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N attribu par la bibliothque :
THESE
pour lobtention du grade de DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION
Arrt du 7 aot 2006
prsente et soutenue publiquement le 5 dcembre 2012 par
Claudya PARIZE-SUFFRIN
FABRIQUER ENSEMBLE LA STRATEGIE : Dune dmarche de Prospective Stratgique une plateforme
dOpen Strategizing chez BASF Agro de 1995 2012
JURY
Directeur de thse : Rapporteurs : Suffragants :
Albert DAVID Professeur lUniversit Paris-Dauphine Sbastien DAMART Professeur lUniversit de Rouen Gilles GAREL Professeur au CNAM Stphanie DAMERON Professeur lUniversit Paris-Dauphine Sandra CHARREIRE Professeur lUniversit de Paris-Sud
Dauphine Recherches en Management (DRM)/M-Lab (UMR 7088) Ecole doctorale de Dauphine
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FABRIQUER ENSEMBLE LA STRATEGIE :
Dune dmarche de Prospective Stratgique une plateforme dOpen Strategizing
chez BASF Agro de 1995 2012
Claudya PARIZE-SUFFRIN
Dauphine Recherches en Management (DRM)/M-Lab (UMR 7088) Ecole doctorale de Dauphine
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Avertissement LUniversit nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette
thse. Ces opinions doivent tre considres comme propres leurs auteurs.
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Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prires
Oscar WILDE (1995)
A ma famille
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Remerciements
Laboutissement dune thse de doctorat est un exercice difficile, mais passionnant. Pour ma
part, cela na pas t le fruit dun processus rectiligne. Cest pourquoi je tiens ici remercier ceux qui
mont fait confiance, tout au long de ces annes.
Je tiens exprimer toute ma reconnaissance Monsieur Albert DAVID, Professeur lUniversit
de Paris Dauphine et directeur de ma thse, qui je dois laboutissement de ces travaux. Je lui suis trs
reconnaissante pour son soutien et sa disponibilit. Il a cette capacit vous dire en deux mots ce que
vous avez mis des semaines ou des mois conceptualiser. J'ai considrablement appris ses cts, et
les rsultats prsents ici doivent beaucoup aux raisonnements qu'il a dvelopps. Je suis toujours
impressionne par sa vivacit et son esprit de synthse qui lui permettent de mener plusieurs projets
denvergure de manire simultane. Depuis notre premire rencontre en 1996 loccasion de mon
entretien de slection au D.E.A Mthodes Scientifiques de Gestion de luniversit Paris-Dauphine dirig
par le Pr Bernard ROY, et malgr une interruption de nos contacts pendant prs de dix ans, il a toujours
t mon coute et je le remercie ici de mavoir accueillie au sein de lquipe de recherche de M-Lab de
DRM. Cette quipe ma soutenue avec une sincre gentillesse.
Je remercie galement la direction de BASF Agriculture France pour mavoir offert lopportunit
de raliser ces travaux dans le cadre dune Convention Industrielle de Formation par la Recherche. Je
tiens remercier mes anciens collgues de BASF, pour lambiance au quotidien, les informations
changes et les discussions qui ont enrichi mes rflexions. Un remerciement particulier Madame Nelly
Couillard pour son aide en documentation spcialise sur lindustrie phytosanitaire, Messieurs
Yves Briens et Dominique Turpin pour leurs conseils et leurs encouragements.
Un trs grand merci galement tous les enseignants chercheurs ou les doctorants qui mont
aide travers nos discussions et leurs critiques constructives, leurs corrections et leur soutien. Leur
vision des problmes, lenthousiasme et loriginalit de leurs argumentations mont t dun grand
secours plusieurs reprises. Il sagit notamment de Messieurs Paul Rosele Chim, Eric Lambourdiere,
Nicolas Sanz, Christophe Elie-Dit-Cosaque, Jean-Yves Barbier, Emmanuel de La Burgade, Lionel
Garreau et Franois-Xavier de Vaujany, de Mesdames Fabienne Alvarez, Sylvie Delaye, Alexandra
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Achille, Elen Riot, Stphanie Pitoun et surtout Emilie Canet avec laquelle jai partag le stress mais
aussi les bons moments lors des derniers mois de rdaction de la thse.
Je suis trs reconnaissante envers lUniversit des Antilles et de la Guyane (UAG) qui ma donn
la possibilit deffectuer mes recherches dans de bonnes conditions. Mon maintien et mon volution dans
cette universit depuis 2001 nauraient pas t possibles sans la confiance que mont tmoigne
Monsieur Pascal Saffache, Prsident de lUAG, Monsieur Jean-Pierre Cherdieu, Vice-Prsident du
Conseil dAdministration, Messieurs Franck Roubaud et Ollivier Tamarin, directeurs de lIUT de Kourou,
Monsieur Rmy-Louis Joseph, directeur du Ple Martinique de lIUT de Kourou, Monsieur Jean-Gabriel
Montauban, Monsieur Jean Crusol et Monsieur Fred Celimne, Vice-Prsident du Ple Martinique et
directeur du C.E.R.E.G.M.I.A, Centre d'Etude et de Recherche en Economie, Gestion, Modlisation et
Informatique Applique.
Je noublie pas les quatre personnes qui mont permis de faire face mes fonctions de chef de
Dpartement du DUT Techniques de Commercialisation de lIUT de Kourou : Gilberte Tarcy, Koulani
Rezaire, Jean-Marc Laurent, Marta Badenes et Ida Agbo-Talon. Ils mont assist et remplac chaque fois
que cela a t ncessaire pour me permettre de misoler et de rdiger ma thse. Une pense
reconnaissante galement pour la famille Acosta qui ma soutenue avec beaucoup damiti la fin de la
thse.
Je remercie sincrement les membres du jury, Madame Stphanie DAMERON de lUniversit
Paris-Dauphine, Madame Sandra CHARREIRE de lUniversit Paris-Sud, Monsieur Sbastien DAMART
de lUniversit de Rouen et Monsieur Gilles GAREL du CNAM. Je remercie ici les rapporteurs pour avoir
accept de me lire et de juger ce travail ainsi que ceux qui mont fait bnficier de la pertinence de
leurs remarques loccasion de ma pr-soutenance.
Merci enfin ma famille et belle-famille, feu mon pre, ma mre, mes quatre enfants, mes
frres et surs qui mont tant encourag, et surtout mon mari, qui a tout accept. Leur soutien au
quotidien a reprsent une aide prcieuse. Leur intrt, leurs encouragements, leur total dvouement et
surtout leur patience ont permis ces travaux dtre mens leur terme. Je ne doute pas quils seront
tous soulags de tourner enfin la page aprs avoir t contraints de vivre avec ma thse comme un
membre part entire de la famille.
Je ddie ce travail, aussi modeste soit-il, tous ceux qui mont aide, chemin faisant, chaque
tape, poser mes ides, et en tayer la trame. Que chacun de celles et ceux qui ont rempli de leur
prsence ces instants, soient ici profondment remercis.
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Sommaire
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 5
SOMMAIRE ...................................................................................................................................... 7
RESUME DE LA THESE .................................................................................................................... 10
INTRODUCTION GENERALE ............................................................................................................ 11
1. Une situation de management empirique qui adresse des questions de management stratgique ............................................................................................................................. 12
2. Une contribution la rvision de certains modles de management et daction collective ...... 17 3. Synopsis de la thse ................................................................................................................ 28
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LITTERATURE .................................................................................. 31
LINNOVATION EN MANAGEMENT : INSTRUMENTS DE GESTION ET ECOSYSTEMES DAFFAIRES .................................................................................................................................... 31
CHAPITRE 1 : OUTILS DE GESTION ET INNOVATIONS MANAGERIALES POUR LE PILOTAGE DU CHANGEMENT DANS LACTION COLLECTIVE 32 INTRODUCTION DU CHAPITRE 32 1. Les thories classiques du changement ................................................................................... 34 2. La permanence du dbat des rapports de lentreprise son environnement ........................... 61 3. Conception, implmentation et diffusion des outils de gestion dans les organisations ............ 75 CONCLUSION DU CHAPITRE 96 CHAPITRE 2 : CONCEPTION DE LA STRATEGIE ET ECOSYSTEMES DAFFAIRES 98 INTRODUCTION DU CHAPITRE 98 1. La fabrique de la stratgie ....................................................................................................... 99 2. Lcosystme daffaires, entre rseau, communaut et plateforme ...................................... 107 3. Des stratgies collectives pour la stabilit et la survie des organisations dans leur
environnement ..................................................................................................................... 116 CONCLUSION DU CHAPITRE 128
DEUXIEME PARTIE : METHODOLOGIE, CONCEPTION ET ETUDE DE CAS ........................................ 130
UNE DEMARCHE PROSPECTIVE STRATEGIQUE PARTICIPATIVE INNOVANTE DE 1995 A 2012 : LE CAS DU LEADER MONDIAL DE LAGRO-FOURNITURE ............................................................... 130
CHAPITRE 3. METHODOLOGIE, DESIGN DE LA RECHERCHE ET CONSTRUCTION DES QUESTIONS DE RECHERCHE 131 INTRODUCTION DU CHAPITRE 131 1. Une analyse qualitative travers une tude de cas unique ................................................... 131 2. La collecte et le traitement des donnes ............................................................................... 143 CONCLUSION DU CHAPITRE 156
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CHAPITRE 4 : OBJET DETUDE : LA PROSPECTIVE, ENTRE PROCESSUS STRATEGIQUES ET PRATIQUES MANAGERIALES INNOVANTES 158 INTRODUCTION DU CHAPITRE 158 1. La prospective participative dentreprise et le management stratgique .............................. 158 2. Les outils de la prospective ................................................................................................... 167 3. Des outils une philosophie de fabrique de la stratgie ....................................................... 178 CONCLUSION DU CHAPITRE 191 CHAPITRE 5. LE CERCLE DE REFLEXION PROSPECTIVE DE BASF 193 INTRODUCTION DU CHAPITRE 193 1. Prsentation de lentreprise sur les quatorze dernires annes ............................................ 194 2. Le contexte de la dmarche prospective, laube du XXIe sicle ........................................... 206 3. Les dmarches de PSP de BASF et les rsultats publis ......................................................... 215 4. Synthse des dmarches participatives de BASF Agro ........................................................... 249 CONCLUSION DU CHAPITRE 269
TROISIEME PARTIE : ANALYSES, RESULTATS ET DISCUSSION ........................................................ 270
LA PLATEFORME DE STRATEGIZING AU CUR DUN MODELE DE FORMES PLUS OUVERTES ET DISTRIBUEES DE STRATEGIES COLLECTIVES INTER-ORGANISATIONNELLES ................................... 270
CHAPITRE 6. ALIGNEMENT STRATEGIQUE, CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS ET PRATIQUES DES ACTEURS 271 INTRODUCTION DU CHAPITRE 271 1. Les implications pour les acteurs et leurs rles dans lorganisation ....................................... 271 2. Les implications structurelles et stratgiques ........................................................................ 279 3. Les choix stratgiques des acteurs ........................................................................................ 289 CONCLUSION DU CHAPITRE 298 CHAPITRE 7. INTERDEPENDANCES STRATEGIQUES ET CO-EVOLUTION DE LA PSP AVEC LES ORGANISATIONS 300 INTRODUCTION DU CHAPITRE 300 1. Le processus dimplmentation de la PSP dans les organisations .......................................... 301 2. Le Cercle, une plateforme de conception et daffaires ........................................................... 316 3. Le processus dvolution de la PSP ....................................................................................... 327 CONCLUSION DU CHAPITRE 338 CHAPITRE 8. LE DEBAT STRATEGIE/STRUCTURE REVISITE A TRAVERS LES OUTILS DE GESTION 340 INTRODUCTION DU CHAPITRE 340 1. Les leons de management ................................................................................................... 341 2. Les moteurs de linnovation PSP ........................................................................................... 346 3. Lalignement Outil (structure) / Environnement / Stratgie / Organisations ......................... 350 CONCLUSION DU CHAPITRE 356
CONCLUSION : DES FORMES DINSTRUMENTATION FAVORABLES A DES DEMARCHES DE CONCEPTION INNOVANTE ........................................................................................................... 358
1. Une thorie contextuelle en usage : un modle actionnable de fabrique ouverte de la stratgie ............................................................................................................................... 359
2. Apports, limites et voies de recherches ................................................................................ 365
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 369
TABLE DES ILLUSTRATIONS .......................................................................................................... 411
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TABLEAUX : .......................................................................................................................... 412 FIGURES : ............................................................................................................................ 413
INDEX DES SIGLES ET ABREVIATIONS ........................................................................................... 415
TABLE DES MATIERES ................................................................................................................... 416
ANNEXES ..................................................................................................................................... 421
ANNEXE 1 : LISTE DES MATERIAUX PRIMAIRES ET SECONDAIRES EXPLOITES ................................ 422
ANNEXE 2 : EXTRAITS DE REQUETES EFFECTUEES POUR LANALYSE TEXTUELLE (N VIVO) ............. 426
ANNEXE 3 : EXTRAIT DU RECIT DE LA DEMARCHE DE PSP EN PHASE DOBSERVATION T0 (1995-1997) ................................................................................................................................. 430
ANNEXE 4 : EXTRAITS DE LA DEMARCHE DE PSP EN PHASE DOBSERVATION T1 (1998) .......... 439
ANNEXE 5 : EXTRAITS DE LA DEMARCHE DE PSP EN PHASE DOBSERVATION T2 (1999) .......... 455
ANNEXE 6 : EXTRAITS DE LA DEMARCHE DE PSP EN PHASE DOBSERVATION T3 (2000-2012) ........................................................................................................................................... 476
ANNEXE 6: SEIZE ANNEES DE TRAVAUX DU CERCLE PROSPECTIVE DES FILIERES AGRICOLE ET ALIMENTAIRE .............................................................................................................................. 482
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Rsum de la thse
Notre thse a pour point de dpart une situation de management empirique reprsente par un
Cercle de rflexions prospectives, que nous appelons PSP (Prospective Stratgique Participative), mene
par BASF Agro sur une priode de plus de dix ans avec lensemble des acteurs de la filire agro-
alimentaire. Les acteurs du Cercle ont une relation marchande et dcident dexplorer des opportunits de
collaboration sur un mode communautaire. Ils expandent ensemble un espace de conception o
interagissent les savoirs et les relations dans un processus dinnovation. Nous aboutissons lhypothse
que la PSP joue le rle dune plateforme ouverte de fabrique de la stratgie (open strategizing platform) et
de fonctionnement des affaires entre les acteurs qui sert rflchir et concevoir ensemble des stratgies
nouvelles. La PSP est un dispositif de gestion dont la vision simplifie de lorganisation (la configuration
de rfrence implicite) est un cosystme daffaires, et pas seulement une organisation classique. Notre
analyse est base sur une tude de cas longitudinale de dix-sept ans.
Mots clefs : fabrique de la stratgie, conception, innovations managriales, plateforme, cosystme
daffaires, prospective.
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Introduction gnrale
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1. Une situation de management empirique qui adresse des questions de management
stratgique
Notre recherche sappuie sur une tude de cas longitudinale concernant une dmarche de
rflexion prospective et participative mene par la direction de BASF France depuis 19951. Il sagit dun
cas peu commun. En effet, linitiative de son PDG, cette entreprise allemande, leader mondial de la
chimie, qui commercialise notamment des engrais et des produits phytosanitaires, met en place une
dmarche de prospective stratgique participative avec ses clients mais aussi avec ses cadres. Cette
dmarche est orchestre par la Direction Prospective et Stratgie du Sige, laquelle nous sommes
rattache dans le cadre dune bourse CIFRE2 de 1998 2000.
Tout commence au cours dun sminaire de deux jours Venise durant lequel la direction de
BASF invite ses meilleurs clients (coopratives et ngociants distributeurs) ainsi que ses principaux
cadres dirigeants, participer une rflexion qui devra dterminer les enjeux du futur pour la distribution
agricole. Devant le succs de cette dmarche marqu par la participation active de ses membres, la
direction de BASF, qui attendait les signes dune satisfaction manifeste de ses clients, dcide de
poursuivre cette rflexion commune de faon structure et sur le long terme. Les thmatiques des
rflexions suivantes sont tournes vers une meilleure connaissance du march, et plus particulirement
sur la connaissance des besoins futurs des agriculteurs, clients des distributeurs de BASF. Face la
proposition de rflchir collectivement sur leur march, en invitant les agriculteurs participer la
dmarche, les distributeurs de BASF approuvent avec enthousiasme cette manire doprer de la part de
leur principal fournisseur.
Il faut dire que le contexte externe du secteur agro-alimentaire est particulirement bouscul par
une situation de crise la fin des annes 1990 (crise de la vache folle, rforme prochaine de la PAC,
accords de lOMC, arrive de la taxe pollueur-payeuret plus gnralement, prise en compte des
contraintes environnementales depuis la confrence de Rio). La direction de BASF est donc soucieuse,
de faon logique, de consolider ses relations commerciales avec ses clients afin de maintenir son
1 La dmarche de prospective stratgique de BASF est toujours en cours en 2012 2 Convention Industrielle de Formation par la Recherche
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leadership sur le march. Elle a par ailleurs cur de montrer que les produits chimiques de lentreprise
sont respectueux de lenvironnement, et a besoin de sassurer de leur bonne utilisation auprs des
acteurs du monde rural. Mais elle ne peut le faire seule et a besoin de ses distributeurs et des autres
membres situs en aval de la filire, en relation directe avec les agriculteurs, principaux acteurs
concerns par les bonnes pratiques agricoles ( BPA dans le jargon de la profession). La synthse
des travaux rvle dailleurs, et sans grande surprise pour les managers de BASF qui avait structur le
sminaire en ce sens, un intrt marqu pour les problmatiques lies de grands enjeux socitaux,
notamment la scurit alimentaire et lenvironnement3.
Au fil des rflexions menes, le groupe de travail se prennise et souvre progressivement
dautres entreprises de lamont de la filire agricole, mais surtout de laval, afin de sadapter aux nouvelles
exigences du march de lagro-alimentaire. Cest ainsi que sont invites se joindre aux rflexions les
entreprises des industries agro-alimentaires comme Danone ou les Grands Moulins de Paris, celles de la
grande distribution, comme Carrefour ou Leclerc, mais aussi les agriculteurs, les associations de
consommateurs et les reprsentants des pouvoirs publics. Ce groupe sauto-baptise Cercle de Rflexion
prospective sur la scurit alimentaire et lenvironnement ( Cercle ).
Ce sont les outils de la prospective qui rythment les travaux, invariablement. Dabord, un
sminaire pour expliquer lintrt dune telle dmarche et rappeler les fondements de la prospective ; puis
des ateliers, aliments par des recherches documentaires, des entretiens, des questionnaires
pralablement prpars ou des analyses de jeu dacteurs et de leurs objectifs par le biais de logiciels
ddis ce type de dmarches ; ensuite la construction de scnarios par lutilisation de lanalyse
morphologique qui permet de dterminer les enjeux et les variables cls du futur, souvent associs des
profils dacteurs ; enfin un sminaire de restitution des travaux qui permet dassocier des membres
supplmentaires du middle management de BASF et dautres entreprises ou institutions qui rejoindront la
rflexion prospective suivante. Des experts sont galement associs aux comits de pilotage ou aux
sminaires pour alimenter les rflexions par des aspects spcifiques et techniques, mais ne sont pas
systmatiquement invits rejoindre le Cercle de faon permanente. Pour mieux ancrer les orientations
choisies, les membres du Cercle dcident de publier les rsultats de leurs travaux au fil des rflexions.
3 Au sens, cologie.
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Les membres initiaux du Cercle cr en 1995 ne changent pas, mais sont rejoints au fur et
mesure par dautres acteurs du march, en fonction des thmatiques des rflexions choisies. De mme,
les cadres intermdiaires de BASF sont de plus en plus nombreux et invits venir faire partie du Cercle.
Paralllement, la direction de BASF dcide de diffuser les rsultats des rflexions lensemble de ses
collaborateurs et entame une dmarche dempowerment4 avec une trentaine de son middle management
afin qu partir des rsultats des rflexions du Cercle soit propos un plan dactions oprationnelles pour
la prochaine campagne marketing.
Cest partir de ce moment l que les changements les plus marquants se font jour. En effet,
lentreprise dcide de modifier sa structure organisationnelle de manire plus conforme celle du march
et se rorganise par filire ou cultures , ce qui impose une vritable refonte de lorganigramme.
Durant cette priode qui stend environ sur un an (1999-2000), le Cercle continue ses rflexions
tournes vers la prise en compte des problmatiques environnementales pour rpondre aux besoins du
march. Dans le mme temps, la structuration en filires de BASF se dveloppe galement dans ses
dmarches de prospective. Des rflexions spcifiques sur dautres cultures mergent, comme pour la
Vigne (en 1999), le soja, les fruits et lgumes (en 2005) ou la biodiversit (en 2011) par exemple.
A partir des annes 2000, alors que la dmarche Filire Vigne termine sa deuxime anne de
rflexion par un sminaire Porto au Portugal, le Cercle intgre un autre groupe de rflexion, le Club
Demeter qui mne galement des analyses et tudes autour des thmes agricoles et agro-alimentaires.
Ces dernires sont faites pour nouer et dvelopper des relations nationales et internationales tous
niveaux entre milieux intresss, notamment entre agriculture, industrie et recherche ; pour favoriser
l'change, le dialogue et la communication avec les responsables publics et les autres branches
professionnelles afin de promouvoir une image dynamique du secteur agricole et agro-alimentaire ,
comme indiqu sur leur site internet5. Ds lors, les thmatiques des rflexions deviennent plus gnrales,
toujours empreintes de problmatiques lies lenvironnement et au march et utilisent tous les rsultats
des dmarches des autres filires menes par les acteurs de BASF.
4 Littralement : mise en pouvoir . Cette mthode consiste permettre aux collaborateurs dune entreprise de dvelopper leur capacit dagir et de solidarit (Ninacs, 2008) 5 http://www.clubdemeter.com
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Rebaptis Cercle Prospective des Filires Agricoles et Alimentaires , le Cercle continue son
processus dexpansion en intgrant dautres rseaux, mais la direction de BASF en garde toujours le
contrle, aux cts de ses principaux clients, quatorze ans aprs sa cration. Une partie de ces clients se
sont par ailleurs regroups. En effet, la filire agro-alimentaire, et la distribution en particulier, vit une
poque de forte concentration. Le Cercle a dailleurs contribu identifier des rseaux dalliances et de
partenariats pertinents. En interne, la direction de BASF continue mener des dmarches prospectives et
dvelopper ses filires. Fidle la stratgie nonce dix ans plus tt et aux scnarii que le Cercle
continuent dlaborer lhorizon 2025, les gestionnaires de BASF accompagnent encore davantage leurs
clients sur le terrain avec des ingnieurs conseil-environnement et mettent leur disposition des outils
daide la dcision et de diagnostic pour les bonnes pratiques agricoles, les itinraires techniques
raisonns, notamment via une plateforme numrique avec accs rserv (extranet). Une dmarche
nomme Eco-acteurs lance en 2008 et toujours en cours, reproduit le mme schma prcdent. Elle
est base sur une forte participation du middle-management et une logique dactions menes tant en
interne quen externe, en harmonie avec les rsultats des rflexions du Cercle et la Vision globale du
groupe, appele Vision 2020 .
Aujourdhui, le contexte externe des industriels de la chimie est de plus en plus difficile, marqu
par de trs fortes contraintes environnementales et un besoin imprieux de regroupement pour obtenir
une taille critique ncessaire pour les investissements en R&D, notamment pour les biotechnologies
vgtales. Pour autant, BASF reste le leader mondial de la chimie, et dtient le 3e rang pour sa filiale
protection des plantes. BASF Agro en France a ralis un chiffre daffaires de 334 millions deuros et
compte un effectif de 274 salaris au 31 dcembre 2011.
Ayant bnfici dune CIFRE6 de 1998 2000 au sein de BASF, nous avons particip cette
dmarche de prospective stratgique durant cette priode. Nous tions rattache la direction
Prospective et Stratgie et participions toutes les runions lies cette dmarche. Dans loptique dune
dmarche empirique, la plus adapte lanalyse de notre tude de cas, nous nous situons dans le cadre
dune mthode exploratoire et dune tude de cas intrinsque (David, 2004). Une dmarche qualitative se
6 Convention Industrielle de Formation par la Recherche.
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justifie en raison de la nature de notre problmatique (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1990) qui sinterroge sur les
processus dvolution de lorganisation. En effet, elle nous permet dapprhender la ralit des structures
organisationnelles, le style de management et les changements qui sy droulent [], dintgrer la
dimension chronologique, de comprendre les causalits, donc de reprer comment les configurations se
forment et se dforment au cours du temps dans le contexte (Wacheux, 1996, p. 93).
Nos matriaux primaires ont t recueillis au cours de notre recherche-action (contenu des
runions, des ateliers et des sminaires retranscrits intgralement, entretiens avec les dirigeants, les
collaborateurs et les acteurs de la filire agricole impliqus dans la dmarche, supports de communication
de la stratgie aux salaris, lettres et journaux internes) puis ont t complts par des sources
secondaires jusquen 2012 (cahiers de recherche publis par les acteurs du dveloppement de cette
dmarche prospective stratgique participative, rapports annuels, rapports de dveloppement durable,
revues et coupures de presse, contenus des sites internet). Tous ces documents, reprsentant
plusieurs milliers de pages, ont t archivs numriquement et ont fait lobjet dune reconstitution
chronologique fine. Leur diversit nous permet de rpondre au principe de multiangulation visant
multiplier les sources dinformation pour accrotre la validit de construit de la recherche (Hladi-Rispal,
2000). Ces diffrentes sources nous ont permis de reprer et de catgoriser les acteurs impliqus dans la
dmarche de rflexion prospective stratgique, les fonctions de cette dernire, les structures et les
dispositifs qui ont contribu son dveloppement, ses domaines dapplication et les thmes tudis, en
les replaant dans le contexte stratgique de lorganisation. Elles nous ont galement permis didentifier
les activits des acteurs mais aussi les processus dimplmentation et dappropriation des outils de
gestion mobiliss et des innovations managriales cres tant lintrieur quaux frontires de
lorganisation travers lintgration des acteurs externes (consultants et partenaires de la filire agro-
alimentaire) associs aux processus de rflexions.
Notre mthodologie de recherche est base sur lanalyse des discours, dans la mesure o la
narration permet galement dtudier laction collective organise, le contenu et le processus de formation
de la stratgie de lentreprise, danalyser les processus organisationnels, dont le changement stratgique
(Pentland, 1999 ; Giroux, 2000 ; Detchessahar & Journ, 2007). Cette analyse processuelle des
interactions et des activits (Jameson, 2001 ; Orr, 1990 ; Zilbert, 2002) nous permet de mieux
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apprhender les connaissances et les relations partages par les acteurs de la dmarche de prospective
mais aussi les types de relations tisss entre eux. Compte tenu de limportant volume des matriaux, et
pour faciliter le codage, nous avons fait le choix dutiliser un logiciel daide lanalyse qualitative, NVivo.
Aprs la reconstitution de la dmarche de BASF selon un ordre chronologique annuel, nous
avons identifi deux grandes phases successives. La premire phase, de 1995 2000, correspond la
mise en place de la dmarche prospective qui a vu la cration du Cercle. La seconde phase, de 2000
2012, a t identifie partir dune rupture concernant le Cercle, cest dire partir de la priode o il a
intgr un autre rseau : le Club Demeter.
Cette mthodologie permet denglober une chelle de temps dobservation importante et facilite
lidentification des activits des acteurs internes et externes lorganisation dans un processus de
changement, ouvrant les portes dun champ dexploration sur les frontires de lorganisation encore
insuffisamment abord par la littrature sur les innovations managriales (Besson & al., 1997) et encore
relativement peu galement par la littrature sur les pratiques dans les rseaux inter-entreprises. Elle
permet enfin de mettre en perspective limbrication de loutillage gestionnaire dans le processus
dinnovation managriale. Finalement, notre mthodologie repose sur la volont de mettre en exergue les
pratiques des acteurs et la fabrique de la stratgie des organisations tudies (Whittington, 1996 ;
Johnson & al., 2003 ; Golsorkhi, 2006 ; Jarzabkowski & al., 2007).
2. Une contribution la rvision de certains modles de management et daction
collective
Le primtre des champs dexploration de ce cas dtude est vaste, permet plusieurs niveaux
danalyse - organisationnels, inter et intra-organisationnels et adressent de nombreuses questions de
recherche. La direction de BASF a-t-elle commenc sa dmarche prospective face une contrainte
externe et en quoi cela a t-il modifi son organisation interne et sa structure ? Inversement, lorganisation
de BASF a t-elle influenc sa stratgie daction ? Autrement dit, quel a t le rle de la prospective dans la
stratgie de lentreprise ? Quels rles ont jou le middle-management et les consultants dans la fabrique
de la stratgie de BASF ? Quelle a t linstrumentation de gestion mobilise et quel a t le processus
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dimplmentation des outils utiliss, leurs usages, leur primtre daction, leur degr dappropriation par
les acteurs, leurs interrelations et leurs imbrications, leur influence sur les processus dinnovation ? Y a t-il
une corrlation entre le mode de gouvernance, comme le management participatif par exemple, les
instruments de gestion et la performance et lefficience de lentreprise ? Quelles sont les innovations
managriales qui ont rsult de cette dmarche prospective ? Quels sont les processus de conception et
de diffusion de ces innovations ? Sont-ils identifiables et modlisables ? Enfin, comment caractriser le
Cercle ? Serait-ce une mtastructure , un artefact, un dispositif de gestion ? Serait-ce plus prcisment
un espace de coordination, de conception et/ou dexploration ? Dans ce cas, serait-il lmanation dun
nouveau mode de gouvernance de laction collective organise ?
En effet, sans prtendre lexhaustivit, notre cas adresse plusieurs questions fondamentales,
mais au moins deux dentre elles mobilisent notre analyse. La premire a trait aux liens entre stratgie et
structure, aux relations entre adaptation des organisations face leur environnement et au contexte dans
lequel elles voluent. Lenvironnement7 est ce qui donne aux organisations les moyens de leur survie
(Johnson & al., 2011, p. 55). Voil qui ravive lancien dbat sur le dterminisme ou le volontarisme des
organisations, cest dire sur les stratgies dlibres ou contraintes des dirigeants, qui a oppos deux
fondateurs de la stratgie : Alfred Chandler et Igor Ansoff. Est-ce au stratge quil revient de dfinir
lorientation gnrale et les missions de lentreprise ? Est-ce la conception des militaires qui prvaut, o la
pense prcde laction (Sun Tzu, 6e sicle av. J.C), ou est-ce laction qui dirige la pense ? La stratgie,
ne dans les hautes sphres, loin des proccupations quotidiennes de la firme, est dlibre, formalise
dans un plan et excute avec contrle. Mais la stratgie est aussi imprvue, car elle est le fruit
dexpriences qui modifient progressivement le comportement de lorganisation et fait merger des
changements dorientation. Ainsi, tantt les acteurs sont dpeints comme oprant des choix rationnels,
sans restriction ou sous contraintes informationnelles, tantt on les considre comme incapables de faire
des choix parce que les options leur sont en quelque sorte imposes de lextrieur. Entre ces deux
extrmes se situent des stratgies couramment labores. Un terme ce dbat semble tre propos par
les sociologues avec lesquels il devient possible de planifier sans pour autant employer des procdures
7 Au sens de contexte ou milieu dans lequel lorganisation volue.
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rigides ; dassurer un meilleur couplage entre lenvironnement externe et lenvironnement interne de
lentreprise (Gervais, 2003, p. 25). Cest la raison pour laquelle nous adhrons plus volontiers une
approche volontariste et intentionnelle du changement, o les acteurs organisationnels ont une capacit
changer lorganisation (Astley & Van de Ven, 1983).
La seconde question laquelle nous nous intressons a trait au mode de gouvernance des
organisations. Le mot gouvernance est centr sur la notion de gouvernail (gubernaculum, gubernaclum,
soit laviron), cest dire linstrument, loutil qui permet de suivre la direction qui a t dcide par le
gubernator (timonier) (Marchesnay, 2011). Il semble ainsi pertinent de sinterroger sur les dterminants
de la gouvernance dentreprise : les acteurs, leur processus de dcision et les outils de gestion utiliss
pour le pilotage et le contrle dans un objectif conomique. La stratgie nest plus lapanage des
directions gnrales. Elle se construit aussi avec le middle-management. En effet, de nombreuses
recherches soulignent le rle du top-management au cours du changement (Dutton & al., 1983 ; Nystrom
& Starbuck, 1984 ; Dutton & Jackson, 1987 ; Osterman, 2008). Une partie de la littrature en
management (Labianca & al., 2000 ; Huy, 2002 ; Balogun & Johnson, 2004 ; Guilmot & Vas, 2012)
sintresse aux rles quotidiens des cadres intermdiaires dans les processus dappropriation du
changement et les pratiques stratgiques (Dameron & Torset, 2012). Lintrt port ces acteurs se
justifie parce quils constituent des membres cls de la communaut organisationnelle tant donn quils
agissent en tant que mdiateurs entre le top-management et le reste de la communaut face la
complexit croissante des entreprises et leur distribution gographique. De plus, le contact direct et
quotidien quils ont avec la ralit de lorganisation leur permet de prendre des dcisions davantage
adaptes la situation rencontre. Dautres acteurs tels que les consultants prennent eux aussi une part
importante dans les processus de changement stratgiques car ils interviennent directement dans les
entreprises, aux cts des top manager et des cadres intermdiaires. Ils participent aux processus de
diffusion des innovations managriales dans mais aussi hors de lorganisation (David, 1998 ; Birkinshaw &
al., 2008). Ils lgitimisent les pratiques, les dupliquent chez leurs clients et contribuent ainsi favoriser
des modes managriales.
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Le choix de la direction de BASF de mener une dmarche prospective dans un mode managrial
participatif nous interroge sur ce type de gouvernance, mais aussi sur le rle de la prospective et son lien
avec la stratgie. Il faut soigneusement distinguer la mthode et la finalit suprme de la prospective
stratgique. La prospective est une mthode de prparation de la stratgie. () Ils (les militaires)
lappellent le Kriegspiel : analyser toutes les situations futures possibles, et les ractions appropries. La
stratgie c'est--dire, au sens tymologique grec, la conduite des armes - est le choix des positions
prendre (Stoffas, 1996, p. 15). Ainsi, la prospective intervient en amont de la prparation des
orientations stratgiques. Elle consiste, dans un esprit de large ouverture et avec une mthodologie
rigoureuse, identifier les enjeux sur lesquels des positions sont prendre ; mettre en perspective les
tendances, les scnarios dvolutions et les ruptures possibles dans lenvironnement ; imaginer les
options alternatives aux options actuelles ; fournir des lments dvaluation pour le choix des options ;
lequel relve lui-mme de la stratgie. La stratgie est ensuite dcline dans les procdures de gestion.
Par ailleurs, lintgration de la dmarche prospective la stratgie pose de nombreux problmes. Elle
suppose une grande circulation de linformation, complte dune attitude, qui constituent de vritables
dfis pour lorganisation : un apprentissage dlibr pour surpasser les limites humaines de
linterprtation ; et un apprentissage mergent dans le cours de laction (Baumard, 1996, p. 3). Aussi,
lintgration de la prospective la stratgie dpend fortement de limplication des dirigeants dans sa mise
en uvre.
Enfin, les questions de gouvernance soulvent galement une problmatique transversale : la
plus ou moins grande proximit entre les acteurs a des consquences sur les processus et les
performances des organisations. La concentration physique dindividus (dans une organisation) ou
dorganisations cre des effets de proximit qui ne peuvent tre ignors (Bellet & al., 1993). Ainsi, on,
assiste de plus en plus, en situation de contextes changeants, des stratgies de rseaux.
Le rseau dynamique est une forme de coopration stratgique entre
firmes (). Au lieu dtre assumes par une organisation unique, les tches de
conception et de dveloppement des produits, de fabrication, de marketing et de
commercialisation sont prises en charge par des entreprises juridiquement
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indpendantes runies en rseau. Les lments de ce rseau sont assembls par
une sorte de courtier qui joue le rle de leader et contracte pour les services requis.
La coordination du rseau repose sur les mcanismes de march plutt que sur des
plans ou des systmes de contrle. Les membres du rseau sont relis par des
systmes informatiss assurant la libre circulation et la mise jour permanente des
informations requises pour leur coordination et permettant galement le suivi mutuel
et instantan des contributions de chacun (Desreumaux, 1993, p. 25).
Le groupe managrial se trouve dsormais ouvert sur lenvironnement de
filire, au point que la commande de sa propre gouverne ne lui incombe plus en
totalit. () Cette porosit peut atteindre un point tel que la gouverne se fait autant
du dehors que du dedans (Besson & al., 1997) : les managers doivent alors
composer avec les problmes de gouverne et de gouvernail propres leurs
partenaires, ce qui les contraint de se conformer aux exigences hirarchiques du
rseau dans lesquels ils sinsrent on pense ici la gestion des grands (et petits)
projets. Lune des consquences majeures est alors que la performance du
dedans de la firme managriale est conditionne largement par les performances
du dehors , cest--dire des autres partenaires (Marchesnay, 2011, p. 142).
Ainsi, un niveau inter-organisationnel, le Cercle de BASF claire sur les stratgies de rseaux
et leurs stratgies relationnelles. Ces rseaux amnent identifier les plateformes qui sous-tendent leur
dveloppement, favorisent les phnomnes dapprentissage et les processus dinnovation, notamment
ceux labors dans une logique dinnovation ouverte (Chesbrough, 2003).
Finalement, lon voit bien que la question du changement, et plus prcisment du management
et/ou du pilotage du changement, est au cur de la rflexion stratgique sur les organisations travers
les notions dinnovations technologiques, organisationnelles ou managriales. Un fort consensus du
monde de la recherche en management stratgique se dessine autour des approches par le management
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des connaissances, la prise en compte des acteurs et de leurs relations, et leurs activits pour tudier les
processus de changement dans les organisations. Lon admet que le changement organisationnel est
troitement li aux processus de dveloppement de savoirs. En effet les approches cognitives ont permis
des avances considrables dans la comprhension des processus organisationnels et des pratiques
managriales (Argyris & Schn, 1978 ; Weick, 1979 ; Hedberg, 1981 ; Shrivastava, 1983 ; Hatchuel &
Molet, 1986 ; Daft & Huber, 1987 ; Nonaka, 1991 ; Nonaka & Takeuchi, 1995 ; Koenig, 1996).
Linnovation, et par voie de consquence8, le changement, sont dsormais des constantes du
management moderne. Selon la dfinition de Schumpeter (1926), linnovation est lintroduction russie sur
le march dun nouveau produit, dun nouveau processus ou dun nouveau modle dorganisation.
Linnovation est gnralement dfinie comme la ralisation ou ladoption dides nouvelles et utiles par les
acteurs de lorganisation (Amabile, 1988 ; Van de Ven, 1986). En ce sens, linnovation est troitement
dpendante de la crativit dfinie comme la capacit gnrer ces ides nouvelles et utiles (Amabile,
1996 ; Lubart, 1994 ; Getz, 2000). La capacit de sadapter au changement, voire den tirer parti, est une
des principales comptences managriales requises aujourdhui et reprsente un gage de la comptitivit
des entreprises.
Cest prcisment cette dynamique du changement et ce processus de conception et de diffusion
des savoirs et des innovations qui mobilisent ici notre attention. En effet, si les innovations technologiques
sont indniables et prennent en compte les besoins du march, notamment mis en exergue par les
dmarches prospectives, ce sont les innovations organisationnelles et managriales qui sont le plus
marquantes dans la dmarche observe chez BASF. La prospective apparat alors comme un outil daide
la dcision stratgique, en mme temps quun outil de pilotage du changement.
Nous navons donc pas la prtention daborder la notion dinnovation dans son ensemble, mais
seulement lune de ses catgories : les innovations managriales. Ces dernires sont dfinies comme
linvention et limplmentation dune pratique managriale, dun processus, dune structure ou dune
technique managriale, qui est nouvelle par rapport ltat de lart et qui vise prolonger les objectifs de
8 Nous partons du principe quil ne peut y avoir dinnovation sans changement, mme si le contraire ne se vrifie pas toujours (David, 1998)
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lorganisation (Birkinshaw & al., 2008, p. 825)9. Sintresser linnovation inclut daborder galement la
mutation gestionnaire des entreprises (Le Masson & al., 2006). Cette dernire est aussi importante que
les mutations du dbut du XXe sicle comme le taylorisme ou le fayolisme. Linnovation est donc (1) un
processus de conception qui doit relier les nouveaux concepts la connaissance et (2) un processus
entrepreneurial qui doit relier de nouvelles valeurs de nouvelles comptences (David, 2002). Cest
pourquoi nous centrons notre analyse sur les processus de conception et dimplmentation des
innovations managriales dans les organisations, qui soulvent encore des nigmes non lucides. En
effet, linnovation peut tre intentionnelle, prpare et organise pour prvenir les risques sinon les
matriser. () Ce nest donc pas linnovation en soi qui mrite ltude mais la manire, la mthode, le
mcanisme qui conoit, labore et forme le processus de cette innovation (Le Masson & al., 2006, p. 22-
23).
Les instruments cognitifs et collectifs permettent linnovation de devenir un objet de gestion, de
pilotage et dorganisation (idem, 2006). Les thoriciens des innovations soulignent le rle majeur de
linstrumentation de gestion dans la cration et la diffusion du savoir dans les organisations (Hatchuel &
Weil, 1992 ; David, 1996 ; Moisdon, 1997). Cest la raison pour laquelle nous nous intressons aux
innovations managriales, dont nous prcisons leur contenu et leurs valeurs conomique et sociale.
La premire confrontation avec la littrature sur les innovations managriales, et plus largement
sur la notion dinstrumentation de gestion est consternante tant les terminologies sont nombreuses : outils
de gestion (Moisdon, 1997), objets, rgles, dispositifs de gestion (De Vaujany, 2005), instruments de
gestion, artefacts (Rabardel, 1995 ; Lorino, 2002), techniques de gestion, techniques managriales
(Hatchuel & Weil, 1992), routines (Nelson & Winter, 1982 ; Feldman, 2000, 2003 ; Feldman & Pentland,
2003), machines de gestion (Girin, 1981) ou langage de gestion (bien que ces deux dernires
terminologies relvent dune connotation plus philosophique car elles dsignent des systmes
dinstruments qui se sont automatiss et ont progressivement chapp aux volonts de leurs
concepteurs (Aggeri & Labatut, 2010, p. 12). La disparit de ces terminologies peut, au premier abord,
9 The invention and implementation of a management practice, process, structure, or technique that is new to the state of the art and is intented to further organizational goals (Birkinshaw, Hamel, Mol, 2008, p. 825).
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rendre difficile la comprhension des objets dtude mais en ralit, elle rvle la richesse des travaux sur
linstrumentation de gestion et les pratiques managriales associes.
Le terme que lon retrouve le plus souvent est celui doutil de gestion ou de management tools
pour la littrature anglo-saxonne. Dune manire gnrale, les outils de gestion se dfinissent par un
ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de faon formelle un certain nombre de variables
issues de lorganisation (Moisdon, 1997, p. 7). Ils aident les acteurs de lentreprise raisonner sur les
fonctionnements dans lesquels leur action sinscrit, et anticiper leurs volutions possibles (idem, p.
10). Bien que les termes soient diffrents selon les auteurs, les dfinitions convergent vers le principe
selon lequel les outils de gestion sont composs de deux dimensions inter-relies : des composantes
artefactuelles , lies linstrument lui-mme, et des schmes sociaux dutilisation et dactivit
instrumente (Rabardel, 2005), lis aux acteurs qui utilisent linstrument. Loutil est en effet constitu
dun objet, un artefact engag physiquement dans laction , et dun schme dutilisation de linstrument,
un concept, dans la pense du sujet () permettant au sujet de mettre en uvre cet artefact dans un
type daction donn (Lorino, 2002, p. 13-14). Autrement dit, une instrumentation additionne des
savoirs, des acteurs et des dispositifs associs cette instrumentation (Hatchuel & Weil, 1992), ou
encore, des savoirs prlevs pour contrler, conduire et orienter lactivit et des savoirs en retour qui
mergent de lusage des instruments (Moisdon, 2005). Ainsi, linstrumentation de gestion relve dun
ensemble de dispositifs qui simbriquent, se compltent et interagissent (Hatchuel & Weil, 1996), dun
processus dintervention, dune manire de produire des connaissances sur des objets et des
phnomnes nouveaux (Hacking, 1983 cit par Aggeri & Labatut, 2010, p. 9).
Ds lors, outils ou instruments de gestion ont une histoire et un dveloppement qui ne peuvent
tre tudis indpendamment de la vie et des transformations des organisations. Le thme qui nous
intresse ici est celui de lanalyse des processus de construction de linstrumentation de gestion dans les
organisations, mais aussi et surtout celui des liens entre outils et organisation (structure et processus
dimplmentation des innovations managriales, nature des savoirs et des relations organisationnelles
tisss autour des outils de gestion, caractrisation des pratiques managriales et stratgiques) dans un
contexte de changement.
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Cest laune de ce cadre danalyse sur les innovations managriales que nous avons choisi de
percevoir les changements survenus au sein de la Division Agriculture de BASF France. En effet,
lobservation de louverture progressive et constante du Cercle dautres organisations, la cration de
nouvelles dmarches de rflexion prospective avec dautres filires sur dautres thmatiques, la formation
de groupes de travail parallles avec les cadres intermdiaires au sein mme de lorganisation, mais aussi
les changements organisationnels oprs tout au long de cette dmarche de prospective, nous ont
conduit choisir de mobiliser la littrature sur linstrumentation de gestion dans une perspective de
pilotage du changement et dinnovation. Nous entendons ici innovation au sens de nouveau :
nouvelles ides, nouvelles techniques, nouveaux procds, nouveaux produits
Au dbut de notre recherche, nous cherchons dterminer dans quelles mesures et quelles
conditions la prospective stratgique dentreprise constitue-t-elle un outil de pilotage du
changement dans un but de performance conomique et sociale dans une perspective
systmique. Notre problmatique englobe les dimensions la fois internes et externes de lorganisation,
totalement en interaction. Elle rpond la demande initiale de lentreprise qui porte sur lanalyse des
impacts de cette dmarche prospective lintrieur et aux frontires de lorganisation. La direction de
BASF se demande en effet quel dispositif daccompagnement du changement permettrait dintgrer les
rsultats des rflexions produites tant au niveau individuel que collectif au sein de lorganisation. Elle
sinterroge sur le mode dintgration des rsultats de ses rflexions dans ses stratgies commerciales et
souhaite identifier limpact de sa dmarche au niveau de la filire agro-alimentaire, travers tous les
acteurs externes associs aux rflexions. Notons que lappropriation des rsultats des dmarches
participatives par les parties prenantes est un thme prsent sous diverses formes dans la littrature
(apprentissage, pdagogie collective, processus cognitifs, etc.). Peu de travaux cependant ont t raliss
autour dune problmatique du changement interne et externe par lappropriation des rsultats dans le
long terme, limpact organisationnel tant gnralement abord par rapport une dimension
entreprise/environnement externe et concurrentiel (Dussauge & al., 1988).
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Cependant la littrature sur le processus de changement des organisations et nos observations
empiriques, nous ont progressivement guid la fois vers ltude des dynamiques dimplmentation et de
diffusion des innovations managriales et vers les structures de coopration interentreprises de plus en
plus nombreuses dans les contextes changeants. Ds lors, notre problmatique ne consiste plus tant
dterminer si la prospective est un outil de gestion, bien que cela reste une question soulever,
mais caractriser et comprendre les configurations organisationnelles quelle semble avoir
produit et leurs rles dans lalignement stratgique avec lenvironnement.
Plus prcisment, la reformulation de notre problmatique mane de trois constats empiriques :
1. La mise en uvre de la prospective stratgique chez BASF sur cette priode de plus de dix
ans reprsente un changement majeur dans les pratiques de management, en mme temps que ces
pratiques sont elles-mmes destines produire du changement, cest dire des nouvelles stratgies.
2. Au cours de cette dizaine dannes, la dmarche est devenue de plus en plus participative.
Elle concernait dj la Direction Gnrale, mais son primtre dapplication sest tendu des acteurs
que lon considre habituellement comme faisant partie de lenvironnement, dans les approches
classiques, savoir clients, fournisseurs et autres partenaires dune filire.
3. La dmarche concerne, comme indiqu au point prcdent, llaboration de la stratgie de
faon participative, intgrant progressivement un plus grand nombre de partenaires. Il nest pas si
frquent quun primtre aussi large dacteurs contribue explicitement la fabrique de la stratgie. Lon
note ainsi une originalit dans le fait que le participatif concerne la stratgie travers les mthodes de la
prospective.
Ds lors, ces constats nous amnent redfinir notre problmatique autour de questions
plus gnrales afin de comprendre avec qui, quand, comment et pourquoi se fabrique la stratgie.
Ainsi, cet itinraire de rflexion nous a amen nous intresser la littrature sur les
changements, les outils et dispositifs de gestion, les rapports avec lenvironnement et les rapports entre
outil et structure. De faon intuitive, nous avions limpression que sur la dizaine dannes observe, une
srie de changements concernait simultanment les dispositifs de management, la stratgie et sa
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fabrique, mais galement les rapports de lentreprise avec son environnement, au point mme que ce
dernier intgre en partie la dmarche de conception, via les clients, les fournisseurs et les partenaires de
manire gnrale. De faon assez logique, le niveau dintgration observ nous fait envisager deux
analogies, mtaphores ou hypothses, qui combinent toutes les deux, dune certaine manire stratgie,
outil, structure et environnement. Ces deux configurations concernent dune part, une plateforme de
fabrique de la stratgie o les acteurs se runissent et utilisent des outils, des mthodes au sein dun lieu,
ou plus prcisment de lieux, pour changer, discuter et construire. Il semble que tout sy droule comme
au sein dune plateforme de conception.
Dautre part, ces acteurs sont des partenaires daffaires et pas seulement des co-concepteurs.
Autrement dit, la plateforme couple la fois conception et affaire. Lon aboutit temporairement, en tout cas
progressivement sur plus de dix ans, un degr dintgration entre la dmarche, lorganisation, la
stratgie et lenvironnement. Ce degr dintgration est tel, que pour qualifier le dispositif, des
configurations elles-mmes intgratrices comme les plateformes et les cosystmes daffaires (EA)
semblent pouvoir constituer un champ danalyse. Nous mobilisons cette littrature pour comprendre cette
configuration organisationnelle qui permet non seulement la fabrique de la stratgie, mais rvle un
dispositif de type plateforme qui produit, favorise linnovation, concrtise lencodage dans lorganisation et
matrialise une dynamique dEA. Lon pourrait parler dEA concepteur en quelque sorte, qui ne fait pas
que son business. Ainsi, la dfinition prcise de ce que sont les plateformes et les EA, nous permet de
vrifier, travers un raisonnement hypothtico-dductif, quel moment le Cercle et la dmarche observs
ont tout ou partie des proprits dun EA. Cette hypothse est dclenche par une intuition empirique que
nous cherchons rationaliser a posteriori, travers notre cas dtude, pour discuter et dmontrer une
partie, au moins sur notre cas, des caractristiques ce type de plateforme o lon fait de lopen
strategizing .
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3. Synopsis de la thse
Nous menons cette analyse travers trois parties. La premire est rserve aux thories
mobilises. Au risque davoir traiter de rapports simultans de covolution entre stratgie,
environnement et structure (structure incluant les outils de gestion), nous mobilisons un premier niveau de
revue de littrature sur le changement, les innovations managriales et techniques de gestion et
lenvironnement. Nous nous intressons ce que la littrature en stratgie dit l dessus, y compris sur
structure, changements, acteurs et outils. Considrant que lappropriation organisationnelle ne peut
sapprhender sans lanalyse plus globale du processus de changement, et que linnovation est un
dclencheur de ce processus, notre revue de littrature porte sur le rle de linstrumentation de gestion
dans le pilotage du changement organisationnel. Ds lors, notre cadre de recherche est abord sous
langle dune vision instrumentale des processus de changement et dinnovation dans les organisations.
Notre premier chapitre est consacr une littrature ddie aux diffrents comportements des
organisations face limprative ncessit de tenir compte de leur environnement immdiat. Il introduit la
vision cognitive du changement travers la littrature sur les outils de gestion qui explique les processus
dinnovation par le partage des relations et des savoirs entre les acteurs. Ce chapitre nous permet de
noter la permanence du dbat organisation/environnement et du dbat stratgie/structure (outil). Notre
deuxime chapitre concerne la fabrique de la stratgie, les plateformes dchanges et les cosystmes
daffaires. La notion du faire stratgique sintresse aux pratiques et activits des gestionnaires. Ceux-ci
sont en relation avec leur environnement galement compos de parties prenantes. Ces acteurs externes
participent galement la fabrique de la stratgie, notamment travers la structuration de rseaux
dentreprises. Lune de ces formes rticulaires, lcosystme daffaires (EA), apparat tour tour comme
une structure qui englobe des entreprises et comme une structure qui merge des stratgies des
entreprises. La notion de plateforme permet dobserver des phnomnes inter-organisationnels de co-
construction de comptences, particulirement importants au cours de la naissance dun EA. Cest la
plateforme qui permet daccder aux ressources car elle sert de support la cration des comptences
cosystmiques tout en permettant aussi leur intgration.
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Notre seconde partie est rserve notre mthodologie de recherche et la prsentation de
notre objet dtude et de notre tude de cas. Notre troisime chapitre sintresse ces outils de gestion
qui ont vocation anticiper et accompagner le changement, mais peut-tre galement explorer des
trajectoires nouvelles. Cest notamment le cas de PSP (prospective stratgique participative), notre objet
dtude, relecture de la prospective travers le prisme du management stratgique. Au cours du chapitre
quatre, nous justifions le choix de lanalyse qualitative et de ltude de cas puis exposons notre dmarche
pour la collecte des donnes et la construction de la grille danalyse afin de rpondre nos questions de
recherche. Nous dtaillons notre dmarche gnrale de recherche, la nature des donnes rcoltes et la
manire dont nous les avons analyses. Le chapitre suivant dtaille notre tude de cas et relate les
diffrentes phases de la dmarche de rflexion du Cercle de Rflexion prospective de BASF avec les
acteurs issus de la filire de lagroalimentaire. Ltude narrative et longitudinale prsente lentreprise et le
contexte particulier dans lequel sinsre cette dmarche.
Enfin, notre troisime partie est ddie nos rsultats et notre discussion. Le sixime chapitre
souligne les implications managriales, organisationnelles et stratgiques, engendres par ces
dmarches prospectives participatives au sein de lentreprise. Le chapitre sept prsente nos rsultats et
discute des processus dinnovation dans et hors des frontires de lorganisation via les plateformes de
conception et daffaires, mettant ainsi en exergue le principe de covolution entre stratgie et structure.
Notre discussion se poursuit au cours du chapitre suivant sur les nouvelles formes dorganisation des
entreprises pour sadapter leur environnement.
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Figure 1 : Prsentation gnrale du plan de thse
Chapitre 1 Outils de gestion et innovations
managriales pour le pilotage du changement dans laction collective
Chapitre 3 Mthodologie, design de la
recherche et construction des questions de recherche
Introduction
Chapitre 4 Objet dtude : la prospective, entre processus stratgiques et pratiques
managriales innovantes
Chapitre 2 Conception de la stratgie et
Ecosystme daffaires
Partie I : Linnovation en management : instruments de gestion et cosystmes daffaires
Chapitre 5 Le Cercle de Rflexion prospective de BASF
Chapitre 6 Alignement stratgique,
changements organisationnels et pratiques des acteurs
Chapitre 7 : Interdpendances stratgiques et co-volution de la PSP avec les
organisations
Partie II : Une dmarche prospective stratgique participative innovante de 1995 2012 : le cas du leader mondial de lagro-fourniture
Conclusion Des formes dinstrumentation favorables des dmarches de conception innovante
Chapitre 8 : Le dbat stratgie/structure revisit
travers les outils de gestion
Partie III : La plateforme de strategizing au cur dun modle de formes plus ouvertes et distribues de stratgies collectives inter- organisationnelles
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Premire partie : Revue de littrature
Linnovation en management : instruments de
gestion et cosystmes daffaires
Rien nest permanent, sauf le changement Hraclite dEphse, philosophe grec (-576, -480 av. J.C.)
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Chapitre 1 : Outils de gestion et innovations managriales pour le pilotage du
changement dans laction collective
Introduire une innovation managriale suppose () une dmarche intentionnelle, donc explicitement ou
implicitement, un pilotage du changement
David (1996).
Introduction du chapitre
Le lecteur se demandera certainement pourquoi crire sur un thme dj tant dbattu dans la
littrature. Probablement parce que le changement, paradoxalement, constitue une constante dans le
management des organisations. Ds lors, notre intrt rside davantage sur les moyens danticiper et/ou
de piloter le changement que sur ltude de ses causes. Les instruments de gestion constituent des
leviers daction sur lesquels les organisations sappuient pour sadapter leur environnement, aussi bien
interne quexterne, et pour rentrer dans un processus dinnovation. Outils daide la dcision, comme les
analyses multicritres, outils de management, comme les groupes projet, outil de communication, comme
les systmes dinformation, outils de pilotage ou outils de management de linnovation, comme les
plateformes de conception.Ils sont nombreux et aident les managers atteindre leurs buts et
accompagner le changement. Ltude internationale sur les outils et les tendances managriales mene
par le cabinet de conseil Bain & Company, reconduite tous les deux ans, tmoigne de leur utilisation
grandissante dans les organisations (Rigby & Bilodeau, 2007).
Dtermins par la cration de relations et de connaissances nouvelles, ils deviennent alors pivots
ou vecteurs du changement organisationnel et du processus dinnovation. Autrement dit, limplmentation
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des outils de gestion in situ rpond une dmarche processuelle qui permet daboutir linnovation
organisationnelle.
Cette vision instrumentale du changement, qui sappuie sur les thories et concepts issus des
thories de linnovation et du knowledge management constitue le socle thorique et le fil directeur de
nos travaux.
Partant de la cration dapprentissages dans et par les organisations, les travaux de Hatchuel &
Weill (1992), de Moisdon (1997), de David (1998) ou de Fridenson (1998), dsignent linstrumentation de
gestion comme un vritable acteur de la transformation (Doublet, 1998, p. 2). Ces changements
interviennent la fois cause dune adaptation ncessaire lenvironnement des organisations, mais
aussi du fait de lintervention volontaire des dirigeants afin de rpondre une stratgie politique globale
prdtermine. Ces auteurs dveloppent une analyse systmique du changement organisationnel,
travers la thorie de laction collective. Cette dernire saffranchit dune vision uniquement endogne ou
exogne du changement, et sappuie sur la ncessit et limportance de la mise en place doutils de
gestion afin daider le manager piloter efficacement le processus de changement au sein des
organisations. Elle est surtout btie sur un principe fondateur bas sur linsparabilit des relations et des
savoirs (principe S/R) dans les actions collectives (Hatchuel, 2000). Cette riche littrature nous apprend
que linstrumentation de gestion sinsre dans lorganisation en gnrant et en diffusant des savoirs (ou
connaissances) et des relations. A lissue de nombreuses recherches empiriques, une proposition
dintervention dimplmentation doutils de gestion dans les organisations est propose aux chercheurs,
consultants et managers. Cette mthode rvle une position globale en sinscrivant dans une logique la
fois processuelle et cognitive du changement. Elle ne prend cependant pas en compte la dimension
sociologique du changement, qui lapprhende travers linteraction constante entre lentreprise, les
ressources et les contraintes socitales.
Aprs avoir prsent dans un premier temps les thories traditionnelles du changement, nous
proposons une synthse de cette littrature dans sa vision moderne.
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1. Les thories classiques du changement
Dire que la notion de changement est vaste est presque un plonasme tant les dfinitions sont
nombreuses, le sujet tendu, et la bibliographie importante. Le changement organisationnel est dfini par
Van de Ven & Poole (1995) comme une diffrence dans la forme, la qualit et ltat de la relation de
lorganisation avec son environnement externe . Une telle relation englobe dabord les ressources
actuelles et futures ncessaires et () prend en considration linteraction avec lenvironnement qui
indique comment lorganisation atteint ses objectifs (Hofer & Schendel, 1978). Depuis ces quarante
dernires annes, ce thme a pris une place majeure dans la littrature de la thorie des organisations. Il
constitue un axe de recherche trs vaste, la croise des chemins entre sociologies des organisations,
de lentreprise, de linnovation, thorie de la dcision, courants des relations humaines, de lcologie des
populations, de lvolutionnisme, de la dpendance des ressources ou du management stratgique. Le
changement est spcifique chaque entreprise dans lequel il intervient et recouvre des phnomnes trs
diffrents par leur amplitude et leur tendue. Il nexiste pas de solution unique et largument du one best
way est peu raliste (Charpentier, 1998).
Le vocable changement , en franais, a pour origine premire le terme provenant du latin
cambiare qui veut dire : changer, substituer quelque chose quelque chose dautre10. L'interaction et
l'change sont ainsi au cur du changement. Il concerne galement le passage d'un tat un autre
(Chanut-Guieu & Meschi, 2003). Un changement, c'est le passage d'un tat x, dfini un temps t, vers
un tat x1 un temps t1, o x et x1 peuvent reprsenter un tre humain ou un milieu social qui, aprs
changement , devient la fois autre chose et le mme (Rhaume, 2002). Le changement nat de la
diffrence entre un tat vcu et un tat dsir dont la prise de conscience provient du surcrot
dinformation interne ou externe qui gnre un stress organisationnel (Hafsi & Fabi, 1997). Autrement dit,
le changement nat de linadquation entre le fonctionnement dune organisation et son but initial (Probst
& al., 1992). Le changement nat dune situation de stress et de tension dans lorganisation due une
incohrence entre trois niveaux : la structure, la culture ou le leadership et le contexte. Ds lors, le
10 Source : dictionnaire Larousse
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changement se caractrise par un processus de transformation radicale ou marginale des structures et
des comptences qui ponctue le processus dvolution des organisations (Guilhon, 1998, p. 98). Le
changement est galement caractris par une quation intgrant le temps (vcu et pens), laffectivit
(systme de perception) et laspiration (ralits immdiates et virtuelles) (Carton, 1997). Il peut tre
provoqu par la perception et le rsultat dune altration positive ou ngative de la ralit immdiate ou
virtuelle. Cela souligne le caractre rtroactif du changement : le sujet a en retour une influence sur le
processus de changement qui, son tour, a une influence sur les causes du changement. Ce processus
rtroactif est reprsent travers le schma suivant.
Figure 2 : La boucle rtroactive du changement (daprs Carton, 1997)
Le changement doit donc tre apprhend la fois travers selon ses dimensions
organisationnelles et temporelles.
Deux perspectives de recherche se mobilisent sur ltude du changement organisationnel depuis
les annes 1970 : celle du volontarisme et celle du dterminisme. Le manager cherche engendrer le
changement tant lintrieur de lentreprise qu ses frontires, afin de lui permettre de survivre et de
sadapter un environnement en perptuelle volution. Cette main visible du manager, nomme ainsi par
Alfred Chandler (1988), est une vision managriale du changement qui prvaut encore aujourdhui. Dans
cette conception, le changement provient de lacteur, de lquipe dirigeante, donc de lentreprise elle-
mme, qui anticipe ou qui subit une ou plusieurs volutions de son environnement : ouverture ou
redfinition du march, mesures sociales, innovation technologique ou introduction de nouvelles
exigences rglementaires par exemple. Une autre position consiste mettre laccent sur lattitude
Changement Sujet
Origine
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dterministe du manager, contraint impulser le changement afin de faire face aux volutions de
lenvironnement externe, sous peine dassister la disparition de lentreprise. Cette dichotomie est
parfaitement rsume en ces termes : cest tantt lenvironnement qui dicte sa loi, tantt lacteur qui
exerce son pouvoir sur un univers mallable (Koenig, 2000, p. 163).
Le changement organisationnel est une notion complexe et multiforme, qui peut tre analys
partir de nombreux courants de la thorie des organisations (Van de Ven & Poole, 1990, 1995 ; Barnett &
Caroll, 1995). Il sagit dun champ enrichi par plus dun demi-sicle de rflexions menes par de nombreux
chercheurs et/ou praticiens, tant dans les domaines de la sociologie, des sciences de gestion, de la
communication ou de linformation. Fortement empreinte de lhritage Taylorien, la conception de
lorganisation est relativement statique jusqu la moiti du XXe sicle. Les thories du changement
organisationnel, empreintes dune conception plus dynamique, apparaissent partir des annes 1950.
Par la suite, les courants se diversifient et le changement est envisag sous langle des acteurs, sous
son aspect processuel, radical ou marginal, par son caractre intentionnel ou contraint (Cordelier &
Montagnac, 2008). A la fin du XXe sicle, la communaut scientifique saccorde reconnaitre que les
organisations sont contraintes par des facteurs internes et externes. Sans avoir la prtention de
lexhaustivit, les courants qui ont enrichi la littrature sur le changement organisationnel sont regroups
dans le tableau suivant, qui propose une classification des principales contributions thoriques et
conceptuelles.
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Thories Mobilises Approches Auteurs de rfrence Thories
classiques Thories psychologiques Thorie du comportement de la firme
Lewin (1951) Cyert & March (1963)
Thories
contingentes
Ecole Socio-Technique Thories sociales Thories de la contingence structurelle
Emery & Trist (1963) Burns & Stalker (1966) Lawrence & Lorsch (1967)
Thories sociologiques
Thorie de laction organise Institutionnalisme No- Institutionnalisme Ecologie des populations Evolutionnisme
Lindblom (1959) ; Etzioni (1961) ; Crozier (1963) ; Crozier & Friedberg (1977) Miller & al (1988) Commons (1934) ; Sezlnick (1949) Di Maggio & Powell (1983,1991) Hawley (1950) ; Campbell (1969); Hannan & Freeman (1977, 1984), Hannan & al. (1996), Aldrich (1979) Aldrich (1999) ; Nelson & Winter (1982)
Thories du
management du changement
Le changement processuel Le courant interprtativiste Le Dveloppement Organisationnel/Le changement planifi Le changement contraint Complexit des organisations Thories de la communication Le changement Radical ou Marginal Rythmes du changement
Chandler (1962) ; Pettigrew (1987) ; Pettigrew & Whipp, 1993) ; Simon (1957) Burrel &Morgan (1979) ; Hafsi & Demers (1991) Bennis (1969) ; Child (1972) ; Tessier & Tellier (1973) ; Beckhard (1975) ; Beer (1976) ; French & Bell (1973) Lawrence & Lorsch (1983) ; Pfeffer & Salancik (1978) Singh & al., (1986) ; Starbuck (1983) Strebel (1986) ; Schaffer & Thomson (1992) ; Duck (2000) Tushman & Romanelli (1985) Claveau, Martinet, Tannery (1998) ; Duck (2000) ; Vas (2005)
Thories psychologiques
Thorie de lactivation (enactment) Weick (1979) ; Koenig (1996) ; Pichault (1993) ; Dutton & Duncan (1987)
Thories de
lapprentissage
Thorie de lapprentissage organisationnel Thorie de laction collective Thorie Unifie de la Conception
Argyris, Schn (1978) ; Schn (1996) Hatchuel, Weil (1992) Hatchuel (1999)
Tableau 1 : Les principales contributions thoriques et conceptuelles du changement organisationnel
Quelque soit la vision adopte, tous saccordent dire que ladhsion et lappropriation des
collaborateurs et des employs aux dcisions et aux actions de la direction ne sont pas obtenues
demble. Le changement est souvent peru comme une menace et une perte des avantages dj acquis.
Engendrer la transformation dans les organisations ne se fait pas sans vaincre les rsistances collectives
et individuelles. Pass ce frein, laccent est mis sur les aspects cognitifs du changement et de nombreux
travaux sinscrivent dans le courant de lapprentissage organisationnel et de lentreprise apprenante. Les
travaux dArgyris & Schn (1978) et Schn (1996) sont prcurseurs de ce courant majeur sur lequel nous
reviendrons un peu plus loin.
Ce chapitre axe notre rflexion sur la question de la cration du processus de changement et la
comprhension du processus lui mme. Nous interrogerons les registres conceptuels, les contenus, les
processus stratgiques et les attitudes mentales qui se forment au cours de ces volutions.
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1.1. Dimensions sociologique, culturelle et cognitive
Les sociologies franaises des organisations et de lentreprise se sont particulirement penches
sur la question du changement et considrent que lorganisation produit ses propres rgles et ses propres
contraintes. Pionnier de lanalyse stratgique, et reconnu comme le sociologue des organisations (Durand
& Weil, 1990), Michel Crozier assimile le changement une rupture de lordre interne de lentreprise,
remettant en cause les jeux existants. Louvrage de rfrence11 prsente le salari, ou plus prcisment
lindividu, comme un acteur qui prend des risques, agissant selon ses propres buts. Joueur , il est
contraint par le systme , mais dispose de marges de manuvre lui permettant de construire le
changement, et non pas de le subir. De cette manire, le jeu concilie la libert et la contrainte (Crozier
& Friedberg, 1977, p. 113). Cette thorie de lacteur refuse la notion de rle prdtermin de lindividu
face des contraintes imposes. La seule obligation est dentrer dans des jeux permettant aux hommes
de structurer leurs relations de pouvoir et de les rgulariser tout en se laissant leur libert (idem, p.
113). Ainsi, les conditions du changement organisationnel dpendent du comportement de lacteur, qui
agit localement, et parfois mme clandestinement (Moullet, 1992).
La sociologie de lentreprise, dcrite par les travaux de Sainsaulieu & Segrestin (1986), Bernoux
(1996) ou Thuderoz (1996), apprhende le changement comme la rsultante dune interaction constante
entre lentreprise, les ressources et les contraintes socitales. Lentreprise produit du changement non
pas tant par les jeux dcentraliss de ses acteurs, que par sa puissance institutionnelle, qui en fait un
foyer de production identitaire, un espace dot dune autonomie rellement accrue face la force
traditionnelle des rgulations socitales importes dans lentreprise (Sainsaulieu, Segrestin, 1986, p.
341). Laccent est mis ici sur la construction sociale des organisations, postulat fort issu des thories
institutionnalistes (Selznick, 1949 ; Commons, 1934) et no-institutionnalistes (DiMaggio & Powell, 1983,
1991). Elles mettent en exergue le rle des valeurs partages, de la solidarit, de la participation ainsi que
la confiance (Segrestin, 1992) entre les collaborateurs dans les entreprises. En effet, la confiance est
aussi une contrainte morale et sociale, elle est une institution socioconomique, voire un outil de gestion
11 Crozier, M., Friedberg, E., (1977), Lacteur et le systme, Editions Seuil, Paris.
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des relations salariales et commerciales (Courpasson, 1998, p. 9). Pour ne pas rompre cette confiance,
lentreprise sadapte et volue davantage en fonction des exigences sociales du march et de son secteur
dactivit que des exigences conomiques. Ce comportement souligne lambigut et lirrationalit des
processus organisationnels, maintes fois dmontres depuis les travaux de Simon (1961) sur la rationalit
limite des individus.
Entre vision du changement par linteraction locale et par la sociologie institutionnaliste, se place
une approche rgulationniste. Lacteur participe rellement au changement et construit ses rgles
(Reynaud, 1989). La contrainte rationnelle des acteurs est ici celle du compromis et de la ngociation.
Plus en marge des approches prcdemment cites, la littrature anglo-saxonne dfend une
vision spontane du changement, base sur le hasard et la chance. Cette position stigmatise une vision
processuelle de lorganisation, o le changement est quasi perptuel (Chia, 1996). La place est
laisse la crativit dans les organisations en se focalisant sur les processus de cration de sens et en
considrant les individus comme des agents actifs dterminant leur destine (Weick, 1995).
Par ailleurs, lanalyse du changement relve dune vision globale de lorganisation qui ne peut
tre comprise sans aborder le contexte environnemental ou politique dans lequel elle sinsre.
Lintroduction de la notion denvironnement vise mettre laccent sur lvnement historique dans son
contexte. Inspire par une vision Schumptrienne de lentrepreneur innovateur, mais aussi par la thorie
de la contingence (Lawrence & Lorsch, 1967), cette approche considre que les managers dtiennent le
pouvoir dinstituer et de conduire le changement, vision que lon retrouve chez Chandler (1962). La notion
dentrepreneur est ici prise au sens large et dsigne un collectif concernant les dirigeants, mais aussi les
cabinets extrieurs et les cadres suprieurs, impliqus dans les processus de dcisions stratgiques pour
lentreprise. Le changement nat dune crise extrieure, mettant en danger lentreprise, et contraint les
managers dfinir une nouvelle organisation. Le changement ne peut donc tre voqu sans la prise en
compte du contexte politique de lentreprise. Il sanalyse travers les choix, sciemment construits par les
managers, que les objectifs prvus soient ou non atteints. En ce sens, le changement est un des
moyens de lgitimer, en interne et en externe, la souverainet et la comptence supposes, et donc le
pouvoir des gouvernants (Courpasson, 1998, p. 11). En effet, la direction impose ses lois aux autres
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acteurs et le changement est sociologiquement peru comme un outil politique . Il ne sagit pas ici
dune ralit gestionnaire, mais dune stratgie de gouvernement dlibre (idem, p. 15). Cette
littrature managriale assimile le changement organisationnel aux crises et aux ruptures (Lagadec,
2000). Les grandes ruptures viennent de lextrieur et le rle du manager est de temprer la vague de
changement lintrieur de lentreprise, en lui donnant un rythme (Airaudi, 1998). Des innovations
managriales se forment et de nouvelles formes dorganisation sinstaurent et se dfont. Certains auteurs
vont jusqu penser que sans grande rupture, on ne peut vraiment parler de changement, mais
dadaptation (Doublet, 1996). Partageant cette ide du rle majeur que dtient le manager, ou plus
exactement du leader, dautres considrent que le changement ne dpend pas tant des crises, juges
rares, que du contexte interne et externe de lentreprise. Le changement ne peut tre extrait du contexte
qui la cre et qui lui donne un sens (Pettigrew, 1986). Ainsi, il se cre par rgnration (Whipp & al.,
1987), grce la capacit des leaders prendre conscience de la ncessit du changement. Il est alors
analys sous langle dun processus , forcment trs long, permettant aux managers dexercer leur
pouvoir et de lgitimer ce changement. Ce courant majeur ouvre un champ de recherche en stratgie qui
prend en compte le contenu, le processus et le contexte dans lequel le phnomne se droule (Pettigrew,
1986).
Cette prise en compte de lenvironnement en tant que facteur dvolution est issue de deux
courants majeurs que sont lcologie des populations (Hawley, 1950 ; Campbell, 1969 ; Aldrich, 1979) et
lvolutionnisme (Aldrich, 1999). Le premier considre quil faut prendre en compte le contexte socital
dans lequel les organisations sont cres, survivent ou disparaissent () dans lobscurit (Aldrich,
1979, p. 29). Cette approche se penche sur la diversit des organisations (Hannan & Freeman, 1977) en
se focalisant notamment sur des variables dordre dmographique comme les taux de cration et de
disparition des populations observes. A partir dun modle gnral du changement organisationnel en
trois tapes (variation, slection, rtention), le courant sur lcologie des populations repose sur lide que
la slection des formes organisationnelles se produit du fait des contraintes environnementales : les
organisations en adquation avec lenvironnement survivent alors que les autres disparaissent ou
changent. Enfin, la rtention des formes slectionnes positivement par lenvironnement se manifeste par
leur reproduction (Forgues, 2002, p. 70). Par la mthode de lanalyse de survie, lcologie des
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populations met davantage en exergue les disparitions dorganisations que leurs adaptations (Scott,
1998), du fait de linertie structurelle et de la difficult des managers anticiper les changements (Hannan
& al., 1996). Le courant volutionniste va plus loin et aborde la question du changement des niveaux
danalyse la fois plus varis et plus fins. Le modle gnral du changement organisationnel est dcrit
travers quatre tapes : variation, slection, rtention/diffusion, et lutte pour les ressources rares. Ces
quatre processus agissent de manire simultane en tant relis par des boucles de rtro-action dans la
mesure o les processus de rtention limitent les variations possibles, et la lutte pour les ressources rares
peut changer les critres de slection (Forgues, 2002, p. 74).
Enfin, un tout autre courant cherche donner une cause cognitive au processus de changement,
en construisant des modles explicites de la manire dont les individus peuvent exercer une influence sur
leur destine. Il ne sagit pas tant de dterminer s