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3:HIKLSE=WU[WUX:?a@n@r@e@a; M 01842 - 374 - F: 6,20 E Maurras, prisonnier de ses haines La vie des étudiants au Moyen Age EX-PRÉSIDENTS QUE DEVIENNENT LEURS ARCHIVES ? www.histoire.presse.fr LES JANSÉNISTES Les Amazones ont-elles existé ? Dieu, la grâce et la politique MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 9,75 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,50 TND ISSN 01822411

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3:HIKLSE=WU[WUX:?a@n@r@e@a;M 01842 - 374 - F: 6,20 EMaurras, prisonnier de ses hainesLa vie des tudiants au Moyen AgeEX-PRSIDENTS QUE DEVIENNENT LEURS ARCHIVES ?www.histoire.presse.frLES JANSNISTESLes Amazones ont-elles exist ?Dieu, la grce et la politiqueMENSUELDOM/S7,20 TOM/S950 XPFTOM/A1 600 XPFBEL 7,20 LUX 7,20 ALL 7,90 ESP 7,20 GR 7,20 ITA 7,20MAY 8,70 PORT. CONT 7,20 CAN 9,75 $CAN CH 12 ,40 FSMAR 60 DH TUN 6,50 TNDISSN01822411SOMMAIREL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 24ACTUALITon en parle18 La vie de ldition - La femme en vue - En tournage portrait 20 Bertrand Tavernier, lhypermnsique ParPierre Assouline anniversaire 22 Le quatrime rivage de lItalie ParPierre Milza cinma 24 Il faut tuer Rudolf Kasztner ParHenry Rousso 26 Un air de rsistance ParAntoine de Baecque 27 Colonel Blimp ParOlivier Thomaslivre 28 Au nord, ctait les marchandsParYann Coz29 Internet : les sites du mois expositions 30 Portraits de btes ParJuliette Rigondet31 Le monde en ondes ParCamille Barbemdias 32 Mais qui a tu Yann Piat ? ParGrgoire Kaufmann33 Assaut sur Bogota programme scolaire 34 Dbat : lhistoire au lyce ParLaurent Wirth 35 Agenda : les rencontres du mois bande dessine 36 N et mort le 22 juin 1944 ParPascal Ory FEUILLETONles grandes heures de la presse86 Le Monde diplomatique ouvre le bal sur la ToileParJean-Nol JeanneneyGUIDEla revue des revues88 Lire la radio - Utopie babouviste - Blasphmes les livres90 Au combat. Rexions sur les hommes la guerre de Jesse Glenn Gray ParOlivier Wieviorka91 La slection du moisle classique96 Franais et Africains de William B. Cohen ParPap NdiayeCARTE BLANCHE98 Drieu sur papier bible ParPierre AssoulineCOUVERTURE : Portrait de Marie-Anglique Arnauld, dite mre Anglique, et de sa sur Jeanne, dite mre Agns, daprs Jean-Baptiste de Champaigne (Magny-les-Hameaux, muse de Port-Royal des Champs, RMN/Herv Lewandowski). RETROUVEZ PAGE 37 LES RENCONTRES DE LHISTOIREABONNEZVOUS PAGE 97Ce numro comporte trois encarts jets : Le Monde diplomatique (abonns), LHistoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).VNEMENT8 Prsidents, que faites-vous de vos archives ? ParPascal Geneste Depuis Valry Giscard dEstaing, le versement des lettres, notes ou manuscrits des prsidents et de leurs conseillers est devenu un rituel rpublicain. Comment procdait-on auparavant avec ces crits au cur de lactivit dtat ?www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour prparer les concours.Chaque jour, une archive de LHistoire pour comprendre lactualit.N374AVRIL20125 AG 2 ARCHIVES NATIONALES, PLE IMAGES5 AG 1 ARCHIVES NATIONALES, PLE IMAGESL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 25CRDITDOSSIER PAGE 38LES JANSNISTESDieu, la politique et la grceRMN/GRARD BLOTRECHERCHE70 Les Amazones ont-elles exist ? ParViolaine Sebillotte Cuchet Merveilleuses et monstrueuses, les Amazones suscitent les fantasmes. Mais qui taient vraiment ces femmes guerrires ?76 Maurras, prisonnierde ses haines ParNicolas Balique Soixante ans aprs sa mort, retour sur le Charles Maurras des annes dOccupation, le collabo qui naimait pas lAllemagne.80 Le bizut et les deux tudiants ParPierre Rich La vie dans les universits du Moyen Age partir dun document exceptionnel du e sicle.Le dernier vendredi de chaque mois 9 h 05 La Fabrique de lhistoire dEmmanuel Laurentin Retrouvez la squence Latelier du chercheur en partenariat avec LHistoire (cf. p. 70)CHEUVA/KHARBINE

TAPABOR40 Pourquoi Louis XIV les redoutaitParJol Cornette42 Ce Port-Royal, cest le paradis 45 Une doctrine de la grce 47 Un lve nomm Racine 48 Un calvinisme rebouilli ? Par Philippe Joutard 50 Pascal, ou lintransigeance ParStphane Van Damme52 Chronologie : vie de Pascal 54 Miracles et convulsions Saint-Mdard Par Monique Cottret58 Drle de bourgeoisie des Lumires !Par Nicolas Lyon-Caen 62 Des agents de la Rvolution ? Entretien avecRita Hermon-Belot 64 Des gnies de la communication 66 Mmoire de familles 44 Lexique 67 Pour en savoir plusVNEMENT ARCHIVES PRSIDENTIELLESL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 28En 1970, Robert-Henri Bautier, professeur de lcole des chartes, dplorait quaux yeux de bien des ministres, prfets, ambassadeurs, gn-raux, les papiers publics [fussent] susceptibles dap-propriationprive .Ilconcluaitenjugeantcette situation aussi grave du point de vue des droits de lacollectivitquedommageablesouslerapportde lhistoire 1. Pudiquement, lminent savant nint-grait pas dans son analyse les archives produites au plus haut sommet de ltat, rcemment distraites dellyseparlegnraldeGaulle,prsidentde la Rpublique dmissionnaire, et transfres son bureau historique de la rue de Solferino avec, pour objectif, lcriture de ses Mmoires.Quatre ans plus tard, en mai 1974, la surprise est grande pour Philippe Sauzay lorsque, pntrant au 55, rue du Faubourg-Saint-Honor en tant que chef de cabinet de Valry Giscard dEstaing nouvel-lement lu, il constate la disparition quasi intgrale des dossiers prcdemment produits sur les afai-res les plus sensibles de la Rpublique2.En France, une tradition longue et persistante asouventsoustraitlesarchivesdesresponsables politiques au principe de la domanialit publique pourtant clairement tabli depuis la naissance de larpublique.Lesarchiveslysennesnychap-pent pas.UNE RGLE FIXE DEPUIS LOUIS XIVLedroitderepriseparltatdespapiersdes fonctionnairespublicsestfixdepuislAncien Rgime. Il a principalement permis la rcupration de documents dtenus par les secrtaires dtat des Afaires trangres (depuis Hugues de Lionne, di-plomatesousLouisXIV),lesambassadeursetles of ciers de larme par lapposition de scells sur leursbiensaumomentdeleurdcs(frquente auxeete sicles)etainsidesauverune grandepartiedesfondsconsidrsaujourdhui comme prestigieux.Les rgimes postrvolutionnaires dotent quant eux larchiviste dun appareil juridique puissant : un arrt de la Cour de Paris de 1865 et un dcret datdu21 juillet1936rappellentlobligationdes fonctionnaires et de ladministration de verser leurs archives,unefoisladuredutilitadministrative chue. Mais, suivant le mot de Lon Blum, toutes les traditions sopposent ce quun ministre soit mis au courant par celui qui la prcd dans la boutique. La question est de dbarrasser les locaux du ministre et du cabinet, de dblayer les dossiers et les notes 3.A la libration de Paris, les services des Archives nationalessinquitentdusauvetagedespapiers produitspendantlaSecondeGuerremondialeet crent une section charge de recueillir les docu-mentsdesautoritsdoccupationetdesservices de ltat franais sous Vichy, soit abandonns par lesAllemandsdanslaprcipitationdeladfaite, Prsidents, que faites-vous de vos archives ? ParPascal GenesteLa nation sapprte lire le chef de ltat. Mais quadviendra-t-il de ses archives et de celles de ses collaborateurs ? Que sont devenues celles de ses prdcesseurs ? Histoire des relations parfois conictuelles entre le prsident et larchiviste dont lenjeu est la conservation et la communication de papiers au cur de lactivit de ltat.LAUTEURDirecteur adjoint des archives dpartementales de Gironde, Pascal Geneste, archiviste palographe, a t dix ans conservateur en chef aux Archives nationales. Il a publi Archives de la prsidence de la Rpublique, Valry Giscard dEstaing (Archives nationales-Somogy, ditions dart, 2007).AUTEUR ARCHIVES NATIONALES, PLE IMAGES5 AG 5/01A10/13 ARCHIVES NATIONALES, PLE IMAGESL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 29soit encore conservs dans les ministres. Un ma-triau historique de premier plan est ainsi recueilli, conduisantlesArchivesnationalesdanslimm-diat aprs-guerre jouer un rle majeur dans lcri-ture de lhistoire immdiate.Cetteexpriencedecollectedanslurgencea fait natre la conscience de nouvelles missions pour les archivistes et orienter rapidement les activits desArchivesnationalesversunedirectionrso-lumentnovatrice:menerune prospectionsystmatiquedes documentscontemporainsen applicationdudcretde1936, trier et tablir des tats sommai-res de tous les documents entrs et intervenir au sein des minist-res an de leur fournir une aide technique sur les documents cou-rants. Cest lorigine de la section contemporaine des Archives na-tionales et des missions de celles-ci auprs des mi-nistres, dont la premire est cre place Beauvau en1952aveclamisedispositionpermanente dun conservateur au ministre de lIntrieur.LA BIBLIOTHQUE PRSIDENTIELLEDanslamesureolaConstitutiondela IVe Rpubliqueneconfreauchefdeltatquun rle secondaire, ses archives, comme celles de son entourage, ne constituent pas pour la direction g-nraledesArchivesdeFranceunepriorit.Elles sontsouventconfonduesavecladocumentation oulalittraturegriseadressesparlImprimerie nationaleetnesontvuesqutraverslabiblio-En haut : arrive aux Archives nationales dune camionnette contenant un versement darchives de Jacques Chirac, en novembre 2007. Parmi elles, cet tat prparatoire dun discours prononc par Jacques Chirac le 14 juin 1996. Nicolas Sarkozy ne sest pas encore prononc sur le devenir de ses propres fonds. thque,conecettepriode unedemi-journeparsemaine auxsoinsdunconservateurde laBibliothquenationale,Jean-Pierre Seguin.LorsquelHistoiredesprsi-dentsdelaRpublique,deLouis NapolonBonaparteVincent Auriolparaten1953,son auteurAdrienDansettenepeut que constater que les archives de llysenontofertquuneuti-lit mdiocre 4.Presquetous lesdocumentsintressantsont tdistraitsdelaprsidenceou pilonns ; quant aux documents conservs, ils ne concernent que lactivitdubureaumilitaireet du service de presse et sont cons aux gardes r-publicains afects au service Rono qui agissent de leur propre initiative sans consigne particulire. La bibliothque est en revanche mieux traite : partirde1951,unedcisionavaitenefett prise dacheter des livres pour la prsidence et de constituerunfondsdouvragesderfrencequi faciliteraitlatchedesmembresdesmaisonsci-vileetmilitairedupalais.Onretournaitlune trs ancienne tradition des chefs dtat qui, lins-tardeMazarin,tenaientconstituerdansleurs palaisdesbibliothquesportanttmoignagesur lhistoire de leur temps. Des travaux de reliure im-portantssontentrepris,quelquesouvragesmar-quantssontrelisenpleinmaroquinauxarmes delaRpubliqueetonachtedesdocumentsde Des bribes de fonds pour les priodes de la IIIe et de la IVe RpubliqueRIC FEFERBERG/AFPACTUALITcinmaL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 224Le 3 mars 1957, dans une rue de Tel-Aviv, un hommesortantdesonimmeubleestfroi-dementabattuparunindividuquitiresur luiplusieursballesboutportant.Sonnomd-frayelachroniquedepuisplusieursannes: Rudolf Kasztner, lhomme qui ngocia avec les na-zispoursauverdesJuifsetfutpourtantdnonc comme collaborateur .Cestlavant-dernier pisodeduneterriblehistoirequiacommenc Budapest,aprslinvasiondelaHongrieparles nazis,le19 mars1944,alorsquAdolfEichmann mettaitenroutelultimetapedela Solutionfinale ,quivisaitlader-nirecommunautjuivedEuropejus-que-l relativement pargne. En quel-quesmois,437 000personnesfurent dportes,soitlamoitidelapopula-tion juive prsente sur le territoire, dont 275 000 furent gazes Auschwitz, portant plus dun demi-million le nombre total de victimes jui-ves hongroises sur la dure de la guerre.LafaireKasztnersesituedanslecontextede la dernire anne du conit, alors que le IIIe Reich voitseproleruneprobabledfaiteetenvisage pure chimre la possibilit de pourparlers avec lesAnglo-Amricainsenvuedunepaixspare dirigecontrelURSS.Ennetsurtout,cettehis-toireseprolongedanslesannes1950enIsral, oelleconstitueunesortedeprludeauprocs Eichmann davril 1961. On se souvient que ce pro-cs a t voulu et organis par Ben Gourion en par-tiepourpallierlesdivisionsinternesquelafaire Kasztneraprovoquesaumomentolasocit isralienne doit faire face lmergence dune m-moire de la Shoah qui savre plus conictuelle que consensuelle.Lesdpositionsdestmoinsdecet pisode sont dailleurs les seules avoir dclench les trs rares incidents au procs de Jrusalem de survivants hongrois dans le public sen prenant certainstmoins.Aujourdhuiencore,lenomde Kasztner suscite la controverse.LeJuifquingociaaveclesnazis KillingKasztner,enanglaisralis par lAmricaine Gaylen Ross embrasse cettehistoiredunregardaiguetdis-tant,dcrivantavecunepassionrete-nue des problmes dune grande com-plexithistoriqueetmorale:commentunJuif sauvant des Juifs a-t-il pu, aprs coup, dchaner une telle haine ? Ce lm est une uvre dexception, prix 2008 du Festival international du lm de Toronto, acclam dj dans plusieurs pays, et dont une version avec sous-titresfranaissortle4 avrilprochaingrce lopinitretdudifuseurSbastienMonceau (Noblesse Oblige Distribution). Reszo Israel Kasztner est n en 1906 Cluj, en Transylvanie,alorsterritoireroumain.Militant Comment un Juif sauvant des Juifs a pu aprs coup dchaner une telle haine ? Un documentaire passionnant. Il faut tuer RUDOLF KASZTNERCi-dessous : enfants juifs bord du train Kasztner en 1944.A droite : la reconstitution de la scne du meurtre de Kasztner, en Isral, en 1957. IZHAK WEINBERG/NOBLESSE OBLIGENOBLESSE OBLIGE PAUL GOLDMAN/NOBLESSE OBLIGEAccus davoir ngoci avec les nazisL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 2 25Kasztner et sa lle Zsuzsi en 1956-1957 la dernire photo deux avant son assassinat.sionistedanssajeunesse,ildevientdanslesan-nes 1930 un avocat, un journaliste et un homme politiquerespect.En1940,aprslannexion delaTransylvanieparlaHongrie,ilsinstalle Budapest. En 1942, il fonde avec Otto Komoly, Joel Brand et Hansi Brand le Comit de sauvetage et de secours qui assiste les Juifs rfugis de Pologne et de Slovaquie. Un mois aprs linvasion du pays par les nazis, le 19 mars 1944, ils entament une ngociation avec Eichmann qui leur propose dpargner un million deJuifs silsobtiennentdesAllis,vialAgence juive, loctroi de 10 000 camions amphibies qui seraient utiliss sur le front de lEst. La ngociation choue devant le refus britannique. Usantdunemanipulationexprimente ailleurs qui consiste utiliser les organisations jui-ves autochtones comme courroies de transmission pourviterlapaniqueetmieuxspolierlesvicti-mes, Eichmann accepte cependant quun train de 1 685personnesquitteBudapestle30 juin1944, dabordpourlecampdeBergen-Belsen,ensuite pour la Suisse. Les nazis exigent au passage 1 000 2 000 dol-larspartte,sommeconsidrablequuneinme minorit pouvait payer, mme si le train ne com-porterapasendnitivequedesfamillesfortu-nes.Cestcetrain,dit trainKasztner carce dernieravaitcontribusacomposition,quiva susciter de violentes controverses aprs la guerre, notamment parce que gurent parmi ses passagers sa femme et ses proches.En1947,Kasztnerquitte Genve pour sinstaller en Isral. IlrejointleMapai,lepartitra-vailliste,et,en1952,prendle postedeporte-paroledumi-nistredelIndustrie.Leperson-nagepublicquilestdevenufait lobjetdattaquessursonpass unphnomneobservpar-toutenEuropedanslesdbuts delaguerrefroide.Alt1952,unrfugijuif hongrois, Malkiel Gruenwald, dont la famille a t extermine Auschwitz, le dnonce comme col-laborateur .Laccusationestdautantplusgrave que la Knesset a vot en 1950 une loi qui autorise la peine de mort contre les nazis et les collaborateurs (y compris juifs) responsables de crimes de guerre, contre lhumanit ou contre le peuple juif. Cest ce texte qui permettra de juger Eichmann. Poursuiviendifamation,Gruenwaldchoisit comme avocat Shmuel Tamir, lun des fondateurs, avecMenahemBegin,duHerout,partipolitique dedroite,hritierdupartisionistervisionniste deZeevVladimirJabotinsky,hostiletoutcom-promis avec les pays arabes. Le procs qui souvre Jrusalem, le 1er janvier 1954, sous la prsidence dujugeBenjaminHalevi,prenddslorsunedi-mension la fois mmorielle et politique. Les allu-sions au conit isralo-arabe sont constantes. Deux conceptions du pays, de son pass et de son avenir sy afrontent, les uns dfendant un pragmatisme quiapermisdesauverquelquesmilliersdeper-sonnes, les autres dnonant une intolrable com-promissionaveclennemi.Le22 juin1955,aprs dix mois de dbats virulents largement relays par lapresse,lejugeHaleviprendfaitetcausepour lesdfenseursdeGruenwald,accuseKasztner d avoirvendusonmeaudiable enloccur-rence Eichmann et le dboute de sa plainte.Enjanvier 1958,laCoursuprmeinfirme cettedcision,dnoncedes errementsjudiciai-res et lave Kasztner de ces accusations. Mais, en-tre-temps,ilauratabattuparunjeunefanati-que dextrme droite, n en Isral, sans connexion aucune avec la Shoah, pour qui ngocier avec len-nemipourquelqueraisonquecesoit,etquelles que furent les circonstances, constituait un crime.Ilfautvoircelmpourcomprendreque,loin davoir t de tout temps un argument lgitimant lexistence dIsral, la mmoire de la Shoah y a ac-couch dans la douleur et le conit. Il faut voir ce lm pour comprendre les contradictions actuelles dunpaysplongdepuissacrationdanslavio-lencedeguerre,laviolencepolitique,laviolence du souvenir.Henry Rousso Directeur de recherche au CNRS (IHTP)G. Ross, Le Juif qui ngocia avec les nazis,en salles le 4 avril.1685 personnes sont sauves dans le train Kasztner FAMILLE KASZTNER/NOBLESSE OBLIGEDOSSIER JANSNISTESL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 2 40Pourquoi Louis XIV les redoutaitComment une cinquantaine de religieuses voues au silenceet une poigne de solitaires retirs du monde au monastrede Port-Royal ont-ils pu inquiter ce point le grand roi ?Par Jol CornetteArbre sacrSur cette caricature de 1730, intitule Les travaux inutiles , des Jsuites tentent, sans succs, dabattre larbre jansniste.PARIS, BIBLIOTHQUE DE PORT-ROYAL ; BIANCHETTI/LEEMAGEL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 2 41LAUTEURJol Cornetteest professeur luniversitParis-VIII-Vincennes- Saint-Deniset membredu comit de rdactionde LHistoire. Spcialiste de lAncien Rgime, il dirige actuellement, avec Jean-Louis Biget et Henry Rousso,une Histoirede Franceen 13 volumes chez Belin. Le 26 aot 1715, au seuil de la mort, Louis XIV tentrerdanssachambre,Versailles,les cardinaux de Rohan, de Polignac et de Rissy, ainsi que son confesseur jsuite*, le pre Le Tellier. Dunevoixafaiblieparlavreetladouleur,il leurdclaravouloirvivreetmourirdanslareli-gion catholique, apostolique et romaine , cette reli-gion que jai soutenue, ajoute-t-il, autant quil ma t possible pendant le cours de mon rgne .Puis,commepourseprmunirdetoute condamnationduseultribunalauquelilsappr-taitrendrecompte,ilajoutaquedanslesder-niresafairesquisontsurvenues,jenaisuivique vos avis et nai fait que ce que vous mavez conseill de faire. Cest pourquoi, si jai pu mal faire, cest sur votre conscience, ny ayant point eu dautre part, et vous en rpondrez devant Dieu ; pour moi je nai eu que de trs bonnes intentions .Une telle confession, qui surprit les cardinaux, tmoignedelampleurdelacrisereligieusequi dchire alors lglise et, bien au-del, le cur de la monarchie, en partageant les esprits, avec passion, en partisans et adversaires de la bulle* Unigenitus qui, depuis 1713, condamne le jansnisme. EN PLEINE GUERRE DE TRENTE ANSIl est vrai que, depuis son enfance, Louis XIV est confront au problme jansniste. Les premi-res tensions entre le pouvoir royal et ce mouvement religieuxsontmmeantrieureslapublication enaot1640LouvaindelAugustinus,letrait thologique de lvque dYpres Cornelius Jansen, dit Jansnius, qui, se proposant dexposer la doc-trine de saint Augustin, fait gure de manifeste. Et, du reste, cest en 1641 le futur roi est alors g de 3 ans que le terme pjoratif de jansnistes*apparatsousla plumedeleursdtracteurs.Les jansnistesseconsidrent,eux, commedevraiscatholiques et des amis de la vrit . Nous sommes alors en pleine guerredeTrenteAns(1618-1648),quiopposelespuissan-cesprotestanteslaSude,le Danemark, nombre de principauts allemandes aux Habsbourg catholiques. En France, un conit politique divise les partisans (comme Richelieu) et les adversaires (le parti dvot) dune guerre contre la trs catholique Espagne. Jansnius, vque aux Pays-Basespagnols,estaussilauteurdeMars Gallicus,unviolentpamphletcontrelesroisde France, paru en 1635, lanne mme o Louis XIII dcideduneinterventionmilitairecontrelEspa-gne.Lessouverainsysontaccussdtre,depuis lesMrovingiens,descriminels,deshrtiques, allis des musulmans et des protestants, ennemis de la chrtient.JeanDuVergierdeHauranne,abbdeSaint-Cyran, est, lui aussi, un farouche opposant la po-litiquebelliqueusedelaFranceetsonalliance avec les puissances protestantes. Cest, galement, un ami intime de Jansnius : ils se sont rencontrs Louvain alors quils taient tudiants, et ont par-tag leur passion pour les Pres de lglise, notam-mentsaintAugustin.Saint-Cyranestencoreun prochedeRobertArnaulddAndilly,lefrrean delamreAngliqueArnauld,labbessedePort-RoyaldesChamps,danslavalledeChevreuse. Aussi, en 1635, cette dernire cone-t-elle Saint-Cyranladirectionspirituelledesacommunaut o labb difuse les ides de Jansnius.En 1637, Antoine Le Matre, le neveu dAngli-que Arnauld, un jeune avocat de 29 ans, dj cl-bre, conseiller dtat, protg du chancelier Sguier, dcide de se retirer du monde dabord Port-Royal deParis,aufaubourgSaint-Jacques,monastre fondparAngliqueen1625,puisdansunermi-tage, prs de labbaye des Champs alors dserte, pour se vouer entirement Dieu, dans le silence, la pnitence et la retraite. Il confre son geste un caractre public par une sorte de lettre-programme adresse Sguier, tout en lui renvoyant ses lettres deconseillerdtat:Jequitte,Monseigneur,non seulement ma profession, que vous mavez rendue trs avantageuse, mais aussi tout ce que je pouvais esprer ou dsirer dans le monde ; et je me retire dans une so-litude pour faire pnitence et pour servirDieulerestedemesjours, aprs avoir employ dix ans ser-vir les hommes. Lechancelierneluipardon-nerapasunabandonaussios-tentatoire,dautantquedesco-piesdecettelettrecirculentun peu partout dans les milieux par-lementairesetecclsiastiques. Bientt,sonfrre,Simon,ditM.deSricourt, vient rejoindre Antoine Le Matre, ainsi que quel-quesamis,commeClaudeLancelot.Puisunpr-tre:AntoineSinglin,quiSaint-Cyranconela crationduneentreprisedducationdestina-tion des enfants. Apartirde1638,ceuxquelonappelleles solitaires*dePort-Royalcommencentfaire parlerdeux:labbdeSaint-Cyrandevientleur conseillerspiritueletlesfortiedansleuraction, enprchantledpouillementdesoi,labandon Dieu, lamour sans condition. Mais cette anne-l, le 14 mai, il est arrt sur ordre de Richelieu dans lecadredunegrandeoprationmenecontre les dvots hostiles sa politique guerrire. Saint-Cyran est enferm au chteau de Vincennes, sans Sous Richelieu dj,ils sopposent la politique belliqueusede la France contre lEspagne catholiqueSAVOIRLE FONDATEURCornelius Jansen (1585-1638), Jansnius en latin, a donnson nom au jansnisme.Thologien nerlandais,il fait la connaissance de labbde Saint-Cyran avec lequelil tudie en France les Presde lglise. Professeur luniversit de Louvain, il estsacr vque dYpres en 1636.Il meurt de la peste en 1638.La parution posthume de son Augustinus (1640) dclenchela querelle jansniste.VERSAILLES ; RMN/DRjansniusRECHERCHE AMAZONESL H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 2 70Merveilleuseset monstrueuses, lesAmazones cristallisentbeaucoup defantasmescontem-porains.Pourtant, avantdeconstituerla garderapprocheou leharem?detyrans modernes,avantdins-pirerdescommunau-ts lesbiennes, avant de prendre la gure daris-tocratiquescavalires, lesAmazonessontune ction grecque antique. Elles apparaissent pour la premire fois dans la plusclbredespo-pespanhellniques, probablementdiffu-se partir duviiie si-cle av. J.-C.,lIliade. Hellanicosproposaitauve sicleav. J.-C.uneintressantetymologieaunomdes Amazones.Cesguerrirespiquesauraientt dsignesainsienraisondebrluredeleursein droit (a-mazos), une mutilation ralise ds le plus jeune ge. Lopration devait permettre de mieux tirerlarc,suggre,lammepoque,lauteur dutraithippocratiqueAirs,eaux,lieux.Enpro-posant une telle explication, le mdecin signiait peut-tre que les guerrires clbres par les po-tesetparlespeintresntaientaufond,etmal-grlensembledesreprsentationsconnuesles gurant avec leurs deux seins, pas de vraies fem-mes,ausensdespousesquilsfrquen-taient : leur ct droit ct rput mas-culin chez les Grecs tait celui de mles, ce qui saccordait avec leur rputation et leur vaillance. AAthneslaproductiondevases peintsauviesicleav.J.-C.etsurtoutle Parthnon de Pricls au ve clbrent leur dfaitemythiquedevantThse1.Selon ce rcit, les Amazones venues venger leur compagne Antiope enleve par lAthnien avaient envahi lAttique o elles auraient subi une cuisante dfaite avant de rentrer chez elles. Or, en 490 av. J.-C., Marathon, lesAthniensavaientunepremirefois repouss les Perses dbarqus en Attique, puis nouveau en 480 av. J.-C., lors de la bataille navale de Salamine. Les oraisons funbresduive sicleav.J.-C.quiinscri-vent lpisode mythique de la dfaite des Amazones devant les Athniens conduits par Thse dans la srie des hauts faits pa-triotiques dont peuvent se prvaloir les ci-toyens noncent ainsi la gloire commune de la cit contre les Perses tout en traant de stric-tesfrontiresdegenre:depuislinterventiondes Athniens,lesAmazonesnexistentpluspuisque leur dfaite les a rendues leur nature de femmes, destines rester la maison incapables de prten-dre lexploit hroque. Une femme combattante nepeut,dsormais,trequuneguremythique, relgue au merveilleux dun monde inaccessible et tenu pour naturellement impossible. Pourtant,contrairementcequonalong-tempspens,cetteinterprtationathnienneet idologique du mythe na jamais t hgmonique Les Amazones ont-ellesexist ?Si les Amazones sont bien une invention potique,leur mythe sest nourri dune ralit, celle de femmesqui, parfois, ont pris les armes. Par Violaine Sebillotte CuchetDcryptageEn menant des recherchessur la gure dArtmise dHalicarnasse(cf. LHistoire n 340),reine nigmatique dune cit grecque dAsie Mineure qui,en 480 av. J.-C., sopposa aux Grecs dEurope unis derrire Athnes, Violaine Sebillotte Cuchet sest penche sur la question du regard des Grecs sur les femmes, notamment guerrires. Elle a pu constater, travers le mythe des Amazones, que la difrence des genres dans le monde antique ntait pas aussi stricte quon la longtemps pens.AUTEURLAUTEURProfesseure des universits en histoire grecque luniversitParis-I-Panthon-Sorbonne, Violaine Sebillotte Cuchet sintresse particulirement la question du genre dans les mondes antiques. Elle dirige un programme de recherche surles Logiquesde genre dansles mondes grecet romain . L H I S T O I R E N 3 7 4 AV R I L 2 0 1 271dans le monde grec. Le discours sur les Amazones etsurladivisiondesgenresseconstruitenefet dans un contexte politique bien particulier celui de la lutte contre les Perses, dans les annes 490-480 av. J.-C., puis de la domination athnienne en ge, dans les annes 470-430 av. J.-C. et il nest pas sr quil ait t partag par lensemble des ci-ts grecques.PREMIRES APPARITIONS DANS LILIADELes Amazones apparaissent, on la dit, pour la premire fois dans lIliade trois reprises, mais les grands traits sont xs la n du Ier millnaire av. J.-C.Ellessontprsentescommeunpeuplemi-grant qui nit toujours par sinstaller sur les marges desterritoiresconnus,ausud,louestoulest delaMditerrane.DiodoredeSicile,auer si-cleav.J.-C.,lesinstalleenLibyealorsquelatra-dition ancienne les plaait plutt en Asie Mineure voireaunorddelamerNoireprsduneuve nomm Thermodon. Elles auraient t organises ensocit,cequiposelaquestiondeleurrepro-duction, diversement rsolue par les auteurs : in-vitant priodiquement leurs voisins partager leur lit,ellessecontentaient,selonDiodore(II,45), destropierleursenfantsmlespourlesloigner Note 1. Cf. Plutarque dans la Vie de Thse, XXVIII, citant le pome de la Thside qui aurait t compos Athnes la n du e sicle av. J.-C. Thse (au premier plan)soulevant Antiope (bas-relief du temple dApollon rtrie, VIe sicle av. J.-C.). Le thme du rapt de la reine des Amazones illustre lhrosme de lAthnien. Thseest aussi clbr pour avoir arrt lexpdition lance en reprsailles par les Amazones contre lAttique.CHALKIS, MUSE ARCHOLOGIQUE ; ERICH LESSING/MAGNUMElles sont prsentes comme un peuple migrant, qui nit toujours par sinstaller aux marges des territoires connus Vendredi 30 mars 9 h 05, dans lmission La Fabrique de lhistoire dEmmanuel Laurentin, retrouvez Violaine Sebillotte Cuchet pour la squence Latelier du chercheur et dcouvrez les dessous du travail de lhistorien. En partenariat avec LHistoire.