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Cahier du « Monde » N o 23290 daté Mercredi 27 novembre 2019 - Ne peut être vendu séparément Aux portes de la communication quantique L’ordinateur n’est pas la seule révolution promise par la physique de l’infiniment petit. Un Internet dont la sécurité des échanges s’appuierait sur des propriétés de photons commence également à sortir des labos. Le point sur une technologie « disruptive » A l’université d’Innsbruck (Autriche), une enceinte à vide enfermant des atomes chargés, qui pourraient servir de nœud de réseau d’un futur Internet quantique. ROBBIE SHONE david larousserie C omme un clin d’œil de l’histoire. Dans les sous-sols d’un hôtel particu- lier parisien, dont la construction a enjambé la Révolution française, une petite communauté s’agite pour bâ- tir une autre révolution. Celle-ci sera technologi- que et reposera sur la physique quantique. Quantique? Le mot encore mal connu a com- mencé à percer dans le grand public. Surtout depuis qu’une entreprise du numérique archi- célèbre, Google, a prétendu fin octobre avoir battu un ordinateur classique avec une machine d’un nouveau genre s’appuyant sur les principes de la physique quantique, cette théorie qui décrit le monde des particules. Cependant, le 5 novembre, la quarantaine de personnes, dont une dizaine de femmes, mas- sées pour deux jours dans les caves de l’hôtel Bourrienne, dans le 10 e arrondissement, en tee- shirt jaune, ne veulent pas révolutionner le calcul mais les communications. Ou, plus directement, contribuer à l’émergence d’un Internet quanti- que. «Vous êtes là pour imaginer les premières applications qui utiliseront la physique quantique pour sécuriser les communications », rappelle Pierre-Emmanuel Emeriau, doctorant au labora- toire d’informatique LIP6 à Sorbonne Université. Il est aussi l’un des jeunes coorganisateurs de ce premier événement paneuropéen sous forme de hackathon, un exercice de travail collectif inspiré de l’informatique conventionnelle. Cinq autres villes y participent, Sarajevo, Padoue (Italie), Ge- nève (Suisse), Dublin et Delft (Pays-Bas). La mission de la centaine de volontaires est, plus concrètement, de programmer et de simuler des protocoles pour communiquer grâce aux diverses particularités quantiques, comme – en caricaturant – pouvoir être dans deux états à la fois, se téléporter ou changer instantanément d’état. Ces étranges propriétés permettent d’échanger des clés de chiffrement entre deux points, d’anonymiser des transmissions, de cer- tifier des identités, voire de payer en ligne avec des chèques ou des cartes bancaires quantiques… « La sécurité ne veut pas dire seulement des systè- mes incassables. On peut penser à des techniques plus efficaces, plus rapides, moins chères, plus adaptées », prévient Elham Kashefi, directrice de recherche CNRS au LIP6 et professeure à l’univer- sité d’Edimbourg. Elle-même a imaginé, dès 2009, une manière d’effectuer des calculs «aveu- gles» sur un ordinateur quantique distant, de telle sorte que le propriétaire de cette machine ne puisse pas extraire d’informations sur ce que le demandeur du calcul est en train de faire. Son protocole est l’un des soixante déjà propo- sés par la recherche académique et détaillés sur un site Web, baptisé « zoo des protocoles », créé il y a deux ans par le LIP6, dont les membres sont en force dans l’organisation ou parmi les partici- pants du hackathon parisien. Dans une des pièces, un étrange ballet com- mence. Face à face, en deux rangs, les partici- pants ont trente secondes pour se présenter, avant de se décaler et de recommencer afin de faire connaissance et de former les cinq équi- pes. La moitié d’entre eux seulement sont «quantiques», maîtrisant soit la physique, soit les algorithmes. LIRE LA SUITE PAGES 4-5 V1

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Cahier du « Monde » No23290 datéMercredi 27 novembre 2019 ­ Ne peut être vendu séparément

Aux portes de la communication quantiqueL’ordinateurn’estpas la seule révolutionpromisepar laphysiquede l’infinimentpetit.Un Internetdont la sécuritédeséchangess’appuierait surdespropriétésdephotonscommenceégalementà sortir des labos. Lepoint surune technologie «disruptive»

A l’université d’Innsbruck (Autriche), une enceinte à vide enfermant des atomes chargés, qui pourraient servir de nœud de réseau d’un futur Internet quantique. ROBBIE SHONE

david larousserie

C omme un clin d’œil de l’histoire.Dans les sous­sols d’unhôtel particu­lier parisien, dont la construction aenjambé laRévolution française, unepetite communauté s’agite pour bâ­

tir une autre révolution. Celle­ci sera technologi­que et reposera sur la physique quantique.Quantique? Le mot encore mal connu a com­

mencé à percer dans le grand public. Surtoutdepuis qu’une entreprise du numérique archi­célèbre, Google, a prétendu fin octobre avoir

battu un ordinateur classique avec unemachined’un nouveau genre s’appuyant sur les principesde la physique quantique, cette théorie qui décritlemonde des particules.Cependant, le 5 novembre, la quarantaine de

personnes, dont une dizaine de femmes, mas­sées pour deux jours dans les caves de l’hôtelBourrienne, dans le 10e arrondissement, en tee­shirt jaune,neveulentpas révolutionner le calculmais les communications. Ou, plus directement,contribuer à l’émergence d’un Internet quanti­que. «Vous êtes là pour imaginer les premièresapplications qui utiliseront la physique quantique

pour sécuriser les communications», rappellePierre­Emmanuel Emeriau, doctorant au labora­toire d’informatique LIP6 à SorbonneUniversité.Il est aussi l’un des jeunes coorganisateurs de cepremier événement paneuropéen sous forme dehackathon, un exercice de travail collectif inspiréde l’informatique conventionnelle. Cinq autresvilles y participent, Sarajevo, Padoue (Italie), Ge­nève (Suisse), Dublin et Delft (Pays­Bas).La mission de la centaine de volontaires est,

plusconcrètement,deprogrammeretdesimulerdes protocoles pour communiquer grâce auxdiverses particularités quantiques, comme – encaricaturant – pouvoir être dans deux états à lafois, se téléporter ou changer instantanémentd’état. Ces étranges propriétés permettentd’échanger des clés de chiffrement entre deuxpoints, d’anonymiser des transmissions, de cer­tifier des identités, voire de payer en ligne avecdes chèquesoudes cartesbancairesquantiques…«La sécurité ne veut pas dire seulement des systè­mes incassables. On peut penser à des techniquesplus efficaces, plus rapides, moins chères, plus

adaptées», prévient Elham Kashefi, directrice derechercheCNRSauLIP6et professeure à l’univer­sité d’Edimbourg. Elle­même a imaginé, dès2009, unemanière d’effectuer des calculs «aveu­gles» sur un ordinateur quantique distant, detelle sorteque lepropriétairedecettemachinenepuisse pas extraire d’informations sur ce que ledemandeur du calcul est en train de faire.Son protocole est l’un des soixante déjà propo­

sés par la recherche académique et détaillés surun siteWeb, baptisé «zoo des protocoles», créé ily a deux ans par le LIP6, dont les membres sonten force dans l’organisation ou parmi les partici­pants du hackathon parisien.Dans une des pièces, un étrange ballet com­

mence. Face à face, en deux rangs, les partici­pants ont trente secondes pour se présenter,avant de se décaler et de recommencer afin defaire connaissance et de former les cinq équi­pes. La moitié d’entre eux seulement sont«quantiques», maîtrisant soit la physique, soitles algorithmes.

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4 | ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINEMERCREDI 27 NOVEMBRE 2019

Les autres sedivisent entre spécialistesdes tech­nologies de réseau classique, employés d’indus­trie et consultants. «On a déjà la victoire ennombre de participants!», constate Harold Olli­vier, autremembre du LIP6.A l’étageaussi,ons’agite. L’hôtede l’événement,

le fonds d’investissement Quantonation, peau­fine son investissement dans une cinquièmestart­up issue de la physique fondamentale, lasuisse Qnami, qui développe un microscopequantique très sensible pour détecter les champsélectriques ou magnétiques. En décembre 2018,elle a soutenu Kets, une société britannique dematériel de communication quantique. «Lapériode est favorable, notamment avec l’annoncede Google. La dynamique est positive, mais endeçà de ce qui se passe en intelligence artificielle»,constate Christophe Jurczak, l’un des fondateursde Quantonation, en 2018, avec Olivier Tonneauet Charles Beigbeder, propriétaire des lieux. Leurbut est de lever 50millions d’euros en 2020.Pasdechance, lehackathondémarremal.Moins

d’uneheureaprès ledébutdel’épreuve, leWi­Fisa­ture. Une équipe est rapidement évacuée à l’étagepour qu’elle se connecte à une autre borne. Toutvamieux. La révolutionpeut commencer.Tandis que, au sous­sol de l’hôtel particulier, de

jeunes ingénieurs et chercheurs jouent à blanc

aux «communicants» quantiques, d’autres, ensurface, essaient de donner vie à un futur réseau.«On pourrait penser que le public comprend plusfacilement le sujet du calcul quantique que celuides communications. Mais, comme il s’agit dequestions concrètes de sécurité, de banque, de pro­tection de la vie privée ou d’accès aux données desanté, lemessage est très bien compris aussi», rap­pelle Tommaso Calarco, président du QuantumCommunity Network, réseau communautaireeuropéen quantique, chargé d’animer la commu­nauté concernée, de définir des plans de route etde mobiliser la Commission européenne pourdes financements. En septembre 2018, plus de135millions ont déjà été alloués pour trois ans, enattendant 1milliardpotentiel pour lesprochainesannées. Le volet communications compte pourun quart, réparti sur cinq projets. «L’effort de re­cherche sur les communications a en fait toujoursété très fort. Le domaine est même plus vivant quecelui du calcul»,précise TommasoCalarco.

Les grandes manœuvres sont lancéesDes applications commerciales sont déjà là,contrairement à celles impliquant des calculs.Depuis 2001, la société suisse ID Quantiquevend ainsi des systèmes d’envoi de clés de chif­frement, dont la sécurité repose sur la physique.«Envoyer une clé entre deux points est commeenvoyer des balles avec des 0 et des 1 écrits des­sus, aime à dire Grégoire Ribordy, son PDG. Le

défaut est que cela peut être intercepté. La phy­sique quantique permet de faire cet échangeavec des balles “fragiles” commedes bulles de sa­von, si bien que, si on les intercepte, leurmessageest perdu.» Si l’entreprise ne communique passur ses ventes, elle a annoncé travailler aucâblage de la Corée du Sud pour le squelette duréseau 5G de l’opérateur local SK Telecom, parailleurs son actionnaire majoritaire. En 2008,un réseau de démonstration à Vienne (Autri­che) avait connecté cinq lieux, reliés par les«bulles» de la société. Depuis, Toshiba est aussientré dans la compétition.Alors, pourquoi continuer la recherche puis­

que celamarche déjà? «Ces techniques sont limi­tées en distance à cause des pertes dans les fibresoptiques et de la disparition des propriétés quan­tiques, rappelle Eleni Diamanti, chercheuseCNRS au LIP6.Onne peut pas dépasser les 100 ki­lomètres.» Les bulles de savon éclatent après untrop long voyage.

Une des solutions est de passer par un satel­lite, car l’air atténuemoins le signal qu’une fibreoptique. Les Chinois l’ont fait grâce à Micius,lancé en 2016, qui a même fait voyager des clésentre la Chine et l’Autriche pour chiffrer un fluxde visioconférence. Autre parade, ajouter tousles 100 kilomètres environdes nœuds de répéti­tion, qui lisent les précieuses clés de chiffre­ment, les stockent, puis les réémettent. C’est lasolution choisie pour la Corée. Et pour la Chine,entre Pékin et Shanghaï, sur 2000 kilomètres et32 nœuds. Problème, la clé est visible dans cesnœuds, ouvrant une faille potentielle.La mécanique quantique y remédierait. Pour

faire passer une information d’un point A à unpoint B très distant, un troisième nœud C inter­médiaire est introduit qui ne copie pas l’infor­mation,mais rend solidairesA et B, par lamagiequantique. Et ainsi de suite. Personne, pourl’instant n’a cependant réussi à fabriquer un telrépéteur quantique.Ce qui n’empêche pas les grandes manœuvres

de commencer. En France, les équipes participantaux projets QIA (Quantum Internet Alliance) etOpenQKD, financés par l’Union européenne, ontl’intention de déployer des liens expérimentauxsur des fibres commerciales, entre Paris centre etSaclay (Essonne)ou,àNice, entreSophiaAntipoliset lecampusdel’université.AParis, leschercheurstesteront notamment un protocole d’échange declés différent de celui d’IDQantique.

FORMERDES INGÉNIEURSETDES INFORMATICIENSP our accompagner le déve­

loppementdestechnologiesquantiques, il fautaussiune

révolution dans l’enseignement»,estime Alexia Auffèves, cher­cheuseCNRSà l’institutNéel. Il estvrai que lesbizarreries quantiquesne sont enseignées pour l’instantque dans les cours de physiquepour ceux qui s’orientent plutôtvers l’enseignement ou la recher­che. Or, il s’agit maintenant deconvaincre les ingénieurs et les in­formaticiens qu’ils peuvent aussis’intéresser à cesquestions.«Je pense même que l’informa­

tion quantique est une excellenteporte d’entrée pour l’apprentissagede la mécanique quantique elle­

même. Ses concepts sont peut­êtremêmetechniquementetmathéma­tiquement plus simples à manierqueceuxvenusdelaphysiqueensei­gnés actuellement», estime la spé­cialiste, qui rappelle que chaqueépoque a abordé cette disciplineavec les technologies dumoment.D’abord le nucléaire, puis la physi­que atomique. C’est donc au tourde l’informatique, de ses porteslogiques, ses algorithmes, ses pro­tocoles de communication… dechanger le regard sur ladiscipline.Autre point à améliorer, «il y a

encore trop de cloisonnemententre la physique et l’ingénierie,regrette Pascale Senellart, cher­cheuse CNRS et chargée d’une

mission pour l’université Paris­Saclay, consistant notamment àdéfinirdenouveauxcursusde for­mation. Les physiciens ne font pasforcément de bons ingénieurs. Et laphysiqueelle­mêmeest très théma­tique et formedes experts enmaté­riaux, nanosciences, physique ato­mique… alors que ces sujets, dupoint de vue des technologiesquantiques, sont en fait très liés. Al’inverse, les informaticiens n’ontpasassezdecontactsavecle“maté­riel”.» La spécialiste essaie doncdemultiplier les ponts entre tous cesdomaines, profitant de sa récenteexpérience d’entrepreneuse, de­puis la création de Quandela, en­treprise qui fabrique des sources

de photons. Visiblement, les tech­nologies semblent assez mûrespour que les ingénieurs puissentdévelopper leur savoir­faire dansl’optimisation, le développement,le contrôle, le design, la certifica­tion… «Il faut augmenter lamassecritique d’ingénieurs quantiques»,tranchePascale Senellart.Petit à petit, la magie quantique

descend donc des écoles doctora­les vers les masters et les écolesd’ingénieurs. EnEurope, auxPays­Bas, l’établissement le plus impor­tantdudomaine,QuTechàDelft, aune «académie», qui propose descours en ligne ou avec des ensei­gnants. En France, TélécomParis ason propre cursus depuis quatre

ans avec stages, tutorats et liensavec d’autres établissements.L’Ecole centrale, les universitésParis­SaclayetGrenoble­Alpessui­vront. «Une thèse dans le domaineest même un vrai plus pour les re­cruteurs»,noteRomainAlléaume,enseignant­chercheur et respon­sable de la formation quantique àTélécom Paris. «Il y a quelquesfreins, bien sûr, car les enseignantsdoivent changer leurs cours, sou­ligne Alexia Auffèves. Mais lesbarrières commencentà tomber.»Comme Pascale Senellart, elle

constate aussi l’intérêt pour de laformation continue de la partd’entreprises dont le cœur demétier est parfois éloigné de ces

hautes technologies futuristes.EDF, Total, Airbus, BMW, DowDu­Pont, BASF ou SAP rejoignent desgroupes plus attendus commeGoogle, IBM, Atos. Signe destemps, des consultants essaientdéjà de convaincre les entreprisesde s’y mettre. Le hackathon pa­neuropéen, organisé par le fondsd’investissement Quantonation,les 5 et 6 novembre, s’inscrit aussidans cette veine. «Notre activité abesoin de développer l’écosystèmedes technologies quantiques en in­téressantau­delàdesacteurs tradi­tionnels. On participe à l’évangéli­sation», rappelle Christophe Jurc­zak, cofondateur de ce fonds. p

d.l.

▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE DES APPLICATIONSCOMMERCIALES

DANS LE DOMAINEDES COMMUNICATIONS

SONT DÉJÀ LÀ

Les premiers pasd’un Internetquantique

A l’universitéduMaryland (Etats-Unis), ces lamesmétalliques créentdes piègesélectromagnétiquespour confinerdes atomes chargésque l’on peutintriquer ensemblepour des opérationsde calcul oude communicationquantique. ROBBIE SHONE

V1Sortie par carre le 25/11/2019 17:24:21 Date de Publication 27/11/2019

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ÉVÉNEMENTLE MONDE · SCIENCE & MÉDECINE

MERCREDI 27 NOVEMBRE 2019 | 5Détail d’un piègeà atome chargé,porteur d’uneinformation queles chercheursde l’universitéd’Innsbruck(Autriche) essaientde transférersur un photon pourl’envoyer dansdes fibres optiques.ROBBIE SHONE

«On assiste à un boomde ce sujet», salue Sébas­tienTanzilli, chercheurCNRSàl’universitédeNiceet responsabledu réseauqui structure la commu­nauté française. Du 13 au 15 novembre à Paris, uncolloqueasalué lesdixansdecette initiative fédé­ratrice. Les conférenciers européens invités ontexposé leur savoir­faire: fabrique de photons unpar un, échange de clés de chiffrement à traversles airs suruncampus, simulation, par la lumière,de dizaines de nœuds de futurs réseaux quanti­ques, certification de protocoles, correction d’er­reurs inhérentes à ces objets fragiles… «C’est vrai­ment intéressant de discuter avec des gens d’hori­zons différents commedes informaticiens, des spé­cialistes de protocoles et bien sûr des physiciens»,apprécie TracyNorthup, qui, à l’université d’Inns­bruck (Autriche), a déjà réussi à transférer de l’in­formation d’un atome à un photon prêt à partirsur leréseau.Dansquelquesmois,elleenvisagedese servir de celui­ci pour coupler des atomes àd’autres atomes situés 400mètresplus loin sur lecampus. Ce qui serait l’ébauche du fameux répé­teur que tout le monde cherche. En Espagne, auRoyaume­Uni ou aux Pays­Bas, d’autres le tente­ront aussi. «Dans deux ans, on aura comme unArpanet européen»,espèreElhamKashefi, enévo­quant l’embryon historique américain d’Internetdans les années 1970­1980.

Préparer, téléporter, mesurerPendant ce temps, lehackathonprogresse. Tout lemondeainstalléunlogicieldesimulationd’unré­seauquantique, le SimulaQron, développé à l’uni­versitédeDelft. Leprogrammeremplaceparquel­ques lignes de code toutes les opérations que doi­vent réaliser les physiciens: préparer des objetsquantiques, les téléporter, les mesurer… Sur fondnoir, les instructionssesuccèdent.L’équipeQuan­tum Winter essaie de programmer un chèquesécurisé. Les Qnoobs veulent transmettre anony­mement des informations. «On a hacké le hacka­thon!», plaisante Frédéric Grosshans, égalementdu LIP6, dont l’équipe ne respecte pas les règles.Elle s’attaque eneffet àunprotocole qui n’est pasencore dans le «zoo», car tout juste publié… parle chefdecetteéquipe.«Nousaussi, onahacké!»,rétorque un concurrent, qui résout deux problè­mes en même temps: finir une animation ludi­que et pédagogique présentant les bizarreriesquantiques (bientôt en ligne sous forme d’uncarrémagique) et faire du calcul aveugle. La fibreludique a aussi inspiré l’équipe de Sarajevo quiveut créer un jeu s’inspirant de Guitar Heroe, oùil s’agit non pas de mettre les doigts au bonendroit sur les cordes d’une guitare, mais derépliquer les mesures quantiques qui arrivent àla queue leu leu… Y arriveront­ils?A plus grande échelle, la tension est aussi pal­

pable. La France attend que la mission chargéepar le premierministred’élaborerune«feuillede

routepourlestechnologiesquantiques»rendesesconclusions… depuis septembre. «Les chercheursenattendentdesmoyens,biensûr,maisnousespé­ronsaussiunplanstructurantqui envoieunsignalrapidement», indique Christophe Jurczak.L’Europe aussi est dans l’attente. En juin, sept

pays, mais pas la France, ont signé une «déclara­tion de coopération» souhaitant la constructiond’une infrastructure de communication quanti­que tant terrestre que spatiale, baptisée QCI. Enseptembre, un appel d’offres a été émis parl’Union européenne pour financer deux étudesde faisabilité d’un tel déploiement. Mais, sil’Union veut faire vite, elle devra se tourner versdeux entreprises ayant des systèmes opération­nels, ID Quantique et Toshiba, mais toutes deuxextérieures à l’Europe des Vingt­Sept. Cette op­tion serait alorsdéfavorable à l’essord’une indus­trie européenne. A l’inverse, elle peut décider demiseràplus long termesurdes technologiespluscomplexes à développer, ce qui limiterait les re­tombées pour l’industrie. «Il est clair que la com­munauté doit encore démontrer les avantages destechnologies quantiques enmatière de communi­cation. A long terme, c’est clair, mais beaucoupmoins à court ou moyen terme. D’où les hésita­tions actuelles», résume Eleni Diamanti.Ce dilemme explique pourquoi la France n’a

pas rejoint le projet QCI. La sécurité quantiquese justifie en partie à cause de la faiblesseactuelle des protocoles de chiffrement. Si un or­dinateur quantique débarque, il cassera «faci­lement» les clés, et on pourra dire adieu auxconnexions sécurisées en ligne, aux paiementspar cartebancaire…Pire, unespionpeutenregis­trer aujourd’hui les flux de communicationpour les déchiffrer plus tard, lorsqu’une ma­chinequantique seradisponible.Un cauchemar.Les partisans du quantique font valoir que leurcanal étant par définition inviolable, ils ont lasolution.«C’est oublier que les protocoles quanti­ques d’échange de clés fonctionnent point à pointentre des nœuds de confiance et pas sur desréseaux multipoints et ouverts comme Internet.Donc, ils ne sont pas adaptés à toutes les applica­tions», tempère Romain Alléaume, enseignant­chercheur à TélécomParis.

Par ailleurs, l’école «classique» n’a pas dit sonderniermot, puisqu’une compétition a été lancéeen 2015 pour trouver des algorithmes résistantauxattaquesd’unhypothétiqueordinateurquan­tique. Des propositions sont déjà sur la table. «Lespays qui ont une communauté cryptographiqueforte, comme la France ou les Etats­Unis, privilé­gient la crypto classique de nature mathématiqueet ne sont donc pas trop favorables aux systèmesquantiquesd’échangedeclés», résumeRomainAl­léaume,quiarépondu,avecunconsortium,à l’ap­peld’offresQCI. EnFrance, c’esteneffet lapositionde l’Agence nationale de la sécurité des systèmesd’information, qui explique auMondeque, «là oùleséchangesquantiquesdeclésseraientpossibles, ilexiste en fait aussi des solutions de cryptographieclassique»rendantnonnécessairesdefait lestech­nologiesquantiques.«Undesécueilsdecettesitua­tion est qu’elle ne favorise pas la collaborationaveclemondede la cybersécurité, étapepourtant essen­tielle à l’essor de solutions industrielles en crypto­graphie quantique», regretteRomainAlléaume.

«Des idées comme des blagues»Pour sortir de l’impasse, ce dernier propose,comme d’autres, une sécurisation des infrastruc­turesdecommunicationreposantsurunecombi­naisonmêlant classique et quantique. Par exem­ple, un des défauts des systèmes classiques ac­tuels est qu’ils peuvent être «écoutés» par l’ana­lyse de leur rayonnement, leur consommationélectrique…«Onpeut imaginerd’intégrerdescom­posants quantiques qui, par définition, ne pour­raientpasêtreécoutéset serviraientdepointsd’an­crage permettant de renforcer la confiance numé­rique», estime Romain Alléaume. Il songe aussi àdes systèmes de stockage où les informations àprotéger seraient cassées en morceaux et nonstockées en un seul point. Lesmorceaux seraientensuite rapatriés via des liens «quantiques».Loin de ce tumulte, le soleil se couche dans les

jardins de l’hôtel Bourrienne, marquant la fin duhackathon. «Il y a vingt ans, quandnous écrivionsau tableau nos idées comme des blagues, jen’aurais jamais imaginé qu’il y aurait des gens entrain de les programmer aujourd’hui», estimeElham Kashefi, par ailleurs fondatrice de Veri­Qloud, une jeune entreprise de développementde logiciels de communication quantique. «Vousl’avez faitendeux jours!Soitvousêtesgéniaux, soitc’est que ce n’est pas si compliqué», a­t­elle ajouté,ironique, en conclusion. Tous n’ont cependantpasétéaubout. LesguitarheroesdeSarajavo,eux,ont réussi leur pari. Tout comme les QuantumWinter. Sur leur écran défilent les différentes éta­pesd’unpaiementpar chèque: fabrication, signa­ture, authentification, paiement…Ne manque plus qu’à fabriquer les bons vrais

photons, à les contrôler, les téléporter… p

david larousserie

SI UNORDINATEURQUANTIQUE DÉBARQUE,

IL CASSERA LES CLÉS, ET ONPOURRADIRE ADIEU AUXCONNEXIONS SÉCURISÉESEN LIGNE, AUX PAIEMENTSPAR CARTE BANCAIRE…

«3+3=4»,ETAUTRESRECETTESDESÉCURITÉ

S uperposition, téléportation, intri­cation… sont trois des propriétésincontournablesdes futurs réseaux

de communication, impliquant une,deux ou trois particules.Commençons par les solutions à une

particule, par exemple un grain de lu­mière, ou photon. Admettons qu’il existedes photons noirs et des photons blancs.En fait, la mécanique quantique autoriseque les photons ne soient ni noirs niblancs, mais «gris», c’est­à­dire à la foisnoiretblanc.Cen’estque lorsqu’undétec­teurde«couleur»entreraenactionquelephotongris seravucommenoiroublanc,avec une chance sur deux d’être vu dansl’unde ses états. C’est le conceptde super­position.Rienqu’avec cela, les chercheursCharles Bennett et Gilles Brassard ontproposé, en 1984, un protocole de com­munication sûr entre deux points pouréchanger des bits d’information, quiconstituent notamment une clé pourchiffrer et déchiffrer des documents.L’une de leurs idées est que si un espionintercepte un photon entre les deuxpoints, alors celui­ci perd son caractèremélangé, ce que sauront alors les interlo­cuteurs, qui choisiront de ne pas prendreen compte ce bit d’information. L’entre­prise ID Quantique commercialise un telsystèmepour échanger des clés.

Téléporter la «couleur»Passons à deux photons et à l’intrication.Il est possible de fabriquer une paire ma­gique de photons, liés par une «colle» in­visible, qu’on pourrait envoyer en deuxpoints très distants. S’ils n’étaient pas liésou intriqués, mesurer la couleur de l’unn’aurait aucune influence sur la mesurede l’autre, qui resterait aléatoire, noir oublanc à 50­50 de chance. Mais comme onles a intriqués, leur corrélation est trèsforte, si bien que trouver que l’un est noirimpose que l’autre le soit aussi (on peutaussi décider que quand l’un est noir,l’autre est blanc).Grâceà ceprincipe, il estpossiblede téléporter, commeenscience­fiction, la «couleur» d’un photon sur unautre. Si Alice possède un photon d’unecouleur, qu’elle veut téléporter à Bob, ellecrée en plus une paire intriquée dontelle envoie un membre vers Bob et faitinteragir l’autre avec le sien. Aussitôt lephoton intriqué reçu par Bob se trans­forme, reproduisant l’état de la particuleinitiale d’Alice (qui est «perdu»).Dans cet esprit, on peut aussi arriver

non pas à téléporter un état d’un point àun autre, mais faire en sorte d’intriquerdeux photons à distance entre Alice etBob, réalisant un répéteur quantique, unGraal, qui augmenterait la distance detransmission d’informations sensibles.Enfin, avec trois photons, les chercheurs

peuvent aussi s’amuser en créantnonpasseulement une paire, mais un trio intri­qué.Onpeut alors faireunedrôle d’opéra­tion: 3 + 3 = 4…En effet, si l’on prenddeuxpaires de photons intriqués et qu’unmembre d’une des paires interagit avecun membre de l’autre, on peut arriver àintriquer les deux membres restants.Mais,partid’unepaire intriquée,onarriveà une paire intriquée. On n’a rien gagné.En revanche, deux trios qui interagissenten détruisant deux photons laissent, eux,un quatuor intriqué, soit un membre deplus. Et ainsi de suite. De quoi, en théorie,étendre une intrication à l’échelle de toutun réseau et faire profiter le plus grandnombrede lamagie quantique. p

d.l.

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