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ETERNELS CHEVAUX DE MON ENFANCE Moi, Emmanuel, moi Manu, je suis resté dans la terre noire, dans mes ténèbres de petit garçon. On a refermé sur moi la dalle funéraire, et il n’y pousse, dans cette terre noire, que des fleurs malades. La lumière vient de ma mère. Je vis à travers elle, comme un parasite, comme ces petits coquillages qui ne peuvent vivre qu’accrochés à leur rocher. La houle de l’océan peut monter en haut des digues et cracher son écume, je reste bien accroché à ma mère. Je déteste tout ce qui est infini, tout l’univers. Ça m’angoisse. Il me faut un espace un peu clôturé, mais où je sois un peu libre quand même, même si la liberté est un mot qui n’existe pas pour moi. Je suis emmuré dans mon mur de silence, comme à travers un scaphandre, mon corps est comme dans un scaphandre dont le hublot serait trouble. Parfois je m’enfuis des rires du monde, parfois je veux me cramponner à exister, à rejoindre le rire des autres, le rire de ma maman, pour ne plus voir de larmes. Il y a déjà assez de larmes et de pluie et d’orages et de vent tempétueux qui pleuvent sur ma tombe. Et la main de ma mère m’y arrache, m’ arrache de ma tombe, moi, son petit garçon. Et le monde crie, hurle, plein de cris, plein de larmes. Le mien est triste, tranquille. Les ténèbres m’angoissent et m’attirent au fond d’elles comme les sirènes attirent auprès d’elles au fond des mers les pauvres hommes échoués.

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ETERNELS CHEVAUX DE MON ENFANCE

Moi, Emmanuel, moi Manu, je suis resté dans la terre noire, dans mes ténèbres de petit garçon. On a refermé sur moi la dalle funéraire, et il n’y pousse, dans cette terre noire, que des fleurs malades. La lumière vient de ma mère. Je vis à travers elle, comme un parasite, comme ces petits coquillages qui ne peuvent vivre qu’accrochés à leur rocher. La houle de l’océan peut monter en haut des digues et cracher son écume, je reste bien accroché à ma mère.

Je déteste tout ce qui est infini, tout l’univers. Ça m’angoisse. Il me faut un espace un peu clôturé, mais où je sois un peu libre quand même, même si la liberté est un mot qui n’existe pas pour moi. Je suis emmuré dans mon mur de silence, comme à travers un scaphandre, mon corps est comme dans un scaphandre dont le hublot serait trouble. Parfois je m’enfuis des rires du monde, parfois je veux me cramponner à exister, à rejoindre le rire des autres, le rire de ma maman, pour ne plus voir de larmes. Il y a déjà assez de larmes et de pluie et d’orages et de vent tempétueux qui pleuvent sur ma tombe. Et la main de ma mère m’y arrache, m’ arrache de ma tombe, moi, son petit garçon.

Et le monde crie, hurle, plein de cris, plein de larmes. Le mien est triste, tranquille. Les ténèbres m’angoissent et m’attirent au fond d’elles comme les sirènes attirent auprès d’elles au fond des mers les pauvres hommes échoués.

Je suis en maternelle, je suis un tout petit garçon, qui rit mais pleure souvent. Je ne joue pas beaucoup aux jeux dans la cour de maternelle. A la maison je joue comme un petit garçon normal de mon âge. Mais j’ai l’air troublé, un trouble se lit sur mon visage, je me crois enfoui sous des ténèbres. Je me cache sous le toboggan de la cour, il y fait froid, il y fait noir, c’est un sous-sol. Je crie, je hurle, je pleure quand il pleut. La pluie comme une obsession, comme une angoisse. Va-t-elle s’arrêter de tomber ?

C’est quoi l’éternité, la mort, la vie ? Ça tourne dans ma tête, dans ma tête de petit garçon, mais je suis trop fragile, trop souvent malade, trop vulnérable, trop sensible, je n’ai aucune force pour lutter, pour lutter pour vivre, pour lutter pour ne pas être entrainé dans les ténèbres, pour ne pas être enfoui. Les questions tournent dans ma tête, les mots restent enfouis dans ma gorge, je suis emmuré dans mon silence et angoissé et je n’arrive pas à sortir les mots

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pour expliquer mon angoisse. Imaginez comme quelqu’un qui veut marcher mais dont on a cimenté une de ses jambes dans le sol, sans avancer, bloqué, et on a mis comme un pansement sur ma bouche et les mots qui me sortent sont des pierres dures, des cailloux arrachés dans ma gorge. On me dit anorexique tout petit. J’ai des angines, je semble à peu près bien mais je vais mal, quand est-ce que je pourrais tout dire, tout sortir, ce caillot au fond de la gorge, cette boule qui bloque tout ?

Je n’ai pas trop envie de vivre, j’ai le mal de vivre, j’ai le mal de ce monde, comme un mal de mer ou un mal de voiture ; j’étouffe, il faut ouvrir la fenêtre pour que je respire !

Et tout ça tourne dans ma tête, je ne m’en sortirai jamais. La vie, la mort, l’éternité, mon Dieu petit Manu, tu vas mourir que je me dis. Et je n’ai aucune force, petit être perdu dans ce monde, dans cette vie, et elle ne fait que commencer… Moi je n’aimerais pas retourner dans le ventre de ma maman, je suis trop claustrophobe pour ça. J’aimerais retourner au berceau, langé, nourri de biberons toute la journée. Non, « ils » ne m’enlèveront pas mon biberon ! C’est le lien qui me retient à maman, comme mon cordon ombilical jamais coupé.

Petit, il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre que j’existais comme une personne indépendante du corps de ma mère. Alors, peut-être, oui, peut-être alors que je voulais retourner dans le ventre de maman, ou du moins, ça c’est sûr, j’aurais voulu ne jamais en sortir. Le cordon ombilical comme doudou ou comme biberon. J’ai été envoyé dans cette Terre, dans ce monde plein de cris, plein de rires, plein de larmes. Et moi je pleurais souvent, je pleure souvent. J’ai l’air bien. Je vais mal. Des mots restent bloqués. La vie, la mort, l’éternité. Comment vais-je m’en sortir ? Non il faut que je reste dans mon berceau, surtout ne pas grandir. Biberons, doudous, jouets, ma maman, et tout ça ils me rassurent. Il ne faut pas que je mange, que je grandisse, sinon je vais vivre.

Mais les larmes de ma maman me sillonnent le cœur. Sa main n’a jamais lâché les miennes, ses bras et son corps a toujours porté mon corps, même à bout de forces, à corps perdu. Ça m’obsède, ça m’angoisse, ça tourne dans ma tête, la vie, la mort, l’éternité, le temps. Plus tard je détruirai tous les miroirs et toutes les horloges. Je me battrai contre le temps, contre le monde, contre moi-même, oui, contre moi-même, avec acharnement.

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J’ai quatre ans, maman vient me porter des gouttes d’appétit parce que je n’ai pas mangé depuis 2 ou 3 jours je crois. Le pédiatre dit que j’ai le même appétit devant l’assiette que devant la vie. Et ces amygdales qui me font mal, et ces maladies infantiles qui me font souffrir, bourré d’antibiotiques. Je regarde les autres enfants. Ils ne sont pas comme moi, ils sont sans doute mieux que moi. Je me perds en moi-même. Je déteste mon image, mon corps, mon visage, avec d’immenses rides sous les yeux, des sillons sous les yeux, comme un vieillard je suis, et je suis tout petit. Qu’est-ce qui m’arrive, je cauchemarde, la mort me poursuit, me poursuit toujours. Je suis tout petit, la mort m’envoie un squelette, derrière la porte. On est fait d’os, pas de chair, j’ai horreur de cette chair autour de notre squelette. J’ai peur de ce squelette, j’appelle maman. Elle arrive, me prends dans ses bras, me rassure.

«  Il n’y a pas de squelette mon chéri ». Mais il était là, le squelette, ou était-ce la mort qui venait me hanter jusque dans mes nuits d’enfant ? Il a fallu que maman me fasse dessiner ce squelette en grand et qu’on jette le dessin à la poubelle pour qu’il ne revienne plus jamais me voir. Mais la mort restait comme obsession. La vie aussi. Comme une grosse angoisse, comme cette boule dans cette gorge. Je me regarde. D’où je viens, de quel néant ? Je suis dans cette tombe et la lumière ne vient que de maman.

« Maman je vais mourir

Tout se bouscule dans ma tête

Je viens du néant, de la terre boueuse et noire

Maman, ton petit garçon va mourir »

« La vie pèse sur ma tête, sur mes épaules,

La mort m’envahit, m’essouffle, m’enivre contre elle

Elle vole mon rire, elle m’arrache des sanglots »

« Mais mort tu ne sais pas

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Je suis faible mais ma maman est forte

Elle me prendra dans ses bras

Et me débarrassera à jamais de toi ! »

Chez le pédiatre, je n’aime pas être pesé ni mesuré. Non, il faut que je reste dans le berceau dans la poussette, avec mes biberons, mes doudous, mes ours en peluche. J’ai 4 ans et la mort me hante, la vie, le temps. Je suis trop faible pour les vaincre. Je vais mourir. Mais il y a maman, elle me sauvera de toutes mes angoisses.

J’adore les manèges, les fêtes foraines. Pourtant ça grouille de vie, de bruit, ça tourne. Tout ce que je déteste, mais pourtant j’adore ça et je prends plaisir. Aux pinces, aux ficelles où je gagne des peluches. Les pommes d’amour trop dures, les glaces italiennes au chocolat. Les manèges me transportent. Ça tourne, ça va vite, mais maman n’est pas loin. Elle est toujours là, maman, elle me rassure. Je suis peut-être tout petit mais j’ai déjà compris un truc. Je suis faible pourtant, mais je suis déjà un résistant, et si je veux vivre il faut que je me rapproche de la lumière que m’apporte maman, de son amour immense pour moi.

Maintenant j’ai compris. J’ai quatre, cinq ans. Maman fera tout pour que je vive. Mais une vie où je serai bien, le mieux possible. Même si j’ai déjà j’angoisse de la mort et que je parais un peu différent. Je transforme certains mots, ça bute contre ma langue. Il y a déjà une petite fille qui se moque de moi parce quelle me dit qu’à la naissance les bébés ouvrent déjà leurs yeux, elle l’a vu avec sa petite sœur. Moi je dis non ce n’est pas vrai !

Alors elle se moque, me dit que je suis bête. Plus tard je buterai sur son prénom. Dans ma tête et dans ma bouche, Rachelle devient « Rachaelle » (sans faire exprès pourtant, ça devait être inconscient), elle se moque de mon prénom, me dit à nouveau que je suis bête. Elle est en haut d’une échelle de jeux, elle se moque de moi avec d’autres enfants. Comme la fois où j’ai essayé de dire que les bébés ça peut pas ouvrir les yeux à la naissance. « Sinon ils les refermeraient tout de suite » pensais-je au fond de moi. Sinon aucun enfant ne voudrait vivre, s’ils savaient tout de la vie tout de suite.

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Alors je me cache sous « un sous-sol » de toboggan, le plus grand, le plus imposant de la cour.

Je creuse déjà ma tombe.

Je me fais une amie dont je me rappellerai toute ma vie ; Charlotte qu’elle s’appelait. Elle avait les cheveux bouclés, des yeux marron-clairs et deux petits trous dans le bas de la gorge, dont je me suis demandé toujours ce qu’elle avait eu car je crois que je ne lui ai jamais demandé directement. Elle est gentille avec moi, elle joue avec moi, elle vient me rejoindre dans ce « sous-sol » de toboggan.

Une fois même je crois qu’elle a compris que j’étais différent. Avec sa classe, ils goûtaient dans la cour, près de mon « sous-sol ». Ils mangeaient des biscuits, Charlotte me dit « viens ! », mais je restai caché ; alors elle a demandé à son maître si je pouvais avoir un biscuit même si je n’étais pas dans sa classe. Elle était en première année de maternelle, moi en deuxième année. Le maître acquiesça, Charlotte m’apporta le biscuit, je sortis un peu de ma cachette pour le manger.

Je regardais les autres petits enfants. Ils me regardaient gentiment. Charlotte me souriait. Le maître aussi me souriait gentiment.

C’était la première fois depuis des mois de récréation que j’étais sorti de ma cachette, de mon sous-sol, de ma tombe. Quand je rentrai en CE1, Charlotte, rentrait en CP, elle s’était faite une copine, elle me regarda gentiment, mais j’ai compris qu’elle n’avait plus besoin de moi. Je fus triste ce jour-là.

Chaque année, on repoussait mon sevrage de biberon. En CP, non, ça fait déjà un traumatisme de changer d’école et de passer de la maternelle à l’école primaire. En CE1, toujours pas. En CE2 on me sevra, j’avais 8 ans. J’eus longtemps le manque de ce « cordon ombilical liquide », avec lequel j’étais nourri de chocolats chauds et soupes. Je trouvais d’autres attaches dans mes doudous et certains jouets.

Léa, fut ma copine, une grande copine de CE2 et CM1. Différente elle aussi, opérée du cerveau plusieurs fois, elle trouva en moi la compassion, l’amusement pour beaucoup de jeux identiques. On pouvait passer des après-midis à jouer au marchand et à la marchande. On pouvait s’amuser dans la cour. Chaque lundi

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j’avais pris l’habitude avec Léa de chanter « le lundi au soleil » de Claude François. La maîtresse s’inquiéta au début puis s’habitua, il fallait bien qu’elle s’habitue puisque c’était tous les lundis matins le même rituel.

Cette maîtresse de CE2 fut la seule à me comprendre tout de suite, dès la rentrée, où je versais des torrents de larmes et maman ne savait que faire sinon calmer mes pleurs de chaque rentrée scolaire depuis le CP, et me rassurer.

Je grandissais. Je continuais à vivre. Je me détestais de plus en plus, je détestais mon image. Une fois il m’arriva de chanter dans un miroir de la salle de bain :

« Si tu t’appelles mélancolie, seul devant ta glace, tu te vois triste sans savoir pourquoi et tu ferais n’importe quoi pour ne pas être à ta place ». Oui j’aurais tout fait pour ne pas être moi, pour être à la place de quelqu’un d’autre, pour être quelqu’un d’autre, n’importe quel autre petit garçon sauf moi.

J’étais un petit garçon de 8 ans et je souffrais, en silence, parce que les mots ne sortaient pas de ma gorge. Il y restait cette boule qui pouvait éclater en angoisses et en sanglots à n’importe quel moment, des angoisses, des sanglots, mais pas des mots.

J’aimais écrire et dessiner, j’aimais regarder la mer longtemps, observer les oiseaux, les chats ou les petits chiens. J’aimais regarder les dessins animés et je ne me séparais jamais de mes doudous et de mes jouets fétiches. Le temps avançait et je ne pouvais rien faire. Mon sourire se perdit je ne sais où. Une ride de souci se creusa entre mes sourcils parce que je les fronçais tout le temps. Je ne voulais pas grandir, pas vivre. La mort, la vie, l’éternité me poursuivaient et me procuraient toujours des angoisses. Elles tournaient, telles des obsessions. Elles tournaient dans ma tête, comme le soleil tournait, comme la terre tournait et j’avais horreur de tout ce qui n’avait pas de fin.

Je me rappelais des manèges quand j’étais tout petit. Encore aujourd’hui il faut toujours que je m’arrête dès que je vois un manège. Quand j’étais tout petit, dans ces manèges qui tournaient comme tournent le monde, la vie, le temps, la mort. J’étais inquiet dans ces manèges et pourtant j’aurais pu être heureux. Je cherchais toujours le regard de ma mère qui ne me quittait pas des yeux, en bas du manège. Sur mon cheval j’aurais pu être un chevalier plein de forces, chargé d’une épée et combattant des armées entières.

Je combattais déjà contre les autres, le monde, contre moi-même. Et ce combat était plus difficile à faire que tous les combats du monde.

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Et j’étais sur ce cheval de manège, passif devant ce manège où je ne pouvais rien faire que de regarder. Et je pensais que j’étais pareil devant le monde. Je ne pouvais rien faire, juste regarder le monde, le temps tournait, la vie aussi, l’obsession de la mort aussi. D’ailleurs petit j’imaginais la mort comme une dame avec une épée qui m’aurait transpercé le cœur en un rien de temps.

« Je vais mourir, maman donne moi ta lumière.

Donne-moi ta lumière sinon je vais mourir,

sinon ton petit garçon va mourir,

en ayant regardé autour de lui le monde sans pouvoir rien faire

Car je suis trop faible

Et je suis entraîné dans ce monde, dans cette ronde,

Dans ce manège humain,

et je vais mourir car je ne peux pas me battre

Le monde n’appartient pas aux faibles comme moi

Il pourrait m’engloutir en un rien de secondes. »

Je suis au collège, j’erre parmi les couloirs comme un fantôme, j’errerai parmi les couloirs comme ça, comme un fantôme, jusqu’en terminale.

Des enfants grandissent, la méchanceté grandit avec eux. Et moi je grandis malgré moi et pourtant je mets toutes mes forces pour ne pas grandir. Et ma faiblesse, et mes angoisses, et mes obsessions grandissent avec moi. Ma différence aussi. Une prof de français convoque ma mère ; « je ne rentre pas dans le moule, je dérange ».

Les 10/10 en conduite et parce que je suis sage, trop sage, du primaire, ne suffisent plus. Il faut parler, se mêler aux autres, rire, se montrer grand, fort. Tout l’inverse de ce que je suis : introverti, quasiment muet, faible, malade, chétif, triste, enfant au visage déprimé. Je regrette déjà ma petite enfance, je

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regrette la tendresse de mon berceau, reste seulement la tendresse de ma maman. Des élèves se montrent méchants avec moi, une méchanceté gratuite, facile, puisque je ne dis rien, ne répète rien. Je tourne, je grandis malgré moi, car tourne le monde, les gens, la violence, et le peu de beauté que je trouvais au monde, que je capturais dans ma tête et mon cœur, s’évanouissait dans les rires moqueurs des élèves.

Je tombai gravement malade. Je ne parlais plus, je ne me nourrissais plus. Maman s’inquiéta, ce fut le début des pédopsychiatres, puis d’un traitement psy de plus en plus lourd, jusqu’à me rendre semi-légume. Maman accepta tout ça, malgré elle, et surtout je crois qu’elle ne voulait plus m’entendre crier, souffrir, taper mes mains, mes pieds, taper ma tête violemment contre les murs. Elle détestait me voir souffrir, me faire du mal à moi-même, m’auto-détruire.

Elle ne voulait pas me perdre, elle ne voulait non plus que je perde, dans cette maladie horrible. Elle inventait tout le temps et invente encore aujourd’hui des jeux, des activités manuelles, pour que ma vie soit moins triste, pour que je souffre moins, que je vive plus, que je retrouve un peu le sourire, entre deux sanglots, et je me retrouvais toujours et vraiment calmé seulement dans les bras de ma mère.

Parfois, je retournais de plus en plus bas dans le néant, dans ma dalle, bientôt même les fleurs ne poussèrent plus sur ma tombe.

Bientôt je détestais élèves et profs, en terminale je devins violent, ils comprirent et me laissèrent tranquille. J’attendais, toute la journée, que ma mère vienne me chercher. J’allais de plus en plus souvent à l’infirmerie du lycée. Ou je trouvais refuge à l’infirmerie, ou avec les pions à l’entrée du lycée, qui me laissaient me reposer à côté d’eux dans leurs bureaux.

La lumière dans ma tête se fit de plus en plus rare. Je plongeais dans les ténèbres, dans un puits sans fond. Des puits avaient beau être remplis d’eau à ras-bord, je mourais de soif. La mort semblait me tendre la main. Des étoiles avaient beau briller, elles mouraient avec mes sanglots d’enfant malade.

Après le bac, ce fut un échec en faculté. Maman vint me chercher, au bout de trois jours après la rentrée, sur un banc, les yeux hagards, perdus de souffrance profonde. Maman m’enleva des hôpitaux psy et autres centres de jour. Elle détestait de plus en plus ce genre de structures. Elle aurait voulu dénoncer toutes les maltraitances qu’ils y avaient là bas, elle ne l’a pas fait. On préfère donner

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raison à des docteurs qu’à une maman qui connaît son enfant mieux que tous ces « médecins  », elle m’aimait plus que tout au monde. Elle ne voulait plus que je souffre. Elle ne supportait plus ces gens qui me faisaient souffrir facilement, ces gens qui soit disant étaient formés pour s’occuper d’enfants comme moi. Ma maman aurait voulu leur cracher à la gueule à ces gens là, qui se disaient savoir tout et qui ne savaient rien. « Alors maintenant laissez- nous tranquilles, moi et mon enfant malade » devait penser maman.

Elle prit à la maison des aides à domicile, des auxiliaires de vie. Elle remarqua que je progressais un peu, que j’allais mieux plus souvent au fil du temps. Les structures m’avaient fait plus régresser qu’autre chose.

Mon traitement lourd et mon épilepsie et ma santé physique toujours aussi délicate que quand j’étais enfant ont fait de moi un semi-légume, un malade se battant perpétuellement contre une maladie pénible et incurable, une maladie à vivre à vie, à vivre avec. Maman m’entoure d’amour. Je trouvais des repères et des rituels, je les recherchais jusque dans ma plus tendre enfance.

« Maman, je veux retourner dans le berceau

Ça y est petit Manu est mort

Moi, ton petit garçon est mort

Je suis bien avec mes biberons, mes teuteutes, mes changes de bébé, mes doudous, mes plaids, mes couvertures, mes grosses vestes d’hiver.

Ma maman d’amour

Maman je veux que tu me donnes des biberons toute la journée, que tu m’entoures de doudous, de langes, de jouets, que tu m’entoures d’amour, que tu me prennes dans tes bras pour toujours, que je reste pour toujours ton petit garçon malade, pour toujours dans tes bras, moi, Manu, ton petit garçon. »

« Maman,

Moi, Manu, ton petit garçon est presque mort,

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mais je me bats chaque jour avec une force que tu n’imagines même pas et tu serais fière de mon combat de chaque jour,

et toujours je veillerai à ce que le grain d’espoir reste dans mon cœur,

moi, le petit garçon des ténèbres, du malheur, la maladie a pris le dessus,

mais maman j’espère toujours en ton immense amour,

Maman

prends-moi dans tes bras pour toujours.

Ton tout-petit »

Le manège tourne et tourne encore. Les chevaux deviennent noirs, gris, perdent leurs couleurs. Je me rappelle quand j’étais tout petit. Maman me tenait la main, assis sur le cheval du manège, je voulais tout voir, dès que je m’élevais un peu avec le cheval et dès que maman était obligée de quitter ma main puisque le cheval montait, j’étais joyeux mais un peu inquiet. Je crois que je détestais tourner en rond. Alors je regardais la magie du manège qui plaît à tous les petits enfants. A l’école je détestais la farandole, quand il fallait donner la main aux autres, et surtout si un enfant avait fait l’erreur de se moucher sur sa main en ne quittant pas la mienne, je voulais la lâcher avec force, mais je me faisais violence pour ne pas bouger et je restais dégoûté mais docile.

Dans ce manège où je m’élevais, je cherchais toujours le regard de ma mère, « en bas », qui ne me quittait pas une seconde des yeux et me souriait avec une douceur de maman qui aime son enfant, différent ou pas. « Mais au fond, qu’est-ce que la normalité, nous sommes tous différents. Et puis mon chéri, parfois tu es plus normal que les gens normaux. » me dit souvent Maman pour me rassurer.

J’ai quatre ou cinq ans, je suis dans cette boue, sous cette dalle, il y pousse des fleurs malades. Si je ne parle pas, je vais éclater en sanglots, en rires bêtes, en souffrance. Parfois mon rire était cruel quand il voulait dire que je souffrais. J’ai quatre ou cinq ans. Je t’attends, toute la journée à la maternelle, maman, ma maman je t’attends, enlisé, immobile. Dans ce manège, dans cette tombe, dans cette boue, je t’attends, maman, seule lumière à mes yeux, seule personne qui

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existe vraiment pour moi, seule personne qui me comprend, me protège et m’aime.

Seule lumière, comme un gros soleil en plein milieu d’un vieux tableau poussiéreux et noir. Je pourrais être dans ces vieux tableaux poussiéreux et noirs, on m’aurait peint, enfant, avec mon visage triste et mes cernes sous les yeux, maigre, pâle, brun, figé, comme dans un tableau. On pourrait me peindre dans les bras de ma mère, avec ma tête qui se laisserait doucement aller contre la poitrine de ma mère, avec le sourire de ma mère en me regardant, et moi, le visage figé, me demandant qu’est-ce que je fous dans ce tableau, dans ce monde, dans cette vie.

Dans cette terre noire, je t’attends, maman, seule lumière. Je déteste cette vie, on va me la faire détester encore plus. Je ne mangerai pas, il faut que je maigrisse, que je rétrécisse, pour retourner au berceau. Dans mon château fort je m’y suis fait prisonnier, blessé par toutes les guerres du monde.

J’ai quatre ans, je suis encore tout petit. Il va falloir que je m’en sorte, si je ne parle pas. En dessinant, en écrivant. Je suis destiné à retourner dans mon berceau. Je n’en démordrai pas. Je suis tout petit. J’erre dans les ombres, ombre parmi les ombres, dans l’ombre des autres, dans l’ombre du monde, dans mon ombre à moi-même. Le temps, la Terre tourne. Je suis hanté par la mort, elle me pourchasse, je suis hanté par la vie, par le monde. Il est trop difficile à vivre pour un tout petit être comme moi.

Alors je dois vivre dans un autre monde, le mien. Dans mon monde il y a des ténèbres, et je les transforme en doudous, en teuteutes, en biberons. Des ténèbres d’où je viens, je retournerais, immondice, faible, squelette décharné, petit garçon mort dans son ombre, qui se voudrait être un chevalier fort qui aurait combattu tous les combats du monde.

Mais moi je reste immobile, pendant que tourne le monde et passe la vie, la mienne.

Peut-être que je retournerais au berceau.

Ou du moins je serais encore un petit garçon éternel

Sans vie et sans lumière

moi, le petit garçon, celui de maman,

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celui du berceau

celui d’un autre temps

ou plutôt plus de temps du tout,

ni de vie, ni de mort,

balayées les angoisses au berceau

Mais elles sont là, me collent à la peau,

Maman viendra les faire disparaître

comme elle a toujours fait.

Je suis un bébé et un tout petit garçon qui dort beaucoup, qui ne veut pas quitter son biberon ni son doudou.

Maintenant j’ai des périodes d’insomnie. Ça me fatigue, me fait convulser. Parfois je m’étouffe dans mon sommeil avec mes remontées gastriques. J’ai un lourd traitement.

Je fais de moins en moins de choses.

Je suis un enfant introverti, j’aime écrire, dessiner.

A l’école on ne m’entend pas, je suis premier en conduite, et même je suis tellement sage que parfois les maîtresses me donnent des « bons points » en plus parce que je suis sage, « trop sage ». Je me replie. Quand est-ce que je vais pouvoir parler, écrire, dessiner, tout ce que j’ai sur le cœur ?

Je me sens rempli d’angoisses, et les années passent. Il faudra attendre des crises, des cris, me taper les mains, les pieds, la tête contre les murs, violemment. Je n’en peux plus, il faut que les mots sortent, que je me fasse comprendre par des dessins, par des écrits. Il faut que je parle aux pédopsychiatres, il faut que je me fasse comprendre par maman, mais elle a déjà tout compris. Dès le début elle a dû comprendre, entrevoir ma différence.

Elle m’a couvé très tôt pour de bonnes raisons, parce que j’étais tout le temps malade et fragile. Santé délicate, fragile psychologiquement. Proie facile pour les autres enfants, pour ce monde, pour cette vie. Elle m’a couvert de soins et d’amour et me couvrira toute sa vie s’il le faut. Il le faudra. Et j’emmerde tous le gens qui disent que je suis malade parce que ma mère m’a trop couvé et a fait de

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moi un être fragile. Alors que c’est l’inverse, j’étais fragile, malade, elle l’a senti, elle m’a couvé. Elle a su voir en moi, autre chose que le handicap, l’écriture, le dessin, elle a été et est toujours là à la moindre seconde où je vais mal et où je vais chavirer. Les nuits d’insomnie, elle me tient contre elle, me calme en me bisoutant d’amour, en balayant de sa main doucement mes cheveux sur mon front perlé de sueurs froides.

J’ai douze ans. Par la suite je me ferai force pour ne pas grandir, à tel point qu’à un moment donné je n’ai plus grandi ni grossi. J’ai stoppé ma croissance. J’ai douze ans, quatorze ans, quinze ans, seize ans, dix-huit ans. J’ai quatre ans, j’ai cinq ans, j’ai huit ans, j’ai dix ans. Quand est-ce que je vais enfin parler et libérer cette boule de ma gorge. Dire que tout m’angoisse, ce monde, les autres, le temps, la vie, la mort. Que je vais mourir, que je veux mourir, que je ne veux pas vivre, je refuse la vie, je veux rester le petit garçon que j’ai été, dans un cocon, avec mes biberons, mes doudous et mes jouets toute la journée.

Et surtout que je vomis l’école, les élèves, les profs, je vomis tout ce qui vient de la vie, de ses besoins vitaux, manger, se laver, aller aux toilettes. Il a fallu que j’attende 24 ans pour dire à maman mon angoisse et mon dégoût pour les toilettes. A tel point que je dois avoir de la rétention d’eau, depuis tout petit, la photo où je semble un vieillard, à quatre ans, les poches immenses sous les yeux et le rire qui se perd au fil du temps, le temps qui fait de moi son pantin, son Pinocchio, le monde qui fait de moi son canular.

Ça y est j’ai parlé, j’ai pu écrire, dessiner, tout ce que je ressentais. On « m’aide par des médicaments » parce qu’ils ont trouvé que ça pour me soulager, mais ça ne me soulage même pas entièrement.

J’ai toujours de grosses bouffées d’angoisse où je me replie, je ne parle plus, les personnes autour de moi se cognent à un mur parfois, « mon mur ».

Souvent, chagriné, angoissé, malade, je me laisse aller ; maman me prend dans ses bras, je me laisse aller dans les bras de ma maman. Le mur se casse, l’amour renaît.

Sur ma tombe de petit garçon, sur la terre noire, pousse enfin des fleurs un peu plus belles et un rai de lumière apparaît, fin, entre les feuilles des arbres, les plus hautes.

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Là où parfois j’imagine qu’il y a des anges, où qu’un monde meilleur, une vie plus belle existe. Le rai de lumière passe vite, j’ai envie d’attraper dans mon œil ce rai de lumière, cet espoir de monde meilleur.

J’en reviens aux manèges qui tournent et où je suis immobile sur mon cheval en bois. Le monde peut tourner, je reste immobile, il a fait de moi son pantin désarticulé. Dans ma terre noire de petit garçon de quatre ans, j’attends maman. Ses bras briseront les dalles funéraires qui m’entourent et me hantent et m’attirent avec elles. Maman fera pousser des belles fleurs, maman m’apportera la lumière, me sortira de mon silence, de ma fosse. Elle fera pousser l’arbre de l’espoir. Elle me prendra dans ses bras, ma maman, moi, son petit garçon malade, oui, ma maman elle vous battra tous, toi la mort, toi la vie, toi le temps, toi le rire moqueur des gens gênés, toi la pénombre, toi l’angoisse que j’ai rendue vivante et plus forte que moi.

Il y aura toujours mes mêmes obsessions, mes mêmes angoisses, mais maman me prendra toujours dans ses bras, moi, son petit garçon. Elle m’attirera toujours le plus possible vers la lumière, et vous serez tous désarçonnés. Elle me guettera toujours du bas du manège, et prendra toujours ma main sur le cheval en bois, avant qu’il monte et que je sois inquiet de ne plus voir ma mère. Elle brisera mon silence, mon mur.

Elle me fera toujours une vie la plus douce et a plus tranquille possible. Elle me prendra toujours dans ses bras, ma maman, moi, son petit garçon, et on vaincra toujours un peu, rien qu’un peu l’angoisse, le temps, qu’on peut rien y faire, la vie, la mort, les ténèbres qui m’emprisonnent. A travers l’amour et les bras de maman, je vivrai pour toujours.

Je suis en terminale, je fais plutôt peur, on ne se moque plus, on a peur de moi maintenant. De ma marche de fantôme errant à travers les couloirs, comme quand j’étais petit, mais quand j’étais petit, c’étaient des moqueries, des questions, de l’intrigue. Là, ils ont peur. Ils m’ont enfin laissé tranquille. Là, dans un coin de couloir, dans un coin de la cour qui me semblait immense. Alors pensez-vous bien qu’à la fac c’était Hollywood pour moi. Hollywood m’a tué au bout de trois jours.

En terminale, j’ai traîné mon âme en peine, péniblement, comme une vieille carcasse. Même la prof la plus aigrie envers moi m’a foutu la paix, après avoir

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manqué d’être décapitée par ma trousse bien lourde. C’étaient des chapelets de gros-mots, de tocs, d’insultes racistes alors que j’étais le dernier à être raciste.

Tous les maghrébins et les noirs de ma classe ont toujours été très gentils avec moi, même parfois plus que les autres élèves de la classe. Je voyais en eux l’exotisme oriental, des îles où il faisait bon vivre, sans trop de chaleur, là où je pourrais garder toutes mes vestes et prendre plaisir à me baigner avec maman, et elle aurait plaisir à me voir enfin jouer dans l’eau.

Où en est la Terre noire du petit garçon de quatre ans que j’étais ?

Elle est toujours là, sous mes pieds, comme un sable mouvant. Souvent je me fais force pour penser à des choses meilleures qu’un cimetière où je serai clos.

Il me semble qu’il y a des puits bien remplis d’eau mais que j’ai toujours soif. Mais je n’ai pas la soif de vivre. Je suis englouti. Peut-être même que je suis noyé au fond de la mer et que ce sont encore eux, seulement eux, leur pouvoir, les bras de maman, pour me sortir de mes morts vaincues.

Aujourd’hui je retrouve les plaisirs de l’enfance, à part les doudous et les jouets, les albums pour m’apaiser le soir et me permettre enfin de m’endormir, plus rien ne capte mon attention. Surtout ne penser qu’à ces belles histoires innocentes qui se terminent toujours bien. Si cela ne se termine pas bien, il faut que maman ou moi en invente la suite. C’est comme ça depuis que je suis petit. Transformer la fin et la rendre meilleure. Comme si déjà, enfant, tout-petit, je voulais que la vie ait au moins une belle fin, que ma vie aurait une fin douce, apaisante et sans souffrance, pour se pardonner de ce qu’elle m’avait fait endurer.

Où sont ces manèges dont je vous parlais tant ? Enfouis dans ma tête, clôturés à jamais. Comme les souvenirs, comme les étoiles que j’ai volées au ciel, capturées et mises dans un bocal bien fermé à double tour.

Avec moi, la fée Clochette n’aurait pas pu se libérer. Je lui aurais donné un autre Paradis que celui d’être libre et de voler dans le ciel. Je suis malade, la maladie m’a pris ma liberté, elle m’a pris corps et âme et a fabriqué le chagrin et les larmes et la souffrance au bout de tout.

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Le petit loup non affamé que j’étais est en hargne contre le monde. Il me semble plus vivant et plus solide le mien, de monde. Et pourtant c’est une cloche de verre, vite brisée.

Les Pimpins, les fonfons, les biberons, ma maman, me tiennent en vie. Comme un vieillard qui sait qu’il va mourir mais il ne sait pas quand. Alors j’attends, je prends le bonheur où il se manifeste, je prends la maladie à bras le corps. La maladie, s’est faite vivante, géant monstre aux dents acérées, aux yeux globuleux. Même un loup, même un ours, même un lion se sauveraient en courant en la voyant venir. C’est elle qui m’a fait prisonnier, désarmé, faible, à bout de souffle.

Mais jusqu’à mon dernier souffle, j’aurais été fier de m’être jeté à corps perdu, à bout de bras, pour vaincre la maladie qui m’a emporté petit et qui m’emporte encore. J’aurai cette fierté, d’avoir été un tout petit bout de chou de quatre ans et de n’avoir pas eu peur de l’affronter, dès le début. D’avoir affronté ce monstre géant alors que j’étais tout-petit. D’avoir brandi mes petits poings serrés de bébé, et l’avoir affronté jusque dans mes nuits d’enfants angoissé.

D’avoir petit à petit chassé les monstres de la maison, ceux derrière le fauteuil, dans la salle de bain, dans ma chambre. Mais certains sont tenaces. Ils restent encore, dans la maison, et surtout la nuit où j’ai encore très peur d’eux, à leur merci, je ne peux pas gagner contre ces monstres là s’il n’y a pas ma maman.

J’ai dû mettre des années à sortir la souffrance, les angoisses, les obsessions qui restaient comme une énorme boule de sanglots en travers de ma gorge, essoufflant mes poumons, manquant d’oxygène, la tête remplie de maux et des tempêtes, le cœur qui s’emballe, le corps et l’esprit qui s’agenouillent, à bout de force.

Puis je me relève, à chaque combat, oui, à chaque combat, mais quand même un peu plus heurté, fragilisé, plus faible, à chaque combat.

J’ai brisé la forteresse où j’étais prisonnier.

Parfois je me réfugie encore en elle. Ses remparts sont si forts, son mur si solide, imposante, son silence est d’acier et brise l’air comme le brise-glace est obligé de briser la glace pour avancer sinon il reste bloqué.

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« Emmuré dans son silence », voilà ce qu’on dit des enfants comme moi. Mais je ne suis pas vide. Je suis ténébreux, sombre, petit prince des ténèbres. Et parfois je peux être lumineux, briser les ténèbres pour regarder en face de moi, le monde courir comme un lion affamé, voir tourner les manèges, alors que je ne pourrais plus jamais monter sur mon cheval en bois.

Jamais maman ne lâchera ma main, moi assis sur mon cheval de bois car maman m’apaise car elle sait que je vais être inquiet dès qu’il va s’élever un petit peu et que la musique et les cris des enfants vont se faire entendre. Des cris joyeux. Moi j’observe, je songe. Je cherche ma mère du regard, elle est en bas, elle est tout près, elle me sourit. Mais comme je suis tout petit, tout va vite, tout me semble haut et maman loin. Je cherche son sourire à chaque fois que je passe juste au dessus d’elle, tout près, tout près, sur mon cheval en bois, et même si je ne souris pas, je suis un peu heureux, un peu vivant. J’ai quatre ans, cinq ans. Jamais je n’oublierai la magie de mon enfance de muet.

L’eau qui me réconforte ne tombe pas du ciel et ne vient pas des puits. Elle vient des biberons de chocolats chauds que maman me donne, là, tout contre elle, contre son cœur qui m’aime tant.

Toutes les nuits, si je ne dors pas, elle me calmera tout doucement, tout gentiment. Tous les jours, toutes les nuits, s’il le faut, à chaque seconde s’il le faut. Elle a brisé sa vie. Oui, j’ai brisé sa vie, je me sens responsable. Elle, a sacrifié la sienne pour moi. Je ne dois jamais l’oublier. Je lui dois reconnaissance, fidélité, respect. De l’amour pur, de l’amour brut, sincère. En tout cas je prierai tous les jours pour que maman m’aime toujours quel que soit mon état. Qu’elle me prenne dans ses bras avec le même amour.

Comme au tout début, début de mon existence où elle m’a aimé dès la première seconde, langé, protégé avec amour. Une fois né, j’ai été, je suis devenu sa seule préoccupation, son seul souci.

Et elle n’a pas dû penser que sa vie pourrait être autre chose que de s’occuper de moi, jours et nuits, heure par heure, seconde par seconde. S’occuper du grand malade, du grand angoissé, du grand handicapé que je suis.

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Jamais elle n’oublie les moments tendres. Elle n’a pas oublié ceux du passé, moi non plus d’ailleurs.

Jamais elle ne perd une occasion pour me faire plaisir, même si au départ mes envies ne sont pas du tout son truc.

Jamais elle n’oublie de me réconforter. Biberons de chocolats chaud, berceuses, dessins animés, doudous, albums réconfortants, câlins tout doux. Maman sera toujours là à mes côtés, tous les jours de ma vie, et ce jusqu’à la fin des temps.

C’est le doudou-lapin que maman m’a offert. C’est le doudou-ours que maman m’a offert.

C’est l’ours en peluche, le lapin en peluche que maman m’a offert.

Je n’oublie aucun de ses cadeaux.

Elle n’oublie pas les miens ça c’est sûr aussi.

Elle m’emmène voir la mer.

Belle, capricieuse, déchaînée. Calme, reposante comme si la mer respirait avec notre souffle d’humain, avec mon souffle. Elle revient toujours la mer, jamais elle ne s’en va, même en colère, mais pleine d’amour.

Je regarde souvent la mer, dans les bras de maman. Comme quand j’étais petit. Je suis né en même temps que la mer. Je viens du fin fond de l’océan, je viens des profondeurs les plus sombres de la Terre.

Je suis un petit garçon de quatre ans, de cinq ans. De vingt-cinq ans. Je veux retourner au berceau. Légume et peut-être non-souffrant. Ou des souffrances calmes de bébé. A manger, à boire, faire pipi (pas trop ça quand même, je n’aimerais pas qu’on me remette des couches), à réclamer le biberon, mon doudou, à réclamer maman. Je suis le petit garçon fragile dans ces bras.

Ailleurs je suis encore plus faible, et le monde hurle comme un monstre sur les biches aux abois. Comme dans mes ténèbres, le monde m’y noie parce que je suis faible et petit. Que je n’ai pas de force sans ma mère. Mais ma mère est là, dis-je au monde. Et tant qu’elle sera de ce monde laid et répugnant, elle me protègera, elle emploiera ses armées, elle se fera forte parce qu’elle a fait et porté un enfant faible et malade, moi.

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Le petit Manu que je suis ne se laissera pas faire non plus. Je me battrai avec mes petits poings fermés de bébé, je prendrai l’immonde maladie à bras le corps, même si je suis tout petit et que la maladie, ma maladie, est grande, géante, omniprésente, étouffante.

Je lui ai survécu, ça fait vint-cinq ans.

Mais je sais qu’il ne faut pas que je tue le temps sinon il me tuera.

Je lui fais des niaiseries, des pieds-de-nez, je l’affronte, je le défie. Je le tue un peu quand-même.

J’espère toujours rétrécir et redevenir un tout-petit garçon.

Oui, même le tout-petit garçon que j’étais dans ma terre noire, à attendre maman, le soir, à la maternelle, avec dans mes mains un doudou et attendant le biberon ou le goûter que me portera maman à la sortie de l’école maternelle.

Maman, ton petit garçon a grandi malgré lui.

Je suis un peu sorti de ma terre noire, de mon nuage de poussière.

La route sera encore longue, maman.

Mais nous sommes deux

Nous sommes deux maintenant dans cette terre noire

Moi dans les ténèbres et toi la lumière

Attention, des fois je risque encore de m’emmurer, de me refaire prisonnier de moi-même, de retourner dans la terre noire, dans le silence.

Mais toi tu seras là, à chaque fois,

A chaque jour, à chaque nuit, à chaque heure, à chaque seconde,

A me donner mes biberons de bébé, mes langes et mes doudous,

Et je serai à toi pour toujours,

Et tu seras là pour moi pour toujours, toujours là à mes côtés, chaque jour jusqu’à la fin des temps.

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Toi, tu as réussi à tuer le temps, pour moi, à me faire voir belle la vie par moments, à me faire apprécier rien que quelques minutes de bonheur,

Tu as tué la mort,

Sorti de la terre noire, de sa prison, de ses ténèbres, ton petit garçon, ton Emmanuel

Tu m’as montré ce qu’était la lumière

Et pour que je vive encore, le plus longtemps possible, le plus heureux possible malgré ma maladie et mes souffrances,

Tu me prendras dans tes bras pour toujours.

A ma maman, à ma mamounette,

A tous les enfants qui souffrent, et à leurs parents qui les accompagnent, surtout ceux qui refusent les instituts et préfèrent les garder auprès d’eux, comme ma maman m’a gardé, me garde et me gardera toujours auprès d’elle, quel que soit mon état,

A tous les enfants différents.

A MON ENFANT LUMIERE

Non Emmanuel, le petit Manu n’est pas mort, il n’a jamais existé ailleurs que dans ta tête. Celle qui est morte, que tu as détruite, effacée c’est Emmanuelle et celle qui était la maman d’Emmanuelle, de ma petite Emma. Désormais c’est bien Manu que tu fais vivre à travers toi et moi je suis devenue par la force des choses : la maman d’Emmanuel, de Manu, de je ne sais plus qui, mais plus d’Emmanuelle.. Mais, bien sûr, je ne t’en veux pas, je sais que tu n’as pas choisi. Nous deux, c’est une longue histoire d’Amour qui a commencé à ta naissance, dès que j’ai croisé ton premier regard. Je t’admirais déjà. Quelle profondeur et quelle intensité dans tes yeux !

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Nul besoin de parole, nous nous découvrions avec nos cœurs.

Sois donc rassurée, une histoire comme celle là est de celle qui dure une Eternité. Nul mieux que moi ne connait ta souffrance, je la vis avec toi. Tu es et tu demeureras toujours mon enfant puisque c’est ce que tu veux. Tu sais pour une maman l’enfant s’arrête de grandir à la hauteur de son cœur. Mes désirs à moi ne comptent pas, ne comptent plus. Cela fait bien longtemps que j’ai mis ma propre vie entre parenthèses.

Je t’ai donné la vie et maintenant je te donne ma vie.

Je te dis et te redis mon immense amour maternel puisque tu as toujours besoin d’être rassurée à ce sujet. Et comme tu souffres également du syndrome de l’abandon : je t’affirme que je m’occuperai toujours de toi et que je ne t’abandonnerai jamais.

Dans la vraie vie, je suis maman d’une jeune fille de 25 ans, dans ta réalité, du moins celle que tu désires, je suis maman d’un petit garçon .

Et dire que mes sœurs m’ont tant envié la fille que tu étais, celle qu’elles mêmes n’ont pas eue. Du moins pour deux d’entre elles qui sont maman de deux garçons. La vie est ainsi faite, d’une famille de quatre filles sont nés six garçons et seulement deux filles .Et je ne te cache pas combien fût grande ma joie d’attendre une fille, puisque j’avais déjà un garçon.

Le choix du roi, m’a-t-on dit à de multiples reprises…Mais je n’ai plus de fille.

Emmanuelle n’a plus le droit de vivre, pour toi elle n’existe plus. Je n’ai plus le droit de l’évoquer…En fait tu n’es ni un enfant, ni un garçon et tu ne le seras sans doute jamais.

De cette vérité là, tu ne veux pas en entendre parler, tu ne peux plus en entendre parler .Je n’ai pas le droit de l’évoquer mais tu sais. Tu connais cette réalité là et tu ne la supportes pas. Lorsqu’elle t’éclate au visage, c’est pour toi comme une claque magistrale et tu es alors au plus mal. Tu es capable dans ces moments là du pire : crise clastique où tu casses tout autour de toi, automutilation (fractures des mains, des pieds, du nez) tentative de suicide par absorption de doses massives de médicaments, par strangulation, par électrocution, par noyade, défénestration, etc, etc …

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J’assiste impuissante à ta propre destruction. J’essaie de te faciliter la vie en t’épargnant toute source de stress, sachant que la moindre chose peut te contrarier.

Alors, je fais semblant. Je joue un rôle. Moi-même, je ne suis plus moi. Moi en tant que mère d’Emmanuelle, je n’existe pas, je n’existe plus. Mon cœur de mère n’a jamais cessé de saigner depuis que j’ai compris qu’il n’y aurait plus de retour en arrière. Il m’a fallu faire le deuil de ma petite princesse, de ma petite danseuse si gracieuse, de l’enfant si brillante que tu étais.

De celle que toutes les mamans m’enviaient tant tu étais sage et douée. Si douée ! De cette petite fille qui écrivait de la poésie dès ses 6 ans. De celle qui forçait l’admiration de ses enseignants avec des notes parfois supérieures à 20. J’ai dû faire le deuil de mon enfant poète.

De celle que les académiciens reconnaîtront comme un véritable talent précoce. Jeune plume récompensée par de hautes distinctions littéraires réservées aux adultes. Je peux dire que j’ai parfait ma géographie de la France grâce à ces nombreuses compétitions auxquelles tu participais.

Tout ce brillant avenir auquel tu étais promise, balayé !...

La maladie a tout emporté. Je t’observe depuis le début de ta pathologie, soit plus de douze ans. C’est fou l’énergie que tu as dépensé pour t’auto-détruire ! Pour t’enfermer dans cette prison dont tu as construit méticuleusement chaque barreau.

Et à l’intérieur de laquelle, parfois, tu m’enfermes aussi.

Si ce n’étaient les photos qui restent de cette période heureuse de notre vie, je croirais avoir rêvé. Ma petite Emma si joyeuse, toujours prête à danser, à se déguiser et à faire la fête. Une enfant si sage, trop peut-être. Une enfant qui a grandi trop vite car trop mature.

Aurai-je dû m’inquiéter le soir où tu avais tout juste quatre ans et que je t’ai trouvé en pleurs au fond de ton lit parce que la mort te faisait déjà si peur ?

Que subsiste t-il d’autre d’Emmanuelle ?...

Ses cahiers, Ses diplômes, des coupures de presse, des vidéos télévisées, ses écrits (ses brouillons originaux sans aucune ratures), ses 8 livres édités, ses livres d’or, ses trophées coupes et médailles, du moins ce que j’ai pu sauver de

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ta colère. Tout cela enfermé dans un carton, caché au fond d’une mezzanine dans le garage.

Il ne faut jamais évoquer ce passé glorieux. Pour toi, il n’existe pas ou plus.

Ce n’est pas toi, ce n’est plus toi. Tu as honte de celle que tu as été. Tu as honte de celui que tu es devenu.

Tu n’as plus de passé puisque le tien t’insupporte. Tu voudrais d’une enfance de petit garçon. Cette enfance là que tu recherches toujours dans tes souvenirs, dans les miens, n’a jamais existé. Tu avais des traits de petite fille, tu étais habillée comme une petite fille, et tu avais des jeux de petite fille. Et moi, j’étais la plus heureuse des mamans.

Comment imaginer que dans ta tête déjà tu te percevais comme un garçon ?...

Certes, un jour pour carnaval en maternelle tu m’as demandé un déguisement de Zorro mais comme tu as un frère aîné, je pense alors que tu veux le copier.

Beaucoup plus tard, tu m’avoueras avoir été amoureuse de Charlotte (petite copine de maternelle) mais pas comme une homosexuelle puisque tu te percevais comme un garçon.

Lorsque tu as commencé à écrire, tu parlais également de toi au masculin, je n’y ai vu qu’un caprice d’écrivain .La maîtresse du CE1 a gardé précieusement un de tes poèmes que tu as écrit dans sa classe. Je suis impressionnée par mon petit écrivain, cependant ta précocité me fait peur.

A huit ans, tu es en CE2 et la maîtresse est en admiration devant toi. A chaque rentrée scolaire, après le bilan des évaluations, on me signale que tu devrais sauter une classe. Cette année là, l’institutrice insiste sur tes résultats. Elle a demandé à ses élèves une petite rédaction pour raconter les vacances. La tienne fera le tour de l’école tellement elle est bien rédigée. Sur ses conseils je t’inscris à un atelier d’écriture réservé aux adolescents. Rapidement, ils désertent l’atelier, ‘ écoeurés’ par ce que tu sais écrire à ton âge. L’animatrice de l’atelier est elle-même interloquée par tes textes. Elle me conseille de te faire participer à des concours.

Cette année-là, tu remportes ton premier concours littéraire en catégorie ados. Lorsque tu vas chercher ta coupe, les membres du jury sont obligés de se hausser sur la pointe des pieds pour t’apercevoir au bas de leur estrade. Etonnés de te découvrir aussi jeune. Pour l’occasion, tu as accepté de mettre une jolie

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robe blanche (droite, dentelle en filet sur fond de robe, fines bretelles). Pour le repas de midi, nous allons pique niquer en famille. Tu te mets en short et baskets. L’après midi, tu dois aller lire tes poèmes primés mais tu refuses de te changer. Nous ne retournerons pas à la salle de réception…

Tu as un caractère bien affirmé et même pour me faire plaisir tu ne cèderas pas. Je n’ai pas compris que le problème : c’était la robe !

Le fossé est en train de se creuser avec les autres enfants. Tu t’ennuies de plus en plus avec eux et en classe. Tu détestes la cour de récréation, tu ne te mêles pas aux autres pour jouer. Un jour, tu me réclames à mon grand étonnement une corde à sauter ! Je suis contente pour toi, mais le soir même et les jours suivants, je la retrouve telle que je l’avais enroulée au fond de ton cartable…Tu me diras que de sauter te donne la migraine…

A la maison, tu écris sans cesse. Ton plus beau cadeau, c’est un cahier que tu complètes aussitôt de tes vers ou de petites nouvelles. Tu remplis sans relâche des kilomètres de papier ! Tes héros sont tous masculins et tu t’identifies à un garçon, mais je pense alors que c’est une fantaisie d’écrivain.

A 9 ans tu as commencé ton premier roman, puis mis de côté, tu ne l’achèveras que quelques années plus tard.

Physiquement tu es une jolie petite fille qui commence à préférer les pantalons aux jupes, mais bon…Ta maîtresse me dira même que tous les garçons de ta classe sont amoureux de toi et en effet je retrouve parfois des petits billets doux dans tes affaires scolaires.

En fait, je pense qu’ils admirent surtout ton intelligence car certains sont venus me demander comment tu faisais pour avoir d’aussi bonnes notes…Tes exercices finis, tu aides les autres, ceux qui ont des difficultés.

Mais et toi dans tout ça ? Es-tu seulement heureuse ?...La maîtresse s’inquiète de tes rêveries en classe, tu sembles souvent absente.

Ton étonnante précocité t’isole des enfants de ton âge. Toujours pas de jeux partagés à la récréation. J’attends avec toi au portail l’heure de la sonnerie pour que tu te décides à rentrer dans l’école pour aller te mettre en rang.

Un jour, tu me laisses pour rentrer en courant dans la cour avant la sonnerie fatidique, tu as aperçu un garçon qui lisait sur un banc …puis ta déception, tu me lances de loin : il lit du DBZ (traduisez Dragon Ball Z)…

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J’ai essayé de te trouver des activités pour que tu puisses partager avec les autres une passion commune. C’est ainsi que tu fréquentes une école de danse dès la maternelle ainsi qu’une école de musique. Au Cp tu as commencé l’étude de l’alto, comme tu étais contente avec ton instrument niché au creux de ton cou !

Pour ce qui est de la danse, tu es malade à chaque gala. Le trac et tu n’étais pas à ta place, je n’avais pas compris. La musique te prend trop de temps (chorale, solfège, instrument), tes mercredis sont remplis. Tu préfères te consacrer à l’Ecriture.

Tu as huit ans et demi, nous allons au Salon du livre. Tu soupires d’envie devant les stands d’écrivain. Tu voudrais toi aussi y participer.

Rentrée CM1, le maître me convoque pour me demander si je sais ce que tu es en train de lire ?!

- Oui, bien sûr : L’espace prend la forme de mon regard d’Hubert Reeves.

- Et ça ne vous étonne pas plus que ça ?!

- Non pourquoi ?...

-Parce qu’elle ne fait pas semblant, elle comprend, j’en ai parlé avec elle, il est médusé. Plus tard, il témoignera de son élève en disant que de toute sa longue carrière d’enseignant, il n’a jamais vu une élève aussi intelligente.

Tu joues souvent avec ton père : il est ton élève et tu le soumets à des contrôles très élaborés. Tu animes pour lui un atelier d’écriture .Tes poèmes ont une musicalité indéniable et tes images sont mélodieuses. A ta naissance, j’ai failli t’appeler Mélodie…

Plus grand-chose ne m’étonne de mon enfant qui a la tête dans les étoiles et le cœur en écharpe. Tu es sérieuse, trop sérieuse ! Parfois, je surprends des éclairs de tristesse dans tes yeux. Tu as de nombreuses migraines, un scanner que tu passes à 9 ans ne révélera rien, si ce n’est ton extrême maturité pendant l’examen (tu as subi l’injection d’iode avec beaucoup de courage)

Ta joie s’est effilochée et te laisse d’humeur sombre. Ton seul plaisir : écrire, ton écriture aussi est de plus en plus mélancolique….La mélancolie sera d’ailleurs un des premiers diagnostics concernant ta pathologie.

Pas même la sortie de ton premier recueil de poésie ne te remplira pas de joie.

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Tu as affirmé ton look dans des tenues sportives amples. Tes cheveux sont toujours attachés. Après le shampooing, tu ne les laisses même pas sécher, tu les noues rapidement avec un élastique.

Peu de temps après la rentrée du CM1, je te trouve en pleurs dans ta chambre :

-Je ne veux plus aller à l’école, je m’y ennuie trop !

C’est bon, c’est décidé : j’accepte que tu sautes le CM2 malgré mes réticences concernant ton extrême sensibilité et ta fragilité psychologique. La psychologue donne son feu vert :

-C’est une petite fille très mature qui sait déjà très bien ce qu’elle veut et qui met toutes les chances de son côté pour y arriver.

Feu vert scolaire mais début d’alertes rouges. La maladie a déjà joué ses premières notes, l’angoisse est en train de composer sa propre symphonie.

Comment savoir ce qui se passe dans ta tête ? Pourquoi, pourquoi tout ça ?

Quand ?....Autant de questions sans réponses certaines. Ritournelle de la culpabilité dans ma tête….aurions-nous pu éviter cet état ?...Sommes nous responsables ?...qu’aurais-je pu faire ?...

Je n’ai pas compris tout de suite, je n’ai pas tout compris, il y a des choses que je ne comprendrai jamais.

Et pourtant, pourtant. Certaines choses auraient dû m’interpeller. Ta puberté précoce te pose problème et tu caches tout ce qui peut te rappeler ta condition féminine. Tu dissimules tes rondeurs naissantes sous des vêtements informes. Tu marches les épaules rentrées. Tu te sens mal dans ton corps, mais tu ne dis rien.

Ton côté brillant masque tout le reste …ta souffrance liée à ton intimité et tes relations aux autres qui se détériorent.

Tes résultats scolaires suscitent des jalousies Un jour tu sors de l’école, la capuche de ton anorak pleine de graviers, mais toi tu n’es rendue compte de rien. Méchanceté gratuite que je te laisse gérer, pour ne pas te surprotéger .Certains élèves se moquent délibérément de toi et vont même jusqu’à faire circuler une pétition pour que personne ne t’adresse la parole. C’est un petit voisin qui vient m’en informer alors qu’il n’est même pas dans ta classe, il a eu la pétition dans la cour de l’école. Il me dit également ne pas avoir voulu signer car il t’aime bien.

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Là, ça va trop loin. La psychologue scolaire me demande d’intervenir. Le directeur informé, minimisera la gravité de la chose, lui a des soucis avec ton dossier scolaire car il ne sait pas comment remplir ton dossier pour ton passage anticipé en 6 ème.

Moi qui avais de la peine de te voir laisser tes camarades de classe en primaire, je me rends compte que tu n’as plus de petites copines.

La fin de l’année scolaire arrive. Nous allons souvent à la plage. Tu écris de magnifiques poèmes sur la mer. Tu complètes ton palmarès de jeune poète de nombreux Prix. Nous avons une vie normale, comme n’importe quelle famille, même si ton frère qui entre dans l’adolescence commence à être sérieusement pénible et gâche souvent les sorties familiales.

A la maison, je te prépare un peu en mathématiques et en géométrie, car le programme a été léger dans ces matières.

Puis, vinrent les années collège…

Les élèves t’ont surnommée E.T car tu es la plus jeune de la classe et tu es première dans toutes les matières …sauf en sport. Deux mois après la rentrée, tu participes à ton premier Salon du Livre.

Je reste auprès de toi pendant les séances de dédicace. Tu as plaqué tes cheveux, tous tirés en arrière en queue de cheval basse. Tu es en pantalon, chemise, et cravate sous une veste de costume grise. A la poche de ta veste, tu as accepté une petite pochette rose assortie à ta chemise. Ce n’est que dans cette tenue assez masculine que tu te rends dans les milieux littéraires.

Tu te fais ta place dans la cour des grands qui eux ne te font pas de cadeau. Désormais, tu as appris à faire du coude pour te frayer un chemin parmi les stands et… jusqu’au buffet des festivités.

En tant que benjamine du Salon, tu attires de nombreux lecteurs qui veulent faire ta connaissance. Toi, impassible, tu signes un petit mot gentil pour chacun d’eux.

Le lendemain, la présence du Prix Goncourt de cette année là, te fait ombrage. Ses piles de livres, te cachent littéralement .En grand homme, il s’en excusera d’ailleurs lorsqu’il t’aperçoit seulement en fin de journée. Pour se faire pardonner, il fait l’acquisition de ton recueil. Plus tard, il témoignera de ton réel

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talent d’écrivain. Ton livre d’or est empli de témoignages de personnes qui apprécient ton écriture. Tu reçois des courriers d’admirateurs.

Tout semble te réussir. Tu fais de brillantes études et tu accomplis ton rêve de poète. Tu sors d’une enfance dorée de petite princesse, aimée, choyée de ses parents, de son grand frère et de son grand père paternel qui est en admiration devant toi .Les trois piliers masculins si chers à ton cœur ! Cependant je vois bien que tu subis ta différence. Certains me conseillent de t’inscrire dans une école pour enfants précoces. Je n’ai pas envie de te mettre à l’écart des autres.

L’école laïque me semble une bonne école de la vie, pourtant tu déranges certains enseignants parce que tu n’es pas dans le moule !....Je crois que tu vas t’intégrer tant bien que mal. Plus tard, j’apprendrai que des élèves te rackettent les devoirs.

Je surveille à distance ta vie scolaire, tu me parles plus des enseignants que des élèves mais je sais que tu as au moins deux camarades de classe. Physiquement, tu as du mal à te faire ta place. Tu es à nouveau la plus jeune dans la cour des grands. Tu n’aimes pas le chahut et les bousculades. Te déplacer dans l’établissement te pose problème.

Je suis toujours là quand tu as besoin de moi pour réviser tes contrôles. Tu es perfectionniste, trop. Tu ne te laisses pas le droit à l’erreur.

Tes résultats sont excellents, tu en veux toujours plus. Au conseil de classe on me dit que tu aurais dû sauter deux classes et être en 5 ème…

Je ne veux pas voir ta précocité, elle m’effraie toujours autant car je sais qu’elle t’éloigne des autres. Ton écriture s’affermit, ton vocabulaire est très riche. On dirait que tu as déjà vécu plusieurs vies. Les organisateurs de concours ont du mal à croire à l’âge de la lauréate. Une présidente d’association ira même rencontrer le proviseur de ton collège pour en savoir un peu plus sur toi. Elle te prime hors concours toutes catégories confondues.

Plusieurs Académies n’ont pas hésité à te récompenser : pour eux, la valeur n’attend pas le nombre des années.

Je suis ta première lectrice. Quand tu me lis un nouveau poème, c’est toujours un moment privilégié. Chaque année tu publies un nouveau recueil. Tu concoures maintenant en catégorie adultes : œuvres éditées.

La qualité de tes écrits est reconnue.

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Parmi les gens de lettres, ton nom est désormais connu. La Société des gens de Lettres, Les Arts et Lettres de France, etc etc …te décernent coupes et médailles.

Moi ta maman, je suis évidemment fière de toi, comme n’importe quelle maman est fière de son enfant. Je suis surtout heureuse pour toi que tu aies pu aller au bout de tes rêves.

Mais toi dans tout cela ? Es-tu seulement heureuse ?...

Ton frère qui t’aime est au fond jaloux de ton succès. Pour attirer l’attention sur lui, il a adopté le contrepied de toi. Autant tu es brillante, autant il se complaît à faire l’imbécile. Ses résultats scolaires sont en chute libre et son comportement dérape parfois. Il commence à avoir de sérieux problèmes de discipline.

A la maison, je reprends avec lui, tous les cours. Souvent les tensions montent et l’ambiance familiale en pâtit. Toi, bon gré, mal gré tu continues ton petit bonhomme de chemin en suivant les conseils de ton instit du CM1 :

-Impose ta chance, serre ton bonheur … A te regarder, ils s'habitueront (René Char). Car tu suscites non seulement la jalousie de ton frère mais aussi de certains membres de notre famille (tantes, cousins) et de ton entourage. Nous ne pouvons pas partager le bonheur de ta réussite avec eux.

Alors tu ne parles pas de tes écrits. Malgré tout, les remarques sont quelquefois désobligeantes et hélas les mots sont pour toi autant de flèches qui t’atteignent dans ton extrême sensibilité.

-Et dire qu’elle croit savoir écrire…

-Moi, je n’y crois pas aux enfants surdoués, tôt ou tard, ils réintègrent le rang comme les autres…

Pourquoi autant d’envie autour de toi ?...

Tu as toujours préféré à la compagnie des enfants, celle des adultes. Mais les adultes maintenant te déçoivent et même ils t’effraient par leur cupidité et leurs mauvaises paroles. Tu n’as pas envie de faire partie des leurs, d’entrer dans leur monde. Et donc tu refuses de grandir…

Du mois, c’est ce que j’ai cru. En fait tu ne voulais surtout pas grandir en tant que fille.

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T’habiller devient un réel problème. J’ai dû me résoudre à bannir les rayons pour les filles, mais tu ne veux pas changer de taille. Heureusement les tailles masculines étant supérieures aux féminines, tu conserves longtemps l’illusion de ne pas grandir.

Je vis tout cela avec une immense souffrance .Les mamans des autres filles prennent plaisir à aller faire les boutiques avec leurs jeunes ados en devenir. Pour nous, c’est souvent sujet à discorde.

Notre vie est rythmée comme tout un chacun, par les cycles scolaires alternés par les périodes de vacances.

Ta cinquième sera à l’image de la 6 ème. Excellente. Tu es bien organisée. Tes devoirs finis, tu n’as qu’une hâte : écrire. Tu ne te déplaces jamais sans un bout de papier et un stylo. Lorsque tu couches les mots sur les lignes du cahier, c’est que ton poème est déjà tout prêt dans ta tête. Un jour, sous un tunnel à Monaco, branle-bas de combat dans la voiture, tu as un poème dans la tête et tu as oublié papier et stylo. Au sortir du tunnel, le poème est couché sur le papier. Tu écris aussi des nouvelles.

Pour t’aérer tu adores jouer au foot avec ton frère et ton père. Nous avons la chance de pouvoir partir souvent en vacances et tu apprécies beaucoup les marches en montagne (à condition d’être la première pour nous servir de guide)

Tout me semble aller bien, même si tu n’es pas particulièrement cool. Pour ma part, j’ai des soucis avec mon père qui vit seul et qui est en perte d’autonomie.

Ses problèmes de santé m’empêchent d’être pleinement heureuse, je suis parfois absorbée dans de sombres pensées sur son devenir. Etant l’aînée, beaucoup de choses, de décisions reposent sur moi. Son état se dégrade assez rapidement et requiert de plus en plus d’attention.

Avec ta maturité, tu es pleinement consciente de l’altération physique et mentale de ton papy, et toi aussi tu es triste pour lui et pour moi. En outre, des problèmes de voisinage récurrents viennent aggraver les tensions.

Les vacances familiales arrivent à point même si je dois me résoudre à laisser mon père en clinique où il vient d’être opéré d’une triple fracture de la mâchoire. C’est une de mes sœurs qui s’occupera de lui en mon absence.

Août 2002, tu as onze ans. Je ne savais pas que ce serait nos dernières vacances en famille, la fin de notre bonheur. Toi, tu as déjà compris certaines choses. Je

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n’ai rien vu venir. Ton père est froid et distant avec moi. Il me fuit. Il sort du court de tennis dès que je prends une raquette. Ton frère est exécrable, il m’insulte verbalement sous le regard indifférent de son père.

Il pleut lamentablement sur la rivière d’Entraygues. La tristesse s’est immiscée dans nos vies et aussi quelque chose de plus sournois…

Ce jour-là, nous avions profité d’une brève accalmie, pour aller faire une balade dans la campagne environnante. Surpris par un gros orage au cours de la randonnée, nous avions trouvé refuge dans un tunnel. Perchée sur les épaules de ton père, tu poussais des cris lugubres à faire froid dans le dos .Il est vrai qu’à l’extérieur les éléments de la nature environnante se déchainaient dans un tumulte effrayant, mais sans doute rien en comparaison de la tempête intérieure contre laquelle tu devais lutter, toi mon enfant.

J’avais déjà cru entendre certaines nuits des gémissements fantomatiques qui s’échappaient de ta chambre et j’avais pensé que tu faisais un cauchemar.

Sauf que là, ce n’était pas la nuit et donc tu ne dormais pas. Je crois que c’est ce jour là que j’ai pris conscience que l’Indicible était entré en toi, une chose inconnue, indéfinissable, contre laquelle tu luttais déjà, avec tout le courage d’une enfant de onze ans.

Quelques jours plus tôt, au petit déjeuner, tu avais versé des larmes sans que je comprenne vraiment la raison de ta tristesse excessive. Et maintenant, ces cris qui entraient dans mes oreilles et trouvaient leur écho dans mon cœur de mère souffrant de te voir aussi mal .Que t’arrivait-il ?...Avais-tu compris que c’étaient nos dernières vacances en famille ?

Au dehors le ciel noir zébré d’éclairs qui éclairaient l’intérieur sombre du tunnel. Abri potentiel pour chauves souris dont les ailes imaginaires s’agitaient à l’intérieur de ta boîte crânienne, telle une araignée qui tisserait sa toile au plafond.

Puis le vacarme des coups de tonnerre qui couvraient tes cris. Nous étions tous les quatre dans cette arche de Noë improvisée.

Bientôt un superbe arc en ciel allait nous délivrer de cette halte forcée mais l’Innommable avait fait ses marques dans notre famille et n’allait plus nous lâcher. . Les notes de la symphonie maladive se sont inscrites sur la portée de ta vie.

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Retour de vacances. Il faut déjà préparer la rentrée. Pendant mon absence, l’état de papy s’est aggravé .Il ne pourra plus vivre seul. Il faut que je lui trouve une maison de retraite de toute urgence.

Ton père s’enfonce dans le mutisme le plus absolu, il se met en retrait de la vie familiale. Il commence à rentrer plus tard du travail et change ses habitudes.

Je comprends que notre couple est en train de périr et j’ai peur pour vous, et surtout pour toi. Je connais les souffrances d’une séparation pour avoir mal vécu le divorce de mes parents. Ton grand-père malade, ton père qui s’éloigne. J’ai peur pour ton équilibre psychique déjà fragilisé.

C’est dans ces mauvaises conditions que tu entames ta 4 ème. Tu t’accroches désespérément à tes études. Si le niveau général de la classe a baissé, en revanche tes moyennes frôlent la perfection. Sur ton bulletin scolaire le proviseur conclura :

-Avez-vous l’intention de remplacer vos professeurs ?...

Après d’horribles fêtes de noël, au début de l’année 2003, ton père abandonne le domicile conjugal sans aucune explication. Le 6 février de cette même année, ton cher grand-père décède . Deux jours après, tu fêtes tes douze ans et ton frère fête ses seize ans le 9 février. J’achète les gâteaux d’anniversaire en même temps que les couronnes de fleurs pour les obsèques. Nous sommes seuls tous les trois autour des gâteaux dont personne n’a vraiment envie. Simulacre de fête où vos larmes éteignent vos bougies d’anniversaire. Je crois vivre un cauchemar éveillé. Ton frère tombe malade à son tour. Une simple dépression avait dit le médecin de famille…

Nos trois piliers masculins se sont effondrés. Les derniers mouvements de ta symphonie sont désormais écrits. De bien tristes notes s’égrènent sur l’archer de ton désespoir. Pendant que ton psychisme se retrouve fortement ébranlé, les pièces du puzzle se mettent en place pour construire ce que l’on qualifiera par la suite d’une forme de psychose.

C’est un travail de sape, lent et sournois. Autant la maladie de ton frère a fait l’effet d’un coup de fusil dans un champ de papillons, autant la tienne se cache. Lui sera rapidement déscolarisé, toi tu résistes.

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La bête est tapie, elle ne demande qu’à sortir. Je constate que tu t’isoles de plus en plus et je n’arrive plus à t’arracher à ton bureau. Tes poèmes deviennent noirs. On dit que les plus désespérés sont les chants les plus beaux… toi, tu te dis Poète maudit. Tu reçois des courriers où l’on te compare à Rimbaud.

L’été 2003 arrive avec sa canicule. Il n’est plus question de vacances, nous n’avons plus le budget pour cela. Je te prépare d’ailleurs petit à petit à l’idée que je vais devoir reprendre un travail. Pour l’heure, nous végétons à la maison en attendant des jours meilleurs. Les bains de mer te posent problème car tu n’arrives plus à te mettre en maillot.

Voilà chose faite. Octobre 2004, j’ai 48 ans, je reprends mes fonctions dans mon ancien organisme. Le directeur a eu pitié de ma situation familiale. Seule, sans revenus avec deux enfants malades à charge. Je n’ai plus de père, plus de mari, mais surtout vous aussi, vous n’avez plus de père. Tout à sa nouvelle vie, et à son nouveau bonheur, il a totalement démissionné de son rôle parental.

Devant ta détresse, je t’emmène en consultation.

C’est le début des suivis psy, tu n’as que treize ans. Tu es en train de sombrer sous mes yeux et je ne comprends toujours pas ce qui nous arrive. Pourquoi à nous ? Qu’a-t-on fait pour mériter cela ?...

J’ai l’impression de t’abandonner au moment où tu as le plus besoin de moi. Je n’ai pas le choix. En renonçant à mes RTT , je me suis arrangée pour avoir tous mes mercredis après midi. J’essaie d’assurer le maximum de présence auprès de toi.

Ton frère me repousse, il m’en veut alors qu’il sait que j’ai subi la situation autant que lui. Il devient violent. Son père lui manque, il s’en prend à nous.

Tu es courageuse, tu caches ta propre peine. Tu acquiers ton autonomie par la force des choses mais nous sommes bien loin de la petite fille qui disait à sa maman :

-Quand je serai grande, je serai journaliste. Je ferai le tour du monde et je t’offrirai des voyages pour que tu viennes me voir…

Désormais, tu te cramponnes à moi comme un naufragé à sa bouée de sauvetage. Et moi, j’essaie de ne pas me noyer moi-même…Je mène toutes sortes de combats à la fois. La maladie de ton frère a éclaté violemment. Il est victime de bouffées délirantes qui le rendent agressif.

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Où sont nos rêves de Bonheur ? ...Que peut-il nous arriver de plus ?...

Je me rassure sur ton état même si parfois tu as des comportements étranges que je ne comprends pas. Tu as un suivi régulier dans un centre d’hospitalisation pour ados qui te reçoit en consultation externe. Tes résultats scolaires sont toujours aussi brillants. Le BEPC en poche tu obtiens une bourse au mérite.

Côté écriture, ton cinquième recueil préfacé par JMG Le Clézio, Prix Nobel de littérature, remporte un vif succès auprès des membres de Jury littéraire. En apparence tout est préservé, en apparence seulement.

Ta silhouette porte toute la tristesse du monde. Tu es pâle et amaigrie. Et tu sombres bientôt dans une espèce d’anorexie ou plus exactement phobie de l’étranglement : tu n’arrives plus à te nourrir en solide. Un traitement médical est mis en place, cependant les troubles persistent quelques mois et je suis obligée de te nourrir en mixé, voire en petits pots pour bébé.

Tu dépéris, j’ai l’impression qu’un terrible secret te ronge mais tu ne m’en parles pas. Et puis un jour, au moment où je m’y attendais le moins, comme nous promenions, tu me déclares :

-Je t’avertis, je vais me faire couper la poitrine et changer d’identité !

Les bras m’en tombent, je n’en reviens pas de ce que mes oreilles viennent d’entendre. J’en ai la respiration coupée. Ma réaction est inadéquate :

-Si tu veux que je comprenne, il va falloir m’expliquer longtemps…

Je ne comprends pas. Sans doute n’ai-je pas voulu voir ?...Avec le recul les signes étaient évidents mais personne n’avait voulu comprendre. Pas même ta psy qui s’est méchamment moquée de toi lorsque tu as eu le courage de lui expliquer ton problème. J’ai aussi pensé que tu refusais ton identité féminine parce que tu avais absorbé ma souffrance de femme, même si j’ai essayé de t’épargner au maximum.

Tu te sens perdue, incomprise, seule face à un problème qui te dépasse, qui nous dépasse. Est-ce seulement cela la clé de ton mal être général ?...Est-ce à partir de ce problème d’identité sexuée que tu n’as pas pu te construire une personnalité ?

A ce sujet les avis des médecins seront partagés : pour certains ce problème est lié à ta pathologie. Pour les plus malins : il ya ta pathologie et en plus… ce

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problème qui est indépendant. On ne saura jamais…J’ai donné quelques pistes à tes thérapeutes qui auraient pu expliquer en partie ton trouble, mais jamais aucun n’a cherché à comprendre.

Pour ma part, je ne sais pas si c’est ce problème qui t’a rendue malade ou si c’est parce que tu es malade que tu as ce problème. Il n’en demeure pas moins que tu ne le vis pas dans la normalité. Si tant est que l’on puisse trouver normal d’être prisonnier d’un corps que l’on ne considère pas comme étant le sien !...

Après ta révélation, et devant mon incrédulité, tu t’es refermée sur le secret de ton intimité. Et moi, j’ai conservé le fol espoir que ça allait te passer, que c’était une crise d’adolescence où l’on cherche sa propre identité. Et pourtant tous les signes qui auraient dû nous mettre en alerte, tout y était et depuis si longtemps.

Ce que je prenais pour du mauvais goût ou absence de coquetterie, ta façon de te tenir, le manque d’aisance dans tes mouvements, ta volonté de te cacher aux yeux des autres…

Ces autres avec lequel le fossé continue de se creuser. Ils s’éloignent de toi et toi tu es en train de t’éloigner de nous. De courtes vacances d’été dans notre maison et je dois déjà reprendre mon travail en vous laissant toi et ton frère esseulés, désoeuvrés, désespérés. La mésentente s’est installée entre vous.

Mon travail m’accapare beaucoup l’esprit. J’ai eu la chance de réintégrer mon ancien organisme après une démission mais j’occupe un poste pénible qui échoit en principe aux nouveaux embauchés. Il s’agit d’une plate forme de réclamations téléphoniques où je resterai pendant cinq ans. J’ai une situation professionnelle inhabituelle : à la fois ancienne et nouvelle. A de rares exceptions près, la moyenne d’âge est de 25 ans (j’ai presque le double). Reliée à mon poste de travail par un casque, j’essaie de solutionner les problèmes des appelants, plutôt mécontents.

Ma journée de travail finie, commence une deuxième journée où j’essaie de solutionner nos problèmes. Et Dieu sait s’il y en ! A chaque jour suffit sa peine. Désormais, tout repose sur moi et je suis SEULE pour affronter tout cela.

A l’exception d’un ami de la famille, il n’y a plus personne autour de nous…la famille de votre père vous ayant tourné le dos dès le début de la séparation, la mienne, profitant de certains conflits à la mort de mon père, a suivi de peu. Nous sommes pestiférés comme si la maladie psychique était contagieuse. Il est vrai qu’elle peut-être dérangeante et parfois effrayante.

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Ton frère a des accès de violence dont nous avons fait les frais toutes les deux. Le dialogue est interrompu avec lui. Il est déscolarisé et traîne à la maison.

J’ai perdu aussi la plupart de nos amis qui n’ont pas voulu prendre partie dans notre divorce. Je ne vois plus ma mère et mes trois sœurs. Vous n’avez plus aucun contact avec vos tantes, oncles, cousins et cousine.

C’est un tsunami qui s’est déversé sur nous.

Arrive la rentrée au lycée. Je crains pour toi. Ton côté brillant ne suffira plus pour masquer aux autres ta différence. A l’âge où les filles de ton âge cherchent à attirer le regard des garçons, toi tu es en train de creuser ta propre tombe pour y enterrer Emmanuelle. Mais je ne le savais pas encore vraiment. Nous évitons d’aborder le sujet qui te contrarie tant : ton identité biologique.

Désormais, tu te rends aux remises des prix en costume de garçon et nœud papillon. Tu flottes dans ton pantalon mais ce look masculin te va bien.

Plus tu avances vers l’âge de jeune adulte et plus tu refuses de grandir. Ce dernier cycle d’études secondaires s’achève très vite. Trois années que tu descends à reculons dans ton épanouissement personnel. Trois années au cours desquelles, ton angoisse va crescendo.

Au quotidien, tu gères, tu gères à ta façon. Tu as de plus en plus de tocs. Le moindre geste devient un enfer de rituels résistant aux traitements (comportementaux et médicamenteux) mis en place.

Je sais que tout devient difficile pour toi et encore je suis loin de m’imaginer à quel point. Tu me diras beaucoup plus tard, que tu te rendais au lycée en touchant et retouchant à tout sur ton passage et qu’un jour sous l’emprise d’une grosse angoisse, tu t’es perdue sous la pluie en rentrant à la maison.

Alertée par ton extrême maigreur, la médecine scolaire a réussi à t’obtenir un casier avec un double de livres. Tu n’arrives pas à gérer cette nouvelle organisation qui te perturbe au lieu de te faciliter la vie.

Résultat, tu te balades avec le double jeu de livres dans ton sac à dos !....Je n’arrive plus à t’aider car tu t’entêtes, tu veux faire à la façon qui te semble le plus simple pour toi. Surtout ne rien changer. Il ne faut pas changer de pièce, franchir un seuil, passer la dernière marche de l’escalier. Eteindre la lumière, fermer une porte, ouvrir un volet, tout changement d’état te plonge dans une angoisse extrême, difficile à calmer. Tes chaussures doivent être rangées d’une

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certaine façon dont toi seule détiens le secret. Les rituels sont de plus en plus longs, nous n’arrivons plus à être à l’heure aux rendez-vous. Parfois, lorsque tu restes totalement bloquée, je m’impatiente et là, c’est pire que tout. Si l’on te dérange pendant ce que j’appelle tes incantations, tu t’énerves car tu dois tout recommencer !...

La salle de bains, les toilettes sont pour toi des lieux de perdition.

Souvent, tu m’appelles à l’aide, tu n’arrives plus à t’habiller ou te déshabiller en une seule fois. Les lacets sont ta hantise, alors je suis agenouillée devant toi pour te les nouer et dès que j’ai le dos tourné, tu les défais à nouveau. Je suis obligée de te tenir les mains pour que tu ne recommences pas…Je lutte contre toi, je lutte avec toi pour essayer de te libérer des chaînes qui entravent tes mouvements en t’empoisonnant la vie.

Je sais, je sais ne pas rentrer dans les exigences du malade mais on fait quoi quand il hurle que l’on n’a pas marché sur le bon carreau ? On fait quoi lorsqu’il veut vous aider à mettre les courses sur le tapis de la caissière et qu’il reprend chaque article et le remet dans le chariot pour le reposer ensuite sur le tapis?

Tic de l’idée ruminante, angoisse de mort si l’on ne prononce pas telle phrase en accomplissant plusieurs fois le même geste. Combattre l’idée dérangeante pour finir l’action sur une idée plus rassurante. Tout cela je le sais aussi, je l’ai compris, tu m’as tout expliqué. Mais moi, je fais quoi pour ne pas sombrer avec toi ? Pour garder tout mon calme ? Pour continuer à te rassurer alors que je suis hyper inquiète ….Eh bien, je fais ce que je peux. Je puise sans cesse dans mes propres ressources, dans mes forces et surtout dans mon immense Amour maternel.

Tu révises ton baccalauréat en hurlant. Je sens bien que tu n’y arrives plus. Ton frère ne supporte plus tes tocs et comme vous ne vous adressez plus la parole, il a remplacé les mots par des coups. Il est en rivalité avec toi, car malgré vos quatre ans de différence, il passe un DAEU en même temps que toi. Tu obtiens ton bac Littéraire mention TB et lui son DEAU scientifique mention AB.

Tu as 17 ans et l’avenir devant toi…Les plus grandes universités ont accepté ta candidature mais au fond de toi, tu sais que tu ne pourras pas partir loin de la maison. Tu renonces à tes rêves de journalisme et optes pour des classes prépa dans le lycée où j’ai fait moi-même mes études jusqu’aux Lettres supérieures.

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J’attends les vacances d’été pour te reposer du stress des révisions. L’amour a déserté notre cellule familiale, ton frère s’oppose à nous, il n’y a plus de solidarité entre nous. Notre situation financière n’est plus du tout la même que du temps de votre père et nous sommes obligés de rogner sur beaucoup de choses, dont les vacances, les sorties et les loisirs.

Alors, tant bien que mal, nous continuons à nous épauler, toutes les deux, comme deux naufragées. Nous serrons les coudes pour lutter contre la tempête et nous continuons à avancer malgré tout…

Rentrée scolaire 2008, l’établissement n’étant pas loin de mon lieu de travail, j’assure tous tes trajets car les transports en bus t’angoissent trop. Je t’emmène tôt le matin, tu es obligée d’attendre l’ouverture du portail, à proximité. Le soir, selon ton emploi du temps, on s’attend.

A ce moment là, commencent les discriminations de toutes sortes. Cela fait mal de voir son propre enfant rejeté.

Je sais que cela ne pourra pas durer. Tu ne t’intègres pas du tout. Quinze jours auparavant, tu as dû subir une ablation des amygdales et les suites sont très douloureuses. Tu désertes la cantine où tu aurais pu te rapprocher des autres.

Lorsque tu pourras à nouveau la fréquenter, les groupes se sont formés et lorsque tu cherches une place, ils te repoussent dans ta solitude. Un groupe de BTS t’a prise à partie et attend ton passage pour t’insulter. Parfois, une de mes amies t’accompagnent à l’intérieur de l’établissement car tu commences à avoir peur d’y aller. Et moi, j’ai peur de déplacer le problème sur l’extérieur si je vais en parler à la vie scolaire.

A la maison pour la première fois, tu te laisses submerger par ton travail scolaire que tu n’arrives plus à boucler. Tes tocs te ralentissent. Tu écris, puis tu effaces pour écrire à nouveau, la même chose. A la lecture, tu répètes plusieurs fois les mêmes phrases que tu es obligée de terminer en criant.

Ton traitement médical a été augmenté, rien n’y fait. Souvent je t’entends parler alors que tu es seule dans ta chambre. Tu te bouches les oreilles. Quand je te demande pourquoi : tu me dis avoir des acouphènes…

Un week-end, alors que tu te reposais, je te retrouve les yeux à moitié fermés, la bouche enflée et tirée sur le côté, incapable de parler. Le médecin craint une attaque cérébrale. Direction les urgences qui viennent à bout de ta paralysie

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faciale avec des injections de correcteur. Le responsable de ton état étant les neuroleptiques.

Situation très angoissante car tu as besoin de toute évidence de ce traitement mais ton corps y réagit mal. Commence la valse infernale des molécules, des hospitalisations, des suivis médicaux dans plusieurs spécialités, etc, etc.

Il n’est plus question de prépas. Tu es obligée d’interrompre tes études pour raisons médicales .Je pensais que ce serait une interruption momentanée, je me trompais.

A ce moment là, qu’importe. C’est ta santé qui compte avant tout. Tu changes de psy car tu en as marre de t’entendre dire que la baguette magique n’a pas plus de pouvoir que l’objet qu’elle touche ?...

Ton état s’aggrave. Tu deviens adepte de l’auto-mutilation «  pour casser ta tête malade » comme tu l’exprimes en termes peut-être enfantins mais surtout très lucides.

Ton nouveau psy est souriant, compatissant et il fait ce qu’il peut. A chaque séance tu déposes sur son bureau, ta valise de souffrances. Lui t’écoute et essaie de réadapter ton traitement au gré des fluctuations de ton état.

Heureusement les médicaments mettent un couvercle sur les manifestations assez violentes de ta maladie. Camisole chimique certes, mais préférable aux véritables camisoles des asiles-ghettos d’antan.

Le diagnostic s’oriente maintenant vers un syndrome d’Asperger.

Juste avant tes dix huit ans, tu demandes à être hospitalisée dans un Centre d’Etudes et d’Observation pour Adolescents….qui n’a rien observé de tes troubles et dont le bilan ne donne rien de concret malgré un séjour d’un mois L’hôpital est vétuste, limite insalubre et surtout très sordide.

J’ai le cœur brisée de te laisser dans de tels lieux.

Tu perds confiance en la psychiatrie, et moi, mon opinion s’est hélas confirmée.

Manque de temps, manque de moyens, manque de budget, manque de compétences…le registre des manques est hélas au complet.

Malgré tout, tu rentres en hospitalisation de jour. Chaque jour, un VSL te dépose devant la structure et le soir je t’y récupère. Tu viens d’avoir 18 ans mais tu as

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basculé dans la psychiatrie secteur adultes. La moyenne d’âge est de 35/40 ans et le midi tu partages la salle de repas avec des Alzheimer.

La principale salle se trouve en rez de chaussée aménagé pour les activités, certainement un ancien garage qui reçoit très peu de lumière. Tu y resteras 6 mois complets. De toute évidence ce suivi n’est pas adapté, le soir quand je vais te chercher, tu sors en traînant les pieds, les yeux fixés au sol.

Ton angoisse est si forte que ta gorge serrée à nouveau ne laisse plus passer la nourriture solide. L’équipe soignante refuse de te nourrir en mixé malgré un certificat médical à l’appui. Je cache dans ton sac à dos des compotes, des desserts lactés car ton poids descend en flèche. L’essentiel étant de te nourrir coûte que coûte…

Je n’en dirai pas plus, mon but n’étant pas de faire le procès de la psychiatrie.

Le mois d’août et les vacances sont de retour. Nous pansons nos blessures. J’essaie de te faire oublier ton enfer. Marquée, tu n’es plus du tout la même.

Tu as de longs moments d’absence et la communication est parfois difficile à établir. Cependant, je garde confiance en tes ressources. Tu as déjà vaincu tellement d’épreuves, tu vas t’en sortir. D’ailleurs tu as le projet de reprendre tes études mais plus en prépa.

A la fin des vacances, tu te prépares donc à cette future reprise. Je vois bien que tu n’as plus la même capacité de travail. Tu as des problèmes de concentration et les traitements médicaux te fatiguent énormément. Je te conseille vivement de lever le pied et d’être moins exigeante avec toi-même. Ton perfectionnisme est plus fort que tout. Tu ne t’es jamais donnée le droit à l’erreur.

L’erreur c’était de croire que tout pouvait reprendre comme avant. C’était bien d’avoir essayé. Tu as tenu trois jours. Je suis obligée d’aller te chercher à l’intérieur de l’université. Tu es prostrée sur un banc, totalement déconnectée…

Pour toi, l’échec est cuisant .La prise de conscience que tu n’es plus capable est difficile à accepter. Tu as surtout perdu un des buts de ta vie : faire de brillantes études pour intégrer les grandes écoles. Toi qui connaissais si bien toutes les orientations possibles ! Désormais, à tous ces beaux projets, se substitue un grand vide et des angoisses concernant ton avenir…

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Je dois avouer qu’il m’a été difficile de faire moi aussi ce nouveau deuil. Mais, vois-tu la personne que tu es devenue ne m’inspire pas la même admiration mais force mon respect. Tu es un être de valeur, que la vie a malmené.

Et je te redis mon amour, grand, immense, illimité !

Pour le moment, tu ne veux plus retourner en hôpital de jour. La MDPH t’accorde un accompagnement à domicile avec une auxiliaire de vie…qui fait son possible. Elle restera 2 ans dans la mission, t’apportant son aide au mieux.

Après son départ pour raisons géographiques, de nombreuses personnes se succèdent dans le poste.

Au quotidien l’ennui s’installe un peu. Tu n’écris plus beaucoup et tu ne lis presque plus. L’intervention de l’auxi ne couvre pas entièrement mon horaire de travail. Tu attends mon retour du travail avec impatience…

Peu après tes 18 ans, tu me demandes la permission de couper tes longs cheveux. Je ne savais pas en regardant tomber au sol tes longues mèches que je scellais ainsi la fin de ton apparence féminine. Mais à ce moment là, ton visage est si rayonnant que j’en oublie mes serrements de cœur.

Un sourire de toi vaut bien tous les sacrifices du monde !

Un brusque épisode de paralysie inexpliquée de tes membres inférieurs me contraint à demander une suspension de mon contrat de travail. Tu resteras un mois en fauteuil roulant avec une insensibilité totale à partir du nombril.

Ma situation professionnelle commence à pâtir de mes absences. Appuyée par l’assistance sociale et le médecin du travail j’obtiens une mutation qui me rapproche de mon domicile. Je gère tant bien que mal, une situation chaotique.

Hospitalisation à temps plein suivies d’hospitalisation en hôpital de jour rythment ta vie. Changement de traitement, changement de psy, changement d’auxiliaire de vie perturbent ton équilibre déjà si précaire.

Tes journées sont rythmées par la prise des médicaments. Essai de nouvelles molécules dont on attend les effets .La maladie a envahi notre quotidien.

Physiquement, tu es de plus en plus masculine. Tu as enlevé tes petits brillants d’oreilles et tes cheveux sont de plus en plus courts .Ceux qui ne te connaissent pas, te prennent réellement pour un jeune homme.

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Grâce à ma foi, je ne perds jamais l’espoir de te voir aller mieux. Et pourtant, pourtant…

Nous sommes au lendemain de la Fête des Mères, lorsqu’un appel inquiet de l’auxiliaire de vie m’oblige une fois de plus à rentrer de toute urgence de mon travail. En chemin, je croise les pompiers. Jusque là, rien d’anormal, puisque leur caserne est à proximité de notre maison. Cependant, un sombre pressentiment m’oppresse la poitrine, confirmé à l’entrée du lotissement, les voisins sont dehors et le camion des secours est devant la maison.

Je crie :

-elle a sauté ! elle a sauté ! J’avais compris au vu de la situation décrite par l’intervenante.

Je n’ai pas le courage de rentrer tout de suite à l’intérieur. Mes jambes se dérobent. Puis le spectacle que j’allais découvrir :

Sur le carrelage de la terrasse ton visage baigne dans une mare impressionnante de sang. Lorsque je veux aller près de toi, les pompiers me barrent le passage. Un voisin qui a effectué les premiers secours m’affirme que tu es vivante. Mais rien ne peut me calmer, me rassurer. Dans mon affolement j’appelle notre curé qui vient me soutenir et me conseille d’aller à la chapelle et de prier.

Prier, j’en suis incapable mais une chose est sûre, je suis tout aussi incapable de suivre tout de suite les secours. C’est comme si j’avais reçu un grand coup sur la tête.

Mon enfant, mon Petit Prince déchu, mon Ange ! Tu n’as que 20 ans ! Une déchirure et en même temps une révolte intérieure : Pourquoi ? Pourquoi veux-tu m’abandonner ?...

Ta chute a été amortie par l’auxiliaire de vie qui a tenté de te rattraper dans ton vol. Tu t’en sortiras avec une fracture du nez, une fracture orbitale …

Cependant il y eut un Avant la chute et un Après. Maintenant je sais de quoi tu es capable. Tu m’avais avertie que tu ne supportais plus ta vie de fille. Pendant une année, je vais t’accompagner au Centre Hospitalier Régional pour un suivi avec une équipe spécialisée dans le transsexualisme. Le parcours de

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réassignation sexuelle te sera refusé, on te propose tout de même de t’y préparer afin de te forger un mental plus solide. Tu refuses cette pseudo-préparation.

Nouveau coup de glas pour toi : tous tes espoirs s’effondrent…

Ton portrait clinique s’est aggravé de convulsions très violentes dont l’origine épileptique reste à confirmer. Quoiqu’il en soit ton traitement vient s’alourdir d’anti- épileptiques qui parachèvent de plomber ton scaphandre de neuroleptiques.

Tu as contourné le refus des médecins de te transformer en garçon, en refusant de grandir en tant que fille. C’est ainsi que tu as amorcé ta lente régression. Tu t’es réfugiée dans la période la plus heureuse de ton existence pour vivre ton enfance de petit garçon que l’on t’a « volée » comme tu te plais à le dire…

Les deuils successifs que j’ai dû faire ont déposé dans mon cœur des couches de souffrances, mais cette sédimentation a épargné mon âme. Ta différence m’enrichit chaque jour. Toi, mon enfant lumière tu éclaires ma vie spirituelle. Tu me montres le chemin. Tu m’as rendue meilleure.

Etre aidant, mais avant tout être maman pour mon enfant Eternel, mon éternel enfant. Cet enfant si précoce avant, si petit, si fragile maintenant.

Etre là, à côté, tout à côté. Rassurer, redonner de l’espoir. Tenir ta main pour t’insuffler l’envie de vivre.

Te tirer de toute cette grisaille où t’entraînent les méandres de ton cerveau malade.

Te soustraire à cette vie léthargique où tu t’es englué, cette vie statique, pleine de tristesse, de frayeurs, d’angoisse. Où plus rien ne vaut la peine d’être vécu….

Cette vie vide de sens et qui fait offense à la vraie Vie.

T’empêcher de sombrer dans le Néant

Te donner sans cesse l’envie de te battre, de croire en des jours meilleurs.

Te donner tout simplement l’envie de te lever, de faire des choses et d’en éprouver du plaisir. Ce plaisir si souvent absent dans cette lutte incessante contre la maladie qui demeure omniprésente dans nos vies.

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Cette présence invisible mais si lourde, si palpable, qui nous a dépossédés de tout ce qui était notre vie avant.

Te faire oublier les souffrances, la maladie, les médecins, l’enfer carcéral des hôpitaux !...

Rêver de moments où l’on pourrait oublier les affres de la maladie psychique. Des heures d’une vie normale avec des soucis mineurs et non pas ces orages à repousser sans cesse pour éviter que ne tombe sur nous la foudre.

Oublier ces éclairs dans ta tête douloureuse, ces douleurs fulgurantes dans tes yeux, tes yeux qui dans ces moments là ne peuvent plus rien voir de la réalité.

Oublier ces douleurs dans les jambes qui te rendent la marche si pénible, ces douleurs digestives ...et surtout cette fatigue qui t’empêche d’avoir la vitalité de la jeunesse.

Et pourtant malgré tout, ta conscience d’un état difficile à stabiliser, d’un avenir angoissant du point de vue thérapeutique. Peur, peur de perdre totalement cette raison parfois défaillante…

Te rassurer quand tu perds tes repères et que tu te retrouves dans un univers qui te semble totalement étranger.

Dans ces moments de tourmente, je suis là comme un phare qui éclaire ta mer tourmentée. Comme un phare pour t’empêcher de venir te briser sur les écueils de la folie.

Prier quand on a encore la force….demander, implorer…

Je suis là pour t’empêcher de te noyer, pour te remonter à la surface, pour te ramener dans notre monde qui t’effraie tant !

Je t’aide mon enfant, je t’aide à ne pas perdre pied, tout en essayant de garder moi-même les pieds sur cette terre où nos existences pèsent si lourd !

J’ose à peine imaginer les combats que tu mènes contre ces cauchemars qui hantent la plupart de tes nuits. Je ne te lâcherai pas, puisque toi tu peux le faire, moi aussi, je le peux.

Souvenir fugace d’un bonheur qui s’en est allé suivre d’autres chemins qui ne croisent plus souvent le nôtre. Je demeure fière de toi, mon enfant car il faut un sacré courage, pour vivre ce que tu vis.

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Tout devient précaire, fragile comme ces rares moments de grâce auxquels il faut se cramponner pour pouvoir surmonter les assauts, les attaques de cette horrible maladie qui a envahi nos vies.

Difficile d’oublier qu’elle est toujours là tapie, sournoise, ne demandant qu’à éclater pour nous pourrir notre quotidien. Elle ne prend jamais de vacances et ne nous en laisse pas.

Loin de nous les fêtes familiales, les rencontres amicales, la légèreté des nuits d’été…

Je t’aide mon enfant, avec tout mon Amour, je t’aide par ma présence, ma patience, je t’aide comme je le peux. Avec mes faiblesses, mes doutes, je t’aide.

A deux c’est plus facile de lutter contre l’Ennemie, mais plus nombreux ce serait mieux. Hélas les rangs se sont vidés…

Crois moi, le poulpe que tu as dans la tête comme tu l’as toi-même baptisé, n’a peut-être pas fini de déverser son encre noire mais s’il le fallait je lui couperai ses tentacules une à une et nous finirons bien par l’avoir !

Peut-être faut-il savoir te laisser t’ensevelir pour te voir renaître.

Et, en attendant que tu veuilles bien grandir, je ferai de ton scaphandre une combinaison spatiale légère, aérienne, flottante comme doit être la vie d’un enfant. Une vie Libérée…

La vie est une tragédie, prends- la à bras le corps. (Mère Teresa)

Je dédie mon témoignage à tous les aidants familiaux.

A toutes ces personnes qui donnent de leur Amour, de leur Temps pour le bien-être des malades.

A toutes ces mamans qui se battent avec leurs enfants,

A toutes ces mamans qui se battent pour leurs enfants.

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