1905 Salomé - Eklablogekladata.com/rdvopera.eklablog.com/perso/articles rvo/rvo... · 2013. 10....

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26 Livret du compositeur, d’après le poème Salomé d’Oscar WILDE Création Hofoper, Dresde, le 9 décembre 1905 Production Opéra National de Bordeaux Direction musicale : Kwamé RYAN Mise en scène et scénographie : Dominique PITOISET Costumes : Axel AUST Lumières : Christophe PITOISET Chanteurs Hérode : Roman SADNIK Hérodiade : Hedwig F ASSBENDER Salomé : Mireille DELUNSCH Jochanaan : Nmon FORD Narraboth : Jean-Noël BRIEND Le Page : Aude EXTRÉMO Premier Juif : Eric HUCHET Deuxième Juif : Xavier MAUCONDUIT Troisième Juif : Vincent DELHOUME Quatrième Juif : Vincent ORDONNEAU Cinquième Juif : Antoine GARCIN Premier Nazaréen : Sébastien SOULÈS Premier soldat : Thomas DEAR Orchestre National Bordeaux Aquitaine A voir... A l’Auditorium de Bordeaux : 21, 24, 27 et 29 mars 9 cours Georges Clémenceau - Bordeaux De 8 à 85 - Réservations : 05 56 00 85 95 Richard Strauss 1905 Opéra en un acte S Cette œuvre, rarement donnée, est la première production d’opéra à être présentée dans le nouvel auditorium de Bordeaux, et Kwamé Ryan décrit les raisons de ce choix. Mireille Delunsch, artiste associée à l’Opéra National de Bordeaux en 2012/2013, fera ici sa prise de rôle de Salomé. Photos : Toutes les photographies de cet article - sauf page 32 - sont signées Frédéric Desmesure. Page 28 : Kwamé Ryan sur sa partition de Salomé ; page 29 : Roman Sadnik (Hérode) et Hedwig Fassbender (Hérodiade); page 30 : Roman Sadnik (Hérode) ; page 31 : Nmon Ford (Jochanaan) et Mireille Delunsch (Salomé) ; page 33 : Mireille Delunsch (Salomé) ; page 34 : Nmon Ford (Jochanaan), Mireille Delunsch (Salomé) et Jean-Noël Briend (Narraboth) Remerciements particuliers à la direction de l’Opéra National de Bordeaux et à l’agence Canal Com qui par leur diligence nous ont permis de vous présenter dans les temps ces images peu conventionnelles mais très touchantes de Salomé . Les photographies de cet article ont été prises au début des répétitions : si elles illustrent avec beau- coup de sincérité le travail des artistes de cette production et que la scénographie est bien là, il convient néan- moins de garder à l’esprit que les chanteurs ne portent pas sur ces images leurs costumes de scène, et que des modifications sont susceptibles d’intervenir dans la direction d’acteurs d’ici la présentation au public. alomé En haut : vue générale de la scénographie - En bas : le prisonnier Jochanaan

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Page 1: 1905 Salomé - Eklablogekladata.com/rdvopera.eklablog.com/perso/articles rvo/rvo... · 2013. 10. 4. · chanteur : j’exigeais que chaque note, mais vraiment chaque note, soit correcte.

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L i v r e t du compositeur, d’après le poème Salomé d’Oscar WILDE

C r é a t i o n Hofoper, Dresde, le 9 décembre 1905

P r o d u c t i o n Opéra National de Bordeaux

Direction musicale : Kwamé RYANMise en scène et scénographie : Dominique PITOISETCostumes : Axel AUSTLumières : Christophe PITOISET

C h a n t e u r s Hérode : Roman SADNIKHérodiade : Hedwig FASSBENDERSalomé : Mireille DELUNSCHJochanaan : Nmon FORDNarraboth : Jean-Noël BRIENDLe Page : Aude EXTRÉMOPremier Juif : Eric HUCHETDeuxième Juif : Xavier MAUCONDUITTroisième Juif : Vincent DELHOUMEQuatrième Juif : Vincent ORDONNEAUCinquième Juif : Antoine GARCINPremier Nazaréen : Sébastien SOULÈSPremier soldat : Thomas DEAR

Orchestre National Bordeaux Aquitaine

A v o i r. . . A l’Auditorium de Bordeaux : 21, 24, 27 et 29 mars9 cours Georges Clémenceau - BordeauxDe 8 à 85 € - Réservations : 05 56 00 85 95

Richard Strauss

1905

O p é r ae n u n a c t e

S

C ette œuvre, rarement donnée, est la première production d ’opéra à être présentéedans le nouvel auditorium de Bordeaux, et Kwamé Ryan décrit les raisons de ce choix .Mirei l le Delunsch , art iste associée à l ’Opéra National de Bordeaux en 2012/2013, feraici sa prise de rôle de Salomé.

Photos : Toutes les photographies de cet article - sauf page 32 - sont signées Frédéric Desmesure.Page 28 : Kwamé Ryan sur sa partition de Salomé ; page 29 : Roman Sadnik (Hérode) et Hedwig Fassbender(Hérodiade) ; page 30 : Roman Sadnik (Hérode) ; page 31 : Nmon Ford ( Jochanaan) et Mireille Delunsch(Salomé) ; page 33 : Mireille Delunsch (Salomé) ; page 34 : Nmon Ford ( Jochanaan), Mireille Delunsch(Salomé) et Jean-Noël Briend (Narraboth)

Remerciements particuliers à la direction de l’Opéra National de Bordeaux et à l ’agence Canal Com qui par leurdiligence nous ont permis de vous présenter dans les temps ces images peu conventionnelles mais très touchantesde Salomé . Les photographies de cet article ont été prises au début des répétitions : si elles illustrent avec beau-coup de sincérité le travail des artistes de cette production et que la scénographie est bien là , il convient néan-moins de garder à l’esprit que les chanteurs ne portent pas sur ces images leurs costumes de scène, et que desmodifications sont susceptibles d’intervenir dans la direction d’acteurs d’ici la présentation au public.

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L’alpha et l’omégaC’est assez troublant pour moi de consi-dérer les circonstances liées à Salomé :c’est à Londres en 2007 que j’ai joué cetopéra pour la première fois, et c’est la pre-mière fois aussi que Thierry Fouquet[directeur de l’opéra de Bordeaux qui achoisi Kwamé Ryan comme directeurmusical, ndlr] m’a vu diriger une produc-tion d’opéra. J’arrive maintenant à la finde mon travail à Bordeaux, et le livre del’aventure bordelaise se referme avec lamême œuvre qu’au premier chapitre.

Maintenant, une Salomé nouvelleUne chose est certaine cependant : je vaiscette fois diriger Salomé dans un tout autreesprit. Déjà le contexte est bien différent :j'ai plus d'expérience, moins de stress, etpuis je suis chez moi, c'est ma ville et c'estmon orchestre, et ça change tout.Le travail du cerveau est fascinant : j'ai àpeine regardé l’œuvre depuis 2007, maisj'ai l'impression que mon cerveau a conti-nué à travailler de son côté, j'ouvre la par-tition maintenant et j'ai la sensation queSalomé fait partie de moi, qu’un travail de

maturation s'est effectué.De plus, j'ai fait depuis un autre opéra deStrauss, et aussi des poèmes sympho-niques : mon expérience s’est vraimentenrichie pour présenter aujourd’hui uneSalomé nouvelle. Le processus est assezdifficile à décrire ou à analyser, mais danstous les métiers l'expérience est très pré-cieuse, je me sens maintenant beaucoupplus à l’aise, c'est sûrement Strauss qui estentré en moi, gentiment.

L’alpha et l’omégaC’est assez troublant pour moi de consi-dérer les circonstances liées à Salomé :c’est à Londres en 2007 que j’ai joué cetopéra pour la première fois, et c’est la pre-mière fois aussi que Thierry Fouquet[directeur de l’opéra de Bordeaux qui achoisi Kwamé Ryan comme directeurmusical, ndlr] m’a vu diriger une produc-tion d’opéra. J’arrive maintenant à la finde mon travail à Bordeaux, et le livre del’aventure bordelaise se referme avec lamême œuvre qu’au premier chapitre.

Maintenant, une Salomé nouvelleUne chose est certaine cependant : je vaiscette fois diriger Salomé dans un tout autreesprit. Déjà le contexte est bien différent :j'ai plus d'expérience, moins de stress, etpuis je suis chez moi, c'est ma ville et c'estmon orchestre, et ça change tout.Le travail du cerveau est fascinant : j'ai àpeine regardé l’œuvre depuis 2007, maisj'ai l'impression que mon cerveau a conti-nué à travailler de son côté, j'ouvre la par-tition maintenant et j'ai la sensation queSalomé fait partie de moi, qu’un travail de

maturation s'est effectué.De plus, j'ai fait depuis un autre opéra deStrauss, et aussi des poèmes sympho-niques : mon expérience s’est vraimentenrichie pour présenter aujourd’hui uneSalomé nouvelle. Le processus est assezdifficile à décrire ou à analyser, mais danstous les métiers l'expérience est très pré-cieuse, je me sens maintenant beaucoupplus à l’aise, c'est sûrement Strauss qui estentré en moi, gentiment.

KWAMÉ RYANimprégnédu génie

des intentionsnon écrites

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La dernière fois que je me suis exprimé dans Rendez-Vous Opéra, c’était pour y parler d’Ariane à Naxos, déci-dément Strauss nous poursuit ! Je ne peux m’empêcher d’être toujours surpris cependant quand je pense àStrauss écrivant cet Ariane si beau et si tendre, dont le texte recèle tant d'humanité que la musique ampli-

fie encore, et à ce même compositeur qui a écrit Salomé où se trouve tout l'inverse : beaucoup de dureté, de violen-ce, de choses extrêmes. Souvent je me pose la question de savoir comment un compositeur peut aller si loin dans desextrêmes opposés, comment un homme peut porter en soi des choses si contradictoires.

Pénétré de Salomé

Salomé

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Salomé

L’orchestre, machine diabolique…L’orchestre de Salomé est une formidablemachine alliant puissance et large spectrede couleurs. Citons déjà la variété des bois,six clarinettes pour commencer : deux cla-rinettes en la, deux en si bémol, une en mibémol, et une basse ce qui est rare. Chezles hautbois, Strauss utilise deux hautboisnormaux auxquels il ajoute un cor angléet un heckelphon (sorte de hautbois bary-ton un peu plus grand et plus grave que lecor anglé). Les flûtes sont normales, ontrouve aussi trois flûtes piccolos.

Par là-dessus, trois bassons, des contre-bassons, sans oublier des percussions trèsnourries, avec six percussionnistes. Pourfaire bonne mesure, nous avons aussi enfosse un harmonium et un orgue qui don-ne des couleurs particulièrement« gothiques » à la fin.L’orchestre demandé par Strauss est vrai-ment énorme, avec normalement seizepremiers violons, seize deuxièmes vio-lons, douze alto, dix violoncelles etcontrebasses… malheureusement toutn’entre encore pas dans notre fosse qui estpourtant déjà de très bonne taille.

… menée à plein régime…Strauss dans Salomé va jusqu'au bout descapacités de ses musiciens, jusqu’au boutde l’harmonie, jusqu’au fond des possibi-lités de l’orchestre en ce qui concerne lescouleurs, le mélange de tonalités, c’estfascinant pour un chef d’orchestre.Conduire l’orchestre de Salomé, c’estpiloter un avion de chasse ! Strauss pousse les choses à fond : pour l’or-chestre certains passages sont à peinejouables. Les musiciens sont poussés àl’extrême, et le résultat est une sorte de

stress, qui lui, est audible. Cela n’a rien àvoir avec les accords ou les notes elles-mêmes, il y a simplement des passages oùl’effet produit est une subtile combinaisonde l’essai de réaliser ce qui est écrit et dustress qui est le résultat de cet essai. C’estle mélange d’une expérience physique etpsychologique des musiciens de l’or-chestre en essayant de réaliser la partition.C’est aussi ça Salomé, sur le plateau com-me en fosse. L’œuvre n’est jamais facile àdiriger, mais je m’y sens bien, et c’est vrai-ment l’expérience qui change tout. On nepeut percevoir cette œuvre qu’avec uncertain recul.

… et qui possède les protagonistesOn arrive pratiquement à des intentionsnos écrites : faire palper à l’auditoire lestress du contexte. Strauss arrive à occu-per l’attention des musiciens dans la fos-se et sur le plateau d’une façon tellementprenante qu’ils en oublient leur réalité,submergés par le monde de Salomé. Jel’observe de façon tangible aux répéti-tions : l’orchestre est vraiment préoccupé,il y a un côté obsessionnel, les musicienssont possédés, Strauss les possède vérita-blement et comme tous les possédés ilsadorent ça, cela les mène au bout de leurscapacités. Jouer Salomé est particulière-ment extrême.De mon côté je vis au podium la mêmeexpérience d’instrumentiste : mon instru-ment c’est l’orchestre et le plateau, et unebonne part du résultat dépend de moi, dema sûreté, de ma fiabilité. La première foisavec Salomé, j’avoue que j’étais très pré-occupé par les notes elles-mêmes, j’étaistout à la minutie de l’exercice. Maintenantque j’ai digéré les notes, je vois l’œuvreavec un peu de distance et je suis capabled’apprécier des choses qu’on ne voit passi l’on se tient trop près de l’image. C’estde la peinture pointilliste, il faut reculerde quelque pas pour voir l’image commeelle a été conçue, et Strauss est un peuspécialiste de ça.Strauss nous offre aussi des moments, parexemple vers la fin, où après tous ces chal-lenges qui ont été posés, le texte devientplus facile à jouer, la musique devient plussimple, plus belle, il y a une sorte d’épa-nouissement musical mais aussi spirituel,on redevient capable de tout simplementapprécier la beauté du son. Certes, tout àla fin, le tragique revient à son comble,mais il y a comme une île de beauté dansles dernières vingt minutes : le derniergrand solo de Salomé. Lié à cette beauté,il y a bien sûr quelque chose d’absolu-ment horrifiant, et nous retrouvons cettedualité toute straussienne.

Pour Hérode, même démarcheQuand j’ai appris Salomé pour la premiè-re fois, j’étais trop intimidé par la parti-tion, particulièrement par la partie d’Hé-

rode, extrêmement difficile à chanter. Làencore Strauss va à l’extrême des possibi-lités de la voix : chanter chaque mot etchaque note correctement est possible,mais extrêmement difficile. A Londresj’avais appris la partie comme si je devaisla chanter sur scène moi-même, et je fai-sais comme un fou travailler ce pauvrechanteur : j’exigeais que chaque note,mais vraiment chaque note, soit correcte.Aujourd’hui que j’ai pris un peu de dis-tance, je pense que ce n’est peut-être pasce que Strauss voulait.Pour Hérode, Strauss a écrit une partie par-ticulièrement difficile, presque impos-sible à chanter parfaitement, et tout main-tenant m’incite à penser que son objectifprofond était de mener le chanteur à unendroit où il est déstabilisé, comme lafigure d’Hérode elle-même.Aujourd’hui, je demande au chanteur deconnaître très bien les notes évidemment,mais je pense aussi qu’à un moment don-né il faut savoir se libérer des intervalles,pour trouver quelque chose qui est entreles lignes, caché. Je suis persuadé queStrauss souhaitait profondément jouer decette fonction déstabilisante de la partition.

De plus, en laissant un peu de côté cetteprécision toute mécanique, on s’aperçoitqu’on trouve des couleurs incroyables,atteignables seulement en jouant avec letexte et les notes.C’est vraiment fascinant de prendre com-me point de départ le texte de la partition,puis d’y chercher et d’y trouver quelquechose qui est caché entre les lignes. Maisattention, pour que la porte s’ouvre et pourpouvoir arriver à ce point où l’on se sentassez libre pour permettre cette décou-verte, il faut passer par l’étude précise dechaque note.Le rôle ne tolère pas l’approximation, ils’agit seulement de comprendre l’inten-tion du compositeur qui n’est pas toujoursécrite, et pour cela c’est une certaine for-me d’interprétation qui est nécessaire. Ilfaut lire entre les lignes, et s’ouvrir à res-sentir ce qui n’est pas écrit.Le rôle d’Hérode est plus sportif, plus ath-létique et plus complexe que celui deSalomé. Là où se trouve Salomé, c’estencore beau et lisible : la folie est cachéejusqu’au dernier moment alors que la folied’Hérode est audible et visible dès la pre-mière mesure.

stress, qui lui, est audible. Cela n’a rien àvoir avec les accords ou les notes elles-mêmes, il y a simplement des passages oùl’effet produit est une subtile combinaisonde l’essai de réaliser ce qui est écrit et dustress qui est le résultat de cet essai. C’estle mélange d’une expérience physique etpsychologique des musiciens de l’or-chestre en essayant de réaliser la partition.C’est aussi ça Salomé, sur le plateau com-me en fosse. L’œuvre n’est jamais facile àdiriger, mais je m’y sens bien, et c’est vrai-ment l’expérience qui change tout. On nepeut percevoir cette œuvre qu’avec uncertain recul.

… et qui possède les protagonistesOn arrive pratiquement à des intentionsnos écrites : faire palper à l’auditoire lestress du contexte. Strauss arrive à occu-per l’attention des musiciens dans la fos-se et sur le plateau d’une façon tellementprenante qu’ils en oublient leur réalité,submergés par le monde de Salomé. Jel’observe de façon tangible aux répéti-tions : l’orchestre est vraiment préoccupé,il y a un côté obsessionnel, les musicienssont possédés, Strauss les possède vérita-blement et comme tous les possédés ilsadorent ça, cela les mène au bout de leurscapacités. Jouer Salomé est particulière-ment extrême.De mon côté je vis au podium la mêmeexpérience d’instrumentiste : mon instru-ment c’est l’orchestre et le plateau, et unebonne part du résultat dépend de moi, dema sûreté, de ma fiabilité. La première foisavec Salomé, j’avoue que j’étais très pré-occupé par les notes elles-mêmes, j’étaistout à la minutie de l’exercice. Maintenantque j’ai digéré les notes, je vois l’œuvreavec un peu de distance et je suis capabled’apprécier des choses qu’on ne voit passi l’on se tient trop près de l’image. C’estde la peinture pointilliste, il faut reculerde quelque pas pour voir l’image commeelle a été conçue, et Strauss est un peuspécialiste de ça.Strauss nous offre aussi des moments, parexemple vers la fin, où après tous ces chal-lenges qui ont été posés, le texte devientplus facile à jouer, la musique devient plussimple, plus belle, il y a une sorte d’épa-nouissement musical mais aussi spirituel,on redevient capable de tout simplementapprécier la beauté du son. Certes, tout àla fin, le tragique revient à son comble,mais il y a comme une île de beauté dansles dernières vingt minutes : le derniergrand solo de Salomé. Lié à cette beauté,il y a bien sûr quelque chose d’absolu-ment horrifiant, et nous retrouvons cettedualité toute straussienne.

Pour Hérode, même démarcheQuand j’ai appris Salomé pour la premiè-re fois, j’étais trop intimidé par la parti-tion, particulièrement par la partie d’Hé-

rode, extrêmement difficile à chanter. Làencore Strauss va à l’extrême des possibi-lités de la voix : chanter chaque mot etchaque note correctement est possible,mais extrêmement difficile. A Londresj’avais appris la partie comme si je devaisla chanter sur scène moi-même, et je fai-sais comme un fou travailler ce pauvrechanteur : j’exigeais que chaque note,mais vraiment chaque note, soit correcte.Aujourd’hui que j’ai pris un peu de dis-tance, je pense que ce n’est peut-être pasce que Strauss voulait.Pour Hérode, Strauss a écrit une partie par-ticulièrement difficile, presque impos-sible à chanter parfaitement, et tout main-tenant m’incite à penser que son objectifprofond était de mener le chanteur à unendroit où il est déstabilisé, comme lafigure d’Hérode elle-même.Aujourd’hui, je demande au chanteur deconnaître très bien les notes évidemment,mais je pense aussi qu’à un moment don-né il faut savoir se libérer des intervalles,pour trouver quelque chose qui est entreles lignes, caché. Je suis persuadé queStrauss souhaitait profondément jouer decette fonction déstabilisante de la partition.

De plus, en laissant un peu de côté cetteprécision toute mécanique, on s’aperçoitqu’on trouve des couleurs incroyables,atteignables seulement en jouant avec letexte et les notes.C’est vraiment fascinant de prendre com-me point de départ le texte de la partition,puis d’y chercher et d’y trouver quelquechose qui est caché entre les lignes. Maisattention, pour que la porte s’ouvre et pourpouvoir arriver à ce point où l’on se sentassez libre pour permettre cette décou-verte, il faut passer par l’étude précise dechaque note.Le rôle ne tolère pas l’approximation, ils’agit seulement de comprendre l’inten-tion du compositeur qui n’est pas toujoursécrite, et pour cela c’est une certaine for-me d’interprétation qui est nécessaire. Ilfaut lire entre les lignes, et s’ouvrir à res-sentir ce qui n’est pas écrit.Le rôle d’Hérode est plus sportif, plus ath-létique et plus complexe que celui deSalomé. Là où se trouve Salomé, c’estencore beau et lisible : la folie est cachéejusqu’au dernier moment alors que la folied’Hérode est audible et visible dès la pre-mière mesure.

D irection musicale

« les musiciens sont possédés, Strauss les mène à l’extrême »

Œuvre infernale aux intentions filigranées

« La folie d’Hérode est audible et visible dès la première mesure »

Voir Rendez-Vous Opéra N° 18

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Vision floue au départSalomé est vraiment un opéra très parti-culier, et je me suis longtemps demandéecomment jouer le rôle. Salomé est-elle laproie de la folie, est-ce une petite fillegâtée, a-t-elle vraiment des instincts meur-triers, est-elle seulement une amoureusedéçue, ou tout cela en même temps ?J’ai eu avec Dominique Pitoiset unelongue conversation à ce sujet, et finale-ment il ne m’a pas tellement éclairée.Selon lui c’est tout cela à la fois, mais lesruptures sont surtout importantes dans cerôle : elles doivent être nettes et trèsrapides, le personnage doit passer d’unétat à un autre en une fraction de secon-de. Je gardais à l’idée que Salomé n’étaitpas folle, mais tout cela restait au fond unpeu confus.

Se nourrir des regards des autresJe suis de manière générale très sensibleau discours de l’autre, et le genre de per-sonnage de Salomé ne peut pas être abor-dé en solitaire. Les choses sont heureuse-ment bien faites : il y a un metteur en scè-ne, des assistants, des costumiers, des

décorateurs, et toutes ces personnesconcourent à notre vision. Echange etécoute nous permettent, au-delà des réfé-rences littéraires et autres, pas seulementde comprendre, mais aussi d’absorber.

Images et vision éclairantesDominique Pitoiset a intégré dans sa miseen scène une séquence vidéo, très belle ettrès originale, dans laquelle Hérode appa-raît vraiment comme un mauvais hommequi poursuit Salomé à différents âges desa vie. Tout est suggéré, de manière trèsfine et très belle, mais c’est absolumentlimpide. Ceci est certes un parti pris d’in-terprétation des circonstances, mais quipeut tout à fait fournir une vision de natu-re à influencer l’interprétation du rôle.Si l’on se raconte qu’en effet, outre soncomportement despotique et politiqueimmonde, Hérode est aussi un sale per-sonnage qui aurait abusé de sa proximitéde longue date avec Salomé, les chosess’éclairent d’un jour nouveau.On voit souvent le rôle de Salomé jouéavec hystérie, elle est sûrement un peuhystérique certes, mais là, la piste ouver-

te est formidable : plus besoin de jouer oude surjouer la folie ou quoi que ce soitd’autre, les événements suffisent et leschoses deviennent plus évidentes.Que Dominique Pitoiset pense à Salomécomme à une petite fille meurtrie m’a don-né un angle de vue différent, et mon inter-prétation s’en est affinée, curieusementmon jeu s’est imprégné de ces images.Je joue la fin différemment de ce quej’avais fait auparavant : Salomé met en jeusa propre vie, elle le sait obscurément,mais va au bout pour nuire à Hérode, dansune sorte de vengeance liée au désespoir.La mise en scène est glaciale. Magnifique,mais sans complaisance. Tout n’est qu’unequestion de discours, et tout est ici ample-ment justifié par le regard de DominiquePitoiset. J’étais un peu perplexe quand j’aivu les maquettes, mais tout s’intègresuperbement dans cette salle.D’habitude aux répétitions, être costuméeou pas ne change rien pour moi, je jouede la même façon. Là je me suis sentie dif-férente, je porte une grande robe un peubrillante argentée, très troublante, tout àfait le bel ornement sacrificiel…

Vision floue au départSalomé est vraiment un opéra très parti-culier, et je me suis longtemps demandéecomment jouer le rôle. Salomé est-elle laproie de la folie, est-ce une petite fillegâtée, a-t-elle vraiment des instincts meur-triers, est-elle seulement une amoureusedéçue, ou tout cela en même temps ?J’ai eu avec Dominique Pitoiset unelongue conversation à ce sujet, et finale-ment il ne m’a pas tellement éclairée.Selon lui c’est tout cela à la fois, mais lesruptures sont surtout importantes dans cerôle : elles doivent être nettes et trèsrapides, le personnage doit passer d’unétat à un autre en une fraction de secon-de. Je gardais à l’idée que Salomé n’étaitpas folle, mais tout cela restait au fond unpeu confus.

Se nourrir des regards des autresJe suis de manière générale très sensibleau discours de l’autre, et le genre de per-sonnage de Salomé ne peut pas être abor-dé en solitaire. Les choses sont heureuse-ment bien faites : il y a un metteur en scè-ne, des assistants, des costumiers, des

décorateurs, et toutes ces personnesconcourent à notre vision. Echange etécoute nous permettent, au-delà des réfé-rences littéraires et autres, pas seulementde comprendre, mais aussi d’absorber.

Images et vision éclairantesDominique Pitoiset a intégré dans sa miseen scène une séquence vidéo, très belle ettrès originale, dans laquelle Hérode appa-raît vraiment comme un mauvais hommequi poursuit Salomé à différents âges desa vie. Tout est suggéré, de manière trèsfine et très belle, mais c’est absolumentlimpide. Ceci est certes un parti pris d’in-terprétation des circonstances, mais quipeut tout à fait fournir une vision de natu-re à influencer l’interprétation du rôle.Si l’on se raconte qu’en effet, outre soncomportement despotique et politiqueimmonde, Hérode est aussi un sale per-sonnage qui aurait abusé de sa proximitéde longue date avec Salomé, les chosess’éclairent d’un jour nouveau.On voit souvent le rôle de Salomé jouéavec hystérie, elle est sûrement un peuhystérique certes, mais là, la piste ouver-

te est formidable : plus besoin de jouer oude surjouer la folie ou quoi que ce soitd’autre, les événements suffisent et leschoses deviennent plus évidentes.Que Dominique Pitoiset pense à Salomécomme à une petite fille meurtrie m’a don-né un angle de vue différent, et mon inter-prétation s’en est affinée, curieusementmon jeu s’est imprégné de ces images.Je joue la fin différemment de ce quej’avais fait auparavant : Salomé met en jeusa propre vie, elle le sait obscurément,mais va au bout pour nuire à Hérode, dansune sorte de vengeance liée au désespoir.La mise en scène est glaciale. Magnifique,mais sans complaisance. Tout n’est qu’unequestion de discours, et tout est ici ample-ment justifié par le regard de DominiquePitoiset. J’étais un peu perplexe quand j’aivu les maquettes, mais tout s’intègresuperbement dans cette salle.D’habitude aux répétitions, être costuméeou pas ne change rien pour moi, je jouede la même façon. Là je me suis sentie dif-férente, je porte une grande robe un peubrillante argentée, très troublante, tout àfait le bel ornement sacrificiel…

MIREILLEDELUNSCH :Une Salométourmentée

Salom

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J’aime ce rôle de Salomé, tout à fait dans ma vision de l’opéra : Salomé, c’est un cri, et l’opéra, c’est aussi uncri. En musique certes, mais un cri, qui me parle au plus profond de moi. Chanter m’est difficile, mais néces-saire, parce que justement c’est un cri. Le chant est une chose, le plaisir du chant en est une autre. Christa

Ludwig disait que « le plus jouissif dans le chant est de passer l’orchestre »… ici, quand j’entends ma voix au-des-sus de la grosse machine orchestrale de Salomé, là oui, c’est jouissif.

La clé pour Salomé : pouvoir s’ouvrir

Salomé

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« La mise en scène est glaciale.Magnifique, mais sans complaisance. »

Mireille Delunsch (D. R.)

Voir Rendez-Vous Opéra N° 18