, oiseaux) dont la plupart sont endémiques à la grande île (près de 10 000 pour les plantes et près de 1 000 pour les vertébrés). Le nombre des espèces végétales et animales ainsi que leur taux d’endémicité font de la 97 Cette note de la Banque mondiale a été écrite en concertation avec la FAO, le PNUD, JICA, la Coopération allemande, l'USAID, la Norvège, l'AFD, la Coopération suisse, Conservation International (CI), World Conservation Society (WCS), World Wildlife Fund for Nature (WWF), Tany Meva et la Fondation pour les Aires Protégées et la Biodiversité de Madagascar (FAPBM). Elle a été discutée avec le groupe de partenaires techniques et financiers organisé autour de l'Environnement sous la direction actuelle du PNUD. Elle a été aussi partagée lors d’une session du dialogue sur le développement économique avec la participation de la société civile, du secteur privé, du secteur académique, des représentants techniques de Ministères et des média. Cette version a tenu compte des commentaires reçus lors de ces rencontres. 98 A Madagascar, l’Office National de l’Environnement (ONE) publie chaque année un tableau de l’environnement. Le document le plus récent e st le tableau de bord 2008, 400 pages d’information sur l’environnement à Madagascar.

Cette note de politique sur l’environnement à Madagascar s’organise en quatre sections : la première offre une présentation succincte (et partielle) de l’environnement à Madagascar : biodiversité et capital naturel, environnement naturel et climat. La deuxième section retrace rapidement 20 ans (1990-2009) de Programme National d’Actions Environnementales (PNAE). La troisième décrit trois des enjeux actuels et à venir de l’environnement à Madagascar: le financement durable à grande échelle du bien public mondial qu’est la biodiversité, la participation des populations riveraines à la conservation de la biodiversité, le pillage des ressources naturelles vue à travers la crise des bois précieux qui aura marqué toute l’année 2009 et la gestion des impacts environnementaux des grands projets, miniers mais également pétroliers. La quatrième section esquisse quelques idées à l’adresse des décideurs malgaches pour faire face aux nouveaux enjeux.

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biodiversité malgache un bien public mondial, c'est-à-dire un bien dont la possibilité qu’il disparaisse concerne le monde entier, alerté par les scientifiques relayés par les ONG et les médias. L’île se montre également riche en ressources forestières et halieutiques. Madagascar possède en effet près de 10 millions d’hectares de forêts, localisées pour la plupart sur l’escarpement de l’Est, formant ainsi un mince corridor de forêts denses humides du nord au sud du pays. Des forêts sèches à l’Ouest et de fourrés à épineux au Sud complètent le tableau. L’île possède également 5 000 kilomètres de littoral composé de mangroves et de récifs coralliens qui produisent chaque année un excédent biologique99 (des poissons, des crabes, des crevettes, des concombres de mer, des huîtres) supérieur à 300 000 tonnes. Ces deux ressources naturelles renouvelables se révèlent essentielles à l’une des populations les plus pauvres du monde100 : les forêts fournissent en effet la majeure partie des besoins énergétiques de la population sous forme de bois de feu ainsi que des produits de cueillette comme le miel, et le littoral procure une grande partie des besoins en protéines à la population de l’île, notamment celles vivant le long des côtes. Par ailleurs, les forêts du Nord-est du pays produisent des essences de bois dites précieuses telles que le bois de rose et l’ébène, qui s’exportent à prix d’or (environ $ 5 le kg), tandis que les mangroves du canal du Mozambique servent à la reproduction de crevettes de qualité appelées « l’or rose de Madagascar », également exportées. Enfin, Madagascar est une destination touristique, notamment pour les touristes de nature attirés par les lémuriens (des primates plus anciens que les singes101), les caméléons et les grenouilles102, les tortues et les baleines à bosse ou encore les baobabs103 du sud de Madagascar. L’industrie touristique était devenue avant la crise politique de 2009, la deuxième source de devises de l’île (400 millions US$ en 2008) après l’industrie crevettière. Par conséquent, Madagascar possède une biodiversité qui suscite un intérêt « mondial » et des ressources forestières et halieutiques qui apparaissent vitales pour une population « locale » vivant pour une large part en dessous du seuil de pauvreté. Dans le même temps, la biodiversité, les forêts et les côtes fournissent des produits et des services dont certains de luxe, qui s’exportent sur les marchés internationaux104. L’environnement naturel (ou encore cadre de vie) La qualité de l’eau et celle de l’air sont indispensables à la vie. Elles constituent, avec le paysage, ce qu’il convient d’appeler le cadre de vie. Jusqu’à un passé récent, l’idée dominante était qu’il existait une corrélation entre la qualité du cadre de vie et la croissance économique

99 Un stock de ressource naturelle a une croissance naturelle qui représente un excédent ou un surplus qui peut être prélevé à perpétuité sans entamer le stock 100 80 % de la population, soit environ 15 millions de personnes, vivent en dessous du seuil absolu de pauvreté, estimé à 1US$ par jour. 101 Avec 14 des 65 genres et 5 des 17 familles de primates, Madagascar représente la première priorité mondiale en matière de conservation des primates. 102 Plus de 90 % des reptiles et des batraciens sont endémiques à l’île. 103 6 des 8 espèces mondiales de baobabs se trouvent seulement à Madagascar. 104 Le tourisme est considéré comme un secteur d’exportation non traditionnel puisqu’il rapporte des devises.

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dont la forme est une courbe en cloche, connue sous le nom de courbe environnementale de Kuznets105 : au départ, les sociétés traditionnelles et agricoles polluent peu et ont plus généralement une empreinte écologique réduite : Madagascar a ainsi une empreinte écologique deux fois inférieure à la moyenne mondiale. 106 Au moment où le pays décolle107, l’industrialisation accroît la pollution et l’empreinte écologique de la société augmente. Enfin, quand le pays atteint une certaine prospérité, il réduit sa dépendance aux ressources naturelles et donc son empreinte écologique, augmente ses dépenses dans le secteur de l’environnement, et réduit la pollution, éventuellement à des niveaux préindustriels. Des études empiriques récentes ont cependant montré que cette tendance ne se vérifiait pas nécessairement pour tous les types de pollutions et qu’il existait également une influence des politiques environnementales sur les trajectoires. Madagascar reste peu industrialisé et peu urbanisé : une personne sur trois seulement vit en ville. Les pollutions de l’air ambiant et de l’eau, bien que l’on ne les mesure pas encore très précisément, sont a priori à des niveaux relativement bas en comparaison des grands pays émergents que sont le Brésil, l’Inde ou la Chine. En effet, des mesures partielles mais récentes de la pollution de l’air à Antananarivo108 montrent que, malgré une flotte de véhicule ancienne, la concentration de monoxyde carbone, de dioxyde de soufre et de dioxyde d’azote est 2 fois moindre que les normes européennes en la matière : les concentrations de poussière atteignent eux des niveaux alarmants. Par ailleurs, l’eau douce s’offre en abondance (17 000 m3 par habitant, soit près de trois fois plus que la moyenne mondiale), sauf dans le Sud aride, et les eaux de surface et nappes phréatiques échappent à la pollution. Cela dit, bien que peu développé, Madagascar n’échappe pas aux problèmes environnementaux, qui affectent le cadre de vie de la population. Une étude réalisée en 2008 sur le coût de la dégradation de l’environnement à Madagascar109 montre que les deux dégradations de l’environnement qui entraînent la perte de PIB la plus importante sont la dégradation des sols agricoles et la pollution de l’air à l’intérieur des foyers, respectivement 2,5 et 1 % du PIB par an. Les effets du défrichement agricole, puis de l’élevage extensif sur les Hautes Terres, ont fait comparer Madagascar à une brique de terre cuite de par sa couleur et sa perte de fertilité. Les éleveurs incendient en fin de période sèche de vastes étendues de prairie pour favoriser la reprise des graminées, empêchant en même temps la régénération de la fertilité des sols. Les graminées rustiques qui seules poussent sur les latérites stériles et compactées, deviennent sèches et incomestibles pour le bétail pendant la saison sèche. A l’Est, sur les pentes de l’escarpement, les paysans pratiquent une riziculture pluviale (possible en raison du climat) sur brûlis. Ils défrichent la forêt (et s’approprient au passage la terre) en la brûlant et plantent du riz pendant deux ou trois saisons. Ensuite, ils cultivent de nouveau la parcelle à intervalles de régénération

105 Prix Nobel d’économie en 1971 pour une autre courbe (car ce n’est pas lui qui a mis au point la courbe environnementale), toujours de la même forme qui représente la relation entre croissance économique et inégalité. 106 Cf. B. Ewing B., S. Goldfinger, A. Oursler, A. Reed, D. Moore, and M. Wackernagel: The Ecological Footprint Atlas, 2009. 107 C'est-à-dire qu’il s’industrialise massivement, selon la vision du développement énoncée en 1960 dans le célèbre ouvrage de Walt Whitman Rostow : Les étapes de la croissance économique. 108 Banque Mondiale, Commission Européenne : Etude sur la gestion de la qualité de l’air à Antananarivo, juillet 2008. 109 Timothée Ollivier: Natural capital and sustainable growth: a case study on Madagascar, CERNA, 2008.

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d’environ cinq ans. Pendant la saison rizicole, le feu, l’érosion du sol nu après défrichement (environ 30 tonnes de terre par hectare et par an) et le lessivage des nutriments par les pluies tropicales minent la fertilité, créant un cercle vicieux qui contraint le paysan à défricher de nouvelles parcelles forestières. La déforestation a également des effets pervers indirects en augmentant, par l’intermédiaire de l’érosion, la sédimentation des rivières, des récifs coralliens et des périmètres irrigués. L’ensablement des bas fonds entraîne à son tour des baisses de rendements, qui contribuent indirectement à la déforestation. Les bassins versants défrichés retiennent également moins l’eau, qui s’écoule donc plus vite, renforçant les crues et détruisant les infrastructures telles que les routes et les ponts. Enfin, la déforestation changerait le régime local des pluies, lesquelles diminueraient en volume, rendant moins probable la réapparition d'une forêt secondaire. La consommation de bois de chauffe, notamment dans les zones semi-arides, est également une source importante de déforestation, exacerbée par la croissance démographique et concentrée dans certaines zones en raison de l’expansion des aires protégées. De plus, le chauffage et la cuisine au feu de bois se trouvent également à l’origine d’un important problème de pollution à l’intérieur des maisons110. Les mères et leurs enfants sont en effet très exposés au monoxyde de carbone et à d’autres particules solides émanant des endroits où se fait la cuisine. Souvent, les cuisines n’ayant pas de système de ventilation, la fumée stagne dans la pièce et s’échappe lentement à travers la toiture en chaume. Cette pollution de l’air à l’intérieur des maisons contribue ainsi au développement de maladies respiratoires. Environ 40 % des infections respiratoires seraient imputables à la pollution de l’air à l’intérieur des maisons : 10 000 décès par an résultent d’infections des voies respiratoires inférieures chez les enfants de mois de cinq ans, et 1 400 décès des suites de bronchites chroniques chez les femmes de plus de trente ans s’expliquent par l’utilisation de bois et de charbon de bois. Le climat La note de politique consacrée à la gestion des risques naturels montre que la vulnérabilité actuelle du pays aux aléas climatiques se concentre dans le Sud semi-aride, régulièrement soumis à des sécheresses et dans le Nord, fréquemment touché par des cyclones en provenance de l’Océan Indien. Certains voient cependant dans l’augmentation de l’intensité des cyclones ou dans la plus grande sévérité de la sécheresse un signe que le climat est en train de changer, à Madagascar comme ailleurs. Qu’en est-il réellement ? Madagascar dispose pour le moment d’un premier document sur le changement climatique111. La température moyenne de l’air de la région Sud de Madagascar a régulièrement augmenté depuis les années 50. Par rapport à la première moitié du XXème siècle, la température a en effet augmenté d’environ 0,2°C. Sur les Hautes terres centrales et la côte Est, les précipitations se font plus rares pendant la saison sèche et le nombre de jours sans pluie a tendance à augmenter. Pour les 50 prochaines années, les projections climatiques obtenues à partir de plusieurs modèles de circulation globale (GCM en anglais pour Global Circulation Model) et deux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre prédisent une hausse importante des

110 95 % des foyers selon l’Organisation Mondiale pour la Santé : Poids national des estimations des pollutions de l’air à l’intérieur des maisons, 2007. 111 Direction Générale de la Météorologie : Le changement climatique à Madagascar, mars 2008.

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températures dans le Sud (entre 1,5 et 2,5 °C) et une diminution des précipitations en saison sèche dans le Sud-ouest. Les mêmes projections laissent penser que les cyclones pourraient gagner en intensité (46 %) et se déplacer plus au nord. Les modèles apparaissent cependant moins fiables pour prédire l’évolution des évènements extrêmes que celle des précipitations. En revanche, Madagascar n’étant pas un pays industrialisé, les émissions (l’autre aspect du changement climatique) de gaz à effet de serre (essentiellement le gaz carbonique ou CO2, abusivement appelé carbone112) sont très faibles, environ 0,2 tonne par habitant et par an, soit 20 fois moins que l’Afrique du Sud et 40 fois moins que les Etats-Unis. De plus, les forêts et les mangroves représentent des puits de carbone dont les stocks commencent à être valorisés en raison de leur rôle dans la mitigation du changement climatique. Le Gouvernement malgache se prépare en effet à participer à l’initiative internationale REDD+ (Réduction des Émissions liées à la Déforestation et Dégradation). Des projets pilotes sont déjà en cours avec un potentiel de vente de millions de tonnes de crédits sur le marché volontaire de réduction d’émissions : l’aire protégée de Makira dans le Nord-est de l’île, le corridor forestier Ankeniheny - Zahamena (CAZ) et le corridor Fandriana-Vondrozo (COFAV), dans le Centre-est.

2. Vingt ans de Programme National d’Action Environnementale (PNAE)113 Au début des années 90, le sommet de Rio sur le développement durable popularise les notions de biodiversité (la convention sur la biodiversité est signée à ce moment là) et de gestion durable des ressources naturelles, notamment forestières. A cette époque, la forêt malgache est en train de disparaître rapidement. On estime en effet qu’au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, la superficie forestière aura été divisée par deux (voir graphique 1 ci-dessous), sous l’effet conjugué de l’accroissement démographique (la population a quadruplé en l’espace de 50 ans) et du défrichement d’origine agricole, dont il a été question précédemment. Or, la diversité biologique de Madagascar se trouvant pour l’essentiel dans les forêts, l’île devient un des 25 hot spots mondiaux de biodiversité, soit un des lieux du monde où la diversité biologique se trouve à la fois concentrée sur une faible superficie et fortement menacée : les 25 hot spots représentent 44 % des plantes et 35 % des vertébrés sur une superficie terrestre de 1,5 %. Dans ce contexte, le Gouvernement malgache prend conscience qu’il doit protéger les forêts. En 1990, pour la première fois de son histoire, le Gouvernement intègre l’environnement dans sa politique en promulguant une Charte de l’Environnement114 (une des toutes premières en Afrique sub-saharienne) et en préparant un Plan National d’Action Environnemental (PNAE, 1990 - 2009). A partir de 2002, l’environnement est intégré dans les processus de planification

113 Cette section résume brièvement les 20 années de PNAE. Des analyses plus fouillées sont disponibles. Un travail en cours financé par USAID et intitulé : USAID Environmental Program in Madagascar : Twenty-five years on (1985 – 2010) sera publié en fin d’année 2010. Il apportera une vision plus précise de ces vingt années. Un article récent examine également cette période de manière critique, notamment à propos du bien-fondé des aires protégées : Alain Bertrand, Nadia Rabesahala Horning et Pierre Montagne : Gestion communautaire ou préservation des ressources naturelles renouvelables : Histoire inachevée d'une évolution majeure de la politique environnementale à Madagascar, VertigO – La revue en sciences de l'environnement, Volume 9, numéro 3, décembre 2009. 114 Une nouvelle charte de l’environnement est également en cours de préparation au sein de l’administration pour actualiser et remplacer la première charte qui arrive à échéance.

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décentralisée tels que les plans régionaux de développement (PRD), les schémas régionaux d’aménagement du territoire (SRAT) et les plans communaux de développement (PCD). En 2006, le Madagascar Action Plan (MAP), une stratégie de réduction de la pauvreté (PRSP en anglais) de deuxième génération, fait de la protection de l’environnement en général et de la conservation de la biodiversité en particulier un des huit défis majeurs pour le pays, une décision remarquable pour possédant un revenu par habitant aussi bas que celui de Madagascar. Graphique 1: Evolution de la couverture forestière entre 1950 et 2005.

Source : Conservation International, 2008. Cette volonté des autorités malgaches de placer l’environnement au centre de leur stratégie de développement a été très tôt soutenue par les partenaires techniques et financiers. Dès 1990, l’USAID, Inter Coopération, la Banque Mondiale et le GEF (exécuté par le PNUD et la Banque mondiale), accompagnés sur le plan technique et financier (à travers les fondations américaines) par les trois grandes ONG environnementales (Wildlife Conservation Society, Conservation International et World Wildlife Fund for Nature) s’engagent au côté du Gouvernement et financent la mise en œuvre du PNAE à travers un programme appelé Programme Environnement (PE) qui, au bout du compte, aurait coûté environ 400 millions US$. Au cours de ces dernières années, ils ont été rejoints par l’Allemagne (GTZ et KfW) et par la France (AFD). La Norvège et le Japon ont récemment manifesté leur intérêt. Le PNAE, dont l’objectif général consistait à conserver les ressources naturelles pour permettre une croissance économique durable et une meilleure qualité de vie, a été divisé en trois phases : la première phase (1990 à 1995) a créé des institutions et mené des actions de terrain pilotes, dont la création des premiers parcs ; la deuxième phase (1996 à 2004) a financé des actions de terrain à plus large échelle et cherché à intégrer les préoccupations environnementales dans les politiques sectorielles et macro-économiques; la troisième phase (2005 à 2009) a poursuivi le travail entrepris au cours des deux premières phases, démarré le travail de pérennisation des investissements réalisés au cours des deux premières phases, tout en commençant à investir dans les aires protégées marines. Quel bilan après 20 ans d’efforts dans le secteur de l’environnement ? Des institutions de gestion, de financement et de surveillance de l’environnement ont été créées : un

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gestionnaire115 des parcs nationaux (Madagascar National Parks), une agence de protection environnementale (Office National de l’Environnement), deux fondations, l’une pour les aires protégées et la biodiversité (FAPB), l’autre pour la gestion durable des ressources naturelles par les populations locales (Tany Meva) et un observatoire de surveillance forestière. Les deux fondations manifestent un début de mise en place de mécanismes de financement durable de l’environnement. Les quatre premières institutions possèdent désormais une réputation établie sur la scène africaine et internationale, signe de la réussite du PNAE. Il reste néanmoins des problèmes de mise en œuvre des activités et de suivi-évaluation de ces activités. D’autres institutions créées par le PE sont devenues des prestataires de services dans le secteur de l’environnement, telles que l’Agence Nationale d’Action Environnementale (ANAE) pour l’utilisation durable des sols et des eaux116

et le Service d’Appui à la Gestion de l’Environnement (SAGE) pour le transfert de gestion des ressources naturelles. Le nombre des Associations et ONG (plus de 2000 dans tout le pays) visant à travailler en faveur de la protection de l’environnement est en forte augmentation. L’existence de ces institutions, la prolifération des associations signalent également qu’une dynamique est à l’œuvre dans le secteur de l’environnement à Madagascar. Au niveau de l’administration, le bilan reste plus mitigé. Le Ministère de l’Environnement et des Forêts a en effet tenté plusieurs réformes, notamment pour dynamiser son département des forêts, sans véritable succès. Des cellules environnementales dans les administrations responsables de secteurs productifs comme l’Agriculture, le Tourisme, les Transports, les Mines et l’Industrie ont été créées, ainsi que des plateformes de coordination entre les Forêts, les Mines et les pêches pour régler des problèmes d’empiètement dans la délivrance de permis divers ; ou encore entre le Ministère de l’Environnement et des Forêts et le Ministère de la Justice pour l’harmonisation des procédures de jugement des infractions en matière forestière. Mais les problèmes de coordination subsistent toujours, et des problèmes plus importants apparaissent comme on le verra dans la section suivante. En revanche, l’environnement est désormais solidement ancré dans le cursus scolaire et les médias. Il est systématiquement abordé dans les écoles primaires et secondaires, tandis que les universités ont mis en place une filière environnement (et ont bâti pour certaines des partenariats avec des universités étrangères) : à Antananarivo sur les forêts, à Fianarantsoa sur le droit de l’environnement, à Toliara sur l’environnement marin et les ressources halieutiques. Quant aux médias, ils plaident régulièrement en faveur de la protection de l’environnement et parviennent à sensibiliser le public. En matière de résultats, le PNAE a permis en 20 ans la création de 2,65 millions d’hectares d’aires protégées gérées par MNP et de 3,25 millions d’hectares de nouvelles aires

115 Il a également été question au début du PE3 de créer une agence spécialisée dans la gestion des forêts. Cette idée, qui figurait dans le document de projet de la Banque Mondiale a finalement été abandonnée. 116 La lutte contre la dégradation des sols était le moteur du PE1 et du PE2. Mais des milliers de microprojets agro-forestiers mis en œuvre par l’ANAE et des campagnes d’éducation environnementale n’ont eu qu’un impact modeste, en raison notamment de l’origine économique du choix des paysans, qui choisissent d’utiliser des techniques qui dégradent les sols mais coûtent peu.

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protégées, qui ne seront a priori pas gérées par MNP117. Il a également permis la réduction de 75 % de la déforestation (d’un peu plus de 2 % au début de la période à un peu mois de 0,5 % par an aujourd’hui), et l’application systématique de mesures de sauvegarde environnementale (MECIE) pour les investissements privés et publics, notamment dans les zones sensibles. Le transfert de gestion des ressources naturelles (zones humides, forêts, récifs) aux populations locales et le zonage forestier ont démarré avec des fortunes diverses, mais avec quelques avancées significatives dans certaines régions. Des tableaux de bord environnementaux ont été créés qui mesurent l’état de dégradation et le progrès en matière de protection. Le pays a également ratifié la plupart des conventions internationales sur l’environnement. Une volonté politique exprimée clairement et relativement tôt, conjuguée à un appui financier conséquent, ont permis à Madagascar de réaliser des progrès substantiels depuis 20 ans dans le secteur de l’environnement. La plus belle réalisation restera sans aucun doute la construction du système d’aires protégées qui constitue à la fois un patrimoine mondial (la réserve naturelle intégrale du Tsingy de Bemaraha et les forêts humides de l’Atsinanana ont d’ailleurs obtenu le label UNESCO de patrimoine mondial respectivement en 1990 et 2007) et une attraction touristique. Avec ce réseau d’aires protégées, Madagascar a trouvé une solution « technique » pour protéger les deux tiers des forêts restantes (6 millions d’hectares) du défrichement d’origine agricole. Des réussites comparables dans des pays à même niveau de revenus par habitant sont peu nombreuses, voire inexistantes.

3. Quatre « nouveaux » défis dans le secteur de l’environnement Après 20 ans de PNAE, quels enjeux se présentent aujourd’hui et pour l’avenir dans le secteur de l’environnement à Madagascar ? Une façon de répondre à cette question consisterait à utiliser des méthodes quantitatives permettant de classer les problèmes environnementaux par ordre de priorité.118 Une telle approche, bien que nécessaire, dépasse le cadre de cette note. Il est donc proposé de retenir quatre défis, en relation avec les trois grands types de problèmes environnementaux (si on exclut le changement climatique, que cette note de politique, de manière délibérée, ne traite pas) que sont la disparition des espèces, la diminution des stocks de capital naturel, et la pollution de l’air, de l’eau ou des sols. Le premier défi réside dans le financement à grande échelle de la conservation de la biodiversité. Madagascar a fait d’énormes progrès au cours des vingt dernières années en créant le réseau des aires protégées, qui a significativement ralenti la vitesse de disparition des espèces. Il continue d’ailleurs à évoluer en créant maintenant non plus des parcs mais des corridors, lesquels maintiennent également les processus écologiques. Le pays commence également à préserver les coraux et les mangroves en plus de la biodiversité terrestre. Par conséquent, ce qui n’était il y a vingt ans qu’une dizaine de parcs financés sans problème par quelques partenaires 117 L’objectif énoncé en 2003 lors du Congrès Mondial des Aires protégées à Durban était d’atteindre 6 millions d’hectares, 10% de la superficie terrestre du pays. 118 Par exemple des méthodes quantitatives comme l’évaluation des risques environnementaux (CRA en anglais pour Comparative Risk Assessment), ou le calcul du coût de la dégradation de l’environnement (COED en anglais pour Cost of Environmental Degradation) ou alors des méthodes participatives (Participatory Techniques) qui permettent de comprendre les préférences des différents groupes d’acteurs, notamment les plus vulnérables, groupe souvent le plus affecté par les problèmes environnementaux. Pour plus de détails, cf. World Bank : Integrating Environmental Considerations in Policy Formulation: Lessons from Policy-Based SEA Experience, 2005.

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financiers représente aujourd’hui un réseau imposant qui, de plus, continue de croître. Qui va financer le bien public mondial dont Madagascar est le dépositaire et qu’il a bien voulu protéger ? Voilà un nouveau défi, la rançon du succès en quelque sorte. Le deuxième défi est la prise en compte, au moyen de la cogestion, des besoins et des aspirations des populations riveraines des aires protégées. Si l’accès aux ressources des aires protégées leur est totalement interdit, elles souffrent d’une perte de revenus119 qu’il faut d’une manière ou d’une autre compenser. D’autre part, la tendance aujourd’hui est premièrement à la création d’aires protégées qui autorisent certaines exploitations durables des ressources naturelles par les communautés locales (à part dans les noyaux durs) et deuxièmement à la cogestion. Si l’accès reste partiellement autorisé ou si elles participent à la surveillance et à la gestion comme dans le cas d’Anjozorobe, un travail d’accompagnement et de construction des capacités apparaît nécessaire. Le troisième défi est celui du pillage des ressources renouvelables, tant animales que végétales. L’île connaît depuis longtemps le problème du pillage des espèces animales les plus prisées, comme le requin (pour son aileron), le concombre de mer ou encore les petites tortues terrestres, mais également des espèces végétales comme le Prunus Africana (pour son écorce utilisée en phytothérapie). En effet, quand une espèce est recherchée, elle acquiert une valeur marchande importante qui peut conduire à une exploitation incontrôlée (tant sur le plan biologique que financier) si le régulateur n’existe pas ou ne fait pas son travail : c’était le cas pour les espèces citées précédemment. Aujourd’hui avec les bois précieux, on assiste à un nouveau phénomène. La Direction Générale des Forêts prépare depuis plusieurs années la mise en place d’un système transparent d’attribution de licences d’exploitation et un système de fiscalité forestière. Cependant depuis plus d’un an, l’accélération d’un régime d’exceptions répétées autorisant l’exportation a permis à une poignée d’opérateurs de se lancer dans l’organisation de coupes dans les parcs nationaux du Nord-est de l’île et d’exploiter le bois de rose et le bois d’ébène sous le couvert d’une légalité provisoire offerte par des décrets d’exception. Cette exploitation est probablement en train d’épuiser les stocks de bois précieux au profit de quelques intérêts particuliers et au détriment de l’ensemble de la population malgache. Le quatrième défi est celui des impacts environnementaux associés à l’exploitation des ressources minières et pétrolières du pays. Hormis de rares marées noires comme celle qui a frappé récemment le sud de l’île à Faux-Cap, l’île demeurait préservée, parce que son économie était essentiellement agricole, des pollutions d’origine industrielle. Trois projets récents de grande envergure suggèrent que le contexte est en train de changer120 : Rio Tinto, une entreprise anglo-canadienne vient d’investir 1 milliard US$ dans le Sud-ouest du pays pour exploiter un gisement l’ilménite, un pigment utilisé dans la confection de peinture ; Sherritt, une entreprise canadienne est en train d’investir 4 milliards US$ pour exploiter un gisement de nickel et de cobalt à Moramanga. Enfin, Total, la compagnie pétrolière française s’apprête à investir pour un montant encore inconnu mais vraisemblablement de plusieurs milliards de dollars dans l’exploitation de deux gisements de schistes bitumineux situés au sud de Mahajanga. Même si ces entreprises ont réalisé ou réaliseront des études d’impact environnementales (EIE)

119 Cette perte de revenu s’appelle coût d’opportunité de la préservation du bien public mondial et s’ajoute au coût de gestion proprement dit pour représenter le coût économique de la gestion d’une aire protégée à Madagascar. 120 D’autres projets concernant d’autres minerais sont également à l’étude.

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extrêmement sophistiquées, la gestion des pollutions de l’air, de l’eau et des sols liées à leur activité représente un défi entièrement nouveau pour le pays. Ainsi en vingt ans, Madagascar est passé d’une situation où le seul problème environnemental visible était la déforestation d’origine agricole à une situation où le problème persiste toujours (même s’il a ralenti), où s’y ajoutent de nouveaux problèmes, comme celui de la santé environnementale, lié à l’utilisation du charbon de bois, le financement durable d’un bien public mondial, l’implication des populations dans la gestion des ressources naturelles, l’impossibilité d’arrêter le pillage des espèces les plus prisées du capital naturel et enfin, pour la première fois, la nécessité de gestion des pollutions d’origine industrielle. Notons que cette évolution entraîne également un changement d’acteurs ; s’il y a vingt ans le paysan se trouvait au centre du débat écologique à Madagascar, des entreprises nationales et des groupes internationaux constituent aujourd’hui les principaux interlocuteurs du Gouvernement, souvent avec des moyens financiers très supérieurs à ceux de l’Administration malgache. Premier défi : le financement du bien public mondial Madagascar est en train de créer à vive allure un système d’aires protégées qui couvrira 10 % de son territoire, soit 6 millions d’hectares ainsi qu’au moins un million d’hectares d’aires protégées marines. Il s’agit d’une décision relativement récente, prise lors du Congrès mondial sur les aires protégées à Durban en 2003. Cette accélération du rythme de création, probablement justifiée sur le plan scientifique, pose toutefois un sérieux problème de

financement. C’est en effet un actif très coûteux pour un pays pauvre comme Madagascar, qui en en plus doit tenir compte des changements de mode de gouvernance du réseau et de l’absolue pauvreté des populations riveraines, qu’il faut aider à se développer économiquement en même temps que les aires protégées sont créées. Le réseau existant, 2,65 millions d’hectares gérés par Madagascar

National Parks (MNP), qui a été mis en place progressivement depuis 20 ans, a un coût de gestion d’environ 3 US$ par hectare et par an. Il est financé à 90 % par l’Aide Publique au

Développement (APD), notamment l’Union Européenne, la KfW, la Banque Mondiale et le FEM. Toutefois, le financement des 3,25 millions d’hectares de nouvelles aires protégées (NAP) n’est pas encore acquis. Au total, on estime que le coût annuel de gestion de l’ensemble des aires protégées pourrait atteindre environ 14 millions US$ par an à partir de 2012. Ce montant 121 Protection temporaire veut dire que le processus administratif de création n’est pas entièrement terminé.

Graphique 3: Rythme de création des aires protégées

(protection temporaire121

) depuis 1990

Sources : compilation de divers documents par les auteurs, 2010.

1,230 1,400 1,500

4,200

5,8007,000

1990 1997 2002 2005 2009 2012

Superficie cumulée en milliers d'hectares

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représente un coût élevé pour un pays comme Madagascar, qui a d’autres priorités budgétaires que le financement d’un bien public mondial. A titre de comparaison, un tel coût est 14 fois supérieur au budget que l’Etat consacre actuellement à MNP, et 14 fois supérieur aux revenus des droits d’entrée dans les aires protégées en 2008. Le réseau historique (2,65 millions d’hectares) est géré par MNP avec l’aide technique de KfW au niveau central, et d’ONG au niveau du terrain. MNP a été créé au tout début du PNAE et a donc une longue histoire institutionnelle. Il est en revanche entendu que les nouvelles aires protégées (NAP), 3,25 millions d’hectares en cours création, sous tutelle de la Direction Générale des Eaux et Forêts (DGEF) du Ministère de l’Environnement et de la Forêt (MEF) promues par les ONG internationales, auront d’autres gestionnaires que MNP, notamment les communautés locales et le secteur privé. Deuxième défi : comment associer les populations riveraines à la protection du bien public mondial ? Il n’est pas possible de créer et gérer une aire protégée à Madagascar sans les populations riveraines. Au début du PNAE, les populations riveraines des quelques aires protégées gérées par MNP obtenaient des compensations pour les restrictions d’accès aux ressources naturelles contenues dans les aires protégées (tous les usages consomptifs sont interdits dans les catégories I, II, IV de l’IUCN) sous la forme de projets intégrés de conservation et de développement (PCDI). Puis, quand le nombre d’aires protégées gérées par MNP est devenu plus important, il a été convenu tacitement que les projets de développement ruraux en général prendraient le relais, sans que l’on sache très bien si les microprojets de développement rural en question compensaient réellement les ménages affectés par la création des aires protégées. En effet, aucune base de données ne permet pour le moment de recouper ce genre d’informations. Il n’y a pas non plus d’évaluation qui permette de dire si les projets de compensation ont eu un impact durable dans le temps. Aujourd’hui MNP et les nouvelles aires protégées explorent l’usage contrôlé de certaines ressources naturelles par les populations locales (d’autres catégories de l’IUCN) ainsi que la co-gestion (soit sous forme d’emploi pour le contrôle et la surveillance, soit en associant les communes ou les communautés à la gouvernance même de l’aire protégée) avec les populations riveraines. L’usage contrôlé et durable de certaines ressources naturelles diminue les pertes de revenus et par conséquent le coût de compensation de ces pertes de revenus, sans toutefois le réduire à zéro. Il reste par ailleurs un travail à faire pour identifier les gens qui, malgré les usages autorisés et les emplois offerts dans la cogestion, perdent une partie significative de leurs revenus lors de la création de l’aire protégée, et leur offrir des compensations adaptées à leur situation, telles qu’elles figurent dans le cadre fonctionnel des sauvegardes adopté par le pays en 2008. Cette compensation augmente également le coût de gestion du bien public mondial et ralentit le processus de construction du système d’aires protégées. Elle représente cependant une opportunité d’introduire de nouvelles techniques agricoles moins destructives (et plus productives) que l’agriculture sur brûlis et donc de favoriser le développement en milieu rural.

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La co-gestion (ou gestion décentralisée) peut fonctionner si les promoteurs prennent le temps de travailler avec les communautés et leur transfèrent les compétences nécessaires au travail de « ranger » ou à la gestion d’une aire protégée. Or, les exemples de réussite sont peu nombreux, excepté celui d’Anjozorobe : 50 000 hectares de forêts à deux heures d’Antananarivo, gérés par les communautés locales avec l’aide technique de l’ONG nationale Fanamby, avec un « petit » projet du FEM de 1 million US$. Le rapport d’évaluation du FEM122 considère que l’expérience s’annonce prometteuse. Si le modèle semble adapté aux conditions de terrain à Madagascar, il faudra cependant plusieurs années pour reproduire une expérience réussie à relativement petite échelle (50 000 hectares) sur 3,25 millions d’hectares de NAP, soit sur la moitié de la superficie du bien public mondial, lequel est entouré dans sa totalité (6 million d’hectares) d’environ 2 millions de personnes plus ou moins affectées par la création de ces nouvelles aires protégées. Qui va payer le coût123 de cette gigantesque entreprise de construction et de renforcement des capacités des communautés locales ? Troisième défi : stopper le pillage des ressources naturelles Madagascar, en plus d’abriter un bien public mondial dont on vient de voir qu’il représente un coût élevé pour le pays tant en matière de gestion proprement dite qu’en raison du besoin d’impliquer les populations, possède des stocks importants de ressources naturelles renouvelables : 3 millions d’hectares de forêts hors aires protégées et 320 000 tonnes de ressources halieutiques le long de ses côtes124. Ces ressources représentent un capital naturel qu’il convient d’exploiter à des fins de développement, mais de manière durable. Exploiter durablement une ressource naturelle renouvelable consiste à réglementer son exploitation de façon à ne prélever que le surplus (ou excédent) biologique, c'est-à-dire sans entamer le stock ou capital. Si le stock se trouve entamé, l’exploitation d’une ressource naturelle peut éventuellement125 être considérée comme durable si la plus grande partie de la rente différentielle126, à travers une fiscalité appropriée, est réinvestie sur le territoire national dans des usages productifs : infrastructure, éducation ou santé. Le Botswana par exemple a réussi à se développer durablement avec une économie entièrement fondée sur l’exploitation du

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GEF Country Portfolio Evaluation: Madagascar (1994–2007), Evaluation Office GEF, October 2008. 123 Ce coût intervient en amont du coût de gestion proprement dit. C’est un coût d’investissement alors que le coût de gestion est un coût récurrent. 124 Andrianaivojaona, C.,Kasprzyk, Z.W.,Dasylva, G. Pêches et aquaculture a Madagascar: bilan diagnostic, Assistance à l'administration des pêches, Project reports, 1992. 125 Il faut toutefois accepter l’idée d’une parfaite substitution entre le capital productif ou humain et le capital naturel, ce que font certains économistes de l’environnement : « An economic transcription of the classic definition of sustainable development is that each generation should bequeath to its successor at least as large a productive base as it inherited from its predecessor. An economy’s “productive base” is the set of the different capital stocks. Not only produced capital, but also human (education level, knowledge, health), social (institutions, level of trust) and natural (mineral resources, soil resources, forests, fish resources). A development path is thus said sustainable as long as the society’s productive base (per capita) does not shrink.” From P. Dasgupta,and K.-G. Maler: 'Net National Product, Wealth, and Social Well-Being', Environment and Development Economics, 2000. 126 Différence entre le prix du marché et le coût d’exploitation – y compris des profits dits normaux.

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diamant parce qu’il a correctement réinvesti sa rente minière127. Quand, en revanche, l’exploitation épuise le stock et que la rente n’est pas prélevée et réinvestie sur le territoire national, le pays a manqué pour toujours une opportunité d’utiliser ses ressources naturelles pour se développer : il a été pillé (on parle, à propos de l’incapacité de nombreux pays en développement de capturer et réinvestir cette rente minière ou pétrolière à des fins de développement, de « malédiction » des ressources naturelles).128 Dans le cas de Madagascar, il semble aujourd’hui entendu que la forêt malgache doit être exploitée en maintenant un stock total constant129 (ou bien conservée intégralement si on considère qu’il est plus important de protéger la biodiversité). Mais il faut que cette exploitation serve également au développement du pays à travers l’utilisation de sa rente, ce qui ne se vérifie pas à l’heure actuelle. Le premier problème est donc de définir le niveau d’exploitation qui permettrait de maintenir le stock de richesses constant (ou alors selon l’objectif ciblé). La direction générale des Eaux et Forêts du Ministère de l’Environnement et des Forêts, avec l’appui des partenaires, a entrepris de mettre au point un ensemble d’outils pour la gestion durable des forêts naturelles, qui inclue le zonage forestier, les inventaires, l’élaboration de plans d’aménagement détaillés et l’adjudication publique et compétitive de permis d’exploitation, et la mise au point de systèmes de traçabilité de bois et de certification (comme par exemple la certification du Forest Stewardship Council-. FSC).130 En attendant que ces outils soient opérationnels et parce que le gouvernement veut s’assurer que les forêts seront exploitées sans entamer le stock et avec un bénéfice économique pour le pays, l’octroi de gré à gré de permis d’exploitation par l’administration forestière a été suspendu depuis 2005 et l’exportation des bois précieux (bois de rose, palissandre et ébène) sous forme brute (rondins) et semi-travaillé, interdite depuis 2004. Ce « moratoire » s’est cependant révélé instable dans la durée. Des autorisations d’exportation à titre exceptionnel ont été régulièrement accordées, comme en 2007, puis plus récemment au début de l’année 2009, avant les évènements politiques, et dernièrement au mois de septembre 2009. Les justifications officielles sont que ces autorisations permettent de valoriser les arbres abattus par les cyclones ou d’écouler de vieux stocks, mais elles engendrent dans les forêts primaires des vagues de coupe et de braconnage systématiques qui sont illégales.

127 World Bank: Where is the Wealth of Nations? Measuring capital for the XXI century, 2006: «There are no sustainable diamond mines, but there are sustainable diamond- mining countries. Implicit in this statement is the assumption that it is possible to transform one form of wealth—diamonds in the ground—into other forms of wealth, such as buildings, machines, and human capital. Achieving this transformation directing requires a set of institutions capable of managing the natural resource, collecting resource rents, and these rents into profitable investments. Resource policy, fiscal policy, political factors, institutions, and governance structure all have a role to play in this transformation. » 128 M. Sarraf and M. Jiwanji: “Beating the Resource Curse: The Case of Botswana”, Environment Department Working Papers, Environmental Economics Series 83, World Bank, Washington DC. 129 Pas forcément de chaque espèce parce que c’est quasiment impossible d’un point de vue sylvicole dès lors qu’on exploite une forêt primaire de maintenir l’équilibre interspécifique de départ. 130 L’ensemble de ces outils est appelé l’approche Kolo Ala et leur mise au point a été financée par plusieurs projets d’appui au Programme Environnement, qui ont investi environ 15 millions US$ dans cet effort au cours des 5 dernières années (environ 10 millions US$ pour IDA et peut être 5 million pour USAID).

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De plus, depuis le début de l’année 2009, l’exploitation illégale s’est déplacée pour la première fois dans les aires protégées du Nord-est de Madagascar, notamment Makira, Mananara Nord, Masoala et Marojejy, mettant en danger la conservation de la biodiversité. Pour la seule année 2009, les dernières estimations131 donnent une exportation d’environ 1200 containers, qui représentent un volume de bois de 25 000 m3, soit 20 fois plus que les années précédentes. Par conséquent, des quantités importantes de bois précieux sont prélevées sans aucun égard pour l’impact de cette exploitation sur les stocks existants ou sur les parcs nationaux, où tous les usages sont interdits. Le deuxième problème est la capture de la rente associée à l’exploitation des ressources naturelles renouvelables par les opérateurs. Bien que l’on ne dispose pas d’études très précises à ce sujet, il est fort probable que la part de rente capturée par le gouvernement lors de l’exploitation soit des bois précieux pendant les périodes d’exception, soit des autres stocks de ressources naturelles comme les ressources halieutiques, soit faible comparée à la rente totale (à l’exception du secteur de la crevette depuis le début des années 90). Pour les bois précieux et pour la seule année 2009, la valeur marchande de l’ensemble des containers qui ont été exportés serait d’environ deux cent millions US$132. Quinze à vingt % de cette valeur, soit 30 à 40 millions US$ aurait été versés dans les caisses de l’Etat ; faible somme pour des arbres dont le coût d’exploitation et de transport jusqu’au bateau est, compte tenu de la localisation des forêts et des techniques utilisées, reste très faible en pourcentage de la valeur marchande. Par conséquent, non seulement l’exploitation du bois de rose entame le stock, provoque des dégâts écologiques irréversibles mais elle contribue peu au développement du pays (faible transformation du capital naturel en capital productif et humain). C’est un véritable paradoxe dans un pays qui par ailleurs essaie de réunir les fonds pour financer ses aires protégées, comme expliqué plus haut. Enfin, l’exploitation non maîtrisée des ressources naturelles de Madagascar ternit l’image du pays comme destination éco-touristique (or le tourisme de nature constitue une source importante de devises pour le pays) et pourrait freiner la mobilisation future de l’Aide Publique au Développement (APD), ainsi d’ailleurs que la participation à l’initiative REDD+. Autrement dit, non seulement l’exploitation des ressources naturelles rapporte peu à l’Etat malgache et aux populations, mais en plus elle menace l’émergence d’autres sources de financement et de potentialités qui représentent l’avenir de Madagascar Quatrième défi : réglementer les impacts environnementaux des grands projets, notamment miniers Madagascar reste pour l’essentiel un pays rural. Cependant, le pays est probablement en train d’entrer dans une nouvelle phase de son développement où les infrastructures, les industries et les villes vont prendre de l’importance. Dans ce contexte, les problèmes de perte de milieu naturel et de pollution pourraient bien s’accentuer de manière significative. Prenons pour illustrer les défis environnementaux les récents investissements miniers (Rio Tinto133 et Sherritt134) et

131 Programme Germano-Malgache pour l’Environnement (PGME) / GTZ : Impacts économiques des arrêtés autorisant les exportations de bois précieux à Madagascar, 2009. 132 idem. 133 A Fort Dauphin, dans le Sud ouest du pays, la compagnie anglo-canadienne Rio Tinto, un des géants mondiaux du secteur minier, prévoit de produire 750 000 tonnes d’ilménite par an au cours des 60 prochaines années.

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l’investissement pétrolier (Total135) en cours et à venir (voir la Note de politique sur le secteur minier pour plus de détails). Ces trois projets miniers possèdent une empreinte écologique non négligeable : ils ont détruit ou détruiront des forêts (600 hectares pour Sherritt, 4 000 hectares pour Rio Tinto, aucune pour Total, qui exploitera le gisement dans une région déboisée) et plus généralement des espaces naturels pour extraire le minerai ou les hydrocarbures. Elles se révèlent également polluantes : très peu dans le cas de l’ilménite et du Zirsill, bien plus pour l’exploitation du nickel qui produira des boues acides (qui devraient êtres basifiées par du calcaire en provenance de Tuléar) et peut-être plus encore pour l’exploitation des sables bitumineux qui nécessite de grandes quantités d’eau dans une région désertique, stérilise les sols et produits d’immenses lacs de déchets miniers. Enfin les trois projets entraînent la construction de nouvelles infrastructures qui ont elles aussi une empreinte écologique: le port minéralier d’Ehoala, le pipeline qui amènera les boues de Moramanga à Taomasina et qui traverse un corridor de forêts denses humides, et les probables infrastructures qui seront associées à l’exportation de pétrole dans le cadre du projet d’exploitation des schistes bitumineux. Ces entreprises internationales ont des principes et des politiques environnementales internes à respecter et elles ne peuvent pas se soustraire à la pression de leurs propres clients, actionnaires et des ONG de leur pays d’origine. Ceci pourrait être une opportunité pour développer un modèle de partenariat environnemental nouveau pouvant encourager les investissements futurs et démontrant que les atouts environnementaux et miniers du pays n’entretiennent pas nécessairement des rapports contradictoires. Madagascar dispose d’une agence de protection de l’environnement, l’ONE, créée au début du PNAE, et d’un cadre réglementaire appelé Mise En Comptabilité des Investissements

avec l’Environnement (MECIE) qui impose que les investisseurs réalisent une étude d’impact environnementale (EIE) avant l’investissement et paient les frais d’approbation et de suivi de cette EIE (un pourcentage décroissant du montant de l’investissement initial). Il faut cependant reconnaître que cette agence n’a jamais eu affaire auparavant à de tels investissements tant en envergure qu’en pollution potentielle. A-t-elle réellement la capacité scientifique pour évaluer, commenter et suivre les études d’impact environnementales que les entreprises s’engagent à financer ? Les autorités peuvent certes compter sur l’appui des bailleurs

L’ilménite est un minerai utilisé comme pigment dans les peintures et les dentifrices. Le travail de la mine consiste à enlever la végétation, une forêt littorale pour l’essentiel, séparer mécaniquement et électriquement dans un lac artificiel le minerai du sable puis à reposer le sable débarrassé de son minerai, et enfin à re-végétaliser le sable débarrassé de son minerai. 134 A Moramanga, entre Antananarivo et Toamasina, la compagnie canadienne Sherritt prévoit d’extraire 60 000 tonnes de nickel et 5 600 tonnes de cobalt par an pendant 30 ans. La boue chargée de minerai est extraite de la mine à ciel ouvert, envoyée par pipeline à Toamasina où une usine effectue la séparation avant de stocker les déchets d’abord à terre puis à terme en mer, après basification des boues acides. 135 Sur la côte Ouest, à Bemolanga et Tsimiroro, la compagnie française Total pense exploiter des schistes bitumineux. Il s’agit d’un bitume très visqueux aggloméré à des schistes et du sable, duquel on peut faire du pétrole. Les deux gisements sont estimés à 6 milliards de barils. Le processus d’extraction consisterait à chauffer le bitume en injectant de la vapeur et des solvants en profondeur puis mélanger le sable extrait avec de l’eau chaude pour le rendre moins visqueux avant de laisser décanter pour extraire le pétrole.

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de fonds et des ONG mais ceux-ci restent des accompagnateurs et non pas des décisionnaires dans le processus de négociations entre le gouvernement et les entreprises privées. De plus, le principe « polluer payeur » c’est-à-dire que ces grandes entreprises paient un pourcentage de l’investissement directement à l’ONE pour que celui-ci évalue l’EIE puis suivent le plan de gestion, pourrait poser un sérieux problème d’aléa moral (effet indésirable sur le comportement économique) et de possibles conflits d’intérêts.

4. Quelques éléments de réponse Après avoir décrit quatre nouveaux défis, cette note propose quelques pistes de solutions appropriées à la gestion de chacun ainsi qu’une proposition transversale : améliorer la gouvernance environnementale. Mettre en place des mécanismes de financement durable pour les aires protégées Comme dit plus haut, la constitution du réseau des aires protégées a un coût important pour un pays comme Madagascar.136 Les aires protégées abritent un bien public mondial. C’est donc à la communauté internationale de payer en premier lieu, ce qu’elle fait depuis vingt ans à travers l’aide publique au développement et depuis cinq en capitalisant un fonds fiduciaire. Le problème de l’aide publique au développement tient au fait qu’elle intervient sous forme de projets qu’il faut renégocier tous les cinq ans: elle ne constitue donc pas un mécanisme de financement durable, même si elle reste indispensable dans le court terme. Plusieurs options de financement durables ont été identifiées (et pour certaines déjà développées) par le Programme Environnement: - la capitalisation à hauteur de 50 millions de $ d’un fonds fiduciaire ; - la participation au marché émergent du carbone lié à la déforestation évitée ; - les revenus fiscaux directs et indirects du tourisme de nature. Doubler le capital du fonds fiduciaire

Afin de pérenniser le financement des aires protégées, un fonds fiduciaire géré par la Fondation pour les Aires protégées et la Biodiversité de Madagascar (FAPBM) a été mis en place en 2004. Ce fonds, soutenu initialement par les bailleurs de fonds, reste cependant insuffisant pour subvenir aux besoins financiers requis pour gérer l’ensemble des aires protégées qui devaient être créées à Madagascar à l’horizon 2012. Une stratégie possible serait d’augmenter le capital de la Fondation, sous-dimensionnée aujourd’hui par rapport à la taille du réseau (le réseau était initialement envisagé pour 2 millions d’hectares). Par exemple, en doublant le capital de la Fondation et en portant ainsi le

136 En amont du débat sur les sources de financement du bien public mondial, il existe depuis cinq ans, une discussion relativement animée sur le coût financier et économique du futur réseau. Voir l’article de David Meyer et al., 2006.

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capital à 100 millions US$, la Fondation pourrait financer 5 millions US$ par an, soit un tiers du coût récurrent du système des aires protégées. Cette capitalisation qui, à première vue, ne paraît pas impossible, se heurte à trois problèmes. Premièrement, certains bailleurs de fonds ne peuvent pas participer à ce genre de financement en raison de leurs règlements internes. Deuxièmement, même si de nombreuses institutions fonctionnent sur ce modèle, telles par exemple la plupart des grands universités américaines, il existe des risques liés aux crises financières et il faut prévoir des mécanismes de préservation du capital et de stabilisation pour les années à faibles rendements financiers. Troisièmement, il est probablement important de continuer à améliorer les systèmes internes de la Fondation (i.e. ses différents manuels de procédures : choix des aires protégées, mode de financement des aires protégées et suivi-évaluation). Enfin, il conviendrait pour la Fondation de diversifier les sources de financement, notamment en direction du secteur privé, dans le cadre des Business and Biodiversity Offsets Program (BBOP). Participer à l’initiative de réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation (REDD+) Des initiatives destinées à opérationnaliser le marché du carbone forestier sont en cours de développement dans le cadre du PE. La première à Makira, avec l’aide de World Conservation Society (WCS), les trois autres dans les corridors forestiers Andasibe-Zahamena (avec l’aide de la Banque Mondiale) et Fandriana-Vondrozo (avec l’aide de Conservation International –CI). Ces initiatives s’inscrivent, pour l’une d’entre elles dans le cadre du mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto (reboisements entre deux aires protégées dont le parc national d’Andasibe), et pour les deux autres dans le cadre émergent de la réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation (REDD+)137. L’Objectif de l’initiative REDD+ consiste à aider les pays à préparer une stratégie nationale de réduction des émissions qui décrira notamment la manière dont seront mesurées les émissions, les responsabilités des différents acteurs, et les règles de partage de revenus et de gestion des fonds. Madagascar, en dépit de la crise politique, reste relativement bien placé sur la scène internationale pour bénéficier des revenus du marché émergent du carbone forestier. Le volume de gaz carbonique équivalent au carbone stocké dans les 9,5 millions d’hectares de forêts naturelles à Madagascar serait d’environ, si on prend 350 tonnes de CO2 par hectare, 3,3 milliards de tonnes. En considérant un prix de 5 US$ par tonne de CO2, en supposant que les mesures financées par l’initiative REDD réduiraient de 10 % supplémentaires une déforestation actuellement estimée avec des images satellites à 0,5 % par an138, et en supposant que la culture alternative stockerait l’équivalent de 100 tonnes de CO2 par an, alors la vente de réduction d’émissions pourrait rapporter à Madagascar 6 millions US$ par an, soit un peu plus d’un tiers du coût de gestion de système d’aires protégées139.

137 Lors de la réunion des parties de Copenhague en décembre 2009, environ 4,5 milliards US$ ont été promis pour financer cette initiative de 2010 à 2012 138 Le taux de déforestation sur 9 millions d’hectares est de 44 % contre 0,8 % il y a cinq ans. 139 Ce calcul se montre probablement très conservateur. Les quantités de carbone stockées dans les différent types de forêts de Madagascar doivent être calculés plus précisément ainsi que le scenario de référence. .

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Figure 1: Clefs de calcul pour la déforestation évitée à Madagascar. Superficie forestière 9.5 millions d’hectares Taux de déforestation annuel 0,5 % Taux de réduction annuel de la déforestation 10 % Contenu carbone (tonne de CO2 par hectare) 250 (350 moins 100) Valeur de marché de la tonne de CO2 5 US$ Revenus annuels de la vente de réduction d’émissions 6 millions US$

Source : adapté de documents du FCPF, Washington DC, 2010.

Cette option très prometteuse doit retenir l’attention du Gouvernement et de l’ensemble des acteurs du secteur Environnement. Il reste cependant et là encore, des questions importantes à démêler : la répartition des futurs revenus entre l’Etat d’une part et les acteurs locaux d’autre part140 (notamment les populations riveraines des forêts), le passage d’une approche par projet à une approche nationale pour éviter le phénomène dit de fuite c'est-à-dire une recrudescence de la déforestation à côté des espaces protégée recevant des crédits de réduction d’émissions, et enfin la gouvernance forestière évoquée plus loin dans cette note. Réinvestir les revenus du tourisme dans la gestion des aires protégées Avant la dernière crise politique, le nombre de touristes de nature visitant Madagascar chaque année s’élevait à environ 150 000 personnes par an. Le droit d’entrée dans une aire protégée étant d’environ 5 US$ (seulement pour étrangers, les nationaux payant 0,5 US$), les revenus s’élevaient à environ 0,75 millions US$ par an. Si ces montants représentent une progression significative au cours du temps, ils restent marginaux par rapport à ceux obtenus dans des pays représentant des destinations-phares pour le tourisme de nature comme le Costa Rica. Le tourisme peut donc contribuer de manière plus importante au financement du bien public mondial à Madagascar et cela de deux façons. Premièrement les touristes peuvent probablement payer un peu plus que 5 US$ pour visiter une aire protégées. Pour en avoir le cœur net, il conviendrait de mesurer le consentement à payer (CAP) des touristes en utilisant soit la méthode des coûts de transport soit une évaluation contingente. Les deux évaluations contingentes qui existent concernent un seul parc et ont plus de 10 ans d’âge. Mais le consentement à payer des touristes est lié d’une part aux infrastructures et services d’accueil, et d’autre part à la bonne conservation de l’écosystème. Il conviendrait donc que MNP continue à investir dans les aires protégées les plus visitées, non seulement dans l’écotourisme en développant des produits adaptés aux touristes, en association avec le secteur privé, mais aussi dans le contrôle et la surveillance car, à cet égard, l’exploitation illégale fait figure de désastre. Deuxièmement, les touristes consomment des produits et services lors de leur séjour à Madagascar, lesquels se traduisent en revenus fiscaux, même si la fiscalité et le recouvrement fiscal apparaissent notoirement faibles à Madagascar. Ce sont ces revenus fiscaux qui permettent au Gouvernement de financer aujourd’hui MNP à hauteur d’environ 1 million US$ par an. La marge de progression reste cependant très importante. Si l’environnement contribue au développement de l’industrie touristique à Madagascar, l’industrie du tourisme

140 La préparation en cours du document préalable à la mise en place d’un marché du carbone : le R-PP traitera en partie cette question du partage des revenus.

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devrait donc contribuer au financement de la protection de l’environnement : les plus beaux éco-lodges s’installent en effet bordure de parcs gérés par MNP depuis vingt ans, notamment à Andasibe et dans l’Isalo, et bénéficient donc, pour le moment à moindre frais, de l’investissement apporté par MNP pendant 20 ans. Avec un réseau de parcs qui va tripler en superficie, les opportunités pour les opérateurs touristiques devraient se multiplier et ouvrir ainsi la voie à une contribution plus importante du Gouvernement dans la gestion des parcs, via la fiscalité sur l’industrie touristique.

Impliquer les populations riveraines des aires protégées dans leur propre développement

Gérer une aire protégée ne se résume pas à une question de financement : l’expérience suggère que l’adhésion des populations riveraines s’avère indispensable. Pour assurer cette adhésion, les options explorées pendant les 20 ans de PE consistaient en des compensations, sous forme de microprojets financés soit par les droits d’entrée dans les aires protégées, soit par les projets de financement des aires protégées eux-mêmes, soit encore par les projets de développement rural, sans qu’existent de liens avec les aires protégées elles mêmes. Les populations riveraines ont reçu ces microprojets en contrepartie de leur acceptation (plus ou moins volontaire) d’une restriction totale d’accès aux ressources naturelles dans les parcs. Le bilan de cette approche ne se révèle pas très satisfaisant, notamment parce que les microprojets apportaient souvent des solutions techniques et du matériel liés à la protection de l’environnement (ex. bibliothèques), dont l’effet sur le développement socio-économique des populations ne paraissait pas évident ou parce que les microprojets apportaient des techniques sans aider les gens à s’organiser, notamment pour entretenir les matériels permettant d’appliquer ces techniques. Maintenant que le mode de gestion des aires protégées évolue vers la cogestion et les aires protégées vers des catégories permettant l’utilisation durable des ressources, l’implication des populations devrait se réaliser en combinant des services rémunérés pour la gestion des aires protégées (contrôle et surveillance et éco-tourisme), des projets dits de création de revenus alternatifs pour les populations affectées ou vulnérables et la participation aux décisions concernant la gestion proprement dite des aires. Ces projets de compensation, les services rémunérés et l’intégration dans la structure de gouvernance, devraient renforcer la responsabilisation des riverains et améliorer leur l’attitude à l’égard de la conservation en général et des aires protégées en particulier. Légaliser l’exploitation des ressources naturelles, taxer les exportations et dénoncer les contrevenants Les bailleurs de fonds ont investi dans plusieurs projets à Madagascar pour améliorer la gouvernance dans le secteur forestier. Les récents échecs suggèrent le besoin de nouvelles approches, dont certaines sont déjà à l’œuvre, et qui se conçoivent comme complémentaires.

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Premièrement, il conviendrait de créer une offre et une demande « légales »141 comme bases d’un marché transparent en partant cependant du principe que certaines espèces en

danger doivent être protégées et ne doivent faire l’objet d’aucune exploitation et qu’il n’est pas question d’exploiter quoi que ce soit dans les parcs nationaux. La possibilité offerte aux opérateurs d’une exploitation forestière légale, réglementée et durable devrait en grande partie diminuer l’intérêt à pratiquer une exploitation illégale. Pour l’offre, la première étape consisterait à réaliser des inventaires forestiers et de déduire de ces inventaires des volumes maximums autorisés par licence et par essence. Ensuite, il conviendrait de mettre en place un système de traçabilité (éventuellement accompagné d’une certification) : ce sont, comme dit plus haut, les outils dont l’ensemble forme le KolAla. Des sites pilotes comme celui de Manompana, appuyé par Inter-Coopération, une ONG suisse, sont sur le point de devenir opérationnels. Il faudrait s’inspirer de ces expériences et passer graduellement à l’échelle nationale. En plus de financer ces outils, il pourrait être envisagé de compenser a posteriori les pertes avérées des recettes pour les exploitants (licites) et les travailleurs en raison de la mise en place de volumes maximums.142 Ces compensations représenteraient la contrepartie de contrôles et de sanctions fermes pour ceux qui frauderaient ou dépasseraient les volumes autorisés. Pour la demande, il semble urgent de fermer l’accès aux marchés des bois en provenance de Madagascar non-issus de forêts exploitées durablement. Soit en punissant les consommateurs comme viennent de le décider les Etats Unis, soit en autorisant exclusivement l’accès aux marchés si le pays s’engage officiellement dans des programmes de réformes en matière de gouvernance tels que Forest Law Enforcement Governance (FLEG) et Forest Law Enforcement Governance and Trade ( FLEGT) Deuxièmement, en parallèle, il serait souhaitable de mettre en place un système de prix et de fiscalité qui permette à l’Etat de capturer la plus grande partie possible de la rente associée aux ventes autorisées de bois précieux mais aussi aux autres espèces animales et végétales de Madagascar dont l’exploitation est autorisée: le pays doit absolument utiliser son capital naturel à des fins de développement durable au sens où nous l’avons défini précédemment. Une possibilité, qui reste à préciser, serait de confier la vente des produits à un organisme spécialisé dont le métier serait plus proche du commissaire priseur, chargé de préparer les ventes puis de faire monter les enchères, que du gestionnaire de ressources naturelles, traditionnellement le Ministère de l’Environnement et des Forêts. Un modèle à examiner serait éventuellement le partenariat public/privé introduit dans le secteur de la crevette à Madagascar au milieu des années 90, ou encore la manière dont fonctionne la société d’Etat qui commercialise l’okoumé au Gabon, un bois unique au monde. Troisièmement, dans certains cas, le transfert de la gestion de certaines ressources naturelles aux populations locales s’impose, de manière à remplacer l’administration en charge de la gestion et du contrôle de ladite ressource naturelle (l’administration forestière

141 Une autre possibilité pour les bois précieux consiste à les inscrire comme l’ivoire sur la liste de la CITES pour en interdire définitivement tout commerce. Le choix difficile entre interdiction et réglementation fait l’objet de nombreux débats. 142 Ces compensations pourraient prendre la forme de programmes de reconversion.

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deviendrait par conséquent un régulateur). Le cadre légal pour ce transfert de gestion existe depuis 1996143. Au total, environ 450 transferts de gestion auraient été effectués dans 210 communes et concerneraient 45 000 ménages, pour lesquels un bilan a été réalisé en 2008144. Il conviendrait de tenir compte des enseignements de ce bilan avant éventuellement d’intensifier les transferts de gestion. Enfin, il apparaît nécessaire que la société civile malgache, épaulée par les grandes ONG internationales, profite de la notoriété de la biodiversité malgache pour dénoncer vigoureusement à travers des campagnes de presse tout contrevenant au principe de légalité et pour exiger les amendes les plus élevées possible pour le commerce des espèces végétales et animales. Ce rôle de vigilance pourrait et devrait s’exercer autant à Madagascar que dans les pays où se commercialisent les espèces animales et végétales dont l’exploitation est en principe interdite. Il devrait être renforcé en facilitant l’accès de la société civile à l’information et à des financements pour leurs campagnes.

Renforcer les synergies entre le développement minier et industriel et les besoins de la protection de l’environnement à l’échelle du pays

Les grandes entreprises minières et pétrolières investissent dans des opérations d’une envergure sans précédent à Madagascar. Ces entreprises sont suffisamment visibles pour se conformer aux bonnes pratiques internationales en matière de minimisation des impacts environnementaux. Par ailleurs, elles investissent dans la conservation de la biodiversité en développant des aires protégées autour de leurs opérations. Il existe une opportunité de développer des synergies entre les activités environnementales de ces entreprises et la protection de l’environnement à Madagascar. Par exemple, Rio Tinto emploie près de 100 personnes dans son département social et environnemental, soit au moins autant que l’ensemble du personnel de l’Office National de l’Environnement (ONE). Un programme de transfert des capacités pourrait faire partie d’un accord de partenariat entre Gouvernement et entreprises minières. Les grandes entreprises minières et pétrolières pourraient également participer au financement de la protection de l’environnement à l’échelle du pays, par exemple à travers la Fondation pour les Aires Protégées et la Biodiversité. L’ONE doit probablement développer de nouvelles capacités et de nouveaux outils. Les capacités scientifiques de l’Agence devraient être élargies aux pollutions et à la chimie des minerais et des hydrocarbures. L’agence pourrait s’engager plus activement dans la production d’analyses environnementales stratégiques qui examinent les effets environnementaux cumulés dans un secteur donné, notamment quand celui-ci se développe rapidement comme c’est le cas actuellement pour le secteur des mines. L’agence aura probablement également à mettre en place des normes d’émissions et des normes de concentration pour différents types de polluants liés dans un premier temps aux activités minières et pétrolières.

143 Loi GELOSE pour Gestion Locale Sécurisée et décret GCF pour Gestion Contractualisée des Forêts - spécifique aux forêts et datant de 2001. 144 Programme germano-Malgache pour l’environnement (PGME) : Etat des lieux sur les transferts de gestion des ressources naturelles, orientations stratégiques, novembre 2008.

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Au-delà de l’ONE, le gouvernement dans son ensemble devrait envisager un développement industriel compatible avec le développement du tourisme de nature. La planification territoriale est probablement un domaine dont on attend des efforts supplémentaires, dans la mesure où il existe actuellement de nombreux problèmes de chevauchement entre aires protégées, permis miniers et permis d’exploration pétrolière. Renforcer la gouvernance environnementale Pour faire face aux défis en matière de financement de la conservation de biodiversité, de pillage des ressources naturelles et des grands investissements industriels, des progrès en matière de gouvernance environnementale, c'est-à-dire dans la manière dont Madagascar définit et promulgue ses orientations et ses lois et met en place ses institutions de gestion des ressources naturelles renouvelables et de minimisation des impacts environnementaux, sont nécessaires. Les capacités doivent être renforcées à tous les niveaux, celui du Ministère de l’Environnement et des Forêts mais également dans les établissements parapublics, les collectivités décentralisées (y compris les communautés de base) ou encore dans les délégations qui participent aux discussions sur les conventions internationales environnementales. De même, l’éducation environnementale de tous doit être promue et l’accès à l’information améliorée. Le cadre juridique des secteurs productifs basés sur les ressources naturelles et de l’environnement doit être mis à jour. Le processus de décentralisation, l’exploitation illégale, le chevauchement des compétences entres différentes administrations et services, les questions statuaires de certains organismes, la participation des citoyens et les avancées des négociations internationales nécessitent une adaptation des textes existants, notamment la charte de l’environnement. Ces efforts doivent aller de pair avec un renforcement de l’indépendance et de l’efficacité de l’appareil de justice et des mécanismes effectifs des sanctions et de motivation permettant un changement des comportements du personnel dans les différents structures concernées.145

5. Conclusion Ces vingt dernières années, les deux problèmes environnementaux majeurs se sont posés à Madagascar : la dégradation des sols agricoles, laquelle entraînait la déforestation causant à son tour la perte d’espèces endémiques, et la cuisine au feu de bois (également source de déforestation) qui générait des maladies respiratoires, notamment chez la femme et l’enfant. Des progrès significatifs ont été réalisés en matière de conservation des espèces. Par ailleurs, l’agriculture écologique (qui préserve le sol de l’érosion, par exemple en ne labourant pas) progresse sensiblement dans plusieurs régions sans découler toutefois du programme

145 Le développement d’un système de suivi-évaluation des progrès en matière de gouvernance environnementales a commencé en 2008 avec le Ministère de l’Environnement et des Forêts et la Coopération technique allemande mais est suspendu depuis mars 2009 à cause de la crise.

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environnement : elle est devenue une question agricole146. En revanche, le problème de la pollution de l’air dans les foyers a été largement sous-estimé jusqu’à une période récente. Une étude en cours examine la possibilité d’introduire des foyers à éthanol, sur le modèle d’autres pays africains147. Enfin, la consommation de bois de feu devrait être diminuée et/ou des sources de biomasse autres que les forêts devraient être mises en place. De nouveaux enjeux apparaissent. Cette note en a retenu quatre : le financement durable du bien public mondial, l’inclusion des populations riveraines dans la gestion des aires protégées, l’arrêt du pillage des ressources naturelles et la réglementation des impacts environnementaux liés aux grands projets148. La liste, bien sûr, ne prétend pas à l’exhaustivité, mais elle met en évidence que les problèmes et les acteurs évoluent avec le temps. Le paysan et les ménages constituaient les principaux acteurs jusqu’à présent, tandis que les entreprises et les enjeux financiers associés gagnent de l’importance. La conservation de la biodiversité nécessite aujourd’hui des financements qui dépassent largement la capacité du pays. La biodiversité étant un bien public mondial, sa conservation a pendant vingt ans été financée par la communauté internationale, mais ne le sera pas aussi facilement à l’avenir en raison notamment de la taille du réseau, qui sera bientôt quatre fois plus important qu’il y a vingt ans. Cette note montre toutefois que le pays pourrait avoir recours au marché pour financer la conservation de la biodiversité. En effet, en combinant une fondation dont le capital serait porté à 100 millions de $US, une vente de réduction d’émissions de gaz carbonique liée au ralentissement de la déforestation sur 9 millions d’hectares et une contribution plus importante du tourisme à la gestion des aires protégées, Madagascar pourrait à terme financer intégralement et durablement son système d’aires protégées, sans recourir, à terme (le marché du carbone lié à la réduction de la déforestation va en effet prendre encore quelque temps) à l’aide publique au développement. Par conséquent, l’aide publique au développement devrait progressivement être employée à développer les mécanismes de financement durable, plutôt qu’à financer directement la conservation de la biodiversité. Seul le renforcement de capacités des populations riveraines pour développer la cogestion des aires protégées ne peut faire l’objet d’aucun mécanisme de marché, et nécessiterait donc un financement de l’aide publique au développement. L’exploitation licite, durable et dûment taxée des ressources naturelles ne doit pas être négligée au profit de la conservation de la biodiversité. Madagascar se présente en effet comme ce pays paradoxal où des sommes conséquentes sont investies dans la conservation de la biodiversité, tandis que les espèces les plus prisées sont pillées, faisant perdre au pays des sommes comparables à celles qu’il obtient pour protéger sa biodiversité. Par conséquent, quand les espèces animales ou végétales peuvent être vendues parce qu’elles ne courent aucun danger d’extinction, leur exploitation doit être légalisée (et non interdite), et leur vente assurée dans des conditions de transparence et de compétition telles que le pays reçoive des ressources fiscales significatives qui pourront être utilisées pour développer le pays : bâtir des écoles, construire des 146 George Serpantié : L’agriculture de conservation à la croisée des chemins (Afrique, Madagascar). VertigO – La Revue en sciences de l'environnement, Volume 9, numéro 3, décembre 2009. 147 Banque mondiale : Tackling Households Air Pollution. Evidence from Madagascar lessons for Africa, en cours de préparation. 148 Cette note a volontairement exclu le changement climatique, traité dans une autre note de cette même série : Note sur la gestion des risques naturels.

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routes, etc. Un effort doit cependant être fait pour inventorier les stocks disponibles car il existe peu d’informations à ce sujet, et éventuellement dans certains cas transférer la gestion des stocks aux communautés locales. L’exemple réussi de la gestion des stocks de crevettes au travers d’un partenariat public/privé devrait être analysé et appliqué à d’autres types de ressources. La fiscalité des ressources naturelles nécessite en revanche une analyse en profondeur et la mise en place d’institutions spécialisées dans l’évaluation des rentes et le suivi des marchés. Une partie de la fiscalité devrait être utilisée pour autofinancer les secteurs des ressources naturelles, lesquels nécessiteront toutefois une aide publique au développement pour la réalisation des inventaires, la construction des systèmes de fiscalité et la mise en place d’institutions spécialisées. Enfin, les grands investissements miniers se développent et c’est une très bonne nouvelle pour le pays car ceux-ci peuvent contribuer à son décollage économique (cf. Note sur le secteur minier). Ces grands investissements sont d’une telle envergure que les investisseurs font eux-mêmes très attention à leurs impacts environnementaux. Ces grandes entreprises pourraient toutefois participer à la protection de l’environnement, pas seulement autour de leurs projets ou dans la région où elles travaillent mais aussi dans l’ensemble du pays. Des transferts de connaissance (et de compétences) entre ces entreprises et l’administration pourraient se mettre en place, et une participation financière à des initiatives nationales telles que la Fondation pour les Aires Protégées et la Biodiversité pourrait être négociée. Cela dit, un organe régulateur et de contrôle autonome financièrement vis-à-vis des grandes entreprises conserve toute son utilité. L’Office National de l’Environnement devrait être soutenu dans cette transformation par l’aide publique au développement. Finalement, l’environnement est un atout essentiel pour Madagascar et devrait par conséquent se trouver au centre de sa stratégie de développement. Pour cela, il faudrait toutefois s’accorder sur l’idée que la protection de l’environnement rapportera à terme plus de devises, d’emplois et de recettes fiscales pour le pays qu’elle ne coûte aujourd’hui en investissement et en coût de gestion pour le pays et en coût d’opportunité (opportunités perdues) pour certains acteurs. Un élément important de cette stratégie réside notamment dans l’offre d’alternatives à ceux qui perdent des opportunités de court terme.