2014-2015 OS4 Evolution -...

18
32 4 SYSTÉMATIQUE ET PHYLOGENÈSE On appelle phylogenèse la généalogie d'une espèce ou d'un groupe d'espèces apparentées. On représente traditionnellement la généalogie d'une espèce par un arbre phylogénétique qui indique les relations évolutives probables. Figure 21: Arbre phylogénétique La systématique, l'étude de la diversité biologique, a entre autres objets celui de reconstituer la phylogenèse des espèces. En effet, la diversité des formes vivantes contemporaines est le fruit de la spéciation et de l’évolution. Dans la mesure où la systématique cherche à mettre en évidence les relations évolutives entre les divers organismes, elle englobe la taxinomie, la science qui a pour objet de nommer et de classifier les espèces. 4.1 La taxonomie Au XVIII ème siècle, Linné apporta deux grandes contributions à la taxinomie. Premièrement, il attribua à chaque espèce un binôme, une appellation formée de deux mots latins (que l'on écrit en italique). Le premier mot (majuscule) indique le genre auquel l'espèce appartient; le second mot (minuscule) désigne l' espèce en tant que telle. Par exemple, le nom scientifique du chat domestique est Felis domestica. Un genre peut comprendre plusieurs espèces semblables qui portent chacune un nom spécifique. Le lynx roux, par exemple, Felis rufus, appartient au même genre que le chat domestique. Dans la conversation courante, on peut se contenter d'utiliser les noms usuels, comme « chat», « lynx», mais dans les communications scientifiques, les biologistes emploient les noms scientifiques afin Requins Actinoptérygiens Amphibiens Primates Rongeurs Crocodiles Dinosaures et Oiseaux Poils Deux fenêtres post-orbitaires OEuf amniotique Quatre membres Squelette osseux Vertèbres

Transcript of 2014-2015 OS4 Evolution -...

32

4 SYSTÉMATIQUE ET PHYLOGENÈSE

On appelle phylogenèse la généalogie d'une espèce ou d'un groupe d'espèces apparentées. On représente traditionnellement la généalogie d'une espèce par un arbre phylogénétique qui indique les relations évolutives probables.

Figure 21: Arbre phylogénétique

La systématique, l'étude de la diversité biologique, a entre autres objets celui de reconstituer la phylogenèse des espèces. En effet, la diversité des formes vivantes contemporaines est le fruit de la spéciation et de l’évolution. Dans la mesure où la systématique cherche à mettre en évidence les relations évolutives entre les divers organismes, elle englobe la taxinomie, la science qui a pour objet de nommer et de classifier les espèces.

4.1 La taxonomie

Au XVIII ème siècle, Linné apporta deux grandes contributions à la taxinomie. Premièrement, il attribua à chaque espèce un binôme, une appellation formée de deux mots latins (que l'on écrit en italique). Le premier mot (majuscule) indique le genre auquel l'espèce appartient; le second mot (minuscule) désigne l'espèce en tant que telle. Par exemple, le nom scientifique du chat domestique est Felis domestica. Un genre peut comprendre plusieurs espèces semblables qui portent chacune un nom spécifique. Le lynx roux, par exemple, Felis rufus, appartient au même genre que le chat domestique. Dans la conversation courante, on peut se contenter d'utiliser les noms usuels, comme « chat», « lynx», mais dans les communications scientifiques, les biologistes emploient les noms scientifiques afin

Requins Actinoptérygiens Amphibiens Primates Rongeurs Crocodiles Dinosaures et Oiseaux

Poils Deux fenêtres post-orbitaires

Œuf amniotique

Quatre membres

Squelette osseux

Vertèbres

33

d'éviter toute ambiguïté. Linné baptisa plus de 11’000 espèces végétales et animales, et beaucoup de ses appellations sont encore en usage.

La deuxième grande contribution de Linné à la taxinomie fut une classification qui groupait les espèces en une hiérarchie de catégories de plus en plus générales. La nomenclature binomiale traduit la première étape de ce groupement. En effet, les espèces très semblables, comme le lynx et le chat domestique, appartiennent au même genre. Il est naturel pour nous de grouper les espèces, en théorie du moins. Nous groupons des arbres semblables et nous les appelons «chênes» pour les distinguer d'autres arbres que nous appelons «érables ». De fait, les chênes et les érables appartiennent à des genres distincts. Le système de Linné formalise le groupement des espèces en genres et étend le processus à des catégories de plus en plus larges, dont certaines furent ajoutées après la mort de Linné.

Les taxinomistes rassemblent les genres semblables en familles, les familles en ordres, les ordres en classes, les classes en embranchements et les embranchements en règnes. Ainsi, le genre Felis et le genre Panthera (qui comprend le lion, le tigre, le léopard et le jaguar) appartiennent à la famille des félidés, famille qui compte les chats. Cette famille appartient à l'ordre des carnivores, lequel comprend aussi les canidés (famille qui compte les chiens), les ursidés (famille qui compte les ours) et plusieurs autres. L'ordre des carnivores et de nombreux autres ordres appartiennent à la classe des mammifères, et la classe des mammifères est l'une de celles qui forment l'embranchement des cordés, dans le règne animal. Chaque rang taxinomique est plus vaste que celui qui le précède. Tous les membres de la famille des félidés appartiennent à l'ordre des carnivores et à la classe des mammifères, mais les mammifères ne sont pas tous des chats. Comme on trie le courrier d'après le code postal, la rue puis le numéro, on classifie les espèces en embranchements, en classes et ainsi de suite.

Figure 22 : Les trois grands domaines

Nous pouvons zoomer sur une branche particulière et explorer la phylogénie de lignées particulières, comme les animaux (entourés en en rouge).

34

Figure 23 : La phylogénie des Animaux

Nous pouvons ensuite poursuivre le zoom et examiner les lignées majeures des vertébrés (entourés en orange).

Figure 24 : La lignée des vertébrés

Bryozoaires

Brachiopodes

Plathelminthes

Spongiaires

Cnidaires

Vertébrés

Tuniciers

Echinodermes

Arthropodes

Tardigrades

Nématodes

Annélides

Mollusques

Cœlacanthes

Placodermes

Grenouilles Salamandres

Serpents

Oiseaux

Lamproies

Poissons cartilagineux

Mammifères marsupiaux

Mammifères placentaires

Tortues

Lézard

Crocodiles

Dinosaures non-aviaires

Dinosaures ornithischiens

Dipneustes Mammifères monotrèmes

Actinoptérygiens

35

La taxinomie vise deux grands objectifs. Le premier consiste à répartir en espèces les organismes étroitement apparentés en décrivant les caractéristiques sur lesquelles ce tri se fonde. Cette tâche s'assortit de l'attribution d'un nom, un binôme dans la tradition linnéenne, aux espèces nouvellement découvertes. Le second objectif de la taxinomie est de placer les espèces dans les catégories supérieures, du genre au règne. Notons qu'il existe des rangs taxinomiques intermédiaires, notamment la super- famille (entre la famille et l'ordre) et la sous-classe (entre la classe et l'ordre). Un rang taxinomique identifié, quel qu'en soit le niveau, est appelé taxon. Au niveau du genre, par exemple, Pinus est un taxon qui regroupe les diverses espèces de Pins. Au niveau de l'embranchement, «Cordés » est un taxon qui englobe toutes les classes d'animaux possédant une corde dorsale à une étape de leur vie. Les règles de la nomenclature, qui varient quelque peu selon que l'on traite des animaux, des végétaux ou des bactéries, sont établies par des comités internationaux.

Taxonomie du chat domestique

Règne Animal

Embranchement Cordés

Sous-Embranchement Vertébrés

Classe Mammifères

Ordre Carnivores

Famille Félidés

Genre Felis

Espèce domestica Tableau 4: taxonomie du chat domestique

4.2 La phylogénie classique

Comprendre une phylogénie n’est pas comme lire un arbre généalogique. La racine de l’arbre représente une lignée ancestrale, et les extrémités des branches représentent les descendants de cet ancêtre. En se déplaçant de la racine aux extrémités, on avance dans le temps.

Quand une lignée se sépare (spéciation), on le représente par une branche dans une phylogénie. Quand un événement de spéciation se produit, une lignée ancestrale engendre deux ou plusieurs lignées filles.

36

Les phylogénies tracent des dessins d’ancêtres partagés entre les lignées. Chaque lignée a une part de son histoire qui est unique et une part qui est partagée avec d’autres lignées.

De manière similaire, chaque lignée a des ancêtres qui sont uniques à cette lignée et des ancêtres qu’elle partage avec d’autres lignées, des ancêtres communs.

Un clade est un groupe qui inclut un ancêtre commun et tous ses descendants (vivants et éteints). En utilisant une phylogénie, il est facile de dire si un groupe de lignées forme un clade. Imaginons de couper une seule branche de la phylogénie. Tous les organismes de cette branche coupée forment un clade.

37

Les clades sont imbriqués les uns dans les autres, ils forment une hiérarchie. Un clade peut inclure plusieurs milliers d’espèces ou seulement quelques-unes. Certains exemples de clades à différents niveaux sont représentés ci-dessous. Notez comment les clades sont imbriqués dans des clades plus grands.

Jusqu'à présent, nous avons vu que les extrémités d'une phylogénie représentent des lignées de descendants. Toutefois, selon le nombre de branches de l'arbre que l’on inclut, les descendants aux extrémités peuvent être différentes populations d’une même espèce, de différentes espèces ou de différents clades, chacun composé de beaucoup d’espèces.

A plusieurs reprises dans le passé, les biologistes ont défendu l’idée erronée que la vie peut être organisée en échelle allant d’organismes inférieurs à des organismes supérieurs. Cette idée est au centre de la grande chaîne de la vie d’Aristote.

De manière similaire, le risque existe de mal interpréter des phylogénies comme impliquant que certains organismes sont plus avancés que d’autres. Dans cette phylogénie très simplifiée, un événement de spéciation apparaît produisant deux lignées. L’une a conduit aux mousses d’aujourd’hui, l’autre a conduit aux fougères, aux pins et aux roses. Depuis cet événement de spéciation, les deux lignées ont eu le même temps pour évoluer. Ainsi, bien que les mousses se séparent très tôt des autres et partagent beaucoup de caractéristiques avec l’ancêtre de toutes les plantes terrestres, les mousses actuelles ne sont pas les ancêtres des autres plantes terrestres. Elles ne sont pas non plus primitives, mais sont des cousines des autres plantes terrestres.

Ainsi, en lisant une phylogénie, il est important de garder en tête trois éléments :

1. L’évolution produit des relations entre les lignées qui

peuvent être représentées par des branches et non par une échelle.

2. Ce n’est pas parce que nous avons tendance

à lire les phylogénies de gauche à droite qu’il y a une corrélation avec une idée d’avancement.

38

3. Pour tout événement de spéciation sur une phylogénie, le choix de quelle lignée va vers la droite ou vers la gauche est arbitraire. Les deux phylogénies ci-dessous sont équivalentes.

Si l’on veut résumer les 3,5 milliards d’années d’histoire de la vie sur Terre en une seule minute, il faudrait attendre 50 secondes pour que la vie multicellulaire n’évolue, quatre secondes de plus pour que les vertébrés n’envahissent le milieu terrestre, et encore quatre secondes pour que les fleurs ne se développent. La vie des humains modernes ne se verrait qu’à partir des 0,002 dernières secondes.

Les biologistes représentent souvent le temps sur des phylogénies en dessinant des branches à la longueur proportionnelle à l’intervalle de temps qui a passé depuis que cette lignée s’est développée. Si les arbres de la vie étaient dessinés selon ce modèle, il y aurait un tronc très long avant d’arriver aux premières plantes et aux branches animales.

La phylogénie suivante représente l’évolution du clade des vertébrés. La longueur de branches a été ajustée pour montrer quand les lignées se sont séparées et éteintes.

39

4.2.1 Les arbres phylogénétiques

Comme les arbres de famille, les arbres phylogénétiques représentent des généalogies. Toutefois, alors que les familles ont la possibilité d’enregistrer leur propre histoire au moment où elle se passe, les lignées évolutives ne le peuvent pas. Les espèces dans la nature ne viennent pas avec des documents qui montrent leur histoire familiale. Les biologistes doivent alors reconstruire ces histoires en collectant et en analysant des preuves qu’ils utilisent pour énoncer des hypothèses quant aux liaisons qu’il existe entre différents organismes. Ils établissent une phylogénie.

Pour construire un arbre phylogénétique tel que celui qui apparaît à la page 5, les biologistes recueillent des données au sujet des caractères de chaque organisme qui les intéresse. Les caractères sont des traits héritables qu’il est possible de comparer entre les organismes, par exemple des caractères physiques (morphologie), des séquences génétiques ou des traits comportementaux.

Dans le but de construire une phylogénie des vertébrés, nous commençons par examiner des représentants de chaque lignée pour obtenir des informations sur leur morphologie, s’il s’agit d’un vertébré ou non, s’il a un squelette osseux, quatre membres, un œuf amniotique,…

Dans la construction d’arbres, on peut se retrouver devant le choix de plusieurs arbres, plusieurs hypothèses de transformation. On applique alors le principe de parcimonie : en choisissant l’arbre le plus économique, le moins coûteux en hypothèses de transformation. Le principe de parcimonie stipule que les innovations évolutives sont rares, donc on admet toujours l’hypothèse qui suppose le moins d’innovations.

4.2.1.1 Les caractères dérivés

Le but est de trouver des preuves qui vont nous aider à grouper des organismes dans des clades plus ou moins inclusifs. Spécifiquement, on s’intéresse aux caractères dérivés partagés. Un caractère partagé est un caractère que deux lignées ont en commun et un caractère dérivé est un caractère qui a évolué dans une lignée conduisant à un clade et qui sépare les membres de ce clade d’autres individus.

Les caractères dérivés partagés peuvent être utilisés pour grouper les organismes en clades (qui sont dits monophylétiques). Par exemple, les amphibiens, les tortues, les lézards, les serpents, les crocodiles, les oiseaux et les mammifères ont tous, ou ont eu historiquement, 4 membres. Si l’on regarde un serpent actuel, on ne voit pas de membres, mais des fossiles nous montrent que les anciens serpents avaient des membres et que certains serpents modernes ont encore des membres rudimentaires. Quatre membres est un caractère dérivé partagé hérité d’un ancêtre commun et qui aide à séparer ce clade particulier des vertébrés.

Toutefois, la présence de quatre membres n’est pas utile pour déterminer les relations à l’intérieur du clade, puisque toutes les lignées de ce clade possèdent ce caractère. Pour déterminer les relations à l’intérieur de ce clade, il faudrait examiner d’autres caractères qui varient dans les différentes lignées du clade.

4.2.1.2 Homologie et analogie

Comme un arbre phylogénétique est une hypothèse au sujet des relations évolutives, il est important d’utiliser des caractères qui sont des indicateurs fiables de l’existence d’un ancêtre commun pour construire un arbre. Nous utilisons les caractères homologues, caractères similaires chez plusieurs organismes qui révèlent un héritage d’un ancêtre commun qui avait aussi ce caractère. Un exemple de

40

caractère homologue est la présence de quatre membres chez les tétrapodes. Les oiseaux, les chauves-souris, les souris et les crocodiles ont quatre membres. Les requins et les poissons osseux, non. L’ancêtre des tétrapodes a développé quatre membres et tous ses descendants ont hérité de trait. Donc la présence de quatre membres est une homologie.

Tous les caractères ne sont pas des homologies. Par exemple, les oiseaux et les chauves-souris ont des ailes, alors que les souris et les crocodiles n’en ont pas. Cela veut-il dire que les chauves-souris ont une parenté plus proche avec les oiseaux qu’avec les souris et les crocodiles? Non

Lorsque nous examinons attentivement les ailes des oiseaux et les ailes des chauves-souris, nous remarquons quelques différences majeures.

Les ailes des chauves-souris consistent en des lambeaux de peau tendus entre les os des doigts et des bras. Les ailes des oiseaux consistent en des plumes disposées tout au long des bras. Ces différences structurelles suggèrent que les ailes des oiseaux et les ailes des chauves-souris n’ont pas été héritées d’un ancêtre commun avec des ailes. Cette idée est illustrée par la phylogénie ci-dessous, basée sur un grand nombre d’autres caractères.

Les ailes des oiseaux et les ailes des chauves-souris sont analogues, c’est-à-dire qu’elles ont des origines évolutives différentes, mais se ressemblent car elles ont évolué pour la même fonction. Les analogies sont le résultat d’évolution convergente.

Bien que les oiseaux et les chauves-souris aient des ailes analogues, leurs membres antérieurs sont des homologies. Les oiseaux et les chauves-souris n’ont pas hérité leurs ailes d’un ancêtre commun, mais ils ont hérité leurs membres antérieurs d’un ancêtre commun qui avait des membres antérieurs.

Un clade est considéré comme tel si les espèces qui le composent forment un groupe monophylétique, c’est-à-dire un groupe dont les espèces partagent un nouveau caractère dérivé (= synapomorphie) hérité de leur plus récent ancêtre commun. Par exemple, les plumes des oiseaux sont des caractères synapomorphiques. Une synapomorphie est une homologie. Un caractère dérivé (= apomorphie) propre à un taxon est appelé autapomorphie. Les caractères autapomorphiques permettent de définir les caractéristiques propre d’un taxon. Un caractère ancestal (= plésiomorphie), à l’inverse d’un caractère dérivé, est un caractère qui n’a pas subi de modification au

41

cours de l’évolution. Ce caractère homologue a été conservé depuis le premier ancêtre du groupe le présentant, mais pas nécessairement présent dans toutes les espèces qui en descendent. Un tel caractère est appelé symplésiomorphie. Par exemple, les cinq doigts de nombreux tétrapodes sont une symplésiomorphie. Les symplésiomorphies déterminent des groupes paraphylétiques dans lesquels une partie de la descendance a acquis le caractère dérivé. Contrairement à une homologie, une homoplasie est la similitude d’un caractère chez différentes espèces qui ne provient pas d’un ancêtre commun. Il existe différents types d’homoplasie : la convergence, le parallélisme et la réversion.

• la convergence : ressemblance apparue

indépendamment dans divers taxons sans lien de parenté.

• le parallélisme : ressemblance apparue chez des taxons relativement proches.

• la réversion : un état dérivé d’un caractère

revient à un état ancestral (antérieur).

L'homoplasie de fonction est une analogie, c'est-à-dire une ressemblance de caractères remplissant les mêmes fonctions biologiques.

Remarque importante :

Sont homologues deux structures du vivant qui ont évolué progressivement. Il est très important de bien nommer ce que l’on interprète et de bien cadrer l’homologie dont on parle, d’abord dans un échantillon donné puis dans l’arbre phylogénétique final. L’homologie est d’abord un pari (homologie primaire ). Sont homologues deux structures qui, prises chez des organismes différents, entretiennent avec les structures voisines les mêmes connections, et ceci quelles que soient leur forme ou leur fonction. Le pari est le suivant : à cette correspondance topologique doit correspondre une origine phylogénétique commune. Mais c’est l’arbre phylogénétique final qui donne la réponse. Si les structures communes correspondent à un seul événement de transformation dans l’arbre, elles deviennent des homologies secondaires (synapomorphies), le pari est gagné. Si elles correspondent à plusieurs événements d’acquisition indépendants, elles correspondent à de l’homoplasie, le pari est perdu.

4.2.1.3 Exemple

Soit la collection : truite de mer, cœlacanthe et chien domestique avec le requin taupe comme extra-groupe (point suivant) Soit, dans une matrice, un caractère n appelé « appendice pair » sur lequel, au sein des différentes espèces de la collection, on pose une hypothèse d’homologie. L’appendice pair peut se présenter sous plusieurs états : il peut soit s’insérer au corps à l’aide de plusieurs pièces osseuses (état 0, dit primitif), soit s’insérer à l’aide d’une seule pièce (état 1, dit dérivé).

Nous savons bien que les appendices pairs présentés par les organismes de la collection ne sont pas rigoureusement identiques. Mais nous n’avons retenu, à travers ce codage, qu’un aspect de leur réalité : leur mode d’insertion au même endroit. La matrice exprime des caractères. Un caractère est une collection de traits sur lesquels nous pouvons formuler au moins une hypothèse d’homologie. Les codages 0 et 1 en sont les différents états. Nous n’avons pas encore construit d’arbre, mais il y a ici trois paris :

Etat du caractère

n

Requin 0

Truite 0

Cœlacanthe 1

Chien 1

42

• Pari 1 : l’état 0 trouvé chez le requin et l’état 0 trouvé chez la truite sont homologues ;

• Pari 2 : l’état 1 trouvé chez le cœlacanthe et l’état 1 trouvé chez le chien sont homologues ; • Pari 3 : les états 0 des deux premiers organismes et les états 1 des deux suivants sont homologues.

Dans l’arbre qui sera construit à partir de plusieurs caractères, on n’aura aucune information quant à l’origine de l’état 0, car elle peut dépasser le cadre de l’échantillon présent. Aussi le pari 1 ne sera pas documenté : il résulte d’une homologie plus profonde dans l’arbre de la vie, qui dépasse le cadre de l’échantillonnage présent. Seul le pari 2 peut être infirmé (si cœlacanthe et chien ne sont pas des groupes-frères : deux acquisitions de l’état 1 indépendantes) ou confirmé (si coelacanthe et chien sont des groupes-frères : une seule acquisition de l’état 1). Si l’homologie des états 1 est confirmée, elle s’inscrit sur une branche, à un niveau donné de la classification. L’homologie est, dans l’arbre, une structure qui résulte d’une transformation inscrite sur une branche. Sur la branche propre au chien et au cœlacanthe, on sera passé d’un organe pair à insertion pluribasale à une insertion monobasale. Le pari 2 sera gagné. Le pari 3 n’est pas non plus testé car, que les états 1 soient ou non réunis dans l’arbre, ils proviennent d’un état 0.

4.2.2 L’extra-groupe

Deux états d’un caractère sur lequel on a fait une hypothèse d’homologie ne se définissent qu’à l’intérieur d’un échantillon d’espèces donné. L’état primitif des différents caractères analysés est celui qui est trouvé chez une espèce extérieure à l’échantillon que l’on étudie, c’est-à-dire chez une espèce antérieure à l’ancêtre commun exclusif des espèces de l’échantillon. Le choix de cette espèce extérieure n’est pas la traduction d’une vérité immuable inscrite dans la nature. C’est un postulat issu de la connaissance actuelle du monde vivant, le point de départ d’une expérience : la recherche des liens de parenté dans l’échantillon. Le groupe extérieur (ou extra-groupe) doit présenter une anatomie comparable aux espèces analysées afin de définir des homologies sur certains caractères, mais doit s’en distinguer par certains points.

43

4.2.3 Pratique - exercice

Une fois identifiés, les caractères doivent être polarisés, c’est-à-dire qu’il faut déterminer quel est l’ état primitif et quel est l’état dérivé. Si l’on travaille à la main sur un échantillon de quatre espèces, on utilise une matrice de caractères. Pour un travail donné, un scientifique construit une matrice de caractères : c’est un tableau à double entrée indiquant l’état de chaque caractère considéré pour chaque espèce de la collection. Par convention, l’état primitif est noté 0 et l’état dérivé noté 1.

- Placer les hypothèses de transformation sur l’arbre

Soit le même échantillon qu’au paragraphe précédent. Construisez les trois arbres possibles et inscrivez sur les rameaux, pour chacun d’eux, les hypothèses de transformation.

1. 2. 3. 4.

Un échantillon de caractères concernant l’homme, la pipistrelle (chauve-souris) et le gris du Gabon (perroquet). La mandibule peut être constituée de plusieurs os (0) ou d’un seul os, le dentaire (1) ; les réserves vitellines de l’œuf peuvent être énormes (0) ou quasi nulles (1) ; le membre antérieur peut être sous forme de patte marcheuse (0) ou d’aile permettant le vol battu (1) ; l’amnios peut être absent (0) ou présent (1). EG : extra-groupe.

44

- Choisir l’arbre le plus parcimonieux

Il faut maintenant choisir parmi les trois arbres lequel est le plus parcimonieux, c’est-à-dire celui qui implique le plus petit nombre d’hypothèses de transformation. Par hypothèse, on entend ici : soit une innovation (la transformation d’un caractère vers l’état dérivé), soit une convergence (acquisition indépendante chez deux espèces d’un même état de caractère), soit un retour à l’état primitif (une réversion) pour un caractère donné.

- Comparer la classification phylogénétique avec la classification traditionnelle

- Abandonner les groupes non-monophylétiques

Les classifications traditionnelles prennent en compte des caractères qui ne sont pas forcément exclusifs aux groupes établis, ce qui génère des groupes paraphylétiques, tels que celui des poissons ou celui des reptiles, tous deux abandonnés par les systématiciens actuels. C’est ce que l’on démontre dans les deux exemples suivants. La paraphylie des reptiles et des poissons

- Prenons la collection suivante : truite de mer, carpe Koï, dipneuste, grenouille verte, varan de Komodo, crocodile du Nil, pigeon biset, canard colvert.

Voici les groupes et les attributs (sur lesquels on peut trouver de la documentation via les données anatomiques du logiciel Phylogène) :

1. Truite, carpe : nageoires rayonnées (actinoptérygiens) ou bouche protactile (téléostéens). 2. Pigeon, canard : plumes, becs (oiseaux). 3. Crocodile, pigeon, canard : gésier, fenêtre mandibulaire (archosaures). 4. Varan, crocodile, pigeon, canard : amnios (amniotes). 5. Grenouille, varan, crocodile, pigeon, canard : quatre membres chiridiens (tétrapodes). 6. Dipneustes, grenouille, varan, crocodile, pigeon, canard : poumons alvéolés fonctionnels

(rhipidistiens) ou appendices pairs à insertion monobasale (sarcoptéryigiens). 7. Tous : vertèbres (vertébrés).

Exercice 1 : Construire l’arbre phylogénétique des espèces ci-dessus en tenant compte des caractères.

La notion de grade Les reptiles représentent un grade, c’est-à-dire un groupe d’êtres vivants définis non seulement par ce qu’ils sont, mais surtout par ce qu’ils ne sont pas. Les poissons représentent également un grade. Ils n’ont pas d’attribut qui leur soit propre : le groupe existe car il donne naissance, évolutivement parlant, aux tétrapodes, animaux à quatre pattes. Les reptiles, eux, n’existent que parce qu’ils ont donné naissance aux oiseaux et aux mammifères. La classification par grades produit des groupes en rapport avec leur devenir. La classification phylogénétique produit des groupes par rapport à leur héritage issu d’ancêtres communs exclusifs. Classer les êtres en rapport avec leur devenir, c’est ne pas pouvoir classer les êtres vivants d’aujourd’hui. Les êtres vivants ne sont porteurs que de leur passé, pas de leur devenir.

45

Exercice 2 : Soit la collection lamproie marine (extra-groupe), requin taupe, vache normande et truite de mer. Construire l’arbre phylogénétique le plus parcimonieux en vous basant sur la matrice ci-dessous.

Les poissons ne sont pas un groupe monophylétique. Les caractères sont : absence (0) ou présence d’os (1); absence (0) ou présence de sacs aériens connectés au tube digestif (vessie natatoire ou poumons) (1) ; présence de nageoires impaires dorsales et caudales (0) ou absence de nageoires impaires (1) ; absence(0) ou présence d’écailles(1).

46

- Utiliser des fossiles dans la classification

Les fossiles montrent également le caractère paraphylétique du groupe des reptiles et des dinosaures (au sens trivial du terme).

Exercice 3 : Soit le lézard vert (extra-groupe), triceratops, mouette rieuse et velociraptor. Construire l’arbre phylogénétique le plus parcimonieux en vous basant sur la matrice ci-dessous.

L’utilisation des fossiles invalide le groupe reptiles. Les caractères sont comme suit : Les deux clavicules peuvent être libres (0) ou soudées en une « fourchette » (1). Le pied peut s’appuyer sur cinq doigts (0) ou sur trois doigts tournés vers l’avant (1). Le bec peut être absent (0) ou présent (1). La mandibule peut être non fenêtrée (0) ou fenêtrée (1).

47

- Des rapprochements entre organismes sans ressemblance évidente

La classification phylogénétique permet des rapprochements entre organismes sans ressemblance évidente, comme dans le cas des cétacés.

Exercice 4 : Soit la collection kangourou (extra-groupe), loutre, hippopotame amphibie et un cétacé. Construire l’arbre phylogénétique le plus parcimonieux en vous basant sur la matrice ci-dessous.

Des rapprochements entre organismes ne se ressemblant pas. L’astragale peut être sans double poulie (0) ou à double poulie (1). On peut observer (1) ou non (0) des séquences rétrotransposées sur quatre sites particuliers du génome. Le régime alimentaire peut être herbivore (0) ou piscivore (1). Au niveau du cloaque, les sorties des voies digestives et génitales peuvent être indistinctes (0) ou séparées (1). Remarque : l’astragale à double poulie chez les cétacés n’est visible que sur les fossiles Ambulocetus et Pakicetus, sortes de « baleines à pattes ». Elle n’est pas visible chez les cétacés actuels, en raison de la perte des membres postérieurs. On indiquera donc dans la matrice « cétacé », ou ce qui signifie que l’on considèrera en fait un cétacé ancestral, plutôt que « dauphin » ou « baleine ».

48

4.3 La phylogénie moléculaire

La comparaison de macromolécules riches en information, les protéines et l'ADN, est devenue un puissant outil de la taxinomie. Par exemple, l'arbre phylogénétique des ours et des ratons laveurs a été établi d'après des données moléculaires. Les séquences de nucléotides de l'ADN sont héréditaires, et elles programment des séquences correspondantes d'acides aminés dans les protéines. Avec les comparaisons moléculaires, on touche au cœur des relations évolutives.

4.3.1 Les protéines

La structure primaire des protéines est génétiquement déterminée. Par conséquent, une ressemblance étroite entre les séquences d'acides aminés de deux protéines d'espèces différentes indique que les gènes codant pour ces protéines dérivent d'un gène ancestral commun. Le degré de similitude est fonction de la proximité généalogique. Ce critère taxinomique a l'avantage d'être objectif et quantitatif.

Il a aussi pour mérite de se prêter à l’étude des relations entre des groupes qui ont très peu de ressemblances morphologiques. Par exemple, on a déterminé la séquence d'acides aminés du cytochrome c, une protéine ancienne commune à tous les organismes aérobies, chez une grande variété d'espèces appartenant à des règnes très différents, comme les monères, les végétaux et les animaux. Chez l'Humain et chez le chimpanzé, les 104 positions de la chaîne polypeptidique concordent exactement; les cytochromes de ces espèces ne diffèrent de celui du singe Rhésus que par un seul acide aminé. Les trois espèces appartiennent au même ordre de mammifères, les primates. Si l'on compare ces cytochromes aux formes trouvées chez les animaux d'ordres différents, les variations s'additionnent à mesure que les espèces s'éloignent dans la généalogie. Ainsi, le cytochrome c de l'Humain se distingue de celui du chien par 13 acides aminés, de celui du crotale par 20 acides aminés et de celui du thon par 31 acides aminés. Les arbres phylogénétiques fondés sur les comparaisons du cytochrome c sont conformes aux conclusions de l'anatomie comparée et de la paléontologie.

4.3.2 l'ADN ( Acide DésoxyriboNucléique)

La comparaison des génomes de deux espèces constitue la mesure la plus directe de la proximité phylogénétique. Il existe trois méthodes de comparaison; l'hybridation ADN-ADN, la cartographie de restriction et le séquençage de l'ADN.

L’hybridation ADN-ADN permet de comparer des génomes entiers ; cette technique mesure l’étendue des liaisons hydrogènes entre deux brins simples d’ADN provenant d’espèces différentes. La fermeté du lien entre les deux ADN monocaténaires dépend du degré de ressemblances entre les espèces, puisque les deux brins simples sont rattachés par l’appariement des séquences complémentaires. Plus l’appariement est étendu, plus il faut d’énergie thermique pour séparer les brins. Les arbres évolutifs établis à l'aide de l’hybridation ADN-ADN coïncident généralement avec la phylogenèse déterminée par d'autres méthodes, telle l'anatomie comparée; cependant, l'hybridation ADN-ADN nous permet de trancher de vieilles querelles taxinomiques. Une question, par exemple, a longtemps divisé les ornithologues : les flamants sont-ils plus proches des cigognes que des oies? La comparaison de l'ADN a clos le débat: le flamant est apparenté à la cigogne. Quant à savoir si le panda géant est un ours véritable ou un membre de la famille des ratons laveurs, l'hybridation ADN-ADN résout la polémique: le panda géant doit être classé avec les ours, mais le petit panda appartient à la famille du raton laveur.

Les spécialistes de la systématique moléculaire emploient, par exemple, la méthode de cartographie de restriction pour trancher la question de la taxinomie du loup roux. En effet, les biologistes hésitent à considérer le loup roux comme une espèce à part entière ou comme un hybride du loup gris et du

49

coyote. Deux scientifiques ont employé cette technique pour comparer l’ADN mitochondrial des trois animaux. Leurs résultats laissent croire que le loup roux est un hybride. Toutefois les fossiles indiquent que le loup roux est apparu avant le coyote et le loup gris et qu’il constitue de ce fait une espèce distincte. Pour trancher la question, il faudra procéder à plus de comparaisons sur les génomes au moyen de la cartographie de restriction de l’ADN nucléaire des trois animaux.

La méthode la plus précise de comparaison de l'ADN, mais malheureusement la plus fastidieuse, est le séquençage de l'ADN. Elle consiste à déterminer l’enchaînement des nucléotides dans des segments entiers d’ADN. La méthode révèle avec exactitude le degré de divergence entre deux gènes dérivés d’un même gène ancestral. Pour l’heure le séquençage demande beaucoup de temps, mais la technique ne cesse de s’améliorer et le processus deviendra bientôt un outil taxinomique efficace. Cette technique a particulièrement éclairé les relations phylogénétiques entre les bactéries.

Grâce à de nouvelles techniques, le champ de la systématique moléculaire s'étend depuis peu à l'étude des traces d'ADN conservées dans des fossiles. En 1990, une équipe de chercheurs a utilisé les réactions en chaîne de la polymérase pour amplifier l'ADN extrait de feuilles de magnolia trouvées en Idaho, aux Etats-Unis, dans des sédiments vieux de 18 millions d'années. Les scientifiques ont été en mesure de comparer un court fragment de cet ADN ancien à l'ADN homologue des magnolias modernes. Les fossiles qui renferment encore de l'ADN sont très rares, mais l'infime quantité prélevée suffira peut-être à résoudre des problèmes phylogénétiques qui semblaient insolubles avant les percées du génie génétique.

Le génie génétique viendra aussi à la rescousse des anthropologues. Déjà, ils ont été capables d'analyser des échantillons d'ADN prélevés sur une momie vieille de 2400 ans et sur un os humain datant de plus de 5500 ans. De telles études permettent aux anthropologues de retracer les relations historiques des premières sociétés. La biologie moléculaire, qui a déjà révolutionné tant de domaines, entre désormais dans le champ de la paléontologie et de l'anthropologie.