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Depuis les aentats du mois de janvier 2015, le dialogue entre le monde politique, la société civile et les chercheurs en sciences humaines et sociales s’est imposé plus que jamais comme une évidence. Non que la recherche soit démunie. Nombre de livres, d’articles et de rapports sur les phénomènes d’intégration et de relégation sociales, sur la radicalisation de certaines franges de la jeunesse, sur l’intégrisme, le terrorisme, les tensions identitaires, etc. ont été publiés. Certains ont été transmis aux pouvoirs publics. Mais ces alertes n’ont pas trouvé suffisamment d’écho au-delà du cercle des spécialistes et ne se sont pas traduites par des actions publiques. La recherche du 21e siècle doit être une recherche qui partage ses questionnements, ses hypothèses et ses conclusions, une recherche qui se met au service de la société civile et veille au transfert des connaissances vers les responsables et acteurs politiques tout en encourageant la participation citoyenne. La rencontre organisée le 4 mai par le CNRS et la CPU sous l’égide de l’Alliance ATHENA est un pas de plus dans cette direction. Notre volonté est de dialoguer avec des élus et des responsables politiques sur l’ensemble de ces enjeux de recherche qui sont autant de défis à relever pour les sociétés contemporaines. Alain Fuchs & Jean-Loup Salzmann Édito Directrice de la publication : Françoise Thibault Responsable éditoriale : Chloé Lepart Alliance ATHENA 190 avenue de France, 75013 Paris T. : +33 (0)1 49 54 21 56 SHS et sciences participatives : Les citoyens ordinaires comme ressource de la connaissance Sandra Laugier, InSHS/Alliance ATHENA La question de la participation citoyenne à la science est une question controversée car elle met en cause une frontière, voire une hiérarchie entre les « citoyens ordinaires » et les experts scientifiques, et donc le monopole de la production de la science par ses professionnels. Elle est, autant que la participation politique, une question de démocratie, et touche au caractère public et ouvert de la science comme bien commun. Le développement de la participation traduit en eet une évolution dans le concept de public, conçu non plus comme une masse ignorante dont il faudrait endiguer les peurs irraisonnées mais mais comme communauté citoyenne capable d’apprécier les enjeux pratiques de la science et de se constituer en intelligence collective, dans un contexte de nouvelles exigences démocratiques et de complexification des processus de décision. La question de la science participative a été relancée par le développement de la participation, volontaire ou non, des citoyens, au recueil et à la circulation des données : l’ouverture de données, les mégadonnées (Big Data), le boom de la recherche ancrée dans les communautés et les groupes sociaux, le crowdsourcing (recueil de données en ligne à partir d’une sollicitation ouverte et en masse)… toutes ces nouvelles méthodes permeent de tracer les contours et méthodes d’une science citoyenne à partir des capacités avérées du public à organiser et réguler le recueil et le partage des données et d’information, les dispositifs collaboratifs, la prise en compte des parties prenantes dans les processus de décision.... Ces nouvelles modalités de l’invention sont déjà à l’œuvre dans de nombreux programmes aux Etats- Unis et elles changent la donne de l’innovation et de la décision – par la mobilisation potentielle de plus larges catégories de la population dans les processus de recueil, de traitement et de circulation de l’information, et par l’implication directe des citoyens. Elles ouvrent sur une mise en capacité (empowerment) de chacun-e d’agir en fonction de l’information disponible et à faire prendre en compte son intérêt et son point de vue. Les analyses purement rationalistes des processus qui conduisent de la science à la décision et l’action font désormais face aux limites intrinsèques de la connaissance, aux constructions de l’ignorance, aux dicultés de la prise de décision en contexte d’incertitude et de controverse. Les décisions et la délibération publiques sont confrontées à de nouveaux critères : bien commun, utilité sociale et environnementale, responsabilité. Le lien de la connaissance à l’action n’est plus un donné, empirique ou logique : c’est au contraire une énigme dans le domaine de la vie humaine. L’aide à la décision dans la construction des politiques ne peut plus avoir recours à une expertise purement technique ni à des outils d’analyse qui ont montré leur inadéquation aux contextes où les impératifs épistémiques, éthiques et politiques deviennent forts. La décision publique doit désormais reconnaître la compétence des citoyens : la démocratie se définissant comme gouvernement de la participation égale de tous, sans distinction relative à leur niveau présent de connaissances, dans les domaines qui font l’objet des décisions collectivement prises. Elle doit prendre en compte le développement de dispositifs de consultation multiples et concurrents, et inclure dans l’établissement d’indicateurs pertinents des responsables publics, des experts scientifiques, et des citoyens ordinaires. Les méthodes en développement à partir des mégadonnées (réseaux sociaux, crowdsourcing, interprétation des signaux faibles etc.) sont désormais de nouvelles outils pour les sciences humaines et sociales. Elles explorent aussi les données fournies par chacun-e de nous, involontairement (par les traces qu’il/elle laisse sur le réseau) et parfois volontairement. Il s’agit de nouvelles ressources, et de formes d’ouverture et de démocratisation de la production des savoirs qui suscitent des débats et inquiétudes : que penser de l’intervention de nouveaux acteurs non professionnels dans le processus de connaissance ? Comment éviter l’exploitation des données, du travail gratuit des internautes, ou les détournements et caricatures de la participation en pseudo-consultation ciblée ? Il revient aux sciences humaines et sociales de s’engager dans un examen des conditions d’une véritable participation, à partir de la capacité des citoyennes à intervenir dans le traitement de questions qui les concernent et les affectent directement. C’est le domaine que le philosophe John Dewey appelait au siècle dernier « Le Public », et que désigne aujourd’hui le nom de démocratie ; un principe souvent revendiqué aujourd’hui, mais qui doit aussi désormais prendre sens très concrètement dans notre société de connaissance. www.allianceathena.fr a ettre mai 2015 Edito d’Alain Fuchs & Jean-Loup Salzmann Les tribunes de François Héran, Danièle Hervieu-Léger, Michel Wieviorka et Isabelle Poutrin SHS et sciences participatives : les citoyens ordinaires comme ressource de la connaissance Intégrisme et terrorisme Eclairage de la recherche française en sciences humaines et sociales Juste après les attentats de janvier 2015 qui ont mis notre pays en état de choc, les chercheurs en sciences humaines et sociales se sont mobilisés pour apporter analyses et perspectives sur ces événements et aider nos concitoyens à comprendre. Dans cet élan, la Conférence des Présidents d’Université et le CNRS, sous l’égide de l’Alliance ATHENA, ont organisé, le 4 mai, dans le bâtiment de l’Assemblée nationale, une rencontre consacrée à l’Après-Charlie. Jean-Loup Salzmann Président de la CPU Alain Fuchs Président du CNRS et de l’Alliance ATHENA © Vernhet / CNRS Photothèque © Teissedre / CPU Numéro spécial consacré à la Rencontre alliance nationale des sciences humaines et sociales L’Alliance ATHENA a pour mission de renforcer les dynamiques du système de recherche et de bâtir une réflexion prospective de long terme sur le domaine des sciences humaines et sociales. Président : Alain Fuchs, CNRS Vice-président : Jean-Emile Gombert, CPU Déléguée générale : Françoise ibault, FMSH

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Depuis les attentats du mois de janvier 2015, le dialogue entre le monde

politique, la société civile et les chercheurs en sciences humaines et sociales s’est imposé plus que jamais comme une évidence.

Non que la recherche soit démunie. Nombre de livres, d’articles et de rapports sur les phénomènes d’intégration et de relégation sociales, sur la radicalisation de certaines franges de la jeunesse, sur l’intégrisme, le terrorisme, les tensions identitaires, etc. ont été publiés. Certains ont été transmis aux pouvoirs publics. Mais ces alertes n’ont pas trouvé suffisamment d’écho au-delà du cercle des spécialistes et ne se sont

pas traduites par des actions publiques.

La recherche du 21e siècle doit être une recherche qui partage s e s q u e s t i o n n e m e n t s , s e s hypothèses et ses conclusions, une recherche qui se met au service de la société civile et veille au transfert des connaissances vers les responsables et acteurs politiques tout en encourageant la participation citoyenne.

La rencontre organisée le 4 mai par le CNRS et la CPU sous l’égide de l’Alliance ATHENA est un pas de plus dans cette direction. Notre volonté est de dialoguer avec des élus et des responsables politiques sur l’ensemble de ces enjeux de recherche qui sont autant de défis à relever pour les sociétés contemporaines.

Alain Fuchs & Jean-Loup Salzmann

Édito

Directrice de la publication : Françoise ThibaultResponsable éditoriale : Chloé Lepart

Alliance ATHENA190 avenue de France, 75013 Paris

T. : +33 (0)1 49 54 21 56

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SHS et sciences participatives :Les citoyens ordinaires comme ressource de la connaissanceSandra Laugier, InSHS/Alliance ATHENA

La question de la participation citoyenne à la science est une question controversée car elle met en cause une frontière, voire une hiérarchie entre les « citoyens ordinaires » et les experts scientifiques, et donc le monopole de la production de la science par ses professionnels. Elle est, autant que la participation politique, une question de démocratie, et touche au caractère public et ouvert de la science comme bien commun.

Le développement de la participation traduit en effet une évolution dans le concept de public, conçu non plus comme une masse ignorante dont il faudrait endiguer les peurs irraisonnées mais mais comme communauté citoyenne capable d’apprécier les enjeux pratiques de la science et de se constituer en intelligence collective, dans un contexte de nouvelles exigences démocratiques et de complexification des processus de décision.

La question de la science participative a été relancée par le développement de la participation, volontaire ou non, des citoyens, au recueil et à la circulation des données : l’ouverture de données, les mégadonnées (Big Data), le boom de la recherche ancrée dans les communautés et les groupes sociaux, le crowdsourcing (recueil de données en ligne à partir d’une sollicitation ouverte et en masse)… toutes ces nouvelles méthodes permettent de tracer les contours et méthodes d’une science citoyenne à partir des capacités avérées du public à organiser et réguler le recueil et le partage des données et d’information, les dispositifs collaboratifs, la prise en compte des parties prenantes dans les processus de décision....

Ces nouvelles modalités de l’invention sont déjà à l’œuvre dans de nombreux programmes aux Etats-Unis et elles changent la donne de l’innovation et de la décision – par la mobilisation potentielle de plus larges catégories de la population dans les processus de recueil, de traitement et de circulation de l’information, et par l’implication directe des citoyens. Elles ouvrent sur une mise en capacité (empowerment) de chacun-e d’agir en fonction de l’information disponible et à faire prendre en compte son intérêt et son point de vue. Les analyses purement rationalistes des processus qui conduisent de la science à la décision et l’action font désormais face aux limites intrinsèques de la connaissance, aux constructions de l’ignorance, aux difficultés de la prise de décision en contexte d’incertitude et de controverse. Les

décisions et la délibération publiques sont confrontées à de nouveaux critères : bien commun, utilité sociale et environnementale, responsabilité. Le lien de la connaissance à l’action n’est plus un donné, empirique ou logique : c’est au contraire une énigme dans le domaine de la vie humaine. L’aide à la décision dans la construction des politiques ne peut plus avoir recours à une expertise purement technique ni à des outils d’analyse qui ont montré leur inadéquation aux contextes où les impératifs épistémiques, éthiques et politiques deviennent forts.

La décision publique doit désormais reconnaître la compétence des citoyens : la démocratie se définissant comme gouvernement de la participation égale de tous, sans distinction relative à leur niveau présent de connaissances, dans les domaines qui font l’objet des décisions collectivement prises. Elle doit prendre en

compte le développement de dispositifs de consultation multiples et concurrents, et inclure dans l’établissement d’indicateurs pertinents des responsables publics , des experts scientifiques, et des citoyens ordinaires.

Les méthodes en développement à partir des mégadonnées (réseaux sociaux, crowdsourcing, interprétation des signaux

faibles etc.) sont désormais de nouvelles outils pour les sciences humaines et sociales.

Elles explorent aussi les données fournies par chacun-e de nous, involontairement (par les traces qu’il/elle laisse sur le réseau) et parfois volontairement. Il s’agit de nouvelles ressources, et de formes d’ouverture et de démocratisation de la production des savoirs qui suscitent des débats et inquiétudes : que penser de l’intervention de nouveaux acteurs non professionnels dans le processus de connaissance ? Comment éviter l’exploitation des données, du travail gratuit des internautes, ou les détournements et caricatures de la participation en pseudo-consultation ciblée ?

Il revient aux sciences humaines et sociales de s’engager dans un examen des conditions d’une véritable participation, à partir de la capacité des citoyennes à intervenir dans le traitement de questions qui les concernent et les affectent directement. C’est le domaine que le philosophe John Dewey appelait au siècle dernier « Le Public », et que désigne aujourd’hui le nom de démocratie ; un principe souvent revendiqué aujourd’hui, mais qui doit aussi désormais prendre sens très concrètement dans notre société de connaissance.

www.allianceathena.fr

a ettre

mai 2015

Edito d’Alain Fuchs & Jean-Loup Salzmann • Les tribunes de François Héran, Danièle Hervieu-Léger, Michel Wieviorka et

Isabelle Poutrin • SHS et sciences participatives : les citoyens ordinaires comme ressource de la connaissance

Intégrisme et terrorisme Eclairage de la recherche française en sciences humaines et sociales

Juste après les attentats de janvier

2015 qui ont mis notre pays en état

de choc, les chercheurs en sciences

huma ines e t soc i a le s se sont

mobilisés pour apporter analyses et

perspectives sur ces événements et

aider nos concitoyens à comprendre.

Dans cet élan, la Conférence des

Présidents d’Université et le CNRS,

sous l’égide de l’Alliance ATHENA, ont

organisé, le 4 mai, dans le bâtiment de

l’Assemblée nationale, une rencontre

consacrée à l’Après-Charlie.

Jean-Loup Salzmann

Président de la CPU

Alain Fuchs

Président du CNRS et de l’Alliance ATHENA

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Numéro spécial consacré à la Rencontre

alliance nationale des sciences humaines et sociales

L’Alliance ATHENA a pour mission de renforcer les dynamiques du système de recherche et de bâtir une réflexion prospective de long terme sur le domaine des sciences humaines et sociales.

Président : Alain Fuchs, CNRS

Vice-président : Jean-Emile Gombert, CPU

Déléguée générale : Françoise Thibault, FMSH

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Affirmations religieuses et tensions identitairesDanièle Hervieu Léger

Port du hijab dans l’espace public, menus des cantines scolaires, pratique au sein des entreprises, mixité des services hospitaliers ou des installations sportives etc.: sur de multiples fronts, l’explosion de conflits localisés vient aujourd’hui questionner l’affirmation du caractère privé des choix religieux, au point - selon certains - de menacer l’édifice même de la laïcité. Le trouble qui en résulte suscite deux tentations simplificatrices.

La première consiste, en liant exclusivement ce dérèglement à la présence montante de l’islam en France, à déclarer celui-ci incompatible, par essence, avec les principes fondateurs de la République.

La seconde consiste à dénier toute dimension proprement religieuse à ces conflits, en les réduisant entièrement à leurs déterminations sociales et culturelles. D’un côté, l’affaire serait donc purement une « question de religion » ; de l’autre, elle n’aurait rien à voir avec la religion, laquelle servirait simplement « d’habillage » à d’autres enjeux.

Face à ces stratégies d’évitement, les sciences sociales des religions n’ont pas d’autre ligne que celle du rappel

incessant à revenir à la complexité de l’objet et à la nécessaire mise en perspective historique hors de laquelle cette complexité est illisible. Réintroduire la complexité dans l’analyse, c’est par exemple, comprendre pourquoi la croyance religieuse ne saurait, au motif du « caractère privé » auquel elle doit se tenir, être confondue avec une « opinion » partagée au sein d’un groupe. Car des croyants religieux n’adhèrent pas seulement à des idées : en invoquant la continuité de la lignée des témoins à laquelle il s’identifient, ils fabriquent - à partir des dispositions, des expériences et des attentes qui sont leurs hic et nunc - un rapport au monde, au temps et à l’histoire qui organise à son tour leur relation à leur environnement social.

C’est à partir de cette dynamique qu’il convient de ressaisir la montée des identifications religieuses dans une société par ailleurs hautement sécularisée. Et ceci bien au delà du seul cas de l’islam.

Intervenants de la table ronde : Danièle Hervieu-Léger,

sociologue des religions, Nilüfer Göle, sociologue et

Nabil Mouline, historien.

Radicalisation : allers, retoursMichel Wieviorka

Pour comprendre des évènements comme ceux des 7 et 9 janvier dernier, mieux vaut croiser les perspectives, ne serait-ce qu’en distinguant diverses échelles de temps et d’espace. L’islamisme radical, dans ses expressions les plus violentes, les plus meurtrières, est en effet au carrefour de toutes sortes de logiques ou de phénomènes, et une première distinction, aussi élémentaire qu’elle soit, doit permettre de l’aborder dans ses aspects globaux, planétaires, et du point de vue de ce qui peut en sembler le plus éloigné : la subjectivité personnelle de ceux qui s’en réclament, les processus de subjectivation et de dé-subjectivation qui les conduisent à pratiquer le terrorisme.

A l’échelle du monde, le terrorisme global islamiste est apparu dans la foulée de la révolution iranienne, au Liban, en 1982 ; il a connu son apogée avec les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, il s‘est ensuite comme fragmenté autour de trois formes principales : l’action de petits groupes dont la principale caractéristique est de s’être retournés contre la société où ils vivent, de l’intérieur, ce qui fut le cas avec les attentats de Madrid (mars 2004), de Londres (juillet 2005) , Bali, Istanbul, Casablanca, etc. ; celle de « loups solitaires » (en fait généralement pas si solitaires qu’on

dit), sachant ce qu’ils ont à faire pour donner un sens planétaire à des actes localisés ; celle, enfin, de quasi-Etats comme Daech ou Boko Haram aujourd’hui. L’islamisme radical constitue ici un phare, une source ou une offre de sens.

Et si cette offre rencontre une demande, c’est que dans de nombreux pays, des jeunes gens, garçons mais aussi filles, ou bien considèrent qu’ils n’ont pas de place dans la société, du fait de l’exclusion sociale, du racisme, de la crise économique, etc., ou bien refusent l’absence de sens qui caractériserait à leurs yeux cette société – pas de vision, pas d’utopie, pas de convictions…

Pour que l’offre et la demande se croisent, il ne suffit pas qu’existent Internet et les réseaux sociaux, il y faut des lieux de rencontre concrète, mosquées, prisons, autres pays que le sien. Et il n’y a pas un cheminement rectiligne unique, une sorte de « one best way » conduisant à une violence sans retour, mais des parcours diversifiés, et pas nécessairement linéaires. D’où l’idée de cette table ronde.

Intervenants de la table ronde : Michel Wieviorka,

sociologue, Farhad Khosrokhavar, sociologue, Hosham

Dawod, anthropologue

Terrorisme et désignation de l’ennemi intérieurIsabelle Poutrin

Face à l’effet de sidération qui suit les attentats, ainsi qu’à la rhétorique de la « guerre de civilisations » qui fleurit ici et là, l’invocation du « vivre ensemble » ne saurait être une réponse suffisante. Il incombe aux chercheuses et chercheurs, qui sont aussi des citoyens, de produire une compréhension rationnelle des conflits, de déconstruire le langage mobilisé par les acteurs eux-mêmes et de forger des outils d’analyse permettant la comparaison de situations historiques diverses.

Ainsi la violence terroriste n’apparaît pas comme la manifestation d’une intolérance qui serait attachée à un credo spécifique, mais comme une religion de la violence qui, éventuellement, s’autorise d’un texte sacralisé et en revendique l’interprétation exclusive, à des fins qui sont bien, elles, d’ordre politique et matériel et pas seulement symbolique.

Par conséquent, tout en reconnaissant la capacité particulière du religieux à mobiliser les passions meurtrières, on se gardera d’en faire la clef d’explication des entreprises terroristes.

L’objet de cette table ronde de la Rencontre du 4 mai, est

de mettre le terrorisme et l’usage politique de la terreur en contexte, à partir de situations historiques précises : l’Italie du fascisme et celle des années de plomb, l’Allemagne nazie et la deuxième Guerre mondiale, mais aussi l’Europe du XVIe siècle à travers la France des guerres de Religion et l’Espagne de l’exclusivisme catholique.

On s’intéressera également aux procédures de désignation de « l’ennemi intérieur », qu’il soit désigné par les forces terroristes ou par les institutions (démocratiques ou non), aux classifications politiques (traître, « cinquième colonne ») ou juridico-religieuses (hérétique, apostat) qui permettent d’incriminer cet ennemi, ainsi qu’aux procédures visant à le traquer et à le détruire.

Enfin, on s’interrogera sur les voies de sortie du conflit en donnant quelques éclairages sur les contre-modèles historiques et sur les types de stratégies possibles.

Intervenants de la table ronde : Isabelle Poutrin,

historienne, Jérémie Foa, historien, Marie-Anne

Matard-Bonucci, historienne, Christian Ingrao, historien

L’intégration dans la société française : parcours / obstaclesFrançois Héran

Les immigrés ou les enfants d’immigrés étaient concernés à tous les niveaux lors des attentats des 7 et 8 janvier 2015 : ils figuraient parmi les assassins, parmi les victimes et parmi les sauveurs, tous en relation avec des pays naguère colonisés. C’est dire l’ampleur et la complexité des liens qui unissent désormais la France à son immigration, dans une dynamique qui ne peut faire fi du passé mais qui doit aussi s’en libérer.

Cette table ronde sera l’occasion de faire le point sur l’histoire de l’immigration en France depuis 1945 et le sort des générations successives, à la lumière des dernières enquêtes, dans les sphères sociale, économique et religieuse.

Benjamin Stora reviendra sur le travail de la conscience historique que notre société devrait organiser pour solder le passé et nous préparer à un avenir où les migrations sont vouées à prendre une place grandissante.

Quant à Ahmed Boubeker, il mettra en avant les capacités d’expression et d’action des descendants d’immigré face à toutes les tentatives de réduction.

Soulignant les réussites et les échecs de l’intégration, les intervenants dresseront la toile de fond des attentats de janvier en évitant un double écueil : réduire la radicalisation violente à un déterminisme purement social, d’un côté, la ramener à une logique purement religieuse, de l’autre.

Intervenants de la table ronde : François Héran,

démographe, Benjamin Stora, historien et Ahmed

Boubeker, sociologue.