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Actualités pharmaceutiques n° 543 février 2015 4 actualités profession Entretien avec Simon Lessard « Je considère l’accompagnement du patient asthmatique à l’officine comme une opportunité pour le patient et pour le pharmacien » Si les pharmaciens français sont désormais autorisés à réaliser les entretiens pour les patients asthmatiques, cela fait bien longtemps que leurs confrères québécois s’investissent dans le suivi de ces patients. Actualités pharmaceutiques est allé à la rencontre de Simon Lessard, pharmacien à Laval, au Québec, spécialiste de la prise en charge de l’asthme, clinicien associé à l’Université de Montréal et à l’Université de Laval. Actualités pharmaceutiques : Quelle est, au Québec, votre expérience dans le suivi des patients asthmatiques ? Simon Lessard : Il existe deux types de suivi du patient asthma- tique au Québec. Tout d’abord, nous disposons de centres d’enseignement en asthme, au nombre de 50 à 60 pour la pro- vince, comme la Clinique des maladies respiratoires de Laval que je dirige. Dans ce cadre, des éducateurs médecins, pharma- ciens, inhalothérapeutes et infir- miers reçoivent des patients sur rendez-vous et leur fournissent une éducation spécialisée indi- viduelle ou collective sur recom- mandation d’un autre profession- nel. Pour cela, nous disposons d’un local assez vaste qui met à la portée du patient beaucoup de documentations. Par ailleurs, l’ensemble des professionnels de santé libéraux, dont les phar- maciens, assurent un accompa- gnement des patients sans qu’il n’existe d’éducation formalisée. Ainsi, lorsqu’un patient vient à la pharmacie, il est reçu dans un espace de confidentialité, sans rendez-vous, pendant 5 à 10 minutes en moyenne, afin d’évaluer sa thérapeutique. AP : Comment êtes-vous rémunérés pour cela ? SL : Au Québec, lorsqu’il délivre les médicaments pour un mois, le pharmacien touche 9 $ (envi- ron 6,50 €) quel que soit le médi- cament dont il est question, que ce soit un comprimé ou un inhalateur, et que cela se fasse dans le cadre de l’instauration ou d’un renouvellement de trai- tement chronique. Le modèle est donc lié au volume, comme en France. Mais nous sommes par ailleurs rémunérés pour d’autres missions telles que la rédaction d’opinions pharmaceutiques : pour recommander la vaccination antigrippale, changer des posolo- gies… Par ailleurs, il est possible de faire payer directement un ser- vice proposé aux patients dont le tarif varie selon ce que le pharma- cien met en valeur. L’Association des pharmaciens propriétaires du Québec met à la disposition de ses membres une grille de prix, mais cette liste n’est pas exhaus- tive. Pour ma part, j’ai décidé de demander 20 $ pour un service complet comportant test de fonction respiratoire, enseigne- ment individualisé et recomman- dation/résumé d’enseignement remis au médecin. Mais il faut reconnaître que les patients nous demandent souvent plus pour les mêmes marges. Or, si nous vou- lons que les pratiques évoluent, il paraît nécessaire que le mode de rémunération soit adapté. Mais finalement, au-delà de la question de la rémunération, qui est assez réduite, accompagner les patients asthmatiques permet surtout d’améliorer la qualité des soins dispensés et de mettre en valeur les compétences des pharmaciens communautaires. Cela permet également de fidé- liser les patients par rapport à leur traitement et à leur pharma- cie, afin qu’ils puissent y acheter d’autres produits, mais surtout de les inciter à faire transférer leur dossier pharmacologique s’ils ne sont pas déjà clients. Je pense que la rémunération proposée en France est une réelle opportunité. AP : Disposez-vous de données sur les bénéfices de l’accompagnement des patients asthmatiques ? SL : Nous avons réalisé une étude sur 50 de nos patients à la clinique. Le contrôle de l’asthme s’était amélioré chez deux tiers des personnes qui suivaient l’accompagnement. Nous savons également que l’association à l’éducation d’un plan d’action écrit diminue les exacerbations et les hospitali- sations de manière importante. Les résultats sont souvent meilleurs lorsque plusieurs pro- fessionnels de santé s’impli- quent dans la prise en charge. D’ailleurs, dans plus de 80 % des cas, nos recommandations étaient appliquées sans que les médecins aient apporté de modifications. AP : Sur quels points faut-il être particulièrement vigilant : observance, utilisation des dis- positifs, prévention des effets secondaires, règles d’éviction des allergènes… ? SL : Normalement, quand un pharmacien réalise un entretien dans le cadre de la délivrance d’un médicament quelconque, il ne doit pas oublier les points sui- vants : tout d’abord, parler d’effi- cacité selon l’indication, vérifier si la posologie et la dose sont cor- rectes, puis s’assurer de la tolé- rance et donc informer le patient sur le risque d’effets secondaires et leur prévention éventuelle, enfin s’assurer de l’observance des médicaments à usage chro- nique, à la fois dans le cadre d’une initiation et d’un suivi. En effet, dans l’asthme, l’effica- cité va de pair avec l’obser- vance : le risque d’exacerbation et d’hospitalisation n’est prévenu que lorsque celle-ci atteint 75 à 80 %. Il convient également, dans le cadre de cette patho- logie, de rajouter la validation des techniques d’inhalation. AP : Quels conseils pouvez- vous donner aux pharmaciens français qui vont se lancer dans les entretiens de patients asthmatiques en initiation  ? SL : La première chose que je recommanderais est de faire preuve de professionnalisme en ©DR

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  • Actualits pharmaceutiques n 543 fvrier 2015 4

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    Entretien avec Simon Lessard

    Je considre laccompagnement dupatient asthmatique lofficine comme une opportunit pour lepatient et pour le pharmacienSi les pharmaciens franais sont dsormais autoriss raliser les entretiens pourlespatients asthmatiques, cela fait bien longtemps que leurs confrres qubcois sinvestissent dans le suivi de ces patients. Actualits pharmaceutiques est all la rencontre de Simon Lessard, pharmacien Laval, au Qubec, spcialiste de la prise encharge de lasthme, clinicien associ lUniversit de Montral et lUniversit deLaval.

    Actualits pharmaceutiques: Quelle est, au Qubec, votre exprience dans le suivi des patients asthmatiques?Simon Lessard: Il existe deux types de suivi du patient asthma-tique au Qubec. Tout dabord, nous disposons de centres denseignement en asthme, au nombre de 50 60 pour la pro-vince, comme la Clinique des maladies respiratoires de Laval que je dirige. Dans ce cadre, des ducateurs mdecins, pharma-ciens, inhalothrapeutes et infir-miers reoivent des patients sur rendez-vous et leur fournissent une ducation spcialise indi-viduelle ou collective sur recom-mandation dun autre profession-nel. Pour cela, nous disposons dun local assez vaste qui met la porte du patient beaucoup de documentations. Par ailleurs, lensemble des professionnels de sant libraux, dont les phar-maciens, assurent un accompa-gnement des patients sans quil nexiste dducation formalise. Ainsi, lorsquun patient vient la pharmacie, il est reu dans un espace de confidentialit, sans rendez-vous, pendant 5 10 minutes en moyenne, afin dvaluer sa thrapeutique.

    AP : Comment tes-vous rmunrs pour cela?SL: Au Qubec, lorsquil dlivre les mdicaments pour un mois,

    le pharmacien touche 9$ (envi-ron 6,50) quel que soit le mdi-cament dont il est question, que ce soit un comprim ou un inhalateur, et que cela se fasse dans le cadre de linstauration ou dun renouvellement de trai-tement chronique. Lemodle est donc li au volume, comme en France. Mais nous sommes par ailleurs rmunrs pour dautres missions telles que la rdaction dopinions pharmaceutiques : pour recommander la vaccination anti grippale, changer des posolo-gies Parailleurs, il est possible de faire payer directement un ser-vice propos aux patients dont le tarif varie selon ce que le pharma-cien met en valeur. LAssociation des pharmaciens propritaires du Qubec met la disposition de ses membres une grille de prix, mais cette liste nest pas exhaus-tive. Pour ma part, jai dcid de demander 20$ pour un service complet comportant test de fonction respiratoire, enseigne-ment individualis et recomman-dation/rsum denseignement remis au mdecin. Mais il faut reconnatre que les patients nous demandent souvent plus pour les mmes marges. Or, si nous vou-lons que les pratiques voluent, il parat ncessaire que le mode de rmunration soit adapt. Mais finalement, au-del de la question de la rmunration, qui est assez rduite, accompagner

    les patients asthmatiques permet surtout damliorer la qualit des soins dispenss et de mettre en valeur les comptences des pharmaciens communautaires. Cela permet galement de fid-liser les patients par rapport leur traitement et leur pharma-cie, afin quils puissent y acheter dautres produits, mais surtout de les inciter faire transfrer leur dossier pharmacologique sils ne sont pas dj clients. Jepense que la rmunration propose en France est une relle opportunit.

    AP : Disposez-vous de donnes sur les bnfices de laccompa gnement des patients asthmatiques?SL : Nous avons ralis une tude sur 50 de nos patients la clinique. Le contrle de lasthme stait amlior chez deux tiers des personnes qui suivaient laccom pagnement. Nous savons galement que lassociation lducation dun plan daction crit diminue les exacerbations et les hospitali-sations de manire importante. Les rsultats sont souvent meilleurs lorsque plusieurs pro-fessionnels de sant simpli-quent dans la prise en charge. Dailleurs, dans plus de 80% des cas, nos recommandations taient appliques sans que les mdecins aient apport de modifications.

    AP: Sur quels points faut-il tre particulirement vigilant : observance, utilisation des dis-positifs, prvention des effets secondaires, rgles dviction des allergnes ?SL : Normalement, quand un pharmacien ralise un entretien dans le cadre de la dlivrance dun mdicament quelconque, il ne doit pas oublierles points sui-vants: tout dabord, parler deffi-cacit selon lindication, vrifier si la posologie et la dose sont cor-rectes, puis sassurer de la tol-rance et donc informer le patient sur le risque deffets secondaires et leur prvention ventuelle, enfin sassurer de lobservance des mdicaments usage chro-nique, la fois dans le cadre dune initiation et dun suivi. Eneffet, dans lasthme, leffica-cit va de pair avec lobser-vance: le risque dexacerbation et dhospitalisation nest prvenu que lorsque celle-ci atteint 75 80%. Il convient galement, dans le cadre de cette patho-logie, de rajouter la validation des techniques dinhalation.

    AP: Quels conseils pouvez-vous donner aux pharmaciens franais qui vont se lancer dans les entretiens de patients asthmatiques en initiation?SL: La premire chose que je recommanderais est de faire preuve de professionnalisme en

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    disposant dune aire de confi-dentialit, dans laquelle, de prf-rence, il est possible de sasseoir. Il est important de faire com-prendre au patient que lasthme est une maladie chronique, mais galement de conserver des

    donnes le concernant, comme les tests dallergie, et de recher-cher les comorbidits. Jai test dans ma pratique et vrifi dans la littrature que lobservance est multiplie par quatre lorsque le patient a conscience de lim-

    portante dutiliser son traitement mme en labsence de symp-tmes. Souvent, les asthma-tiques sur estiment leur utilisa-tion de cortico strodes inhals denviron 30%. Je considre laccompagnement du patient asthmatique lofficine comme une opportunit pour le patient et pour le pharmacien, mais galement une chance de dve-lopper les relations avec les autres professionnels comme les mdecins.

    AP : Justement, quelles sont vos relations avec les mdecins, gnralistes ou pneumologues?SL: Quand un patient vient pour un rendez-vous de 45 minutes avec une inhalothrapeute en vue dune collecte de donnes (facteurs dclencheurs, sympto-matologie, comorbidits, environ-nement), nous ralisons les tests de fonction respiratoire. Unefois la spiromtrie et la c ollecte de

    donnes effectues, il est de mon rle de revenir vers le mdecin par lintermdiaire de la rdaction dopinions pharmaceutiques. Enune page, celui-ci dispose dun rsum des informations cliniques et des recommandations concer-nant le patient. Audpart, certains mdecins ont pu se demander ce que nous f aisions vraiment, mais partir du moment o nous les avons rencontrs, la situation sest simplifie. En France, il faut sattendre ce que certains professionnels de sant ne par-tagent pas lenthou siasme des pharmaciens pour ces nouvelles missions mais il est important de toujours placer le patient au centre de la rflexion. Ainsi, tout le monde finira par tomber daccord.

    Propos recueillis par Sbastien FAUREProfesseur des UniversitsFacult de pharmacie, UniversitdAngers, 16 bd Daviers, 49045Angers, [email protected]

    Chaque anne, les Prix de lOrdre et du Cespharm1 tiennent valoriser les actions de jeunes pharmaciens.

    Cest Sbastien Faure, pro-fesseur des universits en pharmaco logie lUniversit dAngers (49) et rdacteur en

    chef adjoint de la revue Actuali-ts pharmaceutiques, qui a reu le Prix de lOrdre2, qui rcom-pense lauteur de travaux rele-vant des missions de linstitution ordinale. Loccasion de mettre en lumire ses nombreuses actions menes en faveur de la pharmacie dofficine la facult dAngers et notamment la cra-tion dun master Valorisation de la pratique officinale et la mise en place denseignements visant accompagner les pharmaciens dofficine dans lvolution de leurs missions.Le Prix du Cespharm2 valorise, pour sa part, lengagement dun jeune pharmacien, quil soit phar-macien hospitalier et/ou univer-

    sitaire ou dofficine, biologiste mdical, etc., en faveur de la sant publique. La laurate2014, Isabelle Geiler, pharmacien adjoint Haubourdin (59), a t rcompense pour son implica-tion dans un programme dac-compagnement de jeunes mres qui allaitent dans le cadre du rseau des soins en pri natalit Ombrel implant dans la rgion Lilloise.

    lisa DERRIEN

    Notes1 Comit dducation sanitaire et sociale de la pharmacie franaise. 2 Les Prix ont t remis lors delaJourne de lOrdre, le24novembre 2014, Paris.

    Prix de lOrdre et du Cespharm

    Le dynamisme et limplication des jeunes pharmaciens rcompenss

    Feux vert pour laccompagnement des patients asthmatiques l'officine en FranceL'avenant n 4 la convention nationale pharmaceutique paru le 2dcembre20141 prcise les modalits de mise en uvre de laccompagnement par les pharma-ciens des patients asthmatiques en initiation ou en reprise (aprs une interruption dau moins 4 mois) dun traitement de fond base de corticode inhal. Celui-ci doit seffectuer dans le cadre dentretiens pharmaceutiques dont le but est notamment dvaluer les connaissances du patient sur son traitement, de favoriser le bon usage des mdicaments, damliorer son adhsion thrapeutique et de laider contrler les facteurs dclenchant ses crises. Le Comit dducation sanitaire et sociale de la pharmacie franaise (Cespharm)2 met la disposition des phar-maciensdes grilles dvaluation de lutilisation des systmes dinhalation, une fiche technique sur le rle du pharmacien dans la prise en charge des patients asthmatiques et un dossier dinformation professionnelle sur lasthme.

    E.D.1 www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20141202&numTexte=37&pageDebut=20062&pageFin=200742 www.cespharm.fr/fr/Prevention-sante/Actualites/2014/Accompagnement-des-patients-asthmatiques-les-outils-disponibles-au-Cespharm

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    De gauche droite: Claude Dreux, prsident du Cespharm, IsabelleGeiler et Sbastien Faure, les laurats, et Isabelle Adenot, prsidente du Conseil national de lOrdre des pharmaciens.

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