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    Alternative Dispute Rsolution et Arbitrage

    L'volution des modes de rglement

    des litiges du commerce international

    par Philippe FOUCHARD

    Professeur l'Universit Panthon-Assas (Paris II)*

    A premire vue, il semble ais de distinguer l'arbitrage, mthode juridictionnelle de rglement des

    litiges1, et les mthodes alternatives (les ADR) qui reposent sur la recherche d'un accord transactionnel,

    avec ou sans l'intervention d'un tiers, et cela quelles que soient la mission et les qualifications de ce tiers,

    qu'il soit conciliateur, mdiateur, expert ou conseiller, et qu'il soit nomm par les parties, un juge, un

    arbitre ou une autorit quelconque. L'existence d'un litige, le dbat contradictoire et le pouvoir de dcision

    du tiers semblent les critres de l'arbitrage. Cependant, y regarder de plus prs, les frontires ne sont pas

    toujours trs nettes2, et elles le sont mme de moins en moins. Si l'on constate aujourd'hui - sans pour

    autant l'approuver - un certain rapprochement entre les ADR et l'arbitrage (B), c'est sans doute parce que

    ces mthodes alternatives de rglement des litiges ont elles-mmes prolifr, et ont connu, sous l'influence

    de la pratique, une profonde diversification (A).

    A - La diversification des ADR

    Par hypothse, les modes alternatifs de rsolution des diffrends (ADR) forment une catgorie

    ouverte3: ils ne se dfinissent d'abord que d'une manire ngative, ou rsiduelle, comme tant des

    mthodes non juridictionnelles de rglement4. Comme elles reposent exclusivement sur la volont

    * Ces pages constituent la seconde partie d'un article paratre dans l'ouvrage "Souverainet

    tatique et marchs internationaux la fin du XX sicle", Mlanges en l'honneur de Philippe Kahn,Litec, 2001.

    1Sur "la notion d'arbitrage", v. l'ouvrage portant ce titre, de Ch. Jarrosson, Paris, LGDJ, 1987.2V. Ch. Jarrosson, op. cit., passim.L'auteur montre notamment la ncessit - et les risques - de la

    qualification de l'arbitrage partir d'un faisceau de critres, p. 270 et s.3 En ce sens, Ch. Jarrosson, "Les modes alternatifs de rglement des conflits: prsentation

    gnrale",RID comp., 1997.325.4Parmi une littrature foisonnante, v. notamment B. Oppetit, "Les modes alternatifs de rglementdes diffrends de la vie conomique",Justices, 1995.53

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    commune des oprateurs conomiques, il n'est donc pas surprenant que l'imagination de ceux-ci,

    gestionnaires et juristes, se soit largement exprime. Dans le but d'aboutir une solution acceptable et

    accepte par les parties, les praticiens ont multipli les instruments qu'ils estiment les mieux adapts, dans

    chaque cas, leurs besoins, non sans tomber, parfois, dans un excs de sophistication.

    En simplifiant un tableau devenu trs complexe, on constate que cette prolifration s'est ralise,

    soit partir de l'expertise (pour mmoire) soit partir de la mdiation.

    La mdiation est le mcanisme-type du rglement amiable. On renoncera la distinguer de la

    conciliation5, mme si certains suggrent, sans insister, de voir dans la mdiation une espce de

    conciliation, une application d'une mthode amiable plus gnrale6, et d'autres une conciliation faisant

    ncessairement intervenir un tiers, et un tiers plus actif qu'un simple conciliateur7.

    Dans tous les cas, les parties conviennent de ngocier un rglement amiable avec l'assistance d'un

    tiers. Les variantes tiennent au rle de ce tiers, aux formes et au moment de son intervention. La

    dnomination employe peut avoir quelque porte: le conciliateur coute et rapproche; le mdiateur

    propose des solutions; le "facilitateur" aurait un rle plus modeste. Mais c'est surtout dans les clauses

    contractuelles ou les rglements des Centres permanents8 que l'on dcouvre les nuances infinies qui

    distinguent ces divers mcanismes.

    Certains d'entre eux prsentent une plus grande originalit, qui s'est marque d'ailleurs par une

    dnomination propre. Il en est ainsi par exemple du mini-trial 9. On sait qu'il s'agit d'un procs simul se

    droulant devant les deux directeurs gnraux des socits en litige, assists d'un conseiller neutre, et que

    les avocats ou reprsentants de chacune d'elles prsentent devant ce panel, dans un dlai limit, de brefs

    mmoires et de courtes plaidoiries. Celles-ci sont suivies d'une ngociation entre les deux dirigeants, que

    le conseiller neutre, gnralement un juriste, peut guider sur la voie d'une transaction. Commenant

    comme un procs et se terminant par une mdiation, le mini-trial est assez souvent pratiqu aux Etats-

    Unis10; il se dveloppe plus difficilement en Europe11.

    5 G. Herrmann, "La conciliation, nouvelle mthode de rglement des diffrends", Rev. arb.,

    1985.343.6J.Cl. Goldschmidt, "Les modes de rglement amiable des diffrends (RAD)",RDAI,1996.221.7Ch. Jarrosson, op. cit.8 G. Blanc, "La conciliation comme mode de rglement des diffrents dans les contrats

    internationaux", RTD com., 1987.173; M. Van Der Hagen, "Les procdures de conciliation et demdiation organises par les principaux instituts d'arbitrage et de mdiation en Europe",RDAI, 1996.255;N. Antaki, "Les modes alternatifs de rglement des conflits",Rev. libanaise arb., 1996/2, p. 20.

    9J. Cl. Najar, "Le mini-trial, chimre ou panace ? ",DPCI, 1988.451.10 Sous l'gide, notamment, du CPR (Center for Public Resources) et de l'AAA (American

    Arbitration Association).11 Notamment Zurich (v. D. Henchoz, "Mini-trial" Zurich-USA, Bull. Assoc. suisse arb.,1985.56) et auprs de l'Institut nerlandais d'arbitrage.

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    On retrouve la mme complexit dans d'autres formes d'ADR: la "mdiation-arbitrage" ou Med-

    Arb, est un peu le contraire du mini-trial: les parties conviennent d'une mdiation, et, en cas d'chec, elles

    acceptent l'avance que le mdiateur statue ensuite comme arbitre12.

    C'est aussi une vritable dcision que rendra le tiers dans la pratique du last offer arbitration

    (loa)13, o le tiers est amen, aprs avoir entendu les parties, se rallier la dernire proposition de

    transaction de l'une d'elles. Mais il est parfois convenu que la position que prend ainsi le tiers servira

    seulement de point de dpart d'une mdiation: c'est le medaloa14.

    Les mthodes alternatives de rglement des diffrends sont donc en plein essor; un peu par effet de

    mode; beaucoup pour fuir les drives du contentieux judiciaire et arbitral; mais peut-tre surtout pour

    rpondre des besoins de plus en plus divers et de mieux en mieux identifis. Et en se diversifiant, elles

    superposent les tapes et mlangent la nature des interventions et des pouvoirs des tiers. Elles deviennent

    ainsi de plus en plus complexes.

    Cette volution va les conduire sur une voie paradoxale. A l'origine, elles exprimaient toutes le

    souci de leurs promoteurs de se dmarquer de la voie contentieuse, d'tre une alternative, non seulement

    la justice tatique mais aussi et surtout l'arbitrage. Devenu trop long, trop cher, trop processuel, c'est luiqui cette fois, ferait les frais de ce que l'on a appel "la loi de substitution" 15. Simple hypothse, non

    vrifie16et non vrifiable. En revanche, il est facile d'observer que ces modes alternatifs tendent eux-

    mmes se juridiciser, se processualiser, et par l mme se rapprochent de l'arbitrage en tombant dans

    une partie des mmes travers17.

    B - Le rapprochement des ADR et de larbitrage

    12 R. Hill, "Med-Arb: New Coke or Swatch ?", 13 Arb. Intl 105 (1997); S. Zarkalam, "Les

    avantages et les inconvnients du "med-arb." comme mode alternatif de rglement des conflits",Rev. gn.proc., 1998.589.

    13Quon appelle aussi baseball arbitrationen raison de son utilisation pour fixer le prix de rachat,entre clubs, des joueurs de baseball.

    14 R. Coulson, "Medaloa: a practical technique for resolving international business disputes",Journ. Int. arb., march 1994, p. 111.

    15B. Oppetit, art. prc.., p. 53; Ch. Jarrosson, art. prc., p. 329.16La pratique de l'arbitrage ne faiblit pas, comme le montrent au moins les statitistiques de la CCI

    et l'activit croissante de Centres d'arbitrages de plus en plus nombreux.17 Sur les drives procdurales de l'arbitrage, v. notamment Ph. Fouchard, "O va l'arbitrage

    international", 34 Mc Gill L. Journ. 435 (1989); B. Oppetit, "Philosophie de l'arbitrage commercial

    international", JDI, 1993.811; J.B. Racine, "Les drives procdurales de l'arbitrage", in: Lestransformations de la rgulation juridique, sous la direction de J. Clam et G. Martin, Paris, LGDJ, 1998,p. 229 et s.

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    En soi, ce rapprochement peut paratre naturel. Modes conventionnels et privs de rglement des

    litiges, la voie arbitrale et la voie amiable se voient reconnatre par les Etats le mme domaine de licit:

    gnralement, les parties peuvent soumettre l'arbitrage les droits sur lesquels elles peuvent transiger

    (Code civil, art. 2059).

    Pour peu que l'on reste fidle sa philosophie, on devrait d'abord voir dans l'arbitrage un

    instrument de pacification, comme le sont la mdiation et la conciliation. L'amiable compositeur, dont la

    dnomination est si ambigu, n'est-il pas l'arbitre idal, recherchant une solution quitable et acceptable

    par les parties, aux frontires ou mme au del du droit18? Et l'on ne compte plus les arbitrages qui se

    terminent avant le prononc de la sentence, par un arrangement ou une transaction que l'arbitre a pu

    faciliter. Il arrive mme que les parties lui demandent de constater leur accord par une sentence, dite

    "d'accord parties", qui au fond s'apparente une transaction mais qui, en en revtant la forme, bnficiera

    du statut et des effets d'une sentence arbitrale19.

    En ralit, c'est plutt dans l'autre sens que s'opre le rapprochement entre l'arbitrage et les ADR.

    Ceux-ci se processualisent de plus en plus.

    Le mini-trial est trs significatif de cette volution: si son aboutissement (heureux) est unetransaction entre les deux dirigeants des socits en conflit, celle-ci n'est ngocie qu'au terme d'une

    procdure o les droits et les prtentions des parties ont t dbattus contradictoirement.

    Mais c'est un mouvement de fond auquel on assiste: les mthodes non contentieuses de rsolution

    des litiges sont de plus en plus souvent proposes aux parties et administres par des centres permanents,

    et spcialement des institutions d'arbitrage qui dveloppent donc paralllement des services de mdiation,

    d'expertise, etc... Ces mthodes alternatives se trouvent donc encadres, et, trs prcisment, soumises

    des rglement de procdure20 qui ressemblent fortement des rglement d'arbitrage. On exige du

    conciliateur ou du mdiateur qu'il soit aussi indpendant et impartial qu'un arbitre (alors qu'il n'a aucun

    pouvoir de dcision); on y prvoit des changes de notes ou de mmoires; on y envisage l'audition de

    18En ce sens, E. Loquin, L'amiable composition en droit compar et international - Contribution

    l'tude du non-droit dans l'arbitrage commercial , Paris, Litec, 1980.

    19Rglement d'arbitrage de la CCI de 1998, art. 26; Rglement d'arbitrage de la CNUDCI, art. 34;loi-type de la CNUDCI, art. 30.

    20Par exemple: le rglement de conciliation de la CCI (1988), qui pourrait bientt tre remplac

    par un rglement de mdiation plus ambitieux; le rglement de procdure relatif aux instances deconciliation du CIRDI; le rglement de mdiation de l'OMPI (1994); le rglement de conciliation de laCNUDCI (1980); sur ces procdures organises, v. aussi M. Van Der Haegen, art. prc.

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    tmoins et la nomination d'experts; on permet au mdiateur d'enjoindre aux parties de communiquer

    certaines pices; on y fixe des dlais, etc...

    Cette processualisation des ADR est assez inquitante; elle ne tardera pas provoquer les mmes

    drives que celles qui ont affect l'arbitrage: les parties et leurs conseils vont se prendre au jeu, par

    exemple rcuser un conciliateur souponn de prvention, invoquer l'irrecevabilit de notes ou de pices

    produites hors dlai, pire, exiger que le mdiateur respecte scrupuleusement le principe du contradictoire

    en lui interdisant d'entendre sparment chaque partie, etc... Entrans instinctivement ou

    professionnellement dans dans une attitude combative et contentieuse, ils oublieront que ces procdures

    ne portent en aucun faon atteinte leurs droits, qu'ils restent totalement matres de leur issue, puisque

    celle-ci, par hypothse, ne rglera le litige qu'avec leur accord. Mais peut-tre un jour demanderont-ils

    l'annulation de la transaction pour violation des principes fondamentaux de bonne justice lors de la

    procdure de conciliation qui l'aura prcde ? Appuyant cette tendance, certains auteurs estiment que la

    Convention europenne des droits de l'homme devrait s'appliquer aux ADR, que le fameux droit un

    procs quitable de l'article 6 devrait s'tendre et s'entendre comme le droit un rglement amiable

    quitable 21.

    Le mouvement se poursuit. En France, une "Charte de la mdiation" a t adopte22; en 1999, la

    CNUDCI, estimant que l'arbitrage appelait de sa part de nouveaux travaux, a constitu un groupe de

    travail pour tudier un certain nombre de questions. Et l'un des sujets qu'elle a retenus comme prioritaires,et qui est en effet tudi en premier par le groupe de travail, est prcisment la conciliation23. Dans son

    premier rapport, le groupe de travail examine de nombreuses et dlicates questions comme la recevabilit

    de certains moyens de preuve prsents durant la conciliation lors de procdures judiciaires ou arbitrales

    ultrieures, la possibilit de nommer ultrieurement le conciliateur comme arbitre, le caractre excutoire

    de la transaction, l'effet d'une convention de conciliation sur une procdure arbitrale ou judiciaire, l'effet

    de la conciliation sur le dlai de prescription, les principes directeurs d'une procdure de conciliation,

    etc... 24.

    Certaines de ces questions sont en effet dlicates; la pratique contractuelle, le bon sens, une

    dontologie lmentaire et les rgles gnrales de droit civil de la plupart des Etats y apportent cependant

    des rponses gnralement suffisantes. Est-il bien raisonnable, comme le proposent certains experts de la

    21V., dans l'ouvrage collectif prcit: Les transformations de la rgulations juridique, la seconde

    partie consacre aux nouveaux lieux et aux nouvelles formes de rgulation des conflits, et spc. M.Delmas-Marty, "Introduction", p. 209 et s.; S. Guinchard, "L'vitement du juge civil", p. 221 et s.; v.aussi, plutt en faveur de l'application des principes de justice universelle, Ch. Jarrosson, art. prc., spc.p. 229 et s.

    22Par le Centre national de la mdiation.23

    CNUDCI, 32me session, 1999, Doc. A/CN.9/460).24Rapport du groupe de travail sur l'arbitrage sur les travaux de sa 32me session, Vienne, 20-31mars 2000, A/CN.9/468, n 18 59.

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    CNUDCI, de s'engager dans une rglementation dtaille de la conciliation ? De rechercher chaque

    instant, pour ces mcanismes alternatifs, la protection de la rgle de droit et d'accentuer ainsi sa

    processualisation ? On sait o de telles drives conduisent parfois l'arbitrage. Elles pourraient atteindre

    leur tour les ADR. Il faudrait alors nouveau - et nul doute que d'minents spcialistes amricains, ceux-

    l mmes qui ont rendu inaccessible dans leur pays la justice tatique, dform et compliqu l'arbitrage

    international puis les mthodes douces de rglement des litiges, seraient les premiers nous montrer de

    nouveau la voie et rinventer la roue.