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29 Résonances Mars 2015 Mensuel de l’Ecole valaisanne RUBRIQUES L’histoire du Rhône en classe > SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES MOTS-CLÉS : RHÔNE PER HISTOIRE Pierre-Marie Epiney, enseignant en 6P / 8H à Granges, a rédigé un dos- sier sur l’histoire du Rhône pour ses élèves. Voici comment il explique sa démarche. Pierre-Marie Epiney, quel intérêt a pour vous l’histoire du Rhône et pourquoi avez-vous choisi de l’étu- dier avec vos élèves? J’ai toujours eu pour le Rhône une affection privilégiée. Les premiers souvenirs de mon «compagnon- nage» remontent à l’école primaire lorsque j’ai défilé à l’occasion des Fêtes du Rhône qui ont été célébrées en 1969 à Sierre: intense émotion dans ces célébrations rendues au fleuve! Cela m’a fait aussi prendre conscience de l’immense population rhodanienne avec qui nous parta- geons le Rhône. Puis, chaque jour, lorsque j’emprunte à vélo le che- min des berges pour me rendre sur mon lieu de travail, j’admire les va- riations de débit et de couleur de notre Rhône et apprécie que poètes et musiciens le célèbrent. Ce sont à l’origine des éléments tout à fait subjectifs qui ont orienté ce choix. Ensuite, aussi, ce sujet s’inscrit dans une actualité brûlante. Les enjeux sont grands. Preuve en est le récent référendum qui vient d’aboutir. Le sujet ne laisse personne indifférent. On aura compris que les relations entre le fleuve et ses riverains sont au cœur de ce dossier, rejoignant en cela les objectifs du PER. Comment vos élèves ont-ils réagi à cette nouvelle approche historique? Ont-ils apprécié la possibilité de dé- couvrir plus en détail l’histoire du canton et de leur région? L’approche historique a passionné mes élèves. S’informer et débattre d’un élément qu’ils peuvent obser- ver tous les jours les a vivement in- téressés, d'autant plus que, selon la «carte des risques» établie, leur mai- son – mes élèves habitent Granges – risque l’inondation en cas de grosse crue. Ils se sentent donc très concer- nés par la troisième correction du Rhône. Cette approche leur a fait prendre conscience de leur enraci- nement dans le canton du Valais. Ils ont aussi compris qu’ils parta- geaient des préoccupations com- munes avec les autres Valaisans de la plaine. Pourquoi avoir pris contact avec une historienne? Que vous a ap- porté cette coopération à vous et à vos élèves? Comme je n’avais ni les outils ni la formation requise pour élabo- rer un document de qualité, je me suis tourné vers une ancienne élève devenue spécialiste du Rhône, à sa- voir vous Muriel. Vous avez accueilli ma démarche avec chaleur et avez nourri mon texte de documents tout à fait pertinents et originaux. De plus, vous êtes venue en classe présenter l’historique du Rhône des origines à nos jours. Enfin, nous avons eu souvent recours à votre expertise pour répondre aux ques- tions que se posaient les enfants. Pour dire court, vous avez été notre Pierre-Marie Epiney a collaboré avec Muriel Borgeat, historienne et coordinatrice «culture, for- mation et recherche – Rhône» à la Fondation pour le dévelop- pement durable des régions de montagne (FDDM). La classe de Pierre-Marie Epiney qui teste grandeur nature le document. Les panneaux R1, R2 et R3 sont un clin d’œil aux trois corrections du Rhône.

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29Résonances • Mars 2015Mensuel de l’Ecole valaisanne

RUBRIQUES

L’histoire du Rhône en classe

> SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

MOTS-CLÉS : RHÔNE • PER •

HISTOIRE

Pierre-Marie Epiney, enseignant en 6P / 8H à Granges, a rédigé un dos-sier sur l’histoire du Rhône pour ses élèves. Voici comment il explique sa démarche.

Pierre-Marie Epiney, quel intérêt a pour vous l’histoire du Rhône et pourquoi avez-vous choisi de l’étu-dier avec vos élèves? J’ai toujours eu pour le Rhône une affection privilégiée. Les premiers souvenirs de mon «compagnon-nage» remontent à l’école primaire lorsque j’ai défilé à l’occasion des Fêtes du Rhône qui ont été célébrées en 1969 à Sierre: intense émotion dans ces célébrations rendues au fleuve! Cela m’a fait aussi prendre conscience de l’immense population rhodanienne avec qui nous parta-geons le Rhône. Puis, chaque jour, lorsque j’emprunte à vélo le che-min des berges pour me rendre sur mon lieu de travail, j’admire les va-riations de débit et de couleur de notre Rhône et apprécie que poètes et musiciens le célèbrent. Ce sont à l’origine des éléments tout à fait subjectifs qui ont orienté ce choix.

Ensuite, aussi, ce sujet s’inscrit dans une actualité brûlante. Les enjeux sont grands. Preuve en est le récent

référendum qui vient d’aboutir. Le sujet ne laisse personne indifférent. On aura compris que les relations entre le fleuve et ses riverains sont au cœur de ce dossier, rejoignant en cela les objectifs du PER.

Comment vos élèves ont-ils réagi à cette nouvelle approche historique? Ont-ils apprécié la possibilité de dé-couvrir plus en détail l’histoire du canton et de leur région?L’approche historique a passionné mes élèves. S’informer et débattre d’un élément qu’ils peuvent obser-ver tous les jours les a vivement in-téressés, d'autant plus que, selon la «carte des risques» établie, leur mai-son – mes élèves habitent Granges – risque l’inondation en cas de grosse crue. Ils se sentent donc très concer-nés par la troisième correction du Rhône. Cette approche leur a fait prendre conscience de leur enraci-nement dans le canton du Valais.

Ils ont aussi compris qu’ils parta-geaient des préoccupations com-munes avec les autres Valaisans de la plaine.

Pourquoi avoir pris contact avec une historienne? Que vous a ap-porté cette coopération à vous et à vos élèves?Comme je n’avais ni les outils ni la formation requise pour élabo-rer un document de qualité, je me suis tourné vers une ancienne élève devenue spécialiste du Rhône, à sa-voir vous Muriel. Vous avez accueilli ma démarche avec chaleur et avez nourri mon texte de documents tout à fait pertinents et originaux. De plus, vous êtes venue en classe présenter l’historique du Rhône des origines à nos jours. Enfin, nous avons eu souvent recours à votre expertise pour répondre aux ques-tions que se posaient les enfants. Pour dire court, vous avez été notre

Pierre-Marie Epiney a collaboré avec Muriel Borgeat, historienne et coordinatrice «culture, for-mation et recherche – Rhône» à la Fondation pour le dévelop-pement durable des régions de montagne (FDDM).

La classe de Pierre-Marie Epiney qui teste grandeur nature le document. Les panneaux R1, R2 et R3 sont un clin d’œil aux trois corrections du Rhône.

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référence absolue en matière de Rhône. Je souligne vous grande disponibilité et votre souci d’une langue claire et compréhensible pour tous.

Une «correspondance» nourrie avec la classe peut se lire sur http://rhone.swal.net.

Quelles activités avez-vous organi-sées pour vos élèves en lien avec le dossier? En collaboration avec le parc natu-rel de Finges et la FDDM, en mai passé, la classe s’est déplacée sur le Rottensand (Rhône sauvage près de Loèche). Plusieurs activités liées au Rhône ont été imaginées par les ani-mateurs. Nous avons circulé à vélo, mangé de la truite, simulé les laves torrentielles de l’Illgraben... Vous nous avez proposé un jeu de rôle où chaque élève devait se mettre dans la peau de plusieurs spécialistes en lien avec le Rhône (un forestier, un agriculteur, un ingénieur, un ou-vrier). Les conséquences de l’impact de l’homme sur ce milieu qui sem-blait préservé (Rhône sauvage!) ont

été identifiées (disparition progres-sive de certaines espèces comme le petit gravelot…). Nous avons pu échanger autour de l’indispensable sauvegarde de la biodiversité.

D’autre part, dans la mesure du pos-sible, nous avons théâtralisé cer-taines scènes. Ainsi, par exemple, les élèves ont joué une scène de péage à la hauteur de Granges. Plus tard, ils ont endossé les rôles des chefs de communautés dans les conflits qui les opposaient aux riverains d’en face…

Dans quel but avez-vous proposé à Samuel Fierz, responsable de l’ani-mation en géo/histoire, de mettre votre dossier à disposition des en-seignants du canton? En tant que généraliste, j’estime que nous avons beaucoup (trop) de com-pétences à développer. Dans ce sens, je suis partisan d’un partage entre nous, enseignants. Pourquoi conti-nuer à travailler chacun dans son coin comme d’obscurs tâcherons? Comme le document avait été va-lidé par une historienne et parce

que les moyens d’histoire ne sont pas encore disponibles pour notre degré, Samuel Fierz m’a encouragé à le mettre à disposition des autres enseignants 8H. Il a bien sûr relu le tout, donné une structure plus co-hérente et proposé quelques modi-fications allant dans le sens du PER.

Quels documents avez-vous utilisés pour réaliser votre dossier? De riches sources sont disponibles sur internet, essentiellement la presse télévisée. Je souligne l’im-mense effort de documentation de Canal 9. Par contre, je trouve que le site de l’Etat du Valais mériterait une mise à jour. Wikipédia est aussi une source fiable et intéressante. J’ai aussi pu compter sur un accès aux archives valaisannes qui a mis le plan Napoléon (la carte dessinée en 1802 par les ingénieurs français) à notre disposition.

Comment est organisé votre dos-sier? La colonne vertébrale du dossier a été définie par Samuel Fierz. Prenant appui sur une légende, la première

Granges et Chalais sur le plan Napoléon. Une partie du plan réalisé par les géographes français en 1802, levé à l’échelle 1:5000 (Archives nationales françaises, photographie de Michel Lechevalier).

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partie concerne le Rhône avant les corrections avec l’idée phare que la plaine du Rhône n’était pas pour les Valaisans du Moyen Age l’immense marécage que l’on dit souvent. Une seconde partie évoque les deux cor-rections, leurs causes, leur réalisation et leur faiblesse. Dans une perspec-tive diachronique, le dernier cha-pitre s’intitule naturellement «De-puis les années 2000». Il évoque les enjeux de la troisième correction.

Quelles compétences souhaitez-vous encourager/développer chez les élèves?Au final, je souhaite que les élèves perçoivent qu’à tout problème il y a des solutions. Nos ancêtres, même s’ils n’avaient pas nos moyens, n’étaient pas plus idiots que nous! Ils ont mis en place leurs solutions, cor-respondant aux moyens de l’époque. Ce qui me plaît aussi, c’est de s’évader du scolaire pur et dur pour se rendre compte que géographie et histoire, davantage que des matières scolaires, sont des sciences qui touchent de près notre «vivre ensemble». Cette ouverture me paraît une compétence intéressante à acquérir.

Quels sont, selon vous, les avan-tages du sujet «Rhône» pour abor-der l’histoire?Ce sujet s’inscrit dans une perspec-tive pluridisciplinaire. Si l’accent prioritaire est mis sur la branche historique, «la petite histoire du Rhône» baigne aussi dans la géo-graphie et les sciences naturelles, sans oublier l’entrée «citoyenneté». Enfin je dirais que c’est un sujet d’ac-tualité qui concerne de près les fa-milles valaisannes et donc les élèves qui seront les adultes de demain. Cette étude démontre – s’il en était encore besoin – que l’histoire n’est pas morte, qu’elle s’écrit sous nos yeux et que nous en sommes les ac-teurs incontournables.

Propos recueillis par Muriel Borgeat, coordinatrice

«culture, formation et recherche – Rhône»

A votre disposition

Sur le site de l’animation de la HEP-VS en Sciences humaines et sociales, le dossier de Pierre-Marie Epiney sur l’histoire du Rhône avec un cahier de l’élève, un corrigé pour le maître et un PowerPoint avec les documents. Des images de la carte du cours du Rhône et de la route traversant le Valais, dessinée par les ingénieurs français pour Napoléon en 1802, sont également disponibles; choisir la carte qui correspond à votre région: http://animation.hepvs.ch/sciences-humaines/index.php?option=com_ rokdownloads&view=folder&Itemid=72

Des films et des photos sur le Rhône conservés à la Médiathèque Valais: www.mediatheque.ch/valais/projet-valorisation-ressources-e-culture-rhone-3340.html

L’historienne Muriel Borgeat peut intervenir gratuitement dans votre classe: www.etincellesdeculture.ch/valais/rhone-riverains-282.html

PERformant

Excusez le jeu de mot un peu facile… mais il colle si bien au travail mené par Pierre-Marie Epiney que nous remercions chaleureusement.

Trace et MémoireLe mot latin «Historia» signifie «enquête». L’enquête menée sur le Rhône par les élèves de Granges leur a permis de travailler sur le passé avec les ou-tils de l’historien, ses démarches et ses questionnements. Ils ont analysé des sources historiques authentiques (témoignages écrits, documents, cartes) et se sont informés auprès de spécialistes.

Mythe et Réalité Etonnamment, les informations glanées vont à l’encontre de l’idée reçue d’une plaine insalubre. En effet, au Moyen-Age, chaque communauté gé-rait son territoire en vivant avec le Rhône, en sachant exploiter ses res-sources (pâturage sur les îlots, pêche, chasse, etc.) et s’accommoder de ses fluctuations.

Changement et PermanenceLes élèves identifient les évolutions de la relation des Valaisans à leur fleuve. Les premières tentatives de corrections locales sont suivies après 1815 de mesures cantonales soutenues par la Confédération (1re et 2e corrections). Un sentiment de sécurité gagne alors les Valaisans qui construisent abon-damment dans la plaine… exposant leurs intérêts au risque malheureuse-ment toujours présent (inondations récentes).