2013 Nathalie Sebayashi Albums Factices

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ALBUMS FACTICES

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ALBUMS FACTICES

ALBUMS FACTICES

Nathalie Sebayashi

Mémoire de master 22012-2013

section Illustration

Expert tuteur : Guillaume Dégé

Haute École des Arts du Rhin

LANGAGES PARALLÈLES ET AUTRES SINGULARITÉS

un immense merci àGuillaume Dégé,

pour ses habiles conseils, sa patience tenace et son incroyable flair,

Monsieur F. P.,pour ses remarques clairvoyantes, et le partage de son noble savoir,

Anne-Marie Tourneboeuf,pour sa rigoureuse et mémorable relecture,

Salomé Risler,pour ses subtiles et efficaces suggestions,

documentation céline duval,pour sa généreuse attention,

Et pour leurs qualités critiques et la diligence dont ils ont fait montre, un immense merci à

Noémie et Josyanne, Muriel Boulier, Célina Dufour,

Ouessale El Assimi,Louis Delbaere.

RemeRciements .........................................................................................................................07

AvAnt-pRopos .........................................................................................................................11

intRoduction .........................................................................................................................15

exploRAtion typologique ....................................................................................................21I Image I.I. L’image et son contexte d’origine I.2. Nature de l’image I.3. Collusions visuellesII SupportIII Témoignages de deux collecteurs

ÉpluchAge pRotocolAiRe et squelettes ...............................................................................37Album factice 1957Album factice 2Albums factices (5)Another book de Hans Peter FeldmannAtlas de Gerhard RichterThe Uncanny de Mike Kelley

nARRAtion et peRspectives ....................................................................................................81 I. Cette inquiétante étrangetéII. Une histoire parallèle et un langage en margeIII. Perspectives

conclusion ............................................................................................................................93

notes et extRAits ..................................................................................................................99

BiBliogRAphie.........................................................................................................................103

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avant-propos

Les collecteurs élaborent patiemment leur trésor, ajout par ajout, et cet amas constitue l’incarnation de leur succès et de leur gloire. Cependant, déjà le petit d’homme concocte des fragments de collections, en mois-sonnant feuilles ou coquillages, modestes objets à sa portée ayant valeur de richesses à posséder et dont l’ensemble disparate ne fait sens qu’à ses yeux.

Jusque-là, il n’est question que d’objets matériels variés et de leur mise scène ou stockage. Cette matière disparate, indéfinissable car échappant à toute description formelle et tout système d’analyse, forme le limon de la démonstration à venir, car si l’on peut désormais rentrer ce genre de collecte dans des définitions préétablies, et sans passer par le terme de col-lectionnisme, il existe des collectes d’images imprimées sans aucun lien de parenté, et surtout des collectes figées selon une logique inconnue dans un livre. Sans aborder l’imagier pour enfants dont on peut dater la naissance imprimée à l’Orbis Pictus1 de Comenius en 1658, l’« atlas » se pose très tôt en tant que genre éditorial et accompagne un tome écrit, il s’agit d’un recueil d’images à vocation « monstrative » quasiment dépourvu de texte. Cependant, dans cette étude, les ouvrages à caractère purement pédago-gique tels que les atlas géographiques, de botanique etc. sont d’emblée mis au ban de notre étude car ils procèdent d’un type de classement ex-clusivement thématique.Les premiers atlas apparaissent sous deux volontés distinctes : les uns sont des catalogues reflétant la puissance des collectionneurs et de leurs trésors à l’instar du Cabinet Du Roi2, à la gloire de Louis XIV ; les seconds quant à eux découlent de la mise en image de l’histoire de l’art, dont l’un des pionniers fut Johan Joachim Winckelmann3. En France, on peut dater la naissance du premier atlas de collectionneurs en 1729, il s’agit

1 Comenius John Amos, Orbis Sensualium Pictus, Nuremberg, 16582 Le Cabinet de planches gravées du roi ou Cabinet du roi est un recueil factice d’œuvres d’art et évènements importants gravés sur cuivre reflétant la valeur du patri-moine culturel français et les collections de la Couronne, commencé en 1667

3 Winckelmann J. J., Histoire de l’art de l’antiquité (titre original :Geschichte der Kunst des Altertums), Allemagne, 1764

du Recueil Crozat4 élaboré par Pierre-Jean Mariette ; en histoire de l’art, il se pourrait que ce soit Alexandre Décamps et son opuscule Le Musée, publié en 1834, dans lequel sont présentées des « reproductions origi-nales », c’est-à-dire des reproductions gravées par les peintres mêmes de leurs propres œuvres.Les procédés mécaniques de reproduction favorisent l’intense prolifé-ration des atlas d’images et des catalogues à partir du premier tiers du XIXe siècle5 ; en revanche on ne s’interroge guère sur le genre d’objets obtenus, on ne cherche pas à lire un atlas d’images, on est en général au courant de ce que l’on y cherche ou du moins s’y cultive-t-on en lisant conjointement le tome d’images et le tome d’écrits, lecteurs comme créateurs d’atlas exploitent le côté instructif sans reconnaître que les images, dans leur présence et leur mise en page créent quelque chose d’autre, de par leur nature narrative même. Il est rare que la proximité de deux images soit automatiquement interprêtée comme un dialogue entre deux situations. Il faut attendre les années 1920 qu’un historien de l’art allemand, érudit bien que perceptiblement fragile, mette en exergue les relations et discours générés par une série d’images appariées sur le même plan. Il met d’ailleurs lui-même en scène ce qu’il appelle des « montages », et fait photographier de grandes toiles noires de 140 par 175 centimètres sur des châssis, toiles sur lesquelles Aby Warburg, car c’est lui, appose des images, des reproductions d’œuvres d’art, des originaux, des fragments de journaux etc. Ces installations illustraient les conférences qu’il donnait dans sa bibliothèque. Provoquant volontairement le hasard, l’illogique et l’insensé par le mariage incongru d’images différentes, il met au jour des liens, des messages. Les épreuves de ces montages étaient censées composer un, voire plusieurs tomes, une partie sous la forme d’atlas6, l’autre regroupant les écrits relatifs aux montages. Malheureusement, l’auteur décède sans avoir laissé autre chose que des projets, et une phé-noménale bibliothèque, transférée en 1933 en Angleterre.Ses travaux font désormais l’objet de moult réflexions en histoire de l’art ;

4 Mariette P.-J., Recueil Crozat, recueil d’estampes des plus beaux tableaux italiens des collections françaises, sous la direction artistique de Pierre Crozat, mécène et colectionneur, édtion du premier volume en 17295 Première édition du Magasin Pittoresque en janvier 18336 Der Bilderatlas Mnemosyne

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Or personne à ce jour n’a jamais pensé son projet de livre Der Bilderatlas Mnemosyne comme un véritable ouvrage relié et fini, l’émergence d’un tel recueil, son impact non seulement par rapport à une histoire de l’art sous la forme d’atlas mais également et surtout au sein de la famille des « albums factices ». Les points auxquels se sont attachés les historiens à propos du projet Mnemosyne sont la logique de montage, les échos entre les images, l’intelligence et l’audace de l’idée etc. Il n’empêche que c’eut dû être un objet fini et non pas une présentation séquentielle de planches dans l’espace conféré par la bibliothèque Warburg. Donc, si livre il y avait eu, cela aurait sans doute été le premier album factice édité. Et cette notion est le corps de notre exposé.

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introduction

Officiellement, le mariage des mots « album » et « factice » est proclamé en 2009, année de la publication du livre au titre éponyme1. Cependant, quelques lumières épistémologiques nous semblent utiles d’être allumées.

Album amicorum2

Cahier, carnet ou album sur lequel, aux siècles derniers et aujourd’hui encore (mais il est souvent remplacé par un livre d’or), un person-nage ou une famille recueillait des autographes, des pensées, des poèmes, des dessins, des peintures, des portées de musique etc. laissés en souvenir par les personnes de marque qui séjournaient dans la maison. Certains spécimens bataves ou germaniques du XVIe siècle révèlent de surcroît une notion d’érudition, un moyen nouveau de contacts et d’échanges offerts au monde savant.

Recueil facticeRéunion en volume ou en album de pièces diverses, en général sur le même thème, non prévue initialement pour former un tout. Synonyme : volume composite.

UnicumNom latin, pluriel : unica. Désignation assez rare touchant un livre, tous les livres étant en principe connus, répertoriés et rarement uniques.

Ce terme est donc employé pour désigner un livre unique, qui n’a aucun jumeau connu. Galantaris nous dit encore : « C’est le seul sub-sistant d’une édition ou encore le seul devenu unique par adjonction d’éléments tels qu’annotations d’une main célèbre, aquarelles origi-nales etc. »

1 L’Album Factice, sous la direction de G. Dégé, éd. des Musées de la Ville de Strasbourg, Strasbourg, 20092 Galantaris Christian, Manuel de bibliophilie, éd. des Cendres, Paris, 1997, p. 200 et 251

Album3

En France, le mot album ne s’emploie d’abord (1662, Saint-Évremond) que dans l’expression « Album amicorum », qui désigne le carnet blanc ou le livre blanc relié qu’un savant ou un homme de lettres emporte dans ses visites pour le faire signer, avec une sentence ou un dessin, par les personnalités qu’il rencontre. Cet usage né en Allemagne au XVIIe siècle, se répand dans les autres pays avant de devenir mondain et féminin au XIXe siècle : toute maîtresse de maison tenant salon présente son album à remplir par quelques mots flatteurs, poème, air de musique, dessin ou pensée autographe, à ses invités de marque. La mode est suivie par la jeune fille romantique de bonne famille. Sous sa forme publiée, c’est le « keepsake » importé d’Angleterre dans les années 1820, dont la particularité est de mêler les moyens d’expres-sion : gravure sur acier, vers, prose et musique.

Employé seul, album finit (1865) par désigner tout cahier relié destiné à recevoir une collection. Dans le domaine de l’édition, le mot commence au début du XIXe siècle à désigner des publications en cahiers généralement de grand format dont l’illustration prédomine sur le texte, c’est-à-dire les recueils de planches accompagnés d’une explication ou d’une simple légende, tout recueil à feuilleter plus qu’à lire. Dans la première moitié du siècle, il s’agit de lithographies et de gravures sur acier et dans la seconde moitié, d’albums d’eaux-fortes ou de photographies.

L’album se spécialise particulièrement, dès l’époque romantique, pour désigner les ouvrages de grand format spécifiquement destinés aux enfants, tels les abécédaires, dès lors que l’image est seule ou prévaut nettement.

On peut néanmoins affirmer l’existence du mot et de son emploi avant 1 662 dans les régions de langue germanique. En témoignent les ventes aux enchères actuelles d’albums amicorum. En France cette mode préexiste

3 Dictionnaire encyclopédique du livre, Electre-éditions du cercle de la librairie, Paris, 2002, Tome I A-D, p. 48

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sous l’appellation « Liber amicorum », comme celui de Jean Leschicault s’étalant de 1583 à 1598. Apparemment, la mode des albums amicorum commence parmi les étudiants de langue germanique autour du milieu du XVIe siècle.

Recueil4

Bibliothéconomie. Ensemble de documents variés mais présentant au moins un point commun (origine, sujet etc.) que leurs caractéris-tiques (quantité, diversité des formats, nature des supports matériels etc.) conduisent à constituer une unité bibliographique unique pour la commodité du catalogage, de la cotation et de la conservation. Notamment les publicités, dont le trait principal est d’être éphémère.

Depuis sa pratique courante au XVIIe siècle à nos jours, la mode de l’album amicorum s’est séparée en deux pratiques distinctes, celle du livre d’or et celle de l’album factice.Par recoupements logiques et en utilisant comme tremplin la publication dernièrement citée, nous conviendrons d’utiliser le terme «album factice » pour désigner l’objet de nos pensées, et de ce mémoire.Les albums factices dont nous nous préoccupons sont tous des unica, tout comme les albums amicorum. Il est cependant indispensable d’ajouter que nous pensons que l’existence des albums factices n’est pas postérieure à celle des albums amicorum, les deux tendances ont dû cohabiter.Les préliminaires sémantiques étant posés, avançons le cœur léger dans celui de notre sujet.L’idée même de collecter par pur plaisir des images qui nous séduisent, qui nous interpellent, bref nous parlent, est un trait assez remarquable parmi nos semblables ; et ce, a priori, depuis la démocratisation de l’image imprimée vers la fin du XVIIe siècle.

4 ibid. p. 11, Tome III, N-Z, p. 470

« Un peu plus tard, pour faire quelque chose, j’ai pris un vieux journal et je l’ai lu. J’y ai découpé une réclame des sels Kruschen et je l’ai collée dans un vieux cahier où je mets les choses qui m’amusent dans les journaux. »5

À l’instar de monsieur Meursault, qui n’a jamais conservé une photogra-phie, un dessin, une carte postale ? Certains les gardent dans des boîtes, d’autres les marient dans un ouvrage. Et c’est précisément le livre qui nous intéresse. N’ayant pu rencontrer beaucoup d’artisans de la sorte, nous nous attacherons à l’objet trouvé en lui-même, ses caractéristiques etc. Son édification, sa signification et son devenir sont cependant des éléments plus ou moins prévisibles.Mais si l’album factice n’est ni un imagier, ni un catalogue, ni un recueil de philatéliste, ni un album panini, qu’est-il ? Il occupe en effet une place singulière au sein de la famille des livres et reste au demeurant ignoré, si ce n’est inconnu, à la fois des chercheurs et du grand public. Peut-être est-ce parce qu’en dehors de quelques artistes, les « monteurs » d’albums factices sont des particuliers sans revendication ni crédibilité théorique et sont pour la plupart anonymes, car ces recueils uniques se situent au croisement entre l’album familial de photos souvenirs et le journal intime.La fabrication d’un recueil factice s’élabore en plusieurs temps, il y a la collecte d’images, puis la composition d’autre part dans un livre, plus rarement ces pages sont tout simplement reliées ensemble. Nous distin-guons donc trois étapes, celle de la collecte, qui sans doute ne s’arrête pas à la confection du livre mais s’étale sur une vie, puis vient le temps du collage, quelques images de la collecte sont sélectionnées et viennent prendre leur place dans un livre, page après page, le dernier temps est celui dédié à l’objet livre lui-même, le temps du regardeur : un bouqui-niste, un badaud dans une brocante, un héritier du monteur ou autre.Étrange car inclassable, composé uniquement d’images imprimées de tous types et de toutes provenances, l’album factice génère un type de lecture particulier ou plutôt met en exergue bien des modes de lecture, régis par associations d’idées… Si l’on considère qu’à partir de deux

5 Camus Albert, L’Étranger, éd. Gallimard, 1942, p. 37

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images, quasiment n’importe quel cerveau cherche une histoire, établit un dialogue, compare, en bref tente de dévoiler une trame narrative, alors l’idée est démultipliée pour un livre d’images, qu’il soit bande dessinée, catalogue de musée etc. le lecteur cherche la narration, histoire de « recoller les morceaux » en un ensemble cohérent. L’album factice est un livre d’images, mais c’est précisément à l’endroit de la définition synthé-tique qu’il devient insaisissable. D’aucun album factice le lecteur pourra dire il s’agit de, cela parle de. Le recueil factice est narration. Mais quelle narration ?

L’absence de bibliographie avérée jumelée à l’intrication du sujet nous amènent à consacrer le premier pan de notre réflexion à la typologie de l’objet, ses composants et les récurrences observées.Nous ne pouvons faire l’impasse sur l’étude de quelques cas pratiques : quel genre d’images choisies ? Où ? Et surtout l’évolution, s’il y en a, des diverses mises en page et des systèmes narratifs selon les époques. C’est parce que l’étude proposée porte majoritairement sur des phénomènes uniques que nous dédierons la deuxième partie de cette démonstration à la description clinique de six albums factices. Pour ce faire nous sé-parerons les albums d’artistes de ceux d’anonymes. Nous disséquerons quelques pages et doubles pages de chacun des ouvrages.La logique de montage de chaque album demeure liée à son créateur, ce qui nous parvient est l’objet. Que produit l’appréhension de semblable livre ? Y a-t-il une manière de l’aborder ? La réflexion associée fera l’objet d’une troisième partie de cette analyse.

L’étude à venir porte donc sur cette catégorie particulière créée et portée par des anonymes de toutes époques mais dont le but n’était sans doute pas la présentation publique ; il n’est pas moins intéressant de se pencher sur le cas de quelques livres d’artistes, la fantaisie, au fond, peut toucher tout un chacun.L’analyse ne porte pas sur la mentalité des gens qui s’attellent à de telles tâches, aussi nous pencherons-nous sur la matière, l’objet fini, l’album factice. Peut-on fixer la notion d’album factice ? Y a-t-il une définition qui permette d’embrasser le concept en acceptant toutes ses particularités ? On peut composer à l’aide de recoupements.

« Nous arpentons un chemin savonneux, lequel de surcroît, monte. »Ahaliyah Sébastien, L’Art et moi, éd. Caribou, Montréal, 2011, p.77

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Exploration typologiquE

I. IMAGE

Quel est le plus petit dénominateur commun à tous les albums factices ? Les images imprimées, l’objet livre et un classement.En ce qui concerne les premières, d’où viennent-elles ? Que représentent-elles ? Quelles sont-elles ?Si les albums factices analysés proviennent majoritairement d’Europe, on ne peut bien entendu en dire autant des images.Précisions lexicales :L’image est la forme inscrite sur une surface en deux dimensions, l’image est le sens, qu’il soit dessin, ou agencement de formes et de texte comme pour un ticket de transport par exemple.

« Les images fondatrices de sens [...] nous apparaissent comme des images qui se transmettent par le truchement d’un médium, comme images médiales. »1

Nous empruntons ici le terme d’« image médiale » pour désigner le produit du rapport image + support (ou médium).L’illustration est la combinaison du texte et de l’image.

I.1. IMAGE ET SON CONTEXTE

Il arrive que certaines images soient créées par le collecteur, nous n’abor-derons ici que les images médiales ayant fait l’objet de collecte.Une image est imprimée sur un support en deux dimensions, dès lors sa visibilité dépend de ce support. S’il s’agit d’un journal, l’attention qui lui est témoignée est de l’ordre de quelques dizaines de secondes. Si le support est plus pérenne, comme dans le cas d’un livre, elle est conservée et poten-tiellement vue plus de fois et/ou avec plus d’attention. La présence d’une image dans un support provient d’un déroulé logique. L’image éclaire un propos ou est l’expression visuelle d’un commerce.Sauf dans le cas du livre, beaucoup de ces supports sont jetés après utilisa-tion. L’extraction opérée par le collecteur interrompt cette issue vers l’oubli.

1 Belting Hans, Pour une anthropologie des images, éd. Gallimard, 2004, p. 30

L’image récupérée occupait donc une place et une fonction précises. Au moment où l’image quitte son support initial elle devient image médiale, elle existe pour elle seule et ne sert plus un propos établi de façon délibérée, quand bien même l’image médiale est une illustration.Entrer en sa possession consiste à la décontextualiser, fi de la date à laquelle elle a été récupérée, du lieu où elle remplissait sa fonction origi-nelle, sur un mur, dans un livre, un magazine, un journal etc.Par ce geste, l’auteur de l’extraction se l’approprie, l’image remplit un musée imaginaire privé, une exposition pour un visiteur dont les limites sont mouvantes car nous pensons qu’une telle manie prend fin à la mort de son unique commissaire.L’image médiale trouve une place singulière différente de son premier état, elle est séparée du texte qu’elle agrémentait, de l’emballage qu’elle mettait en valeur, ou bien simplement détachée d’un ensemble homogène etc. Elle intègre un nouveau contexte, le champ du collecteur, et doit bien souvent sa sauvegarde à sa qualité plastique ou a son caractère amusant, étrange ; car nous osons avancer que c’est essentiellement par goût que s’effectue la sélection.Cette image reste la même mais le temps s’interrompt, elle est coupée du flux de milliers d’autres images qui investissent les espaces visuels au même moment ; l’image choisie demeure et entame une seconde « vie » avec ses consœurs dans l’espace et l’espace-temps de la boîte, puis au sein d’un album. Elle réapparaîtra quand les images publiées au même moment ne seront plus d’actualité.Extraire c’est interrompre le flux : déhiérarchisation. Il se produit un chan-gement d’espace-temps. L’image passe d’une sphère publique à une sphère privée.

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De l’image dans un support à l’image médiale, il existe différentes manières de découper :

Les outils principalement usités

Utilisation des outils susmentionnés à partir d’un même support

Quatre possibilités de découpe d’une même image

I.2. NATURE DE L’IMAGE

Grâce à l’essor des procédés de reproduction technique, les images sont de plus en plus accessibles, de même leur forme et leur facture évolue, se di-versifie. Aussi, les albums factices s’échappent progressivement des bornes d’une élite fortunée et intellectuelle dans laquelle ils étaient (supposément) confinés du milieu du XVIe siècle avec les liber amicorum jusque dans le milieu du XIXe siècle et leurs keepsake. Ils se métamorphosent de manière significative en incluant peu à peu force documents d’humble origine et faciles d’accès tels que les prospectus, tickets, découpes de presse etc.Cela ne signifie pas pour autant qu’il existe une nette séparation entre les albums de personnes aisées et ceux de personnes modestes, en réalité l’essor des procédés de reproduction ne fait qu’ajouter à la richesse des éléments visuels et des images médiales. En outre, il serait faux d’affirmer que la qualité des images médiales dépend de la fortune de son collecteur car la curiosité et le plaisir de la contemplation n’entendent pas les classes sociales.L’image donc, se bariole, inclus de plus en plus d’éléments typographiques, signes de l’essor de l’industrie et de ses produits, marques publicitaires.Voici une liste indicative de la nature soit des images soit des supports d’origine trouvés au cours de notre recherche :-estampe gravure originale gravure d’interprétation*-fragment de livre-ex-libris-papier peint-fragment de journal-fragment de feuilleton illustré-fragment de magazine, catalogue etc.-ticket d’entrée, de transport etc.-carte, de visite, topologique etc.-photographie instantané* photographie d’art ou documentaire-carte postale

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-affiche-prospectus-emballage publicitaireetc.*il nous a semblé opportun de revenir avec plus d’acuité sur ces deux notions, tant les images produites regorgent de surprises :

La gravure d’interprétation :Il s’agit d’un des premiers moyens de reproduction d’œuvre d’art. Comme le souligne Denys Riout2 :

et parfois même s’en revendiquent :

En effet, les images sont réalisées à partir d’œuvres d’autres artistes que le graveur. L’image générée est donc un résultat subjectif et diffère du modèle original. D’où une impression de « déjà-vu » assez étrange, une copie de quelque œuvre que l’on connaît mais décalée.

L’instantané ou snapshot :Étymologiquement, l’instantané est une photographie prise avec un temps d’ouverture du diaphragme très court ; ce qui traduit un certain confort pour le photographe quant au temps de prise de vue. C’est le genre par excellence de la photographie amateur. On peut constater son explosion depuis la fin du XIXe siècle, lequel a vu naître des appareils photogra-phiques à la fois plus accessibles et plus maniables à destination d’un large public. Il s’agit de tirages photographiques de tous formats, en noir et blanc puis en couleur. Il représente portraits de famille, souvenirs de vacances, rassemblements de proches, de paysages etc. Ils mettent en scène

2 Riout Denys, Art (l’art et son objet), la reproduction en art, Universalis, 2012

« Contrairement aux répliques et copies qui ont vocation à être des substituts de l’œuvre originaire, ces reproductions, au sens moderne du terme, avouent d’emblée leur différence »

« Ceux qui vantaient les mérites de la gravure d’interprétation af-firmaient qu’elle peut « à la fois copier et commenter la peinture »»

une chorégraphie privée, heureuse, une sorte de monde idéal à mémoriser. Bien souvent enrobé de sentimentalisme naïf, il couve dans des boîtes à l’abri de buffets, recouvre des murs ou se loge dans des albums de pho-tographies de famille. On en trouve désormais aussi en grande quantité dans des brocantes. Ce médium est celui du souvenir personnel, il est l’instrument de l’affect.Or ces photographies personnelles présentent parfois, au sortir de leur antre familial, de nouvelles qualités aux yeux du profane curieux. En effet, par un cruel effet de décalage, les tendres poses deviennent risibles, les visages familiers se parent de traits burlesques, étranges, parfois ef-frayants. Et surtout, l’instantané étant bien souvent le produit d’un amateur, nombre de clichés sont mal cadrés, flous, bizarrement tordus etc. ; de l’autre côté de l’appareil, les poseurs sont raides, ferment les yeux, affichent un rictus de gêne etc. À l’inverse on peut aussi, par accident, obtenir un cliché d’une beauté ineffable. Les instantanés bénéficiant de ce genre de hasard heureux prétendent rarement à outrepasser leur fonction de témoin, de souvenir. Aussi lorsqu’entre en scène un élément étranger à ce but, le résultat est quelquefois fécond.

Cette liste d’éléments que l’on peut retrouver dans un album factice démontre combien le territoire d’exploration est vaste et la dimension quasi infinie des ressources narratives dans la collusion de tant d’images disparates.

I.3. LES IMAGES ENTRE ELLES

Libérées de leur contexte primordial et mises en relation, les images col-lectées nouent des liens de l’ordre de la taille, de leur facture, couleur et ce qu’elles représentent.L’image devient une partie de la page, laquelle de loin n’est qu’une combi-naison de clair-obscur, de couleurs et de formes en deux dimensions, cette page porte sa propre dynamique visuelle. À cela s’ajoute que :« la forme du livre oblige les images présentées de manière successive à s’organiser comme un récit . »3

3 Mélot Michel, L’Image à la lettre, éd. Paris Musées/ des Cendres, Paris, 2005, p.207

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Les trois extraits qui vont suivre proviennent du livre de Georges Didi-Huberman : Atlas ou le gai savoir inquiet publié aux éditions de Minuit.

L’atlas ouvre donc sur son aspect pédagogique, on y cherche quelque chose. Ce qui n’est pas vraiment le cas de notre objet, en revanche Didi-Huberman introduit avec justesse l’effet produit lorsque le lecteur tombe dans l’insolite piège de l’album factice. Les confrontations visuelles et les ferments narratifs associés dans un album factice s’enrichissent du déroulé page après page. Au voisinage fécond des images se joint l’esprit, le goût de l’auteur, sa malice consciente ou inconsciente mue par une chronologie, arbitraire certes, mais fatalement présente du fait de la ma-nipulation naturelle d’un livre et d’un contexte de lecture à l’européenne.Néanmoins, l’idée de G. Didi-H selon laquelle nous oublions parfois le déroulé logique pour fureter plus ou moins anarchiquement est juste : nous avançons dans l’ouvrage puis revenons en arrière, ayant cru saisir un rappel, un clin d’œil faisant écho à une page antérieure. C’est une des qualités du livre que d’être manipulable et sa condition finie n’empêche aucunement les heureux hasards et la découverte infinie de nouveaux îlots d’imagination.

p. 11« L’expérience montre que, le plus souvent, nous faisons de l’atlas un usage qui combine [...] deux gestes [...]: nous l’ouvrons d’abord pour y chercher une information précise mais, l’information une fois obtenue, nous ne quittons pas forcément l’atlas, ne cessant plus d’en arpenter les bifurcations en tous sens ; moyennant quoi nous ne refermons le recueil de planches qu’après avoir cheminé un certain temps, erratiquement, sans intention précise, à travers sa forêt, son dédale, son trésor. En attendant une prochaine fois tout aussi inutile ou féconde. »

Par le sensible choix de Didi-H nous parvient cet heureux fragment de pensée de Walter Benjamin, savant allemand contemporain entre autre de M. Warburg. Il nous délivre tout simplement le type de lecture intrinsèque aux livres d’images pour enfants et, par extension, aux albums factices. Il n’est en effet nul besoin d’être frappé d’érudition pour « lire » un de ces recueils composites. Nous pensons dès lors qu’il suffit d’accepter le jeu des coïncidences et que l’emprunt sporadique d’un regard d’enfant, a fortiori piqué d’espièglerie est un multiplicateur de trouvailles visuelles.

Voici le dernier point sur lequel nous nous attacherons en partant des écrits de M. Didi-H : l’idée de folie nécessaire à l’édification de sem-blables projets, objets. Bien entendu, dans son livre, son analyse résulte d’une étude de cas exclusivement dévolue à Aby Warburg, lequel avait des rapports médicaux établis et une pathologie avérée. Ainsi, sans

p. 21« Un malin génie gît quelque part dans la construction imaginative des « correspondances » et des « analogies » entre chaque détail singulier. Une certaine folie n’est-elle pas inhérente à tous les grands paris, ne soutient-elle pas, au fond, toutes les entreprises livrées aux risques de l’imagination ? [...] Le caractère toujours permu-tables des configurations d’images, dans l’atlas Mnémosyne, signe à lui seul la fécondité heuristique et la déraison intrinsèque d’un tel projet. Analyse finie (nombre d’images fixe) et analyse infinie (car on pourra toujours trouver de nouveaux rapports, de nouvelles « correspondances » entre chacune de ces photographies).

p. 16« L’atlas serait un appareil de la lecture avant tout, je veux dire avant toute lecture « sérieuse » ou « au sens strict » : un objet de savoir et de contemplation pour les enfants, à la fois enfance de la science et enfance de l’art. [...] C’est ce que Benjamin courut comprendre à un niveau plus fondamental, anthropologique, lorsqu’il évoqua [...]l’acte de « lire ce qui n’a jamais été écrit » [...]. « Ce type de lecture, ajoutait-il, est le plus ancien : la lecture avant tout langage. »

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conclure pour autant que tous les monteurs d’atlas ou d’albums factices sont de fiévreux désaxés, nous supposons en effet que la rhétorique peut s’étendre. Que ne faut-il pas de temps pour récolter tous ces bruisse-ments du quotidien, ces « débris » les appellent certains, tant leur nature est en général imputée à l’éphémérité et l’inutilité. Pourquoi prendre autant de temps à récolter, puis concevoir ces autels à la monomanie ? Et dans quel but d’ailleurs ? Sont autant de questions auxquelles se heurtent les auteurs d’albums factices ; et pourtant, il faut bien croire que la fantaisie persévère, et ce malgré toute convenance, puisque les objets sont là. En dépit de toute convention, la personne poursuit son labeur, ce qui dans ce cas, avouons-le, n’est pas vraiment un avatar par-ticulier du courage puisqu’il n’y a ni lutte, ni acte politique exposé, mais se mâtine plutôt d’une liqueur de déraison4.

L’extrait suivant provient de Dalí le grand paranoïaque de Jean-Louis Gaillemain :

Comme le souligne justement Salvador Dalí, la « poly-lecture » d’une même image ne nécessite pas d’habileté ou de culture particulières pour apparaître au lecteur, si ce n’est qu’il est manifestement plus aisé d’y parvenir si l’on appartient à la famille des paranoïaques Dalíesques. Il en va de même pour les associations d’images, sauf que les possibilités de lecture s’en trouvent multipliées.

4 Voir notes p. 99 pour d’autres extraits de l’Atlas ou le gai savoir inquiet

p. 62 :« La différence fondamentale, d’après Dalí, entre la visée para-noïaque et l’hallucination volontaire n’a rien d’arbitraire et peut être partagée. Les divers formats que peut prendre l’objet en question seront contrôlables et reconnaissables pour tout le monde, dès que le paranoïaque les aura simplement indiqués. C’est ainsi qu’une même carte postale représentant une case africaine peut être lue par Dalí comme une tête de femme, et par Breton comme le portrait du marquis de Sade. »

La nature des images et ce qu’elles représentent sont également des indices permettant d’établir une fourchette temporelle de l’activité du collecteur, et par extension, une idée de l’époque à laquelle il vécut et où.

II. LE SUPPORT

Le livre préexiste dans la majorité des cas. Plus rarement, les feuillets sont montés et reliés par l’auteur. Dans les catégories d’albums trouvés, nous avons pu distinguer d’une part des ouvrages aux pages blanches, solide-ment reliés, d’autre part des livres de récupération, des ouvrages vierges mais destinés à une autre fonction à l’origine. Les albums factices sont en général assez grands c’est-à-dire au moins vingt-et-un centimètres de large par vingt-neuf centimètres de haut. Leur aspect général en revanche les distingue de tout autre opuscule : ils sont gonflés, ces recueils ayant été conçus pour recevoir des écrits ou des dessins, mais certainement pas des dizaines d’images venant ajouter leur propre épaisseur à celle des pages, plus la colle.La question de la colle est d’ailleurs remarquable, dans les cas observés il s’agit de colle liquide dont on voit encore quelques traces transparentes courant le long des images médiales. Plus l’auteur en applique, plus les pages sont chiffonnées, contrariées et plus le livre s’épaissit.Aucun de nos albums n’est signé, en revanche sur l’un d’entre eux est inscrit le numéro deux, signe d’une suite ?

L’album factice n’existe pas sans objet livre. Et notre démonstration tend à prouver que les deux sont concomitants.

Les images inhabituelles tout comme les albums factices ont leurs propres archéologues. La découverte de recueils de particuliers que nous avons mis à jour s’est faite grâce au concours de deux collecteurs d’images et d’albums. Sans ces généreux contributeurs, la matière première aurait fait défaut. C’est, au demeurant, par la fine entremise de l’un d’entre eux que nous devons la naissance même d’un tel projet.

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Les lignes qui vont suivre sont le résultat de conversations au sujet des images, de notion de collecte et, parfois même, des albums factices. Nous en profitons pour exprimer typographiquement une vive reconnaissance à nos doctes éclaireurs.

III. TÉMOIGNAGES

monsieur F. P., historien de l’art, chercheurGuillaume DéGé, professeur d’illustration à la HEAR, illustrateur

1-DE QUAND DATE L’ACQUISITION DE VOTRE PREMIER ALBUM FACTICE ?

mP J’ai fait l’acquisition de cinq albums5 vers 1960, une suite de volumes provenant manifestement tous du même endroit, à Strasbourg lors d’une brocante.

GD C’était en 1997, il s’agit de l’album factice 26, trouvé à Paris chez un bouquiniste.

2-AVEZ-VOUS DES THÈMES DANS VOTRE RECHERCHE D’OBJETS ?

mP Je m’intéresse aux livres et aux images en général.

GD Que ce soient des livres ou bien des images, je suis attiré par des éléments étranges, impénétrables.

3-QUEL EST LE CRITÈRE QUI ARRÊTE VOTRE CHOIX ?

mP Ce peut être une image, une association d’images, je fonctionne au coup de cœur.

GD En parlant plus spécifiquement de livres, mes yeux s’arrêtent sur les ouvrages gonflés, à l’aspect singulier, inhabituel qui déborde et s’intègre mal dans une bibliothèque.

5 Voir p. 52 à 566 Voir p. 44 à 48

4-UNE FOIS ENTRÉ EN LEUR POSSESSION, QUE FAITES-VOUS DE CES OBJETS ?

mP Rien de particulier si ce n’est lui trouver un contexte historique.

GD Je les montre aux étudiants. Je considère ces objets comme les « tableaux d’éloquence » d’une école primaire, tableaux dans lesquels se trouvait une image touffue à partir de laquelle les élèves devaient dire des phrases, raconter des choses, extraire des histoires.

5-VOUS INTÉRESSEZ-VOUS À LEUR ASPECT PLASTIQUE, HISTORIQUE ETC. ?

mP Moins à leurs qualités plastiques en tant que telles que ce que l’objet signifie dans un ensemble. Je fais des recherches autour de l’objet, je cherche à le rattacher à des éléments similaires, à lui trouver des filiations. Je cherche à comprendre ce qui est dans le dessin et qui l’a fait.

GD Oui, beaucoup, les images sont source d’inspiration, et plus leur sens est obscur, plus la nécessité de leur trouver une origine se fait sentir, pour tenter de percer à jour le dessein qui a présidé à leur création, et leur contexte historique.

6-AVEZ-VOUS FAIT DES RECHERCHES À CE SUJET ?

mP Cela dépend, en général oui, je suis archéologue de formation, aussi je commence naturellement à établir des parallèles, à fouiller dans le potentiel historique qu’offre mon acquisition.

GD Oui.

7-LES PUBLIERIEZ-VOUS ? POUR QUEL PUBLIC ?

mP Non, cela rentre dans le cadre d’une collection personnelle et je ne pense pas que ces volumes puissent rentrer dans un cadre éditorial.

GD Non, je pense que c’est non-publiable.

8-LES MONTREZ-VOUS ? À QUEL PUBLIC ?

mP Je les montre rarement sinon à un public érudit ou intéressé.

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GD Je présente mes récentes acquisitions aux étudiants ainsi qu’à des connaissances qui partagent une semblable curiosité à l’égard des ovnis livresques et visuels.

9-LES CONSULTEZ-VOUS DE MANIÈRE RÉGULIÈRE ?

mP Non.

GD Oui, pratiquant moi-même l’illustration ainsi que la réalisation d’albums factices, ces recueils trouvés sont d’abondantes fermes d’idées et d’associations. Ils sont d’une efficace bien que mystérieuse aide dans le re-nouvellement de l’enthousiasme et l’entretien de l’imagination.

10-AVEZ-VOUS UN SYSTÈME DE CLASSEMENT ? QUEL EST-IL ?

mP Pas particulièrement. Je sais que je le possède, cela suffit.

GD J’ai un système de classement personnel qui ne rentre pas dans une convention de bibliothécaire. Je permute de manière chronique l’ensemble de ma bibliothèque afin de faire apparaître des éléments cachés, des opuscules oubliés, des heureuses redécouvertes. Cela participe à l’effet de surprise de tomber sur quelque chose que l’on ne cherchait pas.

11-CHERCHEZ-VOUS À ÉTABLIR DES LIENS ENTRE TOUS CES OBJETS ?

mP Dans la continuité de mes investigations historiques, s’il apparaît une piste d’étude, je la mettrai à jour.

Mon but, si cela se produit, est de rassembler suffisamment d’objets pour pouvoir constituer un ensemble exposable avec l’aide d’une institution, si tel n’est pas le cas, je ne poursuis pas nécessairement mes recherches. Si un ensemble a fait l’objet d’une recherche fructueuse, alors je chercherai un moyen d’exposer, de montrer cet objet de savoir. Si l’institution sollici-tée n’est pas favorable, je conserve ces objets et ces pages pour un public connaisseur.

Je cherche instinctivement à rattacher un auteur à une image, puis je cherche des liens, des « carambolages ».

GD Oui, je pratique une activité de recherche parallèle sur la question, bien entendu un des meilleurs moyens que j’ai trouvé reste la présentation aux étudiants, notamment à des étudiants qui ont une pratique de l’image ou se dédient au monde de l’édition mais sont peu familiers de ce genre d’ouvrage.

12-QUE VOYEZ-VOUS DANS CES SUITES D’IMAGES ?

mP Je vois des images en soi ou des associations mues par les mises en pages.

GD C’est selon, parfois des histoires, des blagues, parfois des tableaux, parfois des clins d’œil, parfois des pistes de réflexion. c’est un terrain fertile pour l’imagination.

1V. CONCLUSION

Au cours de cette première analyse, nous avons pu enregistrer les com-posantes fixes de l’objet de nos attentions ; les images médiales sont la matière première et leur ensemble composite va de l’illustration de presse à l’étiquette de camembert bigarrée. Ces éléments proviennent, eux aussi, d’une myriade d’endroits possibles, nous conviendrons que tout endroit ou tout support à portée du collecteur est potentielle caverne d’Ali Baba. Il est tout de même à noter que notre auteur prend peut-être parfois l’ini-tiative d’aller dans des lieux qui vendent des images, comme les brocantes, les bouquinistes etc.À la lumière des deux entretiens sur lesquels nous clôturons cette partie, on peut reconnaître de légères différences quant à une idée de finalité. D’une part la recherche d’images et/ou d’albums factices est motivée par le plaisir de reconnaître des « carambolages », des perspectives nouvelles et le souci intéressé de dégager des ferments historiques ; d’autre part la réjouissance de capter une attention complice et de bénéficier d’une multi-plicité de points de vue nouveaux sur un objet de partage riche d’histoires et d’interprétations.Les collusions entre les images ne naissent que de leur fixation dans un album et du déroulement page après page, la manière de procéder et la

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sélection sont autant de variables détenues exclusivement par le collagiste.

Nous avons pu établir la consistance de la matière d’un album factice, reste le classement, comment procèdent les anonymes ou artistes dans leur mise en page ? Les six études de cas qui vont suivre découlent de six protocoles distincts, dont la mise en valeur constitue la charpente de chaque objet, et reflète le caractère de son auteur. Le rituel de composition peut mettre en exergue l’espace paginal à l’instar d’un tableau, accentuer les dialogues entre les images, ou encore dénoter des concepts d’ordre so-ciologiques, par le biais des correspondances, des associations poétiques etc. À chaque album son rituel et ses modes de lectures.

« Un suffisant lecteur descouvre souvant ès escrits d’autruy des perfections autres que celles que l’autheur y a mises et apperceües, et y preste des sens et des visages plus riches. »

Michel de Montaigne, Essais, I, XXIV, Divers Evenemens de mesme Conseil, p. 126,

éd. Pléiade, (Cf. Paul Valéry)

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épluchagE protocolairE

En aucun cas nous ferons-nous le chantre de la vérité narrative détenue dans ces carnets de curiosités. Il s’agit là d’exposer simplement notre, nos diverses visions des spectacles mis en scènes au travers de ces quelques pages sélectionnées. Et il est important de préciser que oui, il y a sélection, car toutes les pages d’un même recueil n’offrent pas les mêmes délices visuels.

Les albums factices de particuliers sélectionnés sont tous des « unica » et ont pour particularité commune de présenter un aspect étrangement bour-souflé et tordu ; c’est le résultat de la colle séchée et des images médiales ajoutées en très grand nombre. Étrangement, malgré leur singularité, ils nous sont parvenus et n’ont pas fini directement dans la poubelle, ce sont des rescapés.Les trois autres recueils sont des objets édités et proviennent de la main d’artistes d’horizons divers, mais qui partagent cette curieuse manie.Nous avons pu constater précédemment et de l’avis même des collecteurs interrogés que les albums factices ne sont pas des objets que l’on destine à être publiés. Dans la mesure où ceux que nous allons étudier possèdent les mêmes déconcertantes qualités, on peut constater que c’est bien souvent sous la férule de l’art que ce genre éditorial peut exister.Les phases descriptives qui s’annoncent s’appuient sur un assortiment de deux pages ou doubles pages choisies selon notre goût.

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album facticE 1957

auteur inconnu

-collection particulière

-trouvé en 2009 dans une brocante strasbourgeoise

-21 x 27 cm

-semainier récupéré sur la couverture duquel est inscrit

l’année 1957, couverture et 4e de couverture en carton

souple, reliure à spirales

-116 pages

-composants :

étiquettes de produits industrialisés, boissons, aliments etc.

découpes de tampons préfectoraux,

ticket d’entrée de musée, de tournoi de football, de

transports publics etc.

découpes de blasons provenant de papiers officiels de

mairies

timbres à collectionner allemands : Reklame Marken

timbres postaux

-images réparties sur les deux pages

-papier solide encore blanc, durement éprouvé par

l’adjonction de colle

-annotations et éléments visuels français et allemands,

semainier alsacien

-datation approximative : 1957

-quelques pages sont restées vierges vers la fin de

l’ouvrage

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D’un point de vue d’ensemble, l’auteur prend bien garde à soigner sa mise en page, il respecte assez studieusement le squelette du semainier en plaçant ses images à l’intérieur du tableau. Cette page présente une grande hétérogénéité de formats, factures et couleur.Elle ne présente que des objets dont on peut supposer que le format original n’a pas été touché. Cette double page se présente comme un tableau, l’œil virevolte en cercles concentriques : il part des avions du billet de la loterie nationale, suit leur envolée jusqu’à la page de gauche, se perd dans la myriade de petits tickets collés sur le bord extérieur, hasarde entre le grand papier gris dans le coin en bas à gauche puis zigzague vers la droite en remontant à travers le reste des tickets. Nous remarquons au passage l’attrait particulier de l’ocre et du bleu ciel dans la partie supé-rieure de la double page.Le collagiste tient manifestement à optimiser l’espace, n’hésitant pas à placer des images à la verticale faisant fi de toute règle de lisibilité. La page de droite n’est que cacophonie visuelle mariant sans vergogne diffé-rents styles de dessins et différentes palettes chromatiques ; en revanche les collages se répondent par les liens de taille, étant donné que tous les tickets, à l’exception de quatre dans le coin inférieur droit, ont le même format. Il y a même deux tickets de l’amicale des policiers, anciens com-battants etc., ils se font écho par le biais d’une bande jaune et créent un semblant de structure avec les deux tickets de loterie « tabac » parés de jaune, eux aussi. Dans cet univers, ce qui étonne et devient de plus en plus évident est l’absence du collecteur, tant est disparate la collection, et tant elle témoigne de ses voyages, de ses excursions, de ses goûts, de sa vie en petits morceaux collée dans un recueil qui en devient presque relique.

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Notre auteur établit manifestement des pages plus ou moins thématiques. Seulement, il manque de place la plupart du temps, comme le témoigne (supposons-nous) cette double page constituée de papiers d’emballage de morceaux de sucre, d’étiquettes de boisson et de nourriture.Le contraste entre le blanc transparent d’une partie de la page de gauche et l’explosion colorée de la page de droite produit une impression de dé-séquilibre, toute la double page étant attirée vers le coin inférieur droit.La finesse et la sobriété des papiers fragiles entrent en compétition visuelle avec le marketing tonitruant des étiquettes commerciales.Rouge, vert, blanc, marron. En plissant les yeux, le blanc occupe en réalité plus de place que les couleurs, ces dernières se muent en éléments géométriques simples : lignes, pleines, fines, épaisses, carrés, rectangles, à plats etc. plus on regarde cette double page plus l’idée d’un tableau abstrait émerge.Le collagiste construit même de nouvelles compositions, par exemple sur la page de droite, l’étiquette de Becher Bitter s’est vue ajouter de manière discrète, deux petites étiquettes dans ses interstices ; l’opération réussit tout de même à empêcher la superposition des collages.Les qualités narratives de ce recueil hantent l’intégralité de l’objet, c’est en feuilletant que se tissent les réseaux d’histoires, c’est l’évolution du flux des accumulations d’images, les thèmes etc. On en déduit la fougue compulsive, et en même temps l’extrême délicatesse du défaiseur d’em-ballage de sucre en morceaux. C’est le récit d’un fragment de vie puis des compositions baroques, et l’on revient encore à l’auteur, à la page et ainsi de suite.

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album facticE 2

auteur inconnu

-collection particulière

-trouvé en 1997 chez un bouquiniste parisien

-30 x 38 cm

-couverture et 4e de couverture en carton rigide,

étiquette adhésive collée sur la couverture sur laquelle est

inscrit à la main : 2

cahiers cousus

-117 pages

-composants :

illustrations provenant de la presse, de feuilletons

imprimés (type Magasin pittoresque etc.)

lettrines

ex-libris

estampes sur feuille volante

vignettes,

frontispices de roman,

publicités

-images ne sont que sur la page de droite

-papier jauni par le temps avec des petits morceaux de

fibres dedans

-annotations et sources visuelles françaises

-datation approximative des images : 1843-1845

-quelques pages sont manquantes, coupées (acte

contemporain ou postérieur ?)

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Nous rentrons dans cette page séduits par la découverte de papiers colorés. Noir, gris, blanc, vert pâle et bleu ciel ; la minutie de l’auteur, visible dans l’espace lacunaire vertical et horizontal entre chaque collage, confère à la page une agréable harmonie. En bas à droite, un énorme X encadré d’illustrations fait écho semble-t-il à l’image du milieu à gauche représen-tant un couple romantique, composé d’un homme d’église et d’une jeune femme manifestement issue d’un milieu aisé, cette dernière paraît plongée dans le désarroi d’un coupable aveu. Le X précédemment cité rappelle le crucifix très présent séparant les deux jeunes gens bien qu’en arrière-plan. Croix, X...péché ? La correspondance de forme est ce qui nous apparaît en premier lieu tant nous saute aux yeux cette lettre obèse.Puis, presque au centre de la page, voici le point le plus foncé de la com-position : un homme revêtu d’une longue robe à manches longues et en-capuchonné de noire joint ses deux mains, seuls éléments clairs avec son nez, ses joues et ses doigts de pied. Il est là, étrange, énigmatique, extrê-mement présent par le traitement du dessin tout en se drapant de l’ano-nymat offert par sa barbe et sa cagoule. Cet homme appartient à l’espace vert de la page, il s’agit vraisemblablement de la page de titre d’un roman mais ledit titre nous échappe car, oh surprise, un petit collage est apposé au centre de l’impression typographique. Il s’agit d’un dessin de noir et de blanc (couleur du papier) : une femme, curieusement penchée en avant, semble vouloir se prémunir d’une bourrasque de vent venant de derrière, ses cheveux se détractent, son châle s’échappe.Curieux parallèle... Avec un peu de recul, la jeune femme du couple est assise et sa tête penche vers l’avant, l’air contrit ; la brèche visuelle allant de cette femme à la jeune fille au vent est jalonnée du crucifix, du jeune clerc courroucé/apeuré et du moine obscur. Un indice ?Mais la jeune fille au vent regarde vers la droite de la page, or, toujours en ne lisant que l’image, devant elle se trouve un cadavre calciné, un pantin grimaçant aux orbites creuses et éteintes, attaché à un poteau, sans doute un bûcher, et arborant une tunique sur laquelle deux diablotins surmon-tent une tête d’enfant. Macabre ?En haut à gauche un ange apparaît dans un nuage de fumée tandis que deux personnages vêtus de pagnes de fourrure semblent manifester leur frayeur en priant dos à lui pour l’un et en faisant semblant de pousser un mur pour l’autre.

S’agit-il là d’une page thématique sur le péché ou bien est-on en face d’une pure coïncidence de formes guidée par l’instinct du collagiste pour une mise en page agréable ?Nous n’en saurons rien, d’autant plus qu’une image échappe au thème péché et culpabilité : celle en bas à gauche, dans laquelle un soldat de type napoléonien pose seul dans une cour ceinte par des murs de pierre. Le personnage est dominé par une curieuse et sombre tour qui semble presque malfaisante. Un gardien de prison menacé par une prison ? Curieux paradoxe le voir ainsi dans un espace végétal et vaste mais clos.Revenons aux dessins derrières ce grand X, où se déroule, semble-t-il, une lutte : deux hommes à demi nus se débattent avec désespoir et celui de gauche regarde, mais oui, le petit soldat de ses pathétiques yeux d’encre. Ce petit soldat enfermé dans son paisible royaume.

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Voici une page où les rencontres et histoires sont nombreuses. Aussi pro-céderons-nous d’une manière sensiblement différente : le jeu.-Que regarde le tricheur ?-Quel amant fougueux observe avec une douce expression la coiffeuse ?-À quel spectacle au juste se dédie la foule ?-Combien de lettres se trouvent dans cette page ? Forment-elles un mot ?etc.

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cinq albums facticEs

auteur inconnu

-collection particulière

-cinq objets achetés en même temps aux puces de

Strasbourg en 1960

-30 x 45 cm

-couvertures en papier, reliure maison, feuillets mobiles

reliés avec de la ficelle

-une dizaine de pages par ouvrage

-composants :

coupures de presse,

découpages de publicité, grande provenance de journaux,

illustrations de presse,

étiquettes de produits commercialisés

-images réparties sur les deux pages, pas d’images sur les

gardes, lorsqu’elles ont été préservées,

très mauvaise conservation, pages manquantes,

couvertures manquantes,

-papier très abîmé et de qualités diverses, probablement

papier de récupération, beaucoup de papier kraft

-annotations manuscrites en français, éléments visuels

français

-datation d’après coupures de presse : autour de 1952

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Que voilà une présentation riche de collusions visuelles.L’auteur use de tous les procédés de découpage à sa disposition pour créer ce qui semble être une double page de divertissement, peut-être même nous glisse-t-il d’amusants clins d’œil en s’essayant à l’association d’images différentes, comme cette jeune femme page de gauche qui paraît jongler avec deux couronnes pendant que le coin de l’image médiale d’un couple de grands volatiles est en passe de lui perforer la mise en pli. Un petit Cupidon est sur le point, lui aussi, de la transpercer de sa flèche, courant sur son nuage, pendant que derrière lui, une monstrueuse colombe touche de son bec une tête de femme flottante. Ce dernier tableau semble captiver une petite fille assise près de la couture du livre, toujours su la page de gauche.Dans la partie supérieure de l’arrangement, c’est le jour et la nuit, littéra-lement, car une étoile et un soleil gouvernent dans le vide du papier cet étrange carnaval d’images pittoresques et de figures humaines.La page de droite porte soudain l’apanage plus classique d’un univers d’enfant, la naïveté voire le « cucul » prend comme figures de proue le per-sonnage bossu du centre, et les figures colorées de chérubins innocents pra-tiquant des activités d’enfants innocents., une page « jardin d’enfants » ?

Il est clair que l’ensemble est assez léger, divertissant, simple, mais la page de gauche nous semble comporter, dû aux choix de découpes et de la diversité de ses sujets, plus d’éléments narratifs surprenants.D’un point de vue d’ensemble, nombre d’éléments affichent un côté dansant, l’immuabilité des mises en pages conventionnelles est chambardée au profit d’un microcosme intime de turbulences visuelles.

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Le contenu de la double page que voilà recèle une fois de plus un certain nombre d’images extraites de la presse, de publicités et d’étiquettes provenant d’emballages. À ceci près que parmi tout cela se trouve une image dessinée à la main, une fausse publicité. celle-ci vante les mérites d’une moutarde à travers une rengaine faite de rimes. En bas de cette image, une dédicace : « Pour C.C. » et la signature de l’artiste. C’est une indication mystérieuse à l’attention présumée de notre inconnu collecteur. Aime-t-il à ce point les publicités que rien ne lui fasse plus plaisir que d’en recevoir des décalcomanies ? Nous arrêterons là nos supputations, le don devant détenir quelque secret connu de C.C et de son bienfaiteur seuls.Revenons à la composition, une fois de plus le rythme est attribué aux cadres des marques et à leur vives couleurs ; le jaune et le rouge se faisant la part belle dans l’ensemble, c’est au bleu ciel représenté par deux éti-quettes que revient le mérite d’attirer le regard et d’intensifier l’harmonie de l’énigmatique puzzle. Autre fait curieux, la page de gauche est consti-tuée majoritairement d’éléments promoteur de nourriture alors que la page de droite parle médicaments et autres potions ; une bien inhabituelle union que ces deux thèmes…

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anothEr book

Hans Peter Feldmann

artiste plasticien, photographe allemand

-livre d’artiste

-23,3 x 29,7 cm

-éditeur : Koenig books, Londres

-Date de publication : 2010

-couverture rigide, cahiers cousus

-204 pages

-composants :

photographies prises par l’auteur

photographies collectées

couvertures de journaux

collections diverses

fragments manuscrits

morceaux de presse

-texte d’introduction

-souvent une indication sur l’image en trois langues: anglais,

allemand et espagnol

-mise en page aléatoire, désordonnée, pas de cohérence

affichée

-références textuelles et interviews avant, pendant et

après le tronc visuel

ibid

. p.5

9, p

ages

non

fol

ioté

es

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Une action : nettoyer les fenêtresplan fixe sur un morceau de façade et deux fenêtrespoint de vue extérieur, la personne qui est photographiée ne nous voit pas.L’intérêt de la page réside dans le séquençage, on sait ce que la femme fait, et pourtant on va observer. Et ce, même sans chute spectaculaire. On se rappelle une figure maternelle opérant le même genre de geste. Le réconfort d’une telle scène, la banalité de cette action si anodine est magnifiée par son découpage.On se transporte dans les yeux du voyeur, celui qui regarde sa voisine. Nous contemplons ce monde qui produit inlassablement de petits spec-tacles comme celui-ci comme pour contenter notre propre soif de vie, et étendre ses effets à d’autres vies que la nôtre. Nous admirons le spectacle de la vie des autres. Sans artifices, ces petites actions ne prétendent à rien mais figées dans leur envol, elles deviennent tableaux.On retient son souffle.Il s’agit du même plan dans lequel s’affaire une femme, elle est le seul élément de la composition à bouger, on ne cherche même pas à déceler une quelconque beauté, elle se fait le messager de la vie elle-même.Le séquençage ne nous indique pas si les images se suivent dans l’ordre chronologique, et à dire vrai, on ne peut même pas deviner le sens de lecture. Il s’impose à nous en fonction de nos dispositions. Parfois en s’arrêtant sur la page, un seul coup d’œil suffit, une image résume à elle seule l’ensemble de l’action. Et l’imagination se met en branle, écoute-t-elle de la musique ? Vit elle seule ? Où place-t-elle ses plantes d’ordinaire devant la fenêtre ? Est-elle femme au foyer ? Parle-t-elle à quelqu’un alors qu’elle abat sa besogne ? Combien de temps reste-t-elle à faire cela ? et ainsi de suite.

ibid

. p.5

9, p

ages

non

fol

ioté

es

63

La grand-mère en portrait se serait-elle échappée étant enfant des contours de la photographie de droite pour se laisser modeler par le scalpel de Kronos ? A-t-elle été confrontée au choix de Peter Pan de rester jeune et éternelle à l’instar de sa camarade qui désormais touche le front du vide ?Et si la dame avait choisi une vie humaine et s’était échappée de ce « Pays imaginaire» où tout n’est que rires, jeux et innocence ? Serait-ce l’ignoble Capitaine Crochet le responsable de cette découpe ? De la chute de cette supposée petite fille manquante dans le monde réel soumis aux vicissi-tudes du temps ?On ne peut deviner le dessein de M. Feldmann dans ce voisinage. Peut-être est-ce simplement l’illustration de la jeunesse envolée. Cette respectable doyenne fut, espérons-le pour elle, une enfant un jour : les deux visages offrant un contraste d’au moins soixante années ne toléreraient-elles donc pas une confrontation ? Est-ce une forme d’hommage respectueux ?Cette double page est décidément le point d’entrée de plusieurs fables. Cette absence de petite fille représente t-elle l’idée d’une enfant perdue, décédée ? Un des petits enfants que la grand-mère ne reverra plus ? Ou bien encore, si le portrait est une image funéraire, la fillette manquante dépeint symboliquement sa disparition du monde terrestre. Fait intéres-sant : la jeune fille manquante « brille par son absence » justement. C’est parce que la forme de son corps n’est plus qu’un aplat blanc que notre regard est attiré vers ce point de l’image, d’autant plus que son ombre, gigantesque, est toujours là. À ce stade, l’analyse frise le morbide.Tout de même, le cliché de droite, n’a peut-être rien à voir avec le portrait ; il est même sans doute postérieur à la réelle prime jeunesse de la vénérable. Mais les dialogues ne se tarissent pas pour autant.Hans Peter Feldmann s’amuse dans ses recueils, il nous livre une vision d’une intense curiosité, un regard tentaculaire à la fois fin observateur, poétique ou formel. Il nous livre avec générosité le fruit de ses pérégrina-tions sans aucun souci, en revanche, de produire un bel objet, une mise en page hiérarchisée, mais plutôt un exutoire en forme de livre d’une somme d’images à partager.

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atlas dEr fotos, collagEn und skizzEn

Gerhard Richter

artiste peintre polyvalent allemand

-catalogue de l’exposition au titre éponyme à la Lebenslauf

de Munich

-23,5 x 33,5 cm

-éditeur : Oktagon, Walther König, Cologne

-date de publication : 1998

-couverture rigide, cahiers cousus

-environ 400 pages

-composants :

photographies prises par Richter : paysages, personnes

peintures

croquis

fragments de journaux

quelques pages vierges ou à demi-vierges

-texte d’introduction et définitions du mot atlas,

numérotation des planches par page

sommaire à la fin, photographies des lieux dans lesquels

l’atlas a été exposé partiellement, sommaire et références

des images

ibid

. p.6

5, p

lanc

hes

401

à 40

4

67

Gerhard Richter nous livre ici une surprenante composition mariant peintures et photographies.Page de gauche :Le haut de l’espace est le réceptacle de quatre photographies d’un (faux) crâne humain mis en scène dans des trois décors banals mais décalés pour un tel objet : devant une fenêtre, par terre le long d’un mur etc. puis un quatrième cliché flou plus contrasté. Mis à part cette dernière image, les autres vues sont curieuses, ce crâne posé ça et là tel un objet lambda devient aussi touchant qu’une peluche abandonnée ou un joli chat neurasthénique, tributaires tous les deux d’un étrange caprice de leur maître. Le crâne semble tout petit, à peine occupe-t-il un vingtième des trois photographies. Il devient anecdote, comme un objet ordinaire, on en oublierait presque qu’il revêt symboliquement une idée de grande faucheuse. Par comparaison, le dernier cliché paraît plus grave, eut égard au noir absorbant et floconneux, au clair-obscur franc, à la structure plus classique de l’image, de surcroît en portrait, et à la surface occupée par le crâne qui représente un tiers de l’image totale. Les quatre vues sont à égales distances les unes des autres, l’équilibre visuel est à son apogée ; il s’agit, nous le verrons d’une des caractéristiques de l’album de Richter.Les neuf clichés du bas de la page sont des photographies de lieux. Des intérieurs sombres ou bien des aperçus de paysages pris pour la plupart depuis un tunnel. Ces points de vue offrent une surprenante double lecture, puisque du tunnel au paysage, il y a au moins deux cadrages, et au moins autant de plans. La lumière blanche crevant le bout du tunnel ou perçant à traversées vitraux ne donne parfois aucune indication de sa consistance ; le plus souvent, nous avons la sensation de regarder le ciel ou un horizon. Mais si l’on regarde attentivement ces vues, l’impression (factice) de regarder le fond d’un puits s’imprime tenacement. L’ordre établi, à savoir que le sol est sur le plan horizontal en bas, est volon-tairement chambardé au profit d’une projection mentale guidée par une forme d’onirisme. Une invitation au rêve en quelque sorte. Et toujours, cette séduisante blancheur, ce gouffre à l’envers. L’œil tourne encore, les images nous délivrent sans fin de nouveaux moyens d’orchestrer l’en-semble, de lui trouver du sens. Est-on dans le puits ? Tombe-t-on dans le puits ? S’achemine-t-on vers la sortie ? Quelque chose va-t-il survenir ? Ici encore, les neuf scènes sont géométriquement rangées, les interstices entre

chacune d’entre elles sont, on peut l’imagine, mesurés et respectés à la règle, on se croit dans une exposition privée.Page de droite :Que voici un tout autre spectacle. Nous comptons six peintures dont le format original est inconnu, ainsi qu’une quantité égale de gros plans, sans doute des mêmes œuvres. Les couleurs vives tranchent avec l’austé-rité sage des images précédemment décrites. Assez vite, notre œil apparie certaines formes abstraites avec des paysages, nous pensons retrouver des perspectives analogues. Les paysages se font tantôt infernaux, apocalyp-tiques, tantôt sereins, mystiques. Notons que les interprétations sont plus aisément axées du côté de perspectives puisque nous disposons de clés figuratives en tant qu’éléments comparatifs.Sur le même plan horizontal, les crânes à gauche deviennent fils rouges nerveux, vibrations énergiques ; s’agit-il là d’une métaphore des organes ? De la vie intérieure qui bouillonne, même séparée du corps, alors même qu’un morceau de squelette n’est plus qu’un objet inerte ?

Gerhard Richter déploie dans cette double page des artifices qui nous permettent un choix dans la lecture des formes, si l’on reprend le fil de nos pérégrinations le crâne, les paysages de sortie ou d’entrée dans un espace sombre, les explosions de couleurs vives à tonalité chaude en général. serait-ce une idée de passage ? Passage pour un défunt vers l’enfer ? Passage de la vie à la mort ?

ibid

. p.6

5, p

lanc

hes

472

à 47

6

71

Apposons le terme flou en qualité de thème pour cette double page.La page de droite semble constituée de photographies de portraits, la page de gauche en revanche, perd en lisibilité à mesure que l’on se rapproche du bas. Cet ensemble marque le goût de la recherche formelle de Gerhard Richter, partant du figuratif à l’abstrait. Il utilise le moyen photogra-phique pour découvrir de nouveaux moyens d’expression visuelle, de nouvelles formes et les différentes lectures que peut apporter une seule et même image lorsqu’elle part sa netteté. Tous les clichés sont en noir et blanc, ce qui confère à l’espace une harmonie cotonneuse dans des teintes voisines. Ce pourrait être une collection de vues issues d’un endroit commun, peut-être même d’une même photographie… L’absence de toute ligne des images tend à les rapprocher d’une certaine forme de peinture, comme de grandes tâches abstraites. Par habitude, nous contemplons une première fois les images dans le sens dicté par les conventions scolaires françaises, puis dans un second temps, nous revenons en haut de la page de droite pour chercher à y déceler la même nébuleuse narration que nous ont offert les clichés en bas de la page de droite ; nous cherchons si nous n’avons pas manqué de percevoir d’autres lectures possibles, d’autres ap-paritions de paysages dans ce que nous avions cru au départ n’être que des visages. Richter use de ces artifices en cascade comme si lui-même dessinait, trouvait des carambolages heureux dans les collusions à la fois d’un ensemble d’images sœurs, et aussi dans les images elles-mêmes.

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thE uncanny

Mike Kelley, commissaire d’exposition et responsable

éditorial

artiste plasticien américain, décédé en 2012

-livre de l’exposition au titre éponyme au Tate Liverpool

du 20 février au 3 mai 2004

-20,5 x 29 cm

-éditeur : Verlag der Buchhandlung Walther König, Cologne

-date de publication : 2004

-couverture souple à rabats, cahiers cousus

-98 pages

-composants :

photographies d’installations,

de sculptures,

de mannequins,

de poupées,

de masques mortuaires,

couvertures de magazines,

collections diverses,

articles de presse

-Texte d’introduction, et sommaire en fin d’ouvrage, aucun

texte dans le corpus d’images

-Mise en page aléatoire, mais respectant des marges

-références textuelles en fin d’ouvrage

ibid p.73, pages 74 et 75

Trois images, autant de figures féminines. La seule image en couleur est celle qui nous apparaît le plus distinctement, une sorte de ballerine affectant une pose de danseuse à l’arrêt. Or cette présence a, justement, une teinte étrange de par son tutu jaune et bruni et sa carnation, sombre et luisante, elle paraît momifiée.

75

N’ayant aucune indication de taille, nous supposons qu’elle est à échelle un, notre taille. Degas extrait un de ses charmants et juvéniles petits rats pour l’incarner en cadavre. Elle donne l’impression d’avoir brûlé.Dans le cadre de cette même photographie dans le coin supérieur gauche est encastrée un cliché en noir et blanc, la jeune fille mutine dont c’est le portrait en pied est en réalité une poupée, mais son visage, très réaliste dans sa fraîcheur enfantine, prête à confusion. C’est le corps qui nous livre les éléments convaincants de sa nature, il n’a pas de tétons, pas de doigts de pieds. Une fois encore, le tableau est étrange, la poupée est assise sur ce qui semble être une banquette recouverte d’un tissu spongieux de teinte claire ; le sol au-dessus duquel dodelinent les pieds semble grossier et poussiéreux, comme celui d’une cave. Deux figures dans la même page, serait-ce un rappel à une défunte enfant ? Probablement pas, mais ces deux présences loin d’être spectrale font planer un étrange doute quant à leur statut : vivant ou mort. Le visage incroyablement amène et souriant de la poupée offre un parallèle gênant avec sa nudité, son corps d’enfant et le lieu sombre. Ce sourire semble inapproprié. Sur la page de gauche, un autre pantin féminin, il s’agit d’une photographie en noir et blanc d’une esquisse de corps habillé d’un débardeur. Cette poupée incomplète nous tourne le dos et sa tête, posée au creux de son trapèze regarde vers l’arrière animée d’une moue érotique. Cette tête manque d’une partie de sa boîte crânienne, il s’agit plus d’un masque, pourtant, une tignasse de cheveux court le long du dos pour pendre au-dessus des reins. Le tout est incroyablement gênant, nous avons envie de nous laisser malgré tout séduire par cette moue cependant que le corps est mutilé, incomplet.Le tableau est donc le suivant, ces trois présences féminines nous sont fami-lières mais quelque chose cloche, nous renvoie à une impression morbide et obscène. Ces figures conversent de par leur appartenance au même sexe et un tremplin vers le malaise. La jeune fille nue qui sourit de toutes ses dents offre un contraste embarrassant avec le fragment de lascivité façon Venus de Milo. La dernière quant à elle, pourrait être dépeinte comme une statue, mais de cuir. Or l’obtention du cuir nécessite que l’on tanne une peau, et que cet épiderme provient d’un individu trépassé. En défini-tive, même cette innocente ballerine n’a rien de naïf, elle provoque, à un autre degré, un vertige.

ibid

. p.7

3, p

ages

240

et

241

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Tiens, une page de fesses.On pense immédiatement à une série de clichés provenant de l’imagerie pornographique. Car la chair, même triste hélas, attire l’œil de manière automatique, instinctive. C’est en s’arrêtant un instant, puis un autre que l’on remarque le caractère varié de chacune des images.Page de droite :Candeur enfantine, esprit gentil de propagande des familles, l’enfant grandi, environnement sain, le sein maternel, le lait… images pornogra-phiques de «tartes à la gelée» projetées dans le visage de demoiselles, figures lesquelles, bien qu’exprimant une certaine forme de satisfaction, n’ont plus rien de candide.Cette composition de photographies reprend le chemin parcouru par un petit garçon baigné dans une culture visuelle laquelle, en évitant les cas de noyades, imprègne de manière durable tout un chacun. C’est un pendant de l’éducation dans les pays industrialisés, pour peu que l’on en fasse partie.Publicités de mode, luxe, luxure. Les parallèles sont aisés mais d’après nos propres idoles, nos propres canons de beauté, de « bon goût », le glis-sement se fait de manière inéluctable vers l’image pornographique. C’est l’éducation proposée par le «porno chic ». Ce qui est par ailleurs tabou, interdit et honteux est en réalité évoqué en permanence dans notre envi-ronnement visuel quotidien. L’inexprimable côtoie les images de bon ton d’où un malaise, un sentiment de schizophrénie latent. C’est le produit d’une société qui encourage ses citoyens à cacher des formes de désirs tout en lui rappelant de façon stroboscopique que les tabous inspirent la création, a fortiori motivent le commerce.Page de gauche :Abondance et générosité des images, dans leur mise en page serrée l’une par rapport à l’autre, dans leur homothétie et aussi dans leur crudité. Le tableau regorge de clichés de mode de jeunes filles maquillées, parées de luxueux vêtements et dont les poses se réclament d’une juvénile ingénuité ; ici et là se glissent des images équivoques, sans fard, d’actions pornogra-phiques, les gens sont nus et leurs rapports sont évidents, d’une sincèrité absolue. Leur intervention dans le séquençage met à mal les canons de beauté imposés par les images de mode, les moues boudeuses sont peintes d’un tout nouveau sentiment.

Kelley joue avec l’obscénité, le vulgaire et parfois frôle l’insoutenable ; il met en scène le débordement sous ses formes les moins charmantes mais pourtant terriblement attirantes.Le procédé est simple mais redoutablement efficace. En outre, plus le regard tourne dans ces images, plus les commentaires se multiplient. Comme si, en opérant ces rapprochements, Mike Kelley nous invitait à poser un regard direct et sans gêne aucune sur ces images reflets d’une société. Les liens sont incontestables et prônent leur existence par l’in-telligente entremise de Kelley. On est pris de doute : que penser au final ? Jusqu’où peut gambader notre esprit critique devant pareil tableau ?Cette double page demeure d’actualité et chacune de ces images nous renvoie à quelque impression de déjà-vu.

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CONCLUSION

Nous avons pu constater, à des degrés divers, combien les trames narra-tives sont fécondes dans ces recoupements d’images éparses.Le goût et l’esprit de l’auteur empruntent les voies de la collecte et du classement pour parvenir jusqu’à nous sous son ultime forme : le livre.Nous notons la constitution et la quantité supposée d’images nécessaires à une telle entreprise. Nous remarquons à présent que tous ces auteurs ont accès à une base visuelle commune : c’est la catégorie des images d’origine modeste, à la portée de tous et dont tout un chacun est libre de disposer.Partant de là, nos collecteurs sélectionnent selon leurs intérêts, c’est la mise en route du protocole, puis ils collent et, ce faisant, statufient l’en-semble page après page dans ce qui, à leur insu peut-être, incarnera leur sceau d’architecte.Notons tout de même que les trois recueils d’artistes sont tous publiés par le même éditeur: Walther Koenig, dont la sagacité à l’égard des albums factices n’est plus à prouver.Nous reconnaissons cependant que certains volumes sont moins abstrus que d’autres, qu’ils communiquent plus de choses en quelque sorte.C’est le cas notamment de The Uncanny de M. Kelley. C’est peut-être en choisissant un titre, pourtant ambigu, que se matérialise le doigt nous guidant dans ce labyrinthe d’images. Le terme Uncanny est traduit en français par « inquiétante étrangeté 1»; cette notion provient de l’intitulé d’un essai de Sigmund Freud au titre éponyme. À la lecture des mots relatant ce phénomène, nous saisissons ce qui semble nous échapper dans les images. Il est temps à présent de pénétrer dans l’antichambre de notre phase d’analyse finale, où la notion de protocole revêt cette fois-ci une im-portance capitale concernant la réception et le « rôle » d’un album factice.

1 Le mot allemand initial Das Unheimliche est traduit en anglais par The Uncanny, cette notion, sujette à un véritable combat de traductions en français, a connu quelques évolutions linguistiques.Voir notes p. 99

« Histoire non de la littérature mais de cette rumeur latérale, de cette écriture quotidienne et si vite effacée qui n’acquiert jamais le statut de l’œuvre ou s’en trouve aussitôt déchue : analyse des sous-littératures, des almanachs, des revues et des journaux, des succès fugitifs, des auteurs inavouables. »Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, coll. tel Gallimard, 1969, p. 185

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narration Et pErspEctivEs

En s’appuyant sur des extraits de L’Inquiétante étrangeté et autres essais de Sigmund Freud1 et L’Archéologie du savoir de Michel Foucault, la vague d’observations à venir tente d’une part, de tirer le fil de pensée proposé par Mike Kelley dans The Uncanny, d’autre part, de situer de manière plus générale la place de l’album factice, l’objet, le concept, dans « l’Histoire » ; à la suite de quoi, nous tenterons une incursion dans le monde des images à l’ère du numérique et surtout l’apport de l’internet concernant l’objet de nos attentions.

I. CETTE INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ

Le jeu évolue. En quittant les contours de l’enfance, il devient fantaisie. Donc la fantaisie, le terme ne convient qu’aux « non-enfants » auquel cas il s’agit d’un jeu.

On peut appliquer le terme de fantaisie, ou fantasme de manière plus générale à propos de bien des habitudes, notamment celle de collecter. De fait, pour Freud, la fantaisie , fantasmer , « Die Phantasieren » sont reliés à des désirs de gloire, d’amour etc. Il applique cela à la psychologie

1 Freud Sigmund, L’inquiétante étrangeté et autres essais, éd. Folio essais, 1re édition française 1985, Présente édition 2011, p. 34, 36 et 37

« il (l’enfant) se crée un monde propre […], il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau, à sa convenance. […] ce serait un tort de penser alors qu’il ne prend pas son jeu au sérieux : au contraire, il prend son jeu très au sérieux, il y engage de grandes quantités d’affect ».

« En revanche, l’adulte a honte de ses fantaisies (fantasmes) et les dissimule aux autres, il les cultive comme sa vie intime la plus personnelle. […] il ne pressent rien de la diffusion universelle de créations tout à fait analogues chez d’autres. »

« l’enfant joue à être « grand », l’homme a honte de sa fantaisie, comme quelque chose d’infantile et d’interdit. »

d’un individu qu’une dégénérescence de ce fantasme fait souffrir. Mais le pathos est partout, son désir a dû être contrecarré dans son exécution ou bien la société, l’entourage immédiat fait poindre le sentiment d’anorma-lité chez l’individu qui dès lors s’estime atteint, en souffrance.2

Considéré comme un aspect fantasque, le monteur d’album factice doit être dans un cas similaire.La notion de malaise face à des éléments familiers est beaucoup utilisée dans la littérature fantastique ; ce moyen d’instiller lentement le frisson brille notamment sous les virtuoses plumes d’Ambrose Bierce, Edogawa Ranpo, Alfred Döblin ou encore Edgar Allan Poe.

Freud insiste plus loin sur le fait que l’idée de membre coupé provoque ce genre de sentiment. Oserons-nous jusqu’à établir un parallèle avec une image coupée de son contexte ?À savoir que, oui, cela dépend de ce que l’image représente.-pour un emballage publicitaire, sans doute moins, mais cela varie selon les époques, certaines publicités du centenaire passé toute de photomontage faite et barbie-isée peut provoquer un émoi similaire.-une carte postale d’un village colorié peut renvoyer à cause d’un détail de paysage à une impression d’inquiétante étrangeté, par exemple un tronc d’arbre qui rappelle un visage humain.-un « snapshot », souvenir d’une réunion de famille-etc.Alors, mettons ces images ensemble dans un ensemble « paginal » (une page ou une double page), que se produit-il dès lors ?-sorte de « sublimation », on hisse ces images de rien du tout à des sphères

2 ibid. p. 75. Extraits p.215 et 240

« L’inquiétante étrangeté est cette variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu, depuis longtemps familier, cette investigation a suivi la voie d’une collecte de cas particuliers et n’a été confirmée qu’ensuite par ce qu’énonce l’usage linguistique »

« associer le hasard à la fatalité inéluctable » (type : répétition d’un fait, d’un chiffre ; animisme etc.)

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totémiques, ce sont les « élues ».-entre elles se nouent des dialogues, entre deux personnages, entre deux accroches de coupures de presse, entre un paysage et une vierge, entre la fée verte et un ticket de train pour Gonesse etc.-image paginée d’un tableau à regarder-les livres sont des éléments nécessaires et incontournables de tout ensei-gnement en Europe depuis la fin du Moyen Âge, c’est ce qui lui confère son caractère familier, on lui prête foi, on connaît.-les livres sont des objets connus, objets de savoir, de plaisir et de connais-sance, d’apprentissage et de découverte, mais pour autant tout le monde ne feuillette pas de manière répétée des livres d’images. Cherchez-vous à lire un journal sans le texte ? Juste avec les quelques images qui garnissent les double pages ? Voire les phrases d’accroche ? Il s’agit là d’un système de lecture parallèle, il faut donc s’éloigner volontairement du schéma dont la logique veut que la lecture se fasse de gauche à droite, du haut vers le bas, en ne négligeant rien pour bien tout saisir. On attribue souvent aux enfants la qualité de regarder surtout les images en négligeant le texte, en outre ils ne lisent pas bien, ils sont petits. Ils consultent les ouvrages en suivant leur propre logique, sans suivre le chemin tout tracé de l’auteur. Cela est vrai pour les suites d’images dans les encyclopédies, les catalogues en tout genre, etc. Admettons de fait que, sans même parler des érudits de l’art, quiconque s’intéresse ou lit couramment de la bande dessinée est à même de recourir à un type de lecture transversale pour avoir un aperçu d’un ouvrage, cela revient donc à regarder les images en soi, en intégrant leur séquençage, mais en omettant de lire le texte. Après tout, si l’on lit une bande dessinée, c’est pour saisir le fil narratif, l’histoire construite par le scénariste. Un album de bande dessinée correspond à une histoire. Cependant les démarches, entre autres, oulipiennes3 et situationnistes4 ont démontré que l’on peut changer (infiniment) le texte lié aux images, de même Pierre Desproges5

3 OuLiPo : Ouvroir de littérature potentielle, fondé en 1960 par F. Lelionnais, R. Quesnau et d’autres écrivains, mathématiciens ou peintres, se propose de créer de nouvelles formes poétiques ou romanesques en recoupant méthodes mathématiques et littérature4 L’internationnale situationniste, sous la direction de Debord Guy, douze numéros publiés de 1958 à 19695 Desproges Pierre, Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis,

s’y est essayé en changeant la légende d’une reproduction en noir et blanc d’une peinture une trentaine de fois le long d’un de ses livres, Dalí recourait abondamment à la métaphore de la double image.Dans un album factice, les images ne sont pas interchangeables, il y a donc un séquençage imposé, des séquençages qui obligent l’imagination en l’absence de tout fil conducteur clairement exposé. En effet, l’auteur ne cherche pas à créer d’histoire puisque son, ses albums ne sont pas destinés à la publication. La simple vue de ces images doit lui suffire, chacune étant l’expression d’une situation, d’un goût.C’est précisément le caractère (plus ou moins) familier de toutes ces images qui revêt parfois une impression d’inquiétante étrangeté.

Il faut assumer aussi que le caractère compulsif et pathologique d’un tel recueil est ce qui nous incite à le lire, à chercher des analogies, en trouver parfois par hasard. Toutes ces images, supposément sélectionnées parmi une vaste collection, sont en nombre déterminé et collées dans un opuscule suivant la logique de lecture de base, de gauche à droite, du haut vers le bas ; le schéma de lecture classique permet donc au badaud qui le feuillette de l’appréhender quand bien même il n’y a ni chemin de fer établi ni aucun protocole narratif déclaré. Un album factice n’est constitué que d’images clés. Cela présuppose une ample collecte dans le temps et surtout une sélection. C’est peut-être par respect pour ce temps passé à chercher, cet objet unique et intime, lequel n’aurait jamais dû se trouver entre nos mains si l’auteur n’eut trépassé, que nous en acceptons le séquençage et la lecture, aussi curieuse et multiple soit-elle.

Il n’y a pas d’impression lacunaire avec un album factice, à quelle exhaus-tivité pourrait-il prétendre ? S’attend-on a rien de particulier aux abords d’un album factice ? Si ce n’est de la surprise et le plaisir de contempler des images.Ce genre d’ouvrage ne prétend effectivement à rien, ni intention d’y apposer le sceau d’une collection précise, ni système de classement limpide. Il peut être intégralement mutique, vide de toute note de son concepteur jusqu’à sa propre signature. Restent les éventuelles légendes

éd. Seuil, coll. Points, Paris, 1997

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des dessins, des bulles de bande dessinée, un slogan, une marque, un article de presse etc.

Voici donc un livre sans maître, mais pas sans esprit. Arraché de l’an-tichambre privée et secrète d’un sombre inconnu qui ne cherchera pas à le récupérer. La présence de l’auteur anonyme hante les pages, et par extension, converse avec le lecteur via ses propres goûts, choix et lubies.Note sur l’humour :Nous relevons plusieurs cas désopilants :-l’image elle-même est faite pour faire rire-l’image n’est pas forcément faite pour provoquer l’hilarité mais prête à rire de par son côté décalé (l’épreuve du temps).-la proximité de plusieurs images est comique- l’auteur a laissé une annotation qu’il estime drôle ou qui est risible.Cependant on ne peut jamais savoir si les réunions d’images sont tout à fait fortuites ou pas, si certains montages sont mus par une volonté de grand farceur ou sont le produit d’un hasard.C’est aussi grâce à cela (système d’image double de Dalí) que l’on peut lire les pages ou l’ensemble de toutes les manières différentes, et que la surprise s’incarne dans l’infini des regards auquel est soumis l’objet.

L’album factice est une forme d’art singulièrement frôlé par la fantaisie minutieuse de la compulsion. L’album factice est au livre ce que l’art brut est à l’académisme.

II. UNE HISTOIRE PARALLÈLE ET UN LANGAGE EN MARGE

Cet extrait ainsi que le suivant proviennent de L’Archéologie du savoir de Michel Foucault1.En tant qu’objets témoins de diverses époques, les albums factices consti-tuent bel et bien une famille. Elle-même est l’expression d’une habitude et le résultat d’une fantaisie.Dans l’extrait ci-avant, il est question de cette rumeur latérale, cette histoire qui se développe en marge des grandes histoires assimilées par des systèmes d’analyses établis. La mode des albums factices est indubitable-ment incluse dans ce que nomme M. Foucault « histoire des idées ». Elle existe, de fait, depuis les origines mêmes de l’image imprimée ; sa présence fantomatique est intrinsèque à l’image imprimée et au livre depuis au moins la deuxième moitié du XVIe siècle.Il ne s’agit ni plus ni moins d’une forme de langage, cheminant en marge des langages « intelligibles ». Un langage dessiné dont les codes de

1 Foucault Michel, L’Archéologie du savoir, éd. Gallimard, coll. tel, 1969, p. 185

« L’histoire des idées[...] raconte l’histoire des à-côtés et des marges. Non point l’histoire des sciences, mais celle de ces connaissances imparfaites, mal fondées, qui n’ont jamais pu atteindre tout au long d’une vie obstinée la forme de la scientificité [...]. Histoire de ces philosophies d’ombres qui hantent les littératures, l’art, les sciences, le droit, la morale et jusqu’à la vie quotidienne des hommes ; histoire de ces thématiques séculaires qui ne sont jamais cristallisées dans un système rigoureux et individuel, mais qui ont formé la philoso-phie spontanée de ceux qui ne philosophaient pas. [...] l’histoire des idées s’adresse à toute cette insidieuse pensée, à tout ce jeu de représentations qui courent anonymement entre les hommes. ; dans l’interstice des grands monuments discursifs, elle fait apparaître le sol friable sur lequel ils reposent. C’est la discipline des langages flottants, des œuvres informes, des thèmes non liés. Analyse des opinions plus que du savoir, des erreurs plus que de la vérité, non des formes de pensée mais des types de mentalité. »

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décryptage sont mouvants, de la même manière qu’une bande dessinée muette par exemple. Son insolite pérennité met au jour des moyens de communication parallèles. Ces formes de langages n’ont eu de cesse de hanter, d’exister obstinément alors mêmes que les langues officielles se développaient, s’incarnaient en une arborescence normée. L’album factice est une forme de souvenir, un langage intime et «criminel». Un miraculé des conventions, un reliquat fou créé par un esprit de la prime jeunesse.

À la lumière de cette seconde fonction de l’histoire des idées, nous pouvons comprendre que l’album factice, en soi, forme une matière qui recoupe les « grands » domaines tels que la littérature, le langage, l’his-toire de l’art. Les recueils d’artistes sont en ce sens de bons exemples, ils sont parfois une matière brute à partir de laquelle l’artiste trouve de nouvelles formes d’expression, à l’instar de l’Atlas de Gerhard Richter . Cela peut être aussi, plus directement, une manière de s’exprimer, une façon d’exposer le monde par le biais de l’image imprimée et des associa-tions d’images, de communiquer une curiosité et de la partager, comme Hans Peter Feldmann ; ou bien encore, sans nier l’esprit enfantin lequel

« Mais d’autre part l’histoire des idées se donne pour tâche de traverser les disciplines existantes, de les traiter et de les réinter-préter. Elle constitue alors, plutôt qu’un domaine marginal, un style d’analyse, une mise en perspective. Elle prend en charge le champ historique des sciences, des littératures et des philosophies. [...]elle met en rapport des œuvres avec des institutions, des habitudes ou des comportements sociaux, des techniques, des besoins et des pratiques muettes.[...] Elle devient alors la discipline des interfé-rences, la description des cercles concentriques qui entourent les œuvres, les soulignent, les relient entre elles et les insèrent dans tout ce qui n’est pas elles. [...] Elle est l’analyse des naissances sourdes, des correspondances lointaines, des permanences qui s’obstinent au-dessous des changements apparents, des lentes formations qui profitent des mille complicités aveugles, de ces figures globales qui se nouent peu à peu et soudain se condensent dans la fine pointe de l’œuvre. »

guide la collecte, l’album factice se fait recueil d’étrange, d’images qui mettent mal à l’aise car elles sont des reproductions de formes huma-noïdes et, comme peut l’être une poupée de clown terrée dans un recoin de grenier, véhiculent un sentiment de malaise en nous renvoyant à notre propre regard sur l’ autre .Au demeurant, les albums factices renferment bien souvent plusieurs de ces intentions ou sentiments au sein d’un même ouvrage. Ils chuchotent et nous renvoient à une myriade de petits instants vécus.

III. PERSPECTIVES

La prééminence de l’internet encourage le recours de plus en plus systé-matique au numérique quant à la fabrication et la recherche d’images. L’instantané se fait par l’entremise d’un nouveau genre de matériel tels que les smartphones ou autre ipad. Le procédé est simple et multiplie la quantité d’images générée par individu, d’autant plus que sitôt la pho-tographie prise, on peut la « poster » en direct sur un site de partage, un réseau social, soit l’avènement d’une foultitude d’albums tenus par des particuliers mais dont l’accès est ouvert.Le but d’ailleurs est que le cliché soit le plus vu et le plus commenté, chaque propriétaire d’album œuvrant pour un public, son public ; l’image du jour est une quête inlassable en parallèle des autres activités (innom-brables) de l’auteur. Le snapshot à présent dépeint la vie quotidienne, mâtine une journée, donne le ton.La course à l’image du jour est par ailleurs un vrai but dans les médias. Le plus souvent quand même la photographie est accompagnée d’une légende, celle-ci situe l’image ou se fait le chantre de réflexion de type poétique.De nos jours, toute personne ayant accès à l’internet est dans la situation antérieure de l’amateur qui fouille dans les boîtes à cartes postales chez le bouquiniste.Le snapshot dans sa forme médiale s’éteint mais atteint son zénith dans son pyjama numérique.Le snapshot est mort ! Vive le snapshot !Toutefois, le marché de l’instantané physique n’en est pas refroidi pour autant, c’est même le contraire, la vente de snapshot « vintage » fructifie,

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ils se vendent par albums de famille complet. Les images sont plus présentes que jamais, il est juste de reconnaître qu’au vu du temps très court consacré à l’état de son écran à l’instant t, ce « mode de lecture avant tout langage » est d’actualité brûlante.

III.1. LES ALBUMS EN LIGNE

Dorénavant les limites des albums sont mouvantes. les contours du sé-quençage expirent au gré des humeurs de l’auteur. Il n’y a plus que le continuum banque d’images-album. La notion de sélection évolue en ce sens où l’image n’est plus condamnée une fois postée, elle n’a plus d’enve-loppe matérielle. Elle passe d’un flux mouvant public à un flux mouvant privé et public.Les boîtes à images sont des dossiers de fichiers immatériels et peuvent s’empiler à l’infini virtuellement. Ces dossiers peuvent à leur tour être postés dans leur intégralité.Attention, ce ne sont pas des banques d’images, la sélection met toujours en exergue la personnalité de l’auteur, ses affinités, son esprit d’ouver-ture, son humour etc. Et nous pensons que la barre de l’éphéméréité sera franchie par les plus fins d’entre eux. Nous retrouvons là un trait commun avec l’album factice cependant que les auteurs ne sont pas anonymes et n’élaborent pas de recueil pour leur intérêt propre, la notion de public est un facteur déterminant pour ces nouvelles démarches. Il n’y a plus d’objet non plus.

III.2 LES SMARTPHONES ET OUTILS INTELLIGENTS DE TYPE IPAD

Il est désormais possible de reproduire les concepts de nos aînés artistes internationaux par le truchement de notre téléphone portable puisqu’il est susceptible d’être aussi appareil photographique, agenda, ami etc.L’ère est au partage : «regardez ce que je regarde ».Partage étroitement nourri sous l’égide du « style », pas du bon goût, ce qu’on appelle mauvais goût ayant une tendance à devenir branché, ainsi l’auteur devient photographe, poète, cuisinier bref, une personne formidable.

Rien ne nous est plus épargné à ce propos, les instantanés d’enfants inin-téressants et de jeunes filles laides sont bombardés par milliers chaque jour sur les réseaux sociaux, facebook, blogs et autres instagram.Somme toute, c’est au lecteur d’opérer son tri, l’internaute écrème impi-toyablement selon ses goûts, sachant qu’il peut, lui aussi récupérer des images d’autres albums pour concocter le sien.

On constate tout de même qu’il y a rarement de demi-mesure dans la fraction branchée des adeptes de l’instantané, d’une part une image belle, touchante, d’autre part une image tellement minable qu’elle en devient presque drôle. Les clichés eux-mêmes sont copieusement retouchés au moyen de filtres, les effets « vintage » tiennent d’ailleurs le haut du panier.L’auteur cherche les réactions, moissonne les « like » comme pour faire enfler son « potomètre ». L’effet raté, imprévu que fait le charme fou de certains snapshots est une caractéristique recherchée, on comprend bien qu’elle est dorénavant rarement obtenue par hasard.

III.3 «CE SONT LES REGARDEURS QUI FONT LES TABLEAUX»2

Bien que tout propriétaire d’un album en ligne cherche le trait d’esprit et le cliché génial, nombre d’entre eux ne dépassent pas les poncifs des images ennuyeuses, pauvres ; celles qui précisément ne devaient pas sortir d’un contexte privé, familial car elles provoquent de violents accès d’in-différences pour les non-concernés.

Le piment « recherche-hasard-surprise » demeure cependant intact, les codes ont simplement bougé et il ne fait nul doute que le nombre de curieux a augmenté car il est possible de ne pas sortir de chez soi pour exercer cette activité.

La possession numérique ne nécessite pas de fond monétaire, ni de droits. Le système de copie d’écran évacue en cela toute entrave. Néanmoins, pour posséder physiquement une image, l’amateur doit payer physiquement.

2 Duchamp Marcel, Paris, 1914

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L’internet vient s’ajouter au marché existant des images pour une mise à disposition effervescente. Tout collecteur cherche l’unicum et c’est pour cette raison que l’ccumulation d’objets matériels demeurera. Ils seront restreints et animés par des amoureux tenaces. Au-delà de l’ori-ginalité persiste l’original.

Toutefois, que faire de la collecte ? Comment l’organiser ? Quel est le destin des images sélectionnées ? C’est le véritable fond de l’enquête. Une composition de vues est d’un autre ordre que la peinture amateur, la question-socle est donc celle du classement : Comment ordonnancer des images éphémères, des instantanés etc. et constituer, via un genre de langage, un flux nouveau, une forme d’expression de la mémoire ?

«En somme, l’œuvre d’art se passe assez bien de la notion de temps : le souci de la reconstitution d’une époque n’a d’autre effet que de retarder le moment où elle sera délivrée du temps, c’est-à-dire éternelle et dans la gloire. Si l’on veut que l’œuvre d’art devienne éternelle un jour, n’est-il pas plus simple, en la libérant soi-même du temps, de la faire éternelle tout de suite ?» Jarry Alfred, conférence «Le Temps dans l’art», Paris, 8 avril 1902

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conclusion

L’album factice entend s’étoffer de toute image imprimée quelle que soit sa provenance. C’est par le biais de la sélection et de l’assemblage que l’objet devient personnel et acquiert un caractère propre. Il y a autant d’auteurs que de méthodes de classement, ce qui déclenche un langage privé. Ce dernier provient d’une impulsion, d’un besoin, d’un plaisir. C’est une méthode de conservation: les images sont autant de signes receleurs de fragments de pensées et leur agencement a une importance certaine. Ces deux “paramètres” sont des éléments de mnémotechnie dans un musée de papier.Il s’agirait là d’une démarche dont la racine historique se couple à celle de l’image imprimée, tout du moins accompagne son essor, et, par extension, est imbriquée dans l’histoire du livre.

L’album factice est un livre rarement signé dont l’auteur est vacant ; ce dernier y a laissé pour gardien son esprit, ultime cultivateur des fruits de l’étrange. L’inattendu, tel un pathétique et farceur ectoplasme guette, depuis la découverte du livre bouffi au bruissement du papier alourdi. Il accompagne le lecteur à travers des morceaux choisis de mémoire dont le témoignage visuel l’oblige à créer son propre chemin de compréhension; s’il le souhaite.En épanchant son désir, l’auteur crée, à son insu peut-être, une sorte d’architecture. Un langage unique mais dont les matériaux empilés de manière insolite sont connus de (presque) tous. L’auteur, par le livre, parvient à incarner physiquement son regard à un moment précis avec les matériaux qu’il trouve. Ce genre de recueil délivre ce que les germano-phones désignent sous le nom de Weltanschauung, soit la conception du monde de chacun selon sa sensibilité1.L’ouvrage miraculeusement épargné d’une mortelle chute dans une perverse poubelle s’installe, de fait, dans l’histoire; il s’inclut dans une histoire che-vauchant en parallèle des courants majeurs, enseignés et enseignables. Indescriptible car estimé trop bizarre ou personnel, voire insignifiant, il saupoudre gaiement les champs de la culture du normal, du normé.

1 cnrtl, 2012

Le marché des images s’est offert le monumental parrainage de l’internet, en conséquence de quoi, toute recherche ou rencontre fortuite se trouve démultipliée, ceci notamment grâce au phénomène naturel ou provoqué de sérendipité2. Cependant, un tel ajout de matière n’évacue en rien la question de l’ordonnancement; il permet en réalité d’avoir une vue d’en-semble beaucoup plus facilement; le regroupement d’images n’en est que plus délicat. L’internet est une nouvelle table de carambolages, un plan de télescopages inattendus.

Les entrechocs visuels sont le résultat d’une vie de recherche et de ren-contres inopinées. Aby Warburg fut d’ailleurs de ces chercheurs là, et, à en juger par le nombre croissant de publications essaimant sur le sujet du Bilderatlas Mnemosyne et des regroupements d’images composites en général, il s’agit d’un thème porteur et très actuel.Nombreux sont les artistes qui, de nos jours, s’inspirent des images-archives, et surtout des snapshots, et les réinsèrent dans de nouveaux contextes.

[Documentation céline duval] est une artiste-iconographe, elle collec-tionne les instantanés en plus d’en produire elle-même. Elle réinsère ainsi des sélections dans diverses compositions, en créeant artificiellement de la narration. Par exemple, quelques snapshots collectés sont choisis pour figurer les poncifs des albums de photographies de famille. Dans un autre travail, [documentation céline duval] sélectionne plusieurs images pour recréer des filiations, le fait qu’elle en soit parfois l’auteure n’est jamais mentionné, et les inclut dans un cahier dont le déroulé page après page crée le récit3. Les anachronismes, les ratés photographiques sont autant de paramètres qui s’ajoutent à la poésie de l’entreprise. Ces images sont réu-tilisables pour d’autres projets, et ainsi sauvées de l’oubli, elles demeurent et intègrent un nouveau flux.Peter Piller est un artiste polyvalent allemand qui exploite les images d’ar-chives, mais surtout, il «commet» la publication d’atlas dont la genèse est

2 «découverte par chance ou sagacité de résultats que l’on ne cherchait pas» Ertzscheid O. et Gallezot G., Chercher faux et trouver juste, sérendipité et recherche d’information, CIFCIC, 2003, Bucarest, site du cnrs3 documentation céline duval, Le Temps d’un été, éd. Zédélé, Brest, 2005

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le moteur de recherche du site eBay4. Sa démarche consiste à mettre en avant une sélection d’images de notre quotidien visuel (ou presque) et les hiérarchiser. De ces images parfois très étranges hors contexte, il s’agit d’obus en tant qu’objets de décoration, unies et délestées de tout texte, l’auteur nous mène dans le monde parallèle monté de ses mains mais dans lequel nous avons part; c’est un schéma bien déconcertant. On se demande de quel genre sont les auteurs de ces images, qui non seulement prennent les clichés mais les publient. L’interrogation ne dure point, devant l’évidence et le nombre indécent d’exemples de ce type, nous ne pouvons que constater toute la beauté du monde. Les photographies commises en toute bonne fois et, il faut bien bien l’admettre, souvent bancales, sont l’objet d’une constante attention. L’Album Beauty d’Erik Kessels brasse en une cinquan-taine de pages des vues issues d’album de famille, et tout comme certaines images eBay, quelques unes sont l’objet de découpes, afin dans un cas de supprimer un visage honnis, dans l’autre cas, de conférer de l’anonymat à un cliché personnel: par exemple en détourant la tête de la mariée pour promouvoir sa robe; mais ces gestes sont aussi le dernier message laissé à la photographie, un geste de haine ou tout du moins de violence à l’égard de l’image de quelqu’un, d’une situation censée exprimer les moments les plus heureux, les plus parfaits5.Tous ces hasards rassemblés par une personne, sous la forme d’instan-tannés, d’échantillons de la vie quotidienne ou autre, sont d’une part, des fragments d’un trésor méticuleusement amassé et en constante expansion; et d’autre part recquierent l’interprêtation d’un innocent. En cela, nous pensons qu’il est utile que le lecteur soit à l’affût de tous les déguisements que peut revêtir la farce.

4 Piller Peter, Deko + Munition, éd. Nieves, Zurich, 20085 Kessels Erik, Album Beauty, RVB books, Paris, 2012, cahier central

« N’est-il pas vrai, mon ami, que, jusqu’à un certain point, ta sympathie est acquise à mes chants? Or, qui t’empêche de franchir les autres degrés? La frontière entre ton goût et le mien est invisible; tu ne pourras jamais la saisir; preuve que cette frontière elle-même n’existe pas. »6

Contempler un album factice, objet brut et personnel, revient à faire une pause dans l’étendue kaléidoscopique offerte à notre curiosité visuelle. C’est une prise de contact avec la production d’un collègue déraisonnable et passionné, le langage des images amuse, étonne, intrigue et ne s’épuise jamais. Dans l’ensemble énigmatique et insolite des regroupements, c’est l’excitation de découvrir une association nouvelle, l’envie et le besoin d’être constamment surpris qui préside à la poursuite du voyage.

6 Lautréamont, Les Chants de Maldoror, éd. ULB, V, 1, p. 164

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notEs Et Extraits

DiDi-Huberman G.,Atlas ou le gai savoir inquietl’œil de l’histoire, 3Les Éditions de Minuit 2011

p. 13« L’atlas fait donc, d’emblée, exploser les cadres. Il brise les certitudes autoproclamées de la science sûre de ses vérités comme de l’art sûr de ses critères. Il invente, entre tout cela, des zones interstitielles d’exploration, des intervalles heuris-tiques. Il ignore délibérément les axiomes définitifs. C’est qu’il relève d’une théorie de la connaissance vouée au risque du sensible et d’une esthétique vouée au risque de la disparité. Il déconstruit par son exubérance même, les idéaux d’unicité, de spécificité, de pureté, de connaissance intégrale. Il est un outil, non pas de l’épuisement logique des possibilités données, mais de l’inépuisable ouverture aux possibles non encore donnés. Son principe, son moteur, n’est autre que l’imagina-tion. Imagination : mot dangereux s’il en est (comme l’est, déjà, le mot image). Mais il faut répéter avec Goethe, Baudelaire ou Walter Benjamin que l’imagination, si déroutante soit-elle, n’a rien à voir avec une fantaisie personnelle ou gratuite. C’est, au contraire, d’une connaissance traversière qu’elle nous fait don, par sa puissance intrinsèque de montage qui consiste à découvrir- là même où elle refuse les liens suscités par les ressemblances obvies- des liens que l’observation directe est incapable de discerner. [...] L’imagination accepte le multiple (et même en jouit). Non pour résumer le monde ou le sché-matiser dans une formule de subsomption : c’est en quoi un atlas se distingue de tout catalogue et même de toute archive supposée intégrale. L’imagination accepte le multiple et le reconduit sans cesse pour y déceler de nouveaux « rapports

intimes et secrets», de nouvelles « correspondances et analogies » qui seront elles-mêmes inépuisables comme est inépuisable toute pensée des relations qu’un montage inédit, à chaque fois, sera susceptible de manifester.L’inépuisable : il y a tant de choses, tant de mots, tant d’images de par le monde ! Un dictionnaire se rêvera comme leur catalogue ordonné selon un principe immuable et définitif (le principe alphabétique, en l’occurrence). L’atlas, lui, n’est guidé que par des principes mouvants et provisoires, ceux qui peuvent faire surgir inépuisablement de nouvelles relations, bien plus nombreuses encore que ne le sont les termes eux-mêmes, entre des choses ou des mots que rien ne semblait apparier d’abord.Dans ce dernier paragraphe, l’on trouve le mot « provisoire » lequel est opposé à l’idée même d’album factice, Georges Didi-H pense Der Bilderatlas Mnémosyne comme un ensemble encore mouvant bien que son auteur ne soit plus là pour en modifier la forme. Nous nous risquerons ici à proposer cet atlas comme une chose figée, du moins des montages figés, puisque le livre n’a jamais vu le jour du vivant de M. Warburg.

p.22« Mnémosyne le sauvait de sa folie [...]. Mais, dans le même temps, ses idées continuaient de « fuser » utilement, telles des images dialectiques, à partir du choc ou de la mise en rapport des singularités entre elles. Ni désordre absolument fou, ni ordonnancement très sage, l’atlas Mnémosyne délègue au montage la capacité à produire, par les rencontres d’images, une connaissance dialectique de la culture occidentale, cette tragédie toujours reconduite -sans synthèse, donc- entre raison et déraison, ou comme le disait Warburg, entre les astra de ce qui nous élève vers le ciel de l’esprit et les monstra de ce qui nous précipite vers les gouffres du corps. »

101

FreuD s.,L’Inquiétante étrangeté et autres essais,éd. Folio essais,1re édition française 1985, Présente édition 2011

P. 209 : L’INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ

Le terme originel das Unheimiche pose problème aux traducteurs car la notion qu’il revêt est d’une grande complexité, voici donc toutes les tra-ductions proposées en anglais puis en français pour ce terme :

1919 Das Unheimliche

1955 The Uncanny traduit par James Strachey, Standard édition, tome 17

1933 L’inquiétante étrangeté, Marie Bonaparte

Le non-familier, date et auteur non-indiqués

1976 L’étrange familier, François Roustang, Nouvelle Revue de Psychanalyse, n° 14

L’inquiétante familiarité, Roger Dadoun, date non-indiquée

1987 Démons familiers, François Stirn

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Site internet de l’Encyclopaedia Britannica.

Achevé d’imprimer :Mémoire de master 2 Illustration

Nathalie SebayashiHEAR

Achevé d’imprimer à l’imprimerie du Boulevard, Strasbourg

Février 2013

Livre fabriqué main

Les textes et les titres sont composés les uns en Sabon, dessiné par Jan Tschichold, Allemagne;

les autres en Gill Sans, dessiné par Eric Gill, Grande-Bretagne