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FAMILLE ET PARENTÉ À SALONE DANS L’ANTIQUITÉ TARDIVE D’APRÈS LES SOURCES ÉPIGRAPHIQUES FRANÇOISE PRÉVOT UDK: 930.271 (497.5 Solin) “652/653“ Université Paris-Est Créteil Izvorni znanstveni članak F - La Varenne - Saint-Hilaire, 6 r. H. Régnault Primljeno: 25. II. 2011. Salone, capitale de la Dalmatie, offre un ensemble remarquable de 826 inscriptions de l’Antiquité tardive – 742 latines, 84 grecques –, en majorité des épitaphes, dont l’édition s’est achevée récemment. Située en Occident, la cité est très proche des régions de langue grecque et accueille en outre, grâce à son port, beaucoup d’Orientaux, essentiellement Syriens. On pour- rait croire que ces circonstances auraient fait de Salone un creuset où se seraient fondues des inuences diverses. Or il n’en est rien : d’une part le corpus grec et le corpus latin sont étanches, excepté une épitaphe bilingue pour le ls d’un comte au VI e siècle (n o 758) ; d’autre part les formulaires sont différents et restent tributaires des traditions de chacune des deux com- munautés. Une des originalités du corpus latin tient ainsi à son ancrage dans la tradition, avec le maintien des duo nomina au moins jusqu’au milieu du V e siècle et d’un formulaire funéraire classique durant tout le IV e s., voire au-delà pour certains aspects. Contrairement à la plupart des séries d’inscriptions de l’Antiquité tar- dive livrées par d’autres sites, le corpus salonitain se caractérise par l’insis- tance sur les liens familiaux, exactement comme sur les épitaphes du Haut- Empire. Alors que, ailleurs, les liens familiaux séculiers s’effacent derrière le lien personnel, si important à l’heure de la mort, entre chaque individu et Dieu, à Salone les épitaphes ordinaires restent attachées au formulaire traditionnel. Cela ne veut pas dire que les Salonitains n’étaient pas de bons chrétiens mais beaucoup exprimaient leur foi, non par des mots, mais par une simple croix ou, surtout, par la situation de leur tombe, an de béné- cier de l’intercession des martyrs. C’est un plaisir pour moi de rendre ici hommage à Emilio Marin en présentant une étude directement issue du travail auquel j’ai participé avec lui et bien d’autres à Split et à Salone durant de nombreuses an- 257

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Salona kasna antika

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  • FAMILLE ET PARENT SALONE DANS LANTIQUIT TARDIVE DAPRS LES SOURCES PIGRAPHIQUES

    FRANOISE PRVOT UDK: 930.271 (497.5 Solin) 652/653Universit Paris-Est Crteil Izvorni znanstveni lanakF - La Varenne - Saint-Hilaire, 6 r. H. Rgnault Primljeno: 25. II. 2011.

    Salone, capitale de la Dalmatie, offre un ensemble remarquable de 826 inscriptions de lAntiquit tardive 742 latines, 84 grecques , en majorit des pitaphes, dont ldition sest acheve rcemment. Situe en Occident, la cit est trs proche des rgions de langue grecque et accueille en outre, grce son port, beaucoup dOrientaux, essentiellement Syriens. On pour-rait croire que ces circonstances auraient fait de Salone un creuset o se seraient fondues des infl uences diverses. Or il nen est rien : dune part le corpus grec et le corpus latin sont tanches, except une pitaphe bilingue pour le fi ls dun comte au VIe sicle (no 758) ; dautre part les formulaires sont diffrents et restent tributaires des traditions de chacune des deux com-munauts. Une des originalits du corpus latin tient ainsi son ancrage dans la tradition, avec le maintien des duo nomina au moins jusquau milieu du Ve sicle et dun formulaire funraire classique durant tout le IVe s., voire au-del pour certains aspects.

    Contrairement la plupart des sries dinscriptions de lAntiquit tar-dive livres par dautres sites, le corpus salonitain se caractrise par linsis-tance sur les liens familiaux, exactement comme sur les pitaphes du Haut-Empire. Alors que, ailleurs, les liens familiaux sculiers seffacent derrire le lien personnel, si important lheure de la mort, entre chaque individu et Dieu, Salone les pitaphes ordinaires restent attaches au formulaire traditionnel. Cela ne veut pas dire que les Salonitains ntaient pas de bons chrtiens mais beaucoup exprimaient leur foi, non par des mots, mais par une simple croix ou, surtout, par la situation de leur tombe, afi n de bnfi -cier de lintercession des martyrs.

    Cest un plaisir pour moi de rendre ici hommage Emilio Marin en prsentant une tude directement issue du travail auquel jai particip avec lui et bien dautres Split et Salone durant de nombreuses an-

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    nes1. Conservateur de la collection pigraphique du muse de Split de-puis 1973 puis directeur du mme muse de 1988 2004, E. Marin fut en effet, avec Nol Duval, le matre duvre dune coopration scientifi que exemplaire entre la Croatie et la France, dfi nie ds 1983 par un accord formel. Parmi les principaux axes de cette coopration fi gurait la publi-cation des inscriptions de Salone chrtienne du IVe au VIIe sicles. Pari fou qui exigeait dabord de trier des tonnes de pierres pour slectionner celles qui entraient dans le cadre du programme - chose bien dlicate dans le cas de certains fragments -, den retrouver et den prsenter la biblio-graphie dans le cas des inscriptions dj dites, de dchiffrer et restituer les textes, de les traduire et enfi n de les commenter ligne ligne. Le pari fut tenu et une collaboration fructueuse sinstalla dans la dure. Je nai rejoint lquipe quen 1996 mais jai effectu suffi samment de sjours estivaux Split pour tmoigner de lexcellent accueil que nous a toujours rserv E. Marin et des remarquables conditions de travail dont il nous a fait bnfi cier. lintrt scientifi que de ces sjours sajoutait le plaisir de retrouvailles amicales dans un cadre enchanteur, le soleil, la mer, les repas gastronomiques ; bref, grce E. Marin, nous avons dcouvert tout le charme de la Croatie.

    Salone, capitale de la Dalmatie, offre un ensemble remarquable de 826 inscriptions de lAntiquit tardive 742 latines, 84 grecques , en majorit des pitaphes, dont ldition sest acheve rcemment2. Situe en Occident, la cit est trs proche des rgions de langue grecque et accueille en outre, grce son port, beaucoup dOrientaux, essentiellement Syriens. On pour-rait croire que ces circonstances auraient fait de Salone un creuset o se seraient fondues des infl uences diverses. Or il nen est rien : dune part le corpus grec et le corpus latin sont tanches, except une pitaphe bilingue pour le fi ls dun comte au VIe sicle (no 758) ; dautre part les formulaires sont diffrents et restent tributaires des traditions de chacune des deux communauts. Une des originalits du corpus latin tient ainsi son ancrage dans la tradition, avec le maintien des duo nomina au moins jusquau mi-lieu du Ve sicle et dun formulaire funraire classique durant tout le IVe

    1. Une premire version de cette tude a t prsente au colloque Parent et stra-tgies familiales organis par Chr. Badel et Chr. Settipani Paris du 5 au 7 fvrier 2009 ( paratre en 2010). Je remercie vivement les organisateurs de ce colloque de mavoir autorise reprendre ce travail en hommage Emilio Marin.

    2. Salona IV (2010). Chaque inscription fait lobjet dun commentaire dtaill et le corpus est prcd dune large introduction synthtique. Je dois beaucoup laide dE. Ma-rin et au travail de tous les participants, en particulier N. Duval, N. Gauthier, J.-P. Caillet pour les textes latins, et D. Feissel pour les textes grecs.

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    s., voire au-del pour certains aspects. Dans ces conditions, le formulaire chrtien strotyp (du genre fi delis ou in pace), si frquent ailleurs, est peu diffus Salone : la moiti des pitaphes ne permettent pas de connatre la religion du dfunt, qui nest donc pas individualis par son engagement spirituel. Le christianisme nest souvent marqu que par une croix ou ne se dduit que du nom du dfunt ou de la localisation de sa tombe dans une basilique : le texte nen dit rien. En revanche, comme au Haut-Empire, les liens de parent sont souvent mentionns : le dfunt est donc caractris par rfrence sa famille.

    Cest surtout vrai dans le corpus latin. La documentation quil four-nit est cependant trop disparate et trop tale dans le temps pour que lon puisse reconstituer des parents sur plusieurs gnrations et mettre en lu-mire des stratgies, mais elle donne une certaine image de la famille et montre le soin apport par les Salonitains, de leur vivant, la prparation de leur tombeau ainsi que le souci des poux de rester unis dans la mort.

    I. COMMENT APPARAT LA PARENT ? De ce point de vue, il faut distinguer corpus grec et corpus latin car ils

    relvent de traditions onomastiques et de groupes sociaux diffrents : les Latins sont essentiellement des Salonitains, alors que les Grecs sont des expatris, sjournant de faon temporaire Salone pour leurs affaires.

    1. La parent dans le formulaire onomastiqueLa parent apparat dabord travers la mention du gentilice qui permet

    de se rattacher une ligne. On ne trouve quun seul cas de tria nomina, le gouverneur Marcus Aurelius Iulius (no 12, peu aprs 316). En revanche, le port des duo nomina reste en usage dans bon nombre de familles salo-nitaines au moins jusquau milieu du Ve sicle, avec encore au IVe sicle une grande varit de gentilices. Au contraire, Rome, selon ltude de Kajanto, ds le IVe sicle (entre 313 et 410), presque 9 personnes sur 10 ne portaient quun seul nom3.

    Dans notre corpus, selon ltude de D. Feissel, sur plus de 400 per-sonnes dont le nom est suffi samment conserv, la moiti environ portent un gentilice (au total 204, dont 141 sont des Aurelii ou des Flauii). Et cest un minimum puisque lpigraphie funraire, de caractre priv et non pu-blic, ne rend pas obligatoire la mention du gentilice ; un mme personnage peut user, selon le cas, de ses duo nomina ou de son cognomen seul, tel le diacre Fl. Iulius, dsign galement sur la mme pierre sous la forme Iulius

    3. I. KAJANTO (1997), p. 104.

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    zaconus (no 152).Abondants chez les Latins de notre corpus, les gentilices sont plus rares

    chez les Grecs : seulement 11 Grecs sur les 35 dont on connat le nom portent un gentilice et il sagit toujours dAurelius/a, sauf un Valerius. Au contraire, les gentilices port par les Latins sont varis. On relve ainsi :

    - 27 gentilices non impriaux diffrents, reprsents en gnral par une seule occurrence (sauf Antonius et Varius attests trois reprises) ;

    - 10 gentilices impriaux du Haut-Empire, ports par 32 personnes ;- Et surtout, comme partout au Bas-Empire, des Aurelii et les Flauii, qui

    reprsentent respectivement 114 et 27 personnes.La transmission du gentilice est toujours normale4 sauf au no 382 :

    Aur(elia) Iuliana porte le gentilice de sa mre, Aurelia Emerius, et non de son pre Fl(auius) Iulius5. Ajoutons trois cas incertains :

    - no 223 : Val(erius) Crescentius est le frre de Flaui[a] C[res]centia. Mais il peut sagir de son demi-frre (mme mre mais pre diffrent).

    - no 296 : Iul(ius) Fronto, fi lius Vitalianus, fi lia Valentilla Vibia. Si lon considre Vibia comme un gentilice postpos, la fi lle ne porte pas le mme gentilice que le pre, mais il pourrait sagir dun deuxime cognomen.

    - no 651 : [A]ur(elius) Iuncu[s] semble le pre de [F]abius Labe[o], mais ce nest pas certain.

    Lindication de la fi liation est quasiment de rgle sur les pitaphes grecques. Le nom personnel peut tre suivi directement du nom du pre au gnitif, conformment au formulaire grec traditionnel (nos 748, 765, 766, 767, 793), ou plus souvent li au patronyme par le terme de parent (10 exemples) ou (2 exemples). En outre, le nom du grand-pre (pap-ponyme), est donn pour deux Orientaux de la mme localit (nos 767, 793).

    Au contraire, lindication de la fi liation est exceptionnelle dans le cor-pus latin. Elle est alors exprime par rfrence aux duo nomina ou au co-gnomen du pre. On la trouve sur deux pitaphes (incompltes) de per-sonnes originaires du monde grec ou barbare ou pour mettre en valeur un membre minent de la famille :

    - no 142 : []nus Eusebi (fi lius) Cyriaceti []ae ciuis Sauien[sis f]iliae (fi n IVe s.)

    - no 423 : Ariver, fi lius Tro[] Vonoso : un barbare (fi n Ve s-1er tiers VIe s.)

    4. Seules 45 pitaphes latines nous fournissent la fois le nom dun ou des parents et celui dun ou plusieurs enfants, le tout parfois mutil.

    5. Cf. J.-M. LASSRE (2005), p. 101, pour dautres cas sans explication vidente (lexplication classique est enfant naturel ).

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    - no 92 : Vlp(ius) Ananius, u(ir) s(pectabilis), fi lius Lampridi, clarissi-mae memoriae uiri (428)

    - no 477 : []ana, h. f., fi lia Apria[ni] (2nde moiti IVe s.)Ajoutons deux pitaphes o la fi liation, sans faire vraiment partie du

    formulaire onomastique, est souligne demble comme lment distinctif de la dfunte :

    - 101 : Benina, honesta femina, quae fuit uxor Marciani memorialis, fi lia uero Dextrae, h(onestae) f(eminae) (milieu Ve s.)

    - 432 : diui Constanti pignus (IVe s.)

    La transmission du cognomen apparat huit fois dans le corpus latin et, trois fois, le texte la souligne. Elle se fait aussi bien par le pre que par la mre :

    - no 220 : Suellius Septiminus porte les mmes duo nomina que son pre (1re moiti du Ve s. au plus tard)

    - no 382 : Aur(elia) Iuliana, dont on a vu quelle porte le gentilice de sa mre Aurelia Emerius, porte un cognomen driv de celui de son pre Fl(auius) Iulius (2nde ? moiti du IVe s.)

    - no 432,1 : le texte prcise demble que la dfunte, rejeton du divin Constance , tire son nom de celui de son pre : [Di]ui Constanti pignus de nomine nomen. Mais lpitaphe mutile ne permet pas de savoir si elle sappelle Constantia ou Constantina (IVe s.)

    - no 442 : Flauia est la fi lle de Flauianus (IVe s.)- no 141 : Aur(elius) Vertianus porte un cognomen de mme ra-

    cine que celui de sa mre, Aur(elia) Vernantilla (fi n du IVe s.) Faut-il en conclure quil sagit du fi ls cadet ?

    - no 429 : Bocontius porte le mme nom que sa mre Bocontia (IVe s. ?) et le texte semble souligner cette homonymie. Cet ethnique gaulois (de la cit des Voconces en Narbonnaise) est rarement utilis comme co-gnomen : Kajanto nen connat que quatre autres occurrences6 et cest le seul exemple en Dalmatie. Dautres lments du texte suggrent lorigine gauloise de la famille.

    - no 667 : [Rus]ticianus porte un cognomen driv du gentilice de sa mre Rusticia Clod[iana] (1re moiti du IVe s.)

    - no 668,3 : [materno reno]uans in nomine fl etus (IVe s.). Si la resti-tution est juste, la dfunte Silvia porte le mme nom que sa mre, morte avant elle.

    6. I. KAJANTO (1965), p. 418.

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    2. La mention de la parent en dehors du formulaire onomastiqueElle est rare en grec, mais frquente en latin. Sur les 183 inscriptions rv-

    lant des liens de parent, ces liens apparaissent en dehors du formulaire ono-mastique sur 96 % des textes latins7 et 31 % des textes grecs8. Le contraste est saisissant ! Cest que les textes grecs sont trs peu dvelopps, alors que les textes latins mentionnent souvent le ou les ddicants et/ou le ou les fondateurs du tombeau et soulignent le rapport entre les diffrents personnages cits.

    Notation du lien de parentCe lien peut-tre not en apposition au nom dun(e) dfunt(e), pour le

    relier un membre minent de la famille. En ce cas, il sagit le plus souvent du mari, toujours un homme de qualit : un ancien proconsul dAfrique, un memorialis, un ancien corniculaire.

    - no 101 : Benina, honesta femina, quae fuit uxor Marciani memorialis, fi lia uero Dextrae, h(onestae) f(eminae) (milieu Ve s.) = no 225 : Benina, h. f., matron(a) [F]l. Marciani memorialis (2e quart du Ve s.)

    - no 159 : Honoria, Constanti coniux. Or lpitaphe postrieure de Constantius montre quil tait ex proconsul dAfrique

    - no 411 : Octauiae carae domin(ae) et tecusae rarissimae summ(ae) sanctim(oniae) et benignitatis femin(ae), coniugi [Sal/Ant]oni Sabiniani, uet(erani) ex cornic(ulariis) co(n)s(ularis) leg(ionis) I Adi(utricis), signo Scammati, e(uitis) R(omani), cum quo conco[r]diter uixit ann. XXX

    - no 473 : Vincentia, dulcis Proserii coniux- no 91 : Duina, ancilla Balentes e(t) sponsa Dextri (426 ou 430)En outre, lpitaphe de lvque Primus (no 462) prcise, tout la fi n,

    quil est nepos du martyr Domnio. Il sagit pour lvque de se rattacher un membre de sa famille rendu illustre par son martyre. En mme temps, cela peut justifi er linhumation de Primus tout prs de la tombe martyriale. Ajoutons le no 63 qui nest pas une pitaphe et signale que les travaux en-trepris par lvque Synferius, ont t achevs par Esychius, son nepos, avec le clerg et le peuple .

    Mais le lien de parent apparat surtout dans les ddicaces funraires qui prcisent le rapport entre le ddicant et le dfunt, ou dans les textes quivalant un titre de proprit : texte rappelant la fondation de la tombe et numrant les ayant-droit ou formule du type sarcophage (arca) de suivie du nom des propritaires.

    Ex : no 646 : arca Victorini et Sextiliae, fratribus germanis.

    7. 148 des 154 inscriptions latines.8. 9 sur 29 : nos 747, 760, 761, 766, 792, 794, 801, 808, 820.

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    Les liens de parent les plus souvent mentionns concernent la fa-mille nuclaire

    Cela na rien de surprenant et confi rme les travaux de Richard P. Saller et Brent D. Shaw mens partir de lpigraphie funraire du Haut et du Bas-Empire9 : la famille nuclaire tait indubitablement le modle social dominant, surtout dans les zones urbanises. Ces auteurs notent mme que la prdominance de la famille nuclaire comme centre des obligations fa-miliales et des sentiments augmente aprs le IIIe sicle10.

    Les liens conjugaux sont les plus souvent mentionns (106 occur-rences). En gnral, cest propos de la femme quapparat un terme du vocabulaire conjugal.

    - 14 pitaphes mentionnent le couple uniquement en tant que parentes11 ;- sur 6 pitaphes le lien conjugal nest pas prcis mais il est implicite12 ;- sur 12 pitaphes le mot coniux apparat, sans quon sache sil dsigne

    la femme ou le mari13.- Sur les 74 restantes, 60 emploient un terme du vocabulaire conjugal

    propos de la femme et seulement 17 propos du mari (les nos 224, 390, 398 le font la fois pour le mari et pour la femme).

    Et pourtant, tous ges confondus, les hommes sont beaucoup plus nom-breux14. Comment expliquer cette distorsion ? Brent D. Shaw note que, en Occident, ds le Haut-Empire, les ddicaces de mari femme sont bien plus nombreuses que linverse et y voit le signe dune rvaluation de la position de la femme, la fois comme compagne et comme tre aime15. Surtout, Salone, le couple a souvent prpar sa tombe de son vivant ; dans ce cas, la formule courante est : untel et son pouse unetelle ont pr-par leur tombe . Lhomme nest donc qualifi dpoux que lorsque, rien nayant t prvu de son vivant, cest sa femme qui a d se charger de la prparation de la tombe et la ddie son mari. Parfois aussi, cest le mari lui-mme qui, en tant que ddicant, se qualifi e de maritus.

    Le mari est en effet le plus souvent dsign par le terme maritus16, le seul qui ne soit pas asexu et ne risque donc pas de prter confusion.

    9. R. SALLER et B.D. SHAW (1984), p. 124-156 ; B.D. SHAW (1984), p. 457-497; ID., (1991), p. 66-90.

    10. B.D. SHAW (1984), p. 469.11. nos 106, 122, 145, 232, 377, 380, 382, 394, 418, 431, 442, 459, 460, 482.12. nos 230, 393, 397, 470, 477, 511.13. nos 118, 127, 262, 357, 433, 492, 509, 513, 519, 676, 707, 724 (et peut-tre 620).14. Le corpus latin fournit les noms de 247 hommes et 176 femmes.15. B.D. SHAW (1991), p. 83.16. nos 84,2, 98 ?, 101, 102, 218 ?, 220, 224,9-10, 229,5, 378, 379, 444 ?, 448 ?, 473,2,

    481 ?, 666, 674.

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    - Compar nest employ que dans trois ddicaces au dfunt : nos 83, 404 et 412.

    - Coniux nest employ quune fois dans une ddicace (no 437 : coniugi suo) et deux fois pour voquer la dure du mariage : Altena Romana seruiuit pendant 16 ans son mari dfunt (no 450), tandis que Alexandria est putita (= potita : elle a possd) dulcem coniugem pendant 26 ans (229,6). En outre, au no 618,24, coniux dsigne le mari survivant (maerentes coniux natique).

    - Enfi n, le no 193, malheureusement mutil, se contente dun simple uir, dans lexpression haec administrante uiro dont labsence de contexte ne permet pas dlucider le sens.

    Pour la femme, le vocabulaire est plus vari. Dans lordre des frquences :- 21 coniux- 15 uxor- 6 iugalis (tous au VIe s. dans la formule arca duntel et de son pouse

    unetelle) : nos 242, 254, 284, 299, 454, 630- 2 compar : nos 224,13, 441- 3 matrona dont la femme dun memorialis et celle dun prtre (toutes

    fi n IVe-Ve s.) : nos 142, 194, 225- 1 sponsa, en 426 ou 430 (no 91 : ancilla Balentes e(t) sponsa Dextri).Enfi n, le terme uirginius/a, quel quen soit le sens, dont nous reparle-

    rons, signale indiscutablement une personne marie.Les rapports de fi liation sont galement souvent signals. On relve 77

    mentions des liens parents-enfants. Le vocabulaire employ est en gnral banal : parentes (11 fois), mater (15 fois), pater (3 fois), fi lius (20 fois), fi lia (16 fois). Seules les inscriptions mtriques offrent un vocabulaire plus re-cherch : genitor (no 460 d,9) pour le pre, genetrix (no 460 d,9) et le terme dorigine grecque tecusa (no 411) pour la mre et, pour les enfants : natus (nos 96,9 et 13, 229,8, 429,1, 460 d,4, 618,24), paruus/paruulus (nos 159 a, 1 et 3), pignus (nos 432,1, 460 d,5), progenies (no 432,2). La fi liation transg-nrationnelle napparat que 5 fois : pour un grand-pre (auus au no 199) et pour des petits-fi ls, si cest ici le sens de nepos (nos 63, 96,11, 462, 623).

    Les liens de germanit sont mentionns 13 fois : frater (7 fois), germa-nus (no 96,9), fratres germani (no 646, pour un frre et une sur) et soror (nos 88, 133,7, 14117, 223).

    Les liens de parent concernant la famille nuclaire largie sont rares. Il sagit uniquement des liens entre oncle et neveu ou nice :

    17. Vu le contexte, sorori suae semble ici dsigner la belle sur et non la sur du ddicant.

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    - neveu, si cest ici le sens de nepos (nos 63, 96,11, 462, 623). Cf. peut-tre le no 820 [ (?)..].

    - nice : fratris fi lia (no 592), dans un contexte indtermin car le texte est fragmentaire. La priphrase est employe pour viter lambigut de neptis (petite-fi lle ou nice). Cf. aussi le no 808 : (); [?..], o la dfunte est sans doute la nice du ddicant Strios.

    On ne trouve quun seul cas de parent par alliance, dans un carmen (no 618,25) qui mentionne le gendre (gener) de la dfunte parmi ceux qui la pleurent.

    Les liens de parent voqus sur les pitaphes ne concernent donc que la famille rduite, presque toujours la famille nuclaire. Un seul texte pourrait suggrer que la sur de lpouse vit avec le couple et ses enfants. Il sagit du no 141 : Aurelius Fortunius, la demande de son pouse Aurelia Vernan-tilla, sa sur Ursa, qui a vcu de leur charit, sans nulle obligation. Aurelius Fortunius a concd un emplacement dans le tombeau quil a fond (Aur. Forunius, petu(s) a co iuge sua Aur. Vernatilla, sorori sue Vrse, que uixit ex caritate eorum sene ullo deuitum. Aur. Fortunius concessit locu(m). Grammaticalement, sorori sue Urse dsigne la sur du fondateur, Fortunius, mais comme cest lpouse de Fortunius qui la convaincu de faire une place Ursa dans le tombeau, il sagit plus probablement de sa belle sur.

    Limage de la famille qui se dgage de toutes ces mentions est la fois conventionnelle et en partie nouvelle.

    II. LIMAGE DE LA FAMILLE1. Limage du couple

    Lappartenance au couple : un lment de lidentitOn a vu supra les quelques cas o le nom du mari est immdiatement

    donn aprs celui de la femme. Surtout, lvocation de la vie conjugale fi gure sur seize pitaphes18 : dix fminines, quatre masculines (nos 140, 218, 229, 571) et sur deux fragments qui ne nous rvlent pas le sexe du dfunt. Cest un lment plus essentiel pour une femme que pour un homme car elle passe de la puissance paternelle celle de son mari, comme le sous-entend le no 161, o lhomme prcise propos de sa femme : elle que jai reue de ses parents 18 ans (a parentibus ipsius suscepi annos XVIII). Mais il sagit le plus souvent dindiquer la dure

    18. Toutes attribuables au IVe s. sauf les nos 218 (dat de 517/518), 229,6 (VIe s.) et 450 (1re moiti du Ve s.).

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    du mariage19. Cette insistance sur la dure, et non sur le moment prcis o la femme est passe sous lautorit de son mari, montre que cette men-tion ne sinscrit pas dans un contexte juridique mais affectif. Sept fois le texte prcise dailleurs que les poux ont vcu concorditer. Pour le conjoint survivant, cest lvocation dun temps heureux dont le souvenir doit tre gard. Do la prcision du no 224 : 24 ans, 5 mois et 25 jours. Se concen-trant sur cette donne, le survivant nglige le plus souvent de donner lge du dfunt. Il nest prcis que quatre fois, ce qui permet de calculer lge du mariage : deux hommes se sont maris 24 ans (nos 229, 450) et deux femmes 14 ans (no 381, 398?), sans oublier celle que le mari a reue 18 ans , voque supra.

    La formule habituelle est qui a vcu avec le survivant ou avec qui a vcu le survivant. Elle est atteste jusquen 517/518 (no 218). Mais sur deux pitaphes, le ddicant emploie un verbe du champ lexical de la pos-session, aussi bien pour un homme que pour une femme, pour signifi er que les poux taient tout lun pour lautre :

    - no 381 : qu[a]m hab(ui) annos XI (2nde moiti IVe s.)- no 229,6 : Alexandria pleure son poux chri qui fut sien pendant

    vingt-six annes qui (= quae) est putita (= potita) dulcem coniugem ann. XXVI (VIe s.)

    Une fois, un texte du Ve sicle (no 450) prcise que la ddicante a servi son cher mari pendant 16 ans (seruiuit annus XVI coniugi caro). Lobse-quium est en effet un devoir essentiel de lpouse. On retrouve l limage conventionnelle du couple.

    Une image conventionnelleElle est visible jusquau milieu du Ve s. travers des adjectifs stroty-

    ps voquant laffection entre les poux : - le mari est carus (nos 450, 473,2), dulcis (no 229,5-6), dulcissimus

    (no 412, 571)- la femme est cara (no 411), carissima (nos 159 a,3, 161, 396, 453),

    dilectissima (no 416), dulcis (no 224,2), dulcissima (nos 263, 413, 480)- On trouve aussi [a]mantiss[imus/a] (no 698) pour un membre indter-

    min du couple20. Il en va de mme pour les qualits du conjoint. Certains adjectifs, comme

    benemerens ou piissimus, sont utiliss aussi bien pour le mari que pour la femme :

    19. 10 ans (no 398), 11 ans (no 381), 15 ans (no 140), 16 ans (no 411), 18 ans (no 138), 20 ans (no 102), 24 ans, 5 mois et 25 jours (no 224), 26 ans (no 229), 30 ans (no 450), 32 ans (no 161) ; cf. aussi les fragments nos 218, 537, 663 et 729?

    20. Pour un membre indtermin du couple, cf. aussi carus/a (no 707) et dulcissimus/a (nos 519, 551). Pour une personne indtermine, pas forcment lun des conjoints : carissimus/a (nos 564, 723), dilectissimus/a (no 586), dulcissimus/a (nos 302, 551, 700).

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    Hommes Femmesbenemerens no 666 nos 220, 492benignus no 378 nos 411 (benignitas)incomparabilis no 511 nos 110, 220, 376, 408piissimus/pientissimus no 224,13 nos 224,14

    Mais la plupart sont strictement rservs la femme. Le mari vante sa retenue sexuelle (castissima : nos 224,3, 408 ; inlibata : no 161), sa r-serve (pudor : no 624,2), sa grande vertu (sanctitas : no 161 ; sanctimonia : no 411), sa droiture ([inn]ocentissima ac obse[quentissima] : no 398,2 ; simplicitas : no 224,4), sa fi dlit (fi delitas : no 161), sa dfrence et son dvouement (obsequentia : no 224,5 ; obsequentissima : nos 113, 137, 398,2, 403, 516 ; uotissima : no 224,9 ; seruiuit annus XVI coniugi caro : no 450) et, plus original, ses qualits de mre (tecusa rarissima : no 411).

    Quelques pitaphes sloignent cependant du schma conventionnel en insistant davantage sur lamour qui rgnait entre les deux poux et sur lunit et lunicit du couple.

    Linsistance sur lunit du coupleElle se marque par exemple, au IVe sicle, travers lemploi du terme

    uirginius/a : deux fois pour dsigner le mari (nos 140 et 398), trois fois pour dsigner la femme (nos 82, 99 et 224), une fois au pluriel, uirgini, pour dsigner les deux poux (no 390), plus un fragment indtermin : uir-gin[...] (no 715). Comme le montre N. Gauthier21 et contrairement ce qui a souvent t dit, le terme nest pas spcifi quement chrtien, mais apparat aussi en contexte paen. Son usage semble restreint Rome et la zone correspondant lIllyricum au sens large, y compris le nord de lAdriatique (Aquile). Enfi n et surtout, cest un terme charg dune forte connotation affective.

    Pour uirginia, tout le monde saccorde y voir une femme arrive vierge au mariage22. Comme lcrit N. Gauthier, le terme nest pas synonyme de uniuira23 et semble avoir une tonalit plus affective. Il est souvent accom-pagn de ladjectif possessif et se trouve souvent inclus dans une formule

    21. N. GAUTHIER dans Salona IV (2010), Appendice, p. 116-118.22. Elle est confi rme par son quivalent grec partheneikos (ICUR, n. s. I, 1869),

    parthenik (ICUR, n. s. IV, 11050) qui exclut quil puisse sagir dune assonance revtant un tout autre sens.

    23. Cf. Aurelia Legitima uniuira, quae abuit uirginium (ICUR, n. s. I, 1009), o les deux termes se rpondent.

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    indiquant la dure du mariage : le ddicant a prouv le besoin dvoquer un souvenir heureux. Car le conjoint se met toujours en scne, parfois la premire ou la deuxime personne24. Le terme nest jamais impersonnel, comme il le serait sil tait simplement suivi du nom du conjoint au gnitif.

    Pour le masculin uirginius, beaucoup de savants se sont refus admettre quun homme puisse se vanter de sa virginit avant le mariage25. Pour eux, le terme dsigne un homme qui a pous une femme vierge. Mais le pluriel uir-gini naurait aucun sens si le mot vantait uniquement la virginit de lpouse. On suivra donc plutt ceux26 pour qui uirginius dsigne un homme arriv lui-mme vierge au mariage. Lapplication du terme aux deux poux sou-ligne donc le caractre unique du couple, o chacun tait tout pour lautre.

    Mais lamour conjugal et lunit du couple apparaissent surtout dans quelques carmina funraires. Le pome no 224 est lpitaphe qui y insiste le plus. Le texte en est malheureusement trs alambiqu, avec des change-ments de locuteur et des ruptures de construction impromptus, mais il res-pire ladmiration et lamour pour celle qui, uirginia, me fut entirement dvoue moi, qui fut son seul mari .Ulpia Celerina dulcis habe (= aue)Gorgonio tuo castissima senper !cuius simplicitas et obsequentialaudatur et amatur ubique et cuiusconsiliis nulla decepta a(ni)mo,aeternamque domu(m), ut fecitsuperstes maritus, sic merte uirginiauotissima mihi uno marito ; et uosbene uiuendo haec saltem speraredepetis (= debetis). Vlpius Gorgoniuspiissimus Celerine conpari pientissimecum qua concorditer uicxit ann(is)XXIIII, m(enses) V, dies XXV. Viuisibi posuerunt posteris/q(ue) suis.

    24. Cf. ICUR, n. s. VII, 18900, uirginia mea ; ICUR, n. s. II, 5351, iscripsit tibi uirginiu(s) tuus.

    25. N. GAUTHIER, op. cit., cite A. FERRUA, Civilt cattolica, 1936, 4, p. 302 ; P. TESTINI, Archeologia cristiana, 1980, p. 374 ; Ch. PIETRI, Grabinschrift II (latei-nisch), dans le Reallexikon fr Antike und Christentum, 1983, publi dans sa version fran-aise sous le titre Inscriptions funraires latines , dans Christiana Respublica, Paris-Rome, 1997, III, p. 1407-1468.

    26. de sensibilit plus nordique , selon lexpression de N. Gauthier : C. M. KAUF-MANN, Handbuch der altchristlichen Epigraphik, Fribourg-en-Brisgau, 1917, p. 194 ; H. NORDBERG, Biomtrique et mariage , dans Sylloge inscriptionum christianarum veterum musei vaticani, 2, d. H. Zilliacus, Helsinki, 1963, p. 209.

    Aux dieux Mnes. Adieu, douce Ulpia Celerina, toujours trs chaste pour ton Gorgonius, toi dont on loue et dont on aime partout la droiture et la dfrence, toi dont aucun jugement ne fut jamais abus par les sentiments. Cette demeure ternelle, comme la fi t son mari qui lui survit, elle la mrite, elle qui, uirginia, me fut entirement dvoue moi, qui fut son seul mari. Vous aussi, en vivant comme il se doit, voil ce que vous devez tout le moins esprer.Le trs pieux Ulpius Gorgonius (a fait cette pitaphe) trs pieusement pour sa compagne Celerina avec qui il vcut en toute concorde 24 ans, 5 mois et 25 jours. De leur vivant, ils ont prpar (cette tombe) pour eux-mmes et leurs descendants.

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    Les deux premiers vers expriment de manire personnelle des banali-ts. On notera que les mots et obsequentissima sont de trop dans le vers, mais le mari na pas voulu renoncer cet loge traditionnel. La suite est plus originale. Le v. 3 est tonnant et plus diffi cile comprendre, dautant que le dernier mot est abrg : jai choisi a(ni)mo mais dautres ont pr-fr amo(re). Autre problme : nulla decepta est-il un fminin singulier ou un neutre pluriel ? Jai choisi la deuxime solution ; do ma traduction : aucun de ses jugements ne fut abus par le cur (animo), cest--dire par les sentiments . On aurait l un cho invers de lopinion traditionnelle selon laquelle les femmes sont, par nature, incapables de dlibrer et de dcider27. Au contraire, Celerina tait une sage, capable de matriser son af-fectivit, pour juger rationnellement et sans doute conseiller utilement son mari. Quoi quil en soit, dans tout le texte, laccent est incontestablement mis sur lunion des deux poux.

    Dans le pome no 460 d, la petite Petronia, morte 9 ans, est lenfant chrie ne dun doux et long amour (dulcis et longi pignus amoris). Ce vers exprime clairement le tendre amour des parents et suggre que lenfant dsire fut longtemps attendue.

    2. Limage des enfantsLamour des parents pour leurs enfants sexprime en gnral de faon

    convenue travers des adjectifs strotyps :- carissimus fi lius (no 399, 483 avant le milieu du Ve s.)- cari fratres (nos 133,1 VIe s.)- dulcissimus/a fi lia (nos 106, 377), fi lius (nos 136, 220), infans (nos 442).

    Ajoutons les nos 302, 551 et 700 o on ne sait qui est ainsi qualifi .Les enfants sont pars de qualits conventionnelles28 :- benemerens (no 106) et incomparabilis (no 418) ne sont employs que

    pour des fi lles- obsequentissimus (no 136) uniquement pour un fi ls- innocentisimus aussi bien pour des garons (nos 135, 447) que pour

    des fi lles (nos 382, 628)- piissimus/pientissimus est plus frquent pour des garons (nos 136,

    232, 405, 487) que pour des fi lles (no 442)Cependant certains lments montrent quun regard nouveau est port

    sur lenfant.

    27. Cf. Cic., Mur., 27 : Mulieres omnis propter infi rmitatem consili maiores in tuto-rum potestate esse voluerunt.

    28. Je ne prends pas en compte ladjectif innocens qui dsigne un trs jeune enfant : nos 112, 131, 251, 431, 562, 648.

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    Limportance des pitaphes denfantsRappelons dabord que la coutume sociale ne poussait pas honorer de

    jeunes enfants par un monument durable29. La littrature latine noffre dailleurs que six occurrences dexpression du chagrin pour des enfants de moins de cinq ans, et toujours pour des garons. Au contraire, Snque r-primande Marullus parce quil pleure la mort de son trs jeune fi ls : tu es comme une femme dans la faon dont tu ragis la mort de ton fi ls. Quest-ce que ce serait si tu avais perdu un ami intime ? Un fi ls, un petit enfant lavenir inconnu, est mort ; une parcelle de temps a t perdue30 . Dailleurs, il ny avait pas de deuil pour un enfant de moins dun an, un deuil limit pour ceux de moins de 3 ans (sublugetur), et un deuil plein seulement pour les enfants partir de 10 ans31. Et pourtant, comme le soulignent tous les spcialistes, ds le Haut-Empire, un certain nombre de parents prennent la peine de rdiger une pitaphe pour des enfants de moins de 10 ans. Je dis un certain nombre car les chiffres donns par les diffrentes tudes sont trs variables en raison de mthodes de calcul diffrentes :

    - classes dge comptabilises (moins de 1 an, de 0 4 ans, moins de 10 ans) ;

    - calcul des pourcentages : soit par rapport lensemble des inscriptions, soit par rapport lensemble des inscriptions indiquant lge du dfunt. Cette dernire mthode parat plus satisfaisante mais elle est trompeuse car on donne plus souvent lge pour un enfant que pour un adulte.

    Daprs ltude de Margaret King, sur 29 250 pitaphes de Rome, les enfants de 0-4 ans ne reprsentent que 4,6 % du total, ceux de 10 14 ans seulement 2,4 %. Elle ne calcule malheureusement pas la catgorie inter-mdiaire, mais il ny a aucune raison de penser quelle ait t beaucoup plus importante. Brent Shaw, quant lui, donne le pourcentage denfants de moins de dix ans par rapport lensemble des pitaphes donnant lge du dfunt dans diffrentes rgions de lEmpire et en distinguant Haut-Em-pire et pitaphes chrtiennes. Du coup, ses pourcentages sont plus levs. Surtout, et cest ce qui est intressant, il montre que les commmorations denfants sont plus nombreuses en milieu urbain quen milieu rural et que, dans toutes les rgions, elles augmentent avec la diffusion du christianisme.

    Cest exactement ce que lon constate Salone dans lAntiquit tardive, du moins dans le corpus latin car le corpus grec, qui concerne surtout des expatris, noffre quune seule pitaphe denfant, une petite fi lle ge de

    29. Cf. M. KING (2000), p. 117-154.30. Sen., Ep. 99, 2 : Tam m olliter tu f ers mortem fi lii ? quid faceres si a micum perdi-

    dis ses ? De cessit fi lius ince rtae spei, par vulus ; pus illum t emporis per it.31. Ulpien, Frag. Vat. 321 = FIRA I, 12, cit par B. RAWSON (2003), p. 346.

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    2 ou 3 ans (no 796) et deux jeunes gens de 17 ans (nos 753 et 767). En re-vanche, dans le corpus latin, 35,5 % des dfunts dont on peut valuer lge ont moins de 10 ans (13 h + 14 f)32. Cest nettement plus que les 21,7 % donns par B. Shaw pour lensemble des pitaphes de Salone33. Contraire-ment aux chiffres de Margaret King pour Rome, ceux-ci sont videmment dnus de valeur statistique, dautant que notre matriel stend sur plus de trois sicles, mais on est tout de mme tent dy voir le signe dune volu-tion du regard de la socit sur la mort de ces tres en devenir.

    De mme, les enfants reprsentent 9 des 21 ddicataires connus de pome funraire. Et sur ces neuf, 5 ont moins de 10 ans34 : les parents nhsitent donc pas faire une grosse dpense en leur honneur, quitte ce que le tombeau serve ensuite pour eux-mmes (ex : les parents de Pe-tronia au no 460).

    On peut, me semble-t-il, comme B. Shaw35, relier cette attitude au d-veloppement du christianisme, car le mme phnomne sobserve dans dautres rgions de lEmpire la mme poque : parmi les inscriptions chrtiennes donnant lge du dfunt, la proportion denfants de moins de 10 ans est de 33,8 % Rome36, 38 % Trves, 29,5 % pour le reste de la Gaule du Nord (mais 16,5 % pour la Gaule du Sud), 26 % pour la Tarra-connaise, etc37. Pour Shaw, cest un des signes montrant que la famille nu-claire est devenue lidal-type avec lavnement du christianisme. Cest surtout le signe de limportance nouvelle de lenfant en tant quenfant de Dieu. Cela est confi rm par deux pitaphes qui prsentent un jeune enfant comme un chrtien dj accompli.

    De jeunes enfants, dj chrtiens accomplisLe no 442 prcise que la jeune infans Flauia, ge de trois ans, a t

    baptise sana mente le jour de Pques38.

    32. Si lon retire les fragments inutilisables mais que lon retient les termes suggrant lge du dfunt, on connat ou on peut valuer lge de 76 personnes : 42 hommes et de 34 femmes. Or, sur ce total, 27 (35,5 %) ont moins de 10 ans (13 h + 14 f) ; 19 ont entre 10 et 30 ans (7 h + 12 f) et 30 ont plus de 30 ans.

    33. B. SHAW (1991), p. 74.34. Au contraire, parmi les 22 ddicataires connus de carmina du Haut-Empire Sa-

    lone, on note certes 14 fois des fi ls ou des fi lles, mais seulement 2 fois des enfants de moins de 5 ans.

    35 . B. SHAW (1984), p. 478.36. ID., ibid.37. Cf. M.A. HANDLEY (2003), p. 70-72.38. Lexpression sana mente et la suite du texte visent montrer que Flavia na pas t

    baptise in extremis larticle de la mort.

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    Flauiae infanti dulcissimae quaesana mente salutifero die Paschaegloriosi fontis gratiam con[sec]utaest, superuixitque post baptismumsanctum mensibus quinque. Vixitann(os) III, m(enses) X , d(ies)VII. Flauianus et Archelaisparentis fi liae piissimae.

    Le no 796 (en grec) fait lloge de la petite Eusebia, devenue une fi -dle accomplie dans sa 2e anne donc baptise , et dcde dans sa 3e anne. Elle a quitt la vie sans avoir got la mchancet, pour partager le sige des mes saintes .

    Paralllement, deux pitaphes tmoignent dun intrt nouveau pour le ftus mort.

    Limitons-nous au no 618 (IVe s. ?), une pitaphe chrtienne dplorant la mort de la dfunte en couches. Elle refl te clairement lide que ltre humain existe ds la conception puisque le ftus a une me :

    [fu]nesto grauis, heu t[r]iste, puerperio nequiuit miserum partu depromerefetu(m) hausta qui nondum luce[p]eremptus abiit adque ita tumgeminas g[e]mino cum corporepraeceps letum feriali [transtu]lithora an[imas].

    Lamour familial sexprime aussi et surtout par la douleur qui clate la mort dun proche.

    3. La douleur la mort dun procheIci encore, on relve des adjectifs strotyps, tels infelix, qualifi ant aussi

    bien un enfant dfunt (nos 392, 668,7, 669) que les parents ddicants (nos 136, 429,1) et infelicissimus, qui nest employ que pour les dfunts : soit des enfants (nos 122, 380, 383, 410), soit des pouses (nos 134, 385, 513, 127?).

    La douleur sexprime de faon plus dveloppe dans les carmina. On la repre sur les fragments travers certaines expressions : O uulnus cru-dele ! au no 398,6 ; [] relinquere uulnere [] au no 739,2 ; maerens au no 339,4 ; dolor au no 125. Sur quatre pitaphes chrtiennes, le thme est longuement dvelopp.

    Flavia, trs tendre enfant, qui, en toute lucidit, a reu la grce de la fontaine de gloire le salvifi que jour de Pques, et qui a survcu cinq mois aprs le saint baptme. Elle a vcu 3 ans, 10 mois, 7 jours. Flavianus et Archelais, ses parents, leur fi lle trs pieuse. Inhumation le 15e jour avant les calendes de septembre (18 aot).

    Lourde dune maternit funeste triste destin hlas ! , elle ne put mettre au monde le malheureux enfant lors de laccouchement. Sans avoir vu le jour, il sen alla, mort, et ainsi alors, une heure fatale, une mort rapide emporta deux mes en un corps double

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    Ainsi, au no 145,4 (VIe s), les parents sadressent la jeune dfunte dont la mort reprsente pour eux la fi n de toute joie et la fi n des espoirs quils avaient plac en elle : [tunc lacrima]tus abis, tunc gaudia larga parentum [spesque omnes] mesto tecum sub puluere condis, alors tu es parti, pleur de tous, alors tu gardes enfouies avec toi, sous une funbre poussire, les joies immenses de tes parents et toutes leursesprances 39.

    Le no 229 (VIe s.) exprime la douleur dune jeune veuve : Heu mi-sera Alexandria gemit decepta marito, la malheureuse Alexandria, hlas ! gmit, prive de son mari . Elle reste dsempare, seule avec ses deux petits enfants : nunc illi dismisit anxia natos.

    Le no 618, dont nous avons dj parl, voque le coup (ictu) port ses proches par la mort de la dfunte au cours de laccouche-ment, leurs gmissements ([cum] gemitu), leur affl iction (maerentes) et leurs larmes (cum lacrimis). La dfunte ntait pas une jeune femme puisquelle avait dj un gendre.

    Au no 460, la douleur clate ds les premiers mots : Pro nefas hor-reur ! , crient les parents en sadressant leur fi lle ; iste tuum loquitur titulus nono uixdum lacrimabilis anno, nata diu dulcis et longi pignus amoris. Vita breuis, sed nunc istic iam longa parentum uulnera, cette pitaphe indique dj ton nom, Petronia, toi qui mrites nos larmes puisquge d peine neuf ans, enfant chrie ne dun doux et long amour . La douleur est dautant plus vive que, peut-tre, la naissance de lenfant avait t longuement attendue. Le texte met ensuite en scne le pre et la mre, arrosant de leurs larmes mles de brves plaintes ce funeste tombeau , Nereus genitor genetrixque funesti Sofronia breui-bus tumuli fl euere querelis. Cependant le dernier vers attnue la douleur en exprimant une esprance chrtienne.

    Sur certaines pitaphes, la douleur est en effet attnue par la foi chrtienne. Ce nest pas la Mort cruelle ou le Destin qui emporte le chrtien, mais Dieu qui ta cr et tenlve , Deus qui te formauit et aufert (no 145). Sede beatorum te recepit lacteus orbis proclame lpitaphe dune petite fi lle (no 432,5), tandis que le no 229, sous forme dune fausse interrogation, exprime la certitude que les mrites du d-funt sont rcompenss dans lau-del et quil est associ aux bien-heureux (sociantque beatis). Spera caelum, pia mente fi delis, toi, fi dle dont lme est pieuse, espre le Ciel , disent Nereus et Sofronia

    39. Mme ide en CE 1431 : nam tecum, Rhodine, gaudia nostra iacent.

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    leur petite Petronia (no 460 d,13). Nul doute que cet espoir soit le leur et quil attnue ainsi, en un vers, la douleur exprime dans les six vers prcdents. Les mmes thmes apparaissent aussi sur une srie de fragments40.

    Cependant, en dpit de ces nouveauts, le formulaire funraire reste trs classique. Un dernier aspect de cet attachement aux traditions transparat travers le soin apport par les Salonitains, de leur vivant, la prparation de leur tombeau, soin qui refl te le souci des poux de rester unis dans la mort.

    III. LA FAMILLE ET LE TOMBEAU

    Beaucoup dinscriptions rappellent en effet la fondation de la tombe, en nommant les fondateurs et les ayant-droit. Cette question intresse notre sujet car, le plus souvent, le tombeau concerne plusieurs personnes dune mme famille dont les noms sont dment prciss.

    1. La fondation du tombeauLe droit romain distingue les tombeaux de famille, rservs aux descen-

    dants agnatiques, et les tombeaux hrditaires, rservs aux hritiers testa-mentaires ou ab intestat, indpendamment de tout lien de parent. Mais et cest ce qui nous intresse , la plupart des tombeaux, ds le Haut-Empire, sont ce que De Visscher appelle des tombeaux personnels rservs au fondateur lui-mme et ceux quil aura dsigns 41. Cest le cas Salone, pour les 80 pitaphes latines qui permettent de connatre le ou les fonda-teurs des tombeaux.

    En gnral le tombeau est fait par et pour le couple : le plus souvent, soucieux de rester unis dans la mort, les poux agissent ensemble de leur vivant et font immdiatement graver un texte marquant leur proprit42. Ce texte sert alors de future pitaphe43. Dans quelques cas, la tombe a t acquise du vivant du couple mais le texte nest grav qu loccasion de

    40. Nos 130 o la dfunte atteint (adepta) probablement le royaume cleste ; 592, o une jeune uirgo de 12 ans semble jouir de lillumination divine ; 668 qui voque la monte de lme de la dfunte travers les airs, dans les demeures ternelles o elle re-joint les bienheureux ; 692 o lexpression pro meritis uitae justifi ait certainement lentre du dfunt dans les demeures divines ; 740 qui voque la [vie] promise (promissam pertingere u[itam ?]) et se rfre au Christ ; 325 qui mentionne peut-tre la [coro]nam iustoru[m] promise au pieux chrtien.

    41. F. DE VISSCHER (1963), p. 94, 96, 109.42. 28 occurrences: no81, 152, 230, 231, 386, 387, 390, 393, 401, 424, 470, 477, 499?,

    526?, 599, 602?, 613, 645, 650..43. Une seule fois, une pitaphe a t ajoute aprs la mort du mari (no 152).

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    la mort dun des conjoints44. Parfois, lors de la fondation, lun des deux agit seul pour le couple : deux fois le mari (nos 82, 441), une fois la femme (no 444). Mais peut-tre le fondateur agit-il ici la mort de son conjoint sans que cela soit prcis.

    En effet le tombeau conjugal est souvent fond la mort dun des poux, par le conjoint survivant qui prcise alors que la tombe est galement pour lui (nos 161, 385, 398, 408, 480 + les nos 516, 651 et 663 o ce genre de formule est restituable). Cest parfois seulement implicite, comme on le voit au no 134 : aprs une ddicace du mari sa femme, vient une formule interdisant de dposer un autre corps sur ces trois corps , vraisembla-blement ceux du couple et dun enfant. Ou encore, on constate que le mari est effectivement inhum plus tard dans le tombeau quil avait install pour sa femme (no 159). Il est donc probable que le conjoint survivant compte en gnral rejoindre son partenaire dans le mme tombeau, mme sil ne le prcise pas explicitement. Le fait davoir acquis la tombe et son emplace-ment fait en effet de lacheteur le titulaire du ius sepulchri.

    Parfois, cest la mort dun enfant qui dclenche la fondation du tombeau conjugal. Lenfant y est inhum et le texte prcise que la tombe est gale-ment destine aux parents (nos 106, 137, 377, 383) ; ou bien on constate que les parents y sont effectivement inhums plus tard (no 460). En outre, le tombeau conjugal peut accueillir dautres dfunts de la famille : il sagit toujours des enfants du couple, sauf au no 141 o le mari a concd une place sa sur ou belle-sur (cf. supra).

    Les tombeaux familiaux autres que les tombeaux conjugaux sont net-tement plus rares. Ainsi, un fi ls fonde avec son pre (no 653) ou avec sa mre (no 387) de leur vivant leur tombeau commun : sans doute le parent absent de lopration est-il dj mort et inhum ailleurs. Au no 88, ce sont un frre et une sur, probablement clibataires, qui prennent leurs disposi-tions pour tre inhums ensemble. Le plus souvent, on constate la prsence de plusieurs personnes dans un tombeau, sans mention du fondateur ou du ddicant : deux jeunes frres et/ou surs (nos 133, 154, 223, 232, 294, 646), des hommes dont on ignore le lien de parent (nos 206, 352), une mre et son enfant (no 135), une femme et sa mre (no 473).

    La famille nuclaire observe chez les vivants se poursuit donc au-del de la mort : comme dans la domus des vivants, on retrouve dans le tombeau les parents accompagns des enfants morts avant davoir pu se marier.

    Cette importance, la fois du tombeau et de la famille se voit trs bien sur lpitaphe du prtre Iohannes :

    44. la mort du mari (nos 221, 397, 413, 416) ou de la femme (no 224).

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    Expleto annorum circuloquinto nunc sibi sepulcrumIohannis condere iussitMarcellino suo proconsulenato germane praesente simulcunctosque nepotes ornauittumolum. Mente fi deli defunctusaccessit obsis una cum coniuge,natis, Anastasii seruansreueranda limina s(an)c(t)i.Tertio post decimum augustinumero mens(is), ind(ictione) fi niuit saeculi diem.

    45. Plusieurs interprtations ont t proposes pour la dure du cycle : 10 ans, 5 ans ou 15 ans. 5 ans est impossible car cela signifi erait que Iohannes navait que 25 ans quand il a fait faire son tombeau en prsence de son fi ls proconsul !

    46. Attest par le Martyrologe Hironymien au 26 aot (AA SS, Nou. II, 2, p. 467 : in Salona ciuitate sancti Anastasi martyris ; hic fullo fuit).

    Ci-gt Iohannes, pcheur et prtre indigne. lissue du cinquime cycle dannes45, Iohannes sest command ce spulcre, en prsence de son fi ls, le proconsul Marcellinus, de son frre, ainsi que de tous ses petits-enfants (ou neveux ?). Il a amnag la tombe. Mort dans un esprit de foi, il sest prsent en otage (ou en hte ?), accompagn de son pouse (et) de ses enfants, rvrant les seuils vnrables (de la demeure) de saint Anastase. Le treizime jour du mois daot, en la deuxime (ou sixime) anne indictionnelle, ...? , il quitta ce monde (13 aot 599 ou 603) (Traduction N. Gauthier).

    Le texte est grav sur trois plaques de calcaire trouves in situ dans le portique du sanctuaire o tait vnr Anastase le Foulon, un martyr sa-lonitain46. Ces plaques constituaient un dallage qui recouvrait trois tombes maonnes. Lpitaphe, signalant que Iohannes est inhum ad sanctum Anastasium, est intressante pour nous double titre. Premirement, elle voque longuement la fondation de la tombe, en prsence de la parent. Il sagit ici de la famille nuclaire largie : le fi ls de Iohannes, le proconsul Marcellinus (gouverneur de Dalmatie), son frre (germanus) et tous ses nepotes, cest--dire ses neveux ou ses petits-enfants, voire les deux. La prsence de la parent rsulte probablement du souci juridique de sassurer des tmoins susceptibles de garantir les dispositions prises par Iohannes pour sa spulture.

    Dautre part, on voit que les bnfi ces de linhumation de Iohannes ad sanctum Anastasium rejaillissent sur sa famille : le texte prcise en ef-fet quil sest prsent en otage, accompagn de son pouse et de ses enfants . Avec la protection du saint, il savance donc devant Dieu avec sa famille. Comme ni lpouse, ni les enfants autres que Marcellinus, ne fi gurent parmi ceux qui assistent la fondation de la tombe de Iohannes, cest quils taient morts avant lui. On pourrait donc penser quils taient inhums prs de lui, sans doute dans les deux autres tombes maonnes signales par les fouilleurs. Dans ce cas, ce serait loccasion de leur d-

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    cs47 que Iohannes aurait pris ses dispositions, sans toutefois rdiger une pitaphe. Le rdacteur du carmen en lhonneur de Iohannes aurait voulu remdier cette lacune en rappelant la prsence de sa femme et de ses enfants auprs de lui, sans cependant les nommer. Mais on peut aussi imaginer quils taient inhums ailleurs et que les deux tombes ct de celle de Iohannes tait destines son frre et son fi ls Marcellinus. Dire que Iohannes se prsente devant Dieu accompagn de sa femme et de ses enfants permettrait ainsi de les placer, eux aussi, sous la protection dAnastase et de les faire jouir des bnfi ces dune inhumation ad sanc-tos. Quoi quil en soit, il est clair que la famille nuclaire se reconstitue par del la mort.

    2. La protection du tombeau48

    Cependant, il ne suffi t pas de graver un texte rservant la proprit dune tombe certains membres de la famille nommment dsigns, il faut aussi sassurer que cela sera respect. Dans ce but, beaucoup dpitaphes se terminent par une menace damende contre les violateurs : 127 inscriptions latines (+ 7 incertaines) sur 742 et 5 inscriptions grecques (+ 1 incertaine) sur 83 comportent une formule de protection de la tombe. On ne trouve quune seule formule dimprcation49. Dans tous les autres cas, le texte interdit de violer le spulcre, douvrir le sarcophage ou dy dposer un autre corps et menace dune amende les contrevenants. Ce qui importe aux Salonitains, cest donc de prserver la proprit du tombeau, dviter une usurpation ; ils se placent sur le plan uniquement juridique et numrent dailleurs souvent le nom de ceux qui ont le droit doccuper la tombe : presque toujours le couple, et parfois un ou plusieurs enfants.

    Pourquoi faut-il rappeler ainsi ce qui, en principe, est interdit tant par le droit naturel que par la loi50 ? Selon F. De Visscher, cest tout simplement parce que la loi protge certes la tombe contre des usurpations trangres mais pas contre les agissements des parents ou des hritiers du dfunt : elle ne permet pas de sanctionner le titulaire dun tombeau de famille qui procderait linhumation dun tranger. Le rle des menaces damende serait donc de sauvegarder le caractre exclusif des tombes de famille par

    47. Dcs, dans ce cas, collectif : femme morte en accouchant de deux jumeaux, pi-dmie, accident.

    48. Voir F. Prvot dans Salona IV (2010), p. 52-58.49. no 69 : [hanc sepulturam si qu[is de]asciare uoluerit, habe[at ir]ata numina, etc.50. Importante bibliographie sur la question. Louvrage fondamental reste celui de F.

    DE VISSCHER (1963). Voir aussi E. REBILLARD (2003), p. 73-104, avec bibliographie antrieure et, pour Salone, Salona IV, Intr. 13.2.

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    les titulaires mme du ius sepulcri. Cest pourquoi elles ne commencent apparatre en Occident quau IIe sicle51, quand la solidarit familiale d-cline et que la tombe personnelle remplace la tombe de famille. Cependant, le phnomne est si important Salone que ces menaces damende ne sont probablement pas seulement diriges contre les hritiers du dfunt : on doit sans doute aussi craindre des usurpations trangres52 et ne pas avoir totalement confi ance en la lgislation impriale, trop lointaine mme si son application est confi e aux cits. Fixer une amende et dsigner son desti-nataire la cit, le fi sc ou lglise53 donne ce dernier un intrt direct protger la tombe, et offre donc une meilleure garantie deffi cacit.

    Mais de quel droit les propritaires de tombes peuvent-ils dicter une peine ? Contrairement ce que pensait Mommsen, il nest pas ncessaire dimaginer un senatus consulte ou une loi les y autorisant : en tant que fon-dateurs, ils peuvent dterminer la condition du tombeau et prendre toutes les dispositions ncessaires pour prserver sa destination, par un acte priv que lon a souvent considr comme une vritable lex54, ou un decretum, comme le prcise dailleurs notre no 134 : Quiconque tenterait de dpo-ser sur ces trois corps (un autre corps) devra verser, conformment notre dcret, mille folles notre curie (inf(e)rret decreto f(olles) (mille) curiae nostre). Encore faut-il en outre que cette dcision soit enregistre auprs dune autorit comptente, certainement celle qui exercera la surveillance et percevra lamende en cas dinfraction55. Le propritaire du tombeau se rendait probablement au bureau ad hoc pour y faire sa dclaration, enregis-tre dans les rgles devant tmoins. Certaines inscriptions suggrent que cette dclaration se faisait oralement de faon solennelle. Trois pitaphes prsentent en effet le propritaire du tombeau en train de conjurer que per-sonne ne dpose un autre corps sur celui des occupants lgitimes :

    - no 82 : sane coiiurabit ut supra birginiam sua nul[lum aliud corpus ]

    51. Attestes en Asie Mineure et dans le monde gen ds le IVe sicle av. J.-C., elles se rpandent en Occident aux IIe-IIIe sicles : cf. G. KLINKENBERG, dans Reallexikon fr Antike und Christentum, 1983, s. v. Grabrecht (Grabmulta, Grabschndung).

    52. Thessalonique, une pitaphe du Haut-Empire prcise dailleurs : Si qu[is si]-ue Caesari(a)nus, siue mile, siue pacanus, [siue ali]qua potestas uim facere uoluerit et aperire, etc. (AE 1952, 223).

    53. Il sagit 6 fois seulement de la cit ou dune de ses subdivisions, la curie dans laquelle sont inscrits les propritaires du tombeau et peut-tre une fois dun collge (no 633?), 14 fois, du fi sc et 34 fois (+ deux incertaines) de lglise. Au no 610, lamende est partage entre lglise et la cit. Sur le montant variable de lamende et la faon dont il tait fi x, voir Salona IV, Intr., 13.5.

    54. M. DUCOS (1995), p. 141.55. F. DE VISSCHER (1963), p. 120-121 ; E. REBILLARD (2003), p. 88.

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    - no 91 (en 426/430) : Adiuro per Deum et per leges cresteanor(um) ut quicumque extraneus {uoluerit} alterum corpus ponere uoluerit...

    - no 667 : Peto bos (= uos), fratres, ne qui alium [...]Sane coniurauit ut, avec le verbe au parfait, voque en effet le pro-

    cs-verbal dune procdure lgale, tandis que adiuro ut pourrait reprsen-ter le dbut de la formule prononce. Ces mots introductifs ne fi gurent pas sur les autres inscriptions de notre recueil, qui vont directement lessentiel : si quis uoluerit , inferet ou det Mais cette phrase pourrait bien, elle aussi, tre la copie de la formule prononce lors de lenregis-trement. Elle est en effet souvent place dans la bouche du couple pro-pritaire du tombeau qui lnonce de son vivant, aprs lachat dun sarco-phage, comme au no 152 a : Fl(auius) Iulius zaconus et Aurel(ia) Ia[nua]ria coniux eius hoc sarcofagum sibi uiui posuerunt. Si quis post nostram pausationem hoc sarcofagum aperire uoluerit Dans beaucoup de cas, cest ladjectif possessif (nostra corpora, nostram pausationem, obitum nostrum, sine iussione nostra) qui montre clairement qui est le locuteur et pourrait corroborer lhypothse quil sagit dune phrase rellement prononce lors dun enregistrement devant une autorit. Dans la plupart des cas, le verbe est au pluriel, ce qui montre que les poux agissent en-semble pour prparer leur dernire demeure.

    Ce genre de formule est attest pour la dernire fois en 426/430 (no 91) et dautres indices montrent quil disparat aprs le milieu du Ve sicle. Les attestations italiennes ne dpassent dailleurs pas non plus cette priode56. Pourquoi un formulaire et donc la pratique quil attestait qui avaient connu un tel succs, a-t-il t abandonn cette poque l ? Sest-on lass dun systme ineffi cace ou, au contraire, nen a-t-on plus ressenti le besoin ? Je pencherai volontiers pour cette deuxime hypothse. Lglise, qui a pris totalement en charge la gestion des cimetires et sest dote dune admi-nistration suffi samment toffe, est sans doute dsormais capable dassurer correctement la surveillance des lieux. Mais lexemple du prtre Iohannes montre que le souci de sassurer une bonne spulture continue de tarauder les vivants. Il est mme renforc par le dsir dobtenir une inhumation ad sanctos dans ou autour dune des basiliques martyriales de Salone.

    Contrairement la plupart des sries dinscriptions de lAntiquit tar-dive livres par dautres sites, le corpus salonitain se caractrise par lin-sistance sur les liens familiaux, exactement comme sur les pitaphes du Haut-Empire. Alors que, ailleurs, les liens familiaux sculiers seffacent

    56. Pour Concordia, voir G. LETTICH, Le iscrizioni sepolcrali tardo-antiche di Con-cordia, Trieste, 1983, p. 30.

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    derrire le lien personnel, si important lheure de la mort, entre chaque individu et Dieu, Salone les pitaphes ordinaires restent attaches au for-mulaire traditionnel. Certes, les choses voluent : par exemple, la formule sibi uiui posuerunt disparat au Ve sicle, mais fondamentalement cela ne change pas grand-chose car elle est remplace au VIe par une autre forme de titre de proprit : arca de untel et de son pouse unetelle , simple-ment accompagne dune petite croix latine en tte de ligne. Lvolution est donc mince ! Cela ne veut pas dire que les Salonitains ntaient pas de bons chrtiens mais beaucoup exprimaient leur foi, non par des mots, mais par une simple croix ou, surtout, par la situation de leur tombe, auprs des saints, corps et me selon lheureuse formule dYvette Duval57, afi n de bnfi cier de lintercession des martyrs.

    Comment expliquer un tel attachement au formulaire traditionnel dans une grande cit portuaire quon aurait pu croire plus ouverte au change-ment et aux modes ? On peut se demander si, justement, ce nest pas cette ouverture, ce contact permanent avec des trangers, puis, ds la fi n du VIe sicle, la menace des Avars58, qui a pouss les Salonitains affi cher ce quils considraient depuis des sicles comme des valeurs essentielles : la famille et leur dernire demeure.

    57. Y. DUVAL, Auprs des saints corps et me. Linhumation ad sanctos dans la chrtient dOrient et dOccident du IIIe au VIIe sicle, Paris, 1988.

    58. Prise de Sirmium en 582.

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    SAETAK - SUMMARIUM

    OBITELJ I RODBINSKI ODNOSI U SALONI U KASNOJ ANTICINA TEMELJU EPIGRAFIKIH IZVORA

    Salona nam prua 826 natpisa iz kasne antike 742 latinska, 84 grka u veini nadgrobna, koji su nedavno objavljeni. Smjeten na Zapadu, grad vrlo blizak krajevima grkog jezika, prima, izmeu ostalog, zahvaljujui svojoj luci, mnogo Istonjaka, uglavnom iz Sirije. Stoga se je moglo pretpostavljati da e Salona biti stjecite razliitih utjecaja, ali se tako nije zbilo. Grki korpus i onaj latinski su sasvim odvojeni, s izuzetkom jednog dvojezinog nadgrobnog natpi-sa za sina dostojanstvenika iz VI. st. (br. 758); osim toga, i formule su razliite i ovisne o tradicijama dviju odvojenih zajednica. Jedna od posebnosti latinskog korpusa je i u ukorijenjenosti u tradiciju, te zadravanju duo nomina najmanje do sredine V. st., kao i klasinog nadgrobnog formulara za vrijeme cijelog IV. st., ak i nakon istoga za neke aspekte.

    Nasuprot veini natpisnih nizova kasne antike s drugih lokaliteta, korpus Sa-lone se istie naglaavanjem obiteljskih veza, kao to je to bilo na epitafi ma za vri-jeme Ranog rimskog carstva. Dok na drugim mjestima, stoljetne obiteljske veze ustupaju mjesto osobnoj vezi, tako vanoj u trenutku preminua, onoj izmeu po-jedinca i Boga, u Saloni, epitafi redovito ostaju privreni tradicionalnom formu-laru. To ne znai da Salonitanci nisu bili dobri krani, meutim, oni su izraavali svoju vjeru, uglavnom ne rijeima ve jednostavnim znakom kria i, naroito, samim smjetajem svojih grobova, kako bi bili pod zagovorom muenika.