14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

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N°74 AVRIL-MAI-JUIN 2014 ign.fr DOSSIER ZOOM 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES DOSSIER SPÉCIAL : LA CARTOGRAPHIE DE LA GRANDE GUERRE LA POLLUTION LUMINEUSE TRAQUÉE DEPUIS LE CIEL GENEVOIS

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N°74 AVRIL-MAI-JUIN 2014 ign.fr

DOSSIER

ZOOM

14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRESDOSSIER SPÉCIAL : LA CARTOGRAPHIE DE LA GRANDE GUERRE

LA POLLUTION LUMINEUSETRAQUÉE DEPUIS LE CIEL GENEVOIS

2 / IGN MAGAZINE MOIS-MOIS-MOIS 2013

TRIMESTRIEL DE L’INSTITUTNATIONAL DE L’INFORMATIONGÉOGRAPHIQUE ET FORESTIÈRE

Direction générale et siège social73, avenue de Paris, 94 160 Saint-Mandé.Tél. : 01 43 98 80 00.ISSN : 1624-9305.

Directeur de la publication Pascal Berteaud.Directrice de la rédaction Bénédicte Dussert.Rédacteur en chef Bernard Bèzes.Rédacteur en chef adjoint Jean-Marc Bornarel.Comité de rédactionE. Aracheloff, M. Bacchus, S. Carvalheiro,C. Cecconi, S. Couturier, J.-E. David, X. Della Chiesa,M. Morand, J. Peron, A. Sandrin, J.-M. Viglino, S. Wurpillot.Ont participé à ce numéroAlain Puiseux, Marc Provot, Genevièvede Lacour,Fabienne Benest.Conception éditoriale et graphiqueAgence Cinquième Colonne,tél. : 06 83 25 03 52www.agencecinquiemecolonne.com

CouvertureECPAD / France / Boulay, MauriceImpressionIGN

Dépôt légalMai 2014

L'histoire est dans lagéographie et aujourd'hui

encore, en dépit des progrèsexponentiels des engins terrestres,maritimes et aériens et desinfrastructures qui permettent d'engommer les aspérités ou d'enfranchir les obstacles, on ne peutcomprendre la marche du mondesans s'y référer.C'était encore plus vrai en 1914.Venus d'Allemagne, des millionsd'hommes déferlent sur la France,sans carte ni GPS mais ils savent trèsbien où ils vont et par où il fautpasser pour toucher la France aucœur. Tout le monde sait bien qu'unefois franchie la Meuse à Liège, il n'y aplus qu'à s'enfoncer vers les Flandres, pleinouest, ou suivre la Sambre jusqu'à Maubeuge,l'une des portes traditionnelles de la France.C'est bien d'ailleurs pour cela que Vauban puisSerré de Rivières y ont construit d'imposantesfortifications. Une fois tournées ou écrasées, ilsuffit alors de retrouver la Sambre, de la suivrejusqu'au canal qui fait la jonction avec l'Oise etvous voilà à Compiègne, Creil et bientôtPontoise. Mais à Namur, on peut aussi descendreplein sud en longeant la Meuse et, passéCharleville-Mézières, il n'y plus qu'à filer surRethel puis Reims ou Châlons. La bataille de laMarne en décidera autrement. Par référence à

une histoire déjà vieille depresque 1500 ans, c'est dire si laroute était connue, on proposeramême au général Joffre del'appeler «Bataille des champsCatalauniques »... Les Anglaisappelaient bien les envahisseursles Huns!La bataille de la Marne s'estgagnée de l'Ourcq aux Vosges ! Apartir de la mi-septembre 1914, lefront va se stabiliser un peu plusau nord, accroché aux buttes etaux crêtes qui jalonnent cettelongue balafre de 700 kilomètresdont la Belgique et la Franceportent toujours les stigmates, del'embouchure de l'Yser au

kilomètre zéro, dans le Sundgau.« Dis papa, il passait où le front ? » Difficile derépondre sans être un expert ou un habitant dela région ! La carte « Grande Guerre  1914-1918 »éditée par l'IGN est à cet égard un outilpédagogique tout à fait exceptionnel qui raviral’historien averti autant que le néophytedésireux de replacer le lieu visité, l'itinérairesuivi, dans son contexte géographique ethistorique. La Mission du Centenaire conduitson action en s'appuyant sur deux maîtres-mots :comprendre et honorer. L'IGN nous offre là leremarquable moyen de faire l'un et l'autre sanss'y perdre... sans se perdre !

ACTUALITÉ ÉDITORIALAGENDA

MISSION DU CENTENAIRE:COMPRENDRE ET HONORER»

L’éditorial de…Elrick IrastorzaGénéral d’armée,président du conseild’administrationdu GIP missiondu Centenairede la Première Guerremondiale

DR

AU SOMMAIRE DU NUMÉRO 74 AVRIL-MAI-JUIN 2014

2 / IGNMAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

Observations. Aérostieren reconnaissance dans la régionde Mont-sans-Nom et Vadenay(Champagne-Ardenne) en mai 1917.

14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRESLa Première Guerre mondiale a amélioréla photo aérienne, la cartographie de précision, développé la balistiqueet la géodésie. Mais pas plusque d’autres, ces avancées n’ontchangé le cours d’un conflit qui fitdix millions de morts.

DOSSIER 6-20

AVRIL1er AU 3Toulouse Centre des congrèsPierre-BaudisCongrès « Pléiades days ». L’IGN fait la synthèse des expérimentationsmenées en 2012 et 2013 sur les imagesPléiades et la mise à jour en continu.

8 AU 10À l’ENSG à Marne-la-ValléeDécryptagéo les rencontres. Ce rendez-vous des professionnels de l’information géographique prend le relais des rencontres SIG la Lettre.

LE 8Paris 12e. Espace du centenaire,maison de la RATP11es Assises géomarketing. Comment le géomarketing s’intègredans la stratégie des entreprises.

MAI22 ET 23Niort, Conseil général5es assises nationales des randonnées.La randonnée à l’heure du numérique.

27 ET 28MarseilleRencontres de l'ORME. « Écolenumérique, une école augmentée ? »

JUIN 5 ET 6Palais des congrès d’Ajaccio 8es rencontres dynamiques régionalesAfigéo. La donnée géographiqueau service des territoires.

DU 15 AU 30 JUINL’IGN, l’ONF, France Bois Forêt et la mairie de Paris présentent une exposition sur la forêt et l’histoire,autour de deux cartes monumentales de l’Ile-de-France en 1914 et 2014.

DU 19 AU 20MontpellierL’association SIG L-R organise la 13e édition de sa journéeprofessionnelle sur le thème : «Et si jepartageais mon SIG? L’informationgéographique à l’heure du collectif!»

ECPAD / FRANCE / PANSIER, PIERRE

MOIS-MOIS-MOIS 2013 IGN MAGAZINE / 3

EN POINTE

La Guyane à grande échelle sur le Géoportail

� La nouvelle carte de la Guyane à l’échelle du1:50000 couvre depuis 2012 l’intégralité de ce dé-partement. Elle a été réalisée dans le cadre destravaux relatifs au référentiel géographique guya-nais (RGG). Il s'agit d'une cartographie duale,c'est-à-dire apte à répondre aux besoins civils etmilitaires. Mais elle ne comporte pas d'informa-tions confidentielles du point de vue de la défensenationale, et on peut la consulter sur le Géopor-tail comme toute cartographie de base du terri-toire national. La version papier destinée auxapplications civiles est diffusée uniquement auxadministrations et aux organismes publics natio-

naux ou territoriaux.L’IGN vient aussi d’achever une carte au1:100000 de la Guyane, dérivée du 1:50000.Cette carte, destinée également aux applicationsciviles, est imprimée à la demande sur papierclassique ou indéchirable via le site loisirs.ign.fr.Contrairement au service Carte à la carte, leclient ne peut pas choisir son emprise, car les fi-chiers sont précalculés en fonction du tableaud'assemblage, qui compte 21 feuilles. Enfin, unenouvelle carte au 1:400000 vient d’être éditée: le département de la Guyane est entièrementcouvert par cette carte.

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AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 3

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ACTUS 3-5

Édugéo disponible sur tablettesLes journées de la recherche IGNLes documents publicsd’urbanisme bientôt accessibles à tous

ZOOM 26-29

Les traqueurs de lumièresQuand l’IGN et le Canton de Genève inventorient la pollution lumineuse.

QUESTIONS,RÉPONSES 21

GÉOPORTAIL24-25

Posez vos questionssur ign.fr

CARTES SUR TABLE 30

Jean-FrançoisGigandLe gagnant du concoursGéoportail 2013est un touche-à-tout.

À quelle altitude mon chaletest-il perché et… combienvaut-il?

ACC

IGN / DMO

FORÊTS22-23Les habitats forestierspassés au peigne fin.

IGN

CarteExtrait de la carte au 1 : 100 000sur la ville de Kourou et sesenvirons.

IGN

4 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

� Proposée par l’IGN avec lesoutien du ministère de l’édu-cation nationale, l'applicationÉdugéo est une source excep-tionnelle d’informations géo-graphiques issues du Géoportail.Disponible dès à présent sur lestablettes tactiles Android et pro-chainement sous d’autres sys-tèmes d’exploitation, elle estdestinée aux enseignants duprimaire et du secondaire. Sonriche contenu pédagogique esten adéquation avec les pro-grammes scolaires.Facile d’utilisation, intuitive,l’application Édugéo proposedes fonctionnalités inno-vantes sur les tablettes:—naviguer dans les donnéesgéographiques, mesurer des dis-tances et des surfaces, croiser

des données;—dessiner des croquis géogra-phiques à l’aide d’outils dédiés(points, cercles, rectangles, po-lygones), créer des points d’in-térêt, associer des légendes;—importer ou exporter des don-nées, transférer et récupérerdes données entre tablettes, oude la tablette vers un PC;—enregistrer un parcours, pren-dre une photo géolocalisée etl’associer à un point d’intérêt oùà un croquis…L’application Édugéo fonctionnesur les tablettes Android (version3.0 minimum) d’au moins 7 pouces. Elle est disponiblegratuitement sur GooglePlay.Les versions iPad et Windows se-ront disponibles prochainementsur l’App Store et Windows Store.

� Du 28 au 30 mars 2014, l'IGNétait présent au 30e salon Desti-nations Nature à Paris Expo-Porte de Versailles. Cinq villagesthématiques avaient été instal-lés: rando et destinations, vélo,éco-trail, bio-nature et mon-tagne. Les visiteurs ont été vi-vement intéressés par les nou-veautés IGN: les cartes commé-moratives, Grande Guerre 14-18et Normandie Jour J/6 juin1944, réalisées pour accompa-gner le tourisme de mémoire (en

partenariat avec la Mission ducentenaire 14-18 et l'associationNormandie Mémoire), les cartesTOP 200, la collection des 48 cartes TOP 25R résistantes,les cartes TOP 75 et tous les au-tres produits IGN particulière-ment adaptés aux activités deplein-air.Les animations autourdu Géoportail, orientées vers lapréparation et le partage desrandonnées, et les démonstra-tions du service «Carte à lacarte», ont séduit les plus curieux.

Édugéo disponible sur tablettes

L’IGN au salon Destinations Nature

DÉCOUVERTE DU MONDEDans la série «Découverte des Pays du Monde» l’IGN proposeune gamme très complète de 72 cartes différentes, présentantun grand nombre d’informations touristiques et routièresque l’on trouve très vite indispensables lors d’un voyageà l’étranger. Avec ces cartes, vos envies de découvertes ne connaîtront plus de frontières.L’Afrique n’offre pas moins de 25 destinations,l’Asie en propose neuf, le continent américain présente 11 titres du Nord au Sud et l’Europe en propose 27. La carte du Brésil vous permettra de situer tous les matchsde la coupe du monde de football qui se dérouleront entre le 12 juin et le 13 juillet 2014, de Belo Horizonte à Sao Paulo,en passant par Manaus, Natal … et bien d’autres villesencore.

Prix carte Monde : 8,95 €. Prix carte Europe : 6,50 €.

SIX NOUVELLES CARTES TOP 75Basées sur le concept de carte multi-échelles, ces cartes IGNsont taillées sur mesure pour les inconditionnels des activitésde plein air et les amoureux du patrimoine culturelet touristique de nos régions. Elles sont centréessur des sites d’exception (parcs naturels, massifs réputés…)et proposent un riche contenu cartographique: —Une carte générale de très grande lisibilité à l’échelledu 1 :75000 pour une zone couverte de 3000 à 4000km2 selon la carte. — Cinq extraits de TOP 25 à l’échelle du 1 :25000pour pratiquer des randonnées de un à deux jours.Le fond cartographique de base au 1 :75000est particulièrement adapté aux activités de pleine nature.En voiture, il permet d’accéder facilement aux richessesculturelles et historiques locales grâceà une représentation intégrale du réseau routier.La présence des pistes cyclables en sites proprespermet aux adeptes de la petite reine d’organiserleurs parcours avec le maximum de sécurité.Pour les randonneurs, les nombreuses informations

disponibles (GR, GR de pays, courbes de niveau, point cotés,zones rocheuses, glaciers, gîtes d’étape, refuges, informationstouristiques et culturelles, points de vue, édifices remarquables)permettent de bien planifier les randonnées et d’optimiserla découverte d’une région donnée.Les six nouvelles régions couvertes en 2014 sont :Chaîne des Aravis-massif des Bauges, Camargue-Alpilles,Luberon-Mont-Ventoux, Provence-Sainte-Victoire-Sainte Baume-Calanques, Baie de Somme-Cote d’Albâtre-Fécamp-Étretat,Saint-Malo-Côte d’Émeraude-Mont-Saint-Michel.

Prix : 9,00 €.

ATLAS DES LIEUX MAUDITS� Dans un étonnant ouvrage, Olivier Le Carrernous présente, cartes à l'appui, les endroits les plus inquiétants de la planète. Les Baléares? Mille fois vues! Les Antilles?D’un commun… Les Seychelles? Bof… Loin des lagons bleus et des plages de sable blanc,Olivier Le Carrer, journaliste et navigateur, a voulu casser les codes du genre en publiantun étonnant Atlas des lieux maudits.Répertoriés depuis la nuit des temps – « Maudit soit le sol à cause de toi » (Genèse,3.17) – ces villes et pays où il ne fait pas bonvivre abondent aux quatre coins du globe.Ils sont mythiques ou historiques commeCharybde et Sylla dans le détroit de Messine,

les ruines de Montségur, le château de Tiffauges ou Nuremberg; surnaturelset inquiétants comme Amityville, le triangle des Bermudes ou Eilean Mor, le phare des disparus au nord-est de l’Écosse ou enfin, bien réels commeTilafushi, lagon empoisonné par les ordures de tout l’archipel des Maldives,Cap York en Australie où batifolent crocodiles de mer, serpents et médusesmortelles, ou enfin la très discrète Île de sable, au sud de Terre- Neuve, quidepuis des siècles piège avec subtilité tous les bateaux qui s’en approchent… Arthaud, 25 €.

EN BIBLIOTHÈQUE

ACTUALITÉ PROSPECTIVE

AT�nolesLeD’deOlia vunRé« M3.1vivIls Ch

les ruines de Montségur, le châtet i iét t A it ill l

DR

IGN

NOUVEAUTÉS CARTOGRAPHIQUES

IGN

ÉdugéoInterface graphique de l’application Édugéo pour tablette tactile.

IGN

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 5

POINTSDE REPERES

Des excursions enterre de mémoire

L'Institut nationalde l'informationgéographique etforestière (IGN)vient de publierune carte intitulée

«Grande Guerre 1914-1918»[…] dans la collection Tourismeet découverte, elle est réaliséeen partenariat avec la Missiondu centenaire de la PremièreGuerre mondiale et les comitésrégionaux de tourisme.Dépliable, réalisée au1:410000 (un cm représente4,1 km), elle couvre le nord et l'est de la France, de la mer du Nord à lafrontière suisse, en passantpar la région parisienne. Un bon outil pour visiter enfamille les hauts lieux de laGrande Guerre, en particulier à travers des idées de circuitsmis en avant par des encadrésautour de Verdun, de laMarne, de la Somme […]. Cettegrande carte offre une parfaitevue d'ensemble de l'avancéeet du recul de la zone de frontet d'arrière-front; des codescouleur pour chaque année deguerre, et les principalesbatailles, permettent aussi unevision chronologique duconflit. Surtout, chaque lieu ouitinéraire renvoie aux sitesInternet correspondants et à des applications mobiles,avec quinze parcoursthématiques accessibles pardes flashcodes: par exemple «La guerre de mouvement» ou«La reconstruction desterritoires dévastés» dans la région Nord-Pas-de-Calais,ou bien «Un Américain dans laGrande Guerre» au départ deChâteau-Thierry, ou encore «Les villages détruits» dans la Meuse, et «La routeJoffre»… Où l'on découvreaussi, dans la grande histoire,une multitude d’histoiresparticulières. Celle d'AnnMorgan, infirmière américaine,celle des 25 «héros»britanniques... (…) L'idéede la Mission du centenaire,ce «tourisme de mémoire»peut ainsi prendre pour lesenfants, à partir de 7 ou 8 ans,au-delà du poids du tragiqueet de la réflexion sur lesdévastations et lessouffrances de la guerre, unedimension incarnée et active.Le tout est symboliquementprésenté à la fois en français,anglais et allemand, et relève d'une démarche commune de mémoire.

LA CROIX 18-19 Janvier 2014

Guillemette de La Bore

� Le 18  décembre 2013, l’or-donnance relative à l’améliora-tion des conditions d’accès auxdocuments d’urbanisme et auxservitudes d’utilité publique(SUP) a été présentée en Conseildes ministres. La conventioncadre signée par le ministère del’égalité des territoires et du lo-gement et l’IGN, en conformitéavec l’ordonnance, permet lacréation du géoportail de l’ur-banisme. Celui-ci sera le pointd’entrée unique et la référence,accessible à tous et gratuite-ment, des documents d’urba-nisme.Le géoportail de l’urbanisme seprésentera sous la forme d’un

portail cartographique dédié,faisant appel à l’infrastructuredu Géoportail de l’institut et àses API. Celles-ci permettront laconsultation des documentsd’urbanisme ainsi que la consul-tation des servitudes d’utilité pu-blique (SUP) dans leurs partiesgraphiques et écrites, en parti-culier les textes des arrêtés.

ACCESSIBILITÉ TOTALE EN 2020

La direction de l’habitat, del’urbanisme et des paysages estchargée de la mise en œuvrede la convention cadre et dupilotage des projets pour lecompte de l’État. Les collecti-

vités publiques peuvent désor-mais procéder à la transmis-sion des documents d’urba-nisme par voie électronique. Àpartir du 1er janvier 2016, ellesdevront mettre en ligne les do-cuments d’urbanisme couvrantleur territoire. À partir du 1er  janvier 2020, l’obligation depublication dans un recueil ad-ministratif rendant le docu-ment d’urbanisme exécutoiresera remplacée par la publica-tion électronique sur le géo-portail de l’urbanisme afin queles documents d’urbanisme de-viennent publics et accessiblesà tous les citoyens et aux ac-teurs du secteur.

� En ouverture, le 20 mars der-nier, des 23es journées RechercheIGN, Jean-Philippe Grelot, di-recteur général adjoint, a pré-senté la récente réorganisation del’institut national de l’informa-tion géographique et forestière.Cette présentation fut suivie d’unséminaire consacré à la biodi-versité organisé par des cher-cheurs de l’IGN avec le soutiendu Pôle Theia. Il a associé des in-tervenants issus de l’IGN à desacteurs venus de l’IRSTEA ou duMuséum national d’Histoire na-turel, pour parler de politiquespubliques, du projet Car-Hab, despotentialités de l’imagerie ra-dar, de cartographie et d’écologiede la conservation, d’occupation

du sol et de caractérisation desmobilités animales. L’après-midia été consacré aux systèmes d’in-formation géographique et à lacartographie. Ont été présentésdes travaux sur les représenta-tions intermédiaires entre pho-toréalisme et stylisation carto-graphique, sur la prise en comptedes déficiences visuelles, sur l’ex-ploitation du texte, sur les projetsDatalift (Web sémantique géo-graphique) et Géopeuple (réfé-rentiel historisé pour étudier lepassé).

ZONES FORESTIÈRES ET SOUS-RÉSEAUX

Le 21 mars les exposés ontporté sur la photogrammétrie

et le traitement d’images, la lo-calisation 3D de véhicules mo-biles, la détection de change-ment, la saisie 3D, la recons-truction et l’interprétation sémantique. En fin de matinéea été abordée l’analyse multi-sources de zones forestières. La dernière demi-journée futconsacrée à la géodésie avec destravaux sur les séismes et le calcul de l’ITRF, sur l’orbito-graphie — forces de frottement,calcul de sous-réseaux — et la gradiométrie mobile. Elles’est terminée par la présenta-tion de travaux d’étudiants surla géologie et la gravité, et les fermetures de l’expérience ATLAS.

Les journées de la recherche IGNplus ouvertes que jamais

Les documents d’urbanisme bientôt accessibles à tous

LaserLevé laser de la placeSaint-Sulpice (Paris 6e)réalisé par Stéréopolis,le véhicule imageur de l’IGN.

IGN

6 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

C’est peut-être l’histoired’un malentendu à dixmillions de morts.

L’histoire d’une guerre qui déjouaelle-même tous les plans de ba-taille, tous les schémas, tous les cal-culs, pour les pousser au-delà descauchemars. Une guerre «ordi-naire » devenue une guerre mons-tre. La guerre ? En 1914, les états-majors savent la faire — du moinsils le pensent. Ils ont des réfé-rences : elles remontent souvent àNapoléon. Ils ont une culture. Elleest souvent dépassée, mais ils n’ensavent rien. Ils s’intéressent à

l’aviation, mais dessinent des mou-vements de cavalerie.Dès l’automne 1914, la guerre cessad’être une guerre de mouvementpour devenir cette guerre d’enlise-ment, de boue et de tranchées quepresque aucun stratège n’avait vuvenir. Elle dura ensuite plus long-temps que n’avait duré aucuneguerre récente. Elle fit plus demorts, redessina mal l’Europe, etengendra la Seconde Guerre mon-diale vingt ans plus tard. Elle ba-lafra la carte de France au long de600 km de ligne de front, le tempsque repousse la forêt, mais meur-

trit les mémoires pour bien pluslongtemps. Elle fit deux  millions demorts français soit, selon le grandhistorien militaire anglais JohnKeegan, « deux hommes pour neufqui y sont partis ». Elle en blessa aumoins autant. Elle fut réellementmondiale, s’exporta jusqu’enAfrique, faillit le faire en Amé-rique — l’Allemagne envisageait des’allier au Mexique pour attaquerles États-Unis. Elle marqua la lit-térature, les mémoires. Son souve-nir depuis est planté sur chaqueplace de village français où s’al-longent en capitales les listes de

La Première Guerre mondiale a amélioré la photo aérienne, la géodésie,la cartographie et l’optique, mises au service de l’artillerie.Mais, pas plus que d’autres, ces sciences nouvelles n’ont réellement pesésur le cours d’une guerre qui fixa elle-même ses règles, en déséquilibrepermanent entre cauchemar et modernité.

DOSSIER

14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRESCARTOTHÈQUE IGN

DéclarationJuillet 1914 : la course à la mobilisationcommence en Europe.Le Tour de Francesuivant n’aura lieu qu’en 1919…

COLLEC. BDIC

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 7

Louis, d’Antonin, de Côme, d’Alfred,de Jules ou d’Émile — et si souventdeux, trois ou quatre prénomspour un même nom de famille.

AUCUNE STRATÉGIE

Tout au long du XIXe siècle laguerre reste « un moyen de réglerles conflits internationaux» rap-pelle l’historien militaire et spé-cialiste de la Première Guerremondiale Rémy Porte (lire inter-view en page 14). La guerre de 1870coûta à Napoléon III son trône, sonrégime, un traité, l’Alsace et unepartie de la Lorraine. Mais elle futrapide — déclenchée en juillet, elleétait de facto perdue début sep-tembre, à Sedan. La guerre de 1914 aurait dû être larépétition, côté allemand, ou larevanche, côté français, de cettesouveraine humiliation des arméesfrançaises. Le plan Schlieffen, éla-boré en 1905, prévoit de déborderles armées françaises pour parvenirà Paris en une quarantaine de

jours. Le plan français aussi dessineune guerre de mouvement, quidoit vite être portée sur le sol alle-mand. Les cartes sont prêtes — ycompris les cartes de l’Allemagne.Mais aucun plan ne tiendra. Au-cune stratégie : les alliés gagneronten 1918, sur le front ouest, par épui-sement et grâce au renfort de deuxmillions d’Américains. Aucunetechnologie, si nouvelle soit-elle,n’aura fait la différence.

QUELLE MODERNITÉ ?

Au déclenchement du conflit, enaoût  1914, l’armée française s’ap-puie sur ses cartes d’état-major au 1 : 80 000. Elle a aussi pris soin defaire confectionner des cartes au 1 :  200 000, plus aptes selon elle auxvastes manœuvres des corps d’ar-mées, aux mouvements de troupesaux encerclements qu’inlassable-ment, un œil sur Iéna, un autre surWaterloo, on répète dans les écolesmilitaires : on voit la guerre engrand, à l’échelle des divisions.

Très vite, la guerre va changer denature et obliger (lire pages 10 et 11)le Service géographique de l’arméeà revoir sa copie. Ce qu’il fera, trèsrapidement. Très vite, il changerad’échelle. Comme la guerre.1914-1918 marque « l’invention dela guerre moderne» note, en sous-titre de son livre La Chair et l’acier,l’historien et écrivain militaire Mi-chel Goya. Mais en matière de car-tographie et de renseignement géo-graphique, comme dans d’autres,moderne n’a pas un sens absolu.Moderne ne veut pas dire abouti :la guerre marque l’apparition deschars d’assaut, mais les engins etleur mode d’emploi sont à peine aupoint à la fin du conflit. Moderneveut souvent dire « industrielle » :les canons parfois rationnés en1914 tirent ensuite, en quelquesjours ou quelques heures pour lesAllemands, de un à quatre millionsd’obus sur la même zone pour pré-parer une offensive. Moderne neveut pas dire parfait : Michel Goya,

ECPAD / FRANCE / BOULAY, MAURICE

Le 20.000e

doit s’étendredans nos lignes

à une distanced’environ6 kilomètres(au moins), de façonque la plupartdes batteries lourdespuissent y reporterleur position,et à 10 kilomètres(ou même davantage)dans les lignesennemies, afinque les objectifshabituels de l’artilleries’y trouventindiqués. »

Instructiondu 20 novembre 1917sur les Plans directeurs

ConsultationExamen de la cartesur la zone de Dommier(Aisne) avantle départ d’un convoi,en avril 1917.

très difficilement embarquée. Lespremiers chars communiquent parpigeons voyageurs avec le quartiergénéral. Une offensive ordinaire,précédée de son bombardementmassif qui à la fin de la guerre de-viendra feu roulant et mobile, estvouée à l’échec au bout de quelquesheures; dès que les schémas d’avan-cement (cent mètres en deux outrois minutes, suivant le terrain) serompent, que les fils téléphoniques,même enterrés, sont coupés. Puisune contre-attaque annule lesgains, ou les réduit à presque rien.Ce mouvement de flux et reflux au-quel est rompue l’armée allemandepeut faire de 10 000 à 40000 mortsen une journée. Il se reproduiratout au long de la guerre, dans lesFlandres, dans la Somme, dansl’Aisne, à Verdun.Technologiquement, la guerre estun déséquilibre que résume trèsbien John Keegan, analysant lesmassacres en ligne de la Somme,des Flandres, du Chemin desDames. Un modernisme impar-fait. « Dans les guerres plus an-ciennes, les artilleurs voyaient leurscibles à l’œil nu. Plus tard, les ob-servateurs de l’artillerie, équipés de

la radio et se déplaçant avec l’in-fanterie, dirigeront le tir des canonsde vive voix et en s’appuyant surdes cartes. Mais au cours de la Pre-mière Guerre mondiale, même si lefront est minutieusement repré-senté sur les cartes, elles-mêmes re-maniées presque quotidiennement,la radio qui aurait pu permettre dediriger ce feu en temps réel, selon lesbesoins réels, n’existe pas.»Sur le front Ouest, et sauf celles de1918, presque toutes les offensivesseront de terrifiants échecs. « Lesgénéraux sont entravés par unetechnologie ô combien apte à la des-truction massive de la vie, maistout à fait inapte à leur donner laflexibilité de contrôle qui pourraitmaintenir ces massacres dans les li-mites du supportable. » Les progrèsde l’observation géographique — observation directe des tirs d’ar-tillerie, photo aérienne, cartogra-phie d’urgence — permettront du-rant toutes les années de la guerrede position de bâtir des plans d’at-taque, mais jamais de les suivre.«Ayant pour mission principale lacontrebatterie, qui nécessite des tirsprécis à grande distance, l’artillerielourde fait œuvre pionnière en ma-

8 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

encore, analyse clairement la ma-nière dont les initiatives, inven-tions, trouvailles tactiques ou tech-nologiques se sont diffusées (ounon) au sein de l’armée française,comme dans les autres, procu-rant un avantage certain maistoujours provisoire à l’un ou l’au-tre camp. Elles sont très souvent lefruit de l’expérience, du tâtonne-ment, de l’échec, ou de la curiositéd’un officier atypique. En matièrede tactique, le prix d’un tâtonne-ment, s’il pouvait être fixé, seraitsans doute de plusieurs dizaines demilliers de vies. Moderne veutdire adaptation, aussi souventqu’invention. La photographie aé-rienne n’est que le mariage dedeux technologies d’avant-guerre.Son utilité est presque instanta-nément reconnue, et l’exploita-tion des images progresse trèsvite. Et pourtant…

UNE GUERREEN DÉSÉQUILIBRE

Moderne, surtout, ne signifie pasque les armes communiquent en-tre elles. La radio, sans doute, au-rait pu changer le cours de laguerre. Mais la TSF balbutie, elle est

LunaireUn soldat s’abrite dans un trou d’obus.Sur un à deuxkilomètresde profondeur, de part et d’autres de la ligne de front, la défoliationest totale.

Pour mémoireLa carte IGNde la Grande Guerre,éditée en 2014, recensetous les musées, siteset lieux de mémoiredu front nord-estde la France.

LOUIS HURAULT

cs

tière de préparation scientifique destirs (application des méthodes to-pographiques, lotissement des mu-nitions, calculs aérologiques et ba-listiques, etc.) et de réglage aérien.Après les expériences de 1914, cetype de réglage devient rapide-ment indispensable mais on tâ-tonne pour trouver des méthodes deliaison efficaces, jusqu’à l’installa-tion de la TSF à bord (premier es-sai le 13 décembre 1914). Le réglageaérien se perfectionne considéra-blement par la suite pour atteindreun maximum d’efficacité à la fin de1916», écrit Michel Goya. Mais ausol, l’infanterie reste sans infor-mations, et les artilleurs ne saventoù elle se trouve. Pour comprendrece qu’elle y a vécu, lire Genevoix,Giono, Barbusse, et tant d’autres.

LA GRÂCE ET L’HORREUR

Étonnamment, la guerre marquapeu les paysages, ou pour peu detemps. Sauf les monuments, mu-sées, cimetières et sites commémo-ratifs, le conflit de 14-18 est au-jourd’hui presque invisible. Rap-portée à la taille de la France, la lignede front ne fut qu’un trait de crayon,certes mouvant. « Le principal effet

de deux ans de bombardements et decombats à travers le no man’s land,écrit John Keegan, est d’avoir crééune zone dévastée d’une longueurimmense (plus de 600  km de lamer du Nord à la Suisse) mais depeu de profondeur : défoliation surun kilomètre ou deux de part etd’autre du no man’s land, destruc-tion complète des zones habitéessur un ou deux autres kilomètres,démolitions éparses au-delà (…).»Ypres, Armentières, Lens, Arras,Reims, rasées, ont été reconstruitesdans les années vingt. L’on n’y voitplus de cicatrices puisqu’elles sontdes cités neuves. En campagne, laguerre n’est plus visible qu’à l’étatde traces et via cet étrange para-doxe : les combats les plus furieuxeurent lieu dans les plus beaux en-droits, puisque l’on se battait pourles hauteurs. L’Argonne est ma-gnifique, les forêts de Meuse, où zig-zaguent des boyaux presque invi-sibles, ont un silence poignant.«Parmi les endroits d’où l’on peutvoir un paysage, celui dont la vueest la plus belle est presque toujourscelui qui est le plus intéressantdans un raisonnement de tactiquemilitaire», disait en 2011 le géo-

graphe français Yves Lacoste, in-venteur de la géopolitique, dansune conférence à l’université deToulouse. Au « point X » des Épar-ges, deux cents mètres au-dessus dela plaine, on le comprend.Hors la zone de Verdun, les collinesmartyres — les Éparges, Vauquoy,Vimy… — et les lieux de mémoire,la disproportion est énorme entrele poids de la Première Guerremondiale dans les mémoires fran-çaises et les traces qu’elle a laisséesdans le paysage. Qui lit quelques ré-cits de guerre, quelques ouvragesdocumentaires, finit par compren-dre, avec cette douce sidération del’horreur, qu’elles sont cependant là,à nos pieds, invisibles. 500 000 sol-dats britanniques sont enterréssur les sols français et belge, dansces cimetières du Commonwealthdont la grâce et la simplicité sontune réponse à l’horreur. 500 000autres ne le seront jamais, la mêmeproportion vaut bien sûr pour lesarmées française et allemande : ilsont été pulvérisés par les obus, en-gloutis, noyés par la terre. Ils sont,d’une certaine manière, le pay-sage. Ce que l’on peut difficile-ment représenter sur les cartes. �

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 9

J’ai vu, çà etlà, des formestournoyer,

s’enlever et secoucher, éclairéesd’un brusque refletd’au-delà. J’aientrevu des facesétranges quipoussaientdes espècesde cris, qu’onapercevait sansles entendre dansl’anéantissementdu vacarme.Un brasieravec d’immenseset furieuses massesrouges et noirestombait autourde moi, creusantla terre, l’ôtant dedessous mes pieds,et me jetant de côtécomme un jouetrebondissant.Je me rappelleavoir enjambéun cadavre quibrûlait, tout noir,avec une nappe de sang vermeilqui grésillait sur lui,et je me souviensaussi que les flancsde la capotequi se déplaçaitprès de moi avaientpris feu et laissaientun sillon de fumée. »

Henri Barbusse

Le Feu

TémoignagesDe haut en baset de gauche à droite:

Désastres de la guerre.

Canons à fumée.

Autour d’un troud’obus, des débrisde batteries.

Batterieet lunette de visée.

LOUIS HURAULT LOUIS HURAULT

LOUIS HURAULT LOUIS HURAULT

DR

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DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

En 400 pages au-jourd’hui jaunies et 25

planches en couleurs, leRapport sur les travaux exécutéspar le Service géographique del’armée fait en 1924 le point sur sesactivités durant la guerre — exac-tement du 1er août 1915 au 31 dé-cembre 1919. Le ton est d’époque.Le texte est écrit au clairon, maisil est lucide. S’il célèbre la formi-dable accélération de la sciencegéographique et topographiquependant la guerre, c’est au prix

d’un aveu : au début de la guerre,les cartes dont dispose l’arméefrançaise — et les autres — ne sontguère différentes de celle que dé-roulait Bonaparte.En août 1914, sauf les zones de for-tifications, l’armée ne dispose quede deux outils : la carte de l’état-major au 1 : 80 000, révisée en 1913de Lille à Pontarlier, et une autreau 1 : 200 000, en couleurs. Ce«modèle 1912 » couvre aussi l’Al-lemagne et la Belgique. Encore lesgrands généraux ne s’embarras-

sent-ils pas de la carte de l’état-ma-jor, destinée « aux exécutants, auxofficiers des corps de troupe etaux états-majors des unités subor-données (…). Bien que la carte del’état-major fût à une échelle rela-tivement petite, le commandementn’avait pas cru devoir en intro-duire, dans les lots de mobilisation,une autre à échelle plus grande, estimant qu’une lutte entre laFrance et l’Allemagne consisteraitpresque uniquement en une guerrede mouvement», dit la préface.

À l’été 1914, les cartes militaires ressemblent à celles dont disposait Napoléon.En quelques mois, pour les besoins de l’artillerie, elles se muent en relevéstopographiques au 1 : 20 000 remis à jour par observation aérienne et caléssur une projection Lambert. La couverture d’un pays à grande échelle est née.

1914 :6 000 plansdirecteurssont impriméspar le SGA1915....................913 000

1916................3 507 000

1917................4 427 000

1918...............4 460 000

Plan directeurL’outil de base desartilleurs, au 1: 20000.Les tranchées ennemiessont en bleu.

SERVICE GÉOGRAPHIQUE DE L’ARMÉE / RAPPORT SUR LES TRAVAUX EXÉCUTÉS (RAPPORT DE GUERRE), 1924

LES CARTES DE LA GUERRE

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Mais en octobre de la même an-née, le front se fige. L’artillerie ré-clame des cartes à grande échelle— au moins le 1 : 20 000 — pour destirs à longue portée ou sur des ob-jectifs cachés. Le Service géographique de l’ar-mée (SGA) va les fournir en s’ai-dant d’un modèle ancien, d’unearme nouvelle, et d’une nouvelleinfrastructure.

LES TRANCHÉES EN DÉTAIL

Le modèle existe : ce sont les«plans directeurs de canevas detir», abrégés plus tard en « canevasde tir », réalisés après la guerre de1870 autour des places fortes desfrontières de l’est, dans un rayon de10 km. Ils vont être étendus à toutela ligne de front. Avec une difficultéde taille : les zones à lever sont oc-cupées par l’armée allemande, et leslignes de défense y sont souvent ca-mouflées. Le problème « va être ré-solu, aussi bien qu’il est possible,par un judicieux emploi des planscadastraux et le recours aux mer-veilleux procédés de la photogra-phie aérienne, dont la première

apparition sur le champ de bataillese signale par des services excep-tionnels », poursuit le rapport.Les officiers du SGA utilisenttoutes les ressources disponibles :la photo aérienne, les plans ca-dastraux lorsqu’ils sont encore ac-cessibles, les levés au 1 : 40 000 dela carte de l’état-major (que l’on acommencé à remplacer par unenouvelle carte au 1 : 50 000), desplans de villes parfois. En dernierrecours, on agrandit la carte del’état-major.Le SGA s’est réorganisé et décen-tralisé. Des sections topogra-phiques sont constituées danschaque corps d’armée à la fin de1915 puis, au début de 1917, danschaque division d’infanterie. Danschaque armée naît un « Groupe decanevas de tir » chargé d’établir lecanevas d’ensemble de la zonequ’elle défend, et un canevas par-ticulier pour chaque batterielourde. Ces canevas au 1 : 20 000 re-prennent les cotes d’altitude noiresissues de la carte de l’état-major,une mention en marge indiquantleur manque de précision. Elles

sont complétées par des courbesde niveau et des indications géo-désiques en bistre. Aussi souventque possible y figurent les batteriesennemies, muettes ou en activité.On y note aussi des points de re-père naturels (un arbre, un pan demur encore debout) ou artificiels :des piquets servant de mires. Cha-cun d’eux est imprimé à plusieursmilliers d’exemplaires.Des plans au 1 : 5 000, destinés àl’infanterie, et des plans d’étude au1 : 10 000 en sont extrapolés. Leslignes alliées, en rouge, n’y occu-pent qu’un quart de la carte, sou-vent le quart inférieur : l’ennemi estau nord. Les lignes allemandessont dessinées en bleu avec un ahu-rissant sens du détail, à l’aide dephotos aériennes, jusqu’au moindretrou d’obus. Autour de Douau-mont (voir en page 16), on com-prend qu’il n’existe qu’un réseau detranchées : les lignes rouges etbleues sont connectées, ou se pour-suivent. Chaque tranchée ou boyau,comme une rue, a un nom. Chaquecoude est dessiné.« Les méthodes évoluent égalementtrès vite», écrit l’historien militaireet officier Michel Goya (La Chair etl’acier, l’invention de la guerre mo-derne, 2003). « Elles s’organisentd’abord autour du perfectionne-ment d’une séquence de tir qu’il fautfaire passer du tir direct à vue autir indirect. Le premier problème estcelui du repérage d’objectifs de plusen plus lointains et cachés. Pour lerésoudre, en novembre 1915, on créeun Service de renseignements del’artillerie (SRA) au niveau descorps d’armée, puis des armées. Sonrôle est de trier, centraliser, diffuserles renseignements recueillis. Il dis-pose pour cela de moyens aériensspécialisés (avions-photos, ballons),de sections de repérage par le son(SRS) et des sections de renseigne-ments par observation terrestre(SROT) (…) En 1917, le Groupe de ca-nevas de tir d’armées (GCTA) dis-pose de deux trains spéciaux ca-pables de suivre les armées en opé-rations puis à la fin de la guerre decamions spécialement équipés quipermettent d’imprimer plus dequatre millions de plans par an. »Le SGA se diversifie, aussi. A côtédes sections de géodésie et de to-pographie apparaît un bureau mé-

J’ai revu tousles hommesdu peloton,

dans cette heurequi vient de passerentre notre arrivéeà l’aube et l’instantoù les minessauteront.

Pourquoi ? Qu’est-ce queje cherchais ?Je me suis battuautrefois : j’étaisà Rembercourt,à Sommaisne.Je me rappelleles grands boisde Septsargesemplis de soleillourd et d’ombre,les obus quifracassaientles arbres,les “chaudrons”,comme nousles appelions alors…Ce sont de lointainssouvenirs,fragmentaires,détachés de moi ;autant que cettepierre des Épargescontre laquelle vientde buter mon pied.Encore puis-jeramasser cettepierre, en sentirsous mes doigtsla rudesse, froideet mouillée de bouejaunâtre. »

Maurice Genevoix

Ceux de 14 (Les Éparges)

StratégieLa carte au servicedes stratèges(QG du général Fayolle)lors de la victoiredu Monte Tomba(Italie), le 30décembre 1917.

DR

ECPAD / FRANCE / QUESTE, PAUL

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DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

de l’axe des coordonnées ». La seulealtération des longueurs peut at-teindre « 0, 17 m pour 100 mètres».Celle des angles est encore plus im-portante.Un service des fabrications d’op-tique supervise l’industrialisation,sous-traitée, de jumelles, viseurs,théodolites et autres instruments,parmi lesquels, indique un inven-taire de 1919, on compte notam-ment « 337 500 boussoles, 557 900paires de jumelles de Galilée, 6 800lunettes de pointage pour chard’assaut, 5 700 objectifs d’aviation,13 300 planchettes d’artillerie et2 000 loupes à manche (…)».

Sous les bombardements, des ar-tilleurs courent ramasser les fuséesdes obus ennemis pour essayerd’en déduire la position des batte-ries. Les ingénieurs testent des pro-cédés d’identification par le son,par les lueurs. On perfectionne sur-tout (lire en pages suivantes) laphoto aérienne. Les plaques deverre sont développées dès l’atter-rissage de l’avion, les informa-tions utiles reportées dans la fou-lée sur les canevas, dont certainscompteront 40 éditions. Le motn’existe pas encore, pas plus quel’ordinateur mais on vient d’in-venter les bases de données. �

téorologique : les conditions météo,et surtout le vent, affectent la tra-jectoire des obus, et celle des gaz as-phyxiants.

PROJECTIONSET CORRECTIONS

Les calculs de correction de tir, degéodésie, sont affinés. En 1915, laprojection conique Lambert rem-place la projection de Bonne, qui re-montait au XVIIIe siècle. La pro-jection de Bonne est plus simple àutiliser mais «comporte des défor-mations de longueurs, et surtoutd’angles, tout à fait inadmissiblespour l’artillerie dès qu’on s’éloigne

1919 : LE SERVICE GÉOGRAPHIQUE DE L’ARMÉE (SGA)DESSINE LA NOUVELLE CARTE DE L’EUROPEEn novembre 1918, le SGA forme un«bureau spécial », à la mission pacifique,mais lourde de responsabilités : préparer le fond de carte qui sera utilisé à Versailleslors de la Conférence de la Paix(janvier 1919 - août 1920). Le SGA réaliseles croquis d’étude au 1 : 1 000 000nécessaires aux différentes commissions,une carte au 1 : 4000 000 de l’Europe,

et une autre au 1 : 2 000 000 de l’Europecentrale. Il y reporte, traité après traité, ce qui deviendra l’Europe d’entre deuxguerres, et les nouvelles frontières issuesde la disparition des empires allemand,austro-hongrois et ottoman. Naissent une nouvelle Pologne, la Tchécoslovaquie,la Yougoslavie. Les documents sontannexés aux différents traités de paix

signés à Paris, du Traité de Versailles(28 juin 1919) à celui de Sèvres (10 août1920, entre les alliés et la Turquie). Le SGA tient ses comptes. De janvier à décembre 1919, il imprime 195 tirages«comportant 210 746 exemplaires à 5 couleurs en moyenne, dont 149 246 de format grand-aigle», soit 75 X 106 cm.En 1938, Hitler commence à les raturer.

PerspectiveEn complément des photos aériennes,les artilleurs utilisentdes vues panoramiques.Les arbres et les ruinessont utilisés commerepères.

ToileSaillard, Panorama de Verdun,

du fort de Belrupt, 10 mars 1916.

SERVICE GÉOGRAPHIQUE DE L’ARMÉE / RAPPORT SUR LES TRAVAUX EXÉCUTÉS (RAPPORT DE GUERRE), 1924

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En quoi votre travail sur 14-18avec le site Édugéo consiste-t-il ?Je suis le principal rédacteur des ca-hiers pédagogiques qui accompa-gnent Édugéo. Dans le cadre duCentenaire, il a semblé tout indiquéà l’IGN et à Edugéo de lui donnerdes ressources complémentaires :des cartes, évidemment, des photosaériennes, et des documents pro-venant d’autres partenaires. Et tou-jours avec l’idée de pouvoir super-poser des couches de données.Le cahier pédagogique de 14-18comprend des développements pé-dagogiques pour les collèges, des en-richissements des ressources, particulièrement sur lazone de Verdun, qui est abordée dans les programmesdu primaire, des collèges et des lycées. Une version .pdfdevrait être disponible pour la rentrée prochaine.

Comment peut-on montrer en 2014l’impact de la guerre de 14-18 ?L’impact reste parfois visible. Autour de Reims, le tracéde certaines tranchées est visible dans les champs surdes photos des années soixante-dix. Sur la zone de Ver-dun, avec les élèves, on peut identifier le système de dé-fense de la ville, localiser les fortifications, et compa-rer avec les cartes ou les photos actuelles. Aujourd’hui,les lieux de bataille les plus emblématiques sont mas-qués par la végétation, quand les bombes en avaient faitdes paysages de type lunaire. Ils sont recouverts d’uneforêt très dense, qui en fait des lieux très paisibles. C’est

un vrai paradoxe : la photo masque le sol, elleen est une sorte de linceul, quand au sol lesboyaux, les tranchées restent perceptibles. Lavégétation est un indice. Dans la Somme, onvoit des tirs de mines… Dans le Nord, il y a en-core des remontées d’obus. Mais souvent, on nevoit plus les traces de la guerre. Ce qui est éton-nant, c’est qu’une génération s’est préoccupéede la mémoire de la Seconde Guerre mondiale.Et là, avec le centenaire, on voit un mouvementde redécouverte de l’étendue, de la violence dela Première Guerre mondiale.Quel sens le conflit, pour des adolescentsen 2014, peut-il avoir ?On redécouvre le côté mondial de la PremièreGuerre. Les programmes aujourd’hui sont

écrits d’une façon particulière. On n’étudie plus la chro-nologie  : un collégien aujourd’hui connaît quelquesgrands événements : la Somme, Verdun, le traité de Ver-sailles. Les acteurs politiques — Clemenceau — ou leschefs militaires ne sont plus identifiés. En revanche, ilsera très informé sur la violence de la guerre, les tran-chées ou le vécu des soldats.On travaille aussi sur la question de la guerre à l’arrière :le travail des femmes, l’évolution de la société, l’éco-nomie de guerre, les empires, le rationnement, la créa-tion d’hôpitaux… On touche moins à la chose militaire,on s’attache plus à la société. On essaie de montrer quela Première Guerre mondiale a été un prototype desguerres modernes. C’est un changement de civilisationqui annonce toutes les guerres du XXesiècle, jusqu’à laYougoslavie, et peut-être celle de Syrie aujourd’hui.

3 questions à...Jackie PouzinChargé de mission Édugéopour l’Éducation nationale,professeur d’histoire-géographie au lycéed’Évron (Mayenne).

LA PHOTO MASQUE LE SOL,ELLE EST UNE SORTE DE LINCEUL »

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Les chevauxhennissent ;la jument

blanche d’Olivier,folle et libre, galopetoute nue derrièreles dragons.Un grand éventailde batteriesde canonsse déploie à pertede vue, embarrasséd’arbres etde fermes jusqu’aufin fond de la plaine.

L’infanterie anglaisemonte épaissecomme un ruisseaude boue,et le troupeaubleu des soldatsfrançais glisseà la crêtedes herbes, versles collineset la fumée.

— À l’abattoir !dit La Poule.

Au fondde l’horizon,dans cet endroitoù le cielse mélangeavec la terre,les mitrailleusescommencentà grésillercomme de l’huileà la poêle. »

Jean Giono

Le grand troupeau

ÉducationLa Grande Guerrevue depuis l’applicationÉdugéo dédiée auxenseignants du primaireet du secondaire.

COLL. BDIC

IGN / MEN

DR

De quelles cartes et de quellesconnaissances du terrainles états-majors disposent-ilsau début de la guerre ?En ce qui concerne la carte, on a, en1914, de nombreux jeux de cartesqui couvrent la France et l’Alle-magne. La cartographie générale estbien faite. Les jeunes officiers par-ticipent tous les ans à des exercicesde cartographie. Tout au long de laIIIe République, on a étendu lechamp et la précision des cartes. Audébut de la campagne en 1914, lazone d’affrontements est parfaite-ment cartographiée, essentielle-ment au 1: 80 000 sur la carte del’état-major. C’est une échelle adap-tée aux mouvements de trouped’une grande unité. On est dans unelogique de guerre de mouvement etde guerre de masse. L’unité de basepour la manœuvre, c’est la division.

Et lorsqu’apparaissentles tranchées ?À l’automne 1914, le front se stabilise.D’autres besoins apparaissent. Ildevient indispensable de savoircomment s’organise l’ennemi. Il esttout aussi indispensable de préparerles feux de l’artillerie. Enfin, pour lestroupes amies, il est tout aussi né-cessaire de connaître la topographiedu secteur où l’on va envoyer une

unité. Ce qui va faire évoluer la carte,ce sont les besoins de l’artillerie, etl’aviation. L’artillerie a besoin de sa-voir où elle va tirer, et quels sont lesrésultats. Il faut établir des canevasde tir qui vont préparer les sé-quences de bombardement et quidoivent être exacts à la dizaine demètres près. Les cartes permettentde tirer plus loin que ne porte le re-gard. Mais en réalité, les batteries ar-rosent moins un objectif qu’unezone, qui doit être aussi réduite quepossible. L’artillerie lourde a de 6 à15 km de portée utile. La grosse Ber-tha tire sur Paris à 100 km de dis-tance, mais de manière aléatoire. En-tre  1914 et 1917, on note une inflationdu nombre d’échelles, qui répondentà tous les besoins. C’est exactementla même chose du côté allemand :l’état-major allemand aurait fait im-primer 800 millions de cartes ! L’évo-lution est la même côté britan-nique. En 1918, le corps expédition-naire américain, qui vient de dé-barquer, travaille avec des cartesfrançaises, puis crée un service géographique. Apparaissent des jeuxde cartes réalisées en fonction desbesoins, du 1 : 2 500 au 1 : 200 000.En fonction des besoins militaires,on prend et on adapte. Puis audeuxième semestre 1917, on réduitle nombre d’échelles en conservantcelles qui correspondent à un besoinavéré. On va aussi créer des cartesspécialisées : géologiques, météo-rologiques. Géologiques, car on nepeut passer sur les terres avec descamions de cinq tonnes comme onle faisait avec des chevaux. Lescartes météorologiques sont àl’usage des aviateurs et des artilleurs,car la puissance et la portée des ca-nons dépendent de la météo. Lorsdes grandes offensives, les cartessont actualisées tous les jours : il ya des bois à Verdun qui ont changétrois ou quatre fois de camp. Sinon,la mise à jour est hebdomadaire.

Est-ce que les cartes ont influésur la guerre, ou changéla manière de la faire ?Non. La carte reste un outil, un ap-

pui. Mais elle devient un auxiliaireindispensable de la prise de déci-sion. Du GQG, le grand quartier gé-néral, au QG de la division, à chaqueéchelon un officier de liaison spé-cialisé contribue à faire mettre à jourla carte. L’imprimerie est au GQG,qui sera longtemps installé à Chan-tilly. L’armée française a une ten-dance à la centralisation, quand l’ar-mée allemande laisse plus d’auto-nomie aux échelons inférieurs.

Que change l’apparitionde la photo aérienne ?Le colonel Estienne, un artilleur, dit«le père des chars », commande enaoût 1914 un régiment d’artillerie etpart en campagne avec un aviondémontable. C’est une initiativepersonnelle. La maîtrise du ciel de-vient une étape très importantedans la conception de la bataille. Ilfaut à la fois interdire aux avionsennemis de prendre des photos, etpermettre aux avions alliés de lefaire. Cela explique la spécialisationde l’aviation en différentes subdi-visions. À partir de 1915 apparais-sent une aviation de chasse, une au-tre d’observation, et une de bom-bardement. Chacun veut avoir sonescadrille. Dans ce domaine commedans tous les domaines techniques,les trois ou quatre premiers mois deguerre, jusqu’au printemps 1915,vont amener à formaliser des ré-ponses, des procédures pour quelors de la même mission ou avec lemême armement, chacun parleun même langage. Les progrèsdans l’exploitation des photos aé-riennes se font sur le tas, grâce àquelques types qui ont un peu degénie. À partir de 1917, les procé-dures sont formalisées et en 1918,tout est encadré. Des cabines de dé-veloppement mobiles des photosaériennes sont installées sur les ter-rains d’atterrissage. Le développe-ment du camouflage vient aussi dela photo aérienne. Les vrais canonssont camouflés, des faux apparais-sent. Comme ce faux Paris construitpour leurrer les aviateurs alle-mands. �

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DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

4 questions à...Rémy PorteHistorien militaire,affecté au service de santédes armées.

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L’ÉTAT-MAJOR ALLEMAND AURAITFAIT IMPRIMER 800 MILLIONS DE CARTES ! »

Au commencement était le Dépôtde la Guerre, créé par Louvois en 1688 pourrecueillir les archives et les cartes militaires.Il survivra à tous les changements de régimejusqu’en 1887. Il est alors scindé en deux :apparaissent le Service historique de l’armée,aujourd’hui Service historique de la défense,basé au château de Vincennes,et le Service géographique de l’armée(SGA), qui œuvrera durant la guerrede 1914-1918. En 1940, le SGA devientl’Institut géographique national (IGN).

DU SGA À L’IGN

Louis Hurault,le père fondateurde l’IGNNé à Attray,dans le Loiret,le 8 août 1886,Louis Hurault intègrel’École polytechniqueà 20 ans. Artilleurpendant la GrandeGuerre, il est blesséà Verdun. Passionnéde photographiestéréoscopique,il nous a laissédes milliers de clichésen 3D sur plaquesde verre… dontcertains illustrentce dossier. Affectéen 1919 au Servicegéographiquede l’Armée (SGA),il en devient directeuren 1937 et passegénéral de brigadeen 1939. Par une rusede guerre, en 1940,il transforme le SGA,militaire, en Institutgéographiquenational, civil, pourque la cartographiefrançaise échappeà l’envahisseur nazi.Cette véritableopérationde camouflage limiteles dégâts et permetde couvrirde nombreusesactions de résistanceIGN, qui valentune 3e étoileau général Huraulten octobre 1944.Il dirige l’Institutjusqu’en 1956,où il est atteintpar la limite d’âge.

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 15

L’ŒIL ET L’OREILLELes batteries ne sont pas toujours localisables parphotographie aérienne. Dès le début de la guerre, leSGA, en collaboration avec le corps expéditionnairebritannique, élabore des appareils de repérage par le son, soit l’enregistrement des ondes de bouche etde choc d’un coup de canon, décalées et qui n’ontpas la même fréquence. Les calculs des Sections

de repérage par le son doivent être pondérés par le vent, la température, l’hygrométrie et l’altitude.Les Sections de repérage par les lueurs effectuentdes calculs de trigonométrie : l’observation d’une lueur de départ d’un tir par trois positionsdifférentes, communiquant de préférence par TSF, permet d’en calculer l’emplacement.

LevéUn levé à la planchette,en 1920.

ExploitationMachine à calculerà manivelle.

NiveauUn levé géodésique par une équipe du SGA.

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En 1914, l’observationaérienne n’est pas unenouveauté. Mais elle est

presque exclusivement le fait de bal-lons captifs. S’inspirant des modèlesallemands, les militaires françaisremplacent vite leurs ballons sphé-riques par les emblématiques «sau-cisses ». Elles embarquent à 1 000 ou1 500 mètres d’altitude 800 kg de lestet un observateur, muni de ju-melles et d’un parachute, qui com-munique par téléphone des indica-tions sur les batteries ennemies.Mais il ne peut ni les surplomber, niles photographier autrement qu’àl’oblique. L’avion s’impose très vite.

En 1909, Blériot traverse la Manche.L’armée entrevoit le potentiel des aé-roplanes. Certains officiers plus qued’autres. Le colonel Estienne, ma-thématicien hors pair, polytechni-cien, esprit curieux, artilleur, in-venteur, est nommé la même annéecommandant du tout nouveau ser-vice de l’aviation militaire. Quelquesannées plus tôt, il avait encouragé lerecours au… téléphone pour latransmission des informations àl’artillerie. Cette fois, il fait construireun prototype d’avion démontable,transporté en caisse. En août 1914, ill’utilisera pour régler son artillerieà la bataille de Charleroi, freinant les

armées allemandes qui déboulent àtravers la Belgique. Dans les mois etles années qui suivront le colonel Es-tienne, non sans mal, se consa-crera au développement d’une au-tre intuition : le char d’assaut, pense-t-il, peut être à même d’éviter d’au-tres massacres à la mitrailleuse.

DES PHOTOS EN CERF-VOLANT

L’avion peut guider les batteries du-rant la bataille, à condition de pou-voir communiquer avec elles. Ilpeut aider à préparer l’offensive.«Au moment où la guerre éclate, leproblème de l’utilisation des photo-graphies aériennes — c’est-à-dire

Dès le début de la guerre, la photographie aérienne s’imposecomme un irremplaçable outil d’observation des positions ennemies.Rectifiée, redressée, analysée, elle renseigne les cartes, corrige le tirdes batteries, et prépare les offensives.

LA NAISSANCE DE LA PHOTOGRAPHIE AÉRIENNE

RéseauPhotographie aériennede tranchées.

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DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

ECPAD / FRANCE / PHOTOGRAPHE INCONNU

des photographies qui ont été prisesen ballon-captif, en cerf-volant ou enavion — pour l’établissement descartes, a été à peine effleuré ; en toutcas, il n’a guère été envisagé quepour des travaux exécutés dans lesconditions du temps de paix», noteavec franchise le Rapport de guerredu SGA. Le retard va être rattrapédès les premiers mois de guerre.

600 000 CLICHÉSDURANT LA GUERRE

L’aviation naissante est d’abord auservice des artilleurs. Chaque corpsd’armée reçoit une escadrille puis,en 1917, une deuxième, ainsi que lesrégiments d’artillerie lourde. En1918, on descend au niveau des di-visions. Les premiers avions d’ob-servation ne sont pas armés : on lesfait protéger par des chasseurs, quis’en prennent aussi aux observa-teurs ennemis. L’aviation de chasse,puis de bombardement, est née.Les premières photos sont prisesavec des appareils du commerce, te-

nus à la main. Ils fournissent desplaques au format 13 × 18 cm. À par-tir de 1915, les Sections de photo-graphies aériennes font développerdes appareils tout exprès. Les focalessont de 25 et 50 mm, pour desimages en 13 × 18 cm. L’objectif de50 mm devient un standard. L’ap-pareil reste tenu à la main, mais ilest doté de niveaux à bulles. Des ap-pareils à longue focale (120 mm)fixés à la carlingue par une sus-pension, fournissent des images de18 × 24  cm à très grande échelle,l’équivalent du 1 : 5 000. Les cham-bres utilisent des magasins d’unedouzaine de plaques. Les avions vo-lent jusqu’à 5 000 ou 6 000 mètresd’altitude pour les plans larges, etsans dépasser 130 km/h. Les cham-bres ne sont pas à obturateur, maisà rideau. La plupart des imagessont verticales. Des photos prises vo-lontairement à l’oblique, de préfé-rence à revers des lignes ennemies,révèlent « les détails du nivelle-ment (…), les talus, chemins creux,

les créneaux, embrasures et autrestravaux qui échappent aux vuesverticales. Elles sont particulière-ment précieuses pour l’infanteriechargée d’une attaque. » Les photo-graphies prises par temps de neigesont les plus précieuses : elles révè-lent les pistes, les camouflages, etleur propre souffle y trahit la posi-tion des batteries.

FILS BARBELÉSET TROUS D’OBUS

En même temps que les tech-niques, et aussi vite, se mettent enplace les procédures de classe-ment, d’identification et d’inter-prétation des photos. De correctionégalement : l’appareil et le sol nesont ni plans ni parallèles. Com-ment mesurer les distances au solquand on ne connaît que grossiè-rement l’altitude à laquelle la pho-tographie a été prise ? Comment ca-ler la photo sur une carte ? La cor-rection se fait par la corrélation dequatre puis cinq points de repèresavec leurs équivalents sur la carte,par la recherche d’alignements, oula superposition de plusieurs pho-tographies. Le capitaine Vavon per-fectionne à cet usage la « chambreclaire » des dessinateurs. Les pho-tos sont aussi utilisées en stéréo-scopie, pour le dessin des reliefs.Les plus détaillées, celles réaliséesà la chambre de 120 — qui exigeune bonne météo — sont examinéesà la loupe. Elle permet d’y releverles abris, les nids de mitrailleuses,les trous d’obus organisés, de me-surer la largeur des tranchées, denoter l’emplacement des réseaux defils barbelés, chevaux de frise etabattis — des arbres couchés face àl’assaillant, pour en freiner la pro-gression. Jusqu’aux lignes et cen-traux téléphoniques. «Les photo-graphies aériennes, déjà si pré-cieuses pendant la période d’une of-fensive, le sont bien davantage en-core au cours même de la bataille,car elles assurent un contrôlecontinu des destructions», note lerapport du SGA. « L’étude [en] estfaite d’heure en heure, au fur et àmesure de la réception desépreuves», et les plaques sont dé-veloppées en bord de piste, dès quel’avion s’est posé. À la fin de laguerre, le SGA aura accumulé plusde 600 000 épreuves. �

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 17

La lecture desphotographies,on le conçoit,

exige une certaineexpérience, d’autantqu’elle se trouvecontrariée parle camouflage ;on désigne sousce nom un ensemblede précautions,souvent très habiles,prises par l’ennemipour que sespositions (surtoutses batteries)n’apparaissent passur les clichés.D’autre part, l’ennemimultiplie les travauxvisibles et a recours à des travaux simulésde manière à égarerles investigationsde ses adversaires. »

Rapport de guerredu Service géographiquede l’Armée

ECPAD / FRANCE / PANSIER, PIERRE

CaptifLes ballons captifsapparaissent dèsle début de la guerre.L’observateurcommunique avec le solpar téléphone.Son regard peut porterà des dizainesde kilomètres.Mais seuls les avionspourront photographierà la verticale.

18 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

1932Sur ces vues obliques, l’ossuaire de Douaumont, fraîchement inauguré. Le cimetière, en contrebas, contient les tombes de 16 000 soldatsfrançais. Le fort de Douaumont est visible sur la vue de droite.

LE FORT DE DOUAUMONT EN IMAGES 2011L’ossuairede Douaumont,nécropole nationale,est inauguré en 1932,à proximité du fort.Cent ans aprèsla bataille, la forêta repoussé. Mais le solreste grêlé de trousd’obus.

Dans la vallée, Verdun. Sur les hauteurs, au nord, une ceinture de forts (Vaux, Douaumont…) du XIXe siècle, renforcés par des blindages et du béton. Le 21 février 1916, l’état major allemanddéclenche une attaque d’artillerie massive sur ce front réduit (13 kilomètres). Elle est moinsdestinée à prendre Verdun qu’à épuiser l’armée française, à la saigner, en la forçant à défendredes positions indéfendables. Les bombardements sont inouïs : 20 millions d’obus sont tirés de février à juin 1916. Les forts tombent. L’armée allemande piétinne. En juillet, elle renonce.Deux tiers des soldats français combattront à Verdun. La bataille fait 400 000 morts.

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AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 19

FocusLe fort en 1916, 1951et 1972. La forêt repousseprogressivement. En bas,un plan directeurau 1 : 5000 du 18 mai1916, destiné à l’infanterie. La bataille de Verdunfait rage. Les Allemandsont pris le fort,que les Français assiègent à leur tour. Chaque troud’obus est dessiné.

ECPAD / FRANCE / PHOTOGRAPHE INCONNU

SERVICE GÉOGRAPHIQUE DE L’ARMÉE / RAPPORT SUR LES TRAVAUX EXÉCUTÉS (RAPPORT DE GUERRE), 1924

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De 1914 à 1918, s’est-on battupour agrandir les cartesdes nations ? La guerre a-t-elleété une guerre de territoires ? Au départ, les motifs du conflit nesont pas précisément territoriaux.L’Alsace-Lorraine est un vieuxcontentieux entre la France et l’Al-lemagne, mais n’est plus un motifde guerre; une fois le conflit dé-clenché, elle fixe en revanche les re-vendications. La question des ter-ritoires se joue en réalité surtout àun niveau plus élevé. Même si celapeut nous sembler étrange, l’Alle-magne mène une guerre défensive.Elle est enserrée entre la France etla Russie, tandis que l’Angleterre domine sur les mers.Les plans militaires sont des plans d’invasion, mais ilne faut pas perdre de vue qu’ils ont été conçus commedes réponses, en cas de déclenchement du conflit. Lesplans offensifs comme le plan Schlieffen peuvent doncfaire partie d’une stratégie qui se présente comme dé-fensive. Il reste que les buts de guerre évoluent. Desdeux côtés, quoi qu’on en ait dit après le conflit, il existedes volontés d’annexion. En septembre 1914, les pan-germanistes voudraient annexer le Luxembourg, la Bel-gique, le Nord de la France —et pour certains, cela veutdire jusqu’à Lyon —sous un statut particulier. Quandle vent tourne, les ambitions se restreignent. Côté fran-çais, les velléités annexionnistes se portent sur l’Alsace-Lorraine, mais aussi sur la rive gauche du Rhin. Onretrouve l’idée —de Gaulle la développera plus tard—qu’il faut fragmenter cet empire al-lemand trop puissant. On en a unaperçu à la fin de la guerre : Poin-caré voulait aller plus loin dans l’oc-cupation de l’Allemagne, qui aduré jusqu’aux années vingt. Les Al-liés l’ont freiné.

Les soldats français se battentpour défendre le « sol national ».Quelle vision en ont-ils ?Et les soldats allemands ?Les cartes postales qui montrent

des destructions sont utilisées côté françaispour montrer les ravages causés par les Al-lemands, et côté allemand pour montrer ceque serait la guerre en Allemagne : dans lesesprits, l’armée allemande défend le terri-toire allemand, même s’il faut pour cela por-ter la guerre à l’extérieur des frontières. Pourcette raison, les Allemands ont moins descrupules à creuser des tranchées, sortes deforteresses inversées, que les Alliés. Pour lesFrançais, la situation est différente : s’enter-rer dans les tranchées, c’est valider le statuquo de l’occupation, renoncer. D’où l’admi-ration des soldats français qui prennent destranchées allemandes et les trouvent mieuxaménagées, mieux fortifiées. Pour y coulerautant de béton, il faut se faire à l’idée qu’on

s’installe dans cette situation. Enfin, de part et d’au-tre, les soldats défendent un territoire national, maisils défendent aussi leur « petite patrie ». Des Bre-tons se battent dans le Pas-de-Calais pour éviter uneinvasion qui irait jusqu’à leur village, pour préser-ver leur famille. Il y a une imbrication de la petitepatrie dans la grande.

Ce qui frappe lors des offensives, c’estla disproportion — comme s’il y avait une propor-tion acceptable — entre le nombre de mortset les surfaces en jeu. D’où ce culte du sol vient-il ?Les batailles de Verdun, la Somme, l’Artois ont été descarnages pour des avancées mineures. Mais les états-majors ont été formés dans la culture de l’offensive.Les généraux cherchent à sortir de la guerre de posi-

tion par la percée, le débordement. Quand uneoffensive est lancée, ce n’est pas pour gagnerune colline : c’est pour rompre le front, lancerl’attaque décisive qui va permettre d’emporterla décision. Quand l’offensive échoue, et elleéchoue presque chaque fois, elle se traduitdans les rapports par un nombre de mortsélevé pour un faible gain de territoire.

Élise Julien est notamment l’auteure de la thèseParis, Berlin, la mémoire de la guerre, 1914-1933,publiée aux Presses universitaires de Rennes.

3 questions à...Élise JulienAgrégée d’histoire, maîtrede conférences à l’Institutd’études politiques de Lille,membre du conseilscientifique de la missiondu Centenaire.

DES DEUX CÔTÉS, IL Y A EUDES VOLONTÉS D’ANNEXION »

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JU

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20 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

DOSSIER 14-18, OU LA GÉOGRAPHIE DES DÉSASTRES

www.guerre1418.frUn site personnel recensant les sites consacrésà la Grande Guerre.http://centenaire.org/frLe site officiel de la mission du Centenaire,dont l’IGN est l’un des partenaires.www.lemonde.fr/centenaire-14-18/En liaison avec la mission du Centenaire,un excellent site du quotidien le Monde.

http://lagrandeguerre.blog.lemonde.frLe blog d’un journaliste du Monde.www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/Quatre itinéraires au long du front,illustrés et commentés, par la RégionNord-Pas de Calais.www.terres-de-guerre.frLe site lauréat du concours Géoportail 2013.

Bibliographieindicative

Michel GoyaLa Chair et l’Acier,l’invention de laguerre moderne(Tallandier, 2003).Comment l’arméefrançaise est passéeen quelques annéesde la baïonnette auchar d’assaut, et duXVIIIe au XXe siècle.Directeur du bureauRecherche du Centrede doctrine d'emploides forces de l'arméede Terre, Michel Goyaenseigne égalementl'histoire de la guerre à Sciences-Po Paris.

Lieutenant-colonelRémy PorteChronologie illustréede la Première Guerremondiale (Perrin,2010) et Les Secretsde la Grande Guerre,Paris, Librairie Vuibert,2012. Un ouvrage deréférence et un autreplus « grand public ».L’auteur, aujourd’huien poste au Servicede santé des armées,est l’ancien chef dubureau Recherche duCentre de doctrined'emploi des forces del'armée de Terre, où luia succédé MichelGoya.

John KeeganLa Première Guerremondiale (Perrin,2003 pour latraduction française).Une somme de 500pages, d’uneconcision et d’uneérudition absolues,d’une grandehumanité, par le plusgrand historienmilitaire britannique.

StéphaneAudoin-Rouzeauet Annette BeckerLa Grande Guerre,1914-1918. CollectionDécouvertesGallimard. Un petitvolume abondammentillustré, par deux desplus grandsspécialistes françaisde l’histoire de laPremière Guerremondiale. StéphaneAudoin-Rouzeau,directeur d’études à l’EHESS, estmembre du comitéscientifiquede la missiondu Centenaire.

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1. Quelle est la plus haute commune de France ?� Plusieurs produits IGNfournissent une réponse  àcette question plus complexequ’il n’y paraît.D’abord le répertoire géogra-phique des communes, ouRGC® (http://professionnels.ign.fr/rgc), qui est en licenceouverte. On y trouve une éva-luation des altitudes minimaleet maximale en mètres dechaque territoire communal.Si l’on s’intéresse aux com-munes dont les points les plusbas ont l’altitude la plus éle-vée, le tiercé gagnant se com-pose de  Val-d’Isère (Savoie)avec 1 785m, Bonneval-sur-Arc(Savoie) avec 1 759m et enfinSaint-Véran (Hautes-Alpes)avec 1 756m.Si l’on se focalise sur les com-munes dont les points culmi-nants sont les plus élevés,C h a m o n i x - Mo n t - B l a n c(Haute-Savoie) et Saint-Ger-vais-les-Bains (Haute-Savoie),qui se partagent le mont-Blanc, sont évidemment àégalité (4810m), loin devant

Les Houches (Haute-Savoie).Par ailleurs, si l’on considèremaintenant non plus les ex-trêmes mais la valeurmoyenne de l’altitude descommunes, GEOFLA® (http://professionnels.ign.fr/geofla),gratuit également, fournitpour chaque commune, grâceà sa géométrie issue de la BDCARTO®, une altitude

moyenne calculée à partird’un maillage BD ALTI® aupas de 50 m. Voici le quarté de l’édition2012 de ce jeu de données:2 713m pour Bonneval-sur-Arc(Savoie), suivie de Bessans(Savoie) avec 2649m et de Ter-mignon (Savoie) avec 2 584m,à quasi-égalité avec Val-d’Isère(Savoie) et ses 2 583 m (écartnon significatif).Enfin dans la base de donnéesBD TOPO® de l’IGN (http://professionnels.ign.fr/bdtopo),la plupart des mairies (bâti-ments) sont cotées en altimé-trie à la base de la toiture avecune précision métrique. Selonce critère, le top des mairiesserait Tignes (Savoie) avec2  115  m  , devant Saint-Véran(Hautes-Alpes) avec 2 052 m etMontgenèvre (Hautes-Alpes)avec 1 862 m.On a donc l’embarras du choixau moment d’attribuer ce ti-tre  de «commune la plushaute de France». Tout estquestion de définition!

2. Pourquoi six communes françaises ne comptent-elles aucun habitant?� Ces communes, qui se situent dans le dé-partement de La Meuse, ont été complètementdétruites lors de la bataille de Verdun en 1916.Trois villages ont été reconstruits. Six autres nel’ont jamais été. Mais pour garder une trace deleur mémoire, il a été décidé de ne pas les rat-tacher à d’autres communes. Il s’agit des communes de Beaumont-en-Ver-dunois, Bezonvaux, Cumières-le-Mort-Homme,Fleury-devant-Douaumont, Haumont-près-Sa-

mogneux et Louvemont-Côte-du-Poivre.Ces communes sont administrées par unconseil municipal de trois membres nomméspar le préfet de la Meuse, composé d’un maireet deux adjoints. Elles apparaissent sur lacarte au 1:25000. Le symbole de chef-lieu decommune y est également représenté, maissans nombres d’habitants, et avec la mention(village détruit).

Joël Peron Chargé de mission IGN à la direction de la production des référentiels.

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IGN

Michaël Georges Expert chargéde l'unification des limitesadministratives.

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QUESTIONS RÉPONSES

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 21

Sommet La mairie de Tignes est la plus haute de France.

XBDM/FOTOLIA.COM

c’est à cette tâche que s’est attelél’IGN.

UNE PREMIÈRE EN FRANCE

La directive prévoit, tous les six ans,une évaluation de l’état de conser-vation de ces habitats naturelsd’intérêt communautaire, et desmesures prises pour leur préser-vation, à l’intérieur et à l’extérieurdu réseau Natura 2000. Ces «rap-portages» comprennent une ap-

En 1992, l’Union euro-péenne se dotait d’une di-

rective Habitats-Faune-Flore. Com-plétée par la directive Oiseaux, ellea donné naissance au réseau d’es-paces naturels Natura 2000, quienglobe les habitats naturels lesplus remarquables et les plus re-présentatifs d’Europe, ainsi que lesespèces les plus rares et menacées.Ce réseau a été définitivementinstallé en France en 2006. Il com-prend aujourd’hui 1 758 sites ter-restres et marins, qui couvrent12% du territoire métropolitain.La mise en œuvre de cette direc-tive a également vulgarisé la no-tion “d’habitat” dans les politiquesde préservation de la nature, etspécialement forestières. Un ha-bitat est le lieu où vit une espècesauvage, animale ou végétale. Ilcorrespond aux composantes bio-tiques et abiotiques de son envi-ronnement immédiat. Par exten-

sion, ce terme d’habitat est devenusynonyme de milieu naturel, d’éco-système. Un habitat est un es-pace homogène par ses condi-tions écologiques (climat, sol…),par sa végétation, et qui hébergeune certaine faune. La végétationtémoigne directement des condi-tions du milieu  : c’est donc l’ob-servation des espèces présentes etde leur abondance relative quipermet d’identifier sur le terrainles différents types d’habitats. Et

LES FORÊTS NATURA 2000 SOUS SURVEILLANCE

Comment les forêts françaises d’intérêt européen évoluent-elles?L’IGN a entrepris en 2011 de caractériser scientifiquementles habitats forestiers pour en surveiller l’évolution, conformémentà la réglementation communautaire.

Biotope Forêt de bouleaux en vallée d’Ossau, dans les Pyrénées-Atlantiques.

IGN / SERGE LATHERRADE

FORÊTS

Biotope Groupe lors d’une sessionde démarrage sur la GRECO A(grande région écologique du grandouest cristallin et océanique).

IGN / FABIENNE BENEST

22 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 23

préciation locale des habitats pré-sents dans chaque zone de conser-vation, et une estimation plusquantitative de l’habitat (réparti-tion, fréquence, critères de struc-ture et de fonctionnement…) àl’échelle nationale. Le dispositifstatistique de l’IGN contribue à cesévaluations pour les forêts à traversle projet « suivi temporel des ha-bitats forestiers  », lancé en 2011dans le Massif Central. Le projet estlié à l’inventaire statistique réalisépar les agents de l’IGN. Lors del’examen de chaque placette, leséquipes chargées des levers col-lectent aussi des données sur leshabitats forestiers. C’est la pre-mière fois en France qu’un tel dis-positif standardisé de surveillancedes écosystèmes est mis en place.

DES DONNÉES DE TERRAIN

Depuis 2011 et en trois campagnes,8 016 points ont pu être caractéri-sés par leur type d’habitat dans lesGreco (les “grandes régions écolo-giques”) de la moitié nord de laFrance. Le déploiement s’étendrachaque année au printemps. En2017, il couvrira toute la France. Au-delà des connaissances en bo-

tendu par le ministère chargé de laprotection de la nature pour le pro-chain rapportage européen, en2018. �

Vulgaire Le polypode vulgaire(Polypodium vulgare)est une fougèrecommune en Francejusqu’à 2200 mètresd’altitude.

IGN / SERGE LATHERRADE

tanique forestière, ce travail d’iden-tification des habitats forestiersnécessite une formation spécifiqueà l’utilisation d’une clé de déter-mination régionale basée sur descritères floristiques et écologiques.Les sessions de démarrage ontlieu en saison de végétation, sousforme d’une tournée de présenta-tion itinérante des différents typesd’habitats existant sur un territoire.Aujourd’hui, 247 types d’habitatsdifférents sont susceptibles d’êtreidentifiés par les équipes chargéesdes opérations d’inventaire !Des cartes de répartition des typesd’habitats ont déjà été dressées àpartir de données constatées,quand les cartes qui prévalaientdans la littérature scientifiqueétaient réalisées “à dire d’experts”.Le projet permet également d’ob-tenir des résultats chiffrés sur la fré-quence relative des types d’habi-tats : c’est le début d’une informa-tion quantitative dans ce domaine.La caractérisation du type d’habi-tat étant réalisée sur les mêmespoints que le recueil des donnéesdendrométriques, il sera possiblede mettre les données en relationpour mieux caractériser les états deconservation. C’est ce qui est at-

Déploiement du suivi temporel des habitats forestiers

IGN

24 / IGN MAGAZINE AVRIL-MAI-JUIN 2014

À quelle altitude votre chalet se trouve-t-il, et combien vaut-il ? Deux nouveautés ce trimestre sur le Géoportail : un service de calcul altimétrique et une aide à l’estimation de la valeur de vos biens immobiliers, mise au point par la DGFiP.

Le service Patrim de re-cherche des transactions

immobilières est un nouveauservice en ligne de la directiongénérale des finances publiques(DGFiP), ouvert depuis le 2 jan-vier 2014, et destiné commed’autres à simplifier les dé-marches administratives. Il metà disposition des particuliersdes informations sur les trans-actions immobilières qui les ai-deront à estimer la valeur vénale

de leurs biens immobiliers pourdes utilisations administrativeset fiscales. Cette estimation leurpermettra de satisfaire à leursobligations déclaratives d’im-pôt de solidarité sur la fortune(ISF) ou de succession ou poureffectuer une donation. Elle per-mettra aussi de répondre à l’ad-ministration dans le cadre d’uneprocédure de contrôle fiscal oud’expropriation.Accessible sur l'espace personnel

du site impots.gouv.fr, le servicePatrim permet de visualiser lescessions d’immeubles bâtis àtitre onéreux et usage non pro-fessionnel, réalisées dans unpérimètre géographique donné.Le service «Rechercher destransactions immobilières» uti-lise l’infrastructure de l’API Géo-portail pour couvrir l'ensembledes besoins de cartographie etde géolocalisation. Il proposed’abord le positionnement sur

une carte de l'adresse saisie et lavisualisation d'un rayon de re-cherche paramétrable autourde ce point. Puis il restitue le ré-sultat de la recherche sousforme de vignettes géolocali-sées sur la carte et contenant unrésumé de chaque bien. Une res-triction : il ne permet pas deconsulter les ventes réaliséesdans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, de Moselle etde Mayotte.

L’ALTIMÉTRIE ET L’IMMOBILIER POUR LES PROS ET LES PARTICULIERS

ESTIMEZ LA VALEUR DE VOS BIENS

GÉOPORTAIL

PatrimoinePage de recherche (à gauche)et d’affichage des résultats(à droite) du service en lignePatrim.

DGFIP

AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 25

Le site geoportail.gouv.fr intègreun service de calcul altimétrique.

Ce service s’appuie sur un protocole decommunication standard (Web Map Ser-vice) et un modèle numérique de terrain(MNT) issu de la BD Alti V1 au pas de

25 mètres. Les détenteurs d’une clé APIGéoportail peuvent l’utiliser sur leurspropres sites en ligne. Le service de cal-cul altimétrique lit une source de don-nées et renvoie les valeurs des altitudesde chaque point. Il en est de même pour

déterminer un profil altimétrique le longd’une courbe. Le nombre maximal depoints autorisé est de 1000. Ce servicecouvre la France métropolitaine et les dé-partements d’outre-mer.

1. PROFILS ALTIMÉTRIQUES SUR MESURE POUR TOUSMode d’emploi Il est possible d’afficher lesprofils altimétriques depuisl’interface de visualisation 2D ou 3D du Géoportail. Pouractiver cette fonctionnalité,cliquer sur l’icône Mesurer puischoisissez Profil altimétrique.Tracez votre parcours sur la carte, puis double-cliquezpour finaliser le tracé : le profils’affiche. Le modèle numériquede terrain utilisé pour l’outil de profil altimétrique a une précision moyenne de 2,5 m.

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2. UN SERVICE ALTIMÉTRIQUE ÉLABORÉ

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En cette belle soirée du moisd’avril, le Beechcraft 200 KingAir de l’IGN se prépare sur l’aé-

roport de Lyon. Il est 22  heures, et l’équi-page a sagement attendu la tombée de lanuit pour s’envoler. Les demandes d’autori-sation ont été déposées, l’espace aérien ge-nevois est réservé pour quelques heures.L’avion de l’IGN va pouvoir mener sa mis-sion à bien. À bord, deux commandants, unphotographe navigant et un journaliste dela radio télévision suisse.23 heures : l’avion est sur zone, à 4 200 mè-tres d’altitude, paré à photographier laville et ses lumières artificielles. Il va lui fal-loir 3 h 45 pour remplir sa mission et cou-vrir la totalité du territoire genevois. Les 979clichés capturés par la caméra mise spé-cialement au point par le laboratoire d’opto-électronique, métrologie et instrumentation(Loemi) de l’IGN permettront d’expéri-menter une nouvelle technique de luttecontre la pollution lumineuse.

CONDITIONS ANTICYCLONIQUES OBLIGATOIRES

Mais d’abord, il a fallu réaliser une prouessetechnique. Plus la lumière au sol est faible,et plus le temps de pose est long. Pour cette

Une convention de partenariat scientifique > Une convention de partenariat scientifique a été signée par l’IGN et la direction de la mensuration officielle du Canton de Genève, qui appartient au département de l’aménagement, du logement et de l’environnement (DALE). Le programme d’expérimentation propose de diagnostiquer l’éclairage public,d’évaluer la pollution lumineuse et les économies possibles, et de prendre en compte l’impact de la pollutionlumineuse sur la biodiversité. Le coût de la campagne de photographies aériennes est endossé par le cantonde Genève, tandis que le calibrage de l’instrument et le traitement des images sont pris en charge par l’IGN.

Avril 2013: un avion de l’IGN survole Genève et effectue les premièresphotographies aériennes nocturnes de la ville et de ses alentours.Objectif : évaluer la pollution lumineuse du canton et le gaspillagequ’elle engendre.

LES TRAQUEURSDE LUMIÈRE

campagne, il atteint la demi-seconde ; unedurée durant laquelle la caméra doit né-cessairement rester stable. Un défi dans unavion qui vole à 80 mètres par seconde…Des conditions anticycloniques et une ab-sence totale de vent sont requises. L’allure

ne doit être ni trop rapide, ni trop lente. « Si la vitesse est trop lente, le Beechcraftcommence à vibrer, ce qui nuit à la prisede vues», explique Sylvain Airault, chef duservice des activités aériennes de l’IGN etcoordinateur de la campagne. « La nuit, onfait la chasse aux vibrations.» La caméramise au point par le Loemi de l’IGN pos-sède un dispositif de compensation élec-tronique. Elle peut intégrer la vitesse de

En volLe Beechcraft 200 King Air de l’IGNdans les turbulences. Flashcode:reportage télévisé sur le vol de nuit.

ZOOM

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DécollageLe Beechcraft 200 King Air de l’IGN sur l’aérodrome d’Annemasse.

EspionLes avions stationnés sur l’aéroport de Genève, et largement éclairés.

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l’avion et compenser ses potentielles vi-brations pour enregistrer une image nette.

UN PARAMÉTRAGE DÉLICAT

«Pour la nuit, le paramétrage de la caméraest particulier. On est obligé d’ouvrir le dia-phragme au maximum», complète SylvainAirault. Le déclenchement de la caméra estprogrammé à l’avance et calé sur les axesdu plan de vol. Au retour, il faut passer autraitement des images. Chaque cliché estl’assemblage de huit petites images, quatreen noir et blanc et quatre en couleurs (unerouge, une verte, une bleue et une infra-rouge). « L’image d’une ville la nuit, c’est99 % de noir. Les parties non éclairées sontdonc ultra-majoritaires. Ce qui fait qu’il est

plus difficile de détecter les dysfonctionne-ments. Alors que sur les images de jourtoute erreur saute aux yeux, sur les photosde nuit, les détecter est un véritable défi»,précise le responsable des activités aé-riennes de l’IGN.Puis vient le travail d’orthorectification. Lesclichés sont assemblés pour former unegrande image continue, qui peut être su-perposée à une carte. «  Avec cette cam-pagne, nous avons appris beaucoup dechoses très intéressantes sur la manière deparamétrer les prises de vues », expliqueFrançois Perrussel-Morin, directeur inter-régional Centre-Est de l’IGN et coordina-teur du partenariat scientifique. « Ce par-tenariat a été très fructueux. Nous n’avionsjamais eu un retour aussi rapide sur des

prises de vues aériennes.»L’IGN a mené de premiers tests de photo-graphies aériennes nocturnes en 2007, surdes zones restreintes. Ils ont été complétésen  2010 et  2012 sur des villes entières.« Avec le Canton de Genève, nous avonschangé d’échelle en passant d’une étape ar-tisanale à une production industrielle »,précise François Perrussel-Morin. Différentstraitements d’images ont été testés et va-lidés par la direction de la mensuration of-ficielle genevoise (DMO). « Le but était devoir si nos chaînes de traitement très au-tomatisées résistent aux images de nuit. Or,aucune reprise manuelle n’a été néces-saire. Du coup le traitement des images denuit fut également très automatique»,complète Sylvain Airault.

ÉCONOMIE, ÉCOLOGIE, SÉCURITÉ

Les photographies aériennes nocturnes ontdes applications variées. Elles vont permet-tre de définir les zones où l’efficacité éner-gétique peut être améliorée, l’éclairage pu-blic optimisé. « À quoi bon éclairer une sta-tion d’épuration toute la nuit ?», s’interrogeLaurent Niggeler, directeur de la DMO. De plus, le Canton de Genève astreint sescommunes à réaliser tous les quatre ans undiagnostic du gaspillage d’éclairage, pour queles gestionnaires de réseaux puissent le ré-duire. Le canton est également sensible auxquestions de pollution lumineuse. En France,on connaît les trames verte et bleue, cet ou-til d’aménagement qui permet de créer descorridors écologiques et de limiter la frag-mentation des écosystèmes. La Suisse a dé-veloppé le concept de trame noire : des cou-loirs sans lumière où les animaux qui y sontsensibles (comme les chauves-souris, lagrande faune par exemple) peuvent circuleren toute discrétion.

ANALYSE SPECTRALE ET FUTURES APPPLICATIONS

Pour économiser l’énergie, il faut avoir unetrès bonne connaissance des éclairages ur-bains. Floriane Flis, étudiante à l’ENSG, apendant trois mois réalisé une analysespectrale des images qui a permis de dé-terminer des catégories d’intensité lumi-neuse de l’éclairage et d’identifier troistypes de source lumineuse utilisés dans lecanton. « On peut très bien éclairer en fai-sant des économies d’énergie. Mais amé-liorer l’efficacité des éclairages oblige à s’in-terroger sur leur pertinence », expliqueLaurent Niggeler, qui a dirigé l’étudiantependant son stage.

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Avec cette campagne, nous avons appris beaucoupde choses très intéressantes sur la manièrede paramétrer les prises de vues.Ce partenariat a été très fructueux.»

ZOOM

Espion (bis)Le centre de la ville de Genève, et les rives du lac.

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AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 29

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Comment faire des images recueillies unoutil d’aide à la décision au service des ges-tionnaires de l’éclairage public ? Le premiertraitement a consisté à étaler leur histo-gramme pour en faire ressortir les détailsde l’image. Puis les orthophotos ont étéclassifiées en fonction des différentes lu-minosités. Un troisième traitement a per-mis de détecter les sources lumineuses àpartir de la classification par intensité. Enfin, un quatrième les a classifiées partypes de lampes, distinguant l’éclairage ausodium de celui au mercure ou à l’halo-génure métallique.La campagne aérienne a été financée parGenève. Le traitement des images, le cali-brage des caméras, le support techniqueont été pris en charge par l’IGN. « La République et Canton de Genève nepossède pas d'avions pour faire des photosaériennes », explique Laurent Niggeler.« Les travaux de cartographie sont souventmandatés à des entreprises spécialisées.Bien sûr, Swisstopo — l'IGN suisse — pos-sède des avions, mais ne les emploie quepour sa mission de service public. » Et«pour ce genre de prises de vues nocturnes,il faut une caméra spécifique et de l'expé-rience, que seul l'IGN possède.» �

Comment le projetde photographies aériennesnocturne est-il né ?Tout a commencé en 2009quand l’IGN est venu présen-ter à Genève ses premièresexpérimentations de photo-graphies aériennes noc-turnes. Le Canton de Genèvea l’habitude de travailler àpartir de photographies aé-riennes pour étudier, projeteret communiquer sur les amé-nagements futurs de l’espaceurbain. Et comme l’IGN estun partenaire du Systèmed'information du territoire genevois(SITG), il était donc naturel qu’il le soitégalement dans ce genre d'opération trèsspécifique. Mes collègues ont tout de suiteété intéressés par cette expérience. C’est àce moment que l’idée de monter un parte-nariat scientifique a germé.

Pourquoi traquer la lumière ?Notre objectif était d’utiliser ces photosnocturnes pour mener à bien un diagnos-tic de l’éclairage public. La loi sur l’énergieentrée en vigueur en 2010 oblige les com-munes à réaliser tous les quatre ans undiagnostic de l’efficacité énergétique desinstallations du canton, mais aussi undiagnostic de la pollution lumineuse. Nousavons ainsi voulu tester, grâce à ces prisesde vues nocturnes, s’il était possible de dé-terminer, en fonction du type de lampes,la manière dont elles éclairent, et si elleséclairent plus le sol que le ciel par exemple.La loi sur l’énergie prévoit que les éclai-

rages et illuminations publicssoient conçus, réalisés et ex-ploités de manière à garantirune utilisation économe etrationnelle de l’énergie. Ge-nève envisage également demodifier sa réglementationen matière d’utilisation desenseignes lumineuses. Elleprévoit d’éteindre ces en-seignes entre une heure etsix heures si l’activité a cessédans le bâtiment.

En quoi la pollutionlumineuse fait-elle

du tort aux animaux ?C’est une autre application intéressante : ils’agit, avec ces clichés nocturnes, de connaî-tre l’impact de la pollution lumineuse surla biodiversité. De nombreuses espèces ani-males nocturnes, ou migrant sur le terri-toire, peuvent être dérangées par dessources lumineuses intempestives, mal si-tuées, mal orientées, ou trop fortes. Noussouhaitons réaliser une carte des sourceslumineuses précisant les sites restant dansl’obscurité toute la nuit et recouper ces in-formations géoréférencées avec celles surla faune, comme les insectes, les chauves-souris. Ces données permettront d’amélio-rer les connaissances sur les habitats et lesvoies de migration à préserver ou à re-constituer, donc nécessaires à la conserva-tion de la biodiversité. Les autorités ducanton souhaitent exploiter ces informa-tions pour établir des trames noires, descouloirs sans lumière limitant l’impact dela pollution sur la faune.

3 questions à...Laurent NiggelerDirecteur de la mensurationofficielle du canton deGenève et géomètrecantonal.

NOUS RÉALISONS UNE CARTEDES SOURCES LUMINEUSES »

CompensationLa caméra élaborée pour la missioncomporte un dispositif de compensationélectronique de la vitesse de l’avion, et des vibrations.

Bel-Air 1Photode base.

Bel-Air 2Classement par intensitélumineuse.

Bel-Air 3Détection des sourceslumineuses (en rouge).

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1986 Naissance à Versailles.

2003 Obtient un baccalauréat scientifique.

2003 à 2008 Etudiant à Epitech, école d’ingénierie en informatique.

2011 Fonde Geonef, société d’innovationcartographique.

Depuis 2013 Enseignant-vacataireà l'École nationale des sciences géographiques(ENSG) et à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée.

2013 Lauréat du concours Géoportailavec Terres de Guerre.

Lignes de vie

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AVRIL-MAI-JUIN 2014 IGN MAGAZINE / 31

Jean-FrançoisGigandFondateur de la société Geonef, Jean-François Gigand fut d’abord le créateurde l'Expédition, un carnet de voyages géolocalisé. Touche-à-tout, il a remportéle concours Géoportail 2013 avec Terres de Guerre, une application commémorant le centenaire de la guerre de 14-18.

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Qu’est-ce que Terres de Guerre ?En cette année de commémoration du centenaire de laGrande Guerre, cette application invite l’utilisateur à re-visiter les moments forts de la Première Guerre mondiale,au plus près du terrain, et à revivre la vie des soldats dansles tranchées. Terres de Guerre permet à travers les té-moignages des soldats de comprendre ce qu’ils ont vécusur le front, de localiser les batailles en suivant des itiné-raires virtuels. Avec « La terre s’en souvient », on peut parexemple visualiser sur des photographies aériennes lestraces laissées par les combats. Le Géoportail permet eneffet de remonter le temps grâce à des photographies aé-riennes historiques. « Paroles de poilus » donne la part belleaux témoignages des appelés. Ce site très épuré a remportéle prix spécial du jury du Concours Géoportail 2013.

Comment en êtes-vous arrivé à concevoir ce type d’applications ?Ma première application fut l'Expédition, un carnet devoyage géolocalisé. Il permet de raconter ses périples surune carte et de partager les étapes sur Internet. Avec Carthistoire, développé dans la foulée, il s’agit de répon-dre aux besoins de représentation d’une période de l'His-toire, en donnant à l'utilisateur la possibilité de changerl'échelle, et de filtrer les informations historiques qu'il sou-haite voir. C’est un usage très pertinent de la cartographie.Une application qui m’a valu d’être lauréat du concoursGéoportail 2010, dans la catégorie « tourisme et culture ».

D’où cet intérêt pour les cartes vient-il ?Je ne sais pas vraiment. En fait, je suis très curieux de tout.La cartographie et l’innovation répondent à cette curio-sité, à mon besoin de compréhension et de créativité. J’aigrandi près d’Étampes, à Ormoy-la-Rivière. Enfant, je netenais pas en place, j’aimais construire des cabanes dansles arbres. Je faisais la tournée des encombrants et restaispendant des heures à réparer tous ces objets trouvés dansma cabane perchée. Puis j’ai commencé à coder avec unecalculette à l’âge de 8 ans. Un ami possédait un Apple 2dans son garage, qui nous a valu de longs week-ends à co-der. C’est ainsi que je me suis passionné pour la pro-grammation. Mon premier ordinateur, je ne l’ai eu qu’à 13ans. Je suis plutôt scientifique. Ma sensibilité littéraire s’estdéveloppée plus tardivement, au lycée.

Et l’exploration des catacombes ?Il existe un autre Paris sous Paris. Un terrain d’explora-tion extraordinaire avec un réseau de 300 kilomètres degaleries sous la ville lumière et davantage en banlieue. Laconstruction du périphérique a fragmenté ce monde. J’aicommencé à y descendre en 2007, pour explorer et pas-ser du temps avec mes amis. Sous terre, on est en totaldécalage avec la vie réelle, on perd la notion du temps,entouré de pierres, de bougies. Les codes sociaux dispa-raissent. Nous explorons des zones qui n’ont pas été ex-plorées depuis des dizaines d’années. Ce monde nouveaudonne un sentiment de liberté. J’aime explorer sans carte,me perdre. Ainsi pendant deux ans, je suis descendu plu-sieurs fois par semaine. Et à la fin, je connaissais tellementbien ces galeries que j’ai pu dessiner ma carte du XIIIe ar-rondissement. Le projet Catapatate, est une cartographiecollaborative, mais confidentielle, des catacombes et car-rières souterraines de Paris. Depuis 2008, il a permis derépertorier 168 carrières et 352 accès aux catacombes.

À quoi les cartes du futur ressembleront-elles?Elles seront spatio-temporelles, déformables et interac-tives. Plus subtiles, elles apprendront à parler à notre psy-chologie en s'adaptant à notre personnalité. C'est en pre-nant de la distance par rapport au terrain qu'elles ga-gneront en pertinence : le référentiel est souvent subjec-tif. Je pense aux plans de la RATP où la topologie primesur le respect des distances, aux cartes touristiques ar-tistiques où l'imaginaire prime sur l'exhaustivité des ren-seignements en usant de dessins, croquis et autresmonstres marins propres aux cartes de jadis.Le logo de la RATP est ma carte préférée de Paris ! Ellerappelle étrangement les premières cartes de l'Histoirede l'humanité, dessinées par les aborigènes d'Australiepour situer les points d'eau. Mi-géographiques, mi-men-tales, ces cartes schématiques brillent par leur simplicité.

Le logo de la RATP est ma carte préférée de Paris! Elle rappelle étrangement les premières cartes de l’Histoire, dessinéespar les aborigènes d’Australie pour situer les points d’eau»

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Vol de nuitPhotographie aériennenocturne sur la villede Genève (Suisse) prisepar l’un des avionsphotographes de l’IGNpour traquer la pollutionlumineuse.IGN / DMO

IGN/CINQUIEMECOLONNE/2014/REF.14/MAGIGN74