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3. 3 - La spéciation La notion d'espèce est d'autant plus importante en biologie qu'elle constitue l'unité taxinomique fondamentale évolutive la plus évidente pour tous. Son utilisation dans plusieurs domaines de la biologie en précise l'intérêt : - Les taxinomies et les systématiques reposent souvent sur la notion d'espèce. - Le raisonnement génétique est fondé sur la transmission d'allèles chez des individus d'une même espèce et rarement au niveau du genre ou de la famille. - L'étude de l'évolution se rapporte à celle de l'espèce. - L'écologie utilise abondamment la notion d'espèce : reconstitution de réseaux trophiques, prévisions des conséquences de pollutions, lutte biologique ou non contre des ravageurs... - La recherche médicale, en parasitologie par exemple, repose sur une définition très précise de l'espèce. C'est ainsi que la recherche d'un vaccin antimalaria a permis de reconnaître six espèces jumelles, chez le Moustique vecteur (Anopheles maculipennis). Elle a pu alors continuer à progresser en apportant de nouvelles informations épidémiologiques. Ce chapitre étudie la spéciation, c'est-à-dire les processus qui conduisent à l'apparition de nouvelles espèces. Mais, avant d'envisager les modèles et les mécanismes de la spéciation, il est nécessaire tout d'abord de préciser quels sont les critères utilisés pour définir l'espèce. 3.3.1 - Les critères spécifiques et leur discussion La notion d'espèce repose sur plusieurs critères : morphologique, biologique, écologique et cladiste, qui permettent de la cerner. Le concept morphologique À partir de leurs caractéristiques, les individus sont classés en catégories distinctes : la ressemblance morphologique semble un critère suffisant pour déterminer l'appartenance d'un organisme à une espèce. La description d'un premier spécimen (holotype), appuyée parfois par celle d'un deuxième (paratype), est inévitable pour définir une espèce. En paléontologie, ce concept est fondamental ; les fossiles ne livrent, en effet, que des informations morpho-anatomiques utilisées pour distinguer les espèces entre elles. L'étude de l'évolution des espèces comporte obligatoirement celle 197

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3. 3 - La spéciation

La notion d'espèce est d'autant plus importante en biologie qu'elle constitue

l'unité taxinomique fondamentale évolutive la plus évidente pour tous. Son utilisation

dans plusieurs domaines de la biologie en précise l'intérêt :

- Les taxinomies et les systématiques reposent souvent sur la notion d'espèce.

- Le raisonnement génétique est fondé sur la transmission d'allèles chez des

individus d'une même espèce et rarement au niveau du genre ou de la famille.

- L'étude de l'évolution se rapporte à celle de l'espèce.

- L'écologie utilise abondamment la notion d'espèce : reconstitution de réseaux

trophiques, prévisions des conséquences de pollutions, lutte biologique ou non

contre des ravageurs...

- La recherche médicale, en parasitologie par exemple, repose sur une définition

très précise de l'espèce. C'est ainsi que la recherche d'un vaccin antimalaria a

permis de reconnaître six espèces jumelles, chez le Moustique vecteur

(Anopheles maculipennis). Elle a pu alors continuer à progresser en apportant de

nouvelles informations épidémiologiques.

Ce chapitre étudie la spéciation, c'est-à-dire les processus qui conduisent à

l'apparition de nouvelles espèces. Mais, avant d'envisager les modèles et les

mécanismes de la spéciation, il est nécessaire tout d'abord de préciser quels sont les

critères utilisés pour définir l'espèce.

3.3.1 - Les critères spécifiques et leur discussion

La notion d'espèce repose sur plusieurs critères : morphologique, biologique,

écologique et cladiste, qui permettent de la cerner.

Le concept morphologique

À partir de leurs caractéristiques, les individus sont classés en catégories distinctes : la

ressemblance morphologique semble un critère suffisant pour déterminer

l'appartenance d'un organisme à une espèce. La description d'un premier spécimen

(holotype), appuyée parfois par celle d'un deuxième (paratype), est inévitable pour

définir une espèce. En paléontologie, ce concept est fondamental ; les fossiles ne

livrent, en effet, que des informations morpho-anatomiques utilisées pour distinguer les

espèces entre elles. L'étude de l'évolution des espèces comporte obligatoirement celle

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des fossiles ; leur morphologie est donc importante à double titre, pour déterminer les

espèces paléontologiques et pour reconstituer des phylogénies.

Ces deux buts sont atteints par des méthodes statistiques qui déterminent et

apprécient les domaines de variabilité : soit ils se recouvrent et les populations

appartiennent à la même espèce ; soit ils se chevauchent partiellement et les

populations constituent des espèces ou des sous-espèces distinctes. Ce concept si

facile à appréhender suscite quelques remarques.

La détermination des espèces fossiles et celle de leur phylogénie est sujette à

caution par manque de critères objectifs ; elle dépend beaucoup des caractères

utilisés, du choix et de la puissance de l'outil statistique employé, et enfin de

l'appréciation du chevauchement tolérable avant de déclarer des populations

conspécifiques, c’est-à-dire monospécifiques.

D'un emploi très pratique, le concept morphologique correspond à la notion

intuitive de l'espèce. Mais il doit être renforcé, si possible, par d'autres critères (voir ci-

dessous), car il manque parfois de fiabilité. Des groupes dissemblables appartiennent

parfois à une même espèce, c'est le cas des Perches arc-en-ciel américaines

(Sunfish), dont le polymorphisme est très accentué. À l'inverse, des groupes

morphologiquement semblables ne sont pas nécessairement de la même espèce ;

c'est le cas des espèces jumelles.

Par exemple, les Drosophiles d'Amérique Centrale et du Sud étaient regroupées dans

l'espèce Drosophila pseudoobscura. Mais des croisements entre souches d'origine

différente donne une première génération (F1) dont les mâles sont presque tous

stériles et les femelles très souvent fertiles. Les croisements entre des femelles F1 et

des mâles de type parental donnent des résultats divers : mortalité larvaire importante,

longévité et vigueur sexuelle des imagos très diminuées. Finalement, les naturalistes

ont réparti ces Drosophiles en deux groupes distincts, appelés « A » et « B », car ils

étaient incapables de les différencier morphologiquement. Dans les localités où les

deux espèces cohabitent, on ne rencontre aucun animal qui puisse être interprété

comme hybride.

Une étude minutieuse de ces deux types de Drosophiles révèle des différences

morphologiques, caryotypiques, biochimiques et éco-étho-physiologiques :

- la nature des systèmes enzymatiques,

- leur caryotype et leur génotype,

- des décalages chronologiques dans leur développement,

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- la périodicité de leur activité : « A » est plus actif l'après-midi, alors que « B » est

actif le matin,

- la forme de leurs organes copulateurs et de leurs ailes,

- leur parade nuptiale. Les fréquences des sons émis par les vibrations alaires des

mâles « A » et « B » sont différentes et elles stimulent préférentiellement les

femelles de leur espèce respective.

Le brassage génétique entre les deux catégories est impossible ; la divergence

génétique des Mouches « A » et « B » est déjà bien amorcée et elle ne peut que

s'accentuer irréversiblement. Les deux catégories de Drosophiles constituent alors

deux unités évolutives que l'on considère comme deux espèces distinctes :

D. pseudoobscura et D. persimilis.

Cet exemple montre que la notion d'espèce ne peut pas reposer entièrement sur

des ressemblances morphologiques ; dans tous les cas, on en vient à discuter de

croisements. Le concept biologique utilisé pour définir l'espèce semble aujourd'hui

indispensable.

Le concept d’espèce évolutive

En paléontologie, les chercheurs ont également besoin pour définir les espèces de la

notion du temps. C’est pourquoi, dans Principles of Animal Taxinomy (1961),

G. SIMPSON a défini son espèce évolutive comme étant « une lignée (…) évoluant

séparément des autres avec ses propres rôles et tendances évolutives. »

Selon Niels BONDE dans « L’espèce et la dimension du temps » (Biosystema 19,

Systématique et Paléontologie, 2001 29-62), les notions de « rôle » et de

« tendances », difficiles à cerner, deviennent de plus arbitraires et subjectives quand

on veut leur donner une dimension temporelle. Pour améliorer la définition, N. BONDE

propose de concilier le concept de G. SIMPSON avec le concept cladiste (voir infra) de

W. HENNIG en remplaçant « ses propres rôles » par « sa position phylogénétique » et

« tendances évolutives » par « tendance vers la cohérence ».

Le concept biologique reproductif

- Sa définition

Le concept biologique reproductif est déjà admis par d'anciens naturalistes, dont

John RAY Qui souligne, dans Historia plantarum (1686), l'importance des graines qui

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perpétuent les caractères distinctifs de l'espèce. Georges BUFFON (1707-1788), dans

son Histoire naturelle (1749), reconnaît que l'espèce est constituée d'individus

interféconds. Ce concept a été réactualisé, principalement, par Ernst MAYR (1904-

2005) : l'espèce est un ensemble de populations naturelles véritablement ou

potentiellement interfécondes, isolées d'autres groupes comparables avec lequel il ne

se reproduit pas. Pour E. MAYR et d'autres biologistes, l'évolution concerne non pas un

seul individu, mais des populations, et l'interfertilité est vraiment une des

caractéristiques fondamentales de l'espèce. La séparation des espèces est réalisée

lorsque l'isolement reproductif est total. La conception biologique de l'espèce fait

aujourd'hui presque l'unanimité, dans la mesure où elle inclut une propriété biologique

réelle : la reconnaissance spécifique des partenaires sexuels.

- Les barrières reproductives

L'isolement reproductif est assuré par des barrières biologiques qui s'opposent

aux mélanges entre espèces différentes. Les barrières prézygotiques, qui

interviennent en faveur d'un isolement reproductif, empêchent les croisements, et les

barrières postzygotiques, mises en place après la fécondation ou la formation du

zygote, empêchent la survie ou le développement ultérieur de l'embryon. On utilise

parfois les termes de barrières pré- et postcopulatoires.

Fig. 3.24

Les différences signalées au sujet des Drosophiles jumelles, excepté la stérilité

des hybrides mâles, constituent autant de barrières prézygotiques. Elles procurent aux

200

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espèces naissantes l'isolement reproductif qui leur est nécessaire pour se perpétuer. Il

peut s'y ajouter aussi une inappétence sexuelle entre mâle et femelle de deux sous-

populations, qui est la conséquence d'un système de communication différent. Les

stimulus sexuels n'ont alors plus la même signification. Les périodes de reproduction

sont parfois décalées dans le temps.

- Le flux génique

L'isolement reproductif permet le maintien de l'identité de l'espèce. Lors des

croisements, les gènes circulent constamment parmi les membres de l'espèce, de

génération en génération. Le flux génique, ainsi formé, réduit les différences locales et

il suffit à maintenir les caractères spécifiques autour d'un type moyen. D'après

E. MAYR, le flux génique est le principal facteur de cohésion spécifique et il assure

aussi la stabilité relative des frontières de l'espèce. À la suite d'une migration, seuls

quelques pionniers frontaliers peuvent acquérir de nouvelles caractéristiques.

- Les limites du concept

Julian HUXLEY (1887-1975) s'oppose à E. MAYR, car il considère que la définition

de l'espèce ne peut reposer sur le seul critère biologique ; il faut y inclure la taxonomie,

la statistique, la physiologie, l'écologie, l'éthologie et la génétique.

La mise en application du concept reproductif soulève des difficultés pratiques,

par exemple, lors de la découverte d'une nouvelle espèce ou de formes

géographiquement isolées, dites allopatriques. Les biologistes, les zoologistes peut-

être plus que les botanistes, savent bien que la preuve d'un isolement reproductif est

rarement apportée : la description de l’holotype est fondamentale pour définir une

nouvelle espèce. Le classificateur ne se livre presque jamais à des expériences de

croisements au laboratoire ni à des observations d'hybridisme sur le terrain. Des

formes proches sont considérées parfois conspécifiques, bien qu'elles forment des

populations isolées. J. GÉNERMONT remarque qu'il en est ainsi du Chamois alpin et de

l'Isard pyrénéen, réunis dans l'espèce Rupicapra rupicapra, alors que leur interfertilité

ne puisse être testée naturellement et ne l'ait peut-être pas été expérimentalement. Le

Gorille (Gorilla gorilla) présente la situation semblable ; l’espèce comprend deux

populations séparées, les Gorilles de montagne et les Gorilles de plaine, qui ne se

croisent pas, mais elles sont toujours réunies dans un même taxon.

Lorsque l'interfertilité est testée, les résultats bousculent les idées reçues. On a

cru jusqu'à la première moitié du XXe siècle que l'hybridation entre espèces voisines

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était rare ; cette conception a permis de définir précisément les espèces. Depuis les

années 1950, cette vision a changé à tel point que les espèces voisines incapables de

s'hybrider semblent être devenues des cas exceptionnels. G. COUSIN (1968) est étonné

du nombre d'hybrides fertiles présents chez les Grillons, dont il a étudié 31 espèces,

réparties en 3 genres. U. NAGEL (1973) fait part d'observations identiques chez des

populations de Babouins éthiopiens (Papio anubis et P. hamadryas). Ian BOCK (1984),

à l'issue d'une étude systématique des croisements chez les Drosophiles, conclut que

l'isolement sexuel est graduel et que l'hybridation donnant une descendance fertile est

un phénomène commun.

Deux points importants sont à noter au sujet de l'hybridation :

1) Lorsque les études sont expérimentales, on obtient facilement des hybrides entre

des formes qui ne se croisent jamais naturellement ; les conclusions sont donc

faussées.

2) Lorsque les hybrides sont naturels, ils ont rarement un avenir évolutif ; les

exemples de deux espèces de Chênes (Quercus macrocarpa et Q. bicolor) et de deux

sous-espèces de Corneilles (Corneilles noires et mantelées), évoqués ci-dessous,

montrent que les espèces parentales restent toujours bien distinctes, malgré la

présence d'hybrides fertiles dont l'aire de répartition demeure limitée.

Le concept biologique est inapplicable en paléontologie, mais il l'est également à

tous les organismes dont la reproduction est uniparentale : reproduction asexuée et

parthénogenèse. Le concept reproductif est loin d’être universel : plus de la moitié de

l’histoire de la vie sur Terre est due à des organismes asexués ou uniparentaux. Des

populations naturelles sont parfois des clones parthénogénétiques, issus de formes

bisexuées ; la Blatte indo-malaise, Pycnoscelus indicus, aurait donné naissance à des

formes parthénogénétiques, P. surinamensis, courantes dans toutes les régions

tropicales, parmi lesquelles une dizaine de clones ont été reconnues. Les Rotifères

Bdelloïdes, qui n'ont pas de formes bisexuées connues, semblent être capables de se

reproduire indéfiniment par parthénogenèse. Chez les espèces à reproduction

asexuée (Bactérie, Amibe, Euglène...), chaque individu devrait être considéré comme

une espèce, selon le critère d'interfécondité. Bien entendu, il n'en est rien, mais ce cas

particulier oblige à rechercher des critères spécifiques supplémentaires, biochimique et

moléculaire ou, par exemple, écologique pour mieux cerner l'espèce.

Le concept reproductif exclut les organismes qui ne participent pas directement

à cette reproduction, mais qui interviennent néanmoins dans la cohérence de l’espèce.

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C’est le cas des larves, des formes juvéniles et des formes stériles spécialisées

comme les ouvrières chez les abeilles et les fourmis ou les soldats chez les termites.

Ce concept reproductif ne prend pas en compte la dimension chronologique qui

semble pourtant inévitable et essentielle puisque toutes les espèces sont

caractérisées par leur apparition et leur disparition.

Il est difficile de saisir pourquoi les adaptations à des milieux différents de deux

populations entraînent l'acquisition d'un isolement reproductif. Pour des biologistes,

l'isolement reproductif, qui peut survenir à la suite de mutations, est un phénomène

indépendant et secondaire ; les points fondamentaux pour définir l'espèce sont

l'isolement géographique et l'adaptation à une nouvelle niche écologique.

Le concept écologique

On considère parfois que l'évolution des espèces est principalement déterminée

par les facteurs du milieu qui exercent une forte pression sélective ; que l'isolement

reproductif apparaisse ou non par la suite, il n'est qu'une conséquence secondaire de

la différenciation écologique. C'est pourquoi, en application de ce principe,

Leigh VAN VALEN reconnaît, en Amérique du Nord, deux espèces distinctes de Chênes

(Quercus macrocarpa et Q. bicolor), alors que les deux formes s'hybrident très bien.

Mais si les hybrides sont fertiles, les deux Chênes n'en conservent pas moins leur

individualité et leur caractères spécifiques. On trouve, en France, une situation

comparable avec le Chêne pédonculé (Q. robur) et le Chêne sessile (Q. petraea), qui

occupent des niches écologiques différentes : zone humide et fond de vallée pour le

premier, zone sèche et coteaux pour le second, mais qui s'hybrident sans difficultés,

tout en gardant leur spécificité. Alan TEMPLETON souligne que ce concept a l'avantage

d'être applicable à toutes les formes uniparentales.

Or, malgré son rejet, le concept reproductif réapparaît à propos des hybrides et

du maintien des traits spécifiques ; aussi le concept écologique n'est-il pas, pour

certains biologistes, suffisant par lui-même.

Le concept cladiste

Les cladistes ont pour but principal de retracer plus que des généalogies, des

phylogénies. Quelques-uns d'entre eux reconnaissent seulement l'espèce internodale.

Willi HENNIG « admet qu'une espèce donnée prend naissance à la date précise à laquelle une

subdivision « permanente » survient dans un réseau généalogique et qu'elle cesse d'exister dès

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lors qu'une nouvelle subdivision permanente la transforme en deux espèces-soeurs »

(J. GÉNERMONT, « L'évolution de la notion d'espèce, de Cuénot à nos jours », Bulletin

Zoologique de France, février 1996,120, p. 379-395). Les espèces sont donc

encadrées par les nœuds des arbres phylogénétiques ; cependant, le concept

biologique reste admis. Afin de demeurer cohérents avec la notion d’espèce

internodale, d'autres cladistes, dont Joel CRACRAFT rejettent le concept biologique. Les

deux positions cladistes donnent parfois des résultats paradoxaux. Par exemple, chez

des Oiseaux australiens du genre Cinclosoma, les cladistes reconnaissent 6 espèces

distinctes (fig. 3.25) ; cependant plusieurs de ces espèces s'hybrident ; il y a donc

incompatibilité, au moins dans ce cas, entre la conception cladiste et la conception

biologique de l'espèce.

Fig. 3.25

Cette conception originale suscite quelques réticences chez des cladistes eux-

mêmes qui reconnaissent le bien-fondé du concept biologique. Dans le cas du

Cinclosoma, il n'y aurait plus 6 espèces, mais 4 ; le cladogramme présenté devient

sans valeur, puisque le groupe des Cinclosomes est alors paraphylétique. Les entités

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C. marginatum et C. castanotum, de même que C. castaneothorax et

C. cinnamomeum peuvent être considérées à la fois comme des espèces distinctes,

mais conspécifiques lorsqu'elles s'hybrident. Cet exemple souligne l'insuffisance de la

définition cladiste de l'espèce.

En conclusion, il apparaît impossible de donner une définition simple de l'espèce,

situation paradoxale alors que ce taxon est immédiatement accessible à la plupart des

non-spécialistes. Mais, après avoir approfondi la notion d'espèce, on arrive à une

deuxième situation paradoxale qui aboutit à la mise en question de son existence

objective parce qu’aucune définition ne semble saisir toutes les caractéristiques :

l'espèce est peut-être un concept créé de toutes pièces par l’Homme qui cherche à le

plaquer sur des entités naturelles. C'est pourquoi certains biologistes remplacent la

notion d'espèce par celle d'unité évolutive. Néanmoins, on ne peut nier l'existence de

populations différentes et on est à même d'établir quelques modèles expliquant leurs

origines. Les modèles de spéciation ne sont pas exclusifs et leur diversité rend compte

de la complexité du phénomène.

3.3.2 - Les modèles de spéciation

Les modèles de spéciation sont assez nombreux ; pour montrer leur variété,

quelques-uns d'entre eux seront abordés. L'ordre de présentation n'est pas en rapport

avec leur importance évolutive, qu'il est difficile d'apprécier.

La spéciation par anagenèse et cladogenèse

Anagenèse et cladogenèse sont deux termes popularisés en 1947 par

Bernhardt RENSCH. Le premier se rapporte à l'évolution graduelle d'une espèce qui se

transforme progressivement pour donner naissance à une nouvelle espèce, sans qu'il

y ait ramification ; on parle également d'une évolution phylétique (fig. 3.26). Le second

concerne la séparation d'une lignée évolutive en deux rameaux sous l'effet d'une

cause quelconque : glaciation, orogenèse, ouverture d'un isthme, cours d'eau....

Chacun des deux rameaux ainsi isolés va évoluer irréversiblement pour son propre

compte et donner peut-être une nouvelle espèce (fig. 3.27). Lorsque l'espèce souche

disparaît, elle donne naissance à deux espèces filles.

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Fig. 3.26 et 3.27

La transformation des deux sous-populations s'effectue ensuite, comme

précédemment, par anagenèse et cladogenèse ; les deux phénomènes sont

inséparables. Ce modèle, étudié tout d'abord par E. MAYR sous l'appellation :

spéciation géographique ou allopatrique, sera détaillé ; il fait appel à un raisonnement

typiquement darwinien : transformation graduelle d'une espèce par accumulation de

petites mutations.

- La spéciation allopatrique

E. MAYR définit ainsi cette spéciation : une nouvelle espèce naît quand l'isolement

géographique d'une population favorise l'apparition de caractères, qui stimulent et

garantissent l'isolement reproductif, si jamais les barrières géographiques venaient à

s'effondrer.

L'isolement géographique est l'événement précurseur de cette spéciation. Des

changements climatiques, tels que les glaciations du Quaternaire, bousculent

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l'écologie d'un pays, et l'apparition d'un obstacle : émersion de terres, surrection de

montagnes, déplacement de masses continentales, formation de glaciers..., divise

parfois l'aire de répartition d'une espèce. Son morcellement engendre des « îles

écologiques », c'est-à-dire des biotopes différents les uns des autres, dans lesquels

peuvent ensuite s'individualiser de nouvelles espèces. Cette situation favorise la

spéciation : une « île » appelée « A » est entourée par des « îles » dont les

caractéristiques différentes constituent autant de barrières qui limitent la dispersion

d'une espèce peuplant « A ». On constate que le critère géographique se complète

naturellement par le concept écologique : une espèce est définie également par la

niche exploitée. Dans de nombreux cas, l'isolement géographique est la conséquence

d'une adaptation des individus aux variations de leur environnement.

L'aire de répartition d'une espèce se subdivise en :

- une zone centrale où la population souche, de forte densité est très

polymorphique ;

- une zone périphérique dans laquelle une ou plusieurs populations, de densité plus

faible, deviennent progressivement monomorphiques. Chacune des populations

périphériques acquiert des caractères distincts qui peuvent aboutir à l'isolement

reproductif selon deux types de mécanismes qui sont liés : la divergence génétique et

la mise en place de barrières biologiques.

- Les arguments favorables à l'anagenèse et à la cladogenèse

Les séries fossiles continues

On peut suivre, dans certaines séries sédimentaires, l'évolution progressive

d'espèces, si les documentations stratigraphiques et géographiques sont

satisfaisantes et si les échantillons fossiles sont suffisamment nombreux pour

mesurer, avec le maximum de précision, des variations morphologiques ; mais

l'interprétation des séries fossiles qui illustrent ce type de spéciation doit être très

prudente. Ainsi, des Lépidolines asiatiques de l'espèce Lepidolina multiseptata,

Foraminifères du Permien moyen et supérieur, semble constituer un bon exemple de

lignée anagénétique (fig. 3.28). Elles présentent un accroissement progressif de leur

première loge.

207

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Fig. 3.28

Mais la corrélation de ce caractère avec la teneur des eaux en carbonate de

calcium laisse penser qu'il s'agit peut-être d'une variation écophénotypique réversible,

liée au milieu plutôt qu'une véritable anagenèse. Pour affirmer une spéciation par

anagenèse, dans le cas présent, des arguments supplémentaires doivent être

apportés.

La séparation d'une espèce en deux groupes

Elle apporte une preuve indirecte de l'évolution par anagenèse et cladogenèse.

Si les deux groupes ont été isolés, on devrait observer dans chacun d'eux

l'établissement d'une divergence progressive et anagénétique de plusieurs caractères.

208

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David JORDAN (1908) a recensé, de part et d'autre de l'Amérique centrale, les espèces

marines qui, tout en présentant aujourd'hui des caractères spécifiques, possèdent

néanmoins de nombreux caractères communs. C'est ainsi qu'il a montré que chaque

espèce atlantique a son équivalent pacifique ; ces espèces dites géminées sont donc

probablement issues d'une même souche qui existait avant la surrection de l'isthme de

Panama au Pléistocène. Un autre exemple classique est fourni par les Corneilles

noires et mantelées européennes.

Les deux sous-espèces géographiques : Corneilles noires (Corvus corone

corone) et mantelées (C. corone cornix) sont interfertiles ; la moindre fertilité des

hybrides constituerait une barrière postzygotique. C'est sans doute pourquoi le

territoire des hybrides reste limité à un étroit cordon de 75 à 150 km de large

(fig. 3.29).

Fig. 3.29

209

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On suppose que le territoire de l'espèce ancestrale a été morcelé par une

glaciation quaternaire qui a isolé deux sous-populations. Elles ont commencé à

diverger ; des caractères éthologiques et morphologiques distinctifs apparaissent,

constituant des barrières prézygotiques. Mais les glaciations du Pléistocène se sont

terminées avant que les divergences spécifiques soient devenues assez importantes

pour empêcher les croisements, qui demeurent encore fertiles.

La banalité de l'hybridisme

C'est une autre observation qui fournit également un argument indirect. Si

l'anagenèse et la cladogenèse sont des réalités, alors l'évolution des espèces doit être

suffisamment progressive pour que des hybridations soient possibles entre des

populations en voie de séparation. L'hybridisme permet de voir que la spéciation est

un phénomène certainement continu et très lent, bien que sa vitesse ne soit pas

constante. En outre, on constate en général que la séparation sexuelle est souvent

plus lente que l'acquisition de caractères morphologiques spécifiques entre

populations isolées, sans doute plusieurs Ma ; c'est pourquoi l'hybridation entre deux

populations morphologiques distinctes est parfois possible. Les espèces jumelles font

exception à la règle : la différenciation morphologique suit au contraire l'isolement

sexuel ; on a reconnu chez la Paramécie, Paramecium aurelia, 14 espèces jumelles.

L'observation d'hybrides stériles entre deux populations permet généralement de

conclure à l'existence de deux espèces ; cependant, dans l'interprétation de certains

cas, la prudence est de règle. Chez une Piéride, par exemple, on distingue deux

formes voisines de Papillons : la première blanche à taches brunes (Pieris napi) est

répandue dans les plaines, depuis le cercle polaire jusqu'à l'Afrique du nord, et la

seconde jaunâtre à taches brunes (Pieris bryoniae) est une population de montagne

(Alpes, Caucase et Carpathes). Dans les Alpes, on ne trouve des hybrides qu'aux

environs de Vienne (Autriche) et dans les Alpes-Maritimes (France) ; en revanche, en

Savoie (France), il n'y a pas d'hybrides. Ainsi, en certains endroits, ces deux formes se

comportent comme des espèces distinctes, mais à Vienne et dans les Alpes-

Maritimes, comme des individus conspécifiques. En réalité, le croisement des deux

formes est fréquent ; les Chenilles hybrides qui en sont issues donnent naissance à

des imagos (adultes) fertiles, si les moyennes des températures et des degrés

hygrométriques correspondent à celles des alentours de Vienne et des Alpes-

Maritimes. Ils sont stériles dans les autres cas. Les préférences climatiques

210

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n'empêchent pas les croisements, mais la stérilité des hybrides montre qu'il s'agit

plutôt de deux espèces, dont la différenciation est en cours d'achèvement.

L'intergradation

Elle résulte de transformations morphologiques héréditaires, qui apparaissent

progressivement le long d'un cline, variation graduelle, continue et orientée d'un

caractère dans l'aire de répartition d'une espèce, de telle sorte que l'on passe d'une

sous-espèce à une autre sans aucune discontinuité. Elle se rapporte soit à des

variations anagénétiques, soit à des variations dues à l'hybridisme que les spécialistes

savent distinguer des premières ; seules les variations anagénétiques sont à retenir ici.

Un exemple d'intergradation est fourni par les Pouillots asiatiques, de l'espèce

Phylloscopus trochiloides, étudiés par Claude TICEHURST (1938), puis par E. MAYR

(1942). Leur différenciation s'effectue autour de l'Himalya pour donner cinq sous-

espèces, reconnaissables par des caractères morphologiques (fig. 3.30).

Cet exemple d’intergradation constitue un « chevauchement circulaire ». Défini par

B. RENSCH en 1929, ce terme désigne des chaînes de sous-espèces qui sont

interfécondes deux à deux sauf aux deux extrémités, malgré un chevauchement de

leur aire de répartition ; la sous-espèce P. t. viridanus, ne se croise plus avec la

dernière sous-espèce différenciée, P. t. plumbeitarsus.

211

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Fig. 3.30

212

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La prévision des formes anagénétiques dans les séries fossiles

Certains chercheurs, convaincus de la réalité de l'anagenèse ont prévu, avec

succès dans quelques cas, les caractéristiques de fossiles dans des séries

sédimentaires discontinues. Roland BRINKMANN (1929) a remarqué, dans l'Oxfordien

anglais, une discontinuité dans la série fossile d'une Ammonite, du genre Kosmoceras,

avec passage brusque à une espèce différente. Ce fait est étonnant, car les

Kosmoceras antérieurs à cette discontinuité avaient une évolution régulière

anagénétique. R. BRINKMANN a observé que les caractères de la nouvelle espèce

correspondaient à ceux qui seraient apparus plus tard, si la lignée anagénétique s'était

poursuivie normalement. Il en a donc conclu la présence d'une lacune de

sédimentation plutôt qu'une évolution saltatoire, événement improbable qui aurait

ensuite poursuivi l'anagenèse. Sur le graphique établi par R. BRINKMANN (fig. 3.31), on

peut estimer l'épaisseur de cette lacune de sédimentation et, par conséquent, sa

durée, en décalant le segment situé à droite, pour obtenir une continuité parfaite avec

le premier segment de gauche.

Mais G. SIMPSON refuse de considérer qu'il s'agit d'une même espèce ;

J. GÉNERMONT résume ainsi la pensée de ce dernier : « Il faut prendre comme un fait

objectif une discontinuité dans une série chronologique, d'où la possibilité de

considérer comme appartenant à des espèces différentes la forme qui précède une

discontinuité et celle qui la suit, même si on a de bonnes raisons de penser que la

lignée a subi une variation continue durant la période correspondant à la lacune » (J.

GÉNERMONT, « L'évolution de la notion d'espèce, de Cuénot à nos jours », Bulletin

Zoologique de France, février. 1996, 120, p. 379-395).

213

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Fig. 3.31

214

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La spéciation par révolution génétique

Dans les années 1930, S. WRIGHT recherche les conséquences sur la spéciation

de la colonisation d'un nouveau milieu par une sous-population d'effectif très réduit. Il

supposait que cette situation était favorable à une accélération de l'évolution des

espèces.

Puis, vers 1940, E. MAYR remarque que, parmi les Oiseaux qu'il étudiait, les

populations périphériques d'effectif limité présentaient souvent des caractères

phénotypiques particuliers, non représentatifs de l'ensemble de la population originelle.

Pensant que ces isolats périphériques étaient aptes à subir une spéciation, il postule,

en 1954, l'existence d'une révolution génétique, capable de provoquer une spéciation

brutale chez des populations colonisatrices d'effectif réduit :

1) Les fondateurs d'effectif limité ne constituent pas un échantillon représentatif de

la population d'origine ; ils possèdent d'emblée des caractères particuliers (effet de

fondation de premier ordre de J. GÉNERMONT et M. LAMOTTE).

2) L'environnement génétique des allèles est modifié ; il y a rupture des interactions

géniques, c'est-à-dire des relations épistatiques et de dominance, qui évoluent vers un

nouvel équilibre : « Cette restructuration du patrimoine héréditaire constitue ce qu'on peut

appeler un effet de fondation de second ordre, qualifié par Mayr de révolution

génétique » (J. GÉNERMONT et M. LAMOTTE, « Place et rôle de l'adaptation dans l'évolution

des organismes », Bolletino Zoologico (Italie), 1986, 53, p. 215-237).

3) Il s'ensuit des modifications génétiques rapides ; certains allèles rares deviennent

plus fréquents, alors que d'autres deviennent rares. Ces allèles plus fréquents, soumis

à la sélection naturelle, favorisent la fixation de nouveaux génotypes dans la jeune

population. Cette révolution génétique est à l’origine d’un cas particulier d'une

spéciation géographique rapide, correspondant à la spéciation péripatrique définie par

E. MAYR ; les radiations adaptatives favorisent les révolutions génétiques. Si l'effectif

des populations reste faible, les effets de la dérive génique fortuite s'ajoutent à ceux

de la révolution. Alan TEMPLETON et Hampton CARSON ont tenté de mettre en évidence la

spéciation par révolution génétique chez des populations de Drosophiles des îles

Hawaï, qui diffèrent seulement par une dizaine de gènes. Ils n'ont pu conclure à une

spéciation par révolution génétique, car l'hypothèse d'une spéciation géographique est

tout aussi probable. Dans ce dernier cas, la différence génétique, au lieu d'être à

l'origine de la spéciation, en est une conséquence.

215

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H. CARSON (1975) a utilisé le concept de révolution génétique de E. MAYR pour

élaborer son propre modèle, dont le scénario rappelle beaucoup le précédent. À la

suite d'une catastrophe écologique, une population d'effectif important est brutalement

réduite. Les survivants, peu nombreux, subissent une révolution génétique qui

s'accompagne de brutales augmentations d'effectif de la population : les flushes,

suivies de leur effondrement successif : les crashes (fig. 3.32), puis la population

pionnière se stabilise. Ce modèle est parfois qualifié de spéciation par flush and crash.

Fig. 3.32

Le modèle de H. CARSON, comme celui de E. MAYR, repose plus sur de solides

arguments que sur des preuves, bien que des expériences aient été tentées dans des

démomètres, c’est-à-dire des cages à populations. On peut citer celles de Theodosius

DOBZHANSKY et Olga PAVLOVSKY (1957), et celles de J. POWELL (1978-1989).

À partir d’une population originelle de Drosophiles, T. DOBZHANSKY et O. PAVLOVSKY

ont constitué deux séries de populations expérimentales : l’une témoin comprenant

4 000 Mouches et l’autre en situation de « crash » en comprenant 20. Dans toutes les

cages, la pression de sélection issue du milieu est exactement identique. Au début de

216

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l’expérience, une caractéristique du chromosome 3 - qui se transmet comme un allèle

- possède une fréquence de 0,5 ; chaque Mouche fondatrice est hétérozygote pour

cette particularité chromosomique. Au bout de quelques mois, les fréquences des

séries témoins demeurent très proches alors que celles des séries en situation de

« crash » sont très différentes. Comme les conditions du milieu sont identiques dans

les séries, les variations de fréquence sont dues à des phénomènes génétiques : à

l’effet de fondation se sont ajoutés les effets d’une révolution génétique. Si une

révolution génétique a bien eu lieu, rien n’indique qu’elle soit suffisante pour réaliser

une spéciation.

J. POWELL prélève, dans une population de Drosophiles, une femelle et un mâle,

situation de crash. Ces deux mouches fondent ensuite une descendance, qui compte

plusieurs dizaines de milliers d'individus, situation de flush. Au bout de nombreuses

générations, les Mouches de l'élevage expérimental sont confrontées à celles de

l'expérience témoin : les femelles de la population témoin refusent très souvent

l'accouplement avec les mâles de la population expérimentale ; une barrière

précopulatoire est en train de s'établir. L’isolement reproductif, encore partiel, qui est

une des conditions fondamentales de la spéciation allopatrique, est sans doute dû à

une révolution génétique.

L’existence des modèles de E. MAYR et de H. CARSON semble confirmée ; mais les

résultats obtenus en démomètre incitent à la réserve, car ils sont rarement observés

dans des conditions naturelles. Ce type de spéciation doit être favorisé lorsque les

territoires sont relativement isolés des influences extérieures, et les îles océaniques

constituent de tels milieux. Les particularités de la flore et de la faune d'archipels,

comme celui d'Hawaï et celui des Galapagos, s'interprètent facilement à partir de

révolutions génétiques : les nombreuses populations, souvent morphologiquement

différenciées, sont certainement issues de quelques pionniers continentaux

(Drosophiles pour le premier, Pinsons pour le second, par exemple), qui en occupant

de nouveaux territoires ont déterminé alors de nouvelles niches écologiques. Chacune

de ces populations a dû retrouver un nouvel équilibre épistatique, exprimer des

particularités demeurées discrètes, se multiplier et donner des populations originales.

Mais la prudence s'impose : la révolution génétique n'est pas le seul modèle en

cause ; les divergences adaptatives peuvent être accentuées par un renforcement

sympatrique : les populations locales ont tendance à se croiser plus facilement entre

elles qu'avec les populations voisines.

Ces révolutions ne s'accompagnent pas toujours de variations morphologiques ;

par conséquent, la paléontologie ne peut ni infirmer, ni confirmer ces modèles.

217

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Les objections aux spéciations par révolutions génétiques sont de nature

diverse :

- Bien que ces modèles soient reconnus par de nombreux naturalistes, ils

manquent cependant d'exemples probants.

- On observe bien, dans la nature, des exemples se rapportant au flush ; c'est le

cas des Lapins introduits en Australie, du Phylloxéra apparu en France au XIXe siècle.

Les colonies d'Escargots, Cepaea nemoralis, étudiées par M. LAMOTTE (1951) ne

présentent pas de divergences éloignées du cadre spécifique, alors que chacune de

ces colonies a dû connaître, au début de son existence, une période favorable à une

révolution génétique. Les périodes de crash sont encore inconnues et, à plus forte

raison, les révolutions génétiques.

- La dérive génique fortuite agit sur les petites populations en les stabilisant autour

d'un type donné ; elle est conservatrice.

- Un isolat possède une uniformité génétique et une consanguinité élevée qui lui

donnent plus de chance de disparaître que d'être à l'origine d'une nouvelle espèce.

Ainsi, pour ces deux raisons, certains spécialistes considèrent que les Guépards,

malgré une population actuelle évaluée à 20 000 individus, sont une espèce en voie de

disparition.

- L'évolution d'une espèce dépend du nombre de mutations qui affectent ses gènes.

Dans le cas d'une population à grand effectif, les mutations par génération sont

beaucoup plus nombreuses que chez les isolats périphériques ; il faudrait donc

rechercher les nouveautés génétiques, plutôt dans les populations mères que dans les

populations à petit effectif.

- Les populations marginales d'effectif réduit ont peu de chance de fournir de

nombreux fossiles ; les modèles de spéciation par révolution génétique manquent

presque toujours d'arguments paléontologiques qui demeurent essentiels.

La spéciation sympatrique

Elle se déroule sans qu'il y ait changement de territoire et d'isolement

géographique préalable. Deux modalités, au moins, sont possibles : la polyploïdie, qui

aboutit à une multiplication du nombre des chromosomes et la sélection diversifiante,

qui favorise certains allèles. Si la première n'est pas critiquée, la seconde l'est. Mais il

semble aujourd'hui que les études faites sur les Mouches parasites apparentées à

l'espèce Rhagoletis pomonella, donnent aux tenants de la spéciation sympatrique de

solides arguments ; aussi cet exemple sera-t-il détaillé.

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- La spéciation sympatrique instantanée par polyploïdie

La polyploïdie apparaît, par exemple, à la suite d'un choc thermique, en dehors

de toute pression sélective ; ce n'est pas une réponse adaptative qui favoriserait

l'apparition de variants et qui aboutirait à leur isolement reproductif. La formation

instantanée d'espèces par polyploïdie est très abondante chez les Angiospermes, qui

comptent au moins 60 à 70 % d'espèces polyploïdes. On constate souvent que le

croisement entre deux espèces végétales ou animales donnent naissance à des

hybrides stériles ; leur stérilité est levée par un doublement de leur caryotype : c'est

l'allopolyploïdie. Ce phénomène est bien connu chez l'hybride Chou-Navet, Raphanus

brassica, ou bien chez le Tabac, Nicotiana. L'hybride (2n = 36), issu du croisement de

N. tabacum (2n = 48) et de N. glutinosa (2n = 24), est stérile. Sa fertilité est établie par

doublement de son caryotype ; la nouvelle espèce, N. digluta (2n = 72) est stable.

La polyploïdie est beaucoup plus rare chez les Animaux. (voir la section 3.1.2 :

« Les mutations géantes, la polyploïdie »).

Les polyploïdes ne seraient pas éliminés parce qu’ils présentent une meilleure

adaptabilité à des conditions non optimales ; on a observé une relation entre la

répartition géographique et le degré de polyploïdie du Gastéropode Bulinus : la forme

à 2n est répandue dans les pays tropicaux et équatoriaux, la forme à 4n dans les

régions tempérées et les formes à 6n et 8n en haute altitude. Généralement, deux

arguments laissent penser que les polyploïdes, au moins chez les végétaux, ont un

avenir évolutif très limité :

1) Les caryotypes de base du niveau générique sont toujours diploïdes (2n), jamais

polyploïdes (4n, 8n...).

2) Les plantes qui possèdent le plus grand nombre de caractères nouveaux

apomorphes (caractères dérivés) sont les plantes diploïdes à 2n, alors que les plantes

polyploïdes regroupent le plus grand nombre de caractères ancestraux plésiomorphes.

219

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Fig. 3.33

220

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- La spéciation sympatrique par sélection diversifiante

L'aire peut être très vaste et présenter des milieux hétérogènes qui offrent aux

individus plusieurs biotopes.

Cas des Chrysopes

Des Insectes du genre Chrysopa, C. carnea et C. downesi, semblaient constituer

un exemple de spéciation sympatrique. C. et M. TAUBER ont étudié ces deux taxons qui

se comportent naturellement comme deux espèces distinctes. En laboratoire, le

contrôle de différents paramètres (température, humidité, photopériode...) favorise des

accouplements « hors saisons » qui engendrent des descendants fertiles. Par la suite,

les chercheurs ont découvert que l'isolement reproductif de ces deux espèces dépend

de deux gènes P1 et P2 qui déterminent l'époque de la reproduction en établissant un

réflexe photopériodique. Le mécanisme de spéciation, à l’œuvre dans cet exemple, est

celui d'une spéciation sympatrique allochronique : la période de reproduction n'est plus

identique pour les deux espèces. Mais une pression du milieu, dont les conditions sont

différentes pour les deux espèces, s'ajoute à l'allochronie.

Cette conclusion n'est pas acceptée par tous les biologistes, d'une part parce

que la séparation entre les mécanismes de spéciation et ceux responsables de

l'isolement géographique n'est pas nette, d'autre part parce qu'un certain nombre

d'arguments le réfutent :

- Sans obstacle, la population n'atteindrait sans doute pas le seuil de spéciation, car

le brassage génique ininterrompu s'oppose à la divergence de deux sous-populations.

- Les mutations n'ont pas toujours une implication biologique ou physiologique ;

parfois neutres, elles ne peuvent donc participer à une spéciation. Mais la neutralité

des mutations ne peut être invoquée dans le cas présent.

Pour E. MAYR, ces cas de spéciation sympatrique illustrent plutôt une spéciation

allopatrique. Seul le cas des prédateurs spécifiques ou des parasites qui changent

d'hôte, comme les Mouches parasites du genre Rhagoletis, peut constituer une

spéciation sympatrique.

221

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Cas des Mouches parasites

Observation des populations

Les Mouches du genre Rhagoletis appartiennent à la classe des Diptères et à la

famille des Trypétidés ; leurs larves se nourrissent de fruits et les adultes de sucs émis

par la plante à la suite de blessure(s) ou de nectar... En été, les femelles nord-

américaines de l'espèce Rhagoletis pomonella pondent leurs œufs dans les Senelles,

fruits de l'Aubépine, Crataegus mollis, hôte naturel de cette Mouche, ou bien dans les

Pommes du Pommier Malus pumila. Un seul œuf est pondu dans chaque fruit car une

phéromone d'avertissement dissuade la ponte d'autres femelles dans le même fruit.

L'éclosion de l'œuf suit la ponte de 3 à 4 jours. Les larves commencent à dévorer le

fruit qui, à maturité, se détache de l'arbre et tombe. Elles s'enfoncent dans le sol où

elles réalisent leur mue nymphale pour passer l'hiver en diapause sous forme de pupe.

La mue imaginale (métamorphose) a lieu à l'été ; la durée de vie des imagos est de 3

à 6 semaines. L'apparition des adultes coïncide avec la période de maturité des fruits

de l'arbre hôte ; généralement, les Pommes sont plus précoces que les Senelles de 3

à 4 semaines. La plupart des Mouches adultes s'accoupleront et pondront près de

l'arbre hôte.

Quittant l'Aubépine, des Mouches indigènes, R. pomonella, ont commencé à

parasiter les Pommiers, après leur introduction en Amérique du Nord, il y a 150 ans.

Alors qu'en laboratoire, les Mouches du Pommier et celles de l'Aubépine se croisent

facilement en donnant une descendance fertile, dans la nature, les croisements entre

les deux types sont peu fréquents. Aucun caractère morphologique ou éthologique ne

les différencie ; pourtant les accouplements des individus de chaque race ne sont pas

aléatoires : une barrière précopulatoire semble s'établir et un isolement reproductif se

réaliser entre les deux populations.

Ces Mouches fournissent une occasion de savoir si la spécialisation à un nouvel

hôte, le Pommier, est de nature à donner naissance à deux populations en voie de

spéciation sans qu'il y ait eu, au préalable, d'isolement géographique. Les adaptations

des Mouches du Pommier sont peut-être suffisantes pour provoquer un isolement

reproductif partiel et une réduction du flux génique entre les deux populations.

L'initiateur des recherches sur Rhagoletis pomonella est Guy L. BUSH. Ses

travaux qui ont débuté dans les années 1960 ont été suivis par de nombreux autres.

222

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Les résultats partiels et les interprétations donnés ci-dessous sont tirés de plusieurs

études américaines, dont les références figurent dans la bibliographie.

Si les croisements entre les deux types de Mouches ne sont plus aléatoires, le

flux génique doit être suffisamment réduit pour provoquer l'apparition de différences

géniques. Les études ont porté sur des Mouches réparties dans treize localités de

l'Illinois et sur des Mouches du Michigan, à proximité des Grands Lacs. Dans le

Michigan, les études ont eu lieu de 1984 à 1986. Elles ont concerné principalement six

gènes occupant des locus différents et leurs allèles, responsables de la synthèse

d'enzymes : l'aconitase-2 (Acon-2), la maliquase (Me), la mannose-phosphate-

isomérase (Mpi), la NADH-diaphorase-2 (Dia-2), la bêta-hydroxy-acide-déhydrogénase

(Had) et l'aspartate-amino-transférase (Aat-2). Des résultats partiels caractéristiques

sont exposés dans la figure 3.34-A.

Les fréquences de Acon-2 et Me des Mouches du Pommier ou de l'Aubépine

sont bien différentes, quelle que soit l'année, mais à peu près constantes dans

chacune des deux populations. Les variations des fréquences de Acon-2 et Had sont

également bien marquées dans les populations de l'Illimois (fig. 3.34-B). Les disparités

génétiques s'observent également à l'issue de certains croisements. Dans l'Illimois, il

existe trois races de Mouches, celle du Pommier qui se métamorphose au milieu de

l'été, celle de l'Aubépine au début de l'automne et celle du Cornouiller, Cornus florida,

à la mi-automne, quand les fruits des hôtes respectifs arrivent à maturité. Les adultes

hybrides de la F1 apparaissent à des périodes intermédiaires entre celles des parents.

Origines des différences génétiques

Cinq hypothèses sont avancées :

1) un isolement précopulatoire et une allochronie,

2) la reconnaissance spécifique des fruits de l'hôte par les parasites,

3) la formation d'un isolat et une révolution génétique,

4) la survie différentielle des larves,

5) la sensibilité des mouches aux facteurs climatiques.

223

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Fig. 3.34

1ère hypothèse : Isolement précopulatoire et allochronie

Si, en laboratoire, les Mouches se croisent facilement pour donner des générations

successives fertiles, dans la nature, les deux populations se croisent rarement ; le flux

génique est réduit : il y a un isolement reproductif partiel. Les migrations des

Rhagoletis et les périodes de chevauchement d'éclosion des imagos semblent

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pourtant s'opposer à l'établissement de cet isolement. Seulement 6 % des mouches de

l'Aubépine migrent sur le Pommier, mais 26 % des Mouches du Pommier vont sur

l'Aubépine. Les migrations ne sont pas symétriques, mais elles restent dans

l'ensemble suffisamment élevées pour empêcher un isolement précopulatoire et

l'apparition de différences génétiques. Dans certains cas, les métamorphoses des

deux populations ont lieu, au moins, à 8-10 jours d'intervalle (fig. 3.35) ; puisque 80 %

des adultes du Pommier et de l'Aubépine coexistent pendant un certain temps, les

croisements sont possibles.

Fig. 3.35

Mais les adultes du Pommier atteignent la maturité sexuelle plus tôt que ceux de

l'Aubépine ; les accouplements entre les Mouches de deux types sont certainement

moins fréquents que prévu. Les migrations et le chevauchement des périodes

d'émergence des adultes ne sont donc peut-être pas suffisants pour empêcher

l'installation d'une barrière précopulatoire. La fidélité à l'hôte pourrait, alors, être due à

une allochronie (fig. 3.36), elle-même à l'origine des différences génétiques.

225

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Fig. 3.36

La fidélité à l'hôte est renforcée par le développement saisonnier des plantes

auquel celui des Mouches est lié : dans l'Illinois, par exemple, les Pommes arrivent à

maturité de la moitié à la fin de l'été et les Senelles seulement au début de l'automne.

226

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2e hypothèse : Reconnaissance spécifique des fruits de l'hôte par les parasites

Chez les Insectes parasites de ce type, des études ont montré que si

l'orientation des mouches est visuelle, la reconnaissance spécifique de l'hôte est

olfactive. La sensibilité olfactive antennaire de deux espèces de Mouches, Rhagoletis

pomonella du Pommier et R. mendax des Myrtilles du genre Vaccinium, a été

éprouvée. La capture des adultes et la ponte des Mouches du Pommier sont plus

fréquentes sur des arbres ou sur des fruits artificiels parfumés à la Pomme, que sur

des arbres ou sur des fruits dépourvus d'odeur ou parfumés à la Myrtille. Les

expériences avec R. mendax donnent des résultats symétriques. L'odeur de Pomme

ou de Myrtille est obtenue par un mélange de 9 esters principaux, qui ont été

successivement testés chez les deux espèces. Les tests s'effectuent en volatilisant

directement au contact des antennes chacun des esters ou le mélange total ; des

électrodes de dérivation, disposées sur le nerf antennaire, permettent de recueillir le

message nerveux consécutif. Les Mouches utilisées dans cette expérience n'ont eu

aucun contact préalable soit avec le Pommier, soit avec la Myrtille ; elles sont issues

d'élevage où les deux espèces ont été soumises aux mêmes conditions de

température et de photopériode, à la même nourriture. Les résultats sont nets et

significatifs : les Mouches possèdent une très grande différence de sensibilité à l'odeur

totale du fruit de leur hôte respectif (fig. 3.37).

Quatre esters donnent des réponses identiques chez les deux espèces ; pour les

cinq autres esters, les réponses dépendent de leur concentration. Il y a donc une

reconnaissance spécifique de l'odeur de l'hôte, bien que certains de ses composants

jouent un rôle minime chez les deux espèces. Cette reconnaissance ne peut être issue

d'un apprentissage pendant l'élevage ; elle est par conséquent d'origine génétique : les

mâles s'accouplent avec les femelles qui, attirées par la même odeur, fréquentent par

conséquent les mêmes hôtes. La barrière précopulatoire est ici de nature olfactive.

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Fig. 3.37

3e hypothèse : Formation d'un isolat et révolution génétique

La colonisation du Pommier par des Mouches pionnières aurait déclenché une

révolution qui se poursuit sans doute encore à l'heure actuelle. Cette révolution serait

à l'origine des différences génétiques observées par effet de fondation, renforcé

ensuite par la dérive génique fortuite. Mais, pour que les mutations neutres retenues

par la dérive génique restent concentrées chez les Rhagoletis du Pommier, il est

nécessaire que le flux génique entre les deux populations soit inexistant ou très réduit.

Comme ce n'est pas le cas, il est peu probable que les différences génétiques aient

pour origine une spéciation par révolution génétique.

4e hypothèse : Survie différentielle des larves

Les croisements des deux populations seraient aléatoires et la survie des larves

dépendrait à la fois de leur génotype et de leur environnement. Les larves du Pommier

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infestant les Senelles sont dans un milieu très défavorable à leur développement et

vice versa : seules celles dont le génotype est adéquat pourront se développer soit

dans les Pommes, soit dans les Senelles. Mais la reproduction croisée entre les deux

populations et le flux génique qui en résulte ne permettent pas alors l'apparition de

divergences génétiques pouvant conduire à un isolement reproductif partiel, malgré

une sélection larvaire importante. La mort des larves du Pommier sur les Senelles et

celle des larves de l'Aubépine dans les Pommes est insuffisante pour empêcher le

brassage génétique entre les deux races.

5e hypothèse : Sensibilité des mouches aux facteurs climatiques

L'analyse des variations saisonnières de température, entre les différents sites

où les Rhagoletis sont installées, et celle des variations de leur fréquence allélique

laissent penser que ce facteur est à considérer. Dans l'Illinois, des allochronies plus ou

moins marquées existent d'un site à l'autre, chez un même type de Mouche

(fig. 3.45) ; des études spécifiques ont imputé ces différences à des paramètres

climatiques : température et précipitations. Les variations géographiques introduisent

parfois des décalages de 8 jours. D'autres études, entreprises dans le Michigan,

précisent les précédentes. Les fréquences alléliques des 6 gènes signalés ci-dessus

présentent des variations corrélées aux températures selon un cline latitudinal, dont

quelques irrégularités sont dues à des caractéristiques climatiques locales. Les

températures agissent sans doute indirectement sur les Mouches, en accélérant ou en

ralentissant la maturation des fruits qui exerce une pression de sélection sur le

développement des larves. Cette pression est telle que l'on observe, au printemps

suivant, des métamorphoses plus ou moins précoces chez les Mouches ; ainsi, quand

les températures se maintiennent à 28°C pendant l'été, la métamorphose est retardée.

Le cycle de développement de Rhagoletis pomonella est donc étroitement lié à la

maturation des fruits, elle-même dépendante des conditions climatiques. Les

contraintes exercées par leurs hôtes respectifs sur les Mouches du Pommier comme

sur celles de l'Aubépine ont tendance à fidéliser leurs parasites et, en établissant une

barrière précopulatoire partielle, à favoriser l'apparition d'une divergence génétique.

En conclusion, quelle explication donner à l'apparition des premières Mouches

du Pommier au beau milieu de l'aire de répartition de Rhagoletis ? Les populations des

Mouches du Pommier et de l'Aubépine sont en cours de spéciation, comme l'indiquent

les différences génétiques et l'isolement reproductif partiel. Trois des hypothèses

présentées - allochronie des deux populations, reconnaissance spécifique de l'odeur

de l'hôte et variation des températures - s'appuient sur des résultats incontestables qui

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confirment une spéciation sympatrique. Si les deux autres hypothèses - isolat et

révolution génétique, panmixie et survie différentielle des larves - ne peuvent être

complètement éliminées, elles reposent, cependant, d'une part sur des résultats qui

s'expliquent plus facilement dans le cadre d'une spéciation sympatrique, d'autre part

sur des arguments plus faibles que les précédents. Il est donc très vraisemblable que

les biologistes disposent enfin avec Rhagoletis pomonella d'un premier exemple

convaincant d'une spéciation sympatrique.

La spéciation stasipatrique

Elle est caractérisée par la transmission de remaniements chromosomiques

toujours équilibrés, d'ampleur variable, qui sont parfois à l'origine d'une nouvelle

espèce (voir la citation de J. GÉNERMONT dans la section 3.1.2 : « Les mutations

chromosomiques »). Les remaniements affectent soit un fragment, soit un

chromosome entier.

Chez des Criquets australiens, les Morabinae, M. WHITE (1968) a reconnu des

remaniements chromosomiques sans aucun effet direct sur le phénotype, ni sur la

viabilité des mutants. Les porteurs de ces anomalies peuvent se croiser avec les

individus normaux ; les hétérozygotes issus de ce croisement ont une fertilité moindre.

Si ces derniers se croisent entre eux, ils donnent naissance à des homozygotes

mutants. D'après M. WHITE, cette stérilité relative assure néanmoins un isolement

reproductif ; alors que les croisements d'homozygotes sont viables, les résultats des

autres croisements sont plus aléatoires ; et, petit à petit, les homozygotes mutants

s'isolent de la population qui les hébergent. D'abord localisés sur une petite fraction de

l'aire de répartition de l'espèce, les individus porteurs de l'anomalie peuvent occuper

un territoire plus grand, tout en bénéficiant d'un isolement reproductif de nature à créer

une nouvelle espèce.

Un autre exemple, pris chez les Souris, souligne l'importance des

réarrangements chromosomiques qui peuvent, aussi bien que les mutations alléliques

classiques, engendrer de nouvelles espèces. J. AUFFRAY (1988) a étudié les populations

de la Souris domestique (Mus musculus domesticus) autour de la région de Milan. Il a

reconnu des races chromosomiques de Souris dont le caryotype est caractérisé par un

nombre réduit de chromosomes : au lieu de 40 chromosomes, les caryotypes étudiés

en comportent de 38 à 22. Cette réduction est due à des fusions chromosomiques.

Parmi ces populations d'effectif réduit, des croisements sont possibles, mais les

hybrides issus du croisement de populations porteuses de translocations différentes

sont presque toujours stériles ; en revanche, ceux provenant de Souris transloquées et

de Souris normales ont une fertilité variable. Les translocations n'apportent aucun

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avantage sélectif, mais elles procurent aux Souris un certain isolement reproductif qui

est renforcé par un isolement géographique partiel : les Souris, commensales de

l'Homme, vivent dans des fermes relativement isolées, équivalentes à des îles

écologiques, qui ont pu être colonisées par quelques animaux pionniers, dont certains

portaient une translocation. Parfois, l'obstacle géographique qui a conduit à la

formation d'isolats disparaît. Les sous-populations peuvent donc alors évoluer dans

deux directions : soit continuer à se différencier, soit se croiser.

La reconnaissance d'une spéciation stasipatrique est très difficile. Si les

remaniements chromosomiques, en effet, peuvent être à l'origine d'une spéciation,

l'observation de tels remaniements chez des espèces distinctes ne permet pas de

conclure a priori que ces espèces sont issues d'une spéciation stasipatrique. Ils sont

peut-être une conséquence d'une spéciation allopatrique ; la différence caryotypique

n'est alors qu'un aspect des divergences génétiques qui se sont installées entre les

deux espèces.

La spéciation par variation des signaux sexuels

Certains auteurs retiennent ce modèle de spéciation, alors que d'autres

considèrent que la variation des signaux sexuels est un des paramètres d'une

spéciation sympatrique ou allopatrique

Le concept biologique repose sur l'interfertilité et, bien entendu, sur la

reconnaissance du partenaire sexuel. Celle-ci s'effectue par la présence de signaux

spécifiques qui n'ont de signification qu'à l'intérieur de l'espèce. Il en est ainsi chez de

nombreux animaux : chant des Grillons, phéromones des Papillons, émission

lumineuse des Lucioles... Si l'un des signaux change, il risque de perdre toute

signification pour l'ensemble de la population, excepté quelques déviants qui pourront

être à l'origine d'une nouvelle espèce. C'est un cas de spéciation sympatrique ; par

exemple, si des phéromones sexuelles émises par des Papillons femelles se

modifient, elles peuvent entraîner la formation d'une nouvelle population qui ne se

croise plus avec l'ancienne. Mais la modification des signaux est parfois consécutive à

un isolement géographique et la spéciation devient donc un cas de la spéciation

allopatrique. La barrière de stérilité entre les Goélands Larus argentatus et L. fuscus

s'est installée progressivement, au cours de leur pérégrination circumpolaire, par

modification du cri, de la posture pendant la parade et de la couleur de l'anneau

orbital, orangé chez L. argentatus, rouge chez L. fuscus.

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La spéciation par symbiose

Cette thèse est soutenue par Lynn MARGULIS qui considère la symbiose comme

un mode de spéciation dont l'importance est très sous-estimée. Pour des biologistes

dont J. GÉNERMONT, un organisme symbiotique n'appartient pas à une espèce, mais

bien à deux espèces : l'étude de l'évolution d'une symbiose se rapporte à celle d'une

coévolution.

Selon L. MARGULIS, la spéciation des Lichens (20 000 espèces recensées),

comme celle des Orchidées, est d'origine symbiotique. Des chercheurs font part d'un

isolement reproductif dû à des symbioses chez des Invertébrés : des Moustiques des

genres Culex ou Aedes, ainsi que des Drosophiles ne peuvent plus se croiser avec

des sous-espèces géographiques, car leurs gamètes sont devenus incompatibles en

hébergeant des Rickettsies (Bactéries) d'espèces différentes. Les incompatibilités

sexuelles pourraient être à l'origine d'un isolement reproductif, puis d'une spéciation.

Mais dire que la spéciation des Charançons, des Termites, des Ruminants et même

de l'Homme a été orientée par leurs symbiotes intestinaux est sans doute exagéré. Si

les symbiotes ne sont pas les seuls responsables de la différenciation spécifique de

leurs hôtes, ils sont l'un des paramètres. J. GÉNERMONT considère que les symbioses

relèvent, ici, moins de la spéciation que de l'évolution à long terme de l'espèce vers

des taxons supérieurs (évolution trans-spécifique) et que le rôle de la symbiose, dans

ce dernier domaine, est primordial.

Il est difficile de préciser quelle est l'importance relative de chaque type de

spéciation ; cependant, il est certain que la spéciation met en jeu des phénomènes

divers, non exclusifs. Si l'existence de l'espèce est admise, elle constitue néanmoins

une entité dont les limites sont souvent incertaines et dont la différenciation n'est pas

toujours graduelle.

Les faits se rapportant aux phénomènes évolutifs une fois exposés, il manque

encore une théorie unificatrice qui permette de les relier entre eux et de comprendre

comment s'effectue l'évolution. Le prochain chapitre a pour objet d'exposer les

différentes conceptions évolutives du monde vivant.

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Bibliographie de la section 3.3

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