10 Chapitre 10 2000 - Fresnel

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CHAPITRE 10 Nanobiophotonique 10.1. Introduction La révolution de la biologie moléculaire engagée il y a cinquante ans a conduit à proposer une description élaborée des processus de signalisation [GIL 02]. On appelle « signalisation » toute cascade d’événements moléculaires qui, partant d’une stimulation, conduit une cellule à prendre une décision : expression de gènes, mouvement, division cellulaire… Ces cascades sont souvent représentées, sous forme d’un schéma, par un assemblage de blocs dont chacun indique une étape élémentaire du processus (modification ou interaction avec une protéine…). Entre ces blocs, on indique par des flèches la transmission de l’information biologique (figure 10.1). Bien que proposant des schémas structurés et cohérents, ces représentations de la propagation du signal dans la cellule ne prennent pas en compte les aspects spatiaux (où se localise le flux de signal ?), temporels (quelle est la dynamique des différentes entités moléculaires ?) et structuraux (y a-t-il changement de structure à l’échelle nanométrique ?) qui apparaissent aujourd’hui comme fondamentaux dans la compréhension fine de la machinerie cellulaire. La connaissance précise de ces flux d’informations moléculaires dans la cellule est délicate à obtenir car ceux-ci impliquent souvent plusieurs partenaires de taille nanométrique et s’opèrent à des échelles spatiales et temporelles variées. Chapitre rédigé par Hervé RIGNEAULT et Pierre-François LENNE.

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CHAPITRE 10

Nanobiophotonique

10.1. Introduction

La révolution de la biologie moléculaire engagée il y a cinquante ans a conduit à proposer une description élaborée des processus de signalisation [GIL 02]. On appelle « signalisation » toute cascade d’événements moléculaires qui, partant d’une stimulation, conduit une cellule à prendre une décision : expression de gènes, mouvement, division cellulaire… Ces cascades sont souvent représentées, sous forme d’un schéma, par un assemblage de blocs dont chacun indique une étape élémentaire du processus (modification ou interaction avec une protéine…). Entre ces blocs, on indique par des flèches la transmission de l’information biologique (figure 10.1).

Bien que proposant des schémas structurés et cohérents, ces représentations de la propagation du signal dans la cellule ne prennent pas en compte les aspects spatiaux (où se localise le flux de signal ?), temporels (quelle est la dynamique des différentes entités moléculaires ?) et structuraux (y a-t-il changement de structure à l’échelle nanométrique ?) qui apparaissent aujourd’hui comme fondamentaux dans la compréhension fine de la machinerie cellulaire.

La connaissance précise de ces flux d’informations moléculaires dans la cellule est délicate à obtenir car ceux-ci impliquent souvent plusieurs partenaires de taille nanométrique et s’opèrent à des échelles spatiales et temporelles variées.

Chapitre rédigé par Hervé RIGNEAULT et Pierre-François LENNE.

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Figure 10.1. Schéma bloc rencontré en biologie ; la transmission de l’information biologique est indiquée par des flèches entre constituants protéiques. Cas de la protéine

CD2AP/CIN85 impliquée dans la réponse d’une cellule T (selon [MAL 03])

Même si les techniques de microscopie électronique offrent une résolution nanométrique, elles ne permettent pas de travailler sur la cellule vivante. Les techniques optiques sont en revanche très appropriées.

Dans ce contexte, les instruments à développer doivent présenter des caractéristiques bien particulières parmi lesquelles :

– une grande sensibilité : les concentrations moléculaires mises en œuvre dans les processus de signalisation sont souvent très faibles et nécessitent des grandissements optiques forts, associés à une extrême sensibilité (allant jusqu’à la détection de molécules individuelles). On cherche par ailleurs un mécanisme de contraste spécifique et efficace permettant de détecter les molécules d’intérêt ;

– un grand pouvoir de résolutions spatiale et temporelle : l’espace cellulaire présente une très grande diversité et l’on cherche à localiser les signaux moléculaires avec la meilleure précision possible, par ailleurs une bonne résolution temporelle (µs à ms) permet de décrire la plupart des dynamiques biologiques ;

– une innocuité vis-à-vis de la cellule : toute étude pertinente doit s’effectuer sans perturber la cellule étudiée et en la maintenant dans un état physiologique très proche de son état naturel.

Bien que les techniques à sondes locales soient en plein développement pour

aborder ces problèmes, elles présentent encore de nombreuses limitations essentiellement liées au contrôle précis de la distance entre la pointe et l’échantillon biologique. C’est donc les techniques optiques, et particulièrement les techniques de

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microscopie en champ lointain, qui réalisent aujourd’hui le meilleur compromis entre sensibilité, résolutions temporelle et spatiale, innocuité et facilité d’utilisation.

Dans ce contexte ce chapitre traitera de systèmes et méthodes optiques permettant d’étudier l’architecture dynamique de la cellule à travers la localisation et le mouvement d’entités moléculaires (lipides et protéines).

La première partie présentera les dimensions des objets étudiés.

La deuxième partie sera consacrée aux différents contrastes qu’il est possible de générer pour étudier des entités moléculaires. On s’attardera en particulier sur les techniques récentes tirant partie des interactions entre impulsions ultrabrèves et milieux biologiques.

La troisième et dernière partie traitera du problème de la résolution spatiale et présentera quelques approches récentes visant à générer un volume d’observation égal ou plus petit que la limite de diffraction. Ces techniques utilisent des effets d’optique non linéaire ou des structures photoniques nanostructurées localisées à proximité des objets biologiques à étudier.

Le domaine scientifique abordé dans ce chapitre est actuellement en pleine expansion et les éléments présentés sont le résultat d’un choix des auteurs. Le but est de donner au lecteur physicien quelques éclairages sur le monde de la nanobiophotonique.

10.2. La cellule : quelques ordres de grandeur

Les différentes échelles spatiales et temporelles rencontrées dans une cellule animale ou végétale imposent les caractéristiques des outils optiques qu’il va falloir mettre en œuvre pour les étudier. Sans rentrer dans les détails, la cellule animale présente un diamètre moyen de 20 µm, elle se compose d’un espace intracellulaire séparé de l’espace extracellulaire par une membrane plasmique constituée d’une bicouche lipidique (épaisseur 5 nm).

L’espace intracellulaire est compartimenté en organelles parmi lesquelles le noyau (siège de l’information génétique), l’appareil de Golgi et le réticulum endoplasmique (lieux de synthèse, tri et transport des constituants élémentaires). Parmi ces constituants, les protéines, pour la plupart d’une taille de quelques nm, ont une structure tridimensionnelle qui joue un grand rôle dans leur fonction. Elles peuvent être localisées dans l’espace intracellulaire ou dans les membranes (protéines membranaires). Le lecteur intéressé pourra consulter les références [ALB 02, LOD 03] pour avoir accès à de plus amples informations.

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Figure 10.2. La cellule animale et ses constituants (ordres de grandeur)

10.3. Origine et mise en œuvre de contrastes optiques

La première étape nécessaire à toute observation optique est de disposer d’un contraste optique. Ce contraste optique peut être simplement lié à la réflexion ou à l’absorption d’une lumière extérieure incidente sur l’objet d’étude comme c’est le cas pour la vision ou avoir une origine plus complexe liée à l’utilisation de la fluorescence ou encore à l’interaction laser-matière. Dans tous les cas, les dimensions micrométriques d’une cellule imposent l’utilisation d’un objectif de microscope pour concentrer et collecter la lumière. Un objectif est formé d’un assemblage complexe de lentilles ; il se caractérise essentiellement par deux grandeurs qui sont le grandissement1 et l’ouverture numérique (ON). Si n est l’indice du milieu dans lequel on utilise l’objectif, ON est reliée à l’angle maximum de focalisation θmax repéré par rapport à l’axe optique par2 :

maxsinθnON = [10.1]

Par ailleurs, un objectif peut focaliser un faisceau incident de longueur d’onde λ sur un rayon défini au minimum par sa limite de diffraction ou tache d’Airy3 :

1. Les objectifs modernes, corrigés des aberrations à l’infini, indiquent un grandissement lorsqu’ils sont couplés avec une lentille dont la focale dépend du constructeur (Leica : 200 mm ; Nikon : 200 mm ; Olympus : 180 mm ; Zeiss : 160 mm). 2. Un objectif présentant une ON supérieure à l’indice n produit des ondes évanescentes. 3. Pour une longueur d’onde dans le visible à λ = 0,5 µm et une ouverture numérique ON = 1,2 dans l’eau (n = 1,33) la tache minimale de focalisation a un diamètre de 2wmin = λ = 0,5 microns.

~5 nm

~5 nm

~2 nm

ProtéineLipide

Membrane et ses protéines

Cellule animale

~20 µm

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ONw λ61.0min = [10.2]

Il est également utile de rappeler que le pouvoir de résolution dx,y d’un objectif de microscope4 dans le plan transverse à l’axe optique est également donné par l’équation [10.2] pour le cas d’un point source5.

Suivant l’axe optique, la profondeur de champ dz qui indique la distance sur laquelle l’objet est net est donnée par :

( )2ONndz

λ= [10.3]

Après ces quelques rappels de base, voyons les principaux contrastes utilisés en microscopie.

10.3.1. Les contrastes classiques : champ clair, champ noir, contraste de phase et contraste interférométrique

La microscopie classique utilise une lumière blanche pour éclairer l’échantillon biologique et cherche à exploiter les contrastes liés à la réfraction (déphasage optique à la traversée de l’objet) ou à l’absorption. L’approche de base, dénommée microscopie en champ clair, exploite le contraste spatial lié à l’absorption de l’objet étudié et réalise une simple image agrandie dans le plan de détection.

Du fait de la transparence de la plupart des cellules, de nombreuses techniques ont été mises au point afin d’augmenter le contraste des objets cellulaires. La présentation détaillée de ces techniques classiques de contraste dépasse le cadre de ce chapitre mais le lecteur intéressé pourra se rapporter aux ouvrages de référence [MUR 01] ou à l’excellent site internet (http://micro.magnet.fsu.edu/primer). Du point de vue fondamental, et sans rentrer dans les détails, ces techniques utilisent principalement deux concepts :

– champ noir : les faisceaux diffractés aux grands angles (hautes fréquences spatiales) par les objets portent l’information liée aux forts gradients (de phase ou

4. Ce pouvoir de résolution connu également sous le nom de critère de Rayleigh indique la capacité d’un instrument d’optique à séparer deux points sources dès lors qu’ils sont distants de plus de wmin. 5. Dans le cas de la microscopie en champ clair, lorsque l’objet est éclairé par la lumière provenant d’un condenseur présentant une ouverture numérique NAcondenseur, la résolution est donnée par d = 1, 22λ/(NAcondenseur + NAobjectif).

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d’amplitude) et sont exploités pour former une image représentant principalement les contours de l’objet ;

– contraste de phase et interférométrique (DIC) : On exploite le déphasage différentiel associé à deux classes de faisceaux traversant l’objet6 pour créer une figure d’interférence donnant des information sur l’épaisseur de l’objet.

Ces contrastes sont tous sujets à la limite de résolution classique indiquée par l’équation [10.2] et ne permettent en aucun cas de voir des objets moléculaires dont la taille nanométrique se situe bien en dessous de la limite de diffraction et qui présentent un contraste (de réfraction et d’absorption) extrêmement faible. La figure 10.3 présente des cellules neuronales observées à l’aide des différents contrastes classiquement accessible en microscopie de transmission.

Figure 10.3. Image de neurones observés en champ noir (a) et en contraste de phase (b) (selon http ://www.zeiss.de/)

10.3.2. Le contraste de fluorescence

La fluorescence apparaît aujourd’hui comme un des processus de contraste optique parmi les plus efficaces. Elle est très largement utilisée dans le domaine de la microscopie du vivant et plus particulièrement dans la détection d’entités moléculaires.

On appelle fluorescence le processus d’émission de lumière par des molécules dénommées fluorophores qui ont la propriété d’émettre une radiation lumineuse (transitions électroniques) lorsqu’elles sont photoactivées7.

6. Il s’agit des faisceaux « diffractés » et « non diffractés » par l’objet dans le contraste de phase et de faisceaux ayant une polarisation différente dans le contraste de phase interférentiel (DIC). 7. La fluorescence est un cas particulier de la luminescence qui regroupe les divers processus d’émission de lumière (mécanique, chimique, biologique…).

a) b)

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nm

U.A.

Absorption EmissionS1

S0

E

400 500 600S0

S1

a) b) c)

Figure 10.4. Diagramme de Jablonski représentant le processus de fluorescence à 1 photon (a) et à 2 photons (b). c) Spectres

d’absorption et d’émission typique d’un fluorophore

Dans une représentation dans l’espace des énergies suivant le diagramme de Jablonski, le faisceau excitateur est absorbé et peuple des niveaux électroniques supérieurs S1 à partir desquels se produit la luminescence (figures 10.4a et 10.4b). On appelle décalage de Stokes le décalage spectral qui existe entre les maxima de la courbe d’absorption et celle d’émission (figure 10.4c). Les systèmes optiques qui tirent leur contraste de la luminescence utilisent de puissants filtres optiques qui permettent au détecteur de ne collecter que la lumière de fluorescence tout en restant aveugle à la lumière d’excitation. En termes de photons, si le passage du niveau fondamental S0 au niveau excité S1 correspond à l’absorption d’un photon, on parle alors de fluorescence à 1 photon (figure 10.4a).

Il est également possible de peupler le niveau excité S1 en utilisant un faisceau excitateur dont la longueur d’onde est voisine du double du maximum de la bande d’absorption du fluorophore. L’interprétation en termes de photon correspond à l’absorption simultanée de deux photons qui permettent de peupler le niveau excité S1 (figure 10.4b), on parle alors d’absorption ou de fluorescence à 2 photons8. Ce phénomène non linéaire, car quadratique suivant l’intensité du champ optique, est beaucoup moins probable que la fluorescence à 1 photon et nécessite la mise en jeu de puissances crêtes importantes (nécessité d’utiliser des impulsions ultracourtes9).

8. L’expression « fluorescence à 2 photons » est courante mais abusive. Il s’agit plutôt d’une absorption à 2 photons qui donne lieu à la fluorescence. 9. On peut retenir que la section efficace d’absorption à 1 photon d’une molécule est autour de σ1 = 10–16cm2 tandis que celle correspondant à de l’absorption à 2 photons est seulement de σ2 = 10–49cm4.s.

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Le succès du contraste fondé sur la fluorescence est essentiellement lié à

l’excellent rendement de certains fluorophores10 ainsi qu’à la possibilité de venir greffer ces derniers sur des entités biologiques variées (lipides et protéines).

La biologie moderne a contribué très fortement au renouveau de cette technique depuis la découverte et la maîtrise de protéines fluorescentes telles que la GFP, Green Fluorescent Protein [BRE 97, TSI 98]. Le clonage du gène de cette protéine a permis d’envisager de nouvelles voies d’étude en fusionnant la GFP avec une protéine d’intérêt. La protéine chimérique résultante possède alors des propriétés de fluorescence en plus de celles de la protéine étudiée. Si l’on exprime ce gène dit recombinant dans une cellule, on peut étudier de nombreux phénomènes liés à la protéine d’intérêt. La figure 10.5 présente une image en microscopie confocale de cellules Hela qui expriment une protéine membranaire fusionnée à la protéine GFP.

Figure 10.5. Un exemple d’image obtenue à l’aide du contraste basé sur la fluorescence à 1 photon. Cas de la protéine membranaire ABC1 marquée avec la protéine fluorescence GFP. Image en microscopie confocale (voir paragraphe 10.3.2.2) ; seuls l’appareil de Golgi et la membrane plasmique sont visibles.

Il est important de noter que les molécules fluorescentes sont sujettes à la photodestruction (photobleaching) lorsqu’elles sont éclairées trop longtemps par le faisceau excitateur11. Les nanocristaux semi-conducteurs, plus robustes à l’éclairement que les molécules fluorescentes organiques, offrent une alternative de choix pour le marquage des molécules biologiques [ALI 04].

10. Par exemple la fluoresceine ou la rhodamine présente un rendement quantique supérieur à 0,9 (rapport entre le nombre de photons absorbés et ceux émis). 11. Typiquement un fluorophore va pouvoir émettre entre 104 et 106 photons avant d’être photodétruit.

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10.3.2.1. Le contraste de temps de vie

Il est possible d’utiliser le temps de vie de la transition électronique du fluorophore pour générer un contraste. Ce contraste de temps de vie connu sous le nom de FLIM (Fluorescence Lifetime Imaging Microscopy) présente le gros avantage d’être indépendant de la concentration locale de fluorophore dans l’échantillon. En effet, on construit une image dont l’intensité de chaque point représente le temps de vie du fluorophore et on cherche à détecter la variation spatiale de ce temps de vie lié essentiellement à l’environnement immédiat de la molécule fluorescente (figure 10.6).

Figure 10.6. Image de fluorescence (a) et de temps de vie (b) d’un tissu végétal de Convalaria (Muguet). L’image de temps de vie

est réalisée dans la gamme 0,5 ns à 2,5 ns (selon www.lambert-instruments.com)

Cette technique est particulièrement intéressante pour détecter du transfert de fluorescence (FRET pour Fluorescence Resonant Energy Transfert12) entre deux fluorophores. En effet, le temps de vie du donneur diminue fortement lorsque du FRET s’opère. Plutôt que de regarder la diminution d’intensité de fluorescence du donneur ou l’augmentation de celle de l’accepteur, on obtient une bien meilleure signature du FRET en observant la diminution du temps de vie du donneur.

Techniquement, FLIM utilise généralement des impulsions lasers subpicoseconde pour résoudre les temps de vie (généralement ns) des fluorophores employés.

12. FRET : lorsque deux fluorophores sont séparés spatialement de quelques nm, il peut s’opérer un transfert d’énergie par voie électromagnétique du fluorophore donneur vers le fluorophore accepteur. Ce transfert, qui suit une loi en 1/r6, n’est possible que si le spectre de fluorescence du donneur recouvre le spectre d’absorption de l’accepteur.

a) b)

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10.3.2.2. Le pouvoir de résolution en microscopie de fluorescence

La résolution optique accessible en microscopie de fluorescence est essentiellement gouvernée par la limite de diffraction donnée dans l’équation [10.2]. Il ne sera pas possible de distinguer deux fluorophores séparés de moins de dx,y = wmin dans le plan (x,y) perpendiculaire à l’axe optique. Ce critère de Rayleigh traite cependant du pouvoir de résolution de deux particules proches l’une de l’autre, il n’interdit pas de localiser une particule unique avec une meilleure précision que dx,y. Ce cas de figure est précisément celui rencontré dans la détection de fluorophores individuels. En effet, un fluorophore unique de taille nanométrique apparaîtra sous forme d’une tache de diffraction directement liée à l’ouverture numérique de l’objectif utilisé. Cette tache de diffraction est bien décrie par une fonction du type (J1(r) /r)2 où J1 est la fonction le Bessel du premier ordre et r une coordonnée spatiale transverse. Si le rapport signal sur bruit est suffisant, il est possible d’observer des déplacements de cette tache d’Airy avec une précision bien supérieure à la limite de diffraction (figure 10.7). On peut ainsi suivre le déplacement d’un fluorophore individuel avec une précision de quelques dizaines de nm13. L’optique en champ lointain permet ainsi d’obtenir une résolution de quelques nm dans certain cas.

Figure 10.7. Super résolution en suivi de fluorophore individuel : le centre de la tache d’Airy d’un fluorophore individuel peut être

localisée à quelques nm près si le rapport signal sur bruit est suffisant

La microscopie confocale

Pour obtenir la résolution transverse limite dx,y, il faut pouvoir clairement identifier la tache d’Airy correspondant à un fluorophore individuel. Cela s’avère délicat quand de la lumière de fluorescence provient de fluorophores situés en dehors de la zone de profondeur de champ dz. C’est souvent le cas en fluorescence à 13. Les références (Nishiyama and others 2003 ; Yildiz and others 2004) rapportent une précision de quelques nm dans le suivi de particules individuelles (molécules fluorescentes et billes fluorescentes).

∆r

xy

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Nanobiophotonique 321

1 photon où tous les fluorophores situés sur le trajet du faisceau excitateur sont susceptibles d’émettre de la fluorescence. Une technique largement utilisée pour améliorer le rapport signal sur bruit de la zone de netteté consiste à placer un trou devant le détecteur (figure 10.8a). Ce montage dit « confocal » interdit aux rayons provenant de fluorophores situés en dehors de la zone de netteté d’atteindre le détecteur. Il s’opère également une limitation transverse du champ correspondant en première approximation à l’image géométrique dans le plan objet du trou. On parle alors de volume de collection dont les meilleures résolutions latérales et transverses14 sont données par [PAW 95] :

( )24.1 ; 4.0ON

ndON

d confocz

confocxy

λλ== [10.4]

On constate que la résolution latérale est légèrement améliorée tandis que la résolution axiale est légèrement supérieure à la profondeur de champ dz. Cependant, le rapport signal sur bruit des signaux provenant de ce volume confocal15 est excellent. L’image confocale est acquise point par point en balayant le volume d’observation dans l’échantillon.

a) b)

Figure 10.8. Montage de microscopie confocale (a), dans le cas d’une fluorescence à 2 photons, le trou confocal est inutile. b) Fluorescence à 1 photon (haut)

et à 2 photons (bas-flèche) (selon le site de Bio-Rad : www.microscopy.bio-rad.com)

14. On parle de « meilleure résolution » lorsque le rayon du trou divisé par le grandissement de l’objectif correspond à wmin. Pour un trou plus grand les dimensions du volume confocal sont élargies. 15. En première approximation on peut considérer les dimensions transverse et longitudinale du volume de collection confocal optimal égales respectivement à 2dxyconfoc et 2dzconfoc. Pour une longueur d’onde de λ = 0.5µm et une ouverture numérique de 1,2 dans l’eau on obtient 2dxyconfoc = 0,33µm ≈ 2/3 λ et 2dzconfoc = 1,3 µm ≈ 2.5 λ.

Cellule

Laser Excitateur

Fluo

Détecteur Trou

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322 Nanophotonique

Dans la cas de la fluorescence à 2 photons [DEN 90, DIA 02], l’utilisation d’un trou n’est pas nécessaire car seuls les fluorophores situés au point focal de l’objectif de microscope verront un champ optique suffisant pour que la probabilité d’absorption à deux photons soit non négligeable (figure 10.8b).

Il est intéressant de noter que, sans trou confocal, le volume d’observation à 2 photons est environ deux fois plus grand que celui à 1 photon (essentiellement à cause de la longueur d’onde deux fois plus grande). Il en est de même pour la résolution qui est deux fois moins bonne. On retrouve des performances sensiblement égales à la microscopie confocale à 1 photon en utilisant un trou confocal16.

L’intérêt de la fluorescence à 2 photons réside essentiellement dans la possibilité d’exciter plusieurs fluorophores simultanément avec la même impulsion infrarouge (IR). En effet, les sections efficaces à 2 photons des fluorophores les plus courants présentent de très larges recouvrements spectraux [ZIP 03].

10.3.3. Microscopie non linéaire

On appelle généralement microscopie non linéaire toute microscopie dans laquelle le phénomène de contraste utilise une interaction lumière-matière relevant du domaine de l’optique non linéaire. Le développement très récent de ce domaine est essentiellement lié aux progrès des sources laser. Ces dernières, compactes et fiables, permettent de générer des impulsions ultrabrèves présentant un champ optique crête important. L’exemple le plus courant de contraste non linéaire est sans aucun doute la fluorescence à 2 photons que nous avons déjà évoquée. D’autres interactions non linéaires peuvent être utilisées en microscopie du vivant permettant d’obtenir de nouvelles informations sur l’architecture cellulaire et sur les processus de signalisation.

10.3.3.1. La génération du second harmonique (SHG)

Dans ce processus, l’interaction d’une onde de pulsation ω avec un milieu matériel non centro-symétrique génère une radiation lumineuse de pulsation 2ω. Cette radiation générée est cohérente avec le champ excitateur et peut se construire préférentiellement dans des directions de l’espace satisfaisant l’accord de phase. Ces directions privilégiées sont reliées à la distribution et à l’orientation des dipôles induits dans le volume d’interaction [MER 01] (figure 10.9).

16. Néanmoins la photodestruction en fluorescence à 2 photons est plus importante qu’à 1 photon.

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Nanobiophotonique 323

Oz

Onde incidenteOnde incidente

a) b)

Orientation du diffuseur selon l’axe optique

SHG

Figure 10.9. a) Dépendance de la direction de propagation de l’onde SHG en fonction de l’orientation des dipôles par rapport à l’onde incidente. b) Au contraire,

la fluorescence à 1 ou 2 photons est isotrope [ZIP 03]

Ces effets peuvent être utilisés pour imager finement la membrane cellulaire (figure 10.10) et son architecture.

a) b)

Figure 10.10. Des molécules non linéaires (ici du Di-6-ASBPS) sont introduites dans une cellule. Seules les molécules orientées dans la membrane forment un milieu non centro-symétrique et donnent lieu à de la SHG (a) tandis que celles internalisées et ne présentant pas de direction privilégiée ne donnent lieu qu’à de la fluorescence (b) (selon [MOR 01].

Bien que l’exemple précédent utilise une molécule exogène pour créer du SHG, il existe des substances intra-cellulaires qui présentent naturellement une non centro-symétrie et peuvent ainsi générer directement un contraste de SHG, c’est le cas en particulier du collagène.

Avec des puissances crêtes importantes, il est possible de générer du troisième harmonique (THG) [MUL 98] ; cette technique reste actuellement marginale.

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324 Nanophotonique

10.3.3.2. La microscopie Raman stimulée (CARS)

Contrairement à la SHG qui est un processus non résonant, l’effet Raman stimulé utilise les niveaux vibrationnels moléculaires pour créer un contraste représentatif de la densité d’une liaison chimique particulière. Ce processus, dénommé CARS (Coherent Antistokes Raman Scattering), ne nécessite donc pas de préparation ou de marquage particulier de la cellule ou du tissu étudié.

Bien que la technique du mélange à quatre ondes le générant ne soit pas nouvelle en microscopie [DUC 82], les nouvelles sources laser ultrarapides permettent aujourd’hui une mise en œuvre fiable de la technique [ZUM 99].

10.3.3.2.1. Le Raman spontané

Dans un processus de diffusion Raman, une onde laser de pulsation ωl incident sur une molécule est diffusée inélastiquement en une onde dite Stokes de pulsation ωS et une onde dite anti-Stokes de pulsation ωAS. L’écart en fréquence entre les ondes générées et l’onde laser dépend de la transition Raman moléculaire (de pulsation ΩR) de telle sorte que ωL– ωS = ωAS – ωL = ΩR. Dans une vision photonique du processus, les ondes Stokes et anti-Stokes correspondent à une absorption à partir respectivement du niveau vibrationnel fondamental ou excité (figures 10.10a et 10.10b).

Il est important de noter que les niveaux énergétiques supérieurs mis en jeu sont à priori virtuels (en pointillé sur la figure 10.11) mais peuvent être réels (niveaux électroniques) dans le cas du Raman résonant.

a) b) c)

Figure 10.11. Raman spontané : génération de l’onde Stokes (a) et de l’onde anti-Stokes (b). Raman Stimulé CARS : (c) le processus

de mélange à quatre ondes crée l’onde anti-Stokes.

ΩR

E

ωL ωS ωΑS ωL ωS

ωL ωL

ωΑS

ΩR

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Nanobiophotonique 325

Le processus générant l’onde anti-Stokes, partant du niveau vibrationnel excité, est beaucoup moins probable que le processus créant l’onde Stokes qui est le seul observé dans la pratique. Une étude fine de la répartition spectrale des ondes Stokes renseigne sur les densités de liaisons chimiques présentes dans l’échantillon. Mise en œuvre sur des tissus, la diffusion Raman spontanée apporte de précieuses informations en particulier dans la détection d’amas cancéreux [CHO 02].

Ce processus de diffusion inélastique est très peu efficace17 comparé à la fluorescence et ne peut pas être mis en œuvre à un niveau subcellulaire18.

10.3.3.2.2. CARS

Il existe cependant une technique qui consiste à peupler de façon résonante le niveau supérieur vibrationnel par différence de fréquence. Ce processus d’optique non linéaire est possible au point focal d’un objectif de microscope si les ondes Laser et Stokes vérifient ωL – ωS = ΩR et se recouvrent spatialement et temporellement. Il se produit alors un processus de mélange à quatre ondes19 qui conduit à l’émission d’une onde anti-Stokes et vérifiant ωAS = 2ωL – ωS – ωR.

Pratiquement, il s’agit en premier lieu de régler la différence de fréquence entre les impulsions laser et Stokes pour être à résonance avec une liaison chimique d’intérêt. Après s’être assuré que ces impulsions sont superposées dans le temps et au foyer de l’objectif, il suffit de balayer, comme en microscopie confocale, l’objet cellulaire avec le volume d’observation pour construire une image du signal anti-Stokes (figure 10.12).

La résolution spatiale accessible avec la technique CARS est similaire à celle obtenue en fluorescence à deux photons.

Nous avons présenté des processus de contraste permettant de construire des images de la densité d’objets biologiques moléculaires. Dans tous les cas, ces techniques sont limitées par les lois de la diffraction. Comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant, il existe quelques configurations qui permettent de pousser plus loin les performances des appareillages optiques.

17. Les sections efficaces Raman varient entre 10–31 et 10–29 cm2, les plus fortes valeurs étant obtenues pour le Raman résonant, alors que la section efficace d’absorption d’un fluorophore atteint σ1 = 10–16 cm2. 18. L’effet Raman spontané peut être fortement exalté (jusqu’à 1014) par des particules métalliques nanométriques, ce phénomène connu sous de nom de SERS (Surface Enhanced Raman Scattering) présente d’intéressantes perspectives en nanobiophotonique [KNE 02]. 19. Voir le chapitre 5 de cet ouvrage : « Optique non linéaire dans les nano- et microstructures optique ».

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326 Nanophotonique

a) b)

Figure 10.12. Exemple d’images CARS : a) Cellule NIH-3T3 la différence ωL-ωS est réglée sur la vibration CH2, on voit apparaître l’enveloppe du noyau et les mitochondries, b) image du noyau ωL – ωS étant réglé sur des vibration de l’ADN, on distingue les chromosomes (selon [CHE 02]).

10.4. Réduction du volume d’observation

Les manuels d’optique nous enseignent que la résolution d’un microscope utilisant un faisceau focalisé est limitée par les lois de la diffraction [ABB 1873]. Dans le meilleur des cas, un microscope optique confocal a une limite de résolution donnée par l’équation [10.4]. Dès lors que l’on cherche à distinguer des objets identiques séparés par une distance plus petite que cette limite, la microscopie classique se révèle impuissante. Comme nous l’avons expliqué, la limite de diffraction n’interdit toutefois pas la détection de molécules fluorescentes individuelles si elles sont suffisamment séparées de leurs voisines. En outre, si les molécules sont spectralement distinguables, il est possible a priori de les séparer quelle que soit leur distance (le pouvoir de séparation dépend alors du rapport signal à bruit). La question de la réduction du volume d’observation s’impose en revanche lorsque les objets à discerner sont identiques et présents en forte densité. C’est le cas en biologie quand une espèce moléculaire marquée par un fluorophore est assez fortement exprimée dans une cellule. Pour donner des ordres de grandeur, si la concentration surfacique des molécules dépasse quelques dizaines de molécules par µm2, on ne peut plus alors les séparer au sens de l’optique, et il en va de même si la concentration volumique dépasse quelques dizaines de nanoMoles/l.

Comment réduire le volume d’observation en dessous de la limite imposée par

les lois de la diffraction ? Des méthodes optiques faisant appel en particulier aux concepts de l’optique non linéaire [HEL 03] et du champ proche [DEL 01] ont été

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Nanobiophotonique 327

proposées récemment pour contourner cette limite (sans toutefois contredire les lois de la diffraction).

Dans le contexte le plus courant de photo-excitation, la taille et la forme du

volume d’observation dépendent à la fois des propriétés du faisceau excitateur et du système optique de collection de la lumière. Pour le décrire, il est commode d’introduire la notion d’efficacité de collection moléculaire ou MDE (acronyme venant du terme anglais Molecular Detection Efficiency). En régime linéaire, il est défini en chaque point r comme le produit de l’intensité d’excitation Ie par l’efficacité de collection CEF :

)().()( rrr eICEFMDE = [10.5]

La fonction MDE donne localement la puissance émise par un point source et détectée à travers le système optique de collection. Les méthodes proposées pour réduire le volume d’observation, décrite par la MDE s’attache donc à modifier l’excitation et/ou la collection.

10.4.1. Méthodes en champ lointain

D’après les lois de la diffraction, la résolution d’un microscope utilisant un faisceau focalisé est reliée à la taille de la tache de focalisation (équations [10.2] et [10.4]). En utilisant une longueur d’onde plus faible et des objectifs de plus grande ouverture numérique, on peut en principe réduire cette tache. Toutefois, les échantillons biologiques vivants sont facilement endommagés pour des longueurs d’ondes inférieures à 350 nm et le demi-angle d’ouverture des objectifs est techniquement limité à 75°20.

10.4.1.1. 4Pi Microscopie

L’ouverture numérique du système de collection peut être augmentée en combinant l’ouverture de deux objectifs opposés (figure 10.13b). Ces techniques sont dénommées microscopies 4Pi [HEL 92] ou I5-M [GUS 99]. Elles conduisent à une augmentation de la résolution axiale pouvant aller jusqu’à un facteur 7. Deux faisceaux excitateurs se propageant dans des sens opposés sont focalisés au même point par les deux objectifs en regard. La tache centrale a une largeur le long de l’axe optique de ~λ/4n ≈ 100 nm mais est bordée de franges d’interférences de période ~λ/2n ≈ 200 nm qui augmentent en nombre et en amplitude quand l’angle d’ouverture diminue. Pour diminuer ces lobes secondaires, différentes stratégies ont été employées : confocalité, excitation par absorption à 2 photons et utilisation de la 20. Certains constructeurs proposent des objectifs d’ON = 1,45 à utiliser dans une huile d’indice 1,5.

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328 Nanophotonique

disparité des longueurs d’onde d’excitation et de fluorescence. Dans ce dernier cas, on utilise le fait que si les fronts d’ondes d’excitation et de fluorescence sont en condition d’interférer respectivement sur l’échantillon et le détecteur, les lobes latéraux respectifs ne coïncident plus. La mise en œuvre de ces méthodes combinées à des techniques de restauration d’images permet d’atteindre des résolution de ~100 nm dans les trois directions de l’espace. La microscopie 4Pi confocale exige un ajustement précis des deux objectifs en regard et ne semble pas encore s’être imposée dans les laboratoires de biologie. Il est quand même remarquable de noter que l’optique linéaire en champ lointain peut arriver à de telles performances.

Figure 10.13. Volumes de détection obtenus en microscopie confocale (a), en microscopie 4-Pi confocale utilisant deux objectifs en regard (b) et dans un montage utilisant

un miroir placé au plan focal d’un microscope confocal (c)

10.4.1.2. Microscopie sur miroir

Dans notre équipe, nous avons mis au point une méthode qui combine forte ouverture numérique et haute résolution axiale. Elle consiste à placer un miroir dans le plan de focalisation d’un objectif, afin de réfléchir les faisceaux d’excitation et d’émission [LEN 02, RIG 03]. L’interférence des faisceaux excitateurs incident et réfléchi conduit à une modulation axiale de l’intensité d’excitation de période ~λ/2n ≈ 200 nm, comme dans le cas de la microscopie 4-Pi. Lorsque des molécules fluorescentes diffusent à travers le volume de collection, elles émettent un signal de fluorescence fluctuant au cours du temps. Le passage d’une molécule à travers une frange claire s’accompagne par une fluctuation dont la durée dépend de l’interfrange et du coefficient de diffusion moléculaire. L’analyse temporelle de ces fluctuations

Miroir

Objectif

a) b) c)

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Nanobiophotonique 329

appelée spectroscopie à corrélation de fluorescence fournit des informations sur la dynamique des objets diffusants dans des espaces pouvant être aussi petits que ~λ/2n selon l’axe optique. En outre, le miroir a pour effet de rediriger la fluorescence vers l’objectif de microscope et conduit à une exaltation du signal collecté (> 4). La figure 10.13c représente la MDE obtenue en présence d’un miroir dans le plan focal d’un objectif.

10.4.1.3. Déplétion par émission stimulée : STED

Pour diminuer davantage le volume d’observation ou le structurer sur une échelle plus petite que λ/2n, les méthodes utilisant l’optique linéaire ne suffisent pas. Dans l’espace libre, une stratégie possible consiste à utiliser une non-linéarité entre le signal d’excitation et le signal à détecter (la fluorescence dans ce cas). En 1994, il a été proposé [HEL 94] d’utiliser la saturation d’une transition entre deux états électroniques pour empêcher localement l’émission de la fluorescence. La méthode, consiste à dépléter un état moléculaire fluorescent (préalablement excité) par un faisceau focalisé présentant une intensité nulle en un point.

Dans un mode de réalisation, appelée déplétion stimulée de l’émission ou STED (pour Stimulated Emission Depletion) [KLA 00], un fluorophore, excité dans un état « S1 » par une première impulsion focalisé, (figure 10.14a) est stimulé vers son état fondamental « S0 » par un deuxième faisceau en forme de bouée21 (figure 10.14c). Seuls les fluorophores se trouvant dans la région centrale de la bouée contribuent au signal de fluorescence détecté. Un effet non linéaire dans la déplétion conduit à l’obtention d’une zone centrale non déplétée plus petite que la limite de diffraction22.

Par cette méthode, les volumes de détection ont été réduits à la taille record23 de 0,67 × 10–18 l (figure 10.14c). Le volume de détection, situé au foyer d’un objectif de microscope, peut être localisé n’importe où dans l’échantillon, comme en microscopie confocale. Une procédure de balayage permet alors de construire une image.

Toutefois, l’utilisation de STED avec des fluorophores de couleurs différentes est difficile et le faisceau STED, très intense en intensité, endommage la plupart des échantillons biologiques. Cette technique reste pour l’instant marginale bien qu’ayant ouvert une nouvelle voie dans la microscopie non linéaire.

21. On réalise cette forme de faisceau au foyer d’un objectif de microscope en plaçant un masque de phase en amont de l’objectif. 22. C’est bien sur l’effet non linéaire qui assure une ultrarésolution, les faisceaux excitateurs et « dépléteurs » étant limités par les lois de la diffraction classique. 23. La géométrie du volume final non déplété est sphérique avec un diamètre d’environ 100 nm.

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330 Nanophotonique

Figure 10.14. Principes de microscopie par émission stimulée de fluorescence (STED). a) Diagramme d’énergie d’un fluorophore. Une molécule excitée dans un état S1 peut revenir vers un état fondamental S0 par émission spontanée de fluorescence ou par émission stimulée. b) Pour que le processus stimulé l’emporte sur le processus spontané et que la déplétion soit saturée, les impulsions STED doivent être intenses et plus courtes que le temps de vie de fluorescence de la molécule dans S1. L’impulsion d’excitation et de déplétion sont synchronisées mais décalées temporellement pour permettre le peuplement de S1 avant sa déplétion. c) Au faisceau d’excitation confocal est superposé le faisceau de déplétion qui possède une zone centrale d’intensité nulle. La déplétion saturée réduit fortement le volume de collection de fluorescence (d’après [HEL 03]).

10.4.2. Méthodes en champ proche

Pour contourner la limite de diffraction, on peut également utiliser les propriétés du champ proche. L’avènement de la microscopie de champ proche (en particulier la microscopie à force atomique (AFM)) qui utilise une pointe extrêmement fine pour

a) b)

c)

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Nanobiophotonique 331

balayer la surface de l’échantillon24, a ouvert une nouvelle voie d’observation à l’échelle nanométrique.

D’un point de vue fondamental, la limite de diffraction rappelée par l’équation [10.2] n’est valable qu’en champ lointain, c’est-à-dire lorsque des ondes propagatives peuvent se propager et être focalisées. Si l’on utilise des ondes dites « évanescentes » situées au voisinage immédiat de structures diélectriques ou métalliques dont les rayons de courbures sont plus petits que la longueur d’onde, on peut obtenir localement des surintensités dont l’extension spatiale est bien plus petite25 que la limite de diffraction.

10.4.2.1. SNOM

Dans le domaine de l’optique, la microscopie à balayage de champ proche optique (NSOM – Near-field Scanning Optical Microscopy) permet l’imagerie de fluorescence avec une résolution de quelques dizaines de nm26. La taille de l’ouverture de la pointe SNOM (figure 10.15a) réduit suffisamment la taille du volume de détection pour qu’il soit encore possible de détecter des molécules individuelles à une concentration atteignant 100/µm2 [GAR 00]. La plupart des applications du SNOM en biologie concerne des systèmes isolés et fixés27, par exemple des chromosomes fluorescents [MOE 96] ou des éléments du cytosquelette [BET 93]. A notre connaissance, aucun travail n’a été rapporté à ce jour sur des cellules vivantes en conditions physiologiques et ce malgré les efforts de nombreuses équipes sur les traces du travail originel de Chechester et Betzig [BET 93].

10.4.2.2. TIRF

La microscopie de fluorescence par réflexion totale interne ou TIRF (Total Internal Reflection Fluorescence) tire également partie des propriétés du champ évanescent. Pour un angle d’incidence supérieur à l’angle critique de réflexion totale, un faisceau tombant sur une interface entre deux milieux d’indices optiques différents donne naissance à un champ évanescent d’une épaisseur d’une centaine de nm28 (figure 10.15b). Cette méthode a été utilisée pour l’imagerie des zones de

24. La distance de la pointe à l’objet doit être de l’ordre de quelques nm à quelques dizaines de nm. 25. En principe, il n’y a pas de limite si des ondes évanescentes de vecteur d’onde suffisamment grand sont impliquées. 26. Voir chapitre sur le champ proche optique. 27. On fixe un objet biologique à l’aide d’un réactif chimique qui le rigidifie. 28. La distance de pénétration de l’onde évanescente dans le milieu de bas indice est donnée par d = λ/4π (n12sin2θ1– n22)–1/2 où le faisceau est incident dans le milieu d’indice n1 et arrive à l’interface avec le milieu d’indice n2 sous l’angle θ1 (repéré par rapport à la normale).

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contacts entre une cellule et un substrat [TOO 01] (figure 10.16) ou l’analyse d’associations moléculaires ligands-récepteurs [LIE 03].

Figure 10.15. Méthodes de champ proche réduisant les volumes de détection. a) NSOM. b) TIRF. c) Détection de molécules individuelles dans une plaque métallique percée de trous nanométriques

Figure 10.16. Image de fluorescence à 1 photon d’une cellule marquée : (a) image en champ clair ; b) image en TIRF. Seule la zone d’adhésion cellulaire située à quelques dizaine de nm de l’interface est visible en TIRF (selon Nikon Microscopy ; http ://www.microscopyu.com/)

x

z

a) b)

c)

a) b)

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Nanobiophotonique 333

10.4.2.3. Nanotrous

Le TIRF utilise une surface plane comme interface d’observation et sa résolution transverse (dans le plan x,y – voir figure 10.15) est limitée par la diffraction. La mise en forme des volumes d’excitation/détection peut également s’appuyer sur la structuration transverse des matériaux en introduisant des « défauts » de petite taille. Par exemple, il a été proposé d’utiliser des trous de taille inférieure à la longueur d’onde29 percés dans des plaques métalliques pour définir des volumes de détection de taille nanométrique [LEV 03] (figure 10.15c). Dans cette expérience, un faisceau focalisé sur l’un des trous donne lieu à un champ évanescent au fond du trou qui définit un volume de détection de l’ordre de 10-21 l.

Grâce à de telles structures, il est possible de détecter des molécules individuelles à une concentration de 100 µM. Même si cette méthode n’est pas compatible avec l’imagerie, elle permet d’envisager l’étude d’associations moléculaires de faible affinité qui requiert de fait des concentrations élevées.

10.5. Conclusion

Nous avons présenté dans ce chapitre quelques exemples de contrastes optiques utilisés en microscopie pour étudier spatialement et temporellement l’organisation d’objets biologiques nanométriques impliqués dans le fonctionnement de la machinerie cellulaire. Nous avons vu que seule la fluorescence permet de détecter des molécules individuelles. D’autres méthodes n’utilisant pas de marqueurs sont complémentaires même si elles n’ont pas cette sensibilité.

Si les systèmes optoélectroniques actuels permettent de bien résoudre les échelles de temps rencontrés en biologie pour des mesures en un point, des progrès restent à faire pour améliorer la vitesse des systèmes de balayage et diminuer les temps d’acquisition des caméras ultrasensibles. L’amélioration des sondes fluorescentes est également un sujet de travail important.

Du point de vue spatial, les systèmes optiques sont a priori limités par les lois de la diffraction. Cette limite est insuffisante pour décrire l’architecture fine de la cellule ; quelques unes des techniques que nous avons passées en revue, et qui contournent la limite de diffraction, pourront être mises en œuvre pour observer ces détails. Dans le domaine du champ proche, des nanostructures photoniques devraient permettre de réduire les volumes d’observation et d’exalter les signaux (fluorescence, Raman, non linéaire…).

29. Les trous réalisés ont un diamètre minimal de 50 nm.

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334 Nanophotonique

Ces nouveaux outils au service de la biologie pourront sans doute révéler les détails des flux d’information biologique dans la cellule remplaçant ainsi les flèches de la figure 10.1 par des mécanismes plus précis.

10.6. Bibliographie

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