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Du même auteur

Le Démon du silencePerret-Gentil, 1981

Vie et mort d’un vieillardPerret-Gentil, 1983

Les Îles au nord du mondePerret-Gentil, 1985

Cuivre érableNemo, 1993

Fièvres dans la nuitSaint-Germain-des-Prés, 1996

Saint-PétersbourgLes Guides noirs, 1998 et 2000

MoscouLes Guides noirs, 2000

La Voile noire.Aventuriers des Caraïbes et de l’océan Indien

Favre, 2006

Pulpa negraNemo, 2008

Journal d’un naufragéNemo, 2008

CosaquesNemo, 2009

Otchi TchornyaCoups de tête, 2010

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NIGRIDAROMAN

MIKHAÏL W. RAMSEIER

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Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication, et la SODEC pour son appui financier en vertu du Programme d’aide aux entreprises du livre et de l’édition spécialisée.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Gouvernement du Québec — Programme de crédits d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC

Conception graphique de la couverture : Marc-Antoine RousseauConception typographique : Nicolas CalvéMise en page : Marie BlanchardRévision linguistique : Luc BarangerCorrection d’épreuves : Pierre-Yves Villeneuve et Fleur Neesham

© Mikhaïl W. Ramseier et Les 400 coups, 2011

Dépôt légal — 1er trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

ISBN 978-2-89671-012-6

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Tous droits réservés

Imprimé au Canada sur les presses de Transcontinental Métrolitho.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Ramseier, Mikhaïl W. (Mikhaïl Wadimovitch), 1964-

Nigrida ISBN 978-2-89671-012-6

I. Titre.

PQ2678.A48N53 2011 843.914 C2011-941411-2

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À ma femme

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« Eh bien, tâchez d’en trouver de la liberté. Comme dit l’autre, ta liberté

dépend du fric que t’as pour la payer. »

John Steinbeck

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À lire en écoutant :

Les musiques citées tout au long de l’histoire constituent la bande sonore, et le détail de la play-list est donné en fin d’ouvrage. Le livre a principale-ment été écrit à l’écoute des albums Blanat et Nino and Radiah, de Nino Ferrer, ainsi que Manitoba ne répond plus — Suite instrumentale, de Gérard Manset.

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PREMIèRE PARtIE :

L’Épistolier

(La nuit du corbeau)

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CHAPItRE PREMIER

Le vieux est assis seul à sa table depuis des plombes. À écrire, à trier des papiers. Autour de lui, entassées en piles plus ou moins hautes, des feuilles disparates s’étalent jusque sur les chaises. On dirait le bureau bordélique d’un archiviste, sauf que là on est au bistrot, ce qui ne manque pas de surprendre quand on arrive de l’extérieur. C’est une salle ouverte sous des arcades ; ça donne directement sur la rue de l’Indépendance.

Avachi sur sa table dépolie, entre une tasse de café vide et une carafe d’eau citronnée qu’il fait remplir de temps en temps, le vieux, quand il n’est pas penché sur le papier avec sa plume courant à toute vitesse, semble chercher une feuille précise dans un de ses tas, ou alors il en range une autre à tel endroit du paquet, ou encore regroupe certains feuillets d’une pile, puis d’une autre, faut voir le boulot de classement qu’il abat !

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Tout en sirotant mollement son café, Hippo-lyte lorgne le vieux du coin de l’œil. Il observe son manège à la dérobée, tout en se demandant ce qu’il peut bien bricoler avec tous ces papelards. Un écri-vain, un chercheur, un prof… Pourtant, avec sa dégaine négligée il fait plutôt penser à un pauvre type en perdition : des cheveux trop longs et filasses, couleur gris sale à jaune pisseux, des ongles de deux à trois centimètres, tout ébréchés, des lunettes de lecture rapiécées, une chemise froissée d’un blanc douteux. En clair, le vieux n’a rien d’un agrégé d’his-toire révisant les thèses de ses étudiants…

Il est neuf heures, ce dimanche 24 janvier, et la chaleur monte dangereusement. La journée s’an-nonce pénible et Hippolyte redoute le pire. Il se sent collé au dos de sa chaise. Remonter se prendre une douche… et après ? Le temps d’enfiler une liquette propre et il sera à nouveau trempé. Pas la peine. Dans ces cas-là, faut prendre son mal en patience et éviter de trop y penser, ça donne encore plus chaud. La grande différence entre le chaud et le froid, c’est que la chaleur, tu peux rien faire contre. Ni boire, ni t’éventer, ni te mouiller, ça changera rien si c’est vraiment l’étouffée. Même la clim, elle montre vite ses limites, t’as qu’à voir dans une bagnole quand le soleil cogne vraiment sur la carlingue… Tandis qu’avec le froid, y a toujours moyen. Tu peux enfi-ler douze pulls et te réfugier sous une tonne de couvrantes, picoler ou sauter sur place. Pas l’idéal, d’accord, mais tu peux combattre, t’as pas cette sensation d’impuissance.

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Une fois, à Hong-Kong, avec 48 degrés et 98 % d’humidité, Hippolyte se souvient qu’il transpi-rait même sous la douche ! Noyé sous des gerbes de flotte fraîche, il avait remarqué une pellicule huileuse sur sa peau, la sueur continuait de suinter de ses pores… Ensuite, évidemment, pas moyen de s’essuyer convenablement, la peau restait trop grasse et fallait passer et repasser la serviette pour obtenir un semblant de séchage. Le seul truc, dans ce cas-là, c’était de s’allonger sous le ventilo ou de pousser la clim à bloc en attendant que la peau sèche. Mais de toute façon, dès le premier effort, comme d’attacher ses godasses ou d’enfiler sa veste, il sentait la trans-piration recommencer. Quand il arrivait dans la rue, en sortant de l’hôtel ou d’un immeuble clima-tisé, il recevait en pleine gueule une monstrueuse bouffée de chaleur dès le passage de la porte. C’était physique, palpable, un truc épais et étouffant qui plombait l’atmosphère.

Et puis, concernant Hippolyte, y a un truc, c’est qu’une fois qu’il a pris chaud, voilà, plus moyen de récupérer, à moins d’un nouveau cycle fraîcheur, avec repos, douche et change de fringues. Pour certains, une fois qu’ils ont pris un coup de chaud, suffit de se calmer un moment, de laisser redescendre la température, et ils peuvent repartir comme en 40. Mais lui, non. Une fois transpirant, c’est lessivé, qu’il est, pour le reste de la journée. Alors, dès le réveil, il prend bien garde à rester clean : il se lève, se douche, s’habille, bouge le moins possible, évite le contact direct du soleil, recherche la clim dans les bagnoles

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et les locaux. Ça tient jamais très longtemps, mais il fait ce qu’il peut pour ne pas suer trop vite. Parce qu’après, bonjour l’ambiance… se traîner comme une larve avec la peau moite et les habits poisseux, c’est pas franchement jouissif, surtout quand tu dois bosser, voir des gens, passer dans des bureaux où tout le monde est nickel.

En tout cas le vieux, lui, l’a pas l’air incommodé : chemise boutonnée jusqu’au col, manches longues, à vue de nez, pas transpirant pour un sou. Doit avoir l’habitude. Hippolyte, depuis deux jours qu’il vient ici pour entamer sa journée, il le voit toujours à la même table, à faire la même chose. Inamovible. Depuis combien d’années il est scotché là, ce vieux ? Et qui est-il, d’abord ? Un ancien fonctionnaire fran-çais, un colonial en retraite ? En tout cas, il a pas l’air d’un touriste, c’est sûr.

Hippolyte appelle le serveur pour lui comman-der un nouveau café. Pas très sain, caoua sur caoua, mais quoi d’autre ? Le thé, court pas après, les trucs sucrés ou la bière, en matinée, franchement dégueu, quant à la flotte, même fraîche…

— Vous êtes Français ? lui demande le serveur en posant la tasse sur la table.

— Suisse.— Ah ? dit le loufiat avec un air un peu déçu. De

Genève ?— Oui.— Vacances ?— Non, boulot.

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Le larbin, une sorte de blanc-bec insipide à l’air satisfait et monté sur ressorts, lève un sourcil tout en déposant la tasse sale sur son plateau.

— Boulot ? Et vous faites quoi, si c’est pas indiscret ?

— Je suis dans les assurances. J’ai des trucs à voir dans le coin, répond Hippolyte. Et vous, z’êtes quoi ? lui demande-t-il pour faire poli, bien qu’il n’en ait rien à battre.

— Parisien, dit l’autre avec une pointe de gonfli-tude dans la voix. Je suis ici pour trois mois, je fais ça juste pour arrondir le budget du voyage. Après, je vais passer sur le Mozambique, et mon idée c’est de faire l’Afrique du Sud, puis de remonter jusqu’au Burkina. Connaissez ?

— Oui, pas mal. Je voyage tout le temps, à cause du travail, alors à force, évidemment…

— Je vois ça, répond le serveur. Sacrée chance que vous avez là. Moi, à Paris, je fais des petits boulots, rien de solide, c’est juste histoire de rentrer de la fraîche avant de repartir. Mais on n’est pas pressé, hein ? L’hiver passé, j’étais aux Indes. Su-blime ! J’ai fait Bénarès, Agra, Goa, génial ! Tout à la routarde, hein, je préfère. Pas comme tous ces blaireaux qui se la jouent Club Med et compagnie, avec tout inclus où on voit que dalle du pays. À Delhi, j’étais au Ringo. Plein centre, piaules minuscules et pas chères, rien que des routards. Z’auriez vu l’ambiance, un vrai bastringue post-hippie… Dans la foulée, j’ai aussi fait le Népal. Katmandou, Pokhara, le trip d’enfer. Mais j’ai pas pris de trek, c’est pas mon truc. On

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pouvait faire le tour des Annapurna, pas trop cher et assez accessible, même pour des amateurs, mais faut louer des godasses, du matos de camping, bref, moi j’vais pas là-bas pour me faire suer en haute montagne, pas vrai ? Ce qui est génial, par contre, c’est tous les restaus, les habitudes que les routards ont laissés sur place : on peut se farcir du muesli au petit-déj, des fondues et des raclettes, des steaks au poivre, des desserts à la française, j’ai même dégotté une pizzeria d’enfer qu’on se serait cru en plein Venise…

Le serveur a l’air très content de lui, un peu excité. Il remue la tête avec des saccades, comme les poules. Dans les trente-cinq piges, se dit Hippolyte. Pas pressé de boulonner sérieusement. En attendant, il va FAIRE l’Afrique… Il a même fait LES Indes… L’a préféré s’enfiler des pizzas et des steaks plutôt que du dal et des chapatis. Toute une philosophie du voyage, en somme… Crétin !

— C’est qui, ce vieux ? demande discrètement Hippolyte pour changer de sujet, vu que le serveur reste planté là, son plateau à la main et un sourire débile gravé sur la face.

— Oh, ça, c’est Edmond. Il vient tous les jours. Il débarque à l’ouverture et s’installe avec son beuzier. Toujours à la même place. Tous ses papiers, là, sur la table, ça tient dans des valises qu’on garde ici, dans la réserve. Il a un accord avec le patron.

— Il habite dans le coin ?— Aucune idée. Sans doute qu’il crèche par ici,

vu que c’est pas un touriste. Mais je sais pas où. En

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fait, je sais rien du bonhomme vu qu’il ouvre quasi pas la bouche. Il fait rien qu’écrire à longueur de journée, ensuite il se tire à la fermeture.

— Mais il écrit quoi ?— Des lettres, à ce qui semble. D’après les

en-têtes, c’est toujours des lettres. J’ai regardé par-dessus son épaule.

— On sait à qui il écrit ?— Non, aucune idée. Mais à mon avis il a pété

un câble, le vieux… Son courrier, d’après moi, c’est du pipeau.

— C’est-à-dire ? demande Hippolyte.— Ben, visiblement, il écrit pas un livre, répond

le serveur en baissant un peu plus la voix. Et c’est pas non plus du boulot, ça c’est certain. Non, c’est bien des lettres. Date, formules de politesse, signa-ture à la fin… j’ai assez vu, pensez. Or son courrier, il l’expédie jamais. Jamais une enveloppe, jamais un timbre. Jamais il nous demande de poster quoi que ce soit. Ses lettres, il les range dans ses tas, les sort, les manipule, les classe, mais il envoie jamais rien. Allez comprendre ! Z’avez déjà vu un type qu’écrit du courrier et qui l’envoie pas ? Pour moi, l’est pas allumé à tous les étages, le vieux…

— Oui, c’est assez étrange, concède Hippolyte en reposant sa tasse.

— Un autre truc… À midi, pour manger, il va dans des gargotes. Il prend des machins locaux, des samoussas et des sambos graisseux, des brochettes et des saucisses de zébu, du manioc grillé, des koubra-vines dans des feuilles de bananier, vous voyez le

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genre… Du riz, du riz et encore du riz, avec de la bidoche aussi grasse qu’épicée que c’en est imman-geable, des ragoûts indigestes imbibés d’achards citron-piment, et pour boire, de l’eau de riz bien âpre sortie tout droit de la casserole… Franche-ment, j’ai rien contre la cuisine locale, mais là faut pas charrier… Le vieux, pour dire, jamais il se fait un plat du jour décent dans un vrai restaurant, genre chez nous. Toujours dans la rue. Pourtant, on trouve tout ce qu’on veut, par ici : des langoustes, du canard confit, du varanga braisé, des anguilles farcies, du poulet coco et même du foie gras malgache.

— Sans doute qu’il préfère ça, ou qu’il est habi-tué, depuis le temps qu’il est là.

— Chacun ses goûts, répond le serveur avec un sourire en coin. En tout cas, moi, j’le trouve curieux, ce type. Rien qu’avec son air cradingue, déjà.

Hippolyte commande un autre café, histoire de mettre un terme au dialogue qui commence à le gonfler. Le serveur se redresse et calte vers le comp-toir avec son plateau.

Sûr que le vieux est bizarre, mais Hippolyte aime bien le regarder écrire et manipuler ses papiers. Il a des mouvements nets et précis, un peu maniaques, il ordonne son bordel avec soin. C’est agréable, un petit pincement poétique, que d’observer et d’ima-giner la vie de ce vieux bonhomme. Edmond…

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Chapitre 2

Hippolyte est bloqué à Tana depuis trois jours maintenant, et rien n’indique que la situation va s’améliorer sous peu. Chaque matin, il va vérifier à l’agence si une place s’est libérée pour Tamatave, mais il reste invariablement sur liste d’attente. Il a beau savoir qu’ici, comme dans bien d’autres pays, disons « folkloriques », le meilleur moyen d’obte-nir un vol est encore d’aller directement tenter sa chance à l’aéroport ; mais il ne peut s’y résoudre. L’idée de poireauter des heures dans d’intermi-nables queues d’autochtones vociférant, ou, avec de la chance, sur une chaise en plastique défoncée, plombé par une cuite étouffante, saturé d’odeurs en décomposition et bercé par une cacophonie cau-chemardesque, lui fait encore horreur, lui qui sort de sa confortable business class. En voyageur exercé il a bien conscience qu’il faudra s’y résoudre, mais

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là, c’est encore un peu rude ; nul doute qu’après quelques galères typiquement locales la solution de l’aéroport lui semblera naturelle…

Pour l’heure, Hippolyte nourrit toujours le désir de rester frais et dispos, de profiter de son séjour en joignant l’utile à l’agréable. Aussi, lorsqu’il constate, une fois encore, qu’aucun vol sur Tamatave n’a de place disponible, il a l’idée de regarder pour une autre destination, tant qu’à faire. Et là, contre toute attente, le type de l’agence lui répond que pour Nosy Be, pourtant paradis touristique, c’est possible pour aujourd’hui même. Va comprendre…

Hippolyte se décide tout de suite. Marre de rester cloîtré dans sa piaule d’hôtel à compter les blattes, de tournicoter dans le centre-ville entre la terrasse du vieil Edmond et l’agence de voyage. Le temps est devenu lourd, très lourd, toujours aussi chaud, mais nuageux en plus. La pluie menace et l’humidité ambiante bat tous les records de moiteur tropicale. Un petit week-end de vacances aux frais de la prin-cesse n’est donc pas de refus.

Le départ étant fixé à onze heures, Hippolyte n’a que le temps de boucler son sac et de foncer à l’aéro-port. Il ne rend pas sa chambre et n’emporte que l’es-sentiel avec lui, priant pour que le reste de ses affaires ne soit pas mis au pillage dès qu’il aura le dos tourné.

Le petit coucou d’Air Madagascar (une vingtaine de places) n’a pas trop mauvaise allure et décolle presque à l’heure, avec juste une petite demi-heure de battement pour la forme.

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Une heure plus tard, l’avion survole Nosy Be dans la mélasse d’un orage pétaradant qui le force à des mesures d’approche inquiétantes. Le pilote tourne en rond au-dessus de l’île, descend comme s’il allait atterrir, puis remonte soudainement comme s’il avait mis le pied sur des oursins. Les passagers commencent à la trouver saumâtre et Hippolyte se demande ce qui se passe vu qu’aucune annonce ne leur a été faite. Après un quart d’heure de ce régime, le pilote finit par s’avouer vaincu et daigne informer les passagers qu’il n’y a rien à faire, le temps, l’orage, faut rebrousser chemin. Merde !

Hippolyte a les boules ; tout ça pour des prunes et retour case départ. Il est pris au piège, coincé dans la nasse du tiers-monde. Le glandouillage obliga-toire par manque de matos, de service, de volonté, bref, tu connais la chanson. Les horaires extensibles, le je-m’en-foutisme qui rivalise d’efficacité avec le rien-foutrisme, de quoi faire péter les neurones de tout Européen qui se respecte.

Après trente minutes de vol retour, surprise ! le pilote reprend le micro pour dire que, finalement, il va retenter sa chance mais qu’il faut d’abord reprendre du jus. Alors cap sur Majunga pour faire le plein, et zou ! rebelote pour Nosy Be en une petite demi-heure.

Tout le monde a l’air soulagé de repartir vers la destination, mais quand même, il reste un arrière-goût bizarre, parce que l’orage zèbre toujours le ciel et que l’avion n’arrive pas à se poser. C’est comme la première fois, on cercle au-dessus de l’aéroport sans parvenir à se décider. Les turbulences font valser la

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carlingue dans tous les sens, ça tangue comme dans un mixer lancé à toute berzingue. De là où il est, côté couloir, Hippolyte voit la cabine de pilotage dont la porte est restée ouverte. Les deux hôtesses font des aller-retour vers le pilote et s’entretiennent à voix basse. À un moment, Hippolyte surprend quelques mots : « Non, on peut pas, c’est trop dangereux ». Et puis les deux hôtesses, en passant devant lui : « Rien à faire, on retourne à Tana. » Re-merde !

Au bout du compte, le pilote s’entête. Il décide d’essayer encore un coup, bien qu’il vienne de dire à l’hôtesse que « ça sert à rien, tout ce qu’on va réus-sir à faire, c’est se crasher ». Cramponné à ses accou-doirs, Hippolyte regarde dans la cabine de pilotage et voit en enfilade les nuages noirs que l’avion tente de percer en oscillant des ailes comme un oiseau pété à la gniole. Tout d’un coup, l’avion se met à foncer en direction du sol, quasi à la verticale, et Hippolyte peut voir par le pare-brise le gris de la piste se rappro-cher à toute vitesse. Et d’un seul coup, alors qu’on pourrait jurer que le nez du bahut va percuter le sol, le pilote redresse et se retrouve comme par miracle parallèle à la piste, juste sous les nuages. Il atterrit sans encombres, sous les vivas des passagers.

En repassant la scène dans sa tête, Hippolyte comprend que le gars, une espèce de Schleu avec des cheveux blonds coupés en brosse, a contourné le problème du vent trop violent en piquant pour prendre du poids et de la vitesse. Pas mal. Bien joué ! Mais ça fait bizarre, surtout avec vue plongeante à travers la porte de la cabine restée ouverte…

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