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1000 secondes

Une saynète de Thierry François

Distribution 2 hommes – 1 femme Durée 19 minutes

Décor unique Un intérieur possédant a minima une issue, un fauteuil et une commode avec un tiroir.

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Ce texte fait partie du répertoire de la SACD et ne peut être joué sans autorisation (Cf. www.sacd.fr).

1000 secondes

ALINE Entrant.

Tu sais quel jour on est ?

Jean est assis dans un fauteuil, il lit le journal.

JEAN Evidemment. Pour qui tu me prends ?

ALINE Et ?

JEAN Baissant son journal.

Vendredi.

Il relève son journal.

ALINE Et c’est tout ?

JEAN Baissant de nouveau son journal.

Quoi ? Tu veux la date et le mois ?

ALINE Tu n’as pas oublié au moins ?

JEAN Non, j’ai pas oublié. Comment tu veux que j’oublie ? Arrête avec tes allusions culpabilisantes.

Jean replie son journal et s’en débarrasse.

ALINE Inutile de le prendre sur ce ton. Je voulais juste m’assurer que…

JEAN Eh bien, rassure-toi. J’ai pas oublié. Si tu veux savoir, j’y pense depuis deux mois. Je ne pense même qu’à ça.

ALINE Alors là, tu m’épates.

JEAN Deux mois que je me réjouis de pouvoir enfin tirer un coup.

ALINE Quel romantisme !

JEAN Deux mois que j’attends de pouvoir me lever une jolie poule.

ALINE Pardon ?

JEAN Deux mois que j’attends avec impatience… l’ouverture de la chasse !

ALINE Salaud !

JEAN Me traiter de salaud parce que j’aime la chasse, tu manques pas d’air. Tu craches pas sur une bonne faisane, que je sache.

ALINE J’en étais sûre. Tu as oublié !

JEAN Quoi ? Notre anniversaire de mariage ?

ALINE …

JEAN Eh oui, tu vois, ça aussi j’y pense. Mais bon, après dix-huit ans j’ai d’autres joies dans la vie, c’est tout.

ALINE Tu n’es vraiment qu’un… qu’un… qu’un goujat !

JEAN Salaud, goujat… C’est tout ce que tu as trouvé comme insultes ? D’habitude tu es plus imaginative, ma Linette.

ALINE Avec du recul, j’ai acquis un certain sens du résumé, c’est tout.

JEAN N’empêche que ton goujat de mari a pensé à ton cadeau.

ALINE Souriante.

Ah.

JEAN Je sais bien qu’il n’y a que ça qui t’intéresse.

ALINE Mufle !

JEAN Non, psychologue.

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ALINE Tu sais où tu peux te le mettre ton cadeau ?

JEAN Aucune idée, justement. En attendant, je l’ai mis dans le tiroir, là.

ALINE Et tu crois que je vais me jeter dessus ?

JEAN Oh moi, je ne crois rien du tout. Si tu le veux il est là, sinon il y restera.

ALINE Tiens regarde, je vais le prendre, je vais même l’ouvrir et quoi que ce soit, je vais le foutre à la poubelle sous tes yeux.

JEAN Si ça t’amuse.

Aline va retirer le paquet du tiroir, format boîte à chaussure, emballé d’un joli papier, ceint d’un ruban. Elle retire le ruban, le balance, arrache le papier, le jette en boule.

ALINE A priori je dirais que j’ai échappé au robot ménager pour une fois… Des chaussons, peut-être ?

Elle ouvre le couvercle de la boîte, regarde et prend un air stupéfait.

JEAN Alors ?

ALINE Mais, euh…

JEAN Alors ?

ALINE Je…

JEAN Décontenancé.

Alors tu… Qu’est-ce que tu vois ?

ALINE 1000 !

JEAN Hein ?

ALINE 999.

JEAN Co-comment ça, 999 ?

ALINE Tendant le paquet.

Tiens !

JEAN Regardant l’intérieur de la boîte.

Bon sang, mais… mais c’est quoi, ça ?

ALINE 997.

JEAN Très nerveux.

Non mais c’est quoi, ce truc ?

ALINE 996.

JEAN Mais d’où ça sort ?

Aline tiens toujours le paquet à bout de bras. Elle dégage une main et la pointe, tremblante, vers le tiroir resté ouvert.

JEAN T’es folle, ou quoi ? Tiens la boîte ! Tiens la boîte à deux mains !

ALINE C’est toi qui as fait ça ?

JEAN Mais c’est une bombe ! Est-ce que j’ai une tête à faire des bombes ?

ALINE Non, mais qui d’autre s’occupe des accessoires ?

JEAN Personne. Personne ne touche les accessoires en dehors de moi. Mais ce n’est pas moi qui ai remplacé ta saleté de peluche par cet engin.

ALINE Jean, je fatigue. Est-ce que… est-ce que je peux la poser ?

JEAN Non, tu bouges pas ! Qu’est-ce que ça dit ?

ALINE 963.

JEAN Ce doit être des secondes.

ALINE Evidemment que ce sont des secondes. Qu’est-ce que tu veux que ce soit d’autre ? Pauvre demeuré !

JEAN

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Et ça fait combien de minutes 963 secondes ?

ALINE 953.

JEAN Euh… 900 sur 60, ça fait 90 sur 6… c’est-à-dire, 10 fois 6 qui font 60, plus 5 fois 6 qui font 30… donc, euh… ça nous donne 10 plus 5 qui font 15. Un quart d’heure. Un quart d’heure et 53 secondes.

ALINE 33 secondes. 15 minutes et 33 secondes, enfin 31 à présent.

JEAN C’est pas assez.

ALINE Pas assez pour quoi ?

JEAN Pas assez pour appeler la police et espérer les voir arriver avant que tu ne sois éparpillée dans la salle.

ALINE Mais, ça va pas non ?

JEAN Si, si, ça va très bien, au contraire. Dans un quart d’heure le compte à rebours arrive à zéro et boum ! Game over ! Tout va très bien ! Tout baigne ! Avec un peu de chance on est même tombé sur un poseur de bombe qui maîtrise pas son machin et paf, ça pète avant le zéro.

ALINE Arrête de dire n’importe quoi !

JEAN Quoi ? Ça existe sûrement les exterminateurs précoces.

ALINE Hystérique.

Arrête ! Arrête de délirer et fais quelque chose ! Appelle les flics, les pompiers, des cosmonautes, n’importe qui, je m’en fiche, mais fais quelque chose ! Tu sais donc rien faire d’autre dans la vie que d’écrire des pièces de théâtre débiles ?

JEAN Calme-toi, Aline. C’est pas le moment de péter les plombs.

ALINE C’est pas les plombs que je vais péter si tu te bouges pas les fesses, abruti !

JEAN Oui, oui. D’accord, d’accord. Je vais… je vais… je vais faire évacuer la salle, OK ? Ils y sont pour rien eux.

ALINE Pourquoi tu dis ça ?

JEAN Quoi ?

ALINE Pourquoi tu dis qu’ils y sont pour rien, eux. Cela sous entend que toi et moi nous y sommes pour quelque chose.

JEAN Mais non, voyons.

ALINE Mais si !

JEAN J’en sais rien. Ce n’est pas ce que je voulais dire.

ALINE Si ça se trouve il y a dans la salle quelqu’un qui est la cible de terroristes, du cartel de la drogue, de la mafia russe, ou de la CIA !

JEAN Au public.

Excusez-moi messieurs dames, est-ce qu’il y aurait parmi vous quelqu’un qui est régulièrement la cible de terroristes, du cartel de la drogue, de la mafia russe ou de la CIA ?

Deux secondes de silence.

JEAN Personne. Tu vois, ils n’y sont pour rien.

ALINE Tu as raison. Ce doit être le coup d’un critique qui a décidé d’en finir une fois pour toute avec tes pièces minables. Parce que je ne sais pas si tu le réalises, mais une salle qui explose pendant une représentation, ça fera tache sur ton CV. Pour stopper une carrière, y’a pas mieux.

JEAN N’importe quoi. Si ça se trouve, ça me fera une publicité d’enfer, au contraire.

ALINE Parce que tu imagines qu’après ça tu trouveras des spectateurs pour venir assister à tes spectacles ?

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JEAN Tu as raison. C’est quelqu’un qui m’en veut ! Sûrement un auteur jaloux à qui mon génie fait de l’ombre. Mais qui ? Qui ?

ALINE Shakespeare !

JEAN Impossible, je n’ai jamais été traduit en anglais.

ALINE Alors, Molière.

JEAN Pourquoi pas ?

ALINE Bien sûr, il doit faire dans son froc à l’idée que Louis XIV pourrait te choisir pour diriger la troupe du roi.

JEAN Ah. Tu me fais dire n’importe quoi !

ALINE Tu crois vraiment que l’on ferait exploser un théâtre pour étouffer ton œuvre dans l’œuf ?

JEAN Qui sait ?

ALINE Pauvre mégalo !

JEAN En attendant, je fais évacuer la salle, moi.

ALINE C’est ça. Laisse-moi jouer le grand final à huis clos.

JEAN Au public.

Mesdames, messieurs, je vous remercie d’être, une fois encore, venus si nombreux ce soir, mais j’ai le regret de vous annoncer qu’un évènement imprévu nous contraint à mettre un terme à cette représentation. Par mesure de précaution, vous voudrez bien vous lever dans le calme, remettre vos manteaux, sortir de la salle sans bousculade et ensuite vous éloigner au maximum de la salle. En effet, il y a actuellement une bombe sur scène. Et là, je ne parle pas de ma femme Aline, mais d’une vraie bombe qui explosera dans exactement… euh…

À Aline. Combien ?

ALINE 740.

JEAN Au public.

Dans 740 secondes exactement ; c’est-à-dire quelque chose comme 12 ou 13 minutes. Voilà. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une excellente soirée en dehors de notre compagnie. En outre, je me permets de vous préciser que nous ne pourrons pas procéder au remboursement de vos billets dans la mesure où d’une part, toute séance commencée est due et d’autre part, vous vous estimerez heureux de sortir d’ici en un seul morceau.

ALINE Attendez !

JEAN Au public.

Attendez !

ALINE Restez assis !

JEAN Au public.

Assis !

À Aline. Qu’est-ce qu’il y a ?

ALINE Est-ce qu’il n’y aurait pas dans le public un démineur, un artificier ou un truc comme ça ?

JEAN Ah, excellente idée, Aline.

Au public. Excusez-moi Mesdames, Messieurs, j’aurais une dernière annonce personnelle à formuler de la part de ma femme, Aline : Est-ce qu’il n’y aurait pas parmi vous ce soir un truc comme ça ?

ALINE Un démineur !

JEAN Au public.

Je veux dire, un démineur, un artificier ou un truc comme ça ?... Ne répondez pas tous à la fois, surtout...

La main d’Émile se lève dans le public.

ÉMILE Moi !

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JEAN Monsieur ? Vous êtes, euh…

ÉMILE Oui, oui.

JEAN Parfait, Monsieur Ouioui. Pouvez-vous monter sur scène s’il vous plait ?

Émile se lève.

JEAN Quel est votre prénom, monsieur Ouioui ?

ÉMILE Émile. Mais je ne…

JEAN Mesdames et Messieurs : Émile Ouiouiii ! On l’applaudit bien fort !

Jean scande le nom de son hôte en le rythmant de ses applaudissements pendant qu’Émile monte sur scène.

JEAN Frappant des mains.

É-mile-oui-oui-é-mile-oui-oui-é-mile-oui-oui-é-mile-oui-oui…Tous avec moi ! E-mile-oui-oui-é-mile-oui-oui… Ah, mon cher Émile, vous tombez à pic. Approchez-vous de ma partenaire à présent et regardez bien. Comme vous pouvez le constater, elle porte une boîte en carton sans aucun trucage. Et dans la boîte, il y a devinez quoi ? J’vous l’donne en mille…

ÉMILE Une bombe ?

JEAN Tout à fait, Emile. Une bombe ! …Et maintenant regardez, de plus en plus fort, ces petits chiffres qui bougent absolument tout seul, sans aucun trucage eux non plus. Eh bien, cher Emile, concentrez-vous et répondez à cette simple question : est-ce que vous, Emile Ouioui, connaîtriez le truc pour qu’ils arrêtent de bouger ?

ÉMILE Eh bien, euh…

JEAN Combien lisez-vous, Emile ?

ÉMILE 600.

JEAN 600 secondes, j’en étais sûr ! Je vous le disais, Mesdames et Messieurs, en deux

minutes, nous sommes passés de 12 à seulement 10 minutes avant l’explosion et sans aucun trucage. Ah la, la ! Quel dommage que cette salle soit non-fumeur ; 10 minutes, juste le temps qu’il faudrait pour s’en rouler une petite dernière. Oh, et puis après tout…

Il sort une cigarette de sa poche. Perdu pour perdu, personne ne va porter plainte si je m’en grille une, histoire de tuer le temps, hein ?... Raaah ! C’est toujours comme ça… Est-ce que quelqu’un a du feu ? Parce que moi,…

ALINE Stooop ! Tu vas arrêter ton cirque, Jean ?

JEAN Pardon ?

ALINE Arrête ton cabotinage et laisse Émile travailler.

JEAN Tu as raison, Aline.

Au public. Mesdames, Messieurs, le show est fini. On ne joue plus. Si vous voulez bien quitter la salle dans le calme.

ÉMILE Non, arrêtez !

JEAN Au public.

Non, arrêtez !

ÉMILE Ne bougez pas !

JEAN Au public.

Que personne ne bouge !

À Émile. Qu’y a-t-il, Emile ?

ÉMILE Penché sur la bombe.

Vous voyez cette petite ampoule avec un liquide bleuté à l’intérieur ?

JEAN et ALINE Oui.

ÉMILE C’est un Vibe 50. (Prononcer : « vaïbe fifty».)

JEAN Oh joli !

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Au public. Un vaïbe fifty, Mesdames, Messieurs !

ALINE Et ça sert à quoi ?

ÉMILE Détecteur de vibrations.

JEAN Waaah !

ÉMILE Si les gens se lèvent, si les portent claquent, si tout le monde applaudit ou si vous hurlez, le biniou nous pète à la gueule. Voilà à quoi ça sert le Vibe 50 !

JEAN Au public.

C’est compris tout le monde ? Interdit de quitter la salle et d’applaudir !

ALINE Et de hurler.

JEAN Hurlant au public.

Et interdit de hurler !

EMILE et ALINE Chhhhut !

JEAN Mais euh ! Tout à l’heure on a crié et applaudi et ça n’a rien fait, d’abord.

ÉMILE Ben… des fois ça marche et des fois non. Mais à votre place, je ne m’y risquerais plus.

ALINE Vous pensez pouvoir la désamorcer ?

ÉMILE C’est que je n’ai pas mon équipement, là…

ALINE Qu’est-ce qu’il vous faut ?

ÉMILE Micro tournevis, pinces-crocodiles, testeur milliampèremètre et voltmètre, loupe, gants caoutchouc, gilet pare-balles, lunettes de protection, pince coupante isolée, pince à épiler et whisky.

JEAN Aïe. Là, même pour un bon accessoiriste tel que moi ça fait beaucoup, vous savez. En coulisse je dois avoir pince, tournevis et whisky. Pour le reste, vous devrez vous en passer, mon vieux.

ÉMILE C’est toujours mieux que rien.

JEAN Bougez pas, j’y vais.

Jean se précipite vers une sortie de scène. Il s’arrête et se retourne vers Aline.

JEAN Combien ?

ALINE 478.

JEAN Ça fait combien en minutes ?

ALINE Grouille !

Jean sort précipitamment puis revient discrètement.

JEAN 7 minutes 58 !

Il sort de nouveau sans demander son reste.

ÉMILE Ça va ma p’tite dame ? Vous tenez le coup ?

ALINE J’ai les jambes en coton et je commence à sentir des fourmis dans les bras.

ÉMILE Faut pas chanceler, hein ? On compte sur vous pour pas nous faire le final du « Père Noël est une ordure », ce serait du déjà vu, du réchauffé.

ALINE Je vais essayer. Promis.

ÉMILE Bien sage.

ALINE Dites, vous n’auriez pas un truc contre la tremblote des genoux ?

ÉMILE Attendez…

Émile va chercher un coussin du fauteuil et le place entre les jambes d’Aline.

ÉMILE L’essentiel, c’est que les rotules ne s’entrechoquent pas.

ALINE Merci.

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ÉMILE De rien.

ALINE Vous avez une idée sur la facture de cette bombe ?

ÉMILE Oh, vous savez un joujou comme ça doit bien aller chercher dans les cinq ou six cents euros. Remarquez, six cents euros pour du vent c’est pas donné quand même.

ALINE Non, je veux savoir si vous avez des informations sur l’origine de sa fabrication.

ÉMILE Ma foi, c’est de l’artisanal, mais de qualité. Le gars qui a fabriqué ce truc n’en est pas à sa première, c’est certain.

ALINE A quoi vous voyez ça ?

ÉMILE C’est propre, minutieux… c’est fait avec amour, je dirais.

ALINE Eh bien, tout le monde ne partage pas la même conception de l’amour apparemment.

ÉMILE Vous voyez ce compartiment ici ? C’est là-dedans que se trouve la charge. Le fait d’avoir peint des petites marguerites dessus révèle une âme de poète. Un idéaliste, sans doute.

ALINE Un poète maudit, oui. Et cette charge, c’est quoi ?

ÉMILE Alors là, mystère. C’est à ça que je vois que le type est futé, rien ne laisse apparaître sa vraie nature. Et comme le détonateur est planqué dessous je manque vraiment d’infos. Plastique, TNT, nitro… j’avoue hésiter. En tout cas, si ça peut vous rassurer, ce n’est pas atomique.

ALINE Effectivement, ça rassure.

ÉMILE Les dispositifs atomiques sont lourds, vous ne le porteriez pas à bout de bras comme vous le faites.

ALINE Un pays d’origine ?

ÉMILE C’est pas russe, ni chinois, peut-être américain mais plus probablement européen…

Jean revient en portant un sachet de plastique dans lequel se trouvent pince, tournevis et whisky.

JEAN Combien ?

ALINE 357.

JEAN Yes ! J’ai fait vite, hein ?

ÉMILE Oui mais donnez-moi les outils, c’est pas le moment de mollir.

JEAN Voilà, voilà. Hop ! Hop !

Émile prend le sac et en retire la bouteille de whisky. Il en verse une goulée dans le bouchon.

ÉMILE Allez ma p’tite dame, ouvrez le bec. Ça détend, c’est bon contre les tremblements.

Aline s’exécute et Émile lui verse le bouchon d’alcool dans la bouche. Aline s’étouffe, Jean se moque d’elle et Émile est terrorisé en voyant Aline prise de soubresauts. Dans un accès de toux elle donne la bombe à Jean qui ne rit plus. Jean est pétrifié avec la bombe en mains. Émile s’éponge le front avec un mouchoir. Aline continue de tousser.

ALINE Reuf ! Reuf ! Mais… reuf ! C’est quoi, ça ?

Aline ramasse le coussin tombé au sol et s’enfouit le visage dedans pour tousser. Émile porte le goulot de la bouteille sous son nez…

ÉMILE White spirit.

ALINE Sortant son visage du coussin.

Du white spirit ! Mais tu voulais me tuer ou quoi ?

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ÉMILE À Jean.

Vous êtes pas bien, vous !

JEAN Ouais. J’suis pas bien, là. Pas bien du tout, même.

ALINE Tu mériterais qu’on te laisse planté là avec ton bébé sur les bras.

De rage elle jette le coussin sur le fauteuil.

JEAN Primo, ce n’est pas mon bébé et deusio, ce n’est pas ma faute si notre décorateur est un alcoolique qui vide ma bouteille de whisky et le remplace par son dissolvant.

ALINE Je m’en contrefous de tes excuses à deux balles. Moi, je me casse. Allez, ciao ! Et… éclate-toi bien !

JEAN Tu fais un pas de plus en direction de la porte et le te balance cette saloperie à la figure !

ALINE Rooooh ! C’est petit, ça ! J’te reconnais bien là, tiens. Suffit que tu sois dans la merde et aussitôt faut que t’entraîne tout le monde avec toi, hein ? Tu peux pas supporter de voir les autres heureux si toi t’as la moindre petite contrariété.

JEAN Mais je ne t’ai pas abandonné, moi, Madame ! Je suis resté à tes côtés jusqu’au bout.

ALINE Oh, c’est trop facile, ça ! Tu parles, tant qu’il restait dix minutes, monsieur fanfaronnait, il papillonnait, il cabotinait ! Mais je suis bien certaine que s’il n’était resté que trente secondes, il aurait pris ses jambes à son cou sans demander son reste, le preux chevalier !

JEAN Mauvaise langue, va ! Je me suis rendu le plus utile possible pendant que t’étais clouée avec ta bombe.

ALINE Pourquoi, MA bombe ? C’est pas MA bombe, d’abord !

JEAN Ben tiens ! C’est pas moi qui suis allé la chercher dans le tiroir, TA bombe ! C’est pas moi qui ai déclenché le mécanisme de TA bombe en ouvrant TA boîte !

ALINE Et alors ? C’est pas moi qui ai écrit TA saleté de pièce dans laquelle TU me demandes d’ouvrir TON tiroir parce que TU as la flemme de poser TON journal !

JEAN Je ne sais pas ce qui me retient de te mettre mon poing dans la figure, tiens.

ALINE Sarcastique, pointant la bombe

Moi, je sais ! Hé, hé, hé !

JEAN Vipère !

Émile s’interpose entre Jean et Aline.

ÉMILE Ce n’est pas le moment pour une scène de ménage, vous deux. Si vous voulez que l’on s’en sorte, je vous conseille de vous calmer et de me laisser travailler. C’est compris ?

Émile met le sac d’outils dans les mains d’Aline.

JEAN Oui, c’est compris. Mais c’est elle qui me cherche, là.

ÉMILE On s’en fout ! Il nous reste à peine 197 secondes. Alors on y va tous ensemble ?

JEAN On y va.

ÉMILE C’est parti. Pince.

Aline plonge la main dans le sac, en sort une pince coupante et la tend à Émile.

ÉMILE Ne bougez pas surtout pendant que j’essaie d’y voir plus clair…

Émile donne quelques coups de pince et extrait de la boîte, des segments de fil de cuivre.

JEAN Vous… vous savez ce que vous faites, Emile ?

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ÉMILE Pas de problème, c’est un vieux truc. Le gars met tout un paquet de fils qui ne servent à rien, juste pour embrouiller le client.

ALINE Et on reconnaît facilement ceux qui servent à rien ?

ÉMILE Rien de plus simple, si on coupe un fil utile on est sûr de le reconnaître, ça explose.

ALINE Naïve.

Ah bon.

ÉMILE Tournevis.

Aline prend un gros tournevis et le passe à Émile.

ÉMILE Je ne vous ai pas demandé un burin, je vous ai demandé un tournevis, jeune fille. On n’est pas là pour faire de la mécanique poids lourd, mais de l’horlogerie.

ALINE Mais c’est le seul qu’y a dans le sac.

ÉMILE Alors là, on a un problème.

ALINE Et si vous le mettez en biais. Vous voyez, juste du coin…

ÉMILE Si je fais ça, j’ai une chance sur deux de faire masse quelque part.

ALINE Et c’est grave de faire masse ?

ÉMILE Tout dépend à partir de quel diamètre vous jugez qu’un cratère est grave.

JEAN Ça se tente, non ?

ÉMILE Non.

JEAN Vous voulez dire que…

ÉMILE Je veux dire que les dés sont jetés, mon gars. Je veux dire que cette bombe, c’est la dernière que tu tiens dans tes mains et que si tu aimes le chocolat, faut commencer à

te faire une raison, dans 116 secondes tu pourras plus en manger.

JEAN J’aime pas le chocolat, ça me file des boutons.

ÉMILE Ben justement, profite z’en, t’auras pas longtemps à te gratter.

ALINE Barrette !

ÉMILE Hein ?

ALINE J’ai une barrette à bout plat. Je suis sûre que ça peut faire un excellent tournevis.

JEAN Qu’est-ce t’attends pour la donner à Emile ?

ALINE Cherchant dans ses cheveux.

Voilààà !

JEAN Alors ?

ALINE Rooh, m’énerve pas ! Où je l’ai mise cette foutue barrette ? Elle est tout de même pas partie en fumée… Je l’avais juste avant de monter sur scène. Même que tu m’as dit de l’enlever parce que je ressemblais à un palmier et qu’on jouait pas dans Alerte à Malibu.

JEAN C’est du Aline tout craché ça. Toujours à courir après ses affaires.

ALINE Tu veux qu’on parle de ton sens de l’orientation ?

JEAN Je ne vois pas le rapport. Entre mon sens de l’orientation et ta cervelle de linotte.

ÉMILE Ne l’écoutez pas, Aline. Pensez à votre barrette. Qu’avez-vous fait de votre barrette ?

ALINE J’en sais rien, moi. Il fait que me déconcentrer celui-là.

ÉMILE Donc vous l’avez retirée.

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ALINE Oui, je me vois bien la retirer et…

JEAN Et… où l’as-tu mise ?

ALINE Je l’ai retirée et… je l’ai mise…

ÉMILE Essayez de vous souvenir, Aline.

JEAN Paraît qu’avant de mourir on voit défiler sa vie et toi t’es même pas capable de voir ta barrette.

ALINE Je veux pas mourir ! Pas sans avoir gagné au loto !

JEAN Quelque chose me dit que le gros lot, tu peux t’asseoir dessus !

ALINE M’asseoir dessus, c’est ça ! Je l’ai mise sous le cousin du fauteuil !

Aline se précipite, fait voler le coussin, retrouve sa barrette et la donne à Émile.

ÉMILE Parfait, ça devrait le faire. Il me reste 32 secondes, c’est plus qu’il n’en faut.

ALINE Alors, elle te cloue le bec la linotte, pas vrai ?

JEAN Je voudrais bien voir ça.

ÉMILE Taisez-vous tous les deux !

Émile trifouille dans la boîte avec la barrette… Aline et Jean retiennent leur souffle.

ÉMILE Plus qu’une malheureuse petite vis… Allez, ma jolie… laisse-toi faire… encore un petit tour et vous allez admirer le travail, les amis… Attention… regardez bien le compteur…

Explosera ? N’explosera pas ?

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À tout de suite !

Thierry François

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