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UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE LE DROIT DE VOTE DE L’ASSOCIE Thèse pour le doctorat en droit Présentée et soutenue le 14 décembre 2001 Par Renee KADDOUCH Membres du Jury : M. le Doyen Jacques MESTRE – Directeur de la recherche Université de Droit, d’Economie et des Sciences d’Aix- Marseille M. le Professeur Dominique VIDAL Université de Nice Sophia-Antipolis I

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INTRODUCTION

III

UNIVERSITE DE DROIT, DECONOMIE ET DES SCIENCES DAIX MARSEILLE

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

LE DROIT DE VOTE DE LASSOCIE

Thse pour le doctorat en droit

Prsente et soutenue le 14 dcembre 2001

Par

Renee KADDOUCH

Membres du Jury :

M. le Doyen Jacques MESTRE Directeur de la recherche

Universit de Droit, dEconomie et des Sciences dAix-Marseille

M. le Professeur Dominique VIDAL

Universit de Nice Sophia-Antipolis

M. le Professeur Franois-Xavier LUCAS

Universit de Nice Sophia-Antipolis

Mme le Professeur Catherine PRIETO

Universit de Droit, dEconomie et des Sciences dAix-Marseille

M. le Professeur Didier PORACCHIA

Universit de Droit, dEconomie et des Sciences dAix-Marseille

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PREROGATIVE DE L'ASSOCIE CONTRACTANT

Titre I : Le droit de vote, un droit contractuel

Chapitre I : Un droit contractuel par ses rgles d'attribution

Chapitre II : Un droit contractuel par ses conditions d'exercice

Titre II : Le droit de vote, un objet de contrats

Chapitre I : Les conventions sur la jouissance du droit de vote

Chapitre II : Les conventions sur l'exercice du droit de vote

DEUXIEME PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PARTICIPATION AU GOUVERNEMENT DE LA SOCIETE

Titre I : La participation de l'associ au pouvoir de dcision

Chapitre I : La nature juridique de la rsolution d'assemble gnrale

Chapitre II : Le caractre fondamental du droit de vote de l'associ

Titre II : Le poids de l'associ dans l'exercice du pouvoir de dcision

Chapitre I : Le droit de vote, critre du pouvoir

Chapitre II : Le droit de vote, enjeu de pouvoir

INTRODUCTION

En 1906, Alain s'appliquait dfinir la "dmocratie pure", dans laquelle, conformment l'tymologie ([footnoteRef:1]), il voyait le "gouvernement du peuple par lui-mme" : "un peuple instruit, qui dlibre et discute ; un peuple clair par des spcialistes, clair par ses reprsentants, mais non pas gouvern par eux ; non, gouvern par lui-mme : tel est l'idal" ([footnoteRef:2]). Le philosophe adoptait ainsi la conception librale de la dmocratie, issue des Lumires et hrite de la Grce antique. Dans cette approche, les organes de l'Etat ne sont que les mandataires du peuple ; ils ne tirent pas leur pouvoir d'un droit propre, contrairement l'Ancien rgime, durant lequel l'autorit du Roi tait fonde sur Dieu ([footnoteRef:3]), mais de la volont du peuple. [1: () du grec demos : peuple et kratos : pouvoir.] [2: () Alain, Propos, 1906, Institut Alain, 1990, p. 47 (cit par P.-A. TAGUIEFF, Rsister au bougisme, 2001, p. 25). ] [3: () V. sur cette question, N. ROULAND, Introduction historique au droit, PUF, 1998, n 184 et s. ]

Le fondement de ce systme politique rside donc dans la participation du peuple souverain aux affaires de la cit, par le choix de reprsentants. Est octroy chacun ([footnoteRef:4]un droit de vote qui lui permettra de peser sur le destin collectif, en lisant ses gouvernants. La reconnaissance de l'individu comme fondement de la reprsentation et le triomphe de l'lection comme consentement l'autorit de l'Etat font ainsi du vote l'acte majeur de la condition de citoyen. Celui-ci permet ainsi au gouvern de participer la formation du bien commun. Ds lors, il se prsente comme le moyen par lequel l'individu va participer la formation de la volont gnrale, expression de la Raison, libre des dogmes et des croyances ([footnoteRef:5]). [4: () Le suffrage n'a pas toujours t universel. Il a d'abord t censitaire. Ainsi, pour se limiter la France, au lendemain de la Rvolution, seuls les hommes qui s'acquittait pralablement du cens (impt) pouvait participer au scrutin. Ce n'est qu'aprs la rvolution de 1848 que tous les hommes purent voter. En revanche, les femmes franaises durent attendre l'ordonnance du comit franais de Libration nationale, en 1944, pour se voir attribuer le droit de vote sur cette volution, D. TURPIN, Droit constitutionnel, 4 d., PUF, 1999, p. 212 et s. ] [5: () P. PERRINEAU et D. REYNIE (sous la direction de), Dictionnaire du vote, PUF, 2001, V "vote", spc. p. 238.]

La Constitution du 4 octobre 1958, dans son article 3, affirme ce caractre universel du suffrage. Autrement dit, chaque citoyen franais, et, l'occasion des scrutins locaux, chaque ressortissant de l'Union europenne ([footnoteRef:6]), est titulaire du droit de vote. Cette rgle ne souffre d'aucune exception. Les textes internationaux posent le mme principe. Ainsi, par exemple, selon l'article 21 de la Dclaration universelle des Droits de l'Homme du 10 dcembre 1948, "la volont du peuple est le fondement de l'autorit des pouvoirs publics ; cette volont doit s'exprimer par des lections honntes qui doivent avoir lieu priodiquement, au suffrage universel gal et au vote secret ou suivant une procdure quivalente assurant la libert du vote". [6: () sur le dbat relatif au droit de vote des trangers aux lections locales, V. D. TURPIN, Droit constitutionnel, op. cit., 218 et s. ]

Ainsi reconnu, le droit de participer aux lections revt une double fonction. Il permet de recenser les opinions individuelles au sein du corps social et de former la dcision collective qui portera une majorit politique au pouvoir ([footnoteRef:7]). Autrement dit, le vote est la fois l'expression d'un avis sur une question ou un projet de socit et le consentement donn la dcision qui en rsulte ([footnoteRef:8]). [7: () sur cet aspect, P. PERRINEAU et D. REYNIE (sous la direction de), Dictionnaire du vote, op. cit., V "vote", spc. p. 939 ; adde, O. IHL, Le vote, Montchrestien, 1996. ] [8: () G. CORNU (sous la direction de), Voc. Ass. H. CAPITANT, PUF, coll. Quadrige, 2000, V "vote". ]

Fondement de la dmocratie, le vote connat cependant une crise profonde. A l'occasion de chaque scrutin, local ou national, les analystes constatent une rosion de la participation des lecteurs ([footnoteRef:9]). Cette dsaffection pour le droit de vote n'est que la manifestation d'un malaise du systme politique reprsentatif, en liaison avec le phnomne de mondialisation ([footnoteRef:10]). [9: () Ainsi, selon le Ministre de l'intrieur, l'occasion des lections municipales de 1989, les lecteurs s'taient dplacs 73 pour cent (aux deux tours), alors que celles de mars 2001 ont connu une participation moindre de 67 pour cent. ] [10: () sur cette menace que ferait peser sur la dmocratie la mondialisation et son corollaire, la no-tribalisation, B. BARBER, Djihad versus Mc World. Mondialisation et intgrisme contre la dmocratie, d. Hachette, collection Pluriel, 2001 ; P.-A. TAGUIEFF, Rsister au bougisme, prcit.]

Nanmoins, en dpit de ces vicissitudes, le droit de suffrage demeure la forme la plus aboutie de la participation du citoyen aux affaires de la cit. Dans ces conditions, on comprend que les groupements de droit priv se soient largement inspirs de l'organisation politique et en aient fait le moyen privilgi d'expression de leurs membres ([footnoteRef:11]). [11: () d'une manire gnrale, en droit priv, F. MASQUELIER, Le vote en droit priv, thse Nice, 1999. ]

Ainsi, la loi du 10 juillet 1965, rgissant la coproprit des immeubles btis, a, dans son article 22, reconnu chaque copropritaire le droit de vote dans les assembles gnrales, seules habilites prendre les dcisions du syndicat ([footnoteRef:12]). Cette prrogative est si essentielle qu'aucun copropritaire ne peut en tre priv, mme s'il est intress la dlibration. Toute assemble laquelle un de ses membres n'aurait pas t convoqu encourt l'annulation, mme si l'absence du votant n'a eu aucune incidence sur le rsultat du scrutin ([footnoteRef:13]). [12: () sur les structures de la coproprit, C. ATIAS, Droit civil. Les biens, 4 d., Litec, 1999, n 355 et s. plus spcialement, sur l'assemble gnrale des copropritaires, F. GIVORD et C. GIVERDON, La coproprit, 4 d., Dalloz, 1992, n 546 et s. ] [13: () cass civ 3me 22 fvr. 1989, Bull. III n 47 sur cet arrt Ch. ATIAS, La coproprit immobilire sur la voie du droit commun, D. 1989 chron p. 263.]

De mme, dans les associations, chaque socitaire dispose du droit de vote, mme s'il peut en tre priv pour des raisons disciplinaires ou tenant au non-respect de son obligation de verser une cotisation ([footnoteRef:14]). Il n'est pas jusqu'au droit de la famille ([footnoteRef:15]) ou au droit du travail ([footnoteRef:16]) qui ne connaissent pas le principe de l'attribution du droit de vote tout membre du groupement. Autrement dit, l'octroi d'un droit de suffrage est consubstantiel toute organisation collective, personnifie ou non. [14: () E. ALFANDARI (sous la direction de), Associations, Dalloz, 2000, n 1289 comp., validant une clause statutaire qui rservait le droit de vote certains socitaires seulement, cass civ 1re 25 avr. 1990, RTD com. 1991 p. 241, obs. E. ALFANDARI. ] [15: () au sein du conseil de famille. ] [16: () au sein du comit d'entreprise. ]

Cependant, c'est en droit des socits que l'tude du droit de vote prsente le plus grand intrt. En effet, le droit de suffrage reconnu chaque associ permet de distinguer la socit d'un autre contrat ([footnoteRef:17]) et fait toute son originalit. Le droit de vote n'a d'ailleurs jamais cess de nourrir la rflexion, notamment dans la socit anonyme ([footnoteRef:18]). [17: () P. LE CANNU, La protection des administrateurs minoritaires, Bull. Joly 1990 p. 511. ] [18: () P. CHESNELONG, Le droit de vote dans les assembles gnrales des socits par actions, thse Toulouse, 1924 ; J. CHARGE, La nature du droit de vote de l'actionnaire dans les assembles des socits par actions, thse Poitiers, 1937 ; F. LETELLIER, Le droit de vote de l'actionnaire, thse Paris, 1942 ; Y. ELSHAZALI EL SHAIKH, Le droit de vote dans les assembles d'actionnaires, thse Nancy II, 1992 en dernier lieu, P. LEDOUX, Le droit de vote des actionnaires, thse Paris II, 2000 adde, C. KOERING, La rgle "une action-une voix", thse Paris I, 2000. ]

Nanmoins, une thorie gnrale du vote de l'associ n'a jamais, notre connaissance, t entreprise. Certes, la loi du 24 juillet 1966 a pris la socit anonyme comme modle ([footnoteRef:19]), ce qui peut expliquer l'omniprsence doctrinale du vote de l'actionnaire. Nanmoins, en pratique, il ne s'agit pas des groupements les plus nombreux. Il a nous donc paru intressant de nous pencher sur les autres formes sociales reconnues par la loi ([footnoteRef:20]). Nous aborderons donc principalement les socits envisages par le code de commerce, c'est dire la socit anonyme, la SARL ou encore la socit par actions simplifie ainsi que la socit civile. Ce faisant, nous le verrons, les rgles rgissant le droit de suffrage ne se distinguent pas fondamentalement de celles applicables aux socits anonymes. [19: () P. LE CANNU, L'volution de la loi du 24 juillet 1966 en elle-mme, Rev. Socits 1996 p. 485. ] [20: () Nous n'envisagerons donc pas la question de l'associ de la socit europenne. Ce projet, dont l'origine remonte 1967 et qui a t plusieurs fois remani, n'a toujours pas abouti : sur cette question, V. not. De nouvelles perspectives pour la socit europenne. Vers une socit ferme europenne, Gaz. Pal. 23-24 sept. 1998. ]

La matire s'est en outre profondment renouvele ces dernires annes, sous l'effet de deux phnomnes, en apparence contradictoires.

En premier lieu, la pratique des affaires a t le thtre d'un important mouvement de contractualisation ([footnoteRef:21]), tant par la voie statutaire que extra-statutaire ([footnoteRef:22]). Face au caractre sclrosant de la loi n 66-537 du 24 juillet 1966, unanimement dnonc ([footnoteRef:23]), les associs ont tent d'assouplir le fonctionnement de leur groupement, en utilisant les techniques contractuelles, pour l'adapter leurs besoins spcifiques. Le droit des socits se gauchit ainsi, du fait de sa confrontation avec les principes gnraux du contrat. Mais, ces accords n'tant pas conclus ex nihilo, intressant au premier chef la personne morale, ils ne sauraient tre entirement rgis par le droit des obligations, et demeurent donc pour une large part soumis aux rgles impratives du droit des socits. Autrement dit, droit des socits et droit des contrats s'enrichissent l'un l'autre de cette multiplication des accords entre associs ([footnoteRef:24]). La loi du 3 janvier 1994, instituant la socit par actions simplifie, amnage par celle du 12 juillet 1999, s'inscrit incontestablement dans cette tendance ([footnoteRef:25]). Dans ces conditions, la doctrine a milit en faveur d'une admission de principe des conventions relatives au droit de vote, et la jurisprudence a paru lui emboter le pas ([footnoteRef:26]). [21: () M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des socits, Mlanges Louis Boyer, 1996, p. 318 ; B. SAINTOURENS, La flexibilit du droit des socits, RTD com. 1987 p. 457 et du mme auteur, La simplification du droit franais des socits, Journ. Socit de lgislation compare, t. 16, 1994, p. 91] [22: () Sur ce phnomne, J.-J. DAIGRE, Transformer les socits, cah. dr. entr. 2/1995 p. 16 et, du mme auteur, Crise et structures juridiques des entreprises, in Droit de la crise : crise du Droit ?. Les incidences de la crise conomique sur l'volution du systme juridique, PUF, 1997, p. 73.] [23: () V. par ex. J. MESTRE, Lordre public dans les relations conomiques, in Th. REVET (sous la direction de), Lordre public la fin du XXe sicle, Dalloz, 1996, p. 33 ; B. OPPETIT, Les tendances actuelles du droit franais des socits, RID comp. 1989, n spcial, p. 105 ; M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des socits, Mlanges Louis Boyer, 1996, p. 318.] [24: () V. en ce sens, Y. GUYON, Trait des contrats. Les socits. Amnagements statutaires et conventions entre associs, 4 d., LGDJ, 1999, p. 39 ; R. LIBCHABER, La socit, contrat spcial, in Prospectives de droit conomique. Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 281 adde, dans une autre optique, I. GROSSI, Les devoirs des dirigeants sociaux: bilan et perspectives, thse Aix en Provence, 1998.] [25: () sur ces lois, infra. ] [26: () CA Paris 30 juin 1995, JCP d. E. 1996 II n 795, note J.-J. DAIGRE ; RTD civ. 1996 p. 893, obs. J. MESTRE ; Dr. Socits 1995 n 198, obs. D. VIDAL.]

En second lieu, en liaison avec la mondialisation des marchs financiers, et la mondialisation voire l'amricanisation du droit qui en rsulte ([footnoteRef:27]), les auteurs ont rflchi sur lopportunit de transposer en droit franais les principes de la corporate governance anglo-saxonne ([footnoteRef:28]). Ceux-ci sont inspirs par le souci de moraliser dans les socits faisant appel public lpargne les relations entre les dirigeants et les actionnaires, notamment les investisseurs institutionnels. Ils trouvent leur source majeure dans les thories micro-conomiques modernes, d'obdience librale, de lagence et des droits de proprit, envisageant la socit comme un nud de contrats ([footnoteRef:29]). Cette philosophie de primaut de l'actionnaire a t l'origine de nombreux rapports. Ainsi, par exemple, un groupe de travail, prsid par Marc Vinot, a rendu un rapport, dit rapport Vinot, relatif au "conseil d'administration des socits cotes", qui met un certain nombre de propositions destines favoriser le contrle sur l'action des dirigeants sociaux et qui contient une dfinition de l'intrt social, au cur du projet socitaire ([footnoteRef:30]). Surtout, le rapport Pbereau sur "le capitalisme au XXI sicle" tudie les moyens destins restaurer la toute-puissance de l'actionnaire et l'efficience de son droit de vote ([footnoteRef:31]). [27: () propos de l'influence de la mondialisation sur le droit des socits, P. BEZARD, Le droit des socits franais face aux dfis de la mondialisation, Rev. Socits 2000 p. 55 ; du mme auteur, La mondialisation et les marchs financiers, RJ com. janv. 2001, Le droit des affaires au XXI sicle, p. 163 ; J.-J. DAIGRE, Rapport de synthse, RJ com. janv. 2001, Le droit des affaires au XXI sicle, p. 225 adde, sur le phnomne voisin d'amricanisation du droit, Arch. Phil. Dr. t. 45, L'amricanisation du droit, Dalloz, 2001. ] [28: () sur cette question V. infra. ] [29: () A. COURET, Les apports de la thorie micro-conomique moderne lanalyse du droit des socits, Rev. Socits 1984 p. 243.] [30: () M. VIENOT, Le conseil dadministration des socits cotes, rapport AFEP-CNPF, 1995, in www.medef.fr ; rappr. dans le mme sens, AFEP-MEDEF, Rapport du comit sur le gouvernement dentreprise prsid par M. Marc VIENOT, juill. 1999, in www.medef.fr (sur ce rapport, I. GROSSI, Rapport Vinot II: vritable avance ou simple tat des lieux?, Bull. dactualisation Lamy Socits commerciales, oct. 1999 p. 1).] [31: () M. PEBEREAU, Le capitalisme au XXI sicle, Institut des entreprises, mars 1995.]

La loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles rgulations conomiques s'inscrit galement dans cette perspective ([footnoteRef:32]). Ainsi envisag, le droit de vote demeure la prrogative la plus essentielle de l'associ, celle qui lui permet de la manire la plus efficiente de participer aux affaires sociales. Il convient donc de le protger contre toutes les atteintes qu'il pourrait subir. [32: () sur cette loi, on consultera not. : J. MESTRE et D. VELARDOCCHIO, Les rformes du droit des socits commerciales dans la loi "nouvelles rgulations conomiques" du 15 mai 2001, Bull. d'actualit Lamy Socits Commerciales, juin 2001 ; D. BUREAU, La loi relative aux nouvelles rgulations conomiques. Aspects de droit des socits, Bull. Joly 2001 p. 553 ; A. COURET, La loi sur les nouvelles rgulations conomiques. La rgulation du pouvoir dans l'entreprise, JCP 2001 I n 339 ; J.-J. DAIGRE, Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles rgulations conomiques. Aspects de droit financier et de droit des socits, JCP 2001 p. 1197 et p. 1309 ; JCP d. E. 2001 p. 1013 ; M.-A. FRISON-ROCHE, La loi sur les nouvelles rgulations conomiques, D. 2001 p. 1930 ; D. VIDAL, La loi n 2001-420 relative aux nouvelles rgulations conomiques, Dr. Socits juin 2001 p. 3.]

De prime abord, ces deux orientations majeures du droit des socits contemporain s'opposent largement. La finalit de la rgle de droit, dans un domaine abandonn la libert contractuelle, est moins de protger l'associ, que de garantir la bonne formation des contrats et leur excution loyale ([footnoteRef:33]). Ds lors, la libre conclusion de conventions sur le droit de vote pourrait porter atteinte au rgles de la corporate governance, celles-ci postulant un suffrage libr de toute entrave, intellectuelle ou juridique. En ralit, les deux aspirations du droit des socits sont parfaitement conciliables et complmentaires, comme en tmoigne l'admission par le rapport Marini ([footnoteRef:34]) des accords de vote et la restauration de la primaut de l'associ par cette mme tude. Les conventions sur le droit de vote peuvent en outre permettre une meilleure concertation de lactionnariat ([footnoteRef:35]). De surcrot, nous le verrons, les rgles du droit des contrats sont suffisantes assurer la protection du droit de vote de l'associ qui s'engage dans des liens contractuels. [33: () sur les rapports entre la pratique des socits et la rgle de droit, V. not. A. COURET, De quelques apports conceptuels du droit financier contemporain, Mlanges Claude Champaud, Le droit de l'entreprise dans ses relations externes la fin du XX sicle, Dalloz, 1997, p. 195 et du mme auteur, Innovation financire et rgle de droit, D. 1990 chron. p. 135. ] [34: () Ph. MARINI, La modernisation des socits commerciales, La documentation franaise, 1996. ] [35: () P. LE CANNU, Lgitimit du pouvoir et efficacit du contrle dans les socits par actions, Bull. Joly 1995 p. 637, spc. n 19.]

Cela tant, pour beaucoup ([footnoteRef:36]), la conception du droit de vote, "droit la nature complexe qui ne peut tre saisi dans une formule unique" ([footnoteRef:37]), serait largement fonction de la conception thorique de la socit. Si l'on envisage celle-ci comme un contrat, le droit de suffrage prsentera les caractres d'un droit subjectif, destin dfendre les intrts propres de son titulaire ([footnoteRef:38]). Si l'on fait prvaloir l'une ou l'autre des thories institutionnelles, alors le droit de vote sera essentiellement peru comme une fonction, visant satisfaire l'intrt du groupement. C'est la raison pour laquelle il convient de s'attarder sur la controverse sculaire relative la nature juridique de celui-ci. [36: () V. J.-J. DAIGRE, Le droit de vote est-il encore un attribut essentiel de l'associ, JCP d. E. 1996 I n 575, spec. n 1. ] [37: () Selon l'expression de M. le Professeur Dominique Schmidt (Les droits de la minorit dans la socit anonyme, Sirey, 1970, n 56). ] [38: () V. en dernier lieu, retenant cette approche, P. LEDOUX, Le droit de vote des actionnaires, op. cit. ]

La doctrine classique, imprgne de la philosophie librale issue de la Rvolution, analysait la socit comme un contrat. Ce courant appliquait la doctrine de Rousseau, mise dans "Du contrat social", au sujet de lEtat ([footnoteRef:39]). Ces auteurs invoquaient lappui de leur position larticle 1832 du Code civil qui dfinissait la socit comme "un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun dans la vue de partager le bnfice qui pourra en rsulter". Pour eux ([footnoteRef:40]), la socit est une manifestation de volont. Chaque contractant dispose dun droit de vote. En consquence, lassemble gnrale de la socit, qui runit tous les associs, est souveraine. Nanmoins, pour des raisons pratiques, les dcisions sont prises la majorit, les associs minoritaires tant prsums y avoir consenti lavance, lors de la formation du contrat. En outre, lassemble donne mandat un ou plusieurs associs dadministrer la socit. Lanalyse contractuelle classique tait donc lie au dogme de lautonomie de la volont, qui perdura tout au long du XIXe sicle. [39: () J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social, 1762, Flammarion, 2001. ] [40: () E. THALLER, Trait lmentaire de droit commercial, t. 1, n 218.]

Nanmoins, tant en troite liaison avec la philosophie individualiste du Code civil, elle ne pouvait pas chapper la crise du libralisme. La doctrine privatiste continua cependant danalyser la socit comme un contrat. La remise en question de la thse traditionnelle fut donc luvre de deux matres du Droit public, Maurice Hauriou ([footnoteRef:41]) et Lon Duguit ([footnoteRef:42]). [41: () M. HAURIOU, Trait de droit constitutionnel, 1929 ; sur la doctrine de linstitution proprement dite, R. SAVATIER, Les mtamorphoses conomiques et sociales du droit civil daujourdhui, 1re srie, Panorama des mutations, 3 d., Dalloz, 1964, n 95 et s.; J. BRETHE DE LA GRESSAYE, Rp. Civil, V Institution, 1973; J. A. BRODERICK, La notion d institution de Maurice Hauriou dans ses rapports avec le contrat en droit positif franais, Arch. Phil. Dr., t. 13, Sur les notions du contrat, Sirey, 1965, p. 143; G. MARTY, La thorie de linstitution, Ann. Facult de Droit de Toulouse, La pense du Doyen Maurice Hauriou et son influence, 1968, p. 29.] [42: () L. DUGUIT, Trait de droit constitutionnel, 1929.]

Selon eux, la socit ne repose pas sur un contrat mais sur un acte collectif. En effet, un contrat se caractrise par son caractre instantan alors que la socit a vocation sinscrire dans la dure. De plus, les associs poursuivent un mme intrt alors que le propre du contrat est de faire natre deux situations opposes.

Une fois cre, la socit nest mme plus un acte juridique mais une institution dfinie comme une ralit que constitue soit un organisme existant lorsque sy dgage la conscience dune mission et la volont de la remplir en agissant comme une personne morale soit une cration lorsque le fondateur, dcouvrant lide dune uvre raliser, entreprend cette ralisation en suscitant une communaut dadhrents ou encore une organisation sociale tablie en relation avec lordre gnral des choses dont la permanence est assure par un quilibre de forces ou par une sparation des pouvoirs et qui constitue par elle-mme un tat de droit ([footnoteRef:43]). Elle est toute entire tourne vers la ralisation de lIde qui a prsid sa naissance ([footnoteRef:44]). En dautres termes, le fonctionnement de la socit est calqu sur celui des personnes publiques et par consquent rgi par un principe de sparation des pouvoirs. Chacun des membres de linstitution est soumis un principe suprieur dautorit, qui justifie lexistence de la loi de la majorit. Selon cette analyse, les dirigeants ne sont pas les mandataires des associs mais les organes de linstitution, dont ils sont l'incarnation. [43: () Voc. Ass. H. CAPITANT V Institution ] [44: () sur limportance de lIde dans la doctrine institutionnelle, J. BRETHE DE LA GRESSAYE, Rp. Civil V Institution, op. cit., n 28 et s.]

Cette doctrine rencontra un vif succs auprs de la doctrine ([footnoteRef:45]). En effet, depuis la loi du 22 novembre 1913, lassemble gnrale extraordinaire pouvait modifier les statuts la majorit des deux tiers, sous rserve de ne pas augmenter les engagements des actionnaires. En dautres termes, les majoritaires pouvaient imposer une dcision leurs co-associs, au mpris des principes du droit des contrats. Les auteurs favorables lanalyse contractuelle taient ds lors embarrasss pour justifier ce pouvoir exorbitant du droit commun. Certains invoquaient un consentement anticip des minoritaires lors de la constitution de la socit ([footnoteRef:46]), dautres un mandat tacite quils donneraient aux majoritaires. Aucun de ces arguments ntait convaincant car ils reposaient tous sur une fiction. [45: () G. RENARD, La thorie de linstitution. Essai dontologie juridique, Sirey, 1930; E. GAILLARD, La socit anonyme de demain. La thorie institutionnelle et le fonctionnement de la socit anonyme, thse Lyon, 1932.] [46: () pour une critique de cette prsomption de consentement anticip au regard de lindtermination de lobjet, G. RIPERT, La loi de la majorit dans le droit priv, Mlanges Sugiyama, 1940, p. 351.]

La thorie de linstitution fut renouvele par deux courants.

Le premier fut la thorie de lacte juridique collectif ([footnoteRef:47]). Selon cette cole, puisque la socit ne fait pas natre deux situations antagonistes, celle de dbiteur et celle de crancier, elle ne peut reposer sur un contrat mais sur un acte collectif. Celui-ci se caractrise par lmission dun faisceau de volonts concordantes ([footnoteRef:48]) et a pour effet de donner naissance une institution. Par ailleurs, cette catgorie particulire dactes juridiques, dfinie comme un accord de volonts semblables ayant toutes le mme contenu et orientes vers la ralisation dun but commun explique la communion des membres de linstitution autour de lIde. ([footnoteRef:49]). En cela, elle se situe dans le prolongement de la doctrine publiciste de Hauriou et de Duguit. [47: () G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur lacte juridique collectif, Bibl. dr. priv. t. 27, LGDJ, 1961, p. 66, pour les socits fort intuitu personae, et p. 87, pour les socits par actions; R. CABRILLAC, Lacte juridique conjonctif en droit priv franais, Bibl. dr. priv. t. 213, LGDJ, 1990, n 213 et s; V. aussi dans les manuels de droit des obligations, G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil. Les obligations, t. 1, Les sources, 2 d., Sirey, 1988, n 369; J. FLOUR et J.-L. AUBERT, Les obligations, t. 1, Lacte juridique, 7 d., 1996, n 520; comp. Fr. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil. Les obligations, 7 d., Dalloz, 1999, n 53.] [48: () G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur lacte juridique collectif, op. cit., p 87 et s., pour les socits par actions; p. 59 et s., pour les socits base dintuitu personae. M. le Professeur Rmy Cabrillac voit galement dans la constitution dune personne morale un acte toujours conjonctif (op. cit., n 255), quil dfinit comme lacte par lequel plusieurs personnes sont rassembles lors de sa formation ou postrieurement, au sein dune mme partie, cest dire par un mme intrt, dfini par rapport lobjet de lacte (op. cit., n 319).] [49: () G. ROUJOU DE BOUBEE, Essai sur lacte juridique collectif, op. cit., p. 209.]

Le second courant doctrinal prolongeant lanalyse institutionnelle est celui de la thorie fonctionnelle de la socit. Il a rencontr une audience considrable.

A la suite de Ripert, qui voyait dans la socit anonyme un merveilleux instrument cr par le capitalisme moderne pour collecter lpargne en vue de la fondation et de lexploitation des entreprises ([footnoteRef:50]), plusieurs auteurs ont ax leurs recherches sur lentreprise ([footnoteRef:51]). Pour eux, la socit nest quune technique au service dune finalit, lentreprise. Celle-ci tant dpourvue dexistence juridique, la technique socitaire permet de la lui confrer. Selon M. le Professeur Jean Paillusseau, vritable initiateur de la doctrine, les conceptions institutionnelle et surtout contractuelle souffrent dune lacune essentielle. Elles font en effet de la socit un groupement de personnes et ngligent sa dimension conomique et sociale. [50: () G. RIPERT, Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2 d., LGDJ, 1951, n 46 et s.] [51: () M. DESPAX, Lentreprise et le droit, Bibl. dr. priv., t. 1, LGDJ, 1957; Cl. CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la socit par actions, Sirey, 1962et surtout J. PAILLUSSEAU, La socit anonyme, technique dorganisation de lentreprise; adde, P. DURAND, Rapport franais, TAC t. 3, La notion juridique de lentreprise, 1948, p. 45; B. MERCADAL, La notion dentreprise, Mlanges Jean Derrupp, Les biens et les activits de l'entreprise, p. 9; Cl. CHAMPAUD, Le contrat de socit existe-t-il encore?, in L. CADIET (sous la direction de), Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987, p. 125 ; J. PAILLUSSEAU, Les fondements du droit moderne des socits, JCP d. E 1984 I n 14193; Quest-ce que lentreprise, in J. JUGAULT (sous la direction de), Lentreprise:nouveaux apports, Economica, 1987, p. 11; Le big bang du droit des affaires la fin du XXe sicle (ou les nouveaux fondements et notions du droit des affaires), JCP 1988 I n 3330; P. DIDIER, Esquisse de la notion dentreprise, Mlanges offerts Pierre Voirin, 1966, p. 209.]

Cette nouvelle analyse marque selon ses partisans une vritable rupture avec les thses antrieures ([footnoteRef:52]) puisquelle introduit dans la relation socitaire des intrts trangers ceux des apporteurs de capitaux. En ralit, cette doctrine entrepreneuriale de la socit se situe dans le prolongement de la thse institutionnelle, lIde constitutive de linstitution pouvant sassimiler lentreprise ([footnoteRef:53]). [52: () Cl. CHAMPAUD, Le contrat de socit existe-il encore?, prcit; adde, du mme auteur, Clan et hoirie, socit et entreprise, Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 64.] [53: () en ce sens, J.-P. BERTREL, Libert contractuelle et socits (essai dune thorie du juste milieu en droit des socits), RTD com. 1996 p. 595, spc. n 34 adde, R. GRANGER, La nature juridique des rapports entre actionnaires et commissaires chargs du contrle dans les socits par actions. Contribution ltude de la nature juridique de la socit par actions, thse Paris, 1951, n 235 et s. ; G. MARTY, La thorie de linstitution, prcit; Cl. DUCOULOUX-FAVARD, Nature juridique du contrat de socit. Un exemple dcueil possible pour le comparatiste, Rev. Socits 1966 p. 1.]

Cette doctrine a dailleurs t ultrieurement tendue lensemble des personnes morales ([footnoteRef:54]). [54: () J. PAILLUSSEAU, Le droit moderne de la personnalit morale, RTD civ. 1993 p. 705.]

Certaines dcisions rendues par les juridictions du fond ont expressment qualifi la socit dinstitution ([footnoteRef:55]) mais elles sont demeures marginales. La thorie de lentreprise na jamais t consacre par la jurisprudence, lexception de laffaire Fruehauf ([footnoteRef:56]), dont la solution sexpliquait bien plus par le contexte gopolitique. [55: () CA Paris 26 mars 1966, RTD com. 1966 p. 349, obs. R. HOUIN; CA Reims 24 avr. 1989, JCP d. E 1990 II n 15667, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.] [56: () CA Paris 22 mai 1965, D. 1968 p. 147; RTD com. 1965 p. 619, obs. R. RODIERE; Grands arrts du droit des affaires, n 44 p. 487, obs. S. FARNOCCHIA sur cette affaire, supra. ]

A linverse, la doctrine contractualiste peut sautoriser dun arrt rendu par la Cour de Justice des Communauts Europennes ([footnoteRef:57]), aux termes duquel les liens existant entre les actionnaires dune socit sont comparables ceux qui existent entre les parties un contrat. La constitution dune socit traduit en effet lexistence dune communaut dintrts entre les actionnaires dans la poursuite dun objectif commun. Afin de raliser cet objectif, chaque actionnaire est investi vis vis des autres actionnaires et des organes de la socit, de droits et dobligations qui trouvent leur expression dans les statuts de la socit. Il sensuit que pour lapplication de la Convention de Bruxelles, les statuts de la socit doivent tre considrs comme un contrat, rgissant la fois les rapports entre les actionnaires et les rapports entre ceux-ci et la socit quils crent. [57: () CJCE 10 mars 1992, RTD civ. 1992 p. 757, obs. J. MESTRE.]

Les tenants de lanalyse entrepreneuriale de la socit ont cru voir dans la nouvelle rdaction de larticle 1832 du Code civil, issue de la loi n 85-697 du 11 juillet 1985, conscration de leur thse ([footnoteRef:58]). Ce texte dispose dsormais que la socit est institue par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat daffecter une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager les bnfices ou de profiter de lconomie qui pourra en rsulter. Elle peut tre institue, dans les cas prvus par la loi, par lacte de volont dune seule personne. Pour ces auteurs, qui sappuient sur les travaux prparatoires, le lgislateur a non seulement voulu affirmer le caractre institutionnel de la socit pluripersonnelle mais encore consacrer la doctrine de lentreprise par la cration de lEURL. En effet, du fait de cette innovation, la pluralit dassocis ne serait plus de lessence de la socit. Par consquent, celle-ci ne pourrait plus tre analyse comme un groupement de personnes ([footnoteRef:59]). [58: () J. PAILLUSSEAU, LEURL ou des intrts pratiques et des consquences thoriques de la socit unipersonnelle, JCP 1986 I n 3242, spc., n 93 et s.; Cl. CHAMPAUD, Le contrat de socit existe-t-il encore?, prcit.] [59: () J. PAILLUSSEAU, LEURL ou des intrts pratiques et des consquences thoriques de la socit unipersonnelle, prcit, n 103.]

En ralit, il ne faut pas accorder la terminologie lgale plus dimportance quelle nen a ([footnoteRef:60]). Certes, la notion de contrat est compltement inadapte pour expliquer la cration et le fonctionnement de lEURL. Nanmoins, la nouvelle dfinition de la socit sexplique bien plus par la contradiction entre lappellation socit, donne lEURL, et la nature vritable de celle-ci, une entreprise individuelle. [60: () J. MESTRE et G. FLORES, Brves rflexions sur lapproche institutionnelle de la socit, Petites affiches 14 mai 1986 p. 25; Y. GUYON, Droit des affaires, 11 d., Economica, 2001., n 96; E. ALFANDARI, Droit des affaires, Litec, n 325.]

Est-ce dire que la socit n'est qu'un contrat ? Nous ne le pensons pas et avec la doctrine moderne, nous penchons en faveur d'une analyse mixte de la socit ([footnoteRef:61]). Il semble en effet que cette conception mdiane soit la plus conforme la ralit, en ce quelle rend compte de certains aspects du groupement, tantt irrductibles au schma contractuel, tantt inexplicables par les thses institutionnelles. [61: () J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, 2001, n 34; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n 97; J. HAMEL, G. LAGARDE et A. JAUFFRET, Droit commercial, t. 2, Dalloz, 1980, n 387; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mmento pratique des socits commerciales, Francis Lefebvre, 2001, n 27 ; M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des socits, 14 d., Litec, 2001, n 152 ; Ph. MERLE, Droit commercial. Socits commerciales, 7 d., Dalloz, 2000, n 23.]

Les auteurs synthtisent cette approche protiforme de la manire suivante. La constitution de la socit prsenterait une nature irrmdiablement contractuelle alors que son fonctionnement s'inscrirait dans un cadre institutionnel ([footnoteRef:62]). [62: () Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., loc. cit. ; Ph. MERLE, Droit commercial. Socits commerciales, op. cit., loc. cit.]

Cependant, cette prsentation ne convainc pas, du fait de son caractre par trop systmatique ([footnoteRef:63]). Certains aspects de la vie sociale peuvent traduire une emprise relle du droit des contrats, alors que d'autres sont rvlateurs de la prminence de l'institution. Ainsi, par exemple, les relations des dirigeants sociaux avec les associs, au cur du fonctionnement socitaire, peuvent s'expliquer par les rgles gouvernant le droit du mandat ([footnoteRef:64]). En revanche, les structures du groupement sont rgies par un principe de sparation des pouvoirs ([footnoteRef:65]), d'ordre public ([footnoteRef:66]), que le droit des contrats demeure impuissant expliquer. [63: () Rappr. J. MESTRE, Lamy Socits Commerciales, op. cit., n 37 adde, du mme auteur, La socit est bien encore un contrat, Mlanges Christian Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 131. ] [64: () V. ainsi, mettant leur charge une obligation de loyaut envers les associs, cass com 27 fvr. 1996; RTD civ. 1997 p. 114, obs. J. MESTRE; JCP 1996 II n 22665, note J. GHESTIN; D. 1996 p. 519, note Ph. MALAURIE et p. 591, obs. J. GHESTIN; JCP d. E 1996 II n 838, note D. SCHMIDT et N. DION, approuvant CA Paris 19 janv. 1994, RTD civ. 1994 p. 853, obs. J. MESTRE comp., cass civ 1re 3 mai 2000, RTD civ. 2000 p. 566, obs. J. MESTRE et B. FAGES.] [65: () cass civ 4 juin 1946, S. 1947, 1, p. 153, note P. BARBRY,; JCP 1947 II n 3518, note D. BASTIAN; Journ. Socits 1946 p. 374; Grands arrts, n 69, p. 298, note J. NOIREL. En lespce, lassemble gnrale avait adopt une dlibration qui confrait au prsident la totalit des prrogatives dvolues au conseil dadministration et la Cour dappel de Douai lavait annule. On le voit, le choc tait frontal entre une conception contractuelle des rapports entre les associs et le conseil, qui aurait permis dter celui-ci ses attributions, et une analyse institutionnelle, qui postule une stricte sparation des pouvoirs. En loccurrence, la Cour de cassation a opt pour la seconde thse puisque elle a considr que "la socit anonyme tant une socit dont les organes sont hirarchiss et dans laquelle ladministration est exerce par un conseil lu par lassemble gnrale, il nappartient pas lassemble gnrale dempiter sur les prrogatives du conseil en matire dadministration; cest donc bon droit quun arrt annule la rsolution vote par lassemble gnrale qui investit le prsident-directeur gnral de lensemble des pouvoirs jusqualors attribus au conseil dadministration". Si les relations des associs et des dirigeants tait gouvernes par le droit du mandat, alors lassemble gnrale aurait pu valablement priver le conseil de la totalit de ses pouvoirs. Par consquent, la Haute juridiction affirme trs clairement le principe de hirarchie, de sparation des pouvoirs dans la socit anonyme. Par ailleurs, les juges suprmes ne se contentent pas de consacrer expressment la rgle de sparation des pouvoirs, ils affirment galement, de manire implicite, la spcialisation des fonctions. Autrement dit, les actionnaires ne peuvent valablement empiter sur les pouvoirs du conseil, pas plus que sur ceux du prsident, ce qui est contraire aux solutions traditionnellement retenues en matire de mandat dans le mme sens, V. not. cass com 18 mai 1982, Grandes dcisions, n 31, p. 159, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE.] [66: () CA Aix en Provence 28 sept. 1982, Grandes dcisions, n 31, p. 160, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE; Rev. Socits 1983 p. 773, note J. MESTRE, qui affirme que "les textes fixent de manire imprative les pouvoirs et prrogatives des diffrents organes de la socit", et surtout : cass com 4 juill. 1995, D. 1996 p. 186, note J.-C. HALLOUIN]

En cela, le dbat sur la nature juridique de la socit prsente peu d'intrt. Comme l'a montr M. le Professeur Dominique Schmidt, la socit se prsente comme une structure juridique, le plus souvent personnalise, destine enrichir ses membres, tout en limitant leurs risques financiers ([footnoteRef:67]). [67: () D. SCHMIDT, Les conflits d'intrts dans la socit anonyme, d. Joly, collection Pratique des affaires, 1999, n 2 Rappr. P. DIDIER, Brves notes sur le contrat-organisation, Mlanges Franois Terr, Lavenir du Droit, Dalloz-Litec-PUF, 1999, p. 635 et La thorie contractualiste de la socit, Rev. Socits 2000 p. 95. Cette analyse met l'accent sur la personnalit morale et le rle qu'elle joue dans les relations entre associs. ]

Ainsi envisage, la socit est donc un contrat dont la particularit est de donner naissance une personne morale, qui a vocation l'inscrire dans la dure.

Cette nouvelle approche a irrmdiablement des incidences importantes sur le statut de l'associ. Bien que prsentant un intrt thorique et pratique majeur, le concept n'est pas dfini par la loi et n'est que peu envisag en tant que tel par la doctrine ([footnoteRef:68]). Il nous semble cependant que la notion puisse tre envisage sous un double angle. [68: () V. cependant, A. VIANDIER, La notion d'associ, Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978 ; adde, Y. GUYON et alii, Qu'est-ce qu'un actionnaire ?, Rev. Socits 1999 p. 511.]

Parce que la socit est avant tout un contrat, l'associ est celui qui apporte un bien, a vocation aux bnfices et aux pertes et est anim de l'affectio societatis, comme le commande l'article 1832 du Code civil. L'associ se prsente donc avant tout comme un contractant ([footnoteRef:69]). [69: () en ce sens, J. CALAIS-AULOY, Rp. Socits, V "Associ", 1970, n 1 et s. ]

Mais, la socit donne aussi naissance un groupement. Celui-ci peut tre ou non dot de la personnalit morale. Cependant, envisag sous l'angle des droits de l'associ, cet aspect ne prsente un intrt que si la socit jouit de la personnalit juridique. Dans le cas contraire, la socit est dite cre de fait ou en participation. Elle est rgie, ainsi que l'affirme l'article 1842 du Code civil, par les principes du droit des obligations. En d'autres termes, l'associ ne sera qu'un contractant et le vote perdra sa raison d'tre, faute de structures juridiques dotes d'une certaine permanence. A l'inverse, lorsque la socit donne naissance une personne morale, l'associ se prsente galement comme le membre d'un groupement.

Cette dualit se retrouve lorsqu'il s'agit d'tudier le droit de vote. Celui-ci est octroy l'associ du seul fait de sa participation au contrat, comme la contrepartie de son entre en socit. Une question a d'ailleurs donn naissance une controverse. Le droit de suffrage est-il est attach au titre ou la personne de l'apporteur ? Autrement dit, est-il attribu propter rem ou propter personam ? La question ne se pose dans toute son ampleur que dans les socit au sein desquelles l'intuitus pecuniae joue un rle prpondrant. Pour les socits domines par l'intuitus personae, le droit de vote est ncessairement li la personne Les arrts sont pour le moins ambigus qui font tantt du droit de vote un "attribut essentiel de l'action" ([footnoteRef:70]) tantt une "attribut essentiel de [l'associ]" ([footnoteRef:71]). Ce dbat ne parat toutefois prsenter qu'un intrt purement acadmique. Comme nous le verrons, du moment qu'il effectue un apport, l'associ se voit attribuer un titre, dont l'accessoire est le droit de vote. Cette rgle ne souffre point d'exception ([footnoteRef:72]). Autrement dit, dans tous les cas, l'attribution du droit de suffrage est la consquence de l'entre en socit, que la socit soit ou non la terre d'lection de l'intuitus personae. [70: () cass civ 7 avr. 1932, D.P. 1933, 1, p. 153, note P. CORDONNIER; S. 1933, 1, p. 177, note H. ROUSSEAU; Journ. Socits 1934 p. 289, note H. LECOMPTE.] [71: () cass Req 23 juin 1941, Journ. Socits 1943 p. 209; Grands arrts, n 66, p. 207, note J. NOIREL.] [72: () Rappr. C. KOERING, La rgle "une action-une voix", op. cit., n XII. ]

Puisque la socit est un contrat, l'associ, avant d'tre le membre d'un groupement, est d'abord un contractant, protg en tant que tel par les rgles du droit des contrats. Celles-ci sont issues du droit commun des obligations et du droit commun des socits, dfini aux articles 1832 et suivants du Code civil. Par consquent, l'article 1844 qui attribue le droit de vote chaque associ, est une trace de la nature contractuelle de la socit. En cela, le droit de suffrage subit l'emprise du droit des contrats et peut tre envisag comme une prrogative de l'associ, pris en sa qualit de contractant.

Cependant, la socit n'est pas seulement une accord de volonts. C'est galement un groupement dot d'une existence propre et dont les organes sont imprativement fixs par la loi. Ds lors, l'associ est davantage qu'un contractant, il est galement le membre de cette organisation collective personnifie. Le droit de vote lui permet ds lors de peser sur le destin commun, l'instar de celui dont jouit le citoyen. Le suffrage mis est un moyen, offert par le Droit, l'associ de participer la formation de la volont sociale. Plus largement, il reprsente l'instrument privilgi de participation au pouvoir politique au sein de l'organisation socitaire. Avec une doctrine autorise, nous nommerons gouvernement de la socit l'exercice de ce pouvoir politique ([footnoteRef:73]). Le droit de vote donne donc l'associ la facult de participer ce dernier. [73: () Voc. Ass. H. CAPITANT, V "Gouvernement". ]

PREMIERE PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PREROGATIVE DE L'ASSOCIE-CONTRACTANT

DEUXIEME PARTIE : LE DROIT DE VOTE, PARTICIPATION AU GOUVERNEMENT DE LA SOCIETE

PREMIERE PARTIE: LE droit de vote, PREROGATIVE DE l'ASSOCIE CONTRACTANT

Comme l'a crit un auteur, "nul ne peut prtendre analyser les mcanismes, fussent-ils les plus sophistiqus, du droit des socits, sans une rfrence constante au droit des obligations" ([footnoteRef:74]). Ceci se vrifie s'agissant du droit de suffrage. [74: () M. JEANTIN, Droit des obligations et droit des socits, Mlanges Louis Boyer, 1996, p. 317. ]

La socit pluripersonnelle nat d'un contrat ([footnoteRef:75]). L'article 1832 l'affirme trs nettement. Le propre d'une convention est de donner naissance une srie de prrogatives, entendues comme toute facult d'agir fonde en droit ([footnoteRef:76]), reconnues chaque contractant. Ds lors, du fait mme qu'il est partie un contrat de socit, l'associ se verra octroyer le droit de vote. En cela, ce dernier apparat comme un droit contractuel (Titre I). [75: () Le droit des contrats est impropre expliquer les mcanismes de la socit unipersonnelle, introduite en droit franais par la loi du 12 juillet 1985. Celle-ci se fonde par un acte unilatral de volont de l'associ unique et toutes les dcisions de la personne morale sont l'uvre du fondateur. Dans le cadre de cette tude, nous n'envisagerons donc que les socits pluripersonnelles sur cette question, V. J. MESTRE et G. FLORES, L'entreprise unipersonnelle responsabilit limite, Rev. Socits 1986 p. 15.] [76: () Voc. Ass. H. CAPITANT, V "Prrogative". ]

Cependant, la nature contractuelle de la socit prsente un autre aspect. Elle implique que les associs puissent amnager librement leurs droits. Le contrat se prsente ainsi comme un instrument de souplesse et d'ouverture au service des contractants. Nanmoins, la rigidit du droit des socits a conduit les associs dlaisser le cadre statutaire, sans l'abandonner totalement, utilisant ainsi les marges de libert offertes par la loi, et recourir aux accords extra-statutaires. Par consquent, la nature contractuelle du droit de vote autorise son amnagement conventionnel. De droit contractuel, le droit de suffrage devient objet de contrats (Titre II).

TITRE I : LE DROIT DE VOTE, UN DROIT CONTRACTUEL

L'octroi du droit de vote chaque associ dcoule des mcanismes volontaires inhrents au droit de socits. Par consquent, la nature contractuelle du droit de vote se dduit des rgles d'attribution de cette prrogative (Chapitre I).

Mais comme tout droit n d'une convention, le droit de suffrage doit tre exerc de bonne foi, sans abus. En droit des socits, l'abus du droit de vote s'analyse comme un abus par dloyaut, selon la distinction tablie par M. le Professeur Stoffel-Munck ([footnoteRef:77]). En d'autres termes, la nature contractuelle du droit de vote dcoule galement de ses conditions d'exercice (Chapitre II). [77: () Ph. STOFFEL-MUNCK, L'abus dans le contrat. Essai d'une thorie, Bibl. dr. priv. t. 337, LGDJ, 2000. Selon cet auteur, l'abus en droit des contrats se prsente sous trois formes diffrentes : l'abus par dloyaut, entendu comme la faute d'une partie, l'abus de libert contractuelle, qui procde du contenu de la convention, et l'abus de prrogative, envisag comme l'invocation de la lettre du contrat au dtriment de son esprit. ]

CHAPITRE I: UN DROIT CONTRACTUEL PAR SES REGLES DATTRIBUTION

D'aprs l'article 1844, "tout associ a le droit de participer aux dcisions collectives". Cette rgle, introduite par la loi n 78-9 du 4 janvier 1978, est issue du droit commun des socits et concerne par consquent toutes les formes sociales. Elle est la consquence de l'affectio societatis et plus gnralement de l'appartenance une socit. Elle repose donc sur des fondements contractuels (Section 1).

Cependant, ces derniers dans certaines formes sociales sont protgs des atteintes que pourraient leur faire subir les dirigeants sociaux. Il est en effet apparu ncessaire de prvoir un dispositif rpressif dans les groupements faible intuitus personae, afin de compenser la perte d'autonomie de l'associ, plus importante dans ces socits (Section 2).

Section 1: Les fondements contractuels de l'attribution du droit de vote

Le contrat de socit prsente une nature particulire, il s'agit d'un contrat-organisation ([footnoteRef:78]) par lequel les associs organisent leur collaboration. Ce devoir de coopration est traditionnellement dnomm affectio societatis. Il implique que chaque apporteur de capital puisse participer la vie sociale. Dans ces conditions, cet affectio societatis ([footnoteRef:79]), qui ne se prsume pas ([footnoteRef:80]) et qui est traditionnellement envisag comme une condition de validit de la socit, au mme titre que les lments expressment numrs par l'article 1832 du Code civil, commande d'attribuer le droit de vote chaque associ (1). [78: () P. DIDIER, Brves notes sur le contrat-organisation, Mlanges Franois Terr, L'avenir du droit, PUF-Dalloz-Litec, 1999, p. 635 adde, du mme auteur, Le consentement sans l'change : le contrat de socit, RJ com. nov. 1995, n spcial, L'change des consentements, p. 75. ] [79: () ex. cass civ 6 oct. 1953, D. 1954 p. 25, qui sanctionne par la nullit une socit dont le matre de laffaire ntait pas anim de laffectio societatis; cass civ 3 22 juin 1976, D. 1977 p. 619, note P. DIENER, qui prononce linexistence de la socit pour les mmes raisons.] [80: () cass civ 1 5 mars 1985, Bull. I n 85, relatif la reconnaissance dune socit de fait entre concubins, qui considre que une socit de fait entre concubins ne peut seulement rsulter de la vie commune, mme prolonge, et dun apport en commun, elle exige chez les parties la volont, qui ne peut tre prsume, de sassocier et notamment lintention de participer aux bnfices et aux pertes; adde, cass com 3 juin 1986, Rev. Socits 1986 p. 585, note Y. GUYON.]

L'octroi du droit de vote rsulte galement des mcanismes contractuels de l'entre en socit (2).

1- Une consquence de laffectio societatis

Si le concept d'affectio societatis est entour dun certain flou (A), auteurs et tribunaux reconnaissent quil fonde les prrogatives politiques de lassoci, notamment son droit de participation (B).

A. La notion daffectio societatis

La Commission de modernisation du langage judiciaire a traduit lexpression affectio societatis par celle d intention de sassocier ([footnoteRef:81]). La substitution de ce terme la formule latine est regrettable. En effet, rduire laffectio societatis la volont de former une socit conduit une impasse, lun des intrts du concept tant de permettre la qualification dun contrat en socit ([footnoteRef:82]). Outre les difficults inhrentes lemploi de termes latins ([footnoteRef:83]), les incertitudes proviennent de ce que laffectio societatis est plus un sentiment quun concept juridique ([footnoteRef:84]). [81: () circulaire du 15 septembre 1977, relative au vocabulaire judiciaire, JCP 1977 III n 46255.] [82: () en ce sens, J. HAMEL, Laffectio societatis, RTD civ. 1925 p. 761; comp. A. AMIAUD, Laffectio societatis, Mlanges SIMONIUS, Aequitas und bona fides, 1955, p. 1 V. curieusement, dans une SCI familiale, CA Toulouse 7 dc. 2000, RTD com. 2001 p. 473, obs. M.-H. MONSERIE-BON. ] [83: () M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des socits, op. cit. , n 200. ] [84: () A. VIANDIER, La notion dassoci, Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978, n 75 ; comp. N. REBOUL, Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l'affectio societatis, Rev. socits 2000 p. 425, spc. n 3 - d'une manire gnrale, sur la place du sentiment dans la formation des actes juridiques, G. CORNU, Du sentiment en droit civil, in L'art du droit en qute de sagesse, PUF, 1998, p. 71.]

La doctrine classique a vu dans la notion une volont de collaboration active, en vue dun but commun qui est la ralisation dun enrichissement par la mise en commun des capitaux et de lactivit des associs ([footnoteRef:85]). Selon cette approche objective, laffectio societatis serait une volont de participation la vie de la socit, active, galitaire et intresse. [85: () P. PIC, De llment intentionnel dans le contrat de socit, Ann. Dr. comm. 1906 p. 153; adde, G. RIPERT, Prt avec participation aux bnfices et socits en participation, Ann. Dr. comm. 1905 p. 53.]

Cest cette thse quadopte majoritairement la jurisprudence. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a-t-il estim que le concept impliquait pour les associs, outre leur vocation la rpartition des bnfices une participation la conduite des affaires sociales sur un pied dgalit, un pouvoir de contrle et de critique, un concours actif ladministration de laffaire ([footnoteRef:86]). Selon ce jugement, laffectio societatis exige de chaque membre du groupement non seulement une vocation au contrle de la socit mais aussi une participation active celui-ci ([footnoteRef:87]). Cest dailleurs cette ide que reprend la Chambre commerciale, dans un arrt du 3 juin 1986 ([footnoteRef:88]). En lespce, les juges du fond avaient constat la participation dune personne la gestion dun fonds de commerce acquis avec dautres, en avait dduit son affectio societatis et, partant, reconnu lexistence dune socit en participation. Leur dcision est censure, en ces termes: en statuant de la sorte, la Cour dappel, qui na pas recherch si, en sintressant la gestion du fonds, M. Raynaud avait collabor de faon effective lexploitation de ce fonds dans un intrt commun et sur un pied dgalit avec son associ pour participer aux bnfices comme aux pertes, la Cour dappel na pas donn de base lgale sa dcision. Cette position est adopte par la majorit de la doctrine moderne ([footnoteRef:89]). [86: () TGI Paris 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913, note M. PEISSE; Rev. Socits 1974 p. 92, note M. GUILBERTEAU; RTD com. 1974 p. 104, obs. R. HOUIN; dans le mme sens, cass civ 3 25 juin 1997, pourvoi n 95-18154, Lexilaser, n 1112, qui fait rfrence la participation, mme indirecte, la direction de la socit, et un pouvoir de contrle.] [87: () A. LAUDE, La reconnaissance par le juge de lexistence dun contrat, PUAM, 1993, prf. J. MESTRE, n 274.] [88: () prcit; dans le mme sens, cass com 25 mars 1991, pourvoi n 89-18004, Lexilaser, n 551; cass com 10 fvr. 1998, bull. Joly 1998 p. 767, note J.-J. DAIGRE.] [89: () J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, op. cit., n 296, qui dfinit laffectio societatis comme une volont, au moins implicite, de collaboration galitaire, dans une perspective commune intresse; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n 124, qui rfute les conceptions unitaires et adopte une approche protiforme de la notion; G. RIPERT et R. ROBLOT, Trait de droit commercial, t. 1, 17 d., par M. GERMAIN et L. VOGEL, LGDJ, 1998, n 683, pour lesquels laffectio societatis exprime l intention des associs de se traiter comme des gaux et de poursuivre ensemble luvre commune; comp. P. DIDIER, Droit commercial, t. 2, Lentreprise en socit, 2 dition, PUF, 1997, p. 49.]

Cette conception classique a nanmoins t conteste par quelques auteurs. Tout dabord, le doyen Hamel, raisonnant partir de la notion de cause, a dfini laffectio societatis comme la juxtaposition dune volont dunion et de celle daccepter dlibrment certains risques ([footnoteRef:90]). Selon lui, laffectio societatis est un lment de la cause du contrat de socit ([footnoteRef:91]). Contrairement au droit commun des obligations, les contractants poursuivent un mme intrt. Il fait en consquence de ce dsir dunion la premire composante de la cause. Nanmoins, cette volont ntant pas spcifique la socit, lminent auteur propose un second lment constitutif de laffectio societatis: le souhait de courir certains risques. Certes, tout contrat comporte une part dala, lie lventuelle insolvabilit du dbiteur. Cependant, celle-ci nest intgre dans le champ contractuel quen matire de socit. Il en dduit que le cumul de ces deux lments forme laffectio societatis: volont dunion, volont daccepter dlibrment certains risques, ce sont l, semble-t-il les deux lments dont la juxtaposition constitue laffectio societatis. [90: () J. HAMEL, Laffectio societatis, RTD civ. 1925 p. 761; adde, du mme auteur, Quelques rflexions sur le contrat de socit, Mlanges en lhonneur de Jean Dabin, t. 2, 1963, p. 645.] [91: () dans le mme sens, J. COPPER-ROYER, Trait des socits, t. 2, Sirey, 1939, chap. X, Laffectio societatis, lintuitu personae, la fraternitas, n 1; adde, Fr. TERRE, Linfluence de la volont individuelle sur les qualifications, Bibl. Dr. priv. t. 2, LGDJ, 1957, n 300, qui souligne toutefois que la cause du contrat de socit est une notion beaucoup plus vaste que laffectio societatis; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Les critres distinctifs de la socit et de lindivision depuis les rformes rcentes du Code civil, RTD com. 1979 p. 645, spc. n 50.]

Cette position subjective ne convainc pas. Elle na dailleurs t que rarement adopte par la jurisprudence ([footnoteRef:92]). Sa lacune essentielle est de faire de laffectio societatis la cause du contrat de socit. Or, pour la doctrine, tant classique que moderne ([footnoteRef:93]), cette dernire est le but poursuivi par les associs lorsqu'ils se proposent la ralisation dun certain objet social. De mme, laffectio societatis ne peut tre envisag comme la cause, au sens de contrepartie, de lobligation de lassoci deffectuer un apport. La cause de celle-ci rside dans lattribution de droits sociaux, reprsentatifs dune fraction du capital social ([footnoteRef:94]). [92: () V. cependant, Trib. com. Seine 24 janv. 1963, RTD com. 1963 p. 582, obs. R. RODIERE.] [93: () Pour les auteurs classiques, E. THALLER, Trait gnral thorique et pratique de droit commercial. Des socits commerciales, par P. PIC, Arthur Rousseau, 1907, n 420 ; J. et E. ESCARRA et J. RAULT, Trait gnral thorique et pratique des socits commerciales, t. 1, Sirey, 1950, n 98; G. BAUDRY-LACANTINERIE et A. WAHL, Trait thorique et pratique de droit civil. De la socit et du dpt, 3 d., Sirey, 1907, n 65; pour les auteurs modernes, J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, op. cit., n 190; Y. CHARTIER, Droit des affaires, t. 2, Socits commerciales, PUF, 1992, n 38; B. MERCADAL et Ph. JANIN, Mmento pratique des socits commerciales, op. cit., n 108.] [94: () H. BLAISE, Lapport en socit, thse Rennes, 1953, n 183.]

En dfinitive, comme la fait remarquer, juste titre, un auteur, laffectio societatis est tranger la notion de cause ([footnoteRef:95]). On en veut pour preuve un arrt rendu par la deuxime Chambre civile de la Cour de cassation le 27 octobre 1971 ([footnoteRef:96]). En lespce, trois socits civiles immobilires sont annules pour dfaut de cause, un contrat antrieur, entre un promoteur et le propritaire dun domaine, destin rgir les futures socits ayant t rsolu. La Cour dappel, approuve par la Haute juridiction, retient galement pour fonder lannulation labsence daffectio societatis du promoteur. Cest donc que dans son esprit celle-ci est distincte du dfaut de cause. [95: () D. SCHMIDT, Les droits de la minorit dans la socit anonyme, Sirey, 1970, n 235.] [96: () Bull. II n 289.]

Laffectio societatis dicte une norme de comportement. En cela, compte tenu de la nature contractuelle du groupement, il nest que lapplication du devoir gnral de bonne foi pos larticle 1134 du Code civil ([footnoteRef:97]). [97: () A. VIANDIER, La notion dassoci, op. cit., n 78 et s.; sur lassimilation de laffectio societatis la bonne foi, infra.]

Toutes ces incertitudes sur le sens exact de laffectio societatis ont conduit un auteur a douter du caractre unitaire de la notion ([footnoteRef:98]). Selon lui, elle est la fois le rvlateur de lexistence dune socit, le rgulateur de la vie sociale et le moyen de distinguer la qualit dassoci de situations voisines. Mais, cette approche multiforme est critiquable en ce quelle opre une confusion entre le contenu de laffectio societatis et ses fonctions pratiques. [98: () Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n 125; adde, Y. CHAPUT, Droit des socits, PUF, 1993, n 38 et s; P. DIDIER et B. SAINT-ALARY, Rp. Soc. V Socit, 1985, 72 et s.; D. VIDAL, Affectio societatis et partage du risque dentreprise, Rev. Huissiers 1993 p. 3; N. REBOUL, Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l'affectio societatis, prcit.]

On le voit, seule la conception classique est satisfaisante. Certes, il est vrai que laffectio societatis ne se rencontre pas avec la mme intensit dans tous les types de socits ([footnoteRef:99]) et ces disparits ont entran les remises en cause de lanalyse traditionnelle. Le sentiment dtre associ est trs fort chez tous les membres dune socit de personnes alors quil est quasiment inexistant chez le petit porteur de droits sociaux cots en Bourse. En effet, si dans une socit de personnes, laffectio societatis implique une complte entente entre les associs, il nen est pas de mme dans les socits de capitaux o joue avec plus de rigueur la loi du nombre ([footnoteRef:100]). Un auteur a interprt cette dcision comme nexigeant laffectio societatis que dans les socits de personnes ([footnoteRef:101]). Nest-ce pas cependant riger une diffrence de degren une diffrence de nature? Certes, compte tenu du fort intuitus personae qui y rgne, la socit de personnes est la terre dlection de laffectio societatis. Nanmoins, dans les socits de capitaux, si le sentiment dtre associ est plus fort chez certains membres, il existe nanmoins ltat virtuel chez dautres ([footnoteRef:102]). Par exemple, chez le spculateur, il ne saurait tre totalement absent, mme sil se rduit la conscience dune union dintrts ([footnoteRef:103]). [99: () Ph. MERLE, Droit commercial. Socits commerciales, op. cit. , n 43; adde, Y. CHAPUT, J.-Cl. Civil, Art. 1832 1844-17, fasc. 10, 1987, n 173.] [100: () CA Besanon 3 nov. 1954, JCP 1955 II 8750, obs. D.B.] [101: () M. PEISSE, note sous TGI Paris 14 mars 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913; comp. CA Paris 24 nov. 1954, JCP 1955 II n8448, concl. LAMBERT, note D. BASTIAN; D. 1955 p. 236, note G. RIPERT.] [102: () A. VIANDIER, La notion dassoci, op. cit., n 77; C. RUELLAN, La loi de la majorit dans les socits commerciales, thse Paris II, 1997, n 368.] [103: () Voc. Ass. H. Capitant, V Affectio societatis.]

De mme, le dsir de collaboration galitaire anime lassoci commanditaire, dans la socit en commandite, en dpit du principe de non immixtion pos larticle 222-6 du Code de commerce (ancien article L. 28). En effet, il est couramment admis, tant par la doctrine ([footnoteRef:104]) que par la jurisprudence ([footnoteRef:105]), que cette prohibition ne vise que les actes de gestion externe et non les actes ralisant une coopration entre associs. [104: () J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, 1998, n 2623; G. RIPERT et R. ROBLOT, Trait de droit commercial, op. cit., n 880; M. JEANTIN, Droit des socits, 3 d., Montchrestien, 1994, n 412.] [105: () ex. cass civ. 28 mai 1921, DP 1924, 1, p. 214, qui autorise lassoci commanditaire participer aux dcisions collectives.]

En dfinitive, on peut dfinir laffectio societatis comme une norme de comportement dicte par limpratif gnral de bonne foi, pos larticle 1134, alina 3, du Code civil, tendant vers une collaboration galitaire, au moins virtuelle, dans un but commun, la ralisation de lobjet social.

Si le contenu de l'affectio societatis est pour le moins incertain, il est revanche couramment admis que cette notion est le fondement du droit de participer aux dcisions collectives.

B. Laffectio societatis, fondement thorique du droit de participer aux dcisions collectives

Outre le caractre intentionnel, toutes les conceptions de laffectio societatis font rfrence lunion des membres de la socit ([footnoteRef:106]). Chaque associ est anim dun esprit dquipe, dun souci de se dpenser ([footnoteRef:107]) au profit de ses coassocis. [106: () Par ex., G. RIPERT et R. ROBLOT, Trait de droit commercial, op. cit., n 683, qui se rfrent la volont de poursuivre ensemble luvre commune; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n 124; J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, op. cit., n 298; J. HAMEL, Laffectio societatis, prcit; adde, J. PAILLUSSEAU, La socit anonyme, technique dorganisation de lentreprise, Sirey, 1967, p. 45; J.-M. DE BERMOND DE VAULX, Le spectre de laffectio societatis, JCP d. E I n 346, spc. n 16, pour lequel laffectio societatis est la manifestation dun ncessaire esprit dunion; Fr. TERRE, Au cur du droit, le conflit, in La justice, lobligation impossible, Sries Morale, collection Autrement, 1994, p. 100, note 8.] [107: () A. SERIAUX, Droit des obligations, 2 d., PUF, 1998, n 55, qui dfinit la bonne foi comme la bonne volont, la loyaut, le souci de se dpenser au profit de son cocontractant, de collaborer avec lui, en un mot de laimer comme un frre.]

La doctrine a donc estim dans son ensemble que laffectio societatis fondait implicitement le droit de vote reconnu chaque partie au contrat ([footnoteRef:108]). Cest parce que chacun est m par une mme volont dunion, par un dsir de collaboration similaire quil se voit reconnatre un droit de participation aux affaires sociales. Celui-ci est de lessence du contrat de socit ([footnoteRef:109]). [108: () J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, op. cit., n 301; Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., loc. cit.et J.-Cl. Socits, Trait, fasc. 20-10, 1999, n 3 ; Y. CHARTIER, Droit des affaires, op. cit., n 53; V. aussi, J.-P. DESIDERI, La prfrence dans les relations contractuelles, PUAM, 1997, prf. J. MESTRE, n 263.] [109: () A. AMIAUD, Laffectio societatis, prcit: De mme quil ny a pas de contrat de socit sans une vocation de tous les associs la rpartition aux bnfices, de mme il ny a pas contrat de socit sans une certaines participation de tous la conduite des affaires sociales. Cette participation peut tre rduite. Elle ne saurait tre compltement supprime; dans le mme sens, G. RIPERT, Prt avec participation aux bnfices et socit en participation, prcit.]

La jurisprudence lie dailleurs les prrogatives politiques des associs laffectio societatis ([footnoteRef:110]). Un arrt de la Cour dappel de Paris rendu le 11 juillet 1951 est particulirement significatif ([footnoteRef:111]). En lespce, une assemble gnrale avait cr des actions de priorit qui confraient leur porteur un revenu fixe annuel, perceptible mme sans ralisation de bnfices, mais qui le privaient de toute participation aux affaires sociales. Le tribunal de commerce de la Seine ([footnoteRef:112]), puis la Cour dappel de Paris ont annul la dlibration litigieuses et considr que les porteurs des titres ntaient pas de vritables actionnaires, faute daffectio societatis. Pour les juges du second degr, le pouvoir de participer la gestion de la socit est une manifestation de ltat desprit dassoci. Ainsi, il ne peut y avoir contrat de socit si le concours la gestion, le pouvoir de contrle et de critique, la participation ladministration, tous actes qui sont comme la matrialisation de laffectio societatis font dfaut ([footnoteRef:113]). En effet, laffectio societatis est un lment spcifique du contrat de socit. Or, comme Thaller le faisait dj remarquer en 1904 ([footnoteRef:114]), le rapport issu dun contrat de socit, avec la collaboration qui en rsulte, implique une ingrence, un contrle troit et une facult de critique dans la manire dont saccompliront les affaires communes, cest dire un pouvoir dintrusion. On le voit, cest bien de laffectio societatis, et par del, du contrat lui-mme que dcoule le droit de participation aux affaires sociales, nonc larticle 1844 du Code civil. [110: () ex. cass Req. 3 aot 1936, S. 1937, 1, p. 288.] [111: () Journ. Socits 1951 p. 193.] [112: () Trib. com. Seine 20 juill. 1950, Journ. Socits 1951 p. 151: Les actionnaires doivent participer la gestion, leur collaboration sexprimant en diverses circonstances et trouvant normalement sa conclusion par lexercice du droit de vote aux assembles] [113: () Dans le mme sens, TGI Paris 14 mars 1973, prcit, aux termes duquel laffectio societatis implique, outre une vocation la rpartition des bnfices, une participation la conduite des affaires sociales sur un pied dgalit, un pouvoir de contrle et de critique, un concours actif ladministration de laffaire (soulign par nous).] [114: () note sous cass Req 3 mars 1903, DP 1904, 1, p. 257.]

Le rapport troit entre le sentiment dassoci et ce texte a dailleurs conduit un auteur considrer que les deux notions taient confondues ([footnoteRef:115]). Selon lui, chaque lment constitutif de laffectio societatis, quil sagisse de la collaboration, de la convergence dintrts ou de labsence de subordination est rductible la participation. Il conclut que celle-ci est caractristique du contrat de socit, au mme titre que la mise en commun dapports ou la vocation au partage des rsultats. [115: () P. DIDIER, Droit commercial, op. cit., p. 49; adde, P. DIDIER et B. SAINT-ALARY, Rp. Soc. V Socit, op. cit., n 73.]

Cette analyse emporte difficilement ladhsion. En effet, laffectio societatis fait galement peser des obligations sur lassoci. Par exemple, il peut parfois mettre sa charge une obligation de non-concurrence lgard de la socit ([footnoteRef:116]) voire une obligation dexclusivit ([footnoteRef:117]). Or, lassimilation du sentiment dassoci la participation est impuissante expliquer lapparition de ces engagements. Lexistence dune obligation de non-concurrence sexplique davantage par la collaboration inhrente au contrat de socit, conscutive un devoir gnral de bonne foi entre associs. En dautres termes, si le droit de participation trouve son fondement dans laffectio societatis, il en est la consquence et ne saurait lui tre totalement assimil. Celui-ci est gnrateur de droits et dobligations et nest pas rductible au seul principe pos par larticle 1844 du Code civil. [116: () cass com 6 mai 1991, Rev. Socits 1991 p. 760, note Y. GUYON; D. 1991 p. 609, note A. VIANDIER. Il est difficile de dduire de cette dcision une obligation gnrale de non-concurrence la charge de lassoci. En effet, la cassation intervient pour un dfaut de rponse conclusion, et non pour une violation de la loi ou un manque de base lgale (V., sur ce point, J. VOULET, Linterprtation des arrts de la Cour de cassation, JCP 1970 I n 2305); sur lensemble de la question, Y. SERRA, Rp. Com. V Concurrence (obligation de non-concurrence), 1996, n 62 et s.; Y. SERRA, La non concurrence en matire commerciale, sociale et civile (droit interne et communautaire), Dalloz, 1991, n 152; Y. PICOD, Lobligation de non-concurrence de plein droit et les contrats nemportant pas transfert de clientle, JCP d. E 1994 I n 349, spc. n 34 et s. Ces auteurs fondent lobligation de non-concurrence de lassoci envers la socit sur le devoir de collaboration qui dcoule de laffectio societatis. Cependant, ce concept tant susceptible dintensit, lexistence de cet engagement sera plus facilement reconnue dans les socits de personnes, ou la charge de lassoci majoritaire - comp, cass com 24 fvr. 1998, RTD com. 1998 p. 612, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET, qui fait peser sur le dirigeant une obligation de non concurrence envers la socit , en se fondant sur l'obligation de loyaut.] [117: () cass civ 1re 4 janv. 1995, Bull. civ I n 12, qui valide, en se fondant implicitement sur laffectio societatis, une clause des statuts dune socit civile de moyens interdisant aux associs dexercer une activit en dehors de la socit.]

En outre, ce rle explicatif des prrogatives de lassoci traditionnellement dvolu laffectio societatis tend se renforcer. En effet, pendant longtemps, dans les socits anonymes, laccs aux assembles gnrales ordinaires, donc la participation, pouvait tre subordonne la dtention dun nombre minimal dactions ([footnoteRef:118]). L'article 225-112 du Code de commerce (ancien L. 165) visait empcher un actionnaire, dont laffectio societatis serait inexistant, dacqurir une seule action uniquement dans le but de participer lassemble gnrale. Nanmoins, les membres de la socit ainsi privs du droit daccs avaient la possibilit de se grouper pour atteindre le minimum statutaire dactions et se faire reprsenter par lun deux. Par consquent, ils disposaient collectivement dun certain droit de participation, sans toutefois tre anims de ltat desprit dassoci. Le texte tait interprt traditionnellement comme un recul de l'affectio societatis ([footnoteRef:119]). Or, il a t abrog par la loi n 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles rgulations conomiques. Dsormais tout actionnaire peut, quel que soit le nombre d'actions dont il est titulaire, ft-il infrieur dix, participer aux assembles gnrales ordinaires. Il y a lieu d'en conclure au renforcement de l'affectio societatis comme fondement du droit de vote. [118: () Art. 225-112 C. Com. (ancien L. 165) ; sur lensemble de la question, F. PELTIER, La limitation du droit daccs aux assembles dactionnaires, Bull. Joly 1993 p. 1107. ] [119: () A. VIANDIER, La notion dassoci, op. cit., n 80 et s.]

Cependant, la Cour dappel dAix en Provence, dans un arrt rendu le 28 mai 1975 ([footnoteRef:120]) a nettement dissoci laffectio societatis de la participation aux affaires sociales. Selon cette juridiction, le dfaut daffectio societatis ne saurait tre retenu malgr labsence totale de collaboration des associs la gestion de la socit; les associs ont particip la constitution de la socit, llaboration de ses statuts, ainsi qu la dsignation de ses grants. Cette solution a t donne loccasion dun litige concernant une socit civile. A fortiori, elle sapplique aux socits commerciales, au sein desquelles laffectio societatis est moindre, surtout dans les socits de capitaux ([footnoteRef:121]). [120: () Bull. dAix 1975 p. 133.] [121: () CA Besanon 3 nov. 1954, prcit.]

La porte de cet arrt ne doit pas tre surestime. En effet, les juges du second degr font du consentement au contrat de socit et de labsence dentrave au fonctionnement de la personne morale le critre de laffectio societatis. Autrement dit, daprs cette dcision, il ny aurait dfaut daffectio societatis quen cas de paralysie de la socit, provoque par le comportement dun associ, ou dabsence de consentement. On le voit, cette conception nest conforme aucune approche doctrinale de laffectio societatis et est dailleurs demeure isole ([footnoteRef:122]). [122: () V. par ex. cass com 18 nov. 1997, pourvoi n 95-21474, Lexilaser, n 2282, qui considre que lopposition systmatique dune associe, bien que dmontrant sa volont de perturber la vie sociale, est insuffisante caractriser la perte daffectio societatis, ncessaire la dissolution de la socit, en labsence dlments permettant de lui imputer lorigine du diffrend.]

Si l'affectio societatis se prsente comme un fondement lointain de l'attribution du droit de vote, l'entre en socit en constitue la cause immdiate.

2- Une consquence de l'entre en socit

Si l'attribution du droit de vote rsulte directement de l'entre en socit dans certaines formes sociales, rgies par le principe dmocratique "un homme-un vote" (A), elle est la consquence de l'apport dans les groupements rgies par le principe de proportionnalit "un titre-un vote" (B).

A. Une consquence directe dans les socits rgies par un principe dmocratique

Larticle 1er de la loi n 47-1775 du 10 septembre 1947, portant statut de la coopration, modifi par la loi n 92-643 du 13 juillet 1992, a dfini la notion de cooprative en ces termes: Les coopratives sont des socits dont les objets essentiels sont:

1 De rduire, au bnfice de leurs membres et par leffort commun de ceux-ci, le prix de revient et, le cas chant, le prix de vente de certains produits ou de certains services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermdiaires dont la rmunration grverait ce prix de revient;

2 Damliorer la qualit marchande des produits fournis leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrs aux consommateurs;

3 Et plus gnralement de contribuer la satisfaction des besoins et la promotion des activits conomiques et sociales de leurs membres, ainsi qu leur formation.

En qualifiant expressment la cooprative de socit, cette disposition met fin une controverse. En effet, sous lempire du droit antrieur, la question se posait de savoir sil sagissait dune socit ou dune association. La jurisprudence avait opt pour la deuxime option, dans un arrt Manigod du 11 mars 1914 ([footnoteRef:123]). En lespce, elle qualifia dassociation une cooprative dont les associs ne percevaient aucun dividende, quelle dfinit comme un bnfice pcuniaire et positif, mais ralisaient une conomie. Nanmoins, la plupart des socits coopratives optaient pour la forme socitaire, compte tenu de la rigidit du rgime des associations ([footnoteRef:124]) ce qui conduisit le lgislateur modifier la jurisprudence. [123: () cass Chambres runies 21 mars 1914, Manigod, D.P. 1914, 1, p. 257. ] [124: () P.G. GOURLAY, Rp. Socits, V Cooprative, 1990, n 49.]

En dfinitive, la cooprative est une socit, par dtermination de la loi ([footnoteRef:125]) mais il ne sagit pas dune forme sociale particulire: elle sera civile ou commerciale selon son objet ([footnoteRef:126]). Par consquent, elle demeure soumise au droit commun des socits, en particulier larticle 1844 du Code civil. [125: () M. LECENE MARENAUD, J.-Cl. Socits, Trait, fasc. 168-1, 1994, n 79.] [126: () Ibid.., n 44.]

Cependant, son fonctionnement est rgi par plusieurs principes fondamentaux, notamment, par celui de la gestion dmocratique ([footnoteRef:127]). Ainsi, daprs larticle 4 de la loi n 47-1775 du 10 septembre 1947, Sauf dispositions contraires des lois particulires, les associs dune cooprative disposent de droits gaux dans sa gestion et il ne peut tre tabli entre eux de discrimination suivant la date de leur adhsion. Par consquent, chacun va disposer dune seule voix dans les assembles, quelle que soit limportance de sa participation. [127: () G. GOFFAUX, Du contrat en droit des socits. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des socits, thse Nice, 1999, n 61 et s. ; R. SAINT-ALARY, Elments distinctifs de la socit cooprative, RTD com. 1952 p. 485; J. MESTRE, Rflexions introductives sur loriginalit du droit coopratif, RRJ 1996 p. 475. ]

Autrement dit, il rsulte clairement de ce texte, et de sa consquence formule larticle 9 ([footnoteRef:128]), que le droit de vote nest pas li la dtention du capital. Contrairement aux socits de capitaux, il nest pas attach la part sociale, mais la personne mme de lassoci. Sa nature individuelle rsulte du contrat de socit lui-mme. Leffet du contrat est doctroyer une fraction de pouvoir gale chaque associ. La socit cooprative procde une personnalisation du contrle ([footnoteRef:129]), en ce quelle loctroie chacun en considration de sa personne et non de largent investi ([footnoteRef:130]). [128: () Daprs larticle 9, chaque associ dispose dune voix lassemble gnrale, moins que les lois particulires la catgorie de cooprative intresse nen dispose autrement.] [129: () J. MESTRE, Rflexions introductives sur loriginalit du droit coopratif, prcit.] [130: () R. SAINT-ALARY, Elments distinctifs de la socit cooprative, prcit, spc., n 25.]

Dailleurs, la jurisprudence a donn cette rgle toute sa porte. Celle-ci est applicable dans toutes les assembles, constitutives, ordinaires ou extraordinaires. Ce principe interdit galement de fermer laccs ces dernires aux nouveaux associs. Autrement dit, les statuts dune cooprative ne sauraient valablement tablir de discrimination selon la date de ladhsion ([footnoteRef:131]). [131: () CA Paris 17 et 18 nov. 1952, JCP 1953 II n 7373, note P. ESMEIN; cass com 12 nov. 1956, Gaz. Pal. 1957, 1, p. 57, RTD com. 1957 p. 141, obs. R. SAINT-ALARY, qui approuve une Cour dappel davoir annul la clause statutaire qui rservait laccs aux assembles gnrales aux associs ayant reu des parts dintrts, celles-ci ntant attribues que sous condition de prt; dans le mme sens, cass civ 1re5 oct. 1982, Dr. Socits 1982 n 315.]

Afin de permettre aux socits coopratives de s'assurer davantage de fonds propres et d'accrotre ainsi leur efficacit conomique, ce principe a t profondment remis en cause par la loi n 92-643 du 13 juillet 1992 ([footnoteRef:132]). En effet, ce texte, modifiant larticle 3 bis de la loi du 10 septembre 1947, permet un apporteur de capitaux de devenir associ dune cooprative, sans tre en mme temps cooprateur ([footnoteRef:133]). Or, cette mme disposition autorise les statuts prvoir que ces associs ou certaines catgories dentre eux disposent ensemble dun nombre de voix proportionnel au capital dtenu quils se rpartissent entre eux au prorata de la part de chacun dans ce dernier. La mutation est considrable: certes, la proportionnalit entre le droit de vote et le capital est limite, puisque les voix des associs non cooprateurs sont limites 35 ou 49 % du total des droit de vote ([footnoteRef:134]). Cependant, cette introduction, mme limite, constitue une atteinte profonde au principe de gestion dmocratique ([footnoteRef:135]). Dsormais, le droit de vote dans les socits coopratives nest plus totalement attach la personne de lassoci, mais galement, dans une certaine mesure, la part sociale. En dautres termes, sa nature individuelle trouve aussi sa source dans le titre, comme dans les socits de capitaux rgies par un principe de proportionnalit entre le capital et le droit de vote. [132: () sur cette loi, G. GOURLAY, La modernisation des entreprises coopratives par la loi du 13 juillet 1992, Dr. Socits nov. 1992 p. 1; E. ALFANDARI et M. JEANTIN, Loi relative la modernisation des entreprises coopratives. Modifications de la loi du 10 septembre 1947, RTD com. 1993 p. 119 ; adde, N. de RIBALSKY, La modernisation des entreprises coopratives, thse Aix en Provence, 1996.] [133: () Le fonctionnement de la socit cooprative est rgi par le principe dit de double qualit. En vertu de cette rgle, chaque membre de la cooprative est, en mme temps, associ, au sens dapporteur de capital, et cooprateur, ce terme tant entendu comme fournisseur, client ou salari de la cooprative. Sur ce principe, G. GOFFAUX, Du contrat en droit des socits. Essai sur le contrat, instrument d'adaptation du droit des socits, op. cit., n 59 et s. ; V. notamment, M. LECENE-MARENAUD, J.-Cl. Socits, Trait, fasc. 168-1, prcit, n 56 et s; P.-G. GOURLAY, Rp. Socits V Cooprative, prcit, n 86 et s. Cet auteur dfinit la rgle comme tant une double relation, socitaire et contractuelle, entre la cooprative et ses membres; pour des applications jurisprudentielles, cass com 25 mai 1992, Rev. Socits 1993 p. 83, note Y. GUYON; cass civ 1re 14 nov. 1995, Bull. Joly 1996 p. 142, note C. PRIETO ; CA Paris 11 mai 1999, Rev. Socits 1999 p. 875, obs. Y. GUYON ; cass civ 1re 9 nov. 1999, Bull. I n 303 ; cass civ 1re 19 dc. 2000, Rev. Socits 2001 p. 81, note Y. GUYON ; Defrnois 2001 p. 520, note J. HONORAT. ] [134: () Le droit de vote sera limit 35 % si lassoci non cooprateur ne comprennent pas de coopratives, 49 % dans le cas contraire, les associs autres que les coopratives, dans cette hypothse ne pouvant dtenir plus de 35 % des voix. Comp., sur le plafonnement des voix 49 % des GAEC dans les assembles gnrales des socits coopratives agricoles, RTD com. 1990 p. 221.] [135: () en ce sens, B. SAINTOURENS, Socits coopratives et socits de droit commun, Rev. Socits 1996 p. 1; G. GOURLAY, La modernisation des entreprises coopratives, prcit.; V. dj, R. SAINT-ALARY, Elments distinctifs de la socit cooprative, prcit.]

B. Une consquence de lapport dans les socits rgies par un principe de proportionnalit

La nature contractuelle du droit de vote (b) rsulte de celle de l'apport en socit (a).

a- Lanalyse contractuelle de lapport en socit

Lapport en socit ([footnoteRef:136]), que lon a pu dfinir comme la prestation fournie en contrepartie de lengagement de lapporteur ([footnoteRef:137]) est un lment fondamental du contrat de socit. Son absence entrane la nullit du groupement ([footnoteRef:138]). Il est indispensable non seulement pour les socits dotes de la personnalit morale, mais encore pour les socits qui en sont dpourvues, telles la socit cre de fait ([footnoteRef:139]) ou la socit en participation ([footnoteRef:140]). Bien quelle soit discute, la nature contractuelle de lopration dapport ne semble faire aucun doute (1). Elle revt un caractre absolu, puisque elle se vrifie quels que soient lapporteur et le type dapport (2). [136: () sur lapport en socit en gnral, V. H. BLAISE, Lapport en socit, thse Rennes, 1953; du mme auteur, Rp. Socits, V Apports, 1990; A. BOUGNOUX, J.-Cl. Socits, trait, fasc. 10, 1985; M.-J. CAMBASSEDES, La nature et le rgime juridique de lopration dapport, Rev. Socits 1976 p. 431.] [137: () R. BEUDANT et P. LEREBOURS-PIGEONNIERE, Cours de droit civil franais, t. 12, Librairies Arthur Rousseau, 1947, n 441.] [138: () cass com 28 juin 1976, Rev. Socits 1977 p. 237, note J. HEMARD.] [139: () Ex. cass com 16 dc. 1975, D. 1978 p. 292, note H. TEMPLE, par lequel la haute juridiction reconnat l'existence d'une socit de fait entre poux; cass com 20 janv. 1987, Bull. Joly 1987 p. 94; cass civ 1er 16 juill. 1997, D. affaires 1997 p. 1158 sur la socit cre de fait, V. not. L. LEVENEUR, Situations de fait et droit priv, Bibl. dr. priv. t. 212, LGDJ, 1990, n297 et s. et n 365 et s.] [140: ()ex. cass com 7 juill. 1953, Bull. III n 253; CA Paris 1er dc. 1988, JCP d. E. 1989 I n 18147 sur la socit en participation, V. not. J. VALLANSAN et E. DESMORIEUX, Socits en participation et socits cres de fait, GLN Joly, coll. Pratique des affaires, 1996, n 1 et s. ]

1. Une analyse difficilement contestable

Traditionnellement, lopration dapport tait envisage comme un lment du contrat de socit ([footnoteRef:141]). Elle constituait lobligation fondamentale de lassoci ([footnoteRef:142]), qui trouve sa contrepartie dans lattribution de droits sociaux. Nanmoins, cette thse classique sest trouve de plus en plus conteste. Les critiques se sont principalement orientes dans deux directions opposes. [141: () Art. 1832 C. civ.- pour un expos approbatif de cette analyse classique, Y. GUYON, Droit des affaires, op. cit., n 100.] [142: () Art. 1843-3, alina 1er V., retenant cette conception, not. J. MESTRE, Lamy Socits commerciales, op. cit., n 226; Y. GUYON, Trait des contrats. Les socits. Amnagements statutaires et conventions entre associs, 4 d. LGDJ, 1999, n 35; L. GODON, Les obligations des associs, Economica, 1999, n 21. ]

Pour les uns, son caractre contractuel est tel que, loin dtre un lment accessoire du contrat de socit, lopration dapport aurait les caractres dune convention propre, indpendante de celui-ci ([footnoteRef:143]). Selon cette approche, lapport rpondrait exactement la dfinition du contrat donne par larticle 1101 du Code civil, puisque lapporteur sengage donner quelque chose, en loccurrence un bien, une autre, la socit. Cette analyse nemporte pas la conviction ([footnoteRef:144]). Elle fait abstraction de la nature contractuelle du groupement, qui, bien qutant elle seule insuffisante pour expliquer les mcanismes sociaux, revt une indniable pertinence lorsqu'il s'agit de rendre compte de la constitution des socits ([footnoteRef:145]). En effet, sauf faire de la socit un contrat cadre, dfini comme celui par lequel les parties saccordent sur un objectif, finalis par la conclusion ultrieure de contrats dapplication ([footnoteRef:146]), on voit mal quelle pourrait tre la substance du contrat de socit dans ces conditions. Bien au contraire, il apparat que, dans lesprit des parties, lintention deffectuer un apport est manifeste ds la conclusion du contrat, voire ds la promesse de socit ([footnoteRef:147]). Elles nont manifestement pas entendu dcomposer lopration dapport. Tout au plus peut-on voir dans lapport une convention conclue entre les associs et les fondateurs de la socit agissant en qualit de grants daffaires ([footnoteRef:148]), mais qui ne peut en aucun cas tre autonome. [143: () J. ROUAST, La notion juridique dapport en nature, thse Paris, 1949, p. 23, cit par H. BLAISE, L'apport en socit, op. cit., n 36. ] [144: () dans le mme sens, H. BLAISE, Lapport en socit, op. cit., n 37. ] [145: () supra. ] [146: