28 FÉVRIER 2016 SOCIÉTÉ 40 ans après, les...

1
SOCIÉTÉ 28 FÉVRIER 2016 WWW.SUDOUEST.FR SUDOUEST DIMANCHE 13 CHRISTOPHE BERLIOCCHI [email protected] E té 1975 : l’AS Saint-Étienne squatte le sommet du foot fran- çais, Dave chante « Du côté de chez Swann » et les joueurs profes- sionnels de Division 1 prennent la pose pour Panini. Du jamais-vu. À Bordeaux, Alain Giresse se souvient de l’instant : « Le photographe, qui je crois était de l’UNFP [NDLR : le syndi- cat des joueurs], était venu nous ti- rer le portrait un par un, en mode photod’identité.AvantPanini,ilexis- tait déjà des albums de vignettes [NDLR : « Étoiles du foot »] où l’on nous voyait en action ou avec des maillots siglés UNFP. » Originaire de Modène, en Italie, la firme Panini (1), créée en 1961 par les quatrefrèresPanini(lireparailleurs), quicartonnedanslapéninsule,édite alors son premier album consacré au championnat de France, pour la saison 1975-1976 : 48 pages, 400 vi- gnettes. Le tout premier produit commercialisé en France a été celui consacré à la Coupe du monde 1970, au Mexique, que les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui à prix d’or, plusieursmilliersd’eurossurlaToile. « Gueules pas possible » Le succès est rapide et gagne tout de suite les cours d’école : avec l’argent de poche, les enfants achètent les pa- quets contenant les images autocol- lantes et s’échangent les doubles contre les vignettes manquantes. « C’était un vrai changement, car avant on avait les images dans les ta- blettesdechocolat,et,pourtoutdire, je n’imaginais pas que les gamins puissent s’échanger nos tronches, surtout qu’on avait des gueules pas possible », se rappelle Jean-Michel Larqué. Le capitaine des imbattables Verts apparaît dans l’album 1976 avec des rouflaquettes et un col tri- colore tel un Meilleur Ouvrier de France. «C’était l’époque du grand Ajax de 1972 et des nuques longues, nos cou- pes de cheveux symbolisaient une période. On constate d’ailleurs l’évo- lution des styles au fur et à mesure des albums, c’était marrant de se voirchangerphysiquement»,sesou- vient « Gigi », qui n’a jamais eu la coupe débordante, ni de mousta- che. Contrairement à ses coéqui- piersgirondinsdelasaison1975-1976, les Couécou, Gallice, Barrat, Arribas et Fraunié. « On n’était sûrement pas l’équipe la plus recherchée par les enfants, car nous étions un club moyen dans ces années-là, on avait terminé dixième du championnat en 1976 », glisse Giresse. Défenseur de Marseille, Marius Trésor, qui rejoindra Bordeaux en 1980, était coincé entre deux top mo- dels de la version « footeux aux che- veux longs et à la moustache drue », les sosies de l’OM François Bracci et Victor Zvunka, lesquels n’étaient pas des poètes sur le pré. Tout comme le moustachu Raymond Domenech sous le maillot de Lyon, sans doute le sticker le plus célèbre de « Football 76 » ! La trombine de l’ancien sélec- tionneur des Bleus – surnommé « le Boucher » à l’époque – apparaît sur tous les sites de collectionneurs, dont le plus réputé est Old School Pa- nini, animé par Alexandre Bourouf, une encyclopédie de la vignette, et qui est suivi par tous les incondition- nelsdePaninisurlesréseauxsociaux (102 000 abonnés sur Twitter), « beaucoup de trentenaires et de quadras qui font vivre un second marché pour les vieux albums Pani- ni », dit-il (2). Les adultes collectionneurs Ce public adulte est d’ailleurs une ci- ble non négligeable pour le groupe italien, à l’heure de « Fifa 16 », qui scot- che les adolescents sur leurs conso- les de jeux. « Les enfants restent no- tre cœur de cible, mais c’est vrai qu’il existe un second marché important pour le football, avec les collection- neurs adultes, environ 20 % de notre public », détaille depuis Saint-Lau- rent-du-Var, près de Nice, Isabelle Fillon, chef de groupe marketing à Panini France. Pour cet album anniversaire, l’édi- teur a soigné l’emballage, en choisis- sant une couverture avec vernis sé- lectif, et le contenu (94 pages, 520 images dont 100 spéciales, écus- sons, top joueurs, top recrues), avec un graphisme léché. Il existe aussi une édition limitée, avec couverture rigide et cinq pages consacrées aux 40 ans de la collection. « Il y a eu une évolution très nette, nos albums sont bien plus riches qu’auparavant et se sont adaptés aux progrès tech- nologiques tout en conservant l’es- sentiel: les vignettes des joueurs, qui ont changé de format au fil du temps », poursuit Isabelle Fillon. Madeleine de Proust Une manière de séduire les jeunes générations et de ne pas dérouterles collectionneurs. « Oui, c’est notre sa- voir-faire, confirme Alain Guerrini, le PDG de Panini France. Mais nous sommes surtout très fiers de cette longévité et que notre succès s’ins- crivedansla durée grâce auxenfants qui, devenus adultes, conservent leur engouement pour nos al- bums. » la société prolonge donc à sa façon la jeunesse des grands… adultes ! La nostalgie d’un football d’antan et d’avant-mercato. « Panini, c’est ma madeleine de Proust. C’est comme les timbres. Je range les albums originaux vides dans des poches en plastique et col- lectionne les images dans un état ex- ceptionnel et non collées avec leurs dos d’origine ciglés », raconte Marc, un collectionneur de 45 ans d’An- glet. Il possède plus de 200 albums, des championnats français et espa- gnols, les Coupes du monde, les championnats d’Europe. «Mon plus beau ? Le “Foot 77”, neuf et vide, tou- tes les vignettes non collées, que j’ai acheté 500 euros sur eBay. » Les amateurs sont prêts à débour- ser des sommes record pour déni- cher des spécimens introuvables. Le président de Montpellier, Louis Ni- collin, possède une collection rare made in Panini dans son «musée du sport », où il a rangé plus de 4 000 maillots de foot. Et le regretté Thierry Roland (dé- cédé en 2012) avait lui aussi tous les albums, qu’il recevait chaque début de saison. « Thierry était fou de Pani- ni, se souvient son complice à la té- lévision Jean-Michel Larqué. Surtout, la marque devait lui envoyer les vi- gnettes à part, car il adorait les coller lui-même. Thierry était resté un très grand gamin… » (1) Les frères Panini, marchands de jour- naux à Modène, ont lancé leur tout pre- mier album, « Calciatori », en 1961. (2) www.oldschoolpanini.com 40 ans après, les images Panini ont toujours la cote La célèbre marque de vignettes autocollantes fête ses 40 ans d’albums dédiés au championnat de France. Un culte de l’image qui séduit toujours petits et… grands ÉDITION « Panini ne communique jamais de chiffres », explique Isabelle Fillon, directrice du marketing du groupe. La France est cependant le troi- sième pays du leader mondial sur le marché des produits à collection- ner, après l’Italie, « où c’est un véri- table phénomène culturel » et l’Es- pagne. Et le foot n’est pas le seul sujet puisque Panini commercialise chaque année une vingtaine d’al- bums, de Violetta à Pokémon, en passant par le rugby ou les stars de la NBA. Le groupe est d’ailleurs pré- sent aux États-Unis depuis 2009, et dans 110 pays en tout. Le foot reste cependant le pro- duit phare en Europe. « Nous pré- parons l’album de l’Euro 2016 qui se déroulera en France, dit la direc- trice. Il sera très important car ce sont traditionnellement de très belles ventes. Celui de la Coupe du monde au Brésil, en 2014, avait battu tous les records après une édition 2010 décevante avec tous les scandales qui avaient touché les Bleus… Nos ventes sont aussi conditionnées par les résultats de l’équipe nationale et des clubs, comme le PSG. » De la première édition consacrée au championnat français, en 1976 (en haut), à celle de cette année, des générations de joueurs et leurs vignettes ont fait le bonheur des amateurs. PHOTOS © PANINI LA FIRME PANINI « Surtout, Panini lui envoyait les vignettes à part, car il adorait les coller lui-même dans les albums. Thierry Roland était un très grand gamin… »

Transcript of 28 FÉVRIER 2016 SOCIÉTÉ 40 ans après, les...

Page 1: 28 FÉVRIER 2016 SOCIÉTÉ 40 ans après, les ...christophe-berliocchi.net/wp-content/uploads/2016/03/Panini.pdf · 4 000 maillots de foot. Et le regretté Thierry Roland (dé-cédé

SOCIÉTÉ28 FÉVRIER 2016WWW.SUDOUEST.FR

SUDOUE STDIMANCHE13

CHRISTOPHE BERLIOCCHI [email protected]

Eté 1975 : l’AS Saint-Étienne squatte le sommet du foot fran-çais, Dave chante « Du côté de

chez Swann » et les joueurs profes-sionnels de Division 1 prennent la pose pour Panini. Du jamais-vu. À Bordeaux, Alain Giresse se souvient de l’instant : « Le photographe, qui je crois était de l’UNFP [NDLR : le syndi-cat des joueurs], était venu nous ti-rer le portrait un par un, en mode photo d’identité. Avant Panini, il exis-tait déjà des albums de vignettes [NDLR : « Étoiles du foot »] où l’on nous voyait en action ou avec des maillots siglés UNFP. »

Originaire de Modène, en Italie, la firme Panini (1), créée en 1961 par les quatre frères Panini (lire par ailleurs), qui cartonne dans la péninsule, édite alors son premier album consacré au championnat de France, pour la saison 1975-1976 : 48 pages, 400 vi-gnettes. Le tout premier produit commercialisé en France a été celui consacré à la Coupe du monde 1970, au Mexique, que les collectionneurs s’arrachent aujourd’hui à prix d’or, plusieurs milliers d’euros sur la Toile.

« Gueules pas possible » Le succès est rapide et gagne tout de suite les cours d’école : avec l’argent de poche, les enfants achètent les pa-quets contenant les images autocol-lantes et s’échangent les doubles contre les vignettes manquantes.

« C’était un vrai changement, car avant on avait les images dans les ta-blettes de chocolat, et, pour tout dire, je n’imaginais pas que les gamins puissent s’échanger nos tronches, surtout qu’on avait des gueules pas possible », se rappelle Jean-Michel Larqué. Le capitaine des imbattables Verts apparaît dans l’album 1976 avec des rouflaquettes et un col tri-colore tel un Meilleur Ouvrier de France.

« C’était l’époque du grand Ajax de 1972 et des nuques longues, nos cou-pes de cheveux symbolisaient une période. On constate d’ailleurs l’évo-lution des styles au fur et à mesure des albums, c’était marrant de se voir changer physiquement », se sou-vient « Gigi », qui n’a jamais eu la coupe débordante, ni de mousta-che. Contrairement à ses coéqui-piers girondins de la saison 1975-1976, les Couécou, Gallice, Barrat, Arribas et Fraunié. « On n’était sûrement pas l’équipe la plus recherchée par les enfants, car nous étions un club moyen dans ces années-là, on avait terminé dixième du championnat en 1976 », glisse Giresse.

Défenseur de Marseille, Marius Trésor, qui rejoindra Bordeaux en 1980, était coincé entre deux top mo-dels de la version « footeux aux che-veux longs et à la moustache drue », les sosies de l’OM François Bracci et Victor Zvunka, lesquels n’étaient pas des poètes sur le pré. Tout comme le moustachu Raymond Domenech sous le maillot de Lyon, sans doute

le sticker le plus célèbre de « Football 76 » ! La trombine de l’ancien sélec-tionneur des Bleus – surnommé « le Boucher » à l’époque – apparaît sur tous les sites de collectionneurs, dont le plus réputé est Old School Pa-nini, animé par Alexandre Bourouf, une encyclopédie de la vignette, et qui est suivi par tous les incondition-nels de Panini sur les réseaux sociaux (102 000 abonnés sur Twitter), « beaucoup de trentenaires et de quadras qui font vivre un second marché pour les vieux albums Pani-ni », dit-il (2).

Les adultes collectionneurs Ce public adulte est d’ailleurs une ci-ble non négligeable pour le groupe italien, à l’heure de « Fifa 16 », qui scot-che les adolescents sur leurs conso-les de jeux. « Les enfants restent no-tre cœur de cible, mais c’est vrai qu’il

existe un second marché important pour le football, avec les collection-neurs adultes, environ 20 % de notre public », détaille depuis Saint-Lau-rent-du-Var, près de Nice, Isabelle Fillon, chef de groupe marketing à Panini France.

Pour cet album anniversaire, l’édi-teur a soigné l’emballage, en choisis-sant une couverture avec vernis sé-lectif, et le contenu (94 pages,

520 images dont 100 spéciales, écus-sons, top joueurs, top recrues), avec un graphisme léché. Il existe aussi une édition limitée, avec couverture rigide et cinq pages consacrées aux 40 ans de la collection. « Il y a eu une évolution très nette, nos albums sont bien plus riches qu’auparavant et se sont adaptés aux progrès tech-nologiques tout en conservant l’es-sentiel : les vignettes des joueurs, qui ont changé de format au fil du temps », poursuit Isabelle Fillon.

Madeleine de Proust Une manière de séduire les jeunes générations et de ne pas dérouter les collectionneurs. « Oui, c’est notre sa-voir-faire, confirme Alain Guerrini, le PDG de Panini France. Mais nous sommes surtout très fiers de cette longévité et que notre succès s’ins-crive dans la durée grâce aux enfants

qui, devenus adultes, conservent leur engouement pour nos al-bums. » la société prolonge donc à sa façon la jeunesse des grands… adultes ! La nostalgie d’un football d’antan et d’avant-mercato.

« Panini, c’est ma madeleine de Proust. C’est comme les timbres. Je range les albums originaux vides dans des poches en plastique et col-lectionne les images dans un état ex-ceptionnel et non collées avec leurs dos d’origine ciglés », raconte Marc, un collectionneur de 45 ans d’An-glet. Il possède plus de 200 albums, des championnats français et espa-gnols, les Coupes du monde, les championnats d’Europe. « Mon plus beau ? Le “Foot 77”, neuf et vide, tou-tes les vignettes non collées, que j’ai acheté 500 euros sur eBay. »

Les amateurs sont prêts à débour-ser des sommes record pour déni-cher des spécimens introuvables. Le président de Montpellier, Louis Ni-collin, possède une collection rare made in Panini dans son « musée du sport », où il a rangé plus de 4 000 maillots de foot.

Et le regretté Thierry Roland (dé-cédé en 2012) avait lui aussi tous les albums, qu’il recevait chaque début de saison. « Thierry était fou de Pani-ni, se souvient son complice à la té-lévision Jean-Michel Larqué. Surtout, la marque devait lui envoyer les vi-gnettes à part, car il adorait les coller lui-même. Thierry était resté un très grand gamin… »

(1) Les frères Panini, marchands de jour-naux à Modène, ont lancé leur tout pre-mier album, « Calciatori », en 1961. (2) www.oldschoolpanini.com

40 ans après, les images Panini ont toujours la cote

La célèbre marque de vignettes autocollantes fête ses 40 ans d’albums dédiés au championnat de France. Un culte de l’image qui séduit toujours petits et… grands

ÉDITION

« Panini ne communique jamais de chiffres », explique Isabelle Fillon, directrice du marketing du groupe. La France est cependant le troi-sième pays du leader mondial sur le marché des produits à collection-ner, après l’Italie, « où c’est un véri-table phénomène culturel » et l’Es-pagne. Et le foot n’est pas le seul sujet puisque Panini commercialise chaque année une vingtaine d’al-bums, de Violetta à Pokémon, en passant par le rugby ou les stars de la NBA. Le groupe est d’ailleurs pré-sent aux États-Unis depuis 2009, et dans 110 pays en tout.

Le foot reste cependant le pro-duit phare en Europe. « Nous pré-parons l’album de l’Euro 2016 qui se déroulera en France, dit la direc-trice. Il sera très important car ce sont traditionnellement de très belles ventes. Celui de la Coupe du monde au Brésil, en 2014, avait battu tous les records après une édition 2010 décevante avec tous les scandales qui avaient touché les Bleus… Nos ventes sont aussi conditionnées par les résultats de l’équipe nationale et des clubs, comme le PSG. »

De la première édition consacrée au championnat français, en 1976 (en haut), à celle de cette année, des générations de joueurs et leurs vignettes ont fait le bonheur des amateurs. PHOTOS © PANINI

LA FIRME PANINI

« Surtout, Panini lui envoyait les vignettes à part, car il adorait les coller lui-même dans les albums. Thierry Roland était un très grand gamin… »