1 ESTERLE Décrochage De quoi parle-t-on scolaire... · de quoi parle-t-on ? Séminaire Prévenir...

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Le décrochage scolaire, de quoi parle-t-on ? Séminaire Prévenir et lutter contre le décrochage scolaire Université de la Réunion 29-30 octobre 2013 Maryse Esterle Université d’Artois, CESDIP-CNRS

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Le décrochage scolaire, de quoi parle-t-on ?

Séminaire

Prévenir et lutter contre le décrochage scolaire

Université de la Réunion 29-30 octobre 2013

Maryse Esterle

Université d’Artois, CESDIP-CNRS

eLes élèves transparents,Presses universitaires du Septentrion,

Villeneuve d’Ascq, 2007.

Deux recherches action :Pour la prévention de l’absentéisme et du décrochage

scolaire dans des lycées parisiens, 2007-2009Maryse Esterle, Etienne Douat

Suivi de l’accueil réussite éducative Pelleport Paris 20e

2011-2012Maryse Esterle, Thomas Pierre

Une recherche :

Les arrêts de scolarité avant 16 ans, étude des processus

sur la ville de Roubaix

Une étude

Etat des lieux des dispositifs relais, en vue de la mise en place d’une cellule de veille éducative,

2003-2004

Deux enquêtes

Quelques définitions

• ABSENTÉISME : absences répétées (4 ½ journées dans le mois) et non

régularisées.

• DÉCROCHAGE SCOLAIRE : Situation de jeunes sortis du système scolaire

sans diplôme de niveau V ou supérieur. Processus de sortie plus ou moins

long et multifactoriel qui n’est pas nécessairement marqué par une

information explicite entérinant la sortie de l’institution.

• DÉMISSION : départ volontaire de l’élève, après l’âge de 16 ans.

• EXCLUSION : « acte par lequel une autorité reconnue vous démet de vos

fonctions ».

• DÉSCOLARISATION : situation de jeunes de moins de 16 ans hors du

système scolaire.

La société française en évolutiondepuis les années 1960

• Développement de la société de consommation et du crédit (quasi pleinemploi),

• “Avoir” pour “être”: les medias font vendre ! L’envie devient besoin.

• Baisse d’influence des organisations collectives (partis, syndicats, religion)

• Nouvelle place des jeunes dans la société française et sur le marché (adolescents, baby boom),

• Décolonisation et arrivée de nouvelles vagues migratoires

• Développement d’une petite délinquance de proximité.

A partir des années 1970

• Développement. du chômage et de la précarité,

• Evolution des formes familiales et de l’autorité(du père au couple),

• Massification de l’enseignement.

La massification de l’enseignement c’est :

• L’accroissement de la population scolarisée : 14 millions

d’élèves et d’étudiants,

• La hausse du nombre de diplômés :du CAP au baccalauréat

Mais c’est aussi

• La persistance d’inégalités sociales au sein de l’école ,

corrélées avec des inégalités scolaires.

La place de l’école

• Le niveau scolaire général des jeunes s’est élevé,

• Mais les difficultés scolaires ont un impact plus important qu’auparavant sur l’avenir social et professionnel,

• Et tandis que se maintient l’illusion d’une égalité de chances, l’échec scolaire devient un échec personnel.

Les objectifs de l’école

Adapter l’élève au monde du travail (paradigme dit « industriel »)

ou

Privilégier son développement personnel

(paradigme « existentiel ») ?

Bertrand et Valois, 1992, Ecole et sociétés, Ottawa, Editions Agence d’Arc.

“Echec scolaire”, l’école pour tous ?

- Décalage entre le “capital culturel ” des familles (diplôme des parents,

pratiques en adéquation avec l’école, ambition scolaire, confiance en

l’école…) et la culture scolaire/savante (Bourdieu, Passeron).

- Ce décalage, plus important en milieu populaire, induit des processus de

sélection.

- Cette sélection sociale ne dit pas son nom, mais est “naturalisée” : les

meilleurs seront “les plus doués”, “les plus motivés”, les plus “méritants”.

Le métier d’élève*

• Assiduité et ponctualité,

• Acceptation du travail demandé (la

transgression en est le « refus de travail »,

• Comportement général et acceptation des

exigences diverses : lever la main pour

répondre, apporter le matériel et les tenues

adéquates…• Philippe Perrenoud, métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF, 2004

Le décrochage scolaire est un phénomène multifactoriel

Il met en cause des facteurs externes et des facteurs internes

à l’école.

Les enjeux du décrochage scolaire

• Risque d’arrêt de scolarité,

• Difficultés d’intégration socioprofessionnelleultérieure ou intégration précaire,

• Les grossesses adolescentes,

• L’isolement des jeunes en famille,

• L’errance (perte de contacts familiaux et sociaux, rue),

• Les actes délinquants (participation à des groupes de pairs, bandes etc).

Le sentiment d’inutilité sociale

L’expression des difficultés des élèves:

AbsencesRapport aux savoirs

PerturbationsDémobilisation

Décrochage…

Des cas de figure variés

• Echec ou grandes difficultés scolaire, absences pour échapper à la confrontation aux apprentissages (et aux mauvaises notes),

• Orientation insatisfaisante,

• Choix des cours en fonction de l’emploi du temps, de l’intérêt pour la matière ou l’enseignant, des coefficients,

• Stratégies de préparation aux examens,

• ….

Des facteurs personnels/familiaux

• Les horaires des parents/adultes ne sont pas toujours

synchronisés avec ceux des enfants (travail tôt le matin ou

tard le soir)

• Le jeune est peu suivi en encadré par ses parents/famille

(faiblesse du contrôle parental)

• Il-elle prend en charge sa propre famille (frères et sœurs),

• Il-elle travaille (petits boulots),

• II-elle se sent en insécurité à l’EPLE (menaces, violences , etc.),

• Il-elle se sent découragé-e, voire déprimé-e,

• ….

Des élèves quelquefois seuls pour gérer leur vie quotidienne

Ils se couchent tard…

Et ne se lèvent pas à temps le matin,

Ils consomment quelquefois des produits psychotropes,

Ils « traînent » entre eux ou chattent sur Internet…

(attraction du groupe de pairs)

Ils ne font pas toujours le lien entre leur

comportement, leurs choix du moment et les

conséquences ultérieures de ceux-ci.

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Du parent usager au parent partenaire?

Différents rapports à l’école : • Les parents qui confient l’enfant à l’école,

(démissionnaires ou trop confiants ?)• Les parents de « bonne volonté » mais qui ne savent pas

comment faire,• Les parents dominés ou découragés qui n’osent pas

intervenir,• Des parents (autoritaires ou angoissés) qui surchargent

leur enfants d’exigences,• Les parents familiers de l’éducation (capables d’échanger

avec les enseignants à même niveau, voire de les critiquer)

• Lettre d’information de la Veille scientifique et technologique n° 22, nov 2006 INRP, Les parents et l’école.

Plus que par la forme de la famille, l’attitude parentale est déterminée :

• Par le bien-être des parents, mis à mal par le

chômage, la précarité et le stress et la

déstabilisation psychologique qui en résultent,

• Par les réseaux et le soutien intrafamilial ou

extérieur dont ils disposent.

Les absences des élèves

Certaines absences (mais pas toutes) peuvent être révélatrices d’un processus

de décrochage scolaire, qui peut lui-même mener à l’arrêt de la scolarité sans

diplôme.

Mais beaucoup d’absences sont le fait d’élèves ambivalents par rapport à la scolarité,

Ils s’absentent, ne se mobilisent pas sur les apprentissages, mais ne veulent pas l’arrêter

définitivement.

A quoi ça sert l’école ?

Quatre postures se dessinent :

• L’utilisation pragmatique au système scolaire : travailler pour passer, en vue d’un examen…

C’est le rapport au savoir le plus courant.

• L’objectivation des savoirs

Les savoirs permettent de comprendre le monde, produisant une réflexivité. Ils sont médiateurs entre le sujet et le monde.

• L’accrochage et le volontarisme : le travail scolaire est une conquête permanente, une issue de sortie, un objet de défi.

• L’imbrication : la scolarité est vécue comme une série de contraintes, de tâches scolaires imposées par les maîtres, l’élève est très dépendant de la situation scolaire et essaye de se conformer à ce que dit l’enseignant.

Ces élèves n’arrivent pas à faire ce qu’on leur demande et cherchent à se raccrocher à des situations concrètes.

A l’école ou au collège, pour les élèves en difficultés, les disciplines sont perçues comme juxtaposées, sans sens.

Distinction entre tâche et activité scolaire.

Un exemple de rapport au savoir de type “imbrication”

• Classe de 5e, consigne du professeur de

mathématiques à une élève qui n’a pas appris

sa leçon :

• Tu donneras 10 fois la définition d’un nombre

entier,

• Tu écriras 10 fois : qu’est-ce qu’un nombre

pair ? et

Qu’est-ce qu’un nombre impair ?

Certains élèves en très grande difficulté scolaire apparaissent comme

« perturbateurs »

• Les résultats faibles induisent un comportement « hors-normes »,

• Les élèves ne savent pas (ne peuvent pas ) faire état de leurs difficultés,

• Injonction à « changer de comportement », en espérant ainsi les faire accéder aux apprentissages,

• Escalade de sanctions, stigmatisation, éviction,

• Retrait de l’élève (absentéisme) ou exclusion, affectation dans un autre établissement, répétition du processus.

Maryse Esterle-Hedibel, Les élèves transparents, Presses universitaires du Septentrion, 2007.

D’autres sont plus en retrait

• Les résultats scolaires peuvent être bons (ni échecmassif ni retard),

• La source des difficultés réside à l’extérieur : prise de responsabilités familiales (filles), violences, pauvreté, absence d’échanges,

• Elles ne sont pas détectées ou prises en compte dansl’établissement scolaire ou à l’extérieur,

• L’élève ne perturbe pas les cours ou très peu, ils’éloigne de l’école (absences massives vers l’arrêt de scolarité).

Un seul des facteurs cités ne suffit pas à expliquer le passage d’absences

vers l’arrêt de scolarité sans qualification ou sans diplôme.

• C’est le croisement de plusieurs facteurs qui peut y mener,

d’autant plus

• Si les personnels scolaires et les familles ne les

perçoivent pas comme facteurs de risque et

sujets de prévention,

• Et si les élèves manquent de guides, de points

de repères et d’interlocuteurs.

Des points d’appui pour prévenir le décrochage

scolaire

La motivation

• La motivation « est liée à une situation de

tension. L’individu perçoit la situation actuelle

comme non satisfaisante et peut imaginer une

situation future dans laquelle la situation

serait devenue satisfaisante » (obtenir un

diplôme par ex)

Raynal, Rieunié, 238.

Soutenir la motivation

• Le besoin de compétence (signifiant se sentir capable de),

• Le besoin d’autonomie (signifiant se sentir à l’initiative de ses actes),

• Le besoin de lien (signifiant se sentir soutenu, aidé par les autres).

Filisetti et al., 2006, Les buts sociaux de l’élève, leurs causes et leurs conséquences à l’école, Revue française de pédagogie n°155, p 45-56.

L’effet Pygmalion

Les progrès sont meilleurs quand les attentes sont plus élevées,Pour qu’un élève réussisse, il faut que le professeur « y croie ».

Développer le sentiment d’appartenance

Le fait de se sentir bien ou chez soi à l’école, le fait de se sentir utile au groupe et solidaire des autres constituent des indicateurs du sentiment d’appartenance d’une personne.

Plus un individu a un fort sentiment d’appartenance à ungroupe, plus il a tendance à adopter les valeurs, les normeset les règles de conduite de ce groupe.

( Boucher L.P., Morose J., Responsabilisation et appartenance : la dynamique d’un projet

éducatif, Revue des Sciences de l’Éducation, 16, 3, 415-431.1990, 417).

Et le plaisir de vivre ensemble

Quelques préconisations*

Climat de travail

Climat relationnel et éducatif

Climat organisationnel et de justice

* Esterle-Douat Recherche action prévention du décrochage Paris 2007-2009

Climat de travail

• Renforcer les apprentissages,

• Travailler la méthodologie,

• Diversifier les pédagogies,

• Travailler les aspects de la motivation,

• Organiser l’aide aux élèves en difficultés,

• Développer le travail en équipe

• …

Renforcer les apprentissages

• Un élève en échec risque de « décrocher »,

• En mettant l’accent sur les apprentissages,

l’établissement clarifie sa mission auprès de

ses usagers et donne un sens au règlement

intérieur.

• Ex : dispositif maîtrise de la langue et lutte

contre l’illettrisme (Paris).

Une réflexion sur la pédagogie

• Le travail d’équipe entre enseignants permet

de mettre en commun les difficultés

rencontrées, d’aider les débutants, de réfléchir

à l’évolution des élèves, à « ce qui marche » et

« ce qui ne marche pas »…

• Il permet de lutter contre le découragement,

le sentiment d’impuissance, voire le

décrochage des profs…

Climat relationnel et éducatif

• Développer les relations adultes-élèves,

apaiser les relations,

• Mettre en place un tutorat (relations

individualisées),

• Développer des espaces de convivialité et des

espaces périscolaires

• …

L’attention bienveillante

• Plus la relation avec les élèves est chaleureuse et encourageante, moins le risque de décrochage est présent*,

• Donner un statut à l’erreur comme étape dans les apprentissages et non pas comme « faute », permet de relativiser « l’échec » et la perte de confiance en soi qui en résulte.

• *(Fotinos, Janosz et Leblanc)

Climat organisationnel et de justice

• Revoir le règlement intérieur comme une charte de vie,

• Prévoir une gradation de traitement entre mineurs et majeurs (et enfants-adolescents),

• Revoir les sanctions contre-productives (exclusions), le traitement des retards et des absences,

• Construire des règles claire, structurantes et applicables.

Les facteurs externes

Organiser des actions de prévention à long terme sur :

• Les rythmes jour/ nuit (sommeil)

• L’alimentation (en prévoyant des points de

restauration dans l’établissement),

• Les substances psychotropes (alcool, drogues

etc)

• Les écrans (internet, télé etc)

La relation avec les familles

• Renforcer la relation avec les familles : faciliter leur venue à l’école (horaires, disponibilités),

• Expliciter le sens et les modalités de la scolarité,

• Développer les moments festifs, rituels de début ou de fin d’année permettant aussi de rencontrer les familles / parents,

• Faire venir les parents quand l’élève fait des progrès!

Utiliser les ressources existantes

• Elles sont nombreuses !

Dans les établissements scolaires

• Equipes relais,

• Commissions éducatives,

• Dispositifs relais (classes et ateliers) ;

• Service d’aide à la scolarité (SAS), Amiens ;

• Parcours personnalisé de réussite éducative (PPRE)

• Mission de lutte contre le décrochage scolaire - MLDS, ex MGI

• Groupes d’aides à l’insertion (GAIN) ;

• CIO, Conseillers d’orientation psychologues ;

• Dispositifs de socialisation et d’apprentissage (DSA, académie de Paris) ;

• Dispositif maîtrise de la langue (Paris)

• …

Assurer la continuité

• Une question cruciale : celle du retour dans

les établissements des élèves qui vont dans

des dispositifs alternatifs ;

• Maintenir les liens avec les élèves pendant

leur séjour dans le dispositif et organiser les

conditions de leur retour est une garantie

pour leurs possibilités d’évolution.*

• *Esterle, recherche action accompagnement Accueil Réussite Educative Pelleport, 2012.

Pour les jeunes hors obligation scolaire

• Mission de Lutte contre le décrochage scolaire - MLDS, ex MGI générale d’insertion ;

• Plates-formes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD)

• Missions locales,

• Centres d’information et d’orientation,

• Parcours de réussite éducative,

• Micro-lycées ;

• Ecoles de la 2e chance,

• Pôle innovant lycéen (Paris)

• Collège et lycée élitaires pour tous (CLEPT, Grenoble)

• …

Le travail en partenariat

Développer les relations avec les ressources locales : associations d’éducateurs, travailleurs sociaux, Points écoute jeunes, associations de quartiers, dispositifs de réussite éducative, etc.

Une méthode…

• Quel que soit le dispositif ou la démarche

adoptés, c’est plus la mise en œuvre qui est

prépondérante que la forme du dispositif lui-

même : travail d’équipe, attention

bienveillante aux élèves, droit à l’erreur,

implication des parents, action dans la durée…

Ce que nous apprennent les élèves en décrochage

• L’école n’est pas une évidence pour tout le monde ;

• Ce qu’un élève ne comprend pas, il ne le fait pas, ou il le fait mécaniquement et cela ne marche pas ;

• Les élèves sont aussi des enfants, des adolescents ou des jeunes adultes ;

• Le décrochage et son traitement révèlent des objectifs et des fonctionnements de l’institution ;

• Tous les professionnels ne partagent pas les mêmes analyses sur la question ;

• A processus multifactoriel, réponses multiples et croisées ;

• Les processus de changement sont longs et interactifs…

Repères bibliographiques

• Douat Etienne, L’école buissonnière, Paris, la Dispute, 2011

• Esterle Hedibel Maryse, Les élèves transparents, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du

Septentrion, 2007

• Esterle,Maryse, Etienne Douat : Synthèse de la recherche action Pour la prévention de

l’absentéisme et du décrochage scolaire dans des lycées parisiens, 2007-2009

• Glasman Dominique, Oeuvrard Françoise (dir), La déscolarisation, Paris, La Dispute, 2011

• GOÉMÉ Ph., HUGON M.A., TABURET Ph., 2012, Le décrochage scolaire, des pistes pédagogiques pour

agir, Scéren, CNDP, CRDP, Collection « Repères pour Agir ».

• Huerre Patrice (dir), L’absentéisme scolaire, du normal au pathologique, Paris, Hachette, 2006

• Longhi Gilbert, Guibert Nathalie, Décrocheurs d’école, Paris, La Martinière, 2003

• Millet Mathias, Thin Daniel, Ruptures scolaires, Paris, Presses universitaires de France, 2005