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INTRODUCTION Les attentes d’évasion et la quête d’expériences inattendues et extraordinaires, de sensations nou- velles marquant notre époque postmoderne (Ritzer, 1999 ; Hetzel, 2002) sont prises en compte par les concepteurs de sites particuliers afin d’offrir des prestations qui permettent aux individus de vivre ces expériences sous contrôle dans des environnements reconstitués, plus artificiels qu’authentiques, combi- nant réel et imaginaire, c’est-à-dire hyperréels (Ritzer, 1999 ; Graillot, 2003, 2004). L’hyperréalité constitue un sujet d’analyse inté- ressant à plus d’un titre. D’une part, elle caractérise un nombre important de lieux de loisirs, et plus particu- lièrement touristiques (Cova, 1996a, 1996b ; Ritzer, 1999 ; Graillot, 2003, 2004), secteurs économiques prospères. Ainsi, en France, l’hyperréalité se mani- feste à Disneyland Paris, première destination touris- tique en Europe (Marini, 2003). D’autre part, elle est l’un des phénomènes les plus originaux dans notre société (Cova et Cova, 2002) postmoderne. En effet, il Recherche et Applications en Marketing, vol. 20, n° 1/2005 Réalités (ou apparences ?) de l’hyperréalité : une application au cas du tourisme de loisirs Laurence Graillot Maître de conférences IUT de Dijon et CERMAB-LEG, Université de Bourgogne L’auteur tient à remercier le rédacteur en chef ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs. L’auteur peut être contacté à l’adresse électronique suivante : [email protected] FENÊTRE SUR RÉSUMÉ L’hyperréalité est un phénomène peu étudié en marketing, alors qu’elle caractérise un nombre croissant de lieux de loisirs, notamment touristiques. Dans cet article, nous construisons donc un cadre théorique permettant de cerner plus précisément ce phénomène et de le définir. Ce cadre et une étude d’univers touristiques de loisirs permettent ensuite d’identifier les thèmes et les stratégies pouvant être retenus par des structures pour générer l’hyperréalité mais également les opportunités et les menaces qu’elle induit. Mots clés : Hyperréalité, simulation, loisirs, tourisme, thèmes d’un environnement, stratégies, opportunités, menaces.

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INTRODUCTION

Les attentes d’évasion et la quête d’expériencesinattendues et extraordinaires, de sensations nou-velles marquant notre époque postmoderne (Ritzer,1999 ; Hetzel, 2002) sont prises en compte par lesconcepteurs de sites particuliers afin d’offrir desprestations qui permettent aux individus de vivre cesexpériences sous contrôle dans des environnementsreconstitués, plus artificiels qu’authentiques, combi-

nant réel et imaginaire, c’est-à-dire hyperréels(Ritzer, 1999 ; Graillot, 2003, 2004).

L’hyperréalité constitue un sujet d’analyse inté-ressant à plus d’un titre. D’une part, elle caractérise unnombre important de lieux de loisirs, et plus particu-lièrement touristiques (Cova, 1996a, 1996b ; Ritzer,1999 ; Graillot, 2003, 2004), secteurs économiquesprospères. Ainsi, en France, l’hyperréalité se mani-feste à Disneyland Paris, première destination touris-tique en Europe (Marini, 2003). D’autre part, elle estl’un des phénomènes les plus originaux dans notresociété (Cova et Cova, 2002) postmoderne. En effet, il

Recherche et Applications en Marketing, vol. 20, n° 1/2005

Réalités (ou apparences ?) de l’hyperréalité : une application au casdu tourisme de loisirs

Laurence Graillot

Maître de conférencesIUT de Dijon et CERMAB-LEG, Université de Bourgogne

L’auteur tient à remercier le rédacteur en chef ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs.L’auteur peut être contacté à l’adresse électronique suivante :[email protected]

F E N Ê T R E S U R

RÉSUMÉ

L’hyperréalité est un phénomène peu étudié en marketing, alors qu’elle caractérise un nombre croissant de lieux de loisirs,notamment touristiques. Dans cet article, nous construisons donc un cadre théorique permettant de cerner plus précisément cephénomène et de le définir. Ce cadre et une étude d’univers touristiques de loisirs permettent ensuite d’identifier les thèmes et lesstratégies pouvant être retenus par des structures pour générer l’hyperréalité mais également les opportunités et les menacesqu’elle induit.

Mots clés : Hyperréalité, simulation, loisirs, tourisme, thèmes d’un environnement, stratégies, opportunités, menaces.

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y a une mise en avant de l’hyperréalité – la surfacedes choses – au détriment de l’authenticité – la pro-fondeur des choses (Sherry, 1998). Il y a aussi unecélébration du superficiel et de l’artificiel (Cubitt,2001). Enfin, l’hyperréalité est peu explorée par lesrecherches françaises menées en marketing. Or cerelatif désintérêt semble paradoxal puisqu’elle fondedes structures commerciales, touristiques ou non, deplus en plus nombreuses.

Par conséquent, afin de cerner plus précisémentl’hyperréalité, dans une première partie nous allonsétablir un cadre théorique et proposer une définition dece phénomène. Dans une seconde partie, sur la base dece cadre et d’une étude de plusieurs univers touris-tiques de loisirs, nous identifierons non seulementdes stratégies retenues par des institutions apparte-nant à ce secteur pour créer l’hyperréalité mais égale-ment les opportunités et les menaces qu’elle génère.Pour conclure, nous préciserons les apports, limiteset voies de recherche impliqués par ces réflexions surce phénomène.

CADRE THÉORIQUE DE L’HYPERRÉALITE

Afin d’établir un cadre théorique de l’hyperréa-lité, il convient tout d’abord d’examiner sa définitionétymologique. Celle-ci nous conduira alors à nousinterroger sur sa place parmi les différentes concep-tions philosophiques de la réalité. Puis, nous nousintéresserons à son origine artistique pour mettre enévidence les techniques exploitées pour la produire.Nous exposerons également les principales analysesqui lui ont été, plus spécifiquement, consacrées. Pourconclure, nous proposerons une définition de l’hy-perréalité.

Définition étymologique

D’un point de vue étymologique, le terme d’hy-perréalité réunit deux mots :

– « hyper » : provient du mot grec huper et cor-respond aux expressions « au-dessus » ou « au-delà » ;

– « réalité » : trouve ses racines dans le termelatin realitas et signifie « ce qui existe » (Diction-

naire de la langue française Larousse, Lexis, 1989 ;Encyclopédie Encarta, 2000).

L’hyperréalité désigne donc ce qui se situe au-delà de la réalité, de ce qui existe.

Principales philosophies de la réalité

La définition précédente montre que pour appré-hender l’hyperréalité, il faut supposer implicitementqu’une réalité (ou des réalités) existe(nt). Il noussemble alors intéressant de présenter succinctementles principales approches de la réalité développéesdepuis la philosophie grecque : il s’agit non seule-ment de déterminer le courant au sein duquel les dif-férentes conceptions de l’hyperréalité peuvent sepositionner mais également de cerner certainesnotions proches comme celles de l’apparence, del’illusion, du simulacre, de la représentation, del’image.

Au préalable, nous pouvons remarquer que leDictionnaire de la langue française Larousse, Lexis(1989) définit le mot « réalité » à l’aide du terme« réel » (la réalité correspond au « caractère de ce quiest réel »). Or, ce dernier, désignant ce « qui existe ou aexisté effectivement », provient du mot latin res quisignifie la chose. Ainsi, la réalité fait référence à lachose, ou plus généralement à l’objet. Par consé-quent, les différentes philosophies de la réalité se dis-tinguent sur la base de la part respective qu’ellesaccordent à l’objet observé (objectivité) ou au sujetobservant (subjectivité) (Encyclopédie Universalis,logiciel version 5.1.2).

Les philosophies fondatrices de Platonet d’Aristote

Depuis l’Antiquité, le concept de réalité intéresseles philosophes et notamment Platon et Aristote quien ont deux approches différentes. Deux raisons, aumoins, nous incitent à faire référence aux travauxparticuliers de ces deux penseurs :

– Platon, maître d’Aristote, a intégré dans sa pen-sée les apports des systèmes philosophiques dévelop-pés antérieurement ;

– leurs travaux ont influencé les écrits philoso-phiques ultérieurs jusqu’à ce que Descartes fonde laphilosophie moderne (Michelet in Aristote, 1991).

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Pour Platon, dans La République, et plus précisé-ment au travers du symbole de la ligne et de l’allégoriede la caverne, la réalité correspond au monde intelli-gible qu’il oppose sur le plan ontologique au mondevisible ou monde des apparences (Tableau 1). Seule laraison permet d’appréhender la réalité puisque lessens ne peuvent percevoir que le monde visible.Ainsi, l’eídolon correspond seulement au reflet dumonde des Idées. Dans La République et Le Sophiste,il considère comme eídolon les ombres, les reflets,les œuvres d’art et plus particulièrement la peintureen trompe-l’œil. Dans le livre X de La République, il ya simulacre quand il y a imitation de l’apparence deschoses matérielles – concrètes – qui sont des copies dumonde des Formes. Le simulacre cherche à donnerl’illusion du vrai. Il en va ainsi de l’artiste qui reproduitun lit fabriqué par un menuisier (notes de Leroux inPlaton, 2004). À ce stade, le lien avec la Forme a étéperdu car l’artiste imite l’apparence des choses maté-rielles (Cubitt, 2001). Platon ajoute que le simulacrecorrespond à la petite partie des modèles qui seulepeut être représentée et qu’il est donc indissociablede l’idée de manque qui caractérise, au-delà, la totalité

du monde visible puisque ce dernier constitue uneimage du monde intelligible (notes de Cordero inPlaton, 1993). En outre, dans Le Sophiste, pour Platon,l’image « n’est pas autonome, car sans modèle il n’y apas d’image » (notes de Cordero in Platon, 1993,p. 286). La distinction ontologique entre mondevisible et monde intelligible peut se traduire au planépistémologique (Tableau 2).

Finalement, Platon démontre que ce qui apparaît necorrespond pas au réel. Les sens n’apportent qu’illu-sions et conduisent à confondre les images avec leschoses qu’elles représentent (notes de Leroux in Pla-ton, 2004). Il faut distinguer ce qui est en soi – l’être etl’objectif – et ce qui est pour l’individu – l’apparaîtreet le subjectif.

Dans La Métaphysique, Aristote rejette la théoriedes Idées et affirme la réalité du monde sensible(Poirier in Aristote, 1991). Pour Aristote, « les Idées nesont que des objets sensibles » (p. 102). Par consé-quent, pour connaître, les causes peuvent être recher-chées dans le monde physique (Jaulin, 1999). Il estalors possible de s’en remettre à l’expérience.

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Tableau 1. – La distinction ontologique de Platon

Monde visible Monde intelligible

Monde des apparences ;

Monde sensible (perçu par les sens) ;

Monde dans lequel nous vivons ;

Monde concret des choses matérielles (êtres vivants,nature, objets) qui ne sont que des copies imparfaitesdes Idées ;

Monde des images – des simulacres (eídola) – quiimitent les choses matérielles.

Monde de la réalité – de l’être ;

Monde des Idées pures – des Formes, parfaites,éternelles et invisibles – c’est-à-dire des « réalitésgénérales », des modèles dont sont issues les chosesmatérielles.

Tableau 2. – La distinction épistémologique de Platon

Opinion Science

Illusion, représentation (eikasía) : elle correspond àl’image mentale résultant de la perception ;

Croyance (pístis) : elle conduit à croire que la réalité estdonnée par la perception sensible.

Intellection pure (nóesis).

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Par la suite, certaines réflexions philosophiques,comme l’interactionnisme, le communalisme ouencore le pragmatisme ont contribué à rapprocher cesdeux positions extrêmes. Ainsi, entre ces deux pôles, ilest possible de positionner des philosophies quivarient quant au degré relatif de déterminisme matérielvs déterminisme mental qu’elles attribuent à la déter-mination de la connaissance (Hirschman et Hol-brook, 1992) (Tableau 3).

Les approches modernes et postmodernesde la réalité

De façon très schématique, Hirschman et Hol-brook (1992) distinguent parmi les philosophies pré-cédentes deux types d’approches :

– les approches positivistes ou modernes quiréunissent les conceptions s’appuyant sur la méthodehypothético-déductive comme l’empirisme ;

– les approches post-positivistes ou postmodernesqui regroupent les conceptions alternatives de lascience contestant les fondements épistémologiquespositivistes. Il en va ainsi du constructivisme socio-économique, de l’interprétivisme, du subjectivismeet du rationalisme.

Firat et Venkatesh (1995) rappellent que pour lapensée moderne, la représentation cherche à saisir laréalité objective à l’aide de l’observation, de la pratique

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Un continuum des différentes conceptionsphilosophiques de la réalité

Une analyse des différentes conceptions de la réa-lité nous est offerte par les travaux d’Hirschman etHolbrook (1992) qui élaborent un continuum despositions philosophiques développées vis-à-vis de laréalité et des différentes problématiques qu’elle sou-lève. Dans cette perspective, ils rappellent que laconnaissance de la réalité peut émaner des deuxsources évoquées précédemment :

– la nature ou plus généralement le monde matériel ;– l’homme ou plus précisément l’esprit humain.

Ces origines, conduisant à adopter des positionsphilosophiques opposées, fondent donc les deuxextrémités de leur continuum. Ainsi, il est possible dedistinguer deux formes de déterminisme :

– le déterminisme matériel, qui regroupe des phi-losophies considérant que la réalité existe et tentantde l’expliquer. Pour ces philosophies, la réalité cor-respond à un phénomène objectif et déchiffrable quipeut être appréhendé par l’observation, par l’expé-rience sensorielle (Chalmers, 1987 ; Hirschman etHolbrook, 1992) ;

– le déterminisme mental, qui rassemble des phi-losophies réfutant l’idée d’une réalité en soi. Ellesadmettent l’innéité des Idées et donc que la connais-sance ne peut résulter que de la raison (Chalmers,1987 ; Hirschman et Holbrook, 1992).

Tableau 4. – Les différentes dimensions du postmodernisme

Van Raaij (1993) Brown (1994) Firat (1991, 1992)Firat et Venkatesh (1995)

– Fragmentation des marchés etdes expériences

– Juxtaposition paradoxale desoppositions

– Hyperréalité

– Réalisation de la valeur dans lecycle de consommation

– Fragmentation

– Suppression des différenciations,distinctions

– Pastiche

– Anti-universalisme

– Hyperréalité

– Fragmentation

– Acceptation de la différence

– Juxtaposition paradoxale desoppositions

– Détachement vis-à-vis des méta-récits

– Hyperréalité– Décentralisation du sujet– Inversion entre la production et la

consommation

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artistique… Cette représentation, qui remonte à laGrèce antique, est donc mimétique. Au contraire, lepostmodernisme rejette l’idée reçue d’une réalité uni-verselle et uniforme pour permettre la « re-création »de nouvelles réalités particulières en libérant le signede ce qu’il signifie et de son référent. Il incite alors àreconnaître que le modernisme a emprisonné l’imageet le signe en les liant fortement avec le produit et lesignifié alors que ces liens sont seulement culturels etarbitraires (Firat, 1992). Dans cette perspective, lareprésentation signifie la construction du réel sans réfé-rence à la réalité objective (Firat et Venkatesh, 1995).

Pour Brown (1994), le monde postmoderne, danslequel, d’une part, les images n’entretiennent aucunrapport perceptible avec la réalité objective et,d’autre part, l’artifice est plus attrayant que la choseréelle, est un monde hyperréel. Plus précisément, uneanalyse des recherches menées par Firat (1991,1992), Van Raaij (1993), Brown (1994) mais aussiFirat et Venkatesh (1995) révèle que le postmoder-nisme possède différentes dimensions dont l’hyper-réalité et que cette dernière est systématiquementidentifiée (Tableau 4). Selon Firat (1992), ces dimen-sions ne sont pas nouvelles puisqu’elles existaientdéjà à l’époque moderne mais qu’elles étaientcontraintes par les méta-récits modernes.

Origine artistique de l’hyperréalité

L’étude des origines de l’hyperréalité montrequ’elle émane d’un courant artistique né aux États-Unis à la fin des années 1960 : l’hyperréalisme aussiappelé photoréalisme, hyperphotographisme, sharpfocus realism (Encyclopédie Encarta de luxe, 2000),superréalisme (Stremmel, 2004) qui consiste à repro-duire « la réalité avec la même exactitude et la mêmeobjectivité que la photographie » (EncyclopédieEncarta de luxe, 2000) sans chercher à l’interpréter.

L’hyperréalisme s’inscrit plus généralement dans leréalisme des cent cinquante dernières années. Ce der-nier courant désigne toutes les pratiques artistiquesqui, soit tentent, depuis l’Antiquité, de décrire préci-sément et avec véracité la réalité objective (L’Atelierdu peintre, 1855, de Gustave Courbet), soit s’intéres-sent au quotidien en le mettant en scène et/ou en inté-grant des objets quotidiens dans leurs œuvres(œuvres des Nouveaux Réalistes tels Christo,César...) afin d’offrir un autre regard sur la réalité

et/ou de l’interroger (Stremmel, 2004). L’hyperréa-lisme s’inspire donc de deux mouvements :

– au trompe-l’œil, il emprunte notamment latechnique des illusions et des artifices ;

– comme le Pop Art, il utilise l’iconographie duquotidien et il établit des images neutres et glacées, ence sens qu’elles établissent une distanciation vis-à-visde la réalité (Encyclopédie Encarta de luxe, 2000).

Les œuvres hyperréalistes se distinguent par :

– une superposition des niveaux d’illusion (Ency-clopédie Encarta de Luxe, 2000) ;

– leur regard neutre sur une réalité urbaine met-tant en avant le décor et l’apparence. Ce regard peut semanifester sous la forme d’images glaciales, d’inven-taires… Il en va ainsi de la sculpture SupermarketLady (1969-1970) de Duane Hanson qui représenteune consommatrice emprisonnée dans son quotidien,dont la tête est recouverte d’un foulard pour cacherses bigoudis, fumant une cigarette et poussant sonchariot rempli de produits alimentaires tels Coke… 1

(Pradel, 1999) ;– la précision des détails (Encyclopédie Encarta

de luxe, 2000) et leur intensification afin d’indiquer« la vacuité des significations » (Pradel, 1999, p. 70).

Baudrillard (1976) conclut que la réalité s’ef-fondre dans l’hyperréalisme. En effet, « la réduplica-tion minutieuse du réel » (p. 112), à l’aide d’unmédium reproductif, comme la photo, se traduit parune volatilisation du réel quand il est saisi par desmédias successifs. Pourtant cette volatilisation, quiconduit à sa destruction, renforce le réel.

La présentation succincte de ces origines nousconduit donc à identifier plusieurs techniques retenuespour produire l’hyperréalité, à savoir les artifices, lesillusions (Graillot, 2003, 2004), l’intensification desdétails et l’accent mis sur le décor et les apparences.

L’art, on le voit, constitue souvent un champ danslequel apparaissent des courants et des tendances quise diffusent ensuite dans la société et affectent sesprincipes, ses valeurs… En effet, l’hyperréalité, poursa part, émane de l’hyperréalisme, le postmoder-

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1. Une photo en noir et blanc de cette sculpture est disponible sur lesite internet du Ludwig Forum für Internationale Kunst, muséepossédant cette œuvre :www.heimat.de/ludwigforum/kunst/index.html. Il existe également des peintures hyperréalistes, comme celles deRalph Goings pouvant être vues à l’adresse suivante :www.artincontexte.org/artist/g/ralph_goings/images.htm

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nisme, lui, s’est développé, à l’origine, dans l’archi-tecture en tant que remise en cause du rationalisme, del’universalisme de l’architecture moderne (Firat etVenkatesh, 1995 ; Cova, 1996a, 1996b).

Approches de l’hyperréalité

Debord et la société du spectacle

Le phénomène d’hyperréalité a été abordé implici-tement par Debord en 1967. En effet, Debord(1992a) explique que la société du spectacle se carac-térise par « son monopole de l’apparence » (p. 20),l’évolution de notre société ayant conduit à privilé-gier, dans un premier temps, l’avoir sur l’être, puisdans un second temps, le paraître sur l’avoir. Le vraiest alors réduit à l’état d’hypothèse quand il ne cessepas purement et simplement d’exister, conférant aufaux une nouvelle dimension (Debord, 1992b). Lasociété du spectacle privilégie donc la représentation àla réalité, la copie à l’original.

De façon très cynique, Debord (1992b) soulignele rôle joué par la pollution qui oblige à remplacercertaines statues par des répliques afin de rendre leschoses plus belles pour qu’elles puissent être photo-graphiées par les touristes.

Baudrillard et la simulation

Selon Baudrillard (1976, 1981), l’hyperréalitécorrespond à une réalité créée par la simulation, cetteréalité ne possédant ni origine, ni réel, ni réalité. Lessignes du réel se substituent donc au réel, sans êtreson équivalent. La réalité devient illusoire. Ainsi, latendance cherchant à produire un réel de plus en plusréel aboutit à trois conséquences :

– le produit obtenu n’est pas faux ;– le produit obtenu n’est pas réel ;– le produit obtenu est hyperréel (Baudrillard,

1976, 1981).

Pour définir la simulation, Baudrillard (1976) lapositionne vis-à-vis du réel qui correspond à « cedont il est possible de donner une reproduction équi-valente » (p. 114). Il ajoute que la simulation, devantêtre appréhendée comme une copie sans original,constitue l’un des trois ordres de simulacres qu’ilidentifie (Tableau 5).

Baudrillard (1981) ajoute que « dissimuler estfeindre de ne pas avoir ce qu’on a. Simuler estfeindre d’avoir ce qu’on n’a pas. L’un renvoie à uneprésence, l’autre à une absence » (p. 12). Il apparaîtdonc que la simulation trouble la différence entre levrai et le faux, entre le réel et l’imaginaire, entrel’authentique et le produit. Par conséquent, dans lecas de l’hyperréalité, ces différentes dimensions,auparavant contradictoires, se confondent dans unemême totalité.

En outre, Baudrillard (1981) établit qu’au coursde son évolution, notre société est passée « dessignes qui dissimulent quelque chose aux signes quidissimulent qu’il n’y a rien… (or, quand) le réel n’estplus ce qu’il était, la nostalgie prend tous son sens »(p. 17). Il y a alors quête éperdue des signes de réalité,de l’objectivité et de l’authenticité secondes. PourBaudrillard (1995), notre société n’assiste pas à unecrise de la réalité puisque le réel prolifère du faitqu’il est sans cesse produit et reproduit par la simula-tion. La réalité étant à son comble, la société est passéeau-delà du réel en ce sens qu’il y a un excès de réalité.

Selon Baudrillard, il est donc toujours possible detrouver une meilleure version de ce qui est considérécomme étant la réalité, cette dernière ne représentantqu’une construction sociale (Firat et Venkatesh, 1995).

Eco et l’hyperréalité

Pour Eco (1985, 1986), l’hyperréel correspond à cequi est aussi réel que le réel, voire plus réel. L’hyper-réalité désigne alors la copie qui est aussi parfaiteque l’original, voire plus parfaite. Dans cette pers-pective, elle constitue une réplique authentique, undérivé. Ce qui importe aux individus est l’authenti-cité visuelle et non plus historique. Autrement dit, cequi semble réel est réel. Plus généralement, l’emploidu terme « plus » permet de faire la distinction entre laréalité naturelle et l’hyperréalité. Ainsi, il y a hyper-réalité quand, grâce à la technique, on offre plus deréalité que la nature ne le fait.

Eco (1999) précise que les objets hyperréels necorrespondent pas à des stimuli naturels mais à desstimuli de substitution. Un stimulus est dit « de substi-tution » quand il déclenche des récepteurs sensorielsqui se déclencheraient avec un stimulus naturel. Dans lecas des stimuli iconiques, pour parvenir à distinguerces deux types de stimulus, il convient de se demander

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si quelque chose de nouveau survient en cas de chan-gement de point de vue. Quand rien ne surgit, le stimu-lus est de substitution. Eco ajoute que le stimulus desubstitution impose la sensation vécue par celui qui avu avant soi. Par conséquent, il empêche de ressentir enfonction de sa propre subjectivité (Eco, 1999). En tantque stimulus de substitution, l’hyperréalité remplacel’objet réel, en soi un stimulus, avec des signes se fai-sant passer pour des stimuli (Cubitt, 2001).

L’essor de l’hyperréalité qui s’observe tout parti-culièrement aux États-Unis peut s’expliquer, selonEco (1985, 1986), par l’obsession de l’horror vacui,qui incite les Américains à fabriquer le faux absolupour satisfaire leur recherche de la real thing. Ecodonne de multiples exemples d’hyperréalité commeles copies authentiques présentées dans les muséesde cire, les villes artificielles comme Disneyland, lesvilles fantômes (ghost towns)…

Cova et Cova et l’ersatz d’authenticité

Cova et Cova (2002) abordent l’hyperréalité en lapositionnant par rapport au concept d’authenticité et enidentifiant deux catégories d’individus en quête d’au-thenticité :

– ceux qui ne se satisfont que de l’authenticité« véritable » ;

– ceux qui se contentent d’un ersatz d’authenticitéhyperréel apparaissant comme moins risqué et plusédulcoré qu’un produit authentique. Ainsi, pour eux,les images et les copies sont en mesure de remplacer laréalité et l’original qui peuvent rappeler la dureté de lavie. L’hyperréalité leur offre donc les caractéristiques,voire les avantages, des choses authentiques sans leursinconvénients. Finalement, Cova et Cova (2002) sefondent sur les travaux de Baudrillard (1995) pourqualifier ces expériences hyperréelles d’« authentique aurabais » ou d’« authentique simulé ».

Synthèse : positionnement théoriqueet tentative de définition de l’hyperréalité

On peut noter que ces différentes approches s’in-sèrent dans une perspective philosophique considé-rant que la réalité constitue une construction sociale,c’est-à-dire dans le constructivisme socio-écono-mique. En effet, les relations entre les signifiants etles signifiés sont définies arbitrairement.

Nous pouvons, à présent, proposer une définition del’hyperréalité et de la simulation. Cependant, il nepeut s’agir que d’une tentative de définition car, selonPerry (1998), face à la pluralité des manifestations del’hyperréalité, il est difficile d’élaborer une théorie etune définition de l’hyperréalité. Dans un premiertemps, nous pouvons toutefois établir que l’hyperréalitéreprésente une réalité différente de la réalité objective –matérielle – perceptible qui conduit à ne plus pouvoirfaire la différence entre le « vrai » et le « faux ». Cetteréalité différente est générée par un processus, celuide simulation, qui remplace le réel par les signes duréel, par une construction du réel. Dans un secondtemps, l’analyse des approches précédentes ainsi queles travaux de Van Raaij (1993) nous permettent depréciser qu’il est possible d’identifier deux typesd’hyperréalité opposés :

– celle qui constitue une copie authentique ou plussouvent « améliorée » de la réalité matérielle. Dans cecas, les signifiants sont liés à une réalité signifiée ;

– celle qui correspond à une copie ne possédantpas d’original et qui ne repose donc sur aucune réalitématérielle. Elle peut alors être considérée commeune réalité originale. Dans cette perspective, lessignifiants sont détachés d’une réalité signifiée.

Aussi peut-on considérer que ces deux typesd’hyperréalité sont susceptibles de représenter lesextrémités d’un continuum le long duquel pourrontse positionner non seulement les multiples manifes-tations de l’hyperréalité évoquées par Perry (1998)en fonction de leur lien plus ou moins fort avec uneréalité signifiée, mais également les différentes straté-gies permettant de la générer et que nous exposeronspar la suite.

APPROCHES CONCRÈTES ET OPÉRATIONNELLESDE L’HYPERRÉALITÉ

À présent, sur la base d’une étude de diversexemples de sites touristiques hyperréels existants ouen projet en France mais aussi à l’étranger et principa-lement en Amérique du Nord, nous allons nous inté-resser à la concrétisation de l’hyperréalité dans la

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société contemporaine. Ainsi, dans un premier temps,nous identifierons des stratégies utilisées par des insti-tutions appartenant au secteur du tourisme de loisirspour créer des univers hyperréels qui représentent, enfait, une traduction opérationnelle des approches del’hyperréalité exposées précédemment. Puis dans unsecond temps, nous mettrons en évidence des oppor-tunités et menaces susceptibles d’être produites parl’hyperréalité.

Stratégies de génération de l’hyperréalité

Pour générer l’hyperréalité, une structure touris-tique peut choisir parmi quatre démarches, nonexclusives les unes des autres. Nous remarqueronsque chacune de ces démarches peut être rapprochéedes conceptions retenues pour construire le cadrethéorique et nous pourrons alors les positionner lelong du continuum évoqué auparavant. Toutefois,avant d’aborder ces stratégies, nous allons présenterune typologie des différents thèmes susceptiblesd’être choisis pour fonder un univers hyperréel quireprend certains critères abordés dans la premièrepartie de cette recherche. En effet, la conception d’unenvironnement hyperréel suppose, au préalable, lechoix d’au moins un thème.

Les sources d’inspiration des concepteursd’environnements hyperréels

Actuellement, tout ce qui possède, ou a possédé,une existence matérielle et même ce qui n’en possèdepas une (comme les créations résultant de l’imagina-tion), peut faire l’objet d’une (re)construction concrète.Une étude documentaire d’environnements hyperréelstouristiques nous a permis de mettre en évidence plu-sieurs thèmes pouvant être choisis pour concevoir detels environnements dont la vocation peut être ludiqueet/ou pédagogique et/ou ornemental afin de créer, toutsimplement, une atmosphère (Annexe 1).

À partir d’une analyse des points communs entreles thèmes identifiés, nous avons construit une typolo-gie fondée sur leurs origines qui correspondent àcelles de la connaissance exposées précédemment :la nature ou l’homme. En outre, nous avons faitapparaître l’importance prise par la subjectivité dans la(re)construction d’un type de thème (Figure 1).

Il peut être ajouté qu’un univers hyperréel, étantthématisé, est enclavé et sécurisé (Carù et Cova,2003 ; Cova, 2004). Dans la même perspective,Cubitt (2001) utilise l’expression « bulle touris-tique » pour désigner un tel univers.

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Origine du thème

Homme (Création/Activité)

Nature (Création)

Existence immatérielle

Existence matérielle

Importance de la subjectivité projetée dans la (re)construction

Figure 1. – Une typologie des thèmes susceptibles d’inspirer la conception d’un site hyperréel

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Conception de copies « authentiques » et/ou légèrement « améliorées » d’originaux

Une première stratégie consiste à exploiter lesillusions afin de présenter des copies réelles des réali-tés représentées. Pour être perçue comme réelle, unecopie doit sembler réelle. En outre, les reproductionsne doivent pas seulement être crédibles puisqu’ellesdoivent, si ce n’est afficher une ressemblance par-faite, posséder souvent en plus une amélioration, fût-elle infime. Cependant, pour être copié, un originaldoit être idolâtré. Au-delà, une copie devient parfaitedès lors que le désir fétichiste pour l’original n’existeplus. Par exemple, le « bureau ovale » présenté dans laBibliothèque Lyndon B. Johnson d’Austin, corres-pondant à une reproduction grandeur nature de celui dela Maison-Blanche, a été fabriqué à l’aide des mêmesmatériaux, des mêmes couleurs... que l’original.Cependant, il est beaucoup plus brillant et ciré.

Quand certaines copies doivent apparaître commeétant authentiques, leur authenticité doit être attestéepar un document délivré par le musée ou l’organismepossédant l’original copié et fabriquant les copies.Cette dernière démarche permet alors à certainsmusées de surmonter les problèmes liés à l’authenticitéd’un objet en exposant des copies authentiques d’ori-ginaux (Eco, 1985, 1986).

Cette stratégie renvoie non seulement à l’origineartistique de l’hyperréalité en préconisant l’exploita-tion des illusions mais également aux travaux d’Ecoqui assimilent l’hyperréalité à une copie et à ceux deCova et Cova (2002) qui établissent que l’hyperréalitéreprésente un ersatz tout à fait satisfaisant pour certainsindividus.

Conception de copies « plus réelles » d’originaux

Dans le cadre de cette deuxième stratégie, la réalitéd’une copie doit devenir nettement supérieure à cellede son original. La mise en œuvre de cette stratégies’observe notamment quand l’original est abîmé oupartiellement détruit. En effet, la reproduction, en« réparant/restaurant » l’original, offre « plus » queson modèle, ce qui la fait apparaître comme étant« meilleure ». Indépendamment de toute restauration,il est aussi possible d’inciter les individus à penserqu’ils « voient plus de réalité » en présence de lacopie et qu’elle est donc plus réelle que son original.

Par exemple, un document placé à côté d’une repro-duction de la Pietà de Michel-Ange, peut préciserqu’elle a été réalisée par un artiste florentin et que lespierres sur lesquelles elle repose proviennent duSaint-Sépulcre de Jérusalem. Au-delà, l’objectif estque la reproduction remplace l’original dans l’esprit duvisiteur et qu’il n’ait plus envie d’aller le contempler(Eco, 1985, 1986).

Cette stratégie peut également s’appliquer à uneexpérience. Par exemple, à Disneyland, la techniqueoffre davantage de réalité que la nature et contribue àmieux satisfaire les souhaits de rêve éveillé des indivi-dus. Ainsi, le fleuve d’« Adventureland » offre plusd’expériences qu’un voyage sur le Mississippi où lescrocodiles ne sont pas programmés pour apparaîtreau passage du bateau (Eco, 1985, 1986). Urbain(1993) remarque que certaines personnes peuventaussi retenir cette démarche qui les conduit alors aucœur d’une situation paradoxale sans importance sielle leur permet de se démarquer des autres touristes. Ilintroduit donc l’expression « guerre du vrai » pourdésigner les individus en quête du véritable, prêts àfalsifier les faits car ils refusent la réalité. Il en vaainsi d’un touriste assistant à la danse d’une tribu quifait déchausser les danseurs pour obtenir une photoplus authentique.

Cette stratégie incite à pousser le souci du détail etde la véracité à une telle extrémité qu’Eco (1985)évoque un « réalisme exacerbé » (p.14). Ainsi, pourrendre encore plus réalistes les reconstructions, uneattention importante est accordée aux décors et auxdétails. Cette préoccupation s’explique essentielle-ment par l’origine artistique de l’hyperréalité et renvoieaussi aux travaux d’Eco qui spécifient que l’hyper-réalité désigne une réalité plus réelle que la réalité.La précision des détails est particulièrement tra-vaillée afin d’aboutir à leur accentuation, voire à leurexacerbation. Ainsi, à Disneyland Paris, les visiteurspeuvent observer les empreintes des roues de cha-riots et des fers à cheval gravées dans le sol près deThunder Mesa…

Transformation du tout faux en totalement réel

Une troisième stratégie consiste à recourir auxstimuli de substitution d’Eco, c’est-à-dire à faireapparaître le tout faux comme étant totalement réelafin de le faire apprécier par le public. Par exemple, les

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rochers insérés dans une scène hyperréelle doiventêtre réels puisque les dinosaures ne peuvent être quefaux. Disneyland, en concevant des constructionsdonnant l’impression au visiteur d’appartenir à unmonde fantastique auquel il peut accéder, apparaîtcomme étant totalement hyperréaliste car ce parcclame qu’il reproduit le rêve (Ariès, 2002). Cettestratégie peut être illustrée par l’exemple de « Fanta-syland », à Disneyland, dont l’objectif est de rendreréel le non-réel : en effet, ce pays met en scène desimages, à savoir celles des personnages, des animauxissus de légendes, de contes de fées, et dessinées parDisney. Pour rendre réelles et vivantes ces images,deux procédés sont employés :

– les images sont concrétisées par l’intermédiairede matériaux réels comme le bois, la pierre, le plas-tique… ;

– les images sont animées grâce à des humains,des mannequins et autres automates déguisés en cespersonnages (Marin, 1973).

Dans la même perspective, Hetzel (1998, 2002)remarque que certains lieux thématiques, comme lesrestaurants, pour paraître authentiques, doiventexploiter le faux absolu. La juxtaposition de fauxcontribue à produire une impression de vrai.

Juxtaposition, voire confusion, de dimensionsplus ou moins hétérogènes et/ou contradictoires

Une dernière stratégie consiste à rapprocher et àconfondre, au sein des environnements hyperréels,des dimensions plus ou moins hétéroclites, en vertude la définition même de l’hyperréalité adoptée parBaudrillard. Pour Badot (2005), ce rapprochementconsiste à faire perdre au consommateur ses repères età déclencher chez lui un processus de prise de décisiond’achat de type impulsif et non plus réfléchi. Cettestratégie s’observe, par exemple, dans certainsmusées américains qui combinent, en un même lieu,des reproductions et des originaux, fusionnant ainsile faux et l’authentique afin de produire une réalitéimaginaire. La falsification est telle que, pour aider levisiteur à faire la distinction, ces institutions instal-lent des panneaux à côté de ces ensembles mêlantcopies et originaux (Eco, 1985, 1986). Ritzer (1999) etWang (1999) évoquent aussi cette stratégie quand ilssignalent que l’hyperréalité apparaît dès que les fron-tières entre le vrai et le faux sont brouillées. Par

exemple, dans le tourisme, chaque événement,chaque structure représente une combinaison de réel etd’imaginaire qui conduit à une hyperréalité. Ainsi,l’Hôtel Luxor, à Las Vegas, présente dans son« musée » des reproductions égyptiennes alors queses magasins vendent d’authentiques objets (Ritzer,1999). Hetzel (1998, 2002) note aussi le recours àcette stratégie au Mall of America quand la réalité et lanon-réalité s’entremêlent afin de faire croire à l’indi-vidu qu’il vit une expérience qui est la plus prochepossible de la réalité. Par exemple, les arbres en plas-tique, pour accroître la confusion, sont mélangésavec des arbres naturels, obligeant l’individu à lestoucher pour pouvoir déterminer si ce sont de vraisou de faux arbres. Dans les parcs Disney, il y a unecombinaison permanente entre le vrai et le faux. Eneffet, Disney cultive la confusion entre les faits réels –les légendes du monde, c’est-à-dire le vrai – et sesfictions – ses créations, c’est-à-dire le faux. À Dis-neyworld, les choses ne sont pas simplement vraiesou fausses. En effet, le vrai vrai côtoie le faux vrai, levrai faux et le faux faux (Wang, 1999). Ces dévelop-pements montrent donc que ce type de confusion –entre le vrai et le faux – est exploité au niveau dudécor, ce terme désignant tout à la fois les paysages,matérialisés par les reliefs et la flore, la faune, ladécoration d’intérieur…

Dans les sites hyperréels, la confusion peut égale-ment concerner la dimension temporelle puisque lepassé, le présent et le futur sont mêlés et sont donnéscomme étant actuels (Ariès, 2002). Ainsi, dans cessites, il se manifeste une considération marquée pour letemps. En effet, dans une société postmoderne, l’avenirfaisant peur, le passé, l’ancien, le recyclé, le présentperpétuel sont valorisés (Badot et Cova, 1992 ;Brown, 1993 ; Pretes, 1995). Le culte de la nostalgie setraduit par la quête d’un passé rêvé, réinventé car lesindividus ont tendance à l’idéaliser (Cova et Cova,2001 ; Cova, Louyot et Louis-Louisy, 2003). La pertedes repères temporels est également recherchée(Andrieu et alii, 2004 ; Badot, 2005) afin de donnerl’impression à l’individu de se trouver dans unespace où le temps est arrêté.

Il est aussi possible d’observer une combinaisonentre les échelles retenues au niveau de chacun descomposants d’un environnement qui fait naître duplaisir. Par exemple, la ville de Disneyland est unmodèle réduit, évoquant un décor de cinéma, alorsque les voitures sont de vraies voitures, les manne-quins sont à taille humaine… (Augé, 1997).

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Dans les univers hyperréels, comme les parcsDisney ou les ghost towns, un autre niveau de confu-sion est également introduit. Il s’agit de celle tou-chant les personnages rencontrés (Eco, 1985, 1986),qui est parfois telle que certains personnages jouantle rôle de « méchants » sont agressés par des visi-teurs ne distinguant plus la fiction de la réalité(Ariès, 2002). Pour renforcer l’hallucination, il estnécessaire d’exploiter plusieurs degrés d’illusionconduisant le visiteur à rencontrer :

– des « mannequins plus vrais que nature »(Augé, 1997, p. 30) ;

– des automates appelés audio-Animatronics chezDisney (tels les corsaires dansant, buvant… dansl’attraction « Les Pirates des Caraïbes ») ;

– de véritables êtres humains incarnant des per-sonnages de fiction (Eco, 1985, 1986 ; Ariès, 2002).

Toutefois, il semble que la confusion soit beau-coup plus générale puisqu’elle concerne tous lesgenres, à savoir les hommes, les animaux, lesmachines, les morts, les vivants… (Ariès, 2002).

Du fait de l’exploitation de ces multiples niveauxde confusion, il apparaît que les univers hyperréelssont achroniques – ils ne font référence à aucunepériode temporelle précise – et atopiques – ils nedésignent aucun espace géographique particulier(Badot, 2005).

Un continuum des stratégies de génération del’hyperréalité

Les quatre stratégies précédentes peuvent êtrepositionnées le long d’un continuum dont les extré-mités correspondent aux deux types d’hyperréalitéexposés auparavant (Figure 2). De nouveau, la sub-jectivité du concepteur de la reconstruction se mani-feste plus ou moins fortement en fonction de la straté-gie retenue.

Opportunités et menaces associées à l’hyperréalité

Les opportunités offertes par l’hyperréalité

D’un point de vue opérationnel, l’hyperréalitépeut offrir des opportunités stratégiques et marketing(au travers du mix produit) à une structure touris-tique.

Opportunités stratégiques

L’exploitation de la simulation correspond à l’unedes stratégies dont dispose une institution pour pro-duire une expérience de consommation apte à réen-chanter le consommateur (Ritzer, 1999 ; Filser, 2002 ;Hetzel, 2002). En effet, les efforts entrepris par lescathédrales de la consommation pour enchanter le

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Importance de la subjectivité projetée dans la (re)construction

Réalité matérielle copiée

Réalité originale créée

Conception de copies authentiques

Conception de copies plus réelles

Transformation du tout faux en totalement réel

Juxtaposition de dimensions contradictoires

Figure 2. – Un continuum des stratégies de génération de l’hyperréalité

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consommateur peuvent parfois conduire à son désen-chantement. Afin de continuer à le séduire et à l’attirer,ces cathédrales doivent subir un processus continu deréenchantement. Or, ce processus consiste à recourir àla simulation (Ritzer, 1999).

L’hyperréalité constitue une variable susceptibled’être choisie comme axe de différenciation par desstructures commerciales ou non en quête d’un posi-tionnement distinctif, étant donné la multitude dethèmes pouvant fonder un environnement hyperréel(Graillot, 2003, 2004).

Les environnements simulés apparaissent commeétant plus spectaculaires que le monde réel (Ritzer,1999). Or, actuellement, cette caractéristique repré-sente un avantage puisque les individus recherchentle spectaculaire et les expériences (Holbrook et Hir-schman, 1982 ; Ritzer, 1999), cette quête s’inscrivantdans une tendance plus générale, à savoir celled’émotions (Graillot, 1998, 2004). En outre, d’aprèsRiou (1999), l’existence du spectacle accompagnantl’hyperréalité contribue au succès plus grand qu’ellerencontre par rapport à la réalité et à l’attrait qu’elleexerce sur les individus. Or, l’impact du spectacle nes’arrête pas là puisqu’il permet, d’une part, de trans-former un plus grand nombre de visiteurs en ache-teurs de produits et services, et d’autre part, d’aug-menter la valeur des dépenses réalisées par lesacheteurs sur le site (Ritzer, 1999).

Les environnements hyperréels permettent auvisiteur de vivre des expériences qui requièrent peud’efforts (si ce n’est aucun) puisque tout est fait à saplace, le but étant de s’adresser tout aussi bien auxplus jeunes qu’aux plus âgés (Hetzel, 1998, 2002),autrement dit d’élargir la cible.

Opportunités marketing

L’exploitation de la dimension hyperréelle donne lapossibilité aux structures touristiques de créer et dedévelopper de nouveaux concepts de produits et doncd’étendre leur offre.

Un environnement hyperréel peut proposer à desindividus de vivre des expériences non disponibles àproximité en raison d’un climat défavorable ou decaractéristiques géologiques inadéquates à la pra-tique de ces expériences. Par conséquent, ce type delieu rapproche les expériences des individus. Laconstruction de tels sites répond, en fait, à la quête

frénétique de certains individus désireux de vivre unmaximum d’expériences (Holbrook et Hirschman,1982 ; Firat et Venkatesh, 1995) sans perte de temps.Ainsi, en Angleterre, le Snowdome permet auxAnglais de faire du ski toute l’année sans aller trèsloin… Le Canyoning Park d’Argelès-sur-Mer donne lapossibilité de pratiquer cette activité tout en restantau bord de la mer…

Une structure fournissant des prestations et des pro-duits dans un environnement hyperréel peut contrôlerla quasi-totalité de l’expérience de consommation, dudébut jusqu’à la fin. Elle peut non seulement gérerl’offre de toutes les prestations et produits complémen-taires, mais également garantir à l’individu, si l’expé-rience le nécessite, un minimum de risques et/ou d’in-convénients pour le maximum de sensations… Enoutre, une telle structure peut contrôler l’image diffu-sée. Le Canyoning Park permet de découvrir cette acti-vité dans un environnement sécurisé, réduisant lesrisques au minimum tout en offrant un maximum desensations extrêmes. À l’Ocean Dome, plus grand parcaquatique indoor au monde implanté au Japon, lepublic n’est pas importuné par des insectes déplaisants,ne risque pas les coups de soleil, les insolations… tout cequ’un site naturel ne saurait assurer à ses visiteurs !Certains sites hyperréels permettent aussi de se promenerau cœur d’une nature domestiquée comme celled’« Animal Kingdom » à Disneyworld. En fait, cettedomestication cherche à la rendre idyllique. Cecontrôle des risques et des inconvénients a pour objectifde supprimer tous les facteurs pouvant contraindre l’in-dividu et de lui procurer un sentiment de sécurité ; ainsipourra-t-il s’immerger, autrement dit se projeter plusaisément dans l’expérience offerte, voire régresser(Andrieu et alii, 2003 ; Badot, 2005).

Le regroupement de reconstructions en un mêmelieu donne la possibilité aux individus de voyagerdans le temps et/ou de faire un tour du monde dans unlaps de temps relativement court, pour un coût finan-cier moindre (Hetzel, 2002). En outre, un site hyper-réel peut devenir une destination dans le cadre decourts séjours entrepris soit par des individus restrei-gnant leurs déplacements par peur du terrorisme, desrisques sanitaires, soit à la suite du morcellement descongés et de la mise en place des 35 heures.

Grâce à l’hyperréalité, il est possible d’étendre lasphère marchande. En effet, l’exploitation de cettevariable permet de transformer la quasi-totalité del’authentique marchand mais surtout non marchand

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en hyperréel marchand. Ainsi, des rues parisiennes,authentiques et pouvant être visitées gratuitement,sont reconstituées et deviennent le thème d’environ-nements accessibles à la condition d’avoir payé lebillet d’entrée (Epcot Center à Disneyworld). Il en vade même avec des environnements naturels, copiés etinsérés dans des sites payants (Center Parcs, parcsanimaliers).

Les menaces impliquées par l’hyperréalité

D’un point de vue opérationnel, l’hyperréalitépeut générer des menaces propres aux produitshyperréels et d’autres dues à des réactions négativesdes individus.

Menaces inhérentes aux produits hyperréels

L’hyperréalité conduit à concevoir des environne-ments de consommation polysémiques caractériséspar l’ambiguïté des signes diffusés. Cette consé-quence implique alors des problèmes de gestion desmultiples significations diffusées (Gottdiener, 1995). Ilconvient donc de se préoccuper du suivi et ducontrôle de leur image, voire de leurs images, diffu-sée(s) et perçue(s). Hetzel (1998, 2002) ajoute que,dans de tels environnements, l’intertextualité devient larègle, ce qui rend plus complexe l’identification desdifférents niveaux de signification de concepts.

La supériorité présumée de l’artificiel sur le réel repose souvent sur son stéréotype qui ne pré-sente aucune garantie. En outre, la réalité du faux(comme le fait de faire la queue dans les univershyperréels) peut être moins plaisante que tout cequ’un visiteur pourrait véritablement expérimenter à New York… (cf. Brown : sur son site personnelwww.sfxbrown.com dans « Postmodern marketing :Abutting for Beginners »).

Les sites hyperréels, dont le but est notamment desatisfaire la demande de sur-stimulation sensorielleexprimée par certains individus, se heurtent rapide-ment aux limites des technologies disponibles (Ariès,2002). Ces sites cherchant à offrir des expériencesextrêmes peuvent aussi rencontrer une autre limite,atteinte par exemple par Las Vegas. Il apparaît, eneffet, que ces expériences ne doivent pas se traduirepar une émotion ressentie fugace et volatile car immé-

diate. Une telle émotion risque alors de disparaîtreaussitôt qu’elle est apparue, sans même se transfor-mer en souvenir : l’individu n’a pas eu le temps del’éprouver pleinement, vu sa brièveté (Bégout, 2002).

Certains univers hyperréels, offrant la possibilitéd’éprouver des sensations par le biais d’expériencesaventureuses sans le danger susceptible d’être rencontrédans le monde réel, incitent à s’interroger sur l’es-sence véritable de ce type d’aventures. Ainsi,« l’aventure sans danger est-elle encore de l’aven-ture ? » (Hetzel, 2002, p. 147). Dans la même pers-pective que Cova et Cova (2002), pour Hetzel (2002),ces sites offrent la version « allégée », « décaféinée »,« digérée » de l’aventure, des mondes réels.

Réactions négatives des individus

Le concept d’hyperréalité doit être manipulé avecprécaution par les professionnels, le risque étant d’al-térer l’équilibre psychologique de leurs visiteurs. Eneffet, il y a une mise en scène, une « fictionnali-sation » du monde, si bien que la réalité est déréalisée(Augé, 1997). Dans un tel contexte, la question sui-vante prend tout son sens : vaut-il mieux côtoyer despersonnages créés par les médias et évoluer dans desdécors de cinéma ou vivre normalement ? (Dhalokia etSchroeder, 2001). Les concepteurs des univers hyper-réels doivent alors être conscients de leur responsabi-lité et de l’impact de leurs choix sur leurs visiteurs,les risques étant que certains individus ne souhaitentplus affronter les difficultés du monde réel, s’enfer-ment dans un autre monde « parallèle », et soientincapables de distinguer le vrai du faux.

Offrir une hyperréalité, autrement dit un stimulusde substitution, pose la question de la subjectivité del’individu, de sa capacité et de sa liberté à l’exercer. Eneffet, tout est pensé et ressenti pour lui. Or, une tellesituation, à laquelle s’ajoute l’effacement des diffé-rences produit par la simulation (Cubitt, 2001), peutconduire à générer un monde encore plus uniformisé etstandardisé qu’il ne l’est déjà, imposant la concep-tion des créateurs de ces environnements hyperréels.Ce processus, poussé à l’extrême, peut conduire desindividus à réagir plus ou moins fortement pourrecouvrer leur subjectivité.

Les sites hyperréels, proposant des expériencesd’immersion aux individus, qualifiées d’hypermar-chandises par Lipovetsky (2003), peuvent se heurter à

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la résistance de certains. Cette dernière représenteleur réaction, d’une part face aux tentatives de « dés-appropriation » de leur vie par ces univers prédétermi-nant leurs expériences en les programmant pour leuréviter de fournir trop d’efforts, entraînant donc leurpassivité, et d’autre part face à un excès de normes etde contraintes. Par exemple, l’ensemble de leurs loisirstend à être organisé et offert par les grandes entre-prises puisqu’il devient de plus en plus difficile de lespratiquer sans passer par un intermédiaire. Ces indi-vidus peuvent alors être incités à détourner les ex-périences et à mettre en place des stratégies de « ré-appropriation ». Ces stratégies leur permettentd’exprimer leur individualité, de participer à laconstruction des expériences qu’ils vivent (Cova etCova, 2004), de déterminer leur propre rythme et decréer leur propre sens de l’endroit (Cubitt, 2001).Ainsi, ne souhaitant pas être considérés uniquementcomme des acteurs mais également comme des pro-ducteurs de leurs expériences (Cova et Cova, 2004), ilsemble nécessaire que ces sites laissent des espacessusceptibles d’être appropriés dans lesquels ces indi-vidus peuvent s’engouffrer (Cova et Cova, 2004).

Certaines tentatives de résistance provoquées parles environnements hyperréels peuvent aussi s’expli-quer par le fait suivant : il existe un seuil de simulationau-delà duquel les individus rejettent le faux (Boyle,2003), seuil de simulation parfois dépassé dans lesenvironnements hyperréels puisque, d’après Cova(2004), le recours à l’hyperréalité induit une certainedémesure.

CONCLUSION

Pour conclure, nous allons exposer les apports,limites et voies de recherche générés par les dévelop-pements précédents.

Sur la base d’un état de l’art mené dans leschamps de la philosophie, de l’art, de la sémiologie etde la sociologie, nous avons construit un cadre théo-rique afin de mieux appréhender l’hyperréalité et deproposer une définition de ce concept. Puis, à partird’une étude documentaire portant sur des univers

touristiques de loisirs divers, nous avons construitune typologie des thèmes susceptibles d’être choisispour fonder un site hyperréel et nous avons identifiédes stratégies de génération de l’hyperréalité quiconstituent les traductions opérationnelles des diffé-rentes conceptions de l’hyperréalité exposées aupréalable. L’objectif poursuivi par cette recherche estd’indiquer aux professionnels projetant de concevoirun univers touristique hyperréel des stratégies et desthèmes susceptibles d’être retenus ainsi que lesopportunités et les menaces associées à ce type deproduit.

À cet égard, les développements précédents nouspermettent d’établir qu’en fonction du (ou des)thème(s) choisi(s) pour fonder un site touristiquehyperréel, certaines stratégies de génération de l’hy-perréalité se révèlent plus appropriées que d’autres.En effet, deux dimensions se manifestent à la foisdans la typologie des thèmes (Figure 1) et au niveau ducontinuum des stratégies (Figure 2). Il s’agit de laréférence ou non à une réalité matérielle et de l’im-portance de la subjectivité projetée dans la(re)construction. Par conséquent, le rapprochementdes thèmes et des stratégies peut permettre d’identifierles stratégies les plus et les moins appropriées (etdonc les plus et les moins exploitées au plan opéra-tionnel d’après notre étude des univers touristiques)en fonction de ces deux dimensions (Tableau 6).

En outre, les apports de cette recherche, centréeessentiellement sur le secteur touristique, peuventintéresser des responsables intervenant dans d’autressecteurs marchands comme ceux de l’hôtellerie et de larestauration qui adoptent de plus en plus fréquem-ment la variable hyperréalité pour concevoir leuroffre (hôtels-casinos de Las Vegas, restaurants thé-matiques…). Il en va de même du secteur de la distri-bution qui exploite cette variable pour s’inscrire dansla tendance du retailtainment, également appelé funshopping ou shoppertainment (Rieunier et Volle,2002), retenue notamment par des boutiques (lachaîne de boutiques/restaurants Rainforest Café), parles malls d’Amérique du Nord (Mall of America àMinneapolis (Hetzel, 1998, 2002 ; Sherry, 1998),West Edmonton Mall au Canada (Andrieu et alii,2003)) et par des structures européennes combinantcentre commercial traditionnel et parc d’attractions(En France : Centre Commercial International du Vald’Europe (Ariès, 2002 ; Dion, 2002)). Pour Hetzel(1998, 2002), l’adoption de cette stratégie par des

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magasins et des centres commerciaux s’explique parune évolution affectant leur mission. En effet, lors deleur apparition, ils se devaient de mettre en scène desobjets alors que de nos jours, ils doivent être l’objet dela mise en scène. Au-delà, l’objectif de ces réalisa-tions consiste à organiser un pôle commercial autourd’un nouveau type de locomotive : des prestations deloisirs, afin d’offrir un environnement complet deconsommation ainsi qu’un lieu de promenade. Ledivertissement – l’entertainement – devient donc unmoyen au service de la consommation (Bégout,2002). En outre, en proposant plusieurs catégories deprestations sur un seul site, plusieurs avantages sontréunis :

– les loisirs contribuent à étendre la zone de cha-landise du site et à accroître les flux de clientèle ;

– les restaurants permettent d’assurer la fidélitéde la clientèle ;

– les commerces doivent garantir la rentabilité dusite grâce aux loyers versés et aux chiffres d’affairesréalisés (Le Moniteur du Bâtiment et des TravauxPublics, n° 5170, 27/12/2002).

Les structures marchandes ne sont pas les seules àêtre hyperréelles puisque certaines structuressociales, comme la ville de Celebration en Floride

(Ritzer, 1999 ; Frantz et Collins, 2000), se sont inspi-rées des univers construits par Disney pour établirleurs fondations. En France, certains environnementsquotidiens deviennent hyperréels comme des stationsdu métro parisien (Arts et Métiers sur la ligne 11 etLouvre-Rivoli sur la ligne 1).

En ce qui concerne les limites, cette réflexionrepose majoritairement sur l’analyse de recherches,de documents diffusés par les univers hyperréels tou-ristiques et de leurs sites Internet et non sur desobservations et des études pratiquées directement surdes sites de natures plus diverses, comme des maga-sins, des restaurants, des centres commerciaux... Enoutre, nous aurions pu étudier les mondes virtuels ducyber-espace puisque l’hyperréalité se manifestedans la réalité virtuelle et les jeux vidéo (Brown,1994) en offrant un monde d’images qui peut deveniraussi vrai voire plus réel que le monde réel (Cova,1996b). Ces différentes limites représentent alorsautant de voies de recherche envisageables.

Nous pouvons également indiquer une autre voiede recherche. En effet, ce travail s’intéresse surtout à laconception des sites hyperréels. Il ne représente doncque la première étape d’une recherche qui, pour êtretotalement aboutie, nécessite aussi l’adoption d’une

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Tableau 6. – Stratégies les plus et les moins appropriées selon le thème choisi pour concevoir un site touristique hyperréel

Importance de la subjectivité projetée dans la (re)construction

Importance de la subjectivité projetée dans la (re)construction

Nature

Homme Existence matérielle

Homme Existence immatérielle

Réalité matérielle copiée

+ –

– +

+ –

Réalité originale créée

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démarche plus analytique et explicative des attitudes etdes comportements des individus confrontés à l’hyper-réalité. À cette fin, il conviendrait de réaliser des obser-vations et des études sur des sites hyperréels divers,implantés dans des pays culturellement différents, afin decerner les comportements adoptés par les individusface à ces sites ainsi que leurs facteurs explicatifs.

Un phénomène proche de celui d’hyperréalitémériterait aussi d’être approfondi. Il s’agit de la théâ-tralisation des univers de vente, de consommation…

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Annexe 1. Thèmes susceptibles de fonder un univers touristique hyperréel

Animaux disparus Grâce aux résultats des recherches scientifiques, des animaux ayant vécu à l’èrepréhistorique peuvent être représentés en 3 dimensions et grandeur nature. Dino-Zoo(dans le Doubs), parc conçu en collaboration avec le Musée national d’histoirenaturelle de Paris, permet de découvrir plusieurs représentations grandeur natured’animaux préhistoriques. À Préhistologia (près de Rocamadour), certaines scènessont sonorisées !

Nature (faune et flore) etenvironnements naturels(banquise, désert….) etses manifestations

Micropolis, la Cité des Insectes de l’Aveyron, reconstitue le milieu naturel danslequel vivent des insectes pour permettre au public de les observer. Océanopolis, àBrest, met en scène les différents milieux maritimes du globe et recrée une vraie ban-quise habitée par des phoques, une forêt tropicale, la mangrove… De plus en plus, leszoos cherchent à reconstruire sur de grandes échelles les environnements originaux(Eco, 1985, 1986). Des parcs de loisirs américains proposent d’assister à une éruptionvolcanique, de vivre un tremblement de terre... À Vulcania près de Clermont-Ferrand,le visiteur peut voir un volcan fumant avec des coulées de laves, des cascades…

Climats Le Centre Polaria de Tromso en Norvège fait vivre à ses visiteurs une tempête deneige.

Personnes vivantes oudécédées

Le général de Gaulle, Brad Pitt… sont exposés dans les galeries de personnages decire comme le musée Grévin ou Madame Tussaud’s.

Cités historiques dispa-rues, détruites, abandon-nées

Les résultats des recherches scientifiques permettent la reconstruction de véritablescités antiques disparues telles Pompéi. Dans des parcs d’attractions, comme celui duPuy-du-Fou ou Astérix, les individus peuvent se promener dans des parties de citéshistoriques reconstituées. Les villes fantômes sont des répliques de villes del’Ouest américain du XIXe siècle.

Attractions locales et/outouristiques éloignées géo-graphiquement

L’objectif consiste à reconstruire des attractions éloignées géographiquement etadmirées et/ou vénérées par la (ou les) cible(s) visée(s). Ainsi, la tour Eiffel peut êtreadmirée à l’hôtel Paris à Las Vegas, à Epcot Center à Disneyworld en Floride.

Œuvres d’art, productions à2 dimensions ou à 3 dimen-sions

Certains musées américains exposent des copies authentiques d’œuvres d’art maisaussi des maquettes perçues comme étant plus réelles que les gravures qu’elles tra-duisent en 3 dimensions. La Joconde possède ses reproductions grandeur nature encire (Eco, 1985, 1986).

Images Elles peuvent devenir l’icône (dessin de Mickey Mouse) de parcs d’attractions telsDisneyland. Ces parcs constituent des lieux de l’imagerie absolue clamant qu’ilsreproduisent le rêve. Les musées tels les parcs consacrés au cinéma cherchent égale-ment à reconstruire une réalité imaginaire, puisqu’elle correspond à un film, faisantpar conséquent disparaître la distinction logique entre mondes réels et mondes ima-ginaires. Par exemple, le parc Warner Bros en Espagne repose sur l’univers desdessins animés et des films, tout comme les parcs Universal Studio aux États-Unis.Dans ces univers, l’hyperréalité atteint son paroxysme (Eco, 1985, 1986).

Thèmes ayant la nature pour origine

Thèmes ayant l’homme pour origine et une existence matérielle

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Jeux Les pièces d’un jeu célèbre et populaire sont conçues grandeur nature. Dans lesquatre parcs Legoland, les décors, les attractions et les spectacles sont créés à partir del’univers du Lego®.

Modes de vie, techniques,coutumes, traditions an-ciennes disparues

Les résultats de recherches scientifiques permettent de reconstituer des scènes de lavie quotidienne de nos aïeuls. Le Grand Parc du Puy-du-Fou met en scène l’histoired’une famille du Puy-du-Fou entre le Moyen Âge et la Seconde Guerre mondiale.

Modes de vie, techniques,us... de populations ayantune culture différente

À Epcot Center à Disneyworld en Floride, le visiteur peut faire le tour du monde et deses cultures.

Religions Les tableaux de sable traditionnellement réalisés par les Indiens Navajos possèdentune dimension religieuse. Or, ceux vendus aux touristes sont des simulacres car ilssont dépourvus de certains symboles (Harkin, 1995). À Orlando, en Floride, il estpossible à « Holly Land Experience » de se promener au sein d’un musée bibliquevivant pour avoir un « aperçu » de la vie au temps de Jésus-Christ après avoir franchila Porte de la Cité, reconstruite d’après les portes actuelles de l’Ancienne Jérusa-lem…

Science, technique…contemporaines

La Cité de l’Espace à Toulouse propose de visiter la station spatiale Mir…

Expériences humaines Des simulations de danses traditionnelles, reproduites à heure fixe devant des touristes,apparaissent comme étant plus réelles que les originales, alors qu’elles sont totalementvidées de leur signification en devenant de simples objets de commerce (Urry,2000). Des sports pratiqués à l’origine en extérieur peuvent maintenant l’être indoorcomme le ski (Snowdome en Angleterre, Ski Dubaï actuellement en construction2),l’escalade, la baignade (Center Parcs, Aquaboulevard, Ocean Dome au Japon, Tropi-cal Island en Allemagne3)… Ils peuvent aussi l’être dans des environnements totale-ment reconstruits en extérieur comme le canyoning (Canyoning Parc).

Légendes, mythes Ils peuvent être matérialisés sous la forme de villes jouets comme le Village duPère Noël en Finlande (Eco, 1985, 1986 ; Pretes, 1995).

Modes de vie, techniquesde civilisations futures

Les écrits de visionnaires ou de romanciers de science-fiction peuvent inspirer laconception d’univers. Il en va ainsi de « Tomorrowland » à Disneyworld, l’équivalentde « Discoveryland » à Disneyland Paris.

2 : pour en savoir plus : http://www.lematin.ma/journal/article.asp?id=sport&ida=470563 : pour en savoir plus : http://www.thetropical-islands.com/engl/index.htm

Thèmes ayant l’homme pour origine et une existence immatérielle

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