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AMOPA 44 1 Q ui n’a pas un jour échafaudé des châ- teaux en Espagne ? Pour les 31 parti- cipants de l’Amopa 44 le rêve est devenu réalité en découvrant Madrid et la Castille du 8 au 15 septembre 2015. Cette terre au bout de la péninsule fascina autant les grands aventuriers comme Christophe Colomb que les écrivains ou celle des héros tragiques du Cid ou de Carmen. Pendant une semaine le groupe s’est mis dans les pas de Don Quichotte pour mieux appréhender l’Espagne d’aujourd’hui qui, loin de renier son riche héritage historique, s’est modernisée à un rythme étourdissant. D’ailleurs notre première rencontre fut avec « le Rêve et la Réalité » chevauchant, discu- tant, argumentant et se chamaillant sur la place de l’Espagne au milieu des immeubles d’inspiration Chicago et du bâtiment Schweppes art déco. « C’est toute la réussite de Cervantès d’avoir mis auprès de ce fou la rude sagesse de Panza, son vigoureux bon sens et son matérialisme placide ». Madrid, belle de jour et noctambule ! Madrid, une ville de paradoxes, brûlante l’été, glaciale l’hiver, « 3 mois d’enfer, 9 mois d’hiver ». De cette capitale perchée à 660 m, bercée par la lumière de la Sierra Guadarrama, on disait « de son air au XIX e qu’il était pétillant comme du champagne ». Madrid surprenante dans son écrin de ver- dure et ses multiples fontaines -comme celle de l’artichaut- grâce aux nappes phréatiques qui drainent son sol, d’où son nom « Magerit, riche en eau » et ce qui fit naître des métiers très particuliers « voix d’or » pour celui qui vendait de l’eau et « goûteur d’eau » suivant les besoins et les goûts. Le sobriquet « roi des placettes » fut donné en 1800 à Joseph Bonaparte pour son pro- gramme de places et de plantations. Un tour panoramique avec un arrêt au fa- meux Stade Bernabeu et ses 30 km de sou- terrains pour mieux sentir l’atmosphère vi- brante de Madrid qui combine l’élégance aristocratique de ses boulevards et de ses immeubles Belle Epoque qui se dressent comme des châteaux, l’hôtel de ville orné de pinacles blancs, la statue de Philippe II avec les 2 pattes levées du cheval suivant la théo- rie de Galilée, ses grandes places comme La Plaza de la Puerta del Sol et son horloge, sous laquelle les madrilènes se réunissent le soir du Nouvel An pour avaler un grain de raisin à chacun des 12 coups du carillon pour s’assurer prospérité et bonheur. Un autre symbole de Madrid, la statue en bronze d’un ours et d’un arbousier puis à côté une plaque indique le km zéro. Cette place ovale a accueilli de nombreux rassemblements dont celui des « Indignés » en 2011. Cette ville est née du caprice de Philippe II de Hasbourg qui délaisse Tolède pour s’y ins- taller en 1561. Construite dans la passion, Madrid joue des contraires et de la déme- sure, les Espagnols restent prêts à s’indigner comme le révèle en 2015 l’élection comme maire de l’ex-juge de 71 ans Manuela Car- mina. Mais Madrid peine aussi à se défaire de sa réputation de provinciale et pour le romancier Pio Baroja, elle reste un « village de La Mancha qui s’est développé trop vite ». Ouverts d’esprit, noctambules et fes- tifs, les Madrilenos « égrènent leur rosaire » en allant d’un bar à tapas à un autre. Une chance de pouvoir accéder aux secrets du Monastère de las Descalzas Reales fondé par Jeanne d’Autriche. Ce couvent cloîtré des Dechaussées, où 500 ans d’histoire se dévoilent, est toujours habité par 18 cla- risses. Sobre à l’extérieur, il faut avoir l’oeil aiguisé et l’oreille attentive pour repérer tous les chefs d’oeuvre, comme ce très bel esca- lier, un joyau baroque avec ses fresques, puis les tapisseries flamandes et les trésors artistiques légués par les familles des nonnes aristocrates. À Madrid, la promenade de l’art est incon- tournable. Le musée du Prado est un grand parmi les grands du monde. Ses collections exceptionnelles, plus de 7 000 toiles, sont une fenêtre ouverte sur la culture espagnole et la peinture européenne. Il y en a pour tous

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AMOPA 44

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Q ui n’a pas un jour échafaudé des châ-teaux en Espagne ? Pour les 31 parti-

cipants de l’Amopa 44 le rêve est devenu réalité en découvrant Madrid et la Castille du 8 au 15 septembre 2015. Cette terre au bout de la péninsule fascina autant les grands aventuriers comme Christophe Colomb que les écrivains ou celle des héros tragiques du Cid ou de Carmen.

Pendant une semaine le groupe s’est mis dans les pas de Don Quichotte pour mieux appréhender l’Espagne d’aujourd’hui qui, loin de renier son riche héritage historique, s’est modernisée à un rythme étourdissant. D’ailleurs notre première rencontre fut avec « le Rêve et la Réalité » chevauchant, discu-tant, argumentant et se chamaillant sur la place de l’Espagne au milieu des immeubles d’inspiration Chicago et du bâtiment Schweppes art déco. « C’est toute la réussite de Cervantès d’avoir mis auprès de ce fou la rude sagesse de Panza, son vigoureux bon sens et son matérialisme placide ».

Madrid, belle de jour et noctambule !

Madrid, une ville de paradoxes, brûlante l’été, glaciale l’hiver, « 3 mois d’enfer, 9 mois d’hiver ». De cette capitale perchée à 660 m, bercée par la lumière de la Sierra Guadarrama, on disait « de son air au XIXe qu’il était pétillant comme du champagne ». Madrid surprenante dans son écrin de ver-dure et ses multiples fontaines -comme celle de l’artichaut- grâce aux nappes phréatiques qui drainent son sol, d’où son nom « Magerit, riche en eau » et ce qui fit naître des métiers très particuliers « voix d’or » pour celui qui vendait de l’eau et « goûteur d’eau » suivant les besoins et les goûts. Le sobriquet « roi des placettes » fut donné en 1800 à Joseph Bonaparte pour son pro-gramme de places et de plantations.

Un tour panoramique avec un arrêt au fa-meux Stade Bernabeu et ses 30 km de sou-terrains pour mieux sentir l’atmosphère vi-brante de Madrid qui combine l’élégance

aristocratique de ses boulevards et de ses immeubles Belle Epoque qui se dressent comme des châteaux, l’hôtel de ville orné de pinacles blancs, la statue de Philippe II avec les 2 pattes levées du cheval suivant la théo-rie de Galilée, ses grandes places comme La Plaza de la Puerta del Sol et son horloge, sous laquelle les madrilènes se réunissent le soir du Nouvel An pour avaler un grain de raisin à chacun des 12 coups du carillon pour s’assurer prospérité et bonheur. Un autre symbole de Madrid, la statue en bronze d’un ours et d’un arbousier puis à côté une plaque indique le km zéro. Cette place ovale a accueilli de nombreux rassemblements dont celui des « Indignés » en 2011. Cette ville est née du caprice de Philippe II de Hasbourg qui délaisse Tolède pour s’y ins-taller en 1561. Construite dans la passion, Madrid joue des contraires et de la déme-sure, les Espagnols restent prêts à s’indigner comme le révèle en 2015 l’élection comme maire de l’ex-juge de 71 ans Manuela Car-mina. Mais Madrid peine aussi à se défaire de sa réputation de provinciale et pour le romancier Pio Baroja, elle reste un « village de La Mancha qui s’est développé trop vite ». Ouverts d’esprit, noctambules et fes-tifs, les Madrilenos « égrènent leur rosaire » en allant d’un bar à tapas à un autre.

Une chance de pouvoir accéder aux secrets du Monastère de las Descalzas Reales fondé par Jeanne d’Autriche. Ce couvent cloîtré des Dechaussées, où 500 ans d’histoire se dévoilent, est toujours habité par 18 cla-risses. Sobre à l’extérieur, il faut avoir l’œil aiguisé et l’oreille attentive pour repérer tous les chefs d’œuvre, comme ce très bel esca-lier, un joyau baroque avec ses fresques, puis les tapisseries flamandes et les trésors artistiques légués par les familles des nonnes aristocrates.

À Madrid, la promenade de l’art est incon-tournable. Le musée du Prado est un grand parmi les grands du monde. Ses collections exceptionnelles, plus de 7 000 toiles, sont une fenêtre ouverte sur la culture espagnole et la peinture européenne. Il y en a pour tous

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les goûts, des peintures royales de Velasquez aux peintures obscures de Goya. Le réalisme expressif avec le triptyque du XVe, Les Sept péchés capitaux ou Le jardin des délices de Jérôme Bosch dit El Bosco, puis l’Annoncia-tion, chef-d’œuvre de Fra Angelico ou, plus surprenant, la jumelle de la Joconde décou-verte récemment sous une couche de peinture noire ou encore le Cardinal de Raphaël ou la Venus du Titien. Velasquez peint les mys-tères de la peinture où tout est suggéré. Ses extraordinaires portraits royaux dont les Me-nines, son chef d’œuvre incontesté, puis la Familia de Felipe IV où il montre l’infante Marguerita parmi ses courtisans et le couple royal visible dans le miroir. La maitrise de la composition, des couleurs et de la lumière est à son apogée et Manet admiratif dira « il a développé la perspective aérienne avec la lumière, c’est le peintre des peintres ». Il y a aussi La Maja nue de Goya, précurseur de l’art moderne, le Greco et sa Trinité verti-cale, Véronèse où le dessin vient avec la cou-leur. Tant de merveilles au pas de course qu’on aurait voulu dire, encore et encore !

Abrité dans l’ancien hôpital du XVIIIe, le musée National du Centre d’art Reine Sophie a ouvert en 1992 avec une aile nouvelle et 2 cages d’ascenseur futuristes en verre conçues par l’architecte Jean Nouvel. Une foule com-pacte y vient pour un seul tableau le Guerni-ca de Picasso, une immense allégorie du bombardement de la ville basque éponyme, « la puissance du style de l’artiste éclate avec la violence des explosions, il choisit de faire vivre la déflagration et ses effets dévas-tateurs, là où Goya aurait montré la réalité du massacre. Disloquées, les formes et les figures hurlent leur désespoir, il peint la ter-reur et la barbarie du siècle. Devenu un sym-bole, Guernica nous transporte au-delà de l’art comme le bombardement projette ses victimes hors de la réalité » Michel Del Cas-tillo . Le musée met aussi l’accent sur les cro-quis préparatoires à Guernica, sur les chefs d’œuvres de Dali et la vivacité des couleurs primaires de Miro.

Puis un détour par la cathédrale de l’Almude-na qui donne sur l’opulent Palais Royal et la beauté naturelle de son parc del Reiro dessi-né par Velasquez. Un hymne à la royauté, la fierté des espagnols, le magnifique parvis en marbre, la cour intérieure majestueuse, tout est blanc. C’est un colosse de style baroque italianisant avec ses 2 800 pièces mais nous n’en visiterons que 22. Conçu par les maîtres italiens Sacchetti, il respire un tel luxe que Napoléon prétendait que son frère était mieux logé que lui aux Tuileries. Le grand escalier surmonté du blason avec l’aigle bicé-

phale des Habsbourg est comme une affirma-tion imposante de la puissance impériale, puis les différents salons avec les plus belles collections de soieries faites à Lyon, les hor-loges et violons Stradivarius, les tableaux de Goya sans oublier l’Armurerie royale et ses collections étincelantes.

Au fil de nos déambulations dans le vieux Madrid, gardons le nez en l’air pour profiter de la beauté architecturale des façades, cer-taines de style plateresque, d’autres de style gothique-mudéjar. Passage obligé par La Pla-za Mayor, chef d’œuvre du XVIIe, lieu de couronnements et de corridas, sa beauté tient en grande partie à ses maisons aux tons ocre et chaleureux avec 237 balcons en fer forgé magnifié de splendides fresques. Plus tard, nous entrerons furtivement dans la gare d’Atocha qui cache un havre de paix avec ses palmiers enchâssés dans une loggia de métal et de verre dessinée par Gustave Eiffel.

Ne quittons pas Madrid sans rappeler son emblème « J’étais édifiée sur l’eau et mes murs étaient de feu » et sourire à ces mo-ments de barbotage le soir sur le toit de l’hô-tel !

Castille, terre de châteaux !

En quittant Madrid vers la Castille, nous par-courons le plateau de la Meseta où la ligne d’horizon semble ne jamais finir. « Grande est la Castille » dit un proverbe car c’est là qu’a battu le cœur de l’Espagne et où se sont écrites les pages les plus glorieuses de son histoire. Pour mener la Reconquista, les rois y firent édifier de nombreux châteaux et places fortes. Plusieurs de ces superbes cités sont classées au patrimoine de l’Humanité, Ségovie, un bijou fascinant, Tolède, un mu-sée à ciel ouvert, Avila , la spirituelle, Sala-manque, un centre du savoir et l’Escurial , le mausolée de la grandeur castillane…

Ségovie, un bijou fascinant !

Ségovie accroche ses murailles de grès et terre cuite, aux tons ocre fauve et mordoré, sur un promontoire rocheux à plus de 1 000 m. La silhouette qui se détache du ciel bleu azuré est comparée depuis le XVe à un vais-seau en pierre. Ségovie accumule des siècles d’une histoire rayonnante avec l’industrie du textile et le commerce de la laine qui ont fait prospérer la ville. Sobre et majestueux, dé-fiant le temps, l’aqueduc, ou pont du diable, enjambe 18 siècles d’histoire traversant la ville qu’il a approvisionnée en eau et enrichie en beauté pendant près de 2 000 ans. Long de 728 m, haut de 29 m, c’est un des héritages

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les plus impressionnants de l’empire romain. Subjugués, nous avons eu la sensation que le reste de la ville était en miniature. Construit à la fin du Iers, il resta en usage jusqu’au mi-lieu du XXe, ses 166 arcs en pierres de granit posées sans ciment ni mortier, restent inalté-rables grâce à la technique utilisée, fondée sur un ingénieux équilibre des forces.

Tout en contemplant la perfection de cet ou-vrage extraordinaire et ses arches aménagées sur 2 étages, on a vu arriver une parade mili-taire qui devant l’Alcazar a joué une aubade pour fêter ce jour-là la rentrée scolaire, quelle surprise !

L’Alcazar qui s’élève à la pointe, apparaît comme un château de conte de fées, il asso-cie des éléments mudéjars à des notes con-temporaines et le résultat ressemble à un rêve d’enfant. Son fier donjon courtise les tou-relles en encorbellement. Ses murailles en éperon et ses douves profondes sont l’arché-type d’un ouvrage défensif qu’il fut avant d’être palais royal et prison. À l’intérieur, admirons les collections comme les allégo-ries et vertus qu’il faut avoir : la fortune et la renommée. Puis de magnifiques plafonds artesonados mudéjars, une frise représentant la corde française, un décor en nid-d’abeilles agrémenté de mosaïques, sans oublier le pa-norama imprenable sur la verte vallée de l’Eresma.

Quel plaisir de parcourir les ruelles pour dé-couvrir les palais ornés de sgraffites, ty-piques à Ségovie, et les 17 églises romanes qui s’y cachent révélant une intense vie spi-rituelle de la cité dominée par l’élégante sil-houette de la Cathédrale Santa María com-mencée en 1525. C’est un témoignage gran-diose de l’architecture gothique, l’austère nef à 3 travées, ponctuée de 20 chapelles, est dominée par d’imposantes stalles. En che-min, observons les maisons de la noblesse et leur décoration esthétique à base de motifs géométriques et de végétaux variés.

Et quelle émotion dans un patio, d’entendre notre guide interpréter des chants anciens. À l’instar de Cervantès, on aurait pu dire : « Quand une jolie voix chante ce sont des fleurs qu'elle laisse échapper de sa bouche » Si Cervantès a écrit « La meilleure sauce du monde, c'est la faim », après toutes ces vi-sites, nous avions hâte de déguster la spécia-lité du lieu, le fameux cochon de lait cuit au feu de bois et coupé avec une assiette, une surprise délicieuse !

La Granja de San Ildefonso, c’est le Palais royal, créé par des architectes français et ita-liens à l’image de Versailles, en plus mo-

deste, et une touche espagnole, celle des re-liques. À l’extérieur, c’est le triomphe de la mythologie dans les magnifiques jardins à la française qui offrent une perspective ba-roque, comme une invitation à monter. Les bassins alimentés par les eaux de fonte des neiges et leurs fontaines sont parfois mises en route… un pur moment de rêve dans cet éden !

Tolède, un musée à ciel ouvert !

Capitale espagnole avant que Felipe II la transfère à Madrid. Haut lieu spirituel, c’est un musée à ciel ouvert, trésor d’églises, de musées, de synagogues, un labyrinthe de ruelles pentues, de boyaux urbains dodus et de cours intérieures mystérieuses. On aurait envie de laisser trainer les doigts sur les mu-railles patinées par les siècles pour se laisser transplanter dans cette époque.

Tolède se détache sur le ciel castillan à la manière d’un décor de théâtre. Juchée au sommet d’une éminence granitique, cernée par les eaux vertes du Tage qui roulent au fond du ravin, surnommée la cité des 3 cul-tures, elle a connu les influences islamique, juive et chrétienne. Cet éclectisme façonne l’architecture de la ville où on trouve aussi bien le style mozarabe des chrétiens sous domination musulmane que le style mudéjar des musulmans restés après la Reconquista. La cathédrale du XIIIe affiche un style com-posite, gothique français -ionique et corin-thien-, l’intérieur éclairé par 750 vitraux est monumental et divisé en 5 nefs de 88 ro-bustes colonnes. L’ostensoir processionnel est un trésor de 2,50 m de haut, de 180 kg d’or, d’argent et de 260 statuettes. Dans le chœur, c’est la rencontre avec « la jolie et douce vierge blanche », une sculpture fran-çaise. La sacristie ressemble à une galerie de grands maitres dont Caravage, Titien et bien sûr le Greco. Tolède est indissociable du peintre -né en Crète mais qui vécut à Tolède- plusieurs de ses chefs d’œuvre y sont expo-sés comme L’Enterrement du comte d’Orgaz, mélange du temporel et du spirituel, l’inclu-sion de portraits dont un autoportrait. Art visionnaire, les déformations, la froideur des teintes et la violence des touches contribuent à créer une impression d’hallucination où l’obsession du surnaturel est présente dans toute son œuvre. « Si comme Quichotte le regard apathique des portraits du Gréco dé-formait la réalité ? C’est cette énigme qui sans doute fait la grandeur du Gréco « il a vu, il a montré : n’est-ce-pas ce qu’on de-mande à un peintre ? Michel del Castillo.

L’extérieur de la synagogue est d’apparence

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banale mais l’intérieur surprend par la belle décoration mudéjare, couvrant la partie supé-rieure des murs, le beau plafond en fines boi-series teintées, des arcatures percées de déli-cates dentelles de pierres, panneau d’entre-lacs où font sailli des rosettes, il accueille le musée séfarade. La mosquée est un témoi-gnage architectural des conquérants musul-mans.

Si certains sont allés voir le tableau du Gréco en l’église Santo Tomé, d’autres ont préféré s’intéresser à l’artisanat de Tolède, la coutel-lerie et les céramiques mais surtout le damas-quinage, un art issu des Maures et des juifs, ces émaux noirs incrustés de filets d’or ou d’argent.

En fin de journée, fardée d’ambre et de ver-millon, la vieille cité nous est apparue sur la scène de son théâtre majestueux aussi sédui-sante qu’une actrice prête à charmer son pu-blic et ses prétendants pour les retenir ou leur dire « revenez » !

Avila, la spirituelle !

D’une splendeur altière, la ville forteresse domine les nuages. Juchée à 1 300 m d’alti-tude, la capitale spirituelle s’abrite derrière ses remparts du XIIIe. Suspendue entre le ciel et la steppe castillane Avila, accrochée à la montagne, scrute l’horizon et semble monter la garde. Le caractère moral de cette ville ascétique est perceptible dans ses églises, dans ses maisons sévères, dans ses rues rem-plies d’un silence conventuel. C’est la patrie de sainte Thérèse ; née en 1515, elle s’épa-nouit dans la religion, désapprouvant le mode de vie opulent des Carmélites, elle fonde ce-lui des Déchaussées, plus austère. Avec sa force intérieure –elle voit avec les yeux de l’âme- son caractère robuste et ses expé-riences mystiques, celle qui fut docteur de l’Église pourrait aussi être docteur de la langue tant ses livres, ses poèmes sont écrits en pur castillan. Non moins idéaliste ou hé-roïque que Quichotte, elle montra dans ses voyages, dans ses luttes, l’esprit pratique et le réalisme de Sancho. Thérèse patronne des joueurs d’échec, Verlaine parle d’elle comme une « femme de génie ».

Encerclée par des remparts parfaitement con-servés depuis le moyen âge, les poètes com-parent Avila à une couronne. Les hautes mu-railles de 10 m de haut et 3 de large, consti-tuent un témoignage médiéval inestimable. Les fortifications sont hérissées de 88 tours rondes, percées de 9 portes fortifiées. La ca-thédrale gothique, la plus ancienne d’Europe, est enchâssée dans les remparts, son granit gris et son rôle de forteresse lui donnent une

certaine austérité extérieure, la façade rap-pelle ses origines romanes et adopte une al-lure mariale. À l’intérieur, des colonnes de grès mouchetées d’ocre et des plafonds en porte-à-faux des nefs latérales forment un effet unique en Espagne. Le couvent Sainte-Thérése est construit à l’emplacement de sa maison natale. La sainte mena une existence monacale dans l’austère retraite qu’est le monastère de l’Encarnacion. Inauguré le mois où fut baptisée Thérèse, on y voit le morceau de bois qui lui servait d’oreiller, un coffre à trois clés... Elle poussa Saint-Jean de-la-Croix à mener une réforme similaire et Dali s’inspira d’un dessin de ce dernier pour créer son propre style.

Enfin, on gravit les escaliers, pour déboucher sur ces fameux remparts burinés par la do-rure du jour où s’engouffre un petit air co-quin. Ces parapets épais où on peut s’affaler en s’accoudant pour le point de vue, plus loin des coins à bisous romantiques et des marches à redescendre pour aller goûter « aux larmes de Thérèse », petite friandise jaune à base d’œufs !

Salamanque, un centre du savoir !

Au XVe Salamanca est « le summum, le plus grand triomphe et honneur de l’Espagne » d’après un écrivain de la cour des Rois. Con-quête d’Hannibal, bâtie en grès doré, la ville était déjà une importante cité ibère 2000 ans avant la fondation de son université. Appelée « la petite Rome » du siècle d’or espagnol, la ville se pare du prestige de son université. Son architecture est exceptionnelle avec un foisonnement de façades de styles plate-resques et Renaissance ; « le soleil a doré les pierres de ses édifices, la pierre douce en s’oxydant prend la couleur d’or vieux, c’est une fête pour les yeux » a écrit le philosophe Miguel de Unamuno. Dans les lumières de la nuit comme dans celle du soleil couchant, la Plaza Mayor de réalisation harmonieuse ba-roque est l’épicentre de la vitalité urbaine. Les bustes des personnages liés à l’histoire de la ville apparaissent dans plus de 60 mé-daillons qui ornent les galeries à arcades. On a même l’impression d’évoluer dans une vaste salle de bal. À côté, un édifice des plus charmants bâti pour célébrer un mariage, la Casa de las Conchas où 300 coquilles Saint-Jacques –autant de preuves d’amour pour la jeune femme- rehaussent sa façade de style gothique. Plus loin, les deux cathédrales, édifices mitoyens aux styles différents. L’église nouvelle avec sa coupole churrigue-resque très ornementée est visible de partout. Les façades et plafonds en grès sont saisis-

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sants. Les façades plateresques offrent un décor foisonnant avec de remarquables scènes comme celle des rameaux qui se fait voler la vedette par des motifs insolites intro-duits parmi les feuillages de la voussure, un astronaute et un cornet de glace sculptés lors des rénovations de 1992.

À l’intérieur, c’est la richesse des voûtes et l’élancement des piliers fasciculés, la tour lanterne à deux étages est soutenue par un système ingénieux et son plafond haut-perché permet à l’esprit de déambuler. Tout ornement est prétexte au triomphe de la vertu sur le vice. Coiffée d’un dôme byzantin, la vieille cathédrale, blottie contre la nouvelle, abrite un musée.

Chaque visiteur se doit de repérer la gre-nouille, dissimulée dans la façade de l'uni-versité de Salamanque, fondée en 1218 par le roi Alphonse IX. Le bonheur est promis à celui qui parvient à la dénicher, c’est un gage de réussite aux examens, le crapaud étant le vice sacré, on doit laisser le mal à l’extérieur. A l’Universidad, l’autre université, se dé-ploient salles de cours et amphithéâtres, celui de l’humaniste Fray Luis de Leon, qui après 5 ans dans les geôles de l’Inquisition, reprit l’enseignement en ces termes « Comme nous le disions hier ». Les bancs, un luxe à l’époque, étaient attribués suivant les catégo-ries sociales et les moins aisés entraient avant pour les chauffer, c’est à Salamanque qu’il y eut les premiers globes terrestres. Avec 40 000 ouvrages, dont 485 incunables et 2 800 manuscrits rares et précieux, la bi-bliothèque est bien un lieu de savoir. Quant au « Ciel de Salamanque », il représente les signes du zodiaque dans la classe d’astrono-mie où Christophe Colomb vint demander conseil aux astronomes avant sa tentative de découverte des Indes par l’Ouest. Et, c’est plein de sagesse que nous sommes sortis de l’Universitad, car nous n’avons pas manqué d’apposer nos pieds contre ceux de l’évêque gisant… comme le font les étudiants avant les examens !

Le couvent de Las Dueñas est fort élégant avec son très beau cloître de forme trapé-zoïdale, ses arcades salmantines et ses hauts-reliefs saisissants avec les visages grimaçants de diables effrayants et de monstres fantas-tiques. Pour ne pas manquer le beau point de vue sur la ville, certains n’ont pas boudé la grimpette dans les tours de la cathédrale, si la vue sur la ville était fascinante, ils sont re-descendus abasourdis par le son des cloches pendant que d’autres dégustaient du chocolat chaud !

L’Escurial, le mausolée de la grandeur castillane !

Horrible, lugubre, sinistre, disent ceux qui éprouvent une aversion pour le palais-monastère dessiné par Herrera en 1557, d’autres se répandent en superlatifs. Ils van-tent la majesté de l’édifice, son équilibre, son harmonie, s’extasiant devant la conception de l’ensemble en forme de gril. Philippe II bouleversé par l’incendie d’une chapelle de Saint-Quentin consacrée à Saint-Laurent, voulut réparer l’offense en édifiant la basi-lique au cœur du palais. Est-ce le monarque qui est haï ou vénéré ou bien l’édifice ? Au cœur de ces montagnes minérales, le palais se dresse à plus de 1 000 m et les madrilènes en ont fait leur villégiature estivale. Derrière l’imposante façade rébarbative mais équili-brée, on trouve une vaste cour, les bâtiments tournent autour de la basilique en forme de croix grecque et coiffée d’un dôme. Un esca-lier s’enfonce dans la crypte ou reposent les rois d’Espagne. La profusion de marbres et de jaspes ne distrait pas le regard de la pré-sence des sarcophages entassés. Une collec-tion de morts à la gloire de la dynastie ! La simplicité dépouillée du décor, le dénuement ostentatoire firent dire à Barrès « la seule volupté qui puissent goûter ceux qui possè-dent tout, c’est de renoncer à tout »

On dit que la Castille a vu naître cette caste de nobliaux imbus de leur dignité qui donne-ra naissance aux hidalgos, « fils de », dont le plus illustre est Quichotte. La Castille, ce sont de superbes illusions, de grandioses chi-mères, des rêves de gloire brisés brutalement. La dynastie sera anéantie par la folie intro-duite par la consanguinité, les fatalités éco-nomiques comme l’élevage intensif des mou-tons, le mépris du travail manuel par la no-blesse qui empêche la formation d’une bour-geoisie apte à favoriser l’essor d’une indus-trie. Isabelle fille de Jean II a sauvé la Cas-tille et créé l’Espagne moderne tout comme Charles Quint rêva en premier d’une monar-chie européenne !

Ainsi nous avons chevauché aux côtés des héros de Cervantès pour découvrir Madrid et la splendeur de la Castille et, tout en fouillant l’histoire, nous avons pu imaginer son pres-tige d’antan. Combien de merveilleux châ-teaux et de places-fortes haut-perchées res-tent-ils encore à explorer ? « Plus qu’un ro-man, Don Quichotte n’est-il pas le miroir d’un peuple, la métaphore de son délire et de sa mélancolie », qu’il nous faudrait connaître encore davantage, une prochaine fois peut-être avec l’Amopa 44 ?

Anne-Marie Poulard-Vighetti

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