1529 et 1786, années d'émeute à lyon

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Les séditions des ouvriers de Lyon en 1529 - La grande Rebeyne - et en 1786 - Les trois pendus pour deux sous.

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1529 et 1786, années d’émeute à LYON

par Jean-Jacques TIJET

Les révoltes populaires, durant l’Ancien Régime, étaient dues à l’extrême misère des petites-

gens et elles furent réprimées sévèrement par la bourgeoisie soutenue par le roi. Elles avaient, comme nous allons le montrer, des causes justes et ne seront pas, comme celles des siècles suivants, polluées par des anarchistes et des manifestants professionnels jusqu’au-boutistes ; par contre elles seront menées – parfois - d’une façon un peu trop naïve !

C’est la faim qui déclenche l’émeute d’avril 1529 qui a traversé les siècles sous le nom de

« Grande Rebeyne ». La prospérité que la cité de Lyon avait acquise par les nombreux séjours de la Cour royale – à la fin du siècle précédent et au début du XVIe – et par son intense activité commerciale ne profite qu’à la classe aisée de la société ; le menu peuple, lui, ne voit pas ses conditions de vie évoluer, elles restent précaires, liées à la cherté des vivres (prix du pain essentiellement) et à la hantise du chômage (aggravé par la mono-industrie lyonnaise). En plus il n’avait jamais obtenu de droits politiques dans le Consulat, l’institution qui gère la ville, devenu au fil du temps une véritable autocratie. C’est lui qui était chargé de répartir les impôts demandés par le roi « à titre exceptionnel et temporaire » à sa bonne ville de Lyon ; il avait ainsi établi une redevance pour certaines denrées (vin et bétail en particulier) entrant dans la cité. Appelé « octroi » cet impôt était payé par tous les habitants en fonction de leurs besoins et non pas de leurs revenus. Toujours augmenté et jamais supprimé l’octroi était particulièrement mal perçu par la population. Dans celle-ci ce sont les artisans, encore organisés en confréries à cette époque, qui demandent de participer aux séances du Consulat. En vain, les 12 échevins1, issus de l’aristocratie bourgeoise de Lyon, qui composent le Consulat, refusent toutes modifications démocratiques concernant l’accès à l’échevinage : impossible donc aux maîtres-artisans de participer aux débats de cette institution et de contrôler l’administration de leur ville en particulier la répartition de l’impôt.

Dans les années 1515 à 1522, une tentative de démocratisation des élections et une demande de révision des comptes de la ville sont formulées par les artisans mais le Consulat, appuyé par le Parlement de Paris (dont Lyon dépend) refuse ces réclamations pourtant si justes et si sages. Non seulement on ne donne pas satisfaction à des demandes raisonnables mais en plus, les artisans les plus compromis sont emprisonnés puis sont obligés à faire, en public, amende honorable… un jour de marché, devant le grand portail de Saint-Nizier, tenant chacun dans leurs mains une torche de cire ardente de la pesanteur de trois livres, et là, à dire que, faussement et contre-vérité, ils ont injurié les conseillers et avancé mauvaises paroles… L’humiliation grandement ressentie par cette injustice sera une des causes de la révolte quelques années plus tard.

A Lyon, l’humeur de la population est, bien souvent, liée au prix du vin… Or pour la

construction des remparts de Saint Sébastien (ceux de la Croix-Rousse) demandée expressément par François Ier, le Consulat avait institué une taxe sur le vin2. Bien évidemment elle fut mal perçue

1 En 1495 Charles VIII leur a accordé la noblesse à eux et à leur postérité (enregistré par le Parlement de Paris qu’en 1544)

2 N’oublions pas que Lyon est une ville-frontière : la Savoie est aux portes de la ville au nord-est, après Caluire c’est la Bresse

donc la Savoie. France et Savoie seront en guerre en 1536 (voir mon texte sur Les occupations françaises de la Savoie)

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d’autant plus qu’elle intervient après des mois de cherté du pain provoquant disette et misère, dues à de mauvaises récoltes de blés en 1528 et à un hiver 1528-1529 particulièrement rigoureux.

C’est alors qu’un beau jour d’avril 1529, tout le peuple lyonnais passablement excédé est invité, par des placards affichés, à s’opposer et à se rebeller ; leur texte, signé par un « Pôvre » bien mystérieux, synthétise parfaitement le mécontentement de la population :

« L’en fait assavoir à toutes gens de la commune de la ville de Lyon,

Premièrement à tous ceux qui ont désir de soustenir le bien public, pour répugner la malice et fureurs des faux usuriers, plaise vous à avoir regard comme le détriment du blé nous tombe sus sans l’avoir mérité, à cause de leurs greniers pleins de blé, lesquels ils veulent vendre à leur dernier mot, ce que n’est de raison.

Et si Dieu n’y met la main, il faudra en jeter en l’eau tant y en a, et ainsi, vu la grâce Dieu et la bonne disposition du temps et qu’il ne se fait nuls amas de blé pour la guerre, et en outre que justice favorise avec gens gouverneurs et conseillers, usuriers et larrons, y mettre ordre.

Feignant user dignité, ils nous rongent de jour en jour, comme par vérité le voyez devant vos yeux advenir la cherté dudit blé et autres denrées, qui est chose vile et infâme ; par quoi à l’exemple des autres bonnes villes, que toute la commune soit délibérée y mettre bon ordre, telle que l’en fait au blé avant qu’on l’ôte de la paille, c’est qu’on le bat et escoux.

Il nous faut faire ainsi à ces maudits usuriers et à ceux qui ont greniers et enchérissent le blé. Sachez que nous sommes de quatre à cinq cents hommes, que nous sommes alliés.

Faisons savoir à tous les dessus-dits qu’ils aient à se trouver dimanche, après-midi, aux Cordeliers, pour donner conseil avec nous d’y mettre ordre et police, et ce sans faute, pour l’utilité et profit de pauvre commune de cette ville de Lyon et de moi.

Le Pôvre »3

L’appel est, ô combien, entendu et le dimanche 25 avril, plus de mille petites gens se réunissent sur la place des Cordeliers, forcent le couvent et sonnent le tocsin à l’église Saint-Bonaventure. Une bande se dirige ensuite vers Saint-Nizier et occupe l’église. Persuadée que les « riches » avaient accumulé du blé pour le revendre à haut prix (comme l’indique l’affiche) la foule s’en va dévaster non seulement le grenier à blé4 de la cité mais également les belles demeures des bourgeois qui stigmatisent le ressentiment de la population affamée. Celle de l’opulent médecin et seigneur consulaire Symphorien Champier, enfant du peuple parvenu à la noblesse et à la fortune, mais se montrant parfaitement hostile et méprisant envers la classe inférieure dont il était sorti5, fut particulièrement visée. Le pillage fut tel qu’il n’en resta que les murs et tous les tonneaux de la cave furent défoncés. Enfin bref la journée s’est certainement terminée, le vin aidant, dans la bonne humeur et dans l’espoir que les revendications demandées seront prises en compte (baisse du prix du blé - donc du pain - et diminution de la taxe sur le vin) d’autant plus que les échevins et notables apeurés s’étaient tous réfugiés et enfermés dans le cloître St Jean, protégé par ses solides et hautes murailles !

Pour quelles raisons les émeutiers, alors maîtres de la cité, la quittent le surlendemain et se dirigent vers le monastère situé sur l’Île-Barbe ? André Steyert6 avance l’hypothèse que ce sont les bourgeois eux-mêmes qui ont répandu adroitement, dans les rangs de la foule, la rumeur que c’étaient les moines de l’Île qui accaparaient les blés. Bien reçus par les religieux (assujettis à la règle de St Benoit) et constatant de visu que le couvent ne renferme pas de grandes provisions de

3 Texte récupéré sur le site de Lyon Novopress info

4 A-t-elle découvert du blé ? Personne ne le dit ! Se tenait-il à la place du Grenier d’abondance construit au début du XVIII

e ?

5 André Steyert

6 Dans son livre Nouvelle Histoire de Lyon

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blé les émeutiers, penauds, regagnent leur cité pour constater qu’elle est occupée par une force armée de 200 hommes…La répression va commencer et sera à la mesure de la grande frayeur qu’ont éprouvée les échevins et les notables.

Le 4 mai onze potences étaient dressées dans différents quartiers de Lyon, les arrestations et les exécutions commencèrent pour durer jusqu’en 15317. Une des premières victimes sera un dénommé Jean Mussy, tenu pour avoir été le chef de la révolte. Pendu début juin il restera au gibet assez longtemps pour que tous s’en dégoûtent8. La dernière exécution a été celle d’une femme coupable d’avoir dit « qu’il fallait tuer tous ces gros larrons de la ville ». Le menu peuple n’avait rien obtenu et retomba dans sa première servitude ; quant à la petite bourgeoisie (les artisans) non seulement elle n’obtint aucun rôle dans le gouvernement municipal mais en plus le Consulat lui interdit de se réunir en confréries prétextant que c’est à l’intérieur de celles-ci que « le Pôvre » avait recruté ses fidèles. La ville dut subir de longues années l’occupation d’un régiment du roi (Sébastien Charléty, dans son livre Histoire de Lyon, fait état de 3 000 lansquenets).

On ne peut quitter cette douloureuse histoire – et la comprendre - sans mettre en avant l’état d’esprit des notables de l’époque concernant la vision qu’ils avaient de la société. Laissons « la parole » à ce fameux Symphorien Champier :

Cette année mil cinq cent vingt et neuf, le blé a été du prix assez hautain, le bichet du prix de vingt-cinq sols, combien que de notre temps, il ait été plus cher de quinze sols pour bichet, du temps du roi Louis onzième, environ l’an 1481 ; et encore depuis environ l’an mil cinq cent et quatre, se vendait le blé vingt-six sols et si mourait le peuple de faim par les rues.

Et nonobstant icelle famine, le peuple de Lyon était paisible, sans murmuration aucune. Mais, depuis la venue de cette fausse secte, nouvellement non trouvée, mais renouvelée de ces maudits Vaudois et Chaignarts venant de Septentrion, unde omne malum et inquitas le peuple a pris une élévation et malice en lui, qui ne veut être corrigée ni de maître, ni de seigneur, ni de prince, si ce n’est par force. Et les serviteurs veulent être aussi bien traités que les maîtres ; et au lieu que de notre temps les serviteurs étaient humbles aux maîtres et étaient sobres, et boutaient force eau au vin, et les vignerons se contentaient du breuvage qui est aux vendanges, fait avec de l’eau mise dedans le marc après que le vin est tiré de dessus ledit marc.

Mais, de présent, veulent boire du meilleur vin, comme les maîtres, sans eau ni mixtion aucune, qui est chose contre toute raison, car Dieu veut qu’il y ait différence entre le maître et le serviteur, et le commande Saint-Pierre l’apôtre en son épître : être obéissant à son maître et croire son commandement, autrement le monde serait sans ordre, et les biens de terre demeureraient sans cultiver et sans labourer…9

Que penser de ce texte qui heurte nos âmes du XXIe siècle, sensibles et empreintes d’un certain égalitarisme ? Héritage du Moyen Âge et des fameux 3 ordres, introduits par l’Eglise au milieu du Xe siècle et qui se veulent une répartition harmonieuse des Hommes, basée sur un échange mutuel de services ? Certainement pas car ce serait oublier que le 3e ordre, les laboratores, représente « ceux qui travaillent »…la terre (ce sont les fameux laboureurs) et non pas les bourgeois – habiles artisans, marchands, banquiers, entrepreneurs - qui n’apparaissent qu’au XIIe avec la prospérité économique responsable de l’essor des villes. Le problème de ceux-ci durant l’Ancien Régime sera toujours de se trouver une voie entre le « peuple » dont ils sont issus mais dont ils veulent se séparer et la classe privilégiée et aristocrate dont ils se sentent proches – par leur aisance et leur érudition - mais qui les rejette. Conscients de leur valeur et fiers de leur réussite sociale ils auront du mal à se faire reconnaître en tant que tels. Leur positionnement dans la société sera toujours plus ou moins ambigu jusqu’à la Révolution de 1789. Malgré tout, lors des futurs Etats Généraux, leurs représentants siègeront avec le Tiers Etat.

7 Je n’ai trouvé nulle part un nombre de victimes

8 D’après Louis Bourgeois dans son livre Quand la cour de France vivait à Lyon 1494-1551

9 Texte en provenance de l’article sur la Grande Rebeyne de Wikipédia. Les vaudois sont considérés comme des hérétiques

car ils prêchent le retour à la pureté évangélique, jette l’anathème sur les richesses du clergé… (disciples de Pierre Valdo riche

marchand lyonnais de la fin du XIIe). Pour plus de détail consulter mon bouquin Les grandes Heures du beau XII

e…. Quant aux

chaignards ce sont les albigeois ou cathares. Le bichet est une unité de mesure de l’époque, à Lyon il est de 34 livres (1L=418g)

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A leur décharge il faut remarquer cependant qu’ils n’abandonnaient pas les petites gens en détresse : ils distribuent des vivres durant les grandes famines (comme en 1531, pendant 52 jours la ville nourrit à ses frais 5 054 pauvres en leur fournissant 250 000 livres de pain10) et sont à l’origine – par leur don - de nombreuses institutions charitables comme l’Aumône générale (futur hospice de la Charité) et de la construction d’hôpitaux (l’hôpital St Laurent11 par exemple) destinés aux plus démunis. Etait-ce, comme aujourd’hui « les grands et riches capitaines d’industrie en retraite » qui créent des fondations caritatives, pour se faire pardonner leur cupidité passée et trouver grâce non seulement auprès du Bon Dieu mais également auprès des hommes ?

Sources Je me suis inspiré de 2 livres qui évoquent l’histoire de Lyon, ceux d’André Steyert et de

Sébastien Charléty. Ces 2 « vrais » historiens n’évoquent pas, contrairement à ce que j’ai pu lire sur des sites Internet, le saccage par les Lyonnais du monastère de l’Île Barbe … Le couvent où les émeutiers furent bien reçus et hébergés, ne fut pas attaqué… selon S. Charléty. C’est Louis Bourgeois dans son bouquin Quand la cour de France vivait à Lyon qui évoque le nom du meneur Jean Mussy ; par contre la lecture de son chapitre consacré à cet épisode de la vie lyonnaise ne m’a rien apporté !

A la veille de la Révolution la Grande Fabrique lyonnaise d’étoffes d’or, d’argent et soie a une réputation sans pareil en Europe. Son prestige est tel que tous les aristocrates qu’ils soient russes, prussiens ou espagnols veulent être habillés par les soyeux lyonnais ; pour embellir leurs palais et recouvrir leurs salons et fauteuils ils demandent de somptueuses étoffes tissées à Lyon comme les taffetas et les velours. Avec ses 15 000 métiers (en 1784) elle fait travailler plus de 30 000 personnes12 et Lyon est alors la première ville ouvrière de France mais aussi la plus commerçante du monde. Le règne de Louis XV de 1715 à 1774 doit être considéré comme la haute période de sa prospérité.

Elle n’est pas cependant exempte de problèmes. Le premier est celui relatif à toute industrie de luxe, la demande – liée à l’opulence et aux

besoins d’une classe de privilégiés - peut fluctuer considérablement. Par exemple après le décès de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse en 1783 (la mère de la reine de France Marie-Antoinette) Versailles et Vienne « se revêtent de noir » et le luxe vestimentaire banni provoque le chômage de plus de 5 000 ouvriers et de leurs familles. Après 1789 la Fabrique perdra sa clientèle et sera obligée de réduire le nombre de ses métiers à 3 500.

Le second est lié à son organisation et à l’état d’esprit des gens de cette époque. Les principaux acteurs de cette industrie particulière étaient au nombre de 3 : les maîtres-marchands chargés du négoce uniquement, les maîtres-ouvriers marchands qui travaillaient et vendaient et les maîtres-ouvriers à façon qui travaillaient uniquement ; ceux-ci, propriétaires de leur outil de travail (métier à tisser) sont obligés, pour vendre leur produit fini (étoffes et draps) de passer par

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Sources : André Steyert page 59 tome 3 de sa Nouvelle Histoire de Lyon 11

Il se situait à proximité de la montée du même nom aujourd’hui 12

Selon Louis Trenard dans sa Révolution française dans la région Rhône-Alpes. Certains historiens citent souvent 100 000

personnes, ce nombre signifie alors le nombre de personnes qui vivent de la Fabrique (ouvriers + leur famille).

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l’intermédiaire d’un maître-marchand ; c’est ce dernier qui fixe ainsi le prix de façon donc le salaire du tisseur et de ses compagnons éventuels13.

La prospérité de la Fabrique profitait essentiellement aux premiers qui se montraient exigeants à la fois sur la qualité et sur le prix de revient. Comme les prix des produits de base pouvaient augmenter, alors pour maintenir la compétitivité, les salaires devaient rester stables, entraînant la misère des ouvriers à cause de la cherté des vivres. D’ailleurs il n’était pas dans les habitudes de l’époque d’améliorer les conditions matérielles de la classe ouvrière « Il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais, qu’il n’ait précisément que ce qu’il lui faut pour bien se nourrir et se bien vêtir. Dans certaine classe du peuple, trop d’aisance assoupit l’industrie, engendre l’oisiveté et tous les vices qui en dépendent14 ». Voilà de singuliers propos qui, a posteriori, justifient la Révolution !

Durant la première partie du XVIIIe c’est la structure même de la Fabrique qui est mise en

cause. Les maîtres-marchands essaient d’éliminer la concurrence des maîtres-ouvriers-marchands en obligeant ces derniers à choisir entre leur qualité de marchand et celle d’ouvrier, ce qui a pour effet d’interdire aux ouvriers de vendre eux-mêmes leurs étoffes. L’édit royal de mai 1731 qui institue ce principe est abrogé en 1737 mais rétabli en 1739. En juin 1744 le sujet est de nouveau sur la sellette et il est proclamé – de nouveau - l’incompatibilité entre les 2 professions ! Le 3 août plusieurs centaines d’ouvriers se mettent en grève et obtiennent le 6 la suppression du règlement en contraignant l’Intendant du roi15. Mais en mars 1745, la ville est occupée par un corps d’armée commandé par le comte de Lautrec, porteur d’un édit qui remet en vigueur celui de juin 1744 ! Pendant un mois il fait régner la terreur dans la cité : 2 ouvriers sont pendus après avoir été torturés, plusieurs sont condamnés au carcan et aux galères perpétuelles et vingt à des peines plus légères. Comme en 1529 ce sont les notables (les maîtres-marchands) qui ont obtenu satisfaction en faisant appel au roi et à ses forces armées.

Durant la seconde partie du XVIIIe les ouvriers, ayant pris conscience de leur valeur sociale, veulent surtout améliorer leurs conditions de travail qu’ils exposent avec une certaine dignité : « Venez dans nos ateliers, vous verrez quelques ouvriers se soutenir par un travail forcé de 18 ou 19 heures chaque jour, par un travail continu que les fêtes et les dimanches n’interrompent jamais. Vous les verrez excédés de fatigue refuser les aliments ou ne se repaître que des rebuts dédaignés par l’aisance, retrancher sans cesse quelque chose sur les besoins ordinaires ; vous les verrez couverts de haillons et leurs réduits dévastés16 ». En plus pour prouver le bien-fondé de leurs revendications ils dressent avec minutie et pertinence un tableau précis des dépenses et recettes annuelles d’un couple dont l’homme est maître-ouvrier et qui montre l’impossibilité de vivre - avec un travail continu sans accidents ni maladies - puisqu’il établit un déficit de 506 livres soit environ le 1/3 des recettes. Puisque personne ne s’étonnait et s’indignait de leurs conditions de vie miséreuses et puisque personne ne songeait à y remédier, ils vont se révolter et prendre leur destin en main.

Cela commence au mois d’août 1786 et, comme en 1529, à la suite d’un problème lié au

fameux « sirop de vigne » particulièrement prisé par le Lyonnais à toute époque, le vin17 ! Les fermiers (percepteurs aujourd’hui) de l’archevêque ont décidé de collecter l’antique « droit de banvin d’août18 » auprès des cabaretiers : tombé plus ou moins en désuétude c’est une dime de 3 livres

13

Il est difficile de donner des chiffres de répartition. Selon Trenard et Charléty : en 1731, 100 marchands, 750 maîtres-

ouvriers-marchands et 8 000 maîtres-ouvriers… mais pour ces 2 derniers avec ou sans leurs ouvriers et compagnons ? 14

Mémoire sur les fabriques de Lyon de Mayet (1786) cité par Louis Trenard 15

A Lyon c’est lui qui, représentant du roi, détient le pouvoir de celui-ci 16

Mémoire des fabricants à façon de la ville de Lyon rédigé en 1780 et cité par L. Trenard et C. Manceron 17

Le vin lyonnais de l’époque n’est pas encore le beaujolais mais un « pisse-dru » local peu alcoolisé et certainement peu

gouleyant ! Le vin du Beaujolais existe déjà mais bu sur place ou réservé aux bourgeois fortunés car le transport (par la Saône)

est onéreux. 18

Droit féodal fréquent en Lyonnais et Mâconnais : avant les prochaines vendanges le seigneur peut seul vendre son vin au

prix fort pour écouler le fond de ses cuves et de ses tonneaux (d’après G. Duby)

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par ânée19 de vin vendu à la chopine (« antique » c’est le moins que l’on puisse dire puisqu’elle faisait partie, comme droit conservé par l’archevêque comme celui de battre monnaie, de la charte signée à Vienne le 10 avril 1312 entre le roi, les bourgeois et l’Eglise de Lyon qui donne la juridiction du Lyonnais au roi20). Ces derniers, mécontents et considérant ce rappel d’impôt comme une brimade, décident alors de fermer leurs estaminets, ce qu’ils font les 2 derniers dimanches du mois de juillet. Cela crée une certaine agitation dans la cité car tous les ouvriers qu’ils soient soyeux ou chapeliers ou maçons21 ou imprimeurs ont l’habitude de se réunir et de boire dans les cabarets le dimanche, façon d’oublier en commun leurs tristes conditions de vie. Contraints d’ouvrir le dimanche 6 août les cabaretiers accueillent froidement leurs clients… dont certains auraient profité de cette fronde pour se réunir et formuler leurs revendications.

Pour parler vrai, la question se pose de savoir si les 2 évènements si proches dans le temps puisque l’un succède à l’autre, le mouvement ouvrier et la réclamation des arrérages du droit de banvin, ont été liés entre eux ? Rien n’est moins sûr. Si nous devons faire un rapprochement, faisons le avec la cessation du travail22 de 2 jours des compagnons et manœuvres maçons en juillet qui a été couronnée de succès : n’a-t-elle pas donné des idées aux ouvriers soyeux et chapeliers ?

Toujours est-il que le lundi 7 août la grande majorité des maîtres-ouvriers et simples ouvriers

tisseurs (que l’on n’appelle pas encore canuts) désertent leurs ateliers, traversent le Rhône par le pont de bois construit récemment par l’architecte Jean-Antoine Morand23 et s’en vont se réunir et se concerter dans un quartier des Brotteaux (alors plus ou moins marécageux et pratiquement pas habité) appelé Charpennes, réputé pour ses estaminets surtout fréquentés les jours fériés. Denis Monnet, maître-ouvrier, fait part par écrit de ses revendications qui sont approuvés par l’ensemble des grévistes : une augmentation du prix de façon de deux sous par aune (ce qui correspond à une augmentation d’un tiers entier des prix présents, logique et conforme au fameux budget d’un ménage d’ouvriers pour qu’il devienne équilibré)24.

Le mardi 8 le mouvement de révolte de la Fabrique est général (les ouvriers retournent aux

Charpennes) et entraîne celui des ouvriers chapeliers « approprieurs25 » qui demandent une augmentation générale du salaire de leur journée de travail. Ces derniers se réunissent au sud de la presqu’île dans un quartier en plein réaménagement26. Le soir, tisseurs et chapeliers (mais ne se mélangent pas puisqu’ils appartiennent à 2 corporations différentes…) se retrouvent devant la magnifique résidence du prévôt des marchands27 Louis Tolozan de Montfort (à l’extrémité ouest du pont Saint Clair - Morand aujourd’hui - quai Saint Clair à l’époque et aujourd’hui place Tolozan). Comme il n’apparaît pas aux émeutiers ceux-ci, furieux, dépavent la place (le large espace entre les quais et la façade) et lancent les pierres (galets en provenance des berges du Rhône) sur les façades de l’hôtel du prévôt.

Les tisseurs se dirigent ensuite vers la place de la Comédie puis vers celle des Terreaux et se placent devant l’hôtel de ville où siège le Consulat… qui tergiverse mais se décide à employer la

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L’ânée est une mesure spécifiquement lyonnaise… charge qu’un âne peut porter en un seul voyage… à peu près 80 pots 20

Voir mon texte sur L’histoire tumultueuse des comtés de Lyon et de Forez 21

Il y en a beaucoup à cette époque à Lyon pour effectuer les travaux des célèbres Perrache et Morand 22

A cette époque on ne parle pas de grève, terme pas encore en usage 23

Il sera guillotiné en 1794, victime parmi d’autres de la répression jacobine après le siège de Lyon en septembre 1793 24

Selon J. Beyssac dans son article La sédition ouvrière de 1786, cette demande d’augmentation a déjà été présentée au

Consulat en début d’année, en vain. 25

Ce sont ceux qui lustrent et repassent les chapeaux après qu’ils aient été bâtis, foulés et apprêtés 26

Les travaux ont été initiés par Antoine-Michel Perrache, mort en 1779 27

Nommé par le roi c’est lui qui préside le Consulat. Louis Tolozan survivra à la Révolution et mourra « dans son lit » en

1811. C’est son père, Antoine Tolozan venu à Lyon en sabot de son Dauphiné natal, qui a fait construire cette immense maison

terminée en 1746 et qui est à l’origine de cette famille de riches négociants et de banquiers, ayant amassé une considérable

fortune en peu de temps.

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manière forte : il fait intervenir une vingtaine de gendarmes28 montés qui auraient reçu comme consigne de ne pas tirer sur les manifestants ! Que peuvent-ils faire contre une foule vociférant, furieuse et compacte ? (la place des Terreaux n’est pas celle d’aujourd’hui : elle est plus petite et de pourtour irrégulier, enserrée par des maisons disposées n’importe comment et les bâtiments de l’abbaye St Pierre) Rien, que s’enfuir… ce qu’ils essaient de faire mais cette charge de cavaliers a eu le résultat d’exaspérer les émeutiers… « [ceux-ci] jetaient des pierres contre les troupes qui cherchaient à les repousser et contre l’hôtel de ville ».

C’est alors que sur le perron de l’hôtel de ville apparaît un officier de la milice bourgeoise – le capitaine Saint-Didier - qui brandit un papier sur lequel figure un texte approuvant l’augmentation de 2 sous… qui aurait dû satisfaire les manifestants tisseurs puisque c’est leur seule revendication. Eh bien non, les esprits sont trop échauffés et un dénommé Jean Cléry, un peu agité, se fraie un chemin jusqu’à l’officier, le bouscule et, enhardi par les cris de la foule, lui arrache le document des mains, l’examine et le déchire en déclarant qu’il n’était pas signé et que, par conséquent, le Consulat veut les berner !

La suite des évènements ne peut être que violente. Des ouvriers d’origine piémontaise « le couteau à la main » semblent les plus excités et, désignant les cavaliers qui se dirigent difficilement dans les rues conduisant aux berges de la Saône, crient « Il faut avoir leur vie » ! S’ensuivent des coups de feu tirés par les gendarmes qui utilisent ensuite leur sabre pour disperser les manifestants ou pour défendre leur vie. Ces heurts violents entre la maréchaussée et les grévistes font 7 blessés « officiels » puisque soignés à l’Hôtel-Dieu (mais beaucoup ont dû être emportés chez eux) dont un décèdera de ses blessures et un mort qui était… ouvrier cordonnier29 !

Ce sont ensuite les chapeliers approprieurs qui investissent la place des Terreaux. Plus calmes ils députent un des leurs Pierre Sauvage avec 3 autres compagnons, pour parlementer avec le Consulat… qui leur promet une réponse pour le lendemain.

Le mercredi 9 août matin Pierre Sauvage obtient la réponse du Consulat, elle est positive

« Victoire mes amis, déclare-t-il à qui veut l’entendre, on nous donne la journée à quarante sous30. Vive le roi et les magistrats de cette ville. Suivez-moi aux travaux [quartier Perrache pour nous], nous allons l’apprendre aux autres ! » Mais il découvre que le mouvement revendicatif n’est plus homogène : certains acceptent la promesse du Consulat et veulent retourner travailler fort satisfaits de ce qu’ils ont obtenu, d’autres veulent profiter du mouvement pour obtenir des conditions de travail plus avantageuses (horaires, embauches, apprentissage, etc.).

Chez les tisseurs, le même partage existe. A-t-on gagné ou se fait-on avoir ? Doit-on arrêter ou poursuivre avec d’autres revendications ? Et pourtant le Consulat avait rendu une ordonnance approuvant « l’augmentation de 2 sous par aune sur les taffetas d’Angleterre cinq huit, ainsi que sur les taffetas sept douze ; laquelle augmentation aura lieu en proportion sur les autres étoffes unies »31 ; elle était officielle puisque imprimée et affichée en ville dès mardi soir.

Si chez les grévistes, qu’ils soient tisseurs ou chapeliers, la situation est confuse concernant la suite à donner au mouvement, chez les notables consulaires (liés aux maîtres-marchands) par contre – qui ont eu très peurs et sont maintenant rassérénés par la discorde des ouvriers - la fermeté est décidée. Le procureur du roi au présidial32, Pierre-Antoine Barou du Soleil, fait afficher une ordonnance qui interdit dorénavant toute réunion…défenses soient faites à toutes personnes, artisans, compagnons, ouvriers et gens de métier de s’associer ni de s’attrouper, de s’assembler, ni de faire entre eux aucunes conventions contraires à l’ordre public… D’autre part le Consulat a fait appel à l’armée royale et un régiment de chasseurs du Gévaudan33 vient d’arriver pour aider la

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Lyon n’a pas de garnison royale, toute la force armée est municipale : la compagnie générale de la Maréchaussée, la

compagnie du guet, la compagnie des arquebusiers et la milice bourgeoise (d’après S. Charléty) 29

Parmi les 7 blessés il n’y avait qu’un seul ouvrier en soie… 30

Soit 8 sous d’augmentation 31

Cité par J. Beyssac 32

Le présidial est le tribunal de justice de l’Ancien Régime 33

Manceron et Benoît évoquent ce régiment mais d’où sort-il ?? Mystère mais certainement d’une ville proche de Lyon.

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Maréchaussée à contrôler la cité. Le vent a tourné : le mouvement populaire est désorganisé, les forces de l’ordre sont prêtes, le Consulat peut commencer la répression !

Nous sommes le 10 août et c’est alors qu’intervient l’Eglise ! Anticipant la sévérité de la

justice municipale, deux chanoines-comtes34 (du chapitre de la cathédrale donc), les frères de Clugny, vont essayer de calmer les ardeurs belliqueuses des plus déterminés des émeutiers puis, dans un deuxième temps, de protéger les meneurs, les chefs ceux qui ont entraîné les autres ouvriers à la révolte ou ceux, tout simplement, qui ont été les intermédiaire entre les grévistes et les notables-consulaires et… qui sont déjà recherchés par la police. C’est ainsi qu’ils font partir de la cité Pierre Sauvage, muni d’une lettre de recommandation pour leur 3e frère qui habite Pont-de-Beauvoisin… à proximité de la frontière franco-sarde.

Les autorités consulaire et judiciaire ne traînent pas en besogne : la répression va être rapide et efficace. Dès le soir du 10, plusieurs arrestations ont lieu, 6 hommes dont 5 chapeliers (le 6e est un apprenti teinturier en chapeau… qui n’était pas français puisque né à Nances, près du lac d’Aiguebelette en Savoie alors dans le royaume de Piémont-Sardaigne) ; en fait partie Jean-Jacques Nerin, un « meneur » puisqu’il accompagnait Pierre Sauvage. Un peu plus tard ce sont 2 Piémontais tisseurs, Antoine Bel et Joseph-Antoine Dapiano qui se font prendre ; n’ont-ils pas injurié les membres du Consulat et réclamé la mort des gendarmes ?

La justice va être expéditive. Dès le 11 au matin les inculpés sont transférés à la prison Saint-Joseph où un tribunal d’exception – sous la présidence du lieutenant criminel, Faure de Montaland - va siéger… le palais de justice, en pleine ville, n’est pas estimé suffisamment sûr : les autorités craignent des mouvements de soutien aux inculpés. Comme le futur et trop célèbre Tribunal révolutionnaire durant la Terreur, les « suspects » n’ont pas droit à l’assistance d’un avocat. En réalité il ne s’agit pas de juger mais de choisir 2 inculpés les plus compromis, pour l’exemple. Il faut mater la rébellion actuelle, intimider la populace et frapper fort pour empêcher toutes velléités révolutionnaires « à venir » des ouvriers. En fin d’après midi, par jugement du présidial, Nerin le chapelier et Dapiano le tisseur sont condamnés à mort… sont déclarés atteints et convaincus d’être du nombre des principaux auteurs de la sédition et révolte des compagnons ouvriers… de s’être trouvés dans des attroupements et assemblées illicites formés aux territoires des Charpennes et aux travaux Perrache… d’avoir participé aux excès, menaces et violences exercés contre les différentes troupes de la ville… Pour réparation de quoi lesdits J.J. Nerin et J.A. Dapiano sont condamnés à être pendus et étranglés jusqu’à ce que la mort s’ensuive35.

En définitive ils seront 3 ! Pierre Sauvage, sur la route de la Savoie, hagard, apeuré et un peu

paumé, a tôt fait de se faire repérer. Arrêté par la maréchaussée de Bourgoin dans la matinée du 11 août, on trouve suspect sa lettre de recommandation signée des chanoines. On l’expédie à Lyon où il arrive le 12 au matin ; il est « jugé » et condamné dans la foulée puis, à 5 heures de l’après midi, son corps balance à la potence dressée place des Terreaux entre ceux de ses 2 compagnons. L’histoire lyonnaise communément appelée « Les trois pendus pour deux sous » est terminée ! Il faut juste signaler – mais vous l’avez deviné – que les augmentations promises ne seront pas appliquées : « l’état » de l’ouvrier, qu’il soit chapelier ou tisseur, restera celui d’avant l’émeute.

Epilogue Les 6 autres prévenus bénéficieront d’une amnistie de Louis XVI et seront remis en liberté le

13 septembre. La maréchaussée et les notables du Consulat ont tenu à préciser « que c’est principalement à la demande de M. l’Archevêque de Lyon que le roi a bien voulu se porter à cet acte de clémence » ; ces « braves gens » tenaient à ne pas mettre en avant le rôle prépondérant des chanoines-comtes qui ont – bien souvent dans l’Histoire de la cité – fait alliance avec le peuple plutôt qu’avec la bourgeoisie…

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Pour explication de cette dénomination voir mon texte « L’histoire tumultueuse des comtés de Lyon et de Forez » 35

Cité par Claude Manceron, extrait de la procédure criminelle – Archives départementales du Rhône

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La preuve en est que le chapitre des chanoines de la cathédrale pensionnera, leur vie durant, la femme et les enfants de Pierre Sauvage ainsi que la mère de Nerin qui était veuve. Par contre, la famille de Dapiano, étrangère puisque piémontaise, n’aura rien…

Les corps des suppliciés ont dû être inhumés dans la chapelle des Pénitents de la Miséricorde élevée au début du XVIIe siècle pour « …estre mis en sépulture les corps de ceux qui auraient été exécutés à mort par autorité de la justice ». Démolie au milieu du XIXe siècle elle se trouvait sur la place Tobie Robatel actuelle.

Dennis Monnet, maître-ouvrier tisseur, très actif durant les premiers jours de l’émeute, plus astucieux que ses camarades, est resté caché les 10 et 11 août. Arrêté en novembre il sera relâché en janvier : à quoi aurait servi sa condamnation ? La fièvre était tombée. Il sera le premier nommé, par les 3 300 maîtres-ouvriers de la Fabrique, des 34 délégués chargés de représenter leur corporation à l’assemblée de la sénéchaussée de Lyon qui élira les 8 députés du Tiers Etats pour les Etats généraux de 178936. Durant les premières années de la Révolution il milite pour obtenir le « tarif » de 1786 et une meilleure organisation corporative… ce qu’il obtient en mai 1790. Au premier plan lors de la résistance lyonnaise à l’oppression jacobine durant le siège de Lyon37 il sera guillotiné le 27 novembre 1793 sur la place des Terreaux. Etrange destinée, il a réussi à échapper à un châtiment « royal » mais succombe à une répression « républicaine » !

J. Beyssac signale que, à la suite de cette émeute réprimée sauvagement, le mécontentement des ouvriers en soie et des chapeliers était tel qu’ils quittaient Lyon « par petites bandes ». Le prévôt des marchands Tolozan de Montfort s’en irrita et se hâta « d’en donner avis au commandant du Pont-de-Beauvoisin et à celui du fort de l’Ecluse38, afin qu’ils s’opposent au passage des émigrants ».

Dans la journée du 15 août arrive de Valence où il est cantonné, un régiment d’artillerie de la Fère commandé par un jeune sous-lieutenant qui vient de sortir de l’Ecole militaire. Il sera logé chez une veuve, montée Montibloud dans le quartier de Vaise et reçu à diverses reprises par un négociant lyonnais, Dominique Vouty, qui possède le domaine dit « de la Belle Allemande », rive gauche de la Saône (qui n’existe plus aujourd’hui, il était de part et d’autre de la rue d’Ypres actuelle). C’est le premier contact d’un homme, Napoléon Bonaparte et d’une cité, Lyon qui auront des relations si particulières durant les 3 décennies à venir39.

Rapportons une curieuse histoire en marge de cette sédition lyonnaise de 1786 mais qui n’est

pas avérée. Les chanoines auraient demandé au roi la grâce des condamnés à mort et, en même temps afin d’attendre la réponse, obtenu un sursis de l’exécution auprès de Pierre-André Chapuis de Laval, baron d’Izeron, prévôt général de la maréchaussée du Lyonnais. La lettre de grâce serait arrivée quelques heures après la pendaison ce qui provoqua le courroux d’un des frères de Clugny : il souffleta le prévôt – en lui reprochant sa déloyauté - pour provoquer un duel à la suite duquel ce dernier « expira presque sur le champ » ! Il y a beaucoup de points invraisemblables dans cette histoire. Le premier est le « timing » : comment voulez-vous qu’un courrier parti à Versailles jeudi soir de Lyon y revienne le samedi soir ? C’est pratiquement impossible. En diligence (ou Turgotine), il faut 5 jours pour aller de Lyon à Paris à cette époque (source : F. Braudel, L’identité de la France) mais un cavalier, chevauchant sans arrêt, particulièrement expérimenté et courageux peut faire l’aller et retour peut-être en 7 ou 8 jours au mieux (150 km par jour à franc étrier) mais sûrement pas en 3 jours ! L’autre point est l’absence de traces dans les archives ; personne n’a retrouvé le courrier des chanoines, la lettre de grâce du roi et ce fait divers n’est jamais rapporté dans la correspondance entre Versailles et les autorités locales ! Quant au prévôt Chapuis de Laval, il n’est pas mort « sur le champ » mais le 27 novembre 1786 (d’une façon certaine puisque ses obsèques eurent lieu le lendemain en l’église St Paul), des suites de ses blessures ?… rien n’est moins sûr !

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Pour faire court : pour les élections des députés du Tiers Etat, le suffrage est à 2 niveaux (corporations puis baillages) 37

Voir mon texte 1793, l’année terrible à Lyon 38

Le fort commandait le défilé de l’Ecluse, passage du Rhône vers le bassin genevois donc la Suisse 39

Voir mon texte, Les rois de France à Lyon

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Sources Bien sûr les 2 livres cités pour le premier paragraphe de ce texte (La grande Reybene de

1529)… ce sont des bouquins « de base » pour raconter toute histoire de Lyon ! La situation de la Fabrique lyonnaise avant la Révolution est parfaitement décrite dans le livre

de Louis Trenard, La Révolution française dans la région Rhône-Alpes. Pour les évènements j’ai fait comme Claude Manceron dans son 4e tome des Hommes de la

Liberté, La Révolution qui lève… j’ai suivi fidèlement (ou presque) le texte de J. Beyssac La sédition ouvrière de 1786 paru dans le fascicule VI de la Revue d’Histoire de Lyon de l’année 1907, mais en corrigeant quelques erreurs évidentes de date ! J’ai consulté également sur Internet un livre intitulé L’identité politique de Lyon de Bruno Benoit.