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La gestion des ressources humaines face à l’amélioration de la qualité des soins à l’hôpital : Une proposition de modèle de recherche Christophe BARET GRAPHOS - Université Lyon3 18 rue Chevreul 69007 Lyon - FRANCE [email protected] Didier VINOT GRAPHOS - Université Lyon3 Florence DUMAS GRAPHOS - Université Lyon3 Résumé Cette communication propose un modèle de recherche et une méthodologie pour une recherche qui seront mises en œuvre ultérieurement. La problématique de la recherche s’intéresse spécifiquement aux établissements hospitaliers publics français, à partir du contexte de restructuration générale du secteur qui s’opère depuis 5 ans. L’enjeu stratégique majeur pour l’hôpital réside à la fois dans sa capacité à optimiser sa gestion des ressources humaines, et dans sa capacité à les renouveler, compte tenu d’une exigence accrue de qualité et de sécurité des soins et d’un fort renouvellement du personnel d’ici les 5 années à venir. L’objectif de cette recherche est double : - mettre en évidence l’existence d’une relation entre les pratiques de GRH et la qualité des soins - identifier les pratiques de GRH qui ont le plus fort impact. Ce modèle s’inscrit dans une perspective de gestion stratégique des ressources humaines, et propose une mesure de la qualité des soins qui s’appuie principalement sur le volume d’activité, le taux de mortalité par spécialité et la durée moyenne de séjour. L’originalité de ce modèle repose, en partie, sur le fait que les variables dépendantes ne sont pas ici des variables relevant de buts de système (au sens de Mintzberg : chiffre d’affaires, profit) comme c’est souvent le cas dans les recherches en GSRH, mais des variables relevant de buts de mission (capacité à satisfaire la demande de soins). Mots clés : Gestion stratégique des RH, qualité des soins, Etablissements hospitaliers

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La gestion des ressources humaines face à l’amélioration de

la qualité des soins à l’hôpital : Une proposition de modèle de recherche

Christophe BARET GRAPHOS - Université Lyon3

18 rue Chevreul 69007 Lyon - FRANCE

[email protected]

Didier VINOT GRAPHOS - Université Lyon3

Florence DUMAS

GRAPHOS - Université Lyon3 Résumé Cette communication propose un modèle de recherche et une méthodologie pour une recherche qui seront mises en œuvre ultérieurement. La problématique de la recherche s’intéresse spécifiquement aux établissements hospitaliers publics français, à partir du contexte de restructuration générale du secteur qui s’opère depuis 5 ans. L’enjeu stratégique majeur pour l’hôpital réside à la fois dans sa capacité à optimiser sa gestion des ressources humaines, et dans sa capacité à les renouveler, compte tenu d’une exigence accrue de qualité et de sécurité des soins et d’un fort renouvellement du personnel d’ici les 5 années à venir. L’objectif de cette recherche est double :

- mettre en évidence l’existence d’une relation entre les pratiques de GRH et la qualité des soins

- identifier les pratiques de GRH qui ont le plus fort impact. Ce modèle s’inscrit dans une perspective de gestion stratégique des ressources humaines, et propose une mesure de la qualité des soins qui s’appuie principalement sur le volume d’activité, le taux de mortalité par spécialité et la durée moyenne de séjour. L’originalité de ce modèle repose, en partie, sur le fait que les variables dépendantes ne sont pas ici des variables relevant de buts de système (au sens de Mintzberg : chiffre d’affaires, profit) comme c’est souvent le cas dans les recherches en GSRH, mais des variables relevant de buts de mission (capacité à satisfaire la demande de soins). Mots clés : Gestion stratégique des RH, qualité des soins, Etablissements hospitaliers

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Introduction La remise en question de l’efficacité de l’hôpital est une problématique cyclique tenant des lieux communs, et se cristallisant d’une part, sur les conditions de travail des professionnels, et d’autre part sur la contribution des établissements à l’amélioration de l’état de santé de la population. Régulièrement, la presse professionnelle rend compte que l’hôpital, cet acteur essentiel du système de soins français, traverse une crise profonde. Les soignants qui le font fonctionner, plusieurs centaines de milliers de professionnels très qualifiés, seraient désorientés ; les comptes d’un grand nombre d’hôpitaux, et d’abord ceux de l’Assistance publique de Paris qui pèse à elle seule 10% du total, sont profondément dégradés alors que les ressources que leur consacre l’assurance-maladie continuent de croître : en 2007, 31 Centres hospitaliers universitaires sur 33 présentent un déficit budgétaire, tandis qu’un hôpital public général sur 2 n’équilibre pas son budget. Par ailleurs, la moitié des cliniques présente un résultat d’exploitation en rouge. Dans ce contexte général, l’hospitalisation génère à elle seule 43 % des dépenses de santé en France. Parmi les dépenses hospitalières, le poste le plus important sont les coûts salariaux, qui représentent en moyenne 60% du budget d’un hôpital. Face à ce constat financier et humain, est montée en puissance depuis une dizaine d’année – et tout particulièrement 1996 – l’injonction de qualité et de sécurité de soins, demandée par les parties prenantes externes à l’hôpital : Etat, assurance-maladie, représentants d’usagers. Or, jusqu’à présent, rien ou presque n’a été fait pour analyser la relation entre le facteur humain et la qualité des soins de manière distanciée et objectivée. La santé n’est pas un marché à part entière. Les prestations de soins de santé se font dans un cadre régulé, fortement encadré par l’Etat. Les réformes mises en œuvre dans le cadre de la Nouvelle Gouvernance Hospitalière et l’instauration des Pôles d’activité redistribuent les lieux de décision et offrent de puissantes incitations pour penser un management efficace dans l’organisation hospitalière, tout comme la généralisation de la tarification à l’activité (T2A). Mais les meilleures règles perdent leur vertu si elles ne sont pas appropriées par les acteurs de terrain. Ainsi, l’analyse du management hospitalier ne peut se passer d’une analyse des logiques en place dans le système de gouvernance sanitaire qui délimite les marges de manœuvres possibles des managers hospitaliers. Par exemple, un directeur d’hôpital n’a pas la liberté de recrutement du personnel médical ; l’avancement est fortement encadré par les conventions de la fonction publique territoriale hospitalière. Ainsi, l’analyse de la dynamique des relations humaines en œuvre dans un hôpital public se doit de conjuguer à la fois les spécificités du management de l’organisation, tout en intégrant le cadre général de régulation qui structure les relations sociales entre la société et l’hôpital, entre l’hôpital et les professionnels de santé, entre les professionnels eux-mêmes et avec les autres parties prenantes du système de santé : assurance-maladie, Etat, représentants d’usagers, etc. Ainsi, Valette et alii (2006) suggèrent d’adopter une approche qui enrichit notre compréhension des changements structurels hospitaliers par une analyse conjointe du contexte national du système de santé et des dynamiques locales, pointant les singularités et les problèmes spécifiques de ressources, les initiatives individuelles et collectives et les logiques professionnelles. Sur le plan de la qualité et de la sécurité des soins, il semble que de nombreux progrès sont encore à accomplir. Selon le rapport de l’Institut of Medecine1, aux Etats-Unis entre 44.000 et

1 The err is human : building a safer health system, The Institute of Medecine, USA, 1999.

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98.000 patients meurent chaque année des suites d’erreurs médicales. Selon Khatri et Baveja et alii (2006), si de nombreuses actions ont été entreprises sur les médicaments, le matériel et les procédures pour améliorer la sécurité des soins, les résultats restent peu probants. Ces auteurs suggèrent alors que de réelles avancées ne pourront se faire sans une amélioration des pratiques de management et de gestion des ressources humaines dans les établissements tant le personnel joue un rôle crucial dans la délivrance des soins. En adoptant la perspective macro économique de la gestion stratégique des ressources humaines (Delery et Doty, 1996), cette recherche vise à identifier les composantes des pratiques de GRH dont les impacts sont les plus importants sur la qualité et la sécurité des soins. Cette communication a pour objectif de présenter le modèle de recherche élaboré dans le cadre d’une démarche hypothético-déductive. Dans un premier temps, nous rappelons les principaux acquis de cette perspective de recherche et ses fondements théoriques (§1.), ensuite nous élaborons le modèle de recherche (§2.), nous présentons enfin la méthodologie envisagée (§3.). 1. La GSRH pour penser la relation entre GRH et qualité et sécurité des soins Nous allons dans un premier temps présenter les fondements théoriques de la GSRH (§1.1), puis, en nous appuyant sur la littérature, nous mettrons en évidence les pratiques de GRH qui ont un lien potentiel ou avéré avec la qualité des soins (§1.2). 1.1 Les fondements de la GSRH Face aux contraintes croissantes auxquelles sont soumises les organisations et aux incertitudes engendrées par un environnement plus complexe, l’investissement dans les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) s’impose de plus en plus comme solution permettant d’améliorer les performances. Ces pratiques favoriseraient notamment une meilleure gestion des savoirs et une circulation des connaissances détenues dans les organisations. Elles viseraient aussi a obtenir une plus forte implication des individus dans leur travail et à les rendre plus autonomes pour s’adapter à des situations de travail changeantes (Wright et Haggerty, 2005). En somme, il s’agit de reconnaître que le facteur humain joue un rôle crucial dans le fonctionnement de l’organisation et de chercher les pratiques de management et de GRH qui permettent d’améliorer son efficacité. Depuis les années 1990, un courant de recherche en gestion stratégique des ressources humaines (GSRH) a entrepris de mettre en évidence l’impact des pratiques de GRH sur la performance des organisations. Le design de recherche habituellement retenu est de considérer les pratiques de GRH comme variables indépendantes et de tester l’existence de corrélations entre ces pratiques et des indicateurs de performance de l’organisation qui constituent les variables dépendantes (Arcand, Bayad, Fabi, 2002). Ces travaux, qui s’inscrivent dans une perspective macroéconomique nouvelle en GRH, ont permis de mettre en évidence à la fois l’existence d’un fort impact des pratiques de GRH sur la performance organisationnelle et de distinguer les pratiques qui ont l’impact le plus marqué (Delery et Doty, 1996).

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Concernant les variables dépendantes, trois niveaux de performance sont considérés par ces travaux :

- la performance sociale : satisfaction des employés, démissions, absentéisme, etc. - la performance organisationnelle : productivité, qualité des produits, satisfaction des

clients, innovation, flexibilité, croissance des ventes, etc. - la performance économique : rendement des actifs ou des fond propres, prix des

actions, etc. Même si ces travaux ne sont pas exempts de critiques méthodologiques et théoriques notamment quant à l’explicitation des liens de causalité au-delà des corrélations entre variables (Wright et Haggerty, 2005 ; Bowen et Ostroff, 2004)2, ils ont mis en évidence l’existence de corrélations probantes. Un travail fondateur, très souvent cité dans la littérature, est celui de Delery et Doty (1996). Leur recherche a porté sur l’impact de la GRH sur la rentabilité financière (rendement des actifs, revenus des actions) de 1050 banques nord américaines. Les résultats montrent que le partage des profits, l’évaluation des performances et la sécurité de l’emploi avaient une forte influence sur la performance financière des organisations. Une recherche similaire entreprise par Arcand et alii (2002) sur 46 caisses coopératives Canadiennes montre que 5 pratiques de GRH ont un impact significatif sur la performance des caisses. On retrouve les 3 pratiques mentionnées par Delery et Doty (le partage des profits, l’évaluation des performances et la sécurité de l’emploi) et 2 autres pratiques : l’organisation du travail et la communication organisationnelle, qui ont une influence significative sur les 3 dimensions de la performance organisationnelle (la satisfaction des salariés, la productivité du travail et les profits). Citons enfin les travaux de Huselid (1995) auprès d’entreprises américaines, qui montrent que l’évaluation des performances, la rémunération incitative et la gestion des carrières ont un impact significatif sur la valeur des actions. Le fait que la plupart des travaux de gestion stratégique des ressources humaines aient été réalisés aux Etats-Unis et aient porté sur des entreprises privées, souvent cotées en bourse, soulève évidemment un certain nombre de questions sur les conditions de transposition des résultats au secteur de la santé français. Cela d’autant plus que l’on constate qu’une pratique comme le partage du profit et l’évaluation des performances est celle qui revient le plus souvent pour son impact sur la performance de l’organisation. Nous répondrons à cette interrogation en deux temps. Sur un plan théorique, nous verrons que la GSRH présente deux perspectives : universelle et contingente, et que la deuxième paraît davantage pertinente pour appréhender le secteur de la santé français. Sur un plan empirique, nous présenterons les travaux de GSRH qui ont justement porté sur le secteur hospitalier, ce sera l’objet du §1.2.

2 Wright et Haggerty attirent l’attention sur le sens de la causalité, il se pourrait en effet que les performances financières soient un préalable pour pouvoir supporter le coût de la mise en place de la GRH. Cette question ne devrait pas concerner l’hôpital car la sécurité des soins ne génère pas de ressources particulières. Bowen et Ostroff estiment quant à eux qu’au-delà des pratiques elles-mêmes, l’important est la mobilisation du personnel liée à la perception des pratiques. Cela suppose d’interroger les salariés eux-mêmes, ce qui est évidemment très intéressant mais soulève des difficultés méthodologiques. Nous proposons d’aborder les perceptions du personnel dans les études de cas exemplaires (Cf. §3.3).

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Les travaux de GSRH s’inscrivent dans au moins 2 perspectives différentes3 :

- l’approche universelle considère que certaines pratiques de GRH permettent d’améliorer la performance quel que soit le type d’organisation. Il s’agit de « meilleures pratiques » visant à la responsabilisation des employés, au développement de leurs compétences et à leur motivation, qui ne peuvent que permettre aux organisations de mieux fonctionner, indépendamment du contexte (Pfeffer, 1994). Cette approche facilite la construction des modèles de recherche puisque l’on peut partir d’une liste générique de pratiques de GRH standards issues de la littérature pour la transposer sur le nouvel objet de recherche. Par contre, le risque est fort que les pratiques de GRH qui ont un impact sur le cours de l’action des grandes entreprises privées nord-américaines n’existent pas dans les établissements publics de santé français, ou seraient sans impact sur la qualité et la sécurité des soins.

- l’approche contingente, quant à elle, considère que pour être efficaces les pratiques de

GRH doivent être alignées avec les autres caractéristiques de l’organisation et notamment sa stratégie (Gomez-Mejia et Balkin, 1992). Il s’agit alors d’identifier les caractéristiques organisationnelles qui pourraient avoir un impact sur les pratiques de GRH performantes. Dans ce cas, la contingence se situe au niveau de l’organisation, à chaque type de stratégie correspond des pratiques de GRH performantes. Dans le cas des hôpitaux français, il ne nous semble pas que les stratégies des établissements soient suffisamment distinctes pour justifier l’adoption de pratiques de GRH spécifiques. Par contre, même s’il a rarement été évoqué dans la littérature, le secteur d’activité est un facteur de contingence important ne serait-ce que parce qu’il détermine en partie les marges de manœuvre dont dispose la GRH (budgets disponibles, état du marché du travail, dispositions conventionnelles, etc.).

A mi-chemin entre l’approche universelle et la contingence organisationnelle, cette recherche s’inscrit dans cette perspective de contingence sectorielle. Il s’agit de mettre en évidence, dans un premier temps, les pratiques de GRH spécifiques aux établissements de santé français faisant ainsi émerger les contingences sectorielles. Dans un deuxième temps, nous pourrons identifier des variations de pratiques de GRH en fonction des caractéristiques des établissements (public, privé par exemple), faisant ainsi apparaître d’autres facteurs de contingence (Cf. §1.2.).

Après cette présentation des fondements théoriques de la gestion stratégique des ressources humaines, nous allons maintenant nous intéresser aux travaux qui ont porté sur les liens entre les pratiques de GRH et la qualité des soins. 1.2 Etat de l’art de l’impact des pratiques de management et de GRH sur la qualité des soins Plusieurs raisons nous conduisent à faire l’hypothèse d’un impact des pratiques de GRH sur les performances de l’hôpital. En premier lieu, considérant que les frais de personnel représentent plus de 60% des charges d’exploitation d’un hôpital, la mobilisation du personnel par les pratiques de GRH est essentielle pour la performance financière des établissements. 3 Il y a en fait 3 perspectives si on mentionne aussi l’approche configurationnelle citée par Delery et Doty (1996), mais nous n’avons pas retenu cette approche trop complexe à mettre en œuvre sur le plan méthodologique.

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Par ailleurs, l’activité de soin est une activité de service dans laquelle le personnel intervient directement, par conséquent, ses connaissances, les manières de gérer la relation avec le patient sont déterminantes pour la production des soins. Enfin, depuis plusieurs années, l’hôpital est traversé par de nombreuses transformations (organisationnelles, médicales, technologiques, etc.) qui imposent au personnel de s’adapter rapidement à de nouvelles missions et d’acquérir sans cesse de nouvelles compétences. De cette capacité d’adaptation des personnels dépend la mise en œuvre des changements souhaités par les parties prenantes. Source probable du « malaise des soignants », le mal principal dont souffre l’hôpital public pourrait bien être d’ordre managérial. Il n’a ni une gestion ni un commandement à la mesure de l’extrême complexité de fonctionnement d’un grand hôpital moderne. Les pouvoirs du conseil d’administration sur les grandes décisions de l’hôpital sont réduits. Ceux du directeur peinent à s’exprimer entre les statuts des médecins et ceux du personnel, les règles de la comptabilité et celles des marchés publics, et plus généralement le foisonnement de la réglementation. Ces dysfonctionnements connus s’expliquent classiquement par la conjonction de la réduction de la durée de séjour des patients dans les établissements de court séjour et de la démultiplication d’actes toujours plus sophistiqués, spécialisés, recourrant à une technologie systématique. Cette transformation qualitative et quantitative de la prise en charge a généré de profonds changements dans les pratiques des soignants (Claveranne et Lardy , 1999) – médecins et paramédicaux – sans pour autant avoir été accompagnée d’un renouvellement des concepts expliquant et théorisant ces pratiques, d’où l’éternel retour du « malaise des soignants », que l’on explique plus par cette distorsion accrue entre changement des pratiques associée à des modèles largement dépassés, que par des manques de moyens ou de personnels. En effet, le « manque de moyens » a toujours été consubstantiel aux établissements de santé : par définition, on n’en fera jamais assez pour la santé des personnes malades, un besoin infini ne peut être comblé ! Mais surtout, les établissements sanitaires n’ont jamais été aussi bien dotés en personnels qualifiés, en budgets : que ce soit en volume ou en prix, l’augmentation des dépenses hospitalières a toujours été supérieure à celle du PIB depuis plus de 40 ans4. Les travaux de recherche qui se sont intéressés à l’impact des pratiques de GRH et de management sur la qualité des soins sont peu nombreux. Ils ont en commun d’adopter une vision duale des pratiques de GRH dans les établissements de santé. Ils opposent en effet une GRH « taylorienne » pour employée la terminologie adoptée les auteurs, orientée sur le contrôle des comportements par des règles et des procédures, à une GRH « progressiste » orientée vers la responsabilisation et la confiance accordée aux employés. Cette dualité est développée en détail par Khatri, Baveja et alii (2006) dans un article intitulé « Medical errors and quality of care : from control to commitment ». Selon ces auteurs, pour des raisons historiques (comme la plupart des organisations, les hôpitaux ont dans un premier temps recherché une rationalisation bureaucratique de leur gestion) et professionnelles (la segmentation de la main d’œuvre dans les différentes professions de santé et la distinction entre soignants et non soignants renforce la division du travail), une GRH bureaucratique, axée sur la règle et la gestion impersonnelle, serait encore en vigueur dans la plupart des hôpitaux des pays développés. Selon ces auteurs, cette GRH engendrerait peu de coopération, peu d’apprentissage et une démotivation des individus car elle serait tournée exclusivement vers le contrôle et la réduction des coûts.

4 Logiciel ECOSANTE France 2005, données DREES et Comptes nationaux de la santé.

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Or, un repositionnement des métiers traditionnels de l’hôpital en mettant au cœur la relation : « coordination », « coopération », « collaboration » … s’impose aujourd’hui, dans la mesure où tous expriment l’idée commune de mise en relation, de travail en commun : là où la spécialisation était une des références majeures à la qualification des métiers hospitaliers, l’exigence de coopération a pris le pas. Le colloque pluriel et l’équipe pluridisciplinaire ont remplacé le travail solitaire du médecin face à son malade, déléguant à l’équipe soignante l’intendance de l’organisation du service. Mais surtout, du fait de l’accroissement des dépenses et de leur exigence de contrôle, l’irruption des managers dans le champ de la décision médicale a accéléré cette redistribution des rôles au sein du service de soins. La structure bureaucratique hospitalière a solidifié historiquement la séparation entre médecins et directeurs : la formation, la carrière, les compétences, les intérêts professionnels… (Cavalier, Dolmasso, Romatet, 2002). Querelles de pouvoir ou volonté de construire de concert marquent l'histoire récente des hôpitaux. Les exigences de qualité, de sécurité, les contraintes économiques, l'impérieuse nécessité de décisions stratégiques opérationnelles amènent les médecins et les directeurs à rapprocher leurs points de vue, à rechercher des terrains nouveaux de coopération et les conduisent à croiser leurs cultures. Non seulement, il s’agit désormais de faire ensemble, entre membres d’une communauté soignante élargie, mais il s’agit aussi de collaborer, d’expliquer, de rendre compte sur des champs sur lesquels les professionnels ne sont pas préparés (Claveranne et Vinot, 2004). Franchistéguy (2001) a ainsi proposé un modèle intégrateur de gestion du changement organisationnel entre professionnels et dirigeants d’hôpitaux, par l’utilisation de thèmes transversaux supports, telle la démarche qualité. La gestion de la qualité est marquée dans les hôpitaux par un aspect procédural. Ce qui conduirait à son faible impact sur la qualité des soins car les erreurs sont dissimulées, il n’y a pas d’apprentissage à partir des erreurs commises par les autres (Khatri, Baveja et alii, 2006) Par rapport à cette GRH bureaucratique, les auteurs anglo-saxons appellent de leurs vœux la mise en œuvre d’une GRH « progressiste » qui se caractériserait par une organisation qui favorise la transversalité, une décentralisation des décisions et un management participatif, des systèmes de récompense justes et transparents, la reconnaissance et le développement des aptitudes managériales de l’encadrement. Selon les auteurs, la mise en œuvre de ces pratiques pourrait favoriser les apprentissages grâce à une analyse individuelle et collective des erreurs commises, une recherche d’améliorations et la diffusion des solutions trouvées. Elle conduirait aussi à une plus grande motivation et implication des employés. A partir de cette hypothèse de base, certains chercheurs ont tenté de vérifier empiriquement l’existence d’un impact des pratiques « progressistes » de GRH sur la qualité et la sécurité des soins. Nous avons identifié une recherche qualitative réalisée aux Etats-Unis et une recherche quantitative réalisée en Grande-Bretagne. La recherche de Khatri, Wells et alii (2006) présente 2 études de cas d’hôpitaux. Elle a pour principal intérêt de mettre en évidence les pratiques de GRH « progressistes » existantes dans ces hôpitaux nord américains. Les entretiens réalisés auprès du Directeur Général (DG), du DRH, du Directeur médical et du Directeur des soins infirmiers (DSSI) font apparaître qu’une fonction GRH se développe dans ces hôpitaux, que le DRH participe au comité de direction, que les établissements n’ont pas de stratégie formalisée, que le rôle de la GRH consiste essentiellement à trouver une main d’œuvre compétente et à aider les managers de proximité dans leur fonction d’encadrement. Les enquêtes ont aussi fait apparaître que les cultures

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d’établissement sont encore marquées par les objectifs financiers et les restrictions. Les cultures accordent une faible importance au facteur humain. Concernant la qualité des soins, cette étude ne met pas en évidence de liens avec les pratiques de GRH, elle se contente de relever les critères de qualité proposés par les acteurs avec d’une part, les erreurs médicales, et d’autres part, la qualité des soins. Cette qualité des soins comporte un aspect technique (bon diagnostic et traitement approprié) et un aspect relationnel (traiter le patient avec considération et dignité). L’impact des pratiques de management des employés sur la sécurité des soins a été plus directement abordé par West et alii (2002). L’enquête par questionnaire auprès des DG et des DRH a été réalisée sur 61 groupes hospitaliers anglais (Hospital trust). Il s’agit de tester l’existence de liens entre, d’une part, la mise en œuvre de 2 pratiques de GRH (l’évaluation des performances individuelles et la formation) et 2 pratiques de management « progressistes » au sens de Khatri, Baveja et alii (2006) (l’organisation du travail en équipe et la décentralisation des décisions), et d’autre part, la performance des soins. La performance des soins a 2 composantes : le taux de mortalité et le taux de réadmission. Les résultats font apparaître de très nettes corrélations entre les pratiques de GRH et de management, et la performance des soins. La corrélation est particulièrement forte pour l’évaluation des performances individuelles. Les travaux portant sur l’impact des pratiques de GRH et de management sur la qualité et la sécurité des soins sont très récents et encore peu nombreux ce qui souligne l’importance de réaliser des recherches de ce type. Les résultats mettent effectivement en évidence des corrélations ce qui est encourageant quant à la pertinence des hypothèses formulées, mais ils doivent être confirmés par d’autres recherches. En effet, ces travaux sont essentiellement anglo-saxons et ils n’ont porté que sur un faible nombre d’établissements, par conséquent, il convient de mettre en évidence les pratiques de GRH qui ont, en France, le plus fort impact sur la qualité et la sécurité des soins et leur degré de mise en œuvre dans les établissements. Dans une des rares études appliquées au cas français s’intéressant à l’impact des démarches qualité sur les changements des pratiques des professionnels (Fraisse et alii, 2003) ont montré qu’en privilégiant la formalisation des pratiques de soins existantes selon une description des modes opératoires, la réponse à l’injonction de qualité se traduit par un maintien voire un renforcement d’une structure cloisonnée. Tout se passerait ainsi, pour faire vivre aux acteurs une situation schizophrénique, au sein de laquelle ils sont appelés à améliorer leurs coordinations et leurs pratiques de soins mais surtout sans modifier les formes d’organisation du travail. Il convient dès lors de prolonger ces travaux en s’efforçant d’expliciter les liens de causalité entre pratiques de GRH et qualité des soins. Cette explicitation pourrait conduire à identifier des facteurs modérateurs de ce lien comme par exemple la politique qualité de l’établissement ou la satisfaction des personnels. En outre, si les variables dépendantes utilisées dans ces travaux (taux de décès, taux de réadmission, taux de mortalité, etc.) constituent une base de travail pour construire un outil de mesure de la qualité et de la sécurité des soins, il convient de s’assurer de la disponibilité et de la pertinence de ces données dans le cas français.

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2. La construction du modèle de recherche Plusieurs travaux de recherche ont mis en évidence un impact des pratiques de management et de GRH sur la performance organisationnelle des entreprises privées, mais aussi, plus récemment des hôpitaux. L’objectif de notre recherche est de tester cet impact sur un échantillon d’établissements de santé (médecine, chirurgie, obstétrique) français. Conformément au protocole de recherche habituel en gestion stratégique des ressources humaines, nous allons élaborer un modèle de recherche avec les pratiques de management et de GRH comme variables indépendantes (cf. §2.1) et des indicateurs de qualité et de sécurité des soins comme variables dépendantes (cf. §2.2). Nous déterminerons enfin les variables de contrôles (cf. §2.3). 2.1 Les variables indépendantes : les pratiques de management et de GRH Les variables proposées ici sont issues des travaux de recherche sur les organisations de santé présentées au §1. et des travaux réalisés en France portant sur les pratiques de management à l’hôpital. 2.1.1. GRH et stratégie organisationnelle La GRH est une fonction émergente dans les hôpitaux français où prédomine encore une gestion administrative du personnel. La mise en œuvre d’une GRH « progressiste » nécessite la mise en place de dispositifs de gestion complexes qui ne peut s’opérer sans un promoteur du changement. C’est le rôle du DRH que d’apporter une compétence technique et d’impulser le changement à l’intérieur de l’organisation. Comme le soulignent Khatri, Wells et alii (2006) la GRH « progressiste » doit être supportée par une Direction des ressources humaines compétente et dont le Directeur participe au comité de direction. Comme le soulignent aussi Bowen et Ostroff (2004), la stratégie de l’établissement doit être explicite et communiquée aux employés et doit intégrer des objectifs concernant le facteur humain. Cela est indispensable pour qu’il puisse y avoir un alignement entre les objectifs individuels et ceux de l’organisation. Pour que les pratiques de GRH soient réellement mises en œuvre elles doivent être relayées par l’encadrement de proximité. Pour cela les managers doivent avoir reçu une formation au management. Cela nous conduit à formuler les hypothèses suivantes : H1a : La présence d’une DRH aux missions élargies et sa participation au comité de direction ont une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H1b : l’existence d’une stratégie explicite d’établissement communiquée à l’encadrement et intégrant des objectifs concernant le facteur humain a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H1c : la formation de l’encadrement opérationnel à la mise en œuvre de la GRH a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. 2.1.2. Développement professionnel : La quasi totalité des travaux relevant de la GSRH soulignent l’importance de la formation et du développement des compétences pour améliorer la performance des ressources humaines. Ce sont également les principales dimensions de la GRH qui font l'objet de l'évaluation dans le cadre de la procédure de certification (référence 9 du manuel de certification, (HAS,

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2004)). La formation est la clé de l’adaptation des employés aux changements affectant leur poste de travail. Elle est d’autant plus importante que les changements sont nombreux et complexes, ce qui est le cas des établissements de santé. La qualité et la sécurité des soins supposent la maîtrise et la mise en œuvre par le personnel de protocoles thérapeutiques complexes et évolutifs qui doivent être adaptés au cas spécifique de chaque patient. Comme le soulignent Colin et Grasser (2006), la formation joue un rôle clé dans le développement des compétences. Pour autant, elle ne suffit pas, pour être efficace, elle doit être associée à une identification des compétences requises et à des parcours professionnels permettant de mettre en œuvre effectivement les connaissances acquises. La promotion interne permet à la fois des parcours d’acquisition de compétences, de motiver et de fidéliser les employés. Cela nous conduit à formuler les hypothèses suivantes : H2a : la diffusion des pratiques de formation au sein de toutes les catégories d’employés a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H2b : la diffusion et la mise en œuvre d’une gestion des compétences a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H2c : l’existence d’une politique de promotion interne a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. 2.1.3. Responsabilisation Comme le mentionnent Khatri, Baveja et alii, (2006) la mise en œuvre d’un management visant l’autonomie et la responsabilisation des personnels favoriserait la prise d’initiatives pour faire face aux situations imprévues, augmenterait la motivation et l’implication des individus et faciliterait la coopération. Ces auteurs remarquent aussi que le manque de coordination et de communication est la principale cause des erreurs médicales. Par conséquent la mise en place d’une communication transversale et non plus seulement verticale devrait contribuer à une amélioration de la qualité des soins. La littérature a souvent souligné la flexibilité et la capacité d’adaptation du travail en équipe, c’est également une caractéristique du management étudiée par West et alii (2002). Les travaux maintes fois cités de Lawrence et Lorch (1967) ont montré que dans un environnement instable les structures décentralisées étaient plus performantes. Aussi, face à un environnement technologique, réglementaire et technique de plus en plus complexe, l’adoption de modes de décision décentralisés pourrait permettre à la fois une plus grande réactivité face à la diversité des situations de soins et une plus grande motivation des individus.

Ovretveit J. et Staines A. (2007)5 ont montré que l’impact des programmes qualité sur l’état de santé des malades était positif, à condition d’accepter un seuil d’investissement supérieur à 15 ans et en favorisant une restructuration de la gouvernance clinique sur la base de la médecine « evidence-based »6. Le dispositif de management identifié repose dans ce cas sur :

5OVERVREIT, J., STAINES, A., « Sustained Improvement? Findings From an Independent Case Study of the Jonkoping Quality Program », Quality Management Health Care, vol. 16, n°1, pp.68-83. 6 La médecine « evidence-based », ou médecine factuelle, est une méthode d’analyse des pratiques médicales se fondant sur des études issues d’analyses cliniques en invitant les médecins à confronter leurs savoirs/ expérience, en conférence de consensus, par exemple.

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- une responsabilisation des médecins et des gestionnaires sur la définition des objectifs d’amélioration des résultats cliniques, contribuant à une décentralisation de la décision,

- le développement de la responsabilisation des médecins à la gestion de l’hôpital et de ses services,

- la mise en place d’un dispositif de régulation par un feed-back mensuel de l’application des bonnes pratiques et des résultats cliniques,

- une logistique spécifique forte du programme de formation médicale continue, - un intéressement financier réel des services même modeste, lié aux objectifs

d’amélioration clinique, et pas à la consommation de ressources, - l’identification des médecins à compétence de leadership d’équipe, formés à la gestion

et décisionnaires sur les programmes.

Ces résultats ont par ailleurs été confirmés dans l’analyse de l’impact du programme qualité de Jonkoping en Suède. Cela nous conduit à formuler les hypothèses suivantes : H3a : un management visant l’autonomie et la responsabilisation des personnels a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H3b : l’existence d’une communication transversale a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H3c : la diffusion du travail en équipes a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. H3d : la décentralisation des décisions a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. 2.1.4. Motivation L’ensemble de la littérature de GSRH souligne l’importance d’un alignement des objectifs individuels avec ceux de l’organisation. C’est une des principales fonctions de la GRH que de faire en sorte que les objectifs de l’organisation soient connus de tous et influencent les comportements de chacun. Les deux principales pratiques sont le management par objectif avec notamment l’évaluation des performances individuelles et collectives, et la rémunération au mérite. Ces dispositifs tendent à identifier et à récompenser les employés qui réalisent des efforts pour atteindre les objectifs qui leur ont été assignés par l’organisation. La participation de chacun est nécessaire pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. La recherche de West et alii (2002) a mis en évidence que l’évaluation était la pratique de GRH la plus fortement corrélée à la performance des soins. L’évaluation risque d’être sans effet si elle ne se traduit pas par une forme de récompense, la rémunération au mérite est donc fortement complémentaire de l’évaluation. Cela nous conduit à formuler les hypothèses suivantes : H4a : la diffusion d’une évaluation des performances individuelles ou collectives a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins.

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H4b : la diffusion d’une rémunération au mérite a une influence positive sur la qualité et la sécurité des soins. 2.2 Les variables dépendantes : les indicateurs de qualité des soins Pour déterminer les variables dépendantes, nous allons, d’une part, nous référer aux indicateurs déjà utilisés dans des travaux de recherche et, d’autre part, mobiliser les indicateurs potentiellement disponibles dans les hôpitaux français. Dans leur recherche, évoquée plus haut, West, Borrill et alii (2002) ont identifié plusieurs indicateurs de la performance organisationnelle des hôpitaux de court séjour : les résultats sur la santé (le taux de mortalité et le taux de ré-admission), les résultats financiers (efficience dans l’utilisation des ressources), les temps d’attente et les plaintes de patients. Ils ont fait le choix de se concentrer sur les résultats sur la santé qu’ils ont mesuré au travers de 6 variables proposées par (Jarman et alii, 1999):

- décès suite à une opération chirurgicale d’urgence, - décès suite à une opération chirurgicale planifiée, - décès suite à une admission pour fracture de la hanche, - décès suite à une admission pour attaque cardiaque, - taux de ré-admission, - taux de mortalité.

Or, le taux de mortalité globale pose problème comme indicateur de la qualité de la prestation hospitalière, car d’une part il est dépendant des caractéristiques des patients admis et donc à l’état de santé de la population locale, et d’autre part, cet indicateur n’est pertinent que pour certaines activités pour lesquelles la prévalence de décès est forte. Une manière de l’exploiter à des fins de mesure de la qualité des soins serait de le standardiser sur la pathologie, en en mesurant l’écart par rapport à une référence externe, portant par exemple sur le taux de mortalité standard en France pour telle pathologie ou sur le taux de mortalité régionale. En tout cas, il nous paraît discutable d’en faire l’indicateur de référence de la qualité des soins. Ces réflexions sur le taux de mortalité font en outre apparaître que si les pratiques de GRH peuvent être caractérisées au niveau de l’établissement, la mesure de la qualité et de la sécurité des soins est fortement dépendante de la nature de l’activité, il conviendrait donc, pour comparer ce qui est comparable, de circonscrire l’étude à quelques activités. Nous retiendrons, à la suite de West et alii et Shortell et alii, les 2 premières variables dépendantes suivantes :

- le taux de mortalité dans les services de soins en activité planifiée. C’est à dire le nombre de décès rapporté au nombre de séjours. Ce critère sera pondéré par les variables de contrôle notamment le taux de mortalité régional qui peuvent aussi avoir une influence sur la mortalité. Le recueil de cette information se fera via le PMSI7.

- le taux de ré-admission des malades dans le mois suivant leur départ de l’établissement. Le recueil de cette information pourra se faire par le PMSI.

En matière d’activité médicale ou chirurgicale, il est coutume de considérer que le volume d’activité sur une pathologie est un gage de qualité pour deux raisons : premièrement, la répétition d’un acte permet un développement des compétences individuelles et collectives, la

7 PMSI : Programme de médicalisation des systèmes d’information.

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mise en place de routines efficientes ; deuxièmement, le volume d’activité atteste de l’attractivité et de la réputation de l’établissement. Nous proposons donc de retenir les variables dépendantes suivantes :

- volume des cas traités, en nombre et en valeur, par le service de soin. - part des patients recrutés en dehors du département de l’établissement par rapport au

total des patients admis dans le service

Dans le domaine médical, la non qualité se traduit le plus souvent par un allongement de la durée du séjour car elle produit des complications qui nécessite une prise en charge plus longue du patient, pour traiter les suites d’une affection nosocomiale par exemple. Par ailleurs, une durée de séjour brève traduit une prise en charge rapide du patient, ce qui atteste d’une bonne organisation, ou bien le recours en chirurgie à des techniques moins invasives, permettant un rétablissement plus rapide. Aussi, nous proposons comme autre variable :

- la durée moyenne du séjour : le nombre total de journées rapportées au nombre de séjours pour une spécialité donnée

- la part de l’ambulatoire : part des entrées ambulatoires (avec une hospitalisation d’au maximum une journée) par rapport aux entrées totale du service.

Enfin, il pourra être utile de se référer aux rapports d’activité des CRUQPC (Commissions de relation avec les usagers et de la qualité de la prise en charge) pour relever les indices d’erreurs médicales ou de prescription médicamenteuse. Cet indicateur risque toutefois de ne pas être exhaustif, ces commissions n’étant pas toujours en place. Il s’agira ainsi au cours de l’étude de vérifier la faisabilité du recueil de l’information d’une telle variable. Les indicateurs de mesure de la qualité et de la sécurité des soins que nous proposons ici devrons être validés et précisés lors d’une étude exploratoire qui sera conduite dans deux établissements dans la première phase du projet et lors du test du questionnaire. Ces vérifications préalables permettront d’évaluer la légitimité de l’indicateur pour les acteurs et la disponibilité effective des données aux niveaux des établissements. 2.3 Les variables de contrôle Les variables qui pourraient avoir un effet sur la qualité et la sécurité des soins : - La taille de l’établissement : West, Borrill et alii (2002) relèvent que la taille est susceptible de co-varier avec la qualité des soins. On pourrait penser en effet que plus les établissements sont de grande taille, plus les problèmes de management et de coordination y sont complexes en raison de la multiplicité des activités et des niveaux hiérarchiques. Cela pourrait conduire à une moindre qualité des soins. A moins que les moyens techniques plus importants dont ils disposent leur permettent d’assurer une plus grande qualité. - Le Statut de l’établissement (Public, Privé PSPH, Privé non PSPH) : Les établissements publics relèvent du statut de la fonction publique hospitalière, les établissements privé PSPH8 sont soumis à la convention de 1951 et les établissements privés à but lucratif sont eux régis par la convention collective de la FHP. En matière de GRH, les

8 PSPH : participant au service public hospitalier. FHP : Fédération de l’hospitalisation privée.

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établissements privés disposent ainsi de davantage de marges de manœuvre, ils ne sont notamment pas soumis au statut de la fonction publique. On pourrait penser qu’ils profitent de ce cadre moins contraignant pour mettre en place un management plus « progressiste » ce pourrait avoir un effet sur la qualité des soins. Pour tester l’interaction éventuelle entre les pratiques de GRH et le statut de l’établissement sur la qualité des soins nous nous efforcerons de constituer un échantillon dans lequel les trois statuts seront équitablement représentés. - L’état sanitaire de la population locale Afin de pouvoir comparer les taux de mortalité des établissements, ce taux doit être considéré en prenant en compte l’état sanitaire de la population régionale, disponibles auprès des Observatoires régionaux de la santé. - Nombre de médecins par lit d’hospitalisation de court séjour Jarman et alii (1999), ont mis en évidence que dans les établissements, le nombre de médecins par lit avait une forte influence sur la mortalité. West et alii (2002) ont d’ailleurs mis en évidence l’existence d’une corrélation négative significative entre le nombre de médecins pour 100 lits et le taux de mortalité. Le nombre de médecins par lit peut toutefois s’avérer difficile à mesurer notamment dans le secteur privé où les médecins travaillent en vacations. Qui plus est, dans le secteur public, et notamment dans les CHU, les internes réalisent une part non négligeable des activités médicales, or ils sont considérés comme étudiants et non comme médecins. L’utilisation de cette variable de contrôle est donc soumise à la disponibilité de données comparables dans les établissements. En cas d’indisponibilité des informations sur les médecins, on pourra envisager de contrôler les nombres d’infirmières et d’aides soignantes pour 100 lits. - La présence d’un service d’accueil des urgences : Les services d’accueil des urgences peuvent en effet avoir une influence sur la qualité et la sécurité des soins. Leur présence a un impact sur la gravité des pathologies prises en charge par l’établissement et sur le taux d’occupation des services, mais aussi sur les compétences techniques des personnels. Les deux études de cas exploratoires et un approfondissement de la revue de la littérature, nous permettront éventuellement de mettre en évidence d’autres variables de contrôle.

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Tableau 1 : Synthèse du modèle de recherche

GRH et stratégie organisationnelle -présence d’une DRH -existence d’une stratégie - formation des managers à la GRH

Développement professionnel : -politique de formation -gestion des compétences -promotion interne

Responsabilisation : - management visant l’autonomie - communication transversale - travail en équipes - décentralisation des décisions

Motivation : - évaluation des performances - rémunération au mérite

Qualité et sécurité des soins : - taux de mortalité - taux de ré-admission - volume des cas traités - part du recrutement hors du département - durée moyenne de séjour - part de l’ambulatoire dans l’activité - indices d’erreurs médicales et de prescriptions médicamenteuses

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3. Design de la recherche et méthodologie Nous proposons un design de recherche qui intègre les méthodes d’investigation qualitatives et quantitatives. Le projet sera organisé en 3 phases. 3.1 Phase 1 Deux études de cas exploratoires seront réalisées dans des établissements hospitaliers. L’objectif de ces études sera de s’assurer de la pertinence du modèle de recherche proposé. Il s’agira notamment de vérifier si les variables identifiées sont considérées comme légitimes et si les indicateurs y afférant sont effectivement disponibles dans les établissements. Il conviendra aussi de choisir les activités ou pathologies qui feront l’objet d’une mesure de la qualité et de la sécurité des soins. Pour assurer une certaine représentativité des établissements, ces études de cas seront réalisées dans un établissement public et dans un établissement privé. Dans chacun des cas, nous rencontrerons : un membre de la direction générale, le DRH, le Président de la Commission médicale d’établissement9, le Directeur des soins infirmiers, le Directeur de la qualité (ou leurs équivalents). Il s’agira d’entretiens semi-directifs, enregistrés. L’approfondissement de la revue de littérature et les deux études de cas exploratoires conduiront à la construction définitive du modèle de recherche qui sera testé dans la phase 2. Deux questionnaires seront élaborés : - un questionnaire sur les pratiques de GRH et les variables de contrôle destiné au DRH ou personne équivalente, -un questionnaire sur les indicateurs qualité et sécurité destiné au Président de CME ou personne équivalente. Les questionnaires seront testés auprès de 10 établissements afin de s’assurer de la bonne compréhension des questions, de la disponibilité des données demandées, et d’un temps de réponse global de moins de 20 minutes. 3.2 Phase 2 Cette phase aura comme principal objectif de tester les hypothèses de recherche grâce à un questionnaire envoyé à 500 établissements disposant simultanément des activités étudiées publics et privés sur l’ensemble du territoire national. Les deux questionnaires seront ensuite administrés par voie postale et par internet, avec des relances téléphoniques si besoin. Pour tester un éventuel biais des non répondants, nous aurons recours aux indicateurs de qualités des soins par établissement disponibles au niveau national (ICALIN par exemple), cela permettra de vérifier si les établissements qui ont répondu à l’enquête obtiennent des scores qualité différents de la moyenne. Les données seront traitées au moyen d’analyses de régressions linéaires sous SPSS 11.0.

9 CME : Commission médicale d’établissement qui réunit les représentants des médecins, sa présence est obligatoire dans tous les établissements privés ou publics.

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3.3 Phase 3 Dans l’objectif de mettre en évidence les meilleures pratiques et leurs modalités de mise en œuvre concrètes dans les établissements, nous réaliserons 2 études de cas d’approfondissement dans des établissements exemplaires du point de vue de la qualité des soins. Ces établissements seront choisis parmi ceux ayant obtenu le meilleur score qualité et sécurité dans l’enquête quantitative. Ces études de cas pourront aussi permettre d’expliquer les relations les plus significatives qui auront été révélées par l’analyse des données quantitatives. Des entretiens semi-directifs enregistrés seront réalisés auprès du comité exécutif de l’établissement (DG, Président de CME, DIM, DRH, DSSI, Directeur qualité, etc.) mais aussi auprès de l’encadrement intermédiaire (chefs de service, cadres infirmiers) et d’employés (soignants et non soignants), soit un total de 10 entretiens par établissement. L’approche multi-acteurs permettra une plus grande objectivation des informations collectées et fera ressortir les modalités concrètes de mise en œuvre des pratiques de GRH (succès et difficultés rencontrées). Conclusion La qualité et la sécurité des soins sont une préoccupation majeure des établissements de santé. Si de nombreuses actions ont été réalisées pour améliorer la sécurité des soins sur différents aspects comme : les médicaments, le matériel et les procédures, il semblerait que persiste une forte marge de progression. Khatri et Baveja et alii (2006) estiment que compte tenu du rôle central joué par le personnel dans la délivrance de la prestation de soins, les pratiques de GRH pourraient avoir une forte influence sur la qualité et la sécurité des soins. Nous inscrivant dans une perspective de gestion stratégique des ressources humaines, l’objectif de notre recherche est de tenter de mettre en évidence l’existence d’une relation entre les pratiques de GRH et la qualité des soins et d’identifier les pratiques de GRH qui ont le plus fort impact. Nous proposons pour cela un modèle de recherche et une méthodologie qui sera mise en œuvre ultérieurement. Dans ce modèle, nous proposons une mesure de la qualité des soins qui s’appuie principalement sur le volume d’activité, le taux de mortalité par spécialité et la durée moyenne de séjour. L’originalité de ce modèle repose, en partie, sur le fait que les variables dépendantes ne sont pas ici des variables relevant de buts de système (au sens de Mintzberg : chiffre d’affaires, profit) comme c’est souvent le cas dans les recherches en GSRH, mais des variables relevant de buts de mission (capacité à satisfaire la demande de soins). Il nous semble, à cet égard, qu’il est de la responsabilité des chercheurs en sciences de gestion que de proposer des outils de mesure de la performance organisationnelle qui intègrent des dimensions autres que les seules performances économiques et financières, même si cela suppose de s’exposer au risque de la critique sur la construction des indicateurs de mesure et aux manques de données disponibles. Si nos hypothèses sont validées, nous pourrons mettre en évidence les pratiques de GRH et de management qui ont le plus fort impact sur la qualité et la sécurité des soins. Cela permettra de définir des priorités dans la définition des politiques de ressources humaines des établissements de santé. L’étude approfondie des pratiques de GRH des établissements les plus performants en termes de qualité et de sécurité des soins, pourra mettre en évidence, de manière concrète, les meilleures pratiques à destination des praticiens et managers.

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