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  • Soft InStItutIonS

    Lynn St. Amour Prsidente directrice gnrale de lInternet Society

  • Cahier no4 Soft Institutions

  • Prface

  • Soft InStItutIonS

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    Evolution des structures institutionnelles lge dInternet

    Ce qui caractrise lhistoire de lhumanit, cest la qute de lhomme pour le progrs et lamlioration de sa condition. Cette qute sins-crit dans notre dsir pour un environnement meilleur, un horizon largi et des structures sociales en volution constante ou, tout simplement, notre curiosit et notre capacit dinnovation. Ainsi, lvolution des socits, des cultures et des modes dorganisation est intrinsquement lie celle des technologies de leur invention au dveloppement de leurs usages.

    Les technologies naissent dans des contextes culturels dj tablis ; elles y puisent leurs informations et, leur tour, les enrichissent car, instinctivement, lhomme conjugue ses besoins culturels avec les avances technologiques. Ainsi, le progrs tech-nologique engendre un invitable changement culturel qui souvent dpasse de loin limpact prvu par les crateurs qui recherchaient seulement des solutions des problmes poss.

    Cette relation remonte la nuit des temps. Nombreux sont ceux qui estiment quen apportant un rayon de lumire aux nuits jusque l sombres et calmes, la dcouverte du feu a ouvert la voie aux traditions qui vont du conte la naissance des mythes et jusquau mysticisme.

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    Avec le dveloppement de lagriculture, les communauts tribales se sont rorganises en socits plus grandes et plus complexes : le commerce a pris son essor, et sa suite la spcialisation des mtiers et la cration de nouvelles structures et organisations com-merciales.

    Linvention de lcriture a transform les modes de cration, de conservation et de diffusion de la connaissance, permettant lducation de stendre plus rapidement et plus loin que jamais auparavant. Des sicles plus tard, avec linvention de limprimerie, les lites ont perdu le pouvoir de lcriture ; la voie sest ouverte pour dmocratiser et gnraliser lalphabtisation, lducation et le bnfice des lumires de la connaissance, un processus encore in-complet malheureusement.

    Aujourdhui, les technologies modernes de linformation et de la communication contribuent largement aux changements culturels. Le phnomne des rseaux sociaux que nous observons actuel-lement (entre autres des applications comme Facebook, YouTube et Skype) runit lchelle internationale des communauts nou-velles qui se crent de faon spontane, sur des bases immdiates de valeurs partages. Pourtant, nous ne sommes quau dbut des changements culturels et sociaux ports par ces nouveaux rseaux. Limpact sera ressenti dans toutes les institutions politiques, com-merciales, ducatives, sociales et remettra en cause nos concepts actuels de gouvernance et de management.

    Clairement, la technologie nvolue pas en dehors du champ culturel, elle nen est pas un simple produit ni un constituant ; la technologie, linstar du langage et de lart, est un lment intrin-sque de la culture humaine.

    En 1992, trois des principaux pionniers dInternet, Vint Cerf, Bob Kahn et Lyman Chapin, annonaient officiellement la cration de lInternet Society, en crivant qu un nouvel essor mondial de la coopration scientifique et technique est porte de main 1.

    1. Cerf,V.,Chapin,L.,Kahn,R.,AnnouncingISOC,1992,http://www.isoc.org/internet/history/isochistory.shtml

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    A lpoque, cette dclaration a pu sembler fracassante ; aujourdhui, elle parait plutt modeste. Car ce qui fait quInternet est un ph-nomne si important dans le dveloppement de lhomme, cest la combinaison du pouvoir technique quil apporte et du dveloppe-ment culturel qui laccompagne. Ce sont ces composants qui ont permis la cration de lInternet mondial et qui restent intrinsques son fonctionnement, sa gestion, son volution et son expansion continue.

    LInternet est le fruit dune exprience visant connecter des rseaux informatiques disparates au sein dun environnement de protocoles de rseaux concurrents, ferms et propritaires. La mise en uvre de ces protocoles tait soumise des restrictions commerciales et limite aux quipements habilits. Leur dve-loppement tait le fruit de processus de dcision manant des directions, sans consultation externe.

    Faisant fi des obstacles, les pionniers dInternet ont compris le potentiel de linterconnexion des rseaux et des systmes din-formation. Ils ont galement compris que, pour exploiter un tel potentiel, il fallait revoir sa faon de penser et de travailler.

    La croissance dInternet repose sur un besoin de collaboration et de coopration. Les problmes lis linterconnexion des rseaux ont t rsolus par des individus travers le monde, uvrant vers un objectif commun. Des normes ouvertes ont t labores tra-vers des processus ouverts, auxquels pouvaient participer tous ceux qui y voyaient un intrt. Toute personne souhaitant appliquer ces normes pouvaient le faire sans avoir de permission demander ni de droits payer. Aucune autorit centrale ntait mandate pour faire appliquer de quelconques rgles. Sur le plan oprationnel, les responsabilits ont t rparties et un processus de dcision a t initi, bas sur un consensus ouvert et la diffusion de documents.

    Cest ce que nous appelons prsent le Modle Internet du dvelop-pement. Ce terme englobe des valeurs de fonctionnement partages par de nombreuses communauts et organisations cls qui ont t au cur du dveloppement et de lvolution continue de lInternet.

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    Parmi des valeurs de fonctionnement figurent le soutien :

    des normes techniques interoprantes, mondiales et ouvertes,

    des processus en accs libre pour le dploiement de politiques gnrales tout autant que le dveloppement des technologies,

    des responsabilits rparties lchelle internationale pour les fonctions techniques, administratives et de gestion,

    une gouvernance transparente et collaborative (prcurseur du modle actuel des multiples parties prenantes).

    Ces valeurs de fonctionnement sont lapanage de nombreuses organisations et personnes participant au dveloppement, au fonctionnement et lutilisation continus dInternet ; ces valeurs dterminent leur champ daction. Malgr des attentes, des intrts et des rles diffrents, les parties prenantes dans ce que nous ap-pelons lcosystme dInternet demeurent unies autour dun besoin commun dun Internet mondial, fiable et interoprationnel. Comme dans tout cosystme, chaque composant est extrmement li la bonne sant et la stabilit de lensemble.

    LInternet fonctionne parce que les gens veulent quil fonctionne et parce quils collaborent pour le faire fonctionner. Aucune entit unique ne possde, ne gre ni ne contrle lInternet. En effet, parce quil est capable de sadapter tant la diversit qu la rapidit de changement, le Modle Internet est vraiment inhrent au succs de lInternet et, en fait, son existence mme.

    Le gnie dInternet repose sur ce modle particulier de dvelop-pement. Un modle qui accompagne les nombreux rles concrets jous par lInternet, notamment : stimuler les conomies, offrir des opportunits demploi, crer des accs lducation, fournir des ressources en matire de sant, prserver lhritage culturel et linguistique, informer les citoyens et runir les gens au sein de communauts dintrts.

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    Le Modle Internet diffre totalement des modles de contrle et de rglementation hirarchiss traditionnels ; de nombreuses ins-titutions nouvelles sont apparues spontanment dans lcosystme dInternet pour prendre en charge les diffrents aspects du fonc-tionnement technique, de ladministration, du dveloppement de politiques et de la construction dune communaut. De nouveau, ce ne sont pas des institutions hirarchiques traditionnelles, mais plutt des entits formes autour dintrts communs, dont la lgi-timit consensuelle est base sur un engagement ouvert et sur des processus de prise de dcision transparents.

    Ainsi, le Groupe de travail sur lingnierie dInternet (Internet Engineering Task Force IETF) est le forum o sont labores les normes dInternet. LIETF est ouvert toute personne intresse et aucune adhsion ni affiliation nest exige. Ces normes sont dveloppes via des processus ouverts, bass sur la diffusion de documents, et adopts selon un consensus minimum lequel peut tre mis en uvre sans frais par toute personne qui le souhaite. Lutilisation des normes IETF est un choix, dict uniquement par le dsir de celui qui les met en oeuvre daboutir une interoprabilit et une accessibilit mondiales ; cet objectif est sa rcompense, ainsi que son rle dans le processus de mise en application.

    Il ne fait aucun doute que de nombreux gouvernements et autres institutions travers le monde connaissent mal ou se sentent remis en cause par les structures institutionnelles souples de lco-systme dInternet. Mais lorsquil sagit de choisir entre remonter le courant ou le suivre, les institutions traditionnelles doivent consid-rer ce qui est en jeu. Limpact dInternet sur les vies quil a atteintes jusqu prsent est profond. De mme, avec le Modle Internet de dveloppement sest ouvert un cycle extraordinaire de dveloppe-ment technologique et social, dinnovation et de crativit.

    Et ce, parce que lInternet dpasse de loin la technologie pure. Il reprsente une plate-forme pour linnovation, un tremplin pour dautres technologies, un canal de dveloppement des communica-tions, un lieu de rencontre, et un outil incroyablement puissant pour lanalyse, le partage de connaissances et la crativit.

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    Plus le temps passe et plus au-del de la technologie dInternet les principes du Modle Internet de responsabilits distribues et de collaboration ouverte sont mis en uvre, pour lavenir de la socit et plus rcemment pour lenvironnement. A travers le monde, des communauts et des citoyens conscients et engags collaborent et cooprent, en utilisant Internet comme moyen de communication ; ensemble, ils contribuent une prise conscience globale des ques-tions lies lingalit, la pnurie des ressources, la durabilit et lopportunit. Dans notre environnement de plus en plus complexe, Internet est un outil puissant pour la collecte de donnes, lanalyse et la rpartition des efforts de recherche ; ce qui produit des avan-tages notoires dans des domaines aussi divers que la gnomique, la sant, la climatologie ou lastrophysique.

    Certes, lInternet en est encore au stade du dveloppement mais, de par sa nature, il le sera toujours. De la prservation de son modle de dveloppement dpendent son volution et son expansion continues et au bnfice de tous. Les institutions gou-vernementales et internationales au sein de lcosystme dInter-net jouent de nombreux rles, pour lesquels elles doivent nces-sairement travailler avec de nombreux autres experts, des parties prenantes intresses et exprimentes plutt que denvisager la duplication ou le remplacement de leurs responsabilits. Les institu-tions traditionnelles participeront en fonction de leurs comptences lidentification de problmes, mais cela ne signifie pas ncessaire-ment quelles seront les plus aptes leur rsolution. Plutt que de revendiquer des mcanismes traditionnels de contrle, la contri-bution des gouvernements et des organisations internationales sera dautant plus positive quils adopteront, tout en lapprciant, le Modle Internet de dveloppement, facilitant ainsi sa capacit dadaptation et participant son volution constante.

    LInternet Society estime que ce changement dans la culture institu-tionnelle est non seulement ncessaire, mais galement invitable. Quelques rgimes, se sentant menacs par le changement, peuvent en effet partiellement ou temporairement, isoler leurs citoyens de lInternet mondial ; ils le font alors aux dpens de tous les autres avantages sociaux, conomiques et culturels que leur procure un

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    Internet mondial ouvert. En outre, mme quand un pays coupe vraiment laccs au reste du monde, lexprience nous montre que lInternet demeure un outil puissant pour ldification de commu-nauts et la mobilisation lchelle locale.

    Tandis que des communauts dintrts se construisent autour des systmes de connaissances et des interconnexions induites par lIn-ternet, il va sans dire que, souvent, ces communauts elles-mmes volueront vers des modles semblables de dveloppement et de rpartition des prises de dcision.

    Dans le monde dvelopp, cest dsormais toute une gnration qui est ne et grandit dans une culture o lInternet est le mdia. Il reste certes beaucoup faire pour que les milliards dindividus qui en sont encore privs accdent aux avantages de lInternet ; pour autant, il est difficile dimaginer que les gnrations futures ne jugeront pas de plus en plus anachroniques des institutions de contrle centralises et hirarchiques. Au fur et mesure, ces gnrations largiront les leons des modles de dveloppement russis aux questions de gouvernance. Elles imposeront le got pour ces modles de rpartition des expriences, et exigeront la mise en place de structures institutionnelles qui tiennent compte de la diversit des points de vue.

    A travers lhistoire, des vnements technologiques ont conti-nuellement influenc les cultures, remodel les peuples et rorganis les systmes de pouvoir politique et dducation. De mme, les technologies de lInternet, et son modle inextricable-ment li de dveloppement, rorganiseront le paysage institutionnel et culturel du futur. Lvolution des nouvelles approches des rela-tions internationales et de la gouvernance mondiale est en route. Les succs obtenus par les institutions souples dont lexemple provient de lcosystme dInternet et les valeurs dont elles sont porteuses, vont invitablement continuer stendre dautres domaines.

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    En effet, nous sommes laube dune renaissance. Celle-ci ne concerne pas uniquement la coopration technique et scienti-fique, mais recouvre galement le progrs culturel, institutionnel et politique. Ne considrons pas cette renaissance comme acquise, mais continuons y travailler et dfendre les principes qui nous y ont conduits.

    Internet Society (ISOC)

    Fonde en 1992, cette ONG a comme mission dassurer et douvrir le dveloppement dInternet au bnfice de tous les habitants de la plante. Base Genve et Reston prs de Washington DC, elle regroupe plus de 80 organisations et compte plus de 30000 membres individuels. ISOC a form plus dune centaine de groupes dintrt afin de faciliter lvolution technique dInternet, dduquer les communauts civiles sur la technologie et ses changements et participe activement la gouvernance actuelle et future dInternet. Tout en menant de nombreuses activits de standardisation avec des structures telles que IETF (Internet Engineering Task Force), IAB (Internet Architectre Board), IESG (Internet Engineering Steering Group) ou encore IRTF (Internet Research Task Force), Internet Society sefforce de faire participer lensemble des stakeholders dans sa dmarche de gouvernance. Bien qutant un acteur cl de la gouver-nance dInternet, cette ONG nest de loin pas la seule et doit composer avec le pouvoir distribu typique du monde Internet. ISOC reste cependant lun des rouages indispensables pour la socit civile dans ce processus de la gouvernance soft .

  • Avant-propos

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    La Fondation pour Genve a entam depuis quatre ans une rflexion de fond sur le nouveau rle de la Genve Internationale dans le concert de la gouvernance mondiale. Pour ce faire, quatre cahiers ont t publis depuis 2007 afin de rendre publiques ces considrations. Ce travail a dj port ses fruits car dsormais, on ne parle plus gure de politique de bons offices pour dsigner le rle de Genve et donc de la Suisse dans la gouver-nance-monde mais bien dune politique de think offices .

    LOMC, lOIT, lOMS, lUIT et les nombreuses autres organisations onusiennes ou intergouvernementales voire paragouvernemen-tales comme le CICR, ISO ainsi que la socit civile avec le WEF, les ONG ou les acadmies et les entreprises participent dsormais clairement faire de Genve le haut lieu de la rgulation, de ltablissement des normes et des standards au profit des affaires mondiales.

    Ce changement de paradigmes savre aujourdhui tre un fait tabli et permet Genve, de produire, en quelque sorte, les valeurs nor-matives pour les organes dcisionnels comme le G20, le G192 ou le Conseil de Scurit de lONU.

    Ce travail de synthse et de vision entrepris par lObservatoire de la Fondation a pu tre tabli grce aux contributions de per-sonnalits du monde politique, acadmique, diplomatique et philosophique aussi diverses quoriginales. Ainsi Mesdames Miche-line Calmy-Rey, Martine Brunschwig Graf, Beth Krasna, Lynn St. Amour, Laurence Boisson de Chazournes et Messieurs Joseph Nye, Daniel Vasella, Jakob Kellenberger, Luzius Wasescha, Roger de Weck, Laurent Moutinot, Klaus Schwab, Pascal Lamy, Alan Bryden, Juan Somavia, Ivan Pictet, Franois Nordmann, Laurent Haug et Edgar Morin ont tour de rle particip llaboration de ces quatre cahiers.

    Nous sommes en mesure de terminer cette srie par un dernier cahier sur lagenda des soft institutions ouvrant le champ de nouvelles perspectives qui sont encore largement dfinir. La mtamorphose de la gouvernance est en devenir comme le montre si justement Edgar Morin en conclusion de cette publication.

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    Ce cahier laisse le champ libre des pistes de rflexion plutt qu des prises de position clturant la discussion. Ceci dautant plus que la relve sera assure par la gnration Internet qui tentera son tour de gouverner le monde avec de nou-velles reprsentations comme celles de la gouvernance distribue, du temps rel et des territoires gomtrie variable. Cette gnra-tion de diplomates, dentrepreneurs et duniversitaires va amener sur le devant de la scne des principes comme le end-to-end , le soft power , la redondance de linformation ou encore lide d accountability dans les affaires du monde et va agir dans lessai, dans lerreur/correction ou encore travers les rseaux sociaux. Ainsi la socit civile, nen pas douter, jouera un rle grandissant. Ces changements ne sont pas anodins car ils sont por-teurs dune relle mtamorphose. Nous devons tre attentifs ces bouleversements mais veiller aussi les accompagner. Notre tche va donc se complexifier avec une implication et une responsabilit plus actives. Notre avenir na jamais t autant li des choix col-lectifs quactuellement, cest pourquoi il faut rester attentif, vif et combatif.

    Genve, qui est au centre de nos proccupations dans cette srie de publications, se dcouvre une nouvelle vocation, celle de Think Office . Quen est-il exactement ?

    Dabord, il faut saisir limportance, dans un monde fait de hard et de soft pouvoir, de linterfrence des normes, des standards, des rgulations sur notre socit et sur la stabilit des relations internationales.

    Ds lors que lon accepte la monte en force des soft laws et des institutions qui les portent, on se rend compte du caractre exceptionnel de Genve, de sa capacit capter les rso-lutions de la socit civile, des entreprises, des acadmies et bien sr des Etats. Genve offre ainsi une plateforme en rseau, attache promouvoir des principes humanitaires, de bien-tre et de partage, ncessaires aux dveloppements sociaux, conomiques et intel-lectuels du monde. Il sagit ds lors de continuer renforcer sa position en amliorant son offre et en crant des conditions proches de lexcellence.

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    Soft InStItutIonS

    Cest sur le plan intellectuel plus que sur le plan matriel que Genve doit faire la diffrence puisque aujourdhui les enjeux por-tent essentiellement sur la question de rinventer une gouvernance mondiale complexe et sur la mise en uvre de cette dernire. La jeunesse du monde entier viendra pour un temps conqurir ces nouveaux champs politiques et nous devons notre tour les aider se former, sinformer et se transformer ; tche collective sil en est, mais dont la responsabilit incombe Genve tout particu-lirement.

    Genve par son histoire peut et doit excuter ce rle. Ce devoir intellectuel dtre au service des autres nest pas nouveau. Calvin, Rousseau, Voltaire, Dunant, de Saussure, Piaget en leur temps, Klaus Schwab, Pascal Lamy, Juan Somavia, Tim Bernes-Lee aujourdhui, sont parmi les quelques figures emblmatiques de la Genve ouverte, tolrante, gnreuse et innovante. Nous nous devons tous de prolonger leurs contributions.

    Comme vous le savez, cette publication est donc la quatrime et dernire dune srie qui sinscrit la fois, dans la continuit de la rflexion que nous avons amorce mais ouvre aussi de larges champs dexploration pour une rflexion pour lavenir. Nous comp-tons sur votre contribution et votre support pour largir le dbat

    Nous vous en souhaitons bonne lecture.

    Ivan Pictet Prsident Fondation pour Genve

    Tatjana Darany Directrice Fondation pour Genve

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    Soft InStItutIonS

    Fondation pour Genve

    La Fondation pour Genve, cre en 1976, a pour but statutaire de contribuer au rayonnement de Genve tant en Suisse que dans le monde. Elle agit en particulier sur le positionnement international de la rgion lmanique, les relations entre les communauts internationales et locales, laccueil des inter-nationaux et de leur conjoint, le dveloppement dinitiatives qui favorisent le dialogue et lchanges dides et enfin la gestion de fonds caritifatifs. Son travail consiste lancer, coordonner, promouvoir et/ou soutenir des initiatives qui concourrent aux traditions daccueil et douverture de Genve sur le monde. La Fondation pour Genve est une organisation de droit priv. Elle est reconnue dutilit publique. La plupart de ses activits sont menes en troite coordination avec les Autorits fdrales et genevoises.

  • Les soft institutions

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    Soft InStItutIonS

    En 2020 environ, un habitant sur deux de la

    plante sera ce que lon nomme aujourdhui des

    natifs Internet et cest seulement dans dix

    ans ! Cette population aura vcu sous le rgne

    du modle de gouvernance dInternet. Elle sera

    largement influence par ses pratiques, ses

    principes et ses normes. Comment ds lors, ne

    pas imaginer que cette gnration aura cur

    de revisiter la gouvernance du monde.

    Attardons-nous quelques instants sur ce chan-

    gement gnrationnel avant dentamer une

    tude plus prcise sur les institutions et les

    processus qui nous conduiront vers une telle

    gouvernance. Cette gnration qui a pour

    lessentiel, connu un accs libre et gratuit

    linformation et la connaissance (via Internet)

    sans limite de temps et despace, a construit

    dans la lgitimit et le partage de nouvelles

    rfrences communes.

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    Soft InStItutIonS

    Elle a cr le mouvement de creative com-

    mons , sorte de partage libre des droits de

    cration moins restrictif que la notion de droit

    dauteur ou de la proprit intellectuelle ou en-

    core elle a dvelopp les open sources ainsi

    que dautres applications comme Wikipdia. De

    plus, elle a mis sur le participatif travers les

    rseaux sociaux (Facebook, MySpace, Plaxo,

    ...). Cette gnration a chang des rgles fonda-

    mentales instaurant la gratuit de linformation,

    laccs libre la connaissance, la proprit par-

    tage, la collaboration volontaire et gratuite,

    la cration de communaut ouverte sans ap-

    partenance limite bref elle a rvolutionn les

    fondations mmes de lancien monde.

    Ainsi, il est fort possible quelle ne va pas

    en rester l et quelle va modifier par ses

    nouveaux comportements, les usages en

    cours. Il est donc raisonnable danalyser

    aujourdhui les processus sous-jacents cette

    mtamorphose socitale.

  • Soft InStItutIonS

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    Introduction

    Evoquer les soft institutions, cest avant tout parler des insti-tutions qui produisent des soft laws 2, savoir lensemble des rgulations, des recommandations, des rsolutions, des normes, des standards, des codes de conduite, des principes de respon-sabilit socitale3, des bonnes pratiques, des plans daction, des obligations morales, etc. qui sont bass sur une acceptation volontaire, non contraignantes et non coercitives par les diffrentes parties prenantes (multistakeholders).

    Ainsi, les soft institutions peuvent prendre des formes diverses ayant des statuts juridiques varis. Ple-mle, on y trouve des ONG, des associations but non lucratif, des consor-tiums fdrant diverses institutions de la socit civile mais galement des acteurs conomiques qui mettent des conseils mais aussi des normes, des benchmarks ou des indices de notation, etc. Des acteurs du public comme certaines organisations internatio-nales ou parfois des gouvernements viennent sajouter et complter le tableau.

    2. VoirCahiern1et2,www.fondationpourgeneve.ch

    3. VoirCahiern3,www.fondationpourgeneve.ch

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    Soft InStItutIonS

    La capacit dmettre des soft laws ntant pas rgie par les lois souveraines propres aux nations, on assiste lmergence dune myriade de rgulations qui entrent dans une espce de vaste mar-ch globalis des normes. Les usagers par leur attitude et leurs choix de consommation deviennent en quelque sorte les arbitres du phnomne.

    Le march des soft laws et donc de la capacit des soft institutions simposer sur la scne internationale ou nationale, dpend de la cration de lagenda politique. En effet, les soft institutions sont en comptition les unes avec les autres, ind-pendamment de leur secteur dactivit, de leur vision politique ou encore de leur forme juridique et sociale dans la discussion poli-tique globale. Cest leur capacit pousser leur agenda sur la scne publique qui marque aujourdhui la hirarchie effective des soft institutions, souvent plus que la qualit des propositions ou des re-commandations. Un jeu mdiatique de conviction a pris largement la place du jeu politique de coulisse. Cest une consquence, sans doute, dune socit hautement connecte et produisant un flux constant dinformations et de communication. Le champ du pouvoir sest dplac des antichambres vers le forum public et cest une ralit avec laquelle chacun doit composer.

    Par leur nombre, sans doute plusieurs milliers, les soft ins-titutions sont la forme contemporaine de gouvernance la plus productive de rgulations ce jour. En effet, elles mettent des cen-taines de milliers de soft laws et ceci seulement sur quelques dcennies. La seule institution ISO4 a publi son actif plus de 17000 normes ! Cette production plthorique pose videmment le dan-ger de surrgulation mais galement agit comme contrepoids non ngligeable aux hard laws diffuses par les pouvoirs lgislatifs nationaux ou internationaux.

    4. www.iso.org

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    Soft InStItutIonS

    Ds lors, le monde se trouve confront plusieurs questionne-ments : qui gouverne qui ? Comment slaborent les soft laws ? Comment sont-elles appliques ? A quoi servent toutes ces rgulations ? Pourquoi le monde a-t-il besoin des soft institu-tions ? Toutes ces interrogations feront lobjet de rponses dans ce cahier.

    Union Internationale des Tlcommunications UIT/ITU

    Fonde en 1865, cest lune des plus anciennes organisa-tions internationale du multilatralisme. Elle est en charge de ltablissement des standards pour les tlcommunica-tions mondiales, de lallocation des ondes radio ainsi que du dveloppement futur des tlcommunications. Base Genve, cette organisation onusienne est forme de 191 pays membres et de plus de 700 membres associs (ou sectoriels) reprsentant les entreprises et la socit civile. Bien quayant un statut diffrenci, les membres associs et sectoriels participent pleinement llaboration des standards. Il faut bien reconnatre que ce sont principa-lement eux qui fournissent linnovation dans le domaine. Les standards mis par lUIT sont de type soft laws et portent dailleurs le nom de recommandations . Ils ne sont pas les seules recommandations de ce type. Dans le domaine dInternet, ils ne sont dailleurs pas du tout les leaders mais participent plutt la galaxie de la gouvernance. LUIT organise de grands forums : Tlcom et WSIC qui se sont souvent tenus Genve. Par ailleurs de nombreux meetings runissent rgulirement les spcialistes membres de lorga-nisation pour tablir les standards et sont en quelque sorte le parlement soft de la gouvernance des tlcoms.

  • Soft InStItutIonS

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    Trois modes de reprsentation

    Au cours de ces deux derniers sicles, les socits dveloppes ont connu plusieurs modes de reprsentation qui ont forg les compor-tements, les activits et les institutions. On peut schmatiquement en dcrire trois comme suit :

    1. La vision mcanique : Le tout se divise en parties fonctionnelles comme les rouages dune mme mcanique. Cest lre des ingnieurs, des astrophysiciens, de lurbanisme fonctionnel. Le corps fonctionne comme une machine. La socit dcoule dune organisation hirarchiquement structurante. Lusine sor-ganise autour de la fabrication la chane. Lentreprise opre la division internationale du travail. La gouvernance est de type reprsentatif.

    2. La vision systmique et organique : Le tout est sup-rieur la somme des parties. Les parties interagissent en produisant une couche suprieure comme les strates gologiques. Ainsi lhumain est suprieur lensemble des parties de son corps. Cest lmergence de la reprsentation biologique travers une organisation organique de la socit en multistakeholders avec des notions de soft laws, de rgulation transpartie comme la responsabilit socitale, etc.

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    Soft InStItutIonS

    3. Lmergence de la constellation Internet : Chaque partie est une expression du tout comme un rseau fractal ou ADN. On entre dans une vision virale de la socit. Ce mouvement merge dune reprsentation distribue du pouvoir versus centralise, dun mode participatif versus reprsentatif. Ses expressions en sont les rseaux sociaux, la domotique, le WiFi, les Wikis, les communauts de pratique.

    Peter Schwartz crivait dans un livre remarquable5 que : Le monde a pass jusquici par deux grandes transformations : de la cueillette lagriculture, une transition de deux trois millnaires, et de lartisanat lindustrie, un dveloppement de 200 300 ans. Nous sommes la veille de la troisime transformation qui pourrait prendre entre 20 30 ans. Mme si cette vision peut apparatre premire vue provocatrice, il nen est rien. En effet, la digitalisation des activits humaines va crer un monde nouveau pour ce qui est des aspects conomiques, informationnels et du savoir. Nous allons tenter dy voir plus clair.

    Dabord, la rvolution digitale concerne tous les secteurs des ser-vices de lactivit humaine en traitant les informations et les savoirs. Ensuite, la digitalisation est le fait de transformer des procdures humaines en algorithmes automatiss. Enfin, en sattaquant aux savoirs, la mtamorphose socitale porte en elle un changement profond dautant plus quelle sest donn un nouvel outil, le Web.

    Ce dispositif, qui a connu un dveloppement fulgurant, a mis en rseau les intelligences au service dune action collective, souvent dsintresse et, qui transforme la manire mme de concevoir le travail, le commerce, la relation au client et les business modles. Evoquer le Web, cest parler de la rvolution digitale, car cette der-nire est indissociable du formidable lan du renouveau socital. Si nous songeons un instant labsence de distance, au temps rel des transactions, leffondrement des cots, lviction des interm-diaires, la monte en puissance du consommateur, la diffusion du travail, la recomposition de la chane de valeur, nous pouvons constater que tout ce que lindustrialisation avait apport la soci-t est remis en question, du moins partiellement.

    5. PeterSchwartz,InevitableSurprise:Thinkingaheadinatimeofturbulence, GothamBooks,New-York,2003

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    Les principales formes organisationnelles de la gouvernance

    Habitues une forme centralise du pouvoir, la plupart des ins-titutions y compris celles des Etats-nations ou des entreprises ont dvelopp un principe fondamental de gouvernance : la sparation des pouvoirs. Ce principe permet la fois de diviser le pouvoir pour viter une trop grande concentration de celui-ci en peu de mains, et daugmenter lefficacit du systme dans son ensemble. En effet, la sparation des pouvoirs offre la possibilit de contrle mutuel tout en fixant clairement les missions, les responsabilits et les actions de chacun. Ainsi pour les entreprises, la sparation entre le conseil dadministration et lquipe dirigeante assure en principe une plus grande clart dans le systme dcisionnaire, dans celui du contrle et de la politique dentreprises.

    Au niveau des pouvoirs publics, la sparation entre le lgisla-tif, lexcutif et le judiciaire a galement permis de dvelopper un systme efficace tout en garantissant au citoyen une plus grande justice, un contrle dmocratique et finalement une plus grande libert. Le principe de sparation du pouvoir est videmment fonda-mental pour lquilibre des pouvoirs publics en dmocratie.

    Dans le cadre des systmes fdrs par exemple comme les Etats fdraux, un principe est la base de ce pouvoir rparti, cest le principe de subsidiarit. Il exprime le fait que le systme dlgue un niveau organisationnel optimal, le pouvoir et la responsabilit de certaines missions : police locale, amnagement du territoire, pro-motion conomique, culture, etc. sont autant de champs dactivits souvent dvolus un niveau infrieur.

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    Un systme fdr organise le pouvoir en fonction des territoires concerns. Classiquement dans un systme fdraliste comme la Suisse, la Commune a en charge la responsabilit des autori-sations de construction, le Canton des plans damnagement et de dveloppement urbain et la Confdration des infrastructures nationales comme les autoroutes ou les chemins de fer. Cette r-partition des tches qui peut voluer avec le temps est dicte par le principe de subsidiarit. Il en est de mme dans des structures plus grandes comme lUnion europenne ou les Etats-Unis dAmrique.

    Beaucoup dorganisations de la socit civile ont adopt ce schma de gouvernance en crant des sections locales fdres dans une structure nationale ou internationale. LEglise Protestante Rfor-me a adopt un tel systme ainsi que beaucoup dONG. Au niveau conomique, les structures de cooprative font appel en gnral un tel modle de gouvernance. Il est cependant vident quil existe une multitude de nuances dans lapplication du systme fdr.

    Schma des modles de gouvernance

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    Un systme distribu est bas sur le fait que chaque entit du systme est mise sur pied dgalit. Les fonctions intermdiaires ne sont l que pour distribuer linformation et la connaissance, en quelque sorte, elles fluidifient le systme. Tout se passe au niveau des usagers finaux. Ainsi le principe de end to end , prcepte qui provient de la gouvernance dInternet et que nous tudierons en dtail plus loin dans ce cahier, permet de crer un processus dempowerment, cest--dire dmanciper les usagers dun pou-voir centralis ou fdr.

    Les systmes distribus font en sorte que chacun garde sa voix. On ne donne plus sa voix un reprsentant ou un dlgu mais on donne tout simplement de la voix. On parle, on sexprime, on dcide. Le systme par sa nature structurelle porte en lui des problma-tiques defficacit, de gestion des conflits et de finalit commune. De tels systmes ont besoin de nouvelles rgulations et donc de la mise en place dinstitutions qui permettent de faire passer les mes-sages, de les organiser et de les rendre oprationnels.

    De fait, cest exactement ce que lon peut observer avec les soft laws et les soft institutions. Ce dispositif soft est en quelque sorte dessin pour un modle distribu de la gouvernance.

    Remarques

    Avant tout, les trois systmes esquisss ci-dessus cohabitent. La socit et tout particulirement ses institutions fonctionnent dans un ensemble complexe intgrant lune ou lautre de ces formes souvent en nuanant lapplication de ces dernires. Comprendre le fonctionnement global de la socit, ce nest donc pas apprhender seulement ces modles mais galement les intgrer, les faire inter-agir dans lmergence dune nouvelle gouvernance globale. Si dans ce cahier, nous insistons plus particulirement sur la gouvernance distribue, cest quelle est non seulement la moins connue mais aussi parce quelle se rvle depuis quelques dcennies comme une force originale porte par une nouvelle gnration dacteurs tra-vers les ONG, Internet et surtout travers la jeunesse.

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    En effet, lorganisation mme des ONG avec leurs pratiques et leurs champs dactivits a boulevers les formes anciennes des orga-nisations de la socit civile reprsentes principalement par les syndicats, les associations civiles ou les organisations politiques, etc. Aujourdhui, les ONG ont chang la donne et forment une nou-velle composante de la gouvernance distribue. En deuxime lieu, le monde social cr par Internet, notamment travers les rseaux sociaux, affiche galement les prmisses dune forme distribue de la gouvernance. Appliquant les principes mmes de larchitecture dInternet. notamment le principe de end to end , les rseaux sociaux forment une nouvelle brique de la socit contemporaine.

    Cette forme de gouvernance distribue se retrouve galement dans la cellule familiale recompose. Refltant lvolution des couples divorcs et souvent remaris, la famille sest tendue plusieurs niveaux dans une espce de mini-rseau social recomposant du mme coup le tissu social. La famille recompose devient une sorte dinstitution modle de la gouvernance distribue.

    Par ailleurs, il est important de souligner le caratre exclusif de ces trois formes de gouvernance. Cela signifie quune institution sera caractrise soit par son ct centralisateur, soit fdrateur ou encore distributif du pouvoir. Ces formes sexcluent mutuellement, cohabitent socialement, tout en manifestant des rsistances, par-fois mme des dissensions dans la conduite des affaires locales, nationales ou internationales.

    La priode de transition qui marque notre poque verra sans doute saffronter les formes dorganisation diffrentes de la gouvernance. Les institutions qui les reprsentent sont pour linstant entres en dialogue6 mme si les processus de convergence pour la recherche de solutions et de prise de dcisions, restent de nos jours extraordi-nairement complexes.

    6. voircahiern2surlemulti-stakeholders.www.fondationpourgeneve.ch

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    Caractristiques des soft institutions

    Les institutions soft sont par dfinition, comme nous venons de le voir, celles qui produisent des soft laws . Quil sagisse des recommandations, des rgulations, des standards ou encore des normes, les soft laws ont en commun dtre bases sur une participation volontaire, non contraignante et non punissable. Elles sopposent ainsi aux hard laws qui sont obligatoires, contrai-gnantes et pouvant conduire des sanctions. De plus dans les systmes politiques dmocratiques, les hard laws sont mises par des institutions constitutionnellement tablies savoir le parlement (pouvoir lgislatif), ladministration (pouvoir excutif) ou les institutions de la justice (pouvoir juridique). Quant aux soft laws , elles peuvent tre mises par des institutions nayant pas dassise lgislative comme par exemple : Internet Society, WWF, Amnesty International ou encore Max Havelaar, qui sont des manations dinitiatives participatives et non reprsentatives. Mais elles peuvent aussi dans une certaine mesure tre mises par des institutions issues de conventions supranationales comme ISO, OMS, ITU, etc.

    Cest lune des premires caractristiques des soft institutions. Elles ne sont pas lmanation des reprsentants lus par le peuple souverain comme peuvent ltre les constitutions ou les lois. Ainsi les soft laws nont pas force de loi mais il ne faut pas se mprendre sur linfluence potentielle de ces dernires face aux hard laws . Les exemples traits dans les parties 2 et 3 de ce cahier le dmon-treront. Dans une socit largement gouverne par la pratique de type multistakeholders , les parties prenantes ont non seu-lement leur mot dire, souvent par le biais de recommandations mais elles forcent le dbat par des mouvement revendicatifs. Les soft laws ainsi mises ont une force souvent quivalente et dans certains cas mme suprieure aux lois traditionnelles riges par les Etats souverains.

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    La deuxime caractrisque des soft institutions touche leur champ daction. Dans la quasi-totalit des cas, elles se situent au niveau supranational. En effet, cest partir de la gouvernance glo-bale, sans doute par une absence de rgulation ce niveau, quun nouvel espace dintervention a t possible et sest organis. Ainsi les soft institutions sont nes dune sorte de vide constitution-nel mondial. En effet, si au niveau des Etats-nations, les institutions lgales et souveraines ont investi la plupart des champs de lacti-vit humaine, il nen est rien au niveau mondial. Sans parlement, ni appareil tatique achev, la gouvernance mondiale a t assure par le processus multilatral des nations. Aujourdhui, il faut bien le reconnatre, celle-ci par le biais des organisations onusiennes, peine dfinir les contours de cette gouvernance forte laissant le champ libre de nouvelles institutions.

    La troisime caractristique est que ces soft institutions nagissent jamais seules dans un champ dactivit donn. Que ce soit Internet, le commerce quitable, la recherche et lducation, lenvironnement, etc. on dnombre chaque fois une multitude dinstitutions impliques dans les processus soft de la norma-lisation, de la standardisation, de la gouvernance. Une sorte de galaxie institutionelle se forme pour produire ensemble une gouvernance. Cependant ces institutions ne forment pas, pro-prement parler, une gouvernance unique, centralise, clairement identifiable pour laquelle des rgles prcises de fonctionnement au-raient t labores a priori. La soft gouvernance est avant tout un processus produisant des normes dans une recherche consen-suelle souvent difficile atteindre. Ainsi, limpression gnrale que les citoyens en peroivent, reste confuse, hsitante. La prise de dcision semble venir de nulle part. Cependant, il faut bien lad-mettre, ces processus chaotiques fournissent des rsultats surpenants. Ainsi le monde continue progressivement se gouver-ner.

    La quatrime caractristique des soft institutions met en vidence le fait quelles sont en grande majorit sous linfluence de la culture anglo-saxonne. Bien sr, la langue anglaise en est le liant mais de plus, ces institutions sont plus bases sur la jurisprudence anglo-saxonne que sur le droit romain.

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    Cet tat de fait est quelque peu dconcertant pour de nombreux participants des autres pays (particulirement ceux dEurope continentale) car ces processus dominent toujours les approches lgales en privilgiant les actions de type lgitime. Crer des institutions toujours en mouvement est souvent droutant pour certaines cultures, mais la gouvernance mondiale sest installe dans cette voie et aucune marche arrire ne semble possible de si-tt.

    Une cinquime caractristique tient au fait que les soft ins-titutions privilgient le transformationnel au transactionnel. En effet, il nexiste pas de contrat dfinitif (transactionnel) mais cest le changement ou la transformation (transformationnel) qui compte. En voluant en permanence vers des dveloppements tou-jours parfaire, les processus institutionnels droutent et la qute du progrs de gouvernance reste ainsi la seule finalit. Les normes et les rgulations, elles aussi, voluent dans le temps. Cette instabi-lit apparente embrouille un peu le citoyen et rend la lisibilit de la gouvernance confuse. Trs souvent, seuls les acteurs de la gouver-nance comprennent ce dont il retourne. La population est dans ce processus largement mise de ct. Cest sans doute le point le plus faible de la soft gouvernance. Cest pourquoi de nombreux efforts sont actuellement entrepris pour dvelopper un vritable systme daccountability afin de rendre des comptes sur les progrs raliss.

    Examinons maintenant de plus prs lorigine et les fondements de ces institutions avant de poursuivre un travail plus prospectif afin de dcouvrir les grandes orientations de la gouvernance venir.

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    Les fondements du changement

    Les socits refltent dans leurs institutions lorganisation sociale dominante. Ainsi, une socit patriarcale va sorganiser partir de la cellule familiale jusquau sommet de lEtat, autour de la fonction dominante du pre. Les diffrentes institutions suivront le modle. Elles continuent ainsi de sinfluencer mutuellement en renforant une vision commune, celle de la forme dominante de gouvernance. Si lune ou lautre de ces institutions venait changer de modle alors lensemble deviendrait plus instable. Un nouvel modle dqui-libre pour la socit serait alors recherch.

    Dans nos socits contemporaines, lorganisation familiale joue un rle dterminant car elle est considre comme le premier niveau dorganisation sociale. Le pre dans les dmocraties nais-santes tait le seul reprsentant de la famille et ce titre, il tait un membre du peuple souverain qui votait. Les femmes et les enfants ont t longtemps exclus de ce processus dmocratique.

    La cellule familiale

    En Occident, la cellule familiale a subi depuis environ un demi-sicle des changements fondamentaux7. Il est important de le souligner car il sagit souvent du premier groupe dans lequel les individus se socialisent et apprennent vivre ensemble. Il est constater que ce rle a fortement diminu dans la socit contemporaine.

    7. PaulYonnet,lereculdelamort(2006)EditionsGallimard

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    Dabord les femmes avec le mouvement des suffragettes n au milieu du XIXme sicle pour lobtention de leur droit de vote. Ces mouvements finiront par obtenir gain de cause un sicle plus tard et la dmocratie va se retrouver au sein des familles avec deux votes qui comptent. Ainsi la divergence des opinions fait son entre dans les foyers. La gouvernance bipolaire devient pos-sible au sein mme de la famille. Un bouleversement des qui-libres est en marche qui se compliquera plus tard encore par labaisssement de lge lgal du droit de vote des jeunes qui au mme moment sinstalle durablement dans la famille. En-suite, les enfants avec lintroduction massive de lusage de la pnicilline aprs la deuxime guerre mondiale, vont changer consi-drablement les rapports familiaux. De tous temps, les premires annes de la vie des enfants taient caractrises par une certaine fragilit, la mortalit infantile tant trs leve. De plus, le nombre de dcs des femmes en couches lui aussi tait important. Avec lintroduction de la pnicilline, la mortalit infantile qui tait 4 fois plus importante quaujourdhui diminue drastiquement. On observe dans les pays industrialiss une chute de la mortalit cause par les maladies infectieuses, et un allongement de la dure de vie. Cette avance dans la matrise des maladies infectieuses et de la baisse de la mortalit infantile a eu une double consquence :

    Lide de perdre un enfant est devenue intolrable et de ce fait la pression sociale collective sest reporte sur la maladie des enfants. La famille est prte tous les sacrifices, y compris le don dorganes, les greffes et parfois mme jusqu partager ses cellules souches. On se donne pour suppler au corps dfec-tueux dun autre enfant.

    La famille na pas de prix8 et les sentiments, la gnrosit en famille et mme le sacrifice ultime, sont dvolus la sur-vie de lenfant. Auparavant, la perte dun enfant tait souvent compense par la venue au monde dun autre et mme si la souffrance tait vive, la socit et la famille vivaient parfaite-ment avec cette ralit. Parfois, le nouveau-n portait mme le nom de lenfant dcd, ce qui aujourdhui semblerait impen-sable.

    8. ThePricelessChild.TheChangingSocialValueofChildren,Princeton,PrincetonUniversityPress,1994parVivianaA.Zelizer.

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    Puisque les enfants nencouraient plus les mmes risques, chaque vie prenait plus dimportance. Cette nouvelle ralit de la survie collective quasi assure ne permettait plus de voir les enfants comme un ensemble dindividus pris comme bloc homogne mais bien comme des personnalits distinctes for-mant un groupe htrogne dont chacun avait les moyens de se dvelopper de manire autonome. Chaque personnalit allait dsormais compter et le systme ducatif et social allait chan-ger en consquence et les institutions aussi.

    Puis paralllement, vint lintroduction du concept du mariage par amour qui tout au long du XXe sicle allait renforcer sa lgitimit avec la gnralisation de son antagonisme : le divorce. Non tolr par les instances religieuses, le divorce va simposer malgr tout car un mariage par amour perd tout son sens ds que lamour dis-parat. Aujourdhui dans certains pays occidentaux et en Suisse par exemple, un mariage sur deux finit en divorce. Ce change-ment bouleverse lorganisation sociale notamment. On passe de la famille traditionnelle celle plus largie et lapparition de la famille recompose dsignant des familles issues de parents ayant eu des enfants dune prcdente union. Cest une sorte dextension de la famille o les nouveaux membres forment une sorte de tribu de demi-frres et surs qui vivent dans une organisation familiale plus lche.

    Ce groupe social sapparente une composition de petits rseaux de parent qui vont glisser peu peu vers la formation de rseaux sociaux familiaux qui sont le nouveau ciment des rapports entre les individus et la socit.

    Enfin, lmancipation des femmes et lintroduction de nouvelles m-thodes contraceptives comme lutilisation de la pilule vont rguler de nouveaux quilibres au sein de la cellule familiale. Grce la contraception, le contrle des naissances est possible et lenfant est dsormais dsir, issu dun mariage damour et devient por-teur dun choix o lmancipation de la femme passe par une prise de dcision, sorte dempowerment9 de cette dernire qui nest plus

    9. Lempowermentdsigneleprocessusderendrelesujetpluspuissant,mancipenquelquesorte.

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    soumise des grossesses non voulues et dues au hasard. La femme au sein de la famille acquiert un statut dgalit face lhomme dans la prise de contrle de son dsir de procrer. La gouvernance familiale se bipolarise encore plus.

    Un autre facteur cl va perturber grandement lorganisation fami-liale, cest lallongement de lesprance de vie (le recul de la mort). Depuis la fin de la deuxime guerre mondiale et grce aux progrs de la mdecine et de lhygine, lesprance de vie sest allonge considrablement : on a gagn 2 ans tous les dix ans. En dautres termes si lesprance de vie tait de 72 ans dans certains pays d-velopps en 1960, elle est passe 82 ans en lespace de cinquante ans ! Les consquences directes de cet allongement de lesprance de vie vont tre de plusieurs ordres avec :

    Lmergence dune composition familiale indite faite de quatre gnrations dont deux seront la retraite. Du jamais vu dans lhistoire de lhumanit !

    Les quilibres sociaux rompus, commencer par la question de lhritage qui se joue dsormais entre deux gnrations la re-traite. Dans ces conditions, il est difficile de simaginer le retour de biens familiaux accumuls dans le cycle de production.

    Les femmes qui dans une sorte de rponse sociale vont tarder leur tour procrer avec un ge moyen du premier enfant tour-nant autour de 29 ans en Suisse alors que cinquante ans plus tt, la moyenne tait proche des 20 ans.

    La gouvernance des biens familiaux qui se complique largement par le nombre des parties prenantes qui y participent.

    Les familles recomposes entranent une gouvernance gomtrie variable dont les statuts sont bien flous pour les gnrations montantes plus jeunes qui, elles, doi-vent sadapter et suivre plusieurs niveaux de gouvernance.

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    La solidarit entre gnrations est sur le point de basculer car lquilibre conomique va reposer pour lessentiel sur une g-nration jeune, peu nombreuse, au travail et en charge de deux gnrations la retraite !

    Les rapports entre lindividu et la famille recompose se sont inverss. Cette modernit familiale distribue va prfigurer celle de la socit. Toutes les personnalits familiales (multistake-holders) prennent la parole pour smanciper et ce processus de gouvernance familial se fond petit petit dans la nouvelle modernit. Dsormais, lindividu est une personnalit au sein de la famille comme il pourrait ltre dans le fonctionnement des rseaux sociaux. Ainsi la famille contemporaine au pouvoir recompos et les rseaux sociaux dInternet au pouvoir distribu sont les composantes essentielles lmergence de nouvelles formes dorganisation sociale. Ces deux processus sont concomitants mme sils nont que peu de rapport lun avec lautre. Mais cette concidence historique amplifie le phnomne global dune trans-formation socitale acclre.

    Les rseaux sociaux (Internet)

    Lvolution rcente dInternet vers les rseaux sociaux10 apporte un changement profond non seulement dans le comportement des citoyens, des consommateurs ou des travailleurs mais galement dans larchitecture sociale. En effet, sous limpulsion des rseaux sociaux dvelopps grce Internet, la socit connat lmer-gence dune nouvelle forme structurante de son organisation qui dpasse les anciennes frontires des territoires, des thmatiques, des groupes voire des gouvernances. Les rseaux sociaux semblent ainsi traverser les anciens dcoupages communautaires apportant du mme coup une fluidit dans la mobilit des ides, des modes, des comportements entre nations, peuples, religions, etc. Ceci est particulirement vrai pour la jeunesse qui semble avoir internatio-nalis ses gots musicaux, vestimentaires ou comportementaux. Ils font fi des cultures, des rgions et abordent le monde avec une dimension quaucune autre gnration navait fait en ces termes avant eux.

    10. TermeutilisparJ.ABarnesds1954voirhttp://en.Wikipdia.org/wiki/Social_network

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    Ces nouvelles communauts se regroupent sur des bases volon-taires, gratuites et non contraignantes (on peut en sortir comme on le veut ou presque et souvent mme y participer de manire trs phmre).

    Historiquement, les rseaux sociaux prennent leur origine dans ce que lon appelait dans le milieu des annes 90, les communauts de pratique 11 sur Internet. Initialement, les communauts taient des regroupements professionnels pour rsoudre collectivement des problmes spcifiques. Elles apportaient en quelque sorte une intelligence collective la rsolution de questions auxquelles taient confronts les techniciens comme Xerox qui a t lun des premiers dvelopper une communaut de pratique pour venir en aide aux rparateurs de machine photocopier ou Phonak (au-jourdhui Sonova Holding) qui a mis en place une communaut pour aider les oto-rhino-laryngologistes partout dans le monde.

    De telles communauts de pratique taient et sont encore des communauts dintrt socialement actives dans des champs de connaissance pointus.

    Il est cependant important de comprendre lorigine des rseaux sociaux car les principes dentraide volontaire, non contraignante et gratuite resteront la base mme de la formation des rseaux sociaux des annes 2000 comme Facebook, MySpace au niveau in-ternational ou sur le plan local Rezonance Genve.

    La question de la gratuit ou de la gnrosit collaboratrice est un aspect particulier de ces rseaux sociaux contemporains. En effet, mme si la plupart des organisations sociales antrieures comme les associations, les mouvements religieux, les syndicats, les par-tis politiques, les clubs sportifs taient tous largement bass sur le volontariat et donc fonctionnaient sur lengagement volontaire et sur le mode de convictions partages, ces organisations bn-ficiaient dune proximit physique de leurs membres notamment lors des assembles. Ici, nous avons faire des communauts vir-tuelles dont les membres ne se connaissent pas forcment et ne se ctoient quasiment jamais. Le lien social est produit exclusivement

    11. VoirEtienneWenger,thoriciendescommunautsdepratiquewww.ewenger.com

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    travers la cause commune qui est la marque de la communaut et non travers le lien social de proximit. Cest une diffrence de taille car la gnrosit, la participation gratuite et volontaire ne sont en aucun cas forces par des facteurs de proximit propre toute organisation classique de la socit civile. Il faut donc chercher ailleurs les motivations dappartenance, daltruisme et dengagement. Lencyclopdie libre collaborative Wikipdia qui a t largement construite par une communaut Internet de ce type, na jamais rtribu ses milliers de contributeurs. Le mystre reste entier et largement inexplicable. Par contre ce que lon peut constater, cest lefficacit dans la gestion des connaissances dun tel dispositif et sa capacit dentranement. A cet gard, les communauts de pratique et les rseaux sociaux forment un groupe particulier dans lordre social. Largement organiss sur le mode distribu, les rseaux sociaux sont lmanation mme de ce nouveau mode de gouver-nance.

    Lencyclopdie Wikipdia nest pas organise au sein dun systme centralis ou fdr mais bien base sur une forme de pouvoir dis-tribu autour dune philosophie utilisant le principe de end to end qui permet aux usagers non seulement dcrire des articles orga-niss de manire lmentaire partir de connaissances publiques ou prives mais galement de disposer de comptences partages leur permettant de les corriger et de les utiliser gratuitement. Cest ce jour, la plus grande entreprise dintelligence collective de type-distribu.

    Cet exemple de la puissance du mode distribu pose videmment la question du futur de la gouvernance. En effet, ds lors que des initiatives de cette importance fonctionnent avec une efficacit reconnue, il est ncessaire de sinterroger sur lavenir des systmes en mode centralis comme par exemple les dictionnaires et les encyclopdies traditionnels.

    Les rseaux sociaux fortement ancrs dans la gouvernance dis-tribue, vont par leur extension sociale couvrir de plus en plus de nouveaux champs. Leurs activits occupent peu peu diff-rentes composantes de lconomie, de la politique et du social.

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    Il est certain que les rseaux sociaux qui font dj partie intgrante de la ralit de beaucoup de citoyens, vont restructurer profon-dment la socit en calquant leurs principes de fonctionnement sur de nouvelles gouvernances. Ils ont par exemple dj fortement influenc les organisations non gouvernementales (ONG) aux-quelles ils apportent un second souffle tout en transformant leurs pratiques en profondeur.

    Les ONG

    Depuis plusieurs dcennies, le nombre dONG sest fortement dve-lopp. Mme si leur origine pouvait remonter la cration en 1816 des Peace Society , il faut bien noter que la plupart des ONG ont t cres aprs la Seconde Guerre mondiale et que le mouvement sest encore accru la fin du XXme sicle. Leur nombre, leur inter-nationalisation, leur ralisation sur le terrain, leur pntration dans la vie politique et mdiatique ; tous ces facteurs ont fait des ONG une force incontournable de la gouvernance des affaires mondiales. Ancres dans diverses thmatiques contemporaines comme lenvi-ronnement, la sant, lducation, la dfense des consommateurs, le commerce, la justice, la dfense des droits humains, laide aux pays les plus dfavoriss, ces ONG ont galement investi des champs plus techniques comme Internet, lurbanisme, les nergies renou-velables, la science, la technologie, etc.

    Aujourdhui, les ONG font tout simplement partie du dbat politico-mdiatique. Elles reprsentent une force organise de la socit civile ct des plus anciennes institutions telles que les syndicats, les associations civiles ou professionnelles, les clubs dintrt, les partis politiques ou les mouvements religieux par exemple. Les ONG ont galement renforc leurs structures organisationnelles lors de leur expansion car originellement, elles taient souvent issues dinitiatives individuelles mais elles se sont trs vite transformes en groupes collectifs dintrts plus tendus. En choisissant soit la forme centralise, soit fdre (avec la constitution de chapitres locaux), les ONG ont frquemment volu vers des formes dor-ganisation mixtes en favorisant les initiatives locales ; si bien que des formes dorganisation distribue sont apparues dans le

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    monde des ONG. Comme exemple, on pourrait citer la Fdration internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge avec ses 183 socits nationales ou encore la galaxie des ONG de lenvironne-ment.

    En effet, par lautonomisation des organisations sur le terrain, on a pu noter une volution des ONG vers des formes de pouvoir distribu. Sans que ces exemples soient aujourdhui la norme, ils reprsentent cependant une forte tendance. De plus, de par leur caractristique internationale, les ONG accentuent le traitement global des problmatiques. En se dployant mondialement, elles tentent aussi de rendre plus efficace leur actions. Leur essor entrane la cration dun tissu social international autorisant une restructuration de la socit civile sans frontire. Cette caractris-tique distingue les ONG des autres organisations sociales souvent attaches leur territoire lexception videmment des mouve-ments et institutions religieuses. Les syndicats et les organisations politiques ont eu beaucoup de peine par le pass crer de telles organisations internationales ( lexception du communisme).

    Cest donc bien une progression exponentielle dorganisations internationales issues de la socit civile que lon peut observer aujourdhui. En voquant leur forte implantation dans la socit, on se doit aussi de signaler que les ONG sont massivement prsentes auprs des organisations internationales comme lONU. En partici-pant ainsi en amont aux discussions importantes de la gouvernance mondiale, elles peuvent mieux influencer les dcisions et donc rendre leurs actions plus efficaces.

    Bien que les ONG agissent plutt par lgitimation que par dlga-tion du pouvoir en quelque sorte, elles favorisent des prises de positions lgitimes plus que lgales il nempche que leur influence de type soft a pris de lampleur notamment dans la capacit utiliser les principes de la contrainte morale. En jouant sur le rfrentiel des soft laws avec la publication de labels, de benchmarks et de recommandations, les ONG ont install un pou-voir diffus mais bien rel. En ce qui concerne la structure de leur propre organisation, les ONG ont adopt soit un mode fdr, soit

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    centralis mais lorsquelles agissent de concert, elles glissent alors vers une sorte de pouvoir distribu. Cest lune des caractristiques des ONG qui fait que pour chaque problmatique, chaque thme socital abord, il y aura une multitude dorganisations impli-ques dans ce processus de rsolution thmatique des problmes. La socit civile a multipli les formes et les organisations din-tervention. Face cette volution des ONG, on peut objectivement parler de lmergence dune gouvernance multiple et distribue.

    Les Think Tanks

    Avec plus de 5000 laboratoires ides 12 employant plus de 100 000 chercheurs de part le monde, les Think Tanks sont devenus au fil des ans une force de propositions importante dans la gou-vernance des affaires publiques. Les Think Tanks par leur ambition dinfluencer ou de crer lagenda public, cest--dire de produire un dbat public sur des thmes quils soutiennent dans la discussion politico-mdiatique, jouent un rle majeur dans la forme distri-bue du pouvoir. Les Think Tanks ne sont pas rellement attachs aux administrations gouvernementales ou des partis politiques, cependant certains dfendent des thmatiques rsolument marques politiquement. Ils sont indpendants structurelle-ment mais intellectuellement lis un vision du monde et son volution et participent ainsi une sorte de dbat dides. Toutefois par leur multiplicit, un certain quilibre des points de vue sopre naturellement.

    Dans le but de comprendre lvolution de la gouvernance nationale ou internationale, il est devenu ncessaire dintgrer les Think Tanks dans la constellation du pouvoir au mme titre que les ONG, les lobbyistes ou dautres formes plus classiques dorganisation de la socit civile. Les Think Tanks forment une catgorie part dacteurs dans cet assemblage du pouvoir car ils agissent essen-tiellement en amont sur le dbat dides et donc ninfluencent qu indirectement les autres acteurs. Seul le pouvoir des ides semble compter pour eux.

    12. LesThinkTanks(2006),StephenBoucher,MartineRoyo.PrfacedePascal Lamy-EditionsLeFlin,Paris

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    Par leur statut mme, les Think Tanks noprent ni par centrali-sation ou fdration mais agissent plus directement sur la forme distribue du pouvoir. Cette caractristique fait des Think Tanks une force contemporaine de la nouvelle gouvernance mergente.

    Les natifs Internet (digital native)

    Facebook, YouTube, Google, Wikipdia, MySpace, Google News, Google Map, Twitter, Blackberry, iphone, ipod, etc. sont les compa-gnons de route de la gnration ne avec Internet. Non seulement, ces outils sont les instruments de leur quotidien mais ils sont aussi la manire dont ils apprhendent le monde. Cette technocul-ture leur est propre.

    Ils la forgent, linstallent, la dveloppent et parfois la dtournent. Penser lavenir du monde sans voquer comment ils le faonnent, cest ignorer leffet dmographique. En effet en 2025 environ, les natifs Internet reprsenteront la moiti de lhumanit. La manire dont ils pensent, sorganisent et agissent sera alors le mode domi-nant.

    Songeons un instant que lensemble de ces outils de la nouvelle technoculture nexistaient pas il y a tout juste dix ans ! Comment ds lors apprivoiser un monde en telle mutation ? Comment imaginer que lorganisation sociale et ses institutions ne soient pas balayes par une vague transformationnelle faite de milliards dinterventions individuelles ou collectives.

    Afin daborder ces questions essentielles, nous avons choisi un angle spcifique, celui de la nouvelle gouvernance qui, installe par la gnration Internet est par essence sur le mode distribu: de toute vidence, on peut sattendre ce quelle prvaudra sur les autres.

    En analysant la mutation en cours par les acteurs mergents, on peut en principe anticiper les formes dorganisation de la gouver-nance de demain. Ainsi la question de la gouvernance distribue propre cette gnration prend alors tout son sens.

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    Lencyclopdie Wikipdia cre et anime par ses propres utilisateurs et intervenants en est un exemple notoire. La forme de gouvernance distribue qui attribue autant de pouvoir aux usagers finaux (principe du end to end ) a un corollaire, celui du rle de gestionnaires de loutil. En effet, un rle spcifique et finalement cl, a t attribu aux gestionnaires, celui en quelque sorte de gardien du temple . Ce rle est non seulement celui de prserver la mission initiale crer une encyclopdie mais aussi de rendre le systme viable et efficace. Cette double mission pourrait paratre paradoxale car donner le pouvoir aux gens tout en gardant la main mise sur lefficacit de lorganisation est en principe contradictoire sauf si les gestionnaires seffacent en permanence devant lintelli-gence collective des utilisateurs finaux. Ainsi en admettant que le sens donn un article de Wikipdia nest quune qute infinie de la vrit, les fondateurs ou les gestionnaires ont bien intgr le fait quun savoir nest jamais vritablement abouti.

    Comment dans un systme de la gouvernance distribue, le rle in-termdiaire de slection est-il imagin ? Qui nomme ces arbitres ? Comment se jugent-ils eux-mmes ? En fait, il y a une autorgula-tion du systme par la base qui consiste en une contrainte morale (soft laws) sur les administrateurs pour ne pas commettre lirrpa-rable qui fcherait la base et conduirait ces derniers faire marche arrire ou dmissionner. Le systme gnre sa propre rgulation. Wikipdia est ainsi un bon exemple dune soft institution.

  • La gouvernance Internet, un exemple de gouvernance

    distribue

  • La gouvernance Internet, un exemple de gouvernance

    distribue

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    Soft InStItutIonS

    Internet et le Web tels quils sont connus au-

    jourdhui proviennent dune succession de

    choix oprs tout le long dune relative courte

    histoire : celle de linterconnexion des ordina-

    teurs.

    Si dans les annes 60, linformatique tait ba-

    se sur le modle des ordinateurs centraux

    (mainframe computer mode), la question de

    les mettre en rseau pour des besoins de com-

    munication entre eux se posa trs rapidement.

    A cette poque, lorganisation centralise des

    donnes tait la seule pratique. La question

    de linteroprabilit entre ordinateurs devait

    tre rsolue.

    Une seconde problmatique importante pour

    lpoque, tait que les connections entre les

    ordinateurs devaient tre robustes et que si

    une ligne de communication faisait dfaut

    ou tombait en panne, les changes de don-

    nes devaient en tous les cas trouver un autre

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    Soft InStItutIonS

    chemin pour parvenir destination. On a sou-

    vent voqu ce sujet la volont de larme

    amricaine davoir un systme en rseau ca-

    pable de rsister une offensive sovitique

    de type nuclaire. On tait en plein milieu de

    la guerre froide, de la conqute de lespace et

    de laffaire de la Baie des Cochons Cuba. Que

    ce soit un mythe ou pas, cette volont de crer

    demble un systme redondant disposant de

    plusieurs parcours possibles pour runir met-

    teur et rcepteur de donnes, allait marquer

    profondment lorganisation dInternet tel que

    lon connat le rseau aujourdhui.

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    Introduction

    Partant ainsi dune philosophie centralise dans le traitement et la gestion des donnes et des informations par ordinateur, on allait basculer en quelques annes vers une gestion et donc une architecture distribue en rseau. Ce changement de paradigme technologique sexplique aussi par dautres facteurs.

    Le premier est certainement un facteur humain. Trs vite la communaut scientifique sest empare dInternet afin dchan-ger des informations sur leurs recherches. Cest pourquoi les pionniers de lpope Internet qui taient des scientifiques et des ingnieurs amricains ont favoris le modle dorganisation quils connaissaient et matrisaient le mieux, savoir celui des milieux acadmiques faits de collaborateurs et de comptitions. Il sagissait dtre la fois, le premier qui dcouvre (en se basant sur le principe de first takes all ) et de partager au plus vite sa dcouverte pour pouvoir progresser avec les autres. Par ce mcanisme dchange / comptition, le monde scientifico-technologique a imprgn le d-veloppement dInternet.

    Un second facteur est li lesprit entrepreneurial amricain. Le dveloppement dInternet na pas rsist longtemps aux entre-preneurs qui ont vite compris les opportunits de march quils pouvaient en tirer. En effet, jamais dans lhistoire du commerce, les entreprises navaient eu un tel potentiel de toucher autant de clients la fois. Surtout quaux Etats-Unis, mme si on est petit, seul ou jeune, on peut sattaquer des gants de lconomie. Il est

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    Soft InStItutIonS

    important de comprendre ce point car il garantit tout moment de lvolution dune technologie, la possibilit de voir surgir en quelque sorte, de nulle part, une start up ou une invention qui peuvent remettre en question lvolution technologique en place. Par exemple, la vision de J. Licklider qui en 1962 dans un article scientifique, prsente en quelques mots le concept de ce qui devien-dra, plusieurs dcennies plus tard Internet. Ou encore linvention de Mosaic par ltudiant Marc Andreessen de lUniversit dIllinois, qui fut le premier navigateur Internet permettant linvention ima-gine par linformaticien britannique Tim Berners-Lee et ling-nieur belge Robert Cailliau du CERN de se dvelopper. Ainsi le Web (www) a explos trouvant un large cho dans le grand public et reste lune des applications la plus connue et la plus rpandue dInternet. A tel point quaujourdhui, on confond souvent Internet (le rseau des rseaux) et le Web (plateforme dchanges et de liens).

    Cet esprit entrepreneurial dcomplex a donn une couleur larchitecture dInternet et sa gouvernance travers un autre l-ment, celui de la procdure RFC (Request For Comments). Cette procdure mise en place ds les annes 70, lpoque du projet ARPANET (souvent dpeint comme lanctre dInternet) est en fait une documentation dcrivant les propositions et les mthodologies choisies tout le long du dveloppement des rseaux de communi-cation entre les ordinateurs. Ainsi la RFC est la fois une mthode de travail mais galement une philosophie dapproche volutive et distribue pour le dveloppement dInternet. Il ny a pas de centra-lit mais bien une lgitimit des processus volutifs. On favorise en quelque sorte le pragmatisme. Dailleurs ce mme type de repr-sentation de la lgitimit de laction se retrouve dans le systme juridique anglo-saxon qui organise notamment la loi par lapport de la jurisprudence. Chaque action prend dans cette manire de penser, une importance souvent plus grande quune dcision. Dans ce contexte, on peroit mieux pourquoi lapproche de lEurope continen-tale base sur une centralit des dcisions en matire des nouvelles technologies dinformation et de communication (NTIC) a chou.

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    En effet dans les annes 80, lEurope avec le Vidotex, va dvelop-per une approche plus centralise autour de protocoles bien ta-blis (X-25 et autres) et dcider de manire intergouvernementale au sein de lUnion internationale des tlcommunications (UIT) de son volution. Cette approche savra un chec retentissant car elle cherchait dfinir une nouvelle architecture exclusive avant mme de la voir voluer chez les usagers. Par exemple, il tait im-possible de faire fonctionner deux appareils comme le Minitel ou le Vidotex sur un mme rseau. Ils sexcluaient mutuellement. La reprsentation amricaine tentait au contraire dimpliquer tous les rseaux publics ou privs dans une supra-architecture. Cest sans doute l que rside le trait de gnie des Amricains. Linvention du mot Internet qui signifie littralement Inter Networking vient prcisment de cette volont de laisser la fois chacun dvelop-per son propre rseau et de trouver une solution les intgrant tous. Ds 1973, la formulation du mmo RFC 675 sur la spcification dun programme de contrle de transmission (TCP) donna la voie suivre. En effet, les mmos RFC 791, 792 et 793 mis en 1974 allaient ouvrir dfinitivement le monde linterconnexion. Connues sous lappellation TCP/IP, ces spcifications permirent rapidement que nimporte quel rseau puisse communiquer avec nimporte quel autre rseau et changer ainsi donnes et informations. Les principes de base dInternet taient poss et il restait construire lvolution du rseau des rseaux et ses nombreuses perces technologiques et applicatives venir.

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    Courte histoire dInternet

    1965 Ted Nelson1 voque pour la premire fois le concept dhyper-texte pour les liens entre donnes dcentralises

    1966 Lancement du projet ARPANET2

    1969 Publication de la premire RFC3 et premire connexion entre quatre ordinateurs diffrents de quatre universits amri-caines.

    1972 Cration dInter Network Working Group. Premire instance collaborative qui donnera naissance la gouvernance distri-bue.

    1995 Lancement dAlta Vista4, un des premiers moteurs de re-cherche.

    1996 Le nombre de 10 millions dutilisateurs connects est atteint

    1997 Cration de Google5

    1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ted_Nelson

    2. http://fr.wikipedia.org/wiki/ARPANET

    3. fr.wikipedia.org/wiki/Request_for_comments

    4. http://fr.Wikipdia.org/wiki/AltaVista

    5. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Google

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    IETF, IEEE et les Request for Comments

    Deux organisations dingnieurs jouent un rle central dans ltablissement des standards techniques dInternet, ce sont lInternet of Electrical and Electronics Engineers (IEEE) et lInternet Engineeering Task Force (IETF). Ces deux organisa-tions bien que distinctes fournissent des standards compl-mentaires. Ces deux organisations fonctionnent sur le mme processus de standardisation savoir celui des memorandums. Comme le monde Internet regroupe une multitude de parties prenantes (multi-stakeholders), le processus de conver-gence des points de vue technique ncessite un modle particulier de standardisation. La rfrence de ce type de memorandum est celui des Request for Comments qui sont aujourdhui grs par lETF (entit lie Internet Society) mais qui ont vu le jour ds le dbut dInternet. En effet, ds 1969 apparat ce concept des memorandums dans le projet ARPANET en demandant la communaut des scientifiques et des ingnieurs de se prononcer sur toutes propositions nouvelles, les animateurs puis plus tard les administrateurs dInternet cherchent tablir un consensus fort parmi les dveloppeurs dInternet. Ce consensus fort est ncessaire car aucun organe de la gouvernance nest en position de trancher ou de dcider. Tout ce processus de convergence est la fois la force et la faiblesse dun systme du pouvoir distribu.

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    1998 Cration dICANN6 pour la gestion des noms de domaines de manire prive. Le moteur de recherche Google est lanc

    1999 Cration de Napster7 et gnralisation de lusage de la norme MP3 pour la musique

    2001 Eclatement de la bulle Internet juste avant le lancement de Wikipdia

    2002 Les premiers blogs font leur apparition8

    2003 Sommet mondial Genve sur la gouvernance Internet WSIS9

    2004 Apparition des rseaux sociaux avec Facebook et Myspace10

    2005 Lancement de YouTube11 et second sommet WSIS Tunis

    2006 Lancement des techniques de Mash up

    2008 Campagne prsidentielle dObama et usage intensif dInter-net en politique

    6. www.icann.org/tr/french.html

    7. www.napster.com

    8. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Blog

    9. www.itu.int/wsis/

    10. www.myspace.com/www.facebook.com

    11. http://fr.Wikipdia.org/wiki/YouTube

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    Infrastructures et institutions mnent la gouvernance dInternet

    Une des spcificits de la gouvernance dInternet est son fort lien avec les choix effectus dans le dveloppement technologique des logiciels ainsi que des infrastructures. En effet, on ne peut pas aisment dtacher la gouvernance de la technologie dans le cas dInternet. Lmergence dinstitutions nouvelles sera ga-lement lie cette volution du couple technogouvernance. Un rapide tour dhorizon de cette ralit historique nous per-mettra de nous convaincre de cette affirmation. Dabord, il faut voir que lensemble du dveloppement technologique re-pose sur linterconnexion entre ordinateurs (larchitecture des rseaux) au niveau physique et au niveau des protocoles de com-munication (TCP/IP) qui permettent aux ordinateurs de dialoguer et enfin sur les applications informatiques runies sur une seule plateforme (le Web).

    Linterconnexion physique repose sur une infrastructure de tlcom-munication classique: celle de la tlphonie avec ou sans fil. Faire passer du son ou des bits est en effet dun point de vue physique identique faire passer de la voix puisque le vhicule utilis dans les deux cas de figure est llectricit ou les ondes lectromagntiques (WiFi). Pour larchitecture en rseau du systme de communication tlphonique, le contenu est transparent ou devrions-nous dire plu-tt indiffrent aux routers et autres technologies de communication. Le systme ne lit pas la voix ou les donnes, il ne fait que les trans-mettre. Ce qui compte donc cest linterconnexion physique : il faut que les fils soient branchs , il faut tre plugged in comme diraient les Amricains.

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    Soft InStItutIonS

    Avec le dveloppement foudroyant dInternet en nombre duti-lisateurs et en quantit dinformations transmises, la ques-tion de la capacit du rseau physique pour absorber ce trafic exponentiel sest rapidement pose. La fibre optique, les rou-ters (appareil lectronique de guidage des informations), la bande passante (la capacit de faire passer un maximum dinformations ou de bits la seconde) et le backbone (la structure physique du systme) deviennent des lments cls du dveloppement des interconnexions physiques dInternet.

    Les investissements publics mais aussi privs (puisquune grande partie des entreprises de tlcommunications ont t privatises depuis deux dcennies) ont soutenu ce dveloppement exponentiel.

    Mais ce ne fut pas le seul dveloppement technologique important. Les protocoles ou les applications informatiques permettant logi-quement et lectroniquement de faire fonctionner le rseau, furent aussi dterminants notamment par les choix qui seront finalement adopts par le plus grand nombre. En effet, TCP/IP, le fameux protocole, introduisit lide de faire fonctionner ensemble tous les rseaux, savoir que quel que soit le rseau adopt nationalement, localement ou par une entreprise, on allait pouvoir faire dialoguer les rseaux entre eux. Cest ainsi que nat lide dInternet, un rseau des rseaux, une interaction entre rseaux qui eux-mmes permettent linterfrence entre ordinateurs de quelque type quils soient et donc des usagers entre eux. Ainsi, les ordinateurs bran-chs peuvent indpendamment ( partir de leur propre systme et de leur branchement un rseau) changer des donnes avec dautres ordinateurs branchs nimporte o sur la plante ou dans lespace (satellite, WiFi, etc.).

    Lautre innovation majeure du protocole TCP/IP tient ladoption de la philosophie end to end pour grer lensemble. En dautres termes, TCP/IP favorise les utilisateurs finaux pour la gestion des donnes et des applications informatiques.

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    Soft InStItutIonS

    Cela signifie quil faut une intelligence au niveau de lutilisa-teur final pour grer le dialogue, lchange. On a ainsi totalement quitt une philosophie centralise au profit dun systme distribu. Dans le systme Internet, nous avons de vritables ordinateurs autonomes au bout du rseau. Tout le systme au milieu, celui de lintermdiation est dans une position neutre. Il ne connat en prin-cipe pas ce quil transmet. Une des raisons dominantes qui ont amen ce choix tient dans le design mme des protocoles de transmission puisque ces derniers transmettent les donnes, les informations par paquets distincts, de lmetteur jusquau rcep-teur, sans jamais soccuper du contenu des paquets.

    Au contraire de la tlphonie classique, une communication est faite de dizaines de milliers de petits paquets transmis dans le rseau dune manire indpendante les uns des autres. En tlphonie, une liaison unique et prenne est dabord tablie avant que la conver-sation vocale puisse prendre place. Dans le cas de TCP/IP, il nen est rien. Lmetteur va envoyer par exemple une image dcoupe en dizaines voire en centaines de paquets ladresse du desti-nataire. Lordinateur de celui-ci aura comme tche de recomposer ensuite limage envoye. On peut facilement remarquer ce proces-sus dans la ralit quand on se branche sur YouTube par exemple car nous assistons parfois des interruptions intermittentes lorsque la bande passante (la capacit du rseau) est faible. De plus, il faut noter que chaque paquet dans son parcours entre expditeur et rcepteur ne suivra pas forcment le mme chemin dans le ddale des rseaux, des fils ou des transmissions sans fil de communica-tion. Cela tient la dcision dorigine de rendre la communication, lchange de donnes, indpendants du parcours. Cette approche est videmment de type distribu. Cest fascinant de constater quel point ces choix historiques concourent la dfinition dune ra-lit totalement nouvelle dans un systme des tlcommunications qui tait jusqu larrive dInternet fortement centralis.

    Enfin le Web, cette plateforme informatique unique, va au-toriser les usagers crer leur propre service Internet et mettre ainsi la disposition des autres usagers leurs informa-tions, leurs transactions, leurs applications informatiques, etc.

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    Le Web est en quelque sorte une couche de liens soft sur un rseau hard fait de liaisons physiques, de serveurs et de routers. Cette couche de logiciels identiques pour tous, facilite grandement les changes, les communications entre usagers.

    Par ailleurs, les concepts cls qui sous-tendent le Web sont le systme dadresse li au nom de domaine13, les liens hypertexte14, les navigateurs15 et les moteurs de recherche16. Grosso modo, les informations dun service Web sont reprables dabord par la page dentre qui est joignable par son nom de domaines et toutes les parties du service sont depuis ce point dentre organises en hypertexte. Chaque partie, chaque page ou objet dun site Internet peut tre li chaque autre partie de nimporte quel site. Cette structuration est videmment importante car contrairement un livre, les choses ne sont pas conues de manire purement linaire, consultable en table des matires ou en arborescence. Cette dstructuration/restructuration des liens en hypertexte rend non seulement chaque site Internet trs interactif mais autorise ga-lement des liens interactifs entre diffrents sites Internet. En liant chaque document, la structure hypertexte a fait du Web tout entier, un seul et unique site. En quelque sorte, tout se rfre tout par des liens (en gnral les mots de liaison sont en bleu), transparents pour les usagers. En effet dun simple clic, le systme nous propulse dans un autre site tout en gardant les traces de notre parcours. Si bien que lon peut naviguer dun site un autre par des liens prtablis. Ds lors que le Web forme un grand livre dinformations et dapplica-tions, la question de la recherche de ce que lon veut devient centrale. Avec Alta Vista dabord et ensuite bien dautres jusqu Google (1998) et aujourdhui Bing de Microsoft (2009), les moteurs de recherche sont devenus un outil cl totalement li au dveloppe-ment du Web donc dInternet.

    13. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Nom_de_domaine

    14. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Hypertexte

    15. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Navigateur_web

    16. http://fr.Wikipdia.org/wiki/Moteur_de_recherche

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    Lhistoire, courte et mouvemente, des moteurs de recherche est lie au fait quils sont indispensables. En effet, rechercher une information sans passer par eux, savre fastidieux dans une struc-ture de type hypertexte. Tout est li tout, ce qui fait que tout dispa-rat dans lensemble.

    Trois lments cls du Web vont faire de lui un objet de la gou-vernance personnalise et donc totalement distribue. A savoir, chacun peut crer son site, chacun peut lui donner le nom quil veut (ou presque) et chacun peut lier ses informations et appli-cations ce quil veut. Un systme pareillement dcentralis est une forme d empowerment des usagers. On pourrait mme parler dune nouvelle re de la connaissance distribue . Tentons ici une explication.

    Wikipdia, YouTube, Facebook, etc sont des sites Internet qui font appel la crativit de leurs usagers. En offrant la possibilit chacun de contribuer une uvre collective comme celle de ras-sembler la connaissance (Wikipdia), de filmer des vnements (YouTube) ou de crer de nouveaux rapports sociaux (les rseaux sociaux comme Facebook), ces sites Internet vont largement au-del dune simple mise disposition dinformations ou dapplications en transformant le tissu social par de nouvelles pratiques. Ce change-ment de paradigme annonce une nouvelle re, celle de la connaissance distribue. La gratuit, linitiative individuelle, la libralisation des droits dauteurs, le nouveau bien commun, etc. sont des concepts revisits par le monde Internet et qui ensemble annoncent un chan-gement de gouvernance.

    Il ressort de ces nouvelles pratiques une refonte de la socit. Les institutions en charge de la gestion et du dveloppement dInternet le savent bien, elles qui sont les gardiennes d