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© Thomas C. Durand 2006

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Psyché

Tragédie comique Thomas C. Durand

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Durée : 2 heures

Décor : Palais du roi Midas, à Ancyre. Résumé La légende de Psyché, amoureuse de Eros, plus que légèrement adaptée avec une famille (re)composée de Midas, roi dépressif qui ne parle qu'en alexandrins ; Pasiphaé, reine égoïste et piètre mère ; Pandore et Cassandre en improbables soeurs de Psyché ; et Psyché elle-même, jeune princesse au charme ravageur à laquelle bien des prophéties ont prédit un destin hors du commun. Reconnaissons aussi que c'est un peu ce qu'on attend d'une prophétie... Personnages. Tirésias : Vieux devin aveugle. Conseiller du roi. Silène : Vieux satyre, principal conseiller. Pasiphaé : Reine d'Ancyre. Mère de Pandore, Cassandre et

Psyché. Midas : Roi d'Ancyre. Père des trois princesses. Pandore : Première princesse d'Ancyre. Cassandre : Deuxième princesse d'Ancyre. Psyché : Troisième princesse d'Ancyre. Diomède : Officier protocolaire du palais. Hésioné : Dame de compagnie. L'Amour : Mystérieux personnage. Ajax : Prince de sang, promis à Pandore.

Jason : Prince également, venu épouser Cassandre.

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Acte 1 Décor : Les jardins du palais d'Ancyre.

Scène 1—— Tirésias & Silène.

Silène est sur scène. Il boit en riant. Tirésias, le devin aveugle, entre en scène, s'aidant de son bâton.

Tirésias — Bonsoir Silène.

Silène — Maître Tirésias ! Viens donc t'asseoir près de moi. Je devine que tu fuis l'agitation du palais. Tout n'est que cris et sanglots à l'intérieur. Alors quoi, il est mort ?

Tirésias — Non. Le prince Astérion a fui.

Silène — Ouh, ça, elle va mal le prendre ! J’ai noté cette propension étrange de la princesse Pandore : elle montre moins de rage à voir ses fiancés morts qu’à les savoir libres. Comment le roi réagit-il ?

Tirésias — Il a commandé à ses mercenaires d’aller lui chercher la tête du fuyard.

Silène — Bien fait. Quel manque d'égard de la part d'Astérion. Quelle trahison, quelle tristesse, et quelle sale habitude ! N'est-il pas le treizième prétendant à échapper aux noces ?

Tirésias — Mais seulement le troisième à y survivre…

Silène — Ca, il est un peu tôt pour en juger, mon ami, ah ah !

Tirésias — Certes. Je crains qu'Ancyre ne perde de son attractivité à l’égard des jeunes princes en quête d’une vie… longue.

Silène — On en fera venir des vieux. Ha, ha ! Tout ça finira bien par s'arranger. Les choses ne peuvent pas continuer indéfiniment de tourner aussi mal.

Tirésias — En vertu de quoi ne le pourraient-elles pas ?

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Silène — Oh, écoute. On ne va pas reparler de ces histoires de malédiction. Les dieux ont mieux à faire que de foutre en l'air les noces de nos princesses !

Tirésias — Les occupations des dieux, si nous les connaissions, auraient de quoi nous surprendre.

Silène — Pure hypothèse ! Être un dieu, c’est peut-être très ennuyant. J’en suis convaincu. Pour autant, comment imaginer Zeus tout excité par des histoires de mariages princiers… allons ! Je dis que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes.

Tirésias — Tout cela pourrait être évité. J'avais prévenu le roi. Il ne m'a pas écouté.

Silène — C'est un roi ! Il t'écoutera quand tu te décideras à lui dire ce qu'il veut entendre.

Tirésias — Cela risque d’arriver, si le roi veut qu’on lui annonce de grands désastres et la chute de sa dynastie.

Silène — Mais oui. Dis-le-lui dès maintenant ! De grands désastres : il sera ravi.

Tirésias — Le royaume a grand besoin d’une alliance, d’un mariage avec un voisin puissant. Notre isolement se fait chaque jour plus grand et plus menaçant. Il faut que tu parles au roi.

Silène — Je ne suis pas devin.

Tirésias — Mais tu es son premier conseiller. Il est de ton devoir d’ouvrir les yeux du roi sur les sujets qu’il néglige. J'ai entendu la princesse Pandore jurer de se donner la mort si un autre de ses soupirants devait la délaisser.

Silène — Elle est coutumière de ce genre de promesse. Mais je la crois trop attachée à ses caprices incessants pour se tuer volontairement.

Tirésias — La princesse Cassandre a plusieurs fois affirmé que la jeune Psyché causerait du tort à ses sœurs, qu’elle ruinerait leurs efforts pour devenir heureuse.

Silène — Cette petite Cassandre dit n'importe quoi. Elle veut juste qu'on s'intéresse à elle.

Tirésias — Oublies-tu, Silène, que j'ai moi aussi prophétisé que le mariage des filles du roi pouvait causer la chute de la maison

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royale ? J'ai dit au roi Midas qu'il devrait mettre un terme momentané à ces fiançailles continuelles. Mais il s'obstine.

Silène — Et s'il avait raison de persévérer ?

Tirésias — Mais s’il avait tort ? Il devrait éloigner Psyché : lui trouver un époux.

Silène — Comment le blâmer de vouloir préserver pour un temps encore la fraîcheur de sa cadette ? Allons Tirésias, tu sais bien que la beauté de Psyché est d'une grande étrangeté, et que celui qui pose ses yeux sur elle en tombe aussitôt amoureux.

Tirésias — J’ai entendu dire…

Silène — Hélas ! L’amoureux se voit tout à coup et tout entier paralysé, irrésolu, torturé. Qu’ont-ils dit, tous, sans exception ? Qu’ils s’estimaient indignes d’elle et honteux de leurs sentiments. Et ainsi, par treize fois, les princes venus épouser Pandore ou Cassandre se sont épris de leur jeune sœur, malgré eux. Et par treize fois les malheureux, comme gagnés de folie se sont enfuis, ou suicidés.

Tirésias — Ou entretués.

Silène — A cela nulle raison logique ne semble présider. L’irrationnel est roi, nous le savons bien. Midas n'est pas homme à se défaire de ses joyaux. Et Psyché est sans conteste le plus beau.

Tirésias — Ce n'est pas de la beauté de Psyché dont il est question.

Silène — Tu dis ça parce que tu ne l'as jamais vu !

Tirésias — Pour prendre une mauvaise décision, on saura toujours trouver mille excuses, en cherchant bien. Voilà trop longtemps que le roi veut forcer le destin et se trouve en bute aux limites de son pouvoir. L’avenir n’a que faire des aspirations des rois.

Silène — Oui. Il les contredit souvent.

Tirésias — Or l’avenir n’a pas encore d’époux à offrir aux princesses aînées. C’est ainsi que j’interprète les évènements.

Silène — Cela risque de leur déplaire.

Tirésias — Le contraire serait étonnant. Les trois princesses désirent suivre l'exemple de leur mère. Elles veulent le bonheur comme s'il leur était dû. Un bonheur qui passe, allez savoir

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pourquoi, par le mariage. Pandore veut un seigneur, Cassandre un confident, et Psyché veut l'amour.

Silène — N'est-elle pas servie ?

Tirésias — Aucun homme n'ose l'approcher, Silène. Quant aux manifestations bruyantes des princes qui se battent en son nom, elle prétend n'y voir que désir et orgueil.

Silène — La pauvre enfant. Quelle infamie ! Être la proie du désir et de l'orgueil des hommes ? Elle est bien la première. Ah, ces princesses !

Tirésias — Pandore ni Cassandre ne contracteront mariage avant que leur sœur Psyché ne rencontre l’amour.

Silène — Est-ce un oracle ? Est-ce officiel ? C'est ce que tu as dit à Midas ? Et malgré tout le roi s’obstine dans ses projets… Je devine tes pensées : le roi voudrait-il garder Psyché pour lui, la jugeant trop pure pour être donnée à un homme ? Sont-ce des intentions à prêter à un père affectueux ?

Tirésias — Tu remarqueras que je n'ai rien dit.

Silène — Peut-être devrais-tu laisser traîner tes oreilles de l'autre côté des murs du palais. Tu entendrais le peuple murmurer le nom de Psyché avec une retenue presque déférente. Tu entendrais chuchoter qu'une telle beauté — fatale, c'est le mot— ne peut être celle d'une simple mortelle. On commence à dire qu'il se trouve une déesse derrière ce visage. Alcyoné, la prêtresse d'Aphrodite a d'ailleurs très mal pris la chose. Elle est même venue en parler au roi, sur un ton passablement emporté, il y a quelques jours. Elle a osé exiger de sa majesté que sa plus jeune fille soit vite mariée ou bien chassée du royaume avant la nouvelle lune. Midas a vociféré, il a gémit, il en a appelé à Zeus et Hadès, et a même menacé Alcyone d’interdire le sacrifice des colombes par décret royal. La prêtresse a perdu son calme mais le roi lui a imposé le silence. Pour conclure, toutefois, il a promis d'agir.

Tirésias — Te trouvais-tu dans la pièce lors de cet échange ?

Silène — Le mur de mon cabinet est d'une finesse ! On entend tout ce qui se dit de l'autre côté. Il faudrait y remédier, sans quoi il pourrait se produire des indiscrétions.

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Tirésias — J’imagine qu’il n’y a aucun risque, au contraire, puisque c’est toi qui te trouve généralement dans ce bureau.

Silène — Dès le départ de la prêtresse, je suis venu conseiller au roi de se mettre en quête du mari de Psyché.

Tirésias — Ainsi, tout le monde le lui aura dit.

Silène — En réponse à ma suggestion, il a convoqué au palais tous ses capitaines pas plus tard qu'hier. Après une rapide introduction, il leur a ordonné de lui demander la main de sa fille.

Tirésias — Voilà qui n'est guère conventionnel.

Silène — A tel point qu'aucun des capitaines n'a osé faire un pas en avant ni le moindre geste. Le roi s'est légèrement emporté et a fait décapiter le premier qui lui est tombé sous la main. Mais comme les autres refusaient toujours de prétendre à Psyché, même au péril de leur vie, il en a fait décapiter deux autres. A ce moment là, il a dû se rendre compte qu’il perdait le contrôle de la situation.

Tirésias — J’ai entendu dire qu’il n'était pas très intelligent de massacrer tous les officiers de son propre royaume.

Silène — Les capitaines encore debout en un seul morceau ont vite regagné leur poste. Le roi a peut-être perdu la confiance de l’armée.

Tirésias — Aucune importance. Toutes les armées du monde seront impuissantes à empêcher l’accomplissement du destin que le roi aura appelé sur nous.

Silène — Eh bien… Aurais-tu manqué de câlins dans ton enfance, Tirésias, pour être à ce point… Oh, voici la reine qui approche.

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Scène 2 —— Silène, Pasiphaé, Tirésias.

Entrée de Pasiphaé, éventuellement encadrée de dames de compagnie.

Pasiphaé — Messieurs, vous profitez donc du soleil ?

Tirésias — Nous nous entretenons au sujet de la fuite du prince Astérion, majesté.

Pasiphaé — Ah oui, quelle histoire. Il fait beau n'est-ce pas ?

Silène — La princesse Pandore va-t-elle bien ?

Pasiphaé — Ce n'est pas comme si ça ne lui était jamais arrivé. Elle a beaucoup pleuré, naturellement. Parce qu'elle sait que c'est ce qu'on attend d'elle.

Silène — A-t-elle maudit ledit prince ?

Pasiphaé — Bien sûr.

Silène — Ainsi que sa descendance ?

Pasiphaé — Ma fille s'y entend en malédiction, mon cher Silène. Elle a lu ses classiques, j'y ai veillé. Ce qui m'ennuie c'est toute cette nourriture préparée pour le banquet. On va devoir tout jeter. Encore.

Tirésias — On peut également en faire don aux pauvres, majesté.

Pasiphaé — Je n'ai rien contre les pauvres, maître Tirésias, j’en tiens pour preuve qu’il m’arrive plus souvent qu'à mon tour de les plaindre. Or, faudrait-il leur permettre de s’accoutumer à être nourris par le palais ? Grands dieux, non. Un jour viendra pour des fiançailles bien organisées où le futur marié ne se jettera pas du haut des remparts, où tout se déroulera à merveille, où enfin les noces auront bel et bien lieu. Et alors ces pauvres se trouveront encore plus démunis. C’est une fausse solution, messieurs, que d’habituer les crève-la-faim à une charité qui n'est due qu'aux circonstances nuptiales de la famille.

Silène — Le raisonnement de votre majesté est… très convaincant.

Tirésias — Le roi vous a-t-il parlé de son entrevue avec la prêtresse d'Aphrodite ?

Pasiphaé — Midas sait pertinemment que je n’ai cure de ses réunions, de ses conférences, de ses lois et de ses guerres. Il aime son

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travail, grand bien lui fasse, mais qu’il ne me mêle point à ses intrigues.

Tirésias — C'est-à-dire que ces intrigues concernent vos filles, majesté.

Pasiphaé — Et alors ? Je leur ai donné la vie. Je leur ai donné le sein. Je leur ai donné des précepteurs. Leur père leur donne des conseillers en vos personnes, messieurs. Combien encore attend-on de moi ? Que je me soucie de leurs tracas quotidiens, de leur confort, de leurs humeurs, de leur santé ? Voudrait-on que je leur parle ? Bientôt on me voudra responsable de ce qu’elles sont heureuses ou ne le sont pas. On en demande trop aux parents, ce n’est pas notre rôle. Je les veux mariées et mères à leur tour afin qu’elles comprennent quelles absurdités nous viennent aux oreilles lorsqu’on est parent. D’ici là s’il leur faut des conseils, elles sauront où vous trouver.

Tirésias — Bien sûr, majesté. Vous avez raison, comme toujours. C’est le souci que j’ai de bien conseiller vos filles qui me fait vous parler comme je fais. Les désordres matrimoniaux de la famille royale ont porté la prêtresse Alcyoné à adresser au roi une requête qui n’est pas sans…

Pasiphaé — Ne recommencez pas, Tirésias ! Mes filles sont belles, elles finiront par se marier. Et dans le cas contraire, elles auront des amants. Qu'est-ce que ça change ?

Silène — Il prend son rôle de conseiller très à cœur, majesté. Votre énervance n'a rien qui le puisse altérer.

Pasiphaé — Je le constate. Maître Tirésias, si votre art de la formule ne vous permet pas d’obtenir de Midas les mots que vous voudriez entendre, n’attendez pas que je les prononce à sa place. Si mon soutien vous est nécessaire, alors, peut-être vous appuierai-je dès lors que vous serez convaincant, c'est-à-dire quand vous l'aurez convaincu.

Tirésias — J'aurais cru que le destin de la princesse Psyché vous importait davantage, majesté. Mais Tirésias est faillible.

Pasiphaé — Ne dites pas ça, vous vous faites du mal.

Tirésias — Je ne supporte plus aussi bien le soleil que dans ma jeunesse. Je vais vous laisser.

Tirésias sort.

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Scène 3 —— Silène & Pasiphaé.

Silène — Prendrez-vous une coupe de vin, ma reine ?

Pasiphaé — Cela ne se peut refuser. Tirésias est tellement obnubilé par sa tâche. C'est à croire qu'il porte des œillères ! Ce que je viens de dire est follement drôle.

Silène — Vous êtes exquise. Vous l'ai-je déjà dit ?

Pasiphaé — Jamais trop, mon bon Silène. Flagornez ! Gorgez-moi de mensonges flatteurs sans vous occuper qu'ils soient crédibles ! Abreuvez-moi de l'ambroisie que mon mari s'égare à chercher dans sa science obscure ! Il n'y a que vous dans ce royaume qui soyez capable de me traiter comme une femme le réclame.

Silène — Ma reine. Nous somme en plein milieu de l'après midi et des jardins du palais. Jusques ici l'imprudence ne faisait pas partie de vos remarquables qualités érotiques.

Pasiphaé — Oh quel mot ! Redites-le !

Silène — Erotique, madame.

Pasiphaé — Un mot que l'on n'entend pas dans les salles feutrées de cette grande baraque. Silène, j'ai envie de vous. Dites-moi que vous avez envie de moi !

Silène — Toujours ! Vous savez bien que mon corps est à l'entière disposition de vos caprices.

Pasiphaé — Caprice ! Quel délice. On ne me parle plus de caprice depuis que j'ai passé l'âge de seize ans. Silène, il est inconcevable que je vous aime, n'est-ce pas ?

Silène — Impensable, fantasque, c’est absurde. Tout le monde vous le dirait.

Pasiphaé — Vous êtes vieux, vous êtes laid, vous boitez, votre odeur n'a rien d'agréable…

Silène — Nous le savons. Nous le savons.

Pasiphaé — Une reine de ma qualité avec un satyre de votre espèce, ce serait grotesque !

Silène — On se gausserait.

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Pasiphaé — Mon époux serait ridiculisé. Il me tuerait. Il n'y a vraiment aucune raison pour que je vous aime.

Silène — Aucune majesté. Vous devez éprouver du dégoût !

Pasiphaé — Du dégoût ! J’adore le dégoût. Et vos cornes aussi. Silène, vos cornes. Et cette vigueur insoupçonnable. Il y a votre bestialité au milieu de la flanelle froufrouteuse de mes courtisanes en cortège. Silène ! Je veux toujours vous voir ardre de la passion indécente qui me plonge dans la honte la plus mortifiante chaque fois que je croise le regard de mon époux. Je veux sentir dans ma bouche le sel de l'interdit que nous bravons ensemble. Jamais je ne me sais plus en vie que dans la peur de jouir pour la dernière fois du secret de notre liaison insensée. Rien n'est plus délicieux que le supplice de cacher au monde mes désirs… comment dit-on déjà ?

Silène — Lubriques.

Pasiphaé — C'est pour votre vocabulaire que je vous aime ! A votre contact, je me cultive. Je laboure mon champ lexical que vous ensemencez avec la verve de votre sagesse. Enseignez-moi encore la philosophie charnelle.

Silène — L'hédonisme, majesté.

Pasiphaé — Des mots, des mots ! Passez à la pratique monsieur, vous m'avez à présent convenablement disposée à apprendre.

Silène — Alors je vais te donner une leçon !

Pasiphaé — Oh! Et il me tutoie. Quelle douceur. Quel bonheur !

Ils sortent.

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Scène 4 —— Midas, Pandore et Cassandre.

Midas arrive au bras de Cassandre.

Midas — Sèche tes pleurs, Pandore, laisse donc cet ennui. Vois ta mère s'ébattre que Silène poursuit. Entends son rire, entends sa légèreté clamer A tous nos ennemis qu'ils ne sauraient brimer Notre famille dans cette odieuse destinée, Ravissant mes filles à leur justes hyménées. Comme elle, mes filles, souffrez qu'on vous admire Moins pour vos larmes que la force de vos rires. Cet avorton sans foi, ce prince en déshonneur, Cet Astérion de rien, stupide source de pleurs, A par trop déjà joui de l'estime de Midas. Je le tiens pour sali d'une honte vile et basse.

Pandore — C'est ça, ouais. Ca me fait une belle jambe !

Cassandre — C'est vrai qu'il était beau, grand, bien fait… Comme le bel Acamas que Céladion a malheureusement éventré avant de se pendre…

Midas — Telle doit être la vie d'une princesse, Soumise au contact des vulgaires bassesses Pour en mieux triompher comme digne héritière D’un royal lignage qui s’en peut montrer fier. Puisque les dieux avides de tous spectacles Font de nos vies des routes marquées d'obstacles Qu’ils nous veulent voir franchir dans la grâce de l’effort Ou bien faillir et choir jusqu'au seuil de la mort, Il te faut comme nous cette tristesse endurer. Sois malheureuse, Pandore, tu l’as mérité.

Pandore — Je ne suis pas malheureuse, je suis furieuse ! J'ai vingt sept ans, papa ! Toutes les princesses de mon âge sont mariées ou grandes prêtresses de je ne sais quelle déesse. Je suis la seule à être humiliée de la sorte ! Je ne comprends pas, c'est injuste.

Cassandre — Il faut trouver un mari à Psyché.

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Pandore — C'est moi l'aînée ! C'est à moi d'être mariée la première. J'ai déjà des rides et des bourrelets. Comment pourrai-je plaire à un prince alors que mes plus belles années sont derrière moi ?

Cassandre — Il reste l'esprit.

Pandore — Ne te fiche pas de moi ! Papa, c'est injuste. Aucun homme n'a été capable de m'aimer assez longtemps pour que je me fiance. Dès qu'ils mettent un pied dans le palais, ils changent, ils deviennent soudain distants.

Midas — Ce mutisme soudain est la forte impression Qu'a sur tout étranger notre riche maison. Tout cet or exposé à des yeux trop fragiles Explique qu'ils se taisent et se tiennent immobiles. Je connais des seigneurs de bien nobles empires Jalousant les joyaux qu'on admire à Ancyre.

Cassandre — Tous les princes qui viendront ici connaîtront le même sort. Ils tomberont amoureux de Psyché.

Pandore — Ne me parle pas d'elle ! C'est sa faute si Connidas et Eurytion se sont entretués.

Cassandre — Et Astérion en était tombé amoureux.

Pandore — Mais là tu extravagues ! Il n'était au palais que depuis deux jours. Ils ne se sont jamais adressés la parole.

Cassandre — Ma camériste m'a rapporté qu'il l'aurait aperçue dans les jardins le soir de son arrivée. Tu sais bien ce que les gens du peuple racontent. Aucun homme ne peut la voir sans succomber.

Pandore — Conneries ! Personne n'a un tel pouvoir. Et qu'on ne me dise pas que c'est une déesse. Elle est jeune, c'est tout. Elle n'a pas vingt sept ans, elle. (pleure) Je ne suis même plus bonne à être offerte en sacrifice aux dieux. (se reprend soudain) Psyché, par contre…

Midas — Les conseils sont nombreux à la vouloir marier Sans soin d'attendre pour ne la point contrarier Que son choix se fixe sur quelque cavalier, Car l’union de Psyché, concoure à vous délier.

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Pandore — Elle se marierait avant moi ?

Cassandre — Si tu veux te marier un jour : oui.

Pandore — Papa ! Vous n'y pensez pas. Ce serait ridicule. Moi qui croyais être votre fille préférée.

Midas — Mais bien sûr que tu es ma fille préférée. D'une préférence qu'on ne peut tempérer. Mais le sort qui me touche peut se montrer cruel. Mon œil porte plus loin que celui des mortels. Je suscite l'envie de nombreux souverains Quand les matériaux vils deviennent or dans ma main. D’un savoir alchimiste, je suis érudit, Les mystères orgiaques dont Silène m'a instruit Et les oracles que Tirésias me traduit, Tout concourt à forger de puissants ennemis Qui n'ont cesse de prier pour obtenir enfin Que je meure, qu'on m'abatte, qu'on brise mon destin. Pourtant si les maudits ont visé ma famille, Obtenant que l’amour s’enfuie loin de mes filles Je saurai vous garder de ce trait décoché En trouvant très bientôt un mari à Psyché.

Pandore — Ces malédictions, c'est vraiment n'importe quoi !

Midas — Tu as raison Pandore. Je le sais comme toi. Trois jours nous séparent de l'arrivée prochaine De deux princes étrangers d'origine certaine. Ils arriveront tant vêtus de noblesse Que nul ne dira qu'on brade nos princesses. Mais je crains pour ma part et malgré mes travaux N'avoir de prétendant à produire de nouveau Si leur fuite, leur trépas ou leur trahison Venaient à briser les projets que nous avons Aussi en louangeant ce qu'ils disent ou qu'ils font Vous devrez œuvrer pour que ceux là soient les bons.

Cassandre — A mon avis, il serait plus sage de retarder leur visite.

Midas — Votre sœur sans aucun doute est dans les jardins Mettez vous à sa quête et cherchez pour son bien Quelles nobles vertus doit posséder celui

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Que nous veillerons à lui trouver pour mari. Lorsqu'enfin nous saurons ce qu'il faut pour lui plaire Psyché, en bonne fille, approuvera son père. Fiancée, puis mariée, le trouble qu’elle suscite, Et qui vous menaçait, s'évanouira bien vite.

Elles sortent.

Midas — La blâmer, la bannir, mais comment m'y résoudre Quand mon cœur entier veut seulement l'absoudre D'une faute dont elle ne peut être coupable, Quand tant de damoiseaux se montrent incapables De la voir sans aussitôt éprouver l'émoi Impertinent de convoiter une fille de roi, Non pas pour la gloire ancienne de notre nom Mais pour sa grâce qui les tombe en pamoison ? Ah! Tirésias, vous croiser est un présage. Cheminons ensemble et parlons mariage.

Il sort.

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Scène 5 —— Psyché, Pandore et Cassandre.

Psyché est rejointe par ses sœurs.

Pandore — Te voilà bien pensive, toute seule dans ton coin. Il faut toujours que tu t'isoles… Psyché, tu m'entends ?

Psyché — Oh, Pandore, Cassandre. Vous êtes là. Où en sont les fiançailles ?

Pandore — Peuh !

Cassandre — Tu ne devrais pas te moquer. On voit bien que tu n'as jamais connu de chagrin d'amour.

Psyché — Non, jamais. Est-il beau ?

Pandore — Peuh !

Cassandre — Calme-toi, Pandore, j'ai le sentiment qu'elle n'est pas même au courant de sa fuite. Sache, Psyché, qu'Astérion a quitté le palais en pleine nuit.

Psyché — Lui aussi ?! Mais qu'ont-ils tous qui les empêche de se présenter devant le pontife. C’est incroyable tout de même. Les prochains arrivent bientôt ?

Cassandre — Dans trois jours, tout au plus.

Psyché — Tant mieux ! Je suis certaine que cette fois tout se déroulera bien. Je suis si heureuse que je vous souhaite vraiment de trouver l'amour vous aussi.

Pandore — Comment ça, nous aussi ?

Cassandre — Aurais-tu quelque chose à nous dire ?

Psyché — J'ai rencontré quelqu'un. Il m'aime et je l'aime. Ca ne m'était jamais arrivé. C'est follement drôle !

Cassandre — Quand cela s'est-il produit ?

Psyché — Aujourd'hui, très tôt, je ne m'y attendais pas du tout. La matinée était fraîche mais ensoleillée, et puis il était là, près de la source. Il m'a fait totalement chavirer.

Pandore — Ce n'était pas Astérion au moins ?

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Psyché — Je ne crois pas. Il ne se donnait pas l’allure d’un prince.

Pandore — Un jardinier ?

Psyché — Mais non. Je ne m'appelle pas Electre.

Cassandre — Qu'est-ce qu'il t'a dit ?

Psyché — Il m'a dit… Il m'a dit… Ce n'est pas tellement ce qu'il m'a dit. C'est surtout la manière dont il me l'a dit.

Pandore — De quelle manière t’a-t-il dit ce qu’il t’a dit ?

Psyché — Eh bien… Il… Non, mais c'est plus compliqué que ça. Il avait une façon de me regarder.

Pandore — Mais quelle façon ?

Psyché — Arrêtez un peu de me questionner.

Cassandre — A-t-il un nom ?

Psyché — Comme tout le monde, je suppose.

Cassandre — Tu supposes ?

Pandore — Tu ne le lui as pas demandé ?!

Psyché — Pardon, mais nous ne sommes pas allés jusque là. Nous prenons notre temps ?

Pandore — Quoi ? Non mais attend, voici un homme dont tu prétends qu’il t’aime, qui t’a fait totalement chavirer en te regardant d'une certaine façon pendant qu'il te disait d'une certaine manière des mots tellement justes que tu les as complètement oubliés. Mais il ne lui est pas venu à l’esprit de te dire comment il s’appelle !

Psyché — Voilà.

Cassandre — Mais tu le reverras bientôt.

Psyché — Ce soir même j'espère ! Je ne sais pas si j'oserai lui demander son nom. Peut-être lui murmurerai-je le mien.

Pandore — Psyché, tu es princesse d'Ancyre. Il sait sûrement qui tu es. Ne te fais pas d'illusion. L'hymen d'une princesse suscite bien des convoitises.

Psyché — Il m'aime pour moi.

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Pandore — (mielleuse) Mais bien sûr ! Naturellement. Et notre père le sait tout aussi bien que toi. C'est pourquoi il faut absolument que tu amènes ton amant devant lui afin d'officialiser votre union.

Psyché — Vraiment ?

Cassandre — Sans perdre de temps. Nous avons moins de trois jours.

Psyché — Je suis très heureuse que cette relation ne vous déplaise pas, mes sœurs

Pandore — Pourquoi devrait-elle nous déplaire ?

Psyché — Il vous est arrivé si souvent de voir vos épousailles contrariées. Je craignais que mon bonheur ne vous soit insupportable. Je vous remercie du fonds du cœur pour votre réaction. Et j’ai honte d’avoir douté de vous.

Cassandre — N’ai pas honte, Psyché, je t’en prie.

Pandore — Et amène ton jardinier devant notre Père ce soir !

Psyché — Je ne sais. Cela me semble prématuré.

Pandore — Mais non !

Psyché — Comprenez que je ne veuille précipiter les évènements. Je ne veux courir le risque des mêmes désagréments que vous avez connu. Je crois que j’en mourrais.

Pandore — Arrête de te plaindre, s’il te plait.

Psyché — Je n'ai guère envie de voir mon doux ami s'égayer dans la nature au milieu de la nuit.

Cassandre — Père a fait doubler la garde.

Psyché — Père est tellement protocolaire. Mon histoire est trop fragile, trop nouvelle pour que je la porte devant lui.

Pandore — Ne fais pas l’enfant ! Il faut de la lumière aux plantes pour grandir. Une fois mariée, tu seras à lui, il sera à toi. Ô joie et cetera.

Psyché — Vous voulez vous marier mes sœurs, c'est un projet noble. Mais ce n'est pas le mien. Je veux juste l'amour. C'est un tel transport. Avez-vous remarqué comme rien ne semble impossible ? Comme les richesses du royaume perdent leur peu d'intérêt quand il est question d'espérer un sourire de l'être

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aimé ? Quand l'on songe aux poètes qui ont tenté de décrire ce sentiment depuis des siècles… Ils étaient bien loin de la vérité, ou bien je n'ai pas su la comprendre. En tous les cas, je ne lis plus de poésie depuis ce matin !

Pandore — C'est magnifique, Psyché. Ton bonheur fait plaisir à voir. Et Père mérite de le partager avec toi.

Cassandre — Il ne demande que cela. Il lui tarde même de t'entendre lui dire ton amour. L'élu de ton cœur sera son fils, de plein droit, aimé comme tel, quel qu'il soit.

Pandore — Il l'accueillera à bras ouverts, même s'il est borgne, cul-de-jatte, pauvre et stupide.

Psyché — Il n'est pas cul-de-jatte !

Pandore — C'était une façon de parler.

Psyché — Et je ne le croie pas stupide.

Cassandre — Ah… Mais serait-il borgne ?

Pandore — Il est pauvre ?!

Psyché — Je l'ignore.

Pandore — Comment, tu l'ignores ? Tu ne l'as donc pas vu ?

Psyché — Il est resté caché derrière un fourré d'aubépines. Il ne veut pas que je l'aime pour son physique.

Pandore — Comme tous les monstres.

Cassandre — Je trouve cela très romanesque. Un homme mystérieux dans les jardins. Peut-être est-il là, autour de nous parmi les courtisans ou les capitaines de la garde… Ah non, c'est vrai. Père a fait décapiter trois capitaines, et un amoureux mystérieux n'aurait pas laissé ses camarades se faire couper la tête sans réagir. Il se serait manifesté. Comme tu as de la chance, Psyché !

Psyché — Oui. Je sais.

Pandore — C'est ça, tout le monde le sait. L'important, pour l'heure, ma sœur, c'est que tu aies trouvé l'homme de ta vie. C'est bien de lui dont il s'agit, n'est-ce pas ?

Psyché — J'en jurerais devant les dieux.

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Pandore — Voilà. Il faut absolument que tu lui parles dès ce soir. Il doit venir devant notre père. Il bénira votre alliance, organisera une petite cérémonie et nous pourrons recevoir nos deux princes.

Psyché — C'est merveilleux.

Cassandre — Nous comptons sur toi, Psyché. C'est notre bonheur à toutes les trois qui est en jeu. Et celui de Papa ! Il est tellement triste en ce moment.

Pandore — Tu ne veux pas lui faire de peine, Psyché, n’est-ce pas ? C'est pourquoi tu vas amener ton mystérieux intriguant devant lui. Au plus tôt. Dès ce soir.

Psyché — Oui. Je vous le promets, mes sœurs. Mais tâchez de rire un peu. Vos mines sombres réussissent presque à funester une journée aussi belle qu'aujourd'hui.

Elle sort gaiement.

Pandore — La providence semble tourner. Il appert qu'il suffisait de nommer la solution pour en susciter la venue. Dès que l'on saura que Psyché a trouvé un amant, sa ridicule réputation de divinité disparaîtra. Les hommes cesseront de se pâmer devant elle. Nous pourrons enfin vivre.

Cassandre — Trop souvent la providence prête ce qu'on croit qu'elle donne, ma sœur. Je ne saurai m'y fier.

Pandore — Allons, Cassandre. Tu l'as entendue. Ne continue pas à funester cette journée.

Elles sortent.

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Scène 6 —— Midas & Tirésias.

Midas et Tirésias cheminent dans les jardins.

Midas — La menace est grande qui nous vient d'Aphrodite Et du temple où Alcyoné crie et s'agite. Elle sait trop comment prononcer l'anathème, Qui m'interdirait de sauver Psyché même Au prix du sacrifice de mes richesses, Au nom de l'injure faite à une déesse. Je n'ignore pas que sa seule chance serait D'étouffer cette rumeur, qui la veut comparer Aux déesses pour sa grâce et tous ses charmes, Où je ne vois qu'une agression sans les armes. Je m'emploie tout mon temps à trouver le remède En l'absence duquel je requiers ton aide. Tirésias, produis-moi un oracle éloquent, Un auspice persuasif, un augure convaincant ! Qu'ils voient en ma fille le don qu'ont voulu les dieux Pour anoblir Ancyre sans nous rendre orgueilleux. Que sa grande beauté soit le simple appareil Qu'ils auraient façonné pour montrer leur merveille.

Tirésias — Je ne suis pas plus maître des augures que le navigateur n'est maître des vents, majesté.

Midas — Tu sais pourtant quelle raison noble et louable Me porte à mander ton geste secourable.

Tirésias — Si j'invoque mon don de voyance pour accréditer une vérité qui n'est que celle que vous désirez voir reconnue comme telle, les dieux me l'enlèveront. J'ai subi mon lot de malédictions, roi Midas. Un jour, chemin faisant sur le mont Cyllène, je rencontrai deux serpents en train de s'accoupler. Comme ils faisaient mine de m'attaquer, je me défendis avec mon bâton et tuai la femelle. Je me retrouvai dans l’instant changé en femme. Je connus, sept années durant, une brillante carrière de prostituée jusqu'au jour où, repassant au même endroit, je vis à nouveau deux serpents s'accoupler. Cette fois-ci je pris garde de tuer le mâle et retrouvai ma condition

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masculine. De cette singulière aventure, je tire plusieurs morales, majesté. D'abord, et c'est important, je ne passe plus par le mont Cyllène. Ensuite : sachez qu’on aurait tort de croire que les prostituées les plus réputées sont les plus féminines. Et surtout celle-ci : il faut être stupide pour taper à coups de bâton sur des serpents en train de s'accoupler. Mon rôle est de vous conseiller en tentant d'interpréter correctement les signes des dieux, sûrement pas de tromper le peuple, même dans un but louable, en prétendant délivrer un message du Destin. Car ce serait plus stupide encore que de donner du bâton sur deux malheureuses bêtes rampant sur le sol.

Midas — L'honnêteté est ta plus grande qualité. Ma requête est fautive, ton refus mérité. Pourtant je continue à craindre pour la vie De mes très chères filles comme de ma dynastie.

Tirésias — Je ne vois de vraie menace que sur Psyché.

Midas — Encore que ce soit, me semble-t-il, plus qu'assez ! Car enfin quel étrange procès lui fait-on De la courbe de son sein, ou de son menton; D'un visage exempt du vice qu'on y veut saisi Pour le bien de l'orgueil de faces défraîchies, Qui souffrent sa vue sous le poids de ma gloire Mais ne rêvent rien sinon ruiner sa mémoire. Des pères par milliers ont moins de difficulté A marier des filles sans esprit ni beauté Que je n'en rencontre pour sauver mon enfant De l'inique sanction qu'on dérobe à mon flanc.

Tirésias — Vous pensez donc à une vengeance divine ? Quelle faute cette enfant aurait-elle commise.

Midas — Aucune que ma raison puisse reconnaître ! Aucune depuis qu'elle m'a fait la joie de naître. C'est moi, Tirésias, que les dieux veulent condamner, Empruntant dans les cœurs ces chemins détournés Pour que leur courroux mérité puisse m'atteindre Sans me toucher comme s'il leur fallait me craindre. Quoi, Ancyre n'est-elle pas suffisamment pieuse ?

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Ne célèbre-t-on pas les fêtes religieuses, Sacrifiant d’abondance vaches, veaux et taureaux ? Si ce n'est pas assez, c'est lors que c'est bien trop ! En retour du respect que je leur manifeste, Ils me voudraient soumis aux promesses funestes Qu'on a pour ma fille sans même l'obligeance De fournir un prétexte à la veule vengeance, Sans apodictique preuve ni formel jugement Que les malheurs d'Ancyre veulent ce châtiment ?

Tirésias — Pourquoi pensez-vous avoir suscité l'ire des immortels, majesté ?

Midas — Que sais-je de ce qui se trame en si haut lieu ? Je renonce à saisir rien de l'esprit des dieux. Qu'un homme dans un bois lorgne la nudité D'une Artémis caressant sa virginité; Il lui faudra périr pour avoir vu la scène Par les chiens déchainés de l'olympienne. Mais qu'un fils préféré massacre sa maison, Aveuglé de folie mais sans autre raison, Et Hercule aussitôt se voit divinisé Ses noces célébrées sur les Champs Elysées. J'ai beau n'avoir pas trop le souci du détail, Je le dis, Tirésias : ce n'est pas du travail ! Qu'on m'explique ce que j'ai à envier, bien ou mal A Sisyphe, à Ixion ou encore à Tantale ! Auraient-ils par leurs crimes atteints de tels sommets Que nul autre auprès d'eux ne se puisse élever ? Dieux ! Cuisinerai-je de la chair humaine A servir à mes hôtes chaque semaine ? Me ferai-je appeler Zeus, sur un char d'airain Roulant comme le tonnerre, un foudre dans la main, Prodiguant la justice comme si elle émanait Certes pas de ma cuisse mais de cet art inné Que possèdent les héros à parler pour les cieux; Me disant immortel, imprudent ambitieux. Est-ce alors que ma tête tomberait de mon corps Ou qu'encor sur mes filles s'acharnerait le sort ?

Tirésias — Je crains pour vous majesté le jour où les Dieux agiront finalement comme vous l'attendez d'eux.

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Midas — L'hubris voilà quel est le plus grave forfait Qui se puisse commettre. C'est le crime parfait ! Malsaine ambition de pouvoir égaler Les célestes seigneurs, comme un prince exilé Qui se couronne seul et en héros s'érige, Se prétendant divin; et quand on le fustige, Recevant du ciel, en juste châtiment, Le renom éternel de son crime dément. Mais que vois-je en ces lieux : une vile infamie Qui s'abat sur mes filles ! C'est une anomalie. Voilà que pour sa grâce dont je me glorifie, Psyché est le sujet de leur ire assouvie. Je suis dépossédé, trahi par la rumeur, Ignoré par les dieux dont il faut que je meure. Quelle image de Midas se verra perpétuée ? Le père de trois filles impossibles à marier ? Et voilà ma maison sans aucun héritier Et mon nom qui s'éteint, moribond, à mes pieds. Ô rage Ô désespoir ! C'en est trop je suis fait. Je me voulais puni ; je suis assassiné.

Tirésias — Si telle est la pénitence que les Dieux vous ont réservée, admirez leur œuvre. Vous en souffrez déjà avant que d'avoir vraiment à la subir. Et le simple pressentiment de leur sanction vous horrifie plus qu'aucun roi avant vous. Vous goûterez en connaisseur la subtilité de leur action.

Midas — A-t-on jamais prouvé qu'il pouvait être utile Qu'un roi fut amusant ou un dieu subtil ? On refuse à Midas les tourments éternels Je meurs de mon vivant. Que leur victoire est belle !

Tirésias — N'est-ce pas le pire châtiment que vous puissiez imaginer ?

Midas — Evidemment ! Mais pas celui que j'attendais Et dont ma naissance me permettait le souhait. Lorsqu'on est comme moi normalement constitué On espère autrement en finir, être tué Par le foudre de Zeus tout droit venu du ciel, Ou trahi par les siens, le cœur empli de fiel. Qu'en a-t-on fait de mon châtiment exemplaire,

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Le carcan effrayant qui m'attend aux enfers ?

Tirésias — Les dieux accordent rarement à celui qui leur déplait le miracle qu'il appelle de ses vœux. Je pensais votre majesté plus au fait de l'art et la manière de traiter les êtres inférieurs.

Midas — Tu donnes donc ton concert à mon sentiment Que cette affaire me vise personnellement ? Fort bien ! Je vois que tu te ranges à ma raison. Il te faut pour pouvoir consigner ta vision Maintenant attester comme il faut, par écrit, Que mon destin est à moi, qu'il m'est garanti.

Rideau

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Acte 2

Décor : Le palais d'Ancyre.

Scène 1—— Diomède & Hésioné.

Hésioné — J'entends dire que les princes seraient en avance et qu'il nous faudrait les attendre, peut-être même avant la nuit ?

Diomède — En effet Hésioné. Il faudra qu'alors nulle trace ne demeure du passage du parjure Astérion en nos murs. Que les princesses se montrent sous leur meilleur jour, accueillantes et toutes prêtes à s'émerveiller du récit que ces jeunes gens auront à leur faire.

Hésioné — Elles commencent à fort bien savoir paraître passionnées par les histoires de guerriers barbares et sanglants que leurs prétendants s'évertuent à pimenter de détails toujours plus contestables dans un but qui m'échappe.

Diomède — Tout le royaume devra réserver à ces princes un accueil triomphal.

Hésioné — Encore ?

Diomède — Le roi veut que le faste de la cour soit plus éclatant que jamais.

Hésioné — Le peuple risque de se lasser de l’effervescence que l’on réclame de lui si fréquemment.

Diomède — Le peuple fera ce qu’on lui demande. Il est heureux de rendre service.

Hésioné — Espérons que cela suffise. Si les princes repartent sans avoir épousé quiconque, la princesse Psyché n'échappera pas à la colère d'Alcyoné, car la haine de ses sœurs se chargera de la rendre vulnérable au pouvoir du temple.

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Diomède — Sans trahir de secret ni la confiance des princesses, Hésioné, peux-tu me donner ton sentiment sur ces bruits qu'on entend, et qui parlent d'un amant mystérieux, d'un inconnu qui aurait déclaré sa flamme à la plus jeune princesse ?

Hésioné — Tu sembles ne rien moins savoir sur ce sujet que quiconque dans le palais, Diomède. Le roi a-t-il entendu ce qui se dit ?

Diomède — Encore pour cela faudrait-il qu'il écoute autre chose que son sens du tragique.

Hésioné — Personne ne sait à quoi ressemble le courtisan de Psyché. Et Psyché elle-même l'ignore. Les domestiques évoquent un monstre, un centaure peut-être, ou bien un satyre.

Diomède — Je doute que Psyché partage le goût de sa mère pour… Enfin, tu sais pour qui.

Hésioné — L'idée que les dieux se penchent sur Ancyre étant si fermement ancrée dans toutes les têtes, sans que les cris d'orfraie du roi fassent rien pour arranger cela, j'entends murmurer qu'Apollon lui-même serait cet amant qui se cache derrière les aubépines.

Diomède — Bref, personne n'a la moindre idée intelligente.

Hésioné — Voilà.

Diomède — À force de vouloir mettre les dieux derrière chaque énigme de nos vies, on finira par les y trouver constamment sans plus devoir les y inviter par nos superstitions. Les domestiques peuvent prier pour que jamais je n'entende dans leur bouche quelque chose de cette stupide inclinaison à mêler les dieux, et donc les temples et leurs prêtresses, aux histoires d'Ancyre. C'est leur donner trop de pouvoir pour contraindre le roi jusqu'au sacrifice d'une princesse.

Hésioné — Tous connaissent ton intransigeance à ce sujet. C'est pourquoi tu as tant besoin de moi pour savoir ce qui se dit, ce qui se pense ici, afin de pouvoir diriger le palais. Tous peuvent me parler sans crainte et me font confiance pour plaider leur cause auprès du farouche Diomède.

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Diomède — Tu es l'oreille du palais comme je suis celle du roi. Mais pas plus que Midas ne suit mes conseils, nos gens ne se conforment à tes avis.

Hésioné — S'il suffisait d'user de la raison pour gouverner les hommes, le monde irait tout autrement.

Diomède — Midas ne serait pas roi, je pense.

Hésioné — Ton jugement est sévère. Et imprudent.

Diomède — Je suis fidèle à mon roi comme je l'ai toujours été. Ce faisant, connaître ses failles est le meilleur moyen de le servir efficacement. Or, en dépit de son intelligence et d'une grande vaillance, il n'est guère possible de discerner la raison et la logique dans ses actes, pas plus qu’on ne les entend aux bouches de la reine ni de ses filles.

Hésioné — Je ne te contredirai pas. Nul n'a jamais dit de Psyché qu'elle fut plus capricieuse que Pandore ni plus fantasque que Cassandre, j'ai cependant entendu aujourd'hui qu'on l'avait vue parler seule, à plusieurs reprises et en divers lieux.

Diomède — La prétend-t-on folle ?

Hésioné — Pas encore. Mais si la visite des princes devait échouer, on s'accordera à lui trouver toutes les épithètes favorables à son sacrifice.

Diomède — Il n'y aura plus d'échec. Les princes seront désarmés dès leur arrivée, escortés de soldats qui leur éviteront tout dommage et toute tentation de fuite. En outre, des sacrifices seront offerts à Aphrodite.

Hésioné — Tu n'as rien laissé au hasard.

Diomède — Il se sert généralement tout seul. Il reste une dernière précaution à prendre, non des moindres. Obtiens de qui tu veux que la princesse Psyché ne quitte pas ses appartements afin qu'aucun œil de nos princes ne puisse croiser son chemin.

Hésioné — Accorderais-tu maintenant crédit aux fables de la cour ?

Diomède — La négligence est ce qui fait ciller les trônes les plus solides. Si Midas doit choir, je n'aurai aucune part au déshonneur car mon service aura été irréprochable.

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Hésioné — Certes. Quitte pour cela à mettre de côté logique et raison. J’observe que ton honneur a la priorité sur tes autres principes, mais je me garderai bien d’en concevoir quelque moquerie cruelle, rassure-toi. Je vais de ce pas conseiller à la reine de suivre ta prudente recommandation. Psyché demeurera enfermée le temps que les princes seront là.

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Scène 2 — Psyché & L'Amour.

Psyché — Par ici, la voie est dégagée. Suis-moi bien. Il y a tant de salons de couloirs et d'enfilades dans ce palais que tu pourrais t'y égarer si tu me perdais de vue.

L'Amour — Te perdre de vue ? Ce serait me perdre tout court.

Psyché — C'est gentil. Crois-tu vraiment que ce masque soit nécessaire ? Je ne te cache rien et ne fais aucun mystère. N'espère pas que le secret me rende plus sincère que je ne le suis déjà. Je suis connue dans ma famille pour ma totale inaptitude au mensonge ou à la dissimulation. Je t'aime, cela est dit. A présent montre-moi que j'ai raison.

L'Amour — Et s'il s'avérait qu'il te soit impossible de m'aimer si je devais te révéler mon visage ?

Psyché — Tu dis des sottises. Ce n'est jamais un visage que l'on aime lorsqu'on aime comme il faut aimer.

L'Amour — Ta candeur est peu convaincante pour qui a vécu. Nombreux sont ceux qui parleraient comme toi et agiraient autrement.

Psyché — Quel visage défiguré me rendrait odieuse l'âme dont la noblesse habite chacune de mes pensées ? Tu peux me le dire ?

L'Amour — Non je ne peux pas te le dire. Je ne peux pas retirer ce masque. Et je ne sais s’il faut me réjouir de tout l’amour que tu me portes.

Psyché — Voilà qu'il n'est pas plaisant d'entendre ! Si tu ne voulais pas me plaire, pourquoi m'as-tu approchée dans les jardins ?

L'Amour — Tu n'étais pas supposée me voir.

Psyché — Vraiment ? A celles qui ne sont pas supposées te voir, t'arrive-t-il fréquemment de chuchoter d'incompréhensibles poèmes au creux de l'oreille ?

L'Amour — A vrai dire… Cela m'arrive. Oui.

Psyché — T'en aimerais-je moins ? Je n'en ai pas l'impression. As-tu l'intention d'être volage ?

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L'Amour — Je ne peux être infidèle. C'est exclu. J'en mourrais.

Psyché — Voilà qui est bien. Mon père ne demandera rien de plus.

L'Amour — Je n'ai accepté de venir ici sous ta demande pressante que pour que tu puisses me montrer quelques tableaux et sculptures dont tu languissais de partager la beauté avec moi. Ne me demande pas à nouveau ce que déjà j'ai refusé. Je n'irai pas devant ton père.

Psyché — Pourquoi ?

L'Amour — Espères-tu réponse différente à cette question renouvelée ?

Psyché — Mais enfin, qu'attends-tu de moi ? Que je quitte père et mère en m'abandonnant à toi ? Si je t'aime, ce n'est pas comme le voleur qui déroberait sa fille à un père aimant. Si c'est le titre de princesse qui te fait trembler, suis-je sensée renoncer à mon nom pour te plaire assez ?

L'Amour — Je n'exige rien de toi hormis ta promesse de ne rien réclamer de moi. C'est l'unique serment que je puisse accepter ; le seul contrat que je te puisse proposer.

Psyché — Je t'ouvre ma maison, je t'offre ma vie et tout ce que je possède. En retour, tu me caches ton visage, tu me tais ton nom et refuse d'apparaître devant ceux qui me sont chers. Est-ce ainsi que doit agir celui qui m'aime ?

L'Amour — Je n'ai pour toi que l'amour absolu que tu es en droit d'exiger depuis que je t'ai soufflé ces mots dans les jardins, mais je n'entends rien à ce que tu voudrais d'autre car je n'ai rien de plus à t'offrir.

Psyché — La confiance peut-être ? La compassion aussi. Mon père me veut marier au plus vite pour mon bonheur et aussi, un peu quand même, pour sauver ma famille d'une terrible malédiction. Voudrais-tu lui contester cela ? Tu lui ferais moins de mal qu'à moi !

L'Amour — En est-on déjà où tu doives exercer ce chantage pour m'extorquer ce que tout mon amour ne pourrait te donner ?

Psyché — Tes mots pourraient vexer la princesse que je suis ! De quoi servent donc ces scrupules superflus ? Mon père est un roi sévère, c'est entendu. Il lui est arrivé de faire exécuter des gens. Mais ils l'avaient mérité. La plupart du temps. Sans

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doute. Et aucun n'avait demandé ma main… J'ai même appris qu'il avait fait tuer des hommes précisément pour ne l'avoir pas fait. Je ne vois pas ce que tu crains !

L'Amour — Le roi Midas pourrait bien lever ses armées de mercenaires et les jeter contre moi que tu ne me verrais pas frémir un instant. Cependant j'ai beaucoup d'inquiétude à te voir requérir de moi un acte que d’aucuns qualifieraient de preuve d'amour.

Psyché — Exactement ! Une preuve d'amour, c'est tout ce que j'attends de toi. De mon côté je chercherai à te donner toutes celles que je pourrai imaginer, puisque tu t'es promis de ne rien me demander.

L'Amour — Je ne partage pas ton exaltation à cette idée.

Psyché — Comment ? As-tu quelque chose contre les preuves d'amour ?

L'Amour — Non. Pour la simple raison que cela n'existe pas, Psyché !

Psyché — Allons ! Des baisers, des mots doux, un bouquet, une chanson. Tout le monde est capable, même sans talent, sans éloquence, ni imagination de produire une de ces petites attentions, celles qui comptent, celles qui plaisent, qui sont d'autant plus belles qu'on les offre sans aucune raison.

L'Amour — Je croyais qu'elles servaient à prouver quelque chose.

Psyché — Tu es fatiguant !

L'Amour — L'amour se vit, se ressent, c'est comme ça. Il ne se démontre pas comme un théorème, ne se déclame pas comme un poème, ne se confectionne pas comme un parfum, ne se compose pas comme une musique, ne se…

Psyché — Je crois avoir saisi. Mais j'imaginais qu'aimer signifiait vouloir le bonheur de l'autre.

L'Amour — Eh bien oui. Ne veux-tu pas mon bonheur ?

Psyché — Bien sûr que si.

L'Amour — Mais tu es prête à me forcer à venir devant ton père.

Psyché — Il ne s'agit pas uniquement de moi. Mon père et mes sœurs le désirent tant…

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L'Amour — Ils sont à tes yeux plus importants que je ne le suis.

Psyché — Ne sois pas bête ! Je t'aime à la folie depuis ce matin. Mais enfin, l'amour n'est-il pas une raison suffisante pour obéir aux désirs de l'élue de ton cœur ?

L'Amour — Je ne veux pas croire que tu puisses rechercher l'indigne servitude d'un prétendant accomplissant les bravoures les plus stupides pour satisfaire l'orgueil de sa princesse trop gâtée, trop chérie, trop aimée. Je ne me battrai pas pour toi. Je n'en ai pas besoin.

Psyché — C'est typiquement le genre de choses qu'il ne serait pas très intelligent de dire devant mon père.

L'Amour — Tu me contraindrais à t'obéir ?

Psyché — Bien sûr que non ! Mais c'est ce que ferait Pandore. Quant à Cassandre, elle s'enfermerait dans sa chambre en pleurant toutes les larmes de son corps, n'en finissant pas de mourir jusqu'à ce que tu cèdes, ce qui est une autre technique d'une efficacité vérifiée.

L'Amour — Mais ce n'est pas ainsi qu'agirait ma Psyché.

Psyché — Eh non, il parait.

L'Amour — Je ne suis pas un trophée à présenter à ton père le roi pour qu'il s'en puisse féliciter, ou me répudier. Je ne suis pas un symbole que tu puisses arborer, montrant que tu as trouvé quelqu'un à aimer pour être aimé de lui. Quels mots veux-tu que je prononce en la présence d'autrui ? Quelle promesse publique, quel serment de marbre te faut-il ? Cela n'aurait d'autre but que de rassurer ta crainte d'une solitude honteuse, navrant constat d'échec face à ceux qui affichent l'éclatante preuve de leur bonheur conjugal en multipliant les démonstrations avec arrogance, avec excès, avec la rédhi-bitoire terreur de ne plus y croire eux-mêmes. Si l'amour n'est qu'un faire valoir, quelle valeur a-t-il encore ?

Psyché — Quelle tirade, mon amour ! Mais je te trouve un peu égoïste. Si c'est important pour moi, ne m'aimes-tu pas assez pour comprendre cette faiblesse ? Tu ne veux penser qu'à nous quand il me faut rassurer mon père, sauver son royaume.

L'Amour — Si notre amour peut sauver Ancyre, il le fera sans passer par Midas.

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Psyché — Puisque je t'aime, je ne peux que te laisser libre en espérant que tu comprennes combien j'ai besoin de ton aide. Tu peux m'aimer au grand jour, sans ce masque, sans secret dans ce royaume ou un autre, et je serai heureuse, ou tu peux me forcer à t'aimer sans jamais te voir ni te connaître vraiment, sacrifiant ma famille. Je t'aimerai tout autant, mais sans être heureuse. Tu ne chercheras pas à discuter car tu sais que je dis vrai. L'important maintenant est de savoir ce qui t'est le plus cher : mon bonheur ou tes principes.

L'Amour — J'entends qu'on vient. Je ne suis pas là !

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Scène 3 — Psyché, Midas et Pasiphaé.

Entrée du couple royal.

Midas — Il faut que je sois sûr des mots que l'on m'a dits. Est-il bien vrai que plus personne n'est maudit ? L'as-tu trouvé Psyché, ton chevalier servant, Qui me remplit de joie, d'un transport émouvant, Puisqu'il vous libère toutes les trois enfin Du caprice ombrageux des oracles divins ?

Psyché — Eh bien… C'est à dire.

Pasiphaé — Présente-le, dis-nous son nom. Qu'on en finisse !

Midas — Je suis sûr qu'il est beau comme un bel Adonis.1

Psyché — Papa. Ce n'est pas ça qui compte. Les désirs commandés pas nos instincts physiques ne sont rien en regard de la complicité de cœurs résonnant à l'unisson des mêmes élans et des mêmes passions.

Pasiphaé — On dit ça…

Midas — Alors donc où est-il, que je puisse enfin voir D'où te vient cet amour dont je tiens la victoire ?

Psyché — Il n'a pas pu rester.

Midas — Quoi ?

Psyché — Il avait… à faire…

Midas — Il avait mieux à faire, es-tu en train de dire, Que de se présenter devant le roi d'Ancyre ?

Psyché — Papa. Ne sois pas grognon, s'il te plait. C'est exactement ça qui effraie tout le monde. Il faut toujours que tu te lances dans de grandes diatribes dès que quelqu'un te déplait, que tu es

1 Variante pour les metteurs en scène qui ne craignent pas le mauvais goût : — « Je suis sûr qu'il est beau comme un bel Adonis / Et qu'en sus de cela, il a un grand…»

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mécontent, qu'un problème apparaît. Si tu voulais bien être plus indulgent, faire preuve de patience, être doux dans tes vœux, je gage que tu en tirerais davantage de satisfaction.

Midas — J'ignorais, ma fille, devoir ainsi m'instruire Par ta bouche comment il me faut réagir.

Psyché — Tu vois ? Tu bougonnes ! C'est plus fort que toi. Papa, tout à la joie dont tu t'écris, j'aurais espéré plus de douceur et moins de cette chaleur que tu as tant de peine à contrôler.

Midas — C'est assez d'insolence ! Je suis là pour un gendre Que je ne vois qu'absent à moins de me méprendre.

Psyché — Oh là là ! Et avec un tel caractère tu attends que je commette l'erreur grossière de te présenter mon ami pour que tu puisses déchaîner sur lui l'orage d'une verve que j'ai passé toute mon enfance à apprivoiser ? Ce ne serait pas qu'imprudent, Papa, ce serait stupide.

Midas — Que la stupidité a de beaux avantages Quand il faut pour un père tenir un mariage…

Pasiphaé — Psyché, crois-tu vraiment que ce soit là comme il faut parler à ton père ? On nous dit que tu as un soupirant ; on nous décrit la gaieté de ton visage depuis ce matin. Tu sais bien que je répugne à m'occuper de tes histoires de cœur, et que je me considère pour ainsi dire étrangère à ta vie, à tes projets et à tes rêves puérils, mais si ton père réclame un nom et une courte entrevue, vois-tu une légitime raison de les lui refuser ?

Psyché — Je croyais m'en être justement expliquée.

Pasiphaé — Depuis trop longtemps on me rebat les oreilles de ta divine beauté qui fait rêver les uns, fulminer les autres et dispose mal envers ton père les puissances des temples qui soutiennent son trône. Tu vas me faire le plaisir de t'excuser et d'aller chercher ton joli cœur pour officialiser tout de suite cette alliance que tout le monde réclame !

Psyché — Je veux croire que c'est mon bonheur qui vous importe à tous deux plus que tout ce qui se peut dire dans les couloirs du

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palais. Si mon tendre ami n'est pas ici devant vous à mes côtés, c'est qu'il existe bien des raisons pour l'expliquer.

Pasiphaé — Aucune qui la puisse excuser !

Psyché — Tu condamnes, maman, avant que d'écouter.

Midas — C'est qu'il n'est plus guère temps pour ces difficultés. Un espoir si charmant me conduisait ici, L'abolirais-tu en réclamant un sursis ?

Pasiphaé — Tes simagrées ont assez duré ! Quel secret honteux gardes-tu par devers toi ? Quel aigrefin audacieux oserait convoiter ce que tant de princes n'ont su jamais briguer ? Quel homme contrefait, quel criminel proscrit, quel funeste traître peut te forcer à défendre devant nous l'affront qu'il nous fait ?

Psyché — Est-ce vous faire affront que de protéger un amour que vous espériez tant ?

Midas — Protéger ton amour, comme c'est extravagant, Alors que je ne veux que le voir plus avant !

Pasiphaé — Toute cette affaire, tu le constates, met ton père de fort mauvaise humeur. J'entends ses récriminations à longueur de temps. On voit bien que ce n'est pas toi qui partages sa couche. Je veux que tout cela cesse et que tes sœurs ne viennent plus geindre que trop de malheurs les accablent, que c'est vraiment injuste, que les dieux ne sont plus ce qu'ils étaient et j'en passe. Trop, c'est trop. Non, ma fille, je le dis, je suis déterminée à ne plus laisser ta nubile insouciance perpétuellement troubler mes nuits et mes journées. C'en est fini Psyché, tu n'es plus une enfant. Obéis à ton père, soumets-toi maintenant aux lois qui garantissent depuis ta naissance la tranquillité de tes jours. Marie-toi par amour, c'est-à-dire aussi pour nous. Et songe bien que prolonger ton célibat pourrait hâter nos malheurs, surtout ceux de tes sœurs. Tu les aimes assez, je veux le croire, pour les vouloir soulagées de l'épée de Damoclès que tu fais planer sur elles, malgré-toi cela va de soi, mais d'une réelle menace.

Midas — Votre grande chaleur, ma reine s'est exprimée. Mais peut-être faut-il mieux la réprimer.

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Psyché sait comme vous que le temps est venu De laisser derrière nous ces déconvenues. A tout le moins faut-il, Psyché, je le répète, Que ce garçon enfin ose montrer sa tête.

Psyché — Vous restez donc inflexibles dans votre décision. Par amour pour vous, je tenterai l'impossible. J'amènerai devant vous mon sigisbée, puisque c'est tout ce que vous exigez.

Pasiphaé — Tout de même ! Tu ne m'as pas habituée à devoir élever le ton pour obtenir que tu obéisses à ton père. Que cela ne se reproduise plus. Tu nous présenteras ton soupirant ce soir au souper. Et ne sois pas en retard ! (elle sort)

Midas — Pasiphaé t'aime, tu n'en dois pas douter. Elle prend un intérêt constant à t'éviter L'amère déception qui a frappé tes sœurs De voir un intriguant s'enfuir avec ton cœur. Tu as, je le sais bien, le sens du sacrifice, Qui me fait oublier que tu n'es pas un fils. Et pourtant, plus forte qu'il aurait pu se voir, Tu conduiras à moi ton amant, notre espoir.

(Il sort)

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Scène 4 — Psyché & L'Amour.

Psyché — Tu as tout entendu, je présume.

L'Amour — Et j'ai pu noter combien ton inaptitude au mensonge est surestimée.

Psyché — Aurais-je menti ? Certainement pas ! Mais tu auras observé mes efforts pour défendre ta manière de concevoir notre relation. Et aussi la colère de ma mère. J'ai reçu l'ordre de t'amener devant eux. Me forceras-tu à désobéir ?

L'Amour — Je n'ai pas d'allégeance envers Midas.

Psyché — Ah oui ? Comme il est surprenant alors que tu te sois trouvé dans ses jardins.

L'Amour — J'avais entendu parler d'une beauté qui attirait à elle les sentiments des hommes passant à sa portée aussi sûrement qu'une chandelle produit les ombres qui dansent autour d'elle.

Psyché — (caustique) C'est moi ça ?

L'Amour — Je me devais de venir voir pareil prodige. Pour le démystifier, essentiellement.

Psyché — Serait-ce que les choses n'ont pas pris le tour que tu attendais ?

L'Amour — Je me suis laissé surprendre.

Psyché — Marions-nous !

L'Amour — Cela ne se peut. Je ne suis personne.

Psyché — Je ne serai pas la première princesse à me marier en dessous de sa condition. Peu importe ! Quoi qu'il en soit c'est Pandore qui enfantera l'héritier du royaume. Nous pourrons vivre à l'écart du trône et…

L'Amour — M'aimer est une folie, Psyché. Fais-le à travers d'autres hommes.

Psyché — Il vaut mieux que je fasse comme si je n'avais jamais entendu cette horreur dans ta bouche.

L'Amour — Si tu t'obstines dans ce sentiment, c'est sans doute la ruine que tu invites sur la maison de Midas.

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Psyché — Mais enfin, cesse de dire n'importe quoi ! C'est toi qui me parlais de l'impossibilité de quantifier l'amour ou de le prouver. Comment pourrais-je davantage le reprendre que je n'ai su voir la manière dont je te le donnai ? Il ne s'agit pas d'une marchandise, d'un bijou… Quelle preuve de désamour prétends-tu demander ?

L'Amour — Il faut parfois savoir se résigner. L'amour peut devenir une redoutable force destructrice.

Psyché — Oui, oui, ça va, je connais l'histoire de la guerre de Troie. Mais ce que je crois, c'est que tu as peur de mon père.

L'Amour — Allons !

Psyché — Il n'y a pas de « allons ! » qui tienne. Ce masque, ces précautions, tous ces secrets me crient l'évidence jour et nuit : tu as peur de mon père !

L'Amour — Tu cherches vainement à placer la conversation sur un terrain où tu crois pouvoir me manœuvrer.

Psyché — Peut-être. Mais en tout cas, tu as peur de lui.

L'Amour — Je t'ai dit que non. Arrête ça, c'est puéril.

Psyché — Tu ne me trouvais pas puérile dans les jardins ! Seulement, dès qu'on aborde le vrai fond du problème, tu t'esquives. Cela ressemble encore à de la peur.

L'Amour — Cela commence à être agaçant à la fin, ma chérie.

Psyché — Et j'en suis désolée, mon amour. Mais il faut parler vrai.

L'Amour — Taisons-nous.

Psyché — Tu as peur de Midas.

L'Amour — Ne sois pas sotte !

Psyché — Oh !

L'Amour — Ne restons pas ici, j'entends approcher.

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Scène 5 — Psyché, Pandore et Cassandre.

Pandore — Psyché ! Faut-il toujours que tu te caches ? Je viens de croiser Mère qui était dans une grande colère. Tu refuses d'amener devant nos parents cet homme mystérieux qui te conte fleurette ?

Psyché — C'est un peu plus compliqué que cela.

Pandore — Bien sûr ! Avec toi, tout est toujours compliqué. Tu as tellement peur qu'on puisse te comprendre un jour !

Cassandre — N'apporte pas de refus à la demande de nos parents, Psyché. Cela aurait de graves conséquences. Pour toi comme pour nous.

Psyché — Ne sois pas si alarmante, Cassandre. Il n'y a aucune raison.

Cassandre — Si. Il y en a.

Pandore — Nos princes vont arriver d'ici peu, Psyché. Je veux qu'alors Père ait apporté sa bénédiction à ton alliance avec ton obscur petit prétendant ! Tu m'entends ? Il n'est pas question que je fête mon vingt-huitième anniversaire dans ces conditions. Je me tuerai avant. Et laisse-moi te dire que je ne te faciliterai pas la vie en attendant !

Psyché — Essaie de ne pas voir systématiquement les choses en noir, ma sœur. Si tu es dans un tel état d'esprit, comment ton prince pourrait-il être séduit ?

Pandore — Eh bien ! Voilà qu'à présent je me retrouve accusée d'être responsable de mes malheurs amoureux.

Cassandre — Cependant, elle n'a pas tout à fait tort.

Pandore — Cassandre !

Cassandre — Si nous n'étions pas si certaines que nos relations finiront fatalement dans le sang ou les larmes, ou les deux, sûrement nous montrerions-nous plus aimables.

Psyché — C'est ça. C'est psychologique, en somme.

Pandore — Et les oracles ? Vous oubliez Tirésias peut-être ? Et Alcyoné. Et Silène. Ce n'est pas moi qui le dis : Psyché doit se marier pour nous permettre d'en faire autant.

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Psyché — Je sais tout cela, j'en suis consciente. J'aimerais me défaire de ce poids. Seulement cela m'est impossible. Si je contrains mon amour à obéir à des règles qui ne doivent avoir de prise sur lui, c'est l'enchaîner pour toujours au joug de considérations qui finiront par le tuer. J'ignore même s'il y survivrait une seule seconde.

Cassandre — Qu'es-tu en train de dire ? Prétends-tu que faire violence à ton amant pour qu'il se dévoile détruirait votre relation ?

Psyché — Il n'y aurait alors plus aucun moyen que cela vous libère toutes deux.

Pandore — Brillant stratagème ! Mais je ne suis pas aussi crédule que Cassandre. Tu vas devoir obéir, Psyché, et ne pas te retrancher derrière des principes ridicules qui n'ont jamais eu cours nulle part ! Alcyoné aiguise déjà contre toi les couteaux vengeurs de l'autel d'Aphrodite. Père ne pourra pas longtemps différer la colère du temple. La prêtresse l'a dit : tu seras mariée ou bannie avant la prochaine lune. Ton prince charmant chercherait-il à te voir bannie pour mieux te posséder, au risque que ton châtiment se montre finalement plus sanglant ?

Psyché — Je ne sais plus que faire, Pandore. Peut-être devriez-vous lui parler.

Cassandre — Quoi ? Est-il ici ?

Pandore — Dans le palais ?

Psyché — Tout près de nous.

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Scène 6 — Psyché, L'Amour, Pandore, Cassandre.

L'Amour — Ne fais pas cela !

Psyché — Il est ici.

Pandore — Dis-nous son nom !

L'Amour — Ne leur dis rien !

Psyché — Je l'ignore.

Cassandre — Tu n'aurais pas dû lui permettre d'entrer dans le palais si tu ne voulais pas le présenter à Père.

Pandore — Amène-nous à lui.

L'Amour — Psyché.

Psyché — Ne le voyez-vous pas ?

Cassandre — Est-il caché ?

L'Amour — Ne dis plus un mot. Prend plutôt la fuite.

Pandore — Eh bien, réponds ! Où veux-tu que nous le voyions ?

Psyché — Ne vous moquez pas de moi ! Il est là, devant vous.

Cassandre — Psyché, perds-tu la raison ?

Pandore — Serais-tu amoureuse d'une ombre, petite sœur ? Je ne vois pourtant ici l'ombre d'aucun fourré d'aubépine ! Tu ne rends service à personne avec tes mensonges. Me faire endêver te coûtera cher : tu paieras cette impertinence.

Pandore sort.

Cassandre — Psyché, Pandore dit vrai. Crois-tu plaider intelligemment ta cause en te jouant de nous de la sorte ?

Psyché — Cassandre, tu ne le vois pas ? Mes sens ne peuvent me tromper à ce point. Je sens jusqu'à son parfum. Il porte encore ce masque sur son visage. Il se tient là, immobile.

Cassandre — Je crains que Pandore ne soit ivre de rage. Regagne ta chambre, Psyché. Et demeures-y bien. J'enverrai un médecin te voir. Je dois rattraper Pandore avant qu'elle ne décide d'aller parler à Père ou, ce qui serait bien pire, à Alcyoné.

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Cassandre sort.

Psyché — Elles ne t'ont pas vu. Y a-t-il un détail que tu aimerais me révéler ?

L'Amour — Je savais qu'elles ne me verraient pas.

Psyché — Ah. Bien. Je suppose que c'est rassurant. Tu es sûr que tu n'as rien à m'expliquer ?

L'Amour — Pas maintenant. Cassandre a raison. Mieux vaut que tu gagnes ta chambre.

Psyché — Ben voyons. Va dans ta chambre. Quelle réponse satisfaisante.

Ils sortent

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Scène 7 — Pandore, Cassandre, Diomède.

Sur scène, Pandore est rejointe par Diomède.

Diomède — Altesse, votre altesse, vous êtes la personne que je cherchais.

Pandore — Eh bien va plutôt chercher ailleurs si j'y suis !

Diomède — Mademoiselle, je suis navré si je vous importune, mais c'est pour vous porter, je pense, d'heureuses nouvelles.

Pandore — Parle toujours.

Diomède — Le prince Ajax passe en ce moment même les portes de la ville, altesse.

Pandore — Le prince ! Mon prince ? Quoi, déjà ? Ici ?

Diomède — Oui ! Il est accompagné du prince Jason qu'il a rencontré sur la route. Les deux prétendants de nos deux princesses sont donc réunis. C'est un beau présage. Tirésias en serait ravi.

Pandore — Tirésias est un crétin !

Diomède — Princesse !

Pandore — Il est donc là ! Comment est-il ? L'as-tu vu ?

Diomède — De loin, altesse.

Pandore — Est-il beau ? Est-il grand ? Il doit avoir fière allure, un nez aquilin, une nuque solide et bien dessinée, un front placide, un menton droit, fort, décidé. Tu sais combien la phrénologie dis vrai, Diomède. Il est probablement parfait en tout point. C'est sûrement le plus bel homme du monde !

Diomède — J'allais vous le dire, votre altesse.

Entrée de Cassandre.

Pandore — Cassandre ! Cassandre, approche donc. Notre cher Diomède vient de m'apprendre une grande nouvelle. Tu ne devineras jamais laquelle !

Cassandre — Les princes viennent d'arriver.

Pandore — Tu n'es vraiment pas drôle !

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Cassandre — Ils se seront rencontrés avant même d'arriver à Ancyre, cheminant de concert, devenant déjà amis.

Diomède — C'est exactement cela, princesse Cassandre.

Cassandre — Quel dommage que tout doive finir si mal.

Pandore — Arrête un peu ton cinéma, veux-tu ? Et prépare-toi à les accueillir ; nous ne sommes même pas présentables !

Diomède — Ils seront ici d'une minute à l'autre, altesses. Puis-je vous suggérer de vous montrer douces et réservées ?

Pandore — Pourquoi ?

Diomède — … C'est ainsi que vous leur fûtes décrites, mademoiselle.

Pandore — Douce et réservée, oui, naturellement. C'est moi tout craché.

Cassandre — Tant qu'ils ne sont pas entrés dans le palais, rien n'est irréparable. Diomède, trouvez notre père. Dites-lui de retarder notre rencontre avec les princes. Il faut d'abord s'occuper de Psyché.

Pandore — Je vous l'interdis ! Il n'y en a que pour Psyché dans cette ville !

Diomède — Douces et réservées, souvenez-vous.

Pandore — Ne vous inquiétez donc pas de cela. Veillez à ce que nos visiteurs trouvent leur chemin jusqu'ici !

Diomède — Oui, altesse.

Il sort.

Pandore — Je ne veux plus entendre tes prémonitions ! Il faut que tu prédises des drames à tout bout de champ !

Cassandre — Des drames qui se produisent.

Pandore — Tu pourrais au moins avoir l'élégance de ne pas t'en vanter !

Cassandre — Je ne me vante de rien, Pandore. Je ne me félicite pas de ne jamais convaincre qui que ce soit avant qu'il ne soit trop tard. J'avais dit qu'il ne fallait pas laisser le prince Astérion sans surveillance, ni le prince Anchise s'approcher des torchères, ni

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le prince Penthée jouer avec sa fourchette à côté du prince Lycurgue, ni le prince…

Pandore — À force d'annoncer des catastrophes, tu nous portes malheur à toutes les deux, voilà la vérité !

Cassandre — Tu ne crois pas ce que tu viens de dire.

Pandore — Et puis tu m'ennuies à la fin. Sais-tu faire autre chose que parler toujours et sans cesse en te gardant bien d'agir, comme si tu avais peur que le moindre de tes mouvements n'empêche les désastres d'arriver.

Cassandre — Tu es injuste !

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Scène 8 — Pandore, Cassandre, Ajax et Jason.

Dichotomie scénique. Les couples s'entretiennent chacun d'un côté de la scène.

Ajax — Je ne peux le croire, tous mes sens m'abusent ! Aurais-je devant moi la plus belle des muses ? C'était des alexandrins. Je suis aussi poète. On vante beaucoup mes talents. Dans beaucoup d'endroits.

Jason — Mademoiselle, j'ai traversé le monde connu pour vous. J'ai bravé les flots, les déserts et les dieux. Mais rien ne pouvait m'arrêter car j'étais bel et bien destiné à me jeter à vos pieds, belle Callisto !

Cassandre — Moi, c'est Cassandre.

Jason — Oh ! Heu… V-veu-veuillez m'ex-excu-cuser, jj… je Oh, c'est terr-rrrible-eu-ment em-embarrr-rassant.

Ajax — Vous êtes Pandore ?

Pandore — Princesse Pandore, fille de Midas et Pasiphaé.

Ajax — Tiens ! Je vous imaginais moins… enfin plus…

Pandore — Douce et réservée ?

Ajax — Les mots que je cherchais. Précisément. Nous allons nous entendre.

Jason — Mademoiselle, j'ai traversé le monde connu pour vous. J'ai bravé les flots, les déserts et les dieux. Mais rien ne pouvait m'arrêter car j'étais bel et bien destiné à me jeter à vos pieds, belle Ca-Ca-ss-ssandre !

Cassandre — Vous êtes le prince Jason.

Jason — Ma répu-putation me pp-précède donc ss-si loin !

Ajax — Belle demoiselle, je suis venu vous épouser. J'ai une autorisation signée de mes parents. Et j'ai apporté une petite babiole.

Pandore — Une bague ? Un collier ?

Ajax — Une biographie. De moi. Il faut bien que vous sachiez de qui vous allez partager la vie.

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Cassandre — Vous avez fait bon voyage ?

Jason — Eh bien, je vv-vous l'ai dit. J'ai bravé les flots, les déserts et…

Cassandre — Oui, oui, d'accord. Enfin bon, maintenant vous êtes là, c'est bien. Quel dommage. Je crois que nous nous serions bien entendu.

Jason — Pp-pourquoi dom-dommage ?

Cassandre — Inutile d'y penser. Profitons de l'instant présent. Parlez-moi de vous.

Ajax — Avec plaisir. Tout le monde le dit chez moi : il n'y a nulle part de meilleur cavalier que moi. Savez-vous que je monte à cru ?

Pandore — Comme c'est intéressant. Vous n'avez pas envie de me flatter, rien qu'un peu ?

Jason — Mais si ! En Colchide. Alors jj-je me suis re-retrouvé en train de bb-braver les flots, les déserts et les dieux.

Cassandre — Comme d'habitude.

Jason — Tout ça pour une ca-ca-carcasse de mm-mouton. En plus j'ai ho-horr-horreur de ça, le mou-mouton moi. Ca sent mauvais les m-moutons. Et puis je suis aa-allergique à la laine. Je ne porte que du coton.

Pandore — N'est-ce pas irritant ?

Ajax — Tout à fait. Mais je suis habitué. J'ai beaucoup combattu. A mains nues, au bâton, à cheval, au glaive. Je suis un excellent nageur. Je connais mes tables de multiplication.

Jason — Dans la ff-famille, c'est com-compliqué, vous savez. Il faut tt-toujours prouver sa vv-valeur et t-tout. Et dès que c'est ff-fait… Il faut re-recommencer.

Ajax — Les gens ne savent pas me juger à ma juste valeur. Il faut beaucoup d'amour-propre pour compenser cela. Beaucoup.

Jason — Alors c'est vrai q-que c'est un p- un peu tt-traumatisant tout cette dureté.

Cassandre — Et c'est pour ça que vous bégayez ?

Jason — M-moi, je bb-bégaie ?

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Ajax — C'est le genre de choses qu'on n'ose pas dire à Ajax, princesse. Je suis pourtant un homme comme un autre… En mieux.

Cassandre — Non, mais ce n'est pas gênant du tout que vous bégayiez. Cela peut donner du charme aussi.

Jason — Du charme ?

Cassandre — Je vous ai vexé ?

Ajax — Cette blessure s'ajoutera aux autres, mademoiselle. Je suis aguerri. Un jour je me suis fais piétiner par mon cheval.

Pandore — Vous souffrîtes ?

Jason — Bah qq-quand même un peu. C'était vraim-ment un bon chien… Mourir étouffé p-par un os de m-mou-mouton !

Pandore — Votre escorte est-elle nombreuse ?

Ajax — Mon escorte ?

Pandore — Vos serviteurs, vos soldats, vos conseillers.

Ajax — Ah oui. J'ai un valet. Il porte un casque. Et il est futé. Ha! Le grand Ajax n'a pas besoin de plus. Je me protège de mon seul glaive – qu'on m'a d'ailleurs confisqué à la porte. Je me conseille moi-même, je me sers tout seul. Et c'est tout seul que je suis venu trouver épouse dans ce royaume.

Pandore — Et d'où venez vous exactement ?

Jason — Iolcos. Nn-normalement je suis le pp-prince d'Iolcos, voyez-vous, seulement mon-mon oncle Pélias a usurpé le trône.

Cassandre — Oui, c'est normal.

Jason — Et il veut que je lui ramène cette ff-fameuse toison d'or pou-pour récupérer m-mon trône. Seulement jj-je… Je…

Cassandre — Vous êtes allergique au mouton. Mais vous avez certainement d'autres qualités.

Ajax — «La ruse d'Ulysse, la rage d'Achille, la bravoure d'Hector trouvent en Ajax leur juste athanor.» Vous verrez, c'est écrit page dix-huit. On ose même comparer ma force à celle d'Hercule. Ce qui est très légèrement exagéré. On prétend aussi que j'ai plus d'esprit que Socrate. Je veux bien le croire !

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Pandore — Et nos jardins ? Les avez-vous vus ? Ils sont célèbres dans le monde entier.

Ajax — Je ne suis pas porté sur la botanique, ma chère.

Jason — Alors moi, j'aurais bb-bien récupéré mm-mon trône, mais ça n'a pp-pas pu se ff-faire. Personne n'était là pou-pour mm-m'aider2.

Ajax — Ancyre est fort réputée pour son trésor. On entend même ici et là dire que le roi Midas possède le don…

Jason — … de changer ce-ce qu'il tt-touche en or.

Cassandre — On le dit.

Jason — Aa-alors s'il voulait bien tt-toucher une carcasse de mou… de m-mouton, ça me rendrait service.

Ajax — Une richesse qui pourrait donner vie à de grands projets. De quoi lever une armée immense, la plus grande jamais vue. A vaincre sans péril, on triomphe.

Jason — Et puis pp-pour lui, ss-ça ne coûterait rr-rien.

Ajax — Toute l'Asie mineure aux pieds d'Ajax ! Qu'en dites-vous ?

Jason — Comme ça je pp-pourrais revenir ch-chez moi avec une t-toison d'or, vous comprenez ?

Pandore — Vous allez vite en besogne, prince Ajax !

Cassandre — Nous verrons, prince Jason. Nous verrons.

Jason — Non, mais je d-dis ça, c'est parce que jj-j'aimerais être roi, quand même.

Cassandre — Vous vous projetez sans doute trop dans l'avenir.

Ajax — Je laisse le présent aux sots, ma dulcinée !

Pandore — Et puis si vous pouviez éviter ce genre d'anachronisme…

Ajax — Je serai un grand seigneur. Magnanime. Je vous protègerai. Vous et vos sœurs.

Pandore — Evitons le sujet, mon joli prince.

Ajax — Pourquoi ?

2 Ni pour Médée, d'ailleurs.

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Jason — Si on m'avait pro-proposé la main de vv-votre sœur, le problème ne se pp-oo-serait pas.

Cassandre — Ma sœur ?

Jason — Le mmm-ari de Pandore de-deviendra roi d'Ancyre, c'est bien ça ?

Cassandre — Pandore… J'ai cru un instant que vous vouliez me parler de Psyché.

Ajax — Ne vous énervez pas ainsi. Je ne suis pas là pour vos sœurs, je vous le répète.

Pandore — Ils ont tous dit ça avant vous ! Et on sait comment ça a fini. Ca commence à bien faire !

Jason — Je ne vois pas ce qq-que pourrait mm-m'apporter d'épouser Psyché. Ce serait rr-ridicule.

Cassandre — Je savais bien qu'elle ferait irruption dans notre conversation. Elle n'aura pas même eu besoin de se montrer. Ce que c'est que le destin !

Pandore — Et bien dites-le, dites-le ! Usez de votre bouche autrement que pour plastronner.

Ajax — Mademoiselle, on n'a jamais utilisé ce ton envers Ajax !

Pandore — Oh ça va ! A d'autres ! Dites-le que c'est pour elle que vous êtes venu.

Ajax — Vous me parlez de cette Psyché alors que je ne la connais pas. J'ignore tout de votre royaume. Je n'avais jamais mis les pieds ici ! Vous êtes complètement folle.

Cassandre — On me le dit souvent. Mais je n'attache pas d'importance aux compliments.

Jason — La beau-bb-beauté de votre nom n'a rien à envier à cc-celui de votre sœur. Psyché… Ce n'est vraiment pp-pas un nom de reine.

Cassandre — Je ne sais. Et ce n’est vraiment pas la question.

Pandore — Vous finirez bien par l'avouer ! Quelqu'un en ville vous aura crié son nom. Vous aurez aperçu son portrait. On ne parle que d'elle, partout. Elle est même devenue plus fameuse que les jardins.

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Ajax — Voyons, cessez de vous alarmer. Je ne peux en aucun cas m'intéresser à elle. Ajax n'épousera jamais une femme plus célèbre que lui.

Jason — De toute ff-façon, vous vv-vous en faites pour rien. Ce n'est pas pou-pour votre bb-beauté que je vous aime.

Cassandre — Ah ? Vous m'aimez ?

Ajax — Je n'aurais peut-être pas dd-dû le dire ainsi.

Pandore — Taisez-vous, prince ! Notre premier entretien fut plus riche que je ne l'aurais souhaité. Restons en là.

Jason — C'est-à-dire, en ff-fait, qu'il me faudrait ss-sans doute ré-réfléchir à la qq-question.

Cassandre — Ce serait judicieux.

Jason — Je… Je vais aller pp-prendre un peu l'air.

Pandore — C'est ça ! Nous nous verrons au souper.

Les princes sortent.

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Scène 9 — Pandore & Cassandre.

Pandore — Ca ne s'arrange pas, Cassandre.

Cassandre — Ca ne risque pas.

Pandore — Le prince Ajax n'a pas pu s'empêcher de me parler de Psyché.

Cassandre — Est-ce lui qui a abordé le sujet ?

Pandore — Evidemment ! Je ne sais plus trop. C'est une malédiction.

Cassandre — Mince alors. Qui aurait pu prédire une chose pareille ?

Pandore — Nous devons réagir. Ces deux princes sont notre dernière chance.

Cassandre — On peut difficilement trouver pire que le mien.

Pandore — Ne te plains pas, le mien ne parle que de lui, de son nom, de ses qualités, de son physique… Il n'a pas du tout le nez aquilin !

Cassandre — Notre destin est consommé, ma sœur. Je n'ai rien à proposer sinon demander à ces princes de rentrer chez eux le temps pour nous de marier Psyché à…

Pandore — Voilà bien trop longtemps que ma vie est réglée sur ce que veut, vit et fait cette petite Psyché !

Cassandre — Je partage ton infortune. Nous savons qu'elle est incontournable. Vouloir aller contre l'ordre des choses ne pourrait que provoquer un destin plus tragique encore.

Pandore — Mais non ! Tais-toi, tu vas encore nous porter malchance. Alcyoné sera de notre côté. Le sacrifice humain est très envisageable étant donné les circonstances. Il suffit de l'accuser de menacer les récoltes et le commerce de la ville. Son destin tragique émerveillera notre peuple imbécile.

Cassandre — Sans doute, mais…

Pandore — Notre père ne s'élèvera pas contre le pouvoir du Temple.

Cassandre — Non, tu as raison, mais…

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Pandore — Une fois Psyché morte, quelle ombre pourrait-elle porter sur nos vies ? Plus aucune. J'aurai un mari, bientôt un héritier. C'est Ancyre toute entière qui sera sauvée.

Cassandre — C'est beaucoup attendre de la part de Psyché.

Pandore — Mais non. Elle n'aura somme toute rien à faire. La nouvelle lune aura lieu dans deux jours. Il suffit de garder un œil prudent sur nos princes.

Cassandre — Et les empêcher de contempler notre sœur.

Pandore — Elle est consignée. Nous la ferons emprisonnée. Ils ne la verront pas. Jamais.

Cassandre — Il y aura une cérémonie.

Pandore — Nous devrons les en tenir éloignés. Mère saura agir dans notre sens.

Cassandre — Cela ne fonctionnera pas.

Pandore — Cela fonctionnera si nous le voulons suffisamment !

Cassandre — Je ne sais pas ce qui découlera de tout cela, mais rien de bon. Rien de bon, Pandore.

Pandore — L'avenir sera ce que nous en ferons.

Cassandre — C'est aussi ce que je crains.

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Acte 3

Décor : Un cachot.

Scène 1—— Psyché & Hésioné.

Hésioné — Je ne sais que faire, mademoiselle. J'ai voulu parler à votre père le roi ; on m'interdit de le voir. Votre mère s'est enfermée dans ses appartements. Vos sœurs sont introuvables. Je ne sais plus vers qui me tourner. Je ne peux croire qu'on vous laisse longtemps ici. Cette idée m'est intolérable. La prêtresse doit fléchir ! Que faut-il faire ? Mademoiselle ne demeurez pas ainsi silencieuse, dites-moi ce que vous attendez de moi !

Psyché — Moins d'épouvante, Hésioné. Papa finira bien par savoir ce qu'il s'est passé. Il me fera libérer. Très vite. Alcyoné a pris une singulière liberté de me faire emprisonner dans mon propre palais. C'est un risque insensé, même pour elle.

Hésioné — Mademoiselle…

Psyché — Je suis d'ailleurs surprise que Diomède ait permis pareil agissement, mais dis-lui bien que je ne lui en tiens pas rigueur ; le temple sait se montrer convaincant.

Hésioné — Vous croyez donc que sa majesté n'a pas encore été avertie ?

Psyché — Naturellement. Papa sera furieux dès qu'il l'apprendra.

Hésioné — Oh, mademoiselle, je suis désolée, mais le roi sait tout. Diomède n'aurait pas toléré qu'on vous touche si l'ordre n'avait émané du trône, vous le savez.

Psyché — Hésioné ! Ce que tu me dis est impossible. Je ne suis pas venue au souper présenter mon amant à mes parents comme

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ils l'avaient exigé, mais pour autant je ne peux croire qu'ils acceptent le traitement qu'on m'inflige.

Hésioné — J'en suis la première consternée, princesse. Mais vous savez bien que tout le monde conseille à votre père de ne point contrarier le temple. Silène lui-même n'a de cesse de réclamer votre mariage. Et vous savez tout de l'insistance de Tirésias à ce sujet.

Psyché — Qu'est-ce à dire ? Tout le monde m'abandonne dans ce cachot, au bon vouloir de la rage imbécile d’une vestale cacochyme ? Ancyre n'est pas à ce point dévote ! C'est inacceptable. Tu iras voir Diomède, Hésioné. Dis-lui bien que j'exige de voir mon père pour entendre de sa bouche qu'il s'incline devant l'intimidation d'Alcyoné. Si c'est lui qui vient me l'ordonner, alors je subirai mon sort sans me plaindre. A ce prix seulement.

Hésioné — Et votre amant, mademoiselle ! Il est encore temps pour lui de se manifester. Dites-moi comment le trouver, je l'amènerai devant votre père. Le roi, j'en suis sûre, sera trop heureux de pouvoir lever la sanction pour vous marier dans l'heure plutôt que de vous perdre.

Psyché — Comme j'aimerais pouvoir ainsi arranger ma situation.

Hésioné — Donnez-moi son nom, mademoiselle. Oubliez votre pudeur ou votre retenue. Il s'agit de sauver votre vie !

Psyché — Nous n'en sommes pas là encore.

Hésioné — Le plus dur est fait déjà pour ceux qui veulent votre perte, princesse. Vous bannir peut sembler bien peu à vos ennemis, si près qu'ils sont d'obtenir davantage.

Psyché — Je n'ai pas d'ennemi, Hésioné ! Les envieux sont de sottes gens, de méchants amis, mais de mauvais criminels.

Hésioné — Puissiez-vous avoir raison, mademoiselle. Je vais de ce pas m'entretenir avec Diomède. Dès que je l'aurai vu, je traverserai les jardins. C'est bien là bas que vous fîtes la connaissance de votre mystérieux amour ?

Psyché — Je doute que tu l'y puisses trouver, mais je n'ai pas le cœur à te dissuader de le chercher, ne fut-ce que pour le rassurer.

Hésioné — Je me verrai mal capable d'être rassurante, mademoiselle.

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Psyché — Merci pour ton aide, Hésioné.

Hésioné — Je reviendrai.

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Scène 2 —— Psyché & L'Amour (+Midas, Ajax, Diomède,

Hésioné).

Psyché — Te voilà, pauvre Psyché, réduite à l'infortune d'une captivité que l'on t'inflige au nom de dieux qui n'aiment rien tant que tourmenter les mortels. Pauvre petite princesse, élevée dans le luxe à l'ombre de la puissance de ton père, nantie du confort d'un palais où tous s'activent pour satisfaire tes désirs depuis ton premier jour. Maintenant en disgrâce, qui trouvera suffisamment d'intérêt à te manifester de la bonté quand ton père lui même ne pose plus les yeux sur toi ? C'en est fini de toi, Psyché, pauvre enfant.

L'Amour — Je ne te connaissais pas ce talent d'apitoiement.

Psyché — Toi ?

L'Amour — Se peut-il que la princesse élégiaque de ce cachot soit celle-là même qui avant-hier ravissait mon cœur avec la grâce fragile, légère et insouciante qui parfumait les jardins autour d'elle.

Psyché — Comment es-tu entré ici ?

L'Amour — Y a-t-il des verrous à ton cœur ?

Psyché — Ma question était sérieuse !

L'Amour — Ma réponse te parait-elle absurde ?

Psyché — Les geôliers auraient dû t'arrêter.

L'Amour — Il faudra le leur dire.

Psyché — Eux non plus ne t'ont pas vu, c'est cela ? Pas plus que Cassandre et Pandore. Tu ne m'as toujours pas expliqué ce prodige.

L'Amour — Non. Je ne l'ai pas fait.

Psyché — Je me pose des questions, mon chéri.

L'Amour — Sur moi ?

Psyché — Oui, sur toi ! Comment puis-je continuer à t'aimer alors que c'est par ta faute qu'on me jette ici sans aucun égard ?

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L'Amour — Ce n'est pas sur mon ordre que cela fut fait. Je n'ai rien à voir non plus avec la lâcheté d'un roi qui ne sauve pas sa fille.

Psyché — Ne dis pas de telles choses ! Tu ne connais pas mon père. Il n'agit jamais sans raison. Que se passe-t-il à présent ? Me laisseras-tu ici, livrée au bon vouloir de cette femme qui cherche à me tuer ? Il suffit pour empêcher cela que tu viennes devant mon père.

L'Amour — Je t'ai déjà expliqué qu'il n'était pas…

Psyché — Tu m'as servi un raisonnement de philosophe sans passion ni sentiment, sans rien de ce que j'attendais. Et si maintenant je te menaçais de te retirer mon amour ?

L'Amour — C'est ce que je t'ai demandé, Psyché. Te souviens-tu de ta réponse ?

Psyché — J'ai changé d'avis ! N'es-tu pas sensé voler à mon secours ? Il ne s'agit pas de gagner un tournoi pour me plaire ni de réaliser quelque exploit. Il s'agit de me sauver ! Même les idiots qui courtisent mes sœurs comprendraient la différence.

L'Amour — Je peux rester ici avec toi. Jusqu'à la fin.

Psyché — Franchement, mon chéri, je suis déçue. Un homme qui se faufile jusqu'ici, tranche mes liens, se batte contre un garde ou deux, m'enlève sur son destrier, voilà à quoi j'aspire. Rien que de très classique en somme ! Et toi, tu me proposes d'attendre ici bien gentiment qu'on fasse de moi les Dieux seuls savent quoi. J'ai peine à croire ce que je vois.

L'Amour — Tu doutes de moi ?

Psyché — Pas exactement. Disons que depuis notre discussion dans les couloirs… Je doute tout simplement de ton existence, mon chéri.

L'Amour — Tu serais folle ?

Psyché — Ceux qui connaissent ma famille estimeront qu'il n'y aurait rien d'extraordinaire à cela.

L'Amour — Et moi ? Que deviendrais-je dans ces circonstances ?

Psyché — Le fantasme d'une pauvre princesse qu'aucun homme n'a jamais osé courtiser ni même approcher.

L'Amour — Une coquille vide, une simple idée.

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Psyché — Un espoir.

L'Amour — Et derrière ce masque ? Quelle vérité aveuglante est-il sensé camoufler ?

Ajax — (passant avec le même masque que l'Amour qu'il retire au terme de sa réplique) Ta jalousie envers tes sœurs, courtisées par de beaux princes venus de loin, irradiant de la renommée d'exploits plus ou moins vraisemblables, auréolés de la bravoure d'un nom célèbre !

Psyché — Sûrement pas ! J'ai peut-être de la vanité, mais pas celle de me faire valoir par le nom de mon prince.

L'Amour — Cache-t-il autre chose ?

Silène — (même jeu qu'Ajax) Des pulsions incontrôlables, propensions ataviques à la débauche, héritage de l'appétit d'une mère adultère ? Il n'y aurait rien de très nouveau la dedans !

Psyché — Sans façon, Silène. Je suis légèrement trop ingénue, trop jeune encore pour vous trouver à mon goût.

L'Amour — De ton goût il est question, mon amour. Sans que je sache encore tout de lui.

Diomède — (même jeu) Car il est des hommes mûrs, doctes, inflexibles et plein d'autorité qui ont sur les jeunes filles l'attrait de l'expérience, de l'affectueuse protection. Le cœur d'une jeune princesse n'est jamais à l'abri de l'embuscade tendue par le charme tranquille de celui qui n'a pas la prétention de plaire.

Psyché — Diomède ne saurait être à moi. Même si un homme comme lui rassemble les qualités essentielles pour que je m'abandonne à la sécurité de son tendre bras.

L'Amour — Nul ne semble trouver grâce à tes yeux. Qui donc devrai-je être pour valoir que tu continues à m'aimer ?

Hésioné — (même jeu) Une personne sensible, proche de toi depuis toujours. La fervente amie prête à tout risquer pour te sauver, celle dont l'amour secret te rendrait supportable la servitude contre laquelle une princesse n'a que peu d'espoir d'être affranchie un jour.

Psyché — De quoi est-il question ? Hésioné est mon amie, mais je sais où va mon cœur.

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L'Amour — Il faut pourtant que ce fantasme ait un sens, Psyché.

Psyché — Eh bien oui : je suis complètement folle, voilà tout.

Midas — (même jeu que les précédents) Ou honteuse surtout, comme lorsqu'on éprouve Une passion que la morale réprouve; Quand les faits excèdent l'aveu qu'on en veut faire De donner plus d'amour que n'en réclame un père.

Psyché — Enfin, que cela cesse ! Tu deviens scabreux ! Ce n'est sûrement pas pour te jouer de moi de la sorte que je t'aurais imaginé ! Au reste, mes sœurs ont toujours critiqué mon manque d'imagination. Tout cela est trop sophistiqué pour que j'accepte d'en être à l'origine.

L'Amour — Par conséquent, tu ne douterais plus de moi ?

Psyché — Je doute plus que jamais, mon cher. Je doute pour exister.

L'Amour — Même si douter c'est me perdre ?

Psyché — Perdre quoi ? La voix qui me déclame les banalités les plus éculées sur ce que doit être un sentiment pur, débarrassé de toute contingence. Mais ce sont les contingences qui font la vie ! Je ne perdrai ni ton nom ni ton visage pour ne les avoir jamais connus. Même si tu existes, que perdrais-je ?

L'Amour — Une ultime possibilité. Un amant qui ne soit rien de ce qui t'a été montré.

Psyché — Que reste-t-il ? Prendras-tu les traits d'Astérion, d'Alcyoné, d'un des capitaines que mon père fit décapiter ? Que me réserve ce masque que j'ai appris à haïr autant que je peux t'aimer ?

L'Amour —Peut-être une vérité moins probable que les autres, et plus terrible encore. (retirant son masque, dos au public) Suis-je bien réel ? Suis-je digne de toi ? Crois-tu pouvoir changer qui je suis par ta seule volonté ?

Psyché — Pour autant je ne suis pas sauvée. Pardonne-moi mes cris, mon insolence. Pardonne mes exigences.

L'Amour — Et tes doutes ?

Psyché — Non. Ne me pardonne pas cela. Je garde mes doutes, j'en ai besoin. Car je suis encore enchaînée dans ce cachot, promise à

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un destin qui se trame pour moi quelque part dans les salles du palais et sur lequel tu ne peux rien.

L'Amour — Qui a dit que je n'y pouvais rien ? Certainement pas moi. Je te laisse, Psyché. N'oublie pas d'espérer, n'oublie pas de vouloir nous réunir à nouveau. N'oublie rien de cela.

Psyché — Et nous serons sauvés ?

(…)

Le texte intégral est disponible sur simple demande à l'auteur :

[email protected]

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Quelques pièces de Thomas C. Durand

- Mont de Dieux ! comédie ‘culte’

- L’avis du mort comédie policière

- Psychofluide comédie sentimentale

- L'embarras du choix comédie de mœurs

- Psyché comédie tragique

- Passage à l'acte comédie en relief

- Vertiges des auteurs comédie abîmée

- Le Propre de l'Homme comédie pseudo-scientifique

- Contre-Temps comédie de science-fiction

- Opération Lancelot comédie médiévale

- On recrute ! comédie inutile

- Un bout de souffle comédie inspirée

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Mont de Dieux ! comédie culte 2 heures. 6 hommes – 3 femmes (+ une voix Off).

Tout fout le camp sur le Mont Olympe. Zeus est fatigué d'être roi des

dieux. Il aimerait prendre un peu de recul... vendre l'univers ?

Justement, deux monothéistes (un ange et un démon) viennent pour

acheter l'entreprise familiale.

Seulement voilà, Héra a invité la famille pour l'anniversaire de Zeus et

elle ne veut pas entendre parler de vente.

Il y a de l'orage dans l'air, en somme.

L’avis du mort comédie policière 1h30. 4 hommes – 3 femmes (modulable).

Hervé Perdeillon est éditeur, et il est mort. Ca l'ennuie parce qu'il avait

un emploi du temps chargé. Il hante désormais le bureau où il a été tué

à coup de statuette de bronze sur le crâne. On enquête ; ses amis

deviennent soudain suspects. Et même si Hervé finit par comprendre

qui l'a tué, personne ne l'écoute. En somme, on se moque de l'avis du

mort.

Psychofluide comédie sentimentale 1h20. 3 Hommes – 5 femmes.

Anthony, homme dynamique, brillant, milliardaire, a frôlé la dépression,

mais il va mieux car il aime à nouveau : sa psychiatre. Seulement Émilie

est mariée à Barnabé, médecin généraliste. Anthony se lance dans un

méthodique travail de sape : colérique et jaloux, Barnabé semble mûr

pour sombrer dans la folie. Les personnages qui fréquentent son

cabinet ne vont pas arranger son état.

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L'embarras du choix comédie de mœurs 1h40. 4 hommes – 2 femmes.

Nous sommes dimanche midi. Etienne et Irène arrivent à l’appartement

que leur fils partage avec Maxime. Il n’y a personne. Ils patientent en

s’obstinant à ne rien voir des indices qui jalonnent le salon. Car Florian

et Maxime s’aiment, et tout le monde l’a compris, mais on fait mine de

rien parce qu'on ne sait pas comment aborder la question. Sauf que ce

dimanche là, une machination est en place pour que la vérité soit dite.

Psyché comédie tragique 2h. 7 hommes – 5 femmes.

La légende de Psyché, amoureuse de Eros, plus que légèrement adaptée

avec une famille (re)composée de Midas, roi dépressif qui ne parle

qu'en alexandrins ; Pasiphaé, reine égoiste et piètre mère ; Pandore et

Cassandre en improbables soeurs de Psyché ; et Psyché elle-même,

jeune princesse au charme ravageur à laquelle bien des prophéties ont

prédit un destin hors du commun. Reconnaissons aussi que c'est un peu

ce qu'on attend d'une prophétie...

Passage à l'acte comédie en relief 1h50. 4 hommes – 3 femmes.

Alexis, gentil comptable, fait tout pour arranger les choses autour de lui.

Il est un ami, un collègue et même un fils fidèle et plein d'abnégation.

Très vite, cela commence à agacer Marie. Marie est une spectatrice

venue voir Passage à l'Acte, une comédie dont elle trouve l'auteur

prévisible et, pour tout dire, fainéant. La voici qui s'invite sur scène

pour faire avancer tout ça à un rythme plus trépidant.

Il n'est pas acquis qu'Alexis prenne bien cette intervention fort étrange,

et il n'est pas certain que l'auteur se laissera faire...

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Vertiges des auteurs comédie abîmée 1h30. 6 hommes – 5 femmes (modulable).

Vous assistez à l'adaptation scénique de la série culte « La Nostalgie des

Saisons du Cœur des Amours de Jadis », un soap absurde où les

machiavéliques membres de la famille Van de Mac O'Brian tentent

d'élucider la disparition du chef de famille : Edmond. Mais soudain tout

bascule, et vous voici plongé au cœur des répétitions de la troupe, avec

un metteur en scène tyrannique, injuste, des comédiens par toujours

motivés. Et puis intervient l'auteur de la pièce, imbuvable, et même

l'auteur du best-seller qui a inspiré la série TV et l'adaptation. Parfois les

auteurs, à force de mépris, se perdent dans des abîmes qu'ils prennent

pour des cimes.

La première fille comédie imaginaire 1h30. 3 enfants (1 fille, 2 garçons) + 3 hommes + 2 femmes + 1 narrateur.

L'Illustre Institut d'Ithtir est la plus prestigieuse école de magie. Seuls

les garçons peuvent y apprendre à développer leurs pouvoirs car de

vieux messieurs ont décidé que les filles n'étaient pas douées pour ça.

Mais si jamais le meilleur élève s'avérait ne pas être exactement un

garçon, que se passerait-il ?

Le Propre de l'Homme comédie pseudo-scientifique

1h30. 7 personnages.

Dans un monde où l'on ne rit presque plus, un laboratoire scientifique

tente de comprendre ce qu'est le rire. Dans une chambre secrète est

enfermé un précieux cobaye, un homme doté d'humour. Il est Belge…

Ces chercheurs sont-ils sur la bonne voie pour découvrir le "propre de

l'homme" pour peu qu'une telle chose existe ?

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Contre-Temps comédie de science-fiction 1h30. 3 hommes, 2 femmes.

Benjamin, intelligent et plein d'idées, colocataire de Prosper, aime

secrètement sa voisine Hélène. Débarque un inconnu qui semble bien

renseigné sur lui, et pour cause : c'est son propre fils, venu de quarante

ans dans le futur !

Suivra Louise, la fille de Prosper. Les deux visiteurs, enfants alternatifs

d'Hélène et d'un des deux amis, en provenance de deux avenirs

alternatifs sont tout simplement en guerre pour leur existence.

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