09060215

download 09060215

of 144

Transcript of 09060215

RPUBLIQUE FRANAISEAVIS ET RAPPORTS DU

CONSEIL CONOMIQUE, SOCIALET ENVIRONNEMENTAL

LES INDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE ET LEMPREINTE COLOGIQUE

2009Avis prsent par M. Philippe Le Clzio

Anne 2009 - N 15

NOR : C.E.S. X09000115V

Mercredi 3 juin 2009

MANDATURE 2004-2009

Sance des 26 et 27 mai 2009

LES INDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE ET LEMPREINTE COLOGIQUE

Avis du Conseil conomique, social et environnemental prsent par M. Philippe Le Clzio, rapporteur au nom de la commission ad hoc

(Question dont le Conseil conomique, social et environnemental a t saisi par lettre du Premier ministre en date du 20 janvier 2009)

III

SOMMAIRE

AVIS adopt par le Conseil conomique, social et environnemental au cours de sa sance du 27 mai 2009 ................................................................ 1 Premire partie - Texte adopt le 27 mai 2009 ............ 3INTRODUCTION...............................................................................................7 I - INTGRER LIMPRATIF DE LA DURABILIT ..........................12 A - LE PIB, UN INDICATEUR REMIS EN QUESTION ......................12 1. Le PIB ne mesure pas la qualit de la vie.......................................13 2. Le PIB ne dit rien sur sa rpartition................................................14 3. Le PIB ignore les atteintes lenvironnement................................14 B - DES CLAIRAGES NCESSAIRES SUR DEUX ENJEUX MAJEURS..........................................................................................15 1. Croissance nest pas dveloppement ..............................................16 2. Une croissance respectueuse de lenvironnement ..........................17 C - UNE STRATGIE EXIGEANTE .....................................................21 II - LA PROBLMATIQUE DE LA MISE EN PLACE DINDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE...............26 A - LAPPROPRIATION DES INDICATEURS PAR LES CITOYENS ........................................................................................26 B - DES INDICATEURS EN NOMBRE LIMIT MAIS SIGNIFIANTS ...................................................................................30 C - APPORTS ET LIMITES DES INDICATEURS SYNTHTIQUES ..............................................................................33 III - LEMPREINTE COLOGIQUE DES NATIONS DANS LE CADRE DE LA RECHERCHE DINDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE.......................................................37 A - UN INDICATEUR STRICTEMENT ENVIRONNEMENTAL .......37 1. Une dfinition relativement simple... .............................................37 2. ... mais une mthodologie complexe ..............................................40 B - UN INDICATEUR QUI PRSENTE DES LIMITES.......................43 1. Un indicateur peu transparent.........................................................44 2. Une qualit technique perfectible ...................................................45 3. Lempreinte ne restitue pas toutes les dimensions du dveloppement durable ..................................................................47

IV

4. Le poids dterminant de lempreinte carbone.................................48 5. Amliorer encore lindicateur dempreinte cologique ..................51 CONCLUSION..................................................................................................55 RCAPITULATIF DES RECOMMANDATIONS .......................................57

Deuxime partie - Dclarations des groupes.............. 63ANNEXE LAVIS..........................................................................................89 SCRUTIN............................................................................................................89 DOCUMENTS ANNEXES...............................................................................91 Document 1 : Les limites du PIB ........................................................................93 Document 2 : Les indicateurs agrgs...............................................................103 Document 3 : Les enseignements tirs de lempreinte cologique des nations .110 LISTE DES PERSONNALITS RENCONTRES.....................................127 LISTE DES RFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES.................................129 TABLE DES SIGLES .....................................................................................135 LISTE DES ILLUSTRATIONS.....................................................................137

AVISadopt par le Conseil conomique, social et environnemental au cours de sa sance du 27 mai 2009

Premire partie Texte adopt le 27 mai 2009

5

Par lettre en date du 20 janvier 2009, le Premier ministre a saisi le Conseil conomique, social et environnemental dun avis sur Les indicateurs du dveloppement durable et lempreinte cologique 1 . Le Bureau du Conseil conomique, social et environnemental a confi une commission ad hoc la prparation du projet davis. Celle-ci a dsign M. Philippe Le Clzio comme rapporteur. * * *

Pour son information, la commission a procd laudition de : - Mme Isabelle Blanc, ingnieur de recherche Mines ParisTech ; - M. Aurlien Boutaud, conseiller indpendant dans le domaine de lenvironnement ; - M. Jean-Etienne Chapron, inspecteur gnral de lINSEE, rapporteur gnral de la Commission sur la mesure de la performance conomique et du progrs social ; - M. Michel David, responsable de la sous-direction des mthodes, donnes et synthses environnementales du Service de lobservation et de statistiques (SOeS) au ministre de lcologie, de lnergie, du dveloppement durable et de lamnagement du territoire (MEEDDAT) ; - M. Jean Gadrey, professeur mrite lUniversit Lille 1 ; - Mme Natacha Gondran, enseignant-chercheur lcole nationale suprieure des Mines de Saint-Etienne ; - M. Laurent Jolia-Ferrier, directeur de mesurerledveloppementdurable ; - M. Andr de Montmollin, responsable du service dveloppement durable de lOffice fdral suisse de la statistique ; - M. Guy Paillotin, secrtaire perptuel de lAcadmie dagriculture de France ; - M. Frdric-Paul Piguet, thicien, Facult des gosciences et de lenvironnement de lUniversit de Lausanne (Suisse) ; - M. Jacques Toraille, charg de mission dveloppement durable du groupe Michelin, accompagn de M. Ariel Cabanes, direction des affaires publiques du groupe ; - M. Bruno Trgout, chef du SOeS au MEEDDAT ;

1

Lensemble du projet davis a t adopt lunanimit des votants (voir le rsultat du scrutin en annexe).

6

- M. Patrick Viveret, prsident de lObservatoire de la dcision publique. Toutes les personnes qui, par leurs travaux, la communication dinformations ou par des entretiens, ont contribu la prparation de ce projet davis voudront bien trouver ici lexpression des remerciements du rapporteur ainsi que ceux de la commission.

7

INTRODUCTIONlabor aux tats-Unis pendant la Grande Dpression , le Produit intrieur brut (PIB) est devenu un indicateur de rfrence pour valuer et comparer les performances conomiques des diffrents pays du monde, voire le bien-tre de leurs citoyens. Autrefois apanage dune minorit condamnant le mode de croissance, les critiques envers cet agrgat ont t places sur le devant de la scne par lmergence des questions environnementales. Certes, des conomistes avaient depuis longtemps reconnu la ncessit de prendre en considration les effets de lactivit sur les ressources puisables (on songe notamment Harold Hotteling, Franck Ramsey et Arthur Cecil Pigou dans les annes 1920 et 1930). Pour sen tenir notre pays, en mai 1966, Bertrand de Jouvenel avait propos la Commission des comptes de la nation la prise en compte dans la comptabilit nationale des services rendus titre gratuit, des nuisances et des prlvements sur la nature (cf. Arcadie, essais sur le mieuxvivre, Futuribles, Sedeis, 1968). Mais le renouveau de lintrt accord la prservation de lenvironnement depuis le dbut des annes 1970 (et notamment le rapport Halte la croissance du Club de Rome) a aviv lattention pour ces questions. La publication, en 1987, du rapport Brundtland (du nom de la prsidente de la Commission mondiale sur lenvironnement et le dveloppement (CMED), mise en place par les Nations Unies) et la promotion par celui-ci de la notion de dveloppement durable ou soutenable (sustainable development) visant concilier, sur le long terme, les dimensions conomiques, sociales et environnementales de la croissance, ont notamment encourag la qute dindicateurs relatifs limpact de lactivit humaine sur les cosystmes. La problmatique du rchauffement climatique a encore accru lopportunit de cet effort. Il y a, en effet, un hiatus de plus en plus criant entre la place attribue, dans le dbat public, au dveloppement durable, dsormais inscrit dans le Trait de lUnion europenne et lev en France au rang de principe constitutionnel, et les instruments utiliss pour juger du progrs ou de la richesse. Cette situation, dont les ressorts ont t dcrits par les travaux prcurseurs de Dominique Mda (Quest-ce que la richesse ?, Alto, Aubier, 1999) et Patrick Viveret (Reconsidrer la richesse, rapport de la mission Nouveaux facteurs de richesse, secrtariat dtat lconomie solidaire, janvier 2002) souligne la ncessit de mettre au point des indicateurs spcifiques. Cest le sens de la dclaration dIstanbul signe en juin 2007 par les reprsentants de la Commission europenne, de lOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques (OCDE), de lOrganisation de la confrence islamique, du Programme des Nations Unies pour le dveloppement (PNUD) et de la Banque mondiale (auxquels se sont joints depuis le Fond montaire international (FMI) et le Bureau international du travail (BIT)), invitant aller au-del des indicateurs habituels tels que le PIB par habitant . La Commission europenne,

8

lOrganisation de coopration et de dveloppement conomiques (OCDE) et le Parlement europen ont eux-mmes organis, en novembre 2007, une confrence dont le titre ( au-del du PIB, mesurer la richesse vritable, le progrs et le bien-tre des nations ) indique assez bien le consensus croissant qui se dessine sur cette question. Dans notre pays, le groupe de travail n 6 mis en place, en 2007, dans le cadre du Grenelle de lenvironnement en vue de promouvoir des modes de dveloppement cologiques favorables la comptitivit a dfini un premier programme dactions (sur huit) visant amliorer et mieux diffuser les indicateurs du dveloppement durable . Il invitait deux types de mesures : dabord, laborer des indicateurs agrgs tels que le PIB vert , lempreinte cologique, le capital public naturel et un Indicateur du dveloppement humain (IDH) (cf. infra) ; ensuite, mettre en place et diffuser au Parlement et auprs du public un tableau de bord permettant, en particulier, dvaluer la conformit des rsultats obtenus par rapport aux objectifs et de dclencher, le cas chant, des mesures correctrices. En vertu de la loi de programme relative la mise en uvre du Grenelle de lenvironnement adopte par le Parlement en fvrier 2009, ltat se fixe prcisment pour objectif de disposer, en 2010, dindicateurs lchelle nationale et dorganiser cet effet, dici la fin 2009, une confrence nationale runissant les cinq parties prenantes au Grenelle. Le suivi de ces indicateurs sera effectivement rendu public et prsent chaque anne au Parlement compter de 2011. Dans son avis rendu le 26 mai 2008 sur le projet de loi (rapporteur : Paul de Viguerie, JO n 16 du 2 juin 2008), tout en approuvant ces orientations, notre assemble a cependant estim que lexistence de ces indicateurs ne prendrait tout son sens que lorsque les administrations devront les dcliner sur le terrain, les insrer dans leurs propres objectifs et donc, plus globalement, lorsquils seront pris en compte dans le cadre de lapplication de la loi organique daot 2001 relative aux lois de finances . La constitution par le Prsident de la Rpublique de la Commission sur la mesure de la performance conomique et du progrs social prside par Joseph Stiglitz, prix Nobel dconomie, et charge de travailler llaboration de nouveaux indicateurs, sest aussi inscrite dans ce mouvement, en largissant la perspective. En agissant ainsi, le Prsident de la Rpublique a, en effet, souhait (confrence de presse du 8 janvier 2008) engager une rflexion sur les moyens dchapper une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives . Il a estim que, si nous voulons favoriser un autre type de croissance nous devons changer notre instrument de mesure de la croissance . Do la runion de ce groupe dexperts internationaux pour rflchir aux limites de la comptabilit nationale et la meilleure manire de les surmonter pour que la mesure du progrs prenne mieux en compte les conditions relles et la qualit de vie des Franais : ceux-ci nen peuvent plus de lcart grandissant entre des statistiques qui affichent un progrs continu et les difficults croissantes quils prouvent dans leur vie quotidienne .

9

Dans sa note problmatique du 25 juillet 2008, cette commission a notamment estim quil pourrait tre utile dvaluer limpact global de chaque pays sur lenvironnement - par exemple, grce la clbre empreinte cologique , qui prend en considration les consquences de la consommation dun pays du point de vue cologique . Elle insistait, en particulier, sur lintrt de faire ressortir, travers cet indicateur qui exprime les consommations et rejets annuels anthropiques en quivalent de surface standardise, le fait que les habitants des pays dvelopps contribuent de manire beaucoup plus significative lpuisement des ressources que ceux mergents ou non, qui les fournissent. De son ct, le Comit conomique et social europen a pris clairement position en faveur de lempreinte cologique (en complment dun indicateur de dveloppement social et de qualit de vie) dans son avis intitul Dpasser le PIB - indicateurs pour un dveloppement durable , adopt le 22 octobre 2008 (rapporteur : Martin Siecker). Largumentation dveloppe est cependant des plus rduites : on peut, en effet, y lire qu il existe un indicateur de la durabilit et de lvolution de cette dernire : savoir, lempreinte cologique qui constitue, malgr ses lacunes, le meilleur indicateur global disponible en matire de dveloppement durable sur le plan environnemental. Lempreinte cologique est un excellent outil de communication et lun des rares, sinon lunique, prendre en compte les consquences environnementales de nos modes de consommation et de production (importations et exportations) pour les autres pays. Il peut tre affin en cours dutilisation et remplac lavenir, lorsque dventuels instruments plus efficaces seront mis au point . Cest dans la continuit que sest situe une proposition de loi tendant rduire lempreinte cologique de la France enregistre lAssemble nationale le 6 janvier 2009. Celle-ci disposait notamment (entretien avec Yves Cochet) que cet indicateur devait constituer linstrument dvaluation des politiques mises en uvre pour lutter contre le changement climatique et prserver la vie sur Terre , en engageant la France diviser par deux cette empreinte entre 2009 et 2025 et en prvoyant que les rgions lvaluent avant la fin de lanne 2012. Cette proposition a finalement t rejete dans lattente notamment des conclusions de la Commission Stiglitz et des expertises techniques menes par le Commissariat gnral au dveloppement durable (CGDD). Dans ce contexte, le Premier ministre a saisi le Conseil conomique, social et environnemental le 20 janvier 2009. Il observe que pour ses promoteurs, lempreinte cologique est comprhensible par un large public et facilite en consquence la prise de conscience en faveur de comportements coresponsables. Pour ses dtracteurs, au contraire, lindicateur souffre de limites qui compromettent sa pertinence . Convaincu que le choix consistant y recourir ou, au contraire, lcarter doit tenir compte denjeux conomiques et sociaux plus larges, il soumet notre assemble trois questions connexes : De quelle information les hommes politiques, les citoyens et les acteurs

10

conomiques doivent-ils disposer pour prendre des dcisions ou adopter des comportements favorables un dveloppement durable ? Quels indicateurs phares doit-on retenir pour envoyer les signaux les plus lisibles ? Lempreinte cologique doit-elle en faire partie ? . Ce thme est loin dtre nouveau pour le Conseil qui soulignait dj, en 2003, que lIndicateur de dveloppement humain (IDH), lindice de sant sociale, lempreinte cologique et les indicateurs de dveloppement durable intgrant les performances sociales, environnementales et conomiques, constituent des voies prometteuses, explores par des chercheurs, des ONG et des organisations internationales (Claude Martinand, Environnement et dveloppement durable, lindispensable mobilisation des acteurs conomiques et sociaux, JO n 8 du 18 mars 2003). Il a mis en exergue, de nombreuses reprises, et notamment dans un avis intitul Prlvements obligatoires : comprhension, efficacit conomique et justice sociale (rapporteur : Philippe Le Clzio, JO n 22 du 30 mai 2005), les dfauts du PIB comme indicateur de richesse et a procd, en 2007, une revue des indicateurs synthtiques alternatifs, parmi lesquels lempreinte cologique, dans le cadre dun avis intitul Croissance potentielle et dveloppement (rapporteur : Pierre Duharcourt, JO n 3 du 31 janvier 2007). Les questionnements auxquels il est aujourdhui convi gagnent encore en pertinence alors que lconomie mondiale est confronte une crise majeure : - le contexte rcessif confre certes la priorit la relance de lactivit et la lutte contre la dferlante du chmage, en mme temps quil se traduit par une baisse de la demande nergtique et du rythme dmission de Gaz effet de serre (GES). Mais il ne doit pas faire perdre de vue les impratifs de long terme concernant le dveloppement durable, qui peut dailleurs constituer une piste de renouveau de la croissance ; - cest dautant plus ncessaire que, parmi ses causes profondes, figurent prcisment, au-del de la dmesure de la finance, des fractures sociales, des ingalits excessives, du mal-tre pour beaucoup. Ces lments de dsquilibre taient prcisment masqus par les indicateurs macroconomiques dominants qui nont pas pu jouer le rle essentiel de facteur dalerte, comme le reconnait la commission Stiglitz ; - ainsi, rien ne serait pire que de relcher les efforts de matrise de la consommation dnergie et de diversification des sources, la faveur de la baisse rcente des cours ptroliers (comme on la constat de 1985 2003, la suite du contre-choc ptrolier), ou de reproduire de tels errements en termes de cohsion lorsque la croissance sera de retour ;

11

- si, comme laffirme Max Weber (Lthique protestante et lesprit du capitalisme, 1904-1905), la modernit fut le passage de lconomie du salut au salut par lconomie, cette crise marque sans doute une fin de cycle pour cette configuration historique imposant de construire un nouveau modle de dveloppement ; - cela ne fait que justifier, sil en tait besoin, lintrt de disposer dindicateurs adquats en quantit et en qualit pour relativiser les volutions conjoncturelles et garder le cap sagissant de cet objectif stratgique. Afin de rpondre aux souhaits du Premier ministre, le prsent avis est articul autour de trois parties : - la premire rappelle les limites du PIB et des indicateurs conomiques traditionnels (dtailles dans lannexe 1) qui restent nanmoins des rfrences incontournables notamment en raison de leur comparabilit internationale. Elle examine ensuite les enjeux de lintgration de limpratif de la durabilit dans nos reprsentations statistiques. Il sagit dorienter les dcisions publiques et les comportements des agents conomiques dans un sens favorable au dveloppement durable, cest--dire qui respecte certes lenvironnement mais conforte aussi la cohsion sociale et assure toujours plus largement la satisfaction des besoins de la population, en prservant celle des gnrations futures. Cela suppose une meilleure association des citoyens au dbat sur le dveloppement ; - la deuxime analyse la problmatique de la mise en place dindicateurs du dveloppement durable pour rpondre aux besoins des dcideurs et des observateurs spcialiss mais aussi - et peut-tre surtout - pour linformation et lveil des consciences du plus grand nombre ; - la dernire value la pertinence en la matire de lempreinte cologique, qui vise mesurer quelle part de la capacit de rgnration des ressources terrestres est sollicite par ltre humain, en mettant en vidence ses apports mais aussi ses limites, sur la base des expertises techniques disponibles. Cette rflexion dbouchera sur un ensemble de recommandations visant enrichir la statistique publique et dvelopper son usage par les citoyens, dans un domaine appel occuper le devant de lactualit pour de nombreuses annes. Ne nous y trompons pas : loin de porter sur de simples outils statistiques, il sagit dun enjeu purement dmocratique puisqu travers le choix de tel ou tel indicateur ce sont, en ralit, des choix de socit, des choix politiques au sens le plus profond du terme qui sont oprs. Ce qui suppose de ne pas se limiter aux indicateurs disponibles et dtre ouvert linnovation pour mieux apprcier les rponses apportes aux nouveaux besoins de la socit.

12

I - INTGRER LIMPRATIF DE LA DURABILIT Cela fait plus de vingt ans que le rapport Brundtland ( Notre avenir tous ) a prsent le dveloppement durable - savoir un dveloppement qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures de rpondre aux leurs - comme lobjectif assign la communaut internationale pour affronter les enjeux du dveloppement et de la protection de lenvironnement. Au-del de cette dernire, il largissait, en ralit, aux dimensions conomiques et sociales, une notion propose, ds 1980, par lUnion internationale pour la conservation de la nature. Les Sommets de la Terre de Rio (1992) et du dveloppement durable de Johannesburg (2002) ont ponctu la reconnaissance progressive de cette notion qui renvoie au rapport intime et ambigu quentretiennent lHomme et la nature. Peu peu, ce mot dordre porteur dune nouvelle conception de la citoyennet et de lintrt gnral a t adopt par les acteurs publics et privs, chacun le dclinant sa faon. Par exemple, la dimension du respect de la diversit culturelle a eu tendance saffirmer. Un besoin de clarification savre donc ncessaire si lon veut passer du discours incantatoire aux actes. Les dfis analytiques et statistiques auxquels on est confront en ce dbut de XXI sicle sont la hauteur des nouveaux enjeux : il sagit de dfinir les voies dun dveloppement conomiquement efficace, socialement quitable et cologiquement durable, en runissant les conditions dun clairage et dune valuation pertinentes des politiques publiques en la matire. A - LE PIB, UN INDICATEUR REMIS EN QUESTION Si certains problmes mthodologiques restreignent la pertinence de la mesure des performances conomiques fournie par le PIB (et les variables socio-conomiques qui lui sont lies), les critiques son gard tiennent aussi la mauvaise utilisation qui en est trop souvent faite : ainsi, na-t-il pas t conu pour mesurer le bien-tre mais pour valuer la production dune conomie nationale. Il est, de fait, comme toute construction statistique, loin dtre neutre en termes de valeurs et de mode de vie, tant il est vrai, comme le souligne Alain Desrosires (La politique des grands nombres : histoire de la raison statistique, La Dcouverte, 2000), que quantifier cest dabord convenir puis mesurer . Il fait partie de ces identits narratives ( je suis ce que je me raconte ) chres Paul Ricoeur (Soi-mme comme un autre, Seuil, 1990), permettant des rcits de vie qui sont aussi des rcits dvitement des questions les plus lourdes ou problmatiques du moment. Initialement destin fournir aux gouvernements un moyen de pilotage des politiques conomiques, le PIB est devenu, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, linstrument privilgi de mesure de lactivit, aux tats-Unis dabord puis dans le cadre du Systme de comptabilit nationale (SCN) des Nations Unies. Le PIB sest peu peu impos comme le baromtre de rfrence de la

13

richesse des nations (Adam Smith), acqurant le statut de juge suprme du succs ou de lchec des politiques publiques. Si lon suit Dominique Mda (op. cit.), cette assimilation du progrs la croissance conomique a rsult de plusieurs catgories de raisons : des raisons philosophiques dabord, faisant de la production et de la consommation des actes humains par excellence, permettant dexhiber la puissance dune nation, y compris par la guerre (cf. Franois Fourquet, Les Comptes de la puissance : histoire de la comptabilit nationale et du Plan, Recherches, 1980), et de tisser des liens entre les pays participant lchange ; des raisons lies des impossibilits ou des interdits ensuite, compte tenu de la difficult apparente de saccorder sur les autres dimensions du progrs et de considrer celui dun collectif ; des raisons enfin fondes sur lexistence de corrlations a priori rassurantes entre PIB et indicateurs sociaux, croissance des revenus et satisfaction individuelle, voire mme bonheur . Le PIB fait pourtant, de longue date, lobjet de nombreuses critiques. Les plus anciennes ne sauraient surprendre ds lors quil est fond sur des conventions par dfinition sujettes discussion et agrge un grand nombre de variables htrognes. Il porte notamment la marque du contexte de la reconstruction qui donnait la priorit la modernisation industrielle et des infrastructures. Mais ces critiques se sont faites plus vives dans la priode rcente, alimentes par lcart croissant entre cette mesure et la perception, par les individus, de lvolution de lactivit conomique et de leur niveau de vie. La monte en puissance dune conscience cologique , mettant laccent sur la durabilit des modes de croissance promus par cet indicateur, les a encore renforces. On saccorde prsent considrer que le PIB souffre de trois limites majeures (cf., pour plus de dtail, lannexe 1). 1. Le PIB ne mesure pas la qualit de la vie Une mesure qui ne comptabilise que les activits transitant par les marchs ne saurait prtendre lvaluation du bien-tre : elle ne tient, en effet, aucun compte du loisir , cest--dire du temps consacr aux activits non montarises, et ignore, en particulier, lessentiel de la production domestique ou bnvole (qui reprsente pourtant lquivalent de un million demplois temps plein dans notre pays), ralise notamment dans le cadre des associations ; tout ce que les individus produisent pour eux-mmes et leur famille en est exclu alors que cela reprsenterait entre 30 et 40 % du PIB classique (cf. Yvonne Rger et Johanna Varjonen, Value of household production in Finland and Germany, Working papers n 112, National consumer research center - Finlande -, avril 2008) ; ds lors, chaque fois quune activit passe du non marchand au marchand, le PIB augmente, alors mme que laccroissement du bien-tre gnral est loin dtre vidente ; inversement, comme le soulignait Alfred Sauvy, pousez votre femme de mnage et vous ferez baisser le PIB ; de mme, alors que le temps consacr aux dplacements, notamment domicile-travail, est implicitement trait comme du loisir, les dpenses quils engendrent augmentent

14

le PIB : plus on consomme de carburants, plus il y a dembouteillages, plus il y a aussi daccidents automobiles et plus la croissance est forte. A contrario, la baisse des embouteillages et des accidents pserait ngativement sur la croissance alors que le bien-tre sen trouverait amlior. 2. Le PIB ne dit rien sur sa rpartition Bien que la plupart des commentateurs se concentrent sur lvolution du PIB, cest celle du PIB par habitant qui importe pour comparer les niveaux de vie : cela permet de tenir compte des facteurs dmographiques. Mais cette moyenne est toujours susceptible de masquer des volutions dans la rpartition des revenus : son augmentation peut ainsi aller de pair avec une amplification des disparits mettant en cause la cohsion sociale et gnratrice de cots sociaux lis linscurit ou au stress. Au-del mme de la distribution des revenus et des patrimoines, le PIB ne tient pas compte des ingalits dans laccs aux services publics, lducation, la culture, la sant, qui peuvent entraver lobtention dune croissance forte et rgulire sur le long terme, prcisment parce que ses concepteurs taient convaincus quelles rgresseraient spontanment avec au fur et mesure du dveloppement (cest le sens de la courbe de Kuznets qui dcrit la relation entre le niveau de dveloppement dun pays mesur par le PIB/habitant et son niveau dingalit). Il nest affect par ces disparits que lorsquelles se traduisent par des rductions de la consommation globale. 3. Le PIB ignore les atteintes lenvironnement Conu une poque o la contrainte environnementale ntait pas clairement perue, le PIB comptabilise comme une production courante la valeur des ressources naturelles mises sur le march mais nglige les atteintes lenvironnement parce quaucun agent nen supporte les cots (externalits ngatives) ; les mesures classiques du Produit intrieur net (PIN) ne tiennent dailleurs compte ni de lpuisement des ressources ni de la dgradation des actifs naturels ; en revanche, toutes les activits visant remdier ces atteintes ou leurs consquences ngatives - en matire de sant, de confort, etc. viennent grossir le PIB ds lors quelles emploient des facteurs marchands ; paradoxalement, son augmentation peut tre simplement la consquence de la comptabilisation de dpenses de rparation sans que soient dfalqus les dgts qui les ont provoqus ; bien sr, chaque fois quune ressource non marchande devient marchande (cas de leau) ou que lon cre un march pour un lment de lenvironnement ( march du carbone europen), sa valeur entre dans le calcul du PIB. Au total, il apparat assez clairement que le PIB et les donnes qui lui sont lies ne sauraient traduire ltendue des dfis que doivent relever les socits contemporaines. Il a acquis un statut tel dans le dbat public que la focalisation sur la croissance de lactivit conomique mesure par cet instrument tend occulter les autres dimensions du progrs : cest, en particulier,

15

le cas en ce qui concerne les atteintes lenvironnement ; cest aussi flagrant en matire de cohsion sociale. Comme le souligne le Comit conomique et social europen dans lavis dj cit, le PIB est certes un bon indicateur du rythme de lconomie qui montre les efforts consentis pour gagner plus dargent, sans se soucier si cela gnre des produits et services utiles ou si cela nuit lhomme et lenvironnement . Il est indispensable pour effectuer des calculs de rpartition de la valeur ajoute entre salaires et profits et sa relation avec la cration demplois fonctionnait assez bien jusqu ces dernires annes. Mais il nvalue quune toute petite partie de ce quoi aspirent les citoyens et leurs gouvernements ; il ne dit rien sur les ingalits, sur la qualit de la vie, sur la dmocratisation de laccs aux biens communs, etc. ; il obre compltement les impratifs de prservation des ressources naturelles, de lenvironnement et des intrts des gnrations futures. En ralit, ne pas prendre ces dgts en considration, ne pas suivre ces volutions avec autant dintrt que celles relatives au taux de croissance, cest risquer dengranger des bnfices apparents (de fortes progressions du PIB), mais aussi des cots levs (de rparation) long terme. Cest aussi se priver de comprendre comment la prservation du capital naturel et la consolidation du capital humain (non reconnu dans le cadre comptable mais qui reprsenterait 80 % des richesses dune conomie, voire mme davantage) selon les termes de lconomiste amricain Theodore William Schultz, comme du capital social peuvent, au contraire, nourrir la croissance conomique, comme le soulignait dj lOCDE dans son rapport intitul Du bien-tre des nations : le rle du capital humain et social (2001). Il importe donc dintgrer toujours plus largement limpratif de la durabilit dans nos reprsentations statistiques. B - DES CLAIRAGES NCESSAIRES SUR DEUX ENJEUX MAJEURS Le dbat entre conomistes sorganise autour de deux questions faisant cho la dfinition propose par le rapport Brundtland, rappele ci-dessus mais dont on oublie souvent de citer la suite immdiate : deux concepts sont inhrents cette notion , crivait en effet la CMED, le concept de besoins , et plus particulirement des besoins essentiels des plus dmunis, qui il convient daccorder la plus grande priorit, et lide de limitations que ltat de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacit de lenvironnement rpondre aux besoins actuels et venir . Le premier chantier se centre donc sur la satisfaction des besoins et questionne les liens entre croissance et dveloppement partag ; le second est focalis sur la contrainte environnementale pesant sur la dynamique socio-conomique.

16

1. Croissance nest pas dveloppement La problmatique du dveloppement durable est dabord loccasion dun renouveau de linterrogation sur ce phnomne multidimensionnel quest le dveloppement, jusqu une priode rcente dfini comme laccroissement des richesses li la croissance conomique susceptible dengendrer une hausse gnrale du niveau de vie mme de satisfaire les besoins essentiels de toutes les couches de la population : - le dveloppement ne se rsume pas la croissance puisquil suppose des transformations structurelles et parce que la notion mme de croissance est tributaire de conventions susceptibles dtre remises en cause par une vision nouvelle du dveloppement, la redfinition du second conduisant rviser le contenu de la premire (il nest pas indiffrent de produire des armes ou de financer des coles, dinvestir dans des autoroutes ou dans des transports publics) ; - mais le dveloppement, qui peut dailleurs emprunter des voies diffrentes compte tenu de la diversit des situations sociales et culturelles, ne soppose pas systmatiquement la croissance. Lun et lautre peuvent parfaitement se nourrir mutuellement : laugmentation de la productivit du travail au sens troit du terme est une condition ncessaire, quoique non suffisante, du dveloppement ; lamlioration de la sant et de lducation est videmment une source defficacit conomique autant quelle contribue au bien-tre. Cest ce dbat sur la satisfaction des besoins mettant en avant des critres defficacit, de qualit et de sobrit pouvant contribuer la promotion dune valeur ajoute dusage durable qui amne envisager la production dindicateurs complmentaires - voire, parfois, alternatifs - au PIB reposant sur lide que le bien-tre ne peut se rsumer la croissance, telle quelle est mesure par la comptabilit nationale. Selon certains auteurs, le bien-tre du plus grand nombre possible dtres humains dpendra de la disponibilit dun ensemble de facteurs de production, tels que les ressources naturelles, le capital matriel et humain considr au sens large, sans se limiter au niveau de qualification de la main duvre mais en incluant lensemble des institutions sociales qui contribuent la productivit (parfois appel capital social ) : comme laffirmait Lon Bourgeois (Solidarit, Colin) ds 1902, chaque socit dispose dun patrimoine (biens physiques, naturels, culturels, tat donn de sant, dducation, de scurit) dont les volutions importent tout autant que celles de la production ou du revenu tir des changes de biens et services ; nous hritons chaque moment dun systme quil nous revient de maintenir ou damliorer et nous devons observer avec la mme attention ces ressources que ce que nous produisons ; nous formons, en dfinitive, une socit, un collectif qui reoit un patrimoine gnral dont il importe de suivre les diffrents tats.

17

cet gard, la dmarche la plus ambitieuse est certainement celle mene par le Conseil de lEurope, en coopration avec lOCDE et aprs dintenses consultations internationales, qui met en vidence limportance des dimensions matrielles mais aussi immatrielles du bien-tre et, plus prcisment, la reconnaissance de chacun en tant quacteur de la socit. Elle distingue six types de biens ou capitaux : - biens conomiques (infrastructures, quipements, entreprises, marchs...) ; - biens environnementaux (sous-sols, sols, ressources hydriques, biosphre - tres vivants, biodiversit, cosystmes -, atmosphre) ; - capital humain (population, savoirs, savoir-faire...) ; - capital social (relations humaines et liens, confiance) ; - capital culturel (valeurs communes, connaissances - de lhistoire, des sciences, etc.) ; - capital institutionnel et politique (institutions dmocratiques, droits de lhomme, rgles, formes de rgulation, etc.). Le Conseil de lEurope propose des voies pour que chacun puisse contribuer dvelopper, selon une logique de dmocratie participative, des perceptions concertes et inclusives de bien-tre (y compris des biens communs) permettant damliorer la cohsion sociale (Le bien-tre pour tous - Concepts et outils de la cohsion sociale, tendances de la cohsion sociale n20, 2009). 2. Une croissance respectueuse de lenvironnement Le deuxime grand dbat vise cerner spcifiquement la contrainte environnementale que doit respecter la dynamique socio-conomique pour satisfaire les besoins, compte tenu des limites tant gographiques que physiques de la Terre. Il est moins rcent quon ne limagine puisque cest dans les annes 1960-1970, sous limpulsion des membres de lassociation Resources For the Future (RFF), premier think tank exclusivement consacr ces questions fond en 1952 par William Paley, et de quelques conomistes tels que Nicholas Georgescu-Roegen, Kenneth Boulding et Herman Daly, que la nature est vritablement devenue un objet dtude. Ce dbat se cristallise, pour lessentiel, autour du concept de capital naturel , ensemble dlments (ressources, capacit de rgulation de la biosphre) participant au bien-tre des socits : - les thoriciens noclassiques, faisant confiance au progrs technique et la rgulation par les prix, jugent que la croissance peut se poursuivre grce des substitutions entre le capital naturel et dautres formes de capital (humain, technique, financier). Do une perspective de durabilit faible . Il est vrai qu lappui de cette thse, lexprience passe enseigne que des techniques nes de la recherche et de linvention peuvent corriger ce qui tait rdhibitoire

18

avant leur survenue. Par ailleurs, on doit aussi tenir compte de la capacit de raction des cosystmes ; - dautres conomistes, dans une perspective dune durabilit forte , pensent que les autres facteurs de production ne sont pas entirement substituables et quil convient dintroduire des contraintes pour prserver certains stocks jugs critiques . Ainsi que la rappel Jean-Philippe Cotis (entretien avec le rapporteur), la comptabilit environnementale offre un cadre danalyse permettant de lier le dveloppement conomique et ses impacts sur la nature. On peut distinguer notamment : - les comptes du patrimoine naturel qui recensent les stocks de ressources (terrains, forts, eau, etc.). Ils pourraient fournir un clairage sur le caractre durable de la croissance au regard de lvolution du capital naturel et une valuation des cots conomiques de lpuisement des ressources ; - les comptes des dpenses de protection de lenvironnement expriment les cots (protection de lair et du climat, gestion des eaux uses, dchets etc.) supports par les diffrents agents. Ils visent mettre en vidence limpact conomique, en termes de production et demploi, de la lgislation en la matire. Ces deux catgories de comptes sinsrent dans le cadre du systme de comptabilit conomique et environnementale intgre (System of integrated Environmental and Economic Accouting (SEEA)), mis en place au milieu des annes 1990 sous lgide de plusieurs entits internationales (Organisation des Nations Unies (ONU), Commission europenne, FMI, OCDE, Banque mondiale) et dont la version actuelle date de 2003. Il rassemble des informations permettant de mieux apprcier la contribution de lenvironnement lconomie et les effets de rtroaction de cette dernire sur les cosystmes. Il deviendra le cadre conceptuel obligatoire, en 2012, aprs sa prochaine rvision en 2010. Il comprend quatre grandes catgories de comptes : les comptes de flux de matires, les dpenses de protection de lenvironnement, les comptes du patrimoine naturel et lvaluation des flux non marchands. En particulier, les comptes de flux de matires fournissent des indications sur les consommations dnergie et de matires premires par les diffrentes branches de lconomie, ainsi que sur la production de substances polluantes et de dchets solides. Ces flux, mesurs en units physiques ou (et) en termes montaires, sont par nature quilibrs, de sorte que ce qui entre dans lconomie (extraction du territoire national ou des eaux continentales et marines + importations) quivaut ce qui en sort (rejets + variations de stocks + exportations). La matrice des comptes nationaux incluant des comptes environnementaux (National accounting matrix including environmental accounts) vise rapprocher le tableau des entres-sorties de la comptabilit nationale avec les pressions environnementales. Ceci permet leur imputation aux

19

branches responsables, leur suivi temporel en regard des valeurs ajoutes (coefficacit) et la dtermination des pressions lies la satisfaction de la demande finale. Si lon sintresse au cas franais, on constate ainsi que la productivit matrielle de notre conomie samliore depuis 1990 (+ 25 %) mais que la consommation intrieure de matires na pas baiss significativement (13,8 tonnes par habitant en 2006 contre 14,3 en 1990). Celle-ci dpend davantage des importations (notamment sous leffet du mouvement de dlocalisations), ce qui opre un transfert ltranger des pressions sur lenvironnement lis la transformation des ressources. Selon Bruno Trgout (audition devant la commission), la prise en compte de lensemble de ces flux cachs rsultant de la production des produits imports (non pris en compte par les agrgats actuels) multiplierait par trois le besoin en matires et diviserait dautant la productivit matrielle, en engendrant davantage de flux indirects ltranger. Graphique 1 : Productivit des ressources et besoin matriel de lconomie140 135 Indice base 100 sur 1990 130 125 120 115 110 105 100 95 90 1065 Mt 1,50 /kg

17 t/hab

Source : SOeS.

DMI : Domestic Material Inputs (entres de ressources dans lconomie). Source : audition de Bruno Trgout et Michel David devant la commission le 9 mars 2009.

Lvaluation des flux environnementaux non marchands permettrait, quant elle, la prise en compte des cots cologiques lis au fonctionnement de lconomie. Cela rpondrait au souhait du lgislateur (article 42 de la loi Grenelle 1) qui entend disposer dindicateurs permettant la valorisation, dans la comptabilit nationale, de biens publics environnementaux dici 2010 . Cela peut reposer sur le chiffrage des cots ncessaires pour viter les atteintes,

19 90 19 91 19 92 19 93 19 94 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 20 06PIB (prix chans, base 2000) Productivit apparente des ressources (PIB/DMI) Besoin matriel apparent de l'conomie (DMI) Besoin matriel apparent par habitant (DMI/hab)

20

restaurer la nature ou encore tenir compte du consentement payer des bnficiaires des services environnementaux concerns. En ajoutant ces cots non pays la demande finale, telle que mesure actuellement dans les comptes nationaux, on ferait apparatre - PIB et revenu disponible inchangs - que son vritable cot est suprieur son prix de march. Au final, cest lcart relatif entre le cot total de la demande finale (y compris les cots environnementaux) et la valeur de march de cette demande qui permettrait de mesurer la distance qui spare le fonctionnement actuel de lconomie de ce que serait un fonctionnement vritablement compatible avec un modle de dveloppement durable. Cette approche, suggre en particulier par Andr Vanoli ( Reflections on environmental accounting issues The review of income and wealth, srie 41, n 2 juin 1995) est sans doute la plus prometteuse dun point de vue conceptuel. Elle demande toutefois tre prcise et tre assise sur des mthodes destimation et des systmes dinformation adapts. Cest pourquoi, il faut se fliciter que le Conseil national de linformation statistique (CNIS) ait inscrit cette question dans son programme moyen terme 2009-2013 pour ce qui concerne la formation environnement (dsormais intgre dans la commission thmatique dveloppement durable), et que le service de lobservation et des statistiques (SOeS) du ministre de lcologie, de lnergie, du dveloppement durable et de lamnagement du territoire se soit lui-mme engag dans cette voie. Cela passe par : - lvaluation, en extrapolant ce qui est dj connu pour la protection, des cots de rparation des dommages causs aux biens publics et non pays par lconomie (en commenant par la pollution de lair et le rchauffement climatique), pour aboutir une notion proche du prix cologique support par certains produits ( tiquette carbone ) ; - linternalisation des missions de gaz effet de serre, en sappuyant sur les tudes existantes pour fixer un prix la tonne de CO2 et en particulier sur le rapport dAlain Quinet sur La valeur tutlaire du carbone (Centre danalyse stratgique, 2008), qui le situe entre 32 et 200 euros entre 2010 et 2050, et les donnes du plan national daffectation de quotas ; - ltude de la question de lpuisement des ressources dactifs naturels renouvelables (cas des poissons) ou non renouvelables (hydrocarbures).

21

C - UNE STRATGIE EXIGEANTE Puisque les ressources de la Terre sont limites, il convient de trouver des techniques de production qui permettent de les utiliser sans les puiser. Parce quelle est trs ingalement rpartie, la croissance exacerbe les tensions entre pays. Faire le choix du dveloppement durable, cest insister sur la ncessit de faire systme de compromis dynamiques au sein de trois champs de confrontation : les intrts des gnrations actuelles et ceux des gnrations futures ; les logiques luvre selon les niveaux et les objectifs de dveloppement de diffrents pays dans un contexte mondialis ; les activits des tres humains et la prservation des cosystmes. Cet objectif stratgique connat une phase dinstitutionnalisation, au sens o il est intgr au sein du processus de dcision dun ensemble dorganisations : les Nations Unies ont cr une Commission du dveloppement durable, les tats ont mis sur pied des stratgies nationales, les acteurs locaux se sont lancs dans des Agendas 21 (plan daction adopt lors du sommet de la Terre, en 1992, dcrivant les secteurs dans lesquels les collectivits territoriales doivent simpliquer en associant les populations), les entreprises adoptent des systmes de management environnemental, les associations et Organisations non gouvernementales (ONG) mnent des campagnes de dnonciation ou engagent des partenariats. Cela implique de nouvelles mthodes de travail, plus collectives, plus transversales, afin de rendre possible la coproduction, la mise en uvre et lvaluation continue de la stratgie. On retient gnralement lobjectif dun quilibre harmonieux entre les trois piliers (conomique, social, environnemental), ce qui donne toutefois lieu des interprtations extrmement varies.. Cette dmarche passe trop souvent sous silence la dimension culturelle, cest--dire la ncessit de favoriser un large accs lducation et la connaissance pour donner chacun, dans la diversit des appartenances culturelles, la possibilit de dvelopper sa crativit selon une conception universelle du dveloppement. Elle seffectue, selon Christian Brodhag, essentiellement sous langle de lintgration des questions environnementales aux objectifs conomiques, pour dcoupler la croissance de lutilisation des ressources. La dimension sociale est elle-aussi encore trop souvent nglige ou marginale, alors mme que, selon lanalyse de Jean-Paul Fitoussi et Eloi Laurent, lgalit cologique est la cl du dveloppement durable (cf. La nouvelle cologie politique, conomie et dveloppement humain, La Rpublique des ides, Seuil 2008). Cest dailleurs pour cette raison que certains prfrent le qualificatif soutenable plutt que durable jug trop assimil la proccupation environnementale. Si nombre dactions font lobjet dun simple recyclage , il existe aussi des politiques novatrices : cest le cas notamment en matire de changement climatique, dont on mesure chaque jour le poids grandissant dans les dbats. Cela tient limportance de lexpertise en la matire (le Groupe dexperts

22

intergouvernemental sur lvolution du climat (GIEC) a publi son quatrime rapport en 2007), mais aussi au fait que les questions nergtiques touchent au cur mme de la dynamique socio-conomique et que linstrument de rgulation privilgi est un systme de permis ngociables et donc montiss. Si cette stratgie est exigeante, cest aussi que laction en la matire concerne aussi bien les individus et les institutions qui les socialisent (famille, cole, organisations de la socit civile, mdias et institutions culturelles...) que les entreprises et les pouvoirs publics : - par leurs comportements, les premiers sont au cur de la problmatique du dveloppement durable. Mais, si lon suit Bettina Laville (entretien avec le rapporteur), elle ne saurait se rduire une stratgie des petits gestes : les volutions en matire de normes de consommation sont certes primordiales mais les choix des mnages sont largement contraints par loffre manant des entreprises et des pouvoirs publics. Les normes de production (notamment celles de la srie 14 000 pour lenvironnement), les stratgies dentreprise et les politiques publiques touchant lemploi, au temps et aux conditions de travail, etc., sont donc galement questionnes ; - la logique du dveloppement durable sest essentiellement traduite, pour lentreprise, par la notion de responsabilit sociale et environnementale , dcline en une multitude de normes visant produire de lassistance la prise de dcision et construire de la lgitimit vis--vis de ses parties prenantes (actionnaires, salaris, riverains...). Larticle 116 de la loi 2001-420 du 15 mai 2001 sur les Nouvelles rgulations conomiques (NRE) fait obligation (sans toutefois prvoir de sanction) aux 700 entreprises franaises cotes sur le march de fournir des donnes sociales et environnementales dans leurs rapports annuels (et cette disposition pourrait stendre dautres entreprises en vertu de la loi Grenelle 1) : Vigeo retient ainsi six domaines dvaluation couverts par trentesept critres concernant les droits humains, les ressources humaines, lenvironnement, les comportements sur les marchs, le gouvernement dentreprise et lengagement socital. Lobjectif vis demeure essentiellement celui du dveloppement financirement durable de lentreprise qui, du point de vue environnemental, met en uvre un processus damlioration continue de ses systmes de dcision et de production ; - tous les niveaux de la dcision publique ont t appels sengager selon des logiques descendantes ou ascendantes. Mais rien ne prouve que les priorits et les intrts globaux et locaux convergent, les territoires tant, de fait, en concurrence pour attirer des capitaux, des emplois, des habitants.

23

Au total, un peu plus de vingt ans aprs sa conscration internationale, la notion de dveloppement durable, parfois dfinie comme un principe normatif sans normes , a permis de relancer les dbats relatifs aux relations complexes entre croissance, environnement et dveloppement harmonieux. Mais la coupure est nette entre la vigueur des discussions thoriques et les actions rellement mises en uvre : la question est notamment de savoir si la bonne volont des acteurs (publics et privs) sera suffisante pour relever les lourds dfis quelle recouvre ; les politiques publiques doivent tre plus incitatives et, le cas chant, contraignantes lgard de tous les acteurs mais elles-mmes ne le seront probablement que sous la pression des forces sociales mobilises par les enjeux et volutions en cours. Il faut enfin se dpartir dune vision par trop anglique : sil est vrai que le dveloppement durable correspond une stratgie gagnant-gagnant, ce gain collectif ne peut tre acquis qu trs long terme et selon une logique mondiale. Cela suppose de surmonter les cots court et moyen terme, invitables et souvent occults, de la transition pour certains secteurs conomiques et certaines catgories sociales, en particulier (mais pas seulement) dans les pays en dveloppement. On est l face un pur conflit entre un bien public dont le bnfice est situ un horizon lointain (avec tous les risques de stratgies dvitement que cela induit) et des cots privs pour limmdiat qui sont ingalement rpartis et justifient un accompagnement public consquent. On ne comprendrait pas, dfaut, les rsistances qui sopposent, contre toute vidence scientifique, sa mise en uvre effective, au-del des stratgies marketing de green washing (blanchiment cologique) engages de manire gnrale par les acteurs. Cest ainsi que, dans ses Visions 30 ans dune France engage dans le dveloppement durable (2009), le BIPE, socit de conseil en stratgie spcialise dans la prvision conomique et la prospective applique, distingue quatre familles de secteurs : - les secteurs moteurs du dveloppement durable sont ceux qui faciliteront , voire rendront possible, le changement dans les autres domaines dactivit ou dans lorganisation de la socit et qui auront des effets importants en amont et en aval (nanotechnologies, nergies renouvelables, nouveaux systmes de motorisation, quipements moins intensifs en nergie et autres ressources de base, nouveaux matriaux, domotique) ; - les secteurs porteurs de dynamisme verront leur croissance stimule par la transition vers le dveloppement durable (culture et loisir, transports collectifs, services la personne) et contribueront au passage une croissance davantage axe sur limmatriel ;

24

- les secteurs en transformation subiront des changements importants pour sinscrire vritablement sur une trajectoire durable mais leur rythme de croissance ne sera pas sensiblement impact (transport arien, gestion de leau, maintenance industrielle, services financiers) ; - les secteurs transition invitable seront moins dynamiques que par le pass, du moins sur leurs marchs traditionnels (automobile, transport par route). Selon le BIPE, lhorizon des deux ou trois prochaines dcennies, les activits se dclineront non plus partir du produit , du service ou de la technologie pour le produire mais sur la base de la fonction remplie : ainsi, le transport sera-t-il le fait dacteurs concerns par le service de mobilit , la production dquipements lectriques et lectroniques et la fabrication et ldition de logiciels informatiques donneront-ils naissance un sous-segment dacteurs spcialiss dans tout ce qui touche la scurit, etc. Ces volutions constituent des passages obligs vers lintgration, dans les rfrentiels de prix, du cot global , indispensable pour impulser les changements en faisant payer le vrai prix (incluant les externalits). En conclusion, lexigence dun dveloppement durable implique que soit accorde une importance quivalente la connaissance statistique des trois volets qui le composent. Sous limpulsion du CNIS, reprenant son compte la demande forte des parties impliques, lappareil statistique franais a ralis des progrs apprciables dans le domaine social, entre autres rcemment dans la mesure du chmage et de son halo ainsi que des ingalits. Mais, dans ce domaine et plus encore dans celui de lenvironnement, une simple visite des sites de lINSEE et dEurostat suffit pour mesurer limportance du dcalage entre la production en la matire et celle qui a trait au domaine conomique. Cet cart se mesure dabord au regard du nombre de variables tudies et de leur accessibilit mais aussi et surtout de la frquence de mise jour des rsultats, de leur actualit, de leur adaptation la dcision publique et de leur dclinaison gographique : ainsi, alors que la production industrielle est connue presquinstantanment, cest le plus souvent avec deux annes de retard - et parfois plus - que peuvent tre apprcies les volutions de la pauvret, des niveaux de vie ou de lexclusion, ce qui ne peut manquer de fausser lanalyse de la conjoncture ; il est de mme quasiment impossible dapprcier conjointement les effets des politiques menes dans le domaine environnemental.

25

Les collectivits territoriales, qui ont dans ces domaines des prrogatives de plus en plus importantes et qui sont en premire ligne pour rpondre aux attentes des populations, sont particulirement pnalises pour tablir des diagnostics pertinents sur la situation sociale et environnementale daujourdhui et non dhier, dfinir les politiques conduire et valuer leurs rsultats. cet gard, lOutre-mer, dont les populations sont confrontes des difficults comparativement plus intenses que dans la mtropole, souffre cruellement dun manque de donnes spcifiques. Recommandation n 1 : intensifier la production de donnes dans les domaines sociaux et environnementaux Les exigences du dveloppement durable impliquent un effort soutenu des pouvoirs publics pour dgager les moyens ncessaires lamlioration de la connaissance statistique de ses volets social et environnemental. Cela suppose damliorer : - la frquence de mise jour des rsultats ; - leur actualit ; - leur adaptation la dcision publique ; - leur dclinaison gographique, y compris concernant lOutre-mer. La mesure du PIB elle-mme est encore perfectible pour mieux prendre en compte les aspects non marchands de la production. Cest un impratif pour que soit mise disposition de tous les acteurs concerns une base solide dinformation permettant dtablir les indicateurs indispensables lassociation des citoyens la rflexion sur lavenir de notre socit et la dfinition de politiques cohrentes. Cest, au-del, une condition de la crdibilit du discours que souhaite porter la France au niveau europen et mondial sur lavenir de notre plante. Dans lexercice de ses missions, le CNIS doit intgrer ces impratifs.

26

II - LA PROBLMATIQUE DE LA MISE EN PLACE DINDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE Linformation est indispensable au processus dmocratique. Pertinente et partage, cest elle qui permet le reprage des enjeux, didentifier des objectifs, de procder aux choix et aux valuations. Prtendre que plus linformation est abondante, plus la dmocratie est riche et responsable relverait cependant de lillusion ou de la dmagogie. On le pressent quand, noy sous un flot de chiffres grens quotidiennement par les mdias, on peine distinguer lessentiel de laccessoire ou quand quelques interviews dun micro-trottoir acquirent la mme valeur que la statistique robuste dun organisme public. On imagine le trouble des passagers dun avion sils disposaient de lensemble des informations exploites par le pilote... Il est donc tout fait lgitime de chercher identifier un nombre restreint dindicateurs pour associer le plus largement possible les citoyens au dbat dmocratique tout en leur permettant dapprcier facilement les progrs accomplis ou non dans tel ou tel domaine. Lorsque le domaine est limit, la rponse est en gnral aise. Lorsquil embrasse le dveloppement durable et donc lentiret des champs conomique, social et environnemental, des choix simposent. Ce qui soulve de prime abord deux questions, celle du mode de choix de ces indicateurs et celle de leurs fonctions et de leur nombre. Mais ces questions ne rsument pas la problmatique : demeure celle de leur appropriation et de leur utilisation. Les pouvoirs publics ont en la matire une responsabilit majeure. A - LAPPROPRIATION DES INDICATEURS PAR LES CITOYENS Nous avons dj illustr, dans la premire partie de cet avis, le dcalage persistant entre les informations fournies par la statistique et la perception des personnes. Le cas le plus emblmatique a sans doute trait linflation et au pouvoir dachat et lexplication avance est connue : lindice des prix nest pas un indice du cot de la vie... Certes. Mais le problme demeure et cest en dehors de la statistique publique que les mnages trouvent les chiffres qui dcrivent le mieux leur situation. Cet exemple illustre limprieuse ncessit dintgrer la rflexion la lisibilit et la comprhension de ces indicateurs et dinventer des modalits dassociations des citoyens et de la socit civile leur dfinition, la quantification nayant de sens quau service de la qualification : ds lors que lon ne dfinit des indicateurs quen rfrence des choix, il y a l un enjeu de lgitimit dmocratique qui doit tre soulign.

27

Il est en effet frappant de constater que la multiplication des sminaires sur des indicateurs visant aller au-del du PIB nest pas parvenue retenir lattention des organisateurs des cycles de rvision du SCN, pas plus ceux du pass que celui du SCN 2008. Cela tient plusieurs raisons, bien mises en exergue par Franois Lquiller, ancien responsable des comptes nationaux lOCDE, lors du colloque dj cit : - dabord, il nest pas prvu de demander directement leur avis aux utilisateurs. Au dbut du cycle actuel, il ny a eu quun seul pays (les tats-Unis) dans lequel ait t organise une enqute sur les volutions mthodologiques juges prioritaires. La liste des 44 sujets qui vont faire lobjet dun changement dans le SCN 2008 (compar au SCN 1993) a donc t principalement le rsultat dune ngociation entre experts. Cest encore plus vrai de la liste des 20 sujets du programme de recherche pour le SCN qui lui succdera ; - ensuite, les membres de la comptabilit nationale institutionnelle considrent implicitement quils ne sont en charge que des comptes nationaux centraux : dans leur esprit, les questions environnementales et/ou de bien-tre leur sont extrieures (la nature ne fait ainsi pas partie des secteurs institutionnels) et sont rserves pour des comptes satellites loigns de leurs proccupations quotidiennes. Presque spontanment, ils considrent ces questions comme hors sujet et mettent en avant les sujets techniques auxquels ils sont confronts au jour le jour (comptes financiers et non financiers des secteurs institutionnels, notamment des administrations publiques) ; - enfin, si les comptables nationaux sont si prudents avec les mesures alternatives, cest aussi parce quils constatent tous les jours quils sont dj la limite du mesurable : on a si bien vendu le concept de PIB que beaucoup oublient quel point il est dj extrmement ambitieux et difficile bien mesurer : comment valuer, par exemple, la production en volume des banques, des assurances, des services non marchands ? Do, probablement, leur rticence aller plus loin. Autrement dit, la demande de mesures alternatives intgres aux comptes centraux ne sera pas spontanment relaye par les processus de la comptabilit nationale : elle devra tre pratiquement impose de lextrieur comme cela a t le cas du concept de revenu libr (hors dpenses contraintes). Il existe dailleurs de nombreuses raisons qui militent en faveur de la participation citoyenne ces dbats, au ct des comptables nationaux : - ces derniers ont certes comme atouts principaux leur matrise de mthodes scientifiques parfois complexes et une bonne connaissance des expriences et initiatives existantes ;

28

- de leur ct, les citoyens les plus concerns peuvent se former et accder en partie aux savoirs techniques essentiels, disposent dinformations de terrain que ne fournissent pas les enqutes statistiques et sont des tmoins du mal-tre, des aspirations au mieuxvivre ; - en ne les associant pas suffisamment la rflexion, on court ainsi le risque daboutir des indicateurs qui refltent mal la volont de vivre de faon durable dans une socit meilleure et plus claire. Qui plus est, en se privant de ces points de vue, on laisse toute libert aux experts institus de construire des indicateurs qui intgrent dabord leurs propres valeurs et reprsentations du progrs. Ce nest pas le choix qui a t fait par le gouvernement qui a souhait recueillir lavis de la socit civile sur la question gnrale des indicateurs du dveloppement durable et, plus particulirement, sur lempreinte cologique. Dominique Mda, Jean Gadrey, Claude Martinand et Bernard Perret entendus sur ce sujet ont chacun avanc des pistes que le CESE estime complmentaires, permettant lassociation troite des citoyens la dfinition des indicateurs de dveloppement durable mais galement lapprciation de leurs volutions. Dominique Mda a ainsi avanc lide de tenir des confrences citoyennes limage des confrences de consensus organises dans les pays scandinaves. Loin dinstituer une nouvelle catgorie de spcialistes, leur principe, rappel par Frdric-Paul Piguet (tats gnraux de lcologie politique, 2000), est de runir un chantillonnage de la population et de le mettre en situation dexpertise. Les dix ou vingt personnes qui sont choisies le sont par tirage au sort, mais de telle sorte que les principales composantes de la socit sont reprsentes. Les personnes qui font partie de groupes de pression connus en sont cependant limines, pour viter quelles sopposent sur un mode convenu davance. Le jury ainsi runi, car cest un jury, reoit des bases solides sur le sujet quil doit instruire. Ensuite, ce groupe convoque des experts de diffrents horizons et disciplines pour les questionner sur les enjeux du sujet trait . Jean Gadrey considre, quant lui, quil convient dinstitutionnaliser un systme dindicateurs si lon veut en asseoir tant la pertinence que la lgitimit. Cela peut impliquer la cration dune instance ad hoc (de caractre la fois scientifique et dmocratique) pour mettre en discussion et valider les principaux choix. Il a rappel au cours de son audition devant la Commission que le Forum pour dautres indicateurs de richesse (FAIR) propose driger le CESE en commission nationale des nouveaux indicateurs . Enfin, Claude Martinand et Bernard Perret ont insist sur la ncessit dune communication solennelle de lanalyse de lvolution de ces indicateurs au cours du temps permettant dassurer sa plus large appropriation par lopinion publique.

29

Cest dans cette logique dune meilleure association de la socit civile la dfinition des indicateurs que sinscrit galement la rflexion dEnrico Giovannini, chef statisticien de lOCDE, dans le cadre du projet mondial Mesurer le progrs des socits . Celui-ci vise devenir un lieu de rfrence pour tous les acteurs intresss par cette dmarche, en sappuyant sur lorganisation dune srie de forums mondiaux. Recommandation n 2 : associer troitement les citoyens et la socit civile au choix des indicateurs et lvaluation de leurs volutions Le Conseil conomique, social et environnemental souhaite animer, de concert avec le CNIS, en charge de linterface entre producteurs et utilisateurs des statistiques publiques, la concertation ncessaire entre les statisticiens publics, les reprsentants de la socit civile et, plus gnralement, les citoyens sur la dfinition des indicateurs du dveloppement durable. Lobjectif de cette concertation consisterait : - formuler une premire proposition intgrant parts gales des thmes et des indicateurs conomiques, sociaux et environnementaux soumettre au dbat citoyen ; - organiser, en association avec les CESR, des confrences citoyennes limage des confrences de consensus scandinaves pour confronter cette proposition aux attentes qui sexpriment dans la population au plus prs du terrain ; cette tape pourrait galement servir la construction dindicateurs infra-nationaux prenant en compte les spcificits des territoires ; - soumettre in fine lapprobation de lassemble plnire du Conseil une liste dindicateurs sur laquelle il reviendrait naturellement au Parlement de se prononcer en dernire instance afin quils deviennent vritablement les indicateurs de lensemble de la Nation. Ce processus pourrait tre renouvel tous les cinq ans afin de vrifier ladaptation de ces indicateurs lvolution de la socit tout en veillant assurer une certaine continuit du suivi statistique. La seconde mission du CESE en la matire consisterait en lorganisation dune confrence annuelle dvaluation des volutions de ces indicateurs, donnant lieu la publication dun avis du CESE et un dbat dcentralis au sein des CESR.

30

B - DES INDICATEURS EN NOMBRE LIMIT MAIS SIGNIFIANTS La saisine du Premier ministre invite le CESE sintresser aux informations utiles pour les hommes politiques, les citoyens et les acteurs conomiques pour aller vers un dveloppement durable. Elle lui demande aussi quels sont les indicateurs phares susceptibles dadresser les signaux les plus lisibles dans cette perspective. Il est clair que les pouvoirs publics comme les observateurs spcialiss doivent pouvoir disposer de linformation la plus complte possible sur lensemble des domaines considrs. Celle-ci doit tre accessible et disponible qui la souhaite car il serait dommageable de laisser souponner une dissimulation dinformation. Cependant, il serait certainement contreproductif de livrer la mme quantit dinformation lensemble des citoyens et de les laisser sen dbrouiller. Afin de toucher lopinion publique et de permettre lassociation du plus grand nombre au dbat public, il convient plutt de retenir un nombre rduit dindicateurs signifiants, robustes et frquemment mis jour. Llaboration dun tableau de bord dune douzaine dindicateurs apparat de ce point de vue comme un bon outil dinformation, dalerte et de dbat. Un tel instrument existe, mme sil reste perfectible et si les indicateurs retenus pour le composer pourraient voluer. La stratgie de lUnion europenne a t adopte Gteborg (Sude) en juin 2001 puis rvise en juin 2006. Son objectif global consiste amliorer de manire continue la qualit de la vie des gnrations prsentes et futures, en garantissant la prosprit conomique, la protection de lenvironnement et la cohsion sociale. Conformment lAgenda 21 adopt Rio qui invite les pays laborer des indicateurs utiles pour la prise de dcision, elle retient 116 indicateurs rpartis entre un niveau 3 correspondant aux objectifs oprationnels ( actions et variables explicatives ainsi qu indicateurs contextuels dinformation gnrale ), un niveau 2 ( objectifs prioritaires ) et un niveau 1 qui met en exergue 11 indicateurs phares correspondant aux objectifs majeurs . Ces 11 indicateurs, galement adopts par la France, sont les suivants : 1. taux de croissance du PIB par habitant ; 2. missions totales de gaz effet de serre ; 3. part des nergies renouvelables dans la consommation intrieure brute dnergie ; 4. consommation dnergie des transports ; 5. productivit des ressources ; 6. indice dabondance des populations doiseaux communs ; 7. prises de poissons en dehors des limites biologiques de scurit ; 8. esprance de vie en bonne sant ; 9. taux de risque de pauvret aprs transferts sociaux ;

31

10. taux demploi des travailleurs gs (55-64 ans) ; 11. aide publique au dveloppement. Ces indicateurs constituent une base sur laquelle sappuyer mais doivent naturellement tre discuts : ainsi, et ce nest quun exemple, le rapport de la moyenne des revenus du dixime dcile au premier constituerait sans doute un meilleur indicateur de lvolution des ingalits que le taux de risque de pauvret aprs transferts sociaux (cf. recommandation n 5, infra). Ils ne prtendent pas non plus puiser la complexit de chacune des thmatiques concernes mais permettent dattirer lattention sur les principaux problmes et les principales tendances, quitte tre complts ou mis en perspective par des indicateurs complmentaires. Ils sont censs adresser des signaux dalerte pour relever les sept dfis-cls identifis (qui recoupent en partie ceux de la stratgie de Lisbonne sans pour autant quune cohrence densemble soit assure) : 1. freiner le changement climatique ainsi que son cot et ses effets nfastes pour la socit et lenvironnement ; 2. veiller ce que les systmes de transport rpondent aux besoins environnementaux et socioconomiques de la socit tout en minimisant leurs incidences dommageables sur lconomie, la socit et lenvironnement ; 3. promouvoir des modes de production et de consommation durables ; 4. amliorer la gestion et viter la surexploitation des ressources naturelles, en reconnaissant la valeur des services cosystmiques ; 5. promouvoir une sant publique de qualit sans discriminations et amliorer la protection contre les menaces pour la sant ; 6. crer une socit fonde sur linclusion sociale en tenant compte de la solidarit entre les gnrations et au sein de celles-ci, et garantir et accrotre la qualit de vie des citoyens en tant que condition pralable au bien-tre individuel durable ; 7. promouvoir activement le dveloppement durable travers le monde et veiller ce que les politiques internes et externes de lUnion europenne soient compatibles avec le dveloppement durable mondial et avec les engagements internationaux quelle a souscrits.

32

Comme la indiqu Michle Pappalardo (entretien avec le rapporteur), la nouvelle Stratgie nationale de dveloppement durable (SNDD) 2009-2012, qui devrait tre adopte dici lt prochain, intgrera les conclusions du Grenelle de lenvironnement en les compltant notamment sur les dimensions conomiques et sociales. Elle recense prsent neuf dfis, en ajoutant aux prcdents lducation, la formation, la recherche et dveloppement - au titre de la socit de la connaissance - ainsi que la gouvernance et les territoires (prcdemment lists mais non retenus parmi les dfis). Son adoption doit saccompagner dun rel effort de communication auprs du grand public afin de faciliter la mobilisation des citoyens autour des objectifs qui seront dfinis. Cest la condition pour assurer leur ralisation effective, permettre les rorientations ventuellement ncessaires et engendrer leur relle appropriation par les citoyens. La France pourrait notamment sinspirer de linitiative de lOffice fdral de la statistique helvtique prsente la commission par Andr de Montmollin, responsable du programme MONET, systme dindicateurs destin au monitoring du dveloppement durable, dont un des aspects consiste en la large diffusion dun livret synthtique de vingt pages dcrivant la signification et lvolution sous une forme graphique simple de dix-sept indicateurs phares relatifs ses aspects sociaux, conomiques et cologiques. La dclinaison des indicateurs lchelle infra-nationale, dont les travaux des CESR ont montr la pertinence, est tout aussi importante. Dabord, la traduction des objectifs peut diffrer selon les caractristiques des territoires : cest le sens notamment des travaux conduits par lAssociation des rgions de France (ARF) et lAssociation des communauts urbaines de France (ACUF). Ensuite, les enjeux territoriaux dfinissent des problmatiques spcifiques. Par ailleurs, la prise en compte de linterdpendance des territoires est dterminante car les phnomnes qui les influencent (notamment les pollutions) peuvent tre localiss hors du territoire dobservation et daction : en la matire, plusieurs initiatives ont dj t prises lchelle rgionale, tandis que lObservatoire des territoires de la Dlgation interministrielle lamnagement et la comptitivit des territoires (DIACT) et le CGDD ont t chargs de ladaptation de ces indicateurs aux problmatiques locales.

33

Recommandation n 3 : privilgier une logique de tableau de bord Sans porter ce stade de jugement sur la nature des indicateurs retenus qui, comme on vient de le voir, devraient relever dune confrontation intelligente du point de vue des experts et des attentes des citoyens, notre assemble juge positivement lapproche des stratgies europenne et nationale de dveloppement durable qui permet de relier entre eux les niveaux europen, national et territoriaux sur la base dun tableau de bord. Le nombre dindicateurs retenus, une douzaine, lui parat de lordre de grandeur ncessaire pour apprhender les problmes majeurs auxquels notre socit est confronte en termes de dveloppement durable, assurer leur large diffusion, veiller la curiosit pour en apprendre plus et permettre le dbat. Un tel tableau de bord gagnerait cependant en lisibilit si chaque item taient associs des objectifs quantifis et dats permettant de mieux apprcier les efforts accomplis. Il devrait tre diffus auprs dun large public sous la forme dun livret synthtique prsentant de manire attractive ses indicateurs phares. Des documents plus dtaills regroupant les indicateurs de niveaux 2 et 3 de la SNDD devraient aussi tre tenus la disposition du public, en complment du tableau de bord, au sein dune rubrique clairement identifie de la page daccueil des sites internet de la statistique publique. Notre pays pourrait utilement sinspirer de lexprience du Royaume-Uni o le National statistics board et le Department for environment, food and rural affairs ont publi, en 2006, un guide de qualit dune centaine de pages ( Sustainable dvelopment indicators in your pocket ). C - APPORTS ET LIMITES DES INDICATEURS SYNTHTIQUES Les dix thmes du cadre de rfrence europen pour les indicateurs du dveloppement durable soulignent ltendue des informations dont les dcideurs et les citoyens doivent disposer si lon souhaite faire voluer les comportements : il sagit de tout ce qui concerne le dveloppement socio-conomique, la consommation et la production durables (intgrant donc la question des dchets), linclusion sociale, les changements dmographiques, la sant publique, le changement climatique et lnergie, le transport durable, les ressources naturelles, le partenariat global et la bonne gouvernance. Il y a ainsi peu de sujets de rflexion socitale qui chappent, en ralit, la logique du dveloppement durable, encore que la culture apparaisse la grande oublie de ce cadre de rfrence.

34

Sans ngliger lintrt dun tableau de bord rduit, certains conomistes considrent nanmoins que le nombre dindicateurs qui le composeraient - une douzaine - est encore trop lev pour quils acquirent la notorit du PIB. Ils en appellent ainsi la construction dindicateurs plus synthtiques (cf. annexe 2) susceptibles dadresser des signaux, dappeler lattention sur des volutions indsirables, charge pour les observateurs daffiner leurs analyses en sappuyant sur lensemble des donnes disponibles. Les pouvoirs publics communiqueraient alors autour dun nombre rduit dindicateurs emblmatiques ou composites, ceux qui sont les plus mme de favoriser une prise de conscience et des modifications de comportements. En gardant comme rfrence les diffrents niveaux de la stratgie europenne de dveloppement (116 indicateurs de niveau 2, 11 indicateurs phares de niveau 1), il sagirait en dfinitive de crer un niveau 0 , constitu idalement de 3 indicateurs super phares , donc de retenir un indicateur pour le volet social et un pour le volet environnemental, susceptibles, par leur pouvoir dattraction sur lopinion publique et les citoyens, de faire contrepoids au PIB. On sait quun indicateur est un dispositif dagrgation de linformation qui, pour tre rellement utilisable dans le dbat public, doit idalement prsenter les trois qualits suivantes : - tre fond sur une thorie robuste ou du moins sur un ensemble de critres et de raisonnements cohrents permettant de justifier rationnellement les principales conventions et hypothses ; - avoir un contenu et une signification faciles comprendre et communiquer (que chacun en comprenne intuitivement la porte et les limites) ; - et avoir une lgitimit institutionnelle, cest--dire que les choix qui le sous-tendent ne soient pas ceux dun chercheur isol mais aient t valids par une procdure ou une instance socialement lgitime, y compris au plan international comme lont soulign Lonard Cox et Michel Laviale (entretien avec le rapporteur). Un indicateur agrg ou synthtique est construit partir de lagrgation des valeurs sur la base dune unit de mesure commune (comme le PIB ou lempreinte cologique) alors quun indicateur composite rsulte dune moyenne pondre dindicateurs lmentaires ventuellement normaliss pour prsenter de faon synthtique un phnomne multidimensionnel (comme lIndice de dveloppement humain - IDH -).

35

Ltude des principales rponses proposes face aux insuffisances du PIB, qui peuvent savrer contre-productives pour lconomie elle-mme, permet de tirer quatre enseignements : - les indicateurs synthtiques sont certes exprimentaux et jugs trop grossiers par les conomistes mais ils fournissent des diagnostics convergents et ont pour vertu dattirer lattention du public sur des dimensions du bien-tre extrieures au PIB ; - ces indicateurs posent des problmes mthodologiques et idologiques particuliers : les variables environnementales semblent plus faciles mesurer et intgrer que les donnes sociales, qui reposent sur des hypothses plus subjectives ; de plus la pondration des diffrentes variables est une question dlicate ; - lvolution des indicateurs dominante sociale sera toujours, par dfinition, borne par rapport celle du PIB : le PIB peut augmenter de faon continue sur le long terme alors que certains indicateurs sociaux sont soumis des limites (par exemple le taux de chmage ou le taux de pauvret ne seront jamais de 0 %) ; - ces indicateurs reposent certes sur des conventions parfois discutables. Cest aussi le cas du PIB et cest donc moins leur existence que labsence daccord autour delles qui pose problme. Au-del mme de ces considrations, on constate (voir annexe 2) que lindicateur composite, fut-ce au niveau dune seule dimension du dveloppement durable, ne fournit pas systmatiquement le bon signal aux acteurs concerns et au public. Ainsi, lindice agrg des indicateurs phares dfinis dans le cadre de lUnion europenne labor par lINSEE volue dans le mme sens que le PIB pour la plupart des pays tudis et nalerte en rien sur une ventuelle dgradation environnementale ou sociale. Plus proccupant encore est le fait quun indicateur synthtique ne saurait renseigner sur le caractre irrversible de certains phnomnes environnementaux. Il est dailleurs remarquable de constater que, tout en cherchant dfinir lindicateur le mieux mme de renseigner sur lvolution de la situation environnementale, la commission Stiglitz plaide pour une approche hybride intgrant une petite batterie dindicateurs physiques (cest galement loption choisie par Vigeo qui retient onze critres pour ce seul domaine). De leur ct, les promoteurs de lempreinte cologique reconnaissent quelle ne saurait suffire clairer sur les dfis environnementaux de la priode (voir infra). Pour ce qui la concerne, notre assemble a t conduite encourager, dans son avis prcit sur Croissance potentielle et dveloppement, prsent par Pierre Duharcourt, la construction dindicateurs dominante environnementale : indice du bien-tre durable , Indicateur de progrs vritable (IPV) mis au point par Redefining progress, indicateur dpargne vritable de la Banque mondiale [aussi dnomme pargne nette ajuste, cf. annexe 2], empreinte cologique . Elle a nanmoins estim dans ce mme avis quil tait prfrable

36

dapprcier les performances dune socit en analysant conjointement ces donnes de nature complmentaire plutt quen recourant un indicateur unique, aucun indice ne pouvant prtendre englober a priori la totalit des points de vue : le dveloppement durable est par essence multicritres, comme la rappel Guy Paillotin au cours de son audition devant la commission. Recommandation n 4 : intensifier les cooprations internationales pour homogniser les outils statistiques Les initiatives visant mettre au point des indicateurs synthtiques doivent sinscrire dans le cadre de la rflexion plus largement ncessaire sur une meilleure apprhension du bien-tre et de toutes les composantes du dveloppement durable. Les reprsentations statistiques doivent ainsi intgrer ces objectifs ds lorigine, selon une approche systmique, si lon souhaite que le comportement des agents conomiques aille effectivement dans ce sens. Ces travaux devraient faire lobjet dune harmonisation aux niveaux europen (Eurostat) et international (OCDE et ONU), tant il est vrai que de telles innovations auxquelles aspirent la socit civile et les citoyens en gnral nauront de sens que si elles se diffusent trs largement dans la communaut des statisticiens et des comptables nationaux. Recommandation n 5 : ce stade, retenir plutt des indicateurs non agrgs et emblmatiques que synthtiques La mise au point dindicateurs synthtiques de dveloppement durable (traduisant des visions diffrentes du dveloppement conomique et social ainsi que des enjeux environnementaux) permettrait certainement de combler certaines lacunes du PIB, condition de renforcer leur fiabilit et de saccorder sur un cadre conceptuel commun (en particulier sur les pondrations retenir). Sur ces deux plans, des progrs sont attendre de la recherche mene au sein des instituts statistiques et du dbat international sur ces questions. Dans cette attente, si le gouvernement souhaitait complter une mesure rnove du PIB par un nombre dindicateurs plus rduit que celui prconis dans le cadre du tableau de bord, notre assemble linvite retenir plutt des indicateurs emblmatiques, plus robustes, aptes alerter lopinion publique sur des volutions prjudiciables la cohsion sociale et la qualit de lenvironnement. De tels indicateurs permettant, par exemple, le suivi de lvolution des ingalits de revenu, des missions de CO2 ou de la biodiversit devraient, en tout tat de cause, tre discuts dans un processus analogue celui dcrit dans la recommandation n 2.

37

III - LEMPREINTE COLOGIQUE DES NATIONS DANS LE CADRE DE LA RECHERCHE DINDICATEURS DU DVELOPPEMENT DURABLE Il existe un consensus, au sein de la communaut scientifique, pour considrer quaucun indicateur agrg ne permet de suivre lensemble des dimensions caractrisant ltat de lenvironnement ou son volution. Ce consensus est encore plus fort, comme on la vu plus haut, pour un champ tendu celui du dveloppement durable. Si lon ne dispose donc pas dune mtrique permettant de rendre compte de lensemble des relations entre la nature et la socit, cela nempche pas certains auteurs, on la vu, de concevoir des indicateurs synthtiques. Lun des plus mdiatiss (environ 343 000 entres sur Google) est certainement lempreinte cologique (ecological footprint), qui a t labore dans les annes 1990 et alimente une interpellation salutaire de lopinion publique par des acteurs de la socit civile. Il faut dire que laffirmation contenue dans le rapport du World Wild Fund (WWF) prsent au moment du Sommet de Johannesburg, selon laquelle il faudrait entre trois et cinq plantes si lon voulait gnraliser le niveau de vie des Europens de lOuest ou du Nord-Amricains, y a fait sensation. Si ce que ses crateurs prsentent comme le Produit national brut (PNB) du XXI sicle semble parlant et est utilis par un nombre croissant dacteurs, sa construction, qui compare loffre et la demande de certaines ressources naturelles, soulve cependant de fortes interrogations. A - UN INDICATEUR STRICTEMENT ENVIRONNEMENTAL Cet instrument statistique est purement environnemental (puisquil ignore les aspects non cologiques et notamment sociaux de la durabilit) et relve dune vision anthropocentre , base sur les relations de lHomme avec son environnement naturel : il mesure la charge quimpose aux ressources renouvelables une population donne, associe un mode de vie, mais aussi sa production de dchets (toutefois rduite aux seuls rejets de CO2). Mme sil prsente des limites, il pourrait, le cas chant, venir complter la batterie dindicateurs la disposition des dcideurs et des citoyens sur les enjeux du dveloppement durable. Encore faut-il sassurer quil remplit les conditions reconnues comme ncessaires au plan international pour remplir cette fonction. 1. Une dfinition relativement simple... lchelle internationale, deux ONG amricaines travaillant en troite coopration (Redefining progress et le WWF) cherchent, depuis la seconde moiti des annes 1990, populariser le recours ce que lon pourrait appeler un indice synthtique de durabilit cologique visant reflter le degr dutilisation de la nature par lHomme des fins de production et de consommation matrielles. Ces travaux ont pour origine un concept appliqu en 1994 dans la thse de doctorat de planification urbaine de Mathis Wackernagel, chercheur de

38

luniversit de British Columbia Vancouver (Canada), sous la responsabilit de William Rees (Our ecological footprint : reducing human impact on the earth, New society publishers, 1996). Les auteurs cherchaient laborer une mthode de quantification physique de la durabilit, en proposant une information sensiblement quivalente celle fournie, dans le domaine conomique, par le PIB. Cet indicateur a t le seul indicateur cit par Jacques Chirac, alors Prsident de la Rpublique, dans son discours Johannesburg et son influence progresse vive allure. Comme lont rappel Mathis Wackernagel et Willy de Backer (entretiens avec le rapporteur), lide qui prside sa construction est la suivante : les activits de production et de consommation utilisent des ressources dont certaines sont non renouvelables (ptrole et gaz naturel, stocks de minraux fossiles), alors que dautres peuvent se reproduire sans intervention humaine (sols, forts, eau, atmosphre, climat, espces vivantes en reproduction naturelle comme les poissons...). Cest uniquement ces dernires (regroupes sous le vocable de capital naturel vital ) que sintresse lempreinte parce que, selon ses promoteurs, ce sont elles qui poseront, terme, les problmes les plus graves. Les lments du capital naturel qui ne peuvent se rgnrer par le biais de la photosynthse (minerais issus de la lithosphre, une partie de leau de lhydrosphre, etc.) sont, par dfinition, exclus de son champ dtude. Les agressions subies par la nature du fait de lactivit humaine, au premier rang desquelles les pollutions et les dchets non recyclables moyen et long termes, ne sont galement pas prises en compte. Ces ressources n