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Fiche concept : Le déclassement Extrait du BO n°21 du 23 mai 2013 Programme de terminale, enseignement obligatoire Sociologie 1. Classes, stratification et mobilité sociale 1.2 Comment rendre compte de la mobilité sociale ? Mobilité intergénérationnelle/in tra-générationnelle, mobilité observée, fluidité sociale, déclassement, capital culturel, paradoxe d'Anderson. Après avoir distingué la mobilité sociale intergénérationnelle d'autres formes de mobilité (géographique, professionnelle), on se posera le problème de sa mesure à partir de l'étude des tables de mobilité sociale dont on soulignera à la fois l'intérêt et les limites. On distinguera la mobilité observée et la fluidité sociale et on mettra en évidence l'existence de flux de mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale. On étudiera différents déterminants de la mobilité et de la reproduction sociale : l'évolution de la structure socioprofessionnelle, le rôle de l'école et de la famille. Acquis de première : groupe d'appartenance, groupe de référence, socialisation anticipatrice, capital social. 1] Définitions du déclassement La définition initiale du déclassement est qu’une personne est considérée comme déclassée si son diplôme est supérieur au diplôme nécessaire à l’emploi qu’elle occupe. Elle émane des travaux de l’économiste nord-américain Georges Freeman (1971, 1975, 1976) qui est l’un des premiers à s’être document.docx Page 1 sur 36 Aix-Marseille, nov. 2016

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Fiche concept : Le déclassement

Extrait du BO n°21 du 23 mai 2013Programme de terminale, enseignement obligatoireSociologie 1. Classes, stratification et mobilité sociale

1.2 Comment rendre compte de la mobilité sociale ?

Mobilité intergénérationnelle/intra-générationnelle, mobilité observée, fluidité sociale, déclassement, capital culturel, paradoxe d'Anderson.

Après avoir distingué la mobilité sociale intergénérationnelle d'autres formes de mobilité (géographique, professionnelle), on se posera le problème de sa mesure à partir de l'étude des tables de mobilité sociale dont on soulignera à la fois l'intérêt et les limites. On distinguera la mobilité observée et la fluidité sociale et on mettra en évidence l'existence de flux de mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale. On étudiera différents déterminants de la mobilité et de la reproduction sociale : l'évolution de la structure socioprofessionnelle, le rôle de l'école et de la famille.

Acquis de première : groupe d'appartenance, groupe de référence, socialisation anticipatrice, capital social.

1] Définitions du déclassement

La définition initiale du déclassement est qu’une personne est considérée comme déclassée si son diplôme est supérieur au diplôme nécessaire à l’emploi qu’elle occupe.

Elle émane des travaux de l’économiste nord-américain Georges Freeman (1971, 1975, 1976) qui est l’un des premiers à s’être interrogé sur le problème du surinvestissement éducatif dans l’enseignement supérieur dans « Overinvestment in college training ? » et « overeducateg american ».

Si Freeman et les anglo-saxons utilisent plutôt la notion de sur éducation, en France, c’est la notion de déclassement (scolaire) qui est la plus prisée en sciences sociales.

En France, ce thème est venu à la mode à la fin des années 90. On a utilisé la notion de déclassement pour désigner « la situation des personnes qui possèdent un niveau de formation supérieur à celui normalement requis pour l’emploi qu’elles occupent » (Y. Fondeur et C. Minni, Le déclassement à l'embauche des jeunes, rapport pour le Commissariat Général du Plan, 1999, IRES).

Mais les travaux effectués sur ce thème ne se limitent pas à cette seule acceptation du terme.

Le déclassement est utilisé pour caractériser de nombreuses situations individuelles ou collectives (pour un groupe social, une génération).

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Ainsi par exemple au niveau collectif et intergénérationnel, le déclassement caractérise le fait pour une part des représentants d'une génération de ne pas parvenir à un emploi, une position sociale, une qualification ou un salaire de même niveau que ceux des parents. Dans ce cas le déclassement peut être assimilé à la mobilité sociale descendante ou démotion sociale.

Camille Peugny, par exemple, considère « qu’est déclassé tout individu qui ne parvient pas à maintenir la position sociale de ses parents. ».Camille Peugny, Le déclassement, Grasset, 2009).

2] Relier la notion à un sur-ensemble et/ou la décomposer en sous-ensemble

« Depuis plusieurs années, le thème du déclassement a fait son apparition dans le débat public pour caractériser la situation d’individus ou de groupes confrontés à une dégradation de leurs conditions de vie. Au-delà des débats occasionnés pour partie par le caractère polysémique du concept – le déclassement peut notamment se mesurer au cours du cycle de vie ou impliquer une comparaison entre générations en rapportant le sort d’un individu à celui de ses ascendants ».Camille Peugny, Des classes moyennes déclassées ? Les limites d’une analyse globalisante, Les Cahiers Français, N°378, Janvier-février 2014, Documentation Française.

2.1 . Déclassement individuel ou collectif

Le déclassement peut être appréhendé pour un individu mais aussi pour un groupe social, une génération, cohorte…

- Au niveau individuel, le déclassement correspond à la mobilité descendante d’un individu.

- Au niveau collectif et intergénérationnel, le déclassement caractérise le fait pour une part des représentants d'une génération de ne pas parvenir à un emploi, une position sociale, une qualification ou un salaire de même niveau que ceux de la génération des parents.

2.2. On peut distinguer le déclassement intergénérationnel de l’intra générationnel.

- Le déclassement (social) intergénérationnel est la mobilité intergénérationnelle descendante ou la situation du fils qui occupe une position sociale inférieure à celle de son père au même âge (en général vers 40 ans). On parle aussi de démotion sociale.

Avec l’étude de la mobilité observée, on constate une légère progression du déclassement depuis le début des années 1980. De ce point de vue, le déclassement est un phénomène en progression – la situation est plus fréquente que par le passé – mais minoritaire dans la mobilité.

- Le déclassement (social) intra générationnel est le fait pour une personne d'occuper une position sociale de niveau inférieure à la fin de sa vie active à celle qu'elle occupait au début de sa vie active. On peut l’assimiler alors à une mobilité sociale intra générationnelle descendante.

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2.3. On peut distinguer plusieurs approches du déclassement :

- Le déclassement scolaire (over-education) : situation qui décrit la situation « de tout individu dont le niveau de formation initiale dépasse celui normalement requis pour l’emploi occupé » (Emmanuelle Nauze-Fichet et Magda Tomasini, « Diplôme et insertions sur le marché du travail. Approches socioprofessionnelle et salariale du déclassement » in Économie et Statistique, n° 354, INSEE, novembre 2002). Forgeot et Gautié (1997) le caractérisent ainsi : « Pour un employé, le fait de posséder un niveau de formation a priori supérieur à celui requis pour l’emploi qu’il occupe ».

- Le déclassement professionnel est utilisé de deux manières différentes, soit comme synonyme de déclassement scolaire, soit comme synonyme de mobilité sociale intra générationnelle descendante :

o Le déclassement professionnel peut caractériser la situation d’un jeune entrant sur le marché du travail qui occupe une profession dont le statut social est inférieur à celui auquel il pourrait en théorie prétendre du fait de son diplôme.

o Le déclassement professionnel peut aussi être employé pour un individu qui passe d’un emploi classé à un rang supérieur à un autre moins valorisé. Par exemple, la situation d'un individu qui, après une période de chômage, se trouve dans la nécessité d'accepter un emploi moins prestigieux que celui qu'il occupait auparavant.

- Le déclassement salarial : peut caractériser la situation des individus qui ont un salaire inférieur à celui obtenu, en moyenne, par des individus ayant un diplôme inférieur ou par la situation d’individus qui acceptent des emplois plus faiblement rémunérés que les précédents lors de changement d’emplois.

- Le déclassement statutaire : passer d’un contrat à durée indéterminée à des formes plus précaires d’emploi lors de changement d’emplois.

- Le déclassement résidentiel : lorsque le statut résidentiel n’est plus à la hauteur du statut social. A relier à l’élévation du prix de l’immobilier qui rend l’accès au logement dans certains quartiers de plus en plus réservés à des populations privilégiées.

Pour Louis Chauvel le déclassement résidentiel « prive les jeunes générations d’accès aux territoires dynamiques en termes d’emploi ».

2.4. Le déclassement objectif et subjectif

- Le déclassement dans sa version objective est celui qui peut être mesuré institutionnellement ou statistiquement.

- Le déclassement professionnel dans sa conception « subjective » correspond au ressenti des individus. Il est mesuré lors d’enquête sur la perception qu’ont les personnes de leur emploi. On demande par exemple à la personne interrogée si elle estime que son niveau de compétences (savoir-faire, savoir être, savoir apprendre) est

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sous-utilisé dans l’emploi qu’elle occupe. Le taux de déclassement subjectif est obtenu en comparant la réponse et le niveau de diplôme effectivement obtenu.

- La peur du déclassement est un phénomène encore d'une autre nature, c'est la perception du risque de déclassement. C'est une notion psychologique et sociale distincte de la réalité du déclassement proprement dit, notamment sur le plan quantitatif... Sont concernés par la peur du déclassement des individus qui ne le subiront peut-être pas.

3] Des mesures du déclassement (professionnel)

On utilise trois approches pour mesurer le déclassement professionnel.

- Dans l’approche normative on considère qu’il il existe une correspondance entre le niveau du formation et l’emploi. Jusqu’à la fin des années 1990, des grilles de correspondances entre emploi et diplômes étaient utilisées. Elles visaient à rapprocher les contenus d’emplois et de formations, tels qu’ils sont établis par l’Éducation nationale et au sein des accords interentreprises. Aujourd’hui encore, on considère qu’un titulaire d’un niveau 5 est normalement ouvrier ou employé qualifié alors qu’un titulaire d’un niveau 2 ou 1 est cadre. Ainsi, par exemple, les titulaires de BAC +5 devraient avoir un emploi de cadres. S’ils sont employés à un niveau inférieur à celui de cadre, ils sont déclassés. Mais ces grilles de correspondance sont représentatives d’une époque et peuvent donc ne plus l’être à une autre.

Marie Duru-Bellat précise que « certaines situations autrefois atypiques, anormales d’un point de vue statistique, deviennent alors « normales » au sens statistique. Si l’on établit un indicateur de déclassement une année donnée à partir d’une table de correspondance d’une année passée, on risque de surestimer l’ampleur du déclassement, alors qu’il apparaîtra moins fort si on prend une table de correspondance plus récente. À l’évidence, en la matière, la date de la période d’observation est capitale. » (OSC – Notes & Documents N° 2009-01 Marie Duru-Bellat – La question du déclassement (mesure, faits, interprétation) …)

- Dans l’approche statistique, on considère que le niveau normalement requis pour occuper un poste peut être défini par rapport au niveau de diplôme de la majorité de personnes occupant ce type d’emploi. Donc une personne se rapprochant de cette catégorie d’individus ne sera pas considéré comme déclassé. A l’inverse sera considéré comme déclassé l’individu qui occupe un emploi que la majorité des individus occupent avec moins de diplôme. Il est aussi possible de s’intéresser à la correspondance entre le diplôme et le salaire pour mesurer le déclassement salarial. C’est-à-dire que l’on définira comme déclassé les individus qui ont un salaire inférieur à celui obtenu, en moyenne, par des individus ayant un diplôme inférieur.

- L’approche subjective s’intéresse au sentiment du salarié à l’égard de son travail. Par exemple, dans le cadre d’enquêtes, on interrogera un individu sur l’opinion qu’il a de l’emploi qu’il occupe actuellement. Il sera considéré comme déclassé s’il se dit être utilisé dans son emploi en dessous de son niveau de compétences. Il ne sera pas déclassé s’il déclare être utilisé à son niveau de compétences ou au-dessus. Ce type de

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mesure est très dépendant de la perception de l’individu de sa situation. La réponse peut-être notamment dépendante, toutes choses égales par ailleurs : de l’origine sociale de la personne (les fils de cadres s’estiment davantage déclassés que les fils d’ouvriers) ; les hommes s’estiment plus déclassés que les femmes ; les actifs travaillant dans le secteur privé davantage que les fonctionnaires ; les titulaires de l’enseignement supérieur de formation générale davantage que ceux ayant suivi une formation professionnelle.

Ces trois méthodes conduisent à des résultats différents au niveau des taux de déclassement professionnel.

4] Distinguer le déclassement de notions proches

Dans « La mobilité sociale descendante : l’épreuve du déclassement », en 2007, Camille Peugny écrivait : « Pour des raisons d’expression et pour ne pas lasser trop souvent l’attention du lecteur, nous utiliserons indifféremment les expressions de « mobilité sociale descendante », « mobilité intergénérationnelle descendante » ou « déclassement social » dont sont victimes les « déclassés » ou les « mobiles descendants ». Certaines notions que nous listerons ci-dessous peuvent donc être considérés comme des synonymes de déclassement.

- La mobilité sociale désigne le changement de position sociale pour un individu ou un groupe d’individus.

- La mobilité sociale verticale correspond au passage d’une position sociale à une autre, ascendante (promotion sociale) ou descendante (démotion sociale).

- La mobilité sociale horizontale concerne le passage d’une position sociale à une autre jugée équivalente.

- La mobilité intergénérationnelle désigne « l’écart entre la position des pères et celle des enfants » (reproduction ou immobilité, déclassement, ascension ou élévation). Elle peut-être :

o Descendante (démotion ou déclassement social) : l’individu occupe une position sociale inférieure à celle de son père.

o Ascendante : l’individu occupe une position sociale inférieure à celle de son père.

- La mobilité intra-générationnelle ou professionnelle se manifeste par le changement de profession d’un même individu au cours de sa vie active (stagnation, régression ou promotion).

- La mobilité observée (ou taux absolus de mobilité) est une mesure de la mobilité sociale totale parmi une population. Cette mesure se fait à partir de tables de mobilité qui croise la position d'un enquêté (le « fils ») avec celle de son père.

- La fluidité sociale est mesurée avec les taux relatifs de mobilité qui comparent les chances relatives des fils d’accéder à une catégorie sociale en fonction de leur origine

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sociale. La fluidité étudie la structure et de la force du lien entre origine et position sociales lorsque cette association statistique est envisagée indépendamment de l'état de la distribution socioprofessionnelle des pères et de celle des fils.

- Le paradoxe d'Anderson est un paradoxe empirique selon lequel le fait d’avoir un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée. Ce paradoxe a été mis en évidence par le sociologue américain Charles Arnold Anderson en 1961 dans un article intitulé « A Skeptical Note on the Relation of Vertical Mobility to Education » publié dans la revue American Journal of Sociology. Pour lui, contre toute attente, les statistiques étudiées montrent qu’il y a à la fois une corrélation forte entre le niveau d’instruction et le statut social des individus et une corrélation faible entre l’élévation du taux de scolarisation et la mobilité sociale, ce qui signifie au bout du compte que l’acquisition d’un diplôme scolaire supérieur à celui de son père n’assure pas nécessairement au fils une position sociale plus élevée.

- Inflation scolaire (Duru-Bellat) : l'inflation des diplômes tend à réduire la valeur marchande du diplôme. La structure de qualifications des emplois évoluant moins vite que celle des flux de diplômés : les jeunes ont mécaniquement de plus en plus de mal à trouver un emploi en rapport avec leur niveau de diplôme. Autrement dit il y a un décalage entre la qualification des diplômes (la formation des individus) et la qualification des emplois (les compétences requises pour l’occuper). Les qualifications des emplois n’ont pas vu les qualifications requises pour les occuper augmenter autant que les diplômes des personnes qui postulent.

- Capital social (selon Pierre Bourdieu) : « ensemble des ressources actuelles ou potentielles, qui sont liées à la possession d’un réseau de relations durables, plus ou moins institutionnalisées, d’interconnaissance et d’inter reconnaissance.. » mobilisables.

- Capital culturel : ensemble des ressources culturelles détenues par un individu et qu'il peut mobiliser.Selon Pierre Bourdieu, le capital culturel peut existes sous trois formes :- à « l’état incorporé », « sous la forme de dispositions durables de l’organisme »,

c'est-à-dire qu'il fait partie de l'individu lui- même en tant que dispositions apprises lors du processus de socialisation et qui sont mises en œuvre

- à l’ « état objectivé » sous la forme de biens culturels, tableaux, livres, dictionnaires, instruments… 

- à l’ « état institutionnalisé » sous la forme de compétences culturelles attestées par des titres scolaires (diplômes)

5] Le déclassement dans des sujets tombés au baccalauréat

Notion dans l’intitulé des sujets :- Quelle relation peut-on établir entre déclassement et paradoxe d’Anderson ? (Nouvelle

Calédonie 2013)- Montrez que le paradoxe d’Anderson peut de mettre en évidence une forme de

déclassement. (Amérique du Nord 2013)

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Notion utile pour traiter les sujets :

De mobilisation de connaissances :- Montrez qu’une partie de la mobilité sociale peut s’expliquer par l’évolution de la

structure socioprofessionnelle. (Septembre 2014)- Comment peut-on expliquer le paradoxe d’Anderson ? (2013)

De raisonnement :- Vous montrerez que l’école ne parvient pas toujours à assurer une mobilité sociale.

(Polynésie, rattrapage 2014)- Montrez la contribution de l’école (de la famille, de l’emploi) à la mobilité sociale.

(2013)- Montrez les effets de l’évolution de la structure par catégories socioprofessionnelles

sur la mobilité sociale. (Étranger 2013)

De dissertation :- Quel rôle joue l’école dans la mobilité sociale ? (Amérique du nord, 2016)- Quel rôle joue la famille dans la mobilité sociale ? (Polynésie, 2014)- L’école favorise-t-elle la mobilité sociale ? (Liban 2013)

6] Quelques sources

- Christian Baudelot et Roger Establet, Avoir 30 ans en 1968 et 1998, éd. du Seuil, février 2000

- Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, La République des idées, éd. du Seuil, 2006.

- Louis Chauvel, La Spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions, éd. du Seuil, septembre 2016 

- Louis Chauvel, « Oui, les inégalités progressent en France ! », Le Monde, 18 octobre 2016, (http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-les-inegalites-progressent-en-france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99)

- Marie Duru-Bellat, L'inflation scolaire, La République des idées, éd. du Seuil, 2006.- Marie Duru-Bellat, La question du déclassement (mesure, faits, interprétation) …,

Notes & Documents, 2009-01, Paris, OSC, Sciences Po/CNRS. (http://www.sciencespo.fr/osc/sites/sciencespo.fr.osc/files/nd_2009_01.pdf)

- Richard B. Freeman, Overinvestment in college training ?, The journal of human ressources, vol. X, 3., 1975.

- Richard B. Freeman, The overeducatec american, Academic Press, New York, 1976- Jean-François Giret, Emmanuelle Nauze-Fichet, Magda Tomasini, Le déclassement

des jeunes sur le marché du travail, Données sociales, La société française, 2006, INSEE. (http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/donsoc06yi.pdf)

- Éric Maurin, La nouvelle question scolaire, Le Seuil, 2007.- Éric Maurin, La peur du déclassement  : une sociologie des récessions, éd. du Seuil,

2009.- Dominique Goux, Eric Maurin, Les nouvelles classes moyennes, Seuil, coll. « La

république des idées », 2012.

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- Camille Peugny, La mobilité sociale descendante : l’épreuve du déclassement, Sciences de l’Homme et Société, ENSAE ParisTech, 2007. (https://pastel.archives-ouvertes.fr/pastel-00003938/document)

- Camille Peugny, Le déclassement, Paris, Grasset, 2009.- Camille Peugny, Des classes moyennes déclassées ? Les limites d’une analyse

globalisante, Les Cahiers Français, N°378, Janvier-février 2014, Documentation Française. (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403785/3303330403785_EX.pdf)

- Camille Peugny (sous la dir.), La montée du déclassement, Problèmes économiques et sociaux, N°976, septembre 2010, La Documentation française

- Louis-André Vallet, Quarante années de mobilité sociale en France, L'évolution de la fluidité sociale à la lumière de modèles récents, Revue française de sociologie, XL-1, 1999, 5-64. (http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1999_num_40_1_5146#rfsoc_0035-2969_1999_num_40_1_T1_0017_0000)

- La mesure du déclassement, Rapport du CEA, 2009, La Documentation française. (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/094000528.pdf)

- Le déclassement, entre mythe et réalité, Alternatives Économiques Poche, n° 059, janvier 2013.

- Des jeunes de plus en plus souvent déclassés, Centre d’observation de la société, octobre 2016. (http://www.observationsociete.fr/des-jeunes-de-plus-en-plus-souvent-d%C3%A9class%C3%A9s)

- Le sentiment de déclassement s'accroît, Centre d’observation de la société, octobre 2016, (http://www.observationsociete.fr/le-sentiment-de-d%C3%A9classement-saccro%C3%AEt)

- Le déclassement, Formation et emploi, Them@doc, CNDP (http://www.cndp.fr/entrepot/themadoc/formation-et-emploi/reperes/declassement-scolaire.html)

- Rapport Lignes de faille, une société à réunifier, France Stratégie, 31 Octobre 2016, www.strategie.gouv.fr (http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-ok.pdf)

POUR ALLER PLUS LOIN

7] Le déclassement est une notion sujette à controverse

Le thème du déclassement scolaire (professionnel) a déjà été abordée dans les années 1960-70 même si le terme de déclassement n’était pas utilisé. C’est le cas notamment dans les travaux de Raymond Boudon et Pierre Bourdieu. Ce thème est revenu d’actualité dans les années 1980 et n’a plus quitté depuis le devant de la scène.

Les questions centrales, qui suscitent des polémiques toujours vives, tournent autour :- de l’ampleur et du contenu du phénomène du déclassement- du rôle de la valeur des diplômes/qualifications et sur leur capacité à protéger du

déclassement- du déclassement ressenti ou réel- de la question des relations entre diplômes et emplois

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- du déclin de la méritocratie- des politiques d’éducation qui découlent de l’interprétation du déclassement- …

7.1. Les travaux fondateurs sur la sur éducation

Les travaux de Richard B. Freeman sur la sur éducation (The overeducatec american, Academic Press, New York, 1976)

Richard B. Freeman constate durant la décennie 70, contrairement à la précédente, que les salaires des diplômés baissent significativement et les déclassements sont de plus en plus nombreux.  Selon lui, cela s’explique par la combinaison de plusieurs phénomènes :

- D’une part, il existe un excès d’offre dû aux générations du baby-boom alors que la demande d’emplois de cadres a ralenti et,

- D’autre part, il y a eu une diminution du taux de rendement des études supérieures par l’augmentation du coût de ces études. Il formalise cette idée en 1971 par un « modèle en toile d’araignée ».

Le Modèle de la toile d’araignée de Freeman

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Source : http://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1994_num_116_5_5703#ecop_0249-4744_1994_num_116_5_T2_0141_0000

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- En France, en s’inspirant notamment des travaux de Freeman, les travaux de Forgeot et Gautié, (1997) montrent un développement massif du déclassement à l’embauche, c'est-à-dire que les compétences requises pour l’emploi occupé sont inférieures aux diplômes ou qualifications demandés. Il est à noter que ces travaux s’intéressent principalement au déclassement dans sa dimension individuelle.

7.2. La contestation de la thèse du déclassement

- La thèse de l’existence du déclassement a été remise en question par Éric Maurin

Éric Maurin, en 2007, dans « La nouvelle question scolaire », étudie l’impact de la hausse du niveau de formation des jeunes actifs sur leur insertion sur le marché du travail. Il considère que l’investissement en éducation contribue à réduire le chômage et la précarité parmi les jeunes et contribue à la hausse relative des salaires des premiers cycles universitaires. C’est le diplôme qui permet d'accéder en grande majorité au statut de cadre. Ainsi, une personne non-diplômée concentre tous les risques de ne pas obtenir de statut. Néanmoins, il montre que la démocratisation scolaire bénéficie surtout aux enfants d'ouvriers et de professions intermédiaires. La peur d'échouer à l'école est donc plus forte pour les classes supérieures qui peuvent perdre beaucoup. La démocratisation scolaire a, donc selon lui, eu des effets positifs sur la situation professionnelle des générations qui se sont succédé, même si les diplômes ont perdu de leur valeur. Si l’accès à l’enseignement supérieur n’avait pas été amplifié, les conditions d’emploi des jeunes générations auraient été plus difficiles.

En 2009 dans « La peur du déclassement : une sociologie des récessions », Éric Maurin précise que l’investissement différentiel en capital humain segmente les nouvelles générations. Il constate qu’en période de ralentissement de l’activité économique, les diplômés de l’enseignement supérieur ont la possibilité de passer des concours de la fonction publique de catégorie B, emplois moins qualifiés mais protégés, possibilité qui n’est pas offerte aux personnes qui sont sorties du système scolaire à des niveaux plus faibles. Par ce choix stratégique, ils relèguent les moins diplômés sur les segments les plus instables du marché du travail, les condamnant à un déclassement subi.

- Par ailleurs Éric Maurin, dans « La nouvelle question scolaire » considère que le phénomène saillant des années 70 est « la peur du déclassement » plus que le déclassement lui-même. Il s’est particulièrement interrogé sur les liens entre le déclassement réel et sa perception. La peur du déclassement qui inquiète un nombre croissant de Français, repose sur la conviction que personne n'est plus protégé de la perte de son emploi, de son salaire,… de son statut. La peur pose un problème spécifique dans le cadre de l'économie française contemporaine, car être licencié entraîne une période de chômage de longue durée et la perte d'un statut. Dès lors, la peur du déclassement est importante car elle a un coût élevé. Elle induit un comportement protecteur de la part de ceux qui ont le plus à perdre (les classes moyennes et les classes supérieures).

Extrait d’une interview d’Éric Maurin au Monde (2009)

Pourquoi le déclassement est-il devenu la préoccupation majeure en France ?Il faut distinguer le déclassement et la peur du déclassement. Le déclassement est une réalité qui touche la société à la marge. Alors que nous traversons une des pires récessions de notre

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histoire, le nombre de salariés ayant perdu un emploi stable dans les 12 derniers mois est, par exemple, de l'ordre de 300 000 personnes. Sur un plan personnel et familial, ces licenciements représentent un drame, mais ils ne concernent cependant qu'une toute petite fraction de la société, à peine 1 % de la population active totale. L'immense majorité des Français reste en fait à l'abri de la déchéance sociale.A l'inverse, la peur du déclassement est ressentie par l'ensemble de la société, y compris par les classes moyennes et supérieures, celles qui ont le plus à perdre. Cette peur est la conséquence de politiques publiques qui, depuis cinquante ans, ont systématiquement privilégié la protection de ceux qui ont déjà un emploi plutôt que le soutien de ceux qui n'en ont pas. Progressivement s'est constitué un rempart de droits sociaux entre les salariés à statut (CDI) et la précarité sociale.L'aspect positif, c'est que les salariés en place ont été de mieux en mieux protégés. L'aspect négatif, c'est que cette barrière est devenue de plus en plus difficile à franchir pour tous les autres. Les salariés à statut en ont bien conscience qui craignent plus que tout de tomber de l'autre côté de la barrière. Plus les statuts sont protégés, moins souvent on les perd, mais plus on perd quand ils disparaissent. […]L'angoisse scolaire n'a jamais été aussi forte. Pourquoi ?On fait un contresens total lorsqu'on avance que la valeur des diplômes se serait réduite. C'est l'inverse : jamais les diplômes n'ont été aussi déterminants pour l'obtention de statuts au sein de la société. En 2008, le chômage parmi les diplômés du supérieur est inférieur à 10%. Pour les non diplômés, il monte à 50 %, soit un écart de 40 points. La différence n'était que de 10 points au milieu des années 1970.L'impératif de ne pas échouer à l'école est devenu écrasant. L'enjeu de la compétition scolaire n'a jamais été aussi élevé, les diplômes ont pris une valeur exorbitante. C'est particulièrement angoissant pour les familles. 

Source : Le Monde, 7 octobre 2009 ( http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/10/07/eric-maurin-toute-reforme-sera-percue-comme-une-remise-en-cause-d-un-statut-

acquis_1250331_3224.html#lC733CsdLbRHcGXM.99)

- Dans Les nouvelles classes moyennes, Eric Maurin (et Dominique Goux), persistent à contester les thèses du déclassement en s’intéressant plus particulièrement à celui supposé des classes moyennes défendu par Louis Chauvel.

S’ils admettent l’existence d’une peur du déclassement chez les classes moyennes, ils récusent la thèse de leur paupérisation. Selon eux, les déclassés dans les classes moyennes sont minoritaires. Quant à un éventuel déclassement scolaire des enfants des classes moyennes, ils le contestent et affirment même qu’ils ont eu tendance à rattraper leur retard sur les enfants de cadres. Néanmoins, les difficultés pour accéder aux grandes écoles, et donc à l’élite, restent fortes et sont à la source d’une frustration pouvant entre autres expliquer ce sentiment de déclassement. Plus globalement, Dominique Goux et Éric Maurin considèrent qu’il n’y a ni déclassement salarial, ni résidentiel, ni scolaire, ni sur le marché du travail.

Extrait d’une interview, par Sylvain Bourmeau, d’Eric Maurin publié dans Libération le 12 janvier 2012 « Politiquement les classes moyennes ont un rôle d’arbitre qu’elles n’ont jamais eu avant »

[…] Peut-on parler déclassement des classes moyennes ?En termes de statut social, il est assez inexact de se représenter les classes moyennes contemporaines comme peuplées de personnes ayant une position professionnelle inférieure à

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celle de leurs parents et donc habitées par ce ressentiment particulier qu’éprouvent les déclassés à l’égard de la société. Au sein des classes moyennes, seule une petite minorité de personnes se trouvent dans cette situation (de l’ordre de 15 %) et cette proportion est très stable dans le temps. De même, il est faux de se représenter les enfants de classes moyennes comme en déclin scolaire ou social par rapport aux enfants des autres milieux sociaux : à bien des égards c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Les enfants de classes moyennes ont par exemple plutôt progressé dans les classements scolaires depuis trente ans. Chaque fois qu’une réforme scolaire a tendu à égaliser les chances entre les classes populaires et les classes moyennes (le collège unique par exemple), on a pu constater un surinvestissement énorme de la part des familles de classes moyennes pour maintenir le rang scolaire de leurs enfants, en les poussant chaque fois un cran plus loin dans leurs études. L’école est devenue l’une des sources majeures de statut social dans notre société et elle représente pour les classes moyennes un enjeu et une angoisse essentielle.

Avec la hausse des prix, n’y a-t-il pas quand même un déclassement résidentiel des classes moyennes ?Depuis dix ans, les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté, plus vite que les revenus, mais tout le monde souffre, pas seulement les classes moyennes. Quand on compare les voisinages dans lesquels résident les classes moyennes, on ne constate aucun déclin, aucune dilution sociale, aucun rapprochement avec les classes populaires. Il est indiscutable qu’une fraction non négligeable des familles des classes moyennes est aujourd’hui comme prisonnière de quartiers en voie d’appauvrissement qu’elles n’ont pas ou plus les moyens de quitter. Mais c’était déjà le cas il y a dix ans et surtout une proportion tout aussi importante de classes moyennes continue à fuir ces quartiers pour s’assurer une promotion territoriale. Les classes moyennes n’ont pas lâché non plus en termes d’accession à la propriété, alors que les classes populaires ont lourdement décroché, notamment chez les jeunes. Les inégalités entre classes sociales devant la propriété du logement ont explosé au cours des quinze dernières années. […]

Source : http://www.liberation.fr/societe/2012/01/12/politiquement-les-classes-moyennes-ont-un-role-d-arbitre-qu-elles-n-ont-jamais-eu-avant_787684

- Le rapport « Lignes de faille, une société à réunifier » d’octobre 2016, de France stratégie note que « La menace du déclassement social est omniprésente, en décalage avec les trajectoires mesurées »

Extrait du rapport Lignes de faille, une société à réunifier, France Stratégie, 31 Octobre 2016, www.strategie.gouv.fr (http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-ok.pdf)

« 2.1. Le regard des Français : une crainte omniprésente de déclassement social

Trois Français sur quatre se positionnent dans la classe moyenne inférieure ou en dessous

Les Français s’identifient de moins en moins aux classes moyennes et davantage aux classes populaires.Le sentiment d’appartenir à la classe moyenne, qui rassemblait trois Français sur quatre en 2006, n’était plus partagé en 2013 que par deux Français sur trois. La classe moyenne, si elle demeure le groupe d’appartenance le plus mentionné, est en recul.

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Le sentiment d’appartenir aux classes populaires s’est accru depuis quinze ans. 59 % des Français se sentaient appartenir aux classes moyennes inférieures, populaires et défavorisées en 1999 ; ils sont 74 % en 2015.

Un peu plus de la moitié des Français ont une perception de leur niveau de vie relatif qui n’est pas conforme à sa mesure objective : un tiers d’entre eux le sous-estiment et un cinquième le surestiment. Un Français sur dix seulement se classe dans le tiers des plus aisés. Deux Français sur trois se classent dans le tiers intermédiaire, dont le niveau de vie n’est ni le plus faible, ni le plus élevé. […]

Un Français sur deux juge sa situation sociale moins bonne que celle de ses parents La menace du déclassement social est omniprésente, en décalage avec les trajectoires mesurées. Le sentiment d’un déclassement social intergénérationnel est désormais majoritaire : entre 2002 et 2015, la part des Français considérant que leur situation sociale est moins bonne que celle de leurs parents au même âge est passée de 17 % à 54 %. La situation sociale est un terme générique, qui peut recouvrir de nombreuses dimensions : niveau de vie, mais aussi reconnaissance sociale, positionnement sur le marché du travail, sentiment de sécurité économique, facilité à se loger et qualité du logement, etc. Le pessimisme apparaît moins prégnant lorsqu’on interroge les Français plus précisément sur leur niveau de vie. Il reste qu’un quart d’entre eux répondent en 2011 que leur niveau de vie est inférieur à celui de leurs parents1.

Les Français jugent que leur pouvoir d’achat se dégrade Sept Français sur dix ont le sentiment que leur pouvoir d’achat a régressé depuis cinq ans. En 2014, deux Français sur trois déclaraient boucler le mois sans mettre d’argent de côté (38 %), vivre sur leurs réserves (21 %), ou prendre des crédits pour boucler leur budget (8 %). C’est 11 points de plus qu’en 20082. Quatre Français sur dix disaient avoir dû supprimer certaines dépenses et se priver plus qu’avant.

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2.2 Les chiffres

Un niveau de vie qui stagne depuis la crise, mais une progression des niveaux de vie qui demeure de parents à enfants C’est un fait avéré : le niveau de vie des Français a cessé d’augmenter avec la crise financière. Les différents indicateurs qui en rendent compte stagnent ou reculent légèrement entre 2008 et 2015 (niveaux de vie médian et moyen, pouvoir d’achat par unité de consommation, PIB par habitant). Pour autant, à âge donné, d’une génération à la suivante, la progression des niveaux de vie demeure réelle. Cette progression a été plus forte pour les générations nées dans les années 1930 et 1940, puis pour celles nées dans les années 1960 et 1970. Certes, depuis la crise, compte tenu de la stagnation, voire du recul des niveaux de vie, la progression s’est interrompue si l’on compare deux générations proches, distantes l’une de l’autre de cinq ans (graphique 9). Cependant, il est prématuré de conclure que cette interruption est durable : pour des générations plus éloignées, c’est-à-dire de parents à enfants, la hausse des niveaux de vie demeure la règle.

La France reste une société de classe moyenne Définie comme l’ensemble des ménages dont le revenu avant impôts est compris entre deux tiers et deux fois le revenu médian, la classe moyenne représente deux tiers de la population en France contre une moitié seulement aux États-Unis. Qui plus est, l’érosion de la classe moyenne américaine est un phénomène ancien et marqué là où, en France, le mouvement ne

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s’observe que depuis 2009. En évolution, la classe moyenne perd 1,5 point de pourcentage en France entre 1996 et 2012, contre 3,6 points aux États-Unis1 (graphique 10).

Sur les dix dernières années, la part des employés et des ouvriers diminue légèrement au sein de la population active, même si elle reste majoritaire, tandis que la part des professions intermédiaires, des cadres et des professions intellectuelles supérieures s’est accrue (graphique 11).

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Les trajectoires ascendantes sont plus fréquentes que les trajectoires descendantes sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles Les trajectoires intergénérationnelles descendantes sur l’échelle des catégories socioprofessionnelles restent beaucoup moins nombreuses que les trajectoires stables ou ascendantes. 22 % des individus de 30 à 59 ans occupaient en 2003 une position sociale inférieure à celle de leurs parents, tandis que 39 % s’étaient élevés au-dessus de la condition de leurs parents. […]La part des Français qui ont connu une mobilité sociale descendante au cours de leur carrière augmente, mais elle reste faible : entre les périodes 1980-1985 et 19982003, la proportion de trajectoires descendantes a plus que doublé, passant de 3,2 % à 7,4 % chez les hommes et de 3,1 % à 7,1 % chez les femmes. Dans le même temps, les trajectoires ascendantes ont augmenté de 9,7 % à 13,2 % chez les hommes, et de 6,6 % à 9,7 % chez les femmes2.

Le fonctionnement de l’ascenseur social varie fortement selon le territoireLes chances d’ascension sociale des individus d’origine populaire (soit les enfants d’ouvriers et d’employés) varient du simple au double selon leur département de naissance. L’ascenseur social fonctionne bien dans certaines régions – Île-deFrance, Bretagne, Midi-Pyrénées – et mal dans d’autres – Poitou-Charentes, Picardie, Nord-Pas-de-Calais. Pour les individus d’origine populaire, la mobilité ascendante apparaît faiblement liée au dynamisme économique des territoires. Elle est en revanche fortement liée à l’éducation : les territoires à forte mobilité sociale ascendante sont ceux où les taux de diplômés du supérieur – en général et chez les classes populaires en particulier – sont les plus élevés. De ce point de vue, la massification de l’enseignement supérieur depuis un quart de siècle a produit des effets importants : une hausse de 10 points du taux de diplômés est associée sur le territoire à une hausse de 6 points des chances d’ascension sociale, l’impact moyen étant le même que les régions soient économiquement favorisées ou non. Cependant, d’un département de naissance à l’autre, les taux de diplômés du supérieur varient du simple au double parmi les enfants d’ouvriers et d’employés et aucun rattrapage des disparités géographiques n’est observable : les taux de diplômés du supérieur n’ont pas augmenté plus vite là où ils étaient historiquement faibles. Le rattrapage ne semble toujours pas avoir lieu pour les générations nées entre 1980 et 1990, encore en formation initiale au moment des enquêtes utilisées, avec des écarts de taux d’accès à l’enseignement supérieur de 15 points entre départements extrêmes. Les positions supérieures dans l’échelle sociale restent difficilement accessibles Les filières scolaires d’excellence contribuent à la reproduction sociale : les enfants des familles favorisées y sont les plus nombreux. En 2014-2015, les enfants de cadres ou de professions intellectuelles supérieures représentaient 17 % des Français de 18 à 23 ans, mais 30 % de l’ensemble des étudiants français, 47 % des étudiants en formation d’ingénieur, 50 % des élèves de classe préparatoire aux grandes écoles, et 53 % des élèves des écoles normales supérieures1. Parmi les étudiants en cursus universitaire, ils représentaient 28 % des étudiants en licence, 34 % des étudiants en master et 34 % des étudiants en doctorat. En 2015, 72 % des élèves de l’ENA avaient un père cadre, enseignant, dirigeant d’entreprise, ou exerçant une profession libérale ou intellectuelle.

Source : http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport-lignes-de-faille-ok.pdf

Le contenu de ce rapport a donné lieu à une critique de Louis Chauvel dans un article du Monde du 18 octobre 2016 « Oui, les inégalités progressent en France ! »,

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http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-les-inegalites-progressent-en-france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99) auquel Jean Pisani-Ferry a répondu dans un article du Monde « Les Français ont une propension à dépeindre systématiquement le gris en noir » du 20 octobre 2016 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/20/pourquoi-les-francais-voient-tout-en-noir_5016819_3232.html#BzctG4xtwPJj6VGF.99)

Réponse de Jean Pisani-Ferry :« […] Dans « Le Monde » du 18 octobre, le sociologue Louis Chauvel accusait le dernier rapport de France Stratégie de nier le déclassement systémique dont la société française serait victime. Jean Pisani-Ferry, le commissaire général de l’organisme, lui répond.Louis Chauvel semble avoir fait sienne la maxime d’Oscar Wilde qui, pour ne pas se laisser influencer, ne lisait jamais les livres dont il devait faire la critique.Que dit en effet « Lignes de faille », le rapport qui suscite son animosité ? Certainement pas que la France va bien ni que les Français devraient se contenter de leur sort. Une décennie ou presque sans croissance du revenu par tête, cela ne s’était pas vu depuis soixante-dix ans. Un pays où le patrimoine des 10 % les plus riches est huit fois supérieur au patrimoine médian ne peut être qualifié d’égalitaire. Un taux de chômage de 50 % des jeunes non qualifiés, c’est un désastre. Un écart de sept points, à qualification égale, entre le taux de chômage des descendants d’immigrés et celui des natifs, c’est une insulte à l’égalité.Tous ces faits, et bien d’autres, forment la base du rapport. Mais ce que nous relevons aussi, c’est la propension des Français à dépeindre systématiquement le gris en noir. La pauvreté atteint 14 % d’entre eux contre 22 % des Espagnols, mais la crainte de devenir pauvre est plus répandue que chez notre voisin.La classe moyenne rassemble deux Français sur trois contre un Américain sur deux, mais nous nous représentons la société comme plus pyramidale qu’eux ; la France des territoires s’alarme de son unité perdue, mais nous sommes le pays parmi les grands d’Europe où l’inégalité entre régions reste la plus faible. Et ainsi de suite.[…] Finalement, la société que décrit notre rapport est sans doute traversée de failles moins profondes que celles que perçoivent nos concitoyens. Mais, parce que chacune d’entre elles met en lumière une défaillance du contrat social, elles induisent davantage d’inquiétude que des fractures qui seraient plus prononcées, mais susceptibles de solutions mieux repérées.Si tel est bien le cas, le pessimisme des Français est une forme de lucidité, non pas tant sur le constat de la situation que sur notre capacité à la transformer.C’est d’une nouvelle grammaire de la vie en commun qu’ils sont aujourd’hui en attente. Cela passe par la clarté des règles et l’universalité de leur application ; par la précision des missions assignées aux institutions ; par la redéfinition du contrat social ; mais certainement pas par l’hystérisation des divisions qui nous traversent. »

Source : Jean Pisani-Ferry « Les Français ont une propension à dépeindre systématiquement le gris en noir », Le Monde, 20 octobre 2016 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/20/pourquoi-les-

francais-voient-tout-en-noir_5016819_3232.html#BzctG4xtwPJj6VGF.99)

7.3. Les partisans de la thèse du déclassement sont nombreux

- La thèse de la dévalorisation des diplômes (Marie Duru-Bellat)

Marie Duru-Bellat ne partage pas la thèse d’Eric Maurin (et Dominique Groux).

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Il reste qu’il semble difficile de nier toute réalité au déclassement, sauf par principe, comme le fait par exemple récemment É. Maurin (2007). Dans La nouvelle question scolaire, celui-ci prétend en trois pages dénoncer ce qu’il appelle le « mythe de la dévalorisation des diplômes ». La thèse est que les travaux actuels sur le déclassement comparent ce qui n’est pas comparable : les bacheliers d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, donc cela n’a pas de sens de comparer leur devenir avec les bacheliers d’il y a vingt ans. En d’autres termes, puisqu’on a affaire à des populations moins sélectionnées, « il n’existe à ma connaissance pas de moyens de déterminer de combien réellement la valeur des diplômes a baissé ou augmenté ». Malgré cet agnosticisme, il confronte une population moins étroite et un taux d’emploi plus élevé (sans aborder la question de la nature de l’emploi obtenu à niveau d’éducation donné) et conclut « il semble clair que les rendements des diplômes a plutôt augmenté ». On pourra ne pas être convaincu de la portée générale de ce constat, notamment parce qu’il est établi sur une période de temps limitée et spécifique. ». […] Dès lors que les relations entre formation et emploi évoluent, la reproduction sociale qui se jouait par l’intermédiaire du diplôme possédé va à son tour évoluer, comme l’analysent des travaux récents (Chauvel 1998 ; Peugny 2007). De fait, tous les paramètres du triangle qui lie origine sociale/éducation/destinée professionnelle sont marqués par de profondes évolutions : les diplômes sont moins « payants » tout en étant par ailleurs plus répandus et un peu moins inégalitaires, et dans un contexte où les places « bougent » moins que dans les décennies précédentes. Le constat majeur est la dégradation des chances d’ascension sociale, ce qui est une évidence structurelle puisque des générations massivement mieux formées sont en concurrence pour des places attractives qui ne sont pas plus nombreuses ; on conçoit aisément que la mobilité sociale ascendante a plus de chances d’avenir quand 20 % d’une classe d’âge (diplômée) vise des emplois qui correspondent à 15 % des places (comme c’était le cas au début des années 1980) que lorsqu’ils sont 40 % à viser des places qui ne représentent guère que 18 à 20 % des emplois. Les études montrent par conséquent une élévation des « chances » de descente sociale, et ce dans tous les milieux sociaux, et de manière progressive, pour les individus nés après les années 1940. C’est ainsi qu’« à l’approche de la quarantaine, près d’un fils de cadre sur quatre né au tournant des années 1960 occupe un emploi d’ouvrier ou d’employé » (Peugny 2007). Par conséquent et sans surprise, sauf à imaginer que les diplômes créent leurs propres débouchés, on observe un amenuisement des relations entre formation et emploi.

Source : Marie Duru-Bellat. La question du déclassement (mesure, faits, interprétation) ..., 2009.

L’explication du déclassement de Marie Duru-Bellat est proche de celle notamment de Raymond Boudon (1973) selon laquelle la dévaluation de la valeur des titres scolaires s’explique par un problème de débouchés. D’une part, la part des emplois de haut niveau évolue moins vite que celle des diplômes de haut niveau. D’autre part, le chômage persiste et touche davantage les non-diplômés. L’individu n’a donc pas intérêt à arrêter ses études plus tôt pour occuper un emploi. D’où une tendance à l’inflation de la demande de diplômes d’autant que le rapport entre le nombre de diplômés et le volume des places à occuper ne correspond pas. Elle note que, ce sont les catégories défavorisées qui en sont les premières victimes. Les catégories supérieures ont une meilleure connaissance du rendement différentiel des diplômes, elles ont aussi le capital économique pour poursuivre le plus longtemps les études et pour valoriser les titres scolaires. À formation égale, les diplômés de l’enseignement supérieur d’origine modeste font moins appel à leur entourage pour trouver un emploi et se concentrent davantage dans le secteur public que les jeunes dont le père cadre leur facilite l’accès à une palette plus variée d’emplois.

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L’analyse faite par Marie Duru-Bellat la conduit à considérer que l’État devrait concentrer ses efforts sur ceux qui sortent du système éducatif sans diplôme plutôt que sur l’objectif de 50 % d’une classe d’âge dotés d’un diplôme de l’enseignement supérieur.

- En 2000, dans « Avoir 30 ans en 1968 et 1998 », Christian Baudelot et Roger Establet étudiaient la rentabilité des diplômes à l’âge de 30 ans, à 30 ans de distance.

Sur 30 années, ils ont mis en évidence trois tendances : o Les fils de cadres et d’ouvriers sont davantage diplômés de l’enseignement

supérieur, ils sont davantage cadres mais cela ne compense pas la dévalorisation de leur diplôme.

o Les filles de cadres et d’ouvriers sont les gagnantes de la progression du nombre de diplômés et de postes de cadres.

o Les filles de cadres et d’ouvriers perdent davantage que leurs homologues masculins en bas de la hiérarchie, même si l’amélioration de leur formation a pu freiner la dégradation de leur situation sur le marché du travail (elles sont souvent chômeuses, employées ou ouvrières). La prolétarisation concerne davantage les enfants d’ouvriers que ceux de cadres.

En 30 années, le système éducatif a davantage produit de diplômés et réduit fortement les sans-diplôme. Néanmoins le nombre de sans-diplômes reste supérieur au nombre d’emplois non qualifiés, ce qui condamne cette population au chômage, d’autant plus qu’elle est concurrencée par celle des diplômés qui peuvent occuper, faute de mieux, de tels emplois. L’école est engagée dans la voie des rendements décroissants : renchérissement des scolarités et sous-emploi de la main-d’œuvre formée.

- Dans son livre « Les classes moyennes à la dérive » en 2006, Louis Chauvel considère que le rendement social des diplômes diminue car la structure sociale évoluait plus lentement que celle des diplômés.

Mais toutes les cohortes ne sont pas touchées de manière identique pour trois raisons. o Premièrement, lorsque les recruteurs n’ont pas anticipé une hausse du nombre

de diplômés et qu’ils recrutent encore selon les anciennes normes. C’est ainsi que les bénéficiaires d’une expansion scolaire peuvent bénéficier quelque temps de la rente de rareté de leurs prédécesseurs mais a contrario leurs successeurs peuvent être moins nombreux donc plus sélectionnés et, pourtant, subir une érosion de leurs titres.

o Le deuxième facteur qui peut contrecarrer la baisse tendancielle de la valeur des diplômes est l’état de la conjoncture économique, elle dépend de l’état du marché du travail : les employeurs se montrent plus ou moins exigeants selon que l’offre de diplômés est excédentaire ou déficitaire.

o Le troisième facteur expliquant pourquoi la baisse du rendement social des diplômes n’est pas linéaire est relatif au fonctionnement du marché du travail.

« Le déclassement des classes moyennes n’est pas un fantasme, c’est une réalité », Interview de Louis Chauvel pour Capital publié le 08/02/2012 Les classes moyennes sont au cœur de la campagne présidentielle et leur situation fait débat au sein des « experts ». Le sociologue Louis Chauvel*, démonte l’essai Les Nouvelles Classes moyennes dans lequel les auteurs expliquent que le déclassement social est une fiction.

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Capital.fr : A en croire l’essai Les Nouvelles Classes moyennes, de Dominique Goux et Éric Maurin, celles-ci ont certes peur du déclassement, mais elles n’ont pas été rétrogradées. Cette thèse va à l’encontre de vos travaux…Louis Chauvel : Nier ce déclassement est étonnant. Cela vient peut-être du prisme réduit de leur étude, puisqu’ils ne s’intéressent qu’à une partie des classes moyennes : celle située au niveau des professions intermédiaires en emploi. C’est-à-dire les instituteurs, techniciens, petits ingénieurs, travailleurs sociaux. En ignorant tous ceux qui ont effectivement dévissé de ce niveau, ils se concentrent sur les survivants du déclassement. L’autre biais considérable de cette analyse est de ne pas se donner les moyens d’analyser la différence entre ceux qui bénéficient de l’apport des parents ou d’un héritage reçu et ceux qui n’ont que leur travail pour se loger, consommer, partir en vacances, améliorer les études de leurs enfants. Certes, comme le disent Dominique Goux et Éric Maurin, le nombre de jeunes propriétaires a augmenté dans les années 2000-2005, mais au prix d'un « reste à vivre » après remboursement qui a fortement diminué, comme le montre Fanny Bugeja dans ses travaux sur le logement et la consommation. Aujourd’hui, à Paris et dans les grandes villes de France les ménages ne peuvent plus acheter sans une aide massive directe de leur famille. Les autres, et ils sont légion, se mettent dans des situations économiquement difficiles et doivent se rabattre sur des quartiers qu’ils auraient évités dix ans plus tôt. Le logement est symptomatique du déclassement des classes moyennes qui ne disposent que des fruits de leur travail : si vos parents ne sont pas riches et généreux, vous allez devoir travailler deux fois plus longtemps qu’en 1995 pour le même logement, ou perdre beaucoup de temps dans les transports, ou choisir pour vos enfants de mauvaises écoles.

Capital.fr : Ces auteurs feraient donc fausse route…Louis Chauvel : Il suffit d’analyser le parcours des Français après l’obtention de leur diplôme pour s’en convaincre. Il y a 25 ans le Bac était le ticket d’entrée dans les classes moyennes et suffisait pour grimper dans l’échelle sociale. Aujourd’hui, le baccalauréat est le diplôme qui mène droit aux couches populaires et les professeurs des écoles sont plus souvent des titulaires d’un master qui n’ont pas trouvé de meilleure place. Un Bac + 2, qui permettait encore de devenir ingénieur maison ou cadre il y a une dizaine d’années, est aujourd’hui relégué à des fonctions subalternes. Le diplôme est devenu une condition de plus en plus nécessaire et de moins en moins suffisante de l’obtention du statut de classe moyenne. Les classes moyennes intermédiaires étudiées par Dominique Goux et Eric Maurin ne sont pas les gagnants de cette guerre des diplômes. Le déclassement des classes moyennes n’est pas du ressenti, c’est une réalité.

Capital.fr : Quand a débuté ce déclassement ?Louis Chauvel : Les générations nées en 1960 en sont les premières victimes. Elles sont en effet arrivées sur le marché du travail lorsque le chômage des jeunes commençait à flamber. Elles ont donc dû faire des concessions salariales et de statut pour obtenir leur job : CDI à la chaîne, stages, piges, intérim... Or les analyses sur la France montrent qu’une fois que l’on a accepté le déclassement, il est ensuite très dur de rattraper le retard pris en début de carrière. L’histoire sociale en France ne repasse pas les plats. C’est le début du toboggan social. Depuis ce phénomène s’est amplifié, et l’intensification de la crise que nous vivons a peu de chances d’arranger les choses. La situation des ménages qui se sont fortement endettés pour acquérir un logement depuis 2005 est préoccupante. Ils sont en effet en train de rembourser un bien qui pourrait perdre de la valeur dans les prochaines années, ce qui alimente leurs angoisses et risque de les appauvrir. Et encore je ne parle pas des victimes du chômage ou d’une rupture familiale, obligés de céder leur bien en situation de faiblesse dans la négociation. Au moins 250.000 ménages sont dans une situation à risque.

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Capital.fr : Comment les jeunes peuvent-ils éviter ce déclassement annoncé ? Louis Chauvel : L’exode économique est une solution. C’est terrible à dire mais l’herbe est souvent plus verte ailleurs. Le Québec, le Canada, les États-Unis peuvent être une option. Pour ceux dont les dons en langues sont plus acérés, Singapour ou la Chine continentale peuvent offrir des carrières vraiment excitantes. Pour d’autres raisons - choc démographique et raréfaction des jeunes travailleurs - l’Allemagne et le nord de l’Italie vont offrir de nouvelles opportunités à saisir. Les jeunes Français débrouillards, bons en langues et qui habitent dans les régions frontalières pourraient en profiter. […]

Source : http://www.capital.fr/a-la-une/interviews/le-declassement-des-classes-moyennes-n-est-pas-un-fantasme-c-est-une-realite-696354#

En septembre 2016, avec « La Spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions », Louis Chauvel persiste à penser que les classes moyennes sont dans une spirale du déclassement. À partir de données et de comparaisons internationales, il récuse les thèses selon lesquelles le déclassement ne serait qu’une peur. Il considère que le déclassement est transféré sur la génération suivante. Cette génération se retrouve avec un niveau de statut inférieur à celui de ses parents. Elle subit aussi le déclassement scolaire, et le déclassement résidentiel… Il décrit un monde « en déconstruction », sous l’effet d’une double rupture : la montée des inégalités de classe et celle entre générations (la « paupérisation des jeunes », sacrifiés au profit des retraités). Ces deux fractures, sociale et générationnelle, s’additionnent, se complètent, et produisent finalement un « déclassement systémique ». Les causes en sont le ralentissement de la croissance économique, la difficulté pour les jeunes d’entrer sur le marché du travail, la dévaluation des diplômes, mais aussi l’accroissement des inégalités de patrimoine, en particulier de patrimoine immobilier, entre ceux qui sont propriétaires de leur logement et les autres. Il précise qu’il ne s'agit pas de remplacer les inégalités de classes par celles de générations, mais de montrer la complémentarité de leur dynamique : avec le creusement des inégalités patrimoniales, les écarts au sein des nouvelles générations sont appelés à se renforcer entre héritiers protégés par leurs "garanties" familiales et détenteurs de diplômes dévalorisés.Louis Chauvel considère que nous sommes entrés dans une ère d’ « inégalité sidérale » dans laquelle le phénomène de « repatrimonalisation » des richesses ne signifie pas seulement « un handicap croissant pour ceux qui n’ont que leur salaire », mais aussi « le rétablissement de modèles dynastiques de familles, où la gestion du patrimoine hérité est une dimension structurante de la relation intergénérationnelle ». Le creusement des inégalités conduit ainsi « une partie des classes moyennes et des générations nouvelles à suivre les classes populaires sur la pente de l’appauvrissement, entraînant une spirale générale de déclassement ».

(Lire aussi un article de Louis Chauvel dans un article du Monde du 18 octobre 2016 « Oui, les inégalités progressent en France ! », http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/17/oui-les-inegalites-progressent-en-france_5014752_3232.html#hO3LWdavz3cUks7r.99)

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