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André Gunder Frank: Fonctionnalisme et dialectique. In: L Homme et la société, n° 12, 1969. Sociologie et tiers-monde. pp. 139-149.

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  • Andr Gunder FrankNello Zagnoli

    Fonctionnalisme et dialectiqueIn: L Homme et la socit, N. 12, 1969. Sociologie et tiers-monde. pp. 139-149.

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    Frank Andr Gunder, Zagnoli Nello. Fonctionnalisme et dialectique. In: L Homme et la socit, N. 12, 1969. Sociologie et tiers-monde. pp. 139-149.

    doi : 10.3406/homso.1969.1208

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/homso_0018-4306_1969_num_12_1_1208

  • fonctionalisme et dialectique*

    ANDRE GUNDER FRANCK

    L'article de Pierre van den Berghe, Dialectique et Fonctionnalisme : vers une synthse thorique paru en octobre 1963 dans V American Sociological Review fournit un exceUent point de dpart pour un examen de quelques aspects lmentaires mais fondamentaux de l'analyse fonctionneUe et de l'analyse dialectique que l'auteur n'a pas jug dignes d'tre mentionns et auxquels les fonctionnalistes en gnral prtent peu d'attention dans leur analyse fonctionnaliste de la socit ou dans leur analyse sociale du fonctionnalisme .

    L'article cit prtend trouver quatre points de convergence et de synthse entre fonctionnaUsme et dialectique. Ces points sont : 1) que les deux approches sont totalisantes ; 2) qu'eUes convergent dans le rle qu'eUes attribuent au conflit et au consensus social, l'intgration et la dsintgration ; 3) qu'eUes partagent une conception volutionnaire du changement social ;% 4) que les deux thories sont essentieUement fondes sur un modle d'quUibre social.

    Bien que l'examen du fonctionnaUsme et de la dialectique, partir de ces quatre points de convergence suppose, ne puisse pas constituer un pas scientifiquement important vers une analyse thorique profitable et quilibre de la structure sociale, et du changement social, dont l'auteur en question revendique la synthse , il peut cependant nous permettre quelques claircissements sur les hypothses thoriques, les bases empiriques et les imputations poUtiques du fonctionnaUsme et de la dialectique. Il peut aussi nous fournir un aperu sur les limitations reUes de toute tentative de synthse.

    (*) Sur le mme sujet, se rfrer aux crits de Fernando Henrique Cardoso et Rodolfo Stavenhagen, sociologues latino-amricains dont la vie et l'oeuvre dans les socits sous-dveloppes ont t si fcondes et ont t une aide prcieuse dans l'laboration de cet article.

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    I - LA TOTALITE.

    Les thories fonctionnaUste et dialectique sont toutes deux totaUsantes. Mais ici s'arrte la ressemblance. La totaUsation fonctionnaUste et la totan- sation dialectique diffrent entre elles au moins de trois faons lmentaires mais fondamentales : premirement dans leur approche de la totaUt ; deuximement dans les questions qu'elles posent propos de la totaUt ; et troisimement en ce qui concerne la totalit qu'elles choisissent d'tudier.

    r>~ Les niveaux d'abstraction auxquels se situent la totaUsation fonctionna- liste et celle de la dialectique sont trs diffrents. Les dialecticiens, mme les plus mauvais, commencent tudier une socit particuUre et poursuivent son analyse thorique dans ses transformations, en la prenant comme une totaUt. D'autre part, mme les meilleurs fonctionnalistes vitent presque toujours l'tude de la socit prise comme un tout. Dans les rares cas o Us analysent la totaUt, ou bien ils laissent entirement la ralit de ct, ou bien Us abandonnent la thorie fonctionnaUste. ..

    L'archtype de l'analyse fonctionnaUste contemporaine est, bien sr ceUe de Talcott Parsons. Mais l'analyse fonctionnaUste du systme social laqueUe Parsons procde n'entend pas donner l'analyse d'aucun systme social existant. La totaUsation de Parsons, si du moins on peut l'appeler ainsi, est l'analyse d'une totaUt abstraite ou d'un modle abstrait suppos universellement valable pour toute socit, existante ou imaginaire. Par consquent, les interrelations globales et fonctionnelles qu'U dveloppe avec tant de minutie sont celles d'un modle idal et non pas celles d'une socit existante donne. Par crainte de fourvoyer la pense de son lecteur dans une mauvaise direction en prenant l'abstrait pour le concret, l'autorit fonctionnaUste contemporaine la plus renomme, Claude Lvi-Strauss, a de grandes difficults expUciter sa dmarche : U dit seulement travailler l'aide d'un modle fonctionnaUste et allgue que tous les fonctionnaUstes font et doivent faire de mme, qu'Us y ajoutent foi ou non. Bien sr, aucun d'entre eux, notre connaissance, n'a jamais tent d'laborer une analyse parsonienne totalisante d'une socit existant rellement, encore moins de la ntre, car si quelqu'un tait assez sot pour l'entreprendre, Lvi-Strauss l'en prvient, U chouerait certainement. Il n'y a aucun rapport, ni aucune convergence avec les dialecticiens qui essayent d'tudier notre socit telle qu'elle est et encore moins avec les meUleurs d'entre eux qui y russissent.

    La plupart des fonctionnaUstes, parsoniens et autres, qui ont tant soit peut tudi la ralit, ont bien limit leur attention totalisante une partie de la socit de leur choix et se sont efforcs de montrer comment eUe est fonctionnellement relie l'ensemble de la socit. Quelques uns, bien qu'Us soient relativement peu nombreux, parmi les meUleurs fonctionnaUstes, tels que Malinowski, RadcUffe-Brown, Evans-Pritchard, Meyer Fortes, Raymond Firth, Max Gluckman, Fred Eggan ou Edmund Leach, qui ne sont pas parsoniens et qui se sont consacrs l'tude de la socit existante totale ont trouv qu'il tait ncessaire d'abandonner le point de vue troitement fonctionnaUste et qu'U existait un hiatus entre leur tude concrte des parties de la ralit sociale

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    et leur dmonstration analytique, portant sur la faon dont toutes ces parties taient fonctionnellement relies entre elles (et rien d'autre), dans un tout quUibr ; U s'agit l d'un hiatus qui, comme nombre de leurs propres disciples l'ont montr, n'est difficUement combl que par leur propre foi fonctionnaUste et ceUe de leurs lecteurs. Cependant, aucune profession de foi n'a pu donner ce jour, l'armement ncessaire et suffisant ou mme le courage de tenter une telle analyse de notre propre socit ou d'essayer de saisir le lien existant entr leur sujet d'tude favori et notre socit. Radcliffe-Brown, par exemple, n'a jamais rendu justice son compatriote, CecU Rhodes. Lorsqu'on Ut ses crits, on ne penserait jamais que Rhodes ou son oeuvre aient exist. Un monde les spare des dialecticiens marxistes. ^ Ce qui diffrencie peut-tre plus nettement la totalisation fonctionnaUste

    de la totalisation dialectique, c'est que la question pose sur la totalit n'est pas la mme. Le fonctionnalisme fait appel la totalit uniquement pour expUquer les parties, alors que la dialectique l'utiUse pour expUquer la totaUt et les parties par voie de consquence. Mme leur apoge, les fonctionnaUstes et leur thorie ne parvinrent pas, ni mme ne prtendirent analyser, discuter, comprendre et surtout annoncer l'existence et encore moins l'apparition ou la disparition d'un systme ou d'une structure sociale particuUre. Au contraire, en fonction de leurs vues thoriques, les fonctionnaUstes tiennent toujours la structure sociale existante pour acquise ; de sorte que leur thorisation ainsi que leur intrt pour la pratique sont Umites par le postulat, selon lequel la structure expUque l'existence des institutions particuUres, auxquelles les fonctionnaUstes aiment limiter leurs tudes scientifiques.

    De faon encore plus explicite, on peut souligner que des fonctionnaUstes tels que Merton, Davis, Durkheim, Radcliffe-Brown et d'autres commencrent leur tude fonctionnaUste globale par celle des institutions sociales particuUres (mais jamais par celle du systme social global ou de la structure globale) en se rfrant la fonction de ces fameuses institutions dans le systme social. Aprs l'chec de cette tentative, ils battirent en retraite pour montrer, tche beaucoup moins ambitieuse, comment ces institutions agissent l'intrieur du systme.

    Ces premires tentatives des fonctionnaUstes de rendre compte de l'existence d'institutions particulires en se rfrant leur fonction dans le systme social, choua, bien videmment, cause de son fondement tlolo- gique tout fait inacceptable, ainsi que des philosophes critiques tels que Hempel et Nagel l'ont montr dans leur analyse ; cela ne peut conduire qu' un dbat de sophistes sur les mariages entre cousins croiss, entre Lvi-Strauss,- Homans et Schneider, et les critiques de ce dernier l'ont confirm amplement dans les faits. Cependant, mme s'U tait possible pour rendre compte d'une institution, et en dpit de la courageuse tentative et de l'chec de Homans et de Schneider, de substituer une autre cause efficiente la conception classique mais inacceptable d'une cause tlologique qui oeuvrerait dans le sens de l'intgration sociale et du maintien du modle social, nanmoins la tentative pour expUquer l'existence d'une institution par sa fonction, pataugerait encore dans les obstacles de l'argument post hoc, ergo propter hoc

    La prise de conscience de ce talon d'AchUle de la thorie fonctionnaUste a conduit plus d'un de ses adeptes mener le combat sur un terrain o Us taient

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    moins vulnrables. Au Ueu de concentrer leurs efforts pour rendre compte de l'existence d'une institution par la vertu de sa fonction, Us cherchent actueUement montrer seulement comment elle est fonctionnellement articule avec d'autres parties du systme social. Dans ce cadre plus Umit, le fonctionnaUsme s'est rellement rvl tre un instrument adquat dans des mains expertes. Mais en ce sens, galement, Marx lui-mme devrait tre appel fonctionnaUste, si nous nous souvenons, par exemple, de sa proposition seion laqueUe la religion est l'opium du peuple . Ds lors, en ce sens Umit et de moindre porte, identifier et analyser une fonction sociale fait intgralement partie du marxisme comme de toute autre analyse dialectique de la socit. Comme Kingsley Davis le remarquait rcemment, et pour paraphraser John Maynard Keynes, long terme , nous sommes tous fonctionnaUstes. Par consquent, essayer d'oprer une synthse entre fonctionnalisme et dialectique ce niveau, ce n'est pas aller au del du marxisme dialectique, mais seulement le travestir, et travestir aussi d'autres analyses de la socit et ce qu'eUes ont de commun avec toute science sociale.

    Mais ce dplacement de l'attention des fonctionnaUstes sur la seule fontion d'une institution particulire, s'U n'est pas effectu en liaison avec une investigation scientifique, la fois thorique et pratique, dans tous les autres domaines, comme c'est le cas chez les meUleurs marxistes, rend son tour les fonctionnaUstes vulnrables en un autre sens, car de ce fait. Us abandonnent la totaUsation. Aprs tout, ce qui donne au fonctionnaUsme son caractre totalisant, vient de ce qu'U traite de la totalit ou du moins qu'U interprte la partie en termes de totalit. Mais lorsque les fonctionnaUstes, comme les conomistes, relguent la thorie de l'quiUbre gnral au premier paragraphe de leur analyse (ou plus souvent, l'oublient tout fait) ou lors qu'Us ont recours l'analyse d'quilibres partiels pour relier une partie du systme social une ou quelques autres d'entre elles, ds lors Us abandonnent mme le fondement totaUsant de toute construction synthtique possible.

    Il y a donc une grande diffrence entre les conceptions que le fonctionnaUsme et la dialectique dveloppent propos de la totaUt. Les fontionnaUstes, dans la mesure o Us n'abandonnent pas tout fait le principe scientifique universellement accept de totalit, ne parlent de la totaUt que pour expUquer la partie. Mais sur la totalit eUe-mme, Us ne s'interrogent

    r gure ; ils ne se demandent pas pourquoi eUe existe ou quelle est son origine et ce qui peut lui advenir ; Us ne posent pas la question de savon* si eUe est

    . acceptable, telle qu'elle est, ou non ; Us acceptent tout bonnement le systme global tel qu'U est et prennent pour argent comptant la structure sociale teUe. qu'ils la trouvent. Au mieux, Us essaient de la comprendre et peut-tre d'en

    . rformer une partie. Pour les marxistes au contraire, la condition sine qua non de la science est tout d'abord, prcisment, d'analyser et d'expUquer l'origine, la nature et le dveloppement du systme social dans son entier et sa structure comme un tout, et ensuite utiUser la comprhension de la totalit ainsi acquise comme la base ncessaire de l'analyse et de la comprhension des parties. C'est l que rside sa vocation totalisatrice. Nous voyons ainsi quel point diffrent, aussi bien sous cet angle, fonctionnalisme et dialectique, et combien contrefaite peut paratre toute tentative de synthse.

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    D'autre part, on s'aperoit que la ressemblance entre les totalits du fonctionnaUsme et de la dialectique n'est relle que si l'on se limite la totaUt que les fonctionnaUstes choisissent d'tudier et aux critres de slection utUiss par eux. Poser la bonne question, dit-on souvent, c'est dj y rpondre moiti. Et poser une mauvaise question ou choisir une mauvaise totaUt ne permet jamais d'obtenir la bonne rponse. Il est notoire, et certains pensent que c'est l une vertu, qu'U n'existe pas de restriction dans la thorie ou la pratique fonctionnaUste dans le choix comme objet d'tude de quelque vieille totaUt. La famille, les associations, la communaut, l'industrie, la nation, le monde Ubre, les systmes sociaux imaginaires, tout cela se vaut. Et tout critre de discrimination entre eUes est dtermin, le plus souvent, par un simple intrt ou une convenance personnelle. Mme lorsque les meUleurs d'entre les fonctionnaUstes dsirent liminer la cause du mal social : souffrance, ignorance, crime, pauvret, exploitation, sous-dveloppement, guerre ou tout autre flau, Us essaient, sans perdre contenance, de la trouver dans la structure de la communaut tribale ou rurale, de la famille traditionnelle et, poursuivant encore plus avant dans cette voie, mme au niveau des insuffisances individuelles.

    On peut tre amen penser que l'application la fois thorique et pratique de l'analyse d'une totaUt sociale faite dans ce but n'est pas du tout pertinente. De plus, on peut se demander pourquoi les fonctionnaUstes trouvent commode, ou du moins tellement intressant, de prendre en considration prcisment ces totaUts-l, pour trouver des rponses aux problmes brlants de l'humanit. Quoi qu'il en soit quiconque s'est engag dans une teUe tude totaUsante et veut encore conserver la perspective mondiale que lui prsente son journal quotidien, doit srement von* que l'attitude qui consiste chercher les causes et plus encore les remdes nos maux dans la structure sociale d'une seule communaut soi-disant isole, dans une seule partie d'une socit qu'on estime duaUste, ou seulement dans une socit soi-disant nationale ou dans le seul tiers d'un monde que Wendel Wilkie avait dj dfini juste titre comme formant un tout, est une mthode empiriquement fausse, thoriquement inadquate et pratiquement absurde.

    Les marxistes naturellement ne voient la totalit dterminante, empiriquement et thoriquement, que dans le seul systme capitaUste mondial, et les meUleurs d'entre eux, dans la structure de la socit mondiale qui ne contient pas seulement le capitaUsme, mais aussi, maintenant le sociaUsme. Aucun marxiste sens ne voudrait, au nom du matrialisme historique qu'U faut distinguer du dterminisme conomique, bien qu'on les confonde souvent suggrer que la structure des moyens de production, ou les diffrences dans leur appropriation, au sein de la famille, de la communaut ou simplement dans l'Etat moderne, soient le seul fondement dterminant des conflits de classe, et de l'volution historique.

    La raison en est, bien sr, que le critre de slection qu'utilisent les dialecticiens marxistes pour la dtermination de la totaUt sociale qui doit tre tudie, ne provient pas de leurs propres intrts et dsirs, mais bien plutt de la raUt sociale elle-mme. Contrairement ce que l'on dit d'eux dans certains cercles, cet gard tout au moins, les marxistes, la diffrence d'autres

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    sociologues, ne substituent pas leurs dsirs la ralit. Bien mieux, ils prennent la ralit teUe qu'elle est, mais la trouvant inacceptable, travaillent la transformer ; et prenant un point de vue totaUsant dans la conception qu'Us ont de la partie, en tant qu'elle est dtermine par le tout, Us ne cherchent pas transformer le particulier, isol de la totalit. A la diffrence des fonctionnaUstes, Us cherchent provoquer le changement social, c'est--dire en changeant la structure sociale du tout qui est dterminante pour la partie.

    L'examen lmentaire du fonctionnalisme et de la dialectique marxiste que nous venons de fane, nous dmontre donc qu'U existe des diffrences fondamentales entre la totaUsation de l'un et de l'autre. La premire synthse du fonctionnaUsme et de la dialectique est entirement vicie par le fait que ces deux mthodes ne se rfrent pas la mme totaUt, ne parlent pas le mme langage son propos, et ne peuvent en traiter de la mme faon.

    2 - INTEGRATION ET CONFLIT. La deuxime synthse propose entre le fonctionnaUsme et la dialectique

    est fonde sur leur convergence suppose propos de l'intgration sociale et du conflit social. Le fait est que les fonctionnaUstes, implicitement ou expUcite- ment, rejettent toute considration sur la dsintgration long terme ; car la thorie fonctionnaUste nous assure qu'U y a, et qu'U doit y avoir, une tendance qui, long terme agit en faveur de l'intgration sociale dans tous les systmes sociaux existants. Mais l'analyse fonctionnaUste, qui ne prend en considration que le court terme, ne peut, de ce fait mme, apporter de preuve empirique pour tayer son hypothse d'une intgration long terme. Alors sur quoi les fonctionnaUstes fondent-Us leur analyse sur la ncessit suppose de l'intgration en y associant l'impossibilit suppose de la dsintgration ?

    C'est une autorit et non la moindre, puisque c'est Talcott Parsons lui-mme, qui a trait ce problme trs succinctement et, de ce fait, a aussi clarifi la divergence reUe et la synthse imaginaire entre le fonctionnaUsme et l'interprtation dialectique de l'intgration sociale. Pour commmorer le centenaire du Manifeste communiste Parsons a crit un essai intitul Classes sociales et conflits de classes la lumire de la rcente thorie sociologique (rimprim dans ses Essais sur la thorie sociologique), o U expU- quait :.... les marxistes traitent la structure socio-conomique de l'entreprise capitaliste comme une seule entit indivisible plutt que de la dcomposer analytiquement en un ensemble de variables distincts. C'est cette dmarche qui s'avre, pour les besoins actuels, le trait le plus caractristique de l'analyse sociologique moderne.... Il en rsulte une modification de la vision marxiste L'insistance sur l'infrastructure ne porte plus sur... la thorie de l'exploitation, mais plutt sur la structure des rles professionnels.... Par consquent, les conflits ne paraissent plus aussi invitables .I1 dcoule de tout cela, comme Parsons le note bien plus loin, que la stratification est une importante structure d'intgration dans le systme social . Dans ce contexte, la disposition des rapports sociaux est voue ncessairement la stabUit. Ainsi la base analytique de la soi-disant ncessit de l'intgration, que posent les

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    fonctionnaUstes n'a pu tre mieux clarifie que par Parsons : si l'on se limite l'tude des parties sans jamais partir de celle de la totalit sociale ce que font en rgle gnrale Parsons, d'autres fonctionnaUstes et la plupart des sociologues modernes les conflits sociaux internes semblent, ds lors participer un processus d'intgration. C'est seulement si l'on part de la totaUt sociale et si on la divise en ses parties constitutives, comme le font les marxistes, que le conflit apparat, finalement, dans sa fonction dsintgratrice. Des Chinois, tudiant la question, l'ont rcemment rsume succinctement : est-ce que deux fusionnement en un, ou .est-ce que un se divise en deux ? Il s'agit en fait de savoir si la ralit est une totaUt intgre ou seulement une srie de parties isoles ? C'est--dire que des personnes qui font autorit semblent penser que si, dans la ralit, nous trouvons un systme capitaliste entirement intgr, alors nous trouvons sa dsintgration.

    En raison de sa conviction fonctionnaUste, van den Berghe nous dit, dans son article ci-dessus mentionn, que l'utilit du modle intgr ou stable suggre que ce systme doit tre conserv.. ..Un minimum d'intgration doit certainement tre ncessaire a n'importe quel systme social pour subsister (p.697). Nous pourrions nous demander quelle est l'utiUt de ce modle, si Parsons n'avait pas dj fourni la rponse en des termes sans ambigut : Il en rsulte une modification de la conception marxiste.... l'accent mis sur l'infrastructure ne porte plus sur la thorie de l'exploitation . Pourquoi l'intgration est-elle ncessaire et pourquoi le modle doit-U tre sauv, c'est ce qui est expUqu trs clairement dans la page suivante :

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    thorie dialectique. D'aUleurs, en contradiction avec le point de vue fonctionnaUste, mais non pas avec la raUt, les dialecticiens distinguent diffrentes formes et divers degrs dans les conflits sociaux, au Ueu de leur assigner sans discrimination plus ou moins le mme poids thorique. Par consquent, les dialectiques marxistes peuvent galement inclure un type de conflit non dsintgrant dans leur thorie (et en fait Us le font). Pour ne prendre qu'un seul exemple, et non un des moindres, les marxistes voient clairement que les rapports entre les classes sont socialement intgrants, comme l'a montr Durkheim dans un texte clbre, et comme l'indique la citation de Parsons, dans la mesure o le procs de production est organis de telle faon qu'U ncessite la coopration des classes dans la division du travaU. Ce n'est pas pour rien que les marxistes ont tellement insist sur le caractre social de la production. Mais la reconnaissance de ce fait n'empche par les marxistes ou la thorie dialectique de reconnatre galement la nature a-sociale de la distribution capitaUste de la marchandise, les interfrences conscutives dans le procs de production dues la mme structure monopoliste qui l'engendre, ainsi que les conflits de classe dsintgrants qui peuvent en rsulter. C'est prcisment cette capacit reconnatre et s'adapter de teUes contradictions qui rend la thorie dialectique marxiste tout fait diffrente du fonctionnaUsme. Est-ce cet aspect-l de la thorie dialectique que pourrait rcuprer le fonctionnaUsme ? Non, car U empche et exclut la fois, la dialectique du conflit et des contraires.

    Cette question de la dialectique du conflit et des contraires, c'est l'interdpendance dans la totalit de ples opposs l'unit des contraires au seni de la totaUt, ce qui rend la raUt double et cependant unique, duaUste et en mme temps moniste. Ainsi la dialectique marxiste conoit-elle les classes sociales, ainsi que toutes les autres contradictions comme se dterminant mutueUement dans un rapport conflictuel, et non pas comme une addition mcanique d'lments indpendants comme le fait la thorie fonctionnaUste de la stratification. La question est ici celle des rapports rciproques entre intgration et dsintgration, entre structure et changement, et d'un point de vue dynamique, ceUe de la ngation de la ngation.

    On ne trouve rien de cela dans le fonctionnaUsme. Dans la synthse que l'on nous propose entre l'intgration et les conflits sociaux, la tentative n'est pas tant de synthtiser le fonctionnaUsme et la dialectique que de sauver tout prix le fonctionnaUsme, mme si cela doit conduire non seulement dnaturer la thorie dialectique mais retirer tout crdit la pratique fonctionnaUste.

    3 - EVOLUTION.

    Le fonctionnaUsme et la dialectique ne convergent pas non plus, mais au contraire divergent en ce qui concerne la thorie de l'volution. Comme c'est le cas en ce qui concerne le conflit social, les fonctionnaUstes ont depuis longtemps incorpor le changement social au coeur mme de l'analyse fonctionnaUste de la socit. Une grande partie de la renomme de Raymond Firth, Marx Gluckman, Fred Eggan, Edmund Leach et mme des structuralistes

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    les plus connus, Malinovsky et Evans-Pritchard, repose prcisment sur leur analyse du changement social. Il existait certainement un changement social Tikopia, dans l'Afrique des Bantous, chez les Amrindiens, chez les montagnards birmans, chez les Trobriandais ou les Nuer. Est-ce que les fonctionnaUstes qui les ont tudis parlaient en prose dialectique sans le savoir ? La rponse est sans doute ngative.

    Ceux-ci et d'autres fonctionnaUstes ont depuis longtemps parl du changement social. Mais Us n'ont jamais abord la question de l'volution et encore moins ont-Us tent de la soumettre l'analyse dialectique. Comme Us ont procd avec le conflit social, et comme Raymond Firth l'a clairement exprim, avec un art consomm, sous le titre de : Organisation sociale et changement social dans son premier discours inaugural de prsident de l'Institut Royal d'Anthropologie, les fonctionnaUstes ont Umit leur analyse au changement social, et plus particuUrement ce qui est dtermin par la structure sociale existante du systme et se situe l'Ultrieur de celle-ci. Ils ne prennent pas en considration le changement du systme social lui-mme et de sa structure. En raUt, Us ne peuvent pas faire autrement, puisque dans leur thorie, c'est la structure sociale qui est l'origine du changement et non pas le changement qui est l'origine de la structure sociale, comme le veut la thorie marxiste. C'est pourquoi un nombre assez grand de fonctionnaUstes eux-mmes, comme Dahrendorf et Leach, ont pour quelque temps abandonn cette thorie fonctionnaUste qu'Us ont juge d'un parti pris utopique et conservateur la fois, et ont tent de s'en sortir en rformant la thorie sans toucher, cependant, chacun de ses postulats fondamentaux. Toute tentative d'tablir un paraUle entre le changement social au sein de la structure sociale, cher aux fonctionnaUstes, et le changement volutionniste, tant du systme lui-mme qu' l'Ultrieur de celui-ci, est certainement voue largir la dfinition classique de l'volution donne non seulement par Morgan et Engels, mais aussi par Gordon Childe, LesUe White et Julian Steward, jusqu' la rendre parfaitement mconnaissable. Bien qu'elle n'exclut pas des changements cycUques, fortuits ou spontans, l'volution est quantitativement et qualitativement diffrente. Selon la comprhension marxiste de l'volution, non seulement la structure sociale permet le changement social ou lui donne naissance, comme dans la conception fonctionnaUste, mais, ce qui est encore plus important, le processus permanent du changement social dtermine chaque moment particulier la structure sociale. Le changement social et l'volution ne sont pas conues comme des abstractions, comme une succession mcanique de thses, d'antithses et de synthses partir de rien, mais plutt comme l'existence reUe et simultane au sein d'une raUt sociale particuUre, de son pass, de son prsent et de son futur. Et l'origine la plus importante du changement et de l'volution rside dans la division dialectique de la totaUt en contraires. Comment, ds lors, le fonctionnaUsme pourrait-U analyser l'volution de la totaUt sociale si, comme nous l'avons vu, U ne prtend mme pas tudier la totaUt ?

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    4 - EQUILIBRE.

    On peut surtout retenir de la totalit fonctionnaUste, de l'intgration et des changements Ultrieurs au systme qu'U considre, que le fonctionnaUsme est un modle d'quUibre. Comme Raymond Firth le remarque dans son essai ci-dessus cit, portant sur l'organisation sociale et le changement social, l'analyse fonctionnaUste du changement postule que la structure sociale existante offre un nombre variable, mais Umit, d'alternatives, et que le choix social portant sur l'une d'elles va toujours dans le sens de l'quUibre, d'u U\ rsulte des changements sociaux cycUques qu'Us maintiennent l'quUibre au seni de la structure sociale stable et immuable o Us se produisent. Il en va autrement avec la dialectique. Loin d'tre uniquement cycUque, et Umit par la structure, le changement dans la thorie dialectique, pour ne pas dire dans la raUt, apparat comme un mouvement en spirale qui transforme la structure de la socit. O rside ds lors, pouvons-nous nous demander, la convergence du fonctionnaUsme et de la dialectique sur la question de l'quUibre social, o est la synthse ? La rponse se trouve page 704 de la synthse de M. van den Berghe : le fonctionnaUsme et la dialectique convergent vers un modle d'quUibre qui est compatible avec l'hypothse d'une tendance long terme l'intgration . C'est dire que la convergence rside dans le postulat de l'intgration et que la synthse repose sur la dnaturation de la dialectique, ou sur son ignorance, alors que c'est la condition sine qua non du marxisme, que la raUt sociale impUque sa propre ngation dsquUibrante et que la totaUt sociale contienne les dsquUibres structurels qui constituent les germes de sa propre volution et transformation.

    Dans la mesure o Us veulent laborer une synthse thorique du fonctionnalisme et de la dialectique, les fonctionnaUstes doivent supprimer de la thorie dialectique l'analyse de la formation, de l'existence et de la transformation de la totaUt sociale dterminante. Ils doivent tenu* pour impossible l'identification de ce processus avec le matriaUsme historique, dnoncer la division et l'interpntration dialectique des contraires comme confuse, et considrer toute influence extrieure au systme comme incompatible avec la dialectique. Aprs tout cela, nous ne pouvons qu'esprer que les fonctionnaUstes feront ds lors ce que M. Van den Berghe se dclarait lui-mme prt fane , c'est--dire abandonner le terme de dialectique .(p.701). Si les fonctionnaUstes abandonnent non seulement la dialectique, mais aussi son nom, qu'y aura-t-U ds lors synthtiser ? Seulement la thorie sociologique moderne elle-mme.

    CONCLUSION

    La tentative de synthse fonctionnaUste que nous avons passe en revue ici est un exemple significatif de l'hypothse de la thorie sociologique moderne , selon laquelle tous les hommes de sciences les fonctionnaUstes, les dialecticiens marxistes et d'autres encore sont Ubres de trier, de choisir et de synthtiser leurs mthodes de classification et d'analyse scientifique, en

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    fonction de leur propre fantaisie personnelle ou de leurs intrts sociaux. Le produit de cet effort de synthse est un magnifique exemple des rsultats scientifiques que produit cette Ubert mthodologique. Mais le domaine de la science, comme tout autre domaine o s'exerce la Ubert, est Umit par la raUt et ne s'accomode pas d'une imagination dbride. Aussi les marxistes occidentaux matrialistes comme les philosophes idalistes de l'Est, ont-Us achopp sur ce point, car la vritable Ubert rside dans la connaissance de la raUt et dans l'adaptation. Quoique nombre d'entre nous, fonctionnaUstes, marxistes et autres, comprenions que la thorie fonctionnaUste, telle qu'elle est, est inadquate pour analyser la ralit dont nous avons l'exprience et que nous connaissons, cela ne donne en aucun cas aux fonctionnaUstes le droit de fane avec le fonctionnaUsme et la thorie scientifique ce qu'Us veulent. O les marxistes iraient-Us, s'Us ngligeaient les sauts qualitatifs que la ralit dialectique leur impose sur le plan de la mthode et de l'analyse ; de mme les fonctionnaUstes, s'Us pensaient s'affranchir des limites que la thorie fonctionnaUste et la raUt imposent leur analyse de cette dernire, ainsi que pour les physiciens s'Us ne' tenaient pas compte de l'atome et de l' univers ? Peut-tre, comme ces minents mtaphysiciens, anciens ou modernes, devraient-Us s'loigner de notre pauvre monde de misre pour se pencher sur d'autres objets d'tude et achever la grande synthse finale de la totalit, qui intgre tout et produit des anges de synthse, faisant de l'quilibre sur quatre ou cinq jambes synthtiques.

    Traduit par Nello Zagnoli Ecole nationale d'Economie Universit nationale autonome de Mexico Mexico, D.F. Mexico.

    Dpartement d'Economie Universit Sir George Williams - Montral 25 Canada

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    PlanI. La totalit2. Intgration et conflit3. volution4. quilibreConclusion