1 Quels citoyens pour construire un monde à finalité humaine (2ème édition)

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Les fascicules N°1 Quels citoyens Pour construire un monde à finalité humaine ? Didier MINOT Contribution au séminaire du Forum Social Mondial 2002 sur le thème : "Transformation personnelle, transformation collective " Décembre 2001 1 1

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Ce document a été rédigé pour la préparation du séminaire "transformation personnelle, transformation collective" du forum social mondial de Porto Alegre. Son résumé a été abondamment diffusé dans les 4 langues du forum, mais n’a pas servi de trame au séminaire lui-même, centré sur dune démarche "théâtre de l’opprimé" et la découverte mutuelle des participants français et brésiliens. Il a en revanche été à la base de la rencontre avec l’IDH (Instituto de Humanizaçào) qui a fortement inspiré la démarche de création de RECIT.

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Les fascicules

N°1

Quels citoyens

Pour construire un monde

à finalité humaine ?

Didier MINOT

Contribution au séminaire du Forum Social Mondial 2002 sur le thème : "Transformation personnelle, transformation collective "

Décembre 2001

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Ce texte a été écrit peu de temps après le 11 septembre, en vue de préparer un séminaire organisé à Porto Alegre en janvier 2002 par Transversales Sciences Culture sur le thème "transformation personnelle, transformation collective"

Il doit beaucoup aux réflexions collectives menées en divers lieux : Cercle Condorcet de Paris, Démocratie et spiritualité, puis "Pour une société solidaire" (PUSS) .Il a bénéficié de la bienveillante relecture, il y a longtemps, de René Level, Marie Dominique Calça, Armen Tarpinian,, que je voudrais ici remercier.

Ce texte n'avait jamais été publié. Les premières Rencontres de l'éducation citoyenne à Lille, et la création de la collection Les fascicules de RECIT, donnent aujourd'hui l'occasion de revenir sur une réflexion qui est une des bases du projet de RECIT, aux côtés de bien d'autres.

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PREMIÈRE PARTIE

UN BESOIN URGENT

D'HUMANITÉ

Les évènements qui se sont succédés depuis septembre dernier montrent tout à coup au monde de l'opulence qu'il n'est pas invulnérable. La réponse américaine aux attentats a été militaire, mais chacun voit bien qu'à terme, seule la reconnaissance des causes par les nantis, et des réponses appropriées en termes de développement partagé et réorienté, peuvent dans la durée désarmer la violence. La crise révèle l'ampleur des mutations et des problèmes de civilisation qui s'accumulent.

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DES ÉVÉNEMENTS RÉVÉLATEURS

Depuis 10 ans la logique froide de l'appareil économique envahit tous les domaines de la vie. Les nouvelles forces économiques et financières contournent les règles de droit, changent d'échelle et vident les démocraties de leur contenu. Les gouvernements nationaux deviennent des jouets que les puissances économiques manipulent.

Les évènements qui se sont succédés depuis septembre 2001 ont changé la situation mondiale en accentuant un climat de crise économique. Les attentats du mois de septembre, puis le bio terrorisme et la guerre ont remis en cause l'image inébranlable du l'ordre libéral. Les images montrent tout à coup au monde de l'opulence qu'il n'est pas invulnérable La guerre peut venir jusqu'au cœur du "système monde". La réponse américaine a été militaire, et a conduit à chasser les talibans du pouvoir en Afghanistan. Chacun voit bien que cela ne règle en rien les causes profondes du conflit avec les mouvements terroristes. A terme, seule la reconnaissance des causes, et des réponses appropriées, peuvent dans la durée désarmer la violence.

George W. Bush a déclaré le 12 septembre que "Cet ennemi a attaqué non seulement les États Unis, mais tous les peuples épris de liberté. Nous rallierons le monde derrière nous. Ce sera un combat monumental du bien contre le mal". Le monde développé est loin d'incarner le bien. Le capitalisme trouve ses racines dans les conditions de la conquête du nouveau monde, l'esclavage et le "commerce triangulaire", les innombrables guerres coloniales menées par les pays d'Europe, en Algérie, en Inde, en Afrique. La conférence de Durban devait reconnaître la responsabilité historique des pays européens et de l'Amérique dans le développement de l'esclavage depuis 4 siècles. Son échec, il y a moins de 6 mois, a sans doute des causes complexes. Mais il consacre tragiquement la coupure entre le Nord et le Sud, par ce refus de mémoire et de réparation.

En Europe, beaucoup prennent conscience à cette occasion que les bons sentiments ne suffisent pas. Malgré leurs opinions progressistes, les consommateurs riches des pays du Nord et du Sud sont dans le camp des nantis, plus proches des dirigeants américains que des catégories pauvres et des peuples du Sud. Les pays du Nord, même sociaux-démocrates, jouent le jeu des forces économiques dominantes, poussant par exemple à la libéralisation de la santé, de l'éducation et des services1. Il y a "du Sud dans le Nord et du Nord dans le Sud : les minorités riches dans les pays pauvres, vivant à l'occidentale, occupent les postes de commande, alors que les populations pauvres des pays du Nord, de plus en plus nombreuses, sont exclues de la société.

En d'autres termes, ce climat d'affrontement développe les tendances toujours présentes en l'homme de peur, de haine et de passions. La logique de guerre risque de conduire durablement à une sorte de guerre froide extrêmement grave pour les peuples du monde, où la vengeance entraînerait des contre-vengeances. La crise révèle l'ampleur des problèmes de civilisation qui s'accumulent depuis longtemps. Il est urgent de faire prévaloir une autre logique, faite de tolérance et de fraternité.

1 On l'a vu à Doha (Qatar), lors des négociations pour engager un nouveau cycle de l'ibéralisaiton des services à l'OMC (organisation mondiale du commerce). En France, Vivendi par exemple a obtenu que le gouvernement soutienne la libéralisation de l'eau, pour vendre ses services, préparant de nouvelles catastrophes à terme.

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DES MUTATIONS TRÈS RAPIDES

Tout ne vient pas des dernières années. Le monde a connu depuis 30 ans une énorme série de changements, qui bouleverse totalement les conditions de la vie et de la survie de l'humanité toute entière. Ces changements trouvent leur source dans quatre révolutions, quatre mutations majeures qui ont affecté l'équilibre du monde et provoquent aujourd'hui un haut degré d'incertitude2.

La révolution de l'information et du vivant

Après s’être servi de sources d'énergies de plus en plus puissantes pour transformer la matière qui l’entoure, les humains se sont rendus maîtres, au milieu du XXe siècle, de l’utilisation d’une nouvelle caractéristique d’action sur la matière, nommée avec légèreté “information”. Cette révolution est la source de plusieurs autres : par les facilités de communication qu'elle a engendré, elle a rendu possible la mondialisation des échanges. Par la compréhension du rôle de l'information dans la transmission du vivant, elle a permis l'essor de la biogénétique et des biotechnologies. Par l'accroissement de la productivité à l'incorporation d'information dans les processus de production, elle a entraîné d'importants gains de travail humain.

L’entrée dans cette ère informationnelle met aujourd’hui à la disposition des humains des richesses (biens et services) en quantité considérable. Mise au service du profit, elle sécrète de nouvelles inégalités : croissance du chômage, exclusion, résurgence des grandes épidémies. Dans une autre optique, cette percée pourrait permettre l’épanouissement matériel de chacun et livrer des capacités relationnelles infinies.

La mondialisation libérale

La logique capitaliste qui poursuit depuis quatre à cinq siècles un objectif central : marchandiser le monde. Après avoir absorbé la terre, le travail et la monnaie, c’est aujourd’hui l’éducation, la santé, la culture, bref le plus intime de nous-mêmes que celle-ci entend mettre au service d’un économisme totalisant.

L’introduction dans les échanges des technologies de l'information rend possible une interconnexion de tous les marchés, notamment financiers, et la péréquation du cours des actions et des taux de profit, en donnant une exclusivité aux valeurs marchandes dans toutes les décisions collectives.

2 Cf les multiples réflexions de Jacques Robin dans Transversales Sciences Culture

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Appliquée aux règles habituelles de l’économie de marché (basées sur le profit immédiat dans une concurrence acharnée), cette logique a produit brutalement des inégalités sociales énormes entre un petit nombre de gagnants et un grand nombre de perdants. Le capital financier impose aux entreprises, au niveau mondial, des règles de rentabilité artificielles, liées à une conception minière de l'économie (on exploite un filon et on s'en va), à court terme. Cela ne peut pas durer des siècles ni même des décennies, et nous allons inévitablement à une crise de civilisation. Nous y sommes peut-être déjà.

Le basculement démographique.

Le Sud représente 4/5 de la population mondiale, mais le Nord consomme et accapare, avec une mince couches d'élites des pays du Sud, les 4/5 des richesses. Dans 30 ans la population du Nord aura diminué alors que celle du Sud s'accroît de 1 milliard d'hommes tous les 12 ans. Ou bien le monde s'organise comme un apartheid à l'échelle mondiale, avec des miradors aux frontières des pays et des quartiers riches, ou bien il faut accepter un autre partage des richesses, inventer des modes de vie et de consommation qui reposent sur d'autres raisons de vivre que la satisfaction indéfinie de nouveaux désirs pour les riches. Dans tous les pays, on doit trouver les voies d'un partage des valeurs et le métissage dans une société multiethnique. L'Europe, qui découvre cette diversité, a beaucoup à apprendre en ce domaine de pays comme le Brésil.

L'émergence d'un monde en réseau

Les sociétés industrielles se sont organisées au XXe siècle de façon hiérarchique, pyramidale, avec une division poussée du travail. Dans les grandes entreprises, cette organisation a été remise en cause depuis 15 ans. Aujourd'hui, le management de ces entreprises s'appuie sur des petites équipes autonomes, rassemblées de façon temporaires autour de projets. Cette organisation tend à s'imposer, au delà des entreprises, à toute la société. Elle gagne les associations, les services publics. Elle est liée à l'accroissement du niveau d'éducation et aux progrès des communications. Le travail en réseau est plus attrayant que le travail au sein d'une structure hiérarchique. On peut s'y épanouir, réaliser ses potentialités.

Trois lectures de cette évolution sont possibles :

• Pour les uns, derrière sa convivialité, la réalité du réseau est impitoyable. La vie personnelle et la vie professionnelle se confondent. Les relations interpersonnelles deviennent mouvantes et temporaires. Le contrôle est remplacé par l'autocontrôle, et le travail trend à absorber toute la vie. Le réseau favorise l'autonomie et l'épanouissement des plus forts, mais exclut tous ceux qui ne sont pas toujours au plus haut niveau de leurs possibilités. Pour les timides, les faibles, les lents, les handicapés, la mise en réseau devient une source d'exclusion.

Dans le système industriel, les travailleurs étaient exploités mais ne sont pas exclus. Dans le nouveau système, ceux qui ne sont pas retenus disparaissent. Ils sont purement et simplement oubliés. L'exclu est celui qui n'est plus relié à aucun réseau, qui ne compte plus pour personne.

• Pour les autres, le travail en réseau est celui des mouvements qui cherchent à faire émerger un monde plus humain. Il permet de dépasser les limites des sociétés bloquées et de renverser le rapport de forces aussi En France, les réseaux d'échanges réciproques de savoirs, les réseaux de solidarité contre le chômage, font du travail en réseau. Le forum social mondial, les luttes qui se

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développent au niveau mondial pour faire émerger un monde plus humain n'auraient pas pu se développer sans un travail en réseau.

• pour d'autres enfin, le travail en réseau est un complément à une organisation structurée de la société, mais ne saurait s'y substituer totalement.

Par exemple, la construction d'un projet suppose un consensus, au moins partiel, pour agir en réponse à des enjeux. La démocratie participative joue sur les convergences et minimise les affrontements. La démocratie suppose le débat. Un certain "dissensus" est nécessaire pour faire progresser les solutions. Cela conduit souvent à des conflits, canalisés par les règles du débat et par les épreuves de vérité que constituent les élections. Un équilibre entre les deux logiques est nécessaire, mais un monde uniquement centré sur des logiques de projet conduit à un pouvoir absolu des faiseurs de projet, fatalement générateur de dérives.

A quelles conditions une société en réseau est-elle solidaire ? Comment un réseau peut-il n'exclure personne ? Sur quoi se fonde le comportement solidaire de l'homme en réseau ?

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L'AVENIR DE L'HUMANITÉ

EN QUESTION

La conséquence de ces mutations sont dramatiques pour la majeure partie des peuples de l'humanité. Les situations inacceptables et les risques de cataclysmes sont tels que nous pouvons être sûrs d'imprévus dramatiques, auxquelles nous devons nous préparer. L'actualité récente a déjà donné des signaux qui annoncent d'autres catastrophes à venir : explosion d'une autre centrale nucléaire (l'avertissement de Tchernobyl n'a pas été entendu), du réchauffement climatique (on a déjà oublié la tempête), gigantesque bug informatique (cf. "IloveYou"), crise financière mondiale (cf. les krachs boursiers successifs). Certains des risques encourus mettent en cause la poursuite de l'aventure humaine.

Les mutations ont été très rapides, alors que les mentalités, les cultures, les structures politiques évoluent lentement. cependant, peu à peu, les réactions s'organisent. Mais elles débouchent le plus souvent sur des actes violents, car les non violents ne sont pas entendus. L'enjeu de notre réflexion est de déterminer comment ces réactions peuvent déboucher sur la construction d'un projet construit, utilisant les mutations au service de l'homme.

Pauvreté et inégalités : les effets dévastateurs d'une mondialisation non régulée

Partout dans le monde, la libéralisation des échanges et le recul des États ont conduit à un nombre sans croissant de chômeurs, de pauvres, d'exclus privés de tout moyens de production et de subsistance, même dans les pays les plus riches et même pendant les périodes de croissance. On compte en France 5 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. En réponse à la misère et à l'exclusion sociale, la charité remplace la justice sociale. On ne pourra pas sauvegarder la paix à terme si 225 fortunes équivalent au revenu de 47% de la population mondiale. Depuis 20 ans, le monde a régressé en termes de solidarités. Selon le PNUD, le produit par tête a régressé dans 80 pays entre 1980 et 1995, un milliard d'individus ont vu leur revenu diminuer, la dette des pays pauvres s'est accrue3. Les régulations tissées depuis un siècle par les luttes ouvrières et par les États ont été démantelées par une action constante des forces économiques, considérant que ces actions gênent la rentabilité des entreprises.

Une part croissante de la richesse mondiale est stérilisée par l'économie de la drogue, les dépenses militaires, la spéculation. Une violence inouïe envahit la planète (terrorismes, guerres, délinquances, drogues…) sous la houlette de multiples mafias qui prennent le pouvoir dans de nombreux domaines (eau potable, armement, immigration, manipulation génétique…) en

3 Celle-ci absorbe un tiers des recettes publiques de ces pays, les empêchant de faire les investissements nécessaires à l'éducation et à la santé de leur population

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asservissant particulièrement les pays du Sud. Ces mafias sont tolérées et intégrées dans le système. Certains pays sont gouvernés par des individus corrompus, ou mafieux. La corruption est un système de gouvernement dans de nombreux pays. Les limites entre argent propre et argent sale s'estompent dès lors que tous les réseaux bancaires ont ouvert des bureaux dans les paradis fiscaux.

L'écologie de la planète et l'espèce humaine menacées.

Il y a un siècle les hommes subissaient la nature. Aujourd'hui ils ont la possibilité de modifier les climats, de façonner leur vie, celle des générations futures et même l'espèce humaine (clonage, génome, etc...) et l'évolution des espèces (OGM). Cette liberté, sans une nouvelle conscience, est riche de dangers mortels pour la poursuite de l'aventure humaine.

La conférence de Rio4 ne s'est pas traduite dans les faits par un effort conjoint de développement soutenable. Jusqu'ici les catastrophes sont progressives ou localisées (couche d'ozone, montée des eaux, dégradation de la santé des

citadins, disparition des espèces, de la forêt tropicale, tempêtes, inondations, etc...). Mais on n'est pas à l'abri d'une catastrophe globale.

Le gouvernement Bush a montré son irresponsabilité et son mépris pour toute solidarité globale à Kyoto. Les fragiles progrès de la négociation, en novembre 2001, permettent tout juste de maintenir à leur niveau les émissions de gaz carbonique, alors que les émissions déjà produites feront sentir leurs effets sur le réchauffement du climat, même en l'absence de toutes nouvelles émissions, durant plusieurs siècles.

Fragilité d'un monde interconnecté

La fragilité du World Trade Center est comme le symbole de fragilité de notre univers : le cœur du cœur du système monde peut s'écrouler en quelques minutes comme un château de cartes. Mais c'est aussi la fragilité d'un monde totalement interconnecté, tendu vers le profit maximum comme la peau d'un tambour : un coup d'épingle au centre et tout se déchire. La mondialisation de la terreur suit logiquement la mondialisation des pouvoirs et des profits.

Tous les exemples montrent qu'un monde totalement en réseau, où chaque point est totalement dépendant du tout, est à la merci d'un évènement, accidentel ou criminel. Supposons un monde débarrassé de la passion du libéralisme, acquis aux valeurs d'un développement humain, mais totalement interconnecté. Celui-ci serait tout aussi fragile face aux incertitudes.

En revanche, le repliement sur des espaces clos, générateur de stagnation et de repli sur soi, ne permet pas cette fécondation mutuelle que donne l'échange des différences. L'interdépendance est également nécessaire pour permettre le développement de tous, en agissant aux différents niveaux pour assurer l'égalité entre les membres d'une collectivité, d'un pays ou groupe de pays, du monde.

C'est pourquoi il semble préférable d'envisager le monde de demain comme un ensemble d'entités pouvant s'autonomiser, mais interconnectées et reliés à des ensembles plus vastes, du local au mondial. Une mondialisation intégrale n'est pas un objectif réalisable dans la durée.

Le recul de la démocratie et des libertés

4 Conférence intergouvernementale à l'issue de laquelle les États se sont engagés à promouvoir le développement soutenable, ou durable, qui satisfait les besoins des générations présentes tout en sauvegardant les besoins des générations futures. Ces orientations sont issues d'un rapport Brundtland (1987) montrant que le développement devenait insoutenable.

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La démocratie au rabais conduit à l'aveuglement collectif. Alors que le rôle de la nation est de garantir une solidarité entre tous, d'assurer la liberté et l'égalité de tous les citoyens (et pas seulement des plus fortunés), on a glissé dans de nombreux pays vers une démocratie médiatique, où seule compte l'image qu'on donne et non la réalité des programmes et des bilans. En même temps, le pouvoir se complexifie et change d'échelle, ôtant aux citoyens tout choix effectif Cette démocratie au rabais perd le sens du bien commun et de la solidarité. Dans les pays développés, elle tend à devenir une parodie par rapport à laquelle les gens se sentent de moins en moins concernés.

Pourtant la démocratie reste un système politique irremplaçable pour assurer la paix et la justice entre les citoyens. Elle considère comme des égaux les imparfaits, les moins bien lotis, à égalité de droits et de devoirs, chacun apportant selon sa capacité contributive. Il n'est pas nécessaire d'être vertueux pour être citoyen. Tout système qui vise à la perfection, à faire émerger un univers sans défaut, comporte en effet un danger de totalitarisme5.

Chacun, en revanche, est tenu de respecter un contrat social fondé sur des principes de liberté (de penser, de contester, de s'associer), d'égalité (de droits, d'éducation , de traitement), de solidarité et de fraternité (équilibre des droits et des devoirs en matière de sécurité, de contribution commune par l'impôt, de relations et de lien social, d'éducation)

Un système dominant vide de sens,

générateur de violences

Un système absurde

Le libéralisme se révèle incapable de penser son propre avenir, mais entend aujourd'hui imposer une conception du monde entièrement tournée vers l'individu, ou l'homme est conçu comme un être rationnel qui en toutes choses est mû par son intérêt. "Quand les êtres humains sont mis au service de l'argent et non l'argent au service des êtres humains, la rationalité devient folie et le monde sombre dans l'absurde"6. Gandhi disait déjà (des anglais) "savoir qu'ils ont pour Dieu l'argent explique bien des choses"7.

Ce système est d'autant plus absurde que même les capitalistes ne profitent pas de l'accumulation des signes monétaires abstraits qu'ils appellent argent. Ils vivent souvent dans une double angoisse, liée à la passion d'avoir et à la peur de l'insécurité.

Une situation rendue visible par les médias

Les écarts de richesse, de surcroît, sont aujourd'hui connus de tous par la révolution de l'information. Tous les ménages algériens disposent de la télévision et reçoivent en direct les publicités de la société d'abondance. Les pauvres ont une conscience plus forte des injustices, sans perspective de changement. Les mouvements fondamentalistes et nationalistes y trouvent une nouvelle audience, car ils apparaissant comme les seuls remparts contre cette mondialisation libérale destructrice. L'humiliation, qui est parfois plus forte que l'injustice, et les régressions identitaires qu'elle provoque constituent la source de toutes les violences.

5 La route antique des hommes pervers, René Girard, p 140 Livre de poche Paris 19856 René Passet, Manifeste pour une économie à finalité humaine. Le monde Diplomatique, février 20017 Pour autant les mouvements de libération conduisent rarement à des lendemains qui chantent. Pour un Marcos, qui revendique la reconnaissance d'une dignité, combien de Kabila ? Quand les islamistes gagnent en Afghanistan, ils instaurent une dictature pire que celle qu'ils critiquent, en particulier vis à vis des femmes.

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2ème PARTIE

CONSTRUIRE UN MONDE SOLIDAIRE, RETROUVER LE SENS DE L'ACTION COLLECTIVE

A quelle représentation d'un monde à visage humain renvoie une action au service d'un monde solidaire ? De quel sens un projet de transformation personnelle et collective est-il porteur ?

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LA MULTIPLICATION DES ACTIONS PORTEUSES D'HUMANITÉ

Mais cette description de l'inacceptable ne rend pas compte de toute la réalité du monde et de ce qui s'y vit. La réalité du monde, des territoires, des groupes humains, ce sont aussi des actes forts de solidarité au quotidien, des actions pour la justice, de l'intelligence au service du bien commun, y compris dans les pays en guerre. Très nombreux sont ceux qui restent attachés à un devenir plus humain de la société.

Au cœur des difficultés, des hommes et des femmes réinventent chaque jour des solutions dans l'action locale, dans les ONG, dans les organisations de défense des droits de l'homme, de l'environnement, dans l'action culturelle, dans les organisations caritatives, dans les pratiques culturelles ou sportives, dans la vie familiale, les relations interpersonnelles, la solidarité de voisinage.

Ces actions sont peu visibles, car nous sommes conditionnés à considérer comme réel ce dont parlent les médias, le monde politique, les services de l'État. Or, ces actions constituent pour ceux-ci des zones d'ombre. N'étant pas étiquetables dans le cadre des explications classiques, (l'argent, le pouvoir, l'horreur, etc…), elles ne sont prises en compte que ramenées à des chiffres ou des motivations réductrices : leur dimension charitable, leur caractère spectaculaire ou exceptionnel.

Une contradiction semble émerger du contraste entre une réalité globale négative et des actions locales porteuses de signification et d'espoir. Cette contradiction vient de notre difficulté à voir la multiplicité des actions locales. comme la matière interstellaire, elles représentant pourtant 90% du poids de l'humanité. Un des enjeux de ce séminaire est de prendre conscience de la portée globale de ces actions.

De l'observation de ces actions, de ces comportements, on peut tirer trois conclusions :

• Chacun porte en lui une aspiration irréductible à accomplir son humanité. Beaucoup de gens vivent pour autre chose que l'intérêt individuel, résistent, se révoltent, expriment une aspiration irréductible à rester humains. De multiples actions porteuses d'humanité sont menées chaque jour. Elles constituent les germes d'une nouvelle société en train de naître. .

• La réalité n'est pas aussi négative qu'on nous la montre. Les résistances au recul de la civilisation sont fortes. La construction d'un monde solidaire peut s'appuyer sur des forces disséminées, mais très nombreuses.

• Ce qui est peu visible aujourd'hui préfigure le monde que nous voulons. Si l'interrogation de quelques uns devient une question massive et planétaire, elle devient une nouvelle manière de penser. Nous pouvons voir des actions sans portée globale apparente comme les ferments d'un monde nouveau.

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Nous sentons bien que ces actions nous parlent parce qu'elles sont porteuses de sens. Mais qu'entend on par la ? Si ce critère est central, il faut le préciser.

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LA QUESTION DU SENS

Le sens : un mot à définir

Les trois sens du mot sens

Dans le dictionnaire, le mot sens a plusieurs sens :

• ce qui permet de sentir (du latin sensus = action de sentir). Ce à quoi se rattache le bon sens, ce qui permet de juger sans passion.• un ensemble intelligible d'idées, représentées par un signe. (Sens = signification). • un mouvement orienté, représenté en mathématique par un vecteur avec une origine, une direction, une intensité. (du germain sinno = direction). Ce à quoi se rattache "l'évolution a un sens"

Les trois sens du mot "sens" se mêlent ici, car dans une perspective historique la signification qu'on peut donner après coup à un événement dépend de la façon dont il aura orienté le cours de l'histoire.

Se pose aussi la question du sens comme cause première : le monde répond-il à une signification déterminée, va-t-il dans une direction en fonction d'une volonté extérieure, d'une intention divine ? ou bien est-il d'abord un non sens, ou un produit du hasard et de la nécessité ?

Le sens ne va pas de soi. Il échappe, il ne se constate qu'après coup.

On agit toujours avec une intention. mais pour autant le sens d'une action, d'un acte commence par échapper en partie, parce que les conséquences de ce que nous faisons sont pour une part inconnues.

Le sens collectif n'est pas épuisé immédiatement. On ne perçoit pas la portée de ce qu'on fait au moment où on participe à une révolution. Il faut pour cela un peu plus de conscience, de lucidité, de recul historique. Il faudrait vivre un siècle et demi pour bien comprendre ce que nous faisons ici.Cela ne doit pas empêcher d'agir en fonction de ce que nous percevons aujourd'hui, car le sens n'échappe pas complètement. Nous pouvons pour une part évaluer les conséquences de nos actes, au delà des intentions, à condition d'élever notre niveau de conscience.

• S'agissant de la vie individuelle, le sens, là non plus, ne se révèle pas immédiatement. Chacun a pu éprouver des moments dans sa vie où un certain recul lui permettait de discerner le sens de dix années d'expérience antérieure.Le débat et le travail en commun permettent "d'y voir clair", de mieux dégager le sens de nos actions individuelles, et de renforcer nos énergies. Nous avons besoin d'enraciner notre action dans une signification partagée.

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Le sens ne se saisit que dans la durée et avec un désir.

Le sens ne se confond pas avec l'action immédiate. Les expressions "espérer", "continuer à croire", 'être fidèle à ses convictions" sont utilisées même si l'action est décevante. Il s'agit alors d'une direction dans laquelle il faut persévérer au delà des désillusions, des déceptions et de l'injustice.

Le sens ne peut se déduire de la seule analyse scientifique de la réalité. Il s'appuie sur le réel, une analyse de la situation, et un désir, ce à quoi on désire contribuer. Le sens résulte à la fois d'une lecture du monde (signification) et une projection, un projet sur le monde (direction dans laquelle on va). Ce travail de recherche du sens est à la fois individuel et collectif.

Une multiplicité d'interprétations

Les témoignages de vie montrent la diversité des positions par rapport à la questions du sens. Un travail préalable sur cette question8 a montré quatre entrées dans la question du sens, qui renvoient en schématisant à trois représentations du monde :

• Pour les premiers, le sens est une recherche. Il se dévoile "a posteriori" dans un principe de réalité, dans les actes posés par les hommes et par une interprétation de l'existant. Ce qui est premier dans ce cas, c'est le projet, l'action. La lecture et le déchiffrage du sens viennent dans un second temps. "La vie prend sens dans nos actes".

• Pour d'autres, depuis le big-bang jusqu'à l'homme d'aujourd'hui, on constate un principe de cohérence, de complexification croissante. Sans pouvoir résoudre la question de l'origine de cette évolution, l'aspiration à un avenir meilleur se place dans la flèche de cette évolution.

• Pour un troisième groupe, où l'on retrouve les grandes religions, le sens est donné par la foi en une transcendance, accessible à travers une révélation ou un éveil. Le sens est révélé à l'homme par l'ouverture à une vérité qui se situe au delà de lui même et au dedans de lui-même

Ces réponses sont fortement déterminées par l'environnement culturel. Les religions instituées, garantes de l'ordre du monde, ont traduit cette relation à une transcendance en valeurs éthiques et en règles morales. Chacun a appris une langue maternelle du sens9 qui toute sa vie restera pour lui une référence (acceptée, modifiée ou rejetée). De ce fait, dans le dialogue, la compréhension n'est pas toujours simple parce que chacun a hérité de son histoire des réflexes de défense face à l'autre conception des choses, ce contre quoi il a construit ses convictions.

Le dialogue permet de relativiser chacune des représentations, de leur enlever leur aspect totalisant et exclusif, pour laisser exister les autres, ce qui représente une remise en cause non négligeable et déplace le statut de la vérité. La pluralité (laïcité) ainsi entendue place la question du sens dans le domaine de la conscience de chacun. Un tel dialogue est nécessaire pour mener dans la clarté des actions communes, tout en préservant la liberté de chacun au plan des convictions personnelles.

L'interdépendance entre les êtres humains : l'existence de chacun imprègne celle des autres

Chaque action est reliée aux autres, agit sur les autres dans un sens ou dans un autre. L'impact de notre action, de nos comportements n'est pas mesurable ni évaluable. Avec du recul, chaque acte limité apparaît comme un élément dans une chaîne, dans un réseau d'interactions.

8 Pourquoi agissons nous ? Travail réalisé pendant un an dans le cadre du Cercle Condorcet de Paris, en s'appuyant sur 8 histoires de vie d'inspirations différentes, en 1999-20009 Selon l'expression de Bernard GINISTY

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Individu et communauté ne s'opposent pas, mais se complètent et se fécondent mutuellement. Nous ne sommes pas seulement définis dans le plus fort de notre identité par ce qui est interne à nous-mêmes, mais par nos relations, nos actes, notre appartenance à des communautés, au genre humain. Cette conception de l'individu s'oppose à l'individualisme, qui considère chacun comme disjoint, séparé, extérieur aux autres.

Développer le lien social n'est donc pas pour chacun un supplément d'âme, mais la seule façon d'accomplir son humanité. Pour exister, l'homme a besoin d'être reconnu comme un autre par les autres, d'être établi dans son caractère unique par une société. L'accès à l'existence pleinement humaine et à la conscience de soi passe donc par la responsabilité et la fécondité sociale. Comme le dit Albert Jacquard, "si je peux dire "je", c'est qu'on m'a dit "tu".

Tout acte, tout environnement qui favorise l'ouverture et le désir de vivre ensemble est essentiel. Les actions éducatives, culturelles, associatives, les actes de présence aux autres ont une grande portée collective, même s'ils se situent dans la sphère interpersonnelle. Ils sont aussi nobles et nécessaires que l'action politique.

Le sens est lié à la cohérence

entre la pensée et l'action

Peut-on rester sans agir dès lors qu'on a conscience de ce qui est préférable ? Celui qui se croise les bras se soustrait à ses propres aspirations. Peut-on prétendre souhaiter quelque chose et agir négativement contre elles ? Le principe de cohérence consiste à mettre en pratique ce dont on a conscience. Évidemment, beaucoup ne le font pas, parce que le confort de l'inaction l'emporte sur l'inconfort de l'incohérence. Chacun d'entre nous est à la fois porteur de sens et de non sens. Cette séparation est aussi celle qui distingue la vie de la survie.

Cela permet de définir le mot "devoir" de deux manières : • obligations découlant de la participation à un groupe, contrepartie des droits collectifs et de la

qualité de citoyen.• mise en conformité de ses actes avec la conscience qu'on a du monde et de ses possibilités d'agir

pour répondre aux besoins ressentis.

Le premier sens oblige, le second sens conduit. Il conduit souvent à aller au delà du seul respect de ses obligations. Mais ce mouvement relève de la conscience et de la liberté individuelle. Dans ce second sens, les devoirs ne peuvent être que ceux qu'on s'impose à soi même, et non ceux qu'on impose aux autres.

Tous nos actes sont porteurs d'humanité, et pas seulement des actes politiques ou militants.

L'engagement dans l'action ne se réduit pas aux formes d'action collective ou militante. Il s'exprime dans les comportements, dans la vie quotidienne, dans le travail ou les loisirs, dans toute oeuvre de création. Par exemple, on peut être un ancien ("j'agissais, je n'agis plus") et avoir un comportement qui va constituer un exemple marquant pour des plus jeunes. La création artistique également peut être un terrain privilégié de résistance et d'action symbolique., comme elle peut être l'un des sommets de la servilité.

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La portée symbolique d'un acte peut se révéler plus efficace que sa portée matérielle. Le poids des médias peut accentuer cette dimension. Certaines batailles politiques se sont jouées sur l'image et la signification, en sens inverse du résultat matériel. Ce n'est pas la nature de l'activité qui fonde la valeur de résistance ou de construction d'une action, mais le contenu du projet dont elle est porteuse, le souci de cohérence entre la pensée et l'action.

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UNE RÉVOLUTION CIVIQUE : QUELLES CONVERGENCES DANS L'ACTION COLLECTIVE ET PERSONNELLE ?

Peut-on discerner, à travers la diversité des engagements et des actions, des principes communs, des éléments de convergence qui permettent de fonder une action commune pour un monde plus humain ?

Droits de l'homme et dignité humaine

La déclaration universelle des droits de l'homme précise que tous les hommes sont égaux en droits et en dignité. Cette adhésion est un des fondements d'un projet de société plus humaine.

La force de la déclaration universelle des droits de l'homme réside dans le sens de la dignité, au delà de toute discussion possible, de chaque vie humaine particulière, hors de toute estimation marchande, de toute évaluation de ses capacités et de tout jugement sur son droit à vivre, à échanger, à penser.

La reconnaissance de la dignité humaine repose sur l'égalité et fonde le suffrage universel. Chacun peut aujourd'hui constater que les droits fondamentaux ne sont que virtuels pour un nombre important des habitants de notre planète. Mais l'égalité formelle ne suffit pas. Le respect de la dignité humaine suppose une égalité effective dans les conditions d'accès à l'éducation, aux services, à la santé, à la culture. C'est cette égalité que mesure la CNUCED en établissant chaque année un indicateur de développement humain.

En contrepartie de ces droits, l'homme a aussi des devoirs, qui sont de deux ordres :

• Certains devoirs se rapportent au contrat social : en tant que citoyen chacun reçoit de la communauté à laquelle il appartient, quels que soient ses dons et ses mérites, une identité, une dignité, des droits civiques, une éducation, des mesures de solidarité, une sécurité, une possibilité d'obtenir justice. Mais la nation n'est pas une entité à part qui flotterait au dessus des citoyens. Ce que chacun reçoit vient de l'ensemble des citoyens. Par réciprocité, chacun a le devoir d'apporter, à la mesure de ses capacités contributives, ce qui est nécessaire à la réalisation du contrat social. Ce devoir est consigné par la loi. On ne peut pas décider de ne pas payer ses impôts. La définition de ce contrat social est l'essence même du débat démocratique.

• D'autres devoirs ne constituent pas une contrainte légale mais relèvent de la conscience de chacun. Nul ne peut obliger un citoyen à être généreux, à participer à la vie locale, à se présenter aux élections, à être présent à ses proches dans la difficulté. Pourtant la société ne fonctionne que si certains agissent ainsi. Ce devoir n'est pas une contrainte légale mais relève de la liberté de chacun.

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Favoriser l'épanouissement des personnes

Nous proposons de retenir le mot "personne" plutôt qu'individu" pour parler d'hommes ou de femmes insérés dans une société, l'individu désignant celui qui est séparé, avec une connotation individualiste. D'autres disent "l'homme est un animal social". d'autres encore "il n'est pas bon pour l'homme d'être seul".

Les actions porteuses d'humanité visent l'épanouissement des personnes. Cet épanouissement repose sur trois conditions :

• La première est de pouvoir jouir de l'application effective des droits fondamentaux : égalité, liberté, accès au savoir, nouveaux droits (au logement, à la sécurité,…)

• La seconde résulte de la possibilité d'être actif dans la société (se mettre en mouvement pour réaliser ses désirs), et d'épanouir ses des capacités créatrices (possibilités d'expression artistiques, corporelles, possibilité d'aller vers des formes d'action innovantes), le développement de ses propres potentialités10

• La troisième est de pouvoir participer au lien social. L'homme est un être social. Son épanouissement se joue dans sa vie relationnelle, familiale et affective, associative, culturelle, professionnelle, sa participation à la vie locale, son appartenance aux communautés de son choix (religieuses, ethniques, etc…), et sur le sentiment d'avoir une utilité sociale.

Ces trois dimensions, qu'on peut résumer, par le "bien vivre", ou le "bien être" au sens fort du terme, ne se confondent pas avec la recherche du bien être au sens du confort et du plaisir que procure l'aisance. Beaucoup cherchent à préserver ce bien-être là. C'est pourquoi certains pensent qu'un projet qui voudrait remettre en cause le confort et le niveau de vie n'a aucune chance d'aboutir dans les pays développés. L'observation des mouvements sociaux montre montrent que des avancées sont possibles, y compris sur ce terrain là, dès lors que les personnes ont conscience des enjeux et l'espoir que la situation peut changer. Beaucoup sont prêts alors à renoncer à une partie de leur confort ou de leur temps pour des buts qui en valent la peine, et inventant alors les formes nouvelles d'action ou de résistance.

La maîtrise des désirs et des passions

Besoins et désirs

Les grandes idéologies, sur lesquelles nous vivons encore, le libéralisme et le socialisme, ont en commun une vision rationnelle de l'homme. Il s'agit soit de maximiser la réponse à ses attentes, à travers le jeu de l'offre et de la demande, soit de satisfaire les besoins recensés à travers une répartition rationnelle des ressources rares.

Une réponse aux besoins fondamentaux est bien sûr nécessaire. Mais ces approches ignorent que l'homme est aussi un être de désir et d'angoisse. L'homme est à la fois gouverné par la raison ("homo sapiens") et par la passion, le désir et l'angoisse ("homo demens")11 Le rapport à la violence est lié au rapport de l'homme avec ses semblables et avec lui même à travers le sens donné à sa vie. Aucune passion n'a sa limitation en elle-même, car elle est liée au manque radical d'un être voué à la mort. Dès l'origine, l'organisation matérielle et l'organisation de l'au-delà ont été les questions centrales des sociétés humaines12.

10 Les potentialités sont à vrai dire sans limites. Il s'agit de réaliser une partie de ses potentialités, celles par lesquelles chacun donne sens à se propre existence.11 cf. Edgar Morin 12 Cf. Marcel Gauchet, le désenchantement du monde Gallimard, Pairs 1986. La nouvelle religion actuelle, qui tente d'instaurer un culte de l'argent et de l'individu, est très récente et rencontre de nombreuses résistances.

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Comme l'a rappelé Patrick Viveret13, les besoins de l'homme (manger, être en sécurité, se repérer, se reproduire) sont amplifiés et sublimés, dans des désirs de richesse, puissance, de connaissance, d'amour.

Les désirs sont à la source de tout ce qui est humain : la poésie, la fête, le lien interpersonnel, l'effort, la curiosité. Ils peuvent engendrer des passions vertueuses de vérité, d'amour, de justice, de liberté, de pérennité14. Les participants au forum social mondial seraient-ils présents sans ces passions ?

Mais ils peuvent aussi engendrer des passions de possession, de puissance, de la science, du sens. Quand le désir n'est plus régulé par la raison ou par d'autres passions, quand l'autre devient un instrument du désir, la réalité disparaît. Elle devient le reflet d'une passion qui absorbe tout.

Comment réguler la passion de richesse, principe du libéralisme, la passion de puissance (à la base d'une certaine pratique de la politique), la passion du sens (intégrismes et nationalismes), la passion de connaître ?

Même ceux qui croient pouvoir bâtir une action publique neutre et vertueuse, sont menacés de devenir oppressifs quand ils oublient le désir de puissance qui se déploie en chacun, dès lors qu'il exerce d'un pouvoir sans contre-pouvoirs en étant sûr de faire le bien. De même, "la cause du dévouement a fait infiniment plus de massacres dans l'histoire que la cause de l'égoïsme" (Arthur Koestler). Le désir de pureté conduit à désigner et sacrifier le bouc émissaire comme responsable de la violence collective. Il constitue l'une des racines du nazisme.

La reconnaissance de l'ennemi intérieur

Jusqu'ici tous les systèmes de régulation politique, comme la cohésion des groupes, se sont fondés depuis la cité grecque sur la distinction entre l'ami et l'ennemi, l'intérieur et l'extérieur. Cette logique est encore à l’œuvre à tous les niveaux, du local au mondial. Elle conduit à fabriquer des ennemis quand la cohésion d'un groupe ou d'un pays est menacée.

Mais nous prenons ici conscience de vivre sur une seule terre, un monde fini. Si, nous sommes citoyens de ce monde, où est l'ennemi ? Avec la conscience d'une solidarité mondiale, liant tous les humains, nous ne pouvons plus fonder la citoyenneté sur le combat contre l'ennemi extérieur. La vieille question de la maîtrise des passions (cf. Descartes, Spinoza, Montesquieu, Freud, Diel) resurgit donc dès lors que l'ennemi n'est plus l'autre, mais notre propre tendance à être possédés par nos passions. La nouvelle frontière est intérieure à nous mêmes.

Une attention au long terme et aux générations futures

Il existe chez l'homme une aspiration à se projeter au delà de lui même, à s'investir dans quelque chose dont il ne verra pas le résultat. Cette aspiration transcende les aspirations à améliorer son propre confort, matériel ou symbolique. Elle est enracinée dans le sentiment paternel, ou maternel, et l'amour porté aux enfants, l'attachement à la communauté, à la patrie. Nous sommes ici parce nous nous sentons co-responsables de l'avenir de l'humanité. On rejoint le "principe responsabilité" de Hans Jonas. L'homme peut agir de façon désintéressée.

Un des rôles fondamentaux de l'ONU, des États et des collectivités, chacun à son niveau, est d'éclairer les citoyens sur le long terme, d'engager les actions permettant de construire l'avenir, de faire respecter les règles communes permettant de sauvegarder le patrimoine et les ressources rares, d'assurer une égalité entre les citoyens du monde, du pays, de la commune. La solidarité n'appartient pas à un seul niveau. Beaucoup d'États ont renoncé à ce rôle, sous la pression de forces

13 6 Démocratie, passions et frontières, Patrick Viveret, p 21 à 26 Dossier FPH , Paris 199514 cf. L'art de la paix, in revue de psychologie de la motivation, N°28, 1999

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économiques qui voient dans ce rôle une limitation à leur liberté d'action. La Conférence des Nations Unies pour la coopération économique et le développement (CNUCED) et l'Organisation internationale du travail (OIT) ont été marginalisées avec la création de l'Organisation mondiale du Commerce, qui rappelons-le, ne reconnaît pas la charte de l'ONU, ce qui proprement incroyable.

Toutes les expériences d'organisation collective où les objectifs politiques et le long terme ont été clairement débattus montrent que les citoyens se projettent alors dans l'avenir et peuvent apporter une réponse désintéressée aux enjeux d'un territoire.

Besoins fondamentaux

et partage des richesses

Le modèle actuel de développement économique des pays dits développés n'est pas généralisable à la population mondiale. La société de consommation n'est accessible qu'à un quart nord de la planète. Mais il y a du Sud dans nos pays, et du Nord dans les classes moyennes d'Asie15, et le Nord exploite le Sud de mille manières. Avec le gaspillage, la consommation incontrôlée, l'accumulation de déchets, en particulier nucléaires, de nombreux biens non renouvelables seront inaccessibles à nos descendants et les conditions d’habitabilité de la planète Terre par le vivant ne pourront être préservées.

Comment les citoyens responsables des sociétés développées peuvent-ils, dans leurs propres modes de vie, dans leur travail d'éducation, dans leurs choix économiques, être conséquents avec cette responsabilité globale, avec le respect de tous les humains et des générations futures ? Quelles relations internationales, quels échanges extérieurs ?

Une série de questions se posent :

• Comment mener une gestion durable des ressources naturelles, qui laisse à l’humanité un temps de recul suffisant pour construire un autre monde plus respectueux de l’environnement ?• Comment diminuer les pollutions globales et, de manière drastique, limiter l’effet de serre ?• Comment mettre un terme à la famine d’un grand nombre d’humains, à la rareté croissante de l’eau potable, à l’expansion de pandémies mortelles (en particulier celle du Sida) qui déferlent en priorité dans les zones les plus pauvres ?• Comment, d’une manière générale, construire un développement qui soit le plus près possible d’une co-évolution avec la Biosphère ?

Nul ne peut prétendre être solidaire du monde entier et continuer à fermer les yeux sur sa participation au pillage des richesses de la planète, à sa pollution massive, à l'exploitation de ceux qui sont dominés. L'inacceptable passe aussi par la consommation et les silences de chacun d'entre nous.

Satisfaire les besoins d'aujourd'hui et de demain

Le développement soutenable (durable) vise à satisfaire les besoins d'aujourd'hui tout en préservant les besoins des générations futures. mais quels sont les véritables besoins de l'homme moderne ? Quels seront les besoins de demain ? On connaît mal les réponses à ces deux questions, qui varient selon le pays et la culture, l'âge, la catégorie sociale, la composition de la famille.

Mais il est possible de s'appuyer sur trois invariants :

15 Cf l'article de Wolfang Sachs "Le développement est un concept du passé" Le Monde 27 juin 2000

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• D'une part la société actuelle fait passer pour des besoins fondamentaux des envies et des modes. Une économie uniforme de la demande solvable tend à imposer au monde entier des produits standardisés et banalisés.

• D'autre part, des besoins fondamentaux peuvent être répertoriés à partir des grandes fonctions qui ont presque une racine biologique : se nourrir, disposer des services nécessaires à la vie courante, travailler, disposer d'un territoire familier, se loger, pouvoir éduquer ses enfants, se déplacer, se rencontrer, pouvoir faire des efforts, décider collectivement de son sort, pratiquer un langage du sens.

• Enfin "l'homme ne vit pas seulement de pain". Il est aussi être de désir, de relations. Les besoins ne sont pas matériels mais aussi de l'ordre de la relation et du sens.

Ces besoins génèrent des droits fondamentaux qui découlent d'un seul : le droit de chacun à la dignité de vivre pleinement son humanité. On énoncera ici, sans développer, quelques uns de ces besoins.

Les progrès d'une société toujours inachevée

Nous aspirons à une société solidaire parce que nous croyons possible une progression de l'aventure humaine. L'évolution crée toujours en avant un vide in appropriable qui permet de donner une place à l'autre, au nouveau, à l'étranger, à l'inattendu. Cette conception s'oppose aux visions totalitaires, où la totalité de la réalité humaine prétend être définie une fois pour toutes, de façon parfaite. L'idée de progrès reste d'actualité, à condition de le mettre lui aussi en question. Il ne peut se concevoir comme une adhésion béate aux vertus de la science, ou d'un projet politique.

Nous progressons par changements successifs. Quand une aspiration légitime devient réalité, elle apporte du neuf, elle correspond à un progrès, à un "autrement". Mais le neuf ne devient réalité qu'en s'inscrivant dans une structure. D'instituant, il devient fatalement institué, puis institution. Et cette institution lutte pour sa propre survie sans égard pour les progrès nouveaux à faire, qui peuvent impliquer sa remise en cause . Il faut donc toujours casser pour reconstruire, contester le statu quo pour aller vers de nouveaux progrès16.

Cette ouverture à une évolution non achevée veut dire que notre système politique (la démocratie, les droits de l'homme,…) peut évoluer. Quelles valeurs, quelle humanité nouvelle voulons nous lui donner ? Quelles sont les remises en cause nécessaires ?

L'homme inachevé

Cette ouverture concerne l'homme lui-même. L'espèce humaine n'a pas achevé son évolution. Mais notre responsabilité nouvelle est de pouvoir agir sur cette évolution. Cela pose trois questions :

• dès lors que tout instituant devient à la longue institué, comment conserver le plus longtemps possible les vertus du nouveau dans ce qui s'est instauré ? Cette question est commune à tout pouvoir politique nouveau, aux grands appareils idéologiques, à toute association. L'évolution doit pouvoir rester possible à travers des règles qui permettent d'accueillir le changement dans la démocratie (contre-pouvoirs, attitude des responsables,…).

• Il n'existe pas de système politique "à l'équilibre", qui serait si bien défini qu'il perdurerait indéfiniment. Aucun projet ne répond à toutes les questions. Même si le libéralisme a déjà décrété la fin de l'histoire, toutes les idéologies de la fin de l'histoire ont été dépassées par de nouveaux événements. On ne peut pas déduire le futur du passé ou du présent. Il y a toujours des possibles à venir.

16 Ce § doit beaucoup à l'ouvrage de Philippe Caumartin et Albert Rouet, L'homme inachevé, plaidoyer pour un nouveau développement humain Editions de l'Atelier, Paris 1996

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• Adhérer à cette idée d'un monde inachevé conduit à se considérer comme soi-même inachevé, ayant toujours à écouter, accueillir le nouveau. Par exemple l'élu, le responsable a toujours à apprendre des ses administrés. Cette attitude est commune à l'attitude démocratique ("je ne peux définir seul le bien commun"), à l'attitude scientifique ("l'expérience n'est jamais achevée") et aux diverses formes de spiritualité ("quelque chose - Dieu, le monde - est plus grand que moi").

L'exigence de soumission au réel, dans cette optique, ne peut être la recherche statique d'un vérité immuable, mais conduit à ajuster en permanence sa perception du réel à l'événement. Il n'y a pas de vérité définitive, mais une vérité toujours en train de se construire.

En particulier, la construction d'un projet politique, économique, social ne peut être une fin dernière. Elle n'est jamais achevée, toujours critiquable et perfectible. C'est l'acceptation de cet inachèvement qui fonde une attitude pleinement humaine.

La solidarité comme égalité et fraternité

La solidarité n'est pas ce qui cherche à soulager la misère. C'est d'abord une plus grande fraternité entre les hommes, avec une égalité effective de droits, de devoirs de chances pour tous les humains. Cette approche positive de la société et des rapports humains va au delà du donnant-donnant des relations juridiques au sein d'un État de droit. Il n'est pas possible de rejeter dans la sphère privée tout ce qui relève de la responsabilité individuelle et non de la loi. La position des nantis à coté de peuples en perdition, d'individus satisfaits à coté de personnes dans la misère est intenable.

Un comportement solidaire ne peut pas être dicté par la loi. Mais la puissance publique a pour mission de favoriser une attitude active et solidaire de chacun. Dans les différents pays, la loi s'est trop attachée à reconnaître les droits formels dans les moindres détails 17 Mais l'action publique décourage ou méconnaît la valeur de la solidarité librement exprimée. Les États se comportent de plus en plus en promoteurs zélés du libéralisme, considérant toute activité comme commerciale, tout citoyen comme mû par son seul intérêt (voir les difficultés fiscales rencontrées par certaines associations répondant à des objectifs d'intérêt public). Ce déséquilibre encourage l'indifférence et l'égoïsme social. La valorisation de la solidarité fraternelle devrait marquer les décisions publiques, des plus fondamentales aux plus minuscules.

17 L'OMC fait de même, en ne reconnaissant que les droits des commerçants.

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3ème PARTIE :

QUELLE

TRANSFORMATION PERSONNELLE

TOUT AU LONG DE LA VIE ?

Cette troisième partie cherche à préciser les dimensions d'une transformation personnelle tout au long de la vie, dans l'optique de la construction d'une société solidaire : quelle articulation, quel équilibre entre les dimensions collective, interpersonnelle et personnelle de du travail sur soi, et du travail éducatif. De quels citoyens avons-nous besoin, dans la société de demain, pour répondre aux enjeux exprimés au début de ce texte ?

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D'OÙ VIENT NOTRE DÉSIR D'AGIR ?

D'où vient notre engagement ? qu'est ce qui nous porte à agir ? pourquoi fondamentalement ? Cinq éléments apparaissent dans tous les témoignages :

L'exemple et les rencontres

Cette transmission est toujours directe, à base de contact humain. Ce peut être:

• l'exemple des parents "je suis tombée toute petite dans la marmite laïque. Les gens défilaient à la maison. Il suffisait de les voir vivre".

• l'action éducative de proches : "j'ai trouvé sur mon chemin un curé de village. Dans une situation très difficile, j'ai pu me battre sur des valeurs de dignité, de générosité. J'ai eu des repères".

• des rencontres qui peuvent s'avérer après coup décisives, qui changent le cours de la vie, qui donnent une ouverture sur une approche, qui font partager une vision, l'espoir d'un autre monde. Il existe un ailleurs, qui est déjà là et pas encore là. "J'ai appris que le monde a professionnel et politique n'est pas la réalité ultime"

Le temps de la jeunesse (enfance, adolescence) est particulièrement important pour enraciner de telles rencontres. Nombreux sont ceux ou celles qui veulent apporter leur pierre à la vie sociale, à des relations plus humaines. Mais l'école, contrairement à sa vocation affichée, développe toute une éducation à la compétition qui contrecarre et refoule ces aspirations. Quand l'école développe la coopération (exemple en France de la méthode Freinet), on parvient à des choses étonnantes.

La révolte contre l'inacceptable

Le refus de l'injustice est une cause essentielle pour tous les témoignages, qu'elle soit vécue par soi-même ou par des gens ressentis comme proches. Il peut s'agir d'une injustice subie personnellement, ou de l'injustice à laquelle on est confronté. On réagit souvent à son propre vécu personnel.

Mais l'inacceptable peut être aussi l'expérience de la guerre ("j'ai été conduite par la guerre à des valeurs de solidarité"), ou la conscience forte d'un mensonge, d'une hypocrisie. Les crises sont des moments où on est amené à se situer, à choisir son camp, son attitude dans l'instant. Il ne s'agit pas alors d'un raisonnement froid mais d'une nécessité.

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Un regard optimiste

sur les hommes et sur les choses.

On choisit de résister au nom d'une vision optimiste de l'homme, de l'avenir de la société. La critique de la société actuelle repose sur la confiance en la possibilité d'agir au service du bien commun. De même, dans le domaine artistique, l'action culturelle repose sur une confiance dans les capacités d'expression de chacun.

La connaissance de l'histoire, une vision historique des choses aide à acquérir ce regard optimiste. L'histoire nous guérit d'une vision naïve et linéaire du progrès, car rien n'est jamais acquis. Mais les pires des situations se redressent. On arrive toujours à s'en sortir au milieu du pire.

Une exigence de fraternité, de solidarité

Celle ci découle d'une conception des relations entre les hommes où chaque existence interfère sur les autres, où "le sort de mon semblable ne m'est pas indifférent". Dès lors, "On ne peut pas rester les bras croisés à côté de quelqu'un qui va mal" (solidarité). Mais aussi, "on souhaite faire partager ce qui nous fait vivre" (expression artistique, ouverture culturelle, activités associatives)

Un souci de cohérence entre la pensée et l'action

Le souci de cohérence conduit à mettre ses actes en conformité avec ses conceptions. "Je l'ai fait parce que je ne pouvais pas faire autrement." C'est au nom de cette exigence de cohérence que de nombreux militants se sont éloignés d'une pratique politique faite de promesses avant les élections et de renoncement sitôt après, au nom d'un réalisme à court terme, des intérêts de carrière des élus, de la corruption. Cela ne signifie pas que ces militants aient renoncé aux principes qui les avaient amené à s'engager.

Que peut faire chacun d'entre nous pour contribuer à l'émergence d'un monde plus humain tel que nous l'avons défini ? La nature de l'engagement, la génération, l'histoire, l'enracinement social, idéologique, la conception du monde et la réponse à la question du sens sont très différents pour chacun, mais on constate donc que des convergences sont apparaissent. C'est sur ces convergences, ces invariants qu'on peut asseoir une action commune.

La réponse à cette question est plurielle, car elle touche au sens de la vie. Elles dépend de la diversité de nos histoires, de nos sources philosophiques, religieuses, sociales, nationales, de nos histoires personnelles et familiales. Cette diversité est une richesse qui peut être valorisée. Mais il faut pour qu'elle porte ses fruits la reconnaître en tant que telle et construire cette réflexion en dégageant les principes communs. Dès lors que nous avons pour objectif de bâtir ensemble un monde plus humain, nous pouvons nous référer à un sens partagé, même si par ailleurs nos raisons d'agir ensemble sont diverses.

Dans un mot intraduisible, paraît-il, c'est ce qu'on appelle en France "laïcité". Cela signifie que l'on considère comme positive la confrontation et le dialogue des traditions philosophiques et religieuses par lesquelles chacun donne sens à son existence, et qu'il place au dessus de lui même 18, dans le respect de la pluralité et des consciences.

De même que la solidarité s'exerce à différents niveaux, nous avons à agir à différents niveaux, en tant que citoyen, vis à vis de la collectivité (du local au mondial), des proches (dans les relations

18 René Passet manifeste pour une économie à finalité humaine Le monde diplomatique, février 2001

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interpersonnelles), et vis à vis de nous mêmes (quelles sont les conditions personnels à respecter pour disposer de la disponibilité et de la lucidité nécessaires)

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QUELLE TRANSFORMATION COLLECTIVE ?

Discerner la portée globale de nos actes

Deux questions se posent à tout acteur engagé dans une action collective : "mon action est elle efficace ?". "Mon action est elle significative ?". Se poser ces deux questions revient à réfléchir sur le rôle de l'individu dans l'histoire. Elles sont d'autant plus fortes que les médias nous donnent chaque jour une vision mondiale des évènements, rendant dérisoire l'action de chacun.

"Mon action est elle efficace ?". On peut énoncer trois postulats :

• quoi que je fasse, je ne changerai pas seul le cours de l'histoire. Ma contribution sera de toute façon négligeable.

• Mon action pour autant n'est pas nulle. Je ne peux pas la considérer comme inutile. La vie de l'humanité n'est que la conjugaison des actions de chacun. Chaque goutte, chaque atome est infime, mais signifiant. Il contribue à l'existence du tout.

• Même celui qui ne fait rien agit. Il agit négativement, ou passivement, dans la mesure où il pourrait agir.

"Mon action est elle significative ?". La vie de chacun reproduit les grandes questions que se pose l'humanité. Dans tout acte humain authentique, se joue la révolte de Moïse, la résistance de Gandhi, la révolte de la Commune, la relation de Michel Ange à son bloc de marbre, etc... Chacun d'entre nous vit les grands problèmes de l'humanité. Tout homme porte en lui la forme entière de la condition humaine19. Dans chaque acte porteur d'humanité il est possible de retrouver cette signification.

L'impact de nos actes n'est pas mesurable ni évaluable. Comme en spéléo, "çà continue, et on ne sait pas où çà mène". Avec du recul, chaque acte limité apparaît comme un élément dans une chaîne, dans un réseau d'interactions. Chaque action est reliée aux autres, agit sur les autres dans un sens ou dans un autre. Si nous sommes vivants aujourd'hui, et non simples survivants, nous agissons en bien comme en mal, y compris au delà de notre action visible, par le cheminement de ce que nous avons semé.

Une citoyenneté active

Nécessaire dans une société en réseau…

Être citoyen c'est participer activement à la vie collective, en se considérant comme co-responsable de son avenir. Chacun de nous est citoyen à plusieurs niveaux: un territoire local, une région, un pays, le monde.

19 Montaigne, il y 450 ans

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La crise de la citoyenneté (désaffection de nombreux citoyens pour leur rôle) est liée à celle des valeurs et de la responsabilité. Le sens ne peut se révéler que dans une perspective à long terme, qui éclaire les décisions courantes.

Elle est également liée à un décalage entre les formes de la représentation et l'évolution de la société. La société en réseau, qui accompagne un fort relèvement du niveau de formation des citoyens, suppose des formes participatives de démocratie. Celles ci se sont multipliées depuis 10 ans. Elles montrent que la mobilisation des citoyens est possible dans la durée si les responsables (élus, associatifs) savent développer une attitude d'écoute, trouver les gestes nécessaires pour briser la chaîne des haines et des méfiances réciproques.

...mais qui ne peut être une obligation pour tous

Cependant, chacun doit, sous peine de recréer une oppression, rester libre de participer activement ou non. La démocratie oblige chacun au respect des lois, mais ne suppose pas la vertu de chacun (il n'y a pas de cité sainte). Elle n'oblige pas les consciences. Des formes institutionnelles et représentatives d'exercice de la démocratie restent nécessaires pour permettre l'exercice des responsabilités par délégation, "par le peuple, pour le peuple". Pour assurer les progrès de la démocratie, nous avons à mener un travail pédagogique.

Une pédagogie de la citoyenneté

Quelle pédagogie de la citoyenneté ? Dans la société où nous sommes, le premier stade de cette pédagogie est de permettre aux gens de passer d'une attitude passive à une attitude active, en réalisant leurs désirs. Ensuite, il est nécessaire de faire émerger, par l'explication, en remontant aux causes, les enjeux portés globaux par les activités locales, menées en commun avec d'autres. Enfin, la reconnaissance des différences, l'ouverture sur l'autre est la clé de la créativité. Cette éducation à la citoyenneté s'exerce dès l'école, et dans toute la vie sociale.

Faire reculer la peur

La peur est d'abord un réflexe salutaire, commun à l'homme et aux animaux, en rapport avec l'instinct de conservation. Mais en liaison avec l'angoisse, les logiques de peur deviennent cumulatives, avec une interaction entre l'individu, la société et les médias. Le réflexe premier devient de plus en plus de s'assurer contre le risque, de se protéger de tout ; le traitement sécuritaire se présente comme l'un des axes majeurs des programmes électoraux. Le refus de la mort et de toute forme de risques paralyse progressivement les société développées. Il faut que plus rien d'imprévu n'arrive. Tout devient institué à travers des normes, y compris les gestes infimes de notre vie quotidienne.

Aujourd'hui, au niveau international comme au niveau national, le sentiment d'insécurité va grandissant. En particulier la mondialisation fait peur. L'enjeu de la réflexion du forum social mondial est de prendre en charge la mondialité dans une optique d'alternative à la peur. Pour cela, deux questions peuvent être formulées :

• Symboliquement, cet "homme en danger" n'est-il pas le reflet "d'un homme en échec" ? D'où vient cette peur ? De quoi avons-nous si peur ? Quelle alternative proposer par rapport à un système qui fait de la peur un objet de spéculation ?

• Comment utiliser le principe de précaution pour qu'il conduise agir à long terme, sans être le refus de toute forme de risques ? La lutte contre la peur appelle une réflexion sur la place du risque dans le développement humain et dans l'éducation.

Il nous semble indispensable de nous interroger sur la peur et les moyens de la faire reculer, car ses logiques sont cumulatives et confinent au repliement sur soi, un comportement qui va à l'encontre d'une société plus humaine et plus solidaire. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur les

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nombreuses actions individuelles et collectives de solidarité qui résistent à ce phénomène. Comment les multiplier et réhabiliter dans le même temps la curiosité de la découverte, le plaisir de la création, la richesse du lien social, l'amour, … et l'humour ?

Valoriser les différences

A notre niveau (individuel, politique, professionnel, associatif) comme au plan collectif nous avons tous, pour conjurer la peur, à être lucides sur les logiques d'exclusion, de mépris, parfois de haine que nous développons au nom de nos désirs ou de notre quête de sens. Cette action sur nos comportements devient essentielle dès qu'elle est démultipliée.

Ce faisant, il ne s'agit pas seulement de promouvoir la tolérance ou la cohabitation. Ce qui est en jeu, c'est la reconnaissance de la diversité comme patrimoine de l'humanité, de sa richesse culturelle, historique, ethnologique, philosophique, religieuse. La reconnaissance de cette richesse suppose d'apprendre à vivre ensemble, à aimer les différences de l'autre en tant qu'autre, à respecter ses particularités, ses rythmes, et ses supposées irrationalités, sans y dissoudre notre identité. Cela suppose un travail sur soi, ou, au niveau collectif, un approfondissement de la relation (dialogique) entre identité et sang neuf, entre clôture et ouverture.

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Le "vivre ensemble"

... dans le temps long

Face à une fausse vision de l'autonomie des individus, l'homme a besoin de reconnaître qu'il est membre d'une lignée (il a des ancêtres, des descendants), et qu'il aura un jour à accepter de quitter cette vie pour laisser la place aux générations futures, à l'humanité de demain, à l'espèce humaine en devenir. Une des dimensions de notre action, qui nous sépare du libéralisme, est de porter attention aux générations futures

...dans des réseaux et des groupes

Chacun a également besoin de réseaux (de voisinage, de relations) et de dépendances multiples pour vivre pleinement sa vie dans sa dimension individuelle et collective. Ceux qui luttent pour un monde plus humain peuvent difficilement le faire seuls. Ils ont besoin de groupes où vivre ensemble la recherche d'un bien commun, de lieux qu'il peuvent considérer comme des lieux fraternels, préfigurant la société plus humaine à laquelle ils aspirent.

L'importance de l'écoute et des égards

Pour pouvoir vivre ensemble , il est nécessaire de nous accepter les uns les autres avec nos faiblesses, et nous considérer tous comme inachevés par rapport à un idéal de perfection. Tout homme porte en lui la condition humaine, y compris dans ce qu'elle a de plus négatif. Nul n'est parfait, mais nous pouvons nous entraider à atteindre un niveau plus grand de liberté. Soulignons pour cela l'importance des égards réciproques (lutter contre la parole qui blesse et qui tue), de l'écoute, de la disponibilité au sein du groupe.

La fête

Comme le montre ce forum social mondial la fête est le propre de l'homme libre (par opposition aux petits hommes tristes). Avec la fête, l'expression artistique est essentielle pour vivre ensemble. L'émotion donne la vie, dit le document préparatoire, qui propose de célébrer la vie de la planète terre en combinant différents langages (parole, musique, chant, danse, théâtre, etc...)

Cela vaut pour le travail quotidien. La première citoyenneté des jeunes est souvent culturelle.

Don, pardon et recherche de la paix

Au delà des règles de la vie commune, au delà de l'échange, toutes les spiritualités, tous les systèmes philosophiques montrent que donner et recevoir est nécessaire à une vie pleinement humaine. Le contrat ne suffit pas. Les civilisations africaines nous montrent l'importance du don et du contre-don20

La bonté ne s'oppose pas à une pensée construite, mais parfois la dépasse. La prise en compte de l'autre peut conduire à un mouvement du cœur qui consiste à donner sans compter, à préférer l'intérêt d'autrui au sien propre. En particulier, la compassion pour ceux qui sont dans la peine, l'injustice et l'exclusion est une des premières sources de l'engagement pour un monde plus humain, en actes et non seulement en paroles.

20 cf Serge Latouche L'autre Afrique, entre don et marché Albin Michel 1998

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Le pardon est essentiel pour effacer les guerres, le mal, les insultes. Nous avons à trouver les gestes et les symboles qui permettent les réconciliations, en conciliant le nécessaire devoir de mémoire et le non moins nécessaire devoir d'oubli et de régénération.

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VIE PERSONNELLE

ET CAPACITÉ À AGIR

Nous ne sommes pas seulement définis par notre appartenance sociale, ni par ce qui est interne à nous-mêmes, mais par nos relations, par nos actes, notre appartenance à des communautés, au genre humain.

Cette conception de l'individu s'oppose à celle de l'individualisme, qui considère chacun comme disjoint, séparé, extérieur aux autres. L'individualisme doit être dénoncé comme une idéologie21. Individu et communauté ne s'opposent pas, mais se complètent et se fécondent mutuellement.

Il n'y a pas de hiérarchie entre l'action politique, qui serait plus grande parce que s'adressant à plus de gens, et l'action interpersonnelle, qui serait plus limitée. Ce qui compte, c'est le sens de l'action menée et sa vérité. Certains actes individuels ont une résonance extraordinaire par leur portée symbolique. Comment traduire une vision pleinement humaine dans les relations interpersonnelles ? Quel lien entre les relations interpersonnelles et notre conception de la démocratie ?22

Nous avons à nous entraîner pour répondre à une forte pression de la société (qui nous incite à consommer envier, jouir sans entrave, à être le plus fort, le plus violent, le plus beau, le plus admiré). Une vie personnelle - certains diront une vie spirituelle ou une vie intérieure - n'est pas un luxe mais une nécessité vitale, à la fois pour voir la vie du bon côté, mais aussi pour agir de façon juste.

Ceux qui font un travail militant savent bien qu'il est souvent difficile de trouver le temps, la disponibilité, les conditions matérielles permettant le recul nécessaire pour sauvegarder l'essentiel. La conséquence de notre surcharge est que nous faisons les choses a minima, en traitant les difficultés sans remonter aux causes. Dans cet état de dépassement, nous sommes volontiers critiques, négatifs vis à vis des événements et de ceux qui nous entourent. Et ce regard négatif les fait exister négativement. Comment maîtriser notre vie dans l'univers où nous sommes plongés ? Comment vivre à la bonne heure, sur le bon registre, comment cultiver en nous l'essentiel, et nous armer, pour pouvoir résister et agir ?

La conscience critique

L'apprentissage d'une conscience critique est un combat permanent contre nos tendances à généraliser trop vite, à privilégier le pittoresque, le sensationnel, à raisonner de façon analogique. Les médias poussent en permanence à adopter ce regard superficiel. La conscience critique a aussi

21 Le mythe de l'individu, Miguel Benasayag Éditions La découverte Paris 199922 cf. Ethique du dialogue, un enjeu évolutif, Armen Tarpinian revue de psychologie de la motivation, N° 21 1996

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pour ennemis les passions (la richesse, les positions acquises, à défendre, le goût du pouvoir et des honneurs, l'impulsivité du désir). On ne peut jamais saisir totalement le réel, mais on peut l'approcher avec un regard critique.

Cette recherche implique un regard lucide et optimiste. Lucidité et espérance sont toutes deux nécessaires. Sans lucidité, l'espérance n'est qu'illusion. Sans espérance, la lucidité est vite une forme de désespoir23. Le cœur et la raison sont complémentaires. Ils s'opposent à l'irrationnel et à la peur.

En particulier la connaissance est souvent assimilée au progrès. Mais le "progrès" n'est pas neutre. Il n'est pas assimilable à la science. Les objets de recherche ne sont jamais neutres, surtout s'ils sont payés par des crédits privés. Tout n'est pas bon à connaître ni à explorer , et la passion de la connaissance peut être meurtrière, comme l'a bien dit Einstein.

Un mode de vie et de consommation solidaire

Un européen (ou un américain du Nord, ou un australien) ne peut pas prétendre être solidaire des pays du sud, s'inquiéter du réchauffement climatique, souhaiter un développement durable et continuer à pratiquer les mêmes modes de consommateurs d'énergie, sources de gaspillage et générateur d'échanges inégaux.

Une certaine frugalité peut être recherchée par chacun dans son niveau de vie, afin d'aller vers un mode de consommation durable et accessible à tous. Il suffit qu'une portion des citoyens du Nord infléchisse ses modes de consommation pour faire vaciller le système et obliger à les entreprises de distribution et les gouvernements à faire d'autres choix.

L'accueil de l'autre et la fraternité

Le plein épanouissement des hommes ne repose pas seulement sur le respect mutuel, sur la tolérance. Une chaleur humaine est nécessaire. Nous ne sommes pas seulement des êtres de raison mais aussi de cœur.

C'est pourquoi il est si essentiel de porter attention aux relations de fraternité et de chaleur humaine vécues au quotidien. Cela nous conduit à affirmer que les différences ne sont pas destinées à la compétition et à l'exploitation, mais à la complémentarité, à la coopération, au bien commun. Elles sont source d'enrichissement mutuel et même conditions de la création. Il n'y a pas de création sans la rencontre entre des différences. Notre progrès personnel passe par le combat pour accepter toujours plus l'anonyme, l'autre, celui qu'on ne connaît pas encore.

L'homme n'est pas un objet. Nous avons aussi à lutter, surtout dans l'action collective, contre la tendance permanente à réduire les hommes à des chiffres, des statistiques. La sensibilité aux expériences vécues, le contact direct avec le terrain sont nécessaires pour équilibrer la violence que constitue cette tendance à considérer les humains comme des choses.

Regarder la globalité des choses

Un regard citoyen ne peut pas se confiner dans une approche de spécialiste, confinée à un champ trop restreint. En tant que citoyens nous ne devons pas nous interdire de regarder la globalité des choses. Le système dominant interdit la connaissance du tout, au nom de la complexité des choses, confinant les hommes non dirigeants à une vision parcellaire, alors que la complexité exige justement une vision globale. ,Pour cela, il faut remonter aux causes. L'éducation à la citoyenneté consiste à dégager peu à peu, à travers les enjeux des situations vécues, les principes fondateurs de toute action humaine.

23 cf les deux livres clés que sont "Le principe espérance",de Ernst Bloch, et "Le principe responsabilité", de Hans Jonas. C'est la conclusion du beau livre de Jean Chesneaux "Habiter le temps", Bayard Éditions Paris 1996

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Mais la confrontation à l'expérience est également nécessaire. Désincarné, le trop global conduit souvent à une vision mécanique des choses, génératrice de fatalisme. La prise en compte d'actions exemplaires, porteuses d'humanité est indispensable pour tempérer le pessimisme d'analyses trop globales qui conduisent au fatalisme. C'est par exemple le rôle que joue l'expérience du budget participatif de Porto Alegre pour de nombreuses collectivités dans le monde.

Choisir nos conditionnements

Pour appréhender le réel, on est toujours conditionné par ce qu'on lit, ce qu'on entend, avec qui on débat. Nous sommes conditionnés par les médias, par un flot d'informations continues et surabondantes, un rythme de vie instantané. Mais on peut choisir ses conditionnements. La recherche de la réalité peut être orientée par ce qui nous anime. dans la recherche et l'ouverture personnelle.

Il est essentiel de garder des temps de débat sur la signification des événements, l'articulation des idées: l'analyse doit périodiquement se renouveler, s'ouvrir aux idées nouvelles. C'est une condition pour approfondir notre logique interne. Les obstacles : répéter des vérités toutes faites, fonctionner en petites chapelles, s'assoupir sur des analyses justes en leur temps, mais dépassées.

La continuité et les rythmes du temps

La société en réseau incite chacun à être mobile. Le héros de la cyber-cité est celui qui sait abandonner ses amis pour créer une start-up, être employable pour le bon projet. Cette perpétuelle fuite en avant est une fuite de la réalité, une fuite du temps. Comme on l'a vu, la société des réseaux développe un temps instantané, atomisé, où l'échelle est la nanoseconde, qui engendre une angoisse : comment se situer si le temps nous prive de perspectives, si seul compte le projet dans l'instant ?

On peut combattre cette angoisse en valorisant au contraire la continuité, le respect de la parole donnée, la possibilité d'un engagement dans la durée, au regard d'un projet de transformation collective qui s'inscrit lui même dans le long terme.

Il est essentiel de briser le cercle vicieux, de perdre du temps pour se reposer, pour jouer, pour voir les choses autrement, de laisser de coté tout le bric à brac des soucis, stress, préoccupations,... Pour cela, nous pouvons, comme on l'apprend dans les cours de management, "dire non une fois de plus par jour", savoir refuser, ne pas répondre à tout. Nous pouvons choisir l'essentiel car l'urgent peut souvent attendre.

Cela est nécessaire pour rester ouvert à la beauté des choses, à la portée de gestes cachés, en apparence inefficaces. Le recul permet d'éveiller notre regard à ces réalités.

Le recul et la prise de distance

Des temps de recul sont très utiles pour garder une distance par rapport au tourbillon du quotidien. Des temps de silence permettent de retrouver l'essentiel. Ils peuvent commencer, comme le dit le moine tibétain, par "respirer 21 fois en étant seulement attentif au mouvement de l'air dans ses narines, et en restant droit pour laisser descendre en soi les perturbations et les voix discordantes". Et on s'aperçoit que les arbres bougent, que le vent fait vibrer les couleurs d'automne, toutes choses qui étaient masquées par notre agitation.

Méditer, penser, prendre du recul, c'est se tourner vers ce qu'on regarde, discerner ce qui est plus grand et plus petit, et mieux voir l'essentiel. Les événements collectifs et les personnes, ont besoin,

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pour trouver leur sens, d'un regard distancié, c'est à dire d'une objectivité qui n'oublie pas l'essentiel". Cet éveil à la réalité ouvre à une autre manière d'agir et à la maîtrise des pulsions.

Ce recul peut prendre des formes diverses selon le langage du sens de chacun. Il ne s'agit pas ici de comparer les voies de sagesse ou de méditation offertes par les différentes écoles mais de souligner le lien entre un regard distancié, un effort pour voir, et la capacité de chacun à transformer la société.

Des groupes de parolesCe travail est difficile à faire seul. C'est pourquoi il est proposé de constituer des petits groupes de parole qui permettent à chacun de confronter son mode de vie des principes communs afin de pouvoir se libérer des conditionnements, des consommations et de la peur, et devenir « libres malgré les barreaux ».

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CONCLUSION : L'ÉDUCATION,

L'ARME LA PLUS PUISSANTE

Nelson Mandela a dit : "l'éducation est l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour transformer le monde". On sait l'importance de l'éducation pour la démocratie, le développement, l'émancipation des femmes. Au niveau d'une société, un projet éducatif se confond avec un projet de transformation collective : mais quelle école pour demain dans la perspective d'une société solidaire ? Quel projet éducatif pour qui veut favoriser la transformation personnelle ?

Nos sociétés en réseaux sont fragiles. Leur renforcement ne peut faire l'économie d'une culture de l'échange d'idées, d'opinions, et de sentiments. C'est l'émergence d'une culture de l'échange et du débat qui permet de faire évoluer de manière durable nos représentations et nos croyances. L'apprentissage au dialogue est un outil au service de la démocratie : il concrétise le principe d'égalité entre les humains. Encore faut-il permettre à chacun d'accéder à ce dialogue d'une part, en y étant préalablement formé d'autre part.

Tout ce qui précède constitue le fondement d'un projet éducatif : comment préparer les citoyens de demain aux défis qui les attendent ? Comment leur permettre d'inventer une nouvelle étape de l'aventure humaine ? Ce projet éducatif ne peut s'appuyer que sur une réforme des mentalités qui en appelle à la capacité transformatrice de chacun d'entre nous (développement de l'écoute, de l'accueil des arguments de l'autre, d'attention, de compréhension, de confiance réciproque, …).

Il s'agit là, tant au niveau individuel que collectif, d'un vaste chantier car, nous le savons, les mentalités sont ce qu'il y a de plus difficile à faire évoluer. Or l'urgence est d'autant plus grande que, justement, leur évolution est beaucoup plus lente que celle du progrès scientifique (tout particulièrement génétique) et technologique, qui, si nous n'y prenons garde, pourrait nous dépasser et "se mettre à décider de nos vies".

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Table des matières

Quels citoyens pour construire

un monde à finalité humaine ?

PREMIÈRE PARTIE : UN BESOIN URGENT D'HUMANITÉ 5

1 DES ÉVÉNEMENTS RÉVÉLATEURS 6

2 DES MUTATIONS TRÈS RAPIDES 8La révolution de l'information et du vivant 8La mondialisation libérale 9Le basculement démographique. 9L'émergence d'un monde en réseau 9

3 L'AVENIR DE L'HUMANITÉ EN QUESTION 13Pauvreté et inégalités 13

L'écologie de la planète et l'espèce humaine menacées. 14Fragilité d'un monde interconnecté 15Le recul de la démocratie et des libertés 15Un système dominant vide de sens, générateur de violences 16

2ème PARTIE CONSTRUIRE UN MONDE SOLIDAIRE,RETROUVER LE SENS DE L'ACTION COLLECTIVE 19

1 LA MULTIPLICATION DES ACTIONS PORTEUSES D'HUMANITÉ 21

LA QUESTION DU SENS 23Le sens : un mot à définir 23Une multiplicité d'interprétations 24L'interdépendance entre les êtres humains 25Le sens est lié à la cohérence 26entre la pensée et l'action 26Tous nos actes sont porteurs d'humanité 27

QUELLES CONVERGENCESDANS L'ACTION COLLECTIVE ? 28

Droits de l'homme et dignité humaine 28Favoriser l'épanouissement des personnes 29La maîtrise des désirs et des passions 30La reconnaissance de l'ennemi intérieur 31Une attention au long terme et aux générations futures 32Besoins fondamentaux et partage des richesses 32Les progrès d'une société toujours inachevée 34La solidarité comme égalité et fraternité 36

3ème PARTIE : QUELLE TRANSFORMATION PERSONNELLE TOUT AU LONG DE LA VIE ? 37

D'OÙ VIENT NOTRE DÉSIR D'AGIR ? 38

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L'exemple et les rencontres 38La révolte contre l'inacceptable 39Un regard optimiste… 39Une exigence de fraternité, de solidarité 39Un souci de cohérence entre la pensée et l'action 39

LA PARTICIPATION AU TRAVAIL COLLECTIF 41Discerner la portée globale de nos actes 41Une citoyenneté active 42Faire reculer la peur 43Valoriser les différences 44

LES RELATIONS INTER PERSONNELLES 45L'accueil de l'autre et la fraternité 45Le "vivre ensemble" 46Don, pardon et recherche de la paix 47

4 VIE PERSONNELLE ET CAPACITÉ À AGIR 48La conscience critique 48Regarder la globalité des choses 49Choisir nos conditionnements 49Un mode de vie et de consommation solidaire 50La continuité et les rythmes du temps 50Le recul et la prise de distance 51

CONCLUSION : L'ÉDUCATION,L'ARME LA PLUS PUISSANTE 53

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Ce document a été rédigé pour la préparation du séminaire "transformation personnelle, transformation collective" du forum social mondial de Porto Alegre. Son résumé a été abondamment diffusé dans les 4 langues du forum, mais n'a pas servi de trame au séminaire lui-même, centré sur dune démarche "théâtre de l'opprimé" et la découverte mutuelle des participants français et brésiliens. Il a en revanche été à la base de la rencontre avec l'IDH (Instituto de Humanizaçào) qui a fortement inspiré la démarche de création de RECIT.

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Didier MINOT, ingénieur agronome de formation, a été directeur de l'École des territoires de Rambouillet, lieu de formation et de recherche appliquée pour un développement local participatif, durable et solidaire. Il est président de RECIT (réseau des écoles de citoyens) qui rassemble des actions locales porteuses d'éducation émancipatrice et des organisations citoyennes pour promouvoir une éducation émancipatrice et faire un travail sur les méthodes et les valeurs d'une éducation à la liberté et à la solidarité

Edité par RECIT www.recit.net

RECIT (réseau d’écoles de citoyens) [email protected] 15 avenue Robert Fleury 78 220 VIROFLAY (France)

Participation aux frais : 4 euros

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