12 Patrimoine d'Affectation EIRL

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1 DIVERSIFICATION ET SÉPARATION DES PATRIMOINES INTRODUCTION Jusqu’au mois de décembre prochain, un entrepreneur individuel répond de ses dettes professionnelles sur l’ensemble de son patrimoine. Le fondement, connu de tout juriste, résulte des articles 2284 et 2285 du Code civil qui disposent, le premier : « Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens immobiliers et mobiliers présents et à venir » ; et le second : « Les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers ». Ces textes, exprimant le principe d’unicité du patrimoine présent dès 1804, ont été justifiés et explicité par AUBRY et RAU : « Toute personne a un patrimoine », « seules les personnes ont un patrimoine » et « les personnes n’ont qu’un patrimoine ». Après la loi du 19 février 2007 sur la fiducie, la loi du 15 juin 2010 introduit dans notre droit un nouveau statut : « l’entrepreneur individuelle à responsabilité limitée ». De quoi s’agit-il ? Il faut promouvoir la création et le développement des entreprises en préservant le patrimoine privé des menaces inhérentes au patrimoine professionnel. Il importe qu’à l’échec d’une entreprise ne succède pas l’échec d’une vie. Le mécanisme retenu est le patrimoine d’affectation : il s’agit d’affecter à une activité professionnelle un patrimoine séparé du patrimoine privé. Il s’ensuit que les créanciers professionnels n’ont pour seul gage que le patrimoine affecté alors que les créanciers personnels devront se satisfaire du patrimoine non affecté. Sans doute le législateur était-il intervenu pour proposer des outils protégeant le patrimoine privé : la déclaration d’insaisissabilité des actifs immobiliers, maintenus par la loi nouvelle, et surtout l’EURL. A l’égard de cette dernière, l’EIRL s’en distingue par 12 - Le patrimoine d'affectation Intervention de Didier COIFFARD, notaire à Oyonnax et Jean PRIEUR, professeur à la Faculté des Sciences Juridiques et Economiques de Perpignan

Transcript of 12 Patrimoine d'Affectation EIRL

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DIVERSIFICATION ET SÉPARATION DES PATRIMOINES

INTRODUCTION

Jusqu’au mois de décembre prochain, un entrepreneur individuel répond de ses

dettes professionnelles sur l’ensemble de son patrimoine. Le fondement, connu de tout

juriste, résulte des articles 2284 et 2285 du Code civil qui disposent, le premier :

« Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses

biens immobiliers et mobiliers présents et à venir » ; et le second : « Les biens du débiteur

sont le gage commun des créanciers ». Ces textes, exprimant le principe d’unicité du

patrimoine présent dès 1804, ont été justifiés et explicité par AUBRY et RAU : « Toute

personne a un patrimoine », « seules les personnes ont un patrimoine » et « les personnes

n’ont qu’un patrimoine ».

Après la loi du 19 février 2007 sur la fiducie, la loi du 15 juin 2010 introduit dans

notre droit un nouveau statut : « l’entrepreneur individuelle à responsabilité limitée ». De

quoi s’agit-il ? Il faut promouvoir la création et le développement des entreprises en

préservant le patrimoine privé des menaces inhérentes au patrimoine professionnel. Il

importe qu’à l’échec d’une entreprise ne succède pas l’échec d’une vie. Le mécanisme

retenu est le patrimoine d’affectation : il s’agit d’affecter à une activité professionnelle un

patrimoine séparé du patrimoine privé. Il s’ensuit que les créanciers professionnels n’ont

pour seul gage que le patrimoine affecté alors que les créanciers personnels devront se

satisfaire du patrimoine non affecté.

Sans doute le législateur était-il intervenu pour proposer des outils protégeant le

patrimoine privé : la déclaration d’insaisissabilité des actifs immobiliers, maintenus par la

loi nouvelle, et surtout l’EURL. A l’égard de cette dernière, l’EIRL s’en distingue par

12 - Le patrimoine d'affectation

Intervention de Didier COIFFARD, notaire à Oyonnax

et Jean PRIEUR, professeur à la Faculté des Sciences Juridiques et Economiques de Perpignan

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l’absence de personne morale. Une contrainte disparaît : l’intérêt social impliquant une

gestion sous contrainte dont la méconnaissance peut se traduire par la mise en cause de la

responsabilité du gérant par la voie d’une action en comblement de passif dont la

condamnation s’exécutera sur le patrimoine privé – Avantage à l’EIRL.

Toutefois, il ne faudrait pas croire que le nouveau dispositif est exempt de

contraintes et offre une sécurité absolue, loin s’en faut. Mais, il offre toute une série de

potentialités qui dépassent la préoccupation initiale de préserver le patrimoine privé en

permettant d’optimiser la création, l’organisation et la gestion du patrimoine professionnel.

En 2013, un même entrepreneur individuel pourra constituer plusieurs patrimoines affectés,

dans les prochains mois, l’EIRL pourra opter à l’impôt sur les sociétés, il sera loisible à un

mineur de créer une EIRL…

Reste que si l’EIRL présente toute une série d’avantages, s’il préserve le patrimoine

privé, il porte en germe un risque d’insolvabilité (l’avocat affecte sa robe, son ordinateur,

quelques codes à l’EIRL). Il s’ensuit, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel 1, un

risque de porter atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété des créanciers.

Bref, c’est le crédit, la vie de l’entreprise, qui peuvent être menacés. Le gouvernement en

est bien conscient puisqu’il annonce un produit financier géré par OSEO qui garantira à

hauteur de 70 % maximum le prêt consenti par la banque.

La loi nouvelle comporte 14 articles particulièrement denses. Outre le régime

proprement dit du patrimoine affecté, des innovations visent le droit des incapacités, le

droit fiscal, le droit de la sécurité sociale, la cession de fonds de commerce, le droit

monétaire et financier… Pourtant, l’édifice n’est pas aujourd’hui complet. La loi habilite,

en effet, le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, d’ici le mois de décembre, les

dispositions nécessaires pour adopter au patrimoine affecté le droit des entreprises en

difficultés, le droit des sociétés, la procédure civile et les voies d’exécution, ainsi que les

règles applicables au surendettement des particuliers. Par ailleurs, certaines dispositions de

la loi feront l’objet d’un décret d’application. Mais on peut se rassurer, le texte actuel

justifie déjà une contribution.

1 Cons. const. 10 juin 2010.

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L’EIRL intéresse les notaires à deux points de vue. Il est d’évidence que, dans le

cadre de journées notariales du patrimoine, nous ne sommes pas hors sujet. Dès demain, les

notaires peuvent conseiller ou déconseiller leurs clients entrepreneurs individuels de faire

choix du nouveau statut. A partir du mois de décembre, leur concours sera nécessairement

requis en cas d’affectation d’immeuble au patrimoine professionnel où les notaires se

voient notamment reconnaître un rôle de contrôle de l’évaluation. La référence dans la loi

aux régimes matrimoniaux, au droit des sociétés, des incapacités, de l’indivision, à la

transmission du patrimoine affecté à titre gratuit ou à titre onéreux, à la fiscalité appellent

l’expertise du notaire, conseil en gestion du patrimoine.

Et puis, le dispositif, évalué avec ses avantages et ses inconvénients, n’est-il pas

éligible comme nouvelle structure d’un office notarial ?

De façon naturelle, l’étude porte d’abord sur la mise en place de l’EIRL (I), pour se

poursuivre ensuite sur la vie de l’EIRL (II).

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I – LA MISE EN PLACE DE L’EIRL

A – LES ACTEURS

Qui peut adopter le statut d’EIRL ? « Tout entrepreneur individuel peut affecter à

son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel » 2 Le

nouveau dispositif est donc ouvert à toutes les activités. Le commerçant, la profession

libérale, l’officier ministériel, l’artisan, l’agriculteur peuvent faire choix de l’EIRL. Aucune

taille d’entreprise n’est requise ; l’auto-entrepreneur peut bénéficier de ce nouveau régime,

même si on peut penser que la lourdeur des contraintes légales comme la publication

des comptes constitueront une contre-indication par rapport à la simplicité des règles

propres à ce statut. Il faut ajouter que l’option pour l’EIRL pourra s’opérer soit lors de la

création de l’entreprise, soit en cours d’activité. Tous les exploitants individuels de France

ont aujourd’hui droit à l’EIRL !

Manifestant sa foi dans l’esprit d’entreprise le plus précoce, le législateur, de façon

inattendue, invite le mineur à contribuer à la croissance par la création de l’EIRL 3, statut à

dire vrai propice à protéger son patrimoine privé actuel ou futur.

Le mineur entrepreneur sous statut EIRL peut être commerçant ou non. Cette

activité est exclue pour le mineur non émancipé. Celui-ci, toutes autres conditions étant

satisfaites (le mineur notaire est pour demain) peuvent créer, gérer une EIRL à objet civil

(agricole, artisanale ou libérale). L’article 2 de la loi, créant ou complétant plusieurs articles

dans le Code civil, crée un dispositif original applicable également au mineur créateur

d’une société unipersonnelle4. Désormais, un mineur peut être autorisé, selon son statut,

soit par ses deux parents, soit par l’administrateur légal et le juge des tutelles 5, soit par le

conseil de famille 6, à accomplir seul les actes d’administration nécessaires pour les besoins

de la création et de la gestion d’une EIRL. Cette autorisation prend la forme d’un acte sous

2 Art. L.526-6 C. com. 3 V. nouvel art. 389-8 et s. C. civ. et modifications apportées aux art. 401 et 408. 4 EURL ou SASU. 5 Art. 389-8 C. civ. 6 Art. 401 C. civ.

5

seing privé ou d’un acte notarié et comporte la liste des actes d’administration pouvant être

accomplis par le mineur.

Quant aux actes de disposition, le mineur reste parfaitement privé de toute capacité.

Ceux-ci ne peuvent être effectués, selon le cas, que par ses deux parents, l’administrateur

légal sous contrôle judiciaire, avec l’autorisation du juge des tutelles 7 ou le tuteur avec

autorisation du conseil de famille 8.

Le mineur émancipé n’est pas oublié par la réforme s’il peut créer et gérer librement

une EIRL mais en bénéficiant d’un champ d’activité plus large puisque, dorénavant, il peut

être commerçant.

La disparition de cette incapacité de jouissance séculaire a conduit le législateur à

écrire, à la fois dans le Code civil 9 et dans le code de commerce 10, la même disposition :

« Le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au

moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal de grande instance s’il

formule cette demande après avoir été émancipé ». Les jeunes talents dans le e-business

vont pouvoir « s’éclater » !

Derniers acteurs de l’acte constitutif de l’EIRL : le conjoint commun en biens et le

co-indivisaire. A l’égard du conjoint, on doit relever ici une contrainte plus importante pour

l’EIRL qu’à l’occasion de la constitution d’une EURL. Je suis commun en biens, je fais un

apport à une EURL, sous la sanction de la nullité prévue à l’article 1427, l’article 1832-2

du Code civil prescrit d’aviser le conjoint commun en biens et qu’il en soit justifié dans

l’acte. La règle est plus rigoureuse pour l’entrepreneur individuel qui entend affecter des

biens communs. Celui-ci doit justifier dans sa déclaration d’affectation, à peine

d’inopposabilité de l’affectation, l’accord exprès de son conjoint et de son information

préalable sur les droits des créanciers sur le patrimoine affecté 11. Affichant l’égalité de

7 Art. 8 Art. 408 C. civ. 9 Art. 416-9 C. civ. 10 Art. 121-2 C. com. 11 Art. L.526-8, al. 1.

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régime avec le pacsé, la loi applique la même règle en cas d’affectation de biens indivis 12.

Le dispositif s’applique également lorsque l’affectation d’un bien commun ou indivis est

postérieure à la constitution du patrimoine affecté 13

B – L’ AFFECTATION PATRIMONIALE

1 - La composition du patrimoine affecté

Quelle est la consistance du « patrimoine séparé » affecté à l’activité professionnelle

de l’exploitant ? La loi distingue deux ensembles. Tout d’abord, l’article 526-6 du Code de

commerce vise une affectation obligatoire : « Ce patrimoine est composé de l’ensemble

des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire,

nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle ». Le texte autorise ensuite une

affectation facultative : le patrimoine affecté « peut comprendre également les biens,

droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaires, utilisés pour

l’exercice de son activité professionnelle ».

D’emblée, le texte appelle deux observations. Le respect de la prescription est

d’importance. En effet, « en cas de manquement grave » à ces dispositions, l’article 526-12

du Code de commerce rend l’entrepreneur individuel responsable sur la totalité de ses biens 14. C’est dire que c’est l’efficacité de la protection du patrimoine privé qui est liée à

l’observation des règles d’affectation. La deuxième remarque résulte de la possibilité

offerte par la loi, à compter de 2013, de constituer plusieurs patrimoines affectés 15. Dans

ce cas, par simple logique, la loi dispose qu’ « un même bien, droit, obligation ou sûreté ne

peut entrer dans la composition que d’un seul patrimoine affecté ».

Ces précisions faites, revenons à l’affectation obligatoire que recouvre la notion

d’éléments actifs ou passifs « nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle ».

12 Art. L.526-11, al. 1. 13 Art. L.526-11, al. 2. 14 V. infra. 15 L.14

7

Les rapports parlementaires 16 apportent une réponse à l’interrogation en se référant

à la doctrine fiscale et à la jurisprudence qui définit l’actif professionnel des titulaires de

bénéfices non commerciaux. Il en résulte que les biens nécessaires à l’exercice de l’activité

professionnelle correspondent aux biens affectés par nature à l’activité et qui lui sont

consacrés en totalité. On cite à cet égard le fonds de commerce, les outils de l’artisan,

mais aussi le droit de présentation de la clientèle des professions libérales, les offices

ministériels, les outillages, installations et biens d’équipement servant spécifiquement à

l’exercice de l’activité… 17. Ce devrait être le cas de l'immeuble consacré en totalité à

l'activité : l'hôtel, le garage, l'atelier…(18)

L’obligation d’affectation des biens affectés par nature à l’exploitation devrait

néanmoins souffrir une dérogation légale. En effet, le projet de loi de modernisation de

l’agriculture et de la pêche, adopté par le Sénat le 29 mai 2010, institue un nouvel article

L.324-12 du Code rural et de la pêche maritime. Ce texte édicte que : « Par dérogation au

deuxième alinéa de l’article L.526-6, l’entrepreneur individuel agricole à responsabilité

limitée peut décider de ne pas affecter à son patrimoine professionnel les terres

nécessaires ou utilisées pour l’exercice de son activité professionnelle. Cette faculté

s’applique à l’intégralité des terres dont l’entrepreneur individuel est propriétaire »18.

Quant à l’affectation facultative, fondée sur la libre décision de l’entrepreneur, il

s’agit des biens à usage mixte. Ils ne sont pas affectés « par nature » à l’activité mais

seulement utilisés pour l’exercice de la profession. Ici, c’est le critère de l’utilisation du

bien qui joue : le garage de la résidence principale de l’artisan, aménagé en atelier, le

véhicule de l’agent commercial utilisé à la fois à titre personnel et professionnel. En

revanche, la liberté d’affectation connaît une borne : les biens non utilisés dans l’exercice

de la profession ne peuvent être affectés ! Ces constatations montrent bien que la

composition du patrimoine affecté, gage des créanciers professionnels, reste

strictement définie par loi.

16 Rapport AN n° 2298, p. 28, 37 s, 41 ; rapport Sénat, n° 362, p. 40. 17 BRDA 11/10, « Entreprise individuelle à responsabilité limitée », § 8. 18 Il faut préciser que, de façon générale, le droit fiscal considère que l’inscription des immeubles

au registre des immobilisations constitue une simple faculté et non une obligation.

8

Il faut ajouter que ces critères doivent également s’appliquer aux dettes, l’article

L.526-6 visant dans le patrimoine affecté les « obligations et sûretés dont l’entrepreneur

individuel est titulaire ». Il s’agira, par exemple, de dettes contractées par l’entrepreneur

pour l’acquisition de biens faisant ensuite l’objet d’une affectation. En ce cas, l’affectation

de la dette est-elle obligatoire ou facultative ? Il en va de la consistance du gage des

créanciers : patrimoine privé ou patrimoine professionnel 19. Fort opportunément, les

travaux préparatoires clarifient la difficulté en retenant le même critère que pour

l’affectation de l’actif : « Lorsque la dette est attachée à un bien nécessaire, elle doit être

affectée, tandis que lorsqu’elle est attachée à un bien utilisé, on peut considérer que

l’entrepreneur est libre de l’affecter ou non » 20.

La loi vise en premier lieu la constitution du patrimoine affecté mais celui-ci est-il

intangible ou peut-il évoluer en fonction des besoins de l’entreprise ? La loi vise

expressément cette possibilité : lorsque l’affectation d’un élément d’actif, autre que des

liquidités, est postérieure à la constitution du patrimoine affecté, elle donne lieu au dépôt

d’une déclaration complémentaire au registre approprié 21. Par ailleurs, la loi vise

également cette affectation complémentaire pour les immeubles 22 et les biens communs et

indivis 23. Faut-il en déduire que les nouvelles affectations sont limitées aux biens visés par

ces dispositions ? En réalité, celles-ci ne concernent que l’observation de formes requises

pour l’affectation de certains biens mais ne sauraient impliquer l’interdiction d’affecter

d’autres biens, par exemple, de la trésorerie nécessaire à l’évolution du fonds de roulement

ou à la réalisation d’un investissement. L’actualisation du patrimoine affecté s’opère alors

par les comptes de l’entrepreneur faisant l’objet d’un dépôt et donc d’une publicité 24.

A l’inverse, peut-il transférer des biens, de la trésorerie du patrimoine affecté au

patrimoine non affecté ? L’article L.526-18 l’admet expressément pour les revenus tirés de

l’exploitation : « L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée détermine les revenus 19 V. infra sur le droit d’opposition des créanciers. 20 Rapport Sénat, n° 362, p. 23. 21 Art. L.526-12. 22 Art. L.526-9. 23 Art. L.526-11. 24 V. infra.

9

qu’il verse dans son patrimoine non affecté ». Pour le transfert d’autres biens du patrimoine

affecté au patrimoine non affecté, la loi reste muette sur la question. Le doute est permis

pour les biens « nécessaires à l’exercice de l’activité » mais pour ceux simplement

« utilisés », par exemple le véhicule, rien ne permet de l’interdire, les comptes constatant

cette perte d’élément d’actif 25.

Il ne faut pas, en effet, perdre de vue que l’affectation n’emporte aucun transfert de

propriété ; l’entrepreneur reste propriétaire des biens affectés et sous réserve de la sanction

de l’article 526-11 qui pourrait être applicable au retrait des biens nécessaires à

l’exploitation, il conserve les attributs du propriétaire visés à l’article 544 du Code civil, et

donc celui de disposer du bien.

Enfin, il faut ajouter que le patrimoine affecté fait l’objet d’une étiquette. La loi

dispose en effet que « pour l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine

est affecté, l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom,

précédée et suivie immédiatement des mots : « Entreprise Individuelle à Responsabilité

Limitée » ou des initiales « EIRL » 26.

2 - La déclaration d’affectation

La déclaration d’affectation constitue l’acte essentiel qui va opérer la séparation du

patrimoine affecté et non affecté. C’est dire qu’il doit présenter toute une série de garanties

pour fixer la responsabilité de l’entrepreneur mais aussi pour les créanciers professionnels

et privés qui voient ainsi définie par la seule volonté de l’entrepreneur l’assiette de leur

gage.

Cette déclaration, qui n’emporte pas, rappelons-le, transfert de propriété, doit

d’abord être effectuée lors de la constitution initiale du patrimoine affecté mais aussi

postérieurement, par le jeu d’une déclaration complémentaire pour l’affectation de

nouveaux éléments d’actifs (immeubles 27, actifs autres que les liquidités 28).

25 Sous réserve des conséquences fiscales. 26 Art. L.526-6

27 Art. L.526-6.

10

Comme on va l’observer, la déclaration doit comporter plusieurs mentions, voire, le

cas échéant, certains documents. L’ensemble est soumis au contrôle du dépositaire qui, en

cas de non-conformité, doit refuser le dépôt. Par ailleurs, il faut souligner que certaines

exigences sont requises à peine d’inopposabilité 29

a – Le dépositaire

La création du patrimoine affecté résulte du dépôt de la déclaration d’affectation. La

formalité s’effectue 30 :

soit au registre de publicité légale auquel l’entrepreneur individuel est tenu de

s’immatriculer ;

soit au registre de publicité légale choisi par l’entrepreneur individuel, en cas de double

immatriculation 31 ; dans ce cas, mention en est portée à l’autre registre ;

soit, pour les personnes physiques qui ne sont pas tenues de s’immatriculer à un registre de

publicité légale ou pour les exploitants agricoles, à un registre tenu au greffe du tribunal

statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal 32

Concrètement, cette déclaration s’effectue :

au répertoire des métiers pour les artisans :

au registre du commerce et des sociétés pour les commerçants ;

au greffe du tribunal de commerce du lieu de leur établissement principal pour les

professions libérales, les officiers ministériels, les auto-entrepreneurs et les exploitants

agricoles 33

28 Art. L.526-10. 29 V. infra. 30 Art. L.526-7 C. com. 31 C’est le cas de certains artisans qui effectuent, de façon significative, des actes de commerce :

ils doivent s’immatriculer à la fois à la Chambre des Métiers et au R.C.S. 32 Il faut préciser que le projet du nouvel article L.324-13 du Code rural dispose que « la

constitution du patrimoine affecté résulte du dépôt d’une déclaration effectuée au registre de l’agriculture prévu à l’article L.311-2 du présent Code ou, à défaut, au registre prévu au 3°) de l’article L.526-7 du Code de commerce.

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b – Le contenu de la déclaration

La déclaration d’affectation devra comporter les mentions suivantes 34 soumises au

contrôle des organismes destinataires du dépôt :

un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés affectés à l’activité

professionnelle, en nature, quantité, qualité et valeur ;

la mention de l’objet de l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté 35 ;

le cas échéant, les documents justifiant de l’accomplissement des formalités visées aux

articles L.526-9 à L.526-11 : affectation d’un bien immobilier ou d’une partie d’un bien

immobilier, affectation d’un bien d’une valeur supérieure à un montant fixé par décret,

affectation d’un bien commun ou indivis nécessitant information et autorisation du conjoint

ou du co-indivisaire 36.

* Le cas des immeubles

L’affectation d’un bien immobilier ou d’une partie d’un bien immobilier nécessite

l’intervention du notaire 37. L’article L.526-9 dispose ainsi que « l’affectation d’un bien

immobilier ou d’une partie d’un tel bien est reçue par acte notarié et publié au bureau des

hypothèques ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au

livre foncier de la situation du bien ». Il est prévu – l’hypothèse sera fréquente – que si

l’entrepreneur n’affecte qu’une partie d’un ou de plusieurs biens immobiliers, il désigne

celle-ci dans un état descriptif de division38.

33 Ibid. 34 Art. L.526-8. 35 La modification de l’objet donne lieu à mention au registre auquel a été effectué le dépôt de la

déclaration prévue à l’article L.527-7. 36 Art. L.526-11 et v. supra. 37 L’établissement de l’acte notarié et l’accomplissement des formalités de publicité donnent lieu

au versement d’émoluments fixés dans le cadre d’un plafond déterminé par décret (Art. L.526-11, al. 2).

38 Rapprocher le régime d’insaisissabilité des immeubles ; v. Art. L.526-1 à L.526-5 C. com.

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Le non respect de ces règles entraîne l’inopposabilité de l’affectation39.

* L’évaluation des éléments d’actif affectés

La déclaration d’affectation est essentielle pour les créanciers (tout comme le dépôt

des comptes annuels 40) car elle les informe de la consistance de leur gage. Il s’ensuit que

les évaluations mentionnées doivent présenter des garanties de sincérité, de fiabilité.

Empruntant la voie consacrée en droit des sociétés et précisément en matière de SARL 41,

l’article L.526-10 énonce que « tout élément d’actif du patrimoine affecté, autre que des

liquidités, d’une valeur déclarée supérieure à un montant fixé par décret, fait l’objet d’une

évaluation au vu d’un rapport annexé à la déclaration et établi sous sa responsabilité par un

commissaire aux comptes, un expert-comptable, une association de gestion ou de

comptabilité ou un notaire désigné par l’entrepreneur individuel. L’évaluation par un

notaire ne peut concerner qu’un bien immobilier ».

Si l’existence d’un seuil rendant obligatoire l’intervention d’un professionnel

contrôlant l’évaluation, résonne comme l’écho du régime propre à l’EURL, l’inspiration du

législateur a puisé dans les mêmes règles 42 la responsabilité de l’entrepreneur qui s’écarte

du rapport prévu par la loi. Ainsi, lorsque la valeur retenue dans la déclaration d’affectation

est supérieure à celle proposée par le commissaire aux comptes, l’expert comptable,

l’association de gestion et de comptabilité ou le notaire, l’entrepreneur individuel est

responsable, pendant une durée de cinq ans, à l’égard des tiers sur la totalité de son

patrimoine, affecté et non affecté, à hauteur de la différence entre la valeur figurant dans le

rapport et la valeur déclarée 43.

S’inspirant toujours du régime applicable à l’EURL, l’article L.526-8 ajoute qu’en

l’absence de rapport, la valeur des éléments d’actifs étant inférieure au seuil légal ;

l’entrepreneur individuel est également responsable pendant un délai de cinq ans à l’égard

39 V. infra. 40 V. infra. 41 V. art. L.223-9 C. com. 42 V. art. L.223-9 C. com. 43 V. art. L.521-8 C. com.

13

des tiers sur la totalité de son patrimoine, affecté et non affecté, à hauteur de la différence

entre la valeur réelle du bien au moment de l’affectation et la valeur déclarée.

Se posera inévitablement un problème d’administration de la preuve de la

surévaluation. Le conseil peut être donné à l’entrepreneur dispensé de l’exigence du rapport

d’être prudent dans l’évaluation des éléments d’actifs affectés et de s’entourer de l’avis de

professionnels compétents. La contribution de l’expert comptable ou du notaire peut être

précieuse sur cette question.

3 – Le régime fiscal de l’affectation

Juridiquement, à défaut de création d’une personne morale, la déclaration

d’affectation n’entraînerait aucun transfert de propriété ; aucune conséquence fiscale ne

devrait donc résulter de l’inscription de biens au patrimoine d’affectation. Sur ce point, très

logiquement, les travaux préparatoires ont confirmé que l’affectation était exclusive d’un

apport 44.

Toutefois, certains craignent que l’administration considère que l’inscription d’un

élément d’actif à la déclaration d’affectation soit assimilée au régime fiscal de l’apport en

société 45. L’administration pourrait se réclamer de l’article 4 de la loi modifiant l’article

1655 quinquiès du Code général des impôts en ces termes : « Pour l’application du présent

Code et de ses annexes… l’entreprise individuelle à responsabilité limitée… est assimilée à

une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée… ». Ainsi, le choix de l’EIRL par un

entrepreneur individuel pourrait être regardé comme celui qui fait apport d’une entreprise à

une EURL. Il semblerait que les plus-values d’apport seraient imposables, sauf application

du régime de faveur prévu à l’article 151 octiès du Code général des impôts. Si l’on suit la

logique de l’administration en cas de choix de l’EIRL au début d’une activité, il y aurait

une possible application du régime des plus-values des particuliers, comme si l’intéressé

réalisait un apport à une EIRL. Le même raisonnement devrait être suivi en cas

d’affectation de nouveaux biens au patrimoine professionnel après la création de l’EIRL.

44 Rapport AN, n° 2298, p. 44. 45 V. BRDA 11/10 préc., § 18 s.

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C – L’ EFFICACITE DE L ’AFFECTATION PATRIMONIALE

1 – La protection du patrimoine privé

La protection du patrimoine privé est proclamée par l’article L.526-12.

« Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code civil :

1°) Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est opposable et dont les

droits sont nés à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle à laquelle le

patrimoine est affecté ont pour seul gage général le patrimoine affecté ».

La séparation entre patrimoine affecté et patrimoine non affecté conduit de façon

symétrique le même texte à disposer :

« 2°) Les autres créanciers auxquels la déclaration est opposable ont pour seul gage général

le patrimoine non affecté.

…..

En cas d’insuffisance du patrimoine non affecté, le droit de gage général des

créanciers mentionnés au 2°) du présent article peut s’exercer sur le bénéfice réalisé par

l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée lors du dernier exercice clos ».

Le dispositif paraît clair : les créanciers professionnels auront pour seul gage le

patrimoine affecté, les créanciers privés, le patrimoine non affecté.

Il importe néanmoins de relever que la séparation des gages est liée à l’opposabilité

de la déclaration d’affectation dont les modalités sont fixées par l’article L.526-2 qui

distingue deux situations.

La première vise les créanciers dont les droits sont nés postérieurement au dépôt :

dans ce cas, la déclaration d’affectation est opposable de plein droit à ceux-ci.

En revanche, la solution est différente à l’égard des créanciers dont les droits sont

nés antérieurement au dépôt. Il s’agit ici d’une opposabilité sous conditions.

L’entrepreneur devra, en effet :

le mentionner dans la déclaration d’affectation ;

et en informer les créanciers dans les conditions fixées par voie réglementaire.

15

Cette opposabilité aux créanciers, dont les droits sont nés antérieurement au dépôt

est de nature à leur causer préjudice. Au moment de la naissance de leur créance, ils

disposent d’un droit de gage général sur l’ensemble du patrimoine du débiteur. La

déclaration d’affectation réduit le gage, selon la nature de leur créance, au patrimoine

affecté ou non affecté. Il peut s’ensuivre une atteinte réelle au droit de propriété. C’est ce

risque qui a motivé la décision du conseil constitutionnel du 10 juin 2010 jugeant conforme

à la constitution l’article L.526-12 du Code de commerce, sous la réserve suivante : « S’il

était loisible au législateur de rendre la déclaration d’affectation opposable aux créanciers

dont les droits sont nés antérieurement à son dépôt, c’est à la condition que ces derniers

soient personnellement informés de la déclaration d’affectation et de leur droit de former

opposition ; que sous cette réserve, le deuxième alinéa de l’article L.526-12 du Code de

commerce ne porte pas atteinte aux conditions de l’exercice du droit de propriété des

créanciers garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du

Citoyen de 1789 ».

Informé du dépôt de la déclaration, il sera loisible aux créanciers concernés de

former opposition dans un délai fixé par voie réglementaire. La dernière rédaction de

l’article L.526-12 détermine le régime de l’opposition : « Une décision de justice rejette

l’opposition. On ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de

garanties, si l’entrepreneur en offre et si elles sont jugées suffisantes ». Le texte ajoute qu’

« à défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées, la

déclaration est inopposable aux créanciers dont l’opposition a été admise » mais la règle

n’a pas pour effet d’interdire la constitution du patrimoine affecté qui est seulement privé

d’effets à l’égard des créanciers opposants.

Le dispositif légal paraît, à première analyse, atteindre son objectif : mettre hors

d’atteinte le patrimoine privé des risques inhérents à l’entreprise. En réalité, cette protection

s’avère relative.

16

2 – Les limites à la protection

a – La neutralisation de la protection au profit de tous les créanciers professionnels

La loi prévoit expressément des cas où la déclaration d’affectation est totalement

privée » d’effet, c’est-à-dire qu’il sera possible aux créanciers professionnels ou, le plus

souvent, au mandataire liquidateur, de saisir le patrimoine non affecté en paiement de tout

ou partie des créances professionnelles. A cet effet, l’article L.526-12 dispose que :

« L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses

biens et droits en cas de fraude ou en cas de manquement grave aux règles prévues au

deuxième alinéa de l’article L.526-6 ou aux obligations prévues à l’article L.526-13 ». La

généralité du texte autorise également les créanciers privés à saisir le patrimoine

professionnel, bien que ce soit la situation inverse qui vienne immédiatement à l’esprit.

Ce sont, tout d’abord, les règles de composition du patrimoine affecté dont « un

manquement grave » autorisent les créanciers professionnels à exercer leur droit de

poursuite sur le patrimoine privé. Comme manquement grave, on peut penser à l’absence,

dans la déclaration d’affectation, de biens qui auraient dû être affectés par nature à

l’exercice de l’activité professionnelle et qui seraient maintenus dans le patrimoine non

affecté dans le but de soustraire ces actifs aux risques de l’entreprise. Un même bien entrant

dans la composition de plusieurs patrimoines affectés se verrait appliquer la même

sanction. Il s’agit là de priver d’effet la séparation des patrimoines en cas d’anormalité dans

leur composition. La solution n’est pas sans rappeler, tout au moins au niveau des effets

juridiques, la théorie de la confusion des patrimoines consacrée par l’article L.621-2 du

Code de commerce selon laquelle la procédure collective peut être étendue à une ou

plusieurs personnes en cas de confusion de patrimoine avec celui de leur débiteur en cas

d’opérations anormales.

Le second manquement grave vise les obligations édictées par l’article L.526-13 qui

impose la tenue d’une comptabilité autonome, selon les règles du Code de commerce et

l’ouverture d’un compte exclusivement dédié à l’activité professionnelle46. Ces règles sont

essentielles pour l’évaluation actualisée, chaque année, du patrimoine affecté, gage des

46 V. infra.

17

créanciers professionnels 47. A défaut, là encore, leur droit de poursuite pourra s’exercer

également sur le patrimoine non affecté. Néanmoins, il faut relever que l’obligation de

dépôt et donc de publicité des comptes n’est pas, en cas d’inobservation, frappée de la

même sanction. Le législateur a préféré appliquer la même sanction que celle existant à

l’égard des sociétés contrevenant à la même règle : l’injonction du juge sous astreinte de

déposer les comptes48.

En revanche, la saisie du patrimoine non affecté est également possible en cas de

fraude de l’entrepreneur. La fraude paulienne qui rend inopposables les apports à une

société pourra également frapper, par exemple, l’affectation d’un bien dans le but de le

soustraire aux poursuites des créanciers privés qui n’ont pour seul gage que le patrimoine

non affecté… 49.

Un droit de poursuite limité sur la totalité du patrimoine de l’entrepreneur est

également prévu par la loi à hauteur de la différence de valeur, en cas d’évaluation entre la

valeur déclarée d’un élément d’actif du patrimoine affecté et, selon le cas, la valeur

proposée par le professionnel évaluateur ou la valeur réelle 50.

En dehors des prévisions de la loi, la totalité du patrimoine de l’entrepreneur pourrait

également être menacée par le simple recours au droit commun. On songe, ainsi, à

l’hypothèse du conjoint du chef d’entreprise ayant opté pour l’EIRL et y exerçant une

activité professionnelle en tant que collaborateur ou salarié51. Les tribunaux se

reconnaissent le droit, lorsque les conditions de requalification sont réunies, de les

considérer comme commerçants de fait lorsqu’ils accomplissent des actes de commerce de

façon habituelle et indépendante au sein de l’activité commune. Le conjoint s’expose alors

à l’ouverture d’une procédure collective à son encontre et les biens communs 52, en cas

47 V. art. L.526-14. 48 V. art. L.526-14, dernier al. 49 Mais, dans ce cas, conformément au régime de l’action paulienne, l’action ne devrait bénéficier

qu’au créancier ayant agi sur le fondement de l’article 1167 C. civ. 50 Art. L.526-9 51 Art. L.122-4 et s. C. com. 52 Il faut noter que la majorité des entrepreneurs individuels n’ont pas conclu de contrat de

mariage et sont donc soumis au régime légal.

18

d’application du régime de communauté, préservés par l’affectation patrimoniale seront

saisis.

Une dernière question surgit. ON sait que l'article 16 de la loi du 31 décembre 1990

sur les sociétés d'exercice libéral dispose que "chaque associé répond sur l'ensemble de son

patrimoine des actes professionnels qu'il accomplit. La société est solidairement

responsable avec lui". Qu'en est-il en matière d'EIRL ? A défaut de précision exprès sur ce

point, ne devrait-on considérer que seul le patrimoine affecté répond des actions en

responsabilité civiles engagée à l'encontre du professionnel libéral ?

b – La neutralisation de la protection au profit de certains créanciers

professionnels

La loi prive l’entrepreneur ayant adopté le statut d’EIRL de tout effet d’aubaine avec

le fisc ou les organismes sociaux. A dire vrai, l’inspiration du législateur s’est fondée sur le

régime applicable aux dirigeants de sociétés. Il est, en effet, singulier de relever la

transposition du mécanisme de l’article 267 du titre des procédures fiscales à l’entrepreneur

individuel. Ce texte autorise le président du tribunal de grande instance, à la requête de

l’administration fiscale, de déclarer le dirigeant solidairement responsable du paiement des

impositions et pénalités dues par la société, en cas de fraude ou de l’inobservation grave

et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des

impositions.

L’hypothèse légale retenue dans le nouvel article 273-B du Code général des

impôts 53 est la même, toutefois l’effet juridique est différent, le recouvrement des sommes

étant recherché sur le patrimoine non affecté. De façon symétrique et en présence

d’agissements de même nature, « les dettes fiscales privées » peuvent faire l’objet de

poursuites sur le patrimoine affecté54. Une disposition de même facture autorise également

à procéder au recouvrement des cotisations et contributions sociales sur la totalité du

patrimoine de l’entrepreneur55.

53 Art. 6 de la loi. 54 Art. 273-P CGI ; Art. 273-B. 55 CSS, art. L.133-4-5.

19

Rappelons également que, par le jeu de l’inopposabilité, les créanciers dont les droits

sont nés antérieurement au dépôt de la déclaration d’affectation, à défaut de remboursement

des créances ou de constitution de garanties ordonnées par le juge dans le cadre de la

procédure d’opposition, conservent le droit de recouvrer leur créance sur la totalité du

patrimoine.

c – La neutralisation de la protection à l’initiative de l’entrepreneur

L’entrepreneur sous statut EIRL peut-il avantager l’un de ses créanciers

professionnels – on songe à sa banque, à un fournisseur important – en lui offrant comme

gage tout ou partie de son patrimoine privé ? En d’autres termes, à l’instar du régime

applicable à la déclaration d’insaisissabilité, l’entrepreneur peut-il renoncer à la protection

du dispositif en faveur d’un créancier déterminé ? Si la loi, dans l’article 562-15, autorise la

renonciation de l’entrepreneur à l’affectation qui cesse de produite ses effets, il s’agit d’une

renonciation générale et non spéciale. La validité d’une renonciation particulière non

prévue par la loi paraît d’une validité douteuse, le gage des créanciers privés s’en trouvant

malmené sans qu’aucune information, opposition ne soient envisagées. En revanche, la

question de consentir une sûreté réelle sur un actif privé n’est pas discutée.

Rappelons que l’article L.526-12 énonce que : « par dérogation aux articles 2284 et

2285 du Code civil : 1°) Les créanciers auxquels la déclaration d’affectation est

opposable… ont pour seul gage général le patrimoine affecté ». L’expression autorise-t-

elle à admettre des sûretés spéciales sur le patrimoine non affecté ?

Le projet de loi avait fait débat surs ce point mais les travaux parlementaires ont levé

l’incertitude. La distinction des patrimoines affectés et non affectés « n’empêche

aucunement un créancier professionnel, au premier chef un prêteur, d’exiger une sûreté

réelle sur un bien personnel de l’entrepreneur ou une sûreté personnelle telle qu’une

caution du conjoint. Si l’entrepreneur y souscrit, son patrimoine personnel ou celui de son

conjoint « se trouve à nouveau pleinement exposé aux aléas de l’activité professionnelle de

l’entrepreneur individuel »56.

56 Rapport Sénat, n° 362, p. 49.

20

Au reste, comme il l’a déjà été indiqué, pour substituer à des garanties personnelles

un système de caution mutuelle, le gouvernement a annoncé la création d’un produit

financier approprié géré par OSEO et qui garantira à hauteur de 70 % maximum le prêt

consenti par la banque.

Cette substitution de sûreté sera envisagée par une obligation d’information de

l’entrepreneur individuel qui a donné lieu à une modification par la loi du 15 juin 2010 de

l’article 313-21 du Code monétaire et financier aujourd’hui rédigé ainsi :

« A l’occasion de tout concours financier qu’il envisage de consentir à un

entrepreneur individuel pour les besoins de son activité professionnelle, l’établissement de

crédit qui a l’intention de demander une sûreté réelle sur un bien non nécessaire à

l’exploitation ou une sûreté personnelle consentie par une personne physique doit informer

par écrit l’entrepreneur de la possibilité qui lui est offerte de proposer une garantie auprès

d’un autre établissement de crédit, d’une entreprise d’assurance habilitée à pratiquer les

opérations de caution ou à une société de caution mutuelle mentionnée aux articles L.515-

11 à L.515-12. L’établissement de crédit indique, compte tenu du montant du concours

financier sollicité, le montant de la garantie qu’il souhaite obtenir ».

d – La neutralisation d’affectation au profit des créanciers privés

Deux hypothèses déjà envisagées privent d’effet, par le jeu de l’inopposabilité, la

déclaration d’affectation. C’est le cas de l’affectation d’un immeuble non respectueux des

formalités visées à l’article L.526-9 : par exemple, l’affectation de partie d’un immeuble

sans état descriptif de division. C’est également l’hypothèse du défaut d’autorisation ou

d’information du conjoint ou du co-indivisaire en cas d’affectation de biens communs ou

indivis 57. On doit considérer, semble-t-il, que l’inopposabilité vise tous les créanciers. Il en

résulterait l’absence d’un gage pour les créanciers professionnels et le maintien de celui-ci

dans le patrimoine non affecté. Relevons également le droit pour les créanciers non

professionnels d’exercer leur droit de poursuite, en cas d’insuffisance de patrimoine non

57 Art. L.626-11.

21

affecté, sur le bénéfice réalisé par l’entrepreneur lors du dernier exercice clos. Cette

disposition postule que ce bénéfice demeure dans le patrimoine affecté.

Restent les décisions que peut prendre l’entrepreneur qui ont pour effet de

décloisonner l’assiette du droit de poursuite des créanciers. Il en va ainsi de la fixation de

sa rémunération et/ou de la « distribution » de son bénéfice. Selon l’article L.526-18,

l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée détermine les revenus qu’il verse dans son

patrimoine non affecté. A quel moment ? Sous quelle forme ? Existe-t-il un plafond à ces

revenus ? Pour l’heure, on peut craindre l’exercice d’une grande liberté pour l’entrepreneur

qui peut ainsi transférer, à tout moment, des liquidités du patrimoine affecté au patrimoine

non affecté, avec les conséquences qu’on imagine sur l’assiette du droit de poursuite des

créanciers respectifs. Reste que si un plancher de trésorerie est nécessaire à l’exploitation,

au sens de l’article L.526-6, le transfert de cette trésorerie sous forme de revenus mettant en

difficulté l’entreprise n’est-il pas exposé à la rigoureuse sanction de l’article L.526-12 qui

peut neutraliser le cloisonnement du patrimoine ? 58

De même, si l’entrepreneur veut acquérir une résidence principale, peut-il vendre

des biens affectés, seulement utilisés pours l’exercice de son activité professionnelle et en

transférer le produit dans son patrimoine privé ? La loi reste étrangement muette sur ce

point. En l’absence de fraude et si les comptes qui valent « actualisation de la composition

et de la valeur du patrimoine affecté » 59 constatent bien le désinvestissement, « cette

réduction de capital » devrait être admise 60

58 V. supra. 59 V. art. L.526-14. 60 Sous réserve du respect du droit fiscal puisqu’on serait en présence d’un retrait d’actif

immobilisé.

22

II – LA VIE DE L'EIRL

L'efficacité et le succès de l'EIRL seront largement conditionnés par l'attractivité de

son formalisme comptable allégé ou renforcé (A) de son régime fiscal et social (B) et des

modalités de sa transmission (C).

A l'inverse de la déclaration d'insaisissabilité, l'EIRL est une déclaration de

saisissabilité. Pour cette raison, les obligations comptables doivent être strictement

respectées.

A – LES OBLIGATIONS COMPTABLES

A coté du respect du formalisme de la déclaration d'affectation, c'est ici que se

situeront les nids du contentieux de demain. L'Entrepreneur individuel devra respecter

scrupuleusement le formalisme comptable qui lui sera assigné. A défaut de le faire, ses

créanciers ne manqueront pas de s'engouffrer dans la brèche pour faire tomber la protection

du patrimoine privé.

Corrélativement, le respect de ces obligations devient une source de responsabilité

plus importante pour les experts comptables qui n'appelleront pas leurs clients à la

vigilance car la sanction sera plus sévère et ira bien au-delà des désagréments d'un contrôle

fiscal !

Ces obligations concernent le respect d'une comptabilité autonome qui peut être

simplifiée, et d'une publication des comptes annuels.

23

1 – Une comptabilité autonome

L'entrepreneur doit justifier d'une comptabilité autonome61 dans les conditions

définies aux articles L 123-12 à L 123- 23 et L 123-25 à L 123-27 du Code du commerce.

Cette mesure est logique et conforme au principe de l'affectation qui gouverne l'EIRL.

Cette disposition appelle deux remarques :

- La comptabilité doit être autonome, elle doit retracer les seules opérations comptables

concernant l'activité de l'EIRL. Cette autonomie est un appel à l'absence de confusion avec

le patrimoine privé.

- la comptabilité doit être une comptabilité commerciale, quelque soit la nature de l'activité.

En conséquence, un professionnel libéral devra tenir une comptabilité commerciale pour les

besoins de l'affectation, et une comptabilité BNC pour la détermination de son résultat

fiscal.

Les obligations comptables imposent la tenue des mouvements enregistrés

chronologiquement, l'établissement d'un bilan, d'un compte de résultat et de son annexe.

Ces comptes doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine de

L'EIRL, de sa situation financière et de son résultat. Ce dernier point est particulièrement

important pour la protection des créanciers de l'entrepreneur. Il est fort probable que les

créanciers et les juges examineront avec soin le respect du principe de "l'image fidèle".

2- Une comptabilité simplifiée

Il y a lieu de distinguer les entreprises relevant du réel simplifié et celle relevant du régime

micro :

- les entreprises relevant du régime du réel simplifié62 bénéficient d'un allégement de leurs

obligations comptables63. A ce titre elles peuvent enregistrer les créances et le dettes à la

clôture du bilan, elles sont dispensées de la formalité d'annexe et procèdent à une

évaluation simplifiée des stocks.

61 C.Com L 526-13 62 Pour les ventes de marchandises ou fourniture de logements le chiffre d'affaire doit être compris entre 80 300 euros et 766.000 euros et pour les autres activités (prestations de service) il doit être compris entre 32.100 euros et 231.000 euros 63 C.com. L526-14 al.2

24

- Pour les entreprises relevant du régime de la micro-imposition64 (micro BIC ou micro

BNC) et du forfait agricole, des règles comptables simplifiées seront fixées par décret65. La

difficulté pour les auto-entrepreneurs sera certainement celle de se soumettre à un

formalisme plus important donnant une image fidèle du patrimoine affecté. Il faut en effet

rappeler que leur bénéfice est déterminé après un abattement66 sur le Chiffre d'affaire sauf

option pour le prélèvement libératoire de l'impôt et des charges sociales. Cette

détermination du résultat ne concourt pas à donner cette image.

3 – Une publicité des comptes

Afin de permettre une actualisation du patrimoine affecté, l'entrepreneur individuel à

responsabilité limitée doit déposer les comptes annuels ou les documents comptables

simplifiés selon le régime fiscal applicable.

Le dépôt se fera chaque année au registre qui a reçu la déclaration d'affectation. Le

greffe du tribunal de commerce se voit reconnu un rôle de centralisation des comptes

annuels car les comptes doivent lui être transmis, pour y être annexés67.

Ce dépôt sera particulièrement important pour les créanciers. En effet, ce dépôt vaut

actualisation de la composition et de la valeur du patrimoine affecté. Les comptes ainsi

déposés seront le curseur permettant de suivre la solvabilité de leur débiteur.

Malgré cette importance, le législateur n'a finalement pas sanctionné l'absence de

dépôt par l'inopposabilité de l'affectation. Cette sanction aurait certainement été trop lourde

et trop fréquente. Il lui a été préféré celle de la mise en demeure sous astreinte par le

président du tribunal de commerce à la demande de tout intéressé ou du ministère public.

64 Pour les ventes de marchandises ou fourniture de logements le chiffre d'affaire ne doit pas dépasser 80 300 euros et pour les autres activités (prestations de service) il ne doit pas dépasser 32.100 euros 65 Les obligations comptables sont réduites actuellement à la tenue, au jour le jour, d’un livre mentionnant chronologiquement le montant et l’origine des recettes, avec distinction des règlements en espèces des autres formes de règlements. Les références des pièces justificatives (factures, notes…) y sont également notées. Par ailleurs, les commerçants doivent tenir un registre récapitulé par année, présentant le détail des achats et précisant le mode de règlement et les références ses pièces justificatives (factures, notes…). Les factures et pièces justificatives relatives aux achats, ventes et prestations de services réalisées doivent être conservées. 66 Abattement de 71 % du CA pour les activités d'achat/revente, et les activités de fourniture de logement, et de 50 % du CA pour les autres activités relevant des BIC, 34 % du CA pour les BNC 67 C.com L 526-14

25

Cette publicité obligatoire est nécessaire dans un système conçu comme une

déclaration de saisissabilité. Reste à savoir si cette publicité ne détournera pas les

entrepreneurs de l'EIRL !

Il convient de rappeler que cette publicité des comptes est indépendante des

obligations spécifiques concernant les modifications intervenues dans l'activité de

l'entrepreneur. Il s'agit :

- du changement d'objet de l'activité68

- de l'affectation d'un bien immobilier69, d'un bien commun ou indivis70

- de l'affectation d'un bien d'une valeur supérieur à un montant fixé par décret71.

Dans ces différentes hypothèses le dépôt des comptes ne suffira pas à l'affectation s'ils ne

sont pas précédés des publicités spécifiques.

J'attire particulièrement votre attention sur la nécessité de veiller à l'actualisation de

l'objet de l'activité. L'absence d'actualisation peut avoir des conséquences importantes. En

effet le risque est patent de voir cet entrepreneur de bonne foi engagé sur la totalité de son

patrimoine s'il a contracté une dette "sortant légèrement de l'activité pour laquelle il s'était

inscrit"72.

B – LA NOUVELLE DONNE FISCALE ET SOCIALE

1 – Le régime fiscal

La nouvelle donne fiscale ne réside pas ici dans la séparation du patrimoine

professionnel et du patrimoine privé. Cette séparation existait déjà, et s'opposait à

l'approche civiliste de l'unicité du patrimoine. Toutefois la notion fiscale de bien

professionnel varie en fonction de la catégorie des bénéfices :

68 C.com L526-8 al.3 69 C.com. L 526-9 al.3 70 C.com. L 526-11 al.2 71 C.com.L 526-10 al.2 72 R. Libchaber "Eclairage. Feu la théorie du patrimoine" Bulletin Joly Sociétés 1er Avril 2010 n°4 p.316

26

- dans la catégorie des BIC le caractère professionnel d'un bien est lié à son inscription au

bilan ou au tableau des immobilisations. Cette inscription relève de la libre affectation

décidée par l'entrepreneur. Ainsi un immeuble pourra au gré de l'entrepreneur être inscrit à

l'actif de l'entreprise ou ne pas l'être.

- dans la catégorie des BNC il n'en va pas de même. Les biens professionnels par nature

sont obligatoirement inscrits, les biens utilisés peuvent l'être, et ceux non utilisés ne

peuvent être inscrits. Ainsi le droit de présentation d'une clientèle, les parts ou actions d'une

clinique sont des biens professionnels par nature devant être obligatoirement inscrits à

l'actif. Les immeubles utilisés pour les besoins de la profession, même à usage

exclusivement professionnel, sont considérés comme des biens professionnels par

affectation. Par suite ils peuvent au libre choix du contribuable être porté ou non sur le

registre des immobilisations.

Il convient de constater qu'il existera des problèmes de frontière car le texte de

l'EIRL retient un critère qui agrège au patrimoine professionnel les éléments nécessaires à

l'activité. Cette approche est logique car il s'agit de délimiter le périmètre du gage des

créanciers professionnels. Ce critère ne laisse pas de place au libre choix de l'entrepreneur

à la différence du système retenu en matière fiscale.

Le choix de l'EIRL devrait avoir peu de conséquences sur les titulaires de BNC car

la définition du patrimoine affecté est très proche de celle retenue au plan fiscal. Par contre

pour les titulaires de BIC, l'exploitant devra sortir les biens à usage privé du patrimoine

professionnel. Cette sortie entrainera une taxation des plus values sauf application de la

mesure d'exonération prévue à l'article 151 septiès du CGI. Pour les titulaires de BA la

maison d'habitation ne faisant pas partie de l'exploitation et ne présentant pas le caractère

de maison de maître peut être inscrite à l'actif du bilan. Lors de l'option pour le statut de

l'EIRL, cette maison devra être transférée du patrimoine professionnel vers le patrimoine

privé moyennant une éventuelle taxation des plus values.

A l'inverse on peut craindre que l'administration fiscale applique l'imposition des

plus values d'apport selon le régime des particuliers lors de l'affectation d'un bien au

patrimoine professionnel. Ainsi l'immeuble professionnel qui figurait hors bilan, via une

location fiscale à soi-même, devra être inclus dans le patrimoine affecté s'il est considéré

27

comme "nécessaire" à l'activité. On pense évidement à l'hôtel, à tout immeuble spécifique

à l'activité qui n'aurait pas un caractère banalisable. Cette question va susciter de lourdes

interrogations tant sur le plan civil que fiscal car les difficultés de qualifications ne vont pas

manquer de se poser.

Signalons toutefois que la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27

juillet 2010 introduit une exception notable : l'entrepreneur exerçant une activité agricole

peut ne pas affecter les terres utilisées pour l'exercice de son exploitation dont il est

propriétaire73.

Pour l'essentiel, la notion de patrimoine professionnel ne se trouve pas bouleversée.

La nouvelle donne réside ailleurs : elle se trouve dans la faculté d'opter à l'impôt sur les

sociétés même si le principe d'imposition reste celui de l'impôt sur le revenu.

a – le principe : l'imposition sur le revenu

L'entrepreneur individuel est personnellement soumis à l'impôt sur le revenu dans les

conditions de droit commun sur la totalité des bénéfices selon les règles applicables aux

entreprises individuelles classiques, dans la catégorie des BIC, BNC ou BA selon l'activité

exercée. En cas de pluriactivité au sein d'une même EIRL, la règle des revenus accessoires

s'appliquera. Ainsi dans une activité BIC, les bénéfices tirés d'une activité non commerciale

accessoire seront imposés au titre des BIC. Ce n'est qu'à partir du 1er janvier 2013 que les

revenus accessoires seront imposés dans leur propre catégorie si l'entrepreneur décide de

constituer une EIRL dédiée à cette activité.

L'EIRL pourra adhérer à un centre de gestion agréé et organismes assimilés, pour

éviter la majoration forfaitaire de 25% des revenus.

b – l'option pour l'impôt sur les sociétés

C'est ici que se trouve la nouvelle donne fiscale. L'EIRL pourra opter pour son

assujettissement à l'impôt sur les sociétés. Toutefois il convient de signaler que l' EIRL

relevant d'un régime de micro-imposition ou du forfait agricole devra préalablement opter

73 Loi n°2010-874 du 27 juillet 2010 article 40 et C.com art. L 526-6

28

pour un régime réel d'imposition avant d'opter à l'impôt sur les sociétés car ces dernières

relèvent obligatoirement de l'impôt sur les revenus.

Cette option entraine plusieurs conséquences :

- l'EIRL sera soumise à un taux d'imposition de 15 % jusqu'à 38 120 € et 33,33 %

au-delà. Cette option n'aura donc d'intérêt que pour les entrepreneurs dont le taux moyen

d'imposition excède l'un ou l'autre de ces taux.

- Les bénéfices réinvestis dans l'entreprise ne seront pas imposés entre les mains de

l'entrepreneur. Cette disposition est de nature à renforcer les capitaux propres de l'entreprise

en vue de financer son développement.

- Les salaires versés à l'entrepreneur individuel seront déduits et imposés dans la

catégorie des traitements et salaires de l'article 62 du CGI par assimilation avec le gérant

majoritaire d'une SARL. Cette rémunération n'est admises en déduction des résultats que

dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et n'est pas excessives eu égard à

l'importance du service rendu.

- la fiscalité de la rémunération des comptes courants d'associés ne semble pas

pouvoir s'appliquer. En effet la trésorerie de l'EIRL reste celle de l'entrepreneur, elle ne

constitue pas une créance.

- Enfin des bénéfices pourront être distribués et imposés selon le régime de droit

commun des dividendes.

L'option à l'IS peut se faire ab initio ou au cours de la vie de l'EIRL. Dans ce dernier

cas il sera attaché les conséquences classiques d'une telle option : les bénéfices en sursis

d'imposition et les plus-values latentes incluses dans l'actif social ne feront pas l'objet d'une

imposition immédiate à la double condition qu'aucune modification ne soit apportée aux

écritures comptables et que l'imposition desdits bénéfices et plus-values demeure possible

sous le nouveau régime fiscal applicable.

Cette option à l'IS devra être murement réfléchie car comme vous le savez elle est

irrévocable74.

74 CGI 239

29

Si la possibilité d'opter à l'IS constitue dans le droit de l'entreprise individuelle une

véritable révolution au plan fiscal, cette révolution a été contenue au plan social.

2 – Le régime social

Le régime social de l'EIRL varie en fonction du régime fiscal retenu :

� A défaut d'option pour l'impôt sur les sociétés, l'entrepreneur individuel à

responsabilité limité doit acquitter les cotisations et contributions sociales dans les mêmes

conditions que les autres entrepreneurs individuels. En conséquence :

- tous les bénéfices de l'exploitation seront assujettis dans les conditions fixées par les

articles L 131-6 et suivant du Code de la sécurité sociale,

- la cotisation minimum d'assurance maladie sera due

- le régime du micro social simplifié permettant le versement forfaitaire libératoire pourra

s'appliquer sur option75

� En cas d'option pour l'impôt sur les sociétés, la loi a mis en place un dispositif

inspiré de celui en vigueur pour les sociétés d'exercice libéral.

Sur le principe les cotisations et contributions sociales sont dues sur la rémunération

que l'entrepreneur individuel se verse. Afin de déjouer les stratégies d'arbitrage entre le

versement d'une rémunération et le versement d'un dividende, la loi a prévu un dispositif

anti-abus76.

Ce dispositif fixe un double seuil alternatif au-delà duquel, les dividendes sont

intégrés au revenu professionnel de l'entrepreneur et soumis comme tel aux prélèvements

sociaux. Les seuils retenus sont respectivement de :

- 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d'exercice

- ou 10 % du montant du bénéfice net si ce dernier montant est supérieur. Ce montant de 10

% a été retenu par référence au montant "moyen" des revenus du patrimoine77.

75 CSS, art. L. 133-6-8 soit 12 % du CA sur les ventes et fournitures de logement, 21,3% sur les prestations de service ; 18,13 pour les professions libérales. 76 CSS art L. 131-6-3 77 Rapport fait à l'Assemblée Nationale par Mme Laure De La Raudière p.59

30

Un décret en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application de ce dispositif.

Exemple :

Valeur des biens du patrimoine affecté : 20.000 € Plafond : 2.000 €

Montant du bénéfice net : 50.000 € Plafond : 5.000 €

Distribution : 30.000 €

Assiette des cotisations : 30.000 – 5.000 = 25.000 €

Stratégiquement, l'entrepreneur individuel a donc intérêt à affecter des biens en

nombre et en valeur suffisants pour disposer d'un abattement plus important. Il faudra

attendre les décrets d'application pour savoir si la notion de biens désigne l'ensemble de la

valeur du patrimoine affecté ou seulement les biens, à l'exclusion des droits, obligations et

suretés visées à l'article L 526-6.

La création de l'EIRL nécessitait de mettre en place un processus original de

transmission du patrimoine affecté. La complexité du dispositif s'accordera t'il avec les

souhaits de simplification voulu par les entrepreneurs ? L'avenir le dira !

C – LES MUTATIONS DE L'EIRL

Complet et complexe, le dispositif de transmission est conçu pour atteindre l'objectif

suivant : permettre la survie de l'affectation lors de toutes transmissions. En autorisant la

transmission d'un ensemble de biens et de dettes le législateur pour la première fois permet

la transmission d'une universalité de droit.

Nous envisagerons ces mutations sous trois angles : la transmission à titre onéreux

ou gratuit, le décès, et la liquidation.

31

1 – La transmission

Quelles sont les modalités, le formalisme et les effets de la transmission d'une EIRL ?

a) Les modalités de la transmission

La loi organise la cession à titre onéreux, à titre gratuit et l'apport en société de

l'intégralité du patrimoine affecté78. L'originalité réside dans le fait que cette cession s'opère

sans liquidation préalable et avec maintien de l'affectation dans le patrimoine du

cessionnaire ou du donataire.

Toutefois ce maintien suppose que la cession intervienne au profit :

- d'une personne physique

- que cette personne physique ait elle-même la qualité d'EIRL

Enfin il faut rajouter que jusqu'au 1er janvier 2013, une EIRL préexistante en activité

se portant acquéreur d'un patrimoine affecté ne pourra procéder au maintien de l'affectation

car avant cette date une EIRL ne saurait avoir plusieurs patrimoines affectés79.

Si la cession intervient au profit d'une personne morale, le transfert s'opère sans

maintien de l'affectation. L'affectation disparaissant la société cessionnaire est engagée sur

la totalité de son patrimoine. Par contre rien ne permet de dire que le prix reçu puisse être

considéré comme affecté à une nouvelle activité pour le cédant et par suite échappe au droit

de gage des créanciers privés. Bien au contraire, ce prix semble devoir tomber dans le

patrimoine privé.

Au plan pratique, la cession requière le respect des règles de droit commun habituel

et notamment le consentement du conjoint commun en bien et des indivisaires. Rien dans le

texte ne permet de prétendre le contraire. la cession ainsi opérée sera une véritable cession

d'actif net. On imagine déjà qu'il aura lieu de mettre en place des garanties d'actifs et de

passif certifiant la composition du patrimoine affecté.

La cession d'un patrimoine affecté se rapproche donc considérablement de la cession

de parts de société avec toutes les complications que ceci entrainera au plan pratique. Cette

78 C.com. L 526-17 79 Etienne Dubuisson, "EIRL et particularités de transmission" Lamy Droit des affaires juin 2010 P.64 et s.

32

approche est d'ailleurs patente puisque le texte de la loi prévoit que les articles L 141-1 à L

141-22 du Code de commerce ne sont pas applicables.

Ces articles concernent les mentions obligatoires, le privilège de vendeur du fonds

de commerce, les annonces légales (JAL et BODAC), le droit d'opposition au paiement du

prix, et la surenchère du sixième. Ceci entraine notamment les conséquences suivantes:

� La suppression des mentions obligatoires ne saurait dispenser le rédacteur

d'une cession de patrimoine affecté de porter à la connaissance du cessionnaire les éléments

de l'actif et du passif cédé. Bien au contraire, et pour la bonne information de l'acquéreur, la

cession dans ses éléments actifs et passifs devra être précisément détaillée.

En cas d'omission d'un élément du patrimoine affecté, devra-t-on considérer cet

élément exclu de la cession ? A priori la réponse devrait être négative, car le patrimoine

affecté devrait être considéré comme une universalité de droit et comme telle de nature à

agréger tous les éléments le composant. C'est plutôt par exclusion expresse qu'il faudra

donc procéder. Mais là encore il faut se montrer prudent car à aucun moment le texte ne

décline l'identité juridique de ce patrimoine affecté80. Cette absence constitue d'ailleurs une

lacune majeure du texte.

De même l'omission d'un passif ou sa sous-évaluation engagera-elle le cessionnaire

de son montant ?

� Les articles sur le privilège du vendeur du fonds de commerce ne

s'appliquant pas, la banque finançant la reprise du patrimoine affecté ne pourra bénéficier

d'une subrogation dans ce privilège. L'organisme bancaire devra donc recourir au

traditionnel nantissement du fonds de commerce, du fonds artisanal ou du fonds agricole.

La cession du fonds de commerce seul, demeure possible. Dans cette hypothèse le

formalisme de la cession devra être respecté. Une fois la cession opérée il sera procédé à la

liquidation de l'EIRL ou au remploi des fonds dans une autre activité après avoir pris soin

de modifier l'objet de l'activité.

80 Isabelle Dauriac et Clothilde Grare-Didier "Projet d'EIRL : l'enjeu pour la famille Defresnois 2010 n°39096

33

b) Le formalisme de la cession

La cession à titre onéreux ou gratuite à une personne physique donne lieu à

déclaration de transfert :

- Elle doit être déposée par le cédant au lieu du dépôt de la déclaration initiale.

- Elle doit être accompagnée d'un état descriptif des biens, droits, obligations et

suretés composant le patrimoine affecté transmis.

- Elle donne lieu à une publicité dont les modalités seront définies par décret.

Si la cession intervient au profit d'une personne morale, elle donne lieu à la

publication d'un avis accompagné d'un état descriptif alors même que l'affectation n'est pas

maintenue pour cette dernière.

La sanction prévue en cas de non respect du formalisme de la cession est

l'inopposabilité de la cession intervenue à l'égard des tiers

b) Les effets de la cession

Il faut envisager les effets dans les rapports entre les parties, à l'égard des créanciers

et d'un débiteur cédé.

- dans les rapports entre les parties, le cessionnaire, le donataire, et le

bénéficiaire de l'apport deviennent débiteurs des créanciers de l'entrepreneur individuel à

responsabilité limité au lieu et place de celui-ci. Cette cession n'emporte pas novation à

l'égard des créanciers. Cette conséquence relève de l'alchimie juridique : le

changement de débiteur n'emporte pas novation de la dette cédée ! Le créancier par la force

de la loi se voit imposé un nouveau débiteur, ce qui pour effet de libérer l'ancien…Mais la

précision est utile car elle entraine le maintien des garanties prises sur le fonds d'entreprise

ou les éléments le composant.

- à l'égard des créanciers :

����Les créanciers de l'entrepreneur dont la créance est antérieure à la publicité de la

déclaration de transfert ou de l'avis, et les créanciers auxquels la déclaration d'affectation

34

n'est pas opposable à raison de leurs créances nées antérieurement à la déclaration

d'affectation, peuvent former opposition. Cette opposition est une opposition à la

transmission du patrimoine affecté. C'est une opposition à contrat, ce n'est pas une

opposition formée sur un prix. L'opposition devra être formulée dans un délai qui sera fixé

par décret.

Le juge saisi de l'opposition pourra :

- la rejeter

- ou ordonner le remboursement des créances

- ou ordonner la constitution de garanties si le cessionnaire ou le donataire en offre

et ce de manière suffisante.

A défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties la sanction

est celle de l'inopposabilité de la transmission du patrimoine affecté.Tout se passera comme

si la cession n'avait pas eu lieu. Le cédant reste juridiquement responsable de ses dettes, et

les créanciers du cessionnaire passeront après ceux du cédant en cas de conflit entre

créanciers. Ce droit constitue un nouveau droit de suite occulte ! Pour autant l'opposition

n'a pas pour effet d'interdire la transmission du patrimoine affecté. Voici de beaux nids à

contentieux en perspective !

Au plan pratique si le cessionnaire ne veut pas se trouver face à la perspective

d'avoir à rembourser les créances par anticipation aussitôt la cession intervenue, il lui

faudra rechercher en amont une renonciation à opposition. L'autre solution pourrait aussi

consister à formaliser la cession sous condition de non opposition.

Autant dire que la cession d'une EIRL sera marquée par une complexité peu

compatible avec la rapidité souhaitée par les entrepreneurs. Les risques doivent donc être

parfaitement mesurés, car ils exposent les parties à la cessation de paiement. On attendra

avec curiosité la façon dont sera résolue la difficile équation du dépôt de bilan face à une

cession valable entre les parties mais inopposable au créanciers dont l'opposition a été

admise…

35

�Les créanciers privés ne peuvent former opposition. La seule voie qui leur sera

ouverte sera celle du droit commun. Il leurs appartiendra de saisir le juge pour les doter

d'un titre exécutoire afin de percevoir le prix si le transfert est une vente. La loi réserve

toutefois une faculté d'opposition aux créanciers auxquels la déclaration d'affectation n'a

pas été jugée opposable lorsque le patrimoine affecté fait l'objet d'une donation81.

- à l'égard d'un débiteur cédé : Le patrimoine affecté peut comprendre des droits,

tels que des créances. Dans le silence du texte et à défaut de texte spécial il conviendra

d'appliquer le droit commun de l'article 1690 du Code civil.

2 – le décès de l'entrepreneur

a) Les modalités de la transmission

Cet évènement a été pris en compte par loi82 :

- le principe : le décès entraine la cessation des effets de la déclaration d'affectation.

Toutefois les créanciers professionnels conservent pour seul gage celui qui était le leur au

moment du décès. En d'autres termes ils n'ont pas de recours sur le patrimoine non affecté.

- l'exception : l'affectation ne cesse pas si l'un des héritiers ou des ayants droits

manifeste son intention de poursuivre l'activité professionnelle à laquelle le patrimoine était

affecté.

b) Les effets : une double liquidation

Dans la mesure où aucun héritier ne reprend l'activité, le patrimoine affecté devra

être liquidé. Au contraire si l'un d'entre eux le reprend, cette reprise ne pourra se faire que

dans le respect des dispositions successorales et après la vente de certains biens affectés

pour les besoins de la succession.

Bien que le texte ne le précise pas on peut penser que la vente de certains biens du

patrimoine affecté doit servir aux seuls besoins de ce patrimoine.

81 C.com. L526-17 al. 7 82 C.com. L526-15

36

L'héritier indivisaire devra attendre la signature du partage pour exploiter

l'entreprise en son nom sauf à obtenir un mandat amiable ou judiciaire. Ce partage pourra

intervenir après avoir obtenu l'attribution préférentielle facultative83. Le légataire du

patrimoine affecté pourra, quant à lui, poursuivre l'activité plus rapidement selon sa

qualité84.

En présence d'un patrimoine affecté, il y aura donc deux liquidations : L'une pour le

patrimoine affecté, et l'autre pour le patrimoine non affecté. Si le résultat du patrimoine

affecté est positif, il sera versé dans le patrimoine privé. Au contraire s'il est négatif, ce

résultat doit logiquement conduire à une procédure collective. La question sous jacente à

cette logique de la transmission de deux patrimoines est celle de l'option. Peut-on imaginer

une option déférente pour chacun des patrimoines ? Acceptation pure et simple pour l'un et

acceptation à concurrence de l'actif net pour l'autre ?

c) Les formalités

Tout d'abord le décès doit être porté au registre de publicité légale dont dépendait

l'entrepreneur individuel à responsabilité limité. En pratique le notaire chargé de la

succession se fera mandater à cet effet.

Ensuite si un héritier ou un ayant droit manifeste son intention de poursuivre

l'activité il doit faire porter la mention de cette intention sur le registre et ce dans un délai

de 3 mois à compter du décès.

Enfin une fois la reprise faite, une déclaration de reprise doit être effectuée au lieu

du dépôt de la déclaration d'affectation initiale.

Le délai de trois mois imposé par le texte pose une difficulté au regard de l'article

771 du Code civil. Aux termes de cet article, les héritiers disposent d'un délai de 4 mois

pour choisir l'une des options successorales. La manifestation de l'intention doit-elle être

considérée comme une acceptation pure et simple ? Rien ne permet de le penser, au

contraire. En effet, manifester son intention de faire, ce n'est pas faire. A ce stade il n'existe

83 C.civ. 831 84 Encore faudra t'il qu'il soit en possession de son legs ; ait obtenu la délivrance de celui-ci ou avoir été envoyé en possession, selon sa qualité ou la nature du legs

37

donc aucun acte positif d'acceptation. Bien entendu entre la manifestation de l'intention

et sa réalisation, un certain temps peut s'écouler durant lequel l'entreprise doit être gérée.

Heureusement la réforme du 23 juin 2006 vient utilement sécuriser cette période délicate.

En effet aux termes de l'article 784 du Code civil, les opérations courantes nécessaires à la

continuité immédiate de l’activité de l’entreprise n’emportent pas acceptation de la

succession.

3 – La liquidation

La liquidation est l'opération qui consiste à recenser les actifs et les dettes, puis à

céder les actifs nécessaires au paiement des dettes. Cette liquidation entraine la déchéance

du terme des dettes. Quels sont les hypothèses donnant lieu à liquidation et quels sont ses

effets ?

a) Les hypothèses donnant lieu à liquidation

Hors liquidation judiciaire, elles sont au nombre de trois :

- Le décès sans reprise de l'activité par l'un des héritiers ou ayant droit85.

- La cessation d'activité sans reprise. Cette cessation peut être volontaire ou forcée.

- La cession à une EIRL déjà en activité avant le 1er janvier 201386

Dans ces trois hypothèses, les créanciers conservent pour seul gage général celui qui

était le leur au moment de la renonciation ou du décès. Du fait de l'arrêt de l'activité il

convient d'arrêter les comptes, de payer les dettes grâce la réalisation des actifs. C'est ici

que tout se complique :

- Les biens indivis répondent ils en totalité des dettes professionnelles ou seulement la seule

quote-part propriété de l'entrepreneur ?

- Les créanciers de l'indivision sont-ils prioritaires, ceux de l'entrepreneur ne pouvant qu'en

demander le partage ?

85 Toutefois sur le plan du droit des successions il y aura bien liquidation en vue du partage 86 Stéphane Piedelièvre "L'entreprise individuelle à responsabilité limitée" Defresnois 2010 art.39134 n°33

38

Une fois la liquidation intervenue, le boni de liquidation retourne au patrimoine non

affecté et devient le gage des créanciers non professionnels. Si au contraire il est constaté

un mali de liquidation ce constat devrait normalement conduire à une procédure collective.

Sur ce point il convient d'attendre les textes devant traiter de ce point.

b) Les hypothèses ne donnant pas lieu, à priori, à liquidation

Elles sont au nombre de deux :

- La renonciation volontaire à l'affectation avec maintien de l'activité. Dans

cette hypothèse l'affectation cesse mais il n'est pas prévu de liquidation sur le plan civil.

Cette renonciation expose l'entrepreneur sur la totalité de son patrimoine. Elle ne peut être

partielle, c'est-à-dire consentie au profit d'un créancier en particulier. En pratique ce sont

les créanciers du patrimoine privé qui auront le plus à craindre car cette renonciation

interviendra le plus souvent à la demande des créanciers professionnels.

Sur le plan fiscal il est nécessaire d'avoir une position claire sur les conséquences de

cette renonciation car l'entrepreneur se trouverait doublement sanctionné, une première

fois au plan civil, et une seconde fois au plan fiscal.

- La cession à une personne morale. Dans cette hypothèse le texte n'est pas clair

car il se contente d'énoncer l'absence de maintien de l'affectation sans conclure à la

nécessité d'une liquidation.

c) Les conséquences fiscales

L'article 1655 sexiès du CGI prévoit que la liquidation de l'EIRL emporte les mêmes

conséquences fiscales que la cessation d'entreprise et l'annulation des droits sociaux d'une

EURL ou d'une EARL. La formulation est pour le moins curieuse. Pourquoi faire état de

l'annulation de titres sociaux pour une entreprise qui n'en comporte pas. Comment

s'effectuera la reprise des apports ? Autant de questions auxquels l'instruction fiscale devra

répondre.

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Au terme de cette étude peut-on conclure que le slogan "entreprendre sans risque est

atteint" ? Rien n'est moins sur. Le texte fait naître un dispositif étranger à nos concepts

classiques, à notre tradition juridique. Il risque aussi de conduire à une atomisation du

patrimoine rendant difficile la lecture de celui-ci par les créanciers. Des questions

insoupçonnées à ce jour vont se poser constituant autant de nids à contentieux. En prenant

le contrepied de la déclaration d'insaisissabilité qui subsiste, l'EIRL constitue une

déclaration de saisissabilité. A ce titre elle est nécessairement formaliste et chacun

s'accordera à constater que le respect du formalisme n'est pas l'apanage de l'entrepreneur

individuel ! Mais cette EIRL répond à un besoin social qui ne peut être ignoré. Reste

maintenant à mesurer son impact sur la vie économique et le crédit aux entrepreneurs.