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© Serge Cattet38, route du Périmètre74940 Annecy-le-Vieux

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Serge CATTET

Térébinthes S.P. 87009ou

le témoignage d’un Appelé ordinairedans la guerre d’Algérie

1959 - 1962

Le droit d’inventaire, le devoir de mémoire, Oui !Ce sont des exigences de l’Histoire et de la Démocratie.Mais leur respect ne peut tolérer qu’elles soient exercées à sens unique, prisonnières de la pensée dominante et de l’emprise du “politiquement correcte”.

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À Thérèse et Alain qui m'ont attendu.

À mes parents et mes beaux-parents qui les ont soutenus.

À tous ceux, dont les Harkis, qui m'ont entouré et aidé dans ma tâche.

Aux centaines de milliers d'Appelés qui ont “fait l'Algérie”.

Mes remerciements vont à toutes celles et tous ceux qui m’ont encouragé et aidé à publier ce témoignage.

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À mon ami, Serge CATTET

Agrégé de l’Université, Serge CATTET a enseigné l’histoire et lagéographie au Lycée BERTHOLLET d’ANNECY de 1964 à 1994.

À sa retraite, il participe à la vie municipale d’ANNECY-LE-VIEUXen tant qu’élu, puis donne son temps à l’Union Départementale desCombattants AF.N., préside la Commission Civisme et Mémoire et réalisele “Livre d’Or” consacré aux Haut-Savoyards tombés en Afrique du Nordde 1952 à 1962. Le côtoyer et travailler avec lui est une chance pour notremouvement, lui aussi très attaché à la Mémoire des hommes qui ont servinotre Pays.

“Térébinthes S.P. 87009” est le livre d’un homme qui, appelé à faire sonservice militaire en 1959, a participé au conflit en Algérie. Sous-Lieutenantau sortir de l’École des Officiers de Réserve de Saint-Maixent, il est affectéau IIe Bataillon du 22e Régiment d’Infanterie de Marine en charge dusecteur de Marnia, en Oranie, à la frontière algéro-marocaine. Laresponsabilité d’un poste et d’un village de regroupement, puis la fonctiond’officier de renseignements de son bataillon lui ont été tour à tour confiéesjusqu’à son départ d’Algérie en février 1962.

Ce sont ces deux expériences que Serge CATTET a cherché à fairerevivre dans un ouvrage vivant qui, par ailleurs, apporte la preuve que lesouci d’humanité n’a pas été étranger à l’action militaire menée en Algérie.

Pour son écriture et la richesse de son contenu, “Térébinthes S.P. 87009”mérite d’être lu.

Annecy, le 2 septembre 2007.

Hubert BORNENSPrésident de l’U.D.C.-AF.N. et Autres Conflits de Haute-Savoie

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PROLOGUE

Automne 1954 ; à peine dégagée du bourbier indochinois, la France estde nouveau confrontée au problème de la décolonisation : le brasier de larévolte s’est rallumé en Algérie. Automne 1959, je suis appelé poureffectuer mon service militaire, l’affaire algérienne n’est pas encore résolue,cela me vaut de rester 28 mois sous les drapeaux !

Printemps 2001, la France ne s’est toujours pas libérée de ce fardeauqu’a été le drame algérien. Les harkis (ou du moins ceux qui restent)manifestent… à bon droit. Le parti communiste, des titres de la pressequotidienne et hebdomadaire, des livres réveillent la plaie de la torturepratiquée au cours de cette “opération de maintien de l’ordre” selonl’expression consacrée dont a été longtemps affublé le conflit algérien. Lestémoignages affluent d’ “Appelés” qui ont participé à ce qui, entre temps,est devenu officiellement “la guerre d’Algérie”. Curieusement tous cestémoignages ou du moins la plupart d’entre eux vont dans le même sens,celui d’une relation des exactions commises par l’armée sur les populationsmusulmanes des villes et du “bled”. C’est une vraie campagne à allure derepentance qui s’est déclenchée, une campagne dont beaucoup ne saisissentni l’intérêt, ni l’objectif. La France est-elle enfin mise au courant d’unevérité qui lui avait été cachée ? Pas du tout ! La pratique de la torturen’avait jamais été occultée, elle avait même été révélée et dénoncée trèstôt, notamment dès le début de la “bataille d’Alger”. Pour couronner cettecampagne, le général Aussaresses, un des acteurs de cette “bataille d’Alger”vient y ajouter le poids de ses mémoires relatées non sans un certaincynisme.

Les “ratonnades”, les exécutions sommaires, la torture ont malheu-reusement été une réalité de l’action dite de… “Pacification” qui avait étéconfiée à l’Armée par un pouvoir politique déficient et paralysé. Mais ilme paraît malhonnête de n’évoquer que ces comportements. La grandemajorité des hommes, des jeunes “appelés” qui ont connu les… joies du“crapahut” dans les djebels, des patrouilles dans les villes et le “bled”, de lagarde des fermes, de la protections des trains, de l’ouverture des routes, dela surveillance des frontières, de la vie dans les postes, des opérations de

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“ratissage”, y ont échappé. On ne peut rien leur reprocher. Mais de nosjours, les médias n’ont pas pour habitude de s’embarrasser de nuances etleur dénonciation des exactions commises s’étend à l’ensemble des“Anciens d’Algérie” ou du moins en donne l’impression. Cettecondamnation en bloc est une injustice, cette généralisation outrancière estinsupportable, d’autant que au cours des huit longues années de ce conflit,des attitudes plus attentives au respect de l’homme et de ses droits n’ontpas manqué. Cela, je peux l’affirmer sans crainte d’être démenti car il s’agitde ma propre expérience.

Après être passé par le moule des E.O.R. (Elèves Officiers de Réserve)de St-Maixent, cette aventure algérienne je l’ai pratiquée de novembre1960 à février 1962 dans le secteur de Marnia en bordure de la frontièrealgéro-marocaine. Le 22e Régiment d’Infanterie Coloniale (puis de Marine)y était implanté depuis son retour d’Indochine. Sa mission était double. Surla frontière, les postes qu’il tenait étaient chargés d’interdire tout passageen Algérie aux forces de l’Armée de Libération Nationale (A.L.N.) baséesau Maroc à proximité d’Oujda. À l’intérieur les unités dispersées sur leterrain consacraient leur temps et leurs moyens (limités…!) à traquer le“fellagha” et à démanteler son organisation politico-militaire. Le “travail”sur la frontière ou plutôt sur le barrage qui la bordait, j’y ai goûté lors demon initiation aux différents aspects des tâches du 2e bataillon auquelj’avais été affecté. Mais c’est la surveillance intérieure qui a occupé lamajeure partie du temps que j’ai passé dans la plaine des Beni Ouassine.Responsable du poste et du village de regroupement de Térébinthes, j’aiété confronté au double problème du commandement d’une troupehétérogène et de la gestion des affaires d’une population rassemblée manumilitari. Plus tard, c’est à une autre situation que j’ai dû faire face, celled’un officier chargé de recueillir des renseignements indispensables aumaintien de la sécurité au sein du “quartier de pacification” de Marnia-rural . Tâche redoutable ! Dans les deux cas ma préoccupation première atoujours été le respect des hommes et des femmes que j’ai administrés ouque j’ai été amené à arrêter. À maintes occasions j’ai pu constater que cesouci n’était nullement partagé par nos adversaires…

Ma vérité n’est donc pas du tout dans le ton de celle qui prévautactuellement. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision d’apportermon témoignage. Témoigner implique un engagement essentiel, celui d’une

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relation des faits vécus, des impressions ressenties, des émotions éprouvéesaussi honnête et fidèle que possible. Cela peut paraître présomptueux à 40ans de distance ! La mémoire est une fonction fragile et facilementdéfaillante ; elle occulte, elle transforme, elle noircit ou au contraire elleidéalise. Heureusement, pour mener à bien cette entreprise j’ai pum’appuyer sur l’aide précieuse d’un ensemble de documents personnels,des photos et surtout les 150 lettres souvent écrites au jour le jour que j’aifait parvenir à ma femme tout au long de ces 28 mois. Images et écrits ontune incomparable capacité à redonner vie à un film dont le scénario s’étaitavec le temps singulièrement estompé. Les personnages, les paysages, lesévènements retrouvent leur place au sein de la mémoire. Mais la trame dufilm n’est pas seule concernée par cette résurgence tardive et voulue ; lesémotions, les sentiments le sont aussi. Les contradictions dans l’état d’espritet les comportements font également leur réapparition, notamment cellessuscitées par la perspective d’un service en Algérie et d’une confrontationaux réalités d’une terre en état de révolte.

Historien et géographe de formation je comprenais la volonté d’unepartie du peuple algérien de tout tenter et de tout faire pour que son paysaccède à l’indépendance. Le monde colonisé était en proie à la fièvre de ladécolonisation. L’Algérie ne pouvait pas y échapper . Il n’était pas réalisted’imaginer que les rapports entre la France et ses “départements” algérienspuissent demeurer sans changements profonds. Leur évolution étaitinéluctable, mais laquelle ? rupture, c’était à craindre ; permanence de liensdans la liberté réciproque ? On pouvait l’imaginer. C’est ce que j’espérais.C’est dans cet état d’esprit que je suis parti à St-Maixent puis que j’ai gagnél’Algérie. Il n’était pas question de me soustraire au devoir du servicemilitaire mais j’étais bien décidé à n’agir que selon les exigences de maconscience. J’étais bien convaincu qu’il ne fallait rien faire qui puisse unpeu plus altérer les rapports avec la communauté musulmane. Il fallait donctout à la fois comprendre un désir légitime de respect, de liberté et agirpour enrayer la progression du feu de la révolte. Ce sont ces convictionsque j’ai essayé de respecter dans l’exercice des charges qui m’ont étéconfiées. Et je suis bien persuadé de ne pas avoir été le seul à adopter cecomportement.

Cette conviction il fallait que je l’exprime !

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ANTICHAMBRE À ST-MAIXENT

Il ne saurait être question de faire de l’année passée à St-Maixent unroman épique. Mais dans le même temps, ne pas l’évoquer ne se justifieraitpas car elle s’est déroulée dans une atmosphère imprégnée de “l’affaire”algérienne. L’Algérie était à terme ce qui nous attendait tous, sansexception. L’instruction subie pendant six mois n’a eu pour objet que denous préparer à exercer un commandement, non dans une paisible caserne,mais dans un pays difficile en proie à la rébellion. L’Algérie n’alimentaitpas en permanence nos conversations, mais nous l’avions toujours bienprésente à l’esprit. Dès le début des conférences données à l’Ecole, lescaractères spécifiques du conflit qui se déroulait entre Méditerranée etSahara furent évoqués sans détour… “L’après-midi, conférence sur laguérilla et la contre-guérilla menée par un officier de l’actionpsychologique. La causerie a surtout été axée sur les problèmes posés parla guerre d’Algérie. La question des représailles et de leur inutilité a étéabordée avec sincérité. Une fois le cycle des représailles commencé, il estimpossible de savoir quand et comment il prendra fin.” (Lettre du 28/11/59).

Et puis plus tard, lorsque j’ai été momentanément maintenu à St-Maixent et affecté au service de Culture Générale de l’E.A.I.1, lescontingences algériennes sont restées au premier plan de mespréoccupations. Le quartier Coiffé avait accueilli au cours de l’été, unequarantaine d’appelés d’un type particulier ; professeurs dans leur état civil,ils venaient de consacrer les tout premiers mois de leur service à enseignerdans les nombreux lycées dépendant de l’armée. Il fallait donc les initier àla chose militaire avant de les expédier quelque part en Algérie. Il fallaitsurtout les préparer, les aider à passer de l’horizon connu des tableaux noirsaux imprévus d’une campagne qui n’avait rien d’une partie de plaisir ! Iln’est donc pas imaginable que cette mission d’instruction confiée à… deuxappelés, un prof et son copain l’ingénieur, ait pu se réaliser en faisantabstraction de l’expérience nouvelle qui les guettait sans les enchanter.

1 École d’Application d’Infanterie

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La galère, novembre 1959 / avril 1960

OCTOBRE 1959 ! Je reçois ma feuille de route pour rejoindre l’Ecoled’Application d’Infanterie. Les E.O.R. m’attendaient. Ce n’était pas unesurprise, il fallait bien que cet ordre arrivât un jour. Le sursis dont j’avaispleinement bénéficié et profité était parvenu à son terme. Partir au ServiceMilitaire à près de 27 ans (je les ai fêtés quelques jours plus tard), bienconscient de ces 28 mois de durée probable et de son déroulement, enpartie en Algérie, n’était pas fait pour engendrer l’euphorie ! Lorsque lesévénements avaient éclaté, aux confins des Aurès en novembre 1954, j’avaistout lieu d’espérer que je ne serais pas de ceux qui auraient à les affronteret à trimbaler leur carcasse de djebel en djebel pour ramener si possible lecalme. Cinq ans après, le calme n’était toujours pas revenu malgré le retouraux affaires du Général de Gaulle. Il me fallait donc partir, quitter Thérèse,ma femme, Alain, mon fils et laisser mon poste de professeur au lycéeCharlemagne de Thionville.

4 novembre ! Je n’étais pas seul à descendre du train en gare de Saint-Maixent. Ce jour là plus de 400 jeunes français, sursitaires pour la plupart,ont accompli le même rite. La ville et le quartier Coiffé faisaient le pleind’une nouvelle fournée d’ E.O.R. Pas de mines hilares, mais sur les visagesun masque où se mêlaient fatigue, sérieux et interrogations. Rien que detrès normal. “L’arrivée à St-Maixent au petit jour, après un long trajet enchemin de fer ne suscite généralement pas au cœur du nouvel E.O.R. unenthousiasme délirant…” (Extrait du petit livret d’accueil distribué à toutarrivant en mal d’apprentissage du métier d’officer de réserve).

Les formalités d’incorporation ne se sont pas éternisées, bien que sur lemoment c’est l’impression contraire qui a été ressentie. En 48 heures toutfut expédié : paperasses, paquetage, affectation, tête à tête avec lelieutenant (distant au départ, plus sympathique au fil de l’entretien) quidevait conduire le quotidien de mes six prochains mois. Pour nous mettreun peu plus dans le bain, remise en état ( balai, paille de fer, cire) de lachambre destinée au repos ( toujours limité et souvent perturbé) des 26néo-fantassins de la 7e section, la mienne. “… L’après-midi on nous aaimablement accordé quartier libre pour… briquer la chambre. Elle étaitdans un état épouvantable. Vous auriez dû voir 26 gars passant la paille de

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fer, balayant, cirant, briquant. Le spectacle était cocasse. Au bout de quatreheures l’aspect de la chambre était beaucoup plus sympathique. Cettecorvée s’est effectuée dans la bonne humeur. Tout le monde s’y est mis sansrouspétance…” (Lettre du 8/11/59). Ce n’était pas un traitement de faveur,toutes les autres sections du bataillon (il en comptait 16 réparties en 4compagnies) eurent le bonheur de connaître les mêmes joies ! Dans lesjours qui suivirent, c’est le programme des festivités qui nous fut présentédans ses grandes lignes. Elles furent suffisamment précises pour que nousn’ayons pas la faiblesse de nous bercer d’illusions quant à la galère qui nousattendait… Préparation physique intense, marches forcées, manœuvres entout genre et par tous les temps. Bref, c’est un avenir de souffrances et delarmes qui nous était promis ! Il était impératif qu’au terme des six moisd’instruction, nous fussions fin prêts pour partir en Algérie et participer àdes opérations qui ne seraient en rien de banales promenades bucoliques.

Mais le souvenir de ces premières journées de caserne c’est, encoreaujourd’hui, celui de nombreuses et longues séances d’ordre serré. Le 11novembre le bataillon devait être présenté au drapeau de l’école etparticiper aux cérémonies traditionnelles de cette journées aux côtés desÉlèves Officiers et des Élèves Sous-Officiers d’active ; on attendait, desE.O.R., qu’ils fassent bonne figure. Défi relevé, contrat rempli devant unparterre constellé d’étoiles. Revue fort longue, comme souvent, mais quis’est achevée de manière peu protocolaire dans un mouvement d’hilaritécontenue. Le général (plutôt âgé !), qui venait de présider une remise sansfin de légions d’honneur et autres décorations, a éprouvé les plus grandesdifficultés pour remettre son sabre au fourreau… Pendant de très longuessecondes la place Denfert-Rochereau a retenti des notes métalliques ducliquetis d’une lame retrouvant laborieusement son logement. Scène courtemais suffisamment cocasse pour mettre à mal la belle ordonnance d’unetroupe au “Présentez Armes” ! Cette entrée en matière s’est achevée sur lesinévitables vaccinations tout à la fois redoutées et attendues ; ellessignifiaient une épaule endolorie (pour certains d’entre nous, un peu plusqu’une simple gêne), deux jours de bouillon clair mais aussi de “bulle”coincée avec délectation.

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Les choses sérieuses avaient en effet commencé, menées d’emblée à unrythme soutenu ; mais il est difficile de les évoquer sans dire deux mots deceux qui en furent les acteurs, mes camarades et les officiers qui ont assurénotre formation.

Et d’abord ceux qui, au fil du temps et des épreuves partagées, me sontdevenus familiers, que j’ai appris à connaître et souvent apprécier. Avecquelques uns, j’ai noué de solides liens d’amitié. À la fin du stage, Jean, quiavait décidé de convoler en justes noces a eu la bonne idée de medemander d’être son témoin. Je revois toujours Jean-Claude F. au milieu deses vignes champenoises ; au retour de permissions il avait pris l’excellentehabitude de ramener des produits du vignoble familial, son “ratafia” étaitparticulièrement apprécié ! Nous venions des quatre coins de France avecnos différences d’âge (à 27 ans j’étais le plus vieux non seulement de lasection mais du bataillon ; cela m’a valu, très tôt, l’appellation définitive de“Papa” !), de formation (du bachelier à l’ingénieur en passant parl’instituteur et le professeur), de caractère (de l’excité au posé), de formephysique (de l’athlète à l’enrobé). Sur les évènements algériens nousn’avions pas, tant s’en faut, les mêmes opinions, les mêmes positions. Pourcertains l’abandon de l’Algérie était impensable. Ils étaient bien décider àbouffer du “fellouze” au plus vite ; c’étaient les plus “fana-mili” d’entrenous. D’autres étaient plus circonspects et se posaient bien des questions ;les affrontements duraient déjà depuis cinq ans ; le problème algérien neconcernait pas la France seule, il s’était internationalisé sous la pression dela “Guerre Froide” et du puissant mouvement de décolonisation ; lapolitique de de Gaulle déconcertait. Il ne leur était pas aisé de trancher ;l’abandon de la terre algérienne ne soulevait pas l’enthousiasme, lemaintien en l’état semblait irréaliste… Alors ? pour le moment pas deréponse convaincante. Et puis, aussi étrange que cela puisse paraître,quelques uns affectaient une indifférence apparente à l’égard de l’ “affaire”et des problèmes qu’elle avait engendrés. Bien entendu, au cours de nosconversations, la question de la torture a été, à plusieurs reprises, abordée.Il ne pouvait en être autrement, les vagues d’attentats subies par Alger,entre autre, étaient dans toutes les mémoires. Face aux poseurs de bombesquelle attitude adopter ? Sur ce point aussi les divergences n’ont pasmanqué. Pour certains, sans hésitation, le recours à la torture était unenécessité ; pour d’autres, un mal nécessaire ; enfin, position aussi ferme que

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la première, le refus pur et simple. Ces appréciations personnelles etopposées concernant les désordres algériens auraient pu susciter au seinde la section une atmosphère de tension, de division. Heureusement il n’ena rien été. Le groupe que nous sommes parvenus rapidement à constituera su conserver sa solidité ; les ferments de cohésion ont été les plus forts :le partage d’une même chambre, les contraintes sévères d’une préparationexigeante, l’espoir de décrocher la barrette de sous-lieutenant, laperspective de servir tous en Algérie. C’était dans la même galère que nousavions embarqué et nous en avions bien conscience.

J’ai conservé le plus grand respect pour les officiers qui ont assuré notreencadrement, qui ont été nos instructeurs. Ils venaient de tous les horizonsde l’infanterie ; la “colo.” était bien représentée (le responsable de notresection portait l’ancre de la Coloniale), les paras aussi, mais les chasseurs etla légion n’avaient pas été oubliés, la simple “bif.” non plus. Les plus anciensavaient bien, derrière eux, une bonne vingtaine d’années passées sous leharnais ; les plus jeunes n’avaient encore exercé leur art que du côté desAurès ou de la Kabylie pour ne citer que ces deux bastions de la rébellion.Ils étaient tous… fils de Vigny, pénétrés de la grandeur des servitudes del’état militaire et savaient ce que ce mot de servitude pouvait signifier desacrifice et d’abnégation. Ils appartenaient à une génération de soldatsprofondément malmenés et marqués par l’enchaînement des revers subispar les armes françaises. La deuxième guerre mondiale était encoreprésente dans les esprits et le redressement opéré dès 1943, sans oublierl’épopée des hommes qui avaient maintenu la France dans le combat toutau long du conflit, n’avaient pas totalement effacé l’amertume de la défaitede 1940 ; la guerre d’Indochine venait tout juste de prendre fin (quatre moisseulement séparaient les accords de Genève des évènements de laToussaint de 1954) et la reddition de Dien Bien Phu, le retrait de lapéninsule indochinoise demeuraient des plaies vives. L’indépendance duMaroc et de la Tunisie en 1956 avait été très mal vécue. L’Algérie était lenouveau défi auquel ils étaient confrontés et ils étaient bien décidés à cequ’il fût le terme des défaites et des abandons qui avaient ponctué leurengagement. L’Algérie resterait française ; cela ne souffrait pas le moindredoute. Le pouvoir politique, très tôt débordé par les évènements, leur avaitdélégué cette mission ; le retour de de Gaulle en 1958 , suscité en grandepartie par les craintes d’un abandon, avait rassuré les “capitaines” (la

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guerre en Algérie, à l’exception des grandes opérations menées en Kabylieou dans les Aurès, était avant tout, une affaire de capitaines) quant à lapureté des intentions du nouveau pouvoir. Les “Je vous ai compris” et“Vive l’Algérie française” ne pouvaient pas avoir d’autre signification. Surce point aussi il ne pouvait y avoir de malentendu ! Et lorsque le chef del’Etat prit la décision, en septembre 1959, de lancer l’idée d’uneautodétermination des populations d’Algérie, l’armée française fit siennece nouveau défi persuadée que la réponse dépendrait avant tout d’elle,c’est à dire de l’action qu’elle déploierait sur le terrain. Pour l’ensembledes cadres, responsables administratifs ou opérationnels, il n’était pasimaginable que le moment venu, un non catégorique ne fût pas opposé àl’option de sécession. “… Samedi matin, amphi du lieutenant sur les affairesd’Algérie (j’ai oublié de te dire que j’ai écouté avec un profondsoulagement les paroles de de Gaulle à 8 heures. L’heure du repas avaitété déplacée à cet effet). Thème de l’amphi : l’armée a vu confirmer samission, elle fera son devoir…” (Lettre du 31/01/60). L’armée se voulaitdonc la garante d’une présence française continue et définitive deDunkerque à Tamanrasset et nous, Élèves Officiers de Réserve, nousfaisions partie de cette armée. Sa mission était donc aussi la nôtre ! Et pournous en convaincre, au cours du stage, nous avons été conviés à disserter surun sujet sans équivoque : “Pour quelles raisons l’Algérie doit-elle demeurerfrançaise ?” Il s’agissait, non d’un exercice d’autopersuasion, mais d’unepréparation aux questions que, par la suite, des recrues pourraient êtreamenées à nous poser. La Nation française, dans son ensemble, se devait departager les convictions de son Armée et nous en étions des acteursprivilégiés.

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Mais notre passage à St-Maixent n’avait pas pour seul objet de nousconvaincre qu’il fallait conserver l’Algérie à la France, une exigence néede l’Histoire, étayée par la présence d’une forte communauté de “Pieds-Noirs”, renouvelée par les promesses pétrolières du Sahara. St-Maixentdevait nous transformer, faire de nous, civils en uniforme, des officierspréparés à la guerre de guérilla et susceptibles d’être immédiatementopérationnels dans l’emploi, l’unité et le secteur où nous serions affectés.Rude tâche pour nos instructeurs qui, d’expérience, savaient ce qui serait

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exigé de nous et n’ignoraient rien de l’ambiance dans laquelle nous serionsplongés. Ils avaient beaucoup de choses à nous apprendre et ne disposaientque de six mois pour le faire. C’est dire que le temps leur était compté etque le notre fut bien employé !

D’emblée la discipline exigée fut sans concession ; elle était, entre autre,un des moyens conçus pour éviter les pertes de temps. Comprise, elle futacceptée sans rechigner, d’autant que tout manquement, toute incartadeétaient à coup sûr sanctionnés d’une “tenue de campagne”. L’E.O.R.gratifié de la “tenue de campagne” devait le soir, à 21 heures, se présenterau poste de police du quartier Coiffé dans la tenue d’un “biffin” partant enopération, casque en tête, treillis, “brelage” complet, guêtres, grosseschaussures, arme et sac à dos rempli du nécessaire imposé par les impératifsd’une campagne, le tout, bien entendu, dans un état impeccable et au grandcomplet. L’accomplissement de la sentence dépendait beaucoup de lapersonnalité ou de… l’humeur de l’officier de service, maître de lacérémonie. Il pouvait être accommodant ou tatillon pour ne pas dire…“emmerdeur”. Accommodant, le cérémonial était abrégé et on retrouvaitvite la chambre où les petits copains dormaient déjà à poings fermés ;tatillon, l’inspection pouvait durer ou, pire, se répéter le soir même, ou lesoir… suivant. La plaisanterie n’était guère appréciée et chaque section s’ypréparait en tenant prêt, en permanence un sac à dos dûment rempli !Comme tout le monde j’ai participé au rituel, mais tardivement, et , ce soirlà, mes bons camarades qui se désolaient de ne jamais me voir partir m’ontoffert une splendide haie d’honneur ! La sanction faisait partie de lapédagogie de l’Ecole, son intérêt était de nous apprendre à être toujoursprêts quelle que fût la situation. Je l’ai compris, bien plus tard, le jour où,ayant oublié la leçon, je suis parti précipitamment en opération sans mon…poste de radio !

La discipline, indispensable au bon fonctionnement de la machinemilitaire, permettait ainsi de réduire les occasions de perte de temps ; c’étaitaussi le but recherché par la sévère limitation des temps de détente. Sur cepoint, aussi, la lecture du petit livret du parfait E.O.R. était des plusinstructives. Au chapitre du temps libre il précisait : “… À St-Maixent tupeux t’y rendre pendant les heures de quartier libre, en principe une foispar semaine de 17 h à 20 h…” (C’est moi qui souligne !). Le dimanche nous

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était généreusement accordé sauf à… monter la garde au quartierMarchand, le haut lieu du commandement de l’E.A.I. Dimanchesbienvenus consacrés au lit, à la lessive, au repassage (Ah ! le bonheur deschemises aux multiples plis réglementaires) et la fréquentation du “BecFin” (découvert à l’occasion des jeûnes accompagnant les incontournablesséances de vaccinations) qui nous changeait agréablement d’un ordinairedestiné seulement à compenser l’usure de nos calories et de notreénergie… Quant aux permissions, d’emblée il nous fut interdit d’entretenirla moindre illusion : “… Si tu bénéficies d’une permission (n’oublie pas quec’est une récompense)…” ; elles nous furent donc chichement mesurées.Une trente six heures par ci par là (sauf à Noël) qui ne permettait pas dedépasser… Paris. Les retours, de nuit, ne manquaient pas d’être épiques ; cen’était pas rien, en effet, de dénicher une place dans un train pris d’assautpar l’afflux hétéroclite d’E.O.R. regagnant qui Angers (l’Ecole du train),qui Saumur (la Mecque des cavaliers) qui St-Maixent. À Tours ce beaumonde éclatait, les Maixentais disposaient enfin seuls du train, une aubaineaussitôt mise à profit pour “piquer” un petit somme. Sage précaution ! Àl’arrivée une vigoureuse séance de désintoxication les attendait sur leplateau du “Panier Fleuri” (une appellation poétique empruntée à unétablissement d’amours passagères de Sidi Bel Abbes !) le haut lieu desexploits sportifs de l’Ecole. C’est ainsi que s’achevaient toutes nospermissions ; il ne fallait surtout pas que notre potentiel d’énergie fût, untant soit peu, altéré par un reste de toxines ! Les permissions étaientindispensables pour conserver au beau notre moral mais aussi considéréescomme pernicieuses pour notre état physique… Mens sana mais surtout incorpore sano !

Le mot “farniente” était exclu du vocabulaire de nos instructeurs ; pourmener à bien et dans les temps notre apprentissage, ils avaient érigé ensystème la pratique des journées fort longues suivies de nuits, souvent, fortcourtes. Un mot revient régulièrement dans mes lettres d’alors, le motfatigue ; ce n’était pas une clause de style mais bien la pure expressiond’une réalité, la mienne et celle de tous mes frères E.O.R. “… Cours,conférences, combats, interrogations écrites. Nous n’avons plus un instantà nous. À ce rythme, la fatigue se fait sentir tous les jours un peu plus. Aprèsle repas, tout le monde s’allonge et la chambrée, si tumultueuse jadis,ressemble à un dortoir de sanatorium…” (Lettre du 19/02/60). Elles

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commençaient très tôt nos journées et de très dynamique manière. Sitôtavalé, le petit déjeuner (café, sardines à l’huile… résistantes à la digestionmais pourvoyeuses d’énergie !) était suivi d’un vigoureux décrassage,douloureux dans les premiers temps puis, au fil des semaines, anodin. Cetteentrée en matière expédiée, les cours pouvaient commencer ; ilss’enchaînaient à un rythme dénué de temps mort : règlement assurément(et… ennuyeux sans nul doute), armement en tout genre, transmission,combat théorique, secourisme, conférences… J’en oublie certainement !La pratique du tir était particulièrement soignée ; toutes les armesindividuelles et collectives d’infanterie y sont passées, dans toutes lespositions et dans toutes les conditions de lumière, tir de jour comme denuit. Et puis les longues séances sur le terrain pour nous familiariser avecles finesses du repérage topographique, de la progression, de lareconnaissance, des embuscades à monter ou à déjouer. La consommationde kilomètres a été sans mesure ! Infanterie oblige !

Pour les exercices mettant en œuvre la section seule ou accompagnée desa sœur jumelle, la 8è, le pays maixentais, de Champdeniers à la Mothe-Saint-Heray sans oublier Ménigoute et Avon, suffisait. Nous l’avonsparcouru dans tous les sens, chemin après chemin, haie après haie (c’est laspécialité de la région !) et, là encore, de jour, de nuit, par tous les tempsmais, le plus souvent, par un temps exécrable. Nous étions en hiver et, laproximité océanique aidant, les épisodes prolongés de pluie n’ont pasmanqué. De la boue, généreuse dans ces confins poitevins, charentais,vendéens, nous en avons dégustée à satiété, une boue aux singulières vertusde pénétration et de résistance opiniâtre au nettoyage (c’est uneobservation qui revient également très souvent dans mes lettres !). “… Lesoir, exercice de nuit, marche à la boussole. Nous sommes partis vers 8 h 30.Avec quatre camarades j’ai été largué dans la nature. Il fallait rejoindre unpoint de rassemblement à 3 km à travers une campagne constituée dechamps entourés d’une double enceinte de haies et de murettes de pierreset pour corser le tout, sous une pluie battante. Cette comédie a duré jusqu’à1 h du matin. En rentrant au quartier le lieutenant nous a dit “Messieurs,demain je serai très exigeant sur la tenue”… nous étions trempés jusqu’auxos et couverts d’une appréciable couche de boue…” (Lettre du 28/11/59).Les heures consacrées à son élimination n’ont pas été les plus agréables denotre apprentissage de fantassin. Plus tard, confronté aux boues algériennes

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(elles peuvent, elles aussi, être abondantes et tenaces), j’ai pu les affrontersereinement. J’y étais préparé ! L’instruction à St-Maixent avait tout prévu! Même çà !

Les manœuvres de compagnie se déroulaient sous d’autres cieux ; desespaces plus… déserts leur convenaient mieux ; les terres du Périgord et duMassif Central en étaient abondamment pourvues comme elles étaientégalement riches de vieilles bâtisses (fermes, granges et même… caves)abandonnées, parfaites pour assurer notre gîte dans des conditions deconfort plus que mesurées. Cela faisait partie, aussi, de notre entraînement ;il nous fallait apprendre à nous contenter de peu. “… Après cinq heuresde voyage nous sommes arrivés dans un petit hameau qui nous sert decantonnement. Nous logeons dans une ferme désaffectée. Heureusementdans la pièce qui nous sert de chambre, il y a une cheminée. La premièrechose que nous fîmes, c’est un bon feu. Il s’avérait nécessaire car la pièceétait froide et humide… Nous y logeons à 24. Cela a un avantage, la nuit, ilrègne une mâle et fauve chaleur…” (Lettre du 4/02/60). En fait ces séjoursà la campagne ne nous déplaisaient pas et la pellicule de crasse qui lesaccompagnait ne nous gênait guère, nos “mentors” non plus qui necultivaient que deux exigences, l’absence de barbe le matin et le brillant denos croquenots. Il ne fallait surtout pas négliger les apparences ! “… Samedimatin nous avons levé le camp. Il faisait un temps splendide. Cela nousembêtait un peu de quitter notre coin. Le temps y a passé si vite alors qu’àSt-Maixent les heures traînent. Heureusement dans quinze jours nous yretournons…” (Lettre du 7/2/60). À quatre reprises nous nous sommesainsi éloignés de St-Maixent. Trois de ces villégiatures ont pris la semaine; la dernière plus longue (mais aussi un peu plus confortable) nous a tenusen haleine pendant trois semaines à Menet dans le Cantal. Elles n’étaientpas de tout repos ces balades, on peut s’en douter, mais celle qui s’estdéroulée en janvier a été particulièrement pénible ; le froid et la neige nousont accompagnés avec une vigueur et une insistance telles que lecommandement a estimé judicieux de nous ramener plus vite que prévu àSt-Maixent. Ce retour-là, nous l’avons apprécié ! Home sweet home !

C’est au cours de ces manœuvres lointaines que nous avons étéréellement initiés à notre futur rôle de chef de section et avons appris àévoluer, sur un terrain choisi à dessein difficile, avec d’autres sections dans

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le cadre d’une compagnie en opération. Dernier de la série, le stage deMenet a occupé une place particulière ; pour nos instructeurs il a étél’occasion de tester et de noter, de façon définitive, nos aptitudes à nouscomporter dans toutes les configurations éventuelles de combat auxquellesnous risquions fort d’être confrontés en Algérie. C’est là que nous avonsappris les dangers, les conséquences de tout relâchement d’attention. Êtreen permanence sur ses gardes était une des règles d’or qui nous ont étéinculquées pour assurer notre survie et celle des hommes dont nous aurionsrapidement la responsabilité. Cette leçon, malheureusement un de mesmeilleurs camarades (nous habitions la même rue, à Thionville) l’a oubliéeun instant quelques semaines après son arrivée dans le “bled” et la prise decommandement du poste qui lui avait été confié ; il revenait de patrouille,son poste était à deux pas, l’embuscade aussi… Sa croix de bois est plantéedans le cimetière d’un village de Moselle.

Pour parfaire notre condition physique, l’Ecole disposait d’une amplepanoplie de recettes plus efficaces les unes que les autres. Les séancesmusclées d’entraînement physique militaire (E.P.M. pour les initiés)s’enchaînaient avec une régularité harassante (sans compter celles quiponctuaient le terme de nos permissions). Le parcours du combattant avecsa succession de traquenards plus vicieux les uns que les autres a beaucoupfait pour développer les qualités essentielles du fantassin, le muscle, lesouffle, la souplesse, et… l’entêtement ! Nécessaire, l’entêtement poursortir de la fosse qui achevait le parcours ; en tenue légère l’exploit étaitréalisable, en tenue de combat, c’était une autre affaire sans l’aidebienveillante des copains… Elle était l’obstacle le plus redouté, à juste titre !Autre spécialité de notre apprentissage, les rallyes, longues… promenadesà pied dans la campagne maixentaise ; chacun était une addition d’épreuvesdestinées à tester tant nos aptitudes physiques que l’état de nosconnaissances dans les nombreux domaines de l’art militaire. Pratiqué à laboussole il était ponctué d’ateliers où nous devions apporter la preuve denotre savoir ; il s’achevait toujours par un parcours de course, parcours dontla longueur croissait avec le déroulement du stage. “… Mais enfin le cloudes réjouissances a été ce rallye de jeudi, vingt kilomètres à pied qui se sontdéroulés sous une pluie battante… Ce rallye s’est effectué en plusieursparties. Premier temps, une marche d’échauffement de 8 km par groupes dehuit. Rien à dire, ce n’était là qu’une aimable plaisanterie. Puis,

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individuellement, marche à la boussole sous forêt… Après cela nous avonsrejoint un nouveau point de départ pour une marche individuelle de huit àneuf kilomètres… La pluie incessante de ces derniers temps avaittransformé les chemins en affreux bourbiers et ce trajet était minuté…Après cela venait le morceau de roi, un parcours de un kilomètre àeffectuer au pas de course avec tout l’équipement sur le dos… Un médecinnous attendait à l’arrivée pour le cas où…” (Lettre du 20/12/59). Le premiernous avait exténués, on attendait, avec une certaine appréhension, ledernier dont on laissait entendre les pires choses ! Ce que nous avionsappris, au départ du stage, c’est qu’il s’éterniserait sur 50 km et s’achèveraitpar un parcours du combattant ! Chose promise, chose due ! On l’a faitcomme on a survolé l’ultime parcours du combattant (celui de l’examen),comme on a avalé les épreuves de marche forcée, comme on a surmonté les“tests para” que tout le monde redoutait tant… surtout moi ! Unecertitude, l’entraînement subi au cours de ces six mois d’E.O.R. avaitproduit ses effets ; nous étions en bonne forme physique, le muscle s’étaitsubstitué à la graisse ; nous étions aptes au service outre-Méditerranée !

Avec le mois d’Avril le stage a pris fin et le temps de la sanction finaleest arrivé, celui du classement et par conséquent du grade qui seraitattribué à chacun d’entre nous. Sous-lieutenant ? Aspirant ? Entre les deux,pas de différences essentielles de fonction, de responsabilités, mais aupremier, une solde convenable, au second, la portion congrue. Les placesétaient chères, le nombre de sous-lieutenants limité et je ne savais quoiattendre. Mes notes avaient été correctes, j’étais parvenu à sortir de la fosse.Alors… ? Lors de la cérémonie de proclamation des résultats de lapromotion, alors que la liste des sous-lieutenants était sur le point d’êtreclose, j’ai entendu, avec un soulagement non dissimulé, mon nom. J’avaisdécroché “la barrette” et sans tarder je l’ai mise en évidence sur mesépaulettes. En quelques mois, St-Maixent avait fait de moi un officier ! Ilme fallait maintenant choisir mon régiment à l’occasion du dernier rituel del’Ecole, l’amphi-garnison. Chaque E.O.R., en fonction de son rang de sortie,était appelé à faire le choix de l’unité au sein de laquelle il allait poursuivreet achever son service militaire. Quand mon tour est arrivé, je n’ai pasbalancé. Les exploits de la “colo” avaient alimenté bien de mes lectures dejeunesse (Savorgnan de Brazza était devenu un de mes héros préférés), ilrestait une place de sous-lieutenant au 22e R.I.C., je l’ai prise.

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Les temps de la séparation étaient donc arrivés ; la 7e section de lapromotion 002 avait vécu. Mais nous ne pouvions nous quitter sans nousretrouver autour d’une table bien garnie et d’un dernier arrosage. La chosefut faite dans un restaurant que nous avions repéré entre St-Maixent etNiort. Nous l’avions déjà pratiqué et jugé digne de notre ultime assemblée.L’ambiance fut bien différente de celle de notre arrivée… Thérèse était dela partie ! Nous étions heureux d’en avoir terminé avec les joyeusetés de St-Maixent et je crois que ce soir là notre préoccupation essentielle a été depasser un bon moment. Et puis comme une envolée de moineaux nousavons regagné nos quatre coins de France pour y couler une permissionbienvenue avant de rejoindre chacun son unité. Pour la plupart d’entrenous, l’Algérie était au bout du chemin ; pour moi cela ne devait pasapporter beaucoup de changement, du moins sur le plan géographique, jerestais à St-Maixent.

Le sursis, avril 1960 / novembre 1960

“… Vendredi matin, au retour d’une corvée (une parmi tant d’autres) onm’a averti de me présenter en tenue N°1 au bureau du commandant.J’ignorais totalement la raison de cette convocation. Deux autrescamarades de la compagnie avait reçu le même ordre. Pensant à nosprofessions dans le civil (moi prof, un autre prof aussi et le troisièmedessinateur) nous nous sommes alors doutés de ce qui nous attendait.11 h 30 entrevue avec le commandant. Peu de baratin “Vous avez étédésignés pour rester à Saint-Maixent en qualité de professeurs. Pasd’objection majeure ? Non ! Vous pouvez disposer.” “Me voilà donc prof enuniforme. Tu parles d’une nouvelle, j’ai mis un certain temps à réaliser. Unsursis de six mois ce n’est pas à dédaigner…” (Lettre du 13/3/60). Sous-lieutenant et prof à l’E.A.I., les deux états me convenaient ; une nouvelletranche de vie commençait, courte mais originale, une tranche que jepartageais avec deux autres promus affectés eux aussi au Service deCulture Générale, W. professeur certifié de lettres et D. ingénieur sorti(si ma mémoire est fidèle) de l’Institut Catholique des Arts et Métiers(I.C.A.M.) ; tous deux venaient du Nord. D’emblée nous avons sympathiséet formé un trio amical, une équipe solide.

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Nous étions sous les ordres de deux commandants anciens. Le servicequ’ils dirigeaient avait toutes les allures d’un placard annonçant le termed’une vie passée sous l’uniforme. De nos deux supérieurs, celui qui faisaitfonction d’adjoint est celui dont j’ai gardé le souvenir le plus marquant. Ilavait fait carrière dans les Affaires Indigènes au Maroc ; arabophone etberberophone il était intarissable quand nous le ramenions dans sesmontagnes de l’Atlas. Il revivait avec une grande émotion les temps écoulésau milieu des populations Chleuhs pour lesquelles il avait éprouvé, etéprouvait encore, un sentiment où se mêlaient une réelle affection et unprofond respect. Il était de ces officiers qui avaient été marqués par l’espritde Lyautey ; il représentait bien un monde en phase terminale d’extinction,celui d’un Empire et des hommes qui l’avaient conquis, bâti et administré.Il en avait bien conscience et s’en désolait certainement sans pour autants’en lamenter. Inch Allah ! Il avait le don de la parole, de la narrationvivante, colorée, jamais finie, certainement héritée des longues palabresmenées avec les populations dont il avait eu la charge. Les heures passéesen sa compagnie (et dans la fumée de ses cigarettes renouvelées enpermanence) n’ont jamais été des heures perdues, bien au contraire, dumoins pour moi. J’ai beaucoup appris à sa fréquentation, notamment lapsychologie du monde nord-africain, la nécessité pour être accepté desavoir écouter (une marque de respect, de politesse), d’être prêt à parlerpatiemment (une autre marque de considération), et la nécessité encorede faire comprendre et accepter une décision pour qu’elle soit réellementexécutée. Ces leçons je m’en suis souvenu plus tard dans mes relations avecles habitants du village de Térébinthes et mes rapports avec les harkis duposte qui m’avait été confié. Avec ces deux officiers nous sommes parvenusà nous entendre sans trop de difficultés ; au départ mes camarades et moiavons dû subir quelques accès de fièvre autoritaires (une menace à peinevoilée sur le régime de nos permissions, si par hasard… Compris monCommandant ! Il fallait bien marquer les limites du champ de l’autorité etfixer les bornes de nos relations…). Ces mouvements d’humeur n’ont pasduré et très rapidement l’atmosphère qui s’est instaurée au sein du serviceest devenue très respirable ; il est vrai que les trois sous-lieutenantsdésignés pour faire vivre le service de culture générale se sont démenéspour apporter la preuve qu’on pouvait leur faire confiance. Nous avons puainsi bénéficier d’une paix royale. Je reviendrai sur le travail qu’on a exigéde nous mais non sur nos deux supérieurs immédiats sauf à l’occasion de

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quelques péripéties dans le déroulement de nos activités.

Mais d’abord notre existence nouvelle à St-Maixent car, au terme denotre permission, à notre retour à l’Ecole, il a fallu changer nos habitudes.D’E.O.R., c’est à dire d’individus pris en charge 24 h sur 24, nous étionspassés au rang d’officiers responsables de la gestion de leur quotidien (endehors du service, bien entendu). Il fallait réapprendre à vivre à St-Maixent, trouver un gîte, assurer le couvert, fréquenter un mondelargement inconnu, dénicher les plaisirs d’une ville qui n’en avait guèrerévélés jusque là. Le gîte était le plus urgent, d’autant que, au terme del’année scolaire, il avait été prévu que Thérèse me rejoindrait. Le bourg neregorgeait pas de logements mais une tradition, bien établie, régnait au seinde la corporation des sous-lieutenants ; les partants refilaient leur crècheaux arrivants. J’ai pu ainsi mettre la main, à proximité du quartierMarchand mon nouveau domaine d’activités, sur une pièce spacieuse etconfortable. La propriétaire était une charmante vieille dame qui s’estoccupée de ma personne avec beaucoup d’attention. Elle prenait un réelplaisir à mettre régulièrement mon uniforme dans ses plis (je n’ai jamais eula tentation de l’en priver) et quand ma santé donnait des signes dedéfaillance elle était tout de suite aux petits soins… une toux, un grog ! Mamère n’aurait pas fait mieux. Merci madame Fichet.

Le problème du pain quotidien et celui des relations (plus militaires queciviles) ont été réglés de façon simultanée par la fréquentation assidued’une institution propre à toute garnison, le mess. Nous y avons prispension d’autant plus facilement que l’accueil qui nous a été réservé s’estavéré plus cordial, plus convivial que nous pouvions l’espérer. “… Vers 7 hje suis allé manger au mess des officiers. Tout frais sorti des E.O.R. j’enavais encore l’état d’esprit et surtout une certaine contraction vis à vis desgalons et Dieu sait qu’il y en a à St-Maixent. Je n’osais pas entrer au bartellement il y avait d’officiers. Je n’étais pas le seul, d’ailleurs, à faire preuved’hésitation. Tous mes camarades me ressemblaient sur ce point. Enfinprenant notre courage à deux mains nous avons pénétré dans ce…sanctuaire. C’est alors qu’a commencé le cérémonial sans fin desprésentations… “Sous-lieutenant Cattet du service de culture générale, mesrespect mon capitaine ou mon commandant”… Cela s’est, toutcompte fait, bien passé. Un capitaine qui se trouvait seul nous a même

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invités à prendre un pot…” (Lettre du 24/4/60). Cette première impressions’est confirmée les jours suivants. “… Samedi soir nous n’étions que deuxà rester à St-Maixent, on nous a rapidement invités à partager une tableoccupée par des lieutenants qui nous instruisaient il y a encore quinze jours.Les discussions sont libres ; nous n’écoutons plus béatement la bonneparole, nous y mettons notre grain de sel, pourvu que nous gardions vis à visde ces “aînés” une certaine déférence. Ceux ci nous adoptent vite en leursein… au fond il vaut mieux qu’il en soit ainsi des relations, car je crois queautrement la vie à St-Maixent aurait été des plus pénibles. Elle l’est déjàassez comme cela…” (Lettre du 25/4/60). Parmi ces officiers quifréquentaient le mess il y avait de fortes personnalités. La brochette de leurdécorations impressionnait, leur réputation, glanée en Indochine, enAlgérie aussi. Plus tard, lors du Putsch des Généraux certains feront parlerd’eux… !

Une question hantait l’esprit de tout nouvel affecté à St-Maixent : quefaire en dehors des heures de service, comment occuper les week-ends sanspermission ? En effet, sans vouloir dénigrer la ville, elle n’était tout demême pas Byzance ; sans mauvaise volonté aucune il était plus facile des’y ennuyer que de s’y distraire. “… Ma soirée, a été, elle aussi trèscaractéristique. Elle illustre fort bien la vie à St-Maixent : promenade lelong des allées en attendant le concert donné par l’orphéon municipal. Jen’étais pas seul à goûter ces délices suprêmes. Toute la maffia des sous-lieutenants faisait de même. Quelle vie riche… ! … Dans la soirée noussommes allés aux halles où avait lieu un bal aux sons d’un pick up !Assistance très sélect… 90 % de militaires, 10 % de jeunes filles…accompagnées. J’ai fini ma soirée en lisant le Docteur Faustus de ThomasMann.” (Lettre du 9/5/60). Les environs ne manquaient pas d’attraits,encore fallait-il disposer d’un véhicule ! Le cinéma offrait l’occasion de sechanger les idées, encore fallait-il que le programme le permît, ce qui n’étaitque rarement le cas ; les navets étaient le plus souvent à l’affiche. La lectureétait bien le seul remède pour ne pas céder à l’ennui. J’ai donc pas mal luau cours des premiers temps de mon affectation à Saint-Maixent. Par lasuite les choses ont bien changé, Thérèse m’a rejoint avec notre “deuxchevaux”. “Un seul être vous manque et tout est dépeuplé” ; il suffit qu’ilrevienne et tout sourit comme par enchantement ; miracle de la compagnieféminine ! Le soir nous retrouvions d’autres couples que l’été avait

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reconstitués ; nous n’avons pas manqué de découvrir le marais poitevin, deprospecter La Rochelle et ses environs et surtout… ses plateaux de fruitsde mer. La belle vie en somme ! Mais qui prendra fin quand, à la fin del’été, Thérèse rejoindra Thionville, son lycée et ses lycéennes. Alors lesyndrome maixentais a repris ses droits, mais plus pour très longtemps, letemps du sursis avait un terme. Ceci dit la culture du spleen ou les baladesestivales n’étaient pas le but de mon maintien à St-Maixent. Ladirection de l’Ecole avait prévu, pour meubler mon temps, une gammed’occupations plus en rapport avec ses besoins… une participation, limitée,au service de garnison, des tâches d’enseignement, bien sûr j’étais là pourcela et, mauvaise surprise, pour combler le vide du mois d’août, l’instructiond’un groupe d’appelés, d’un genre particulier, en instance de départpour l’Algérie.

Pour le week-end de Pentecôte je n’ai pas eu à me soucier del’organisation de mon emploi du temps. J’avais reçu l’ordre de gagner lequartier Coiffé pour y assurer le service d’officier de permanence. Quandle samedi matin je me suis présenté au poste de Police, je n’étais pas sanséprouver quelque chose qui se situait entre la perplexité et l’inquiétude,j’ignorais tout de ce que j’allais devoir faire. J’ai été vite rassuré, lesconsignes étaient là et il m’a suffi de suivre à la lettre le contenu d’unscénario établi de longue date. Tout était programmé ; je n’ai rien eu àchanger au ballet des patrouilles en ville, des rondes dans le quartier. Mêmeles petits incidents qui sont venus émailler cette permanence semblaientsortir tout droit de la routine… le retard d’un permissionnaire (que j’aitardé le plus longtemps possible à signaler), une sentinelle endormie, uneautre sans arme (coups de gueule… c’est le moins que je devais faire), despermissions de sortie en ville accordées en dehors de toute compétence !La cérémonie des couleurs a suscité un début de sueurs. J’en ignorais(encore !) totalement le déroulement, c’est à dire la suite descommandements à donner ; je n’y avais jamais prêté une particulièreattention au cours de mon stage E.O.R. Le salut est venu du sergent chefmarocain de service ce jour là (Coiffé abritait en effet des éléments d’unRégiment de Tirailleurs Marocains qui servait de troupe de manœuvre auxE.O.A.) ; il avait une longue habitude des lacunes des sous-lieutenants toutfrais sortis de Coiffé. “Mon lieutenant si tu ne sais pas, tu me dis, je fais”.Alors j’ai dit et il a fait… tout s’est bien passé, je me suis contenté d’être

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présent et de me taire. J’étais soulagé et le sergent chef ravi, il avait été lemaître de cérémonie. Le lendemain matin il s’est montré d’une extrêmeobligeance. Non seulement il a pris la peine de me réveiller, ce queprévoyait le protocole de permanence, mais dans le même temps il a eu leplaisir de me tendre une assiette copieusement remplie de… tripes demouton. C’était l’Aïd el Kebir. Cette année là les deux fêtes religieusesl’une chrétienne et l’autre musulmane coïncidaient. Les moutons avaientété sacrifiés et j’étais de la fête ! Déguster des tripes de mouton, au sortird’une nuit qui n’avait pas été de tout repos, était une rude obligation.Impossible de refuser, cela n’aurait pas été compris de la petite troupe quej’étais censé commander. Je me suis exécuté et, à vrai dire, je ne l’ai pasregretté. Ces tripes étaient délicieuses. À midi j’ai enchaîné sur un couscouslui aussi mémorable. Cette expérience de permanence ne s’est pasrenouvelée. Elle est restée unique ; ce n’était pas pour me déplaire !

La direction de l’Ecole attendait, avant tout, que j’apporte la preuve demes compétences de prof. J’ai fait tout mon possible pour ne pas ladécevoir et ne pas ternir un peu plus la réputation d’une corporation (lamienne dans le civil) considérée par la gente militaire d’un œil à priori trèscritique. Quelques remarques pendant le stage E.O.R. ne m’avaient laisséaucun doute quant à la permanence des incompatibilités d’humeur et desincompréhensions entre le monde des armes et celui des livres.L’enchaînement des crises (pour ne pas dire guerres) coloniales n’avait rienarrangé ; l’armée se sentait trahie par la société intellectuelle et cettedernière mettait beaucoup d’acharnement à dénoncer l’aveuglement destraineurs de sabre. Bref, il y avait un défi à relever, je m’y suis employé !Avril, mai, juin et même juillet étaient pour le service de culture généraledes mois d’activité soutenue et même parfois de fièvre. Les groupes demilitaires qu’il fallait instruire et préparer à des concours étaient légion,Élèves Officiers d’Active (E.O.A.) qui achevaient leur stage, O.R.S.A.(officiers de réserve en situation d’activité) qui postulaient leur passagedans les rangs de l’active (ils étaient nombreux à l’époque ; l’armée avaitd’énormes besoins de cadres), sous-officiers du P.P.E.S.M.I.A. (PelotonPréparatoire à l’Ecole Spéciale Militaire Inter Armes… l’armée étaitgrande consommatrice de sigles) qui aspiraient à l’état d’officier etpréparaient leur entrée à l’Ecole de Strasbourg, antichambre deCoetquidan, stagiaires étrangers (j’en parlerai plus avant). Cette diversité

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d’auditoires signifiait cours et conférences à préparer, examens à surveilleret … copies à corriger. Moi qui ai toujours eu une sainte horreur des copies,j’ai été plus que copieusement servi. Le comble, je l’ai subi avec lacorrection des épreuves d’histoire du concours d’entrée à Strasbourg ; plusde 400 devoirs à corriger dans un délai plutôt bref ! Pendant quinze jours,avec la bénédiction de mon commandant, je n’ai pas mis le nez hors de machambre (hormis les deux visites quotidiennes au mess). Au milieu de cettemontagne de copies, plus ou moins sérieuses, une perle, un devoirremarquable tant par l’étendue, la précision des connaissances que par laqualité de l’écriture… trop beau pour être honnête ! J’avais une bonneconnaissance du contenu des manuels et je n’ai pas eu trop de mal àretrouver celui dont un chapitre (qui correspondait au sujet) avait étéintégralement… pompé. Manifestement il y avait eu un peu de laisser-allerdans la surveillance du centre d’examen d’Alger ! C’est mon commandantqui a été tout content quand j’ai déposé sur son bureau non seulement les400 copies corrigées mais aussi la trop belle copie et la source de sonexcellence. Elle était la preuve du sérieux du travail effectué par les cadresdu service de culture générale ! Il y avait eu fraude et la fraude avait étédécelée. La direction de l’Ecole s’est montrée fort satisfaite du travailréalisé par l’équipe. “… Ce matin… toute l’équipe de culture générale aété reçue par le Général ! Il voulait nous témoigner toute sa reconnaissancepour le travail que nous avions effectué à l’Ecole dans le domaineintellectuel. Ces messieurs sont contents de nous…” (Lettre du 16/8/60).

J’espérais qu’avec le mois d’août, les cours étant terminés, les examensachevés, les copies corrigées, je pourrais bénéficier d’un peu de détente.Erreur ! L’Ecole avait encore besoin de moi et de mon camarade D. Nousétions tous deux momentanément détachés aux E.S.O.A. (Élèves Sous-Officiers d’Active) en tant qu’instructeurs avec, pour adjoints, deuxcaporaux instituteurs dans le civil ! Ce n’était pas la qualité de nosconnaissances de l’art militaire qui avait motivé cette décision, mais bienautre chose, notre aptitude supposée à comprendre la psychologie et lecomportement d’environ 50 appelés, d’un type particulier, que Coiffé allaithéberger pendant six semaines environ. Il s’agissait d’enseignants, toussursitaires, agrégés ou certifiés qui, après avoir dispensé leur savoir dansles Écoles de Troupe (la Flèche-Autun-Billon-Aix-en-Provence), devaientrecevoir l’instruction de base commune à toute recrue, acquérir le niveau

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de connaissances exigé par le brevet de sergent, avant de gagner l’Algérie.Nous étions censés les instruire mais surtout leur faire comprendre etadmettre leur présence à St-Maixent et les nécessités de ce stage de sixsemaines. C’est ce que nous avons cherché à faire dès la prise de contact. Latâche n’était pas facile, il fallait vaincre une réelle allergie à la chosemilitaire à commencer par la discipline. Mais tout le monde a bien voulufaire un gros effort pour limiter les difficultés relationnelles ; D. et moiavons… travaillé en souplesse, les stagiaires, dans l’ensemble, y ont mis duleur avec plus ou moins de conviction. Résultat, et c’était l’essentiel, touts’est finalement bien passé, agrémenté de quelques… sueurs froides et dequelques sourires.

Les sueurs froides sont venues des séances d’entraînement au tir.Émotion (intense) lorsque, ayant achevé son tir, un stagiaire se retournearme en main, annonce “tir terminé”, appuie sur la détente pour s’assurerque son arme est déchargée (on appelle cela le coup de sécurité !). La ballefrôle mon nez ; une cartouche était restée dans le chargeur. L’émotion aété… partagée ! Trouille lorsque à l’issue d’un entraînement au fusil-mitrailleur, un tireur franchit la butte de tir (et de protection) pour allerrécupérer les étuis vides des cartouches tirées. L’usage le voulait ainsi maisaprès la fin de tous les tirs. Malheureusement lors de cette séance, les tireurssitués de part et d’autres de cet inconscient n’avaient pas eux achevé leurtir. Le “halte au tir” que j’ai alors ordonné n’a pas eu l’allure d’uncommandement mais plutôt celle d’un hurlement… ! Angoisse à chaquefois que l’agrégé de philo de la section devait s’entraîner au tir au pistolet-mitrailleur ; alors là je donnais l’ordre à ses camarades d’évacuer le standde tir et je me plaçais immédiatement derrière lui… bite au cul comme ditl’expression consacrée. La posture pouvait paraître indécente mais il y allaitde ma survie. Les rafales partaient dans tous les sens mais pas dans son dos! “… Ce matin j’ai connu la frousse de ma vie. Le programme prévoyait tirau pistolet-mitrailleur. En temps normal, avec des gens rompus aumaniement de cet engin on prend déjà beaucoup de précautions. Avec euxil a fallu que j’en prenne encore plus pour la simple raison qu’ils n’ontjamais eu dans les mains un tel engin… J’avais tellement peur d’un accidentque j’étais trempé. Le caporal qui m’aide à l’instruction était blanc commeun linge… Je me demande ce que cela va donner lorsque nous ferons du tirde nuit…” (Lettre du 16/8/60). Mais sourires (il n’était pas possible de

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réagir autrement) quand le même philosophe partait à l’exercice dans lanature ; il lui arrivait d’oublier son arme, mais jamais son filet à papillons !Nous étions en été, ils étaient nombreux et souvent fort beaux. Je ne suispas sûr que les papillons aient été pour lui un centre d’intérêt majeur ; jecrois plutôt que c’était là sa façon d’exprimer son sentiment à l’égard decette instruction à laquelle il était contraint. Je crains qu’il n’ait pasapprécié son séjour en Algérie, les autres non plus d’ailleurs.

Singulier mois d’août avec son cortège de bons moments et de tristesnouvelles. Le baptême de la promotion E.O.A., assurément un bonmoment et un souvenir amusant. “… La cérémonie dans le cloître(1) a ététrès bien, très simple ; quant au pot qui a suivi il s’est terminé à 6 h dumatin. Nous avons ramené les deux officiers anglais dans un état tel qu’àmidi ils étaient encore au royaume des songes. Si la reine ne se porte pasbien après tous les toasts que nous lui avons portés, c’est que vraiment elleallait très mal.” (Lettre du 12/8/60 ; Thérèse a profité du stage des profspour faire un petit tour en Angleterre). Par contre deux jours plus tard, cesont de terribles nouvelles que je lui apprenais. “… deux de mes camaradesvenaient de se faire tuer en Algérie. Tu connais bien l’un d’eux… Il n’estguère besoin de te dire ce que j’ai ressenti à l’annonce de cette nouvelle…”(Lettre du 15/8/60). Quelques jours après une messe était dite en leurmémoire et à la fin de septembre j’obtenais une permission pour assister àl’inhumation de Maurice. Journée d’une extrême tristesse. Entre temps lestage s’était achevé par une semaine de manœuvres qui se sont dérouléesdans un camp que l’Ecole possédait à quelque distance de St-Maixent. Letemps qui était redevenu exécrable m’a donné l’occasion de renouer avecles joies de la boue… Je l’avais presque oubliée ! De retour à St-Maixent,les stagiaires ont passé leur brevet de sergent et s’en sont allés. D. et moiavons pu, enfin, goûter les charmes de l’oisiveté ; Madame D. avait retrouvéson mari et Thérèse était revenue d’Angleterre.

St-Maixent et ses casernes étaient vides, notre ordre de départ ne devaitplus tarder. Mes deux camarades ont reçu le leur très vite, moi j’ai attenduencore un certain temps avant d’apprendre que je devais embarquer le 3novembre à Marseille. Il restait donc quelque temps avant que je quitte

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(1) Cloître de l’Abbaye de St-Maixent, cœur de l’E.A.I.

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définitivement St-Maixent et il n’était pas question que je reste les brasballants. Des officiers étrangers étaient arrivés pour effectuer un stage, ilfallait les occuper, le service de culture générale fut mis à contribution etmoi prié de préparer un cycle de conférences. J’avais carte blanche quantau thème que je jugerais bon de développer. Ces officiers stagiairesvenaient du Moyen Orient, beaucoup étaient Libanais. J’ai donc parlé dupétrole et je crois que cela les a intéressés ou du moins ils ont eu labienséance de le laisser croire ! Ces heures de conférences ont été pourmoi l’occasion d’une certaine jubilation. Quand je faisais mon entrée dansla salle de conférence, ces messieurs, des capitaines, des commandants semettaient au garde à vous et c’était avec une certaine délectation que jeles priais de s’asseoir. Plus jamais, par la suite, l’occasion d’un tel sentimentne s’est reproduite.

Fin octobre je quittais St-Maixent, gagnais Thionville pour y passerquelques jours de permission avant de rejoindre Marseille. La suite, c’étaitune toute autre expérience qui m’attendait. Je m’y étais préparé, mais nonsans inquiétude.

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MARNIA - ZONE OUEST ORANAISE

1er novembre. Gare de Metz. Départ pour Marseille où il était prévu quele 3 j’embarquerais pour Oran. Alain, Thérèse et mon père avaient tenu àm’accompagner. Sur le quai, une ambiance apparemment détendue ; onparlait de choses et d’autres, mais pas de l’Algérie et pourtant elle étaitbien présente dans tous les esprits. Le souvenir de Maurice ne s’était paseffacé (comment aurait il pu l’être ?) et chacun savait que son sort pouvaitêtre le mien à tout moment du séjour qui m’attendait. Thérèse et mon pèreauraient bien voulu me faire des recommandations mais ils s’en sontabstenus. Et puis, quels conseils donner ? Faire attention ? Ne pas prendrede risques inutiles ? Ils savaient très bien que j’étais prêt à ne riencommettre qui aurait pu empêcher un retour sain et sauf. Ils en étaientpersuadés mais ils étaient inquiets. Moi aussi ! Sous nos sourires !

Arrivé à Marseille, surprise ! Il n’était plus question que je gagnedirectement Oran. Une mission m’attendait, convoyer sur Alger un groupede futurs E.O.R. affectés à l’Ecole de Cherchell (les stages E.O.R. sedéroulaient alternativement à St-Maixent et à Cherchell). Pas de traverséedonc sur un de ces paquebots qui faisaient la navette à travers laMéditerranée, “la Ville d’Oran”, “la Ville d’Alger”, “la Ville de Tunis” ; il yen avait d’autres aussi, mais ces trois “Ville” étaient réputées pour être lesplus confortables. Non ! ce qui m’était réservé c’était un bâtiment de laRoyale, le L.S.T. Orne… L’embarquement était prévu le 4, j’avais doncdevant moi un peu de temps à utiliser en toute liberté. J’en ai profité pourdécouvrir Marseille que je ne connaissais pas et m’offrir une cure decinéma. J’étais bien persuadé que ce genre de plaisir ne se renouvelleraitpas de si tôt. Le 4…”… C’est vendredi que l’expédition a commencé. Toutela matinée je l’ai passée à recenser les E.O.R. J’ai retrouvé parmi eux descamarades de la période P.M.S de Bitche. À midi et demi, nous avonsembarqué à bord d’un L.S.T, affreux rafiot de débarquement qui a lafâcheuse habitude de tanguer par la mer la plus calme. Or quand nousavons quitté Marseille, le vent et la pluie se sont mis de la partie… résultat,une jolie tempête en Méditerranée…” (Lettre du 8/11/60). Elle ne s’estapaisée qu’en vue d’Alger la Blanche. Dire que cette navigation a été unepartie de plaisir serait un euphémisme ; la traversée avait duré plus

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Entrée en Lice

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Ambiance et perspectives

La 7e section

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Tenue de campagne… Présentation de mode

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Sports d’hiver

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Jeux d’eau

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Sortie des artistes

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La ville européenne

La ville musulmane

MARNIA : Les deux villes

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Le PC du bataillon dans son jardin

Carte des environs de Térébinthes

10 km

Secteur de franchissement du barrage

P.C. du Bataillon

Frontière

Voie ferrée

Route

Zone de relief

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longtemps que prévu (plus de 48h), les estomacs, malmenés, s’étaientrefusés à tout service, aidés en cela par l’odeur qui régnait dans les cales ;les mines tendaient vers le cireux quand nous avons enfin accosté. C’estdès cet instant que mon initiation à l’aventure a commencé, à l’accostage,puis elle s’est poursuivie dans le train vers Oran et Marnia, et enfinapprofondie dès mon arrivée au 22e R.I.Ma. En moins d’un mois, après unmûrissement rapide, je pouvais entrer en scène à Térébinthes et tenir unrôle (modeste) dans la pièce qui se jouait en Algérie.

Initiations, novembre 1960

La chaîne des initiations a été amorcée de rude manière ; une heureaprès notre accostage les futurs E.O.R. et moi savions à quoi nous en tenirquant au sort de éventuel qui nous attendait sur cette terre d’Afrique. Unecérémonie singulière nous avait été réservée. Avant de quitter “l’Orne”,l’ordre nous fut donné, sans autre précision, de nous rassembler sur le pont.Au commandement “garde à vous” nous nous sommes figés et noussommes restés longtemps, très longtemps dans cette position, suffisammentpour permettre l’embarquement, un à un, d’un très grand nombre decercueils. Des “Appelés” regagnaient ainsi, comme l’avait fait Maurice, …la terre de France. Quelques uns des 25 000 noms que le Maroc, la Tunisie,l’Algérie ont contribué à porter sur l’un ou l’autre de ces 36 000monuments, cadeaux des incompétences politiques et militaires auxcommunes de France. Le 20e siècle à coûté cher à la Nation… ! C’est dansun silence… de mort (sans jeu de mot inutile) que les futurs E.O.R. et leuraccompagnateur ont emprunté l’échelle de coupée, débarqué et foulé lesol algérien. Une entrée en lice réussie on ne peut mieux ! Nous étionsprévenus mieux que ne l’auraient fait des mots.

Je ne me suis pas attardé à Alger ; l’atmosphère, pesante, était celled’une ville en état de siège. “… je me suis rapidement rendu en ville. Uneambiance particulière régnait dans les rues. Tous les cinquante mètres, ungroupe de soldats en armes (je n’exagère pas quand je dis cinquantemètres)…” (Lettre du 8/11/60). À l’État Major on m’a remis ma feuille deroute pour Marnia, à 1 h 30 je prenais le train pour Oran où j’arrivais vers7 h. Au cours de ce trajet, après Alger, j’ai eu un autre aperçu des réalités

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locales. “… Par la fenêtre on aperçoit un mélange de vie normale (travauxdes champs, routes fréquentées) et de vie perturbée (poteauxtélégraphiques sciés de place en place, barbelés autour de certains points,tours de guêt)…” (Lettre du 8/11/60). Le train passait par ces lieux quiavaient, depuis 1954, souvent fait la une de l’information, Blida, Miliana,Orléansville, Relizane, empruntait la vallée du Chelif bordée au sud par leMassif de l’Ouarsenis qui, lui aussi, avait fait souvent parler de lui. Oran,changement de décor et d’atmosphère, rien à voir avec mes impressions dela journée. La ville semblait être épargnée par l’insécurité et la tension. “…Après m’être installé je suis sorti manger en ville… Ces petites promenadesm’ont permis de comparer l’ambiance d’Oran à celle d’Alger. Le jour et lanuit ! À Oran les gens se promènent comme si de rien n’était, pas de soldatsen armes, pas de patrouille. La ville semble vraiment calme. Les ruesgrouillent d’une foule très décontractée. Le tracas et la peur ne sont paspour Oran…” (Lettre du 8/11/60). En fait je retrouvais l’Oran que j’avaisconnu à Pâques 1954 lors d’un voyage d’études avec l’Institut deGéographie de l’Université de Strasbourg. J’avais entre autres, gardé lesouvenir d’étals de fruits de mer dans la rue d’Arzew où le soir, en flânant,on pouvait déguster, crues, les grosses moules de Méditerranée. Les étals etleurs moules étaient toujours là ! (je reviendrai sur ce voyage de 1954). Lelendemain, je reprenais le train pour ma destination finale, Marnia. Laconfusion des impressions glanées depuis Alger se confirmait ; le pays queje traversais semblait bien vivre dans un état curieux de ni guerre ni paix.“… Voyage très lent qui dure de 7 h30 à 13 h 30. Cette lenteur permet defaire quelques constatations. Le calme semble régner, car tous les postesimplantés le long de la voie sont abandonnés. Les regroupements depopulation sont nombreux, surtout après Tlemcen. Leur état misérablemontre qu’ils ont été faits très rapidement. Ce sont des paillotes où il nedoit pas faire bon vivre. Pourtant on note, par ci par là, des regroupementsplus acceptables, construits en dur…” (Lettre du 8/11/60). Enfin Marnia !Mais pas de comité d’accueil (un “sous-bit” qu’est ce que c’est ? Un pasgrand chose !). Ce n’est qu’après avoir téléphoné au P.C du Régimentqu’une jeep est venue me récupérer. De la gare au P.C la route passait parla ville, une ville que j’avais déjà traversée en 1954 ; je ne lui avais pas, alors,prêté une particulière attention.

Marnia était la dernière gare, en Algérie, sur la ligne impériale Tunis-

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Alger-Rabat, à quelques kilomètres du poste frontière de Zoudj el Beghal(les 2 Mules). Administrativement elle dépendait de Tlemcen, maisnaturellement, historiquement elle regardait vers Oujda la marocaine. Lesdeux villes occupaient les deux bouts d’une même plaine, la plaine desAngad ; une même population, à l’origine, en assurait l’animation, les BeniOuassine. Les deux villes étaient sœurs, mais elles n’avaient pas vécu aumême rythme et bénéficié d’un développement identique. Oujda étaitdevenue le principal centre de l’Est marocain. Marnia végétait ; petit centreadministratif, garnison sans importance, marché agricole, elle s’étaitcontentée de demeurer une bourgade sans grand intérêt. Je ne l’ai pasdécouverte immédiatement ; c’est plusieurs jours après mon arrivée quej’ai, enfin, pu faire le tour de ses quartiers nés progressivement d’unehistoire marquée par la conquête (déjà lointaine) du Maroc et de lacolonisation (toujours présente). Des temps de la conquête et de lapacification du Maroc il restait des témoins. Les collines qui dominaient laville au Nord étaient ponctuées de tours qui en avaient assuré lasurveillance et continuaient à le faire ; elles avaient repris du service. À lasortie de la ville, la route qui menait au Maroc était gardée par unecitadelle. La colonisation avait dessiné une marquetterie de quartiers dotéschacun de leur physionomie. “… Dimanche, j’ai enfin pu prendreconnaissance de la ville de Marnia. C’est un trou affreux où on peutdistinguer quatre éléments : une ville arabe grouillante de vie et d’odeursles plus variées, une vieille ville européenne d’architecture basse où les ruessont parallèles, coupées perpendiculairement par d’autres rues, unecitadelle… une ébauche de ville neuve constituée de H.L.M… la vieilleville est coupée d’une très large avenue où se groupe tout ce que Marniapeut avoir de vrais magasins ou de cafés… En général cette avenue estplutôt déserte, la vie ne s’y manifeste que le dimanche matin à la sortie dela messe. La musique de garnison donne à cette occasion son concert, le“tout Marnia” se promène en attendant l’heure de l’apéritif. À midi, lecalme revient et cela jusqu’au dimanche suivant…” (Lettre du 22/11/60).

Le sort de Marnia était de vivre assoupie, mais, depuis 1954, avec les“évènements” elle s’était réveillée ; elle était devenue l’un des principauxpoints d’appui opérationnels de la “Zone Ouest Oranaise” face aux forcesdu F.L.N installées au Maroc, à Oujda et ses environs. Le 22e Régimentd’Infanterie de Marine (R.I.Ma.) y avait été implanté dès son retour

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d’Indochine avec ses trois bataillons. Ce n’était pas de trop pour contrôlerun secteur d’autant plus animé que la frontière avec le Maroc étaitlargement ouverte. Les “fells” y étaient nombreux et se baladaient enpresque totale liberté ; Marnia et ses campagnes étaient un de leurs fiefs,d’autant qu’un des chefs de la révolte en était originaire, l’ancien sous-officier de l’armée française Ahmed ben Bella ! Mais avec la constructiondu barrage dès 1958, les choses avaient changé. Coupé de sa base arrièremarocaine, le F.L.N avait cessé d’être le maître du terrain en territoirealgérien, il avait perdu beaucoup de monde, son activité et même saprésence s’étaient sensiblement atténuées. “… Du seul point de vuemilitaire, la situation est simple. Dans le secteur de Marnia il n’y a plus quequatre ou cinq fellaghas. Leur action est nulle. Leur principale occupationconsiste à échapper à nos patrouilles. Il en résulte donc une très grandesûreté du secteur où on se déplace normalement…” (Lettre du 11/11/60).Au moment où j’écrivais ces lignes, je ne tenais pas compte de la réalité del’organisation de la rébellion : l’existence, en parallèle des structuresmilitaires, d’une infrastructure politico-administrative, elle, très active.

Ce calme avait eu comme conséquence l’amputation du Régiment ; le 3e

bataillon lui avait été retiré et transféré en Kabylie où il était plus utile.Seuls étaient restés à Marnia les services du Régiment, le 1er et le 2e

bataillons. Cantonné en ville et partageant la citadelle, le premier bataillonassurait la sécurité du quartier de pacification dit de “Marnia-Ville”.L’implantation et la mission du 2e bataillon étaient plus complexes. Il étaiten charge du maintien de l’ordre au sein du quartier “Marnia-rural”(l’ensemble des campagnes qui ceinturaient la ville) et de la surveillancede la frontière sur environ 30 kilomètres de part et d’autre de Zoudj elBeghal, de Souani au nord à Sidi Zaher au sud. Le PC du bataillon étaitimplanté dans une ferme et une villa situées à l’est de la ville. “… PC trèscharmant installé au milieu des orangers dans la villa d’un gros colon qui aquitté momentanément la région…” (Lettre du 11/11/60). Les compagniesétaient réparties entre l’espace de “Marnia-rural” et la ligne de frontière.L’ensemble de ce dispositif (Marnia-ville, Marnia-rural, frontière) était sousle commandement du Colonel F. qui avait pris la suite du Colonel Langlais,l’un des hommes de Dien Bien Phu avec Bigeard et les autres… Langlaisavait fait du 22e R.I.Ma une unité dynamique, disciplinée et un instrumentefficace ; il ne tolérait pas grand chose mais imposait beaucoup. Ces

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marques étaient encore en vigueur quand je suis arrivé ! Je n’ai eu que deuxfois l’occasion de présenter mes respects au “Père du Régiment” ; unepremière fois quelques jours après mon arrivée, invité à sa table comme levoulait la tradition d’accueil de tout officier nouvel arrivant au Régiment ;la seconde fois, peu de jours avant mon départ, toujours comme le voulaitla tradition, pour un ultime entretien. Du colonel dépendait mon affectationà un bataillon, le 1er ou le 2e, et du commandant de ce bataillon, mon pointde chute définitif. “… J’ai passé le reste de la journée au PC où j’ai attenduque l’on veuille bien m’affecter à l’un des deux bataillons. Personne n’étantà Marnia ce jour là, ce n’est que ce matin que j’ai appris que j’étais affectéau 2e bataillon. Maintenant il me reste à savoir à quelle compagnie je vaisaller. Je ne le saurai pas avant un dizaine de jours, car la commandant est enpermission…” (Lettre du 8/11/60).

*

Le bataillon était riche de quatre compagnies ; la 7e et la 8e s’occupaientdu dispositif frontalier, la 7 au sud, la 8 au centre ; le nord avait été confiéà un élément de la demi-brigade de fusiliers-marins rattaché, pour lacirconstance au 22e R.I.Ma. La sécurité intérieure était du ressort de la 6e

compagnie qui oeuvrait en compagnie commando et de la C.C.A.S.(Compagnie de Commandement d’Appui et des Services) qui avait soussa responsabilité deux villages de regroupement, l’un situé à proximité dela frontière, l’autre, plus en retrait. Chacun de ces villages protégé par unposte correspondait à un sous-quartier de pacification confié à unlieutenant ou un sous-lieutenant. Selon la pratique en vigueur je devaisfaire le tour de toutes ces unités ; il était indispensable que je fasseconnaissance avec chacune d’entre elles, de la mission qui lui incombait,du terrain où elle était chargée de l’exécuter. Dans le même temps il étaitcompréhensible que les commandants de compagnie aient une petite idéede ma personne. Qu’à l’intérieur d’une caserne il y ait des incompatibilitésd’humeur au sein de la hiérarchie, c’est embêtant, certes, mais cela ne prêtepas à conséquence majeure. Au sein d’une unité au combat, il en vaautrement, il est préférable de limiter les conflits de personnes et d’éviterles erreurs d’affectation. Plus tard, beaucoup plus tard, j’ai eu l’occasion detester la pertinence de cette nécessaire connaissance respective. Un jeunesous-lieutenant fraîchement arrivé au bataillon avait été affecté à l’un desdeux villages de regroupement. Il n’avait pas été préparé à cette tâche qui

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exigeait que l’on s’habitue à la solitude, à l’éloignement. Résultat, unecatastrophe totale. Terrorisé, il refusait non seulement de sortir de sonposte, mais même de sa chambre… Très rapidement c’est toutel’atmosphère du poste qui a été gagnée par cet état psychologique. Il a fallualors réagir sans tarder, affecter ce jeune officier à une compagnie frontièreoù, entouré, il a retrouvé son calme, son équilibre, ses moyens…

Les trois premiers jours, je les ai passés au PC du bataillon encompagnie de deux lieutenants avec lesquels j’ai très vite sympathisé, lelieutenant T. officier de renseignement (O.R.) du bataillon et le lieutenantG. médecin du bataillon. C’est avec eux que j’ai amorcé la découverte demon nouvel univers et approché une réalité essentielle, celle de lapopulation locale ; une approche, certes un peu convenue et limitée, maisdans la connaissance des choses et des hommes il faut toujours qu’il y ait unpremier pas. “… Aujourd’hui, à l’issue des cérémonies du 11 novembre, j’aiparticipé à un méchoui offert aux anciens combattants. Ce méchoui s’estdéroulé dans un village de regroupement. Participaient à ce méchoui 50musulmans et quelques officiers de mon bataillon… Cela m’a donnél’occasion de faire connaissance avec des responsables de villages, dessimples fellahs. Avec eux j’ai discuté de la pluie (il commence, en effet, àpleuvoir dans la région), du beau temps (il fait encore très bon dans lajournée), des récoltes, des troupeaux, des familles. C’est grâce à ce genre dediscussions que l’on peut, peu à peu, pénétrer dans leur univers, mieux lesconnaître, gagner leur confiance. Ces gens ont, je crois, une grandeconfiance dans les officiers subalternes, c’est à dire ceux qui sontconstamment avec eux. Pour les grades supérieurs il y a une certaineméfiance. Il faut dire que les cadres supérieurs se contentent de demeurerdans leur sphère très fermée et très fermentée…” (Lettre du 11/11/60).

Véhiculé par mes deux mentors, j’ai pu pénétrer une réalité tout à lafois sociale et militaire engendrée par ce conflit auquel j’étais mêlé : lesvillages de regroupement. Il fallait couper la rébellion du soutien qu’ellepouvait facilement trouver dans la population des campagnes (le bled)d’autant que cette population vivait le plus souvent de façon dispersée. Leregroupement avait été la solution retenue et mise en œuvre ; militairementil avait un sens, il facilitait, cela est incontestable, le contrôle du monderural, il entravait la liberté d’action des fellaghas, mais dans le même temps

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il imposait à la société traditionnelle des conditions de vie nouvelles et iloccasionnait, dans bien des cas de sérieuses difficultés à la réalisation desactivités agricoles. Les fellahs dont la tradition était de vivre au plus prèsdes terres qu’ils utilisaient (à l’exception des terres de pâturage) pouvaientdans certains cas s’en trouver éloignés. “… La plus grande partie de lapopulation a été regroupée. J’ai déjà vu deux regroupements. Dansl’ensemble ils ont l’air très convenable. Les constructions sont en dur etelles sont situées au milieu des terres cultivées(1). Il reste cependantbeaucoup de choses à faire pour que ces regroupements soient une réussitecomplète. Les gens qui s’en occupent en ont pleinement conscience et fontce qu’ils peuvent. Chaque regroupement est doté d’une école, d’uneinfirmerie et est dirigé par un officier qui commande en même temps leposte de protection. Le travail de ces gens est remarquable mais souventdélicat, très difficile par suite du manque de moyens, de personnel etsurtout du fait du manque de préparation à ce genre de travail…” (Lettredu 11/11/60). Au moment où j’écrivais ces lignes je ne me doutais pas queje dessinais ce qui allait être, quelques jours plus tard, mon portrait. Ce queje ne dis pas également dans cette lettre mais que j’apprendrai bientôt c’estque la gestion de ces villages de regroupement souffrait d’une certainecomplexité. Militairement ils dépendaient du bataillon comme le toubibqui les visitait et les instituteurs qui animaient l’école mais sur le planadministratif ils étaient placés sous l’autorité d’une Section AdministrativeSpécialisée (S.A.S) commandée par un officier indépendant du bataillonet du régiment. Les deux villages de regroupement était dans la sphère dela S.A.S des Beni Ouassine dirigée par un sous-lieutenant dont j’ai gardé lemeilleur souvenir, le sous-lieutenant René A. (Arabophone, il fera carrière,sauf confusion de ma part, dans la diplomatie… ).

C’est par la 7e compagnie que j’ai entamé mon stage frontière ; c’est làque j’ai fait connaissance avec une donnée essentielle du conflit auxfrontières du territoire algérien tant à l’Est avec la Tunisie qu’à l’Ouestavec le Maroc : le barrage (ou la ligne Morice). “… Je suis à la 7e compagniequi est installée sur le barrage. Cette compagnie est commandée par unofficier dont j’avais fait la connaissance à St-Maixent ; tout de suite il m’a

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(1) Pour bon nombre de fellahs, cela ne signifiait pourtant pas proximité de leurs terreset de leur ferme.

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mis dans l’ambiance du secteur qu’il tient. L’après-midi, en effet, j’ai faitune patrouille le long du barrage “algérien”. Ne t’étonne pas de cetteappellation car il y a deux barrages. Le premier appelé barrage “Maroc”suit plus ou moins fidèlement le tracé de la frontière(1). L’autre, appelébarrage “algérien”, est situé en arrière du précédent. Chaque barrage estconstitué de différents éléments, en gros quatre, une zone minée, deuxlignes de barbelés minées et piégées, la clôture électrifiée et une dernièreligne de barbelés. Chaque barrage est longé de deux pistes, l’une appeléetechnique et qui sert aux électriciens chargés de surveiller et réparer laclôture, l’autre tactique et qui sert surtout aux véhicules chargés d’amenerdes troupes en cas de passage. Jour et nuit ces deux pistes sont en outreparcourues de patrouilles. Le jour, ces patrouilles s’effectuent à pied. C’estce que j’ai fait. Le travail n’est pas intéressant mais il est moins lassant queles patrouilles de nuit. Celles-ci se font de deux façons, l’une s’effectue enautomitrailleuses qui circulent sur les pistes, l’autre consiste à déplacer unphare très puissant chargé d’éclairer le barrage à partir de différents points.Samedi soir je me suis payé la patrouille en automitrailleuse, “la Herse”comme on l’appelle. Nous sommes partis à 11h et jusqu’à 4h du matin nousavons roulé à petite allure. Le trajet est coupé de quelques arrêts destinésà signaler par radio notre position. Ce genre d’amusement estparticulièrement fatigant, chaque section devant intervenir deux nuits desuite. En été les gens doivent avaler une sacrée poussière, en hiver on crèvede froid. C’est ce qui nous est arrivé samedi soir. Comble de malchance lapluie s’est mise de la partie. Nous étions trempés comme des soupes à notreretour car les automitrailleuses sont découvertes…” (Lettre du 14/11/60).

La citation est longue à dessein, elle donne un aperçu de ce que pouvaitsignifier le mot “barrage”, ce qu’il était, les corvées qu’il impliquait, la “vie”qu’on y menait, les dangers qui guettaient les hommes du barrage, les“fells” du Maroc et … l’ennui, les “fells” la nuit, l’ennui le jour et la nuit ;ils n’étaient pas sans rapport et tous deux pouvaient être mortels.

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(1) En réalité ce premier barrage était le plus souvent très en retrait du tracé de lafrontière, ce qui avait eu comme conséquence de créer entre lui et la frontière un “noman’s land”. C’est à partir de ce “no man’s land” que l’A.L.N. harcelait nos postes lanuit. Mais la situation de ce “no man’s land” en territoire algérien donnait à nos forces(artillerie, aviation) la possibilité de répliquer sans avoir à craindre des complicationspolitiques et juridiques avec le Maroc.

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L’A.L.N (l’instrument militaire de la rébellion) basée à Oujda, avait seshabitudes et ses prudences. De jour elle ne se hasardait pas à sortir de sescasernes pour nous titiller ; elle aurait été immédiatement repérée etétrillée. Elle ne se manifestait que de nuit ; elle profitait de l’obscurité poursortir de son sanctuaire et déployer dans le “no man’s land” de petitesunités chargées d’opérer un harcèlement ponctuel et sporadique. C’est unposte, une patrouille ou les deux qui pouvaient être pris à partie ; au posteétaient réservées une ou plusieurs volées d’obus de mortier, la comédiepouvait commencer tôt en début de nuit et se terminer tard si elle étaitrépétée (ce qui était le plus souvent le cas) ; la patrouille n’était gratifiée,le plus souvent, que d’un arrosage à la mitrailleuse, mais parfois au canonsans recul. Bien entendu ces manifestations ne restaient pas sans réplique ;en gros on connaissait les emplacements de tir utilisés (à la longue ilsavaient été repérés et localisés), il suffisait alors de les “traiter” ; l’artilleriedu secteur s’y employait ou alors les mortiers des postes ; le calme revenaitalors soit momentanément soit pour le reste de la nuit. Les harcèlementspouvaient reprendre la nuit suivante ou plusieurs nuit après ; il n’y avaitpas de règle dans leur périodicité, leur durée, leur intensité. L’ennui c’étaitautre chose ; il n’accordait pas de répit, se manifestait en permanence,naissait avec le jour, s’amplifiait la nuit venue. Il collait à la peau et rien nepermettait de s’en débarrasser. Il accompagnait la “Herse”, précédait lalassitude qui submergeait les équipages dès 1h, 2 h du matin, minait lavigilance. Il fallait alors faire de gros efforts pour ne pas se laisser aller ausommeil malgré les bruits du moteur et les cahots de l’engin ; ce n’était pastoujours possible ; j’en ai fait l’expérience ! Les “fells” ne l’ignoraient pas,c’est le moment qu’ils attendaient pour se manifester et “allumer” lapatrouille. Le réveil était alors brutal sauf pour ceux qui, cette nuit là,étaient définitivement libérés de toute forme d’ennui ! Dieu merci, si lesharcèlements étaient monnaie courante, les mitraillages manquaient le plussouvent de précision et la casse était rare. Mais l’émotion passée, l’ennuireprenait ses droits. Dans la lettre du 14 je glissais une remarque qui, defaçon simplifiée, exprimait l’atmosphère à laquelle il était impossibled’échapper. “… Dans les postes le courrier et… la quille sont les choses lesplus attendues impatiemment…”

Ce qui n’avait pas été inscrit au programme c’est la sacrée crise de foie(d’après la Faculté cela n’existe pas !) qui m’a gâché le dimanche et surtout

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privé du repas qui avait été préparé en mon honneur… une abondance deviande de gibier faite pour m’étonner. La réponse était dans uneparticularité du barrage ; destiné à refroidir l’ardeur et les velléités depassage de l’A.L.N, il était aussi un piège pour une faune qui pullulaitdepuis l’interdiction de la chasse. Le matin, il n’était pas rare de retrouveroccis contre la clôture électrique un sanglier… ; la bête en commettantcette imprudence avait déclenché une alerte, suscité l’envoi d’unepatrouille et réveillé la trouille de ceux qui en faisaient partie, maisl’ordinaire du poste s’en trouvait grandement amélioré ! Ce jour là jen’étais pas en état pour en profiter ; je me suis contenté de … manger desyeux. Je me suis rattrapé par la suite.

Les plaisirs de la 7 épuisés, ceux de la 8 m’attendaient. Bis repetita ?Oui et non ! Comme à la 7 un accueil chaleureux, bienveillant même desmaîtres du lieu, le Capitaine M. “un basque aux cheveux blancs, vieilofficier très sympathique” (Lettre du 14/11/60) et le sous-lieutenant G. (del’active), les incontournables patrouilles et l’inévitable “herse”. MaisBeghal me réservait quelques surprises. D’abord la “herse” à bord d’unedraisine empruntant la voie ferrée menant au nord, à Nemours, et puis deuxbaptêmes, un vrai baptême de l’air en hélicoptère suivi d’un modestebaptême… du feu. “… En fin d’après-midi, j’ai eu mon baptêmed’hélicoptère. Tous les soirs, en effet, un hélicoptère survole le barrage et lafrontière. À chaque fois il embarque un officier du secteur. Ce jour là, j’aieu la chance de prendre place à bord et pendant 25 minutes j’ai survolé lesecteur…” (Lettre du 14/11/60). Le baptême du feu, c’est à la crise de foie(une réplique de la première) que je l’ai dû. Je ne devais passer que deuxnuits au poste de Beghal ; ces deux nuits avaient été tranquilles, de ces nuitsde veille qui, au compte rendu du matin, se résument par trois lettres,R.A.S. Nous étions restés dans la tour de guet jusqu’à 3 heures du matincomme cela se passait jour après jour ou plutôt nuit après nuit ; rien n’étaitvenu perturber notre envie de dormir. Le troisième jour, le Capitaine, au vude ma mine d’hépatique mal en point, a estimé préférable de me garder.C’est cette nuit là que les gens d’Oujda ont eu la bonne idée de semanifester, pas de manière excessive, à la mitrailleuse seulement. Du posteon percevait bien les balles traçantes arriver vers nous. Impression étrange,celle d’un feu d’artifice raté ; les traçantes s’élevaient en une large courbepuis plongeaient dans notre direction. L’ordre a été donné de répliquer,

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mais de la même manière, à la mitrailleuse lourde, la “12,7” ; le capitaineavait estimé qu’il n’était pas nécessaire, cette nuit là, de faire donner lesmortiers du poste. Ce harcèlement, mené comme d’habitude parintermittence (le temps pour les mitrailleuses qui nous prenaient pour ciblede changer de position), a duré peu de temps, peut-être une heure, et puisle calme est revenu. J’avais eu mon baptême du feu, du moins je lepensais(1)… Deux jours après c’est avec des mortiers que le harcèlement aeu lieu et Beghal a été copieusement arrosé. Cette nuit là, l’équipe desmortiers de Beghal, chargée d’apporter la réplique, a eu chaud, très chaud.Un obus est venu s’écraser contre le mur de la cuve de protection oùétaient installés les mortiers du poste. Personne n’a été touché, un miracle !Mais il y a bien eu deux victimes, une chemise et un pantalon du capitainequi séchaient tranquillement dans la cour du poste. Au petit matin, il n’enrestait que de la charpie. Le sort réservé à ces glorieuses guenilles a étédigne de celui d’un drapeau pris à l’ennemi ; elles devaient désormaistrôner en bonne place au P.C de la compagnie.

La 8 n’avait plus de secret pour moi, je pouvais donc achever monparcours sur la frontière par une dernière visite, la visite aux fusilliers-marins installés dans une grande ferme désertée par ses propriétaires. “…Vendredi matin j’ai donc… embarqué chez les fusilliers-marins. Là encorej’ai été très bien reçu. En règle générale la marine est toujours trèshospitalière et elle s’est montrée à la hauteur de sa réputation…” (Lettre du22/11/60). Non seulement accueillant mais aussi perspicace, le lieutenantqui commandait le poste, a rapidement compris que j’en avais “ras lepompon” de me trimballer, de jour et de nuit, le long du barrage à pied ouavec la “herse”. Il m’a royalement accordé mon après-midi et ma soirée.“… Vendredi soir, j’ai joui d’une soirée très calme et des plus agréables celagrâce à mon petit poste qui marche à merveille. En effet, ce soir là “ParisInter” retransmettait de Boston un excellent concert et j’ai pu aussi écouterle concerto pour violon de Beethoven. La partie violon était interprétée parle Russe Cogan…” (Lettre du 22/11/60). Le lendemain matin, bon prince, j’aiaccepté une petite promenade, le long du réseau, de 10 km. Il fallait bienque j’aie une petite idée du secteur tenu par les fusilliers-marins. À vraidire cette reconnaissance ne m’a rien apporté de nouveau, de Sidi Zaher à

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(1) Le vrai baptême viendra après…

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Souani la plaine était sans changement et ne réservait pas de surprise. Lesoir je rentrai au bataillon où m’attendait du courrier (je l’espérais car j’enétais sevré depuis plusieurs jours) et… un exercice d’alerte sur… lebarrage. À peine arrivé, il me fallait repartir (les soirées au bataillon étaientassez coutumières de ce genre de plaisanterie ; il suffisait qu’une “huile” seprésentât… ), mais j’ai réussi à faire comprendre qu’en une semaine j’avaisépuisé tous les charmes de ce genre de passe-temps et demandé qu’onveuille bien m’en dispenser. J’ai été entendu, heureusement, car les petitscopains ont regagné le cantonnement à plus de 2 heures du matin.

Il me restait pour achever mon initiation deux expériences à mener, lacompagnie-commando et un village de regroupement. J’avais entenduparler de la 6, il me tardait d’en faire la connaissance, je n’ai pas été déçu.Une compagnie qui ne pouvait laisser indifférent, un monde que je n’avaispas encore eu l’occasion de pratiquer. Pour la commander deux lieutenants,deux gaillards de bonne souche bretonne qui avaient une conception trèsparticulière, très circonstancielle du commandement. Au cantonnement ilsestimaient qu’ils pouvaient laisser à leurs hommes la bride sur le cou (lanotion de tenue flirtait avec le flou artistique) ; eux mêmes il ne fallait pastrop les prier pour entamer un chahut et apporter la preuve de l’étendue deleur répertoire de chansons paillardes. Mais sur le plan strictementopérationnel, la plaisanterie n’avait plus cours, ils tenaient la route. Lacompagnie était en état de partir à tout moment ; sur le terrain, plus delaisser-aller, au contraire c’est une discipline très stricte qui était imposée,acceptée et le travail réalisé ne manquait pas d’efficacité. J’en ai faitl’expérience sans avoir à attendre. “… Lundi matin je me suis rendu à la 6e

compagnie et tout de suite je suis parti avec une section pour fouiller pierrepar pierre, buisson par buisson un coin situé à 1 km au nord de Marnia. Jene commandais pas la section, je n’y étais qu’un spectateur. Pour mapremière sortie j’ai été bien servi. À peine avions nous fait 50 mètresqu’une équipe découvrait une cache dans un tas de pierres. C’est sur unevéritable épicerie que nous sommes tombés ; la cache contenait en effetdes boites de sardines, de thon, du riz, du sucre, des pommes de terre,des olives, de l’huile, du pétrole, des vêtements et du pain… tout frais ! Àcent mètres de là travaillaient deux arabes. À côté d’eux, une charrette dontles traces menaient à la cache. Les deux gars n’en menaient pas large.Évidemment on les a interrogés, non moins évidemment ils n’avaient rien

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vu. On les a relâchés(1). Émoustillé par cette découverte on s’est mis àretourner tous les tas de pierres et cinq minutes après c’est sur une cachequi avait été occupée dans la nuit que nous sommes tombés. Elle contenaitdes couvertures, des cigarettes, un réchaud, un nécessaire de toilette, despapiers(2). À midi, nous sommes rentrés munis d’un ample butin… Il ne fautpas croire que tous les jours il en est ainsi. Pendant des mois on ratisse envain le terrain et puis, brusquement, par chance, on trouve quelquechose…” (Lettre du 22/11/60). C’était la première sortie avec la 6, d’autresont suivi mais malgré les kilomètres parcourus, les grottes inspectées, ellesn’ont rien donné mais elles m’ont permis de connaître un peu mieux leterrain dévolu au bataillon. De nombreux mois plus tard, je reviendrai surce terrain ; ce sera pour une ballade d’un autre type, on le verra !

J’aurais bien aimé être affecté à la 6, non pas tellement pourl’activité qu’on y menait (encore que cette activité me convenait mieux quecelle du barrage) mais surtout pour des raisons plus… sentimentales etdomestiques. Le cantonnement de la 6 était situé en bordure de la ville,je caressais l’espoir de faire venir Thérèse en fin d’année et je pensais quenous pourrions, Thérèse et moi, profiter au mieux de cette proximité. Celaa failli se faire mais cela ne s’est pas fait ; le commandant O. revenu depermission avait à mon égard d’autres intentions. “… Je n’ai malheu-reusement pas pu intégrer la 6 et cela pour une raison très simple. Il y a iciun regroupement qui ne marche pas du tout. L’officier qui le dirige nonseulement n’a pas su s’attirer la sympathie de la population mais il s’est,en outre, mis à dos la harka et une partie des notables. La situation moraley est donc très mauvaise… le commandant (dont j’ai enfin fait laconnaissance) compte sur moi pour rétablir la situation…” (Lettre du27/11/60). Cette perspective n’était pas sans m’inquiéter, j’ignorais presquetout de ce type de travail. Ce regroupement mal en point, situé à proximitédu barrage, j’en avais pris connaissance le 11 novembre. Mais il est évidentqu’une visite de quelques heures, que quelques conversations anodines etconvenues ne m’en avaient rien appris qui ait pu être d’une réelle utilité.“… C’est un travail, tu t’en rends compte, très délicat. Je ne sais pas du tout

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(1) Le détail dont ne parle pas la lettre, c’est l’état de leur visage quand ils sont repartis ! (2) Les fellagahs produisaient et portaient beaucoup de papiers. Ils étaient souvent une

mine sérieuse de renseignements.

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comment je vais m’en tirer… ne connaissant presque rien à la psychologiemusulmane, j’ai l’impression que je vais nager pendant quelques temps.J’espère ne pas me noyer…” (Lettre du 27/11/60).

Cette affectation arrivait à un moment où les responsables militaires detout grade n’étaient pas sans perplexité quant au rôle qu’ils allaient devoirjouer, quant à l’attitude qu’ils allaient devoir adopter vis à vis despopulations en Algérie et notamment la population musulmane.L'intervention du Général de Gaulle, le 4 novembre, à la télévision était àl’origine de ces interrogations, le Chef de l’État y annonçait une nouvelleorientation de sa politique algérienne. “… Ayant repris la tête de la France,j’ai, comme on le sait, décidé, en son nom, de suivre un chemin nouveau. Cechemin conduit non plus à l’Algérie gouvernée par la métropole française,mais à l’Algérie algérienne. Cela veut dire une Algérie émancipée, uneAlgérie dans laquelle les Algériens eux mêmes décideront de leur destin,une Algérie où les responsabilités seront aux mains des Algériens, uneAlgérie qui, si les Algériens le veulent - et j’estime que c’est le cas - aura songouvernement, ses institutions et ses lois…” (Charles de Gaulle, discours etmessages - Avec le renouveau 1958/1962 - p. 258 - Édit. Plon). Le 16novembre 1960 le chef de l'Etat annonçait en Conseil des ministres sonintention de procéder à un référendum sur l'organisation des pouvoirspublics en Algérie et le principe d'autodétermination. Fin décembre, à deuxreprises, il confirme à la Nation la nouvelle orientation de sa politiquealgérienne. Le 20 décembre dans une allocution radio-télévisée. “…l'Algérie de demain sera donc algérienne. Ce sont les Algériens quirègleront leurs propres affaires et il ne tiendra qu'à eux de fonder un État,ayant son gouvernement, ses institutions et ses lois…” (opus cité page 264).Le 31 décembre à l'occasion de ses vœux. “… Pour l'Algérie nous voulonsque 1961 soit l'année de la paix rétablie, afin que les populations puissentdécider librement de leur destin et qu'ainsi naisse l'Algérie algérienne…”(opus cité page 268).

Après l’Algérie française, L’Algérie algérienne ! Compte tenu de lasituation internationale (le soutien à la rébellion du Monde socialistederrière l’URSS et la Chine, du Tiers-Monde naissant, des institutionsinternationales, et même des U.S.A) il n’y avait certainement pas d’autresolution. Le mot indépendance n’avait certes pas été prononcé mais l’idée

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était bien là et tout le monde l’avait compris. Il y avait dans cette volte-facede quoi déboussoler. “… Hier après-midi, j’ai assisté à une réunion de tousles officiers du bataillon chargés de la Pacification : rapport moral, situationpsychologique, matérielle, mise à jour des listes électorales en vue du futurréférendum. Le point intéressant a été une mise au point de l’état d’espritdes musulmans après le discours du 4 novembre. En gros on peut résumerainsi cet état d’esprit : mécontentement des musulmans favorables à laFrance(1), renforcement de l’attitude attentiste de ceux qui n’ont pas encorepris nettement position, satisfaction des éléments favorables àl’indépendance. Ce jugement porte sur quelques opinions exprimées car, engénéral, les musulmans ne se livrent pas du tout. Ils évitent de répondreaux questions politiques. Cela se comprend aisément !…” (Lettre du27/11/60). J’allais donc prendre en charge un regroupement malade à unmoment pour le moins délicat tant sur le plan politique que psychologique.Ce n’était pas rassurant et j’étais loin d’être rassuré d’autant que je n’avaispas encore mis le nez, je le répète, dans la conduite quotidienne d’un villagede regroupement et d’un poste chargé d’en assurer la sécurité ou… lasurveillance. L’une n’allait pas sans l’autre… là était toute l’ambiguïté demon futur rôle.

Mais avant de gagner ce village il me restait une mission (non prévuemais décidée par le régiment) à remplir et un stage à accomplir ; la missionje m’en serais bien passé ; le stage, lui, mon affectation l’avait rendu urgent.Le régiment m’avait désigné pour convoyer vers le camp de Nouviou auSud de Mostaganem un groupe de recrues musulmanes de Marnia ; unautre sous-lieutenant était de la partie… mon camarade O. de St-Maixent.Je ne pensais pas le retrouver dans cette circonstance ; en poste à Nedromail avait été, lui aussi, chargé d’accompagner des recrues de cette ville. Uneexpédition exécutée dans des conditions déplorables ! À la gare deNouviou, pas de camion pour nous mener au camp distant de 3 km ; laveille, les recrues de Tlemcen avaient saccagé les véhicules chargés de leurtransport (un incident qui en disait long sur l’état d’esprit qui pouvaitrégner dans certains milieux de la population algérienne musulmane,surtout les jeunes). La suite a été de la même eau. “… Au mess, nous nous

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(1) Il y en avait dans l’ensemble de l’éventail de la société algérienne musulmane, desnotables aux simples fellahs en passant par les anciens combattants.

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sommes faits accueillir comme des chiens dans un jeu de quille. Après lerepas, il n’y avait rien pour dormir. Tant bien que mal nous nous sommesentassés à trois dans une pièce. En fait de réception il y a vraimentmieux…” (Lettre du 27/11/60). Des responsables du camp de Nouviou j’airamené l’impression d’un ramassis de cons de la plus belle espèce ; de cescons qui n’ont pas leur pareil pour jeter le discrédit sur l’institution qu’ilsreprésentent… en l’occurrence l’institution militaire. Avec cet épisode deNouviou mon initiation à l’atmosphère algérienne venait de progresser defaçon inattendue. Mon compagnon et camarade O. et moi devions nousrevoir plus tard, beaucoup plus tard à bord de “la Ville de Tunis” qui nousramenait en France, via Marseille, en février 1962.

Des deux regroupements, lequel allait m’accueillir pour achever le tourde tous les types de mission confiés au bataillon ? Dans un premier tempsil avait été prévu que je me rende dans le village où j’allais être affecté.Seulement, voilà, le sous-lieutenant qui en avait la charge n’avait étéprévenu ni de sa mutation ni de ma venue pour le remplacer à très courtterme. C’est donc vers l’autre village que j’ai été dépêché. C’est unlieutenant qui le dirigeait, un lieutenant qui, dans son… fief, avait pris deshabitudes de liberté, d’indépendance et développait un sens de l’amabilitéqui était très proche de celui d’un vieil ours. Le lieutenant V. n’aimait pasqu’on envahisse sa tanière, qu’on vienne lui casser les pieds et c’estjustement ce que je venais faire. La qualité de l’accueil s’en est ressentie etpuis, sans que je sache pourquoi, l’ours s’est dégelé, l’atmosphère s’estréchauffée et, sans efforts réciproques, nous nous sommes entendus. J’étaissoulagé et cela a grandement facilité mon apprentissage. “… Hier matinj’ai commencé mon nouveau stage dans un village de regroupement.L’officier qui le commande n’était pas très chaud de ma visite. Maisrapidement il s’est détendu et m’a invité à venir passer trois jours chez lui ;ce que, évidemment, je n’ai pas refusé…” (Lettre du 1/12/60). “Village 8”,c’était le nom de ce regroupement, un nom lié au projet initial de laconstruction de 8 villages regroupant la totalité de la populationmusulmane du quartier de “Marnia-rural” ; il devait en être le 8e, il en a étéle 2e et dernier ! Pour le seconder V. pouvait compter sur un vieux briscardde “la colo”, le sergent chef P., breton (la Bretagne, la Corse, les Antilles onttoujours été le grand vivier de “la colo”, où elle a puisé les hommes dontelle avait besoin), têtu et grand fouineur de terrain. Il n’avait pas son pareil

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pour remuer les tas de cailloux et Dieu sait qu’il y en avait dans le ressortde Village 8. À perte de vue ! La troupe était assurée par une harka forted’une vingtaine de harkis. Comme dans tous les postes de ce type, c’est un“Pied-noir” au nom bien espagnol qui faisait office d’interprète ;indispensable l’interprète car sans lui pas de communication possible avecla communauté musulmane qui ignorait à peu près tout de l’usage dufrançais. En ville les choses étaient différentes mais dans les campagnesl’arabe était le seul véhicule utilisé (pour comprendre la chose il suffit dese rappeler ce qu’étaient les pratiques du parler dans bien des campagnesfrançaises encore au début du 20e siècle). Une curiosité m’a d’embléeétonné chez ces “Pieds-noirs”, leur don des langues ; ils en utilisaient, toutnaturellement, quatre : le français, bien sûr, l’espagnol, bien entendu,l’arabe, c’est évident et, en plus, une espèce de sabir mélange des troislangues qu’eux seuls maîtrisaient. D’un poste à l’autre quand ils entraienten communication c’est ce sabir qu’ils pratiquaient ; d’éventuelles oreillesindiscrètes en étaient pour leur frais !

La connaissance des hommes du poste, de leur état d’esprit, de leurtravail, de leur façon de faire ne manquait pas d’intérêt, loin de là, maisc’est le village que je désirais découvrir en priorité. Je n’ai pas attendu poursatisfaire cette curiosité et je n’ai pas été déçu. “… Ma matinée, je l’aipassée à visiter le village, à discuter avec les gens. Dans l’ensemble les gensne sont pas très heureux d’avoir été ainsi regroupés. Cela se comprend. Parrapport aux terres cultivées, le village est assez mal situé. En effet, denombreux paysans sont à six, sept kilomètres de leurs terres… Autre pointsensible, le regroupement en dur n’est pas terminé, si bien qu’une partiede la population est obligée de vivre sous la tente. Or les nuits en cemoment sont particulièrement fraîches. Heureusement qu’il ne pleut pascar presque toutes les tentes sont plus ou moins pourries. En ce moment onactive donc la construction. Dans l’ensemble les maisons sont très bienfaites. Je pense que les gens disposent du même espace que dans leur ferme,tout au moins en ce qui concerne les locaux d’habitation. Chaque familledispose d’une maison avec cour close et d’un nombre de pièces suffisantpour l’abriter. La grosse question est celle des animaux et des récoltes quirestent dans les anciennes mechtas (fermes). Les gens s’en occupent le jourquand ils vont travailler dans leurs terres. Comme tous les regroupementscelui où je suis possède son école (il va falloir l’agrandir) et son infirmerie.

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Le lieutenant a réussi à faire bâtir un château d’eau et installer desfontaines aux différents points du village…” (Lettre du 1/12/60). Lesvillages de regroupement avaient entre eux de nombreux points communs,leur origine, leur fonctionnement, une population et une économieexclusivement rurales, mais des différences pouvaient les distinguer. Cesera le cas du village que j’allais rejoindre sous peu ; deux détails enfaisaient quelque chose de différent de Village 8 : il était installé au milieudes terres cultivées et le bétail avait été, lui aussi, regroupé. Les conditionsde vie y étaient par conséquent autres et dans une certaine mesure plusfaciles. Cela me vaudra, une nuit, de participer avec mes harkis à larecherche et au rassemblement de moutons qui avaient fui leur enclos. Cegenre d’amusement mon camarade V. de Village 8 ne l’a jamais connu !

Assumer la responsabilité d’un regroupement supposait qu’on s’habitueà jongler avec un jeu complexe de préoccupations tant civiles quemilitaires. Les activités de nature militaire étaient incontournables ; sur ceplan, aussi, mon passage à Village 8 a eu son utilité. J’y ai pratiqué ce quiallait devenir mon quotidien. “… Hier après-midi je n’ai rien fait departiculier sinon une patrouille aux environs du village. Ces patrouilles sontennuyeuses au possible. Elles consistent à remuer des tas de pierres, àfouiller minutieusement chaque mechta abandonnée et cela pour trouverd’éventuelles caches. Il arrive parfois qu’on en découvre une…” (Lettre du1/12/60). Des caches pouvaient être aménagées entre deux fouilles ; c’est laraison pour laquelle ces fouilles étaient à renouveler régulièrement. Sur lemétier cent fois… !

Le séjour à village 8 avait été très instructif. Je savais que la tâche quim’attendait serait complexe et qu’il me faudrait utiliser tour à tour troisinstruments, la truelle, le stylo, le P.M. (pistolet-mitrailleur). J’avais aussiappris qu’il me faudrait souvent me débrouiller seul ; j’étais averti ! J’ensavais donc un peu plus avant de gagner Térébinthes. C’était le nom de“mon” village.

Térébinthes, décembre 1960 / février 1961

Samedi 3 décembre, 10 h du matin ; la jeep que le bataillon avait mise à

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ma disposition me déposait devant l’entrée du poste. Le sous-lieutenantqui en assurait le commandement m’attendait pour le passage desconsignes. Il ne tenait pas à faire durer les choses ; à midi le rituel étaitachevé, la jeep repartait vers le bataillon avec mon prédécesseur. J’étais lenouveau…”patron” du territoire, du village, du poste de Térébinthes. Trèsrapidement je me suis rendu compte de ce que cela pouvait signifier : unecharge de responsabilité et de travail dont je n’avais pas pleinemententrevu l’ampleur lors de mon passage à Village 8. Ce monde qui m’étaitconfié, il fallait, sans tarder, que j’en fasse connaissance et, surtout, que jeprenne la mesure des problèmes qui se posaient, que je leur apporte, dansl’urgence, les solutions qui s’imposaient ou que je pouvais imaginer. Jedisposais pour ce faire, de peu de temps, d’autant moins que le référendumqui approchait nécessitait une révision des listes électorales et que lestâches quotidiennes, notamment de surveillance, ne souffraient aucunrelâchement. Beaucoup de choses à faire donc au cours de journées quin’étaient longues que de 24 heures. Le courrier s’en est ressenti ; lespremières nouvelles ont eu le laconisme des cartes postales. La premièrelettre conséquente n’a quitté le poste que 15 jours après mon arrivée ; ellesignifiait que le gros du travail était achevé. Par la suite, même si lesjournées ont persisté à demeurer chargées, j’ai pu renouer avec meshabitudes de courrier régulier. Les longues veilles nocturnes s’y sontprêtées.

*

Térébinthes, c’était d’abord un territoire et sur ce territoire deshommes ; un territoire à découvrir pour mieux le surveiller, des hommes àapprendre à connaître, à contrôler, mais aussi à aider à supporter desconditions de vie rendues difficiles par les évènements. Le sous-quartier depacification de Térébinthes couvrait environ 100 kilomètres carrés (unesurface bien vaste pour des hommes qui n’avaient que leurs jambes pour leparcourir) ; il présentait, en gros, la forme d’un quadrilatère de 10 km decôté. Au Nord, il butait sur les premières hauteurs des Monts de Nédroma ;à l’Est, il s’arrêtait aux portes de Marnia ; à l’Ouest, le barrage enconstituait la limite ; vers le Sud, il se perdait quelque part dans la plaine endirection de Sidi Zaher. Deux reliefs totalement opposés se partageaient ceterritoire en proportion à peu près égale ; le Nord était occupé par un

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réseau de collines qui grimpaient doucement vers les Monts de Nédroma ;au Sud, la plaine était sans partage. Deux oueds, prenant naissance auMaroc, traversaient le pays d’ouest en est. L’oued Mouilah avait dégagédans les collines une vallée profonde, sinueuse ; au fond un filet d’eaucoulait en permanence entre des berges peuplées de lauriers en touffessouvent épaisses (patrouiller dans cette végétation, splendide au momentde sa floraison, ne constituait pas une promenade particulièrementrassurante !). Très différent, l’oued Mehaguen s’était installé dans la plaineoù il avait creusé un lit profond, large aux versants à allure de falaise. L’eauy était rare ; pour qu’il y en ait, il fallait des pluies abondantes, brutales,surtout lors d’orages, sur les reliefs du Maroc voisin. Alors la physionomiede l’oued Mehaguen et de sa vallée changeait du tout au tout. En quelquesminutes un torrent impétueux d’eau et de boue, auquel rien ne pouvaitrésister, déferlait et balayait tout sur son passage. Ces crues spectaculairesne duraient que quelques heures mais elles mettaient à mal le barragetraversé par l’oued ; tout était emporté, barbelés, mines, clôture électrique ;il fallait réparer d’urgence. Au contact de la plaine et des collines, untriangle de routes ; deux de ces routes partaient de Marnia, l’une au Nordqui menait à Nemours sur le littoral, l’autre au Sud qui assurait la liaisonavec Zoudj el Beghal ; la troisième faisait jonction entre les deux premièresle long du barrage. Le village et le poste de Térébinthes étaient implantés,dans la plaine, au centre de ce triangle.

Décembre, l’hiver s’était installé avec son temps capricieux ponctué debelles journées suivies de périodes (brèves dans l’ensemble) de pluies etde températures plutôt fraîches, parfois basses. “… Dehors il fait froid, levent souffle comme il peut souffler sur nos plateaux de Lorraine…” (Lettredu 18/12/60). C’est à Térébinthes que, pour la première fois, j’ai connul’étrange association de l’orage et de la neige. Une nuit le pays a été secouépar un violent orage. Devant mon étonnement d’éclairs et de tonnerre enhiver, Tonio mon interprète, qui connaissait bien le pays, n’a pas hésité àm’annoncer ce que serait le paysage au petit matin : “Mon lieutenant,demain tout sera blanc”. Il ne s’était pas trompé, au réveil tout était blanc,non seulement les hauteurs qui dominaient la plaine mais la plaine ellemême. Le manteau neigeux ne s’est pas éternisé, le soleil a vite repris sesdroits, à midi il n’y avait plus que des flaques d’eau ; mais désormais jesavais que dans ces confins de l’Algérie et du Maroc, en hiver, le mot orage

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pouvait rimer avec celui de neige. “… Il a neigé cette nuit ; le paysage estmagnifique…” (Lettre du 11/01/61). Fin janvier l’hiver a donné ses premierssignes de recul. La température s’est mise à la hausse ; les amandiers ontrefleuri ; les migrateurs ont fait leur réapparition venant du Sud, des bandesd’étourneaux se sont abattus sur la plaine accompagnés de vols de cigognes.Personne n’a regretté cette annonce d’un printemps proche, surtout pas lespaysans du village de Térébinthes.

Térébinthes, c’était aussi (et surtout) une communauté d’hommes, defemmes, de vieillards et d’enfants dont la vie avait été singulièrementbouleversée par le conflit et, je l’ai déjà dit, par la décision prise par lesautorités civiles et militaires de procéder à leur regroupement. Lapopulation avait donc dû renoncer, en partie, à un mode de vie traditionnelqui reposait sur le groupement social et la dispersion géographique. Cettecontradiction, apparente, relevait de deux données essentielles, fréquentesdans la vie de la société algérienne et des rapports entre la terre et leshommes, données qui étaient restées vivaces dans le milieu rural de cetterégion de l’Ouest oranais. La vie de tout individu s’inscrivait dans le cadred’un groupement ancestral, le douar ; à chaque douar correspondait unespace de terres de culture et de pâture ; les fermes (les mechtas) étaientdispersées à l’intérieur de cet espace. La population vivait donc tout à lafois de façon dispersée et groupée dans un paysage humain que le tempsavait figé. Toutes ces mechtas offraient, en effet, une même apparence, uncube de pierres sèches surmonté de toits en terrasses et dépourvud’ouvertures extérieures, une cour intérieure entourée des piècesd’habitation (notamment la cuisine, le coin privilégié des femmes avec sonbraséro (canoun) et la pièce principale, la seule à recevoir quelquesmeubles et les hôtes invités. Au centre de l’une des pièces il était fréquentque soit creusée une excavation en forme de jarre ; elle était destinée àrecevoir la réserve familiale de grains). À l’extérieur un puits (il pouvaitse trouver dans la cour), un jardin (irrigué souvent avec parcimonie)ceinturé de figuiers de Barbarie ou de grenadiers, un enclos entouréd’épineux pour accueillir, la nuit, un troupeau plus ou moins important demoutons et de chèvres. La politique de regroupement avait mis un terme àla dispersion géographique mais en partie seulement car seule une fraction(la plus importante il est vrai) de la population avait été soumise à ceprocessus : la population des collines (la plus difficile à surveiller) et celle

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qui vivait dans la plaine mais à proximité du barrage. Les mechtas quiétaient situées aux abords de Marnia n’avaient pas été vidées de leurshabitants qui continuaient à vivre… “normalement” (si il est possibled’utiliser ce terme !).

Quelque chose de nouveau avait donc fait son apparition dans lepaysage des Beni Ouassine, un village, le village de Térébinthes qui abritaitplus de 1 600 personnes. Sa conception et sa réalisation, menée sous ladirection du lieutenant Jean T., ne s’étaient pas faites n’importe comment ;le choix de l’emplacement n’avait pas été laissé au hasard ; la constructiondes habitations s’était faite dans une perspective de durée ; le plan duvillage et la répartition des habitants avaient pris en compte l’organisationtraditionnelle des douars. L’emplacement de Térébinthes avait étédéterminé par un ensemble de trois données susceptibles d’assurer saréussite : la présence d’une école dont la fréquentation par les enfants étaitantérieure aux évènements, la proximité de la route qui menait à Marnia(son marché, ses “hammam”, ses commerces), la position la plus centralepossible par rapport à l’espace agricole. Le choix de l’emplacement avaitété guidé par la volonté de ne pas chambouler à l’excès les conditions devie des familles contraintes au regroupement. Mais dans le même temps, ilétait évident que pour l’autorité militaire l’existence de ce village devait seprolonger au delà de la solution au conflit. Les habitations avaient étéconstruites pour durer ; les matériaux utilisés, notamment la pierre, lepermettaient ; le plan traditionnel des mechtas avait été pleinementrespecté (le cadre de vie domestique n’était donc pas perturbé) ; la plupartdes habitations disposaient d’un puits permettant d’accéder à l’eau d’unenappe phréatique abondante. Enfin et surtout la géométrie du village avaitpermis, non seulement de respecter mais aussi de renforcer la réalité socialefondamentale, celle des douars. Traversé par deux larges voies se coupantà angle droit, le village avait été ainsi divisé en quatre quartiers attribués,chacun, à un ou deux douars. Les douars n’avaient donc pas éclaté et pourtous les individus le sentiment d’appartenance à un douar s’en était mêmetrouvé accru.

Si les hommes avaient été obligés de se soumettre à l'ordre de leurregroupement, leur économie était restée sans changement, du moins dansses fondements ; elle reposait toujours sur la terre, seule source d’activités,

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de substances et d’argent. Mais les terres des Beni Ouassine n’étaient pasdes plus généreuses. Dans les collines la pierraille l’emportait, seuls lesfonds des vallons offraient suffisamment de sol pour porter quelquesmaigres cultures et tolérer quelques arbres. Le reste, couvert d’une maigreet rare végétation servait, comme les versants de la Mouilah, de terrain deparcours à de petits troupeaux de chèvres et de moutons laissés à la gardede jeunes bergers (ils voyaient et savaient beaucoup de choses, ces bergers,des choses qui nous auraient beaucoup intéressés, mais le silence était unede leurs vertus !).

La plaine était plus accueillante mais de façon très inégale car partagéeentre deux terroirs qui n’avaient rien de commun ; une partie des terresbénéficiait de l’eau du barrage de Beni Badhel (au Sud-Est de Marnia dansles monts de Tlemcen), l’autre pas. Terres sèches et terres irriguéesreprésentaient donc deux espaces agricoles profondément différents. Lesterres sèches (et caillouteuses), les plus vastes, le long du barrage et enbordure des collines, étaient avant tout le domaine des céréales (quelquesoliviers pouvaient çà et là leur tenir compagnie) ; les récoltes dépendaientde la générosité du ciel, de la fréquence et de l’abondance de ses pluiesd’hiver et du début du printemps. Le travail de ces terres demandaitbeaucoup de sueur, mais rapportait peu. Les terres irriguées, c’était autrechose ! Elles n’occupaient, malheureusement, qu’une fraction limitée del’espace de Térébinthes entre Marnia et le village ; mais elles étaient ledomaine d’une production plus variée et surtout plus régulière. Fellahs etcolons (peu nombreux) se partageaient ces terres (dans une proportionque je suis incapable de préciser) mais ne l’utilisaient pas de façonidentique. Les colons avaient privilégié la production d’agrumes, les fellahs,les légumes (oignons, tomates, poivrons, pastèques) que l’on retrouvait surle marché de Marnia. Mais les produits frais n’occupaient pas seuls lesparcelles irriguées, ils étaient associés à des cultures arbustives, desagrumes, des amandiers sans oublier les indispensables oliviers. Ces terresqui bénéficiaient d’un apport régulier d’eau étaient travaillées avec la plusgrande minutie ; elles fournissaient non seulement le complémentalimentaire nécessaire mais aussi l’essentiel de l’argent disponible.L’élevage n’était pas absent mais il ne jouait qu’un rôle secondaire danscette économie ; la plupart des familles possédaient quelques bêtes(volailles, chèvres, moutons) sacrifiées les jours de fête mais aussi négociées

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sur le marché de Marnia. Contrairement à ce qui se passait à Village 8, lespaysans de Térébinthes n’avaient pas été placés dans l’obligation de laisserleur bétail dans les mechtas abandonnées ; les enclos étaient tous situés enbordure du village. La politique de regroupement avait rendu plus difficilele travail des terres éloignées mais pas désorganisé l’économietraditionnelle des Beni Ouassine.

La population rassemblée à Térébinthes, et sans doute aussi celle quine l’était pas, n’avaient jamais roulé sur l’or et la question du quotidienavait toujours, pour la grande majorité, posé des problèmes. Depuis 1954,aux soucis matériels, s’étaient ajoutés le drame de la guerre et les difficultésde toute nature qu’il avait engendrées ; il ne pouvait pas en être autrement.Dès le début des évènements, les hommes et les femmes des Beni Ouassines’étaient retrouvés en première ligne mêlés à une situation à laquelle ilsn’avaient pu et ne pouvaient toujours pas se soustraire. La rébellion y avaitpuisé les hommes dont elle avait besoin et lorsque les pertes avaient éclaircises rangs, le deuil s’était installé dans bon nombre de mechtas.

En arrivant à Térébinthes cette réalité ne m’avait pas échappé et saisirl’état d’esprit qui régnait au village, dans les douars, dans les familles avaitété pour moi une préoccupation immédiate et essentielle. Je ne pouvais pasne pas me poser un certain nombre de questions, certainement naïves au vude la suite, mais inévitables à ce moment là. Après six années de conflit, derépression, de tracasseries, de peur, que restait-il du crédit de la France,quel était l’impact réel du FLN au sein de la population, comment lasituation était-elle encore supportée ? La France avait elle encore desfidèles ? C’était bien possible parmi les hommes d’âge mûr et les ancienscombattants. Fahres, le chef du village nous était certainement restéfavorable. Mais je n’ai jamais été à même de prendre l’exacte mesure decette fidélité. Je ne m’en suis pas étonné ; se prononcer en faveur d’uneAlgérie toujours française, afficher des sentiments pro-français n’auraientpas été prudent, au contraire cela aurait pu constituer une source de tracas,sinon de danger. Une liquidation physique était toujours possible ; lesfellaghas ne s’étaient pas privés d’en faire leur pratique. Quel était le degréd’adhésion à la rébellion ? Certainement très élevé surtout chez les jeunes,les adultes et … les femmes. “… Ce sont les femmes qui ont le plus souffertdes évènements en perdant qui un mari, qui un fils. Et il y en a pas mal dans

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ce cas. Politiquement la femme est l’élément le plus dur…” (Lettre du11/01/61). On pouvait tenir pour vraisemblable l’existence d’une cellule duFLN au sein du village, mais je n’en ai jamais eu la preuve… et pour cause !Militer pour le départ de la France, pour l’indépendance ne pouvait se faireque dans la plus grande… discrétion ; il valait mieux ne pas prendre deliberté avec les règles élémentaires de l’action clandestine. L’oublier aurait,aussi, suscité bien des ennuis… !

Par contre à l’égard de la situation, il était aisé de deviner l’état d’espritde la population qui ne s’en cachait pas : un état d’esprit frappé du sceau dela plus grande lassitude. La grande majorité des hommes et des femmes,au delà du problème du maintien de la France ou de l’indépendance,n’aspirait qu’à une chose : la Paix. Vivre en Paix ! Travailler en Paix ! Sedéplacer en Paix ! Même les enfants étaient très sensibles à cetteatmosphère de contrainte, de peur, d’incertitude. J’en avais parlé avec lesdeux instituteurs du poste et nous avions pris la décision de les interroger,non oralement, mais par le biais de dessins librement imaginés et réalisés ;nous leur avions demandé de dessiner ce qu’ils voulaient. Le résultat a étéplus que probant ; la quasi totalité des dessins exprimaient une atmosphèrede violence, des armes, des soldats, des explosions… Inconsciemment lesenfants de Térébinthes aspiraient à autre chose que la guerre. Comprendrecela avait été pour moi d’une très grande importance ; cette soif de paix, jedevais la prendre en compte dans les rapports que j’allais établir etentretenir avec le village dès mon arrivée au poste de Térébinthes. C’étaitun impératif !

*

Deux cents mètres séparaient le village du poste, une vaste place parfoisutilisée par les gamins du village pour taper dans quelque chose qui avaitété un ballon et qui n’en avait plus que le nom. Au delà de cet espace,tournée vers le village, une construction dont l’allure échappait totalementà la couleur locale, c’était une école de style tout à fait métropolitain ; d’uncôté le logement réservé au maître et prolongé d’une arrière-cour, del’autre un ensemble de deux classes donnant, comme dans toute école, surla cour de récréation ; entre les deux un mur sur lequel s’appuyaient, ducôté récréation, un lavabo et des WC collectifs. À l’exception des salles declasse dont la vocation n’avait pas été modifiée, tout le reste avait été

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transformé en poste militaire… l’usage des WC était lui… partagé ! Auxdeux extrémités de cet ensemble, deux petits bastions avaient étéaménagés, l’un regardait vers le village, l’autre vers le couvert des vergersqui bordaient le poste ; la nuit ils étaient occupés par les sentinelles.Détachées de l’école, mais à quelques dizaines de mètres, deuxconstructions plus récentes ; la plus proche aurait dû être occupée par desenseignants, elle était restée vide ; la plus éloignée, réservée à l’AssistanceMédicale Gratuite (A.M.G.) voyait passer tous les jours les petits et grandsbobos du village. Un dernier détail pour achever cette visite, un détail quia son importance, devant le poste un bouquet d’arbres vigoureux… destérébinthes !

Quand j’ai pris le commandement de Térébinthes, sa garnison était fortede 35 hommes issus de Métropole, d’Afrique du Nord, d’Afrique noire, 35hommes dont on pouvait dire que, par leur réunion, ils étaient encore unereprésentation (la dernière sans doute) d’un Empire colonial en voie dedisparition. “… Je dispose de 32 hommes pour assurer le service du poste(1).Nous ne sommes que quatre européens : deux instituteurs (des appelés trèssympa), un interprète (un Pied Noir) et moi même. Pour me seconder, j’aiun sergent-chef africain (il est de Haute Volta)(2). C’est un gars intelligent etprécieux. Il connaît admirablement son métier ; le matin je lui donne mesordres pour la journée et je sais que tout sera exécuté. C’est pour moi unechance d’avoir un tel homme… Il est d’autant plus indispensable que jedispose aussi de 7 autre soldats africains : deux infirmiers, excellents, quitoute la journée donnent des soins aux gens du village (AssistanceMédicale Gratuite), un chauffeur, un cuisinier, un planton (il fait machambre et sert à table) et de deux soldats(3). Sept hommes ce n’est pasbeaucoup, aussi les activités militaires sont-elles dévolues à un groupe de 20

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(1) L’effectif initial de 35 hommes avait commencé à fondre ; depuis l’indépendance deleur pays acquise en 1960, les soldats en provenance d’Afrique noire étaient tous envoie de rapatriement. Dans les trois jours qui ont suivi mon arrivée trois d’entre euxavaient quitté le poste.

(2) On dirait aujourd’hui Burkina Fasso.(3) Le sergent chef Tiemoko présentait un autre intérêt, outre qu’il était sérieux et

compétent, il était aussi… musulman pratiquant. Cela permettait au poste (et à sonresponsable… ) de pouvoir toujours compter, notamment lors des journées arrosées(Noël, Nouvel An), sur la présence d’un gradé en pleine possession de ses moyens.

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harkis. À la tête de ces harkis, un sergent-chef et deux caporaux ; ce sont desgars formidables(1)… anciens fellaghas ralliés !…” (Lettre du 18/12/60).Unesorte de ségrégation, spontanée, inévitable, avait partagé l’école en troismondes culturels et linguistiques, le coin du français, le coin des dialectesafricains et celui de l’arabe.

Pour tout ce peuple bigarré (black, blanc, beur, selon l’expressionactuelle en vogue) un point de rencontre, la cuisine de l’instit. J’y prenaismes repas entouré de l’ensemble des gradés ; elle était suffisamment vastepour accueillir toute réunion ; dès la nuit, elle devenait le centrenévralgique du poste ; l’homme de quart s’y installait et à leur retour, leshommes de la patrouille ou de l’embuscade s’y retrouvaient quelquesinstants, avant d’aller dormir, le temps d’une discussion, d’une cigarette,d’un café ou d’un thé dans la seule pièce chauffée du poste. La flammevacillante de la lampe à pétrole donnait aux visages une étrange expressionchangeante accentuée par le rougeoiement des cigarettes. Après, chacunregagnait son lit ou plutôt sa paillasse. “… Mes gradés et moi nous logeonsdans l’appartement prévu pour l’instituteur. Mes hommes logent dans lesbâtiments disposés autour de la cour du logement (les africains) et de lacour de l’école (les harkis). Grâce à une pompe nous disposons de l’eaucourante et, à un groupe électrogène, de l’électricité. Cependant pour nepas trop surcharger le groupe nous ne le mettons en marche que le matinde 6 h 30 à 8 heures et le soir de 6 heures à 10 heures. Après… la bougie…”(Lettre du 18/12/60).

Pour assurer ses missions quotidiennes de garde, de patrouille etd’embuscade, le poste disposait d’un armement léger : un mortier de 60 (lebataillon en avait perdu la trace et par conséquent en ignorait l’existence !)installé sur… le toit des WC, un fusil-mitrailleur, une carabine US (l’armeréservée au sous-lieutenant du poste) quelques pistolets-mitrailleurs, desfusils MAS dont certains étaient conçus pour lancer des grenades (j’y tenaisbeaucoup à ces “lance-patates”, ils étaient ma modeste artillerie portative).En complément de cet arsenal : une dizaine de fusils de chasse destinés àl’autodéfense du village. Tous les soirs elle montait la garde (ou plutôt…était censée monter la garde) à l’autre extrémité du village du côté du

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(1) Il m’avait suffi de quelques jours seulement pour pleinement les apprécier.

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barrage. Pour les transports, les liaisons avec Marnia et le bataillon jepouvais compter sur un Dodge 4x4… en fin de carrière. Seul Dialo, lechauffeur avait le coup de main, le matin, pour le faire démarrer… les bonsjours ! En cas de coup dur (une attaque peu probable du poste), le bataillonaverti par téléphone ou par radio, mes deux moyens de communication,était à même d’intervenir très rapidement.

J’avais été prévenu, Térébinthes avait accumulé les problèmes ; c’étaità moi de les résoudre. L’ambiance du poste s’était, pour de multiples raisons,dangereusement dégradée. Avec le village, les choses n’étaient pas simplesnon plus ; il fallait que je prenne, au plus tôt, la mesure de sa gestion etsurtout, qu’entre lui et moi, les rapports redeviennent les meilleurs possibles.

Le poste était dans un état critique, cela était vrai de sa situationmatérielle et de l’atmosphère qui régnait au sein de ses différentescomposantes. Le sort des harkis était particulièrement préoccupant. Leservice intérieur, la répartition des tâches frisaient la désorganisation. Leposte offrait un état lamentable (… dégueulasse on pouvait dire sanscrainte d’exagération) ; la saleté n’était pas qu’une simple impression, lesdégradations non plus. Le logement de l’instituteur avait été doté d’uncabinet de toilette, il était pratiquement hors d’usage, prendre une doucherelevait de l’impossible ; la cuisine n’avait plus de cuisine que le nom, jamaisentretenus ses murs collaient de crasse. À la moindre pluie les cours deterre battue se transformaient en une succession de bourbiers ; les traverserdevenait alors une épreuve.

L’état d’esprit des hommes était à la mesure de la situation matérielle.Le poste semblait vivre dans une perception figée du temps ; les jours sesuivaient mais plus aucun repère n’avait survécu pour marquer leursuccession, leur écoulement. Pour les deux appelés instituteurs quiattendaient impatiemment la “quille” et les africains, leur rapatriement, ilsemblait que ce jour ne viendrait jamais. Européens, africains et harkis quicohabitaient essayaient d’entretenir les meilleurs rapports, ceux qu’exigeaitle service du poste, mais ce n’était pas toujours facile ; en fait chaquecomposante réagissait selon ses habitudes, sa culture.

Tonio, le Pied-Noir, et les deux instituteurs R. et D., faisaient chambre

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commune ; entre eux pas l’ombre d’un différend, mais à eux trois ilsreprésentaient deux mondes éloignés l’un de l’autre. Tonio venait de Tiaret,sur le plateau du Sersou où sa famille s’échinait à tirer peu de choses dequelques hectares d’une terre âpre et ingrate. Pour vivre il s’était engagé,profitant de sa connaissance de l’arabe qui était moins hésitante que cellede son français. Il suivait avec attention la situation et éprouvait bien desinquiétudes aux signes de son évolution. Attaché à la terre algérienne, laseule qu’il ait jamais connue (la France représentait pour lui une entité,certes chère, mais abstraite ; située loin au Nord, au delà de laMéditerranée, elle était son… Outremer), il ne pouvait envisager, uninstant, de la quitter. Son rôle, au poste, était primordial. Il connaissaitadmirablement bien le village et ses habitants ; paysan dans l’âme il encomprenait les problèmes, les sentiments. Présent lors de la constructiondu village, il avait mémorisé le nom, la composition, la localisation de toutesles familles. Véritable “bottin” local, Tonio était l’instrument dont le posteavait besoin pour remplir l’une de ses missions essentielles, le contactpermanent avec la population. Sans aucun doute il communiquait avec elleavec plus de facilité, de connivence qu’avec ses deux compagnons dechambre, le sergent R. et le caporal D. Appelés, ils avaient été affectés, enmême temps, à Térébinthes pour prendre en charge son école. Pour R.juriste dans le civil, l’emploi était nouveau, mais D. n’avait eu aucune peineà se plier à ses exigences, instituteur était son métier. Tous deuxpartageaient les mêmes sentiments ; l’Algérie française n’était pas leurobsession, la “quille” au plus vite était leur plus cher souhait mais l’écoleétait restée l’objet de leur sollicitude et ils lui consacraient l’énergie qu’ilsavaient conservée. Convaincus que la place des enfants, garçons et filles,était à l’école, ils ne toléraient guère de manquement à l’égard desobligations de présence. Sur ce point leur vigilance n’avait pas faibli.Lorsqu’ils constataient une situation anormale d’absence, ils n’hésitaientpas à se rendre dans les familles pour en connaître la raison qui était,presque toujours la même… la garde des moutons. Raison insuffisante et lejeune berger retrouvait les chemins de l’école plutôt que ceux de lavallée de la Mouilah. R. et D. aimaient leurs élèves et ceux-ci le leurrendaient bien.

Piliers de l’organisation militaire du poste, les gradés et les soldatsafricains étaient attachants par le sérieux qu’ils mettaient à remplir leur

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tâche. Ne revenons pas sur Tiemoko mon adjoint, j’ai déjà dit tout le bienque j’en pensais, mais tous les autres étaient également dignes d’attention :le caporal chef infirmier(1) qui avait la confiance du village (les hommes lelaissaient soigner leur(s) femme(s) ce qui était un signe !), Dialo quis’identifiait à son Dodge, Tia qui entretenait tant bien que mal ma chambre,Dackio le cuisinier qui faisait de son mieux pour rendre mangeables lessubsistances de l’Intendance (sa grande préoccupation était celle destentatives de chapardage dont sa cuisine était fréquemment l’objet de lapart des… harkis. Il essayait de s’en protéger en multipliant dans sa cuisine,chaque soir, les chausse-trapes destinés à en interdire l’accès ! Il n’était pasrare que le poste fût réveillé en pleine nuit par l’écroulement des casserolesempilées dans un équilibre fragile), Moussa qui n’avait pas de spécialitésinon celle de porter le poste radio quand je l’emmenais en patrouille (cequi était rare, on verra pourquoi). Ils étaient tous d’une fidélité exemplaire,mais il était évident qu’ils supportaient de plus en plus mal leur présencedans ce poste et sur cette terre qui n’était pas la leur. Eux aussin’attendaient qu’une chose, embarquer et regagner leur village de HauteVolta, de Guinée, du Soudan (le Mali depuis) ou du Sénégal. Cette attenteavait exacerbé un de leurs traits de caractère, la susceptibilité (Tiemokoétait champion en la matière ! à manier avec précaution… !) ; un rien leschatouillait et il fallait, en toute occasion, faire très attention à la façon donton les traitait. Leurs rapports avec les harkis étaient marqués d’un rien deméfiance et de condescendance ; cela tenait à leur conception de l’étatmilitaire. Soldats de métier ils appartenaient à un ordre supérieur, tandisque les harkis n’étaient que des supplétifs ! Entre les deux groupes lesoccasions de chicanes ne manquaient pas, un mot, un geste, un regardsuffisaient ; il fallait alors intervenir au plus vite pour calmer les esprits, etc’est là que, entre autre, Tiemoko était précieux. Il pouvait, lui, se permettrece que les autres, dont moi, ne pouvaient pas. Son ancienneté, son grade, sapratique de la langue utilisée par ses camarades africains, sa stature (prèsde 2 mètres, j’étais petit à ses côtés) lui donnaient le poids et l’autoritéindispensables dans ces occasions.

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(1) Au fil de ses années d'expériences d'infirmier dans la “Colo” il était parvenu àconcocter une potion contre les “gueules de bois”. Une potion magique ! J'en saisquelque chose, je l'ai expérimentée le 1er janvier 1961, en fin d'après-midi…

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C’est du côté des harkis que la situation était la plus délicate et la plusinquiétante. Comme on pouvait le comprendre ils n’étaient pas indifférentsà l’évolution de la politique de la France à l’égard de l’Algérie, à ladirection que prenait cette politique et cette direction les inquiétait. Lemalaise qui en résultait était accentué par l’impression, justifiée, qu’ilsavaient d’avoir été laissés à l’abandon et par le manque de confiance dontils étaient l’objet. Le sort de la plupart d’entre eux n’était pas enviable. Unpetit nombre dont les trois gradés, le sergent-chef Kouider, les deuxcaporaux Rahal et Guelili vivaient en famille au village. Mais pour lesautres, qui n’appartenaient pas au monde des Beni Ouassine, les conditionsde vie à l’intérieur du poste n’étaient pas acceptables. Rien n’avait étéprévu pour faciliter leur nourriture et leur logement. Ils touchaient unesolde (200 francs par mois), un local leur avait été attribué ; à eux, parconséquent, de se… “démerder” ! Seulement, voilà, ils étaient jeunes (unevingtaine d’années en moyenne) leur famille était éloignée et comptait surles 200 francs pour vivre. Du pécule, rien ne restait au poste pour assurerleur quotidien alimentaire ; ils avaient pris l’habitude de vivre de peu, unquignon de pain, des oignons, quelques fèves prélevées dans les jardins etce qu’ils pouvaient, à l’occasion, ponctionner dans les approvisionnementde Dackio… Leur logement était à l’unisson ; pas de lit, un semblant depaillasse à même le sol dans un local dépourvu de tout moyen de chauffage.On pouvait comprendre que, dans ces conditions, leur moral et leurcombativité aient donné des signes de lassitude. Mais le pire était ailleurs,il était dans la suspicion où l’autorité militaire les tenait… La confiancequ’on leur portait était limitée. Tonio, les appelés, les africains avaient, lanuit, leur arme, en permanence, à portée de main. Pas les harkis ! Quand ilsrentraient de patrouille ou d’embuscade ils restituaient leur arme qui étaitentreposée, cadenassée dans un réduit du logement de l’instituteur. Cettedisposition avait été prise, à l’échelon militaire le plus élevé, à la suite demalheureux cas de désertion avec armes et bagages, mais, d’emblée, àTérébinthes, elle m’était apparue comme peu justifiée, maladroite et mêmeridicule. En patrouille dans la journée, en embuscade la nuit, j’étais seulentouré uniquement de harkis ; ils avaient alors toute latitude pour sedébarrasser de moi et prendre le large. Je n’ai jamais eu cette crainte maisbien perçu une différence de traitement qui n’avait pas échappé aux harkis.Deux poids, deux mesures ; aux uns la confiance, aux autres la défiance. Etcela aussi était insupportable.

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Les harkis méritaient un peu plus de considération d’autant que dans laréorganisation indispensable du service intérieur du poste ils étaientappelés à jouer un rôle essentiel. Je l’ai dit, quand je suis arrivé àTérébinthes, ses effectifs avaient atteint leur niveau maximum et je devaism’attendre à la disparition rapide de la composante africaine sans êtreassuré de son remplacement automatique. D’autre part, dans ce travail deremise en ordre, il était évident que je ne pouvais pas exiger le mêmeservice de tout le monde. Je devais, par exemple, prendre en compte lasituation particulière des soldats africains ; à la veille de leur rapatriementje ne pouvais pas les exposer à des risques inutiles ; prendre des tours degarde, oui, participer à des patrouilles, des embuscades, certainement pas !L’emploi des instituteurs devait lui aussi être précisé sans ambiguïté. Seulela définition des tâches des harkis ne posait pas de problème, le travail surle terrain leur était réservé.

*

Avec le village j’étais confronté à des problèmes de nature différente ;le stage à Village 8 m’avait laissé entrevoir la relative complexité de lagestion des villages de regroupement et surtout m’avait fait comprendre lanécessité d’accorder aux faits de relation une importance particulière ; del’état de ces relations dépendaient, en effet, la réussite ou l’échec de lamission que m’avait confiée le bataillon. J’étais donc… condamné à toutfaire pour établir avec la population du village et ses représentants lesmeilleurs rapports possibles. Mais comment ? Là était le problème.

Je n’étais pas seul maître de la gestion, de l’administration du village, jen’en étais qu’un des deux instruments destinés à assumer cette charge. Jedevais collaborer, de la façon la plus étroite, avec la S.A.S des BeniOuassine. Les S.A.S avaient été créées, sous l’autorité de l’armée, pourpallier les insuffisances de l’encadrement administratif des campagnes enAlgérie. Les villes disposaient d’une infrastructure d’administrations et deservices qui correspondaient à leurs besoins (comme en disposaient toutesles communes en Métropole) mais pas les campagnes ; elles avaient étémaintenues dans un état qui frôlait l’abandon (le F.L.N avait largementprofité de ce vide qui avait facilité son implantation, son développement,son action). Le rôle de la S.A.S, dont le siège était installé à Marnia, était

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Le réseau électrifié (Photo Bernard Boteculet)

Un poste au sud de Beghal (Photo Bernard Boteculet)

Frontière algéro-marocaine

Le barrage

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L’oued Mehaguen

L’oued Mouilah. À l’arrière, les hauteurs en direction de Nedroma

Les deux Oueds

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Jeune berger sur les pentes dominant l’oued Mouilah

Une des nombreuses mechtas isolées

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Térébinthes après la pluie

Térébinthes

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Terres irriguées

Terres sèches

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La cour de l’école. Sur le toit des wc, l’emplacement du mortier

Le logement de l’instituteur

Le poste à Térébinthes

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Image d’un empire finissant…!

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Tiemoko

Tonio, au centre, et les deux “instits” D. et R.

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double : administratif et social ; la tenue de l’état civil du village, parexemple, était de son ressort et l’action sociale faisait également partie deses attributions. À Térébinthes cette action sociale était perceptible sanspeine car les enfants et les femmes avaient fait l’objet d’une attentionparticulière. La scolarisation des enfants n’avait pu être effective que grâceaux efforts de la S.A.S pour fournir à l’école le matériel pédagogique dontelle avait besoin ; la craie des instituteurs, les ardoises, les crayons, lescahiers, les livres des élèves dépendaient de la richesse (et… du bonvouloir) de l’administration dirigée par le sous-lieutenant René A. lepatron de la S.A.S. Pour les femmes et les jeunes filles, une initiativeheureuse avait été prise : la création d’un ouvroir. Plusieurs dizaines defemmes le fréquentaient, il était pour elle une occasion de sortir de leurcuisine, un lieu de rencontre et d’initiation à des pratiques qu’ellesignoraient, la couture et le tricot. Cette fréquentation était un succès àmettre au compte des deux dames qui avaient pris en charge lefonctionnement et l’animation de cette structure à vocation féminine, unedame de Marnia et la propre épouse de René A.

L’enseignement de l’art du napperon et du pull-over avait échappé auxattributions du poste, ce qui n’était pas le cas des deux autres actionssociales essentielles, l’alphabétisation des enfants et la protection médicale.Le poste fournissait, nous l’avons vu, les deux instituteurs qui accueillaientchaque jour près d’une centaine d’élèves et accomplissaient leur missionavec compétence et dévouement. L’A.M.G ne chômait pas ; deux fois parsemaine le médecin du bataillon, le lieutenant G., consultait ; l’infirmerie nedésemplissait pas ; tous les matins, l’infirmier du poste (de deux au départil ne m’en est, très tôt, resté qu’un) prenait la direction du village muni deson haricot bourré de seringues prêtes à l’emploi. Enfin, il nous est arrivé,à plusieurs reprises, de transférer en pleine nuit, à l’hôpital de Marnia, unefemme dont l’accouchement se présentait mal.

La gestion, partagée, des affaires sociales des 1 600 habitants deTérébinthes nécessitait des relations suivies avec la S.A.S. Elles ont étéfacilitées par la compréhension de René A. et l’approche que nous avionsl’un et l’autre de la situation et de l’attitude à avoir à l’égard de lapopulation. Nous avons pris très rapidement l’habitude de nous rencontrer,soit au village, soit à la S.A.S, pour discuter des problèmes auxquels nous

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étions tous deux confrontés. Pour moi cela était d’une particulièreimportance car René A. avait noué avec la population du village desrapports de confiance. J’espérais en profiter et cela ne pouvait être possibleque si le village se rendait rapidement compte de l’accord qui régnait entrela S.A.S et le poste. J’ai eu, par la suite, l’occasion de me féliciter de cetaccord et de l’esprit de confiance qui en a résulté.

De fait le problème majeur auquel je devais faire face était celui desrelations entre le village et le poste. Les relations qui s’étaient installées(ou qu’on avait installées) n’étaient pas celles dont on pouvait attendre deseffets en profondeur. Pour parer, dans l’immédiat, pour ne pas dire dans laprécipitation, à la dégradation de la situation, l’autorité militaire avait priset mis en œuvre des décisions qui avaient instauré une situation dedominants à dominés où le monologue tenait lieu de dialogue. Dès leregroupement réalisé, le village avait été doté de deux structures destinéesà combattre le F.L.N, limiter son influence, contrecarrer son action maiségalement destinées à compléter et faciliter l’action et le pouvoir del’armée, une autodéfense et une hiérarchie de notables.

Le village avait été tenu, et l’était toujours, de fournir, chaque soir, ungroupe d’une dizaine d’hommes chargés de surveiller les abords du villagequi échappaient à la surveillance directe des sentinelles du poste. Pourassurer cette garde, assortie d’une indemnité, les hommes étaient armés defusils de chasse, mais j’ai toujours eu les plus grands doutes (et je n’étais pasle seul) quant à leur détermination à s’en servir le cas échéant ! Cetteautodéfense n’était pas constituée de volontaires mais d’hommes désignéset par conséquent… résignés ! Je doutais de leur utilité, de leur efficacité etj’étais bien persuadé que ce n’était pas sur eux que je pouvais agirdirectement mais que c’était par le biais de mes rapports avec le villageque je pouvais, éventuellement, espérer les amener à changer d’état d’espritet de comportement.

L’autorité militaire avait, d’autre part, jugé utile de placer entre elle etla population des intermédiaires, des hommes chargés de la représenter etsurtout de transmettre et faire appliquer les décisions qu’elle pourrait êtreamenée à prendre. Un chef de village avait été désigné, Fahres, un ancienspahi, grand, une barbe de patriarche, toujours drapé dans une djellabaclaire, le personnage était très attachant, affable, intelligent ; mais dépourvu

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de pouvoir réel, il ne représentait que lui même ! Lucide, Fahres était lepremier à le savoir, mais il jouait le jeu aussi honnêtement que possible, cequi lui valait un réel respect. Il le méritait ! Plus intéressante, la réuniondes chefs traditionnels des douars ; ils étaient des interlocuteurs naturels,malheureusement utilisés de façon fort maladroite. On ne leur demandaitpas d’être les porte-paroles de la population, mais on exigeait d’eux qu’ilstransmettent à cette population les décisions de l’autorité militaire. Cettepratique manquait de réalisme car l’intérêt potentiel de cette instance étaittrès grand et méritait d’être exploité ; la communication réelle avec lapopulation passait par elle, elle était donc à même de jouer un rôleimportant, décisif sur les plans psychologique et politique. Il était parconséquent primordial de développer avec les chefs de douar des relationsd’une nature nouvelle, des relations empreintes de plus de respect, deconsidération.

*

Tous ces problèmes exigeaient d’être traités sans retard, mais ceux poséspar le poste occupaient une place prioritaire. Rétablir une atmosphère deconfiance notamment chez les harkis, revoir le fonctionnement du poste,entreprendre les travaux de remise en état ne pouvaient attendre. Je m’ysuis attelé dès les premières heures de mon arrivée et mon travail a étéfacilité par le très large soutien qui m’a été accordé sans réticence, et par lesresponsables du bataillon, et par le personnel du poste. Le bataillon ne s’estpas montré avare d’approbations, de conseils et surtout d’aide matérielle.Dans ces différents domaines, l’appui du lieutenant T., l’O.R. du bataillon,a été particulièrement précieux ; Térébinthes était son… “bébé” et il tenaità ce qu’il retrouve sa santé. C’est à lui que je devais mon affectation et il enattendait beaucoup.

La coopération des gradés du poste m’a été, d’emblée accordée ; je laleur avais demandée au cours du premier repas pris en leur compagnie etprécisée dans les entretiens que j’ai eus avec eux dans l’après-midi qui asuivi.

Avec Tiemoko je me suis longuement enquis de l’état d’esprit dessoldats africains ; je l’ai rassuré quant à son rôle de responsable adjoint duposte et je lui ai demandé son avis quant aux mesures à prendre pour

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redonner au poste son dynamisme. Tonio est venu ensuite et nous avonslonguement parlé de sa famille, de la situation en Algérie et bien entendudu village dont il connaissait bien des secrets, la personnalité des chefs dedouar, les manies des uns et des autres. C’est au cours de cette conversationqu’il m’a averti que j’aurais très tôt à me mêler d’une affaire d’héritage quiopposait deux familles. “Mon lieutenant, vous allez voir, ils vont rapidementvenir vous voir pour régler leur chicahia”. Tonio ne s’était pas trompé !

À quatre heures, libérés de leurs cours, les deux instituteurs m’ontrejoint pour un entretien qui s’est déroulé dans une atmosphère de grandefranchise. La conversation a porté, il ne pouvait en être autrement, sur cequi nous valait à tous trois de nous trouver à Térébinthes, l’affairealgérienne. Je n'avais pas de doute quant à leur état d'esprit. Ils ne sefaisaient guère d'illusion sur l'issue des évènements qui se déroulaient enAlgérie. L'indépendance du pays était, à leurs yeux, une quasi certitude.Mais pour le moment, ils étaient à Térébinthes en charge des deux classesde l'école et ils étaient bien décidés à faire tout leur possible pour que cesdeux classes tournent rond. (Cette aptitude à accepter une mission et à laremplir au mieux, je l'ai perçue chez tous les “appelés” que j'ai été amenéà rencontrer). Les problèmes du poste et des relations avec le village ontété abordés ; j’ai esquissé mes intentions. Leur place dans la vie du poste aété évoquée et sur ce point j’ai été, d’emblée, précis : leur mission étaitd’enseigner et non de participer aux activités militaires du poste sauf àprendre leurs quarts de veille la nuit et servir… le mortier, le cas échéant !Nous n’avons eu aucune peine à nous accorder. Quelques semaines plustard j’ai eu la preuve de l’excellente entente qui régnait entre eux et moi.À la nuit tombée j’étais parti monter une embuscade en un point éloignédu poste (à plus d’une heure de marche du côté de la Mouilah). Le retourau poste avait été prévu vers deux heures du matin ; ma surprise a étégrande lorsque j’ai vu arriver le Dodge pour nous récupérer en chemin. R.et D. avaient pris la décision d’abréger notre promenade nocturne, réveilléDialo (pas content !) et roulé dans notre direction. Un geste de cette naturetémoigne d’un état d’esprit “positif” et il fait partie de ceux qui marquentet qu’on ne peut oublier.

Kouider a clos cette série de tête à tête et ce sont les harkis qui ontoccupé notre temps ; j’ai eu la confirmation de ce que je savais déjà, leur

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moral était au plus bas et il était urgent, non seulement de s’en inquiéter,mais surtout de prendre les initiatives propres à le rétablir ; ils attendaientdes marques de confiance et d’attention. Ce que j’ai entrepris de leurapporter le soir même. Un groupe de harkis devait partir sous lecommandement du caporal Guelili pour effectuer une patrouille de nuitentre le poste et Marnia. J’ai pris la décision de me joindre à eux et de meplacer en tête de patrouille. J’ignorais tout du terrain dans lequel je me suisaventuré et pendant plus de deux heures, sous un clair de luneextraordinaire, j’ai conduit tant bien que mal mon groupe, suivi commemon ombre par Guelili, l’ancien fellagha. Je n’étais pas très à l’aise pourtracer ma route et les harkis n’ont pas eu trop de mal à percevoir meshésitations. Vers minuit nous avons regagné le poste et là, mon caporal n’apu s’empêcher de me faire gentiment une remarque empreinte de reprocheet de conseil “Mon lieutenant, la prochaine fois, tu me laisses marcherdevant. Et puis, quand tu sors la nuit, tu enlèves çà.” “çà”, c’étaient mesgalons qui, sous l’effet du clair de lune, avaient brillé du plus bel éclat ! Jesuis souvent, par la suite, sorti la nuit avec mes harkis. Je n’ai plus jamaisconduit les patrouilles, mais mes galons sont restés à leur place. J’avais tropsué pour les décrocher ! Ce soir là, je crois que j’ai marqué des pointsessentiels ; j’ai montré que je ne craignais pas de sortir et surtout que je necraignais pas de sortir seul avec des harkis que le matin même j’étais trèsloin de connaître. La harka du poste savait que je lui faisais confiance et elleme l’a bien rendu, notamment son chef Kouider. “… Je m’entends très bienavec eux et surtout avec le sergent-chef. Il s’appelle Kouider et me sert degarde du corps, bien que je ne lui aie jamais demandé. Un soir, j’ai étéappelé au bataillon (pour préparer une opération), il faisait nuit. Avant departir, Kouider vient me voir. “Mon lieutenant, tu pars ? Je dois aller avectoi, tu ne dois pas partir tout seul.” Avant hier soir, j’ai été invité par unenotabilité du village ; j’avais l’intention d’emmener mon interprète etKouider mais je n’en avais rien dit. Je me prépare et sur le point de partir,je vois mon Kouider pâlir :

– “Mon lieutenant, où tu vas ?”– “Je vais manger au village.”– “Mon lieutenant, je te laisse pas partir seul et puis il faut prendre une

arme.”J’ai donc emmené et mon pistolet et Kouider…” (Lettre du 18/12/60).

Les rapports qui se sont établis entre cet homme et moi sont devenus, en

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peu de temps, d’une rare qualité. Très souvent nous nous retrouvions seulsle soir à attendre le retour d’une patrouille conduite par Tonio ou Guelili ;Kouider me regardait écrire (ces heures étaient les plus propices aucourrier). C’est une chose qu’il ne savait pas faire, comme il ignorait lalecture. Je lui ai alors proposé de lui enseigner les premiers rudiments del’écriture. Il a accepté et nous nous y sommes mis. Malheureusement je nesuis pas resté suffisamment longtemps au poste pour que cet apprentissageait pu aboutir. Dans les jours qui ont précédé Noël, Kouider a organisé unegrande fête familiale à l’occasion du “baptême” de son dernier né ; bienentendu j’ai été de la partie, Tonio aussi et les instits.

Le retour de la confiance a bien failli être mis à mal de façon totalementinattendue à l’occasion de la visite d’un aumônier militaire issu de l’ordredes Pères Blancs. Les aumôniers militaires avaient pour habitude et pourmission de faire le tour des postes, non pour apporter la bonne parole (àl’occasion cela pouvait se faire), mais pour soutenir le moral de cesmultiples petites garnisons éparpillées dans le bled. En règle générale ilsétaient les bienvenus. Le bon père a donc été accueilli comme il se devaità Térébinthes et poliment invité à partager notre ordinaire. Le repas nes’est pas déroulé comme notre invité pouvait l’espérer. Il l’a commencémais pas achevé, son attitude était vite devenue insupportable à toutel’assistance. Dans un poste où vivaient mêlés des croyants, chrétiens oumusulmans, des indifférents, des athées, il aurait été de bon ton de fairepreuve d’un esprit de large tolérance. Cela n’a pas été le cas ; il a pris ànotre hôte de parler de l’islam et des musulmans en termes de dérision etde mépris. Mal à l’aise, Tonio et les deux instituteurs ont commencé à pâlir ;Tiemoko (très pratiquant) et Kouider (modérément pratiquant), surprispar ce discours, piquaient du nez dans leur assiette. L’atmosphère étaitdevenue irrespirable. Ravagé, le bon père ! Revenu à l’hystérie descroisades ! sus aux infidèles ! Je n’ai rien dit… je n’ai pas cherché à contrer,à endiguer ce flot verbal irresponsable et imbécile… Je me suis levé, j’aidemandé à Dialo de mettre en route son Dodge et de ramener sans tardernotre visiteur du jour au PC du bataillon. J’ai immédiatement renducompte au commandant en le priant de ne plus m’envoyer de saint hommeprenant un peu trop de liberté avec l’esprit des Écritures. Je m’attendais àune… “engueulade” du commandant, redouté pour son tempéramentsoupe au lait ; j’ai reçu sa bénédiction ! Il faut toujours se méfier des…

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cons, même tonsurés, ils peuvent être générateurs de dégâts irréparables.Ce jour là j’ai frisé la catastrophe, mais le fait d’avoir éjecté sansménagement notre invité a eu les meilleurs effets. Le repas s’est achevédans une ambiance de sérénité retrouvée. On était tous frères ! Merci monPère ! Son intolérance et son arrogance m'avaient rendu un grandservice… Elles ont été un des ciments de la cohésion du poste.

Le rétablissement solide du moral et de la confiance passaitimpérativement par l’amélioration de la situation matérielle des harkisvivant au poste ; il fallait que désormais ils mangent régulièrement etdorment correctement installés. Kouider et moi avions longuement évoquéle problème et arrêté une décision : les harkis auraient une “popote”comme tous les autres membres du poste. Mais pour que la chose puisse seréaliser il fallait un local, un cuisinier, de l’argent. Le local, on l’a construità côté du bâtiment où logeaient les harkis ; le bataillon a fourni lesparpaings, les poutres, les tôles et le maçon pour monter le tout. Un harkis’est proposé, avec l’approbation de ses camarades, pour faire office decuistot. Restait à trouver l’argent ; je l’ai prélevé sur la solde des harkis, 50francs par mois. J’étais le dépositaire de la somme recueillie et tous lesmatins j’allouais au cuisinier les francs dont il avait besoin pour préparer lesrepas de la journée. Ces 50 francs étaient un peu justes pour satisfairel’appétit des jeunes harkis. Des apports annexes étaient indispensables.Dackio était à même, sans épuiser ses réserves, de fournir de l’huile, dupain et parfois de la viande. Les surplus de l’intendance du régiment étaientplus intéressants ; je pouvais compter dessus. J’avais noué de bonnesrelations avec un adjudant du service d’intendance, je l’avais convié, undimanche, en compagnie de sa femme (charmante !) à la table du poste.Dackio avait fait merveille avec le produit d’une pêche (à la grenade) dansles eaux de la Mouilah et de quelques coups de fusil heureux de Tonio (lefusil de chasse était, en patrouille de jour, son arme favorite et lesperdreaux abondaient… ). Le couple avait été ravi de cette journée passéedans un poste isolé… une audace, surtout pour la dame qui ne s’était jamaisaventurée au delà des dernières maisons de Marnia. Cette bonne manièreavait suscité chez notre invité un élan, prolongé, de générosité. Lorsque lebesoin se faisait sentir, aux approvisionnements réglementaires du postevenaient s’ajouter quelques articles discrètement suggérés… confiture,café, sardines particulièrement appréciées au petit déjeuner… Bref les

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harkis mangeaient désormais à leur faim ; ils ne partaient plus sur le terrainle ventre vide. Fin décembre, début janvier, j’obtenais une nouvellesatisfaction, le bataillon livrait les lits et les paillasses que j’avais réclaméset dans ce lot un lit m’était destiné ; depuis mon arrivée, en effet, j’avais dûme contenter d’un lit de camp à peine amélioré d’une paillasse en fin deparcours ! Le confort des harkis m’avait préoccupé, le mien ne m’était pasindifférent !

Si les harkis avaient dû patienter un petit peu pour jouir de conditionsde vie plus décentes, la réorganisation du poste n’avait pas, elle, attendu. Lacollaboration avec Tiemoko avait joué à plein, nous étions, il est vrai,parfaitement d’accord sur quelques points essentiels que nous avionsexaminés ensemble à ma demande. Sauf exception, les soldats africainsn’iraient plus sur le terrain ; ils resteraient au poste pour en assurer la garde.Régime identique pour le harki cuisinier après sa désignation. Les deuxinstituteurs seraient seulement astreints à assurer leur part de quart deveille la nuit comme tous les gradés, moi excepté ; je devais être disponiblela nuit à tout moment (plus tard, la fonte des effectifs obligeant, jeparticiperai à ces tours de veille). La présence sur le terrain (patrouilles,embuscades) était réservée aux harkis, à Tonio et à moi même. Et commeles harkis participaient également aux gardes de nuit, il avait été prévu deleur ménager un jour de repos sur trois, journée pendant laquelle ilspouvaient être occupés à des tâches d’entretien du poste. Ce jour de congéme donnait aussi l’occasion, le jeudi, d’emmener avec moi à Marnia uneéquipe de harkis. C’était une occasion de les sortir du poste et de partageravec eux quelques unes de ces brochettes qui grillaient en permanencedevant chaque café de la ville. On ne pouvait les ignorer, leur fumetenvahissait les rues. Je n’ai jamais su de quelle viande elles étaient faites, cesbrochettes, mais elles étaient toujours succulentes et appréciées. Après celaun thé, une cigarette et hop, retour au poste. Appliqué immédiatement lesystème a parfaitement fonctionné à la satisfaction de tous ; chacundésormais connaissait non seulement sa tâche mais aussi, et surtout, larépartition de cette tâche dans le temps.

Il était urgent que chacun renoue avec la pratique d’un emploi du tempsdéfini, car, dès mon arrivée une chose m’avait frappé, je l’ai déjàmentionnée, la disparition, dans les esprits, de la notion du temps qui passe.

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Les jours de la semaine s’écoulaient dans une telle monotonie qu’ils avaientcessé d’exister dans leur succession ; rien ne les distinguait plus les uns desautres et les dimanches ne semblaient pas différents des jours qui lesprécédaient et de ceux qui suivaient. Cette occultation de l’écoulement dutemps était psychologiquement très malsaine, elle donnait à ceux quiattendaient un terme l’impression qu’il n’arriverait jamais. Les deuxinstituteurs étaient dans cet état d’esprit, plus D. que R. Il fallait rendre autemps sa dimension essentielle, celle du mouvement qui rapproche duterme attendu.

Une habitude avait été prise par les hommes du poste, celle de ne jamaischanger de tenue ; sept jours sur sept, semaine après semaine, toujours lemême treillis défraîchi de longue date. Je ne me suis pas fendu d’une notedemandant de changer d’habitudes et de marquer le coup le dimanche. Jeme suis contenté, lors du deuxième dimanche qui a suivi mon arrivée, de meprésenter, au repas de midi, en tenue numéro Un, uniforme repassé,chemise et cravate, fourragères du Régiment à l’épaule. Cela n’a suscitéaucune remarque, tout au plus un regard surpris, mais le dimanche suivant,je n’étais plus le seul à avoir revêtu la tenue numéro Un ; les cravatesétaient toutes de sortie, même celle de Tonio ! Avec… “l’apparat” dudimanche, les hommes du poste avaient retrouvé un repère temporelessentiel. Au temps qui ne passait plus s’était substitué le temps quis’écoulait de nouveau. Par la suite je n’ai jamais manqué d’accorder auxdimanches et aux jours de fête leur signification de jours particuliers dansle déroulement du calendrier. Les invités du dimanche n’ont jamais faitdéfaut, après l’adjudant et sa femme d’autres ont suivi ; la SAS n’a pas étéoubliée, le bataillon non plus ! Et puis la fin de l’année a grandementfacilité ma tâche en multipliant les occasions de réunions festives.

Noël a été fêté comme il se devait, de façon œcuménique, avec le sapinde tradition, une table superbement garnie (et… arrosée ! C’est là que lasobriété de Tiemoko a été particulièrement appréciée) et au matin, ladistribution des cadeaux, le même pour tous, une couverture de fabricationlocale (je m’étais débrouillé pour trouver les fonds nécessaires et lemarchand suffisamment complaisant pour me faire un prix). “… La popoteavait été repeinte à neuf, j’ai dégoté un sapin de Noël, les victuailles étaienten abondance, le vin, le champagne et le cognac ont coulé à flot. La soirée

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de Noël, je l’ai commencée par une embuscade avec mes harkis. Mais jel’ai rapidement écourtée car il pleuvait “cats and dogs(1)”. Je suis rentrétrempé comme une soupe et je te prie de croire que la pluie était froide (lelendemain matin les montagnes étaient couvertes de neige)… À minuitnous avons allumé notre arbre et j’ai distribué les cadeaux à mes gradés… ;ensuite ont commencé des ripailles dignes de Gargantua… À minuit et demile commandant est venu nous souhaiter un bon Noël ; par la même occasionil a eu la bonne idée de nous offrir une bouteille de champagne, chose quenous n’avons pas refusée. À 3 heures je me suis couché, pour les autres, lesfestivités ont continué jusqu’à 4 h 30… À 9 heures j’ai distribué les cadeauxaux hommes du poste… ils étaient contents…” (Lettre du 26/12/60).

Le nouvel An 1961 a été fêté tout aussi somptueusement. Après l’affairedes moutons enfuis de leur enclos et retrouvés, réunis après une nuit derecherche (toute la harka s’y était mise) j’avais récupéré deux bêtes, l’uneofferte (c’était la moindre des choses !), l’autre acquise à un prixraisonnable. Au petit matin du 1er janvier les harkis ont entrepris depréparer deux lits de braise ; pendant toute la matinée les deux moutonsont cuit entourés des soins attentifs des cuisiniers du jour et de l’impatiencegourmande de tous ; à midi les deux méchouis étaient dorés à point et prêtsà satisfaire les appétits du poste et de ses invités, le toubib et V. de village8 (je lui devais bien cela). Plus encore que Noël, le 1er janvier 1961 a étépour l’ensemble des hommes du poste, harkis, Africains, Métropolitains etPieds-Noirs non seulement un jour de fête, mais aussi, et surtout, unmoment privilégié de vie en commun, de vie solidaire.

Entre temps le poste avait retrouvé une allure convenable. Les coursavaient été sérieusement empierrées ; pour la première fois j’étais parvenuà maîtriser une calamité qui me poursuivait depuis St-Maixent… la boue !Tonio avait mis au service de la communauté ses compétences de peintrepour substituer à la crasse des murs de la popote une couleur plus avenante ;c’était son cadeau de Noël ! Enfin grâce au plombier du bataillon, la sallede bain pouvait de nouveau être considérée comme une salle de bain ; ellea joué un grand rôle dans le retour de la pratique des… dimanches !

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(1) Expression anglaise signifiant forte pluie.

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Dans le même temps qu’était menée la remise en ordre et en état duposte, une autre obligation s’imposait, établir avec le village, dans toute lamesure du possible, des rapports d’un esprit nouveau fait de moins desuspicion, de moins de crainte mais de plus de confiance, de plus de respect.Sans pour autant tomber dans une espèce d’angélisme (tout le monde ilest beau, tout le monde il est gentil) qui n’aurait pas été de mise mais plutôtune erreur ; la vigilance restait en effet de rigueur. Aux notables, Fahres etles chefs de douar, il importait de donner l’impression qu’ils n’étaient plusde simples courroies de transmission, à sens unique, mais bien lesreprésentants de la population du village ; aux hommes et aux femmes deTérébinthes, il fallait donner l’impression que notre présence n’avait paspour seul objectif de les maintenir en situation de subordination mais de lesaider à vivre au mieux un moment difficile, celui d’une guerre qui serefusait à dire son nom.

Faire des notables des alliés ! La politique n’était ni nouvelle ni originalemais elle était incontournable. Si le poste parvenait à créer une ambianceplus détendue dans les rapports qu’il entretenait avec Fahres et les chefs dedouar, il devenait possible d’espérer faire de Térébinthes, poste et village,des espaces où l’air serait plus respirable. Je n’ai pas eu à jouer la comédiepour me rapprocher de Fahres et m’entendre avec lui ; d’emblée je l’aitrouvé attachant et lui ai témoigné le respect qu’il méritait. Nous avons prisrapidement le pli de nous rencontrer, aussi souvent que possible (presquetous les jours) soit au poste, où Fahres avait ses entrées en toute liberté,soit à son domicile. Bien entendu, il participait à toutes les réunions avec leschefs de douar. Autour du traditionnel verre de thé, le signe de laconvivialité, nous parlions de choses et d’autres, pas forcément de lapolitique du jour. Il me racontait sa vie, moi, la mienne ; il parlait de safamille, moi, de la mienne ; la pluie et le beau temps, les espoirs ou aucontraire les craintes des fellahs du village alimentaient aussi nosconversations. Ces banalités épuisées, il nous arrivait de revenir à la réalitédes vrais problèmes ; nous évoquions, alors, les nombreuses difficultés de lavie des gens dont il était le chef (désigné) et les mesures qu’il serait possiblede prendre pour en atténuer l’acuité . Ce n’était jamais le sujet que nousabordions de façon directe, mais c’était, la plupart du temps, le sujet auquelnous aboutissions. C’est dans ces moments qu’il m’arrivait de penser auxleçons d’un de mes patrons du Service de Culture Générale à St-Maixent,

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l’ancien commandant des Affaires Indigènes.

Avec les chefs de douar, c’est dans un état d’esprit identique que denouvelles relations ont été développées. Ce qu’il fallait, au départ, c’étaitmodifier les modalités de nos réunions ; aux réunions occasionnelles,souvent de pure mise en demeure, il fallait substituer des réunionsrégulières où le dialogue remplacerait le monologue. Nous avons donc prisla décision de nous retrouver une fois par semaine au poste ; Tonio assistait,comme il se devait, à ces réunions ; il était l’homme dont nous avions tousbesoin ;il traduisait mes propos et ceux de mes interlocuteurs. Je n’étais passûr de l’exacte traduction des conversations mais l’essentiel était comprisde façon réciproque. Pour donner aux rencontres hebdomadaires uncaractère plus convivial qu’officiel, j’avais fait l’acquisition, à Marnia, d’unservice à thé, comme on en trouvait dans toutes les familles, avec sonplateau ciselé, ses verres traditionnels et sa théière en étain. À l’arrivée deschefs de douar au poste, tout était prêt pour les accueillir dans un espritd’hospitalité, l’eau chauffait, sur la table la théière attendait avec sa menthe,les petits gâteaux l’accompagnaient ; et, chose à ne pas oublier, lescigarettes trônaient bien en évidence (à la fin de ces réunions, le paquet decigarettes, ou du moins ce qu’il en restait, disparaissait systématiquementdans une poche de djellaba. Pas toujours la même… ).

La réunion commençait toujours selon le même cérémonial ; les chefsde douars installés, selon un ordre établi par la tradition, je saluais enpremier le chef du douar des Bhata, le plus important d'entre eux. Danstoute société, le respect des hiérarchies est une nécessité si l'on veut éviterde froisser des susceptiblités toujours présentes. En Algérie, à ce momentlà non seulement elles étaient présentes mais elles étaient à vifs. Il étaitutile de les ménager. Le premier thé siroté, les conversations pouvaientcommencer. Elles duraient le temps nécessaire, une heure ou plus selon lesbesoins du jour. Les gâteaux diminuaient, le paquet de cigarettes se vidait,personne ne donnait l’impression d’être pressé et de vouloir abréger lerituel, c’était jour d’échanges. Ils se déroulaient comme avec Fahres,toujours de la même manière, d’abord de longues interrogations depolitesse sur notre état réciproque de santé, puis les inévitables péripétiesdu temps et de ses méfaits et enfin les problèmes du village. Certainsrelevaient de la routine, comme l’assiduité des enfants à l’école ; j’essayais

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d’en faire comprendre la nécessité ; l’approbation était de rigueur, ilsferaient, eux les chefs de douar, tout leur possible pour convaincre lesparents, si Dieu le voulait… ; les petits bergers continuaient néanmoins àarpenter les pentes de la Mouilah et le problème revenait sur le tapis. Dansce domaine, j’étais demandeur ; mais pour d’autres sujets, les chefs de douarétaient les solliciteurs. Une pratique instaurée par l’autorité militaire lespréoccupait particulièrement, celle des laissez-passer. Pour se rendre àMarnia, les habitants du village devaient être munis d’un laissez-passerétabli par le chef de poste, moi en l’occurrence. Les déplacements à Marniaétaient une nécessité qui répondait à des pratiques sociales traditionnelles,notamment la fréquentation des bains publics, les hammam ou à de simplesbesoins économiques. Le village ne disposait d’aucun commerce, tout setrouvait à Marnia et c’est à Marnia que se déroulait le marché, source nonseulement de produits (la viande entre autre) mais aussi d’argent. La vie duvillage dépendait donc du “libéralisme” avec lequel les laissez-passerétaient accordés ; j’étais prié de me montrer généreux. Il m’était difficile dene pas accepter, mais à quel niveau placer la barre de générosité ? J’ai failliêtre “noyé” sous le flot des demandes ; il m’est arrivé un soir d’en signerplus de… 300 ! Avec une équipe de harkis j’étais censé contrôler cet exodedes villageois chaque fois qu’il avait lieu, trois matins par semaine ; oncontrôlait mais de façon plutôt bon enfant !

Des problèmes plus sensibles pouvaient, à l’occasion, être abordés. Leplus délicat a certainement été celui du casse-croûte que les fellahsemportaient quand ils allaient travailler leurs terres les plus éloignées.Généralement il se composait d’une galette de céréales, d’une poignéed’olives et de quelques tomates ou oignons ; à l’occasion d’un contrôle oud’une découverte dans un tas de pierres, on s’était aperçu que ce casse-croûte avait pris les dimensions d’un encas, non pour une personne, maispour un groupe ! Manifestement il ressemblait fort à une opération deravitaillement destiné aux quelques fells en vadrouille dans la nature.L’autorité militaire avait réagi en interdisant aux paysans de se munir d’unequelconque collation. La mesure pouvait se justifier, mais elle était dure àsupporter par des hommes obligés à de longues marches et un travailpénible. J’étais bien conscient des dégâts que cette mesure pouvait causerdans l’esprit d’une population rurale. Avec les chefs de douar nous avonslonguement discuté de la chose pour aboutir à une décision commune. Je

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n’appliquerais pas cette mesure mais, de leur côté, les chefs de douarveilleraient à ce que les membres de leur communauté aient la sagesse dene se munir que du strict nécessaire quand ils iraient travailler au loin.J’avais averti que je me réservais le droit de vérifier le respect de cetaccord ; cela était possible lors des patrouilles effectuées au cours de lajournée dans l’espace cultivé des gens de Térébinthes. Pour autant que j’aipu m’en apercevoir, tout le monde a sagement joué le jeu. Une foisl’émotion du moment passée, j’ai rendu compte de ma désobéissance auxordres reçus ; elle n’a donné lieu à aucune sanction ; en fait tout le mondeétait bien conscient des dangers que représentait l’application brutaled’une mesure aussi contraignante ; ses effets n’auraient pas manqué d’êtrecontraires à ceux recherchés par les services de l’Action psychologique !Rien n’imposait d’apporter un peu plus d’eau au moulin de nos adversaires.

Tout aussi délicate a été la préparation du référendum auquelj’accordais une grande importance, persuadé qu’il représentait la meilleureclé de sortie du guêpier algérien et que la réponse “oui” au référendumétait une absolue nécessité. “… Le “non” ne représente rien. Aucun deschampions du “Non” n’est capable de résoudre le problème algérien que cesoit à droite ou à gauche…” (Lettre du 11/01/61). Dans cette affaire, maconduite a été guidée par un objectif : la plus large participation possible duvillage et une éthique : le respect de la liberté d’expression. Ce référendum,je l’ai donc préparé avec le plus grand soin avec les chefs de douar. Nousnous sommes réunis à plusieurs reprises pour en discuter et surtout pour enpréciser le sens. Je me suis bien gardé de toute parole qui aurait pu êtreinterprétée comme une invitation à s’exprimer dans un sens plutôt quedans un autre et j’ai assuré les chefs de douar que je ne ferais rien,contrairement aux pratiques à la mode, pour obliger les électeurs deTérébinthes à se déplacer pour s’exprimer.

Au cours de la campagne qui a précédé la consultation, j’ai veillé à ceque le village soit le moins possible soumis aux pressions habituelles de lapropagande officielle ; j’étais d’ailleurs persuadé que cette propagande neservait strictement à rien ; les gens de Térébinthes avaient leur opinion etn’en changeraient certainement pas. Ils n’étaient plus disposés à se laissermanipuler, du moins par nous. Par le FLN, c’était autre chose. Lapropagande du FLN était présente dans toutes les mechtas car toutes les

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mechtas possédaient un poste à piles et à transistors et les émissions duFLN, relayées par Radio-Rabat étaient, dans la région de Marnia, mieuxcaptées que celles de Radio-Alger ; elles étaient d’autant mieux écoutéesqu’elles étaient… en arabe ! De cela aussi j’ai parlé aux chefs de douarévitant toute langue de bois. Les choses étaient donc… claires (si l’onpouvait dire) ; ils savaient ce que l’armée française voulait ; ils étaientparfaitement au courant des mots d’ordre du FLN (Abstention ou voteNon). Leur information était donc… équilibrée ; à eux de se déterminer. Jen’irais pas les chercher et ne leur prendrais pas la main pour voter.

“… Hier soir, j’ai organisé une réunion des chefs de douar. À l’ordre dujour, le référendum. Je leur ai expliqué ce qu’est un référendum et lapolitique de de Gaulle (dans la mesure où on peut l’expliquer… ). Je leurai aussi annoncé la venue d’un camion haut parleur qui diffuserait desenregistrements de la propagande. Et je leur ai dit la chose suivante : “iln’est pas dans mes intentions de forcer les gens à venir se rassembler autourdu camion. Les habitants ont du travail dans leurs champs. Ceux quivoudront venir, viendront ; ceux qui ne voudront pas, ne viendront pas. Jeleur laisse entière liberté d’action.” Pour le référendum, que j’organise dansmon village, je leur demanderai de venir voter ; mais là aussi je leur laisseraientière liberté d’expression. Je veillerai personnellement à la présence detous les types de bulletins. Dans mon village le résultat sera l’expressiond’un vote organisé et exécuté dans la plus grande liberté. Aujourd’hui lecamion est venu, et, comme je m’y attendais, il y avait très peu de monde.L’heure était particulièrement mal choisie : 1 heure de l’après-midi. Maisl’émission était tellement mauvaise que personne ne comprenait. À unmoment je demande à un gars : “c’est bon ?”, lui me répond “Oui, c’estbon”. “Tu comprends ?” “Non, personne comprend” “Alors, pourquoi c’estbon ?” “La musique” (chaque enregistrement était précédé de musique).Au gars qui présidait ce genre de kermesse j’ai dit de rembarquer sacamelote et de déguerpir le plus vite possible. Ensuite j’ai fait mon rapportau commandant. Je le lui ai apporté personnellement et lui ai dit que je nevoulais plus de ce genre de connerie dans mon village. Je ne me suis pasfait vider, il a très bien compris la chose… Dans le même temps je luiramenais un stock de dessins type images d’Epinal destinés à être distribuéspour faire passer le message de l’armée et à discréditer le FLN. Le contenude ces BD était d’une telle indigence que leur distribution aurait

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certainement atteint un résultat contraire à celui recherché. Sur ce pointaussi j’ai été entendu…” (Lettre du 29/12/60).

Cette action en direction des chefs de douar ne pouvait réellementporter ses fruits que si elle était, dans le même temps, accompagnée d’untravail de rapprochement avec les gens de Térébinthes. La connaissance etla communication entre les individus ou entre un individu et unecollectivité passent, d’abord, par le contact physique. Un nouveau sous-lieutenant était arrivé au poste, il devait se montrer le plus tôt et le plussouvent possible. Alors j’ai pris l’habitude de me balader dans les rues (ouplutôt dans la grand-rue centrale) du village seul ou en compagnie deFahres, ou de Tonio, ou des deux. Ces visites me donnaient l’occasion derencontrer les gens et de discuter avec eux. Il est vrai que ces discussionsn’allaient pas très loin ; la santé les alimentait quand le rituel des salutationslaissait entendre qu’elle pourrait être meilleure, la pluie et le beau temps,les travaux de la terre en étaient les sujets favoris. Je ne me faisais pasd’illusion quant à la portée de ces rencontres et de la banalité des proposqu’elles permettaient. Mais pour moi elles étaient précieuses car ellesapportaient la preuve que je n’avais rien d’une espèce de zombieinaccessible. J’existais et je m’intéressais à l’existence du monde quim’entourait. Les premiers contacts ont été, évidemment, très formels maisau fil des jours ils ont acquis un autre caractère fait de plus de spontanéitéet même de chaleur. Ce n’était plus moi qui cherchais à établir le contact,c’était eux qui venaient à ma rencontre ; cela a commencé par les plus âgéset les autres ont suivi.

Mais les paroles n’étaient pas suffisantes, il fallait des gestes, du concretsusceptibles de traduire ma volonté de respect et mon intention de prendreen compte les difficultés de leur situation. Les responsabilités de chef deposte exigeaient que, à la nuit tombée, je réalise régulièrement le contrôledes habitants dans leur habitation. L’objectif était de rendre, sinonimpossible, du moins difficile la présence au village de visiteurs…indésirables ! Les visites étaient, certes, tolérées mais à condition d’en avoiraverti le poste. Je savais ce que ces contrôles pouvaient avoir dedésagréable pour ceux qui en étaient l’objet ; ils étaient une intrusion dansl’intimité de la vie familiale et de ce fait fort peu appréciés. Je devais entenir compte dans ma façon d’opérer ; j’ai essayé de faire de mon mieux.

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Pas de coups intempestifs aux portes ; pas d’invasion en force del’habitation, les harkis restaient à l’extérieur ; une vérification rapide dunombre des personnes présentes (la composition de chaque habitation étaitinscrite sur la porte de la pièce principale) ; aucune perturbation dansl’ordonnance intérieure des pièces. Il n’était pas question d’opérer desfouilles systématiques mais, quand cela s’avérait nécessaire, le désordre nerégnait pas après notre passage. Ces contrôles, que j’ai multipliés ce mois dedécembre parce qu’ils me donnaient l’occasion, en vérifiant la compositiondes familles, de mettre à jour les listes électorales du village, n’ont doncjamais pris l’allure d’expéditions sauvages intolérables ; ils ont étésupportés comme un moindre mal. Après le référendum, leur rythme s’estconsidérablement atténué, au grand soulagement de tous ; mais ils n’ontpas pris fin.

La population souffrait également d’une restriction imposée parl’autorité militaire, celle de ses déplacements et notamment de ses visites àMarnia. Ces restrictions avaient fait l’objet, je l’ai déjà dit mais j’y reviens,de discussions avec les chefs de douar qui sollicitaient, sinon leur levée, dumoins leur atténuation. Les hommes et les femmes de Térébinthessupportaient difficilement d’être privés, les uns de marché, les autres dehammam, les femmes surtout. Le hammam c’était le bain mais c’étaitsurtout le lieu et l’occasion de rencontres, de l’échange des nouvellesfamiliales, des bavardages en tout genre. Les propos qui s’y tenaient nenous étaient certainement pas favorables, mais ce n’était pas une raisonsuffisante pour restreindre une pratique aussi traditionnelle que lafréquentation du hammam. Après en avoir discuté avec les chefs de douar,j’ai pris l’avis de tous ceux qui, au poste, en avaient un sur le problème deslaissez-passer, Kouider, Tonio, les deux instits (ils n’étaient pas insensiblesaux difficultés d’existence de la population du village) et la décision a étéprise d’inaugurer, en la matière, une ère de plus grande générosité.Résultat, une inflation brutale des demandes de laissez-passer impossiblesà refuser !

Le travail destiné à établir avec la population de meilleurs rapports étaitfragile et pouvait être, à tout moment, remis en question ou rendu plusdifficile. C’était, pour moi, une crainte permanente née quelques joursseulement après mon arrivée à Térébinthes. De Gaulle avait décidé de faire

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une nouvelle “tournée des popotes” en Algérie (son passage à Marnia avaitmême été annoncé et préparé) ; son arrivée à Alger, le 9 décembre, avaitdéclenché, au sein de la communauté européenne, de violentesmanifestations à Alger et à Oran. Deux jours plus tard, le 11 décembre, leFLN répliquait en manifestant en force à Alger dans et hors de la Casbah,obligeant les forces de l’ordre, CRS et troupe, à réagir par le feu des armes.Sur les conséquences de ces manifestations Pierre Miquel, dans sa “Guerred’Algérie” p.464, est très clair : “… Bien des rêves se sont envolés cette nuit: celui d’une Algérie française d’abord : comment imaginer que la“fraternisation” est encore possible entre les deux communautés ? Maisles salves de l’armée ont également rendu chimérique l’espoir d’une“Algérie algérienne”. Il est clair que la manifestation était sécessionniste,indépendantiste et que les deux communautés étaient prêtes, comme à Sétifà 1945, à verser le sang. L’ “association est condamnée”. Les craintes desofficiers de l’armée n’étaient pas vaines. La voie moyenne peut apparaître,au soir du 11 décembre, comme une singulière illusion…”. Elles tombaientvraiment très mal ces manifestations et contre-manifestations, ellesn’étaient pas faites pour faciliter ma tâche de rapprochement avec lacommunauté de Térébinthes. “… J’ai suivi régulièrement à la radio ledéroulement des évènements d’Alger et d’Oran. Que dire de telsépisodes ? Je ne sais comment qualifier la stupidité, l’idiotie desmanifestants… Ce qui est certain, c’est que ces évènements auront uneimportance très grande dans les réactions des milieux musulmans. Il fautécouter Radio-Rabat pour entendre, déjà, l’exploitation, par les dirigeantsFLN, de ces manifestations. Or ici les musulmans n’écoutent que Radio-Rabat pour la simple raison qu’elle est pratiquement le seul poste émettanten arabe (Radio-Alger est inaudible dans notre secteur). Qu’ils le veuillentou non les musulmans sont ainsi soumis à une propagande dont tu peuxdifficilement concevoir le degré de haine. Le résultat est immédiat. Tout letravail que nous faisons ici est saboté immédiatement… Ce n’est pas lapeine de travailler dans le bled pour voir en si peu d’heures gâcher le travaileffectué pendant de longs mois…” (Lettre du 13/12/60).

La population de Térébinthes n’était certainement pas restée sourde etinsensible aux propos du FLN mais elle n’en a rien laissé paraître ; elle nes’est pas refusée aux rapports nouveaux que j’ai essayé d’établir avec elle.Au contraire, elle a réagi favorablement à mes invitations. Il est vrai que le

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bled n’était ni Alger ni Oran ; il partageait, selon toute vraisemblance, lesmêmes aspirations mais pas les mêmes comportements.

Térébinthes ne m’a pas tenu à l’écart des péripéties de sa vie. J’y ai étérapidement mêlé et comme Tonio me l’avait annoncé, j’ai eu tout de suitedroit à l’affaire de l’héritage contesté. Tonio connaissait bien le litige, il mel’avait décortiqué et surtout m’avait précisé que la contestation portaitprincipalement sur deux très beaux oliviers. J’étais donc… au parfumlorsque j’ai été sollicité pour trancher ; j’avais mon idée quant à la solutionpossible ; Tonio, le jour venu, m’accompagnerait avec une scie. “… Quandje t’ai quittée, hier après-midi, je te l’ai dit, je devais régler une histoire desuccession : deux cousins dont les pères avaient une terre en commun nes’entendaient pas sur le partage. L’un et l’autre prétendaient que ces terresappartenaient à leur père respectif. Je suis allé sur le terrain avec moninterprète et les deux gars. Deux heures après, le litige était réglé. Au début,ni l’un ni l’autre ne voulaient céder, puis petit à petit leur gourmandise s’estatténuée, à la fin la dispute se limitait à deux oliviers. Pour en terminer, jeleur ai dit que, puisque l’affaire était arrangée au point de vue de lasuperficie des terres revenant à chacun, je ne voulais pas que la disputecontinuât pour deux oliviers et qu’en conséquence j’allais les abattre.Aussitôt ils se sont entendus pour prendre chacun un arbre…” (Lettre du19/12/60). Mais je savais que ce jugement risquait fort de ne pas êtredéfinitivement admis par l’un ou l’autre des deux chicaneurs, ou même lesdeux ; l’appui de la SAS était indispensable, comme il était indispensableque le commandant du bataillon fût lui aussi mis au courant. “… Je suisallé à la SAS et au bataillon. À la SAS je devais mettre au courant lelieutenant du différend que j’ai réglé hier. Bien m’en a pris, car l’un desplaignants s’était lui même rendu à la SAS sans m’avertir. Tu aurais dû voirsa figure quand je suis arrivé. Au fond je ne suis pas mécontent, car on sauraau village que lorsque je m’occupe de quelque chose, je ne fais pas traînerles affaires. D’ailleurs, ce qui est amusant c’est que ce soir j’ai de nouveauune histoire de terre à régler… J’ai vu le commandant et je l’ai mis aucourant de mes histoires de terrain. Ayant approuvé mes décisions, il estdécidé à m’appuyer auprès des autorités compétentes, pour que lejugement rendu soit officialisé…” (Lettre au soir du 19/12/60).

Deux affaires d’héritage à la suite, c’était suffisant pour mon goût pour

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ce genre d’affaire d’autant que le coup de la scie je ne pouvais pas espérerle répéter ! Il fallait un autre thermomètre pour évaluer mon degréd’acceptation par la communauté de Térbinthes. Avec les invitations àpartager le thé ou le repas familial, je disposais d’un de ces thermomètresauxquels on pouvait accorder un certain crédit. L’absence d’invitationaurait pu signifier indifférence à mon égard, crainte ou même rejet ; desinvitations pouvaient signifier simplement politesse de certains de mes“administrés” mais aussi volonté d’accueil et, peut-être, reconnaissancepour l’action que j’essayais de mener en faveur du village. Je me suis, peut-être, trompé, illusionné mais c’est dans ce sens que j’ai interprété lesinvitations qui m’ont été adressées, des invitations de tout style, aussi biende simples invitations spontanées que des invitations plus… protocolairescomme par exemple à l’occasion d’une fête familiale, d’un mariage. “… Jesuis rentré dans mon domaine à une heure pour apprendre que j’étaisinvité à manger au village. Repas très simple, de la viande à la sauce auxraisins de Corinthe, à manger avec les trois doigts de la main droite (peu àpeu j’arrive à me passer de ces attirails… civilisés que sont les fourchettes,les couteaux)…” (Lettre au soir du 19/12/60).

Ces participations à la vie familiale, je les ai pleinement appréciées, ellesreprésentaient, chacune, un moment de détente et se sont toujoursdéroulées de la meilleure façon. Je n’ai pas gardé le souvenir de toutes,mais il en est une que je n’ai jamais oubliée… elle a été l’occasion d’un“gag” (si l’on peut dire) dont je me serais bien passé. J’avais été invité parun notable du village en compagnie de René A. le patron de la SAS. Nousn’étions pas les seuls invités car la réception était d’importance ; ellearrivait en conclusion d’une journée consacrée à un événement familialmajeur, un mariage. A. et moi avions revêtu pour l’occasion notre plus belletenue, une tenue peu compatible avec le port ostensible d’une arme. Nousavons été reçus dans la maison de la noce avec la plus grande déférence etpriés de prendre place parmi les invités de marque. Cela supposait de nousasseoir, jambes en tailleur, sur les tapis étendus sur le sol ; ce que nousavons fait. Et, au moment où nous faisions le geste de nous accroupir,… legag ! De la poche du pantalon de A. et de la poche de mon pantalon sonttombés… les pistolets dont nous nous étions munis, lui et moi, parprudence, sans pour autant nous être entendus sur la chose… Cette chuteintempestive n’a échappé à personne mais tout le monde s’est bien gardé

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de la moindre marque de surprise. A. et moi avons poursuivi le geste denous asseoir, récupéré nos engins pour les placer chacun sous sa cuissedroite… à portée de main ! Une réunion de cette importance aurait pufaire naître de … mauvaises idées et être l’occasion d’un coup tordu. Il n’ena rien été et quand je suis rentré au poste (après un repas somptueux) jen’ai pu m’empêcher d’être accompagné par un sentiment où le ridiculel’emportait. J’avais été ridicule, cela ne faisait pas de doute, mais ce n’étaitpas une raison pour ne pas accepter les invitations qui ont suivi ; je n’en airefusé aucune. À vrai dire la décision n’était pas difficile à prendre ; j’avaisun faible pour les couscous régionaux, les sucrés comme les salés et touteinvitation était, entre autre, l’occasion d’échapper à l’ordinaire du postequi, malgré les efforts méritoires de Dackio, n’avait que des rapports trèslointains avec la gastronomie !

Le déroulement du référendum a été pour moi l’occasion de constaterqu’avec les hommes et les femmes de Térébinthes j’avais marqué un pointessentiel, celui de la crédibilité et de la confiance. On sait comment j’avaispréparé cette consultation avec les chefs de douar, pas de consigne de vote,pas d’obligation de participation ; chacun avait été laissé libre d’agir à saguise. Le jour de la consultation tout était prêt dans l’école, transforméeen bureau de vote. Pour que la chose puisse se dérouler de la façon la plusdémocratique, des isoloirs avaient été installés et les différents bulletinsmis bien en évidence. Seules manquaient les listes électorales que j’avaissoigneusement mises à jour, elles avaient été retenues à Marnia pour desraisons inconnues… (on pouvait supposer que… “certains” ne tenaient pasà l’organisation de ce référendum tant du côté des “ultras” que de celui despartisans du FLN ; on trouvait ces deux bords dans les administrations !).Cette absence aurait pu être gênante mais elle n’a pas empêché ouperturbé la tenue du scrutin ; les participants ne pouvaient venir que deTérébinthes et ils étaient tous connus.

Le samedi 7 janvier à 8 heures, le bureau de vote ouvrait ses portes auxhommes et aux femmes de Térébinthes invités à répondre, par oui ou parnon à la question :

– “Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par lePrésident de la République et concernant l'autodétermination despopulations algériennes et l'organisation des pouvoirs publics en Algérieavant l'autodétermination.”

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J’éprouvais une certaine inquiétude, je n’avais aucune idée de la façondont les électeurs du village allaient réagir, mais je savais que s’ils ne sedéplaçaient pas, j’en serais tenu pour responsable. L’armée avait l’habitudedes participations massives… ! Et puis, autre incertitude, de quelle manièreallaient-ils s'exprimer ? Bien entendu j'espérais le oui, mais j'étais loin deconnaître le fond de leur pensée, en fait je l'ignorais… À 8 h 30 mesinquiétudes atteignaient un degré élevé d’intensité ; les bulletins et moiattendions toujours la venue du premier électeur. Et puis vers 9 heures ils’est passé quelque chose que je n’attendais pas ; les électrices les plus âgéessont sorties du village, se sont dirigées vers le poste et ont gagné la salle del’urne. Elles étaient venues pour voter et j’ai bien veillé à ce que les deuxbulletins “oui” et “non” leur soient distribués avec les explications quant àleur signification. Pour plus de prudence, j’avais demandé à mes deux institsde tenir le bureau de vote. Ces dames ont déposé leur bulletin dans uneurne dûment scellée et regagné le village. Puis, plus rien pendant une demi-heure, aucun mouvement au village et tout à coup, j’ai vu converger vers leposte la majeure partie des électeurs présents au village. À midi je pouvaisconsidérer le scrutin comme clos ; à 6 heures il a pris légalement fin et desvéhicules de l’armée sont venus, dans la soirée, récupérer l’urne.

Deux jours après les résultats m’étaient communiqués ; je pouvais êtresatisfait. 452 femmes et hommes du village s’étaient déplacés pourparticiper à la consultation ; 80 % des électeurs de Térébinthes s’étaientdonc exprimés politiquement et ils l’avaient fait sinon en toute consciencedu moins en toute liberté. 286 bulletins portaient la mention Oui ; 132, lamention Non ; 34 bulletins avaient été considérés comme nuls. Le Ouil’avait donc emporté, mais, représentant 63 % des bulletins exprimés, il nepouvait en aucun cas être considéré comme une réponse caricaturale.L’opposition à la proposition de de Gaulle s’était, elle aussi, manifestée defaçon significative ; 29 % des votants de Térébinthes refusaient le principede l’autodétermination. Ces résultats étaient sensiblement différents deceux enregistrés dans l’ensemble de l’Algérie. “En Algérie les consignesd’abstention du FLN ont été suivies à 40 %, 20 % des électeurs ont votéNon ; 40 %, oui” ( P. Miquel - la guerre d’Algérie p. 464). J’avais obtenu àla fois plus de Oui, plus de Non et enregistré moins d’abstentions. Le FLNne l’avait pas emporté ; les pratiques fréquentes de la participation forcée,non plus ! La liberté de participation et d’expression n’avait pas été

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sacrifiée. C’était mon objectif. Dans les jours qui ont suivi le scrutin j’ai vuarriver au poste de nombreux hommes du village qui, absents, n’avaientpas pu déposer leur bulletin dans l’urne. Ils voulaient savoir si la chose étaitencore possible !

Au mois de février, nouvelle occasion d’apprécier la qualité des rapportsentre le village et le poste. L’hiver avançait et les pluies n’avaient pas eul’abondance souhaitée. Les fellahs de Térébinthes s’inquiétaient car, de cespluies dépendait, sur les terres sèches, le sort de la récolte des céréales.Comme dans toute communauté paysanne traditionnelle lorsque le ciel nefait pas preuve de la clémence espérée, la décision avait été prise del’invoquer et de l’implorer. Une prière collective avait été organisée par leresponsable religieux du village et j’avais été invité à me joindre à cettecérémonie. Je m’y suis donc rendu en compagnie de Tonio ; plus que jamaisil a été l’homme de la circonstance car, chose que je n’avais pas prévue, j’aiété convié à joindre ma prière de chrétien à celle qui venait de s’achever.St-Maixent m’avait appris bien des choses mais pas le rôle d’officiantliturgique… Il a fallu improviser. J’ai rappelé que nous avions, musulmanset chrétiens, des points de rapprochement, notre Dieu était commun etJésus était au nombre de leurs prophètes. Je me suis alors souvenu d’unedemande du Notre Père en totale harmonie avec la prière et la requête dujour “Donne nous notre pain de ce jour”. C’était ce que demandait lapopulation de Térébinthes, que Dieu assure le pain quotidien, alors j’airécité le Notre Père ! Je ne sais comment Tonio s’y est pris pour traduiremes propos et ma prière… mais c’est dans un Amen ou Amin communqu’ils se sont achevés ! Les lettres écrites par la suite n’ont jamais dit sil’appel avait été entendu, si la pluie avait bien voulu tomber, mais cetteprière adressée dans une profonde communauté d’esprit m’avait laissél’impression que le poste était admis au sein de la communauté deTérébinthes. Illusion ou réalité ? L’illusion me convenait !

*

Par contre, une réalité était bien présente, celle du trop plein de monemploi du temps. Je n’ai pas eu à attendre longtemps pour me rendrecompte de la chose ; la tâche de chef de poste de Térébinthes (comme desautres postes) n’était pas une sinécure. Les journées commençaient très tôtvers 6 h 30, 7 heures et se terminaient en règle générale, qui ne souffrait

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aucune exception, tard, très tard même, au plus tôt vers 23 heures, au plustard à … pas d’heure ! Dans ma première lettre un peu fournie, j’ai essayéde donner un aperçu de ce que l’on pouvait considérer comme une journéeordinaire. “… Le matin, je me lève vers 6 h 30 et vers 7 heures je commencema journée. Tout d’abord je règle le travail que devra faire chacun de mesgroupes : patrouilles, nettoyages, corvées… Quand je reste au poste jesurveille l’exécution des travaux, j’expédie les papiers administratifs, jeréponds à cent coups de téléphone, je reçois les gens. Quand je ne reste pasau poste, je pars en patrouille (hier au cours de la patrouille je suis tombédans la Mouilah… !) ou alors je vais à la SAS pour régler différentesquestions concernant le village ou je me rends au bataillon pourquémander et obtenir ce dont j’ai besoin. Je préfère me déranger, car,connaissant très bien les officiers et les sous-officiers, j’obtiens plusrapidement ce que je demande. L’après-midi je m’occupe essentiellementdu village. Le chef du village vient me voir et nous bavardons pendant desheures. Je me promène dans le village, j’échange quelques mots avec lesgens, je bois le thé avec eux. Vers 5 heures, trois fois par semaine j’établis leslaissez-passer… En règle générale, après le repas je discute service avecmon sous-officier adjoint et puis commence la veillée. Mes patrouillespartent en embuscade vers 7 heures et j’attends qu’elles rentrent pour allerme coucher. Pendant ce temps je fais quelques rondes, règle quelquespapiers, taille un brin de causette avec mes gradés. En principe je mecouche vers 11 heures. Ce soir je participe à la patrouille et àl’embuscade…” (Lettre du 18/12/60).

Cette lettre, résumé de mon emploi du temps et condensé de l’actionque j’essayais de mener, passait sous silence (simple oubli) un détail del’occupation de ces heures de veille. Elles étaient propices au courrier et àla lecture. J’ai conservé le souvenir d’une de ces lectures du moment carelle m’a donné l’occasion d’une rencontre peu commune, la rencontre d’unhomme et d’une œuvre, Dino Buzzati et son “Désert des Tartares”.Pénétrer, la nuit, à la lueur d’une bougie, dans l’univers d’attenteprometteuse puis stérile du lieutenant, capitaine et enfin commandantDrogo, a été pour moi qui occupait un poste à proximité de la frontière,une expérience exceptionnelle qui ne s’est jamais renouvelée. Il ne m’a pasfallu beaucoup d’imagination pour sentir Drogo dans sa citadelle, l’œiltourné vers le Nord, le désert d’où, chaque jour, était attendue l’attaque

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des Tartares. Une différence cependant nous opposait, je n’avais pas à meposer la question de l’existence ou non des Tartares du coin ; ils faisaientsuffisamment de bruit la nuit pour qu’il ne soit pas possible de mettre endoute leur présence !

La lecture était un moment privilégié de détente, un moment pendantlequel j’échappais aux préoccupations de la journée et notamment à cellesdes inéluctables activités militaires du poste. Térébinthes, il faut s’ensouvenir, n’était pas uniquement un village, un poste ; Térébinthes c’étaitaussi un espace à surveiller, à contrôler, à interdire, autant que possible,aux quelques fellaghas qui battaient encore la campagne. C’est dire que lesactivités militaires ont absorbé une part non négligeable de mon temps.Les hommes du poste, les harkis, devaient en permanence être présents surle terrain. “Faire du volume” était la consigne pour rendre la vie difficile ànos adversaires. Le matin et l’après-midi employés à des fouilles de terrain,de mechtas désertées, à des patrouilles autour du village, dans les collines,le long de la Mouilah. La nuit, le plus souvent, était consacrée auxembuscades, des heures d’attente pénibles dans le silence, l’immobilité, lefroid. Interdit le bavardage, même chuchoté ; interdites les cigarettes. Lanuit tout s’entend, la nuit tout se voit. Elles étaient sans fin, ces heuresd’embuscade ; lorsque la pluie s’en mêlait, elles devenaient une calamitéd’autant qu’il ne pouvait être question de les écourter !

Le choix des zones de… chasse dépendait du poste qui en commu-niquait les coordonnées régulièrement au bataillon ; le commandant aimaitbien savoir où nous menaient nos vadrouilles, où nous avions l’intentionde dresser nos traquenards. Une curiosité dont on pouvait comprendre lanécessité ! Il arrivait, cependant, au bataillon de nous demander d’exercernotre surveillance sur un point particulier, cela à la suite d’unrenseignement qu’il jugeait intéressant et utile d’exploiter. Bref, le postebougeait en permanence et pourtant cette présence de tous les instants surle terrain semblait être ignorée de certains milieux du commandement. “…Aujourd’hui il y a eu un peu plus d’animation à midi, j’avais invité lelieutenant T. (l’O.R.) et le médecin commandant L. (il remplace le toubibdu bataillon en permission)… on discute, on raconte les derniers potins durégiment, du bataillon. Parfois il arrive que ces histoires soient amusantes,parfois elles sont aussi tristement risibles. C’était le cas à midi. Figure toi

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qu’en hauts lieux, on commence à se demander si nous sortons enpatrouilles, en embuscades… Après 6 ans de guerre il est bien temps des’en préoccuper. Évidemment cette préoccupation s’est accompagnéed’une note de service nous précisant de dresser des embuscades…” (Lettredu 8/2/61).

Thérèse, à Thionville, n’appréciait pas ce travail dont je n’avais pas cachéle caractère non seulement militaire mais aussi… policier ! “… Mesoccupations ne sont pas toujours des plus agréables. Avant hier soir, j’ai étéconvoqué au bataillon ; à 10 h 30, ce n’est pas une heure pour déranger lesgens ! Cette réunion avait pour but de mettre au point une opération aucours de laquelle nous devions arrêter des gens. Personnellement j’ai étéchargé d’encercler une mechta (ferme) et d’arrêter trois hommes. Je suisrentré au poste à 1 heure du matin et à 5 heures je me levais (je ne m’étaismême pas déshabillé). À 6 h 45 la mechta était encerclée et à 7 h 30 j’avaisterminé mon travail de policier. Je t’assure que ce genre de plaisanterie, jen’aimerais pas le recommencer souvent. J’ai pensé à Papa ce jour là(1). Lesgars se sont laissés arrêter docilement. C’est ce qu’ils avaient de mieux àfaire. Après, j’ai fouillé la maison, le plus proprement possible. Rien n’a étévolé, ni dérangé. Chaque chose déplacée était remise en place. D’ailleurs,et mes gars le savent bien, je ne tolérerai en aucun cas un acte devandalisme…” (Lettre du 29/12/60).

Ces “promenades” que nous nous partagions Tonio, Kouider et moi(mais il m’arrivait aussi de sortir avec eux) s’achevaient, Dieu merci, le plussouvent par la très laconique mention R.A.S. Mais il y a eu aussi des sortiesmouvementées. Quelques jours après mon arrivée, celle de Tonio a étéchaude. Avec son équipe, il avait accroché, à peu de distance du poste, ungroupe de fellaghas. L’échange de tirs a été vif, mais le vent soufflait avecune telle violence (un temps à ne pas mettre une patrouille dehors !) qu’iln’a pas été perçu au poste. Par contre le tumulte de l’accrochage n’a paséchappé à la vigilance du bataillon et c’est à bord de ses véhicules blindésque Tonio a regagné le poste. Bilan de la rencontre, on avait la preuve queles fells continuaient à se déplacer, mais pas de perte, ni d’un côté ni de

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(1) Mon père était commissaire de police ; il appartenait au service des Renseignementsgénéraux.

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l’autre. Par contre, la fin de l’année a failli très mal se terminer ; et ce soirlà ce n’est pas Tonio qui a été de la fête ; c’était moi ! À la demande dubataillon j’avais monté une embuscade autour d’une de ces mechtas encorehabitées, à proximité de Marnia. J’étais parti, en toute urgence à la tombéede la nuit, avec une équipe renforcée ; Kouider et Guelili en étaient ; lesrenseignements que l’on m’avait fournis étaient des plus succincts ;j’ignorais la raison de cette opération. Pourquoi cet ordre au derniermoment ? Pourquoi cet endroit ? (Par la suite j’ai appris que l’O.R. dubataillon avait, sur renseignement, plusieurs soirs de suite, dressé sa propreembuscade. Mais sans résultat ! Le groupe de fells qui était attendu nes’était pas présenté au rendez-vous. L’O.R. avait fait chou-blanc, mais paracquit de conscience, le bataillon m’avait demandé de prendre sa suite sansfaire l’effort élémentaire de me mettre au parfum !). Notre attente n’a éténi longue, ni vaine ; vers minuit nous nous sommes retrouvés face à ungroupe plus imposant que le nôtre, situation d’autant plus désagréable que,ne sachant pas à quoi je devais m’attendre, j’avais dispersé mes harkisautour de la mechta pour ne pas être surpris. Nous n’étions que quatre, làoù les fells ont débouché. La surprise a été grande de part et d’autre et lefeu, nourri des deux côtés. Tout s’est déroulé avec la plus grande rapidité.Les fells se sont immédiatement dispersés dans la nuit, sous les oliviers.Personne, encore une fois, n’a été touché mais cette nuit là j’ai eu beaucoupde chance. Une balle est venue s’écraser, à deux ou trois centimètres demon crâne, sur le mur contre lequel j’étais appuyé ; j’en ai eu la têtecouverte de poussière et de débris.

C’est une unité cantonnée à proximité qui est venue nous dégager ;selon le capitaine qui la commandait j’avais eu, ce soir là, une “baraka”exceptionnelle. Le commandant du bataillon n’a pas tardé à envahir lechamp de bataille ; il n’était pas très heureux de la tournure de l’affaire etj’ai été à deux doigts de me “faire remonter les bretelles”. Pas de doute jen’avais pas su organiser ma boutique… ! Nous sommes rentrés au poste aupetit matin et, à peine de retour, je recevais l’ordre de repartirimmédiatement pour retrouver les traces du groupe qui nous avait filéentre les doigts. La veille au soir nous n’avions pas eu le temps de mangeret l’autorité du coup de fil nous remettant en piste était telle que nous noussommes passés de petit déjeuner. Jusqu’à 6 heures du soir, mes harkis etmoi avons crapahuté, le ventre vide, dans les collines au Nord de la

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Mouilah, crapahuté vainement car les traces s’étaient rapidementévanouies sur un sol particulièrement caillouteux. Au retour au poste nousétions tous morts de fatigue (après 36 heures sans boire ni manger maispassées à avaler des kilomètres cela n’avait rien d’étonnant) mais…“satisfaits” d’apprendre que dans la mechta située sur les lieux del’accrochage l’O.R. et son équipe avaient mis à jour une cachecopieusement garnie de ravitaillement. Nous étions donc tombés sur ungroupe composé de quelques hommes armés (ceux que nous recherchionsen permanence) et, surtout, de porteurs. Fallait-il tenir Thérèse au courantde cet affrontement au risque d'accroître des inquiétudes que je savais bienréelles. Après réflexion j'ai estimé que je ne devais rien lui cacher ; j'aiessayé de le faire de la façon la plus anodine possible. “… Hier soir, j’ai eumon baptême du feu. J’étais en embuscade et j’ai accroché un élémentrebelle fort de quelques hommes. Nous nous sommes copieusementarrosés, après quoi ils ont détalé. C’est la première fois que je tire surquelqu’un et c’est aussi la première fois que l’on prend ma carcasse pourcible…” (Lettre du 1/1/61 – 0 h 55)(1).

Ces… “balades” qui pouvaient toujours donner lieu à une rencontremouvementée, se sont parfois soldées par de brutales pousséesd’adrénaline ; le bataillon n’en a jamais rien su (il n’avait que faire decomptes-rendus émotionnels ; c’est du concret qu’il voulait) mais cesmoments de trouille ont eu le don d’alimenter les conversations du poste,pour s’en divertir, bien entendu. L’histoire des hérissons a fait beaucouprire à mes dépens et à ceux de Kouider. Nous étions partis en patrouilledans un secteur de la plaine où les mechtas désertées étaient nombreuses.Ces mechtas, il fallait les visiter régulièrement pour vérifier qu’ellesn’étaient pas, à l’occasion, utilisées par nos adversaires ; en aucun cas ils nedevaient avoir l’impression qu’ils pouvaient s’en octroyer le droit en touteliberté et impunité… ! Donc, visite d’une de ces habitations mais, à peineentrés dans une des pièces, Kouider et moi tombons en arrêt ; au milieu dela pièce, un petit tas de pierres et, venant de ce tas de pierres, des

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(1) Cette lettre commençait de la façon suivante : “Sur Paris Inter je viens d’entendresonner les douze coups de minuit. Et comme pour me rappeler beaucoup desouvenirs, ces douze coups étaient lancés au monde par la cathédrale de Strasbourg.Après avoir été auprès de mes sentinelles, c’est près de toi, ma chérie, que je viens…”.En fait de lettre de vœux, on aurait pu souhaiter un contenu d’une autre nature !

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ronflements. Pas de doute, sous ces pierres, quelqu’un dormait. Avecd’infinies précautions nous nous sommes mis à dégager les pierres, une àune ; j’avais même dégoupillé une grenade, pour le cas où… ! Les pierrescoiffaient l’ouverture d’un silo à grains creusé dans le sol ; au fil de leurenlèvement les ronflements se faisaient plus sonores. Tension et perles desueur ! Et puis tout à coup, surprise, nous étions en train de réveiller unenombreuse famille de… hérissons (situation cocasse qui ne manquaitvraiment pas de… piquants !). J’avais l’air malin avec ma grenadedégoupillée dans la main ; il ne me restait plus qu’à remettre en place lagoupille de sécurité. Je n’y suis pas arrivé du premier coup ! Émotion quandtu nous tiens… ! Un peu la même eau, l’épisode des tortues. J’étais toujoursde la partie mais en compagnie du caporal Rahal. Encore une affaire demechta, mais là, l’explosion d’adrénaline a eu lieu à l’extérieur. Rahal etmoi étions dans le jardin entouré, comme souvent, par des grenadiers etdes figuiers de Barbarie ; nous étions sur le point d’en sortir quand,brutalement dans notre dos un bruit, un bruit de fuite, le bruit de quelqu’unessayant de traverser la haie ; surpris, nous nous sommes retournés, prêt àfaire feu avec nos pistolets-mitrailleurs ; mais feu sur quoi ? Il n’y avaitpersonne, ni dans la haie, ni au delà de la haie. Nous nous sommesapprochés, avec la plus grande prudence, de l’endroit d’où était parti lebruit pour découvrir… un couple de tortues qui venaient de prendre ladécision de se mettre en route. D’autres rencontres ont été moinsamusantes, mais… plus fréquentes… tomber sur un nid de vipères n’avaitrien de drôle sur l’instant ; mais le soir, le rappel des frayeurs constituait unesource assurée de plaisanteries, de moqueries et de rires. On s’amusecomme on peut dans un poste où le programme des variétés manque devariété ! Je me faisais gentiment chambrer, mais la signification de cesmoqueries allait bien au-delà de celle d'un simple amusement nocturne.Elles faisaient partie de ces rapports de confiance qui s'étaient installésentre les Harkis et moi. J'étais comme eux ; j'étais de leur monde ; moi aussije pouvais avoir mes appréhensions, mes peurs, mes sueurs froides.

Dans la deuxième quinzaine de janvier les conditions de travail du postese sont progressivement détériorées. L’état d’esprit n’était pas en cause, ilest toujours resté bon, solide, mais la fatigue a commencé à se faire sentirde façon un peu plus insistante chaque jour. À cela deux raisons, le départdes éléments africains du poste et le réveil intempestif des forces de l’ALNinstallées à Oujda.

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Comme cela était prévu de longue date, la composante africaine dubataillon était progressivement retirée des unités et bien entendu despostes ; les temps de leur rapatriement total et définitif étaient arrivés.Quand cela ne touchait qu’un simple soldat, le mal était moindre, maisquand un sous-officier, à plus forte raison un adjoint, disparaissait, la viedu poste s’en ressentait immédiatement. C’est ce qui est arrivé quandTiemoko nous a quittés ; j’ai regretté l’adjoint mais j’ai aussi regrettél’homme ! Je m’étais habitué à lui et j’éprouvais à son égard, quelque chosequi allait bien au delà de la simple sympathie. Je ne sais ce qu’il est devenumais j’espérais que l’armée de Haute Volta aurait la bonne idée dereconnaître la richesse de ses possibilités. Ceci dit, du jour au lendemain, ledépart de Tiemoko a imposé une réorganisation du service intérieur duposte. Tiemoko s’occupait des liaisons quotidiennes avec le régiment et lebataillon (les vivres et le courrier) et participait aux quarts de veille la nuit(de 21 heures à 1 heure ou de 1 heure à 7 heures du matin).Momentanément personne ne pouvait le remplacer sauf… moi ! “… En cemoment je bats la campagne et les bureaux du bataillon à la recherche…des fells et … de personnel. Je n’ai plus personne pour me seconder et je nesais pas comment il va m’être possible de concilier toutes mes tâches…”(carte du 15/1/61). Le poste a dû attendre plus de quinze jours avant deretrouver progressivement des conditions de fonctionnements à peu prèsnormales. L’arrivée du caporal M. a apporté un peu d’oxygène ; boulangerde son métier, je lui ai confié immédiatement les liaisons quotidiennes avecl’intendance du régiment. Actif, débrouillard, intelligent il a fait rapidementl’affaire avec en plus l’avantage que, n’étant pas africain, il pouvaitparticiper aux sorties sur le terrain. Très bien ce caporal que je pouvaisoccuper de multiples manières ! Son envoi en Algérie avait été précipitépar une bonne dose de malchance ; une absence de la caserne lors d’uncontrôle nocturne inopiné : il avait fait le mur. À l’époque de l’Algérie, celane pardonnait pas ; le lendemain du contrôle il prenait la direction deMarnia, puis de Térébinthes… Quelque temps après a suivi un sergentd’active en remplacement de Tiemoko. Souple et disponible il a fait toutde suite l’affaire, je pouvais lui faire confiance et nous nous sommesrapidement entendus… une entente à l’origine d’une magistrale“engueulade” de la part du commandant du bataillon. Mon sergent m’avaitinvité un dimanche midi à Marnia. Pas question de refuser, bien aucontraire. Au poste, le jour dit, tout était en ordre, les forces vives étaient

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présentes (Tonio, Kouider, les deux instits… ), les consignes avaient étédonnées, on savait où me joindre, je pouvais partir l’esprit en paix…Seulement voilà, ce jour là, chose qui ne s’était jamais produite, lecommandant du bataillon a eu la bonne idée de faire une descente… (decourtoisie ?) au poste en compagnie de deux autre commandants. À sonarrivée, bien entendu, surprise désagréable, pas de chef du poste, pasd’adjoint au chef de poste… Je n’avais pas pris l’élémentaire précautionde l’avertir de ma brève escapade… il n’avait pas jugé nécessaired’annoncer sa venue. Le lendemain j’ai eu droit au PC du bataillon à unegrosse, une très grosse colère du commandant O. (j’aurai droit à une autrede ses colères, mais bien plus tard… ). Jamais dans les 29 ans (d’alors) demon existence je ne m’étais fait secouer d’aussi vigoureuse manière. Onpeut le comprendre ; mon absence injustifiée du poste, en compagnie demon adjoint, pouvait être interprétée par ses pairs, comme un manqued’autorité sur ses subordonnés. Insupportable !

L’autre raison d’un état de fatigue croissante, c’est du côté du barragequ’elle s’est située ; dès la fin du mois de janvier, les forces de l’ALN baséesau Maroc ont recommencé à se manifester de façon particulièrementvigoureuse. “.. En ce moment, je n’ai ni le temps d’écrire, ni le temps dedormir. Cela fait trois jours que mon poste ne se repose plus. Notre secteurest en alerte. Les “ceusses” d’en face, bien à l’abri derrière la frontièremarocaine, nous harcèlent au mortier et à la mitrailleuse. Je commence àcomprendre que l’on ait parfois envie de tirer au Maroc… Surtout net’inquiète pas, mon poste n’est pas soumis aux tirs. Mais à chaque alerte, jedois fournir une intervention sur le barrage. Ma mission consiste à décelerles franchissements éventuels. Ce n’est pas dangereux, mais crevant. Je nesais combien de temps cette comédie va durer. J’espère que ce n’est qu’unfeu de paille. En attendant, cela m’oblige à des prouesses, car mes effectifssont limités.” (Lettre du 18/2/61). À chacune de ces alertes, c’est tout leposte qui se mettait sur le pied de guerre. Avec la totalité de la harka, jefilais en direction du barrage (c’est à l’occasion d’une de ces “balades”nocturnes qu’une sentinelle du groupe d’autodéfense a pris peur et a faillinous tirer dessus). Je prenais position sur un mouvement de terrain quej’avais repéré et qui m’offrait une vue dégagée sur le barrage ; la présenced’une mechta me donnait la possibilité de mettre en batterie, sur le toit enterrasse, le F.M. qui disposait ainsi d’un grand champ de tir. La mechta me

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permettait aussi de mettre à l’abri, par roulement, les hommes de la harkaque je n’avais pas placés en surveillance. Il n’était pas nécessaire demaintenir, dans le froid qui pouvait être vif, toute la harka en position deveille. Une fois installé, je prévenais par radio le PC du bataillon etj’attendais… Le reste du poste restait sur place, les sentinelles étaientdoublées, tous les gradés étaient réunis dans la cuisine transformée en PCopérationnel, le mortier était préparé pour le cas où… Cette mobilisationdurait toute la nuit, se répétait de nuit en nuit et les activités du jour nedevaient en aucun cas être mises en veilleuse.

Mon instit D. est le premier à avoir craqué. “… Un de mes instituteursa piqué un “nervous breakdown”. Cela fait mal de voir un de ses hommespleurer comme un gosse. Il n’en peut plus et le fait d’avoir giflé un de sesélèves l’a littéralement “retourné”. Nous avons dû lui donner plusieurscachets pour qu’il puisse s’endormir. Demain je l’emmène chez le toubib.Ce genre d’accident guette n’importe lequel d’entre nous…” (Lettre du23/1/61). “Comme tu peux le voir, les nuits sont passablement écourtées àTérébinthes. Je manque de bol ; l’instituteur qui a piqué une dépressionnerveuse a été hospitalisé. Cela fait un cadre de moins pour effectuer lequart de nuit…” (Lettre du 25/1/61 à 5 h du matin). Celui qui a suivi, c’est…moi ! Au matin du 18 février, accès brutal de fièvre. Je n’y ai pas prêté uneparticulière attention ; quelques jours auparavant j’avais déjà eul’impression que la grippe me guettait, et puis tout était rentré dansl’ordre… du moins c’est ce que je pensais… Je n’avais d’ailleurs pasl’intention de tomber malade ; ce n’était vraiment pas le moment decompliquer le fonctionnement du poste. Il y avait mieux à faire, mais,l’alerte, au lieu de s’atténuer, a pris de l’ampleur. À la réunion quotidiennedes chefs de poste, le 22 février, le commandant s’est aperçu que je n’étaispas au mieux. À peine rentré au poste, le toubib du bataillon m’y a rejointet a pris la décision de m’hospitaliser d’urgence à l’infirmerie de garnisonde Marnia. Diagnostic, compte tenu de la fièvre qui avait atteint les 40,Typhoïde ! En route vers l’hôpital ! Je n’imaginais pas, en partant àl’hôpital, que je ne remettrais plus les pieds à Térébinthes en tant que chefde poste. Et pourtant c’est bien ce qui s’est passé. J’ai quitté Marnia, je suisrevenu à Marnia. J’ai revu Térébinthes, mais je n’ai plus assumé laresponsabilité de la direction du poste et du village. L’expérience deTérébinthes s’est achevée le 22 février 1961.

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Avec Tonio (l’arbre à côté du Dodge est un térébinthe)

Devant le poste avant le début des cours

Les enfants du village

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L’équipe du caporal Rahal

L’équipe du caporal Guelili

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L’équipe de Tonio

Black, Blanc, Beur… le caporal M. vient d’arriver au poste

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Fahres et Kouider en compagnie du lieutenant T.

Cour de l’école. Aménagement d’un chemin empierré pour lutter contre laboue des jours de pluie. Au fond, la cuisine du poste.

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La table. Par précaution, Tiemoko assure le quart de veille

Noël avec le Sapin

Noël 1960

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à la dégustation

De la préparation…

1er janvier 1961 - Le méchoui

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Contrôle des laissez-passer sur la route du marché

À gauche, le remplaçant de Tiemoko

La corvée des laissez-passer

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En route vers le marché

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INTERMEDES

Il a duré six mois, le temps des intermèdes, six mois partagés entre lafréquentation d’un nombre respectable d’établissements hospitaliersmilitaires, une longue et appréciée permission de convalescence àThionville et une affectation plus courte que prévue (deux petits mois àpeine) au Centre d’Instruction du 153e Régiment d’Infanterie. Lacommission de réforme devant laquelle j’étais passé avait jugé que j’avaissuffisamment récupéré de ma maladie pour reprendre du service etachever mon temps ! J’étais encore loin, en effet, du terme de mes 28 mois.

La valse des hôpitaux, février 1961 / avril 1961

De Marnia à Metz en passant par Tlemcen, Oran et Dijon… Cinqhôpitaux militaires, c’était un tableau de chasse honorable ! Mais tous n’ontpas joué le même rôle ; Oran et Dijon n’ont été que de brèves escales ;Metz a été le terminus ; les séjours les plus conséquents se sont déroulésd’abord à Marnia, une bonne dizaine de jours et puis (et surtout) àTlemcen. Là l’étape s’est prolongée pendant une quarantaine de jours ;étape essentielle où j’ai été tiré d’affaire… nouvelle baraka selon lesstatistiques médicales, on le verra !

22 février, je n’étais pas très “frais” quand j’ai fait mon entrée àl’infirmerie de garnison installée dans les bâtiments de l’hôpital de Marnia ;le lendemain j’ai eu les plus grandes difficultés pour griffonner deux mots,très laconiques, à Thérèse et lui annoncer mon hospitalisation et puis…plus rien pendant près d’une semaine… j’étais HS selon l’expression très àla mode à l’époque, hors service ! “Silence radio” (expression très en voguealors) à Marnia… panique à Thionville peu habituée aux infidélités dufacteur ! Et puis, comble de malchance, la lettre, écrite au moment où leschoses commençaient à aller mieux, a quitté Marnia avec retard. Résultat…la visite de deux policiers des R.G. ! Mon père avait mis sur mes traces lagrande famille des Renseignements Généraux…

J’avais été pris en main par l’équipe des toubibs de l’hôpital ; eux aussi

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penchaient pour la typhoïde. La maladie se pratiquait bien à ce momentlà, mes deux compagnons de chambre en souffraient ; alors pourquoi pasmoi ? À vrai dire je ne présentais aucun signe clinique vraiment probant endehors d’une fièvre carabinée. C’est d’ailleurs cette fièvre qu’on a cherchétout de suite à faire tomber. “… Après une journée d’examens, le médecina commencé la thérapeutique de la typhoïde, l’élément choc du traitementa consisté en trois perfusions ; la première a duré dix heures (20 h à 6 h dumatin) ; la deuxième, sept heures (11 h - 18 h) ; la troisième, quatre heures.Cela a eu pour effet de faire tomber la fièvre. En dehors de cela, cachets,ampoules et piqûres. J’adore ! Ce qui m’embête le plus c’est que je soisobligé de rester encore deux semaines à l’hôpital… S’il s’avère que c’estbien la typhoïde, il est fort possible que l’on m’accorde 40 jours deconvalescence…” (Lettre du 27/2/61 mais acheminée avec trois jours deretard).

Etre hospitalisé ne signifiait pas être coupé de Térébinthes et desnouvelles du barrage. Du poste et du village j’ai eu, tout le temps de monséjour à l’hôpital, des nouvelles des hommes, des problèmes et des… potins.Pas un jour sans visite, des instits (D. me rendait la politesse), de Tonio,Kouider ou Fahres et surtout de mon adjoint désormais seul sur place pourfaire fonctionner la boutique. Grâce à sa visite quotidienne, j’ai puentretenir l’illusion de continuer à diriger Térébinthes. Avec la poursuitedes harcèlements sur le barrage, un problème nouveau se posait, non pascelui de son éventuel franchissement (ce n’était pas une crainte nouvelle)mais celui d’une attaque, dans la foulée, du village et surtout du poste.C’était une question dont nous avions parlé, mais comme ça, sans jamais luiaccorder une réelle importance. Un cas de figure improbable ! Nous nepouvions pas imaginer le siège et la prise du poste à la suite d’une offensivedes “Tartares” du Maroc. Or cette éventualité était maintenant admise dansles sphères du commandement ; ordre avait donc été donné au posted’envisager la chose avec sérieux et de prendre toute disposition pour nepas se laisser surprendre. Il fallait donc préparer le poste à assurer sadéfense et résister suffisamment longtemps pour laisser aux renforts letemps d’arriver. Mon adjoint et moi avons donc mis au point un plan dedéfense précisant la position et la mission de chacun en cas d’attaque. Nousavions notamment prévu que tant que le secteur serait maintenu ensituation d’alerte, tout le monde resterait au poste le soir. Les sorties en

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patrouille ou embuscade continueraient à être effectuées mais, parprécaution, les quelques harkis qui couchaient au village prendraient leursquartiers au poste. Dieu merci, ces dispositions n’ont jamais eu à apporterla preuve de leur efficacité. Des franchissements très limités et très localisésdu barrage ont bien eu lieu plus tard, mais jamais Térébinthes, le poste etle village, n’ont été inquiétés. Ceci dit, durant toute cette fin du mois defévrier le barrage est resté particulièrement actif. Le capitaine M. et seshommes, à Beghal, n’ont pas dû dormir souvent et longtemps ! Desrenseignements en provenance d’Oujda laissaient entendre que l’hôpitalde cette ville ne désemplissait pas, tout occupé à panser les plaies de l’ALN.

D’autres visites sont venues meubler un temps qui me paraissait long :les camarades du bataillon Jean T. et V. de Village 8 (il retrouvait ainsi lachambre qu’il avait occupée quelques temps auparavant… ) et bienentendu René A. de la SAS, visites toujours assorties de bonnes manières.“… Je ne manque de rien. Tout m’a été procuré à profusion par mes gars etles nombreux amis qui viennent me voir. J’en fais d’ailleurs profiter deuxpetits gars qui sont dans ma chambre et qui ont la même chose…” (Lettredu 27/2/61)

“… Et qui ont la même chose…”, en réalité, une semaine après monhospitalisation, les toubibs étaient encore bien incapables d’affirmer que lemal qui me tenait était une typhoïde. La grosse fièvre avait disparu, lesperfusions avaient fait leur effet, mais la fièvre était toujours là et je neparvenais pas à réellement récupérer malgré les soins qui m’étaientprodigués. Le doute était justifié ! Samedi soir 4 mars, coup de poignard aucôté droit, souffle coupé, respiration douloureuse et montée de sang dansla bouche ! Émotion chez les “blouses blanches” ; examen radiologique, labase du poumon droit présentait des signes inquiétants. La décision étaitprise de m’évacuer d’urgence sur l’hôpital militaire de Tlemcen. Dutransfert à Tlemcen, de mon arrivée et de mon installation à l’hôpital,souvenir néant ! J’étais dans un état d’inconscience à peu près totale, étatdans lequel je suis resté près de 48 heures. Quand j’ai repris mes espritsj’ai, tout à la fois, fait la connaissance de l’équipe médicale qui m’avait prisen main, été averti, enfin, de la nature de mon mal et appris que j’en avaisau moins pour 45 jours avant d’espérer changer d’air ! “… Je subis en cemoment un traitement de cheval… jusqu’à aujourd’hui j’étais un peu dans

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le cirage par suite de la fièvre et du traitement. Aujourd’hui cela commenceà aller mieux et je mange un peu. Cela je crois, je le dois aux soins qui mesont donnés. J’ai pour médecins traitants un médecin commandant et unmédecin lieutenant. Les piqûres (4 par jour) sont faites (très bien) par uneinfirmière pas désagréable à voir !…” (Lettre du 10/3/61).

Diagnostic établi dès mon arrivée (les symptômes étaient maintenantévidents) : Amibes, abcès au foie, infection de la base du poumon droit ; entermes médicaux : hépatite amibienne avec complications pleuro-pulmonaires… une cochonnerie qui propulse généralement dans l’au-delàsans crier gare ! Pour m’en délivrer, une équipe extraordinaire à qui je doisde pouvoir, en ce moment, exprimer ce témoignage : le commandantBéréni, le lieutenant Luton et l’infirmière Legendre. Je me permets d’écrireleur nom car j’ai gardé d’eux un souvenir extraordinaire, le souvenir degens compétents, disponibles et attentionnés ; la reconnaissance que je leurdois est restée intacte malgré l’importance du temps écoulé. Ce n’était pasune fois par jour que je les voyais mais c’était en permanence qu’ils étaientà mes côtés. Je me souviens encore du commandant Béréni venants’excuser de ne pouvoir me visiter pendant 48 heures parce qu’il devaits’absenter momentanément de l’hôpital. Sans eux je regagnais Thionvillecomme Maurice l’avait fait ! À maladie de cheval, traitement de cheval ;émétine qui liquide les amibes mais flanque la tremblote… cocktaild’antibiotiques pour attaquer l’abcès et résorber l’infection pleurale (lataille des seringues utilisées était impressionnante !). Pour couronner letout, quand j’ai pu les supporter, ponctions pleurales… sans, puis avec,anesthésie locale… plaisirs intenses et inoubliables !

Le rétablissement amorcé, une chose a été de plus en plus difficile àsupporter, l’isolement. Marnia n’était pas loin, mais se déplacer posaittoujours un problème ; les visites ont donc été rares ; elles ont été d’autantplus appréciées. L’une d’elle l’a été particulièrement, la visite de Tonio. Ilavait profité de la visite de Mme A. pour m’apporter le bonjour du poste.J’ai eu du mal à le reconnaître ce jour là ; pour la première fois il avaitabandonné la tenue militaire et mis un costume civil que je ne lui avaisjamais vu. J’aimais beaucoup Tonio et nous nous étions toujoursparfaitement entendus… Une seule fois nous avions eu des mots àTérébinthes, une vraie dispute de… vieux couple ! J’avais été invité au PC

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du bataillon pour un pot donné en l’honneur de nos sous-officiers africainsqui regagnaient leur pays. Le pot avait duré et j’étais revenu au poste avecun retard certain ; on m’attendait pour déjeuner. Ce jour là Tonio qui venaitde tuer un cochon (car il avait un élevage de quelques porcs… à côté duposte) avait préparé les abats selon une recette “Pied-Noir” qui ne souffraitpas d’attendre. Tonio avait eu la patience d’attendre mais pas sa … sauce !Fichu le plat qu’il nous avait mitonné ! Il était d’une humeur massacrantequand je me suis pointé au poste et je m’en suis aperçu tout de suite…l’engueulade maison de “bobonne” qui ne supporte pas que son mari nesoit pas à table à l’heure dite ! Ce jour là, je me suis fâché… cela a été laseule occasion de brouille du … ménage ! Oui je l’aimais bien Tonio.Térébinthes me manquait. Les journées y étaient sans fin, mais,paradoxalement, le temps s’y écoulait rapidement. Dans ma chambre deTlemcen (où j’étais seul pour cause de repos du guerrier… ) le seulmoment que j’appréciais était celui de l’arrivée du petit déjeuner au termed’une nuit de sommeil souvent interrompu ; ce café était, sans conteste, lemeilleur café que j’aie jamais bu ! Il marquait la fin des idées noires de lanuit ; ce café, c’était le retour du jour, des premiers bruits, des premiersmouvements, bref, c’était la vie qui reprenait ses droits. Mais, au-delà deces représentations, ce café, je l’attendais aussi parce qu’il était bon,parfumé et, les tartines qui l’accompagnaient, les bienvenues. Le petitdéjeuner était un moment de fête dans la journée ; il l’était d’autant plusqu’il était suivi de l’apparition de Melle Legendre avec son sourire unpeu… gâché, il est vrai, par l’énormité de ses seringues !

Cette cure de solitude forcée, pour cause de virulence amibienne, s’estachevée avec l’heureuse arrivée de Thérèse. Sa venue en Algérie étaitprévue de longue date ; je l’avais préparée avec l’autorisation ducommandant du bataillon. Son séjour avait été organisé à Marnia, c’est àTlemcen qu’il s’est déroulé. À Oran, elle avait été gentiment accueillie parles parents de Marcel, camarade de Fac qui avait entamé son servicemilitaire à… Thionville et le poursuivait à Reggane, haut lieu de la bombedu Général ! Les autorités de l’hôpital n’étaient pas très chaudes pour melaisser sortir et attendre Thérèse à la gare. Mais j’y tenais ! Sur le quai, ellea eu quelques hésitations à me reconnaître ; il est vrai que j’avais perduprès de 15 kilos et que je flottais dans mon uniforme ; il paraît, d’autre part,que j’avais le teint verdâtre d’un métèque sud-américain… Pas question

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ce jour là de jouer au galant et de faire le geste de soulever une valise… Le22 mars, j’ai eu l’impression que ma convalescence allait s’accélérer…Erreur ! L’effort de la gare m’avait remis au lit pour de nombreux jours.Peu importait : je pouvais profiter de la présence à peu près permanente deThérèse, autorisation lui avait été accordée de me rendre visite, à sa guise,matin et soir… une fleur du commandant Béréni. C’est à lui que je doiségalement une autre fleur bien faite pour remettre d’aplomb tout à la foisdes humeurs et une carcasse mal en point : du champagne ! Cettepharmacie là, je n’ai eu aucune peine à l’absorber… Pendant près de deuxsemaines je suis resté cloîtré dans ma chambre ; le seul exploit que mesguibolles me permettaient, était d’essayer d’en faire le tour ! Pas question,bien entendu, de la plus petite sortie. Dieu merci, au cours de cette périodeles visites ont continué, ce qui donnait au temps l’occasion de précipiterson écoulement ; visite inattendue, un matin, d’un groupe de dames deTlemcen venues apporter aux résidents de l’hôpital leur soutien et leurs…mounas, la brioche traditionnelle du monde “Pied-Noir” à l’occasion dutemps pascal ; re-visite de Mme A. qui a vite sympathisé avec Thérèse. Lesoir même elle l’embarquait pour trois jours à Marnia. Cette escapade,imprévue, allait permettre à Thérèse de faire connaissance avec ce qui,depuis décembre, n’était pour elle qu’un nom… Térébinthes.

Au moment où je pouvais enfin effectuer ma première sortie de l’hôpitalune décision n’avait toujours pas été prise ; poursuite de l’hospitalisation,convalescence et retour à Térébinthes ou évacuation sanitaire impliquantun départ définitif de l’Algérie ? Le 7 avril, à la suite de nouveaux examens,le verdict tombait, ce serait l’évacuation sanitaire. L’Algérie était donc finiepour moi, les autorités médicales en avaient ainsi décidé. Le 8, je faisais, encompagnie de Thérèse, un saut à Marnia pour mettre de l’ordre dans mesaffaires restées au poste. Ces quelques heures d’adieu n’ont pas manquéd’une émotion certaine, du moins de ma part. Je me séparais difficilementdes hommes avec lesquels j’avais vécu, peu de temps au total, il est vrai,mais vécu des jours, des heures peu ordinaires. René A. avait mis sa voiturepersonnelle, une Dauphine, à notre disposition ; cela nous a permis de nousrendre à Térébinthes où le poste au complet nous attendait pour un dernierapéritif ; de là un saut à Beghal où le capitaine M. nous avait conviés àpartager son déjeuner, enfin, à 4 heures retour à Térébinthes, Kouidertenait absolument à nous recevoir chez lui et nous offrir le thé. Il était

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vraiment dur de quitter Térébinthes ! Le soir Thérèse et moi retrouvions lesA. au restaurant ; c’est là que j’ai tiré ma révérence à Marnia. Du moinsj’étais bien persuadé de le faire… !

Le 11, visite rapide à Tlemcen, je n’y avais pas encore mis les pieds ;j’avais un excellent guide… Thérèse qui avait, elle, eu le temps de faire laconnaissance de cette ville magnifique et attachante. Partout, au cours deses promenades, elle n’avait jamais perçu la moindre hostilité et aucontraire, l’accueil rencontré avait toujours été des meilleurs. Cetteatmosphère nous l’avons particulièrement ressentie lors de la visite d’undes joyaux de la ville, l’admirable Grande Mosquée, chef d’œuvre de l’artalmoravide. Le 12, nous prenions le train pour Oran où les parents deMarcel nous attendaient pour le déjeuner ; dans l’après-midi Thérèses’envolait pour Marseille et Thionville où elle allait rejoindre son posteaprès avoir pris une liberté de trois jours avec la durée de ses vacancespascales. Le commandant Béréni avait, à l’attention des services del’Éducation Nationale, attesté de la nécessité de sa présence à mes côtés.Bonne enfant l’Education Nationale avait accordé ce supplément devacances mais… sans traitement !

Le soir je gagnais l’hôpital d’Oran ma nouvelle et brève résidence avantde rejoindre, le 14, par avion sanitaire, l’hôpital de Dijon. Je devais y resterquatre jours confiné dans le bâtiment des contagieux… Le 19, poursuitedu voyage vers Metz et l’hôpital Legouest. Séjour éclair, 24 heures, le tempsd’une dernière batterie d’analyses et d’une rencontre, inattendue, avec lesous-lieutenant en charge de la pharmacie de l’hôpital, un vieux camaradede classe et d’internat du lycée de Thionville, un très jeune professeur depharmacie qui allait, par la suite, faire beaucoup parler de lui, Jean-MariePelt (il m’excusera de le nommer, je ne pense pas que cela nuise en quoiquece soit à sa réputation présente et à venir !). Nous ne nous étions pas vusdepuis les bancs du lycée ; nous avons passé la soirée, et au-delà, à parler etde quoi avons nous pu parler aussi longtemps ? De l’Algérie en général etde Térébinthes en particulier ! Sur ce sujet, j’étais intarissable. Lelendemain je retrouvais la maison, Thérèse que je venais de quitter, Alainqui m’avait terriblement manqué et puis tous ceux qui avaient tout faitpour leur apporter un soutien moral souvent nécessaire, mes parents et mesbeaux-parents. Une longue période de convalescence, de récupération

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s’ouvrait devant moi. Au-delà je ne savais pas ce que l’autorité militaireferait de moi. Un séjour pour contrôle était prévu à “Legouest” avant depasser devant une commission de réforme. C’était à elle qu’il reviendrait destatuer sur mon sort.

Au moment où je retrouvais une ambiance plus domestique, desnouvelles inquiétantes arrivaient d’Alger ; le général Challe secondé par lesgénéraux Salan, Jouhaud et Zeller venaient d’y prendre le pouvoir avecl’espoir de sauvegarder ainsi l’avenir d’une Algérie qui resterait française.Impossible de ne pas immédiatement penser à tous ceux que j’avais quittés,jour pour jour, deux mois auparavant. Le “Putsch d’Alger” allait, à coupsûr, compliquer leur tâche et surtout susciter des problèmes de conscience.Suivre ou ne pas suivre ? Nombreux étaient ceux qui redoutaient unabandon, quelle qu’en fût la forme, de l’Algérie ; c’était une éventualitédont nous nous gardions de parler (je l’ai déjà dit) pour éviter desdiscussions et des heurts toujours possibles, mais elle était présente dansbien des esprits. L’initiative du général Challe ne pouvait qu’en exacerberle trouble, susciter un réel malaise au sein des unités et perturberl’accomplissement de leurs tâches. J’essayais d’imaginer l’atmosphère àTérébinthes, dans la cuisine-PC du poste au moment des repas et des veillesdu soir. Tonio, certainement, penchait pour approuver ; R. et D., il y a fortà parier, ne pouvaient que refuser l’aventure ; le sergent, mon ex-adjoint(était-il toujours seul pour assurer la direction du poste ?), en sous-officierd’active, attendait certainement des ordres ; quant à Kouider, encore unefois, il devait se sentir proche de Tonio… Il est vrai que leur avenir à tousdeux s’annonçait incertain. Non, l’ambiance ne devait pas être des plussaines à Térébinthes. Quoique soldés par un échec, les troubles d’Alger nepouvaient pas ne pas laisser de traces.

L’été à Mutzig

Fin avril et mai consacrés à récupérer ; fin mai et juin passés à spéculersur mon état et mon sort. “Legouest” me trouvait mieux mais m’accordait28 jours de congé de convalescence supplémentaires. Bon à prendre ! Lacommission de réforme estimait que j’étais apte à poursuivre mon serviceet le lundi 3 juillet j’apprenais mon affectation au centre d’Instructions du

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153e Régiment d’Infanterie à Mutzig, près de Strasbourg. Le 5 juillet jerejoignais mon nouveau corps où, d’emblée, j’étais mis à la disposition dela deuxième compagnie. Pas le temps de prendre mes marques pourrepérer les lieux et les têtes, tout de suite dans le bain avec une surprise detaille, un problème inédit, un défi à relever !

Surprise, la section qui m’était confiée était constituée uniquementd’appelés en provenance… d’Algérie ; 40 jeunes originaires de l’Algérois etde l’Oranie. Je pensais y retrouver des jeunes des Béni-Ouassine, mais cecontingent n’en comprenait pas ; par contre, le contingent précédent, oui,et là aussi la surprise était au rendez-vous. Une demi douzaine de jeunes deTérébinthes était à l’instruction à la caserne du 153e R.I. de Mutzig !! Cen’était pas moi qui les avais aperçus, c’étaient eux qui m’avaient reconnu,résultat de mes balades quotidiennes parmi les habitants du village. Leursituation laissait à désirer, pas un sou, pas de nouvelle, aucune distraction,l’ennui en permanence, moral, niveau zéro ! Je ne pouvais pas faire grandchose pour eux, les retrouver de temps à autre, bavarder du village, fumerune cigarette. C’était tout et c’était bien peu !

Problèmes avec ce que l’on a très vite appelé la harka de la compagnie.Pour mener à bien mon instruction je ne disposais que de deux sous-officiers appelés ; ce n’était pas beaucoup pour encadrer efficacement ungroupe dont l’importance équivalait à celle de deux sections.Heureusement les deux sergents étaient de qualité et ils n’ont pas répugnéà la tâche. Là n’étaient donc pas les problèmes essentiels, ils étaientailleurs : dans la communication et l’état d’esprit. “… Sur les 40 gars quiconstituent l’effectif de ma section, il n’y en a que 8 qui savent parlerfrançais. Les autres ignorent totalement notre langue. Cette situation estpour le moins délicate pour l’instruction…” (Lettre du 8/7/61). Solution…apprentissage et utilisation d’un vocabulaire réduit au strict nécessaire. Dumoins au début ! Ceci dit, pour apprendre à marcher au pas et présenter lesarmes les besoins linguistiques restaient limités. Plus délicat le problèmede l’état d’esprit ! Les hommes que j’avais à instruire n’étaient plus desharkis, des volontaires ; c’étaient des appelés et surtout des appelés quivenaient, quoi qu’on en dise, d’un pays en état de rébellion, rébellion qu’ilsne pouvaient pas ignorer. Le FLN, ils connaissaient ! Les raisons et lesobjectifs du combat mené par le FLN, ils connaissaient également ! Les

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hommes qui combattaient dans les rangs du FLN, ils les connaissaientd’autant mieux qu’ils partageaient les mêmes origines ! Etaient-ilsfavorables au FLN ? Je n’en ai jamais rien su ; je me suis gardé de leurposer naïvement ou vicieusement la question. Pas difficile à comprendre !Mais une chose dont j’étais certain, c’était qu’ils n’en avaient “rien à cirer”de se retrouver dans une caserne française, certes dans une belle région deFrance, l’Alsace, mais à plus de deux mille kilomètres de chez eux…

Si la plupart se sont résignés à subir leur sort, deux ont cherché à limiterle plus vite possible, leur temps passé sous l’uniforme et le drapeautricolore… Ils avaient entendu parler d’un remède généralement efficace,l’incontinence nocturne… Dès leur arrivée, chaque matin, le mêmescénario, un matelas abondamment arrosé ! Que faire ? Ils avaient peut-être la vessie fragile et défectueuse… mais on pouvait aussi subodorer unarrosage nocturne parfaitement conscient et volontaire. Si il l’était et queles deux petits futés parvenaient à se faire réformer, c’était toute la sectionqui risquait d’être gagnée par l’épidémie… “Brain storming” avec les deuxsergents et réplique ! Un lit à étages, dépourvu de matelas a été affecté auxdeux incontinents ; à tour de rôle ils se retrouvaient soit à l’étage supérieursoit à l’étage inférieur… L’incontinent du haut en position pour arroserl’incontinent du bas ! Désagréable d’être réveillé la nuit par une cascade…volontaire ! Les deux gars ont très vite compris et préféré mettre un termeà leur faiblesse physiologique. Ils étaient, désormais disponibles pour, avecleurs camarades, préparer le défilé du 14 juillet à Strasbourg.

Pendant une semaine, maniement d’arme et ordre serré à haute dose,8 heures - 12 heures, 14 heures - 18 heures… ; il fallait qu’à Strasbourg, cesjeunes Algériens fassent jeu égal avec les appelés d’origine métropolitaine.C’était le défi à relever ; j’ai employé le vieux procédé de “l’esprit declocher”… Ils étaient parfaitement capables, eux Algériens, de faire aussibien et pourquoi pas mieux que les autres, les métropolitains. Ça a marché !Le jour dit, ils étaient fin prêts ; ils ont défilé comme des vieux briscards etla foule ne leur a pas mesuré ses applaudissements. Finalement cela acontribué à améliorer leur moral sans pour autant changer un iota à leursituation. Dans les semaines qui ont suivi, c’est le cours normal duprogramme de l’instruction qui a repris ses droits, sport (beaucoup desport ; j’avais l’impression de me retrouver sur le plateau du Panier Fleuri

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à St-Maixent), retrouvailles avec le parcours du combattant, marche,combat, armement limité au simple démontage et remontage de leur arme,tir… mais pas trop (il valait mieux dans ce domaine limiter leurapprentissage… on ne savait jamais… ces jeunes étaient destinés àretourner en Algérie… alors… !).

Ces heures d’instruction étaient certainement les plus supportables poureux et… pour moi. Pour être honnête, après Térébinthes, la caserne mesemblait bien fade ! Certes l’ambiance n’y était pas désagréable, moncommandant de compagnie (un officier de réserve qui avait “rempilé”)était sympa ; la quasi totalité des sous-lieutenants instructeurs venaient,comme moi, d’Algérie, on s’entendait bien. Mais il était difficile d’échapperà une ambiance, une atmosphère souvent dominées par l’esprit de routine.Il n’y avait guère à penser, à prendre des initiatives ; il suffisait de suivre àla lettre les instructions et respecter les ordres. Bref, c’était la caserne !Peut-être (certainement même) n’était-il pas possible et pensable qu’il enfût autrement ! Heureusement que Strasbourg était à deux pas, la ville demes études supérieures, la ville où j’avais encore de nombreusesconnaissances, à la Fac notamment. Alors à chaque fois que l’occasion seprésentait, évasion à Strasbourg, ses cinémas, ses “winstub” et ses occasionsde retrouvailles agréables. J’y ai même retrouvé, et c’était plutôt inattendu,des sous-officiers que j’avais, à St-Maixent, préparés au concours d’entréeà l’Ecole militaire de Strasbourg.

Je devais me faire à l’idée de mener cette vie pendant huit mois, le tempsqu’il me restait à passer sous l’uniforme. Je n’ai pas eu à faire cet effort !Dès le début d’août, le commandant de compagnie me faisait appeler etles civilités d'usage achevées, il m'apprenait que j’étais sur la liste desprochains partants pour… l’Algérie ! Décision sans appel du Ministère encontradiction avec l’avis des Services de Santé… Direction la frontièretunisienne où le 153e R.I. tenait un secteur. Je n’ai guère apprécié ces deuxnouvelles (et Thérèse alors !). Rien à faire pour contester un nouveaudépart Outre-Méditerranée, mais pas question de prendre le chemin de lafrontière tunisienne. Je ne connaissais qu’une frontière, la marocaine et àproximité, qu’un poste, Térébinthes ; vision un peu courte de la géographiemilitaire de l’espace algérien, mais c’était la mienne ! Et puis, à la sortie deSt-Maixent, j’avais fait le choix, non pas de la simple “biffe” (malgré ses

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titres de gloire et notamment ceux du 153e) mais celui de l’Infanterie deMarine ; choix un peu court des armes de la Nation, mais c’était mon choix! Je suis donc immédiatement intervenu auprès du commandant O. àMarnia et de la Direction des Troupes de Marine pour obtenir monmaintien dans cette arme et mon retour à Marnia. Je n’ai pas eu à attendrelongtemps pour apprendre que mes deux requêtes avaient été prises enconsidération et satisfaites. Je restais “Marsouin” et revenais au II/22e

R.I.Ma. Quinze jours de permission m’étaient accordés (la règle avant toutdépart en Algérie) et le 13 septembre je prenais l’avion à Marseille pourOran. Pas de bâtiment de débarquement cette fois pour traverser laMéditerranée, mais une Caravelle. Le commandant tenait à me voir arriverle plus rapidement possible.

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RETOUR À MARNIASeptembre 1961 / février 1962

Quelques heures de vol et le 13 septembre je débarquais à Oran. Trèsrapidement, j’ai été amené à me rendre compte que l’Algérie que jeretrouvais n’était plus tout à fait celle que j’avais quittée quelques moisplutôt. Incontestablement l’état d’esprit et l’atmosphère avaient évoluédans le sens d’une dégradation irréversible. L’abandon de l’Algérie quiétait un pressentiment était devenu une quasi certitude tant pour lespopulations civiles musulmanes et européennes que pour l’armée. Lediscours de de Gaulle du 3 octobre suivant ne fera que la confirmer. L’OASétait maintenant une réalité au sein de la population européenne ; dans lesmilieux musulmans il était devenu de bon ton d’opérer un ralliement auFLN. L’armée qui dans sa grande majorité n’avait pas participé à l’aventuredu “Quarteron” ne pouvait pas ne pas cultiver un sentiment de profondeamertume. Elle tenait le pays, elle était toujours décidée à remplir sesmissions mais elle avait la très désagréable impression d’avoir été trompée.Dans le monde des harkis une inquiétude perçait, celle d’un avenirincertain et préoccupant. Mon retour à Marnia ne se présentait donc passous les meilleurs auspices ; c’était dans cette ambiance que m’attendaientle commandant O. et ses intentions à mon égard. Ces six derniers mois àfaire en Algérie, à Marnia, allaient prendre un tour très différent de celuides mois passés à Térébinthes.

O.R.

Je ne me suis pas attardé à Oran. À cela deux raisons ; l’atmosphère quiy régnait n’avait plus rien de commun avec celle que j’avais connue un anplus tôt. Elle s’était sérieusement dégradée depuis les grèves de décembre60 mais surtout à la suite du “Putsch” d’avril. Elle avait rejoint celle quim’avait fait vite déguerpir d’Alger. Plus question de prendre le temps deflâner le long du Front de Mer. “… Je t’avais promis un mot d’Oran. Enfait je ne suis resté à Oran que le temps d’aller de l’aéroport à la gare.L’atmosphère d’Oran est tellement lourde que j’ai préféré ne pas m’yarrêter…” (Lettre du 16/9/61). Et puis, seconde raison, on m’attendait

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à Marnia ; impatiemment ; le commandant du bataillon me l’avait répétélorsque d’Oran, je l’avais averti de mon arrivée. Tout fut donc fait pour quele trajet Oran-Marnia fût réalisé au plus vite. À Tlemcen deux jeeps dubataillon m’attendaient ; la sécurité était alors telle que cette partie dutrajet, pourtant en zone accidentée, pouvait être parcourue sans protectionparticulière. Mais avant de quitter Tlemcen je tenais à faire un tour àl’hôpital et retrouver l’équipe qui m’avait sorti d’affaire. Pas de chance, lecommandant Béréni et Melle Legendre étaient absents ; quant aulieutenant Luton, j’apprenais que je n’aurais plus l’opportunité de lerencontrer… il avait été rapatrié pour… amibiase ! lui aussi ! Il n’avait paséchappé au mal qu’il avait été si souvent amené à traiter.

J’arrivais au PC du bataillon pour le repas ; autour de la table, une têteconnue, celle du commandant ; pour le reste, uniquement des têtes que jen’avais jamais rencontrées. Le bataillon avait fait peau neuve. Présentationsvite expédiées ; repas achevé en un tour de main (ils ne traînaient jamais lesrepas du soir, pour cause de ramdam toujours possible sur le barrage à cemoment de la journée ; sur ce plan les choses n’avaient guère changé !) ;tête à tête dans le bureau du commandant qui me précisait, sans attendre,ses intentions à mon égard. Il avait besoin d’un officier de renseignement; il comptait sur moi car j’étais le seul officier à connaître correctement lesecteur de Marnia-rural. Dans la foulée il m’annonçait que le lendemainmatin je serais sur le terrain pour participer à une opération de ratissagequi devait passer au peigne fin la plaine entre Marnia et le barrage ; cela mepermettrait, entre autre, de faire connaissance avec l’équipe attachée àl’officier chargé du renseignement au bataillon. Va pour l’opération deratissage prévue pour 6h du matin (encore que je me demandais en quelletenue j’allais y participer ; je ne disposais d’aucun équipement, je n’étaisarrivé qu’avec une simple valise ; le reste, c’est à dire l’essentiel, était dansune cantine qui ne mettra qu’un mois pour traverser la Méditerranée… ).

J’y suis donc allé dans un accoutrement qui a suscité plus d’un sourire…Mais là n’était pas pour moi le problème, il était dans l’intention ducommandant de me confier le poste d’O.R. Profonde perplexité ! Laperspective de faire ce boulot ne me plaisait pas du tout. J’ai demandé aucommandant si son intention était un ordre à ne pas discuter ou si ellen’était qu’une proposition à laquelle je pourrais réfléchir et que je pourrais

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écarter. C’était une proposition. Je lui ai demandé 48 heures de réflexionavant de donner ma réponse. Délai accordé !

J’ai participé au ratissage qui… n’a rien donné (ce genre d’opérationd’ailleurs était le plus souvent d’une stérilité totale ; on nous voyait etentendait venir de loin et le “gibier” avait largement le temps de se terrerou de prendre le large). L’après-midi, je suis allé à Térébinthes ; j’étaisimpatient de revoir le poste ; les Africains étaient partis, les instits,remplacés mais Tonio, Kouider et les autres étaient là ; j’ai fait laconnaissance du nouveau responsable du poste et du village, l’aspirant J,Pied-Noir d’Alger. Lycéen, il avait participé aux manifestations dedécembre 60 lors de la venue de de Gaulle ; son sursis avait été cassé et ils’était retrouvé, après un stage E.O.R. à Cherchell, à Térébinthes ! Il étaitsympa, dynamique l’aspirant J et le poste était tenu de façon remarquable.Mais le rendez-vous le plus important c’est le soir qu’il a eu lieu, un rendez-vous avec René A., toujours en poste à la SAS de Beni Ouassine (… pluspour très longtemps !). J’avais besoin de discuter avec lui de la propositiondu commandant. Son sentiment, son avis m’étaient indispensables. Devais-je ou non accepter cette tâche qui me semblait plus que délicate àassumer ? Sa réponse a été sans détour. “Je n’ai pas de conseil à te donner.Tu connais la situation. C’est à toi de prendre tes responsabilités.”

Que voulait dire René A. ? Exprimer une évidence ou une mise engarde ? Compte tenu de la situation et de son évidente évolution, qu'il y aitun O.R. ou pas cela n'avait plus guère d'importance. Mais cela pouvait aussisignifier que accepter le poste d'O.R. supposait que je puisse être amené àcommettre, à faire commettre ou à couvrir des actes en totale contradictionavec mes convictions les plus profondes. Je pouvais, par conséquent refuserpar respect de ces convictions, mais cela aurait supposé que je laisse à unautre ces responsabilités que je refusais. Cette attitude ne me convenait pas; me défiler n’était pas dans mon caractère. J’ai donc accepté mais biendécidé à ne laisser planer aucun doute quant à ce que serait ma conceptiondu travail d’O.R. et par conséquent mon attitude. J’ai rendu une réponse endes termes qui ne pouvaient prêter à aucune ambiguïté. “Mon commandantj’accepte le poste d’O.R. du bataillon mais à une seule condition : quepersonne ne m’oblige à faire ce que je ne voudrai pas faire.” La réponsedu commandant a été tout aussi nette : “Vous avez carte blanche”. J’étais

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donc seul maître de mes gestes, de mon comportement. Je pouvais prendrela responsabilité de la recherche et de l’exploitation du renseignement ausein du 2e bataillon.

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Par rapport au mois de février, bien des choses avaient changé : lacomposition des troupes du secteur de Marnia, la physionomie du régimentet du bataillon, l’état du FLN, la situation sur le barrage. Le 22e R.I.Ma.n’était plus seul à tenir le secteur de Marnia, même s’il en avait conservéla responsabilité. Il avait reçu le renfort d’escadrons d’engins blindés du2e Régiment Étranger de Cavalerie, et d’une batterie d’artillerie fournie parle 10e Régiment d’Artillerie de Marine. Ces renforts, rendus nécessaires parles tentatives de franchissement du barrage au printemps, étaient destinésà maintenir l’étanchéité du barrage. Le régiment avait définitivementchangé de… couleur ! Tous ses éléments africains, soldats, sous-officiers etofficiers (il y en avait au PC du régiment) avaient été rapatriés et remplacéspar des appelés et des cadres venus de métropole. Le régiment s’étaiteuropéanisé pour l’essentiel mais il restait, bien entendu, les cadresoriginaires des Antilles et de la Réunion. Il avait également changé depatron ; le colonel F qui avait achevé son temps de commandement avaitété remplacé. Le bataillon était devenu, pour moi, méconnaissable ; biendes têtes avaient disparu, des changements d’affectation avaient été opérés,peu d’officiers étaient restés en place. V. à village 8 et le capitaine M. àBeghal étaient toujours là avec le commandant O., mais c’était bien tout. La6 avait perdu ses “joyeux lurons” remplacés par un capitaine ; Jean T. avaitcédé son poste d’O.R. (c’est lui que je remplaçais) pour le commandementde la 7 sur le barrage ; G. le toubib avait été muté, son poste étaitmaintenant occupé par un médecin capitaine secondé par un appeléMartiniquais, l’aspirant E. La spécialité de E. était l’Assistance médicalegratuite ; il en avait une autre, digne également d’intérêt, celle de recevoirtoutes les semaines, avec la plus grande régularité, une ration conséquentede rhum blanc ! C’est là que j’ai découvert le “ti-punch” et ses vertus ! LaCCAS avait changé de patron… et, j’en passe.

Le régiment n’avait pas été partie prenante dans l’affaire d’avril. Lecolonel avait réuni l’ensemble des officiers du régiment et le 22e R.I.Ma.

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avait adopté une position claire. Il ne rejoindrait pas le mouvement partid’Alger et réserverait ses forces à l’accomplissement de ses missions, lasurveillance du barrage et, à l’intérieur du secteur, le démantèlement del’organisation politico-militaire du FLN, deux tâches qui nécessitaient uneattention permanente pleine et entière. Le régiment était donc resté fidèleà la République et ses institutions. Mais il n’en demeurait pas moins quel’état d’esprit de ses cadres n’était pas des meilleurs…

Le monde de l’armée était parcouru par un sentiment de désarroi et dedésabusement. Le pouvoir politique, incapable de prévenir et de résoudrele problème algérien avait confié à l’armée une mission redoutable,conserver l’Algérie à la France. L’armée avait relevé ce double défipolitique et militaire et, dans l’ensemble, on peut affirmer qu’elle avaitatteint les objectifs qui lui avaient été assignés. Aux frontières avec laTunisie et le Maroc les forces de l’ALN, basées dans ces deux pays étaientcontenues, des franchissements avaient eu lieu, mais toujours limités etmaîtrisés. Le franchissement général des barrages et le déferlement àl’intérieur de l’espace algérien ne s’étaient jamais produits. Dans les villeset le bled, l’organisation du FLN avait été malmenée et n’était pasparvenue, malgré ses intentions et ses efforts, à prendre le contrôle du pays.Dans les années 56-58 la circulation routière dans la région de Tlemcen nepouvait se faire qu’en convois dûment protégés. Ce n’était certainementpas à ce moment là que j’aurais pu, comme je venais de le faire, rejoindreMarnia par la route sans prendre de particulières précautions. L’arméeavait donc rempli sa mission. Le problème algérien n’était plus unproblème militaire et si, aux frontières le canon tonnait avec persistance, cebruit avait plus une signification politique que militaire. Pour le FLN il étaitl’expression, non de sa puissance, mais de sa volonté d’affirmer au mondeson existence.

Le problème algérien, de fait, ne pouvait plus être considéré commeune affaire exclusivement nationale ; il avait acquis une dimensioninternationale qu’on ne pouvait plus ignorer. Malheureusement bien descadres (la majorité ?) se refusaient à l’admettre. La situation de 1961, eneffet, n’était plus celle de 1954. Nous n’étions plus seulement opposés à unmouvement de rébellion, nous avions contre nous la majeure partie desforces internationales, le Tiers-Monde, nouveau mais dynamique et

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agissant, le camp socialiste, l’ONU ; même les USA, au nom de leurHistoire et de leurs intérêts, ne nous apportaient pas leur soutien, bien aucontraire. Personne ne voulait se souvenir de la signification internationalede l’échec de la France et de la Grande Bretagne dans l’affaire de Suez en1956. Dans le concert des Nations, la position de la France était devenueintenable. Mais, je le répète, la plupart des cadres se refusaient à l’admettre,ils avaient donc non seulement l’impression, mais la conviction que lepouvoir politique, en l’occurrence de Gaulle, s’était joué d’eux. L’aura dugénéral était singulièrement entamée et rares étaient ceux qui, lui ayantgardé leur confiance, essayaient de faire comprendre sa politique. Leprocessus du référendum n’avait été accepté que du bout des lèvres, maisil représentait encore une carte à jouer, un espoir. En septembre 1961,l’illusion s’était envolée ; tout le monde était bien conscient que l’Algériemarchait à grands pas vers l’indépendance et ce ne sont pas les évènementsultérieurs qui auraient pu modifier d’une quelconque façon cet étatd’esprit. Ceci dit, personne au régiment n’était prêt à relâcher son effort,que ce fût sur le barrage ou à l’intérieur du secteur. Les missions restaientles missions !

Le FLN était contenu, c’était indéniable, mais le FLN était toujours làsur le barrage et à l’intérieur, c’était tout aussi indéniable.

Sur le barrage il se manifestait avec une vigueur soutenue ; lesharcèlements avaient pris de l’ampleur ; ils étaient devenus plus régulierset surtout plus intenses depuis que l’ALN avait renforcé sa puissance defeu. Ses forces au Maroc avaient été dotées de mortiers lourds de 120, deplus grande portée et d’effets plus destructeurs. L’ALN était donc à mêmede harceler nos postes et d’infliger des dégâts au barrage à partir depositions plus éloignées. Ces données nouvelles avaient contraint nos forcesà réagir en se dotant de moyens d’artillerie plus puissants et surtout plusprécis grâce à l’installation d’un réseau de radars anti-personnels et anti-mortiers. Ces radars étaient à même de déceler l’approche du barrage detoute troupe, même réduite et de détecter l’emplacement des mortiersharcelant nos postes. “… Depuis une heure je suis dans la salle d’écouteradar, car il y a une dizaine de fells, venant du Maroc, qui “s’amusent” lelong du barrage…” (Lettre du 1/10/61). La réplique de notre artillerie étaitde ce fait rapide, précise et parfaitement coordonnée par la présence auPC du bataillon d’un officier de liaison dépêché par l’unité d’artillerie

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implantée dans le secteur. Elle seule, par conséquent, détenait le droit derépliquer au feu de nos adversaires ; les postes avaient été priés de ne plusintervenir avec leurs mortiers comme ils l’avaient toujours pratiqué. Maisl’efficacité du feu de notre artillerie avait obligé l’ALN à installer ses enginsau plus près du territoire marocain quand ce n’était pas à l’intérieur de ceterritoire…

À l’intérieur, la situation de la rébellion avait également évolué. “… Iln’y a pas de bandes armées, mais depuis mon départ les fells travaillent lapopulation en profondeur. Les raisons de ce renouveau de l’actionpolitique au sein des masses sont simples. Au cours des mois de février,mars, avril, mai des franchissements d’importance très limitée ont étéopérés dans les montagnes, au Sud de Marnia. 95 % des fells ayant franchile barrage ont été tués ou faits prisonniers, mais parmi les 5 % restants il yavait tous les chefs. Ne pouvant se manifester militairement, ils ont axétoute leur action à réorganiser les cellules politiques. Ils y sont parvenus,aidés en cela par notre politique dirigée vers l’indépendance de l’Algérie.Il est de bon ton, à l’heure actuelle, d’être cotisant, chef de cellule ouautre…” (Lettre du 24/9/61). Le FLN était donc parvenu à maintenir unestructure de responsables politiques et militaires qui tenaient la nahia(1) deMarnia-Nedroma-Turenne (sur la route de Tlemcen) : quelques hommes,une dizaine de gradés et de commissaires politiques qui se déplaçaient enpermanence et disposaient de caches où ils trouvaient refuge, notammentle jour. Ils ne représentaient qu’un faible danger sur le plan militaire ; parcontre leur présence et leur action étaient bien réelles sur le plan politique.La situation n’était donc pas sensiblement différente de celle que j’avaisconnue à Térébinthes, sinon que le travail politique de la population par leF.L.N. était maintenant plus facile et apparemment plus efficace.

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Pour moi la situation n’était plus celle que j’avais connue à Térébinthes ;c’était maintenant dans l’ensemble du quartier de Marnia-rural qu’il fallaitque je joue à … cache-cache avec les quelques rebelles qui parcouraient lepays, que je perce à jour leur organisation. De plus, la fonction d’O.R. ne

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(1) Subdivision territoriale de l’organisation politique, administrative et militaire duF.L.N. Elle correspond en gros à un arrondissement.

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manquait pas d’une certaine complexité. Le renseignement n’était pas saseule mission ; une autre tout aussi essentielle lui incombait également,celle d’un officier opérationnel. Il s’agissait de coordonner les activités depatrouille et d’embuscade prévues et réalisées par les postes (Village 8,Térébinthes), la 6e compagnie et la propre équipe de l’O.R. Ces activités,généralement programmées de façon hebdomadaire, pouvaient êtremodifiées quotidiennement si le besoin s’en faisait sentir, soit à la demandedu bataillon, soit par les acteurs du terrain. Elles étaient systématiquementportées à la connaissance du régiment. Ce travail de prévision, de décision,de coordination exigeait une attention extrême ; il fallait avant tout éviterla rencontre de deux patrouilles ou, plus grave, de deux embuscades dansune même zone au même moment. Une fois, une seule fois, ce travail n’a puêtre mené avec la précision indispensable et cela nous a coûté très cher…la vie de deux hommes ; le premier bataillon de Marnia-Ville et ledeuxième bataillon venaient de passer près de 48 heures à réaliser uneopération décidée par le régiment. Au soir du deuxième jour, alors quetoutes les unités avaient regagné leur cantonnement, que l’opération étaitterminée, l’ordre est venu de monter une nouvelle série d’embuscades. Prisde colère, j’ai demandé au commandant quel était le… con qui avait eucette idée de génie. C’est à cette occasion que j’ai reçu du commandant O.une deuxième (la première datait de Térébinthes) “avoinée” magistrale ; ilen avait par dessus la tête de mes observations, de mes impertinences… !J’ai donc obéi et monté en toute hâte les embuscades que l’on attendait denous. Les ordres ont-ils été mal rédigés, ont-ils été mal transmis, ont-ils étémal interprétés, n’ont-ils pas été respectés (je n’ai jamais été à même de lesavoir) mais les limites entre les unités en opération n’ont pas été respectéeset deux hommes sont restés sur le carreau. Deux groupes d’embuscadeavaient décidé d’occuper le même emplacement… ! Cette nuit là, je n’aipas beaucoup dormi, conscient que j’étais peut être le responsable del’erreur tragique. Les jours qui ont suivi n’ont pas été faciles à vivre.

La quête du renseignement primait bien entendu sur toute autremission ; priorité absolue ! Tous les renseignements étaient bons à prendrequi complétaient ou mettaient à jour notre connaissance de l’organisationlocale du FLN, ses structures, ses effectifs, son action. La recherche d’indicespermettant de tracer les circuits empruntés par ses responsables, dedéterminer la localisation possible de leurs caches était privilégiée ; ces

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responsables étaient les gens dont il fallait coûte que coûte entraver laliberté d’action. Ce qui était également demandé à l’O.R., c’était d’êtrecapable, à tout moment, de préciser l’état d’esprit des populations, dejauger leur réceptivité à l’action de propagande de la rébellion, d’évaluerleur niveau d’engagement.

Des arrestations étaient incontournables ! Arrêter signifiait interrogerpour obtenir d’autres renseignements destinés eux aussi à être exploités.Et c’était bien là que se situait la grande question du cas de conscienceauquel je ne pouvais pas échapper : de quelle manière obtenir cesrenseignements, quel comportement adopter à l’égard des gens arrêtés etsoumis aux questions ? Le commandant et moi, lors de notre entrevue,n’avions pas prononcé le mot de torture, mais l’idée était bien dans notretête. Le commandant O. savait que j’avais totalement exclu de mon actionl’emploi d’une quelconque torture et il avait bien accepté que je n’y aiejamais recours. Notre accord était clair et définitif. Ceci dit, je me suisrapidement rendu compte que le mot torture ne signifiait pas uniquementsévices corporels, usage de la violence physique. Il recouvrait, à la vérité,une autre violence, celle de la peur. Toute arrestation déclenchait lesentiment de peur, la peur qui noue le ventre et envahit la tête. Avec elle latorture morale, psychologique devenait une réalité parfaitement visible surle visage et dans les yeux des gens arrêtés et questionnés. J’étais bienconscient de la chose, mais en acceptant le poste d’O.R. j’en avais accepté laresponsabilité ! Dans ces conditions comment faire pour obtenir lesrenseignements dont nous avions absolument besoin pour contrarier,limiter l’action du FLN ? Je ne travaillais pas seul, je disposais d’une équipeaguerrie dans ce domaine d’action, un groupe de recherche etd’exploitation (G.R.E.) constitué d’un petit nombre de harkis, pas plus desept, sous le commandement d’un sergent Pied-Noir de vieille lignéeespagnole, comme Tonio, le sergent S. Comme cela était fréquent, cesharkis, au service de l’O.R., étaient, pour la plupart, d’anciens fellaghasralliés. Ils connaissaient bien le secteur et n’avaient pas leur pareil pourlaisser traîner leurs oreilles au marché de Marnia et glaner des chosesintéressantes à savoir. S. opérait au sein du G.R.E. depuis de nombreusesannées ; lui aussi connaissait le secteur comme sa poche et il avait le don demener avec efficacité les interrogatoires. Jamais pressé, toujours très calme,maître de lui, mêlant insidieusement l’anodin et le sérieux, il cherchait à

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mettre les gens interrogés en situation de contradiction et parvenait le plussouvent à isoler le vrai du faux dans les réponses qui lui étaient fournies.Ses échecs étaient rares ; ses tête à tête achevés, il en savait toujours un peuplus de l’organisation du FLN et de ses membres. S. était très différent deTonio ; avec Tonio je m’étais entendu d’emblée ; avec S. cela a pris uncertain temps ; discret, et peu bavard il était d’un abord plutôt délicat… !Avec un étranger, et j’en étais un à mon arrivée, sa réaction première étaitla distance, pour ne pas dire la méfiance ; par ailleurs, vouant un véritableculte à Jean T, il avait mal supporté son départ du poste d’O.R. Àl’évidence, j’étais l’intrus ! Avant de m’accepter il fallait lui laisser prendreson temps et surtout lui donner l’occasion de juger sur pièce… J’ai donc étésoumis à cette période probatoire… Quelques semaines après j’étaisdéfinitivement adopté et jusqu’à la fin S. et moi avons eu les meilleursrelations. Je lui faisait entière confiance et cette confiance il me la rendait.Pour mener nos interrogatoires, nous nous étions rapidement mis d’accord,pas de violence mais… la méthode du verre de thé… nous buvions le théavec nos… interlocuteurs. Méthode sans aucun doute naïve, mais cettenaïveté a montré une certaine efficacité. Inattendu le rite du thé surprenaitmais mettait en confiance, détendait et déliait les langues, pas toutes, maisun bon nombre !

Elles se déliaient, en effet, facilement les langues, c’était un effet de…l’évolution de la situation et de… certaines pratiques du FLN ! “… Il est debon ton à l’heure actuelle d’être cotisant, chef de cellule ou autre chose.L’avenir est ainsi préparé… Au fond je rends d’immenses services aux gensque j’arrête…” (Lettre du 24/9/61). “… Les gens que nous arrêtons ne fontaucune difficulté pour reconnaître leur appartenance au FLN. Ils sontenvoyés en prison. C’est pour eux une garantie très sûre en ce qui concerneleur avenir…” (Lettre du 8/10/61). Non seulement l’appartenance au FLNétait reconnue sans difficulté mais dans la… “conversation” il était trèsfréquent d’en apprendre plus que nous l’espérions, surtout quand les gensarrêtés avaient auparavant subi des sévices de la part du FLN. Il n’était pasrare, en effet d’interroger des hommes que les fells avaient contraints enemployant la manière forte. Les tenants de l’indépendance ne se privaientpas de malmener sévèrement les récalcitrants, ni de les liquider, pourl’exemple, le cas échéant. De sorte que, lorsqu’on évoquait le ralliement dela population musulmane à la lutte pour l’indépendance, on pouvait

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toujours s’interroger sur ses ressorts… réelle conviction, ou opportunismeou coercition ?

Enfin c’était le FLN lui même qui pouvait être notre source la plusabondante de renseignements ; il avait des habitudes de paperassiers… ilécrivait beaucoup. Il suffisait (mais ce n’était pas tous les jours… !) demettre la main sur du courrier, des rapports, des comptes rendus decotisations, des listes de noms, pour réaliser une ample moisson derenseignements. À plusieurs reprises il nous est arrivé d’avoir la chance dedécouvrir de telles mines qu’on s’est empressé d’exploiter ou de faireexploiter. Le bataillon n’était en effet pas seul à courir après lerenseignement. À Marnia-Ville, l’O.R. du 1er bataillon et les services degendarmerie poursuivaient les mêmes objectifs. Ce que nous apprenionsau 2e bataillon pouvait les intéresser et vice versa. Cette collaboration avaitété suffisamment efficace pour que nous ayons une connaissance précisedes principaux responsables de l’organisation locale du F.L.N. Nouspossédions leur identité, très souvent leur photo ; même leur armementnous était connu. Mais ils continuaient à courir !

Tous les mois l’O.R. du bataillon était astreint à rédiger un bulletinmensuel de renseignements (B.M.R.) où il faisait le point de sesinformations et analysait l’état d’esprit en général. Ce B.M.R. prenait ladirection de Tlemcen pour recoupement avec le contenu des autres B.M.R.de la zone ouest oranaise. En principe il devait en résulter un travail desynthèse qui redescendait vers les sources initiales de renseignements… Jen’ai pas le souvenir d’avoir eu l’occasion de lire beaucoup de ces fiches desynthèse, mais j’ai le souvenir d’en avoir fait la remarque à l’occasion d’uneréunion des responsables du renseignement de la zone au PC dubataillon… Je ne suis pas sûr d’avoir fait plaisir à tout le monde… mais lecommandant, lui, a pleinement apprécié mon intervention. Il en connaissaitle contenu, l’avait approuvée et même… désirée. À l’occasion, lorsque lebesoin s’en faisait sentir (comme cela a été le cas après le discours de deGaulle du 2 octobre), les O.R. étaient convoqués à Tlemcen pour une miseau point collective qui n’était pas forcément consacrée à la seule situationintérieure de la zone ou de la région. Des informations pouvaient nous yêtre fournies qui concernaient la situation de l’A.L.N au Maroc ; pour nousqui étions sur le barrage, elles ne manquaient pas d’intérêt même si elles ne

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changeaient en rien la situation des postes et de leurs hommes soumis aufeu des harcèlements. Il n’était pas mauvais d’apprendre que l’A.L.N, auMaroc, était confrontée à des difficultés avec les Marocains mais aussi avecses propres troupes… Nous en avons eu plus tard confirmation.

Dans ses responsabilités de renseignement, l’O.R. du 2e bataillon devaitenfin remplir une tâche particulière ; la surveillance aérienne du barrage.Tous les deux ou trois matins, un hélicoptère était mis à sa disposition poursurvoler à faible hauteur le barrage dans le secteur tenu par le bataillon.Ces reconnaissances à vue avaient pour intérêt de permettre une inspectionde l’état du barrage, le repérage des sabotages dont il aurait pu faire l’objetet des dégâts occasionnés par les harcèlements, ainsi que la localisationd’une éventuelle tentative de franchissement. En principe ces vols effectuésà bonne distance des tirs de l’A.L.N. ne comportaient aucun risque sérieux.Et pourtant, une fois, l’hélicoptère à bord duquel je me trouvais a bien faillise faire descendre par un renard ! La bête s’était perdue au milieu desbarbelés et à l’approche de notre appareil elle a été prise de panique.Cherchant à s’enfuir elle a déclenché le dispositif de piégeage d’une minebondissante, l’engin a explosé à peu près à notre hauteur, mais,heureusement quelques fractions de secondes après notre passage. Cettereconnaissance aérienne s’est achevée à une altitude plus compatible avecnotre sécurité.

La préparation des opérations, la recherche et l’exploitation durenseignement occupaient une bonne partie de mon temps mais d’autrestâches venaient en complément qui faisaient que mes journées étaientcopieusement remplies. J’étais plus accaparé encore qu’à Térébinthes où jepouvais espérer, le soir, disposer de plages de tranquillité. Mon courriers’en ressentait, mes lettres étaient devenues, pour la plupart,squelettiques… le commandant m’avait confié (comme il l’avait fait avecl’O.R. précédant) deux autres missions dont l’esprit n’était pas éloigné decelui du renseignement, une mission de “public-relation” et une obligationde liaison permanente avec les différentes unités du bataillon. Le PC dubataillon accueillait fréquemment des visiteurs. Généralement il s’agissaitd’officiers supérieurs, voire de généraux venant d’autres secteurs, deTlemcen et même d’Oran, mais nos hôtes d’un moment pouvaient avoirune autre origine, de… Polytechnique, par exemple. L’Ecole avait dépêché

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dans notre secteur quelques uns de ses élèves pour les mettre en contactavec les réalités du pays. À chaque fois j’étais mis à contribution ; dans unpremier temps cela se traduisait par un “topo” sur la situation intérieure duquartier, et bien entendu, celle du barrage, après quoi je jouais les cicerones.Suivez le guide ! Le circuit ne variait guère, Térébinthes, c’était évident, etpuis, autre passage obligé, Beghal sur le barrage. Un condensé desproblèmes et des émotions ! Qu'allait-il rester de ces brefs tours d’horizon,de ces “excursions” expédiées ? La guerre d’Algérie en deux séquences !Difficile à dire, mais quelques jours après le passage des Polytechniciens jerecevais un petit mot qui me laissait entendre que la visite à Térébinthes etle détour par Beghal n’avaient pas été inutiles ; Térébinthes avait étél’occasion de mettre le doigt sur un des problèmes de la populationmusulmane et Beghal avait donné une idée, une toute petite idée, du rôledes postes sur le barrage et de la charge qui pesait sur eux.

Travail de liaison avec les unités du bataillon, la 6, les deux postes deVillage 8 et Térébinthes, la 7, la 8 et les marins du barrage. Le commandanttenait beaucoup à ces liaisons, mais pas à n’importe quelle forme de liaison.Pas le téléphone mais le contact direct, d’homme à homme ; il était à sesyeux le seul crédible et efficace. Il en attendait deux choses ; tout d’abordun rapport permanent de l’état d’esprit, de l’ambiance qui pouvaient régnerau sein du monde dont il assumait le commandement. Les postes desvillages étaient particulièrement concernés ; le moral des harkisavait tendance à se détériorer. Et puis notre chef de bataillon étaitparticulièrement vigilant, sourcilleux même, à l’égard du mordant de tousses subordonnés responsables de la sécurité à l’intérieur de son quartier.Il voulait du monde sur le terrain, beaucoup de monde, matin, midi et soir.Il avait facilement tendance à estimer que ses troupes n’en faisaient jamaisassez. J’avais ordre par conséquent de demander toujours plus des gensdont je coordonnais les activités. Là, mon rôle n’était pas des plus faciles àtenir ; je savais, par expérience, que la 6, les postes oeuvraient au grandmaximum de leurs capacités et ce n’était pas aisé de le faire admettre aucommandant O., toujours prêt à exploser quand il avait l’impression d’êtrecontré. J’ai eu à subir plus d’une fois ses bourrasques qui, heureusement,restaient sans séquelles dans le déroulement ultérieur de nos rapports. Jen’appréciais guère ce travail qui consistait à transmettre des ordres à desofficiers qui m’étaient supérieurs en grade d’autant que mon chef de

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bataillon ne s’embarrassait pas de fioritures pour les formuler et faireconnaître son sentiment. Les termes étaient parfois crus ; ils m’obligeaient,avant transmission, à prendre des gants et à faire preuve d’un peu dediplomatie… Un effort de traduction n’était pas inutile pour tenir comptede susceptibilités toujours possibles. Bref ce rôle de “tampon” au sein dubataillon ne me convenait guère.

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Par la suite les choses ont eu tendance à s’arranger avec l’arrivée au PCdu capitaine M. qui avait quitté Beghal pour prendre le commandementen second du bataillon ainsi qu’avec le remplacement, en décembre, ducommandant O., arrivé au terme de son temps de commandement, par lecommandant De R. Rien de commun entre les deux hommes ! Lecommandant De R. avait le propos tout aussi ferme et précis mais empreintde plus de forme. Ascendance oblige ! Ses ancêtres lui avaient transmis unnombre de quartiers de noblesse qui ne se comptait plus ! Il en avait hérité,cela ne souffrait pas le doute, une conception plus aristocratique de laconduite des hommes et des rapports avec ses subordonnés. Lescommandants O. et De R. étaient également exigeants, notamment àl’égard d’eux mêmes, mais ils l’étaient de façon totalement différente dansleur pratique du commandement. Au style plutôt bourru de l’un, s’estopposé le style plus policé de l’autre ; mais, que l’atmosphère ait été plus oumoins détendue, ce travail de liaison imposait des déplacementspermanents qui absorbaient beaucoup de mon temps. Il me fallait sillonnerle quartier dont le bataillon avait la responsabilité, souvent gagner Marniaet parfois pousser jusqu’à Tlemcen. Pour effectuer ces déplacements jedisposais, en toute liberté d’une jeep et d’un chauffeur ; c’étaient la jeep etle chauffeur de l’O.R. Je n’avais nullement besoin d’en faire la demandequand je devais me déplacer ; dès le matin elle était en attente devant le PCdu bataillon à l’ombre des… orangers !

Je considérais cette jeep comme un privilège, mais il n’était pas le seul.En héritant de la charge d’O.R. j’avais également hérité de conditions devie qui n’avaient rien de commun avec celles que j’avais connues àTérébinthes. Un danger guettait l’O.R. du jour où il prenait pension dans lavilla où était installé le PC du bataillon, le danger de l’esprit

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d’embourgeoisement. La chambre qui lui était réservée n’avait, en effet,rien d’austère ; au contraire ! Je ne l’ai pas occupée immédiatement ; lespremières nuits une pièce avait été mise à ma disposition dans un bâtimentannexe à la villa. Quand le transfert s’est effectué il s’est accompagnéd’une… découverte inattendue. En déplaçant le lit que j’avais utilisé ons’est aperçu que, ces premières nuits, je les avais passées en compagnie…d’un splendide serpent de plus de deux mètres de long. Je l’avais(inconsciemment) ignoré, il m’avait accepté, preuve que des cohabitationscontre nature sont toujours possibles !

La villa était installée au milieu d’un jardin planté de tous les agrumesde la terre d’Algérie, orangers, pamplemoussiers, citronniers, mandariniers ;il suffisait de tendre la main pour se servir ; quant aux parfums,indescriptibles ! Le bâtiment convenait à nos besoins avec sa cuisine, savaste salle à manger et ses trois pièces, utilisées l’une par le commandant,l’autre par le commandant adjoint ; et la troisième par l’O.R., l’homme dontle commandant pouvait avoir besoin à tout moment… pour des raisons deservice, bien entendu ! La chambre qui m’avait été attribuée et qui meservait de bureau était des plus confortables avec un cabinet de toiletteindépendant et une cheminée où les soirs humides et frais il était toujourspossible d’allumer une bonne flambée. Un luxe auquel Térébinthes nem’avait pas habitué. Pour ne rien gâcher, devant ma fenêtre, unmandarinier couvert des fruits les meilleurs que j’aie jamais mangés. Unparadis, somme toute !

Matin, midi et soir la salle à manger réunissait la fine fleur des officiersde la Coloniale ! Nous nous retrouvions ainsi une bonne douzained’officiers autour du commandant dans un ordre imposé par un protocoleauquel l’Infanterie de Marine n’avait pas renoncé ; en tête de table lecommandant et face à lui, à l’autre bout, le dernier sous-lieutenant ouaspirant arrivé au bataillon et affecté au PC. C’était à lui que revenaitl’honneur d’annoncer le menu du jour et de terminer sa lecture par letraditionnel “Au nom de Dieu” que nous achevions par un vigoureux “Vivela Coloniale” ! Le repas pouvait alors commencer, un repas toujours trèsconvenable car préparé avec soin par un jeune appelé gitan et cuisinier deson état, Galerne. Le vin servi était une production locale qui n’avaitaucune parenté avec le liquide fourni par l’Intendance ; le nôtre faisant au

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moins… 15° ! Le repas de midi ne s’éternisait en général pas ; celui du soir,nous le prenions très tôt après avoir sacrifié au sacro-saint apéritif (c’est làque j’ai fait la connaissance du “ti punch” introduit par notre aspiranttoubib qui avait tenu à conserver ses habitudes martiniquaises… ). C’est àl’A.L.N. que nous devions cette pratique d’un repas du soir pris en toutdébut de soirée ; nous ne tenions pas à le voir interrompu par unharcèlement intempestif du barrage qui pouvait démarrer dès 8 heures.Après le repas, s’il n’avait pas été abrégé, nous entamions une partie debridge qui, elle, en général n’avait guère de chance de s’éterniser.

Les harcèlements pouvaient donc se manifester très tôt et se terminertrès tard après une succession d’interruptions de nombre et de durée trèsvariables. En somme le rythme de vie, déjà évoqué, des postes du barrage.“… Sur le barrage, la situation est toujours la même. Toutes les nuits nospostes sont soumis à des actions de harcèlement. Ce n’est pas grave carbien souvent ce ne sont que de petits coups d’aiguilles. Toutefois, il y a unembêtement majeur, les nuits se font de plus en plus courtes. Parfois on seretrouve dans une situation à la fois cocasse et ridicule ; on commence lanuit au PC en tenue de combat et on s’y retrouve au petit matin… enpyjama, la faute aux harcèlements espacés au cours de la nuit. Lorsqu’ilsn’ont pas repris à minuit, on va se coucher et c’est toujours à ce moment làque les plaisanteries recommencent. Les plus rapides à se coucherrejoignent alors le PC opérationnel en pyjama. Il en résulte un mélangeamusant de militaires et de… “civils”. En général à 5 heures du matin, toutle monde est dans la même tenue… ! On en rit ; c’est la meilleureréaction…” (Lettre du 27/11/61).

À défaut de taper le carton nous pouvions aussi entamer nos soiréespar des discussions… sérieuses, cela surtout après l’arrivée du commandantDe R. ; il ne répugnait pas aux débats historiques. Fidèle à la Républiquemais ardent défenseur de la Monarchie il était bourbonien dans l’âme. Nosjoutes sur les chances et les modalités d’une restauration de la monarchieen France ne manquaient pas de sel et d’animation surtout quand je luifaisais valoir que la seule restauration possible ne pouvait être que celled’un Orléans. Un descendant du régicide Philippe-Egalité! Perspectiveinsupportable à ses yeux, plutôt la République… ! “… À la popote, toujoursla même ambiance. Nous nous lançons dans des discussions philosophico-

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historico-religieuses… Cela ne fait pas de mal de nous décrasser un peul’esprit. J’ai réussi à marquer des points contre le commandant…” (Lettredu 21/1/62).

Avec le commandant la discussion se déroulait toujours dans un esprit“bon enfant”. Avec d'autres officiers la passion pouvait être de mise dèslors que l'on abordait des sujets plus sensibles. Et Dieu sait qu'il nemanquait pas en Algérie en cette fin de 1961. Mais la retenue aidant, onévitait toute posture qui aurait pu créer une atmosphère inutile etdommageable de tension. Elle était suffisamment là, à l'extérieur du côtédu “Désert des Tartares”.

Bon gîte ! Bonne table ! Aimable conversation ! Apparemment tous lesingrédients d’une vraie vie de château ; … avec, en plus pour achever ledécor, la présence d’un chien ou plutôt d’une chienne dont l’O.R. avait lacharge !

“Elle” (s’était son nom) était un splendide berger belge à longs poilsdont je n’ai jamais su comment elle avait abouti au PC. Mais elle nemanquait pas d’être curieuse, cette bête ; on pouvait, en effet, se demandersi elle était la bête de l’O.R. ou si l’O.R. était sa chose ! Le fait était que lachambre de l’O.R. était la sienne et la jeep de l’O.R. la sienne également.Curieuse aussi en ce sens qu’elle ne supportait qu’une catégorie d’humains,ceux qui portaient l’uniforme et des hommes de préférence ! Tout habitcivil déclenchait des réactions de méfiance quand ce n’était pasd’agressivité. Mon coiffeur de Marnia a failli faire les frais de cette humeurségrégative. Comme cela m’arrivait parfois, je m’étais rendu à Marnia àpied en compagnie de “Elle” qui était bien suffisante pour assurer maprotection rapprochée, ma sécurité… nullement menacée d’ailleurs. Ausalon de coiffure, comme d’habitude, quelques minutes d’attente, “Elle”était allongée à mes pieds apparemment indifférente à la situation. Montour arrive, je m’installe dans le fauteuil qui venait de se libérer, le coiffeurme prend la tête dans ses mains… je n’ai eu qu’une fraction de secondepour saisir au vol “Elle”. Sans ce réflexe, elle mettait à mal mon barbierqui en a conçu une trouille gênante quand par la suite il a été obligéd’utiliser son rasoir ; je tenais “Elle” mais, pas un instant, elle n’a cessé degarder un œil vigilant et menaçant. Il lui est arrivé aussi d’avoir desréactions de mauvaise humeur en milieu exclusivement militaire. Une nuitvers trois ou quatre heures du matin à l’occasion d’une énième alerte sur le

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barrage, c’est le bon capitaine G qui a eu droit aux manifestations brutalesde l’instinct de surveillance de “Elle”. Il était entré dans ma chambre sanscrier gare ; c’était la maladresse à ne pas commettre… là aussi je n’ai euque le temps de retenir ma gardienne ; elle n’avait pas flairé l’uniforme etpour cause il avait été remplacé par un… pyjama ! En dehors de l’O.R., lemilitaire qu’elle tolérait le plus, c’était Galerne. Il la nourrissait etrégulièrement lui faisait sa toilette… Elle faisait fête également à Jean T.quand il passait au PC ; mais il n’était plus l’O.R., je l’avais remplacé.

Les derniers feux

Il me restait donc six mois à “tirer” pour en terminer avec mesobligations militaires, six mois au PC du bataillon, six mois dans la peaud’un officier de renseignement. Une charge dont, non seulement, je n’avaisjamais imaginé qu’elle me serait un jour confiée et à quel point elle allaitmonopoliser mon temps. “… Depuis hier soir, je cherche désespérémentun petit moment pour t’écrire, mais cela est du domaine de l’impossible…”(Lettre du 27/9/61… 14 lignes). La palme de la brièveté revient à la lettredu 9 décembre… 2 lignes “… Je n’ai pas le temps de pondre une lettre. Toutva bien…”.

Arrivé le 13, le 14 j’étais sur le terrain (plus en observateur qu’enacteur), le 15 les travaux pratiques d’O.R. pouvaient commencer ; ils l’ontfait à un rythme d’emblée élevé, arrestations, visites protocolaires, tournéesdes popotes. Dans les semaines qui avaient précédé mon retour, l’O.R.(Jean T) et son équipe avait mené une très longue enquête surl’organisation de l’appareil du F.L.N. au sein du quartier tenu par lebataillon. La quête du renseignement était achevée, le temps del’exploitation était arrivé. Jean T. avait effectué le travail initial, le plus long,le plus difficile, c’était à moi d’y apporter une conclusion. Dès le 15 aumatin, après accord du commandant, j’entamais avec S. et son équipe unesérie d’arrestations ; elles ont toutes été opérées dans les mechtas quin’avaient pas été vidées de leurs habitants et qui étaient situées à lapériphérie de Marnia, pour certaines, à proximité… du PC. Village 8 etTérébinthes sont restés à l’écart de cette opération, comme ils le resterontlors de celle qui suivra quelques semaines plus tard. Les informations dont

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nous disposions ne les ont jamais concernés. Quelle explication fallait-ildonner à cet état de chose ? Ou les deux villages devaient à la politique deregroupement d’avoir été peu touchés par le travail de subversion etd’organisation du F.L.N ou les investigations menées par le G.R.E.n’avaient pas été suffisamment poussées ! Quoiqu’il en soit Village 8 etTérébinthes ont été épargnés à mon grand soulagement ; j’aurais éprouvéun malaise certain à mettre en état d’arrestation des hommes d’un villageauquel j’étais toujours très attaché. J’ai tenu à être présent lors de toutes lesarrestations, plus d’une dizaine ce jour là et dans les jours qui ont suivi.Absence totale d’opposition, absence totale de violence (si tant est quel’arrestation n’en ait pas été une !). Les hommes arrêtés donnaientl’impression de s’être attendus à notre arrivée. Totale résignation… InchAllah ! Dieu l’avait voulu ainsi ! Je n’ai pas assisté à tous les interrogatoires.C’était le travail de S. et de quelques harkis du groupe ; mais c’est àl’occasion de cette première opération de démantèlement de cellules duF.L.N que j’ai pu me rendre compte du peu de conviction politique desgens recrutés par le F.L.N. La plupart, sinon tous, n’ont fait aucune difficultépour reconnaître leur appartenance à l’organisation rebelle et préciser leurrôle au sein du mouvement : responsable de cellule, collecteur de fonds,agent de liaison ou plus généralement simple cotisant. Pour la grandemajorité des gens arrêtés, nous n’avions rien d’autre à leur reprocher qued’avoir donné un peu de leur argent à la cause de la rébellion. Pour eux,d’ailleurs, cela représentait un moindre danger ; refuser de cotiser auraitsignifié plus d’ennuis que le contraire… Passage à tabac ouarrestation… le choix était vite fait ! La contribution révolutionnaire ne serepoussait pas !

Comme cela était fréquent, le résultat des interrogatoires a été tout à lafois instructif et… décevant. Nous n’avons rien appris des “gros bonnets”sur lesquels nous cherchions, avec persévérance, à mettre la main. Ce n’étaitpas fait pour nous étonner ; nous savions très bien que les hommes quivenaient d’être arrêtés et interrogés n’avaient pas été recrutés par lesprincipaux responsables du F.L.N mais par des “sous-fifres” opérant aumarché, à la mosquée ou au hammam de Marnia. Mais quelques petitsindices nouveaux nous ont été fournis qui ont donné au G.R.E. lapossibilité de poursuivre son travail de démantèlement des structures duF.L.N., travail incessant, jamais achevé ! La plupart des gens arrêtés ont été

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remis au régiment puis confiés à la gendarmerie (point de passage obligédans un État… de droit !) avant d’être traduits en justice, condamnés etplacés en détention. Pour ces gens là l’avenir était… radieux ; ils avaient enpoche leur brevet de civisme, de bons citoyens de la très prochaineRépublique algérienne ! Martyrs de la cause, ils pouvaient attendresérieusement la suite des évènements, d’autant que cette suite allait êtredéfinie de façon très claire par le chef de l’Etat peu après… Ceux quin’avaient pas pris les chemins de la détention ont été relâchés après avoirpassé deux ou trois jours sur le barrage où ils ont contribué à l’entretien despistes empruntées par la “herse”. Quelques heures de … travaux forcés, lasanction (arbitraire) du bataillon ! Pour ceux là aussi l’avenir était garanti; ils avaient été relâchés, certes, mais ils avaient été arrêtés ! Rentrés chezeux ils verseraient de nouveau leur cotisation et seraient, peut être, de laprochaine fournée des arrêtés… un peu plus d’un mois après, ce sera chosefaite ! Ceci dit, cet octroi d’un brevet de bon comportement politique, cettegarantie offerte d’un avenir tranquille n’étaient qu’une maigre consolationface au peu de goût que j’avais pour ce genre de travail.

Pendant que S. officiait, j’occupais mon temps à remplir des obligationsqui ne pouvaient attendre. D’abord des visites de politesse et de travail auxautorités de Marnia avec lesquelles j’allais devoir collaborer pratiquementau quotidien. Au PC du régiment, l’homme que j’ai rencontré en prioritéétait le responsable des activités opérationnelles menées à l’intérieur dusecteur. C’était à lui que je devais communiquer les intentions du bataillon ;j’en attendais le feu vert ou, au contraire, l’ordre de modifier monprogramme. Tous les matins, l’un des premiers coups de téléphone lui étaitréservé pour un compte-rendu des évènements de la nuit. Le personnageétait important pour moi, je ne devais pas le négliger. Nous avonsrapidement fait connaissance, établi d’emblée d’excellents rapports qui sesont maintenus par la suite. La prise de contact s’était donc passée commeje l’espérais. Scénario identique avec l’O.R. de Marnia ; nous avions tousdeux la même mission, mais dans des espaces à la fois différents et associés.Notre collaboration était incontournable pour des raisons faciles àcomprendre. Pour le F.L.N de la nahia, la main mise sur la population deMarnia était un impératif politique, mais pour atteindre cet objectif, sesresponsables devaient pouvoir rejoindre et quitter la ville et parconséquent traverser le territoire sous contrôle du 2e bataillon. L’O.R. de

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Patrouille

Recherche de caches - Fouille d’un pierrier

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Le minaret de la mosquée almoravide du XIe siècle

Tlemcen

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Petits commerces du centre ville

Le marché et ses étals

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Avec les officiers du bataillon

Retour de patrouille avec S. à la tête de son équipe

Le G.R.E.

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Prise d’armes à Térébinthes… la dernière !

Thérèse et le capitaine M., invités du G.R.E.

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Marnia agissait à l’intérieur de la ville et moi à l’extérieur. Nous devionsautant que possible coordonner nos actions. Là aussi, compréhension etentente immédiates, comme elles l’avaient toujours été entre les O.R. desdeux quartiers. Dans les semaines qui ont suivi nous avons eu, à plusieursreprises, confirmation de notre complémentarité ; c’est à la périphérie de laville qu’ont eu lieu un certain nombre d’accrochages entre la 6 et desresponsables itinérants du F.L.N. Ce n’était pas une nouveauté ! Enfin labrigade de gendarmerie avait aussi sa section de renseignement ; elle étaitdirigée par un adjudant-chef à l’accent rocailleux du Sud-Ouest. Il était enposte à Marnia depuis un bon bout de temps et il connaissait bien sonmonde et son métier. Très bon enfant, l’adjudant-chef parlait volontiersnon pas tellement pour faire part de ses secrets mais plutôt pour “piquer”ceux des autres ! Il n’avait pas son pareil pour tirer les vers du nez de sesvisiteurs… Ma naïveté initiale lui a facilité la tâche… Je ne m’en suis pasému outre mesure ; j’avais bien l’intention de le mettre à contribution lemoment venu pour me… “dénicher” la pièce dont j’avais besoin pourabriter Thérèse quand elle me rejoindrait à Noël ! L’aide a été limitée… lebon tuyau m’a été fourni par l’O.R. de Marnia !

Marnia, c’était surtout René A. Avec lui, il ne pouvait s’agir de protocolemais bien d’amitié. J’avais hâte de le retrouver à la SAS des Beni-Ouassine; il était celui avec lequel j’avais entretenu les meilleurs rapports du tempsde Térébinthes ; pendant mon hospitalisation lui et sa femme avaientaccueilli avec beaucoup de gentillesse Thérèse ; et puis, je l’ai dit, j’avaisbesoin de son sentiment avant d’accepter le poste d’O.R. Le René A. queje retrouvais n’était plus tout à fait celui que j’avais quitté quelques moisplus tôt, plus le même allant, un moral défaillant, beaucoup d’amertume.Discret quant à ses états d’âme, je n’ai pas su exactement ce qui pouvaitexpliquer un René A. si différent. La perspective d’une éventuellesuppression de la SAS ? Une dégradation de ses rapports avec les autoritéset les notabilités du coin ? Des divergences de vue avec son autorité detutelle, l’armée ? L’intime conviction que son travail ne servait plus à rien? (ce en quoi son état d’esprit aurait été très proche de celui de bien desresponsables militaires). Quand nous nous sommes retrouvés, je ne medoutais pas que son départ était imminent. “… Tu me demandes desnouvelles d’A. Il est sur le point de quitter Marnia. Lui et le chef de la SASde Marnia commençaient à devenir gênants pour certaines personnalités.

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Ils ont donc été plus ou moins virés. Voilà ce qui arrive à ceux qui veulenttrop bien faire et surtout rester honnêtes. L’Algérie en est au règne dumaquereautage…” (Lettre du 11/10/61). J’ai regretté le départ de René A.comme on peut regretter le départ de quelqu’un dont on se sent proche. Jene l’ai plus jamais revu, mais ne l’ai jamais perdu de vue… la lectureassidue du journal Le Monde m’a permis de suivre les traces d’une carrièreultérieure brillante dans les Affaires Étrangères.

Retrouvailles obligées avec tous ceux qui, un an auparavant, avaientcontribué à mon initiation aux joies des tâches militaires en terrealgérienne. Circuit identique mais réalisé cette fois plus rapidement et parla suite maintes fois répété. La 6 était maintenant commandée par un jeunecapitaine qui … “pétait le feu” ; il n’était vraiment pas nécessaire (commele réclamait le commandant O.) de le pousser aux fesses pour le retrouverlui et ses hommes sur le terrain. Il “bouffait” du fell avec un réel entrain !Et surtout il était d’humeur heureuse et d’esprit pas très formaliste. Nosrapports n’ont donc pas connu la moindre complication. Jamais unerouspétance quand on lui suggérait de modifier ses projets. Pas de surpriseni de complication non plus avec le seigneur de Village 8 ; V. était toujoursen place et n’avait pas changé de caractère. Il se plaisait dans son fief oùpersonne ne venait lui casser les pieds. On se connaissait, on se comprenait ;quand nous avions à nous dire quelque chose nous n’avions pas besoin denous embarrasser de formules alambiquées. On se retrouvait toujours defaçon très décontractée ; j’aimais lui rendre visite. Il ne se faisaitcertainement aucune illusion quant au devenir prévisible (oh combien !) del’Algérie mais il ne voulait pas donner l’impression d’en être affecté… Iln’a pas quitté l’armée une fois l’affaire algérienne réglée ; il y a fait carrière.Grâce à la télévision, j’ai retrouvé le personnage à l’occasion d’uneémission sur le Liban ; il était en poste à Beyrout à l’époque où notreambassade était au prise avec quelques difficultés… Ce n’était plus lelieutenant V. mais le colonel V. !

Térébinthes, je l’ai dit, a été ma première visite. Je ne pouvais attendre.Tonio, Kouider et moi (sans parler des autres) nous nous sommes retrouvésavec plus que du plaisir ; l’émotion était au rendez-vous, une émotion bienréelle, non feinte. Nous avions passé trop de temps ensemble, nous nousétions trop parlés, nous avions participé à trop de sorties communes pour

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qu’il n’en fût pas ainsi. Leur moral m’a semblé entamé ; il le sera un peuplus quelques semaines plus tard. Il manquait au poste R. et D. ; la “quille”venue (ils l’attendaient) ils avaient regagné la métropole. Des éducateurscivils s’occupaient maintenant des enfants du village. Avec la mêmepassion ? Je n’aurais pas pu l’affirmer. Fahres était toujours en place, leschefs de douar aussi. Quand nous nous sommes revus ils ont évoqué laouada de février et notre prière commune pour réclamer au ciel un peud’eau ; une nouvelle ouada était prévue, toujours pour solliciter le précieuxliquide, la ouada d’automne ; j’étais donc convié à me joindre, cette foisencore, à leur invocation d’Allah le bienfaiteur. J’y suis allé et c’est de cettemanière que j’ai renoué avec le village. La prière a été entendue, l’eau esttombée en abondance ; l’oued Mehaguen s’est déchaîné mettant à mal toutce qui pouvait entraver son cours… le barrage était malheureusement dansce cas… ! Bonjour les dégâts ! L’état d’esprit du village ? Certainementdifférent de celui de février ! Le barrage étant situé à proximité, leshabitants auraient dû être particulièrement sourds pour ne pas percevoir legrondements des harcèlements plus nombreux et plus bruyants. Radio-Rabat était toujours aussi écoutée ; le contraire eût été étonnant. Onpouvait considérer comme probable que ses commentaires laissaient demoins en moins insensibles ceux auxquels ils s’adressaient. L’idéed’indépendance avait dû, là aussi, faire du chemin. Mais quel chemin ? Desévènements qui se dérouleront à Marnia en novembre m’apporteront lapreuve qu’il restait bien difficile de se faire une idée exacte de l’état d’espritde la population.

Je retrouvais Jean T. à la 7 ; il avait changé d’horizon, il était maintenanttourné vers le désert des Tartares ! Plus que tout autre, Jean T. éprouvait lesplus vives inquiétudes à l’égard du sort de la terre où et pour laquelle il sebattait. Je le savais très attaché à l’idée d’une Algérie qui resterait française.Il n’en parlait pas, répugnait à étaler ses états d’âme, essayait de donner lechange en plaisantant mais il souffrait de ce qu’il pressentait. Ils étaientnombreux les officiers, les jeunes surtout, à être dans ce cas. Le capitaine M.était toujours le maître de Beghal… égal à lui même… affable, peu bavard,calme, observateur souriant et discret de son monde. Quelques semainesplus tard j’apprécierai encore plus ces qualités quand il rejoindra le PC dubataillon pour seconder le commandant O. C’est par lui que j’ai appris quepour les Basques, ses frères, le pôle nord commençait à Arcachon !

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La situation de Beghal et d’une façon générale de tous les postes, n’étaitnon plus tout à fait celle de février. Les tâches n’avaient, certes, pas changé,les vadrouilles de la herse étaient toujours de mise, les harcèlementsnocturnes, au menu. Mais les manifestations de l’A.L.N étaient devenuesplus rudes, plus fréquentes ; on sait pourquoi. Dans une de mes lettresj’avais utilisé, évoquant ce qui se passait sur le barrage, l’expression de“petits coups d’aiguillon” ; la formule était peut être justifiée certains soirs,mais elle ne l’était certainement pas la plupart du temps. Les postes étaientrelativement peu visés ; c’était le barrage qui attirait les foudres de l’A.L.Ndont l’objectif était d’y ouvrir des brèches pour permettre sonfranchissement par de petits groupes. À l’intérieur des postes une certainegrogne était perceptible ; une grogne toute nouvelle engendrée par ladécision, prise en haut lieu, de laisser à la seule artillerie le soin de riposter.Les sergents de Beghal qui avaient l’habitude de se “défouler” en faisantparler leurs mortiers se sentaient lésés ; rester passifs, encaisser sansbroncher, ce n’était pas leur tasse de thé ! Le capitaine M. partageait cetétat d’esprit, lui aussi éprouvait de fortes réticences à l’égard de cesdispositions reçues comme une gifle ! Mais il était officier, état qui imposaitde servir dans l’obéissance ; ses mortiers s’étaient donc tus. Ironie de la vie,sa carrière militaire avait commencé par un engagement derrière l’auteurd’une des plus belles désobéissances dans l’Histoire militaire de la France,la désobéissance de l’Homme du 18 juin 1940. Au bataillon il était le seulparmi les officiers à avoir rejoint, en Afrique Noire, les forces de de Gaulle !

Ces visites achevées (mais répétées régulièrement par la suite), j’aipu réellement commencer mon travail d’O.R. avec S. et son équipe. Horsles arrestations et les interrogatoires qui n’étaient tout de mêmequ’occasionnels (deux fois en six mois), S. passait son temps, le jour àchercher, la nuit à se planquer, mais pas n’importe où, là où ses soupçons lepoussaient. À Térébinthes, je… “travaillais au pif”, sauf exception ; S.,généralement pas ! Il savait où il fallait mettre les pieds. Quand j’en avaisl’occasion, je l’accompagnais ; je dis bien “je l’accompagnais” car je lui aitoujours laissé le soin de conduire sa boutique. Le soir, il n’en était pasquestion bien sûr, j’étais coincé au PC, sauf certains soirs où il nous estarrivé de filer de toute urgence sur le barrage en compagnie ducommandant. C’était l'habitude quand les fells du Maroc donnaientl’impression de s’en prendre de façon particulièrement vigoureuse en un

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point précis du barrage. J’avais ordre de suivre avec toute mon équipe.

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Dans la deuxième quinzaine de septembre, nous avons été confrontés àune activité intense et même peu coutumière de la part des responsablesfellaghas du secteur. Les accrochages se sont multipliés, trois en quelquesjours, toujours aux approches de Marnia surveillés par la 6e compagnie. “…Ces derniers jours ont été très fertiles en incidents. Il y a trois jours, une denos embuscades nocturnes a accroché un petit groupe de fells. Le chef dece groupe a été tué. Sur lui nous avons récupéré un important armement etdu courrier des plus intéressants. Ce soir là, je me suis couché à plus d’uneheure du matin. Avant hier soir c’est un harki de chez nous qui a étégrièvement blessé au cours d’une embuscade…” (Lettre du 1/10/61).Troisième accrochage juste après l’envoi de cette lettre. Pas de sang ce soirlà, mais le lendemain matin je suis retourné sur les lieux de l’accrochage, ungroupe de mechtas en principe vides. S. n’était pas de la partie, il s’étaitabsenté quelques jours pour rejoindre sa famille à Sidi Bel Abbès. Paracquit de conscience j’ai fait le tour des maisons, visitant les pièces. Dansl’une d’entre elles il y avait un petit brasero qui manifestement avait servipeu de temps auparavant ; le fond était recouvert d’une couche de cendresrécentes et sous les cendres… tout un tas de petits billets soigneusementpliés et collés. Sur le dessus ils étaient en partie consumés, mais en dessous,ils étaient intactes… le courrier du groupe de fellaghas qui avaient échappéà l’embuscade ; courrier rédigé en arabe dont le contenu a particulièrementintéressé l’O.R. de Marnia, il concernait l’organisation F.L.N de la ville…

Quinzaine mouvementée mais également riche d’un incident qui a faitla une de la presse et mis en joie le secteur : la façon très originale choisiepar deux légionnaires du 2e R.E.C. pour mettre un terme à leurengagement. “… Hier par contre ce qui s’est passé est beaucoup plusamusant. Deux légionnaires d’origine allemande ont… emprunté un blindéet se sont enfuis au Maroc. En quelques minutes ils sont arrivés à Oujda parla route. Tout le monde rigole de cette histoire sauf, bien entendu, le chefd’unité des deux légionnaires. Le plus amusant c’est que les gars sont partisde leur cantonnement à Marnia en se mêlant à un escadron qui partait faireun exercice de tir devant le barrage du côté de Beghal. Arrivés à Beghal les

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deux légionnaires, en queue de convoi, ont filé tout droit à Oujda. C’estnous qui avons averti le capitaine commandant l’escadron ; il ne s’étaitaperçu de rien. Ceux qui ont eu une sacrée trouille ce sont les Marocains enposte à la frontière ; à la vue d’un blindé arrivant à toute allure, ils ont cruque nous les attaquions…” (Lettre du 1/10/61). L’affaire a occupé le devantde l’information pendant quelques jours, mais n’a pas trop perturbé nosrelations avec les Marocains. Les deux déserteurs ont gagné leur liberté ;quant au blindé, je n’ai pas le souvenir de son retour à Marnia !

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Septembre avait été très occupé, octobre et novembre ont suivi avec enprime un air ambiant plus nerveux. Tout s’y est prêté ; de Gaulle a parlé etle F.L.N avait des anniversaires à honorer ! Tous les ingrédients pourdéclencher une poussée de fièvre tant sur le barrage qu’à l’intérieur duquartier. 2 octobre, discours de de Gaulle, l’Algérie de nouveau en question: “… Pour ce qui est de l’Algérie… nous n’avons pas cessé, depuis trois ans,de nous approcher du but que j’ai fixé au nom de la France : exercice parles Algériens du droit de disposer de leur destin ; institution, s’ils le veulent-et je ne doute pas qu’ils le veuillent- d’un État algérien indépendant etsouverain par la voie de l’autodétermination… Nous adjurons les Françaisd’Algérie… d’apporter leur franc concours à la naissance de l’Algérienouvelle…” (Charles de Gaulle - Discours et Messages - Avec leRenouveau 1958/1962 - p 350351 - Plon). Dans la même intervention lechef de l’Etat avait un mot… aimable pour l’armée dont il reconnaissait letravail accompli et confirmait la mission… “Dans le même temps… l’arméefrançaise et les forces de l’ordre françaises devaient s’assurer de la maîtrisedu terrain. Cela a été fait…” Cet hommage n’était certainement passuffisant pour occulter l’expression tant redoutée par une armée qui avaittout mis en œuvre pour la rendre à tout jamais impossible… “Un Étatalgérien indépendant”. La potion était amère pour la très grande majoritédes cadres, sinon leur totalité. La troupe elle, n’a pas ressenti d’émotionparticulière ; elle donnait une impression d’indifférence au problème dudevenir de l’Algérie et aux états d’âme de ceux qui la commandaient ; sonproblème était d’en terminer au plus vite avec un service qui semblait nepas avoir de fin. Mais dans le même temps elle restait solide ; elle a continuéà obéir… comme le faisaient leurs officiers. “… Tu me demandes qu’elles

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ont été les réactions à la suite du discours de de Gaulle. Dans la populationil n’y a pas de réaction apparente. Le discours a vraisemblablement étéécouté et commenté, mais ces commentaires ne me sont pas encoreparvenus… Au sein de l’armée, l’atmosphère est plutôt lourde. Les gensqui apprécient de Gaulle sont de plus en plus rares. En avril, il y avaitencore des gradés qui accordaient une confiance certaine à de Gaulle. Plusmaintenant ! D’ailleurs les sujets politiques sont évités dans les discussions; on sent aisément une unanimité contre le “Grand Charles”… Quant auxharkis il est certain que beaucoup sont inquiets. Cela aussi se comprend.Ce sont des gens qu’on a “mouillés” et ils s’aperçoivent qu’ils vont êtreabandonnés comme de vulgaires chaussettes…” (Lettre du 8/10/61). J’avaisutilisé le mot “abandonnés” mais je ne pensais pas à quel point il seraitl’expression exacte d’une tragique réalité. Cette inquiétude des harkis j’aipu la percevoir à Térébinthes mais également au sein de mon groupe. S,qui lui-même était soucieux comme l’étaient tous les Pieds-Noirs, m’avaitfait part du malaise qui montait au sein des harkis du groupe. Il fallaitl’apaiser, nous avons donc pris la décision d’être le plus souvent possibleauprès d’eux, notamment le soir quand une sortie n’était pas inscrite auprogramme. J’abandonnais alors la table du PC pour partager, encompagnie de S, le repas du groupe.

Aux effets que l’on pouvait redouter du discours de de Gaulle, il fallaitajouter ceux d’anniversaires que le F.L.N avait l’habitude d’honorer.Octobre et novembre étaient deux mois riches en évènements dans lamythologie du mouvement, novembre avec l’insurrection de 1954 etoctobre avec… la capture de Ben Bella en 1956. Traditionnellement lesinstances de la rébellion tenaient à marquer ces évènements à leur manière,sur le barrage par beaucoup de bruit, en ville par des invitations àmanifester. Le 22 octobre et le 1er novembre avaient le don de susciter ausein de l’Etat-major du secteur une nervosité extrême. “… Depuis 48heures, je n’ai pas une minute à moi en raison des évènements qui auraientpu se dérouler à l’occasion de l’anniversaire de la capture de Ben Bella (ilne faut pas oublier qu’il est de Marnia). Beaucoup de précautions ont étéprises et qui dit précautions, dit mise sur pied de guerre de la troupe et descadres… Il n’y a rien eu à l’intérieur mais hier soir, sur le barrage, il y a eudu grabuge…” (Lettre du 23/10/61). Pour le 1er novembre, rififi du mêmeordre ! “… Le 1er novembre a été pour nous une source d’inquiétudes. Nous

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pensions avoir des ennuis sérieux à la fois sur le barrage et à l’intérieur.Pour parer à toute surprise, nous n’avons pas ménagé les précautions. Dansla nuit du 31 au 1er, nous ne nous sommes pratiquement pas couchés. Enfait cette nuit là, l’activité de l’A.L.N sur le barrage n’a pas pris un aspectparticulier. Cela nous a un peu étonnés car selon de nombreuxrenseignements, les fells devaient nous mener la vie dure. Il n’en a rien été.Tant mieux pour nous. Ce calme de la frontière a déteint sur l’intérieur. Lajournée du 1er novembre n’a jamais connu le caractère de gravité que nousattendions. Pour faire face à toute éventualité, beaucoup de troupes avaientété massées à Marnia. Mais là où le colonel s’est montré astucieux c’est endécidant de ne pas montrer ses troupes. Dès 6h du matin elles ont gagné “laRedoute” (la citadelle de Marnia siège du PC du régiment et de l’ensemblede ses services) par petits éléments discrets. Elles n’en ont pas bougé de lajournée. Le colonel voulait ainsi éviter d’exciter la population. Il y aparfaitement réussi…” (Lettre du 3/11/61).

Effet de Gaulle ou pas, volonté de la rébellion de donner un coup derein ou pas, il est un fait que, à l’exception curieuse du calme du 1er

novembre, octobre et novembre ont été agités. Sur le barrage, l’A.L.N adéployé une activité qui est allée crescendo. Dans la quasi totalité de meslettres le mot “harcèlement” revient, plus que jamais, comme une rengaine !“… Hier soir les emmerdements à la frontière ont commencé dès 20 h.Comme j’étais officier de permanence, je n’ai pas eu beaucoup l’occasionde dormir cette nuit… Dimanche soir, la comédie du barrage a repris sesdroits…” (Lettre du 18/10/61). Ce remue-ménage à la frontière n’était pasdestiné seulement à nous tenir en haleine ; il traduisait une autre intention,celle de couvrir des opérations de franchissement. La tentative, réussied’ailleurs, a eu lieu au sud du secteur, là où les monts de Tlemcen seprolongent en territoire marocain ; la nature accidentée du terrain était unfacteur de réussite. Mais, même notre secteur, pourtant en plaine, a faitl’objet d’une tentative de passage ; nous en avons eu la meilleure despreuves. “… Dimanche matin, j’ai consacré une bonne partie de mon tempsà identifier le cadavre d’un fellagha entre le barrage et la frontière…”(Lettre du 18/10/61). Sur le corps, absence de vêtements militaires mais uncostume civil qui, après franchissement, aurait pu permettre une faciledisparition au sein de la population ; dans une petite sacoche, deux objetsd’une très grande banalité… l’attirail du parfait passeur, un coupe-ongles

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et une petite radio à piles… le coupe-ongles pour couper les fils depiégeage des mines du barrage, le poste pour détecter le balayage des ondesémises par nos radars ; à l’approche de ces ondes, le poste grésillait et lescandidats au passage se plaquaient au sol pour ne pas être repérés. Notrehomme était-il seul ou accompagné ? Pas de réponse à cette question maisnous avons pris les précautions d’usage pour déplacer son corps et lefouiller. Par expérience nous savions que les fellaghas, avant de se retirer,prenaient la peine de piéger leurs morts… La prudence s’imposait donccar, sans elle, boum ! Et des dégâts dans l’assistance ! Par chance notrefellagha du jour n’avait pas été transformé en piège… à cons (selonl’expression à la mode) !

À l’intérieur aussi l’organisation rebelle continuait à donner denombreux signes de sa vitalité. Les renseignements recueillis par S. et sonéquipe laissaient entendre que les cellules que nous avions démanteléess’étaient reconstituées. Nous avions appris également que des cachesauraient été aménagées dans des mechtas habitées de la périphérie deMarnia, certaines à peu de distance du… PC du bataillon. Mais lesquelles ?Toujours selon ces mêmes bruits ces caches n’étaient pas enterrées maiscoincées à l’intérieur des mechtas entre un mur extérieur et une faussecloison intérieure… Nous avons cherché, en vain ! Il aurait fallu mettre àmal les maisons suspectées… On s’y est refusé. Plus significatives encore,des initiatives, peu nombreuses il est vrai, mais qui semblaient traduire leretour de la rébellion à un comportement plus agressif. Les responsablesfellaghas, ceux qui parcouraient le pays pour consolider ou reconstituerleur organisation, avaient pour habitude de tout faire pour nous éviter ;leurs objectifs étaient politiques et leurs agissements, discrets. Fin octobrerupture avec cette attitude, à notre grand étonnement des sabotages étaientcommis sur les lignes téléphoniques. Des dégâts limités, mais depuislongtemps nous n’étions plus habitués à ce genre de manifestation. Nousavons accordé à cet acte son sens vraisemblable ; il n’avait certainementpas pour objectif de perturber sérieusement nos communications mais pluscertainement de nous narguer et d’illustrer l’inanité de notre action. Ungeste symbolique en somme, mais les symboles ont toujours unesignification. Fin novembre, nouvelle entorse à la discrétion coutumière denos adversaires. “… Dans la nuit de samedi à dimanche une embuscade dechez nous a abattu un fell en arme. Pour être plus près de la vérité il faut

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dire que c’est notre embuscade qui est tombée dans une embuscade fell. Iln’y a pas eu de casse chez nous, par contre les autres y ont laissé desplumes…” (Lettre du 27/11/61). Cette affaire était surprenante ; le F.L.N ducoin n’avait aucun intérêt à rechercher l’affrontement direct ; il savait trèsbien que sur ce plan il ne faisait pas le poids et qu’il y avait tout à perdre.Alors ? Selon toute vraisemblance les deux troupes se déplaçaient en touteignorance l’une vers l’autre ; le groupe des fellaghas a dû détecter le nôtreen premier, s’est planqué et a ouvert le feu. L’embuscade n’a été pour luiqu’une opportunité et non le fruit d’une action délibérée. Mais il n’endemeure pas moins que ce soir là, les fells, au lieu de rester tranquilles, delaisser passer nos hommes, de continuer leur chemin, ont pris l’initiativede l’affrontement.

Il paraît que cent fois sur le métier il faut se remettre… Nous noussommes remis sur l’ouvrage fin octobre en procédant à une nouvelle séried’arrestations. Plus d’une vingtaine de membres de l’organisation locale duF.L.N ont donc rejoint le cantonnement… avant de prendre le chemin deceux qui les avaient précédés. C’est au cours de cette opération que j’ai eul’occasion de me rendre compte des méthodes de recrutement du F.L.N.Plusieurs des hommes arrêtés, des collecteurs de fonds, étaient dans un étattel que nous avons commencé par leur apporter les soins qu’ilsnécessitaient… Nous n’avons même pas osé les interroger, nous les avonsrapidement remis en liberté. Ce n’était plus moi, l’O.R., le méchantmatraqueur, le vilain petit canard à mauvaise réputation ! J’avais presquel’impression d’être un avatar du Bon Samaritain !

Mais j’éprouvais toujours aussi peu d’appétit pour ce genred’occupation ; cela d’autant moins qu’il était hors de question que je m’enprenne à ceux qui se plaçaient à l’abri de leur position sociale… Lesproches des notabilités locales étaient intouchables en dépit de ce que noussavions de leur prosélytisme en faveur du F.L.N. C’était le cas du frère duCaïd du coin ; la famille s’était partagée la tâche ; l’aîné, le caïd, fricotaitavec le pouvoir encore en place, le frère préparait l’avenir… S. m’en parlaitsouvent, les harkis ne comprenaient pas notre sévérité à deux vitesses ;alors, ensemble, nous avons pris la décision de braver le tabou… Arrêté, lepetit frère du caïd s’est retrouvé sur les pistes du barrage. La réaction deslampistes qui s’y trouvaient déjà a fait plaisir à voir… Après un moment de

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surprise, ils ont accueilli par des rigolades leur nouveau compagnon. Lasuite ?… un tohu-bohu politico-militaire ! L’affaire est montée dare-dare àParis, puis redescendue en cascade au bataillon en passant par Oran quin’en savait rien, Tlemcen qui n’en savait pas plus, Marnia où le colonelignorait tout, enfin le bataillon où le commandant est tombé des nues, etpour cause ! Une cascade de savons ! J’aurais dû, à cette occasion, êtregratifié d’une troisième avoinée maison de la part du commandant O. Jem’y attendais… Pas la plus petite engueulade ; je ne m’y attendais pas !Simplement, après explication le commandant m’a… “paternellement”demandé de l’avertir de mon prochain mouvement d’humeur et faitremarquer que j’avais frôlé les arrêts de rigueur, “15 Gros” selonl’expression consacrée du vocabulaire militaire ! Le colonel a été mis aucourant et l’affaire en est restée là. Le cadet du caïd a été relâché, bienentendu. J’ai eu l’impression que ma hiérarchie locale avait plutôt bienapprécié mon indiscipline. Il paraît qu’on en a parlé dans les chaumières ducoin. C’était ce que S., les harkis et moi nous espérions. Marquer le coup !

*

La rébellion était active et pourtant elle n’était pas à l’abri de problèmesau Maroc et de déconvenues à l’intérieur. L’ambiance au sein de l’A.L.N,à Oujda, n’était pas des meilleures ; le renseignement pouvait êtreconsidéré comme sérieux ; c’était à un transfuge que nous le devions. “…Samedi, un fellagha basé au Maroc s’est rallié au poste de Beghal. Il nousa appris des choses très intéressantes sur le recrutement (type manumilitari) des Algériens au Maroc, l’instruction qui leur est donnée dans desbases installées au Maroc, le moral des troupes entamé par des pertesénormes et la discipline rigoureuse qu’elles subissent…” (Lettre du18/10/61). C’est moi qui l’ai pris en charge à Beghal, j’aurais aimé disposerde suffisamment de temps pour m’entretenir longuement avec ce visiteurinattendu, mais le régiment et surtout Tlemcen ont tenu à le récupérerrapidement. Une exigence compréhensible ; ce n’était, en effet, pas tous lesjours que l’Etat-major de la zone pouvait s’offrir le luxe d’un tête à têteavec un rallié (ou déserteur, comme on voudra !) et donner à la presselocale l’occasion d’une manchette illustrée exceptionnelle. Pour les servicesd’action psychologique l’aubaine était trop grande pour la laisser passer !Dans l’affaire, j’ai tout de même réussi à conserver, pour un temps

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seulement, l’arme de l’adjudant (c’était son grade) de l’A.L.N, un splendideP38 allemand. Ce n’était pas par esprit de collection mais par respect de lavieille tradition des trophées pris à l’adversaire ; il n’était pas le premier…ni le dernier !

Mi-novembre je suis convoqué à Tlemcen pour participer à une réuniondestinée essentiellement à faire le point sur les relations entre les autoritésmarocaines et les forces de l’A.L.N. “… Nous avons la preuve que cesrelations ne sont pas toujours des meilleures. Les autorités marocaines nefont aucune difficulté pour reconnaître que les incidents de frontière sontle fait des fells. Elles les accusent notamment de harceler nos postes en seplaçant très près des douars de façon à attirer notre riposte sur ces douarset déclencher des incidents diplomatiques. Les Marocains sont si conscientsde cela qu’ils se gardent bien d’envenimer la situation lorsque nos obuss’égarent sur leur territoire…” (Lettre du 11/11/61). Quelques semainesplus tard je revenais, dans une de mes lettres, sur ces rapports entreMarocains et A.L.N pour confirmer cette situation de tension. “… LesMarocains en ont par dessus la tête de recevoir des obus et de devoirréparer régulièrement la voie ferrée qui déguste à chaque riposte, car ilfaut te dire que les fells installent leurs mortiers juste à côté de la voie.Cette plaisanterie coûte fort cher aux finances marocaines. Alorsmaintenant les F.A.R. (Forces Armées Marocaines) viennent le soir sur lafrontière pour empêcher les fells de se mettre en batterie. Grand bien nousfasse !…” (Lettre du 3/12/61). L’A.L.N ne cessait de nous… titiller maiselle n’avait pas les coudées franches au Maroc ; elle avait trop besoin del’appui du pays qui l’accueillait (ou plutôt… la supportait) pour en ignorertotalement les mises en garde.

À l’intérieur aussi le F.L.N a été confronté à des déceptions répétées ;des comportements inattendus de la population musulmane l’ont obligé àavaler quelques couleuvres. Nous-mêmes avons été, non pas… déçus, maistrès surpris par les réactions de la population de Marnia et des Beni-Ouassine à l’occasion de ces journées à forte connotation symboliquequ’étaient (et que sont toujours) le 1er novembre et le 11 novembre. “… Cepremier novembre, il n’y a pas eu de grève. Tous les magasins et les cafésmaures étaient ouverts. Pourtant les mots d’ordre de grève avaient circulé.Mais Marnia n’est pas peuplée d’excités ; la veille, pas mal de commerçants

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étaient venus nous trouver et nous dire “Demain nous avons l’ordre derester fermés. Venez frapper à notre porte et nous ouvrirons”. Il a été faitainsi et tout est resté parfaitement dans l’ordre. Quant à moi, ce jour là,j’avais pour mission d’interdire l’accès de Marnia aux populations rurales.Là non plus aucun pépin. Mercredi n’étant pas jour de marché, les genssont restés calmement chez eux. J’ai passé mon temps à sillonner les routeset à prendre la température dans les villages. Le calme y a régné toute lajournée…” (Lettre du 3/11/61). Le 11 novembre, nouvelle surprise pournous, nouvelle déconvenue pour les responsables locaux de la rébellion.“… Ce matin j’ai assisté aux manifestations du 11 novembre, non pouradmirer le défilé mais pour observer l’assistance. Contrairement à monattente, il y avait beaucoup de musulmans. J’ai été très étonné car jem’attendais à une absence totale de leur part. Cela aurait été une formede manifestation silencieuse contre notre présence. Mais il n’en a rien été.J’ai même eu l’impression qu’il y avait plus de monde que l’année dernière.Et je puis t’assurer que cette foule a gardé son caractère de spontanéité.Rien ne fut orchestré ! Il ne faut plus chercher à comprendre. Tout n’estqu’illogisme dans cette putain de guerre ; elle marque le triomphe del’absurde de quel côté que l’on se place…” (Lettre du 11/11/61).

Octobre et novembre ont donc été deux mois chargés avec leur cortègede bruit, de sang et de contradictions mais aussi de péripéties souvent plussupportables. Le mouvement des hommes avait modifié mon entourage etson atmosphère ; le capitaine M. avait rejoint le PC où j’appréciais sonvoisinage ; le commandant O., sur le départ, avait confié le bataillon à sonremplaçant le commandant De R. La visite de mon infirmière préférée,mademoiselle Legendre, a été un bon moment dont la popote a profité.Je l’avais revue à Tlemcen, ainsi que le commandant Béréni, et je l’avaisinvitée à venir passer quelques heures à Marnia. Elle a eu droit à moncircuit réservé aux V.I.P, Térébinthes, Beghal et la popote lui a ménagé unaccueil empressé ! Ce n’était pas tous les jours que le sexe féminin noustenait compagnie… Des travaux pratiques avant l’arrivée de Mme De R. etde Thérèse ! Pour ces dames on était, en effet, enfin parvenu à dénicher lesquelques mètres carrés indispensables à leur venue à Marnia. Mon vingtneuvième anniversaire (le troisième sous l’uniforme) a été aussi l’occasiond’un peu de fête et de détente à la popote et en compagnie des hommes demon groupe. “… J’ai d’abord offert un méchoui à mes harkis. Saine

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tradition qui raffermit les liens. Et Dieu sait que ces liens ont besoin d’êtreconsolidés, car la direction prise par notre politique n’est pas faite pourmaintenir le moral des gens qui nous sont favorables…” (Lettre du3/12/61).

*

Décembre qui a suivi nous a offert, pendant trois semaines, un calmeauquel nous n’étions plus habitués. Malgré un accroissement de sapuissance de feu (renseignement en provenance de nos sourcesmarocaines) l’A.L.N semblait avoir pris la décision de nous accorder untemps de répit. Pour quelle raison ? Nul ne l’a su exactement ; on s’estcontenté de constater et d’apprécier cette trêve. “… Depuis quelques joursil ne se passe strictement rien. Nous en profitons pour nous reposer…”(Lettre du 3/12/61). “… Aussi incompréhensible que cela puisse paraître, lecalme continue sur la frontière… À l’intérieur il en est exactement demême…” (Lettre du 10/12/61). “… Il ne se passe strictement rien…”(Lettre du 13/12/61). Ce calme était de bon augure pour l’arrivée deThérèse qui se précisait. Compte tenu de cette situation, le commandantDe R. m’avait sans difficulté accordé une permission pour que je puisse merendre à Oran accueillir Thérèse à la descente de l’avion. En septembrej’avais été surpris par l’atmosphère de la ville, une atmosphère pesante ; ence mois de décembre elle était devenue franchement électrique. J’ai profitéde ce saut à Oran pour renouer avec le plaisir du cinéma ; en sortant de lasalle, le plaisir s’est brutalement transformé en profond malaise pour nepas dire trouille intense… Rien n’est plus désagréable que de se retrouverdans une rue où les bombes explosent à répétition ! Aucune raison des’attarder dans cette ville en ébullition ; nous avons donc rapidement gagnéMarnia. Ils se sont très vite passés ces quinze jours de séjour de Thérèsedans l’ambiance du bataillon. Nous n’avons guère eu de nuits ensemble.L’A.L.N avait repris sa sarabande sur le barrage ; nous n’étions même pasensemble à la table de la popote où elle trônait aux côtés du commandanttandis que je restais relégué dans le coin des… petits ! Mais, le beau tempsaidant, nos journées ont tout de même pris des allures de vacances avecquelques très belles balades dans les environs de Marnia (Jean T. avait eutla riche idée de mettre sa “coccinelle” à notre disposition), le flux desinvitations (V. à Village 8, et oui ! Kouider à Térébinthes, bien entendu… )

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et les sacro-saintes fêtes de fin d’année. J’avais tenu aussi à ce qu’elle passeun moment avec mon groupe ; cela s’est fait autour d’un méchoui auquelj’avais convié le capitaine M. Et le 31 décembre à minuit, ce sont à nouveaules cloches de la cathédrale de Strasbourg qui ont égrainé les douze coupsde la fin de l’année. Quand le 7 janvier nous nous sommes séparés à Oran,nous savions que la fin de ce très long service était proche ; il nous suffiraitd’avoir encore un peu de patience…

Je pouvais espérer que ces derniers jours à Marnia se dérouleraient sansproblèmes ; l’activité de l’A.L.N. s’était de nouveau apaisée, à l’exceptiond’un “feu d’artifice” allumé à l’occasion d’une visite du G.P.R.A.(Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) à Oujda ; àl’intérieur les choses allaient leur train habituel, le mot accrochage avaitdisparu des comptes-rendus quotidiens. J’avais appris que j’embarqueraisà Oran le 17 février. L’arrivée de mon successeur était imminente. Le 24janvier ma permission libérale était dûment remplie et signée… Dans lanuit du 25 au 26 janvier, une équipe de la 6e compagnie accrochait à lapériphérie de Marnia, à proximité de la mechta de… Ben Bella, un groupede fells sérieusement armés. L’accrochage n’avait rien donné mais le 26, aupetit matin, je recevais l’ordre de me mettre en chasse avec mon groupe. Ilme fallait retrouver et suivre, si possible, à travers les collines quidominaient Marnia, la trace des hommes qui avaient échappé àl’embuscade de la nuit.

La traque n’était pas facile dans ce relief accidenté, mais j’avais un harkiparticulièrement habile à déceler au sol le moindre indice d’un passage.C’était un pisteur exceptionnel, rien ne lui échappait. De fait, trèsrapidement il retrouvait des traces qui indiquaient que le groupe fell s’étaitreplié en empruntant un chemin qui courait à travers les collines,contournait Marnia et prenait la direction de Turenne. Après avoir pris lesprécautions d’usage (ce fouillis de collines n’était qu’une succession detraquenards possibles) nous nous sommes mis à suivre ces traces pendantdes kilomètres et de longues heures. À 4 heures de l’après-midi, au fondd’un vallon, plus rien pour continuer notre poursuite. Nous nous sommesdivisés pour essayer de retrouver un début de traces ; nous l’avons retrouvé,une légère marque de semelle de “Pataugas” sur un peu de sol meuble. Ellemenait tout droit à une mechta isolée, juchée sur le sommet d’une colline.

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Mechta vide ; à l’intérieur la cour, dans un coin de la cour, un puits et samargelle, aux deux extrémités des pièces d’habitation, tout autour un mur.Fouille de la mechta, rien ! Au pied du mur, à proximité du puits, un petittas de cailloux… Sous ce tas de cailloux… un petit poste de radio et surtoutle canon d’un fusil ! Une détonation ! Nous étions tombés sur la cache etsur le groupe de rebelles qui y avaient trouvé refuge.

Alors là, tout s’est déroulé rapidement, brutalement. Les fellaghas quise savaient pris au piège ont essayé une sortie. L’affrontement désespéré àbout portant ! Se rendant compte qu’ils ne pouvaient s’échapper, lecommando rebelle s’est replié dans sa cache. S. et les harkis les ont alorsexhortés à se rendre, leur promettant bien entendu, la vie sauve. Refus ! S.et moi avons pris la décision de les déloger en grenadant la cache. En vain !Je me suis alors inquiété ; nos munitions étaient presque épuisées, le jourtombait, nous étions loin du bataillon et surtout nous pouvions redouterune tentative de secours de la part d’un autre groupe rebelle qui se seraittrouvé dans les parages. Il me fallait de toute urgence du renfort… C’est àce moment là que je me suis aperçu que j’étais parti totalement démuni demoyens radio ! Il a fallu recourir au système D ; la route Tlemcen-Marniapassait à proximité, j’ai demandé au maître chien qui accompagnait legroupe ce jour là de rejoindre la route et … de faire du stop ! L’opérationa réussi, moins d’une heure après, la 6e compagnie rappliquait au grandcomplet, accueillie à sa descente des camions par quelques coups de fusil.Je lui ai demandé de se disposer autour de la mechta de façon à assurer lasurveillance de ses abords. Dans le même temps, je récupérais les munitionsqui nous faisaient défaut afin de poursuivre le grenadage de la cache.Progressivement les invectives qui en venaient se sont espacées, sontdevenues moins audibles et puis… plus rien !

À ce moment là, la mechta s’est mise à grouiller d’un monde dont jen’avais pas perçu l’arrivée ; le commandant nous avait rejoint, l’Etat-majordu régiment était là aussi. Cela ne suffisait pas ! Tlemcen débarquaitd’hélicoptère avec ses huiles et moyens de réduction des grottes. Mais ilsn’étaient plus nécessaires ; ce qu’il nous fallait c’était un engin pourparvenir au cœur de la cache enfouie sous une épaisse couche de terre et deroche. On a fait donner le Génie ! Dans la cache ouverte quatre corps ;aucun ne portait de traces de blessures. Les quatre hommes n’avaient pas

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survécu à la répétition des explosions de nos grenades ; à leurs côtés, leursarmes, des armes allemandes, deux fusils Mauser et surtout deuxSturmgewehr (des fusils d’assaut, cadeaux, selon toute vraisemblance, dessoviétiques qui les avaient récupérés en 1945 et soigneusement mis de côtépour le cas où… !), et puis des sacoches remplies de documents etd’importantes sommes d’argent. La gendarmerie, prévenue, s’est mise toutde suite au travail pour identifier les corps. Il a fallu peu de temps pourapprendre que nous venions de porter un coup très sévère à l’organisationrebelle du secteur ; les quatre fellaghas tués étaient tous des cadres politico-militaires : un sous-lieutenant, un aspirant, un adjudant et un commissairepolitique. Tous les quatre ont été identifiés sans grande difficulté.

Il était très tard quand je suis rentré au PC ; le capitaine M. m’attendait,il avait suivi de loin le déroulement de l’affrontement. Nous sommes restésun bon moment ensemble, un bon moment silencieux. Lui avait connu lesinstants que je venaient de vivre ; moi, c’était la première fois ! C’était lapremière fois que je tuais (ou que je contribuais à tuer) des hommes.Terrible expérience ! J’étais dans un état second où se juxtaposaientl’euphorie et l’hébétude. Je venais d’avoir beaucoup de chance (pour ladeuxième fois) ; j’en étais bien conscient, mais je ne parvenais pas à m’ensatisfaire. J’avais tué et cela m’était insupportable. Il m’a fallu plusieursjours pour retrouver mes esprits sans pour autant oublier ce qui s’étaitpassé, la vision de ces hommes morts, leur nom. Ces noms sont restés gravésdans ma mémoire et ils le sont encore ! Les quatre homme étaient du coin,les corps ont été rendus aux familles. J’ai assisté à leur inhumation. Ilsavaient choisi un chemin qui exigeait beaucoup de courage.

Quelques jours après j’apprenais que la Croix de la Valeur Militaireétait décernée à tous les membres du groupe. Elle nous a été remise aucours d’une prise d’armes solennelle organisée à Térébinthes ; lecommandant De R. avait tenu au choix de ce lieu sachant les liens qui m’yattachaient. C’était bien la première fois que le village avait droit à un telhonneur ; cela a été aussi la dernière fois ! Mon départ approchait etpourtant il n’était pas question que je prenne mes distances avec mes tâchesordinaires d’O.R. Mon successeur était annoncé, mais il était en rade àAlger, bloqué par une grève générale des transports ; mon quotidien n’adonc pas changé d’allure. Dieu merci, grâce, semblait-il, aux Marocains le

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calme se maintenait sur le barrage mais à l’intérieur, malgré ses pertesrécentes, l’organisation rebelle restait suffisamment active pour m’obligerà de nouvelles expéditions. “… Mon dimanche je l’ai passé dans la natureà la recherche de fellagahs qui avaient été accrochés la veille au soir…”(Lettre du 6/2/62). Et puis le commandant ne tenait pas du tout à ce que je“dételle”, même après l’arrivée de mon successeur (car il a fini parrejoindre le PC). Je suis resté l’O.R. du bataillon et cela jusqu’au derniermoment.

L’ultime semaine a été particulièrement rude ! J’ai repris l’itinéraired’octobre-novembre 60, mais il ne s’agissait plus d’une reconnaissanceinitiatique des postes, mais bien plus d’une tournée bacchique despopotes… “Plus que jamais, je suis sur les quatre chemins. Je ne sais plus oudonner de la tête ! Tout le monde m’invite à manger…” (Lettre du11/2/62… la dernière !). Au milieu de ce périple des adieux, le deuxièmeentretien traditionnel avec le colonel qui n’aurait fait aucune difficulté pourrecevoir ma demande de maintien au sein de l’armée… et pour finir, ledernier jour, Térébinthes. J’y tenais ! Je ne pouvais quitter la terre des Beni-Ouassine sans réserver ma dernière visite à ce poste, ce village et leurshommes, Tonio, Kouider, Farhes, et tous les autres. Ils avaient été pour moiles compagnons d’une expérience exceptionnelle.

Le 17 février, j’embarquais à Oran ; l’aller en 60 avait été mouvementé,le retour, pire encore ! Le 9 mars, j’étais définitivement dégagé de mesobligations militaires. Novembre 1959-Mars 1962, j’avais passé 28 mois sousles drapeaux. Quelques jours après mon retour, je pouvais lire dans le“Monde” : “Un commando militaire a encerclé dans une mechta près deTlemcen un groupe rebelle. Trois hors la loi ont été tués… parmi les mortsse trouvent le chef rebelle Khiari, chef de la zone de Marnia…”. Khiariétait l’homme qui avait hanté mes jours et mes nuits dès ma premièrepatrouille à Térébinthes.

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ÉPILOGUE

Plus de 40 ans se sont écoulés et je n’ai rien oublié. J’ai toujours enmémoire ma dernière vision de la terre algérienne. “ici la France”. Ces motsavaient été peints sur la digue qui précédait le port d’Oran ; j’étais bienpersuadé que leurs jours étaient comptés et qu’on approchait du terme dudrame algérien car c’était bien à un drame que la France et l’Algérieavaient été confrontées et le sont encore ! Drame parce que lesresponsables politiques de la nation n’avaient pas su, par manque decourage, de lucidité, éviter un conflit prévisible. Le problème des rapportsentre la France et la terre d’Algérie ne datait pas de 1954 ; bien avant laguerre, la revendication algérienne pour plus de démocratie était déjà uneréalité. Il suffit de se rappeler Messali Hadj, son mouvement le M.T.L.D.et le plan Blum -Violette de 1938. Les émeutes de Sétif en 1945 aurait dûrafraîchir les mémoires ! Drame parce qu’il a coûté beaucoup de sang, sangfrançais et sang algérien dont on aurait pu faire l’économie. Mais jen’imaginais pas que l’indépendance de l’Algérie, décidée par les accordsd’Evian, signés peu après, allait être, elle aussi, une suite sans fin de drames.Drame parce qu’elle s’est accompagnée du massacre des harkisabandonnés et qu’elle a acculé un million de Pieds-Noirs à l’abandon, encatastrophe, d’une terre qui était aussi la leur. Drame parce que l’Algériea gâché la liberté qu’elle avait courageusement et chèrement acquise ; lepeuple algérien méritait mieux que ce qui lui a été ménagé. Le parti unique,le choix d’une économie inspirée de celle des pays socialistes ont conduità l’occultation de la démocratie, à l’échec économique, la misère sociale,l’extrémisme de la réaction islamique, la révolte, les massacres. Drameparce que les conditions de l’indépendance de l’Algérie n’ont pas permis àce pays de conserver avec la France des relations dépourvues deressentiments passionnels. Dommage car les deux nations avaient toutintérêt à rester proches l’une de l’autre. Le voyage de Jacques Chirac enAlgérie, en 2003, l'accueil qu'il avait reçu de la population avaient suscitédes espoirs de rapprochement avec la perspective de signature d'un traitéd'Amitié entre les deux peuples. Malheureusement la suite n'a pas réponduà cette attente de paix. Le président Bouteflika exige de la France unedemande de pardon pour tous le mal causé au peuple algérien par les130 ans de la présence française. La France aurait, entre-autres, mis en

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œuvre une politique de “génocide culturel”. Curieux ! À Térébinthes jen'avais pas perçu le crime ; la langue arabe (ou du moins son expressionlocale) ne m'avait pas paru en retrait ; la pratique religieuse était restéevive ; le village disposait de son école coranique ; l'organisation desrelations sociales, familiales n'était pas en rupture avec la tradition ; lesrapports à la terre, non plus. J'avais plutôt mis le doigt sur le fossé culturelqui séparait les deux communautés, l'européenne et l'algérienne arabe etmusulmane. Ce fossé avait été, à mes yeux, une des explications de latourmente à laquelle la France et la terre d'Algérie étaient confrontéesdepuis novembre 1954, tourmente qui avait frappé de plein fouetTérébinthes, ses hommes, ses femmes, ses enfants. Drame parce que laFrance n’est toujours pas parvenue à tourner la page d’un moment difficilede son histoire contemporaine. La mémoire qu'elle nourrit à l'égard de ceshommes, appelés ou engagés, qui “ont fait l'Algérie” est singulièrementaltérée par une vision du conflit plus idéologique qu'impartiale, une visionsouvent éloignée de la vérité. Établir la vérité des faits est une obligation del'honnêteté intellectuelle, mais c'est un art difficile à mettre en œuvre. Ilest toujours plus facile de lui substituer l'outrance, l'outrance qui calomnieet qui fait mal.

Plus de 40 ans se sont écoulés et je n’ai toujours pas oubliéTérébinthes SP 87009. Je n’ai toujours pas oublié Tonio, Kouider, Fahres ettous ceux qui m’ont accompagné dans l’exercice de mes tâches. J’ignore lesort que leur a réservé l’Algérie indépendante, mais je le redoute !

Annecy-le-Vieux, novembre 2007.

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REPÈRES CHRONOLOGIQUES DES FAITS POLITIQUES ET MILITAIRES

RELATIFS À LA GUERRE D’ALGÉRIE

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1952 - 1962Dix années de conflit en Afrique du Nord

Faits politiques

- Paris - Gouvernement provisoire de la République Française présidé par le Général de Gaulle

- Paris - Déclaration de Pierre Mendès France“l'Algérie, c'est la France”

- Paris - Jacques Soustelle : nommé GouverneurGénéral en Algérie

- Paris - Démission de Mendès France ;Formation du gouvernement d'Edgar Faure.

Rappel de réservistes

- Paris - Rappel de disponibles

- Paris - Maintien sous les drapeaux du contingent 1954 - Rappel de la classe 1953

- New York - Affaire algérienne inscrite à l'ordre du jour de l'ONU

- Paris - Edgar Faure se prononce pour une politique d'intégration

- Paris - Rabat : Indépendance accordée au Maroc

- Paris - Chute du gouvernement d’Edgar Faure

1945mai

1952

1954

Mars

Juin

Oct.

Nov.

1955

Janv.

Fév.

Mars

Mai

Juil.

Août

Sept.

Oct.

Nov.

Déc.

Faits militaires

- Émeutes en Algérie dans la région de Sétif- Très sévère répression

- Maroc Tunisie : extension des troubles en faveur de l'indépendance

- le Comité Révolutionnaire d'Unité et d'Actiondivise l'Algérie en 5 zones insurrectionnelles

- le C.R.U.A. décide d'engager la lutte armée

- Naissance du F.L.N. et de l'A.L.N.- “Toussaint Rouge”: début de la rébellion

- Etat d'urgence instauré dans les Aurès et en Kabylie

- Envoi de renforts en Algérie

- Violentes émeutes au Maroc

- Création des S.A.S.

- Maroc - Soulèvement des tribus du Rif et du Moyen Atlas

- État d'urgence maintenu en Algérie

Pertes au cours de l'année 1955 :• Forces de l'ordre : 350 tués - 1400 blessés• A.L.N. : 2800 tués

Début de conflit en Algérie

Extension de la rébellion

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Faits politiques

- France - Élections législatives : succès du FrontRépublicain (Socialistes et Radicaux)

- Paris - Guy Mollet • forme le gouvernement• nomme Catroux en remplacement de Soustelle• reçoit à Alger un accueil hostile• nomme Lacoste en remplacement de Catroux démissionnaire• lance un appel aux Algériens pour un règlement de la crise : Cessez-le-feu/ Élections / Négociations

- Paris - l'Assemblée Nationale vote les pouvoirs spéciaux pour l'Algérie

- Paris - Tunis : Indépendance de la Tunisie

- Paris - Rappel de 200 000 jeunes des classes1951/1954. Service militaire porté à 27 mois(29 pour les cadres)

- Le Caire - le F.L.N. renouvelle son exigence de la reconnaissance du droit de l'Algérie à l'indépendance avant toute négociation

- le pétrole jaillit à Hassi Messaoud au Sahara

- le Parti Communiste algérien rejoint le F.L.N.

- le F.L.N. tient son congrès dans la vallée de la Soumman en Petite Kabylie

- Rome - rencontre secrète entre un représentant du gouvernement et 3 représentants du F.L.N.

- Détournement du DC3 d'Air Maroctransportant 4 responsables du F.L.N. dontBen Bella

- New York - Assemblée générale de l'O.N.U. : la question algérienne est mise à l'ordre dujour

- Alger - Naissance de mouvements activisteseuropéens

1956

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Mai

Juin

Juil.

Août

Sept.

Oct.

Nov.

Déc.

Faits militaires

- Effectifs de l'armée portés à 200 000 h. enAlgérie

- Naissance officielle des Harkas

- le Maroc et la Tunisie deviennent des basesarrières pour les forces de l'A.L.N.

- Alger - désertion de l'aspirant Maillot avec uncamion d'armes

- l'ensemble des régions en Algérie est gagnépar la rébellion

- Succession d'opérations en Grande et PetiteKabylie

- Bombes à Alger

- création de 6 Wilayas et de la zone autonomed'Alger

- Bombes à Alger

- Arraisonnement au large d'Oran du navire“Athos” chargé d'armes destinées à l'A.L.N.,en provenance du Caire

- Opération Franco-britannique en Égypte- Bombes à Alger- Le général Salan est nommé cdt en chef en

Algérie

- Bombes à Alger

Situation militaire fin 1956• Effectifs - Forces de l'ordre : 400 000 h.

- A.L.N. : 4/5000 soldats, 15 000 auxiliaires

• Pertes - Forces de l'ordre : 2200 tués, 7500 blessés- A.L.N. : 16 500 tués

Généralisation de la guerre

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Faits politiques

- Alger - Explosion d'un obus de bazooka dansles bureaux du général Salan

- New York - O.N.U. : l'Assemblée généraleadopte une résolution qui exprime l'espoird'une solution pacifique et démocratique enAlgérie

- Paris - L'Assemblée Nationale débat del'emploi de la torture en Algérie

- Paris - Le gouvernement met en place une “commission de sauvegarde des droits et libertés individuels”

- Paris - Crise gouvernementale

- Paris - Gouvernement Bourges-MaunouryAndré Morice : Ministre de la Défense

- Paris - L'Assemblée Nationale vote “ les pouvoirs spéciaux”

- Paris - Démission du gouvernement Bourges-Maunoury

- Tunis - Le F.L.N. rappelle son exigence d'unereconnaissance du droit de l'Algérie àl'indépendance comme préalable à toutenégociation

- Paris - Formation du gouvernement FélixGaillard. Reconduction de la loi sur les “pouvoirs spéciaux” en Algérie. Adoption de la “Loi Cadre” pour l'Algérie

1957

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Mai

Juin

Juil.

Sept.

Oct.

Nov.

Faits militaires

- Bombes à Alger- Le Général Massu est nommé commandant

militaire du département d'Alger- Début du démantèlement de l'organisation

terroriste du F.L.N. à Alger

- Bombes à Alger.

- L'organisation des réseaux du F.L.N. à Algerest connue ; les arrestations se multiplientFin de la 1ère phase de la bataille d'Alger

- Massacre par le F.L.N. de la population de Mélouza (Petite Kabylie) favorable auM.N.A. de Messali Hadj

- Bombes à Alger - Début de la 2e phase de labataille l'Alger

- Début de la construction du barrage tunisiensur le modèle expérimenté localement à lafrontière marocaine

- Les forces françaises exercent “le droit de suite” en Tunisie

- Alger - Arrestation de Yacef Saadi, reponsable des attentats

- Automne - Frontière tunisienne :recrudescence des passages d'hommes etd'armes (environ 1000 armes de guerre parmois)

Bilan militaire fin 1957• Une année de durs combats qui se sont

déroulés dans la majeure partie majeurepartie du territoire algérien

• L'A.L.N. atteint son maximum de développement- 15/20 000 djounouds (soldats)- 60 000 moudjahidines (combattants)

• Pertes sévères dans les 2 camps- Forces de l'ordre : 2600 tués - 9000 blessés- A.L.N. : 32 000 tués

Bataille d’Alger

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– 185 –

Faits politiques

- Paris - Tunis : début d'une sévère crise dans les rapports franco-tunisiens

- Tunis : le gouvernement tunisien exige le départ de l'ensemble des forces françaises

- New York : la crise franco-tunisienne portéedevant l'O.N.U.

- Paris : saisie du livre de Henri Alleg “La Question” où il évoque les tortures qu'il a subies à Alger

- Paris : Crise gouvernementale - démission de F. Gaillard- Tanger : Conférence maghrébine qui réunit

le Destour (Tunisie) et l'Istiqlal (Maroc) qui assurent le F.L.N. de leur soutien

- Paris : formation du gouvernement Pflimlin- Alger : manifestation patriotique - formation

d'un “Comité de Salut Public” présidé parMassu - Appel lancé au général de Gaulle.Salan est investi des pouvoirs civils et militaires

- Paris : de Gaulle, sollicité par le président Coty,accepte de revenir au pouvoir. Démission dePflimlin

- Paris : de Gaulle forme son gouvernement ;l'Assemblée vote “les pleins pouvoirs”

- Alger : 1er voyage de de Gaulle

- Paris - Tunis : Accord franco-tunisien pour unregroupement des forces françaises en Tunisie

- Alger : 2e voyage de de Gaulle

- Alger : 3e voyage de de Gaulle

1958

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Mai

Juin

Juil.

Août

Faits militaires

- Frontière marocaine : construction d'un barrage électrifié

- Frontière tunisienne : théâtre de durs combatsau cours du 1er semestre - plus d'une vingtainede franchissements ou de tentatives defranchissements

- Embuscade de l'A.L.N. à proximité de la frontière tunisienne - 4 prisonniers françaisemmenés dans le village tunisien de Sakhiet

- Arraisonnemnt au large d'Oran du navireyougoslave “Slovenia” chargé d'armes destinées à l'A.L.N.

- Bombardement de Sakhiet par l'aviation française

- Début de la bataille de Souk Ahras à la frontière tunisienne

- Fin de la bataille de Souk-Ahras (620 tués du côté de l'A.L.N.)

- Le F.L.N. annonce l'exécution de 3 prisonniersfrançais

- Fin de la bataille des frontières qui a coûté : • 279 h. aux forces de l'ordre• 5 000 h. à l'A.L.N.

- Doublement de la ligne “Morice” sur la frontière tunisienne.

Malgré ses pertes

l'A.L.N. maintient

ses capacités d'action

et de harcèlement

sur l'ensemble

Bataille des frontières

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– 186 –

Faits politiques

- Paris - New York : la France récuse l'O.N.U.dans un règlement du problème algérien

- Le Caire : le F.L.N. constitue un“Gouvernement Provisoire de la RépubliqueAlgérienne” (G.P.R.A.)

- Paris : Naissance de la Ve République

- Alger : 4e voyage de de gaulle.- Paris : de Gaulle propose au F.L.N.

“la paix des braves”- Le Caire : le F.L.N. rejette l'offre de de Gaulle

- Alger : 5e voyage de de Gaulle

- Paris : de Gaulle : Président de la RépubliqueMichel Debré : 1er Ministre

- Alger : 6e voyage de de Gaullevisite des postes et des Djebels

- Paris : de Gaulle reconnaît le droit des Algériensà l'autodétermination par la voie duréférendum

- Dakar : de Gaulle annonce l'évolution de laCommunauté vers un groupement d'Etatsindépendants

Sept.

Oct.

Déc.

1959

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Juin

Juil.

Août

Sept.

Déc.

Faits militaires

des massifs montagneux

de l'Oranie, à l'Ouest,

au Constantinois, à l'Est,

en passant par la Kabylie.

- Alger : Challe prend le commandement enchef des forces armées. Départ de Salan

- Réunion des chefs de Wilayas à la demanded'Amirouche Cdt la Wilaya III (GrandeKabylie)

Bilan des pertes au cours de l'année 1958• Forces de l'ordre : 3 000 tués - 8 000 blessés• A.L.N. : environ 30 000 tués

- Plan Challe : casser les unités de l'A.L.N. enmenant une série d'offensives d'Ouest en Est.Forces disponibles : 370 000 h.

- Offensive Challe en Oranie

- Amirouche (Wilaya III) : mis hors de combat- Arraisonnement au large d'Oran

du Cargo tchèque “Lidice”, chargé d'armes et de munitions destinées à l'A.L.N.

- Début de l'opération “Courroie” au Nord etau Sud de l'axe Orléansville - Miliana - Blida

- Fin de l'opération “Courroie”- Exécution de l'opération “Etincelle” dans la Hodna

- Début de l'opération “Jumelles” en Kabylie

- Début des opérations “Pierres Précieuses”dans le Nord Constantinois

Pertes au cours de l'année : • Forces de l'ordre : 2700 tués - 6500 blessés • A.L.N. : 26 000 tués, 11 000 prisonniers.

Année des Grandes offensives

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– 187 –

Faits politiques

- Paris : Limogeage de Massu- Alger : semaine des barricades- Paris : de Gaulle exige de l'armée une entière

obéissance

- Tunis : Ferhat Abbas confirme l'adhésion du G.P.R.A. au principe de l'autodétermination

- Alger : 7e voyage de de Gaulle - nouvelle tournée des “popotes”

- Paris : de Gaulle rencontre secrètement Si Salah, chef de la Wilaya IV

- Allocution radio-télévisée de de GaulleIl renouvelle aux dirigeants de la rébellionson offre de négociation pour mettre unterme au conflit

- Melun : rencontre entre des représentants dugouvernement et des émissaires du F.L.N.pour préparer la venue d'une délégationprésidée par Ferhat Abbas - Échec

- Paris : de Gaulle réaffirme sa volonté “ de poursuivre la marche vers l'Algérie algérienne” et se déclare prêt à “recourir au pays par la voie du référendum”

- Alger : 8e voyage de de Gaulle et 3e tournée des “popotes”

- Violentes manifestations européennes, puismusulmanes, à Alger, Oran et Bône

1960

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Juin

Juil.

Août

Oct.

Nov.

Déc.

Faits militaires

Forte activité de l'A.L.N. extérieure- à l'Est, le long de la frontière tunisienne- à l'Ouest, le long du barrage marocain

- Le général Crépin remplace Challe aucommandement en chef en Algérie

- Fin de l'opération “Jumelles”

- Opération “Flammèche” dans le Hodna

- Opération dans l'Aurès - L'A.L.N. réorganise ses forces des frontières Est

et Ouest en vue d'une intensification desopérations de harcèlement et des tentatives depassage

- Opération “Cigale” dans l'Orléansvillois- Le G.P.R.A. annonce l'exécution de 2 soldats

français

- Opération “Ariège” dans l'Aurès

Pertes au cours de l'année• Forces de l'ordre : 2000 tués - 5300 blessés• A.LN. : 20 000 tués.

Année des interrogations

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Faits politiques

- Paris : de Gaulle s'adresse aux électeurs pour leurdemander de voter “Oui” au référendum afinde “gagner la cause de la paix et de la raison”

- Approbation de la politique algérienneParis : oui à 75 % - Alger : oui à 69%

- Naissance de l'O.A.S.

- Suisse : Georges Pompidou et Bruno de Leusserencontrent une délégation du G.P.R.A.

- Paris : le gouvernement rappelle qu'il est prêt àengager des pourparlers surl'autodétermination avec “les diversestendances algériennes notamment avec leF.L.N.”

- Évian : Camille Blanc, maire d'Evian, est tué parl'explosion d'une charge de plastic déposée parl'O.A.S.

- Paris : conférence de presse du général deGaulle : Il fait un nouveau pas en direction duF.L.N. en se déclarant persuadé que l'Algériesera un état indépendant au-dedans et au-dehors

- Alger : Putsch militaire à Alger - les générauxChalle, Zeller, Jouhaud s'emparent du pouvoir.

Ils sont rejoints par le général Salan.

- Paris : de Gaulle applique l'article 16 de laConstitution qui lui donne les pleins pouvoirs

- Tunis : le G.P.R.A. se déclare favorable àl'ouverture de négociations le 11 mai

- Paris - Tunis : le gouvernement Français et leG.P.R.A. annoncent l'ouverture despourparlers à Évian

- Évian : 20 mai : ouverture de la Conférenced'Evian

- Paris : les généraux Challe et Zeller sontcondamnés à 15 ans de réclusion

- Évian : ajournement de la Conférence d'Evian

- Paris-Tunis : sévère crise à propos de Bizerte

- Algérie : Violentes manifestations du F.L.N.dans l'Algérois et le Constantinois

- Paris : condamnation à mort des générauxSalan, Jouhaud et Gardy

1961

Janv.

Fév.

Mars

Avril

Mai

Juin

Juil

Faits militaires

Arrêt momentané des opérations de grandeenvergure

- Le général Gambiez est nommé Cdt en chef.- Reprise intense de l'activité de l'A.L.N.

• sur les barrages Est et Ouest • à l'intérieur dans les Wilayas I, II, IV La pression se maintient jusqu'en avril

- Opération “Dordogne” dans le SudConstantinois

- Opération “Isère” dans le sud Constantinois

- Le gouvernement français prend la décisiond'une interruption unilatérale des grandesopérations

- Le général Ailleret succède au généralGambiez

Année des rapprochements

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– 189 –

- Château de Lugrin (Haute-Savoie) : reprisemomentanée des discussions entre la Franceet le G.P.R.A.

- Alger : Salan prend la tête de l'O.A.S.

- France : multiplication des attentats del'O.A.S. et du F.L.N.

- Paris : allocution du général de Gaulle quilaisse prévoir “l'institution d'un état algériensouverain et indépendant par la voie del'autodétermination”

- Paris : manifestation d'Algériens qui s'achèvedans la violence

- France : grève de la faim de Ben Bella et de sescompagnons

Août

Sept.

Oct.

Nov.

- Fin de la trêve unilatérale

Fin 1961 : l'A.L.N. de l'extérieur dispose de 32 000 h disposés le long des frontières - 23 000 en Tunisie- 9 000 au Maroc

Bilan des pertes • Forces de l'ordre : 1623 tués• A.L.N. : 13 200 tués.

Faits politiques Faits militaires

Faits politiques

- France - Algérie : vague d'attentats O.A.S. etF.L.N.

- Oran : heurts violents entre les communautés

- Les Rousses (Jura) : rencontre de 3 ministresfrançais et de 4 membres du G.P.R.A.

- Alger : attentats et “ratonnades”

- Paris : annonces de la reprise des négociationsFrance - F.L.N. le 7 mars, à Évian.

- Évian : 18 mars - Conclusion des Accords

- Paris : message du général de Gaulle au Parlement où il précise les objectifs du référendum du 8 avril.

- Alger : réactions violentes de l'O.A.S. Fusilladede la rue de l'Isly

1962

Janv.

Fév.

Mars

Faits militaires

- 19 mars à midi : le cessez-le-feu devient effectifMais les affrontements avec les forces duF.L.N. vont se poursuivre pendant des mois

- Début des exactions contre les supplétifsalgériens de l'armée française

Année de la conclusion

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- Algérie : début de l'exode des Pieds-Noirs

- France : référendum - les accords d'Evian sontapprouvés par plus de 90 % des suffragesexprimés

- Paris : la date du référendum d'auto-détermination en Algérie est fixée au 1er juillet

- Alger : poursuite des attentats de l'O.A.S.l'exode des Pieds-Noirs se transforme en panique

- Algérie : Référendum - les accords consacrantl'accession de l'Algérie à l'indépendance sontadoptés à la quasi-unanimité des votants

- Paris : le 3 juillet, dans une déclarationofficielle, le général de Gaulle reconnaîtl'indépendance de l'Algérie

- Oran : graves incidents ; de nombreuxEuropéens sont tués ou enlevés

- Algérie : l'exode des Pieds-Noirs arrive à sonterme - Près de 900 000 ont quitté la terre

d'Algérie

Avril

Mai

Juil.

Août

Sept.

- Le général Fourquet prend le commandementdes forces françaises en Algérie

- Le dernier officier tué en Algérie est originairede Haute-Savoie

Bilan des pertes• Armée française : 319 tués dont 300 après le

19 mars• A.L.N. : 2037 tués

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ISBN 2-915516-03-0

Dépôt légal 4e trimestre 2007

Tous droits réservés pour tous pays

•Les textes de cet ouvrage et l’édition de ce livre

restent sous l’entière responsabilité de l’auteur

•Photos et illustrations, collection Serge Cattet

•Maquette et mise en page Arthéma 04 50 23 06 19

•Achevé d’imprimer en novembre 2007

par l’Imprimerie Chirat - 42540 Saint-Just-la-Pendue

Imprimé en France