201008 infomdc

26
LE DEVOIR D’INFORMATION DU MEDECIN LIBERAL Mise à jour 08 /2010 1

Transcript of 201008 infomdc

Page 1: 201008 infomdc

LE DEVOIR D’INFORMATION DU MEDECIN LIBERALMise à jour 08 /2010

Jean VILANOVA – [email protected]

1

Page 2: 201008 infomdc

Avant même d’être une obligation légale et déontologique, parler au patient, l’informer des risques qu’il encourt du fait de la stratégie thérapeutique envisagée et de ceux qui résulteraient du refus de sa part de cette stratégie relève de l’humanisme médical. Parce que la médecine est aussi un art de l’oralité.

L’humanisme médical constitue l’un des fondements séculaires de la relation de respect et de confiance entre soignant et soigné. Informé de façon claire, loyale et appropriée, ce dernier consentira – ou non – aux soins proposés.

Dès lors pourquoi la question du devoir d’information continue-t-elle de donner lieu à des débats parfois tumultueux entre médecins et juristes ?

Tout commence le 25 /02 /1997. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation rend alors un arrêt qui soulève l’ire d’une grande partie du corps médical. Tandis que depuis plusieurs décennies, en cas de réclamation, la charge de la preuve du défaut d’information appartenait au demandeur (le patient), l’arrêt consacre un principe exactement inverse : c’est désormais au praticien de prouver qu’il a bien informé ledit patient. La haute juridiction retient ici la règle selon laquelle… « Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. » (art. 1315-2 du code civil)

Consacrée un peu plus tard par la loi n° 2002-303 du 4 /03 /2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cette jurisprudence n’en vient pas moins s’ajouter – injustement d’ailleurs – aux décisions parfois incomprises qui jalonnent l’histoire du droit.

Aujourd’hui la question de l’information du patient occupe une place considérable en responsabilité médicale. D’aucuns, et nous en sommes, y voient un gisement nouveau, durable et possiblement important de contentieux. D’où, partant du cadre légal, la clarification permanente de ses contours à laquelle s’attache la jurisprudence. Chacun doit savoir ce qu’il en est. Pour preuve, dans un arrêt récemment rendu (3 /06 /2010), la Cour de cassation marque une nouvelle avancée au-delà du droit pur. On n’accède pas, nous dit-elle – on n’accède plus – impunément au corps du patient sans le consentement de celui-ci, fusse pour lui prodiguer des soins indispensables à sa survie… Ou quand la morale devient droit !

« L’arrêt fondateur » du 25 /02 /1997 a constitué la première pierre d’un édifice jurisprudentiel en permanente évolution depuis. Il faut aujourd’hui constater la cohérence et le remarquable équilibre présenté par cet édifice qui marie – nous le démontrerons – la volonté de prendre en charge la souffrance du patient et le souci de laisser au médecin toute la sérénité nécessaire à la pratique de son art.

J.V. – le 10 /08 /2010

2

Page 3: 201008 infomdc

PREAMBULE : UN PRINCIPE SECULAIRE

Le devoir d’information du médecin vis à vis de son patient fait partie intégrante de l’acte de soins et doit être accompli à tous les stades de celui-ci.

1. En amont du traitement 2. En cours de traitement

Information sur la stratégie thérapeutique envisagée, son coût, les conditions de son remboursement Risques et éventuels effets secondaires induits Risques encourus en cas de refus de soins

A chaque nouvelle étape du traitement Lorsque le praticien souhaite modifier ses choix thérapeutiques Lorsqu’un incident survient

3. A l’issue du traitement

 Information sur les précautions à prendre pour une meilleure efficacité du traitement dans le temps

L’information délivrée au patient doit être loyale, claire et appropriée (article 35 du code de déontologie médicale) afin d’obtenir de sa part un consentement libre et éclairé sur les soins proposés.

3

Page 4: 201008 infomdc

A. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA JURISPRUDENCE : EVOLUTIONS

1. Le défaut d’information est une faute dont il appartient à la victime de rapporter la preuve. Cour de cassation – Arrêt du 29 /05 /1951

« Si le contrat qui se forme entre le chirurgien et son client comporte l’obligation pour le praticien de procéder à une opération chirurgicale par lui jugée utile qu’après avoir au préalable obtenu l’assentiment du malade, il appartient toutefois à celui-ci, lorsqu’il se soumet en pleine lucidité à l’intervention du chirurgien, de rapporter la preuve que ce dernier a manqué à cette obligation contractuelle en ne l’informant pas de la véritable nature de l’opération qui se préparait et en ne sollicitant pas son consentement à cette opération. »

2. La charge de la preuve de l’information incombe désormais au praticien – (Cass. 25 /02 /1997)

Les faitsUn patient est victime d’une perforation intestinale consécutive à une coloscopie entreprise pour exérèse de polypes intestinaux. Il reproche au gastro-entérologue, non pas une éventuelle maladresse dans la conduite du geste mais de ne l’avoir pas informé du risque de perforation colique et demande réparation financière de son préjudice.

Par arrêt rendu le 5 /07 /1994, la Cour d’appel de Rennes rejette cette demande au motif que le patient est incapable de rapporter la preuve de ce défaut d’information de la part de son thérapeute. En l’occurrence, les juges du fond applique ici strictement la jurisprudence en cours, telle qu’elle a été posée le 29 /05 /1951. Le patient forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

Cour de cassation – Arrêt H. du 25 /02 1997La Cour de cassation, dans son arrêt du 25 /02 /1997 opère un revirement jurisprudentiel en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes et en renvoyant l’affaire devant une Cour d’appel de renvoi (voir 5ème étape) en ces termes :

« Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ;Attendu qu’à l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype, réalisée par le docteur C., monsieur H. a subi une perforation intestinale  ; que, au soutien de son action contre ce médecin, monsieur H. a fait valoir qu’il ne l’avait pas informé du risque de perforation au cours d’une telle intervention  ; que la cour d’appel a écarté ce moyen et débouté monsieur H. de son action au motif qu’il lui appartient de rapporter la preuve de ce que le praticien ne l’avait pas averti de ce risque, ce qu’il ne faisait pas dès lors qu’il ne produisait aux débats aucun élément accréditant cette thèse ;Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis à vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation (souligné par nous), la cour d’appel a violé le texte susvisé.»

4

Page 5: 201008 infomdc

3. L’obligation d’information n’est pas levée du seul fait que le risque est de réalisation exceptionnelle – (Cass. 7 /10 /1998)

Les faitsVictime d’une chute ayant provoqué la fracture de la deuxième vertèbre lombaire une patiente, après avoir subi un traitement par immobilisation et port d’un corset consulte un chirurgien en raison d’une cyphose persistante. Celui-ci préconise une intervention consistant en la mise en place d’un cadre de Hartchild, suivi dans un second temps d’une greffe vertébrale. A la suite de l’intervention, la patiente se plaint, dès son réveil, d’un trouble visuel et d’une douleur au niveau de l’orbite gauche. Une trombophlébite est diagnostiquée. Elle aura pour conséquence la perte définitive de l’œil gauche par atrophie du nerf optique. La patiente assigne en réparation de son préjudice le chirurgien en invoquant notamment un manquement à son devoir d’information.

Par arrêt rendu le 26 /09 /1996, la Cour d’appel de Lyon rejette la demande au motif « …que l’information du patient n’est exigée que pour des risques normalement prévisibles, ce qui n’était pas le cas de la complication post-opératoire litigieuse qui bien que connue est très rare… » et les juges du fond d’ajouter «  …que le chirurgien n’avait pas à avertir sa patiente de ce risque afin d’éviter par une inquiétude inutile de la placer dans un état psychologique défavorable au bon déroulement d’une intervention classique. »

Cour de cassation – Arrêt C. du 7 /10 /1998 Par arrêt rendu le 7 /10 /1998, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel sur le moyen suivant :

« Hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et qu’il n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement (souligné par nous). »

4. Un médecin n’est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte qu’il demande – (Cass. 18 /01 /2000)

Les faitsDevant subir l’opération de la cataracte de son œil droit, une patiente refuse l’anesthésie générale proposée par l’ophtalmologiste. Elle choisit de recourir à une anesthésie loco régionale non sans avoir été préalablement informée par le praticien des dangers de cette méthode. A la suite de l’injection anesthésique apparaît un chémosis hémorragique provoquant la rupture du globe oculaire et la perte de l’usage de l’œil.

La cour d’appel de Lyon, par arrêt rendu le 14 /05 /1997 retient la responsabilité du médecin. Elle considère que la faute de celui-ci consiste dans le fait « de n’avoir pas été en mesure de convaincre sa patiente des dangers présentés par un tel acte. »

Cour de cassation – Arrêt Y. du 18 /01 2000Arrêt cassé le 18 /01 /2000, la Cour de cassation estimant… « qu’un médecin n’est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l’acte médical qu’il demande… » En statuant ainsi, la Cour de cassation réévalue la place du patient au sein de la sphère de soins. La prise de décision relative à l’acte médical est appréhendée comme le fruit d’un dialogue, le dernier mot restant au malade dûment informé des risques encourus.

5

Page 6: 201008 infomdc

5. Il n’y a pas de responsabilité du médecin pour défaut d’information s’il apparaît que même informé, le patient n’aurait pas refusé l’opération –(Cass. 20 /06 /2000)

Les faits Il s’agit ici des suites de l’affaire traitée au paragraphe 2 (arrêt H. du 25 /02 1997), la Cour de cassation ayant cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Lyon et renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel afin qu’elle soit rejugée conformément à ses conclusions.C’est à la Cour d’appel d’Angers qu’est dévolue cette mission. Celle-ci ne se contente pas de suivre, au mot près, les attendus de la Haute juridiction. Elle va plus loin dans ses investigations. Ayant constaté que le père du patient était décédé d’un cancer du côlon, elle considère dans son arrêt rendu le 18  /09 /1998 que même informé du risque de perforation (ce qui n’avait pu être prouvé par le médecin), le patient n’aurait refusé ni l’examen, ni l’exérèse du polype de crainte qu’il ne dégénère en cancer. Selon la Cour d’appel d’Angers, il n’y a donc pas de lien de causalité entre l’absence d’information et le préjudice. A l’instar de la Cour d’appel de Lyon, mais sur un motif différent, elle rejette donc la demande du plaignant qui, une nouvelle fois, forme un pourvoi en cassation.

Cour de cassation ; second pourvoi – Arrêt H. du 20 /06 /2000Cette fois la Cour de cassation consacre l’arrêt d’appel. Elle précise que pour obtenir réparation… « le patient doit établir que s’il avait été dûment informé, il aurait fait un choix différent… » Elle rappelle également le pouvoir souverain des juges de cours d’appel qui… « doivent prendre en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles les investigations ou les soins à risque lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques. »

Il est évident qu’à ce stade les hauts magistrats cherchent le juste équilibre entre le droit régalien dont dispose le patient d’être informé et le devoir du médecin de tout tenter pour le guérir. Dans une certaine mesure, la pression à laquelle se voyaient soumis les médecins depuis l’arrêt du 25 /02 1997 se relâche.

6. La violation du devoir d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte de chance – (Cass. 7 /12 /2004)

Les faitsA la suite d’une tympanoplastie, un patient présente une paralyse faciale résultant de l’opération. La responsabilité du praticien est recherchée au motif d’un manquement à son devoir d’information sur le risque ainsi encouru puis réalisé. Par arrêt rendu le 28 /11 /2001, La Cour d’appel de Rennes estime cette responsabilité engagée et condamne le praticien à réparer l’entier préjudice lié à la paralysie faciale. Le praticien forme un pourvoi en cassation.

Cour de cassation – Arrêt X. du 7 /12 /2004La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel : « … une obligation d’information ne peut être sanctionnée qu’au titre de la perte de chance subie par le patient d’échapper par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé… le dommage correspond alors à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l’acte médical… »

Décision importante. En considérant que le dommage résultant du défaut d’information ne se répare que par la perte de chance, la haute cour allège la charge qui pèse sur le praticien. La perte de chance, perte d’un espoir et non d’un droit implique en effet une indemnisation toujours partielle du préjudice.

6

Page 7: 201008 infomdc

A ce stade, la jurisprudence a accompli un important travail. Toutefois, certains aspects mériteraient de plus amples éclaircissements, notamment en matière d’apport de la preuve par le praticien du respect de son obligation. Mais avant d’aborder ce point aujourd’hui clarifié, il convient de comparer la question du devoir d’information telle qu’elle nous est présentée par la jurisprudence avec les dispositions du code de déontologie médicale puis avec la loi du 4 /03 /2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

7

Page 8: 201008 infomdc

B. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION PAR LA DEONTOLOGIE MEDICALE

Art. 35 du code de déontologie médicale – Information du patient« Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic graves, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »

Art. 36 du code de déontologie médicale - Consentement« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l’article 42. »

Certains auteurs ont cru déceler une différence d’appréciation entre déontologie et jurisprudence quant au périmètre de l’information destinée au malade. Selon eux, la jurisprudence en fixant la règle d’une information élargie aux risques exceptionnels entrait en contradiction avec la déontologie qui, sauf le risque d’exposition de tiers à une contamination permet de taire certaines informations dans l’intérêt même du malade et pour des raisons légitimes.

Une telle contradiction, si elle existait, ferait désordre. Il n’en est rien. Tant pour les juges de droit commun (arrêt du 7  /10 /1998 énoncé plus haut) que pour les rédacteurs du code de déontologie, l’information dispensée doit s’avérer « loyale, claire et appropriée » à l’état du malade. Une information appropriée à l’état du malade signifie une information adaptée. On n’informe pas de la même façon un patient victime d’une entorse à la suite d’un accident de ski et un autre qui développe un cancer généralisé.

Un arrêt rendu le 23 /05 /2000 par la Cour de cassation confirme la parfaite concordance de vue des hauts magistrats avec la déontologie.

8

Page 9: 201008 infomdc

La limitation de l’information due par un praticien à son patient en matière de diagnostic est légitime – (Cass. 23 /05 /2000)

Les faitsEn septembre 1986, un patient âgé de 53 ans et dont la situation professionnelle est précaire consulte un psychiatre en raison d’une forte anxiété. Un traitement est entrepris. Quelques mois plus tard, en avril 1987, l’aggravation de l’état dépressif du patient entraîne son hospitalisation dans une clinique où est posé le diagnostic de psychose maniaco-dépressive. Le psychiatre décide de ne pas en informer son patient.

Une phase d’amélioration temporaire intervient mais en octobre 1990 le praticien établit un certificat médical d’invalidité à 90  % qui permet au patient de faire valoir ses droits auprès des organismes sociaux dont il relevait et des assurances couvrant les emprunts qu’il avait contractés. Il est médicalement acquis que l’invalidité est consécutive à la psychose maniaco-dépressive diagnostiquée en 1987 (lien de causalité).

En janvier 1996, le patient reproche à son médecin ne n’avoir pas révélé le diagnostic de sa maladie dès 1987 et soutient que ceci l’a privé des possibilités de faire valoir ses droits à une pension d’invalidité, à un complément de pension de retraite et à la prise en charge par les assurances des échéances de prêts.

Il estime le montant de son préjudice à 304 898 € (2 000 000 FRF). Débouté par le Tribunal de Grande Instance puis par la Cour d’appel de Besançon (arrêt du 30 /04 1998), il forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

Cour de cassation – Arrêt D. du 23 /05 /2000La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 23 /05 /2000 validera l’arrêt de la cour d’appel aux motifs suivants :

Le Code déontologie médicale… « autorise le médecin à limiter l’information de son patient sur un diagnostic ou un pronostic grave ; que si une telle limitation doit être fondée sur des raisons légitimes et dans l’intérêt du patient, cet intérêt devant être apprécié en fonction de la nature de la pathologie, de son évolution prévisible et de la personnalité du malade, la cour d’appel a, sans dénaturation, procédé à la recherche qu’il lui est reproché d’avoir omise ; qu’elle a, en effet, par motifs propres et adaptés, constaté que l’évolution sous traitement d’une psychose maniaco-dépressive ne pouvait être évaluée avant plusieurs années, l’état du patient ayant d’ailleurs connu une nette amélioration en 1988 et 1989, et que la révélation de ce diagnostic devait être faite avec prudence compte tenu des phases mélancoliques et d’excitation maniaque ; qu’ayant ainsi souverainement estimé que l’intérêt du malade justifiait la limitation de l’information quant au diagnostic, la cour d’appel a pu décider que le praticien n’avait pas commis de faute… »

9

Page 10: 201008 infomdc

C. LE TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION DANS LE CADRE DE LA LOI DU 4 /03 /2002

Parmi de nombreuses autres dispositions, la loi du 4 /03 /2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a vocation à redéfinir, de façon durable, le cadre général de la responsabilité médicale. Le devoir d’information est abordé à l’article 11 de ce texte et donne lieu à l’insertion des nouveaux articles L.1111-1 et suivants au code de la santé publique. La reconnaissance du droit de toute personne à être informée sur son état de santé est consacrée.

Le contenu de l’informationIl porte sur les investigations, traitements ou actions de prévention proposés, leur utilité, leur urgence, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles, les autres solutions possibles, les conséquences prévisibles en cas de refus. La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.L’information porte aussi, avant la délivrance des soins sur leur coût et les conditions de leur remboursement.

La preuve de l’informationEn cas de litige, il appartient au professionnel de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues par la loi. Cette preuve peut être apportée par tout moyen.

Informer pour recueillir le consentement du patientAucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. Ceci ne concerne bien évidemment pas l’urgence.Le médecin doit respecter la volonté du patient après l’avoir informé des conséquences de son choix. Si la volonté du patient de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins. Sauf urgence, aucune intervention ne peut être faite sur une personne hors d’état d’exprimer sa volonté sans avoir au préalable consulté sa famille ou un proche.

10

Page 11: 201008 infomdc

TRAITEMENT DU DEVOIR D’INFORMATIONTABLEAU COMPARATIF ENTRE LA JURISPRUDENCE ET LA LOI

Cour de cassationJurisprudence – Arrêt H. du 25 /02 /1997

Loi du 4 /03 /2002Art. L.1111-1 Code de la santé publique

La charge de la preuve appartient au praticien La charge de la preuve appartient au praticien

L’information porte sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et sur ceux qui, exceptionnels, sont susceptibles de mettre en danger la vie ou la santé du patient…

L’information porte sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles…

La preuve de l’information peut être apportée par tout moyen La preuve de l’information peut être apportée par tout moyen

Ceux, nombreux dans le monde de la santé qui espéraient une remise en cause par la loi de la jurisprudence relative à l’inversion de la charge de la preuve en matière d’information seront déçus. La loi en effet consacre la jurisprudence qui l’a précédée. L’harmonie s’avère ainsi totale entre les deux sources du droit.

Même au niveau du contenu de l’information il n’existe aucune différence, en dépit des apparences, entre la Cour de cassation et le législateur. Les hauts magistrats évoquent une nécessaire information sur « les risques graves… et ceux qui, exceptionnels sont susceptibles de mettre en danger la vie ou la santé du patient » tandis que la loi prévoit l’information sur « les risques fréquents ou graves normalement prévisibles. »

Or, un risque exceptionnel grave n’en est pas moins connu. Dès lors, puisqu’il est connu, ne devient-il pas « normalement prévisible » ? Gageons que certaines juridictions ne manqueront pas de s’interroger sur ce point. Selon nous, la question de l’information sur les risques exceptionnels n’a pas été écartée par la loi.

Enfin, que signifie « tout moyen » en matière d’apport de la preuve ?

11

Page 12: 201008 infomdc

D. LA PREUVE DE L’ACCOMPLISSEMENT DU DEVOIR D’INFORMATION

RAPPEL PREALABLE

L’information doit être loyale, claire et appropriée (Cour de cassation et Code de déontologie)

L’information est donnée au cours d’un entretien individuel (loi du 4 /03 /2002)

La charge de la preuve de l’information incombe au praticien par tout moyen (Cour de cassation et loi)

La loi du 4 /03 /2002 instaure désormais une règle unique se situant dans une proche continuité des dispositions antérieures et dont les juges devront désormais vérifier la bonne application. Elle tend à renforcer le caractère d’oralité de l’information ; l’écrit n’en est pas pour autant exclu, même s’il ne saurait constituer un élément probant de preuve. Quant à la preuve proprement dite, elle peut et doit être rapportée par tous moyens ainsi que l’exigent ensemble la loi et la jurisprudence.

La preuve de l’information peut être faite par tous moyens – (Cass. 14 /10 /1997)

Les faitsUne patiente de 28 ans décède des suites d’une embolie gazeuse après avoir subi une cœlioscopie. Sa famille assigne le chirurgien au motif d’un défaut d’information de la patiente sur le risque d’embolie gazeuse lié à l’opération.

Dans un arrêt rendu le 31 /05 /1995, la Cour d’appel de Rennes rejette la demande de la famille. Pour les juges du fond, le fait que la patiente exerçait la profession de laborantine au sein même de l’établissement où avait eu lieu l’opération, qu’elle s’était entretenue à plusieurs reprises avec le médecin et avait enfin pris sa décision après une longue réflexion en manifestant de l’anxiété avant l’intervention constituent autant d’éléments de présomptions tendant à prouver que l’information sur le risque d’embolie gazeuse lui avait bien été donnée.

Cour de cassation – Arrêt G. du 14 /10 /1997A la suite du pourvoi formé devant elle par la famille de la défunte, la Cour de cassation consacre cet arrêt par sa propre décision du 14 /10 /1997 dans les termes suivants :« S’il est exact que le médecin a la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des investigations ou soins qu’il propose, de façon à lui permettre d’y donner un consentement ou un refus éclairé… la preuve de cette information peut être donnée par tous moyens (souligné par nous). La Cour d’appel ayant constaté qu’il résultait des pièces produites que la patiente (décédée des suites d‘une embolie gazeuse), qui exerçait la profession de laborantine titulaire dans le centre hospitalier où avait eu lieu la cœlioscopie, avait eu divers entretiens avec son médecin, pris sa décision après un temps de réflexion très long et manifesté de l’hésitation et de l’anxiété avant l’opération, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a retenu que cet ensemble de présomptions démontrait que le médecin gynécologue avait informé sa patiente du risque grave d’embolie gazeuse inhérent à la cœlioscopie. »

12

Page 13: 201008 infomdc

L’apport de la preuve, par « tous moyens » donc, nécessite la constitution à charge du médecin d’un faisceau de présomptions qualifié par la jurisprudence de « graves, précises et concordantes ».  Il est constitué d’éléments divers, matériels (fiche d’information, dossier médical) ou non (délai de réflexion). Un seul parmi ces éléments n’a pas valeur de preuve. C’est leur conjonction, le fameux faisceau qui, en l’espèce, l’emporte.

La fiche d’informationEn l’espèce, une fiche d’information remise au patient et signé par lui sur les risques encourus du fait du traitement choisi et de ceux encourus en cas de refus de soins n’est pas en soi une preuve ; tout au plus une présomption.Quant au devis préalable, imposé ou non par la réglementation et remis au patient, il n’a pas davantage valeur de preuve que l’information a bien été donnée. Un tel document se situe sur le seul terrain économique.

Le dossier médicalLes dispositions prévues dans le cadre de la loi du 4 /03 /2002 relatives à la mise en place, la tenue et la remise au patient demandeur de son dossier médical ont pu être perçues – à tort – par certains médecins comme, sinon coercitives, du moins susceptibles de favoriser un sentiment de défiance du patient à leur endroit. Chacun aujourd’hui peut se rendre compte qu’il n’en n’était rien, ni dans l’esprit, ni dans la lettre. Mieux, avec le recul, on perçoit à quel point le dossier médical est susceptible de constituer non pas une preuve, mais un élément assez déterminant de présomption tendant à manifester le respect par le médecin de son devoir d’information. Puisque doivent figurer dans ce dossier toutes les données objectives liées à l’état de santé du patient à la suite des examens successifs, des soins prodigués et la constatation de leurs effets, nous pensons que se trouve dès lors décrit dans ce document, ou à tout le moins résolument ébauché, le cadre du colloque singulier.

Le délai de réflexionLe délai de réflexion peut être réglementaire. C’est notamment le cas en chirurgie esthétique. Le décret n° 2005- 777 du 11 /07 /2005 prévoit un délai de réflexion de quinze jours, sans qu’il soit possible d’y déroger après la remise du devis détaillé par le chirurgien à son patient. Mais hors les cas où la réglementation l’impose et pour autant bien entendu que cela ne n’aggrave en rien l’état de santé du patient, un délai de réflexion peut aussi lui être proposé. Un document écrit l’informe alors des risques qu’il encourt du fait de l’intervention envisagée. Le patient signe ce document qui stipule par ailleurs que, durant la période de réflexion, le praticien reste à sa disposition pour toutes informations complémentaires.

Cette construction fera l’objet d’un nouvel arrêt rendu par la haute Juridiction qui, en parachevant le travail entrepris depuis l’arrêt fondateur du 25  /02 /1997, définira précisément les éléments constitutifs du faisceau de présomption en matière d’apport de la preuve.

13

Page 14: 201008 infomdc

La jurisprudence définit les éléments du « tous moyens » en matière de preuve de l’information – (Cass. 4 /01 /2005)

Les faitsAprès avoir accouché d’un enfant trisomique, une patiente assigne son gynécologue. Elle reproche à celui-ci – il s’en défend – de ne l’avoir pas informé de la nécessité d’une amniocentèse alors même qu’elle suivait une grossesse à risque.

Déboutée en appel, la patiente forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Dans son arrêt rendu le 4  /01 /2995, la 1ère chambre civile de la Haute Juridiction rejette ce pourvoi au motif que le médecin a bien prouvé la délivrance de l’information permettant la patiente de consentir ou refuser l’amniocentèse.

Cour de cassation – Arrêt G. du 4 /01 /2005« … Le médecin prouve par tous moyens la délivrance de l’information permettant au patient d’émettre un consentement ou un refus éclairé quant aux investigations et soins auxquels il est possible de recourir… Il résultait des attestations produites par la patiente, ses déclarations au cours de l’expertise et du dossier médical que la patiente avait été particulièrement sensibilisée à l’éventualité de l’examen dont il s’agit… et que le refus de la patiente figurait dans la lettre adressé pour ce motif par le médecin à une consœur en vue d’une échographie de substitution… »

L’arrêt du 4 /01 /2005 est d’une grande portée. Se trouvent enfin énumérés les moyens de preuve : attestations produites par la patiente, ses déclarations au cours de l’expertise, examen du dossier médical et, fait nouveau, la lettre écrite par le médecin à sa consœur notifiant le refus de la patiente de subir une amniocentèse. En droit, il s’agit d’une preuve dite « auto-constituée. »

Certes, ce n’est pas cette preuve auto-constituée qui exonère le praticien poursuivi. L’exonération repose toujours sur le fameux faisceau de présomptions « graves, précises et concordantes » et la preuve auto-constituée n’est qu’un élément parmi d’autres (le dossier médical, les déclarations de la patiente, etc.) de ce faisceau.

C’est pourquoi présentée comme argument unique, cette preuve ne suffirait bien entendu pas à emporter la conviction du magistrat. Il n’empêche. Pour autant que cette jurisprudence se confirme, voilà désormais matière à alléger sensiblement la charge de la preuve incombant au professionnel de santé.

14

Page 15: 201008 infomdc

E. INDEMNISATION DU DEFAUT D’INFORMATION : RESPONSABILITE MEDICALE ET ONIAM

La perte de chance née du défaut d’information implique une réparation intégrale du dommage entre le praticien et l’ONIAM – (Cass. 11 /03 /2010)

Les faitsOpéré d’une hernie discale, un patient reste paralysé des membres inférieurs. Avant l’intervention, il avait signé un consentement type faisant état de « complications y compris vitales » sans qu’elles soient nommées. Le délai de réflexion entre la signature et l’intervention a été de 12 jours. Le patient assigne le chirurgien et l’ONIAM devant le TGI de Marseille.

Le TGI met le chirurgien hors de cause. Au vu des expertises, il est intervenu conformément aux données de la Science. Le TGI met à la charge de l’ONIAM la réparation intégrale du préjudice (aléa thérapeutique). L’ONIAM interjette appel.

Par arrêt du 10 /09 /2008, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence infirme le jugement. Le praticien n’a pas commis de faute médicale mais il a failli à son devoir d’information créant, pour le patient, une perte de chance d’échapper au préjudice. Qui plus est, selon la cour, l’état du patient ne justifiait pas l’urgence de l’intervention. Et ce patient a été privé du temps de réflexion suffisant pour décider d’accepter ou non le risque. La réparation du dommage né du défaut d’information est évaluée à 80 %. Quant à l’ONIAM, il est mis hors de cause car l’indemnisation par le biais de la solidarité nationale ne peut être que subsidiaire.

Le chirurgien et son assureur forment un pourvoi devant la Cour de cassation. Ils reprochent à la cour d’appel sa décision de condamner le praticien alors que le patient avait été informé du risque de paraplégie inhérent au geste opératoire et que ce geste, approprié, avait été accompli dans les règles de l’art. La victime forme quant à elle un pourvoi incident contre la décision d’appel d’écarter l’ONIAM de la réparation du préjudice non indemnisé par l’assureur du chirurgien (20 %).

Cour de cassation – Arrêt X. du 11 /03 /2010La haute cour rejette le pourvoi principal formé par le chirurgien et son assureur. Elle revanche, elle accueille le pourvoi incident en cassant l’arrêt d’appel sur la décision des juges du fond d’écarter l’ONIAM du complément d’indemnisation au motif qu’il ne peut être que subsidiaire.Sur le moyen du pourvoi :« … attendu que la cour d’appel a tout d’abord, pour écarter toute faute diagnostique ou opératoire de M. X (le chirurgien), retenu que l’intervention chirurgicale était une réponse thérapeutique adaptée, même si la nécessité immédiate n’en était pas justifiée… qu’elle a ensuite constaté qu’en raison du court laps de temps qui avait séparé la consultation initiale et l’opération, M. Y (le patient) n’ayant reçu aucune information sur les différentes techniques envisagées, les risques de chacune et les raisons du choix de M. X pour l’une d’entre elles, n’avait pu bénéficier d’un délai de réflexion pour mûrir sa décision… ce dont il résultait qu’en privant M. Y de la faculté de consentir d’une façon éclairée à l’intervention, M. X avait manqué à son devoir d’information… il a privé M. Y d’une chance d’échapper à une infirmité…Sur le moyen du pourvoi incident :« Ne peuvent être exclus du bénéfice de la réparation au titre de la solidarité nationale les préjudices non indemnisés ayant pour seul origine un accident non fautif  ;… que pour rejeter la demande dirigée par M. Y contre l’ONIAM… l’arrêt retient qu’une faute a été retenue à l’encontre du praticien, l’indemnisation est à la charge de ce dernier, l’obligation d’indemnisation par la solidarité nationale n’étant que subsidiaire ; Qu’en statuant ainsi alors que l’indemnité allouée à M. Y avait pour objet de réparer le préjudice né d’une perte de chance d’éviter l’accident médical litigieux, accident non imputable à une faute de M. X à l’encontre duquel avait été exclusivement retenu un manquement à son devoir d’information… Par ces motifs… Casse et annule mais seulement en sa disposition mettant hors de cause l’ONIAM… »

15

Page 16: 201008 infomdc

Personne ne s’y trompe. L’arrêt de cassation du 11 /03 /2010 (1ère ch. civ.) marque une nouvelle inflexion dans l’approche par les hauts magistrats de l’incontournable question de l’information due au patient.

En rejetant le principe de subsidiarité de l’ONIAM au profit du principe de complémentarité entre celui-ci et la RC du praticien, la cour fixe une règle nouvelle permettant une totale indemnisation de la victime. Il s’agit, en soi, d’une audacieuse avancée tant elle ouvre des perspectives, notamment dans la perception de la nature même de la faute d’information. Qu’on en juge.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence considère que la paraplégie dont le patient est désormais atteint ne résulte pas d’une faute médicale (choix de la stratégie thérapeutique, conduite du geste…) mais d’un défaut d’information patent. L’opération présentait des risques, y compris vitaux alors que l’étroitesse du délai de réflexion laissé au patient ne lui laisse guère un choix raisonné pour accepter ou non le risque. Les informations indispensables sur les différentes techniques envisagées, les risques induits par chacune d’entre elles et les raisons du choix du chirurgien ne sont pas abordés de façon orale devant lui. Facteur aggravant, en dépit du fait que M. Y présente une hernie volumineuse, l’intervention ne présente pas un caractère d’urgence absolue.

Pour les juges du fond, il y a là autant de facteurs constitutifs d’une faute d’information ayant fait perdre une chance à M. Y d’échapper au préjudice. La réparation consécutive à cette perte de chance s’évalue à 80 % du préjudice.

Mais qu’en est-il des 20 % non indemnisés ?

La cour d’appel estime que la solidarité nationale ne peut jouer dans la mesure où le dommage ne résulte pas d’un aléa thérapeutique mais d’une faute, ici matérialisée par le défaut d’information du chirurgien. Et l’ONIAM na pas à intervenir puisque la RC du médecin fautif a normalement joué. Il s’agit de l’application même du principe de subsidiarité. L’ONIAM intervient seul, en réparation d’un aléa ou n’intervient pas du tout (sauf dérogation prévue article L. 1142-18 du code de la santé publique).

La perception de la Cour de cassation est autre. Selon elle, le défaut d’information n’est pas une faute «  comme les autres », c’est-à-dire une de celles survenues dans la conduite « d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins » tel que l’exprime la loi (art. L. 1142-1-II du code de la santé publique). Le défaut d’information est une faute « éthique » ou « morale », non une faute médicale de prévention, de diagnostic ou de soins. Cette faute morale reste une faute autonome, sans causalité directe avec le préjudice. En effet, le préjudice ne naît pas du défaut d’information. Il naît soit d’une faute médicale, soit du risque inhérent au geste ou à la pathologie, soit d’un aléa thérapeutique. C’est pourquoi l’on répare le dommage qui aurait pu être écarté si l’information avait été donnée de façon claire, loyale et appropriée par le biais d’un instrument spécifique : la perte de chance, et cette réparation est partielle.

Il en résulte qu’au sens de l’arrêt du 11 /03 /2010, cette faute parce qu’elle est morale et non pas médicale, ouvre voie à une indemnisation intégrale mariant RC et solidarité nationale. On mesure ici la portée d’une telle jurisprudence, fruit de la singularité de la faute d’information.

16

Page 17: 201008 infomdc

F. L’AUTONOMIE DE LA FAUTE RESULTANT DU DEFAUT D’INFORMATION : DU REJET A LA RECONNAISSANCE

Le manquement au devoir d’information n’est pas source de préjudice moral– (Cass. 6 /12 /2007)

Les faitsUn patient reste hémiplégique des suites d’une opération pour carotidie avant de succomber 3 années plus tard, son état n’ayant cessé de se dégrader. La veuve et son fils intentent une action en réparation contre le chirurgien au double motif de leur préjudice et de celui de leur époux et père.

Par arrêt rendu le 30 06 /2006, la Cour d’appel de Bordeaux considère que le chirurgien a commis une faute en n’informant pas le patient du risque d’hémiplégie qui s’est réalisée. Toutefois, elle écarte la réparation du préjudice au titre de la perte de chance au motif que compte tenu de la gravité de son état et eu égard au fait que le risque d’hémiplégie était faible, le patient, même informé n’aurait pas refusé l’opération. Les juges du fond caractérisent néanmoins le préjudice moral du défunt et de sa famille et accordent à l’un et aux autres la somme de 3 000 €.

La famille du défunt forme un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle conteste la décision des juges du fond de refuser l’indemnisation de la perte de chance. Le chirurgien et son assureur forment un pourvoi incident contre la double indemnisation du préjudice moral décidée par la cour.

Cour de cassation – Arrêt X. du 6 /12 /2007La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la famille au motif « … que l’on devait considérer que, compte tenu de la gravité du problème cardiaque, de son évolution rapide et du caractère relativement faible du risque encouru… le patient se serait fait opérer même si le médecin l’avait avisé d’une possibilité de complication ; qu’il ne pouvait donc être soutenu que le défaut d’information avait fait perdre au patient une chance de ne pas subir la pathologie dont il a été atteint… »

Elle casse en revanche la partie de l’arrêt ouvrant indemnisation du préjudice moral du patient et de sa famille, considérant « … que le seul préjudice indemnisable à la suite du non respect de l’obligation d’information du médecin… est la perte de chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé… »

Si le devoir d’information revêt désormais un caractère régalien, il faut néanmoins estimer que le manquement à ce devoir n’ouvre pas voie à la perte de chance et donc à son indemnisation lorsque, eu égard à la gravité de son état, le malade, même dûment informé n’aurait pas refusé l’opération et le risque consécutif. A la date de son rendu, l’arrêt reprend sans surprise une jurisprudence jusqu’alors d’une grande constance.

La réparation du préjudice moral est, quant à elle écartée par les hauts magistrats, le seul préjudice indemnisable (et les conditions d’indemnisation ne sont pas ici réunies) demeurant la perte de chance d’échapper au risque. Il n’empêche, en reconnaissant la réalité du préjudice moral né du défaut d’information – à découpler complètement de la perte de chance – et même si la disposition est cassée, la Cour d’appel de Bordeaux ouvre un chemin sur lequel la Cour de cassation ne va pas tarder à se situer elle-même.

17

Page 18: 201008 infomdc

Sauf incapacité à consentir, le non-respect du devoir d’information est source de préjudice qu’il convient d’indemniser – (Cass. 3 /06 /2010)

Les faitsUn médecin urologue pratique une adénomectomie prostatique sur un patient souffrant de rétention d’urine. A la suite de l’intervention, celui-ci demeure atteint d’une impuissance sexuelle complète et définitive. Il recherche la responsabilité du praticien sur deux motifs : la faute technique et le défaut d’information sur le risque d’impuissance sexuelle liée à l’opération.

Dans un arrêt rendu le 9 /04 /2008, la Cour d’appel de Bordeaux le déboute de l’ensemble de ses demandes. Le geste a été réalisé dans les règles de l’art, il était nécessaire et il n’existait pas d’alternative. Eu égard au danger d’infection que faisait courir la sonde vésicale, il est peu probable que le patient aurait renoncé à l’intervention, même dûment averti du risque d’impuissance que celle-ci présentait.

Le patient forme un pourvoi devant la Cour de cassation sur plusieurs branches : le geste opératoire, le suivi post-opératoire et le défaut d’information.

Cour de cassation – Arrêt X. du 3 /06 /2010La Cour de cassation rejette les deux premières branches du pourvoi mais accueille la troisième, cassant en cette disposition l’arrêt de la Cour de Bordeaux dans les termes suivants : « Attendu… que toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposées, des risques inhérents à ceux-ci, et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n’est pas à même de consentir ; que le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice… que le juge ne peut laisser sans réparation… Par ses motifs, casse et annule… »

Même si le geste opératoire était nécessaire à la santé et peut-être à la survie du patient ne devait-il être précédé d’une information claire, loyale et appropriée sur les risques encourus, notamment le risque d’impuissance sexuelle complète et définitive ? Et, en l’absence de faute médicale prouvée, ce seul manquement induit-il à lui seul un préjudice indemnisable ?

Telle est, en l’occurrence la question posée à la Cour de cassation à laquelle elle répond par l’affirmative.

Contrairement à d’autres observateurs, nous ne voyons rien de réellement surprenant dans le rendu de l’arrêt du 3 /06 /2010. Cet arrêt ne constitue pas une inflexion de la jurisprudence. Il n’est que le logique prolongement à la construction jurisprudentielle entreprise depuis le 25  /02 /1997. Il prend naturellement en compte les principes de notre droit en matière de protection de la personne humaine.

La Haute cour fait tout d’abord référence aux principes régis au livre I – Chapitre 2 du Code civil « Du respect de la personne humaine ».

- Article 16 : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain. »- Article 16-3 : « Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention

thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

18

Page 19: 201008 infomdc

Elle en appelle ensuite à l’article 1382 tiré du livre III – Chapitre 2 « Des délits et des quasi-délits » qui stipule que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Et cet article n’est que la traduction du fameux principe du primum non nocere.

Ainsi la Cour de cassation n’invente rien (ce qui échapperait à ses prérogatives par ailleurs !)

Depuis fort longtemps, notre droit traite de façon autonome de la question éthique et du respect du corps. Nombre de textes internationaux comme, parmi d’autres, La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme (UNESCO – 19 /10 /2005) font de même. Il est naturel qu’au bout du compte, cette autonomie en matière de traitement se prolonge d’une autonomie en matière de responsabilité – on parlera alors de « responsabilité éthique » ou de « responsabilité morale » – et d’une autonomie en matière de faute avec obligation de réparer cette faute éthique ou cette faute morale. Reste à définir comment mais en lui-même le principe est acquis.

En parallèle, la force considérable conférée au consentement par la loi du 4 /03 /2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, loi qui régit aujourd’hui la responsabilité médicale relève d’une préoccupation identique du législateur.

Il n’est pas possible au praticien d’intervenir sans le consentement « libre et éclairé » du patient et ce consentement peut être retiré à tout moment (art. L. 1111-4-3). Or ce consentement naît, nous l’avons énoncé plus haut, d’une information claire, loyale et appropriée sur les risques propres à la stratégie thérapeutique proposée.

L’absence de consentement est d’évidence fautive au sens de ce texte. Même si l’intervention est médicalement justifiée, voire indispensable à la santé du patient, dès lors qu’en état de donner son consentement celui-ci n’a pas été recherché par l’homme de l’art, la faute est là, patente, autonome.

C’est le message que nous adresse la Cour de cassation dans son arrêt du 3 /06 /2010. La Haute juridiction poursuit donc son travail d’appréhension globale de la délicate question légale et déontologique de l’information due au patient. Elle enrichit aujourd’hui sa construction jurisprudentielle d’éléments éthiques et moraux inhérents au respect du corps.

Qui l’en blâmera ?

Commentaire extrait note JV – 04 /2010 – LE DEFAUT D’INFORMATION DU MEDECIN ENVERS SON PATIENT CONSTITUE-T-IL UNE FAUTE AUTONOME ?

19

Page 20: 201008 infomdc

CONCLUSION (provisoire…)

Si la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’information du médecin envers son patient s’avère, par essence même évolutive, elle n’est en revanche ni exploratoire ni aventureuse. Nous distinguons dans chacune des étapes essentielles qui jalonnent son parcours, soit l’application sous jacente des préceptes du droit tels qu’ils existent, soit lorsque ces préceptes n’existent pas, la fixation de règles qu’il convient alors d’expliquer, voire d’amender ensuite.

Le temps n’est plus vraiment au seul questionnement sur les moyens de preuve que l’information a bien été donnée au patient (et comprise de lui) ou sur le contenu de celle-ci. Avec le temps, des orientations de plus en plus précises auxquels les praticiens peuvent se référer ont été définies.

Tout n’est pas balisé pour autant, loin s’en faut.

De notables contradictions préjudiciables à tous, médecins et patients commencent à poindre ici ou là. Prenons ainsi l’exemple du code de déontologie médicale qui, nous l’avons vu (page 8 de l’étude) admet que le malade puisse être tenu dans l’ignorance de son état, ceci dans son intérêt « et pour des raisons légitimes que le médecin apprécie en conscience… » La jurisprudence s’est certes calée sur cette disposition (arrêt du 23 /05 /2000) mais pour combien de temps encore ?

Car il y a antinomie entre le silence du médecin et la norme nouvellement consacrée par la jurisprudence par laquelle le défaut d’information s’assimile à une faute autonome. Intervenir sur le corps du patient nécessite son consentement, même si les soins s’avèrent indispensables. Se taire c’est commettre une faute  : nier la personne dans sa dignité et le respect qui lui est dû.

Comment les juges vont-ils gérer cette opposition frontale de principes ? Il faut espérer qu’ils le feront en laissant au praticien la latitude sans laquelle il n’exerce plus librement. Mais le droit (c’est-à-dire la loi) leur laissera-t-il le choix ?

Pour le reste, les nouvelles et puissantes avancées de la jurisprudence depuis le début de l’année 2010 ont surpris beaucoup de monde. Il est vrai qu’en moins de trois mois, entre le 11 /03 et le 3 /06 /2010, les contours du devoir d’information se sont trouvés fortement modifiés :

- par l’ouverture vers une indemnisation intégrale du préjudice (perte de chance par la RC, faute morale d’information par la solidarité nationale) ; - par la consécration de l’autonomie de la faute d’information.

Même en connaissant l’attachement séculaire des juges à une indemnisation complète du dommage corporel, nous avons été surpris par la première disposition tant le principe d’une réparation partielle par la seule perte de chance nous paraissait gravé dans le marbre.

Pour la faute autonome au contraire, le droit tel qu’il est écrit ne laissait pas d’autre alternative. Quel paradoxe que cet arrêt du 3 /06 /2010, si prévisible et pourtant tellement commenté !

20