« Science infirmière » ou « science appliquée

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1 U.F.R. PSYCHOLOGIE, SCIENCES DE L’EDUCATION Département des Sciences de l’Education Université de Provence. Aix-Marseille 1 Master Professionnel Education et Formation 2 ème année Parcours Education, Formation et Encadrement dans le secteur sanitaire et le travail social Année universitaire 2008-2009 « Science infirmière » ou « science appliquée » ? … Ou quelle proximité avec le modèle épistémologique de la « médecine scientifique »? Patrick MALMONTET Sous la direction universitaire de Chantal EYMARD Maître de conférences HDR Sous la direction professionnelle de Georges BLEIN Docteur en Psychologie

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U.F.R. PSYCHOLOGIE, SCIENCES DE L’EDUCATION

Département des Sciences de l’Education

Université de Provence. Aix-Marseille 1

Master Professionnel Education et Formation

2ème année

Parcours Education, Formation et Encadrement dans le secteur

sanitaire et le travail social

Année universitaire 2008-2009

« Science infirmière » ou « science appliquée » ?

… Ou quelle proximité avec le modèle épistémologique

de la « médecine scientifique »?

Patrick MALMONTET

Sous la direction universitaire de Chantal EYMARD

Maître de conférences HDR

Sous la direction professionnelle de Georges BLEIN

Docteur en Psychologie

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Sommaire

INTRODUCTION GENERALE __________________________________ 6

APPROCHE THEORIQUE _____________________________________ 12

1 LES CONCEPTIONS DE LA SANTE A TRAVERS L'HISTOIRE ---------------------------------- 12

1.1 HISTOIRE DE LA MEDICALISATION 12

1.2 PLACE ET CONCEPTION DE LA SANTE DANS LA SOCIETE ACTUELLE 15

2 RECHERCHE, SCIENCE ET PRATIQUE MEDICALE-------------------------------------------- 18

2.1 LE POSITIVISME 19

2.2 THEORIE, TECHNIQUE ET PRATIQUE. 22

2.3 LA SCIENCE ET LA PHILOSOPHIE 24

2.4 HIERARCHISATION DES SAVOIRS ET MODELE EPISTEMOLOGIQUE DE REFERENCE. 27

3 MEDECINE ET PRATIQUE SOIGNANTE : CONCILIER L'ART ET LA SCIENCE. ------------- 31

3.1 LES CONCEPTS DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE 31

3.2 CONSEQUENCES DU PRINCIPE DE BROUSSAIS 32

3.3 LE NORMAL C'EST LA NORMATIVITE 33

3.4 DE LA NORMATIVITE A LA SUBJECTIVITE 34

3.5 RETOUR SUR L'ANTIQUITE 36

4 LA QUESTION DU PARADIGME EN MEDECINE ------------------------------------------------ 37

4.1 LE PARADIGME SELON THOMAS SAMUEL KUHN 37

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4.2 QUEL EST LE PARADIGME DE LA MEDECINE CONTEMPORAINE ? EXISTE-T-IL ? 39

5 D'UNE DEMARCHE SCIENTIFIQUE A UNE DEMARCHE HERMENEUTIQUE ---------------- 42

5.1 VERITE OBJECTIVE ET VERITE SUBJECTIVE. 42

5.2 LA QUESTION DE LA GUERISON 43

5.3 LA PSYCHANALYSE COMME CLINIQUE DE LA VIE PSYCHIQUE 45

6 RETOUR SUR LE PROJET D’UNE DISCIPLINE INFIRMIERE --------------------------------- 47

6.1 SAVOIRS DISCIPLINAIRES ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE. 47

6.2 L’INFLUENCE DU MODELE MEDICAL ? 48

6.3 UN SAVOIR INFIRMIER ? 50

6.4 QUELLE EST DONC LA PARTICULARITE DU SOIN INFIRMIER ? 51

6.5 UNE CONCEPTION DE L'ENSEIGNEMENT 52

6.6 « SCIENCE INFIRMIERE » ET SCIENCES HUMAINES ? 54

7 CONSTRUCTION D’UNE GRILLE D’ANALYSE -------------------------------------------------- 56

7.1 COMPRENDRE ? 57

7.2 EXPLIQUER ? 57

7.3 LE STATUT DES SCIENCES HUMAINES : COMPRENDRE / EXPLIQUER ? 58

METHODOLOGIE GENERALE ________________________________ 65

8 DISPOSITIF DE RECHERCHE -------------------------------------------------------------------- 65

8.1 LE CHEMINEMENT METHODOLOGIQUE 65

8.2 L’OBJET DE RECHERCHE 67

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4

8.3 CHOIX DE LA METHODE : LA METHODE CLINIQUE 68

8.4 LE CHOIX DE L’OUTIL 70

8.5 LES CONDITIONS DE L’ENTRETIEN 71

8.6 LA POPULATION 71

9 ANALYSE DE CONTENU -------------------------------------------------------------------------- 72

9.1 ENTRETIENS ETUDIANTS 73

9.1.1 Entretien avec Mélanie : (annexe 6, P.95) 73

9.1.2 Entretien avec Chloé : (annexe 6, P.97) 74

9.1.3 Entretien avec Sophie : (annexe 6, P.99) 74

9.1.4 Entretien avec Thomas : (annexe 6, P.100) 75

9.1.5 Entretien avec Paul : (annexe 6, P.102) 75

9.1.6 Synthèse entretiens étudiants 76

9.2 ENTRETIENS INFIRMIERS 77

9.2.1 Entretien avec Claire : (annexe 7, P.104) 77

9.2.2 Entretien avec Alice : (annexe 7, P.106) 77

9.2.3 Entretien avec Léna : (annexe 7, P.108) 78

9.2.4 Entretien avec Hugo : (annexe 7, P.109) 78

9.2.5 Entretien avec Gilles : (annexe 7, P.110) 79

9.2.6 Entretien avec Nadine : (annexe 7, P.111) 79

9.2.7 Synthèse entretiens infirmiers 79

9.3 ENTRETIENS CADRES SOIGNANTS 80

9.3.1 Entretien avec Laurence : (annexe 8, P.114) 80

9.3.2 Entretien avec Yves : (annexe 8, P.116) 81

9.3.3 Entretien avec Renée : (annexe 8, P.117) 81

9.3.4 Entretien avec Eva : (annexe 8, P.120) 81

9.3.5 Entretien avec Lucile : (annexe 8, P.122) 82

9.3.6 Entretien avec Chantal : (annexe 8, P.123) 82

9.3.7 Synthèse entretiens Cadres Soignants 83

9.4 ENTRETIENS CADRES FORMATEURS 83

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5

9.4.1 Entretien avec Cathy : (annexe 9, P.125) 83

9.4.2 Entretien avec Josiane : (annexe 9, P.127) 84

9.4.3 Entretien avec Valérie : (annexe 9, P.129) 84

9.4.4 Entretien avec Michèle : (annexe 9, P.131) 85

9.4.5 Entretien avec Barbara : (annexe 9, P.132) 85

9.4.6 Synthèse entretiens Cadres Formateurs 85

9.5 SYNTHESE DES ENTRETIENS 86

10 INTERPRETATION DES RESULTATS------------------------------------------------------------ 88

10.1 UNE CERTAINE « DYNAMIQUE » 88

10.2 LA QUESTION DU REDUCTIONNISME 93

10.3 UN TROISIEME TERME : « DISPOSITION PERSONNELLE » ? 95

11 COMMENTAIRES SUR L’HYPOTHESE --------------------------------------------------------- 99

CONCLUSION ______________________________________________ 102

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6

Introduction générale

L'intention de ce travail est de rendre compte d'une problématique de recherche sur la

perspective d'universitarisation de la formation en soins infirmiers. Cette perspective semble,

au moment de l'écriture de ce travail1, se dessiner sous la forme d'un partenariat avec

l'université2. Ce rapprochement qui conjugue une formation professionnelle et universitaire

implique une réforme des études et une inscription dans le système Licence-Master-Doctorat3.

Les avantages de cette universitarisation ont déjà été largement discutés (développement de la

recherche, perspectives de mobilité, possibilité de passerelles entre formations, meilleure

lisibilité internationale...) et paraissent répondre à une attente de reconnaissance de la part des

professionnels. Si la régionalisation4 des formations paramédicales exclut pour l'heure une

inclusion dans le système universitaire, il n'en reste pas moins que cette perspective et

l'émergence éventuelle d'une discipline infirmière nous impose d'adopter une attitude

réflexive.

Dans une pratique médicale où le rationnel, l'instrumental, le procédural, la maîtrise

occupent une place privilégiée, que peut signifier une « science infirmière » ? La médecine

techno-scientifique d'aujourd'hui, née de la médecine expérimentale de Claude Bernard en

1865, tend à faire de la pratique médicale une science appliquée. Au regard de ce modèle

dominant, quelle serait alors la place d'une discipline infirmière ? Dans le métier d'infirmier

l'humain est central, puisqu'il s'agit de travailler avec et sur lui. C'est à dire de travailler avec

1 Janvier 2009 2 Rapport IGAS-IGAENR, septembre 2008: Évaluation de l'impact du dispositif LMD sur les formations et le

statut des professions paramédicales. 3 Lire LMD 4 Les régions ont « hérité » du financement des formations sanitaires et sociales: Loi du 13 août 2004 relative

aux libertés et responsabilités locales.

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l'inattendu, l'imprévisible, l'irréductible. Dès lors, de quelles « sciences » il s'agit ? Quels liens

entre savoirs disciplinaires et pratique professionnelle ? La question mérite ici d'être posée.

Si nous devions délimiter une question de départ utile à la construction de ce travail,

nous proposerions de la formuler ainsi :

La volonté d'inscrire le soin infirmier dans une « science » ne reproduit-elle pas, dans

un décalage temporel, la volonté de la médecine contemporaine à se définir comme une

médecine « scientifique » ?

Mais quel besoin, peut-on objecter d'interroger la Médecine ? Solidement ancrée sur la

biologie, n'a-t-elle pas fait la preuve de son efficacité opératoire ? La médecine

contemporaine, avec l'efficacité qu'il faut lui reconnaître, a placé au cœur de ses

préoccupation le traitement de la maladie se laissant aller à oublier la personne même du

malade (Canguilhem, 2002). Cette modernité de la médecine est fondée sur la mutation de la

pratique en technique. C'est la science et son « application constructive » qui a rendu possible

cette technique (Gadamer, 1998). Nous suggérerons alors, avec Canguilhem (2007), de

concevoir la médecine comme une techné ou comme « un art au carrefour de plusieurs

sciences, plutôt que comme une science proprement dite (ibid, 2007, p.7). ». Si la philosophie

est par l'exercice de la raison critique une interrogation permanente, nous proposerons dans ce

travail de considérer la pensée de certains auteurs pour faire l'analyse de ce que d'aucuns

nomment la « science médicale ».

Dans un premier temps, nous aborderons au travers des apports de Michel Foucault

(2004) un éclairage nous permettant de comprendre comment notre société s'est

progressivement médicalisée, fabriquant des corps dociles, conformes, et permettant d'obtenir

un contrôle de la vie individuelle. Nous préciserons comment ce biopouvoir se voit délégué à

l'individu lui-même (Elias, 1991) ; un individu érigé en gardien privilégié de sa propre santé,

dont le contrôle de soi individualisé se voit accompagné par l'État et vérifié par le médecin.

Délégation est donc faite aux sujets de réguler leurs excès, de s'en expliquer et de ménager

leur « capital » santé. L'individu devient, au travers de la médecine contemporaine, un

auxiliaire médical sous l'autorité des experts (Memmi, 2003). Un regard médical semble ainsi

posé sur tous les aspects de la vie (alimentation, sexualité, vieillesse, etc.). Ce n'est plus

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seulement la sphère du pathologique qui est visée mais plus généralement la différence par

rapport à des normes de conduites (Gori &Del Volgo, 2008). Cette rationalisation et cette

normalisation des conduites nous amènera à interroger la conception du normal et du

pathologique et au delà, notre conception du soin.

Nous proposerons avec Canguilhem (2007) une remise en question de la conception

objectiviste de la médecine. Sa thèse5 faisant basculer le concept de normal de l'objectivité à

la subjectivité comme point de référence. Il s'oppose ainsi à la pensée positive d’Auguste

Comte6 (1975) pour qui la vie (et la maladie) répond à des normes objectives. L'enjeu ultime

réside dans le fait que l'individu pensé comme subjectivité, est replacé au centre d'une pensée

du normal et du pathologique, c'est à partir de lui seul que peut être défini un critère du

normal, non à partir d'une moyenne théorique. L'expérience de la subjectivité devient

fondamentale dans la pratique médicale qui se voit dès lors obligé d'écouter et de réintégrer le

sujet dans la démarche thérapeutique. Dans la même perspective qu’Hippocrate, Canguilhem

veut redonner voix au patient.

Nous considérons, que tout en bénéficiant des progrès de la médecine moderne, une

personne ne peut « se résorber dans la partie troublée de son corps (Le Blanc, 2006, p. 110) »

et que la maladie n'est pas qu'une entité biologique. Nous nous attacherons à démontrer

comment la médecine moderne a accouché d'une vision simpliste de la maladie, en faisant

d'elle un événement purement biologique. Il n'est pas question pour nous de nier l'importance

de la science naturelle, mais de souligner seulement qu'elle doit être perçue dans sa propre

perspective et que l'homme, en tant que personne, ne peut être appréhendé intégralement à

l'intérieur d'un cadre naturaliste. L'écueil le plus important semble résider dans l'émergence

d'une médecine positive. L'excés de la science ne vient pas de ses découvertes mais de son

application. L'application est une des notions clés de la philosophie positive. La science et sa

traduction technique rationnelle se voit dès lors convoquée bien au delà de ce pour quoi elle

est effectivement compétente. Sa domination s'étend et touche de plus en plus de domaines de

la vie de l'homme.

Si la pratique médicale n'est pas l'application d'une science nous proposerons de la

5 Thèse soutenue en 1943, intitulée: Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique. 6 Surtout à la 40e Leçon du Cours de philosophie positive.

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considérer comme une techné, c'est à dire comme un savoir d'ordre pratique. L'art véritable du

soin tient à ce qui est au-delà de son modèle et ne peut être simplement déduit du savoir qui le

fonde. Nous pouvons dire que la techné est une articulation originale entre le savoir et la

pratique, où celle-ci n'est pas seulement l'application de celle là. Pour Laplantine (1997), le

fait d'être malade ne peut être scientifiquement appréhendé comme un phénomène

exclusivement médical. C'est un phénomène redevable d'une série d'éclairages différenciés

(biologique, économique, politique, psychologique, anthropologique...). Si l'évolution de la

médecine se fait de plus en plus vers une scientificité accrue et une complexité des

techniques, l'acte médical ne peut pour autant se réduire à cette dimension. La médecine, en

son sens le plus large, ne peut se détourner de l'hypothèse d'une « vie psychique de la

maladie ». Accorder une place à la « vie psychique de la maladie », « c'est en passer par la

parole du malade, c'est autoriser la construction d'un récit autobiographique à l'intérieur de la

relation thérapeutique (Le Blanc, 2006, p. 118). » L'intérêt de la psychanalyse, lorsqu'elle est

abordée comme une pensée clinique, est « d'inventer le malade comme sujet de la maladie et

ainsi donner sens à l'idée même d'un sujet malade (ibid, p. 111). »

Si la médecine est un art, une techné, une pratique qui repose sur des savoirs qui

n'épuisent pas la totalité de « l'objet », alors ; quelle légitimité aurait le soin infirmier à se

définir comme une science ?

Proposant de considérer la pratique médicale, non comme l'application d'une science

mais comme un art ou une techné, nous avançons que la pratique infirmière, c'est à dire le

soin infirmier, est encore moins une science. L'infirmier n'exerce pas une discipline, sa

pratique est celle des soins infirmiers et pas celle de la discipline infirmière. Si la pratique de

l'infirmier, au sens de la praxis aristotélicienne, requiert qu'il s'informe des travaux de

recherches et qu'il actualise régulièrement ses connaissances, cette praxis ne saurait se réduire

à l'application de ces résultats, aussi séduisants soient-ils.

Quelle est donc la particularité du soin infirmier ?

La première est certainement qu'il s'adresse au malade et donc qu'il ne peut se penser et

se réfléchir en dehors de ce lien, en dehors de cette relation. La compréhension de « ce qu'il

faut faire » relève d'une pratique à la dimension incarnée, contextualisée ; c'est à dire d'une

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praxis et non d'une pratique résultant d'une théorie appliquée. Autrement dit ; un soin

infirmier capable de convoquer dans la singularité de ce soin particulier, dans ce hic et nunc,

dans cette immédiateté, un corpus de connaissances de différentes disciplines nécessaires à sa

réalisation.

Nous pensons que la conception d'une médecine « scientifique » n'est pas sans

incidences sur la formation des infirmiers. Un vrai travail de réflexion doit dissiper, auprès

des étudiants, le malentendu sur une pratique médicale ou une pratique infirmière conçue

comme infaillible qui reposerait sur un savoir non réfutable. Il convient donc, dans la

formation de nos étudiants, de consacrer du temps et de l'énergie à développer l'esprit

critique. A défaut, le risque pourrait être de voir le modèle médical ressaisit pour penser la

pratique infirmière. Un modèle qui tendrait à se prononcer sur le malade comme il se

prononce sur la « maladie de la médecine » ; c'est-à-dire, en l'absence du malade, ou pour

reprendre la pensée de Dominique Lecourt (2008) en voulant « expliquer la vie sans la vie

(ibid, p. 111). »

Proposer la construction d'une « connaissance soignante » ne peut faire l'économie

d'une réflexion sur le lieu ou peut se créer une épistémologie du soin. C'est-à-dire, un lieu où

il est question d'accompagner les étudiants à des examens critiques approfondis et à la

révision de leurs connaissances. En somme, un lieu où il est question de développer un

« esprit scientifique » au sens bachelardien. Si ce chemin passe par celui de l'université, il n'en

reste pas moins que le terme même de « science infirmière » nous incite à une certaine

prudence. L'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise rationnelle de la

« science médicale », pose certaines questions, notamment celle d'une utilisation rationnelle

des sciences humaines ? C'est à dire, des sciences humaines permettant d'agir avec certitude,

capable de savoir et d'anticiper qui est l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour

lui. Pour le dire autrement, des sciences humaines appelées à se soumettre au modèle

épistémologique de référence de la médecine « scientifique ».

Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences

humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».

Un discours qui viendrait porter en miroir la marque des idéologies régnantes, proposant

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ainsi une vision positiviste des sciences humaines. Des sciences humaines ressaisies dans une

certaine rigidité déterministe, dans l’illusion d’une maîtrise. C'est-à-dire ; un discours qui

viendrait révéler une conception exclusivement nomothétique des sciences humaines.

Cadre formateur en IFSI depuis 6 ans, l’intérêt porté à la qualité de la formation et la

préoccupation de participer au développement d’un esprit critique chez les étudiants sont deux

vecteurs constitutifs de mon projet professionnel. Dans ce travail de recherche il s’agira

d’interroger le rapport au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. Ce

rapport au savoir où s’opère le passage de la simple écoute à la compréhension critique doit

s’initier dans les instituts. Nous proposerons que le rapport au savoir dans le soin infirmier

puisse être envisagé comme une tension, comme une dialectique entre expliquer et

comprendre. Les faits humains ont toujours deux aspects : objectifs et subjectifs, aussi les

sciences humaines font-elles jouer les deux registres de l’explication et de la compréhension.

Aborder les pratiques soignantes dans une pensée positiviste qui consisterait à replier

exclusivement les savoirs des sciences humaines sur le champ de l’explication, de la causalité,

de l’établissement de faits nous semble préjudiciable. Notre souci, dans le travail d’enquête,

va donc être de repérer chacun des jeux de langage qui peuvent ouvrir à des attentes

spécifiques quant au projet d’une science infirmière. La visée de ce travail est d’encourager

une réflexion épistémologique sur le soin et ainsi, dans la perspective d’universitarisation des

études, proposer à la formation de nouveaux dénouements.

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Approche théorique

11 LLEESS CCOONNCCEEPPTTIIOONNSS DDEE LLAA SSAANNTTEE AA TTRRAAVVEERRSS LL''HHIISSTTOOIIRREE

1.1 Histoire de la médicalisation

Nous devons à Foucault7 d'avoir rendu compte du lien étroit qui existe entre la

médecine et la pratique politique. Il montre comment, en particulier à partir du XVIIIe siècle,

nos sociétés se sont progressivement médicalisées à travers ce qu'il appelle une « extension

sociale de la norme ». Il en fera, à partir du milieu des années 1970, une des pierres angulaires

de son analyse de la bio-politique. La centralité de la médecine pour le pouvoir est, depuis le

XIXe siècle, liée au glissement d'une logique d'assistanat à une logique productive. Avec

l'apparition de la production industrielle, il est en effet devenu plus important de pouvoir

garantir une force de travail efficace et de bonne qualité plutôt que de fournir l'ordre social

contre les contagions et les épidémies. Avant la révolution industrielle, la clinique sert

essentiellement à isoler et à répertorier les individus, à contrôler le territoire. En revanche,

précise Foucault, « avec le capitalisme, on n'est pas passé d'une médecine collective à une

médecine privée, mais ... c'est précisément l'inverse qui s'est produit; le capitalisme, qui se

développe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, a d'abord socialisé un premier

objet, le corps, en fonction de la force productive, en fonction de la force de travail. Le

contrôle de la société sur les individus ne s'effectue pas seulement par la conscience ou par

l'idéologie mais aussi dans le corps et avec le corps ... Le corps est une réalité bio-politique; la

médecine est une stratégie bio-politique (Foucault, 1977). »

Foucault va développer son analyse dans deux directions. La première correspond à une

véritable « physique du pouvoir ». Cet investissement politique des corps sera également

7 Paul Michel Foucault (1926-1984), philosophe français. Il fut, entre 1970 et 1984, titulaire d'une chaire au

Collège de France à laquelle il donna le titre d'Histoire des systèmes de pensée.

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désigné par le philosophe comme une « anatomo-politique » ou une « orthopédie sociale »,

c'est à dire une étude des stratégies et des pratiques par lesquelles le pouvoir modèle chaque

individu depuis l'école jusqu'à l'usine. La seconde correspond au contraire à une bio-politique,

c'est à dire à la gestion politique de la vie : il ne s'agit plus de redresser et de surveiller les

corps des individus, mais de gérer des « populations » en instituant de véritables programmes

d'administration de la santé, de l'hygiène, etc. La bio-politique désigne la manière dont le

pouvoir tend à se transformer afin de gouverner non seulement les individus mais l'ensemble

des vivants constitués en population. La bio-politique – à travers des bio-pouvoirs locaux –

s'occupera donc de la gestion de la santé, de l'hygiène, de l'alimentation, de la sexualité, de la

natalité, etc., dans la mesure où ceux-ci sont devenus des enjeux politiques. Ce nouveau type

de « gouvernementalité » se présente par conséquent comme une nouvelle technologie du

pouvoir qui se donne un nouvel objet : la « population ». « La découverte de la population

est, en même temps que la découverte de l'individu et du corps dressable, l'autre grand noyau

technologique autour duquel les procédés politiques de l'Occident se sont transformés. On a

inventé à ce moment-là ce que j'appellerai, par opposition à l'anatomo-politique, la bio-

politique ( Foucault, 1976). » Alors que la discipline se donnait comme anatomo-politique des

corps et s'appliquait essentiellement aux individus, la bio-politique représente donc cette

grande « médecine sociale » qui s'applique à la population afin d'en gouverner la vie : la vie

fait désormais partie du champ du pouvoir.

Le contrôle social passe non seulement par la justice mais également par une série

d'autres pouvoirs latéraux (les institutions psychologiques, psychiatriques, criminologiques,

médicales, pédagogiques). Il s'agit d'une part de constituer des populations dans lesquelles

insérer les individus et d'autre part de rendre le pouvoir capillaire, c'est à dire de mettre en

place un système d'individualisation qui s'attache à modeler chaque individu et à en gérer

l'existence. Ce double aspect du contrôle social (gouvernement des populations /

gouvernement par l'individualisation) a été particulièrement étudié par Foucault dans le cas du

fonctionnement des institutions de santé et du discours médical au XIXe siècle. Toute

l'ambiguïté du terme « contrôle » tient au fait qu'à partir du début des années 1980, l'auteur

laisse sous-entendre, qu'il s’agit là d’un mécanisme d’application du pouvoir différent de la

discipline. « Le contrôle du comportement sexuel a une forme tout autre que la forme

disciplinaire (Foucault, 1984). » L'intériorisation de la norme correspond à une pénétration

extrêmement fine du pouvoir dans les mailles de la vie.

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La naissance d'une véritable « médecine sociale », allant bien au-delà du malade et de la

maladie, permet d'appliquer à la société toute entière une distinction permanente entre le

normal et le pathologique et d'imposer un système de normalisation des comportements et des

existences, du travail et des affects. « Par pensée médicale, j'entends une façon de percevoir

les choses qui s'organise autour de la norme, c'est à dire qui essaie de partager ce qui est

normal de ce qui est anormal, ce qui n'est pas tout à fait justement le licite et l'illicite ; la

pensée juridique distingue le licite de l'illicite, la pensée médicale distingue le normal de

l'anormal ; elle se donne, elle cherche aussi à se donner les moyens de correction qui ne sont

pas exactement les moyens de punition, mais des moyens de transformation de l'individu,

toute une technologie du comportement de l'être humain... est liée à cela ( Foucault, 1977). »

Si le pouvoir prend la vie comme objet de son exercice, Foucault est intéressé également à

déterminer ce qui dans la vie lui résiste et, en lui résistant, crée des formes de subjectivation et

des formes de vie qui échappent aux bio-pouvoirs.

Les disciplines, la normalisation à travers la médicalisation sociale, l'émergence d'une

série de bio-pouvoirs s'appliquant à la fois aux individus dans leur existence singulière et aux

populations selon le principe de l'économie et de la gestion politique, et l'apparition de

technologies du comportement forment donc une configuration du pouvoir qui, selon

Foucault, est encore la nôtre à la fin du XXe siècle.

Pour Norbert Elias (1991), à coté du processus de civilisation, se place un processus

d'individuation, qui se marque par l'intériorisation de contraintes externes par les sujets, donc

par un autocontrôle individuel qui renforce la conscience de soi. Que la discipline passe par

des institutions identifiées, chez Foucault, ou qu'elle passe par un processus de civilisation et

d'individuation, chez Elias, dans les deux hypothèses l'objectif politique est de fabriquer des

corps dociles, conformés, et d'obtenir un contrôle de la vie individuelle. Foucault comme

Elias ont mis en évidence que la gouvernementalité était avant tout un gouvernement des

conduites, une conduite des conduites, et que ce que cherche à obtenir le pouvoir c'est un

autocontrôle des individus, par le recours à la normalisation chez Foucault, ou aux civilités,

chez Elias. Normalisation et autocontrôle individuel visent tous deux une intériorisation des

contraintes externes, qui s'achèvent en un retrait relatif de l'Etat sur ses fonctions régaliennes,

au profit d'une prise en charge de nombre de ses fonctions par les individus.

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Pour Foucault, l'individu est ce qui résiste au pouvoir, chez Elias il est son auxiliaire,

celui qui permet à la forme étatique de se maintenir, une fois qu'elle a été individuellement

intériorisée. On a bien à faire selon cet auteur, à une intériorisation des normes nouvelles

comme d'ardentes obligations à la maîtrise individuelle : « Ils peuvent bien plus librement

décider de leur sort. Mais aussi doivent-ils décider de leur sort. Non seulement ils peuvent

devenir plus autonome, mais ils le doivent. A cet égard, ils n'ont pas le choix », note Norbert

Elias (1991) à propos des sujets en processus d'individuation. Si une œuvre s'est bien attachée

à décliner les différents modes successifs de gouvernement des conduites et des populations

concernant les usages du corps, c'est bien celle de Michel Foucault. Mais nous devons à

Norbert Elias d'avoir précisé comment ce biopouvoir était devenu un biopouvoir délégué à

l'individu. Cette « autonomie » de l’individu suggère l’avènement d’une figure maîtresse de

son destin, ayant à la fois le désir, les capacités, voire l’ardente obligation de s’autodéterminer

en toutes choses.

1.2 Place et conception de la santé dans la société actuelle

L'idée théorisée par Norbert Elias (1991) – de l' « autocontrôle » croissant d'un sujet pris

dans un « processus d'individuation » - semble habiter de plus en plus politiques publiques

et discours politiques. Le « corps » et ses usages sociaux, est un des lieux privilégiés où se

vérifierait aujourd'hui, comme chez Elias déjà, l'individuation des pratiques. Patient érigé en

gardien privilégié de sa propre santé, l'auto-surveillance des pratiques sanitaires et corporelles

semble être devenue un idéal fort exigeant : obsession des régimes alimentaires, méfiance

croissante à l'égard des dépendances orales (alcool, tabac), pratiques sportives intensives, etc.

Le « normal » devient le passage obligé par des références applicables à tous. Cette

prescription sociale des comportements est souligné par la remarque de Richard Liscia qui

dirige Le Quotidien du médecin8, « jamais l’Assemblée nationale n’a produit autant de lois

visant à encadrer, contrôler, vérifier, mettre aux normes les comportements des individus. Tout

y passe, l’alcool, le tabac, le sommeil, l’alimentation… »

8 Le Quotidien du médecin du 6 février 2007.

Page 16: « Science infirmière » ou « science appliquée

16

Ce pouvoir politique, soucieux de sa population, soucieux du devenir de ses corps, est

un biopouvoir « bienfaisant » dont on retrouve l'écho dans le biopouvoir médical

contemporain. Dominique Memmi (2003) a mis en évidence que ce biopouvoir médical était

devenu un biopouvoir délégué à l'individu, en ce sens que l'État se déleste du contrôle médical

des corps, au profit d'un contrôle de soi individualisé. On passe sensiblement d'un pouvoir

disciplinaire à un pouvoir où la contrainte externe est affaiblie, au profit d'une autocontrainte,

qui est simplement accompagnée par l'État et vérifiée par le médecin. « Ce gouvernement

contemporain des conduites qui fait écho à la bio-individuation, nous lui avons donné un

nom : la bioplitique « individuée » ou « déléguée » ( ibid, p.293). » C'est sur l'individu que

repose en fin de compte la gestion de sa propre santé. Le biopouvoir étatique a vocation à

disparaître dès qu'il aura été incorporé au niveau individuel. Il cesse d'être contrainte quand il

devient autocontrainte. Dès lors, l'instrument de la régulation des conduites contemporaines

devient la parole, le discours, le récit de soi au travers de ce que l'auteur a nommé, « les

autobiographies d'institution (ibid, p.106) ». Délégation est faite aux sujets de réguler leurs

excès, de s'en expliquer, avec la « santé » comme principe de légitimité de l'action. Il y a une

incitation à ménager dans le présent, au nom de l'avenir, un véritable capital.

« L'intériorisation de la raison médicale s'avère un moyen de faire partager des impératifs

collectifs sous une forme individualisée (ibid, p. 230). » La société déléguerait toujours

davantage à l'individu le soin de se gouverner lui même, une sorte d'autocontrôle en sorte. Au

travers de la médecine contemporaine, « ... c'est tout un nouveau style anthropologique qui

se dessine, transformant le sujet humain en chef d'entreprise de sa santé (Gori, & Del Volgo,

2008, p.95). » L'entreprise de soi-même finalement, pour laquelle « ... la médecine donnerait

des indicateurs de conduite et de gestion (ibid, 2008, p.95). » L'individu devient donc un

calculateur rationnel de ses conduites, « ... capable de percevoir son corps comme un objet

clinique et apte à devenir un auxiliaire médical (ibid, p.106) ». Cette idéologie individualiste

en même temps qu'elle promeut les droits de l'homme dans le champ de la santé, accomplit

une prescription sociale. Elle dicte finalement les postures utiles à une bonne gestion de

l'existence sous l'autorité des experts.

Nous pouvons, dès lors, nous demander pourquoi la question de la santé est devenue

aussi centrale dans notre société actuelle ? Pourquoi un regard médical semble ainsi posé sur

tous les aspects de la vie ?

Page 17: « Science infirmière » ou « science appliquée

17

Les progrès techniques et scientifiques, l'accumulation des connaissances, l'accès

presque illimité à celles-ci par l'intermédiaire des médias et d'Internet ont probablement

permis aux hommes de s'occuper sérieusement de leur santé. Simplement une telle conception

pèche par naïveté car ; « … elle passe sous silence la donnée fondamentale de notre société

selon laquelle une certaine vision de la santé, de la norme et du normal est devenu un élément

central de la pensée dominante. Ainsi être sain apparaît aujourd'hui comme un véritable

impératif social. Il ne faut pas de nos jours être fatigué, déprimé, vieillir, fumer, boire, manger

et de façon plus générale souffrir d'un éloignement physique ou mental de la norme (Stévenin,

2006, p.78). » Nous ne pourrions, aujourd’hui, nous contenter de définir la santé comme une

simple absence de maladie. Dans une formule célèbre, le chirurgien René Leriche, au début

du siècle, présentait la santé comme « la vie dans le silence des organes ». Les citoyens des

sociétés occidentales, au fait des avancées technologiques, semblent réclamer davantage.

Leurs exigences, situées dans l’axe tracé par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S),

définissant la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social »,

paraissent démesurées. Il suffit de s’attarder dans une librairie au rayon presse, voire même à

celui des ouvrages de psychologies, pour se rendre compte de l’utopie de leurs exigences. Ces

lectures laissent penser que chaque individu à droit à un corps parfait, à une vitalité

indéfectible, à des facultés épanouies, à l’absence de douleur physique et psychologique, à

une jeunesse qui perdure… Le bien être, la jeunesse, sont présentés comme l’idéal à atteindre.

L’idéal, de manière générale, quelque soit le domaine (travail, sport, santé, sexualité,

loisirs…) est toujours du coté de la performance.

Sur quel principe repose cette médicalisation de l’existence humaine ?

Selon Roland Gori et Marie-José Del Volgo (2008), « le domaine de la santé a colonisé

les régions naguère attribuées à la morale, à la religion, à l’éducation au social et au politique

(ibid, p.39). » Au point qu'à l'heure actuelle, citant Michel Foucault, les auteurs précisent, « ce

qui est diabolique, c'est que, lorsque nous voulons avoir recours à un domaine que l'on croit

extérieur à la médecine, nous nous apercevons qu'il a été médicalisé ( ibid, p. 39). » Si cette

médicalisation de l'existence a débutée au XVIIIe siècle avec la « médecine sociale »

évoquée par Foucault, elle s'est accrue sans cesse pour se mettre en œuvre massivement

jusqu'à faire apparaître le spectre d'une « santé totalitaire (Gori & Del Volgo, 2005). »

L’homme en forme d’aujourd’hui se révèle d’abord comme un homme formel, « c’est à dire

Page 18: « Science infirmière » ou « science appliquée

18

un homme dont on a cadré, régulé, défini, structuré de manière serré les conditions

d’existence, en particulier les manières d’utiliser son corps et son temps (Gori & Del Volgo,

2008, p. 42). » Ce n’est plus seulement la sphère du pathologique qui est visée, mais plus

généralement la différence par rapport à des normes de conduites. La médicalisation de

l’existence a sans cesse accru ses forces morales et normatives. Cette rationalité sanitaire a

atteint un tel point que « … rien ne ressemble plus à un malade potentiel qu’un homme

ordinaire (ibid, p.240). » Il n’y a plus de « fainéants » ou d’ « idiots » ou de « cancres »,

écrivait une journaliste9 de la Provence, mais des enfants « dys », 45000 paraît-il dans la seule

région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Cet éclairage sur la médecine contemporaine, cette orientation qui conduit à une

rationalisation et une normalisation des conduites doit nous inciter à une réflexion. Ce sont

toutes nos conceptions du soin qui se trouvent actuellement en voie de reconfiguration. Cette

haute estimation de la santé et de la vitalité est entretenue par le langage scientifique. Pour

Yvan Illich (1999), l’obsession de la santé dans les pays développés est devenue un facteur

pathogène prédominant. « Le système médical, dans un monde imprégné de l’idéal

instrumental de la science, crée sans cesse de nouveaux besoins de soins. Mais plus grande est

l’offre de santé, plus les gens répondent qu’ils ont des problèmes, des besoins, des maladies.

Chacun exige que le progrès mette fin aux souffrances du corps, maintienne le plus longtemps

possible la fraîcheur de la jeunesse, et prolonge la vie à l’infini. Ni vieillesse, ni douleur, ni

mort. Oubliant ainsi qu’un tel dégoût de l’art de souffrir est la négation même de la condition

humaine ( ibid, p.28). » L’utopie de la santé parfaite ignore, voire nie la maladie, la souffrance

et la mort. Et pourtant affirme Georges Canguilhem (2007), « … une santé parfaite

continuelle est un fait anormal … parce que l’expérience du vivant inclut en fait la maladie

(ibid, p.86). »

22 RREECCHHEERRCCHHEE,, SSCCIIEENNCCEE EETT PPRRAATTIIQQUUEE MMEEDDIICCAALLEE

La médecine contemporaine, avec l'efficacité qu'il faut lui reconnaître, a placé au cœur

de ses préoccupations le traitement de la maladie. Du fait même de sa spécialisation, elle

fragmente le corps du malade par le regard exclusif porté sur l'organe défectueux. D'une

9 Sophie Manelli, 2007, « Dans chaque classe, il y a au moins un enfant « dys », La Provence du 10 mai 2007.

Page 19: « Science infirmière » ou « science appliquée

19

médecine de l'homme qui prévalait depuis Hippocrate nous sommes passés à une médecine du

corps de l'homme – ou médecine de la maladie – dont les nécessités même de son élaboration

en savoirs scientifiquement établis ne pouvaient prendre en compte le sujet en la singularité

de son existence. La construction de la médecine techno-scientifique contemporaine s'est

laissée aller à oublier la personne même du malade – ce qui ne signifie néanmoins pas que la

pratique médicale s'exerce nécessairement dans cet oubli – alors que le soin nous invite à une

attention particulière portée à cette même personne. Une personne qui tout en bénéficiant des

progrès de la médecine moderne ne peut « se résorber dans la partie troublée de son corps (Le

Blanc, 2006, p. 110). » La difficulté à laquelle sont confrontés les professionnels de la santé

dans la mise en œuvre soignante de leurs savoirs ne provient ni de la validité de leurs

connaissances, ni de l'intérêt de celles-ci pour le soin, mais relève de leur utilisation et de

l'illusion de toute puissance qu'elles génèrent, y compris auprès de la population. En effet, de

tels savoirs, quels que soient leur complexité et le prestige associé, ne sont jamais que des

moyens auxquels ces professionnels peuvent avoir recours et ne constituent pas une finalité.

Comme nous le précise Canguilhem (2007), « la thérapeutique ne saurait se présenter comme

simple application d'un savoir physiologique préalablement donné. »

2.1 Le positivisme

C'est la science moderne qui a permis les découvertes les plus spectaculaires et

l'explosion des moyens technologiques de la médecine d'aujourd'hui. La physique, en tant que

science fondamentale de la nature et, avec elle, les autres sciences de la nature (ou sciences

naturelles), ont su séduire et conquérir les esprits. De l'étude scientifique des phénomènes

naturels, le pas sera franchi pour utiliser les mêmes méthodes et préceptes pour l'étude des

phénomènes humains et en particulier le corps humain. Ce dernier sera alors étudié comme les

objets inertes de la nature partant du principe qu'il ne pouvait y avoir de différences entre les

corps vivants et les corps bruts en ce qui concerne l'étude des phénomènes qui les concernent.

La médecine techno-scientifique d'aujourd'hui, née de la médecine expérimentale de Claude

Bernard (2008), en est un des exemples particulièrement marquant.

La doctrine exposée dans le Cours de philosophie positive d'Auguste Comte (1975) a

connu une postérité spectaculaire. La connaissance doit reposer, selon Comte, sur

l'observation de la réalité mesurée d'une façon scientifique et non sur des connaissances a

Page 20: « Science infirmière » ou « science appliquée

20

priori. Le positivisme constitue donc une systématisation du rationalisme accompagné d'une

sorte de confiance absolue dans la science, fondée sur un déterminisme mécaniste. Comte se

prétend le successeur de Descartes dont il retient le raisonnement analytique. Progressivement

les éléments centraux du corpus comtien se sont dilués, voire métamorphosés, ainsi que les

acceptions du positivisme au XXe siècle. Pour autant, il semble intéressant de dégager un

noyau dur du positivisme qui pourrait être significatif par rapport aux débats actuels autour de

la médecine et des sciences humaines (les plus « complexes » et les plus éminentes pour

Comte).

Ian hacking (1989), a magistralement résumé ce qui fait consensus entre les différentes

formes de positivisme, de sorte que nous ne pouvons faire mieux que de le citer:

« Le positivisme peut se définir par quelques idées forces.

ü 1. L'importance accordée à la vérification : une proposition n'a de sens que si l'on peut,

d'une quelconque manière, établir sa vérité ou sa fausseté.

ü 2. La priorité accordée à l'observation : ce que nous pouvons voir, toucher ou sentir

fournit, sauf pour les mathématiques, la matière ou le fondement le plus appréciable

de la connaissance.

ü 3. L'opposition à la cause : dans la nature, on ne trouve pas de causalité dépassant ou

surpassant la constance avec laquelle des événements d'un certain type sont suivis par

des événements d'un autre type.

ü 4. Le rôle mineur joué par l'explication : expliquer peut contribuer à organiser des

phénomènes mais le pourquoi reste sans réponse. On peut seulement remarquer que le

phénomène se produit régulièrement de telle ou telle manière.

ü 5. Opposition aux entités théoriques : les positivistes ont tendance à être non réalistes

parce qu'ils limitent la réalité à ce qui est observable mais aussi parce qu'ils s'opposent

à la causalité et se méfient des explications. Leur rejet de la causalité les fait douter de

l'existence des électrons simplement parce que ces derniers ont une action causale. Ils

Page 21: « Science infirmière » ou « science appliquée

21

soutiennent qu'il s'agit là seulement de régularités constantes entre phénomènes.

L'opposition à la métaphysique est finalement le dénominateur commun entre les points (1) à

(5) ci-dessus. Propositions invérifiables, entités inobservables, causes, explications profondes,

tout cela dit le positiviste, est objet de métaphysique et doit être abandonné. (Hacking, 1989,

p. 82). »

Deux aspects du positivisme sont également peu connus et revêtent un écho particulier

dans le contexte de ce début du XXIe siècle. Le premier est le rejet absolu d'une connaissance

de soi, ou par soi. Le scientifique comtien ne se connaît pas lui-même et ne saurait établir de

savoir subjectif. L'une des conditions essentielles de la vérification est l'objectivation des

phénomènes, c'est à dire leur mise à distance. Le second aspect est une conception binaire des

lois scientifiques, qui ne peuvent être que vraies ou fausses, vérifiées ou infirmées, ce qui fait

leur valeur positive. Il n'y a pas de place pour le « peut-être » dans les sciences.

La science moderne conquérante a cru pouvoir expliquer mais aussi maîtriser toute

chose, y compris les comportements humains et la tentation de poursuivre dans cette voie est

toujours forte et bien présente. L'excès de la science ne vient néanmoins pas de ses

découvertes ni de ses méthodes mais bien de certaines de ses applications. L'écueil le plus

important réside dans le positivisme, à la fois très largement décrié tout en étant aussi

largement soutenu et présent dans la civilisation contemporaine. Il faut rappeler que c'est par

les milieux médicaux que la pensée d'Auguste Comte s'est tout d'abord développée et a

contribué à l'émergence d'une médecine positive. L'application est une des notions clés de la

philosophie positive. Pour Auguste Comte10(1975), la science consiste surtout à voir pour

prévoir, donc à « étudier ce qui est, afin d'en conclure ce qui sera ». Elle est « destinée à

fournir la véritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature ». Ainsi résume la

maxime d'Auguste Comte : « Science, d'où prévoyance; prévoyance d'où action. » Dans

l'esprit positif la science doit renoncer à la question du « pourquoi » des choses, qui est la

recherche du sens et de l'absolu, pour se concentrer sur le « comment » afin de décrire des lois

de la nature, dans le but d'être utile à la société.

Par le positivisme, les savoirs revêtent un confortable caractère de certitude qui trouve

10 Cours de philosophie positive, deuxième Leçon, p. 45.

Page 22: « Science infirmière » ou « science appliquée

22

tout naturellement son prolongement dans le concret de la pratique des humains. L'écueil du

positivisme ne concerne pas seulement les sciences de la nature, il est également très présent

dans les sciences humaines. Auguste Comte interprète d'ailleurs sa propre dépression en 1826

comme l'effet d'un excès de subjectivité, envisageant dès lors la vérification du principe de

Broussais à propos de son propre cas. Canguilhem (2007) note que « c'est surtout dans le

domaine de la psychologie que l'écho des idées de Comte s'est prolongé (ibid, 2007, p;15). »

Cette influence majeure dans l'histoire de la psychologie semble également partagée par

Guillaume Le Blanc (2005) qui précise ; « il existe en effet un revers de la médaille qui

consiste dans l'importation, dans les questions psychologiques proprement dites, du principe

de Broussais de l'identification du normal et du pathologique aux variations quantitatives près

(ibid, p. 254). » Dans les métiers du soin, le positivisme a ceci de confortable mais aussi de

redoutable qu'il permet aux professionnels d'agir avec une étonnante certitude leur donnant

une forme d'assurance qui semble parfois leur permettre de savoir et d'anticiper qui est l'autre,

de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui. La revendication de nombre de ces

professionnels voulant du concret, applicable immédiatement, indique bien les ravages du

positivisme au sein de ses métiers, et par extension, au sein de la société.

2.2 Théorie, technique et pratique.

L’application des savoirs et des techniques se vérifie particulièrement aujourd’hui dans

l’importance accordée au travail standardisé. L’hôpital, traversé par le souci sécuritaire, voit

la réalisation du soin soumise à une augmentation des procédures et des protocoles codifiant

les pratiques et énonçant les bonnes règles relatives à celles-ci. Cette centration sur la tache,

ce respect des règles édictées peut parfois desservir le soin. Le travail prescrit, c’est à dire le

travail dans les règles de l’art, n’est jamais la réalité du travail.

S'il est vrai que toute pratique inclut en elle l'application de la science, toute pratique

dépasse toujours pour autant le strict domaine de la science. La pratique ne consiste pas

seulement à faire tout ce qui peut être fait ; « la pratique est toujours, dans le même temps, un

choix et une décision entre des possibilités (Gadamer, 1998, p. 13). » Si toutes les décisions

d'un professionnel du soin sont dépendantes, il est vrai, d'un savoir général, l'application in

concreto de ce savoir soulève une difficulté spécifique. C'est à la faculté de juger (et plus du

tout à un enseignement ou à un apprentissage) que revient la tâche de reconnaître dans une

Page 23: « Science infirmière » ou « science appliquée

23

situation donnée quel cas elle représente et quelle règle générale il convient d'appliquer. Il

existe une contradiction irréductible entre la science et la pratique, « la science est inachevée

par essence, quant à la pratique, elle exige des prises de décision instantanées (ibid, p. 14). »

Les médecins, mais aussi les infirmiers, ont vu progressivement leurs professions

informées par des percées spectaculaires du côté des sciences physiques, chimiques et

biologiques ainsi que du côté de la technologie. Cette modernité de la médecine

contemporaine est fondée sur la mutation de la pratique en technique. C'est la science, selon

Gadamer (1998), qui a rendu possible cette technique. C'est à dire, « un savoir orienté vers un

pouvoir-faire, une maîtrise savante de la nature, autrement dit, une technique, ce qui n'est pas

précisément de la pratique (ibid, p.16). » Le savoir de la science rend ainsi possible un

rapport à la pratique d'un genre spécifiquement nouveau et qui est celui de « l'application

constructive (ibid, p. 16). » Une application dont la démarche méthodologique consiste

invariablement à l'abstraction des relations causales singulières ; c'est à dire à isoler le

singulier.

Or, cette technique scientifique est à distinguer du concept grec de techne qui ne désigne

pas l'application pratique d'un savoir théorique, mais une forme propre au savoir pratique, un

art. Ce que nous nommons technique est, par essence, une science appliquée et « plus le

domaine de l'application s'élargit, plus l'exercice véritable du jugement personnel et, par là

même, l'expérience pratique, dans le sens propre du terme, s'amenuise (ibid, p. 29). » La

conséquence principale est que, dès lors, la science se trouve finalement convoquée bien au

delà de ce pour quoi elle est effectivement compétente. Cette science, dont les progrès

incontestables réalisés dans la connaissance de la maladie, dont la traduction technique

rationnelle se déploie dans tous les services, oublie que « la sphère du non rationalisé reste ici

particulièrement importante (ibid, p. 32). »

Que pourrait nous dire la science et sa traduction technique de la vie psychique de la

maladie ? Quel enseignement nous apporte la science appliquée de ce que peut être la vie avec

la maladie, ou l'aménagement de la vie avec la maladie ?

Une forme de domination technique et scientifique s'étend et touche de plus en plus de

domaines de la vie de l'homme. L'application de la science intervient en lieu et place de la

Page 24: « Science infirmière » ou « science appliquée

24

décision personnelle de l'individu. Sa rationalité touche un domaine dans lequel est en jeu ce

que l'on nomme la compréhension de soi ou le « souci de soi ». C'est là une modification

fondamentale et « il s'agit, ici, moins du progrès scientifico-technologique, en tant que tel, que

de la rationalité délibérée à l'œuvre dans l'application de la science (ibid, p.19). » Aussi est-il

profondément justifié que le médecin ou l'infirmier n'envisage pas son métier seulement en

tant que simple technicien, qui appliquerait la science et les connaissances transmises par

cette dernière en vue du rétablissement de la santé. La pratique est plus que la seule

application d'un savoir. L'homme n'est pas seulement un être de nature, il est aussi, en tant que

personne, « mystérieusement étranger à lui-même et aux autres ... de sorte que l'imprévisible

intervient sans cesse (ibid, p.172). » Dès lors, cet art de la compréhension que l'on nomme

herméneutique a à voir avec cette énigme de l'homme à la fois pour lui-même et pour les

autres. Il n'y a alors rien d'étonnant, qu'en cette époque où la science est reine, la philosophie

commence à percevoir et à estimer quelles sont les limites de l'application des règles. Pour

Gadamer, « il serait bon de prendre conscience des différences qui existent entre la médecine

scientifique et le véritable art médical. Il s'agit finalement de la même différence que celle

qu'il y a entre le savoir des choses en général et l'application concrète de ce savoir à un cas

unique (ibid, p. 113). »

2.3 La science et la philosophie

L'ambivalence des sentiments qui entourent les progrès actuels des sciences et la

puissance croissante de leurs applications appellent une réflexion philosophique approfondie.

Entre une confiance souvent aveugle et une inquiétude parfois excessive, comment trouver la

voie de la raison ? Les progrès fulgurants des sciences biologiques depuis cinquante ans, le

jaillissement puis l'expansion des biotechnologies, les extraordinaires succès des nouvelles

techniques participent à « une conception scientifique du monde ». Dans certaines branches

de la science, un nouveau vocable a vu le jour et son utilisation est de plus en plus répandue ;

la « technoscience ».

Dominique Lecourt (1997), précisait dans un éditorial à propos de la science ; « La

puissance qu'elle permet de conférer aux techniques humaines a installé la science au cœur

des sociétés contemporaines. Elle bénéficie d'une solide confiance de la part de tous ceux qui

ont pu bénéficier de la maîtrise des phénomènes naturels qu'elle rend possible. La science,

Page 25: « Science infirmière » ou « science appliquée

25

référence suprême de la pensée occidentale, naguère appelée à y tenir la place de Dieu, suscite

aujourd'hui dénigrement et ressentiments. Tout le monde s'incline devant son efficacité.

Nombreux sont cependant les penseurs, les ingénieurs, les chercheurs même et les simples

citoyens qui considèrent sa rationalité comme desséchante, voire oppressive. Contre elle, une

certaine « spiritualité » fait recette pour le plus grand profit de charlatans bien organisés (ibid,

p.3). » Les prolongements et les applications de certaines connaissances, notamment

lorsqu'elles prennent la forme d'une rationalité oubliant que c'est aux humains et à leur

environnement qu'elles se destinent, peuvent faire l'objet d'une mise en garde. L'oubli de

l'humain dans le recours à la science est certainement ce qui explique son rejet, sans nuances

par les uns, ou alors avec une confiance fluctuante pour les autres. C'est ainsi que Ilya

Prigogine, prix Nobel de chimie (1977), formulera une mise en garde à propos de certaines

tentations de la science. « Il faut dire que science et domination de la nature deviennent

proches parentes; et il faut ajouter que ce n'est que tout récemment que nous avons découvert

les limites et les dangers de cette approche (Prigogine, 2001, p.42). » Si nous devons à la

science, par l'intermédiaire de la recherche, une incontestable production de connaissances

nouvelles elle nous confronte également à un défi. Le défi de l'intelligence humaine donnée à

son application.

Le débat social autour de la science trouve que peu d'écho dans l'enseignement

scientifique. La pratique de cet enseignement vise essentiellement à la maîtrise technique.

Pour Dominique Lecourt (2008), le lien entre la pensée scientifique et ses caractères propres

d'une part, et les autres formes de la pensée humaine d'autre part a été perdu de vue ou nié, ce

qui aboutit au « scientisme ». Dans un rapport11 remis au ministre de l'Education nationale, de

la Recherche et de la Technologie, il dénonce une image purement calculatoire et opérative

de l'activité scientifique. Image qui tend à s'imposer aux chercheurs eux-mêmes. Il précise que

l'enseignement des sciences tel qu'il est aujourd'hui conçu ne leur apporte pas les instruments

intellectuels nécessaires pour faire face aux questions qui ne manqueront pas de leur être

posées. Dominique Lecourt, dans ce rapport, plaide pour qu'il y ait reconstitution de l'alliance

entre philosophes et scientifiques. Une coopération entre professeurs de philosophie et

professeurs de sciences et techniques permettrait de prendre un peu de distance avec les

formes de l'enseignement des sciences. Un enseignement de philosophie des sciences attentif

11 L'enseignement de la philosophie des sciences: rapport au ministre de L'Education nationale, de la Recherche

et de la Technologie, Paris, 1999, p.5.

Page 26: « Science infirmière » ou « science appliquée

26

à l'histoire de la pensée scientifique semble constituer le meilleur des garde-fous. Cet

enseignement vaut bien évidemment pour les étudiants en médecine, mais aussi pour les

étudiants infirmiers. Les progrès du savoir biomédical confèrent un pouvoir qui interroge, par

ses possibilités d'intervention sur l'homme, le sens même de ces métiers et plus largement la

conception de la personne humaine. Pour Lecourt (1999), l'absence de cet enseignement se

vérifie au regard de la place occupée aujourd'hui par l'éthique. « Confrontés à des questions

ouvertes qui exigent une réflexion approfondie sur les fondements de tous les systèmes

normatifs admis par l'homme moderne, ils (les médecins) expriment leur malaise par le mot

d'éthique (ibid, p. 28). » Dans son rapport, l'auteur précise que les rares professeurs de

philosophie français spécialistes des sciences bio-logiques et médicales, notamment Anne

Fagot-Largeault12, font remarquer que la médecine contemporaine sollicite leur réflexion sous

trois aspects:

ü La question du rapport entre la science et l'art médical profondément renouvelée par la

place qu'y prend la recherche fondamentale, laquelle n'est plus exclusivement ni

nécessairement l'affaire des médecins.

ü Le rôle joué par la pharmacologie industrielle et l'instrumentation modifie la distribution

des rôles sociaux dans l'art médical lui-même. L'interposition de couches techniques de plus

en plus complexes dans l'intervention médicale déplace la responsabilité du diagnostic et de la

décision thérapeutique du médecin individuel vers des instances collectives. Ce transfert

appelle une réflexion qui ne s'inscrit pas dans le simple registre éthique.

ü Enfin, il existe un nombre croissant de problèmes individuels et sociaux qui ne relèvent

pas spécifiquement de la maladie et dont nos sociétés semblent chercher la solution au niveau

de l'hôpital ou plus largement dans les moyens de l'appareil biomédical.

Le traitement de ces questions suppose un travail de réflexion qui fasse appel au

concours de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, aussi bien qu'aux

médecins. La philosophie s'affirmant comme l'opérateur de transdisciplinarité par excellence.

12 Il faut transporter la philosophie dans la médecine, et la médecine dans la philosophie: Anne Fagot Largeault

a fait sienne cette maxime d'Hippocrate. A la fois médecin psychiatre et philosophe des sciences elle occupe

la chaire de philosophie des sciences au Collège de France et est membre de l'Académie des sciences.

Page 27: « Science infirmière » ou « science appliquée

27

2.4 Hiérarchisation des savoirs et modèle épistémologique de référence.

La science est vaste et les connaissances qui la compose augmentent au fil du temps. Il

est apparu nécessaire de l'organiser en branches et ce sont ces différentes branches de la

science qui sont nommées disciplines. Celles-ci se ramifient à leur tour selon l'étendue du

domaine concerné et créent de la sorte, en certains cas des sous-disciplines. Cette expression

n'indique néanmoins pas un niveau d'infériorité mais bien un degré plus précis de

spécialisation ou un regroupement de certaines particularités au sein d'une même discipline.

La recherche relève ainsi de disciplines qui lui servent, en quelque sorte, de domicile, de lieu

où elle est accueillie, abritée et où elle peut se développer. La discipline permet d'organiser les

connaissances en catégories et de mettre de l'ordre tant dans leur construction que dans leur

présentation et leur diffusion.

S’il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie des sciences, qui viendrait postuler par avance

que dans la pratique médicale une serait majeure et l’autre mineure, dans la réalité, une

distinction s'opère. La science n’échappe pas à la tentation de la hiérarchisation. Celle-ci est

exprimée de manière explicite par les expressions « sciences dures » et « sciences molles ».

Cette hiérarchisation qui s’ordonne autour des notions d’intérêt et d’utilité est dommageable à

la science elle même. Les tentatives de hiérarchisation témoignent d’un rapport de force

étranger à l’esprit scientifique et mettent à l’œuvre d’autres questions que celles qui relèvent

de la science. Pour François Laplantine (1997), « La pensée médicale officielle de notre

société, celle qui bénéficie de la plus grande légitimation sociale, ne serait guère

compréhensible sans son modèle épistémologique de référence qui est celui des sciences

exactes (ibid, p. 267). » Selon lui, « tout ce qui n'entre pas dans ce champ du savoir (le

biomédical) est soit abandonné aux élucubrations de la pensée non scientifique, soit appelé à

s'y soumettre (ibid, p. 267). » Les principes énoncés par Claude Bernard, en 1865, suggérant

que la médecine devienne une science véritable, c'est à dire une « physiologie appliquée »,

paraissent encore fécond dans la médecine contemporaine. Pour Laplantine, la situation

actuelle de l'épistémologie médicale semble procéder d'une radicalisation croissante qui ne

manque pas d'entraîner un certain nombre de conséquences :

ü « Seuls les individus qui sont le support d'une maladie organique, c'est à dire ceux

Page 28: « Science infirmière » ou « science appliquée

28

pour lesquels il est possible de trouver une correspondance lésionnelle, méritent le nom de

malade dans l'espace de cette biologie appliquée qu'est la médecine. Les troubles

fonctionnels ne sont pas à proprement parler des maladies.

ü La clinique médicale est dans une relation de subordination par rapport à la science

fondamentale qui, dans le domaine de la médecine, est la biologie moléculaire. Cette

clinique tend à devenir selon Laplantine (citant Israël13), la simple courroie de

transmission des sciences fondamentales, c'est à dire de la biologie générale appliquée.

ü La priorité est donnée à la quantification, il n'y aurait de connaissance scientifique que du

mesurable. L'administration de la preuve par la mesure devient la référence du vrai et du

faux, de l'objectif et du subjectif. Le diagnostic clinique devient secondaire. Fondé sur

l'observation et sur l'écoute du malade et donnant trop de prise à la subjectivité, il est

considéré comme non scientifique. Le diagnostic de la médecine contemporaine privilégie

les médiations instrumentales. Les signes imparables du « vrai malade », présentant une

« vraie maladie », sont aujourd'hui nécessairement quantifiés et se donnent à voir dans un

rapport chiffré (ibid, p. 270). »

Selon Laplantine ce modèle épistémologique de référence de la pensée médicale

s'ordonne autour des « sciences exactes » ou sciences nomothétiques. Il tend dans la pratique

des médecins, au mieux à un clivage du biologique et du non biologique et, au pire, dans une

attitude qui peut être qualifiée de positiviste. Positiviste, car opérant une extension du

biologique dans des prises en charge (sexualité, insatisfaction psychologique, sociale,

existentielle...) qui ne relèvent pas du champ de leurs compétences de la maladie au sens

proprement médical. Ce modèle épistémologique de référence participe à la genèse d'une

culture médicale, qui, « paradoxalement, procède à un double mouvement de désocialisation

de la maladie et de médicalisation de la société (ibid, p. 273). » C'est cette extension du

« naturel » à l'affectif et à l'historique, cette biologisation du psychologique, du social et du

politique qu'il convient, pour des raisons strictement scientifiques, de mettre en question.

Pour Laplantine, le savoir (bio)médical ignore ou réduit « le rapport de la maladie au

social et à l'histoire, ainsi qu'à tout ce qui échappe à la mesure et notamment la subjectivité et

13 Israël, L. (1968). Le médecin face au malade. Bruxelles: Dessart.

Page 29: « Science infirmière » ou « science appliquée

29

la fantasmatique non seulement du malade mais aussi du médecin … bref le rapport au

langage, à l'inconscient et à la question du sens (ibid, p.325). » C'est à dire, des

représentations qui ne se prêtent pas au processus de validation positive qui est la règle d'or

de la biomédecine. Une médecine, soucieuse de cette part d'irrationnel, ne peut pas ne pas

tenir compte de la spécificité de son objet et, « ne saurait se passer de l'approche des sciences

humaines, en prenant garde que, de complémentaire, cette approche ne devienne à son tour

exclusive (ibid, p. 325). » Dans une médecine, dont la pratique se traduit par l'application

intégrale d'une science exacte, tout ce qui relève de la relation médecin-malade ne peut être

que considéré comme secondaire. Ce ne sont pour les médecins « que de simples éléments

d'accompagnement, des facteurs résiduels, et non des causes décisives, lesquelles ... ne

peuvent être que mesurées (ibid, p. 326). » Or, le grand mérite des sciences psychologiques, et

en particulier de la psychanalyse, est d'avoir montré à quel point il était nécessaire de

réintégrer toute cette problématique du sens.

Nous avons abordé dans une première partie du travail les liens étroits entre la médecine

et la pratique politique et ainsi proposé un éclairage, permettant de comprendre comment nos

sociétés se sont progressivement médicalisées. Nous avons précisé, grâce aux apports de

Norbert Elias, que ce biopouvoir concernant les usages du corps était devenu un biopouvoir

délégué à l'individu ; individu, dès lors, respectueux d’une prescription normative autour de

pratiques sanitaires et corporelles. Toute situation médicale implique donc un lien au social,

pourtant, le processus d’objectivation en œuvre dans le savoir biomédical suppose

l’élimination de ce lien. La médicalisation croissante de l’existence (retards scolaires,

alimentation, rapport au corps, etc.) et la notion même de santé qu’elle engage, « n’a

absolument rien de scientifique, mais dépend d’une normativité et de critères qui ne sont pas

biologiques, ni psychologiques, mais éminemment sociaux (ibid, p. 328). » Si la bio-

médecine n’est pas un point de vue parmi d’autres mais une explication tenue pour

absolument incontestable, c’est à dire dans notre culture la seule approche qui soit réellement

scientifique, elle le doit au prestige et à l’hégémonie sociale qui lui est conférée par rapport à

tous les autres discours.

La pratique de la médecine pour être le plus proche de son objet ou plutôt de son objet /

sujet, c’est à dire de « de la maladie du malade », doit à la fois s’intéresser et convoquer des

connaissances des sciences biologiques et des sciences humaines. Plutôt que d’agiter l’apport

Page 30: « Science infirmière » ou « science appliquée

30

inestimable des sciences humaines, Laplantine nous propose d’approfondir un certain nombre

d’exigences épistémologiques incontournables :

ü « Le fait d’être malade, à moins de procéder à une dilatation à l’infini du médical, au

sens ou nous l’entendons en Occident, ne peut être scientifiquement appréhendé comme un

phénomène exclusivement médical. C’est un phénomène redevable d’une lecture biologique,

mais aussi économique, politique, psychologique… Le même fait de santé n’est jamais en lui

même un fait plutôt économique, plutôt psychologique, plutôt culturel… Il est, en revanche,

redevable d’une série d’éclairages différenciés, avec ses aires de rentabilités respectives, et

dont il convient d’articuler les problématiques en présence (lesquelles ne peuvent être que

différentes) plutôt que de les fusionner en une problématique unique.

ü Il n’est pas scientifique de disjoindre la médecine comme science et la médecine

comme pratique sociale. Même en temps que science, et peut-être surtout en tant que science,

la médecine évolue. Elle est redevable d’une anthropologie (sociale, culturelle, historique) au

même titre que les autres formes de thérapies. L’une des raisons d’être de cette anthropologie,

c’est de mettre en évidence ce qui n’est pas dit par le discours (bio) médical (ibid, p.331). »

L’intérêt devient alors de chercher un modèle plus souple et apte à saisir la réalité des

phénomènes, sans opposer un mode d’interprétation à un autre. Un modèle qui ne réduit pas la

complexité de la pathologie humaine derrière l’affirmation réitérée de l’objectivité. Un

modèle plus proche de « l’esprit scientifique », où un problème nécessite d’être bien posé,

« où rien n’est donné, où rien ne va de soi, où tout est construit (Bachelard, 2004, p.16) ». Si

Canguilhem réfute l’idée d’une médecine scientifique, Laplantine considère qu’elle ne l'est

pas suffisamment, et même dans certains cas qu’elle ne l’est pas du tout. Il lui fait le reproche

de rechercher et de retrouver en toute circonstance le schéma épistémologique de la cause et

de l’effet.

Nous postulons, dès lors, de la nécessaire complémentarité entre une approche

nomothétique et une approche herméneutique des savoirs et de la connaissance dans la

pratique médicale. L'essentiel consiste ainsi à maintenir une « tension » entre deux

perspectives dont aucune, prise en elle-même et comme un absolu, ne peut prétendre à une

totale légitimité.

Page 31: « Science infirmière » ou « science appliquée

31

33 MMEEDDEECCIINNEE EETT PPRRAATTIIQQUUEE SSOOIIGGNNAANNTTEE :: CCOONNCCIILLIIEERR LL''AARRTT EETT LLAA SSCCIIEENNCCEE..

3.1 Les concepts du normal et du pathologique

Georges Canguilhem (2007), au travers de sa thèse de médecine sur le normal et le

pathologique, se réfère pour l'essentiel à Auguste Comte et à Claude Bernard14. L'auteur

examine d'abord le problème de savoir si l'état pathologique n'est qu'une modification

quantitative de l'état normal. A contre courant du positivisme dominant, il précise dans son

introduction sa conception d'une médecine qu'il qualifie « ...comme une technique ou un art

au carrefour de plusieurs sciences, plutôt que comme une science proprement dite (ibid,

p.7) . » Il rappelle que la thérapeutique ne saurait se présenter comme simple application d'un

savoir physiologique préalablement donné. Il est question pour Canguilhem de faire la

critique de la thèse de Comte. « Comte attribue à ce qu'il appelle le principe de Broussais15

une portée universelle, dans l'ordre des phénomènes biologiques, psychologiques et

sociologiques (ibid, p.18). »

La thèse de Comte, à travers la continuité du normal et du pathologique et

l'identification quantitative, postule une norme objective qui caractérise l'état normal. C'est

autour de cette norme qu'oscillent maladie et santé. Qu'est-ce qui définit cet état dit normal ?

« La norme, le médecin l'emprunte usuellement à sa connaissance de la physiologie, dite

science de l'homme normal (ibid, p.75). » le normal est l'état ou l'organisme obéit aux lois

partout et pour tous identiques. A l'inverse le pathologique est du moins normal, un écart que

l'on traite par rapport à la norme: « Guérir c'est en principe ramener à la norme une fonction

ou un organisme qui s'en sont écartés (ibid, p.75). »

Canguilhem réfute d'emblée la thèse de Comte. Il critique une conception mécanisée du

corps qui consisterait à appréhender la maladie en plus et en moins et à la considérer comme

un écart par rapport à la norme. « Voir dans toute maladie un homme augmenté ou diminué,

14 Surtout à l'Introduction à la médecine expérimentale. 15 Ce dernier consiste à dire que « toutes les maladies consistent dans l'excès ou le défaut de l'excitation des

divers tissus au-dessus et au-dessous du degré qui constitue l'état normal. Les maladies ne sont que les effets

de simples changements d'intensité dans l'action des stimulants indispensables à l'entretien de la santé. »

Page 32: « Science infirmière » ou « science appliquée

32

c'est déjà en partie se rassurer. Ce que l'homme a perdu peut lui être restitué, ce qui est entré

en lui peut en sortir... (ibid, p.11). » Pourquoi se rassurer ? Précisément parce que la maladie

ainsi conçue n'est qu'un écart qu'il faut rattacher au normal, dès lors, l'espoir d'une guérison,

d'une restitution de l'état initial est envisageable. Sa démarche va être précisément d'ébranler

cette conception objectiviste de la santé (et donc de la maladie), pour montrer que la santé ne

correspond pas à une norme objective mais subjective. Pour Canguilhem, c'est seulement à

partir de la personne que l'on peut déterminer et penser la santé, la maladie et par extension la

norme.

3.2 Conséquences du principe de Broussais

La première conséquence de cette théorie consiste à dire que la vie répond à des normes

objectives. Cette détermination médicale du normal et de la santé impose un raisonnement

techno-scientifique et perd de vue le patient lui-même. Cette « conviction de pouvoir

scientifiquement restaurer le normal est telle qu'elle finit par annuler le pathologique. La

maladie n'est plus objet d'angoisse pour l'homme sain, elle est devenue objet d'étude pour le

théoricien de la santé (ibid, p.14). » Dans cette perspective, la maladie se traite

objectivement, elle est rationalisée par rapport à un savoir fondamental. La médecine se

concentre exclusivement sur l'épreuve de soin devant conduire à la guérison et écarte l'histoire

subjective de la maladie. Sur ce point, Canguilhem insiste sur l'idée qu'il existerait deux

maladies, une maladie de la médecine et une maladie du malade ou une maladie « portée par

le malade ». Le drame de la médecine contemporaine, dite « scientifique », c'est que « le

médecin à tendance à oublier que ce sont les malades qui font appel au médecin (ibid,

p.139). » Ainsi, il nous propose de bien distinguer « ... les deux points de vue si souvent

mêlés, celui du malade qui éprouve sa maladie et que la maladie éprouve, et celui du savant

qui ne trouve rien dans la maladie dont la physiologie ne puisse rendre compte (ibid, p.24). »

La seconde conséquence, illustrée par Claude Bernard cette fois (toujours cité par

Canguilhem) est l'affirmation d'une continuité entre les phénomènes pathologiques et

physiologiques. La pertinence de la thérapeutique viendrait s'épuiser dans la connaissance

d'une pathologie scientifique, qui elle même ne peut qu'être fondée sur la science

physiologique. Claude Bernard considère « la médecine comme science des maladies, la

physiologie comme la science de la vie (ibid, p.34). » Ces évidences se trouvent consolidées

Page 33: « Science infirmière » ou « science appliquée

33

dès lors qu'elles apparaissent porteuses d'une quantification, signe de la science. Cette double

qualification de science traduit le fait que la théorie prime sur la pratique. Pouvons-nous en

conclure que le pathologique ne serait, par rapport au physiologique, que « ...le dérangement

d'un mécanisme normal, consistant dans une variation quantitative des phénomènes

normaux » ? Nous voilà bien éloignés de l'idée soutenue par Canguilhem selon laquelle le

pathologique serait en soi, une autre norme, une autre « allure de la vie 16», et qu'en ce sens

« aucune guérison est un retour ». Une vie malade n'est donc pas seulement une vie diminuée

mais une vie modifiée par l'événement qu'est la maladie. En tout cas, « aucune guérison n'est

retour à l'innocence biologique. Guérir c'est se donner de nouvelles normes de vie, parfois

supérieures aux anciennes. Il y a une irréversibilité de la normativité biologique (ibid,

p.156). »

3.3 Le normal c'est la normativité

Le normal est le concept clé de toute la philosophie de Canguilhem, sa thèse va faire

basculer le concept de normal de l'objectivité à la subjectivité comme point de référence. En

tant qu'humain, un individu est doué de conscience. Se déclarant malade, il juge l'état de ses

normes biologiques. Dans tous les cas, ce jugement consiste à comparer ses possibilités

d'aujourd'hui à celles d'hier. Et ce qui est menacé par la maladie, ce n'est pas la fonction de tel

ou tel organe, c'est « l'allure de la vie » de l'individu, c'est à dire le tout de ses relations avec

son milieu dans son devenir. Canguilhem montre que toute conception objectiviste de la

norme comme moyenne statistiquement établie repose sur une confusion. L'individu humain

est un vivant particulier. Sa normativité s'affirme comme une capacité de créer de nouvelles

normes. Il affirme ; « en matière de normes biologiques c'est toujours à l'individu qu'il faut se

référer (Canguilhem, 2007, p.118) ». Pour Canguilhem, il n'y a pas de normal et de

pathologique en soi, ce qui implique une réfutation de l'objectivité de la norme concernant le

vivant et le refus de l'idée d'une santé parfaite. La pratique médicale impose selon lui un

16 Canguilhem accorde à cette expression une importance toute particulière dans sa thèse. L'allure, c'est le

mouvement selon le plus ou le moins (vite) mais aussi selon le rythme, c'est le pas, le trot, le galop; c'est

aussi, en société, la reconnaissance par d'autres de qui en impose - qui a de l'allure ou fière allure. Lorsqu'il

s'agit, au terme de son argumentation, de définir la physiologie, Canguilhem propose la formule suivante: « la

science des allures stabilisées de la vie (Canguilhem, 2007, p. 137). » Définition dynamique, car « des allures

ne peuvent être stabilisées qu'après avoir été tentées, par rupture d'une stabilité antérieure (ibid, p. 137). »

Page 34: « Science infirmière » ou « science appliquée

34

réexamen des notions de « norme », de « normalité » et de « normativité ». Pour Canguilhem,

le normal c'est le normatif. Être normatif, c'est pouvoir s'adapter, se donner de nouvelles

normes d'existence, « l'homme normal, c'est l'homme normatif, l'être capable d'instituer de

nouvelles normes, même organiques (ibid, p.87). » La normativité ne peut être comprise que

par référence à l'individu. La normativité c'est la manière dont chaque individu vit la santé ou

la maladie dans la dynamique de la vie, dans « l'allure de la vie ». La normativité permet de

comprendre qu'il n'y ait ni normal, ni pathologique en soi. Nier l'objectivité, c'est redonner

voix à la subjectivité qui se sent normale, ou qui se sent malade. C'est réhabiliter la place

centrale du vécu du patient dans la relation soignant-soigné.

Il n'est pas question pour Canguilhem de réfuter les apports de la science pour la

médecine. Il ne s'agit pas non plus de défendre une conception seulement « intuitive » de la

pratique médicale, mais davantage de soutenir la nature particulière de cette pratique. Elle ne

saurait se « présenter comme la simple application d'un savoir préalablement donné parce

qu'elle a pour cible un être en détresse, dont les traits individuels ne se laissent pas assigner au

statut d'un objet (Lecourt, 2008, p.33). »

3.4 De la normativité à la subjectivité

Dire que l'homme normal est celui qui éprouve son existence, qui jauge sa normativité,

implique que nous pensions la frontière entre le normal et le pathologique sur fond de

subjectivité. Ce qui est au premier plan de la maladie pour un malade ce n'est pas la variation

quantitative mais plutôt qualitative. Pour Canguilhem, la nécessité de comprendre l'organisme

dans son tout permet d'affirmer que, lorsqu'il est « malade », il est devenu « autre ». Cette

altérité est nécessairement perçue par le malade comme qualitative. La formule de Leriche,

que cite Canguilhem, donne tout son sens à cette affirmation : « La maladie humaine est

toujours un ensemble ... ce qui la produit touche en nous, de si subtile façon les ressorts

ordinaires de la vie, que leurs réponses sont moins d'une physiologie déviée que d'une

physiologie nouvelle (Canguilhem, 2007, p.53). » L'expérience de la subjectivité devient

fondamentale dans la pratique médicale qui se voit dès lors obligée d'écouter l'homme qui se

sent « autre ».

Pour Canguilhem, la maladie vient interrompre une « allure de la vie ». Il y a un

Page 35: « Science infirmière » ou « science appliquée

35

autrefois dont le patient garde la mémoire, « On est donc malade non seulement par référence

aux autres, mais par rapport à soi (ibid, p. 87). » Le pathologique naît donc d’un sentiment de

pathos, de la conscience d’une diminution de soi. Le sujet éprouve une diminution qu’il

affirme en référence à la représentation qu’il se fait de sa propre santé. Entrer dans la maladie,

de ce point de vue, c'est entrer dans la fragilité de la vie. Nous pensons, avec Guillaume Le

Blanc (2006), que « la maladie est un point de vue sur la vie qui fait disparaître l'attachement

innocent à la vie (ibid, p. 114). » La maladie est donc appréhendée d’abord subjectivement par

le malade qui éprouve un écart à son état normal. Il se fie à la connaissance qu’il a de

l’expérience de sa normalité ; en bref, il connaît son état en l’éprouvant. Nous pouvons dire

que « c’est le pathos qui conditionne le logos parce qu’il l’appelle. C’est l’anormal qui suscite

l’intérêt théorique pour le normal (ibid, p.139). »

Deux implications découlent de la définition de la maladie qui vient d'être donnée. La

première est philosophique et elle redonne de l'importance à la connaissance intuitive laissée

de côté par l'approche positiviste. La seconde concerne la nature de la relation soignant-

soigné. Le médecin se doit de considérer la conscience du patient, d'écouter ce que lui délivre

son intuition. Cette épreuve subjective, cette vie psychique de la maladie qui est considérée

par Canguilhem comme une nouvelle dimension de la vie, doit nous amener à repenser le sens

de la pratique médicale et du soin en général. L'enjeu ultime réside dans le fait que l'individu

pensé comme subjectivité, est replacé au centre d'une pensée du normal et du pathologique,

c'est à partir de lui seul que peut être défini un critère du normal, non à partir d'une moyenne

théorique. La normalité c'est l'activation de la normativité permettant à l'organisme de faire

varier ses normes de vie. La pathologie est une diminution de cette même normativité, mais

c'est l'individu qui en prend conscience, qui se juge déficient, et en appelle à la médecine. La

médecine, dans cette perspective, doit nécessairement tenir compte de l'intuition qu'a

l'individu de sa propre existence. Canguilhem contribue à redonner au patient l'importance de

sa connaissance sensible, et ainsi, la position qui lui revient de droit à l'intérieur de sa propre

maladie. Toute considération de la maladie part du malade lui-même. La perspective de

Canguilhem est donc de réintégrer le sujet dans la démarche thérapeutique, oublié sur son

propre terrain, évincé au profit d'une sur-rationalisation. Dans la même perspective que

Hippocrate, Canguilhem veut redonner voix au patient afin qu'il exprime ses signes. Il veut

redonner corps à la certitude sensible de celui qui se sent malade et montrer par-là même, que

la médecine existe parce qu'il y a des patients, que le premier terme de la clinique est le sujet

Page 36: « Science infirmière » ou « science appliquée

36

et non le cas.

3.5 Retour sur l'antiquité

La médecine grecque est le centre du tout premier débat sur la science. Elle apporte

avec elle son propre exemple, très précieux pour l'époque, celui d'une techné unique en son

genre, à la fois spécialisée, dotée d'un code de déontologie précis – le Serment d'Hippocrate –

et se prêtant à merveille à l'analyse des relations entre la pratique et le savoir. Le concept grec

de techné ne désigne pas l'application d'une connaissance théorique, il est par lui -même un

savoir d'ordre pratique. Nous pouvons dire que la techné est une articulation originale entre le

savoir et la pratique, où celle-ci n'est pas seulement l'application de celle-là. C'est bien l'action

de soigner, de soulager et de guérir qui est au cœur de la médecine et non le savoir lui-même.

La techné, vertu aristotélicienne de l'intelligence poïétique et art d'adapter aux cas particuliers

les données générales de l'intelligence théorique17. La techné se construit sur l'expérience,

mais elle ne naît que dans « un jugement universel, applicable à tous les cas semblables »18,

elle est en ce sens porteuse d'un savoir rationnel. Avec Aristote, c'est un premier statut

scientifique de la médecine qui se met en place, traduisant en quelque sorte un investissement

progressif de la techné par l'épistémé. La techné médicale a été d'emblée et restera

indéfiniment une attente de plus de savoir venant valoriser la part irréductible de savoir-faire

autour de laquelle elle est construite.

Cette singularité irréductible de l'acte soignant, l'absence de référence absolue quant aux

résultats qu'il produit, l'écart inéluctable entre sa prescription et son accomplissement, font du

soin dispensé une œuvre qui est hors de portée de toute saisie entièrement objective. L'art

véritable du soin tient à ce qui est au-delà de son modèle et ne peut être simplement déduit du

savoir qui le fonde. La techné a sur la simple technique une supériorité éclatante : loin d'être

seulement le moyen entièrement préétabli de certaines fins, elle est aussi l'art de se retrouver

et s'orienter dans un domaine inconnu, assurant ainsi l'avancée du savoir. Voilà qui nous

entraîne bien loin du sens moderne et étriqué de la technique comme maniement ou utilisation

de moyens. Les sciences modernes ont cette particularité qu’elles envisagent leur savoir

comme un pouvoir-faire. Nous pouvons dire que nous sommes passés d’une techné à une

17 Cf. notamment Aristote, Ethique à Nicomaque, 1094 a, 1140 a, L'épistémé est la science de l'intelligence

théorique, dont se distingue précisément la techné. 18 Aristote, Métaphysique, A, 1, 981 a.

Page 37: « Science infirmière » ou « science appliquée

37

technique. « Le concept de technique dans la pensée scientifique moderne s’arroge ainsi des

possibilités plus grandes, en particulier dans le domaine de la pratique et de l’art médical. Le

pouvoir-faire se rend en quelque sorte autonome … il est l’application d’un savoir théorique

… il n’est pas une thérapie, il est une action (Gadamer, 1998, p.47). »

44 LLAA QQUUEESSTTIIOONN DDUU PPAARRAADDIIGGMMEE EENN MMEEDDEECCIINNEE

4.1 Le paradigme selon Thomas Samuel kuhn

Le terme de paradigme est complexe, polysémique. Nous retiendrons ici le travail de

Thomas Samuel Kuhn (1999), qui est le promoteur du concept de « paradigme » ; modèle

théorique de pensée qui oriente la réflexion et la recherche scientifique à un moment donné.

Nous pouvons dire que le paradigme constitue le cadre à l'intérieur duquel les scientifiques

raisonnent pour résoudre les problèmes relevant de leurs disciplines. Il représente les

prémisses d'une réflexion scientifique et n'est pas habituellement considéré comme un

problème scientifique en soi. Le paradigme d'une science renferme le sens de ses concepts

fondamentaux. Considérant que la médecine contemporaine tend à se qualifier comme une

« science » médicale, nous pourrions dire que le paradigme de la médecine renferme le sens

des concepts de « santé » et de « maladie ». Le paradigme d'une science pose également les

limites légitimes du champ de sa recherche, les théories de base, les méthodes de recherche

reconnues et les valeurs auxquelles les chercheurs adhèrent. Les composantes d'un paradigme

constituent ce qui a été appelé « la connaissance tacite de la communauté scientifique ». Nous

pouvons dire que le paradigme est « une constellation globale, faite de convictions, de

valeurs, de manières de faire des membres d'une société donnée (Kuhn, 1999, p. 64). »

Kuhn souligne cette règle générale : les scientifiques n'apprennent jamais à déchiffrer

dans l'abstrait les concepts, les lois et les théories. En revanche, ils apprennent

progressivement à utiliser ces outils intellectuels en lisant des ouvrages ou en assistant aux

cours. Les étudiants apprennent graduellement à penser comme leurs enseignants et

finalement, lorsqu'ils partagent la connaissance tacite de la profession, ils se sentent intégrés

au milieu académique et acceptés comme collègues. L'intérêt de Kuhn est centré sur l'histoire

des sciences : sa thèse principale est que les disciplines scientifiques ne se développent pas

Page 38: « Science infirmière » ou « science appliquée

38

progressivement, mais par bonds successifs. Pendant de longues périodes, le paradigme d'une

science reste stable et les scientifiques résolvent des problèmes dans le cadre conceptuel de ce

paradigme. Cependant de telles périodes, qui constituent selon la terminologie de Kuhn « la

science normale », ne durent pas éternellement. Tôt ou tard une crise survient (c’est la prise

de conscience d’une anomalie, d’un événement ou d’un ensemble d’événements qui n’entrent

pas dans les cadres existants pour l’ordonnancement des phénomènes), le paradigme

s'effondre et une « révolution scientifique » se fait jour. L'unité de la communauté scientifique

est brisée par l'émergence d'écoles de pensée concurrentes mais, à terme, un nouveau

paradigme attire l'intérêt d'un nombre croissant de scientifiques et une nouvelle période de

production de « science normale » s'instaure. A partir de ces études, il arrive à la conclusion

que le développement scientifique dépend en partie d’un processus de changement qui n’est

pas une simple croissance, mais une révolution. Nous parlons alors de révolution

paradigmatique.

Il n’est pas certain que la théorie de Kuhn décrive correctement le développement de la

médecine. Une pensée médicale fondée sur un seul paradigme semble peu probable au

regard de la variété de disciplines scientifiques qu’elle convoque dans sa pratique. A ce titre,

nous pouvons fonder la pensée médicale sur un complexe de paradigmes relatif à plusieurs

disciplines. Cependant, la philosophie de la médecine s’est attachée à considérer l’existence

d’un paradigme de base à une activité aussi importante que la médecine clinique. Pour

certains auteurs, sans annoncer une révolution Kuhnienne, il serait justifié de dire que la

médecine est entrée dans une période d’instabilité paradigmatique.

Karl Popper (1970), philosophe des sciences, accepte l’idée que l’on puisse approcher

chaque phénomène à la lumière d’une théorie préconçue et que la science « normale », au

sens de Kuhn, existe réellement. Cependant il pense que cela constitue un danger pour la

science et non pas un état de fait souhaitable. Dans une correspondance avec Kuhn il écrit ;

« A mon avis, le scientifique « normal » comme le décrit Kuhn est un individu pour lequel il y

a lieu d’être désolé… Je crois, et beaucoup d’autres également le croient, que tout

l’enseignement que l’on dispense à l’université et, si possible avant l’université, doit être un

entraînement et un encouragement à la pensée critique. Le scientifique « normal » comme le

décrit Kuhn a été mal enseigné. Il a été enseigné dans un esprit dogmatique. » Selon lui, la

science est un processus évolutif plus que révolutionnaire. Dans la conception de Popper, le

Page 39: « Science infirmière » ou « science appliquée

39

scientifique ne fait pas seulement que produire une nouvelle connaissance à l’intérieur du

paradigme établi, il est aussi co-responsable d’un ajustement progressif de ce paradigme.

4.2 Quel est le paradigme de la médecine contemporaine ? Existe-t-il ?

Quel enseignement ?

Il semble que l’enseignement dans la plupart des facultés de médecine soit basé sur la

prétention que la pratique clinique n’est rien de plus que l’application pratique de la

connaissance biologique. Une certaine vision de la médecine a eu une profonde influence sur

l’enseignement médical. Les étudiants qui entrent en faculté de médecine commencent par

étudier l’anatomie, la physiologie et la biochimie. Puis ils étudient la pathologie et la

pharmacologie et habituellement ils ne voient leur premier patient qu’après avoir passé leurs

examens dans toutes les disciplines biologiques.

François Grémy19 relève que l’idée de « médecine scientifique » n’est pas sans

conséquences pour la formation initiale et continue des médecins. « Un premier paradoxe se

trouve dans le fait que l’apprentissage massif des sciences fondamentales n’est en rien une

éducation à la pensée scientifique : l’accumulation des faits à mé-moriser, et à réciter,

encombre, mais ne forme guère l’esprit. L’esprit de la science c’est à dire son aspect

pédagogique – le respect et la critique serrée des faits, l’explication des hypothèses, la mise au

jour des processus qui ont conduit à leur vérification ou à leur information, la discussion des

arguments pro et contra -, n’est pas au rendez-vous. Ni la prédominance de la démarche sur

les résultats, ni celle de la réflexion sur la mémorisation ne sont respectées. L’esprit de

l’étudiant oscille entre la réception dogmatique de l’enseignement et le scepticisme devant la

précarité des connaissances, et leur renouvellement permanent. D'où un déficit critique majeur

dans l’utilisation concrète des connaissances issues de la recherche scientifique (Grémy, 2001,

p.204). » Ce discours nous éclaire sur l’éloignement avec l’activité du chercheur qui soumet

chaque étape de sa démarche à un examen critique systématique de la méthode qu’il utilise,

des données qu’il recueille, et de l’interprétation qu’il est en droit de leur donner.

« L’approche scientifique de la médecine est résolument (ce qui est bien), mais exclusivement

( ce qui doit être contesté) réductionniste … il en résulte un dépérissement de la pratique

médicale : l’examen clinique au lit du malade passe au second plan par rapport à la biologie et

19 Professeur honoraire de Santé publique et membre correspondant de l'Académie nationale de médecine.

Page 40: « Science infirmière » ou « science appliquée

40

à l’imagerie (ibid, P.208). »

Nous retrouvons ici ce que Frédéric Dubas20 (2004) nomme « la pulsion scopique ».

Une partie de ces difficultés serait levée si nous voulions admettre que la médecine, si

« scientifique » qu’elle puisse être ou veuille paraître n’est pas une science, mais une pratique.

F. Grémy (2001) insiste en précisant, « Médiocrement scientifique, la formation médicale est

néanmoins marquée par l’idéologie « scientiste » : la Science (avec un S majuscule) est la

seule source valide de connaissance ; et parmi les sciences (avec un petit s), seules les plus

« dures » méritent d’être véritablement respectées. Élevé dans l’exaltation de la toute

puissance des examens biologiques et techniques, et conduit à se désintéresser de la clinique

(trop sujette à l’approximation et à la subjectivité, ainsi que des sciences sociales dont on

n’imagine même pas qu’elles puissent être d’une quelconque utilité pour l’exercice de la

médecine), l’étudiant apprend à ne se comporter qu’en ingénieur, ou plus souvent en

technicien supérieur (ibid, p.210). »

Quelle est la pensée médicale actuelle ?

La science moderne se caractérise par le fait qu'elle sait. C'est apparemment là que se

situe le problème pour la médecine. On expliquera que pour la science moderne, objectiver

signifie mesurer. Tout est mesuré, de sorte que l'on ne voit plus guère la maladie à l'œil, qu'on

ne l'entend plus guère à la voix mais qu'on la lit avant tout à travers l'ensemble des valeurs

fournies par nos appareils de mesure. Pour Didier Sicard (2002), « L'homme contemporain a

une image de lui de plus en plus paramétrée, quantifiée, normée, normative, « normale »,

encadrée par la médecine. Cette image le constitue de l'extérieur ; ce qui est vrai et juste c'est

ce que disent de lui les instruments de bord. Ceux-ci ne mentent pas, ne délirent pas mais

expriment des faits constatés (ibid, p.48). » Pour cet auteur, c'est une autre clinique qui

s'invente à distance de l'observation des symptômes. L'exigence de cette traduction objective

implique que « nous nous fions de moins en moins à la parole, la notre ou celle de l'autre.

Pour faire preuve, il faut du chiffre, des références, des normes auxquelles nous puissions

accorder la valeur sacrée de lois universellement reconnues (Gori, & Del Volgo, 2008,

p.72). ».

La science moderne et toutes ses pratiques sont irrémédiablement vouées à la

spécialisation. Pour autant, « la pratique clinique n'est pas une science et ne sera jamais une

20 Docteur en médecine, responsable du Département de neurologie du CHU d'Angers (en 2004).

Page 41: « Science infirmière » ou « science appliquée

41

science, alors même qu'elle usera de moyens à efficacité toujours plus scientifiquement

garantie (Canguilhem, 2007, p.153). »

Une conception mécaniste de la médecine ?

La médecine étant considérée comme une branche des sciences naturelles, des

générations successives de médecins scientifiques ont développé la théorie biologique de la

maladie. Selon cette théorie, la maladie est considérée comme un défaut de fonctionnement

affectant la machine biologique et à ce titre, elle peut être présentée sous l’expression de

conception mécaniste ou de modèle mécanique. La conception mécaniste de la médecine

correspond à ce que les philosophes nomment le réductionnisme biologique. C'est l'idée de

réduire les êtres humains à des organismes biologiques et la médecine à une branche de la

biologie. Pour certains philosophes, le réductionnisme biologique fait perdre aux concepts de

santé et de maladie leur sens originel. Nous ne devons pas oublier que si les individus

recherchent des avis médicaux c'est parce qu'ils se « sentent malades ». Il n'est pas question de

sous-entendre que les médecins qui partagent le point de vue biologique ignorent les

syndromes subjectifs de leurs patients, mais ils les considèrent comme des phénomènes

secondaires plus que comme des composantes du concept de maladie. Il n'est pas également

question de remplacer une conception mécaniste par une conception subjective mais

davantage de rechercher une conception de la maladie qui tienne compte des deux. Le concept

de maladie doit inclure non seulement les dysfonctionnements biologiques mais aussi les

symptômes subjectifs qu'entraînent ces dysfonctionnements et le sens que le patient assigne à

ces symptômes dans le contexte de sa propre vie. Nous acceptons le modèle mécanique

comme un élément indispensable du concept de maladie et nous nous élevons seulement

contre sa prétention à représenter toute la maladie. Il n'y a pas de doute que le modèle

mécanique, comme constituant du paradigme de la médecine contemporaine a été très

productif, mais les maladies ne sont pas que des entités biologiques. Nous postulons que la

médecine clinique est beaucoup plus que la biologie appliquée.

Promouvoir une science de l'homme en médecine ou repenser la médecine en tant que

discipline proprement humaine ne revient pas seulement à promouvoir l'ajout d'éléments de

psychologie, de sociologie ou d'autres sciences humaines aux connaissances issues « des

sciences exactes ». C'est probablement renouveler dans sa globalité le paradigme scientifique

qui fonde la formation des savoirs et des pratiques en médecine. Le modèle biomédical

Page 42: « Science infirmière » ou « science appliquée

42

procède de l'application en médecine de la méthode analytique réductionniste des sciences

classiques de la nature. L'erreur qui fait de ce modèle un modèle estropié, précise Engel,

« réside dans le fait qu'il n'inclut pas le patient et ses attributs en tant que personne, en tant

qu'être humain (Engel, 1980, p.536). »

55 DD''UUNNEE DDEEMMAARRCCHHEE SSCCIIEENNTTIIFFIIQQUUEE AA UUNNEE DDEEMMAARRCCHHEE HHEERRMMEENNEEUUTTIIQQUUEE

5.1 Vérité objective et vérité subjective.

D'un point de vue herméneutique, l'anxiété est un attribut constituant de l'homme et c'est

une grave erreur de considérer ce phénomène comme indésirable ou de conclure qu'une

anxiété est toujours un signe de maladie. Cela ne signifie pas, bien sur, que l'anxiété n'est

jamais un signe de maladie. Il s'ensuit de cette réflexion, que d'un point de vue

herméneutique, les patients qui souffrent d'une anxiété inexpliquée ne doivent pas seulement

être traités au sens médical. Ils doivent eux-mêmes en venir aux prises avec leurs problèmes,

guidés par leur réflexion sur soi. Actuellement la plupart des gens acceptent la conception

naturaliste de l'homme, qui repose sur un modèle mécaniste, et l'une des conséquences

logiques de cette vision est que les anxiolytiques et les antidépresseurs sont devenus un article

commercial majeur. L'anxiété et la dépression sont considérés comme des symptômes non

désirables, juste comme le mal de dents, et c'est le devoir du médecin d'enlever le symptôme.

Cet exemple autour de l’anxiété est riche de sens. Pour Kierkegaard21, les vérités

objectives de « la médecine scientifique » sont rapportées dans le langage de l’abstraction et si

elles acquièrent de l’importance, c'est seulement quand elles sont reliées à l’existence du

patient singulier. Ceux qui cherchent la vérité objective sont uniquement concernés par la

réalité indépendante du sujet. En revanche, ceux qui réfléchissent subjectivement ne peuvent

pas séparer l’objet du sujet car la vérité subjective concerne la relation entre les deux. La

vérité objective doit être recherchée par les méthodes propres aux sciences naturelles tandis

que la recherche de la vérité subjective exige l’apport de la méthode herméneutique, c’est à

dire l’interprétation et la réflexion. Ce qui compte, ce ne sont pas seulement les troubles

21 Sören Kierkegaard, philosophe Danois (1813-1855). Sa philosophie qui repose sur le concept d’expérience

vécue est annonciatrice de l’existentialisme : « plus on pense de façon objective, moins on existe. »

Page 43: « Science infirmière » ou « science appliquée

43

anatomiques et physiologiques mais la relation que le patient entretient avec sa maladie. Nous

retrouvons ici l’idée de Canguilhem (2007) lorsqu'il soutient ; « On comprend que la

médecine ait besoin d'une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet

n'est pas objective (ibid, p.49). » Il n’est pas question de penser que les philosophes

herméneutiques comme Kierkegaard et Heidegger22 nient l’importance de la science

naturelle. Ils soulignent seulement qu’elle doit être perçue dans sa propre perspective et que

l’homme en tant que personne ne peut pas être appréhendé intégralement à l’intérieur d’un

cadre naturaliste. Une réflexion sur ce que peut constituer la guérison, dans la manière dont

elle est appréhendée par le médecin ou par le patient, éclaire la nécessité de ne pas séparer

l'objet (la maladie) du sujet (celui qui la porte).

5.2 La question de la guérison

Georges Canguilhem (2002), dans un article intitulé « Une pédagogie de la guérison

est-elle possible ? », nous rappelle les rapports entre soin, guérison et maladie. Un premier

décalage s'opère dans la perception de la guérison par le malade et le médecin. Pour ce dernier

la guérison reste une valeur biologique, « la guérison est visée dans l'axe d'un traitement

validé par l'enquête statistique de ses résultats (ibid, p.69). » En ce sens, la guérison peut être

considérée comme l'efficacité et la bonne application de la prescription. Elle vient, par

ailleurs, nous signifier la pertinence du diagnostic posé. L'auteur nous rappelle la tendance

générale à considérer la guérison comme « un retour à l'ordre antérieur » et « une réversibilité

des phénomènes dont la succession constituait la maladie (ibid, p.75). » L'appréciation de la

guérison est ainsi fondée sur une mesure objective, et le rapport du médecin au malade

comme celui « d'un technicien compétent à un mécanisme dérangé (ibid, p.85). » Dans cette

perspective, le raisonnement médical impose la forme techno-scientifique.

Qu'en est-il de la guérison pour le malade ?

Si la guérison reste une valeur biologique pour le médecin, elle surgit toujours comme

une valeur existentielle pour le malade. Ainsi, comme l'affirme Canguilhem « la santé d'après

la guérison n'est pas la santé antérieure (ibid, p. 99). » Elle n'est donc pas un retour à l'ordre

normal antérieur. Pour Guillaume Le Blanc (2006), « la vie psychologique de la guérison ne

22 Martin Heidegger (1889-1976), philosophe allemand considéré comme l’un des philosophes les plus

influents du XXe siècle.

Page 44: « Science infirmière » ou « science appliquée

44

coïncide pas avec la vie physiologique de la disparition de la maladie (ibid, p. 113). » La

guérison, ainsi doublée d'une vie psychique, a à faire avec l'histoire singulière du sujet. Il y

aurait donc, comme il y a une vie psychique de la maladie, une vie psychique de la guérison

qui permet d'expliquer notamment, « qu'un sujet peut s'estimer ne jamais être totalement guéri

alors même que l'instance médicale a déclaré la guérison (ibid, p. 113). » Le sentiment de la

maladie ne disparaît pas avec la guérison, « la santé qui apparaît avec la guérison est une santé

consciente de la précarité de sa valeur (ibid, p. 115) », une santé dans une autre dynamique de

la vie, dans une « autre allure de la vie », qui a pris un autre sens avec la maladie.

Par ailleurs, il existe au regard du développement des maladies chroniques (cancer, sida,

etc.), des soins, « pour lesquels l'horizon n'est plus la guérison, mais la viabilité d'une vie

(ibid, p.109). » Cette « nouvelle allure de la vie » devient dès lors, aménagement avec la

maladie, vie avec la maladie. Dans la maladie, mais aussi avec l'existence de la conscience de

la maladie dans la guérison, la vie est devenue « autre ». En ce sens la guérison, comme la

maladie, est une nouvelle dimension de la vie. S'il y a une maladie éprouvée par le malade, il

y a également une guérison éprouvé et avoué par celui-ci. S'il y a une subjectivité de la

maladie, il y a également une subjectivité de la guérison. Pour Canguilhem (2002), « du point

de vue de la pratique médicale, fortifiée de sa scientificité et de sa technologie, bien des

malades se satisfont de moins que ce qu'on estime leur devoir, et certains autres refusent de

reconnaître qu'on a fait pour eux tout ce qui leur était dû. C'est donc que santé et guérison

relèvent d'un autre discours que celui dont on apprend le vocabulaire et la syntaxe dans les

traités de médecine et dans les conférences de clinique (ibid, p. 83). »

Si pour Guillaume Le Blanc (2006), il est difficile pour « une existence de savoir à quel

moment elle peut se dire guérie, dans la mesure où la guérison engage la fin d'une anxiété à

propos de la maladie (ibid, p.113) », alors il « semble difficile de concevoir le rapport du

médecin au malade comme celui d'un technicien compétent à un mécanisme dérangé

(Canguilhem, 2002, p.85). » Le médecin, dans ce rapport, dans cette relation avec le patient,

a donc à faire avec ce versant psychique de l'épreuve de la maladie et de la guérison. Selon

Canguilhem les médecins qui se sont le plus intéressés à cette question de la guérison sont

pour la plupart des psychanalystes.

Page 45: « Science infirmière » ou « science appliquée

45

5.3 La psychanalyse comme clinique de la vie psychique

La pratique psychanalytique peut apporter à celle des médecins des réflexions

conduisant à la mise à jour de perspectives et questions communes. En effet, si l'évolution de

la médecine se fait de plus en plus vers une scientificité accrue et une complexité des

techniques, l'acte médical ne peut pour autant se réduire à cette dimension. Il demeure un art

supposant répondre à la souffrance et à la demande liées non seulement à la maladie mais au

sujet malade.

Le terme de psychanalyse désigne un ensemble de pratiques cliniques inspiré d'un

corpus théorique dont les fondements ont été posés par Sigmund Freud au XIXe siècle. La

théorie psychanalytique est bâtie sur la reconnaissance de l'existence de l'inconscient dans le

psychisme de l'homme. Le champ de connaissance de la psychanalyse est étroitement

dépendant de son instrument de collecte de données qui est l'association libre au sein de la

cure analytique. Régulièrement critiquée depuis sa naissance, la psychanalyse est aujourd'hui

l'objet de remises en cause sur l'aspect non scientifique de ses fondements. Il est vrai que la

psychanalyse est bâtie sur un socle épistémologique très différent de celui qui supporte

aujourd'hui la science contemporaine. Elle n'est pas, elle même, une science et ne peut donc

être l'objet d'un débat contradictoire sur ses résultats ou ses prémisses sur le terrain de la

vérification scientifique. Un objet quelconque recueilli lors d'une psychanalyse (pensée, acte,

rêve, symptôme...) peut posséder à un moment donné une valeur A et dans un autre contexte

de la cure une valeur B inverse à celle de A, sans que cela ne gêne aucunement la rationalité

psychanalytique. En tant que discipline centrée sur l'inconscient, la psychanalyse permet la

construction d'un sens subjectif, privé, donné par le malade à son trouble. Les explications

rationnelles et objectives sur la maladie sont utiles, mais elles sont insuffisantes à aider

véritablement le malade à construire cette signification personnelle.

C'est sur ce versant psychique de l'épreuve de la maladie que la clinique

psychanalytique se révèle fondamentale, dans la mesure ou elle cherche « à faire émerger le

sens subjectif d'une vie et à révéler ainsi la scène psychique sur fond de laquelle s'incrustent

les événements de la maladie et de la guérison (Le Blanc, 2006, p.115). » L’intérêt de la

psychanalyse est à chercher dans le récit qu’elle propose de cette dimension subjective de la

maladie. Il s’agit ici de l’aborder comme une pensée clinique, « dont la signification est

d’inventer le malade comme sujet de la maladie et ainsi donner sens à l’idée même d’un sujet

Page 46: « Science infirmière » ou « science appliquée

46

malade (ibid, p.111). » C'est certainement au travers de la psychanalyse que l'on retrouve les

enjeux de la méthode clinique. La psychanalyse s'appuie effectivement sur la clinique, tant

pour résoudre les questions théoriques qu'elle se pose que pour orienter sa pratique. D'où

peut-être l'appel de plus en plus fréquent que fait la médecine de pointe à la psychanalyse, à

partir des vertiges qu'impliquent ses avancées technologiques. Excessivement réglée par des

universaux, cette médecine bute sur l'incontournable d'une singularité qui s'impose là où tout

devrait être maîtrisé, au risque de faire basculer ses projets.

La clinique psychanalytique suppose donc l'accès à quelque chose d'insaisissable. Le

propre du sujet est de ne pas pouvoir vraiment se saisir comme tel. Une part de lui-même lui

échappe. Ce qu'il sait et montre occulte ce qu'il ignore de lui-même, ce qui ne se voit pas dans

ce qu'il manifeste. Il s'agit de développer l'écoute de ce qui ne s'entend pas. L'attention doit se

porter vers l'inapparent, l'inaudible. C'est aussi ce qu'exprime l'hypothèse de l'inconscient, qui

justement se manifeste dans les discontinuités du discours conscient. L'essentiel est d'oser s'y

risquer. On mesure à quel point la clinique psychanalytique est dans une certaine mesure une

clinique à l'envers par rapport au projet de la clinique médicale. La médecine voudrait que

tout soit possible. La psychanalyse mise sur l'impossible pour ouvrir à nouveau le champ des

possibles. C'est dans l'impasse de son intervention qu'elle trouve paradoxalement les voies

d'une issue possible. C'est dans ce qu'elle ne peut saisir ou énoncer que se trouve l'espace

d'une liberté où le sujet pourra défaire ce qui s'est figé, pour s'inventer différemment.

Il reste que la médecine, en son sens le plus large, ne peut se détourner de l'hypothèse

d'une vie psychique de la maladie. Accorder une place à la vie psychique de la maladie, « c'est

en passer par la parole du malade, c’est autoriser la construction d’un récit autobiographique à

l’intérieur de la relation thérapeutique ( Le Blanc, 2006, p.115). » C'est donc la nécessité d'en

référer au patient et à sa parole. L'intérêt de la psychanalyse, en l'abordant comme une pensée

clinique, permet de considérer la vie psychique de la maladie. La psychanalyse est née de

cette nécessité de devoir reconnaître un reste irréductible à la logique médicale et à son savoir

anatomophysiopathologique.

Page 47: « Science infirmière » ou « science appliquée

47

66 RREETTOOUURR SSUURR LLEE PPRROOJJEETT DD’’UUNNEE DDIISSCCIIPPLLIINNEE IINNFFIIRRMMIIEERREE

6.1 Savoirs disciplinaires et pratique professionnelle.

Nous considérons avec Canguilhem, que la pratique médicale n'est pas une science mais

un art ou une technique. Dès lors, nous avançons que la pratique infirmière, c'est à dire le

soin infirmier, est encore moins une science. Si l’action professionnelle des soignants et en

particulier celle des infirmiers requiert des connaissances scientifiques dans différentes

disciplines, le soin infirmier n’est en rien réductible à ces connaissances. Le soin infirmier

n’est pas en lui-même une science mais bien, pour reprendre l’affirmation de Canguilhem

(2007), « une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences (ibid, p. 7). » En ce sens,

la connaissance en tant que telle n’est pas le plus important mais davantage le recours

judicieux à celle-ci selon les circonstances. C’est par un recours judicieux que la valeur de la

connaissance sera mis en lumière grâce à son utilité ou à la promesse de ses perspectives.

L'infirmier n'exerce pas une discipline, sa pratique est celle des soins infirmiers et pas celle de

la discipline infirmière.

La distinction entre savoirs disciplinaires et pratique professionnelle mérite ici d'être

posée. Les finalités ne peuvent être confondues. L'action du professionnel s'inscrit dans une

perspective soignante, elle concerne à chaque fois une situation singulière. Si la pratique de

l'infirmier, au sens de la praxis aristotélicienne, requiert qu'il s'informe des travaux de

recherches et qu'il actualise régulièrement ses connaissances, cette praxis ne saurait se réduire

à l'application de ces résultats, aussi séduisants soient-ils. Pourtant, l'importance grandissante

accordée depuis quelques années à la notion de pratique fondée sur les preuves (evidence-

based nursing et evidence-based medicine)23, s'éloigne radicalement du sens même d'une

pratique autonome, tant vis à vis de la théorie que de la technique. Pour Aristote, la rationalité

des « choses humaines » - c'est à dire celle du monde auquel nous sommes – ne relève ni de la

23 La médecine fondée sur les faits se définit comme l’utilisation rigoureuse et judicieuse des meilleures

données disponibles lors de prise de décisions concernant les soins à prodiguer à des patients individuels. On

utilise plus couramment le terme anglais Evidence-Based Medecine (EBM), et parfois les termes médecine

fondée sur des preuves ou médecine factuelle. Ces preuves proviennent d’études cliniques systématiques,

telles que des essais contrôlés randomisés en double aveugle.

Page 48: « Science infirmière » ou « science appliquée

48

connaissance théorique des causes de ce qui est, ni d'un quelconque savoir faire

techniquement efficace ou rhétoriquement persuasif. Si le médecin par la médiation

instrumentale a à faire à la maladie de la médecine, l'infirmier dans sa pratique ne peut pas ne

pas rencontrer le malade. Il semble bien que le problème soit là. Il a donc à faire à l'humain.

Encore faut-il qu'il accepte cette rencontre et qu'il ne la médiatise pas en singeant le modèle

médical. Ceci, au travers d'une taxinomie, qui viendrait dans les diagnostics infirmiers qu'elle

pose, proposer une saisie entièrement objective du soin à réaliser. Même si la techné est

porteuse d'un savoir rationnel, elle n'est pas l'application ou la mise en pratique d'une

connaissance théorique, elle est d'emblée un savoir d'ordre pratique.

Si le médecin lutte contre la maladie qu'il objective et qu'il cherche à maîtriser, traite

l'urgence de la pathologie mais peu le patient, l'infirmier est lui directement confronté à celui-

ci. Le rôle propre dévolu à l'infirmier serait de nature « relationnelle », centré sur le patient il

pallierait en quelque sorte un « manque à soigner » de la personne lié au modèle médical. Il

semblerait cependant que ce modèle médical, qui repose sur le langage scientifique de la

médecine moderne, fonctionne comme idéal type pour les autres professions de santé. Cette

affirmation semble partagée par Michel poisson (2005) ; « Durant les trente dernières années,

la profession (infirmière) a essentiellement investi le champ de connaissances et de pratiques

des sciences de la vie, caractéristiques de l’exercice médical. »

La profession infirmière peut-elle exister de manière quelque peu autonome avec des

modèles et des théories distincts de ceux qu’utilise la médecine ?

6.2 L’influence du modèle médical ?

Nous prendrons pour incitation à la réflexion le discours provocateur d’Eliot Freidson

(1984). A l’en croire, il est abusif de considérer le travail de l’infirmier comme une

profession : « On discerne la profession du simple métier à ce qu’elle a acquis le droit

d’exercer son contrôle sur son propre travail. Un métier paramédical, dit-il, peut atteindre le

degré d’autonomie d’une profession à condition de contrôler un domaine d’activité disjoint,

qui peut-être isolé du champ global de la médecine et où la pratique n’exige pas le contact

quotidien avec les médecins, ni le recours à leur autorité ». Dans la réalité, l'autonomie que

suggère le rôle propre est peu valorisée. Le rôle propre est paradoxalement celui qui confronte

Page 49: « Science infirmière » ou « science appliquée

49

le soignant avec la saleté, le pousse à toucher le corps lésé. Il est en fait souvent délégué aux

aides-soignants. La revendication du rôle propre infirmier et des savoirs centrés sur le soin

infirmier ne bouleverse pas les pratiques. Lorsque le rôle propre est délégué, « l'ordre négocié

demeure fortement médicalisé et donc centré sur la pathologie (Sorel &Wittorski, 2005,

p.72). » Dès lors, peut-on considérer le rôle propre comme un domaine d'activité disjoint ?

Pour Marcel Jaeger24 (1999) « …il est certain que le rôle propre de l’infirmier est très loin de

ce critère, dans la mesure où il reste, quoi qu’on en dise, un rôle délégué. »

Bien que doté officiellement d'un rôle autonome (rôle propre), l'infirmier figure encore

dans le Code de Santé Publique sous la rubrique des auxiliaires médicaux. Le dictionnaire25

définit un auxiliaire comme une personne « utilisée en second, en secours, secondaire ».

Historiquement, la profession médicale s'est inscrite dans une démarche d'obtention et de

défense d'une « habilitation générale à intervenir sur le corps d'autrui (Matillon, 2003) ». Cette

attitude a entraîné la relégation des professions non médicales dans des fonctions auxiliaires.

Les professions de santé non médicales ont été dotées d'une « habilitation sous contrôle

médical (Matillon, 2003) » qui est à l'origine de leur catégorisation paramédicale. L'auteur de

ce rapport26 souligne qu'au centre du système se trouve la profession médicale, les

compétences des autres professionnels étant construites comme des dérogations à son

monopole. Cette réalité se reflète dans l'organisation de l'offre de soins infirmiers. Le médecin

reste le passage obligé du patient pour accéder aux soins infirmiers de quelque nature qu'ils

soient, à domicile comme en établissement de santé. Cette considération organisationnelle

n'est pas sans conséquence sur la visibilité de la contribution apportée par l'exercice infirmier

autonome (rôle propre) aux résultats de santé. « Premier professionnel de santé à aborder la

réalité du patient, le médecin va problématiser ses symptômes sur une perspective médicale.

Ce phénomène peut parfois obérer une définition et une thérapeutique infirmière plus

appropriée à la situation de soins (Debout, 2002, p. 81). »

24 Marcel Jaeger est sociologue et ancien infirmier de secteur psychiatrique. 25 Dictionnaire Littré de la langue française. 26 Le professeur Yves Matillon est l'auteur d'un rapport commandé en 2003 par le Ministre de la Jeunesse, de

l'Education nationale et de la Recherche ainsi que par le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes

Handicapées. Le rapport porte sur les modalités et conditions d'évaluation des compétences professionnelles

des métiers de la santé.

Page 50: « Science infirmière » ou « science appliquée

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L'organisation des soins et la formation des médecins et des soignants restent rivés à un

modèle « moderne » et positiviste de la médecine. Le modèle de référence reste le modèle

centré sur la pathologie et en particulier sur les pathologies aiguës. Ceci malgré les

trajectoires, nombreuses aujourd'hui (cancer, sida, etc.), qui ne peuvent plus être clairement

identifiées en termes de guérison. Ces maladies chroniques, nécessitant « des soins chroniques

pour lesquels l'horizon n'est plus la guérison mais la viabilité d'une vie (Le Blanc, 2006, p.

109) » remettent en cause le fondement du modèle médical et des pratiques soignantes

centrées sur la pathologie.

Par ailleurs, les revendications identitaires des infirmiers articulées autour d'une

centration sur le soin infirmier, ne sont pas partagées par tous. Selon Sorel &Wittorski (2005),

les infirmiers oscillent entre deux options:

ü Une première option « techniciste », les rapprocherait du médecin et donc des

pathologies. Cette option les reconduit dans la ligne où ils se sont toujours situés « auxiliaires

du médecin ». Mais de plus en plus compétents sur ce plan, ils sont valorisés en tant que tels.

ü L'autre option est de nature relationnelle et centré sur le patient (le rôle propre) ; elle

suppose une décentration par rapport aux objectifs les plus valorisés dans les services et un

éloignement relatif de la fonction médicale. Cet éloignement apparaît difficile, l'autonomie

qu'il suggère est peu valorisé et rapproche les infirmiers de ceux qui leur sont

hiérarchiquement « inférieurs », les aides-soignants.

6.3 Un savoir infirmier ?

Habilités à intervenir sous contrôle médical, voyant leurs compétences construites

comme une dérogation à un monopole, ne bénéficiant pas réellement d'un degré d'autonomie,

s'inscrivant dans la prise en charge du patient en continuité d'une problématisation sur une

perspective médicale, les infirmiers ont-ils un champ de connaissances spécifiques ? La

pratique infirmière semble subordonnée à un corps de savoirs qui ne lui est pas nommément

désigné. Existe t-il un savoir qui serait un savoir infirmier ? Le savoir infirmier ne serait-il pas

la capacité de convoquer des connaissances de différentes disciplines (biomédicale,

psychologique, philosophique, anthropologique, sociologique...) ? C'est à dire un savoir de

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nature pratique ; une réponse soignante construite à partir d'un corpus de connaissances

théoriques et techniques de ces différentes disciplines.

Le savoir infirmier est constitué de la somme des différents savoirs. Il sélectionne et met

en corrélation les connaissances scientifiques des sciences humaines et médicales pour les

fondre en un soin infirmier adapté à un besoin précis, à un moment précis. Si nous pouvons

dire que le soin emprunte à toutes ces disciplines, il n'en n'est cependant pas moins

spécifique ; autre. Vouloir définir ce qu'est le savoir infirmier constitue une tâche difficile. Si

pour les professionnels cette notion de savoir infirmier existe de manière implicite, il n'en

reste pas moins délicat d'en donner une définition suffisamment claire. Cette réflexion nous

renvoie à la nécessaire conflictualité dans la définition du soin lui même. Qu'est-ce que le soin

infirmier ? De la même façon, n'est-il pas difficile d'en donner une définition précise ?

Existerait-il une vérité du soin infirmier ? Un soin infirmier dont la compréhension viendrait

s'épuiser dans une connaissance particulière.

6.4 Quelle est donc la particularité du soin infirmier ?

La première est certainement qu'il s'adresse au malade et donc qu'il ne peut se penser et

se réfléchir en dehors de ce lien, en dehors de cette relation. Le soin infirmier ne peut se

concevoir qu'incarné dans cette relation qui unit le bénéficiaire de soins et l'infirmier qui le

prodigue car « ... un malade n'est pas plus réductible à sa maladie, qu'un corps à un organisme

ou qu'une existence humaine à une vie biologique (Dubas, 2004, p.9). » La compréhension de

« ce qu'il faut faire » relève d'une pratique à la dimension incarnée, contextualisé, c'est à dire

d'une praxis et non d'une pratique résultant d'une théorie appliquée. En ce sens, la pratique

soignante est fondamentalement œuvre de création et, à ce titre, unique, impossible à répéter

ou à reproduire. « Souligner la création que constitue le soin ce n'est pas exempter le soin de

la règle, bien au contraire, c'est souligner que le soin ne peut pas ne pas rencontrer la

nouveauté sous les formes du singulier, et qu'il doit faire avec (Blein, 2007). »

Nous pouvons également dire que le soin infirmier nécessite la mobilisation d'une

dimension affective. Un soin ne peut pas être donné « n'importe comment ». Les travaux

menés par Spitz (1968) sur l'hospitalisme nous rappellent que les fonctions du corps sont

éminemment liées aux fonctions psychiques et qu'on ne peut traiter les êtres humains comme

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de simples agrégats d'organes. Pour Virginie Pirard (2006), « Penser le soin comme travail,

c'est assumer la dénaturalisation des ressources affectives nécessaires au soin et cela conduit

logiquement à s'interroger sur leurs sources, la façon dont elles sont mobilisées et leur

éventuelle reproductibilité (ibid, p.81). » Cette perspective prédispose le soin à être pensé

comme relation de soin. La mobilisation de ses ressources affectives constitue un travail et

non le résultat d'une entreprise placée sous le signe exclusif du don de soi.

Nous pouvons dire que le soin infirmier est la capacité à convoquer, dans la singularité

de ce soin particulier, dans cet hic et nunc, dans cette immédiateté un corpus de connaissances

de différentes disciplines nécessaires à sa réalisation. Nous postulons qu'il n'y a pas de

différences fondamentales entre un soin médical et un soin infirmier et que tous deux

s'ordonnent autour de la compétence de chaque professionnel à convoquer les connaissances

nécessaires à sa réalisation. Nous pensons cependant que le soin s'inscrit dans une temporalité

et que l'infirmier, de par la nature même de son travail, est davantage concerné par ce que

Canguilhem nomme, la « maladie du malade ». Le sens que la maladie prend pour le malade,

ce que ce malheur veut dire pour lui dans le drame de son existence, à une fonction de

révélation ontologique qui ne peut être réduite par la logique purement rationnelle.

6.5 Une conception de l'enseignement

Le modèle médical, qui repose sur le langage scientifique de la médecine moderne, ne

fonctionne t-il pas comme idéal type pour les autres professions de santé ? Nous pensons que

la conception d'une médecine « scientifique » n'est pas sans incidence sur la formation des

infirmiers. Un vrai travail de réflexion doit dissiper, auprès des étudiants, le malentendu sur

une pratique médicale ou une pratique infirmière conçue comme infaillible qui reposerait sur

un savoir non réfutable. La formation des étudiants à « l'esprit scientifique (Bachelard,

2004) » doit être un entraînement à l'esprit critique. Pour Chantal Eymard27 (2006), il est

« nécessaire de sortir d'un enseignement « décontextualisé » ... pour privilégier la

problématisation d'un objet d'étude, à partir de situations de santé inscrites dans un contexte

social, politique et économique ... ainsi le développement de l'intelligence critique devient

majeur (ibid, p.156). »

27 Chantal Eymard est Maître de conférences à L'Université Aix-Marseille I: Département des sciences de

l'éducation de Lambesc.

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Si la formation des étudiants infirmiers comprend l'acquisition de savoirs et de

techniques nécessaires à un exercice de base, elle doit cependant consacrer un temps

important pour travailler son propre engagement et développer l'esprit critique. Plus que les

connaissances, ce sont les capacités à se projeter qui sont importantes. Plus que les certitudes,

c'est le doute qui est nécessaire. Qu'en est-il dans nos instituts de formation ? La réalité nous

montre que les cadres de santé responsables de l'enseignement dans les instituts sont souvent

mal à l'aise avec ce que Martin (2000) nomme « le scepticisme organisé ». Ils sont

historiquement et culturellement familiarisés à une transmission discursive des savoirs et des

savoirs faire. Dès lors, quelles disciplines du programme émergent de façon prépondérante ?

Comment sont articulés les enseignements afin d'amener les étudiants à analyser leurs

pratiques ? Nous pouvons dire qu'il existe de grandes disparités d'un institut à l'autre. Le cadre

réglementaire fixe un programme28 qui additionne de multiples connaissances regroupées

sous forme de modules d'enseignements. Ces contenus sont très aléatoires et tiennent, du

moins en ce qui concerne le module sciences humaines, à une intention pédagogique soutenue

institutionnellement.

Aujourd'hui, nous l'avons vu, la profession infirmière ne semble toujours pas s'être

émancipée du modèle médical. La formation actuelle est découpée en modules spécifiques à

l'image des spécialités médicales. Les médecins assurent de nombreux enseignements. Si la

formation des étudiants à l'esprit scientifique doit être un entraînement à l'esprit critique,

alors, aucun enseignement ne devrait de la sorte se référer à des résultats de recherche ou à

des théories, sans que l'enseignant qui les expose n'explique le contexte historique de leur

élaboration tout en demandant aux étudiants d'exercer leur regard critique. Ceci interpelle la

notion du rapport aux savoirs des enseignants. Cette préoccupation relative à l'esprit critique

achoppe bien souvent sur une conception cumulative de l'enseignement. Enseigner les

sciences, cela se résume-t-il à transmettre la plus grande quantité de connaissances établies au

risque de figer théories et concepts ? N'est ce pas plutôt à l'esprit de recherche qu'il convient

de faire accéder le plus grand nombre d'étudiants ? Ne doit-on pas, au premier chef, les initier

à une certaine manière de s'y prendre avec l'inconnu, de s'ouvrir à l'imprévu ? Initier et

cultiver un esprit « au sens du problème » ne consiste pas à « déposer » des connaissances

28 Arrêté du 28 septembre 2001, modifiant l'arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au programme des études

conduisant au diplôme d'État d'infirmier et d'infirmière.

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scientifiques mais tend à proposer à l'étudiant de se mettre en recherche. C'est probablement

tout une autre conception de la formation qui est en œuvre dès lors. Se poser une question et

la travailler, en percevoir les multiples facettes, la reformuler encore et encore ne doit pas être

réservé au travail d'initiation à la recherche29. Cette approche trouve une pertinence

pédagogique quelque soit le module d'enseignement.

Il convient donc, dans la formation de nos étudiants, de consacrer du temps et de

l'énergie à développer l'esprit critique. A défaut, le risque pourrait être de voir le modèle

médical ressaisit pour penser la pratique infirmière. Proposer la construction d'une

« connaissance soignante » ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le lieu ou peut se

créer une épistémologie du soin. C'est à dire un lieu où il est question d'accompagner les

étudiants à des examens critiques approfondis et à la révision de leurs connaissances. En

somme, un lieu où il est question de développer un « esprit scientifique » au sens

bachelardien. Ce chemin passe t-il par celui de l'université ? Ce travail doit-il être domicilié,

accueilli, abrité dans une discipline ? La question reste ouverte... cependant la terminologie

même de « science infirmière » doit nous interroger.

6.6 « Science infirmière » et sciences humaines ?

L'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise rationnelle de la « science

médicale », pose certaines questions. De quelle science il s'agit ? Quelle est sa perspective ?

Est-elle véritablement soignante ou renforce-t-elle les approches « objectivantes » ? Quel

rapport le soin infirmier peut-il entretenir avec la preuve ? Quelle est la prétention du soin

infirmier à vouloir se poser comme une « science » alors qu’il s’agit d’une pratique ? Cette

volonté d’inscrire le soin infirmier dans une « science » ne reproduit-elle pas, dans un

décalage temporel, la volonté de la médecine contemporaine à se définir comme une

médecine « scientifique » ?

L'exemple de la « science infirmière » dans les pays anglo-saxons, sa prétention à une

« scientificité », doit nous inciter à une certaine prudence. L'infirmier, dans sa pratique, a à

29 Dans l'instant du travail d'écriture, nous est apparu un possible effet pervers à localiser l'esprit critique dans

un lieu qui est sensé l'accueillir. C'est, de fait, donner la possibilité aux enseignants et aux étudiants de le

maintenir, voire de le renvoyer en ce lieu.

Page 55: « Science infirmière » ou « science appliquée

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faire au patient et donc au singulier. Le diagnostic infirmier (réactions du patient face à sa

maladie) est sensé évaluer des éléments dont la nature relève d’une compréhension et non

d'une explication ; c'est à dire de connaissances qui s’ordonnent plutôt autour des sciences

humaines. Le diagnostic infirmier exclu, dans son approche objectivante du patient (c’est à

dire en ramenant à une taxinomie), le singulier, là où le singulier ne peut-être exclu. Une

pratique soignante, soucieuse d'une part de subjectivité, d'irrationnel, ne peut pas ne pas tenir

compte de la spécificité de son « objet » et ne saurait se passer de l'approche des sciences

humaines. Encore faut-il qu'elle ne réduise pas la complexité de cet « objet » à une simple

lecture théorique. Ce qui nous amène à partager l'interrogation de Canguilhem (2002); « En

matière de réductionnisme en thérapeutique, le psychologisme vaudrait-il mieux que le

physiologisme ? (ibid, p.96). » Et la tentation est grande, en particulier pour les étudiants

infirmiers, de « brandir » le « psychologique » en dénonçant l'approche « techniciste » et

rationnelle du soin, mais en opérant une bascule qui les amène à reproduire ce qu'ils

dénoncent. C'est à dire à se prononcer sur le malade en l'absence du malade ou pour reprendre

la pensée de Dominique Lecourt (2008), en voulant « expliquer la vie sans la vie (ibid, p.

111). »

Le danger n'est-il pas alors, insidieusement, de dicter une « application constructive

(Gadamer, 1998, p.16) » des sciences humaines, qui aurait pour effet de les détourner de leur

« objet » ? Des sciences humaines, dont l'utilisation délibérément rationnelle viendrait poser

une vérité sur le patient et sur la nature du soin à réaliser. Des sciences humaines permettant

d'agir avec certitude, donnant une forme d'assurance, capable de savoir et d'anticiper qui est

l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui. C'est à dire des sciences

humaines appelées à se soumettre au modèle épistémologique de référence de la médecine

« scientifique ». Des savoirs orientés vers un pouvoir faire, une maîtrise savante, autrement

dit, une technique ou une science appliquée. Une approche, qui voudrait allouer sous le terme

de « sciences humaines », une dimension « humaniste », mais qui viendrait masquer la

tendance générale au recours à la « science » et à ce qui fait preuve.

Page 56: « Science infirmière » ou « science appliquée

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Hypothèse de recherche

Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences

humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».

Des sciences humaines ressaisies dans une certaine rigidité déterministe, dans l'illusion

d'une maîtrise. Des sciences humaines qui, dès lors, viendraient faire « science », sur le

modèle des sciences nomologiques. Ainsi, elles se verraient utilisées dans une logique de

résolution de problèmes ne permettant pas de problématiser sur une pratique soignante, ni de

mettre en travail certaines questions qui n'attendent pas de réponses.

Question de recherche

Quel est le discours porté par les professionnels du soin sur les sciences humaines ?

La manière dont sont parlées les sciences humaines traduit-elle des positions empreintes d'une

logique dominante issue d'une pensée rationnelle (croyance en une maîtrise) ?

77 CCOONNSSTTRRUUCCTTIIOONN DD’’UUNNEE GGRRIILLLLEE DD’’AANNAALLYYSSEE

Sans la formation d’un esprit critique, nos savoirs ne trouveront pas le sens des mots ;

nous devons tous y travailler. Dans la perspective d’une « science infirmière » ou d’une

science en soins infirmiers nous devons exiger et demander ce que l’on souhaite faire de nous.

Quelle pratique infirmière se dessine et autour de quelle(s) science(s) ? Au-delà, nous

sommes en devoir de nous interroger à propos du mot soin, qui doit nous rendre autorisés à en

être également les rédacteurs. Dans cette réflexion, il s’agit pour nous d’interroger le rapport

au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. Toute conception du savoir

nous oblige à concevoir la finalité de l’acte de formation. Dans cette modélisation, nous

proposerons que le rapport au savoir dans le soin infirmier puisse être envisagé comme une

tension, comme une dialectique entre expliquer et comprendre. Nous postulons que

distinguer les deux concepts permet de mieux les repérer et ainsi de les articuler.

Page 57: « Science infirmière » ou « science appliquée

57

7.1 Comprendre ?

La méthode classique du rapport au savoir passe à côté du formé et de sa propre parole,

dont la production des connaissances et des savoirs doit absolument tenir compte. C’est à lui

que le savoir est adressé. Le formé n’est pas un spectateur ou un simple élément passif qui ne

ferait que recopier ce qui est dit. Dans son rapport au savoir, le formé est appelé à son tour à

créer, à faire création d’une nouvelle connaissance subjective. L’apprentissage est absolument

inconcevable sans la participation active de l’autre. C’est l’intervention active de l’autre « qui

fait entrer l’œuvre dans la continuité mouvante de l’expérience, où l’horizon ne cesse de

changer, où s’opère en permanence le passage de la réception passive à la réception active, de

la simple écoute à la compréhension critique, de la norme admise à son dépassement par une

production nouvelle (Jauss, 1978) ». On pourrait dire que comprendre un savoir, ce n’est pas

seulement être capable de le résumer et de le paraphraser d’une certaine façon ou de répondre

à des questions sur son contenu ; c’est aussi (et peut-être plus encore) être capable de rendre

compte de son « pour quoi », de décrire quel sujet ou quelle vérité générale il illustre, de

préciser quelle est sa visée, d’élaborer son sens. La compréhension interprétative n’est pas une

simple activité de reproduction, elle est l’appropriation de la signification d’un texte par un

sujet. Elle n’est pas simplement une réception, mais bien une affirmation s’appuyant sur un

rapport individuel au texte ; en ce sens, selon Kierkegaard, une interprétation relève d’une

décision. Pour Gadamer (1995), l’expérience herméneutique est une aventure, et comme

toute aventure elle est risquée. Il y a d’abord le fait que « … comprendre, exactement comme

agir, reste toujours un se-risquer et ne permet jamais la simple application d’un savoir général.

Plus encore, cela veut dire que la compréhension, là où elle se produit, signifie une

appréciation qui entre, en tant qu’expérience nouvelle, dans la totalité de notre propre

expérience. Il est incontestable que le procédé herméneutique, précisément parce qu’il ne se

contente pas de vouloir saisir ce qui est dit là, ou se trouve là, … est d’une sûreté beaucoup

moins grande que celle atteinte par les méthodes des sciences de la nature (ibid, p.251) ». Ce

rapport au savoir où s’opère le passage de « la simple écoute à la compréhension critique, de

la norme admise à son dépassement par une production nouvelle » doit s’initier dans les

instituts. Cette capacité travaillée avec les étudiants modélise probablement chez eux une

disposition à l’esprit critique transférable en situation.

7.2 Expliquer ?

Il semble qu’aujourd’hui l’impact de la technique ou de la « science appliquée » soit

Page 58: « Science infirmière » ou « science appliquée

58

considérable. Elle est en effet la théorie qui a pour objet la prise en main de la planification

possible et de l’organisation du travail humain. Pour Heidegger, c’est à partir de la tekhnê

occidentale que la connaissance de l’objet a scellé l’oubli de l’Etre. Sa critique vis-à-vis de la

technique, rappelée dans l’ouvrage de Gadamer (1995), pointe l’illusion de croire que « la

science quel qu’en soit son style puisse un jour se charger des décisions d’une praxis (ibid,

pp.216-231) ». La technique, d’après Heidegger, devient synonyme du nihilisme, comme si

l’existence humaine était dénuée de toute signification. Elle devient la maîtrise d’une matière

première exploitable où l’homme est exposé au rien. « C’est une mécompréhension de

considérer le savoir responsable de nos décisions pratiques comme une pure application de la

science (ibid, pp. 216-231) ». Dans sa critique du système rationnel et logique qui objective

l’existence, Kierkegaard (1970) nous invite à opérer un retour sur nos propres existences, à

rétablir l’individu dans sa propre individualité. « J’honore la science, je respecte les savants ;

mais la vie aussi a ses exigences (ibid, p. 312) ». Pour le philosophe, la réalité est la

subjectivité qui fonde l’individu face aux systèmes objectifs, face aux concepts

dépersonnalisants. Ce qui existe ce n’est pas le concept de souffrance, mais bien des hommes

et des femmes qui souffrent.

7.3 Le statut des sciences humaines : comprendre / expliquer ?

Le terme de « sciences humaines » pour désigner la psychologie, l'histoire, la sociologie,

l'anthropologie, etc. est d'un usage assez récent. Autrefois, au XIXe siècle, on employait plutôt

l'expression de « sciences morales ». Le terme « morales » mettait l'accent sur le caractère

distinct de l'esprit humain par rapport à l'ordre de la nature. Mais désigner une science par la

moralité de son objet semble assez étrange, ou du moins, pas vraiment scientifique. La science

porte essentiellement sur des jugements de fait et non sur des jugements de valeur. Le terme

« science », quant à lui, peut présenter un aspect inquiétant. Il sous-entend que l'homme est un

objet comme les autres, qu'il doit aussi pouvoir être connu scientifiquement, comme on

connaît les phénomènes naturels.

Que faut-il entendre par objectivité dans le domaine des sciences de l'homme ?

Qu'implique l'idée d'objectivité du « savoir scientifique » ? Dans les sciences humaines, est-il

vraiment possible de faire abstraction de tout point de vue sur l'homme ? Peut-on rester

impartial ? S'il existe autant d'écoles, autant de doctrines dans les sciences humaines, n'est-ce

pas parce qu'un point de vue y est à chaque fois posé comme prédominant ? Prenons

Page 59: « Science infirmière » ou « science appliquée

59

l'exemple de la psychologie ; nous pouvons dire qu'il existe de nombreuse écoles différentes

et les affrontements de doctrines sont pratiques courantes. Dans les sciences humaines la

partialité semble la règle. Comment pourrait-il en être autrement ?

S'agissant de se prononcer sur ce qu'est l'homme, il nous paraît impossible de faire

abstraction de toute prise de position, de toute philosophie de l'homme. Toute interprétation

d'une donnée, d'une découverte ou d'une observation est une prise de position. Les faits

humains ont bien une réalité, mais cette réalité est susceptible de plusieurs interprétations.

Chacune de ces interprétations peut-être pertinente, ingénieuse, convaincante par l'éclairage

qu'elle apporte. Les théories peuvent se multiplier et se contredire sans qu'une seule ne

parvienne à englober le savoir précédent et à congédier une autre théorie. C'est un fait que

dans chacune des sciences humaines se rencontrent des points de vue différents. Il n'existe pas

une psychologie mais des psychologies. A côté de la psychanalyse de Freud, il y a la

psychologie analytique de Jung, la psychologie génétique de Piaget, le béhaviorisme de

Watson, la psychologie humaniste de Maslow, etc. La sociologie est également partagée en

plusieurs écoles. Une manière de rendre raison de cette pluralité est de dire que les sciences de

la nature et les sciences humaines n’utilisent pas le même langage. Les sciences humaines

utilisent le langage du sens, qui permet de construire une intelligibilité herméneutique. Les

sciences de la nature utilisent un langage mathématique qui leur permet de formuler des

ensembles de propositions formalisées, dont on peut tirer des conséquences mesurables. Ainsi,

nous pouvons dire que dans les sciences humaines nous avons à faire à un conflit des

interprétations. Chaque interprétation nous permet de comprendre ce qui est humain, mais

aucune interprétation n’épuise jamais l’humain. La subjectivité qui est à l’origine de toute

motivation humaine, de tout acte, de toute œuvre peut encore et encore être relue et comprise

de manière différente. La conscience humaine n’est pas une chose dont on peut faire le tour de

manière définitive, parce qu’elle n’est pas une chose du tout !

La vérité d’une interprétation dans les sciences humaines n’est pas du même ordre que

la vérité d’une théorie physique. Seule la vérité d’une théorie physique peut s’exprimer dans

un langage mathématique et être soumise au verdict de l’expérimentation. Nous devons à W.

Dilthey30 l’idée que s’opposent ainsi deux domaines distincts, celui de la Nature et de ses

30 Wilhelm Dilthey (1833-1911) était historien, psychologue, sociologue et philosophe allemand.

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modes, dont l’explication physique est régie par une forme de mécanisme et celui de l’esprit

et de ses créations, dont la compréhension psychique est l’élément fondamental. C'est en fait

l'idée même de déterminisme qui s'applique mal à l'ordre humain. Un être humain est un être

conscient. La conscience se détermine par des intentions, des buts, des motivations. Elle

agence constamment les moyens à des fins. Ce n'est pas la causalité qui rend compte de

l'humain, c'est l'intentionnalité. Nous pouvons tenter de comprendre le comportement

psychologique de l'anorexique en essayant de discerner sa pensée, sa peur devant la

nourriture, le complexe de motivations conscientes et inconscientes qui se traduit dans ce type

de comportement. Une explication causale n'a guère d'intérêt. En d’autres termes :

l'explication causale est le mode de la représentation qui convient le mieux à la

description des phénomènes naturels. La compréhension convient mieux à la description

des phénomènes humains, elle cherche à rendre compte des conditions intérieures.

Cette séparation duelle est commode. Mais faut-il vraiment opposer l’explication

physique, qui serait le propre des sciences de la nature et la compréhension psychique qui

serait le propre des sciences de l’homme ? Rien n’est moins sûr. Et de fait, le plus paradoxal,

c’est que les sciences humaines tentent, bien souvent, de suivre un paradigme mécaniste que

la physique quantique a remis en cause. Si on passe sous silence ces remarques, disons qu’en

physique nous sommes satisfaits d’une explication, quand une théorie conduit à des

prévisions précises, ce qui suppose implicitement une forme de déterminisme des

phénomènes naturels. Or, dans l'ordre des phénomènes humains le déterminisme ne parvient

pas à être rigoureux. Si c’était le cas, il y à longtemps que nous serions capables de prédire le

comportement de l’individu, l’évolution économique d’une société, l’issue historique d’une

situation donnée. Les sciences humaines n’aboutissent guère à des prévisions. Le seul fait

d’observer et de connaître un processus humain, et de l’expliquer dans la communauté

scientifique et culturelle peut déjà l’altérer. Les prédictions dans les sciences humaines sont

aléatoires. Tout ce qu'il est possible d'obtenir ce sont des probabilités d'événement. Aucun

historien ne prétend être capable de tirer des conjectures31 sur le futur. Si les sciences

humaines étaient achevées, si un réel déterminisme était à l’œuvre à l’échelle de l’homme,

nos sciences humaines seraient capables de décrire et de prévoir avec précision les

31 En mathématique, une conjecture est une assertion qui a été proposé comme vraie, mais que personne n’a

encore pu ni démontrer ni réfuter.

Page 61: « Science infirmière » ou « science appliquée

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transformations psychologiques, sociales et historiques. Le déterminisme fonctionne assez

bien dans le champ de la Nature, mais s’applique-t-il aussi bien à l’homme ? S’il y a en

l’homme une dimension de conscience qui est libre, alors il est possible que son intervention

décisive et créatrice déjoue toute prévision, toute détermination.

Cependant le problème peut être contourné. L’homme n’est pas un pur esprit, il faut

bien qu’il s’insère dans des structures existantes qui sont des structures humaines, qui, elles,

existent de fait avant lui. Le structuralisme est la doctrine qui soutient que l’individualité

humaine est préformée par des structures (Lévi-Strauss). Appliquée aux sciences humaines,

l’idée de structure revient à considérer l’homme comme le produit de l’entrecroisement de

séries de déterminations, qui sont celles de la parenté, des règles sociales, du langage, de

l’inconscient, des systèmes économiques, etc. Dans les années 60, le structuralisme s’est

développé en prenant le contre-pied de l’existentialisme et sa philosophie de la conscience.

Les règles, les codes, les systèmes sont mis en avant pour détrôner la primauté de la

subjectivité. On ne dit plus que l’homme fait le sens, mais que le sens advient à lui dans des

structures. Nous pourrions commenter le virage structuraliste pour la sociologie, la

linguistique, la psychologie, etc. Nous prendrons ici l’exemple de la psychanalyse, dont les

résultats théoriques peuvent aussi être interprétés à travers la notion de structure.

L’inconscient figure un ordre caché qui régit le psychisme individuel. Il contient en lui un

système de représentations refoulées qui agissent sur la vie consciente, mais ne peuvent

s’exprimer qu’indirectement. Freud a d’abord montré que l’inconscient était une structure

essentiellement personnelle, liée à l’histoire personnelle de chacun. Mais dans la seconde

topique, il insiste sur un inconscient primitif, le ça. Ses successeurs n’ont pas eu de difficulté à

parler d’un inconscient structural à l’œuvre dans le psychisme de l’homme, notamment

Jacques Lacan pour qui l’inconscient s’exprime comme un langage. Dès lors, nous pouvons

dire que l’homme n’est jamais libre vis à vis des structures. Il est un sujet, mais dont

l’individualité est composite. Le structuralisme ne supprime pas le concept de sujet, mais c’est

« une pensée qui l’émiette et le distribue systématiquement, qui conteste l’identité du sujet,

qui le dissipe et le fait passer de place en place, sujet toujours nomade, fait d’individuations,

mais impersonnelles, ou de singularités, mais pré-individuelles (Deleuze, 1979, p. 325). »

Avec le structuralisme nous ne pouvons comprendre l’individualité humaine que comme

rapportée à ses conditions d’Objet. Ainsi, sous cet angle, le savoir est recevable par plusieurs

Page 62: « Science infirmière » ou « science appliquée

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sujets. Nous pouvons dire que le structuralisme permet d’édifier une science cohérente qui a

effectivement trouvé une objectivité à laquelle s’attacher. Mais qu’est-ce qu’un Objet sans

sujet ? Peut-il y avoir structure sans sujet structurant ?

Le propre de la conscience est de poser la relation sujet / objet. Les sciences humaines

montrent avec force ce qu’est l’homme en situation sur la scène du monde. Nous ne pouvons

pas penser l’homme comme vivant dans un ciel idéal, coupé de toute réalité sociale et

culturelle. Un homme c’est un locuteur pour le linguiste, un individu pour le sociologue, un

consommateur pour l’économiste, un être sujet à des pulsions inconscientes pour le

psychanalyste, etc. Chacune des sciences humaines occupe le terrain d’une thématique

particulière. Mais de cette prolixité de recherches n’émerge pas de certitude essentielle quant

au sens de la vie humaine. Elle a un aspect confus et inorganisé.

L’accumulation des faits scientifiques ne produit pas de sens. Ce dont nous avons

besoin, ce n’est pas d’un catalogue de faits, d’une suite de statistiques. La fragmentation du

savoir dans notre monde contemporain, appelle la nécessité d’un retour sur soi de la

représentation scientifique et d’une connexion constante avec la Vie telle qu’elle s’éprouve en

chacun de nous. Une représentation objectivée, par nature, ne parle pas au sujet, parce que la

vie est par essence subjective et non pas objective. Dès lors, nous pouvons dire que les faits

humains ont toujours deux aspects : objectifs et subjectifs, aussi les sciences humaines font-

elles jouer les deux registres de l’explication et de la compréhension.

Aborder les pratiques soignantes dans une pensée positiviste qui consisterait à replier

exclusivement les savoirs des sciences humaines sur le champ de l’explication, de la

causalité, de l’établissement de faits nous semble préjudiciable. La « science infirmière » née

du contexte anglo-saxon, marquée par le scientisme (evidence-based nursing et evidence-

based medicine)32, donne le primat à la méthode objectivante, elle même rapportée

essentiellement au modèle nomologique. L’hypothèse est donc que l’idée même de science

présuppose la mise en forme causale, c’est à dire la possibilité d’exprimer la connaissance

sous la forme d’énoncés déductifs pertinents dans des conditions données, valant par ailleurs

32 . On utilise le terme anglais Evidence-Based Medecine (EBM), et parfois les termes médecine fondée sur

des preuves ou médecine factuelle. Ces preuves proviennent d’études cliniques systématiques, telles que

des essais contrôlés randomisés en double aveugle.

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comme pronostics (présentant donc comme prévisible ce qui doit être expliqué), et donnant

dès lors idéalement lieu à une possibilité de validation à partir de cas semblables. Cette

extension d'un projet d'une « science infirmière » sur le modèle médical pose de redoutables

problèmes épistémologiques. Dans le même esprit, de nombreux auteurs ont développé une

critique du projet d'application des méthodes des sciences de la nature à l'homme, dans la

mesure où cela revient à l'« objectiver », le « chosifier », le « réifier ».

Nous proposerons donc d’envisager le soin et la pratique soignante, dans son rapport à

la connaissance, aux savoirs, comme une tension, comme une dialectique entre expliquer et

comprendre. Notre souci, dans le travail d’enquête, va donc être de repérer chacun des jeux

de langage qui peuvent ouvrir à des attentes spécifiques quant au projet d’une science

infirmière. Ainsi, un premier jeu de langage qui se construirait sur une sémantique centrée sur

des termes comme, explication, cause, régularité, objectivité, preuve, quantitatif, maîtrise,

contrôle, etc., auxquels serait associée une conception nomothétique des sciences humaines.

L'épistémologie nomothétique en sciences humaines est directement importée des sciences de

la nature. A base de données quantitatives, elle s'applique à rechercher des régularités, qu'elle

transforme en lois. La sémantique du second jeu de langage mettrait en avant des termes

comme, compréhension, intention, sens, qualitatif, singulier, imprévisible, incertitude, etc.,

auxquels serait associée une conception herméneutique des sciences humaines.

Page 64: « Science infirmière » ou « science appliquée

64

Sciences humaines:

modèle nomothétique

Sciences humaines:

modèle herméneutique

Expliquer

Causalité

Quantitatif

Langage mathématique

Réductible

Général

Vérité objective

Pourquoi

Résolution de problèmes

Maîtrise

contrôle – mesure – preuve

Certitude

Concret

Régularité

Objet

Science appliquée

Technique

Maladie

Signe

Comprendre

Intentionnalité

Qualitatif

Langage du sens

Irréductible

Singulier

vérité subjective

Comment

Questionnement – recherche de sens

Inattendu – imprévisible

Interprétation

Incertitude

Abstrait

Création

sujet

Praxis

Techné

Malade

Symptôme

Page 65: « Science infirmière » ou « science appliquée

65

Méthodologie générale

88 DDIISSPPOOSSIITTIIFF DDEE RREECCHHEERRCCHHEE

8.1 Le cheminement méthodologique

Un travail de recherche nous oblige à un préalable. Avant de pouvoir présenter des

résultats faisant appel à des notions théoriques spécifiques, il convient de clarifier notre

rapport à la méthode et bien plus encore notre implication en tant que sujet, depuis sa

conception jusqu’à sa mise en œuvre. A partir de cet état des lieux, il s’agira alors d’envisager

une manière de prendre en compte cette part éminemment subjective inhérente à toute

méthodologie en sciences humaines.

Il est important dans un premier temps de nous arrêter un peu sur le terme de méthode

considéré dans le domaine spécifique des sciences humaines. Puisant dans un écrit de

Dominique Weil, nous réfèrerons le terme de méthode à son origine grecque métodos, formé à

partir de meta (après) et de odos (la route ou le voyage). Pour traduire ce terme Dominique

Weil (1992) propose la formule de Dumézil, à savoir : « Avec la métaphore du métodos, la

connaissance est un trajet ordonné par des repères déjà donnés, mais qui laisse au parcours sa

dimension d’invention et de nouveauté, qui peut laisser incertain son point d’arrivée, et qui

soumet à des choix justifiables l’itinéraire ainsi découvert (ibid, p. 8). » Ce qui revient à dire

au fond, que parler de méthode c’est témoigner dans un après-coup d’un itinéraire proprement

singulier effectivement emprunté. Itinéraire d’autant plus singulier que nous nous situons ici

dans un domaine scientifique bien particulier qui est celui des sciences humaines : ici, un

Homme pose son regard sur les Hommes.

L’objet des sciences humaines est d’une complexité extraordinaire en ce qu’il met en

jeu, d’une manière ou d’une autre, le sujet en tant qu’être de langage. C’est à-dire que l’objet

Page 66: « Science infirmière » ou « science appliquée

66

des sciences humaines est le fait humain au sens large, sachant que la caractéristique

essentielle du fait humain est précisément d’être fait langagier. Pour globalisants qu’ils sont,

les propos de Pierre Legendre (1990) n’en sont pas moins éloquents : « une société n’est ni un

groupe, ni un troupeau, ni un magma, mais une organisation soumise au statut de la parole

(ibid, p. 10). » C’est dire que l’objet des sciences humaines, s’il est un objet de la réalité

observable, est doublement inscrit dans l’ordre symbolique : d’une part en ce qu’il procède de

la structure du langage et d’autre part en ce qu’il est observé par un chercheur, lui-même pris

dans le langage, et dont un des buts est de venir énoncer une parole sur l’objet de son

observation.

Il en résulte que, dans la recherche en sciences humaines, le langage comme structure

occupe résolument une place surdéterminée dont l’effet majeur est de créer de l’écart : écart

entre la réalité observable et ce qu’en appréhende le chercheur, écart entre ce que le chercheur

a pu appréhender de cette réalité et ce qu’il en transmet effectivement, écart entre ce que le

chercheur a tenté de transmettre de sa compréhension de la réalité et ce que ses auditeurs ou

lecteurs en appréhendent à leur tour. Ecart inhérent à notre structure même de sujet parlant.

Ecart inhérent à la structure même de l’objet des sciences humaines comme fait langagier.

C’est dans ce contexte de la recherche en sciences humaines, avec les caractéristiques

spécifiques de son objet, que s’inscrit notre travail.

Le choix d’une méthode dans un travail de recherche nous oblige à revenir sur nos

questions, nos idées, notre réflexion et tous ses allers et retours. Ce choix exige de préciser ce

sur quoi l’on souhaite véritablement travailler. Afin de ne pas s’égarer dans ce travail, il nous

est apparu nécessaire de partager la problématique et les perspectives de ce travail de

recherche avec des professionnels33, eux-mêmes inscrits dans cette réflexion épistémologique

autour du soin. Il est indispensable de trouver un lieu pour rendre compte de l’état de sa

réflexion au fur et à mesure qu’elle se construit. Provoquer des rencontres qui permettent de

parler de son travail à d’autres, constitue une opportunité à saisir pour faire scansion dans une

réflexion au long court. L’argumentation de ses choix, ainsi que l’effort de mise en mots de

l’objet et de la problématique présente un avantage non négligeable ; il oblige le chercheur à

33 Ceci, dans le cadre de rencontres de différents professionnels concernés par la formation initiale des étudiants

en soins infirmiers. Ces rencontres, qui ont une existence institutionnelle dans notre institut, ont pour objet de

nourrir une réflexion sur le travail de recherche (TEFE) des étudiants ainsi que sur les apports des sciences

humaines dans la formation et dans le soin en général.

Page 67: « Science infirmière » ou « science appliquée

67

préciser ses références théoriques et ainsi à définir le cadre de sa recherche. En débattre

permet de relancer la réflexion.

Le mode d’appréhension de l’objet et la question du recueil de données de la recherche

s’est posé très rapidement dans le groupe. Cette dimension, à savoir l’enquête de terrain, était

pour nous tout à fait essentielle. Nous tenions à ce que ce travail soit l’occasion d’écouter des

professionnels nous parler du soin, mais pas dans n’importe quelles conditions bien

évidemment. Il était nécessaire de définir au préalable, et le type de données à recueillir et le

mode de leur recueil. En effet, les entretiens que nous envisagions de réaliser devaient

répondre, dans leur forme comme dans leurs objectifs, aux exigences d’une recherche en

sciences de l’éducation. En l’occurrence, en sciences de l’éducation, il existe une méthode

dénommée méthode clinique. Sans préciser pour l’instant davantage de quoi il retourne, nous

dirons qu’il s’agissait pour nous d’envisager une forme aux entretiens de recherche à réaliser.

Tout en concevant une enquête de terrain propre aux objectifs de la recherche, nous étions en

train de définir un élément central du cadre de la recherche ; à savoir la méthode. Mais non la

méthode au sens de la démarche méthodologique globale effectuée pour mener cette

recherche, mais la méthode comme mode d’appréhension spécifique de l’objet d’étude.

8.2 L’objet de recherche

Ce travail repose sur l’analyse d’entretiens de recherche à réaliser dans le cadre d’une

enquête de terrain. Notre référentiel théorique est philosophique et épistémologique, et

s’appuie sur l’élaboration théorique d’un statut des sciences humaines. D’une part il s’agira

d’identifier, à travers le discours porté sur les sciences humaines par les professionnels, une

posture objectivante qui peut se traduire dans des énoncés causaux ou fonctionnels. D’autre

part, une posture réflexive dont le médium est la compréhension. Cette dichotomie risque de

caricaturer les positions, mais penser les tensions qui existent dans le champ de la pratique

soignante nécessite parfois de forcer le trait. Il n’est pas question ici de jouer un modèle

contre un autre mais plutôt de réfléchir à une possible articulation.

Page 68: « Science infirmière » ou « science appliquée

68

Il est donc nécessaire à ce stade du travail de faire un rappel de notre hypothèse :

Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences

humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».

Un discours qui viendrait révéler une conception nomothétique des sciences humaines.

A travers l’analyse de ces différents discours, notre souci portera sur des interrogations

épistémologiques. L’intérêt de ces interrogations est de révéler, à travers les choses et les

mots, ce qui donne sens à la question de la pratique soignante pour l’étudiant, l’infirmier, le

cadre formateur et le cadre soignant et ainsi, analyser le rapport que ces professionnels

entretiennent avec les savoirs théoriques des sciences humaines. Cette situation nous invite à

« … une écoute attentive des termes choisis, les vocabulaires employés, les mots s’avèrent

indicateurs, révélateurs, « analyseurs », … des paradigmes, des épistémologies, des

philosophies sous-jacentes aux pratiques, comme de leurs contradictions éventuelles

(Ardoino, 2001, p. 10) ».

8.3 Choix de la méthode : la méthode clinique

La méthode dicte surtout des façons concrètes d’envisager ou d’organiser la recherche,

nous pouvons dire qu’elle permet de donner une réponse à la question « comment ? ». « La

méthode est un ensemble concerté d’opérations, mise en œuvre pour atteindre un ou plusieurs

objectifs … elle constitue de façon plus ou moins abstraite, précise ou vague, un plan de

travail en fonction d’un but (Grawitz, 2001, P. 352). » L’objet de la méthode clinique est de

comprendre la réalité sans la simplifier ou la généraliser. La méthode clinique s’intéresse au

discours des sujets. « Le centre d’intérêt du chercheur est l’individu en tant que sujet

singulier, son récit, son histoire, sur le phénomène mis à l’étude par le chercheur (Eymard,

2003, p. 51). » Cette méthode est principalement d’ordre qualitative dans la mesure où ce

n’est pas le nombre de personnes rencontrées qui fonde la qualité de la recherche. Fondée sur

l’écoute et l’interprétation, cette méthode nous semble ici pertinente car les professionnels

vont pouvoir raconter leur expérience. Le chercheur dans cette méthode, est en quête de sens,

impliqué, et travaille avec sa subjectivité. Cette implication du chercheur est également

(…objet de connaissance (ibid, p.52). » C’est cette prise en compte de la place du chercheur

Page 69: « Science infirmière » ou « science appliquée

69

dans l’observation même, qui plus est dans un entretien de recherche, qui fait dire à Ben

Slama (1989) que, « Le chercheur propose un cadre de travail à des sujets volontaires en vue

de la co-construction d’un discours (ibid, p. 170). » Ainsi le discours obtenu, transcrit, n’est

autre qu’un « co-discours ». Ce qui signifie que le chercheur en tant que sujet, avec ses

réactions, ses émotions, ses motivations, ses préjugés, ses interventions, et tout ce que cela

implique d’inconscient, à toute sa place dans la recherche même. Il nous semble que ce

questionnement amenant à se situer comme sujet dans sa propre recherche fait partie

intégrante pour ne pas dire essentielle d’une démarche méthodologique en sciences humaines.

Nous le savons, l’approche clinique appartient originellement au champ de la médecine,

et c’est sans doute Michel Foucault qui, le premier, en a proposé une étude historique et

critique de référence dans son ouvrage Naissance de la clinique publié en 1963. Le « lit » du

malade devient champ d’investigation et de discours scientifique. La posture clinique est bien

connue : « elle laisse venir silencieusement les choses sous le regard, sans les troubler

d’aucun discours … La retenue du discours clinique renvoie aux conditions non verbales à

partir de quoi il peut parler : la structure commune qui découpe et articule ce qui se voit et ce

qui se dit (Foucault, 2003, p. 15). » La clinique n’est pas cette observation empirique et naïve

qui se contenterait de déchiffrer la maladie exprimée dans ses symptômes. Elle repose, selon

le philosophe, sur deux privilèges qui sont un « regard pur, antérieur à toute intervention,

fidèle à l’immédiat qu’il reprend sans le modifier » et dans le même mouvement « un regard

équipé de toute une armature logique (ibid, p. 107). » Le premier implique l’interruption des

discours bavards et un double silence, celui des théories et de l’imagination, qui permet

d’écouter. Le second signale que la qualité de l’écoute ne se réduit pas à la perception aveugle

d’un symptôme, mais exige la capacité à faire surgir les signes. Nous retiendrons cette idée

que la clinique, si elle reste bien à l’écoute, pratique néanmoins une attention informée par des

savoirs disponibles. Nous nous contenterons donc ici, dans une visée plus pragmatique,

d’élucidation de notre objet, d’en exposer quelques caractères généraux. Il s’agira dans notre

travail d’enquête de nous rendre disponible à ce qui se manifeste en situation réelle, restant à

l’écoute des événements. Nous reprendrons cette idée que le chercheur en méthode clinique

travaille sur un cas singulier, il s’efforce d’en avoir une vue globale, avec l’intention de ne pas

altérer la manifestation de ce qui se voit et ce qui se dit. En revanche, il peut très bien

provoquer un signe, sans toutefois en commander la manifestation ni le contenu. Comme le

Page 70: « Science infirmière » ou « science appliquée

70

médecin il sélectionne ce qui lui paraît faire sens.

8.4 Le choix de l’outil

Notre intention étant de repérer dans les différentes populations, le discours particulier

porté par les professionnels sur les sciences humaines, il nous est apparu assez rapidement que

l’outil le plus adapté était l’entretien semi-directif. Il s’agissait alors de tester un guide

d’entretien. Pour cela nous avons organisé deux entretiens préalables qui nous permettent de

définir quelques pistes :

ü L’importance de ne pas aborder directement, dans un premier temps, la question des

sciences humaines. Il s’agira davantage de repérer certains indicateurs, au travers d’une

question ouverte portant sur une définition ou une conception du soin infirmier.

ü L’importance de relancer le discours de l’interviewé en tenant compte des particularités de

chaque production. Ce qui peut nous amener à formuler de manières différentes certaines

questions en fonction de l’interlocuteur. Pour autant, le guide d’entretien reste présent

dans l’esprit du chercheur et une formulation parfois modifiée de certaines questions

n’altère pas la qualité du discours.

ü La nécessité d’amener la personne interrogée à s’exprimer avec un grand degré de liberté,

ceci par un nombre restreint de questions relativement larges.

ü Enfin, ces deux entretiens préalables nous rappellent une exigence fondamentale. Ils ont

été réalisés dans une configuration particulière, dans le sens d’une grande proximité

professionnelle entre l’interviewé et l’interviewer. Cette proximité entre celui qui mène

l’entretien et celui qui répond, le contexte, l’institut de formation où ils ont été réalisés, les

attendus en fonction des positions de chacun dans l’institut, biaisent les propos. Cette

situation nous enseigne ; dans le sens où il serait illusoire de croire à une complète

spontanéité de l’interviewé, mais également à une totale neutralité du chercheur. L’analyse

d’un entretien doit donc comprendre une élucidation de ce que les questions du chercheur,

la relation d’échange et le cadre de l’entretien induisent dans les propos de son

interlocuteur.

Page 71: « Science infirmière » ou « science appliquée

71

8.5 Les conditions de l’entretien

Un rendez-vous a été pris avec chaque interviewé. C’est à l’occasion de cette prise de

contact que nous avons précisé la durée de l’entretien. Celle-ci étant fixée à environ trente

minutes. C’est également lors de ce contact qu’une demande d’autorisation d’enregistrement a

été formulée. Le choix du lieu de l’entretien à été dicté par l’activité professionnelle des

différentes personnes interrogées. Nous sommes cependant parvenus à trouver un cadre

adapté et confortable.

Afin d’éveiller l’intérêt des personnes interviewées il était nécessaire d’indiquer

l’objectif de l’enquête. Sans révéler l’attention particulière de ce travail, centrée autour du

discours porté par les professionnels sur les sciences humaines, nous avons précisé la

thématique. Ainsi, nous avons plutôt insisté sur un travail de recherche portant sur

l’universitarisation de la formation des étudiants en soins infirmiers et la perspective d’une

discipline infirmière. Nous avons par ailleurs indiqué que l’entretien respectait les règles de

confidentialité et que le recueil de données serait traité de manière anonyme. Nous avons

également communiqué sur les différentes populations interrogées pour notre enquête et

insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un examen comportant de bonnes ou mauvaises

réponses. Il nous paraissait vraiment essentiel de pouvoir rassurer l’interviewé sur la portée de

ce qu’il souhaitait dire, sans en minimiser l’importance.

8.6 La population

L’intention de ce travail d’enquête est de recueillir, sur le terrain d’exercice du soin, le

discours porté par les professionnels sur les sciences humaines. Notre objectif, de manière

indirecte, est de saisir la « nature » de ce discours. C'est-à-dire ; autour de quelles conceptions

s’ordonnent chez les infirmiers et les étudiants ce savoir théorique et quel en est le modèle

épistémologique sous-jacent. Il nous semble également nécessaire d’élargir notre recueil de

données aux professionnels qui exercent, dans leurs missions, une responsabilité particulière

par rapport à ces deux populations. Les cadres formateurs et les cadres soignants, de par leurs

responsabilités pédagogiques, partagent et /ou transmettent un certain rapport au savoir. Nous

proposerons donc dans ce travail de mener respectivement des entretiens auprès des cadres

formateurs, des cadres soignants, des infirmiers et des étudiants.

Page 72: « Science infirmière » ou « science appliquée

72

Recueil de données

99 AANNAALLYYSSEE DDEE CCOONNTTEENNUU

L’analyse s’inscrit dans une démarche beaucoup plus critique et compréhensive

qu’explicative. Il ne s’agit jamais pour nous d’expliquer des discours et des positions, mais de

dégager des énoncés et de les inscrire à l’intérieur d’une vision d’ensemble. C'est-à-dire, au-

delà de cette parole prononcée, quels signifiants retentissent et quels signifiés se dégagent.

« L’analyse de contenu s’intéresse justement (et exclusivement) au signifié, par définition

même, parce qu’elle s’intéresse au sens (Mucchielli, 1991, p.24). » L’intérêt ne réside pas

dans la description des contenus mais dans ce que ceux-ci, une fois traités, peuvent nous

apprendre concernant d’autres choses. « Faire une analyse thématique consiste à repérer des

« noyaux de sens » qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence

d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi (Bardin, 2003,

p.137). »

Dans l’ensemble des techniques d’analyse de contenu, nous avons choisi de travailler

avec l’analyse catégorielle. Elle fonctionne par opérations de découpage du texte en unités

puis classification de ces unités en catégories selon regroupements analogiques. « La

catégorisation est une démarche de type structuraliste. Elle comporte deux étapes :

ü L’inventaire : isoler les éléments

ü La classification : répartir les éléments, donc chercher ou imposer une certaine

organisation aux messages (ibid, p.151). »

Page 73: « Science infirmière » ou « science appliquée

73

L’exploitation de deux entretiens préalables nous a permis de repérer la nécessité

d’employer pour ce travail de catégorisation deux démarches inverses :

ü Le Système de catégories est donné par la grille d’analyse construite dans ce

travail (Annexe 10, p.136). « Tel est le cas lorsque l’organisation du matériel

découle directement des fondements théoriques hypothétiques (Bardin, 2003

p.152). »

ü Le système de catégories n’est pas donné par cette même grille. Celui-ci est

construit à partir des données du discours (Annexe 10, p.135). « Il est la

résultante de la classification analogique et progressive des éléments… Le titre

conceptuel de chaque catégorie n’est défini qu’en fin d’opération (ibid, p.153). »

En effet, notre intention dans ce travail, de ne pas aborder directement avec les

interviewés la question de l’intérêt des sciences humaines dans le soin, nous permet de

recueillir un discours qui ne s’épuise pas dans les deux modèles (nomothétique –

herméneutique) qui découle des fondements théoriques hypothétiques. Nous avons donc été

confronté à toute une partie du discours qu’il nous semblait nécessaire d’organiser. C’est à

partir de ce discours que nous avons mis en évidence des catégories. Les catégories sont ici

induites du contenu.

Nous avons donc opté pour la démarche qui consiste à interroger des noyaux qui

composent les discours et qui pourraient nous permettre d’avancer dans la réflexion à propos

de notre interrogation qui est : Le discours des professionnels du soin ne viendrait-il pas

révéler une conception nomothétique des sciences humaines ?

9.1 Entretiens étudiants

9.1.1 Entretien avec Mélanie : (annexe 6, P.95)

Nous pouvons repérer dans le discours de Mélanie une définition du soin infirmier qui

s’ordonne autour de l’opposition « technique/relation » ; la technique étant posée comme un

préalable. Les unités de sens reliées au critère relation sont articulées à des unités de sens

Page 74: « Science infirmière » ou « science appliquée

74

reliées au critère disposition personnelle ; unités de sens dont il est intéressant de repérer ici la

fréquence d’apparition (9). Nous retrouvons dans l’idée d’une science infirmière chez

Mélanie, le même mécanisme qui opère ; objectivité – subjectivité rappelle en miroir

l’opposition, technique – relation. L’affirmation que la « subjectivité n’est pas une science »

(Annexe 2, p.16, l.46) est intéressante dans la mesure où elle vient en quelque sorte confirmer

la place que Mélanie accorde aux dispositions personnelles. Quant aux sciences humaines,

leurs utilisations au travers d’une situation de soin singulière révèlent un contre sens avec la

manière dont elles sont parlées. Dans le discours elles suggèrent une approche herméneutique,

dans la pratique elles deviennent prescriptives.

9.1.2 Entretien avec Chloé : (annexe 6, P.97)

A l’opposé de Mélanie, Chloé propose de définir le soin à partir de la technique, c’est

« le cœur du métier » (ibid, P.18, l.7). Le discours sur le soin est structuré et témoigne d’une

certaine rigueur. La technique renvoie à une responsabilité particulière, responsabilité qu’elle

ressaisit également pour évoquer le champ de la relation. Ecouter pour l’infirmier, c’est

d’abord « relever des éléments objectifs » (ibid, p.18, l.11). La place et la fonction de chacun

est située. Il est intéressant de remarquer l’absence d’unité de sens concernant le critère

disposition personnelle. Le soin infirmier semble être pour Chloé avant tout un travail.

« Penser le soin comme travail, c’est assumer la dénaturalisation des ressources affectives

nécessaires au soin et cela conduit logiquement à s’interroger sur leurs sources, la façon dont

elles sont mobilisées et leur éventuelle reproductibilité (Pirard, 2006, p.81) ». Quant à la

science infirmière, Chloé la conçoit comme une science appliquée sur le modèle de la science

médicale, « une théorie qui doit être mise en pratique » (ibid, p.18, l.27). Nous pouvons

penser qu’il y a là une certaine permanence qui renvoie à la place prépondérante accordée par

Chloé à la technique dans le soin. Par contre, la contradiction majeure repose comme chez

Mélanie dans l’écart entre le discours théorique construit sur les sciences humaines et la

manière dont ces mêmes sciences humaines sont ressaisies dans la pratique. C'est-à-dire ; dans

une certaine rigidité déterministe, dans l'illusion d'une maîtrise. Des sciences humaines qui

prennent la forme d’une technique.

9.1.3 Entretien avec Sophie : (annexe 6, P.99)

Sophie, comme Mélanie, considère la relation dans le soin comme primordiale. La

fréquence d’apparition des unités de sens en témoigne. La maîtrise du geste technique, même

si elle est importante… « Tout le monde peut l’acquérir » (ibid, p.21, l.10). Cette

Page 75: « Science infirmière » ou « science appliquée

75

hiérarchisation ne s’articule pas chez Sophie avec des éléments pouvant être reliés au critère

disposition personnelle. Nous ne repérons pas d’unité de sens autour du don de soi, du

dévouement. Nous ne retrouvons pas d’éléments exploitables en ce qui concerne l’idée d’une

science infirmière. Les sciences humaines révèlent la même contradiction que chez Mélanie et

Chloé. Le discours met en évidence des unités de sens en faveur du questionnement, de la

réflexivité alors que l’exposé d’une situation propose des unités de sens dans le champ de

l’explication, de la causalité.

9.1.4 Entretien avec Thomas : (annexe 6, P.100)

La répartition des unités de sens dans le discours de Thomas fait apparaître la même

articulation que chez Mélanie. Les unités concernant la relation proposent une proximité avec

les unités de sens qui peuvent être considérées comme des éléments caractéristiques d’une

disposition personnelle. Comme chez Sophie, Thomas ne propose aucune unité de sens

exploitable à l’évocation d’une science infirmière. Les sciences humaines sont parlées dans le

discours comme la possibilité d’une réflexion, d’une recherche de sens et dans la pratique

elles sont plutôt ressaisies comme la possibilité d’une explication.

9.1.5 Entretien avec Paul : (annexe 6, P.102)

Paul définit le soin essentiellement par la relation. Nous ne retrouvons pas la lecture de

l’opposition, technique – relation, souvent exprimée par les interviewés. Il est assez

surprenant de voir ainsi ce mouvement de balancier ramener le soin infirmier exclusivement à

« l’écoute, le respect, la connaissance de l’un et de l’autre… la confiance » (ibid, p.28, l.25).

Il y a quelque chose qui est ressaisi dans une précipitation, dans une approximation qui

renvoie à une injonction de l’écoute. L’évocation d’une science infirmière est de fait abordée

par Paul exclusivement autour de cette dimension relationnelle du soin. Les unités de sens

précisant la dimension singulière, irréductible présentent une certaine cohérence dans la

mesure où le soin est pensé exclusivement comme une relation. Il est intéressant de voir

comment la question de la maîtrise apparaît avec les sciences humaines à travers l’exposé

d’une situation ; « Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à

un cas précis. » (ibid, p.29, l.63)

Page 76: « Science infirmière » ou « science appliquée

76

9.1.6 Synthèse entretiens étudiants

Nous pouvons affirmer que certaines choses se répètent dans le discours des différents

étudiants interviewés. Dans un premier temps il est intéressant de repérer cette distinction

systématique entre relation et technique qui surgit dans la définition du soin. La technique est

très peu commentée, lorsqu’elle est évoquée c’est essentiellement pour poser le principe que

la maîtrise technique « n’est pas compliquée » (Annexe 2, p.24, l.14), « cela vient comme un

réflexe » (ibid, p.24, l.20), « tout le monde peut l’acquérir » (ibid, p.21, l.10). A l’opposé, le

critère relation engage dans le discours de 4 étudiants sur 5 toute une série de qualificatifs qui

l’accompagne, qualificatifs qui s’ordonnent autour d’indicateurs tels que ; l’écoute, la

présence, l’empathie, la considération, la disponibilité, la confiance, etc. Pour 2 étudiants sur

5, les unités de sens reliées au critère relation sont articulées à des unités de sens reliées au

critère disposition personnelle. Cette articulation témoigne une proximité manifeste entre,

d’une part, l’écoute, la présence, la disponibilité, l’empathie, etc., et d’autre part, le

dévouement, l’oubli de soi, la vocation, l’enthousiasme… Seule, Chloé, propose de définir le

soin à partir de la technique, c’est « le cœur du métier » (ibid, p.18, l.16). La technique

renvoie à une responsabilité particulière, responsabilité qu’elle ressaisit également pour

évoquer le champ de la relation. Ecouter pour l’infirmier, c’est d’abord « relever des éléments

objectifs » (ibid, p.18, l.11). En assumant la dénaturalisation des ressources affectives, le soin

infirmier semble être pour Chloé avant tout un travail.

La question de l’intérêt des sciences humaines dans le soin laisse apparaître, chez les 5

étudiants interviewés, une contradiction majeure. Nous relevons un écart entre le discours

théorique construit sur les sciences humaines et la manière dont ces mêmes sciences humaines

sont ressaisies dans la pratique. Le discours théorique propose une approche herméneutique

où la compréhension et la recherche de sens dominent. L’exposé d’un soin ou d’une pratique

singulière tend à considérer les sciences humaines sur le modèle nomothétique ; c’est à dire

dans le champ de l’explication, de la résolution de problèmes, de la maîtrise, de la

prescription.

Page 77: « Science infirmière » ou « science appliquée

77

9.2 Entretiens infirmiers

9.2.1 Entretien avec Claire : (annexe 7, P.104)

Claire travaille dans un service de cardiologie. Le discours de Claire propose des unités

de sens qui témoignent de l’importance qu’elle accorde à la dimension relationnelle dans le

soin. « Il faut que l’on soit capable… la théorie, la pratique, mais aussi le relationnel. »

(Annexe 3, p.33, l.11). Il est intéressant de repérer comment claire distingue ce qu’elle définit

comme étant la relation, de la pratique et de la théorie. Il y a d’un côté « théorie et

technicité » (ibid, p.33, l.15) et de l’autre le relationnel qui opère « la différence entre une

bonne et une moins bonne infirmière » (ibid, p.33, l.17). Le terme de bonne ou de moins

bonne mérite une attention particulière. Il renvoie à une disposition personnelle qui exclue

toute référence théorique. Cette prédisposition qui ne convoque pas de réflexion théorique

semble se confirmer lorsque Claire nous dit, « il existe des choses très simples qui ne sont pas

prescrites » (ibid, p.33, l.26). Le rôle prescrit correspond, quant à lui, à « tout ce qui est

théorique et pratique » (ibid, p.33, l.30). La relation est intégrée dans le rôle propre qui lui,

«… est spontané… cela vient tout seul » (ibid, p.34, l.39). La théorie reste cependant évoquée

dans le rôle propre dans son rapport à la pathologie et aux connaissances de la maladie. La

relation semble exclue de la théorie et propose des approximations comme ; « … s’immiscer

dans l’intimité des gens… » (ibid, p.34, l.51). Il existe chez Claire une contradiction majeure

qui tend à sortir la relation du champ de la théorie et de la pratique et dans le même

mouvement, lui accorder une place centrale dans son exercice professionnel. Lorsqu’elle

ressaisit la théorie à travers le discours porté sur les sciences humaines, elle le fait sur le mode

nomothétique de l’explication et de la causalité ; « ce n’est pas à n’importe quel moment que

vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel moment ? Si vous piochez un peu… vous avez

la réponse » (ibid, p.35, l.97).

9.2.2 Entretien avec Alice : (annexe 7, P.106)

Les unités de sens sont distribuées dans le discours d’Alice essentiellement autour des

critères relation et disposition personnelle. Alice, ancienne aide soignante, travaille dans un

service de long séjour et attache une grande importance à l’humanité, la chaleur, la présence,

la disponibilité, même si elle reste « dans la technique et dans l’exécution du soin infirmier

prescrit par le médecin » (ibid, p.37, l.12). Cette définition du soin, qui accorde à la

dimension relationnelle une place prépondérante, révèle une conception de la nature de cette

Page 78: « Science infirmière » ou « science appliquée

78

relation reposant sur des dispositions individuelles. Les sciences humaines, dès lors, ne

trouvent pas leur place dans la pratique d’Alice, considérant qu’il existe « un côté inné qui est

là » (ibid, p.39, l.79). Il semble d’ailleurs que pour Alice les sciences sont des théories qui

s’appliquent ; « … l’apport théorique des sciences humaines ne m’a pas servi au niveau

pratique. Le reste (les autres connaissances) on peut les prendre pour les appliquer » (ibid,

p.38, l.57). Nous retrouvons cette idée à l’évocation d’une science infirmière qui renvoie

exclusivement dans le discours d’Alice à la « pathologie, la biologie, la pharmacie » (ibid,

p.38, l.43).

9.2.3 Entretien avec Léna : (annexe 7, P.108)

Léna est une jeune diplômée (6 mois), qui a fait ses études d’infirmière à Bruxelles. La

première partie de l’entretien ne révèle pas grand-chose. Elle est informée de ma fonction de

cadre formateur à l’institut et se soumet à l’exercice en donnant l’impression d’être évaluée ;

« Je ne sais pas si j’ai été complète… c’était la bonne réponse ? » (ibid, p.41, l.14). Le

discours reste très scolaire et appliqué, cependant nous pouvons dire que l’ensemble est unifié

et que cela semble répéter certaines choses. La dimension relationnelle dans le soin est

évoquée mais dans l’exigence d’une explication, d’un compte rendu à donner au patient.

L’idée d’une science infirmière se résorbe dans la connaissance de la maladie, de la

pathologie. Les sciences humaines permettent de prévoir, d’anticiper. Il y a une certaine

cohérence dans le discours sur le soin, discours qui s’ordonne autour d’une approche très

pragmatique. L’écoute est abordée par Léna pour préciser que c’est « logique » et que cette

disposition relève d’une « qualité naturelle » (ibid, p.42, l.42).

9.2.4 Entretien avec Hugo : (annexe 7, P.109)

Hugo est un jeune diplômé qui exerce dans un service de psychiatrie. Comme pour

Léna, nous retrouvons peu d’éléments exploitables dans son discours. Il définit le soin

infirmier en accordant une place centrale à la relation. Il considère que c’est là, une

particularité de l’exercice en psychiatrie. L’idée d’une science infirmière évoque pour lui le

travail de recherche ainsi qu’un travail de réflexion sur le soin. Son discours propose quelques

confusions entre médecine psychiatrique et sciences humaines. Les unités de sens présentes

dans le discours nous permettent de dire que les sciences humaines sont ressaisies par Hugo

sur le modèle nomothétique, il s’agit d’expliquer et de résoudre un problème.

Page 79: « Science infirmière » ou « science appliquée

79

9.2.5 Entretien avec Gilles : (annexe 7, P.110)

Gilles est infirmier dans un service de soins intensifs en cardiologie. Il définit le soin

infirmier en identifiant le rôle propre et le rôle prescrit. Son quotidien relève de prises en

charge où il est confronté à l’urgence ; l’urgence vitale. C’est cette réalité, probablement, qui

l’amène à proposer une conception très utilitariste des sciences humaines. Les unités de sens

repérées dans le discours mettent en évidence, exclusivement, une approche nomothétique de

ce référentiel. Il s’agit d’adapter, d’expliquer, d’objectiver, de prévoir, d’être dans la maîtrise.

Il est intéressant de repérer l’absence d’unités de sens concernant la disposition individuelle.

Le soin infirmier est considéré par Gilles comme un « travail » et n’est jamais abordé comme

une « ascèse individuelle ».

9.2.6 Entretien avec Nadine : (annexe 7, P.111)

Nadine exerce son activité dans un service de rééducation cardiaque. Au quotidien elle

est en prise avec la question du travail éducatif dans le soin. Ainsi, elle définit sa pratique

soignante infirmière principalement par sa dimension relationnelle. Le terme expliquer revient

avec une fréquence importante dans les unités de sens (4). Elle nous précise ; « le soin…

plutôt dans la discussion » (ibid, p.49, l.12). Cette unité de sens nous paraît intéressante à

relier à l’affirmation, « … disponible et à l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours,

ce n’est pas propre à l’infirmière… » (ibid, p.50, l.47). C’est en terme de disposition

individuelle qu’elle nous parle de cette activité comme s’il était impossible pour elle de la

concevoir comme un travail. Par ailleurs, Nadine souligne que des contenus en sciences

humaines pourraient l’intéresser dans sa pratique. Ceci, dans la mesure où ils permettent

«… d’arriver à ce que l’on veut » (ibid, p.51, l.72). L’utilisation de ce référentiel est replié

intégralement sur l’idée de la résolution de problèmes ; des sciences humaines ressaisies

comme une technique ou une science appliquée.

9.2.7 Synthèse entretiens infirmiers

Nous retrouvons dans le discours de la population infirmiers, l’opposition « technique –

relation ». L’importance accordée à la dimension relationnelle dans le soin est articulé, pour 4

infirmiers sur 6, à des unités de sens concernant le critère disposition personnelle. Pour 2

d’entre eux le discours, de manière explicite, pose le principe que la relation exclue toute

référence théorique ; « …ce n’est pas à la fac qu’on va l’apprendre » (Annexe 3, p.35, l.74)

ou « …je n’ai pas l’impression d’avoir eu besoin de la théorie » (ibid, p.38, l.61). Il est

Page 80: « Science infirmière » ou « science appliquée

80

question ici de préciser, que la relation c’est « …naturel » ou bien qu’ « …être disponible et à

l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas propre à l’infirmière » (ibid,

p.50, l.47). Il y a une contradiction à sortir la relation du champ de la théorie et dans un même

mouvement lui accorder une place centrale. Pour 2 infirmiers sur 6, le discours ne révèle pas

une conception de la nature de cette relation reposant sur des dispositions personnelles. L’un

travaille dans un service de psychiatrie et l’autre dans un service intensif de cardiologie.

Pour 5 infirmiers sur 6 les sciences humaines dans le soin sont ressaisies sur le modèle

nomothétique. Il s’agit essentiellement de prévoir, d’expliquer et d’être dans la maîtrise ;

« …ce n’est pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel

moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse. » (ibid, p.35, l.97) ou « …les

sciences humaines sont utiles car dans cet exemple on est déjà au courant de ce qui peut

arriver » (ibid, p.42, l.51). Les sciences humaines sont par ailleurs parlées comme une

technique ou une science appliquée ; «Les nouveaux diplômés… les sciences humaines, ils

n’en voient pas l’importance… ils ne voient pas comment l’appliquer » (ibid, p.36, l.111) ou

« Il faut faire preuve de psychologie pour réussir une prise de sang. Il faut passer par

certaines tactiques… et à travers ça, c’est des sciences humaines » (ibid, p.45, l.79). Dans les

entretiens infirmiers, nous n’avons pas relevé de contradictions majeures entre le discours

théorique porté sur les sciences humaines et la manière dont elles sont ressaisies à travers une

pratique singulière.

9.3 Entretiens Cadres Soignants

9.3.1 Entretien avec Laurence : (annexe 8, P.114)

Laurence travaille dans un service de long séjour. Sa définition du soin s’ordonne autour

de l’opposition, technique – relation. L’accent est mis sur la présence, l’aide, la disponibilité.

La relation est placée au centre de son discours. Elle ne s’attarde pas sur les actes techniques,

s’ils sont évoqués c’est généralement pour mieux revenir sur ce qu’elle qualifie d’ « approche

humaine » (Annexe 4, p.54, l.20). Sa conception de l’intérêt des sciences humaines dans le

soin propose une contradiction que nous avons déjà relevé à plusieurs reprises chez les

interviewés. Le discours théorique porté sur les sciences humaines met en évidence des unités

de sens qui traduisent un intérêt pour le questionnement, la recherche de sens. La manière

dont elles sont ressaisies dans la pratique indique davantage le recours à ce référentiel sur le

modèle nomothétique.

Page 81: « Science infirmière » ou « science appliquée

81

9.3.2 Entretien avec Yves : (annexe 8, P.116)

Yves occupe une fonction de cadre dans un service de psychiatrie. La définition du soin

qu’il propose l’amène à considérer la relation comme un outil indispensable dans la pratique

soignante. Cet outil est le prolongement d’une intention professionnelle et, à l’opposé d’un

discours assez partagé parmi les autres personnes interviewées, ne repose pas sur des

dispositions personnelles ou individuelles. Le discours est assez structuré mais parfois,

brutalement, se perd dans des approximations : « …il faut toujours penser à la globalité de la

personne » (ibid, p.56, l.16). La place de la relation est mise en avant mais elle reste peu ou

pas précisée dans cette pratique singulière en psychiatrie. Elle est d’autant moins précisée

lorsqu’il affirme ; « …on ne soigne pas un bras, on ne soigne pas une dépression, on soigne la

personne » (ibid, p.56, l.16). Les sciences humaines sont considérées par Yves dans une

tension, une dialectique entre expliquer et comprendre.

9.3.3 Entretien avec Renée : (annexe 8, P.117)

Renée travaille dans un service de pédiatrie. La première chose qui apparaît dans le

discours de Renée pour définir le soin est la technique. Autour de la « technicité » il y a une

« construction professionnelle » (ibid, p.59, l.21), construction qui correspond à sa définition

de la relation et qu’elle considère comme le « plus passionnant dans le métier » (ibid, p.59,

l.22). La technique, il faut pouvoir l’intégrer « pour pouvoir s’en débarrasser » (ibid, p.59,

l.18). Ainsi, il est question ensuite pour Renée de s’appliquer à préciser ce qu’elle n’arrive pas

à préciser ; c'est-à-dire autour de quoi s’ordonne cette relation ? Et là, surgit tout un discours

sur des dispositions personnelles qui ramènent la nature de cette relation à la vocation, l’idéal,

le dévouement, l’oubli de soi, l’enthousiasme, etc. Une forme d’ascèse individuelle qu’il nous

semble possible d’illustrer au travers de cette affirmation ; « …on voit qu’à travers le soin il y

a autre chose » (ibid, p.60, l.41). Dans ce discours les sciences humaines sont évoquées

exclusivement sur le modèle nomothétique, elles permettent de « dire ce qu’il faut dire »

(ibid, p.63, l.136) et nous pouvons supposer de faire ce qu’il faut faire.

9.3.4 Entretien avec Eva : (annexe 8, P.120)

Eva travaille dans un service d’hèmato-oncologie. Elle nous propose de considérer le

soin infirmier avant tout comme une pratique. Nous ne retrouvons pas dans le discours d’Eva

l’opposition « technique – relation » ainsi que des unités de sens rattachées au critère

dispositions personnelles. La vocation, le dévouement, l’oubli de soi, c’est à dire les qualités

Page 82: « Science infirmière » ou « science appliquée

82

naturelles, ne sont pas ici évoquées. L’aspect personnel, individuel laisse la place à une

conception du soin qui repose sur « …des pratiques professionnelles fortes » (ibid, p.64, l.22).

La clinique est mise en avant ; « …le soin infirmier c’est de la clinique » (ibid, p.64, l.20).

Pratique et clinique peuvent être considérées comme les deux termes qui structurent le

discours d’Eva. Dès lors, les sciences humaines sont ressaisies dans cette pratique et

« …permettent de passer de l’acte au soin » (ibid, p.66, l.92). Elles sont considérées, de la

même façon que chez Yves, dans une tension, une dialectique entre expliquer et comprendre ;

« …c’est une aide à la réflexion, une ouverture, pas vraiment une aide à la décision…

toujours » (ibid, p.66, l.101).

9.3.5 Entretien avec Lucile : (annexe 8, P.122)

Lucile est une jeune cadre qui exerce en service de cardiologie. Le soin infirmier est

défini dans sa double dimension, technique et relationnelle. L’aspect technique n’est pas

précisé. L’aspect relationnel, quant à lui, amène Lucile à tenir un discours exclusivement

centré sur des dispositions personnelles. Il est ici question, d’enthousiasme, de dévouement,

c'est-à-dire ; « …tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous pour soigner » (ibid, p.68,

l.28). Nous retrouvons les allant-de-soi habituels, comme le « prendre soin » et la « bonne

distance » (ibid, p.69, l.34). L’intérêt des sciences humaines est développé par Lucile sur le

modèle nomothétique. Elles permettent dans la pratique d’expliquer, de se positionner et

d’être dans la maîtrise. Il est intéressant de repérer que le discours sur les sciences humaines

re-(saisit) les allant-de-soi mais en leur donnant une légitimité « scientifique » ; « …être plus

dans le prendre soin, mais avec la bonne distance grâce à ces connaissances là » (ibid, p.69,

l.65). Des sciences humaines qui, dans leurs utilisations, viennent servir un positionnement

idéologique.

9.3.6 Entretien avec Chantal : (annexe 8, P.123)

Chantal pour définir le soin infirmier parle de prise en charge globale du patient. Elle

insiste sur la nécessité d’aller au-delà de la technique, c'est-à-dire ; « …un peu plus au profond

des choses » (ibid, p.71, l.18). En dehors de l’écoute et de la prise en compte de l’anxiété du

patient, il est difficile pour Chantal de préciser ce que peut signifier cette « globalité ». Nous

ne retrouvons pas d’unité de sens associée au critère disposition personnelle. Par ailleurs, le

discours sur les sciences humaines ne propose pas d’éléments exploitables pour notre

recherche.

Page 83: « Science infirmière » ou « science appliquée

83

9.3.7 Synthèse entretiens Cadres Soignants

Nous retrouvons dans le discours des Cadres soignants interviewés une place importante

accordée à la notion de relation dans le soin infirmier. Renée est la seule à insister sur la

« technique » mais pour mieux revenir à sa définition de la relation qu’elle considère comme

« le plus passionnant dans le métier ». Elle partage avec Lucile (2 interviewés sur 6) un

discours sur la nature de cette relation qui renvoie à des éléments que nous pouvons relier au

critère disposition personnelle. Il est question de « prendre soin » avec «..tout ce que l’on y

met de nous-mêmes… » (Annexe 4, p.68, l.24). Pour Renée nous pouvons relever 14 unités de

sens qui témoignent de cette disposition individuelle, dont l’essentiel se voit résumé dans

cette affirmation ; « …je pense que c’est le don de soi, quoi que l’on en dise …sans retour… »

(ibid, P.59, l.26). Le soin est défini comme une « prestation » qui renvoie à la « …raison

d’être… » (ibid, p.60, l.44) du soignant. « La finalité du soin » revient à « …donner ce que

l’on a de soi-même pour les patients… » (ibid, p.60, l.36). Nous retrouvons ici une

naturalisation des ressources affectives. Naturalisation qui semble posée par Renée comme

une exigence lorsqu’elle affirme ; « Si, en tant que soignant on n’a pas perçu cela… on passe

à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à l’usine, on accomplit sa tâche, on

signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (ibid, P.60, l.42).

Les sciences humaines sont parlées sur le modèle de l’explication, de la causalité, de la

maîtrise par 3 cadres sur 6. Parmi ces 3 professionnels, 1 propose la contradiction partagée par

la population des étudiants. C'est-à-dire ; d’une part un discours théorique (prêt à entendre)

qui traduit un intérêt pour le questionnement et la recherche de sens, d’autre part, le recours

à ce référentiel dans la pratique sur le modèle nomothétique. Pour 2 cadres sur 6 le discours

porté sur les sciences humaines propose plutôt une tension, une dialectique entre expliquer et

comprendre. C’est en particulier le cas pour Eva qui définit le soin infirmier avant tout

comme une pratique clinique. Elle considère les sciences humaines comme la possibilité

d’une « …réflexion, une ouverture… », et pas « toujours » comme une « …aide à la

décision » (ibid, p.66, l.101). Chantal ne propose pas d’éléments exploitables.

9.4 Entretiens Cadres Formateurs

9.4.1 Entretien avec Cathy : (annexe 9, P.125)

Cathy exerce aujourd’hui la fonction de cadre de santé chargé de l’enseignement dans

un I.F.S.I. Une grande partie de son exercice professionnel s’est déroulé dans un service de

Page 84: « Science infirmière » ou « science appliquée

84

bloc et d’anesthésie. Elle est titulaire d’un diplôme d’infirmière anesthésiste (I.A.D.E.). Elle

nous rappelle que « …c’est une formation qui fait appel essentiellement à la technicité… »

(Annexe 5, p.77, l.42), mais pour autant, «…une fois dépassée cette technicité, l’intérêt c’est

d’aller privilégier ce côté relationnel » (ibid, p.77, l.45). Cathy insiste sur la nécessité d’une

« prise en charge globale du patient » (ibid, p.76, l.14). Il s’agit de ne pas considérer le

patient comme « un objet » et d’instaurer un « climat de confiance » (ibid, p.76, l.28) avant

l’anesthésie. A l’évocation de l’intérêt des sciences humaines dans le soin, elle nous précise

qu’ « …il ne faut pas que l’étudiant s’y perde » (ibid, p.77, l.64). L’infirmier comme

« …l’étudiant est confronté à une logique de résolution de problèmes » (ibid, p.77, l.65), il

s’agit pour lui de «…trouver des solutions » (ibid, p.77, l.67). Des sciences humaines, elle

nous dit ; « …il n’est pas évident de les mettre en œuvre, de les mettre en action » (ibid, p.78,

l.87). L’intention est bien ici, de ressaisir ce référentiel sur le modèle nomothétique, il s’agit

pour Cathy, essentiellement, de « …répondre et de faire face à certaines situations » (ibid,

p.79, l.15).

9.4.2 Entretien avec Josiane : (annexe 9, P.127)

Josiane occupe un poste de cadre formateur dans une école d’Infirmière de Bloc

Opératoire (I.B.O.D.E.). Deux dimensions émergent de sa définition du soin infirmier ; une

dimension physique et une dimension psychologique. Pour Josiane, l’expertise technique dans

le soin nécessite une bonne connaissance du patient sur le plan psychologique. Ce préalable

l’amène à soutenir ; « …si tu ne t’occupes pas vraiment de l’état dans lequel se trouve le

patient en pré et post opératoire tu passes à côté » (ibid, p.81, l.40). Il est intéressant de

repérer que cette préoccupation pour Josiane est au service de l’acte chirurgical lui-même.

Ainsi elle affirme ; « …on peut faire des bêtises parce qu’il est tellement tendu qu’il peut

gêner le geste » (ibid, p.81, l.41). Le discours porté sur les sciences humaines ne nous donne

pas suffisamment d’indications pour soutenir une conception particulière. Les éléments

présents dans le discours laissent penser à une tension, une dialectique entre expliquer et

comprendre.

9.4.3 Entretien avec Valérie : (annexe 9, P.129)

Valérie est Cadre Formateur dans un I.F.S.I depuis 2005. Pour Valérie le soin

infirmier, « …ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez dans le guidon, mais faire avec le

patient » (Ibid, p.84, l.25). Son discours est ainsi traversé par des notions telles que

l’humanité, l’aide, l’écoute, la disponibilité, la présence. Nous ne relevons pas d’unité de sens

Page 85: « Science infirmière » ou « science appliquée

85

en lien avec la disposition personnelle. Le discours porté sur l’intérêt des sciences humaines

dans le soin accorde une importance à la compréhension et la recherche de sens.

9.4.4 Entretien avec Michèle : (annexe 9, P.131)

Michèle exerce son activité de Cadre Formateur dans un I.F.S.I. depuis 2007. Nous

retrouvons comme chez Valérie une définition du soin infirmier qui accorde un place centrale,

du moins dans le discours, à des notions telles que la proximité, l’écoute, la disponibilité,

l’empathie. De la technique, Michèle nous dit ; « …tout le monde sait tenir une seringue ».

(ibid, p.87, l.25). Nous relevons une unité de sens concernant la disposition personnelle ;

« …il y a des choses… pas innées, mais des choses que l’on sent » (ibid, p.88, l.58). Les

sciences humaines sont ressaisies dans une double dimension, herméneutique et

nomothétique.

9.4.5 Entretien avec Barbara : (annexe 9, P.132)

Barbara occupe un poste de Cadre Formateur dans un I.F.S.I. depuis 97. Sa définition du

soin repose sur une approche clinique. Le soin infirmier pour Barbara est d’abord « …une

rencontre » (ibid, p.90, l.15). La pratique infirmière repose sur la « construction » (ibid, p.90,

l.21) d’un « regard clinique » (ibid, p.90, l.22) qui nécessite des « savoirs théoriques

solides » (ibid, p.90, l.31) et un véritable travail d’ « observation » (ibid, p.90, l.23). Nous

pouvons dire que Barbara défend l’idée d’une pratique clinique infirmière. C’est dans cette

pratique que le soin convoque des connaissances théoriques spécifiques. Les sciences

humaines sont ici abordées sur le modèle herméneutique.

9.4.6 Synthèse entretiens Cadres Formateurs

Nous retrouvons dans le discours de cette population une définition du soin infirmier

qui accorde une place importante à la technique ou à la « technicité » dans le soin infirmier.

C’est un préalable nécessaire, mais « …ça ne suffit pas » (Annexe 5, p.87, l.31). « La

technique du soin… peut s’acquérir en 2 ou 3 mois… » (ibid, p.90, l.19) et elle doit

« s’adapter … au patient » (ibid, p.81, l.67). La relation est donc envisagée comme ce qui

permet « …de ne pas s’attacher uniquement au patient en tant qu’objet… » (ibid, p.76, l.20).

Il est question, au-delà de la maladie, de se préoccuper du malade et de « …pouvoir l’aider à

supporter un passage difficile » (ibid, p.84, l.18). L’écoute, l’empathie, la confiance, la

présence, la disponibilité sont autant de qualificatifs qui s’ordonnent autour « …de la prise en

charge d’ordre psychologique » (ibid, p.76, l.17) du patient. Il est important de préciser que

Page 86: « Science infirmière » ou « science appliquée

86

nous ne relevons pas d’unité de sens concernant le critère disposition personnelle pour 4

cadres formateurs sur 5. Seule Michèle nous dit ; « il y a quand même des choses… pas

innées, mais des choses que l’on sent » (ibid, p.88, l. 58).

Pour 4 cadres formateurs sur 5, le discours porté sur l’intérêt des sciences humaines

dans le soin, accorde une importance à la compréhension et la recherche de sens. Pour 2

d’entre eux les éléments présents laissent penser à une tension, une dialectique entre expliquer

et comprendre. Les sciences humaines sont ressaisies dans une double dimension,

herméneutique et nomothétique. Pour les 2 autres, elles sont abordées sur le modèle

herméneutique. Seule Cathy nous propose une approche exclusivement sur le modèle

nomomothétique. Il s’agit essentiellement de « …répondre et de faire face à certaines

situations » (ibid, P.79, l.105) et de ne pas oublier que l’ « …on est vraiment dans la

résolution de problèmes, pure et dure, il faut trouver des solutions » (ibid, p.77, l.67).

9.5 Synthèse des entretiens

Une première polarité semble se dessiner à l’analyse des différents entretiens. Nous

retrouvons un discours qui nous permet d’identifier les deux termes de cette polarité. Il s’agit

de l’opposition « technique – relation ». La distinction entre les deux termes surgit dans les

différentes populations interviewées. La technique, bien qu’elle soit considérée comme un

préalable indispensable est très peu commentée. Le second terme de la polarité engage à

l’opposé toute une série de qualificatifs. Il est important de préciser que, les commentaires qui

accompagnent le terme de relation, sont articulés à des unités de sens correspondant au critère

que nous avons nommé « disposition personnelle » (9/22). Nous retrouvons cette articulation

en particulier dans le discours des infirmiers (4/6), ce qui nous semble être significatif. La

population la moins concernée par cette particularité est la population des cadres formateurs

(1/5). Cette polarité « technique – relation » renvoie en miroir à deux autres polarités,

« objectif –subjectif », « rôle prescrit – rôle propre ». Pour définir la technique nous

retrouvons dans les différents discours, des unités de sens qui s’ordonnent autours de termes

que nous avons identifiés comme indicateurs (Annexe 10, p.136) et qui sont ; l’expertise, la

maîtrise, le prescrit, l’obligation. La relation, quant à elle, se voit définie à travers toute une

série de qualificatifs qui va de l’écoute à l’aspect psychologique en passant par le rôle propre.

Deux infirmiers sur 4, articulant le terme de relation à des dispositions personnelles, posent le

principe de manière explicite que la relation exclue toute référence théorique.

Page 87: « Science infirmière » ou « science appliquée

87

La seconde polarité est celle que nous avons construite dans notre approche théorique,

elle concerne les sciences humaines. Il s’agit de les considérer sur le modèle nomothétique et

herméneutique. Ces deux modèles ont été posés avant les entretiens comme des critères.

Accompagnés d’indicateurs (Annexe 10, p.136), ils nous ont permis de repérer des unités de

sens dans le discours des différents professionnels interviewés. Pour 15 professionnels sur 22,

la manière dont sont parlées les sciences humaines dans le soin infirmier traduit une

conception sur le modèle nomothétique. Dans la façon dont elles sont ressaisies, il s’agit

essentiellement de prévoir, d’expliquer, d’anticiper, d’être dans la maîtrise. Nous retrouvons

cette approche, en particulier chez les étudiants (5/5) et les infirmiers (6/6). Cela semble

plutôt partagé pour les cadres soignants (3/6) et moins marqué pour les cadres formateurs

(1/5). Cette conception nomothétique des sciences humaines paraît moins prégnante chez les

professionnels dont la pratique s’éloigne du terrain ou de l’exercice concret du soin.

Une particularité est apparue chez les étudiants interviewés. L’analyse de la question de

l’intérêt des sciences humaines dans le soin laisse apparaître une contradiction majeure. Nous

relevons un écart entre le discours théorique construit sur les sciences humaines et la manière

dont ces mêmes sciences humaines sont ressaisies dans la pratique. Le discours théorique

propose une approche herméneutique où la compréhension et la recherche de sens dominent.

L’exposé d’un soin ou d’une pratique singulière tend à considérer les sciences humaines sur le

modèle nomothétique. Cette contradiction peut s’éclairer du statut du chercheur. Les étudiants

se sont trouvés confrontés, lors de l’interview, à un cadre formateur de leur propre institut,

investi dans le module sciences humaines. Nous pouvons considérer qu’ils aient, pour certains

d’entre eux, livré un discours pré-construit. Ou, pour le dire autrement, un « prêt à dire » ou

« un prêt à entendre ». Nous retrouvons, par ailleurs, cette contradiction chez un cadre

soignant.

Ainsi, l’analyse des entretiens nous permet de dire que seulement 2 personnes interviewées

sur 22 abordent l’intérêt des sciences humaines exclusivement sur le modèle herméneutique.

Il s’agit de deux cadres formateurs. La tension, la dialectique entre le modèle nomothétique et

herméneutique, entre expliquer et comprendre est proposée par 2 cadres soignants sur 6 et 2

cadres formateurs sur 5 (4/22). Seulement 1 cadre formateur sur 5 présente une approche des

sciences humaines sur le modèle nomothétique. Nous pouvons considérer que de par sa

fonction, le cadre formateur a à nourrir une réflexion particulière sur l’intérêt et la place des

sciences humaines dans le soin. Il est nécessairement amené à conceptualiser la pratique

soignante ou du moins à participer à des échanges et des réflexions pédagogiques sur le sujet.

Page 88: « Science infirmière » ou « science appliquée

88

Dès lors, nous pouvons supposer qu’à l’image du discours théorique proposé par les étudiants

sur les sciences humaines, certains cadres formateurs puissent également tenir un discours

attendu, un discours pré-construit. Si nous ne tenons pas compte de cette population nous

pouvons considérer dans l’interprétation des résultats que, 15 personnes interrogées sur 18,

présentent une conception des sciences humaines qui tend à les replier exclusivement sur le

modèle nomothétique. Ce nombre augmente de manière significative, (11/11), si nous ne

retenons que les deux populations directement en prise avec la réalité concrète du soin

infirmier ; c’est à dire la population « étudiants » et la population « infirmiers ».

1100 IINNTTEERRPPRREETTAATTIIOONN DDEESS RREESSUULLTTAATTSS

10.1 Une certaine « dynamique »

Une lecture attentive des données et de l’analyse de contenu nous oblige à revenir sur

les différentes polarités. Nous pensons qu’elles se superposent et qu’elles viennent,

probablement, signifier la même chose dans le discours des personnes interviewées. Nous

proposerons donc une lecture sous forme de tableau, représentant les oppositions, les tensions

entre les termes des polarités.

Polarité

1er terme 2ème terme

Technique Relation

Rôle prescrit Rôle propre

Expliquer Comprendre

Objectif Subjectif

Sciences

Bio-(médicales)

Sciences humaines

Nomothétique Herméneutique

Maladie Malade

Page 89: « Science infirmière » ou « science appliquée

89

Un troisième terme significatif apparaît dans l’analyse des entretiens. Il s’agit de celui

que nous avons défini comme critère et qui est induit de la classification des unités de sens. Il

est question ici du terme « disposition personnelle »

Polarité

3ème terme 1er terme 2ème terme

Technique Relation

Disposition

personnelle

Rôle prescrit Rôle propre

Expliquer Comprendre

Objectif Subjectif

Sciences

Bio-(médicales)

Sciences humaines

Nomothétique Herméneutique

Maladie Malade

Il est intéressant de repérer que ce troisième terme (disposition personnelle), tend à

prendre la place du 2ème terme de la polarité. Les éléments repérés comme des éléments de

disposition personnelle ou individuelle ; dévouement, don de soi, oubli de soi, naturel,

bonté, idéal, enthousiasme, inné, courage… viennent dans le discours de 6 étudiants et/ou

infirmiers sur 11, en lieu et place :

De la relation ; « …je tente de le faire avec beaucoup d’humanité… je suis dans la

relation » (Annexe 3, p.37, l.13) ou alors, « …les patients le sentent bien que vous êtes

disponible… la relation se fait comme ça » (Annexe 4, p.60, l.52) mais aussi, « Il faut

avoir certaines dispositions pour faire ce métier. » (Annexe 2, p.15, l.32) et, « …puis

je me dis que l’on ne devient pas infirmière pour rien » (Annexe5, p.88, l.59) ou,

« …c’est aussi tout ce que l’on y met de nous-mêmes » (Annexe 4, p.68, l.24) dès lors,

« …la technique… c’est vrai que c’est reposant quelque part… » (ibid, p.60, l.47).

Du rôle propre ; « …le prendre soin de la personne… toute une conception du soin »

(Annexe 4, p.68, l.18) mais également, « …donner ce que l’on a de soi-même pour les

patients… pour moi c’est la finalité du soin » (ibid, p.60, l.36) et, « …on voit qu’à

Page 90: « Science infirmière » ou « science appliquée

90

travers le soin il y a autre chose (ibid, p.60, l.41) ou, « …un infirmier sur le terrain,

qui donne du soin, qui se donne aussi à travers le soin » (ibid, p.61, l.72).

De la compréhension ; « Il faut être capable de recevoir la souffrance… » (Annexe 2,

p.15, l.25) et, « …je trouve que cela devient quelque chose qui s’intellectualise… »

(Annexe 4, p.60, l.63) mais aussi, « …c’est naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on

veut être infirmière… » (Annexe 3, p.42, l.42).

De la subjectivité ; « L’humain égale subjectivité…la subjectivité ce n’est pas une

science » (Annexe 2, p.16, l.46) et « Après, je me dis qu’il y a quand même des

choses… pas innées, mais des choses que l’on sent » (Annexe 5, p.88, l.58) ou alors,

« …disponible et à l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas

propre à l’infirmière non plus » (Annexe 3, p.50, l.47).

Des sciences humaines ; « Les sciences humaines… c’est vrai qu’il en faut mais je

pense qu’il y a un profil de la personne » (Annexe 3, p.39, l.73) ou, « …on se dit, celle

là elle est faite pour ça, celle là elle ne sera pas commode… » (ibid, p.39, l.77). Dans

le travail qui nous intéresse, l’herméneutique devient la « disposition personnelle » ;

« …plus profondément dans sa prestation, dans sa… finalement, raison d’être… la vie

(le soin) c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce que l’on a pu apporter » (Annexe 4,

p.60, l.45). La compréhension du malade devient une affaire de « feeling », une

affaire personnelle ; « …il me semble que de façon naturelle je peux régler ce

problème » (ibid, p.39, l.67). Cela devient également une affaire de reconnaissance ;

« Lorsqu’un patient manifeste de la reconnaissance en nous disant que nous sommes

gentils… » (Annexe 2, p.15, l.9) ou, « …si, en tant que soignant on n’a pas perçu

cela… on passe à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à l’usine,

on accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (Annexe 4, p.60,

l.42) mais aussi, « ...je le vois un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… la

contre partie de la rémunération » (Annexe 2, p.25, l.50). La reconnaissance, ici,

vient s’opposer à la connaissance ; « Il y a quand même de la théorie… mais à force

c’est tellement spontané » (Annexe 3, p.34, l.38) ou alors, « …moi, je n’ai pas eu

l’impression d’avoir besoin de la théorie » (ibid, p.38, l.61) mais également, « Où est

ce qu’ils vont mettre la grande partie qui est le relationnel… c’est pas à la fac qu’on

Page 91: « Science infirmière » ou « science appliquée

91

va l’apprendre » (ibid, p.35, l.73).

Nous venons de voir comment, un premier glissement, tend à substituer les éléments

constitutifs du troisième terme (disposition personnelle) aux éléments du second terme de la

polarité. Eux-mêmes, dans un nouveau glissement, viennent se substituer aux premiers termes

de la polarité. Ainsi s’opère un nouveau déplacement, dès lors :

La relation devient technique ; « …toujours mettre des mots sur ce que l’on va

faire… » (Annexe 3, p.37, l.16) ou, « …expliquer la totalité du soin… donner un

compte rendu » (ibid, p.41, l.11) et, « …adapter les soins en fonction de la

personnalité du patient et pas uniquement en fonction de la pathologie » (ibid, p.46,

l.16) mais aussi, « …l’écouter, lui répondre, lui expliquer…après tout est possible »

(ibid, p.49, l.28).

Comprendre devient expliquer ; « J’ai appris comment il faut répondre… » (Annexe

2, p.19, l. 51) et, « …les sciences humaines… elles devraient me dire à quel moment je

suis dangereuse, à quel moment je suis malsaine » (ibid, p.20, l.87) ou, « Les sciences

humaines permettent de dire que le patient réagit de cette façon là parce que… cela

permet d’expliquer » (ibid, p.26, l.30).

La subjectivité devient vérité objective ; « Le travail relationnel…écouter, entendre,

relever des éléments objectifs » (Annexe 2, p.18, l.11) ou, « A quel moment il ne faut

pas dépasser les bornes. L’infirmier, à quel moment il doit être respectueux » (ibid,

p.17, l.91).

Les sciences humaines sont parlées comme les sciences bio (médicales) ; « C’est une

théorie qui doit être mise en pratique… de la même façon que la science médicale… »

(Annexe 2, p.18, l.27) ou, « Les sciences humaines permettent d’être dans une

position adaptée face à un cas précis » (ibid, p.29, l.63) et, « Les sciences humaines

peuvent cautionner et expliquer le soin » (Annexe 4, p.58, l.72) mais aussi, « …les

sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire… » (ibid, p.63, l.136).

L’herméneutique devient nomothétique ; « Les sciences humaines sont utiles car…

Page 92: « Science infirmière » ou « science appliquée

92

on est déjà au courant de ce qui peut arriver » (Annexe 3, p.42, l.52) ou, « Ce n’est

pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel

moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse » (ibid, p.35, l.97) ou,

« …peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les étapes… les

différentes étapes » (Annexe 4, p.55, l.58).

Ainsi ; les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle nomothétique.

Nous retrouvons la polarité sous cette forme

Polarité

1er terme 2ème terme

Sciences humaines

=

Nomothétique

Disposition personnelle

=

Herméneutique

Expliquer Comprendre

Objectif Subjectif

Rôle prescrit Rôle propre

Technique Relation

Maladie Malade

Connaissance Reconnaissance

Une analyse des entretiens, plus attentive à la chaîne signifiante des propos de chaque

personne interrogée, nous aurait probablement permis de mieux repérer ces glissements. Nous

pensons, en particulier, aux discours des professionnels (cadres soignants, cadres formateurs)

pour lesquels il est plus difficile d’inférer un sens. Notre interprétation porte essentiellement

sur des discours très explicites. Il n’en demeure pas moins que ce déplacement, dont nous

venons de montrer la dynamique, est repéré dans la plupart des discours des étudiants et

infirmiers qui ont à se confronter à l’exercice concret du soin. Il nous reste donc maintenant à

essayer d’en saisir le sens.

Page 93: « Science infirmière » ou « science appliquée

93

10.2 La question du réductionnisme

Nous avons abordé dans une première partie de ce travail l’évolution de la médecine

contemporaine qui tend, aujourd’hui, à se définir comme une « médecine scientifique ». Nous

avons rappelé avec Sören Kierkegaard que les vérités objectives de la « médecine

scientifique » sont rapportées dans le langage de l’abstraction et si elles acquièrent de

l’importance, c’est seulement quand elles sont reliées à l’existence d’un patient singulier. Ce

qui compte, ce ne sont pas seulement les troubles anatomiques et physiologiques mais la

relation que le patient entretien avec sa maladie. Nous avons souscrit à l’affirmation de

Georges Canguilhem (2007) lorsqu’il soutient ; « On comprend que la médecine ait besoin

d’une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet n’est pas objective

(ibid, p.49). » Nous avons partagé l’approche de la philosophie herméneutique qui, sans nier

l’importance de la science naturelle, considère que l’homme en tant que personne ne peut être

appréhendé intégralement à l’intérieur d’un cadre naturaliste. Nous avons insisté sur la

nécessité de ne pas séparer l’objet (la maladie) du sujet (celui qui la porte). Nous avons

précisé que la vérité subjective concerne la relation entre les deux et qu’elle exige l’apport de

la méthode herméneutique.

Il n’est pas question, ici, de faire le procès théorique de la technique et de la science

médicale. Le discours dominant de la bio-(médecine) est fondé dans ce qu’il fait. Cependant,

dans ce mouvement de balancier qui renvoie la pratique médicale essentiellement dans le

champ de la bio-(médecine), il y a quelque chose qui est dessaisi (la vérité subjective) et qui

ne peut l’être. Ainsi, ceux qui partagent cette proximité avec le malade et ne peuvent s’en

défaire (infirmiers-étudiants), s’en ressaisissent dans une précipitation et une approximation la

plus totale; « …les patients le sentent bien que vous êtes disponible… la relation se fait

comme ça » (Annexe 4, p.60, l.52) ou, « …je tente de le faire avec beaucoup d’humanité… je

suis dans la relation » (Annexe 3, p.37, l.13). C’est comme s’il n’y avait pas d’autres

manières de penser. Soit on est dans le « feeling », c’est à dire dans ce que nous avons nommé

« la disposition personnelle » ; « …c’est aussi tout ce que l’on y met de nous-mêmes »

(Annexe 4, p.68, l.24) ou, « …moi, je n’ai pas eu l’impression d’avoir besoin de la théorie »

(Annexe 3, p.38, l.61) et cela devient une technique, une injonction de l’écoute, « …l’écouter,

lui répondre, lui expliquer…après tout est possible » (ibid, p.49, l.28). Soit, je sors « ma

Page 94: « Science infirmière » ou « science appliquée

94

réglette » et je mesure, c’est à dire une approche nomothétique des sciences humaines ;

« …les sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire… » (Annexe 4, p.63, l.136).

Ou, plus inquiétant ; « Les sciences humaines sont utiles car… on est déjà au courant de ce

qui peut arriver » (Annexe 3, p.42, l.52).

Cette conception du soin, de quelle subjectivité elle fait usage ?

Face au désarroi provoqué par l’insuffisance des « dispositions personnelles » qui

viennent occuper la place des sciences humaines (vs) herméneutique, les sciences humaines

sont ressaisies sur le modèle nomothétique. Nous sommes dans l’idée positiviste d’une

« psychologie » où il y aurait des savoirs que l’on peut appliquer. C’est une position

épistémologique dans le champ de la psychologie. On attend des outils… il faut avoir des

outils pour répondre à tout ; « J’ai appris comment il faut répondre… » (Annexe 2, p.19, l.

51). Qu’est ce que cela peut vouloir dire que de prétendre avoir des réponses par rapport à la

mort, par rapport à la souffrance ? Lorsque les « dispositions personnelles » sont débordées,

et elles le sont nécessairement, il faut pouvoir expliquer, contrôler, mesurer…, ce qui

justement n’offre pas de prises à la maîtrise ; « …les sciences humaines… elles devraient me

dire à quel moment je suis dangereuse, à quel moment je suis malsaine » (ibid, p.20, l.87).

Ainsi, la technique vient se substituer à la théorie scientifique. La technique est science à

elle toute seule. L’hôpital n’est pas en reste, familiarisé au contrôle qualité et aux procédures

il sort son attirail ; sa réglette pour mesurer la douleur, les tests psychométriques pour

justifier le digicode sur la porte d’entrée du « cantou ». C’est dans l’air du temps…

performance, compétence, conformité, contrôle, mesure ; l’hôpital est traversé par le souci

sécuritaire. Même la mort (et surtout la mort) ne semble résister à ce besoin de tout anticiper

et de tout prévoir ; « …peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les

étapes… les différentes étapes » (Annexe 4, p.55, l.58). Ainsi, les sciences humaines se

résument à une construction et une utilisation rationnelle du savoir, portée par une visée

d’objectivité ; « Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à un

cas précis » (Annexe 2, p.29, l.63). Elles permettent de « cautionner et expliquer le soin »

(Annexe 4, p.58, l.72). Il n’est pas question de remettre en cause la méthode clinique qui

cherche à formuler objectivement le champ de la pathologie mais ; « On confond clinique et

subjectivité, on croit que la clinique c’est celle du sujet. Or pas du tout, la clinique c’est

ramener à du général, à un cadre nosographique. Il faut être un bon clinicien pour permettre à

Page 95: « Science infirmière » ou « science appliquée

95

une subjectivité de se dire (Blein, 2007). » Une telle entreprise d’objectivité implique une

prudence : se garder d’une objectivation du sujet. Encore faut-il ne pas, dans cette entreprise

d’objectivation, convoquer les sciences humaines. Quoi de commun par exemple entre la

réalité du virus H.I.V. et la manière dont H. Guibert raconte dans son premier roman

comment, dès qu’il a connu le diagnostic de sa séropositivité, il s’imaginait qu’en le regardant

les gens voyaient derrière ses yeux l’état de ses lymphocytes34. L’anthropologie de la

médecine met en évidence cette distance entre la maladie objectivée et la maladie vécue,

invitant ainsi à une analyse critique des dominantes du savoir biomédical. Souligner la place

que doivent tenir les sciences humaines dans le soin, c’est probablement rappeler qu’elles ont

à proposer un modèle critique et à se distancier de la position épistémologique de la bio-

médecine.

10.3 Un troisième terme : « disposition personnelle » ?

Il est nécessaire de s’interroger sur la présence dans le discours, d’éléments reliés au

critère que nous avons nommé « disposition personnelle ». Le double déplacement qui

s’opère et dont nous avons montré la dynamique semble trouver son origine dans la place

accordée par la profession à un certain « idéal » et à des « qualités naturelles » ; « Il faut

avoir certaines dispositions pour faire ce métier » (Annexe 2, p.15, l.32)…, « Il faut être

capable de recevoir la souffrance… » (Annexe 2, p.15, l.25). Les sciences humaines (vs)

herméneutique c’est le « féminin » ; « …c’est naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on veut

être infirmière… » (Annexe 3, p.42, l.42). C’est cette forme informelle du savoir, celle qui

correspond à l’intuition… bien sur féminine ; « …on voit qu’à travers le soin il y a autre

chose (annexe 4, p.60, l.41). Tout semble s’ordonner autour de ça, « …je tente de le faire avec

beaucoup d’humanité… je suis dans la relation » (Annexe 3, p.37, l.13). Le soin, ici, renvoie

à la vie et nous pourrions dire à la naissance ou à la maternité ; « …plus profondément dans sa

prestation, dans sa… finalement, raison d’être… la vie c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce

que l’on a pu apporter » (Annexe 4, p.60, l.45). Dans son ouvrage consacré à l’histoire des

infirmières, Yvonne Knibiehler (2008) nous rappelle : « …l’histoire des infirmières projette

une vive lumière sur l’histoire des femmes et sur celle du « genre » : métier « féminin » fondé

sur le dévouement, métier subalterne soumis à la domination des hommes médecins (ibid,

p.9). » Evoquant le début de la laïcisation des soins elle précise « …l’infirmière est d’abord

34 Guibert, H. (1989). A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Gallimard : Paris.

Page 96: « Science infirmière » ou « science appliquée

96

une femme et son travail doit exprimer ou exalter les caractères naturels de la féminité (ibid,

p.67). » L’accent est mis sur le dévouement et l’abnégation et sa valeur morale est placée au

premier plan ; « L’infirmière est toujours vue comme une religieuse laïque (ibid, p.70). »

C’est toujours en termes de vocation, de mission, de qualités de cœur, de prolongement des

activités domestiques qu’on parle des activités de l’infirmière ; « …comme s’il était

impossible de les concevoir comme un travail. Les qualités requises ne peuvent se

monnayer… (ibid, p.70). » Nous retrouvons en écho cette affirmation dans le discours d’un

étudiant ; « ...je le vois un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… la contre partie de

la rémunération » (Annexe 2, p.25, l.50). L’auteur précise que même en devenant

« scientifique, objective, technicienne (ibid, p.71) », les médecins ont bien conscience que la

médecine pasteurienne « …n’assume pas toute la réalité de l’être qui souffre (ibid, p.71). »

Ainsi, « leur infirmière doit devenir un instrument perfectionné sans cesser d’être une femme

compatissante (ibid, p.71). » Il s’agit donc de former une bonne technicienne, naturellement

apte à assister celui qui souffre ; « Il n’y a pas de souffrance qui n’éveille en elle l’instinct de

la maternité, et n’en ouvre les trésors infinis (ibid, p.71). » Ce qui semble dessaisi par la

médecine pasteurienne (la réalité de l’être qui souffre) est donc renvoyé aux dispositions

naturelles de l’infirmière. « Puisque tout porte la femme vers la maternité, l’infirmière sera la

mère de tous les malades (ibid, p.71). » La lecture de cette étude historique sur la profession,

proposée par Knibiehler, donne une résonnance particulière aux propos relevés dans l’analyse

des entretiens. Le discours sur « la disposition personnelle » tend à nous indiquer que cette

conception « féminine » du soin traverse encore la profession. Elle est sûrement moins

marquée, elle prend probablement d’autres formes, mais elle n’en est pas moins présente et

active. L’auteur nous rappelle d’ailleurs la faible évolution du stéréotype. Si l’œuvre des

pionnières à la fin des années 30 a été positive, les efforts déployés n’ont pas pleinement

atteint leur but. « Le premier ouvrage rédigé par Léonie Chaptal est un livre de morale

professionnelle, prêchant le dévouement, l’humilité, l’obéissance au médecin, la rigueur dans

l’accomplissement des tâches les plus modestes, et non pas l’initiative, la responsabilité, la

fierté (ibid, p.143). » Elle rajoute, « Le métier d’infirmière reste une ascèse individuelle au

lieu de devenir une fonction sociale. Les pionnières n’ont pas vu clairement la nécessité de

déplacer le centre de gravité (ibid, p.144). » Des années 20 aux années 60, la morale semble

rester la clé de voute de la formation infirmière mais elle change peu à peu de contenu en

raison des progrès des sciences humaines. Entre 1945 et 1960, les soins au malade vont passer

du « maternage » à la « technique ». Auprès des patients, ce sont désormais les aides-

Page 97: « Science infirmière » ou « science appliquée

97

soignantes qui assurent le plus de présence. La conscience morale des aînées s’est doublée

peu à peu, chez les jeunes, d’une conscience politique. « Les événements de l’automne 1988

témoignent pour la première fois d’une mobilisation générale, de dimension nationale, dans

une profession « féminine ». Ce sont bien les infirmières de toute la France (non pas les

infirmiers) qui ont pris l’initiative et qui ont gardé la direction de la révolte (ibid, p.389). »

Ainsi, « …répudiant l’image ancienne de la vocation, qui suppose l’abnégation absolue, elles

proclament que le métier d’infirmière est un métier comme un autre (ibid, p.391). » Mais en

même temps, « …elles affirment que leur métier ne ressemble à aucun autre, en raison des

épreuves affectives qu’il inflige et du dévouement qu’il requiert… (ibid, p.392). » La

contradiction semble toujours présente et le discours porte encore aujourd’hui cette idée que

l’exercice du soin n’est pas un exercice comme un autre ; « …si, en tant que soignant on n’a

pas perçu cela… on passe à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à

l’usine, on accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (Annexe 4,

p.60, l.42). L’idée exprimée ici par un cadre soignant est intéressante, dans la mesure où elle

ne renvoie pas à un manque pour le patient mais plutôt pour l’infirmier qui réalise le soin. Un

manque qui prend une allure moralisatrice et culpabilisante. Le soin infirmier se devrait donc

d’être accompagné d’une « humanité ». Pourtant le soin, ce n’est pas le soin à priori, c’est le

soin que la situation impose. Une situation d’urgence est une situation que l’on peut qualifier

de complètement « inhumaine ». Et c’est bien ainsi. Le patient est considéré comme un objet,

et nous défendons l’idée que parfois cela est nécessaire en fonction du soin à réaliser, pour

bien le prendre en charge. A vouloir mettre de « l’humanité » partout on ne sait plus de quoi

on parle et pourquoi il est nécessaire parfois de la « mobiliser». Virginie Pirard (2006) nous

rappelle que le soin, parce qu’il touche au corps et à la vie psychique, favorise dans notre

imaginaire « des représentations prototypiques » qui mettent en avant, « la prédominance de

la figure féminine (ibid, p.80). » Si une dimension affective particulière est nécessaire à la

réalisation du soin, l’auteur nous convie à sortir du flou conceptuel persistant et à assumer la

« dénaturalisation des ressources affectives nécessaires au soin (ibid, p.81). Il est donc

question de s’interroger sur « leurs sources, la façon dont elles sont mobilisées et leur

éventuelle reproductibilité (ibid, 82). » Elle nous propose de sortir des registres du

vocabulaire de la passion et nous invite à penser le soin comme un travail et non comme « le

résultat d’une entreprise placée sous le signe exclusif du don de soi (ibid, p.86). »

Page 98: « Science infirmière » ou « science appliquée

98

Le paradoxe de la doxa ?

Reprenons l’entretien effectué avec Lucile, Cadre Soignant dans un service de

cardiologie. Elle nous dit ; «Le soin ou le prendre soin …c’est tout ce que l’on y met de nous-

mêmes… c’est à dire tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous… toute l’humanité… »

(Annexe 4, p.68, l.24). Pierre Bourdieu (1998) part du postulat que le monde est agencé d’une

certaine manière, et que cet agencement se perpétue, se reproduit, plus facilement qu’il ne se

bouleverse : « Je n’ai jamais cessé, en effet, de m’étonner devant ce que l’on pourrait appeler

le paradoxe de la doxa : le fait que l’ordre du monde… soit grosso modo respecté, qu’il n’y ait

pas davantage de transgressions ou de subversions, de délits et de « folie »… ou plus

surprenant encore, que l’ordre établi, avec ses rapports de domination, ses droits et ses passe-

droits, ses privilèges et ses injustices se perpétue… j’appelle la violence symbolique, violence

douce, insensible, invisible, pour ses victimes même, qui s’exerce pour l’essentiel par les

voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément,

de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite du sentiment (ibid, p.7). » Cette

« violence symbolique » est inscrite dans l’ordre des choses, elle se passe de justification. La

personne dominée, en raison de la « méconnaissance » de la domination qu’elle subit, finit par

adopter les catégories, les schèmes de pensée, du dominant, quand elle porte des jugements

sur elle-même et sur le monde. Ainsi, Lucile nous dit ;

ü « …le prendre soin de la personne… toute une conception du soin » (Annexe 4, p.68,

l.19).

Nous pouvons penser que Lucile interprète le monde selon des catégories instituées, les

faisant ainsi apparaître comme naturelles. Pour Bourdieu, la violence symbolique annihile

toute autonomie de la pensée, tout jugement de valeur personnel. Nous posons la question à

Lucile ;

ü « Lorsque vous dites… (toute une conception du soin), pouvez vous me préciser cette

conception ? » (ibid, p.68, l.21)

ü “Heu… j’ai dit ça? (rire)… oui… ce que je veux dire ce sont toutes les valeurs que

l’on met dans les soins… » (ibid, p.68, l.23).

Nous retrouvons dans le discours de Lucile, au centre de ces valeurs ; « …tout ce que l’on y

met de nous-mêmes …tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous… » (ibid, p.68, l.24),

acceptant peut-être insidieusement la naturalisation d’une féminité dévolue au souci d’autrui.

Il paraît en effet difficile d’imaginer que ces valeurs ne soient pas considérées pour Lucile

Page 99: « Science infirmière » ou « science appliquée

99

comme une sorte de caractère sexuel secondaire féminin et à ce titre là, une disposition

supposée naturelle. C’est à dire ; « …l’effet d’un pouvoir, inscrit durablement dans le corps

des dominés sous la forme de schèmes de perception et de disposition (à admirer, à respecter,

à aimer…) qui rendent sensible à certaines manifestations du pouvoir (Bourdieu, 1998,

p.46). » Selon Bourdieu, la prise de conscience qui s’opère notamment par le mouvement

féministe n’aurait pas encore remis en cause la structuration des modes de pensée. « Les

changements mêmes de la condition féminine obéissent toujours à la logique du modèle

traditionnel de la division entre le masculin et le féminin. Les hommes continuent à dominer

l’espace public et le champ du pouvoir (notamment économique sur la production), tandis que

les femmes restent vouées (de manière prédominante) à l’espace privé… ou à l’extension de

cet espace que sont les services sociaux (hospitaliers notamment)… (ibid, p.101). »

1111 CCOOMMMMEENNTTAAIIRREESS SSUURR LL’’HHYYPPOOTTHHEESSEE

Reprenons notre question de recherche.

Quel est le discours porté par les professionnels du soin sur les sciences humaines ?

Le recueil de données nous a permis d’identifier le critère de « disposition

personnelle », alimenté par toute une série de qualificatifs dont nous avons tenté de

comprendre autour de quoi ils s’ordonnent. La subjectivité ; ce qui échappe à la médecine et à

la clinique, ce qui par définition ne peut être ramené à du général, est laissé à l’appréciation

ou à la « compréhension » de dispositions individuelles. C'est-à-dire ; les « qualités

naturelles » de l’ « infirmière ». Les sciences humaines (vs) herméneutique c’est la

mobilisation de certains registres affectifs ; c’est le « féminin ». Face au désarroi provoqué

par l’insuffisance des « dispositions personnelles » qui viennent occuper la place des sciences

humaines (vs) herméneutique, les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle

nomothétique. Lorsque les « dispositions personnelles » sont débordées, et elles le sont

nécessairement, il faut pouvoir expliquer, contrôler, mesurer… ce qui justement n’offre pas de

prises à la maîtrise. Ainsi, la technique vient se substituer à la théorie scientifique.

Nous repérons donc, dans ce travail, une approche qui voudrait allouer sous le terme de

Page 100: « Science infirmière » ou « science appliquée

100

« sciences humaines » une dimension « humaniste », mais qui replie cette dimension sur des

dispositions individuelles, masquant ainsi la tendance générale au recours à la « science » et à

ce qui fait preuve. Les sciences humaines sont alors ressaisies dans une certaine rigidité

déterministe, dans l'illusion d'une maîtrise... Elles sont utilisées dans une logique de résolution

de problèmes ne permettant pas de problématiser sur une pratique soignante, ni de mettre en

travail certaines questions qui n'attendent pas de réponses. Le double déplacement qui s’opère

et dont nous avons montré la dynamique semble trouver son origine dans la place accordée

par la profession à un certain « idéal » et à des « qualités naturelles ».

Ainsi ; les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle nomothétique.

Revenons sur quelques interrogations qui nous ont accompagnés tout au long de ce

travail. Nous considérons que l'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise

rationnelle de la « science médicale », pose certaines questions :

De quelle science il s'agit ? Quelle est sa perspective ? Est-elle véritablement soignante

ou renforce-t-elle les approches « objectivantes » ? Quel rapport le soin infirmier peut-il

entretenir avec la preuve ? Cette volonté d’inscrire le soin infirmier dans une « science »

ne reproduit-elle pas, dans un décalage temporel, la volonté de la médecine

contemporaine à se définir comme une médecine « scientifique » ?

Une pratique soignante, soucieuse d'une part de subjectivité, d'irrationnel, ne peut pas

ne pas tenir compte de la spécificité de son « objet » et ne saurait se passer de l'approche des

sciences humaines. Mais, de quelle approche parlons-nous ?

Des sciences humaines, dont l'utilisation délibérément rationnelle viendrait poser une

vérité sur le patient et sur la nature du soin à réaliser ? Des sciences humaines permettant

d'agir avec certitude, donnant une forme d'assurance, capable de savoir et d'anticiper qui est

l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui ? C'est-à-dire ; des sciences

humaines appelées à se soumettre au modèle épistémologique de référence de la

Page 101: « Science infirmière » ou « science appliquée

101

médecine « scientifique ».

Nous voici donc au cœur de notre hypothèse de recherche :

Nous avons posé l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences

humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».

Notre souci, dans le travail d’enquête, a donc été de repérer chacun des jeux de langage

qui peuvent ouvrir à des attentes spécifiques quant au projet d’une science infirmière. Nous

avons relevé toute une sémantique centrée sur des termes comme, explication, causes,

régularité, objectivité, preuve, quantitatif, loi, maîtrise, contrôle, etc., auxquels est associée

une conception nomothétique des sciences humaines. A travers l’analyse de ces différents

discours, notre souci portait sur des interrogations épistémologiques. L’intérêt de ces

interrogations est de révéler, à travers les mots, ce qui donne sens à la question de la pratique

soignante pour l’étudiant, l’infirmier, le cadre formateur et le cadre soignant et ainsi, analyser

le rapport que ces professionnels entretiennent avec les savoirs théoriques des sciences

humaines. C’est une définition opérationnelle des sciences humaines qui nous a été donnée

essentiellement par les étudiants et les infirmiers. Elles sont considérées en ce sens comme un

outil sensé répondre aux objectifs du soin. Elles trahissent souvent une visée fonctionnaliste et

utilitaire, leurs utilisations relevant de la technique ou de la science appliquée. Nous pouvons

considérer que la manière dont sont ressaisies les sciences humaines par ces professionnels

s’avère révélatrice de l’épistémologie et de la philosophie sous-jacente aux pratiques. Cette

approche « utilitariste » des sciences humaines vient révéler en miroir une approche

rationnelle et instrumentale du soin, sur le modèle épistémologique de la médecine

« scientifique ». Mais, peut-être aussi, et nous avons à en discuter… sur le modèle

épistémologique à venir d’une « science infirmière ».

Page 102: « Science infirmière » ou « science appliquée

102

Conclusion

C’est en raison d’un certain discours sur la formation professionnelle des infirmiers, tant

sur le terrain que dans les instituts, et la mainmise de la technique dans ce discours qu’est née

le questionnement de ce travail de recherche. Aujourd’hui et parallèlement aux progrès

fulgurants des techniques médicales, ce sont les sources de l’innovation technique qui

orientent, selon des préoccupations restant utilitaires, les conceptions et les pratiques en

formation. L’alternative réside dans le fait, soit de privilégier la permanence de cette approche

« utilitariste » du soin infirmier, soit de viser des ruptures, des changements de paradigmes,

des réflexions épistémologiques sur le soin. Ce devenir peut être défini comme un processus

qui met le sujet en capacité de concevoir sa pratique et son action comme une activité

constructive, créatrice. Penser ce devenir suppose de proposer à la formation de nouveaux

dénouements.

De quelle façon renouer avec une formation qui ferait sens ? Un sens à conquérir, qui ne

se donne pas ? Comment ne pas sombrer dans des logiques techniques qui constituent les

fondements des activités de formation, orientant les savoirs vers des apprentissages

adaptatifs ?

Encourager les étudiants à développer un esprit critique c’est probablement en premier

lieu, s’autoriser soi-même. Notre position est caractérisée par une mise en cause à l’égard des

normes de conduite que les pratiques de formation induisent. Pratiques de formation qui

révèlent en miroir une approche rationnelle et instrumentale du soin. En formation, une telle

dérive peut conduire à rencontrer des dispositifs purement démonstratifs dont la réflexion sur

l'inattendu, l'imprévisible, l'irréductible – c'est-à-dire sur l’humain – est absente, voire très

Page 103: « Science infirmière » ou « science appliquée

103

faible. Aujourd’hui, « la formation se dessine comme le triomphe de l’équipement d’un

monde en tant que soumis aux commandes de la technique (Fabre, 1994, p. 19) ». Les

pratiques de formation en général sont devenues contrôle social et transmission des valeurs

sociales et économiques instituées. Elles s’appuient sur un savoir-faire qui valorise

réflexivement sa propre performance et qui s’impose au détriment d’autres formes

d’appréhension du monde. Nous pensons que la praxis ne se laisse jamais déterminer par un

savoir préalable, elle est autre chose qu’une fin. La praxis s’appuie sur un savoir, mais celui-ci

est toujours fragmentaire et provisoire, et pénètre le savoir sous la forme de l’interrogation.

C’est en grande partie, une définition opérationnelle des sciences humaines qui nous a

été donnée par les professionnels interviewés. Elles sont parlées sur le modèle de

l’explication, de la causalité, de la maîtrise. En ce sens, elles sont considérées comme un outil

sensé répondre aux objectifs du soin, trahissant une visée fonctionnaliste et utilitaire sur le

modèle de la technique ou de la science appliquée. Le soin serait alors la représentation d’une

réalité donnée et qui par conséquent ne pourrait que s’ériger en normes localisées et

déterminées sensées répondre à la dimension prescrite du travail. Le propre de cette idéologie

« techniciste » est de se présenter comme étant sans alternative. Le risque serait alors que la

formation se résume à l’apprentissage des procédures et du travail standardisé. Il s’agirait de

mettre en adéquation la formation et une conception du travail infirmier où la culture

technique s’impose ; même dans les sciences humaines.

L’emprise du discours technique, même dans les sciences humaines, ne risque t-il pas

d’être prépondérant dans la décision du partenariat avec l’université ? C'est-à-dire, un savoir

technologique qui deviendrait le seul intérêt d’investissement et l’unique véritable lien entre

les instituts et l’université. Cette conception du rapport au savoir nous questionne dans nos

modes de réflexion et nos choix épistémologiques au sujet de la formation. Le risque serait

alors d’être dans une logique de rationalité instrumentale, proposant une formation conçue

comme équipement des personnes par rapport à des postes particuliers avec souvent peu de

travail sur les finalités du soin. Nous avons pu remarquer dans ce travail que si les discours

sur le soin infirmier tendent à mettre en avant la « relation », ils se rabattent souvent sur les

techniques et traduisent une conception instrumentale de la finalité du soin. Notre analyse

nous a révélé les grands traits qui marquent les discours sur les sciences humaines. Une

technicisation qui construit une culture de l’intelligence compétente et non pas réflexive ou

critique. Le savoir, dans sa définition opérationnelle utilitaire, se présente comme un outil qui

Page 104: « Science infirmière » ou « science appliquée

104

oriente les acteurs dans la pratique. Le savoir utilitaire et technique obéit à un principe, celui

de l’optimisation des performances. Le savoir est donc présenté dans les limites étroites d’une

finalité fonctionnaliste et utilitaire ; des savoirs morcelés qui répondent aux objectifs posés

d’un apprentissage qui tend à devenir un apprentissage à être performant.

Il nous semble nécessaire de sortir de la question des gestes de l’ « infirmière », de leur

description et du commentaire pour interroger le soin lui-même. C’est ce que nous avons tenté

de faire dans une première partie du travail. Nous avons vu que l’explication ne se suffit pas

de la description. Il existe une autre position : essayer de penser, en tant qu’infirmier, comme

tel. Et nous pouvons le faire, quitte à convoquer qui ne s’occupe pas de nous ; plus

particulièrement la philosophie et l’épistémologie. Nous voulons poser quelques questions

comme : Qu’est-ce que le soin ? Que signifie soigner ? On voit bien que les réponses

n’appartiennent pas à notre « univers de savoir », que les réponses ne sauraient être contenues

dans le soin infirmier. Par contre, les éléments qui permettent de répondre y résident. Il s’agit

donc de questionner et de déstabiliser le savoir du soin en le portant sur un support plus large

que lui-même.

Sans la formation d’un esprit critique nos savoirs ne trouveront pas le sens des mots ;

nous devons tous y travailler. Dans la perspective d’une « science infirmière » ou d’une

« science en soins infirmiers » nous devons exiger et demander ce que l’on souhaite faire de

nous. Quelle pratique infirmière se dessine et autour de quelle(s) science(s) ? Au-delà, nous

sommes en devoir de nous interroger à propos du mot soin, qui doit nous rendre autorisés à en

être également les rédacteurs.

Page 105: « Science infirmière » ou « science appliquée

105

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Page 110: « Science infirmière » ou « science appliquée

110

RESUME

La perspective d’universitarisation de la formation en soins infirmiers nous impose d’adopter une attitude réflexive. Le soin infirmier est redevable d’une série d’éclairages différenciés et les savoirs convoqués lors de sa réalisation ne peuvent se soumettre, uniquement, au modèle épistémologique de référence de la « médecine scientifique ». Nous postulons de la nécessaire complémentarité entre une approche nomothétique et une approche herméneutique des savoirs et de la connaissance dans la pratique soignante. L’essentiel consiste ainsi à maintenir une « tension » entre deux perspectives dont aucune, prise en elle-même et comme un absolu, ne peut prétendre à une totale légitimité. Dès lors, réfléchir à une « discipline infirmière » ne revient pas seulement à promouvoir l’ajout d’éléments de psychologie et de sociologie aux vérités objectives de la « médecine scientifique ». Nous mettrons en évidence comment l’organisation des soins et la formation des infirmiers restent rivés à un modèle « moderne » et positiviste de la médecine. Le danger de ce modèle serait de dicter une « application constructive » des sciences humaines. Des sciences humaines permettant d’agir avec certitude, donnant une forme d’assurance, capable de savoir et d’anticiper qui est l’autre, et ce qui est bien et bon pour lui. Dans ce travail, la visée est d’interroger le rapport au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. L’hypothèse est donc que l’idée même de « science » présuppose la mise en forme causale, quelle que soit la science en question. Cette extension d’un projet d’une « science infirmière » sur le modèle médical peut se dévoiler dans la manière dont sont parlées les sciences humaines par les professionnels sur le terrain. Un discours qui viendrait révéler une conception nomothétique trahissant une visée fonctionnaliste et utilitaire des sciences humaines dans le soin.

SYNTHESIS

Bringing nurse care to university causes some thinking. Nursing care involves various

disciplines and angles of perception such that the reference model of “scientific medicine” is not sufficient to cover them all. The different approaches nomothetic and hermeneutic of nursing care are necessarily complementary. The essence being to maintain a sort of “tension” between the two perspectives, neither one individually having absolute legitimacy. Reflecting upon a “nursing care discipline” does not only consist of adding certain psychological and social elements to objective truths of “scientific medicine”. The current organisation of care and training of nurses remain within the model of modern and positive medicine. The danger of this model being that it imposes a constructive application of human science. Human science allow to act with certainty, giving a sort of assurance, knowing and being able to anticipate who the other person is, what is good for him. In this work, the aim is to question the relation to knowledge and its articulation around the question of the health care practice. The hypothesis is that the term “science” presupposes a cause, whatever science is concerned. The extension of the project of a “nursing science” according to the medical model may be implemented through the way human science is treated by professionals on the ground. An approach which would reveal a nomothetic conception, a functional and utilitarian vision of human science in health care.

Mots clés : soin infirmier, sciences humaines, épistémologie, philosophie, normal,

pathologique, herméneutique, nomothétique, sciences, technique, art, pratique.

Page 111: « Science infirmière » ou « science appliquée

111

Page 112: « Science infirmière » ou « science appliquée

1

Grille d’entretien (Entretiens préalables)

Age :

Sexe :

Diplôme d’Etat :

Diplôme Cadre de Santé :

Diplôme Universitaire :

Expériences professionnelles :

- Exercice Cadre Soignant depuis :

- Exercice Cadre Formateur depuis :

Quelles conceptions du soin infirmier ? Concrètement c’est quoi le soin infirmier ?

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour

vous une science infirmière ?

Quelle est l’utilité selon vous des sciences humaines dans le soin infirmier ?

Dans le souvenir d’une pratique soignante est ce qu’il y a un moment, ou un soin particulier,

qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences humaines ?

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,

comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?

Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins

infirmiers au pluriel ?

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2

Entretien préalable N°1 1

Age : 56 ans 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1972 4

Diplôme cadre de santé : 1998 Licence en Sciences de l’éducation. 5

Cadre soignant : 1999-2003 6

Cadre formateur : 2003 à ce jour 7

Expériences professionnelles : infirmière dans des services de soins généraux en cardiologie, 8

cancérologie, médecine générale, chirurgie générale. 9

Expériences professionnelles : Cadre de santé en médecine et HDJ 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Le soin infirmier… c’est un soin complet… pour moi le soin infirmier… qui est en même 13

temps technique, pratique, un soin de confort et en même temps un soin où tu mets la relation 14

avec la personne. Un soin infirmier c’est un soin complet qui regroupe tout ce qui est soin 15

technique mais aussi soin relationnel. C’est pour moi inévitable, c’est indissociable et c’est 16

spécifique à la profession. C’est pour cela que pour moi une recherche en soins infirmiers ça 17

se justifie. Le soin infirmier, c’est particulier, cela ne ressemble pas à un autre soin, le soin 18

d’un kiné, du podologue… le soin infirmier c’est un soin à part entière. 19

Quelle différence aurait selon-vous le soin infirmier par rapport à un autre soin ? 20

Il a sa spécificité, il a sa spécificité non seulement en tant qu’acte mais en tant que 21

philosophie de l’acte. On a une culture en soins infirmiers, qui nous est propre comme les 22

kinés ont leur culture propre, et nous on a la notre… déjà, il y a Virginie Handerson, 23

Nightingale, etc., depuis longtemps et qui a déjà commencé, Nightingale c’est elle qui a 24

commencé la première recherche en soins infirmiers… si on peut dire ça s’appelait pas 25

comme ça mais c’était comme ça, elle a commencé le soin etc, pour moi elle a déjà 26

commencé une recherche en soins infirmiers, elle s’est donc bien penché sur nous, les soins 27

qui nous sont vraiment spécifiques. 28

D’accord, mais quelle est la particularité de ce soin, le soin infirmier ? 29

C’est un soin d’éducation, en même temps un soin de prévention, un soin curatif, un soin 30

relationnel, enfin après je ne sais pas au niveau des kinés exactement, leur soin, s’il est aussi 31

complet que le notre. Mais nous on a vraiment une notion très large du soin infirmier, très 32

Page 114: « Science infirmière » ou « science appliquée

3

étendue et donc on a besoin de cultiver ces connaissances là… de façon très pointue pour 33

pouvoir améliorer… disons l’efficience de ce soin… moi c’est ma façon de voir. 34

D’accord, alors qu’elles sont les connaissances que convoque le soin infirmier dans la 35

mesure où il présente une particularité ? 36

Les actes techniques c’est sur, donc ça c’est pas le plus difficile à mon avis, c’est… c’est 37

l’approche, la philosophie du soin… comment vous dire, j’ai du mal à vous le dire de façon 38

très précise parce que… heu… c’est quand même assez global, je pense qu’une infirmière n’a 39

pas la même philosophie du soin qu’un kiné ou un podologue… heu…, nous on a, peut-être 40

qu’aussi les autres ont une vision globale… mais nous on a vraiment une vision globale de la 41

personne et je sais pas si on est pas un peu seul a avoir cette vision globale de la personne. Par 42

exemple si on compare les chirurgiens et les médecins, le chirurgien a une vision, comment 43

dire, très partielle de la personne alors que le médecin a une vision plus globale, et bien moi je 44

fais un peu cette différence là. Peut-être que je me trompe, mais voilà c’est mon sentiment. 45

Que recouvre cette globalité ? 46

La globalité c’est voir tous les aspects du soin, les aspect curatifs, les aspects préventifs, les 47

aspects psychologiques… heu, les aspects techniques… les connaissances autour de ce soin, 48

qu’est-ce qu’il est nécessaire d’avoir comme connaissances pour appliquer ce soin… bon ça, 49

cela peut se transférer à d’autres professions je pense, mais enfin nous, il me semble pour 50

arriver à faire les liens, à chaque fois que l’on fait un soin pour arriver à amener les liens 51

nécessaires, il faut avoir des connaissances, et ces connaissances là, elle sont pas assez 52

pointues dans notre domaine à mon avis. Parce qu’on les a laissées un peu trop au médecin, 53

parce qu’on n’avait pas de recherche en soins infirmiers. Il est temps que l’on se réapproprie 54

un peu ça, de façon à être un peu plus pointu et à chercher nous-mêmes à creuser… heu… les 55

connaissances nécessaires à faire des soins de qualité. Le médecin, ce n’est pas vraiment sa 56

place dans le sens où il n’est pas au cœur des soins de la même façon que nous. 57

En quoi il (le médecin) se différencie par rapport au soin ? 58

Ne serait-ce que par la notion de sciences humaines, la notion que l’on met autour des soins, 59

je ne pense pas qu’il ait (le médecin) un enseignement ou une culture qui va dans ce sens par 60

exemple. Je ne le pense pas et aux dernières nouvelles peut-être que l’on commence à 61

introduire maintenant dans la nouvelle formation des médecins des sciences humaines, mais 62

elles n’y figuraient pas. 63

D’accord, avec l’idée, vous me reprenez si je me trompe, que finalement le soin infirmier 64

nécessite d’amener des connaissances de plusieurs disciplines pour sa réalisation ? 65

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4

Pour son amélioration, l’amélioration de son efficacité… j’avais préparé une petite phrase : 66

l’utilisation de nouvelles connaissances… voilà… qui favorise l’excellence de la pratique 67

infirmière professionnelle… voilà. C’est exactement ce que je voulais dire… Silence… Je 68

l’avais écrit, cela me paraissait bien correspondre à ce que je voulais dire. 69

Il y aurait une spécificité du soin infirmier, dans le sens où il embrasse plus de choses 70

qu’un soin d’une autre profession ? 71

Voilà, il ne faut pas le réduire, c’est un soin qui est extrêmement, alors on ne peut pas dire un 72

soin mais des soins, mais extrêmement vaste, large et on n’a pas assez travaillé autour de ça. 73

Après, on peut parler du confort, on peut parler du vécu, enfin je veux dire ça peut avoir une 74

extension très large. 75

Autour de l’actualité du projet d’universitarisation de la formation, mais aussi dans une 76

perspective plus lointaine de création d’une discipline infirmière ou d’une science en 77

soins infirmiers, que signifie pour vous cette perspective ? 78

C’est que l’on soit « harmonisé », que l’on donne une culture européenne des soins. Donc 79

c’est faisable, donc c’est possible, donc il y a des choses à faire et pourquoi ne pas poursuivre 80

ce que des femmes comme Nightingale ont commencé. L’intérêt c’est que l’on soit au même 81

niveau que les autres pays, au niveau culturel, pourquoi pas la France et puis voilà. Pour moi 82

c’est une vraie valeur ajoutée, c’est une vraie valeur ajoutée, ce n’est pas seulement le titre, 83

c’est une vraie valeur ajoutée à notre profession. Et puis ça permet la libre circulation des 84

infirmiers au même titre que les autres. Bon voilà, ça ouvre des portes. Pour moi c’est la 85

qualité, c’est la profession qui s’approprie ses soins, qui s’approprie la recherche de ses soins 86

et qui ne laisse plus aux autres et en particulier aux médecins le privilège de travailler sur les 87

soins… ça nous appartient, ça nous permet de s’approprier ça, j’en suis persuadé… ça nous 88

permet d’améliorer les choses nous-mêmes sans avoir besoin de quelqu’un d’autre pour le 89

faire, de se prendre en main, de commencer à écrire, vraiment de montrer que l’on est là, que 90

l’on se prend en charge et que l’on essaie de concevoir nous-mêmes nos propres soins en 91

fonction de nos propres connaissances et pas de celles des autres. Ne pas se servir des 92

connaissances produites par les autres. Il y a que l’université qui, structurellement, va pouvoir 93

donner les moyens pour que la recherche avance en soins infirmiers. 94

En poursuivant cette réflexion, quelle est selon vous l’utilité des sciences humaines dans 95

le soin infirmier ? 96

Les sciences humaines c’est primordial, ça fait partie intégrante des soins infirmiers, c’est 97

indissociable, les sciences humaines c’est avec tout le reste. L’utilité des sciences humaines 98

c’est de comprendre pourquoi on fait les choses, dans quel but pour la personne, pour les 99

Page 116: « Science infirmière » ou « science appliquée

5

patients, pour les familles, ça donne un sens au soin, au contexte psychologique du soin… 100

Voilà, sans les sciences humaines… on le voit grâce aux sciences humaines les étudiants ils 101

apprennent beaucoup de choses sur la personne. 102

C’est l’idée, pour reprendre votre pensée, que les sciences humaines permettraient de 103

donner du sens à ce que l’on fait ? 104

Oui, et de comprendre ce que l’on fait, dans quel but… heu, oui… pour la personne, voilà. Je 105

ne sais pas si je m’explique suffisamment bien, mais c’est vrai que c’est ce que je pense. Ma 106

façon de voir les sciences humaines… quoi. 107

Dans le souvenir d’une pratique soignante est ce qu’il y a un moment, ou un soin 108

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 109

humaines ? 110

Je peux difficilement vous parler de ça, parce que moi, je n’ai pas eu d’enseignement en 111

sciences humaines. J’ai travaillé sans ça, je veux dire sans cet apport là. 112

Alors on va renverser la question, dans le souvenir d’une pratique particulière, est ce 113

que vous avez le souvenir d’un moment où des connaissances en sciences humaines vous 114

ont manquées ? 115

Oui… parce-que après, c’est vrai que… l’approfondissement de la personne… 116

l’approfondissement… oui de la connaissance de la personne je l’avais pas. Donc j’ai du 117

apprendre. Je pense que cela peut-être aidant d’avoir ses apports là dès le départ… tu tâtonnes 118

moins. Après tu te fais toi même ta propre expérience, moi j’ai lu et voilà… je me suis fais 119

mon apport livresque quoi, mais ça n’a rien à voir, pour moi ça n’a rien à voir. Je m’y suis 120

mise sans les apports du départ, mais cela aurait été plus efficace d’emblée si je les avais eus, 121

cela m’aurait aidé dans le soin, dans l’approche du soin et de la personne. Parce-que des fois 122

on le fait, mais on le fait avec l’instinct… enfin je ne sais pas si c’est l’instinct, mais on le fait 123

comme ça sans base derrière, sans connaissances aidantes quoi. 124

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 125

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 126

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 127

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 128

Moi ce qui me plait bien c’est les sciences infirmières, il y a plusieurs sciences. C’est ce qui 129

me parle le mieux. 130

Page 117: « Science infirmière » ou « science appliquée

6

Entretien préalable N°2 1

Age : 52 ans 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1977 4

Diplôme cadre de santé : 1997. Licence A.E.S (Administration, Economie et Social), mention 5

Ressources Humaines 6

Cadre soignant : 1997-2000 7

Cadre formateur : 2000 à ce jour 8

Expérience professionnelle : infirmière dans des services de soins généraux en néonat, 9

dialyse, le secteur libéral, directeur maison de retraite, cancérologie, chirurgie thoracique, 10

chirurgie vasculaire. 11

Expérience professionnelle : Cadre de santé en cancérologie 12

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13

infirmier ? 14

Alors, le soin infirmier pour moi est une rencontre qui est conditionnée à la fois par le 15

soignant et la prescription médicale, qui est le démarrage du soin, quoi que lorsqu’il s’agit de 16

nursing ce n’est pas conditionné obligatoirement par une prescription médicale. Le soin est 17

également conditionné par le patient, chacun va mettre quelque chose dans ce soin qui pour 18

moi est de l’ordre de la rencontre. Le soin, par ailleurs peut être une technique, il se fait avec 19

les connaissances du professionnel, les connaissances que le patient a de sa maladie, des 20

questions qu’il va poser et puis… silence… Le soin pour moi, c’est un instant unique, c’est un 21

instant que l’on ne peut pas reproduire. C’est vraiment un acte créatif, individuel, voilà… 22

pour moi c’est ça le soin infirmier. Si on devait le définir dans ses dimensions, bien sur il est 23

encadré ce soin par la législation, par les bonnes pratiques, c’est certain qu’il est encadré par 24

tout ça mais il est chaque fois une création. Une création, parce qu’au moment où il est réalisé 25

il y a un patient avec son histoire, là où il en est de sa maladie, ses attentes vis à vis du 26

soignant, les questions qu’il se pose et puis il y a un professionnel et son regard clinique sur 27

ce patient, qui va observer les réactions du patient. Ce n’est pas simplement se contenter de 28

dispenser un acte. Avant on faisait beaucoup d’injections intra-musculaires, lorsque j’étais 29

infirmière libérale je faisais parfois cinquante injections dans la même journée, c’est vrai 30

qu’aller faire un antibiotique à un patient couché sur son lit, la plupart du temps il n’y a pas 31

vraiment de moment de rencontre, le patient est content d’avoir son antibiotique et puis il dort 32

à nouveau, et puis voilà. S’il n’a pas de réels problèmes autres que sa pathologie, il n’y a pas 33

Page 118: « Science infirmière » ou « science appliquée

7

de réelle rencontre. On peut donner un conseil mais je n’appelle pas ça une rencontre. Par 34

contre pour avoir travaillé en soins palliatifs, pour avoir travaillé en cancérologie, sûrement lié 35

à la gravité de la maladie, à des instants de vie assez forts où les patients se posent beaucoup 36

de questions, et là il y a des attentes et le regard du professionnel va peut-être, même quand le 37

patient ne le formalise pas, observer et essayer de déchiffrer ces pistes, ce que le patient lui 38

laisse voir. La plupart du temps, dans ces moments forts de vie se dégagent des choses à 39

confier à quelqu’un. Le soignant c’est un aidant à formaliser les peurs, les angoisses, qu’il ne 40

va pas résoudre, sûrement pas, mais qu’il va entendre, et qui va aider le patient à ce moment 41

là. La grande bataille c’est de soutenir que lorsqu’on fait un soin conditionné par une 42

prescription médicale, il se fait autre chose dans ce soin. Autre chose, mais on a beaucoup de 43

mal à le définir et il n’y a aucune science actuellement qui peut le définir. On va parler de la 44

pathologie, des symptômes, on va peut-être parler de la psychologie, de la pathologie mentale 45

mais en aucun cas on va parler de tout ce qui est autour du soin. Ce qui entoure ce soin et qui 46

n’est pas reconnu, sauf revendiqué par les infirmières. La plupart des médecins peuvent dire, 47

elle c’est une bonne infirmière, elle c’est une bonne exécutante. Moi j’ai connu beaucoup de 48

médecins qui me disaient, lorsque c’est une telle qui m’appelle je n’ai pas besoin de me 49

presser, parce qu’elle je sais que c’est une bonne infirmière. Mais ils ne seront pas dire 50

pourquoi elle est bonne, si ce n’est parce qu’elle aura évité une catastrophe parce qu’elle a 51

anticipé un patient qui s’aggravait, ou elle aura désamorcé un mécanisme, un patient qui 52

finalement avait caché ses intentions suicidaires en cancérologie lors de l’annonce de la 53

maladie. L’infirmière étant auprès du patient c’est rendu compte de certaines choses dans son 54

discours qui a pu alerter. Mais il n’y a pas de reconnaissance et lorsque l’on fait l’évaluation 55

de la charge de travail d’un infirmier, cela repose sur le nombre de perfusions, de pansements. 56

L’entretien infirmier en soins généraux comme il n’est pas positionné comme acte de soin, il 57

n’est pas reconnu. Tout cela fait que, un médecin ne sait pas pourquoi, il le pressent, mais 58

voilà, il est tranquille lorsque c’est une telle qui fait la garde… « Je peux dormir tranquille ». 59

Le médecin ne sait pas ce qu’est le travail d’une infirmière. Si les patients lui renvoient une 60

image gratifiante de son service, chez vous elles sont gentilles, on est bien pris en charge… le 61

médecin dira, dans mon service j’ai de bonnes infirmières, mais il ne sera pas dire sur quoi, il 62

ne connaît pas le travail d’une infirmière. 63

Selon vous, donc, c’est quoi une bonne infirmière ? 64

C’est celle qui réalise le soin infirmier comme je l’ai défini, c’est à dire pas simplement une 65

exécutante de prescriptions. Une infirmière qui sait voir les priorités certains jours, 66

Page 119: « Science infirmière » ou « science appliquée

8

désamorcer des mécanismes, qui va enclencher un entretien infirmier. Pour moi c’est cela une 67

bonne infirmière. Ce n’est pas simplement du psychologique mais aussi au niveau 68

physiologique. Quelqu’un qui, très vite, fait une évaluation clinique de l’aggravation de l’état 69

d’un patient sans qu’on avoir vraiment pour l’instant une évidence. On peut, par exemple, 70

s’apercevoir qu’un patient fait une hémorragie interne post opératoire, avant même qu’il est sa 71

tension qui chute. Pour moi une bonne infirmière c’est quelqu’un qui est attentif au discours 72

du patient et qui a une bonne observation clinique. Cette attention portée au discours du 73

patient va révéler des évènements dans la prise en charge de ce patient qui vont être 74

déterminants. 75

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 76

pour vous une science infirmière ? 77

La reconnaissance, la reconnaissance, justement de ce que personne arrive encore à 78

reconnaître, à identifier, enfin personne… en tout cas avec les personnes avec qui on travaille 79

le plus souvent, c'est-à-dire les médecins. On est soumis à la prescription pour faire des actes. 80

Alors, ils veulent bien nous déléguer des missions, reconnaître des expertises en clinique 81

avancée. Dans certains domaines on vient de créer un master en insuffisance rénale, en 82

diabéto ou en cancérologie. Ils nous reconnaissent certaines compétences mais c’est des 83

compétences qu’ils veulent bien nous accorder dans la mesure où l’on va reconduire des 84

prescriptions médicales, où l’on va demander des examens complémentaires dans le suivi des 85

patients présentant des maladies chroniques. C'est-à-dire des compétences qui viennent palier 86

le travail médical et en aucun cas des compétences propres au soin infirmier. Ils reconnaissent 87

une expertise dans un domaine, mais dans un domaine médical. On ne reconnaît pas cette 88

compétence propre que nous voulons, moi je la revendique en tout cas. Une compétence de ce 89

que fait l’infirmière et qui n’est pas matérialisée par un acte, un acte que l’on puisse voir. Si 90

on est présent dans le soin, si on est observateur par exemple on peut le mettre en évidence. 91

C’est là que la recherche en soins infirmiers va être intéressante, c’est qu’il va y avoir des 92

observations rigoureuses et je pense que là on pourra enfin être reconnu. 93

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 94

Elles sont indispensables, elles sont indispensables, puisque nous sommes dans la relation 95

avec le patient, si on n’a pas de pré-requis au niveau des sciences humaines… moi je suis allé 96

les chercher, j’ai été lire, j’ai fait des formations complémentaires… parce que justement on 97

ne les avait pas dans notre formation. Jai un vieux diplôme, 77, c’est ce qui m’a manqué. 98

Page 120: « Science infirmière » ou « science appliquée

9

Avec aussi l’enseignement des pathologies mentales, parce que l’hôpital général reçoit aussi 99

des patients, des patients… et moi pour avoir travaillé avec des sida et tout, il fallait que je 100

comprenne certains comportements, l’addiction pour moi c’est quelque chose que j’ai 101

découvert. Tout ça c’est vraiment des carences importantes qui se sont révélées dans ma 102

pratique professionnelle. Pourquoi avec tel patient je n’arrive pas. Pourquoi c’est toujours 103

avec le même qu’il y a le conflit. Si bien qu’il y a quelque chose de l’ordre des 104

représentations, moi je dis les étudiants ici ils ont une chance extraordinaire. Ils ne se rendent 105

pas compte dans l’immédiat. J’ai rencontré d’anciens étudiants qui maintenant me disent 106

quand vous nous disiez d’aller au cours… parfois on a fait le mauvais choix. C’est vrai que je 107

rencontre beaucoup d’anciens étudiants qui travaillent maintenant en cancérologie, ces 108

pathologies graves, chroniques, avec des diagnostics lourds, amènent à plus de relation et puis 109

on les voit sur le temps, c’est pas une moyenne d’hospitalisation de trois jours. Ils me disent 110

qu’ils ressortent leurs cours et ils qu’ils souhaiteraient revenir assister aujourd’hui à ces cours. 111

Je pense que c’est avec l’expérience que l’on peut se rendre compte de l’intérêt des sciences 112

humaines. C’est dans l’expérience du métier que l’on va se rendre compte de l’intérêt, parce 113

que ça va débloquer des situations et permettre de comprendre des comportements. 114

Comprendre son comportement, je crois que ça c’est le mieux que l’on puisse espérer, d’être 115

capable d’analyser sa pratique, pour moi ça me parait essentiel pour continuer dans ce métier. 116

Pour y trouver, non pas de la frustration mais de la valorisation. En plus, à l’époque où 117

j’exerçais comme infirmière, je pense que les sciences humaines présentaient moins 118

d’importance. Les gens étaient là pour guérir et pas pour parler, il y avait plus de retenue dans 119

l’expression, la mort était presque normale, enfin normale… je pense que l’on n’avait pas la 120

même vision de la mort, de la vieillesse que l’on a maintenant. Je pense que là, il y a une 121

évolution au niveau de la société, du rejet de la médecine toute puissante. On était plus 122

fataliste et peut être plus religieux, il y avait moins d’expression de cette souffrance 123

psychologique. Dans les services on s’est quand même toujours plein du manque de temps, 124

mais je pense qu’aujourd’hui c’est encore plus important. Il n’y a pas de temps de parole dans 125

les services, on échange des transmissions. Les transmissions, nous à l’époque elles duraient 126

une heure. Maintenant, c’est la moitié moins pour la même quantité de patients la plupart du 127

temps. Donc, on échange que des transmissions médicales, très peu de transmissions sur l’état 128

psychologique d’un patient. On échange peu comment chacun à vécu la relation avec le 129

patient et les difficultés. Il y a très peu d’endroits où il existe des groupes de parole. Dans les 130

services où ça pose problème, à mon avis ces groupes de parole font défaut. Pour l’avoir vécu 131

sans groupe de parole et avec groupe de parole, cela fait défaut. Dans le groupe de parole on 132

Page 121: « Science infirmière » ou « science appliquée

10

peut trouver des solutions, alors que lorsqu’on fait uniquement des transmissions médicales 133

on reste avec son paquet lourd que l’on ramène à la maison. Alors que là, en le posant, en 134

essayant d’abord de comprendre ce qui se passe dans la situation, en le posant autour d’une 135

table où chacun peut entendre et respecte, parce que c’est chacun son tour, on sait que l’on y 136

passe tous à un moment donné, et bien toutes ces difficultés de la prise en charge d’un 137

patient… c’est vrai, c’est peut-être spécifique à la cancérologie mais je pense pas, la médecine 138

est lourde, je pense qu’il y a une évolution de tout ça qui fait qu’il y a une grande souffrance. 139

Du coup les soignants ne restent pas, on a une grande mobilité, plus grande qu’à mon époque, 140

grande mobilité des soignants et une poursuite de l’inaccessible étoile. Ils poursuivent un 141

idéal parce qu’ils sont plein de frustrations. Ce que nous leur avons appris ou transmis, ils 142

n’arrivent pas à le trouver. On leur demande de travailler plus que ce qu’il ne faut, ils n’ont 143

pas le temps de se ressourcer. Et puis ce sont des pions, on a besoin d’un tel on le met là… ils 144

n’ont même pas le temps de transmettre. On le voit, l’encadrement des étudiants est difficile 145

dans les services. On voit bien que c’est parce que le personnel est très mobile, il bouge sans 146

arrêt. C’est difficile de faire de l’encadrement lorsque soit même on n’est pas bien assis dans 147

sa fonction. 148

Dans le souvenir d’une pratique soignante, pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 149

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 150

humaines ? 151

J’étais cadre à ce moment là, mais un matin je vois des chiffres avec des prénoms de l’équipe 152

du dimanche sur le tableau. Trois chiffres à la suite, sur le moment je me suis dit qu’est-ce qui 153

se passe. On me répond c’est un tiercé. De la façon que la personne me l’a dit, j’ai compris 154

que c’était quelque chose qui faisait honte, qui n’allait pas. J’ai quand même précisé, jouer 155

aux chevaux ce n’est pas grave, ce n’est pas une faute. Elle m’a dit, non ce n’est pas les 156

chevaux. On fait des paris gagnants sur les DC. C’était un service très lourd de cancérologie 157

avec un quart des patients en soins palliatif. On avait 365 DC par an, mais souvent le week-158

end. Donc, pour les équipes c’était lourd, on avait fait un gros travail avec le psychiatre, les 159

psychologues et le chef de service sur l’accompagnement en fin de vie et on pensait avoir 160

répondu, parce que le personnel déjà était formé. On pensait vraiment avoir porté une 161

qualité… pour moi quand j’ai entendu dire avoir fait des tiercés sur les DC futurs, je me suis 162

effondrée. Je me suis dit, j’ai rien compris, c’est catastrophique, je travaille avec des 163

infirmiers qui cachent bien leur jeu. J’ai fait une enquête, j’ai convoqué l’équipe et j’ai 164

compris que c’était un infirmier qui dysfonctionnait et qui avait emballé toute l’équipe. Ce 165

Page 122: « Science infirmière » ou « science appliquée

11

service me laissait la responsabilité pour recruter le personnel. Je pouvais donner un 166

avertissement ou même une mise à pied et la direction aurait suivi, la faute étant très grave. 167

J’ai discuté avec le psychiatre avec qui je travaillais et il m’a aidé à comprendre qu’il y avait 168

des mécanismes de défense qui pouvaient très bien se masquer sur une pratique déviante. 169

Dons j’ai compris cet infirmier, j’ai eu un entretien avec lui et donc je me suis rendu compte 170

qu’il avait des gros problèmes personnel. C’est comme cela que je me suis rendu compte 171

qu’un élément en difficulté pouvait entraîner dans sa suite une équipe. Dons nous avons 172

convenu pendant un certain temps qu’il ne ferait pas de soins palliatif. Alors que c’était un 173

excellent infirmier, il avait atteint ses limites, en concertation il n’y a pas eu de sanctions mais 174

il est allé faire autre chose. Il est revenu par la suite. Sans certaines connaissances, sans un 175

éclairage, je pense que cela aurait été la sanction disciplinaire brute. J’ai également un autre 176

exemple sur les cultures, dans notre région où on a beaucoup de gens de passage, de nomades, 177

des tziganes, des gitans. Une année cela a posé des problèmes, on a reçu une patiente en fin de 178

vie d’une tribu tzigane. On a vu l’envahissement de l’établissement d’abord sur le parking, 179

des roulotes de partout, on venait de tous les pays d’Europe, ils parlaient plusieurs langues, 180

mais aussi un envahissement des couloirs, de la chambre. Alors le personnel a commencé à 181

tout mettre sous clef, à dire que cela sentait mauvais, à dire qu’il y avait des risques de vol. Il 182

y a eu une paranoïa complète dans le service. Et c’est vrai que j’ai réalisé un travail sur la fin 183

de vie, les croyances du peuple gitan et donc j’avais convoqué le chef de clan dans mon 184

bureau et j’ai régulé avec lui. J’ai négocié avec lui le nombre de personnes dans la chambre. 185

J’ai régulé également le fait qu’il voulait faire venir un exorciste. Alors on a fait venir un 186

exorciste à la demande de la patiente, c’était un pasteur qui chassait le mal. Je pense que si je 187

n’avais pas étudié sur les cultures j’aurai réagi différemment. Il m’est déjà arrivé dans ma 188

pratique de mettre dehors des gitans, auparavant, et c’est cela qui m’avait posé problème. 189

J’avais vu dans leurs yeux beaucoup d’agressivité, beaucoup d’incompréhension, et je me 190

disais, qu’est-ce que j’ai fait de mal. Mais il faut aussi régler les problèmes de l’unité, penser 191

aux autres patients… ils font du bruit. Donc, tout cela m’a beaucoup éclairé et je pense que 192

cela fait partie des sciences humaines l’ethnologie. Je pense qu’avant de se lancer dans la 193

pratique soignante il est important de savoir que ce n’est pas la bonne conscience catholique 194

européenne qui détient la vérité. Je pense que c’est un bien parce que dans les familles ce 195

n’est pas toujours transmis comme cela. Souvent dans la famille, on transmet une vérité qui 196

est la culture familiale. Quand on est soignant cette vérité, elle peut-être remise en question. 197

Page 123: « Science infirmière » ou « science appliquée

12

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 198

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 199

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 200

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 201

Je revendique les sciences infirmières, ou une science infirmière je n’en sais rien, mais je 202

revendique la spécificité de notre métier qui doit être reconnu. Mais maintenant je ne m’étais 203

pas posé la question jusque là, mais je trouve que c’est une bonne question. Très difficile pour 204

moi encore, si on met sciences au pluriel on peut se dire que l’on fait appel aux sciences 205

pures, biologie, physique, chimie… oui peut-être et puis les sciences molles, anthropologie, 206

psychologie, sociologie… euh… et puis on y mettrait des soins infirmiers là dedans, des 207

pratiques, l’enseignement de technique. Maintenant ce savoir être, ce positionnement 208

professionnel, je ne sais pas exactement. Celui là, je pense qu’il est spécifique à l’infirmière et 209

que je ne sais pas… je ne vois pas où on peut le mettre dans toutes ces sciences là. Donc, est-210

ce qu’il en existe plusieurs des sciences infirmières, est-ce qu’il y en a une seule, ou est-ce 211

qu’elle est mélangée avec d’autres sciences. Je pense que c’est… je ne sais pas… désolé… je 212

n’y arrive pas. 213

Page 124: « Science infirmière » ou « science appliquée

13

ANNEXE 2

Page 125: « Science infirmière » ou « science appliquée

14

Grille d’entretien

(Entretiens Etudiant Infirmiers)

Age :

Sexe :

Année :

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin

infirmier ? Revenir à la pratique.

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour

vous une science infirmière ?

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences

humaines ?

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,

comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?

Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins

infirmiers au pluriel ?

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Page 126: « Science infirmière » ou « science appliquée

15

Entretien étudiant N°1 : Mélanie 1

Age : 29 2

Sexe : F 3

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 4

infirmier ? 5

En dehors du fait qu’il faut avoir une expertise technique, le soin infirmier c’est avant tout la 6

présence, être à l’écoute… le soin infirmier c’est également un peu le don de soi. Chaque 7

patient renvoie également quelque chose de personnel. Le soin infirmier c’est aider sans en 8

attendre forcément quelque chose de la part du patient. Lorsqu’un patient manifeste de la 9

reconnaissance en nous disant que nous sommes gentils, que le soin est bien réalisé, que nous 10

sommes présentes… pour moi c’est une évidence dans le soin infirmier, il faut être humain 11

pour faire ce métier là. 12

Si vous deviez raconter à un ami ou à votre famille ce qu’est le soin infirmier, que leurs 13

diriez-vous ? 14

Soigner le patient ou, du moins, essayer de le soulager… pas de le guérir mais de le soulager. 15

Voilà… soulager sa souffrance et sa douleur. La souffrance est davantage à relier au 16

psychique quant à la douleur c’est physique. Il faut prendre en charge la personne… mais pas 17

seulement du côté somatique et pas seulement non plus du côté psychologique. C’est un 18

ensemble en fait. C’est prendre en globalité la personne qui est là, en un temps donné. Essayer 19

de lui apporter ce que l’on peut… au-delà des soins techniques, sans non plus être trop 20

intrusif. Voilà… garder une position professionnelle. Je pense quand même qu’il faut avoir 21

des qualités… être un peu sensible… pas sensible mais… je ne sais pas… être capable de 22

percevoir des choses. Ce n’est pas tout le monde qui peut faire ce métier… voilà. 23

Vous pouvez préciser en quoi tout le monde ne peut pas faire ce métier ? 24

Il faut être capable de recevoir la souffrance… enfin pas la recevoir directement mais… ce 25

n’est pas facile de voir quelqu’un qui souffre et qui est dans la douleur. Il y a des gens qui 26

refusent cela. On voit des patients qui avant l’annonce de la maladie sont bien entourés par la 27

famille et lorsque la maladie se déclare, il n’y a plus personne. Donc la maladie fait fuir. La 28

maladie renvoie aussi à la mort. Il y a beaucoup de personnes qui me disent qu’elles ne 29

pourraient faire ce métier… « Voir des personnes dans un lit, souffrir et tout je ne pourrai 30

pas ». Peut être qu’elles ne sont pas claires dans la vie aussi… et dans la vie il y a la mort, la 31

maladie, les faiblesses. Il faut avoir certaines dispositions pour faire ce métier. 32

De quelles natures peuvent être ces dispositions selon-vous ? 33

Page 127: « Science infirmière » ou « science appliquée

16

Essayer de ne pas rentrer dans le jugement… ne pas juger la personne. Il faut être neutre 34

même si ce n’est pas toujours évident. Etre empathique aussi. Pour moi, je le perçois comme 35

ça. Peut être j’oublie des choses… 36

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 37

pour vous une science infirmière ? 38

Une science infirmière… alors pour moi, il faut la science parce qu’il faut être au clair avec 39

les pathologies, mais les choses ne sont pas aussi claires que ça. Pour moi le terme science… 40

parce que la science est posée… c’est voilà… 1+1=2, bon ça on y revient pas… Pour moi le 41

terme science c’est tout ce qui est côté scientifique, passer une radio c’est scientifique, passer 42

un scanner c’est scientifique. Le soin infirmier ce n’est pas que ça. Cela rejoint mes réponses 43

de tout à l’heure. Le fait d’employer le terme science me dérange un peu, je ne dis pas que 44

tout est négatif… simplement le soin ce n’est pas que ça. On a à faire à un être humain à part 45

entière, c’est un individu unique avec son histoire. L’humain égale subjectivité, alors on ne 46

peut pas appliquer cela à une spécialité, une science. Bien sur qu’il faut avoir de la technique 47

pour faire un pansement, poser une perfusion… il faut une grille mais on ne peut pas savoir à 48

l’avance ce qu’il va se passer. Dans le mot science infirmière, ce que l’on pourrait 49

comprendre du côté positif c’est la revalorisation de la profession. 50

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 51

Les sciences humaines ça fait réfléchir le soin. A un moment donné il faut sortir de 52

l’automatisme et se poser la question… Pourquoi on fait ça ? Donc moi, pour ma part, je ne 53

suis pas allé en fac et je n’ai pas eu de connaissances… tout ce qui est philosophie et tout ça. 54

Donc, lorsque je suis arrivée dans cet institut je ne connaissais pas. Voilà… c’est pouvoir 55

penser le soin, pas faire les choses parce qu’elles se font comme ça. C’est aussi s’affirmer un 56

peu plus… 57

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 58

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 59

humaines ? 60

En première année, lors de mon tout premier stage en maison de retraite, il me fallait faire une 61

injection à une dame démente (maladie d’Alzheimer). C’est l’après midi… elle avait de la 62

visite, sa sœur était dans la chambre. Donc me voilà avec mon petit plateau, ma petite 63

injection et… cette dame, impossible de la réveiller. Au début, la personne qui était en visite 64

est restée dans la chambre. Sa présence ne me dérangeait pas pour faire mon soin… après 65

chacun voit… mais, j’étais mal à l’aise car devant elle je n’arrivais pas à réveiller la patiente. 66

Je me sentais mal également de repartir avec mon plateau car pour moi il était hors de 67

Page 128: « Science infirmière » ou « science appliquée

17

question de piquer quelqu’un qui dort. Et donc… me voilà reparti avec mon plateau parce que 68

je ne l’ai pas piqué, elle dormait, je ne suis pas arrivé à la réveiller. Enfin… cette personne 69

elle était bien malade parce que le lendemain elle ne s’est pas réveillé du tout. Moi je n’ai pas 70

vu les signes qu’elle était en fin de vie… en début de première année. Donc, moi avec mon 71

petit plateau, gentil petit soldat de l’infirmière qui va piquer, toute contente en plus de ma 72

première injection, me revoilà dans le poste infirmier. L’infirmière me demande pourquoi je 73

n’ai pas piqué la patiente et je lui réponds que je ne pique pas quelqu’un qui dort. Elle me dit 74

que c’est son traitement, qu’il faut faire l’injection. Me revoilà donc dans la chambre toute 75

seule avec mon plateau. J’ai demandé à la visite de sortir. J’ai secoué… enfin tenté de 76

réveiller la patiente en vain. J’ai fait mon injection. Sous la pression de l’infirmière j’ai fait 77

mon injection. En faisant le geste je n’étais pas au clair avec moi-même. Voilà… cela m’a 78

dérangée, je l’ai fait parce qu’il fallait le faire. Cela m’a profondément dérangée. Cela allait à 79

l’encontre de mes convictions personnelles. Oui, là… les sciences humaines m’ont aidée mais 80

je n’ai pas eu assez de caractère pour résister. 81

Comment vous ont-elles aidé les sciences humaines ? 82

Elles m’ont aidée dans le sens où je me suis questionnée. Je savais que pour moi ce n’était pas 83

possible de faire cette piqure là. S’il n’y avait pas eu les sciences humaines je ne me serai pas 84

posé la question, j’aurai obéi à l’infirmière, j’aurai fait ma piqure, j’aurai été contente et puis 85

voilà. 86

Pour vous, c’est les sciences humaines qui ont permis ce questionnement ? Ce n’est pas 87

vous tout simplement ? 88

Cela à été dit par des auteurs, des gens qui ont pensé cela… 89

Qui ont dit quoi ? 90

Et bien… la dignité humaine. A quel moment il ne faut pas dépasser les bornes. Et, l’infirmier 91

à quel moment il doit être respectueux. 92

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 93

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 94

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 95

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 96

Aucun… le mot science en lui-même me dérange. 97

Page 129: « Science infirmière » ou « science appliquée

18

Entretien étudiant N°2 : Chloé 1

Age : 29 2

Sexe : F 3

Année :3ième année de formation 4

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5

infirmier ? 6

Franchement, avant tout technique… pour moi c’est le cœur du métier la technique. C’est ce 7

qu’un psychologue ne peut faire, et ce qu’un médecin ne peut faire. C’est un intermédiaire 8

entre différents corps de métier au centre du soin. Le travail relationnel je ne l’envisage pas 9

comme celui que peut faire le psychologue ou le médecin. Je suis juste là pour écouter, 10

entendre, relever des éléments objectifs. Ce travail me permet de servir d’intermédiaire pour 11

orienter vers le psychologue, ou bien la personne que je pense compétente, pour répondre à 12

une demande ou soulager une souffrance. 13

Pouvez- vous préciser cette dimension technique du soin ? 14

Ce sont tous les soins…. un sondage vésical ne peut pas être fait par un psychologue. Pour 15

moi, ça, c’est le cœur du métier. C’est ce que les autres ne peuvent faire, ni le psychologue, ni 16

le médecin. La prise de sang, c’est moi qui vais la faire et je peux vous assurer que parfois le 17

médecin…. c’est un fiasco. C’est la gestion d’un matériel et la gestion d’un corps… non… ce 18

n'est pas comme ça que je veux le dire. Le corps de cette personne et le matériel… et 19

comment je fais pour le réaliser dans les règles de l’art, tout en me préservant moi et en 20

préservant le patient. Mais, c’est aussi certainement parce que je me positionne comme 21

quelqu’un qui va travailler en soins généraux, donc à partir de là j’évoque la technique avant 22

tout. 23

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 24

pour vous une science infirmière ? 25

C’est une théorie pratique au soin infirmier… non, une théorie spécifique au soin infirmier. 26

C’est une théorie qui doit être mise en pratique. De la même façon que la science médicale est 27

une théorie qui par l’expérience technique de laboratoire, par les statistiques, doit être 28

appliquée à la pratique. La science infirmière, c’est la même chose, mais elle prend sa source 29

dans plusieurs disciplines, elle pioche un peu partout. Elle pioche dans la médecine, dans la 30

psychologie, la philosophie… pour arriver à faire quelque chose de particulier en science 31

infirmière. 32

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 33

Page 130: « Science infirmière » ou « science appliquée

19

Avant tout réfléchir sur soi même. Qu’on le veuille ou pas les patients nous renvoie beaucoup 34

de choses… voilà ! De ce que l’on est, de notre histoire… le travail de réflexion en lui-même 35

mène à ça. Nous faire prendre conscience de notions que le commun des mortels ne va pas 36

aborder. C’est aussi casser toutes les évidences que l’on a dans la vie de tous les jours… 37

élever le niveau de réflexion au-delà du sens commun. Je pense que le professionnalisme 38

vient de là… au-delà de la technique. Etre professionnel c’est aussi du recul, c’est aussi se 39

dire que ce n'est pas le patient qui est ennuyeux, c’est le symptôme. C’est pouvoir faire la 40

différence, avoir ce recul nécessaire, ressentir les choses, garder ses émotions et ne pas 41

s’effondrer. Ressentir les choses mais sans juger le patient… voilà ! Rester intègre. Je suis là, 42

je ressens des émotions, il me renvoie des choses… mais je suis professionnelle et je n’ai pas 43

le droit de dire, « tu m’ennuies », comme si j’étais dehors. Je n’ai pas les mêmes attitudes en 44

3ième année que celles que j’avais en 1er année. Je ne suis plus surprise face à des situations qui 45

m’énervaient en première année… maintenant cela ne m’énerve plus. Le travail réflexif 46

autour des sciences humaines, mais également l’expérience m’ont permis de voir les choses 47

de manière différente. Ce qui m’a surpris une première fois je l’ai intégré… imprimé, et face à 48

une nouvelle expérience cela ne me surprend plus. J’ai réfléchi… je sais pourquoi certaines 49

choses m’ont embarrassées. Je m’en suis voulu de ne pas avoir répondu d’une certaine façon 50

et j’ai appris comment il faut répondre face à une deuxième expérience. On ne peut pas faire 51

certaines choses lorsque l’on est professionnel… je ne suis pas une femme mais je suis un 52

soignant en tenue de travail. Cette réflexion permet que, une deuxième fois les choses soient 53

plus claires. 54

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 55

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 56

humaines ? 57

Peut être que les sciences humaines m’ont manquées… le premier DC. Je me suis dit, on ne 58

fait pas ce métier pour rien. Les sciences humaines m’ont manquées… je pense. Après ce DC 59

là, j’ai réfléchi et je me suis dit, est-ce que c’est sain ce que j’ai fait ou est-ce que ce n’est pas 60

sain. Je n'ai pas d’éléments de réponse… je sais que ce n’est pas tout à fait sain… mais pas 61

autant que ça. J’ai toujours attendu de vivre le premier DC en service. C’était une dame assez 62

âgée, très malade… elle était ma patiente depuis trois semaines… on avait compris qu’elle 63

était en train de partir. Donc, je suis rentré dans la chambre, elle était vivante, mais atone, 64

aréactive. Elle avait toujours un pouls radial, elle était vivante, mais je ne sais pas pourquoi… 65

je sentais qu’il allait se passer quelque chose, comme du feeling. Je ne sais pas pourquoi, mais 66

Page 131: « Science infirmière » ou « science appliquée

20

je le sentais. J’ai refermé la porte et je suis resté seule avec elle… alors que normalement… la 67

peur de la mort… qui est là… j’ai toujours laissé la porte ouverte. Je sentais qu’il allait se 68

passer quelque chose… il n’y a rien d’objectif. Donc, je lui ai pris la main, j’avais mes doigts 69

sur l’artère… et ça partait… ça devenait filant… ça partait petit à petit… j’ai compris qu’elle 70

était en train de mourir. Et je suis resté là, la porte fermée, et vraiment solide. Bien sur elle est 71

partie, j’ai fermé ses yeux… ce que l’on fait immédiatement. Les infirmières m’ont dit ; tu 72

n’es pas obligé de rester. J’ai répondu ; je reste. La toilette, prévenir la famille… non je veux 73

y aller… Ce DC là… j’avais besoin de le vivre et d’être là ! Après, lorsque j’ai réfléchi à ça… 74

je voyais bien que j’étais en train de répéter le scénario de la mort de mon père. J’ai utilisé la 75

mort de cette dame pour faire un bras de fer, pour affronter la mort… Oui, tu es là, avant tu 76

m’as demandé, mais là non, je suis là… Les sciences humaines m’ont manquées… je voulais 77

trouver du sens… pourquoi j’étais là… C’est de la répétition, est-ce que c’est ça, est-ce que 78

j’ai dépassé ça. Les filles m’ont demandé ; c’est ton premier DC ? Tu sais, tu peux pleurer, tu 79

peux. Et j’étais là, de plomb. Tu ne peux pas t’effondrer mais tu peux pleurer. Si tu as quelque 80

chose, crache-le. Voilà… ça c’est une situation où on peut dire qu’il y a bien quelque chose 81

de l’ordre de la réparation. J’aurai aimé avoir eu cette réflexion avant. Si depuis la première 82

année je cherche un DC… Avec l’apport des sciences humaines j’aurai pu éviter d’utiliser ce 83

moment, ce besoin de faire un bras de fer. J’ai été frustré… je n’ai pas vu mon père deux 84

semaines avant sa mort… on ne m’a jamais dit qu’il allait mourir… voilà ! J’ai voulu répéter 85

cette situation à ma façon… je comprends maintenant que c’était de la répétition. Les sciences 86

humaines… elles devraient me dire à quel moment je suis dangereuse, à quel moment je suis 87

malsaine. Comment vous dire… je sais que je n’ai pas été dangereuse ! Pour moi, le 88

malsain… il y a des niveaux. Est-ce que c’est bien correct d’avoir utilisé cette dame et sa 89

famille parce que je voulais voir leurs yeux… pour quelque chose de personnel finalement! 90

Les sciences humaines devraient me donner des éléments de réponse pour me permettre de 91

choisir… moi, après. 92

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 93

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 94

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 95

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 96

Sciences infirmières au pluriel… non, une science. J’aime bien rester dans une vision assez 97

généraliste…, une science. 98

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Non 99

Page 132: « Science infirmière » ou « science appliquée

21

Entretien étudiant N° 3 : Sophie 1

Age : 39 2

Sexe : F 3

Année : 3ième année 4

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5

infirmier ? 6

Pour moi le soin infirmier… il y a deux versants. Il y a la maîtrise du geste technique qui est 7

importante. Même en psychiatrie, l’entretien nécessite une certaine maîtrise technique. 8

L’autre versant est la considération du patient. Pour moi ce n’est pas quelque chose que l’on 9

peut séparer de la notion de soin. C’est à dire un aspect humain. La maîtrise technique tout le 10

monde peut l’acquérir, c’est quand même pas… apprendre à faire un sondage, apprendre à 11

faire une injection, une pose de cathéter… ce n’est pas quelque chose d’insurmontable. Pour 12

être soignant il faut aussi, à minima, connaître la pathologie. Il faut pouvoir surveiller les 13

conséquences des actions que l’on met en place… la surveillance, les effets attendus, les 14

effets secondaires. En dehors de la maîtrise technique, il y a donc la considération du patient 15

dans le sens où l’on doit savoir pourquoi il est là. Pour moi la relation est primordiale, c’est 16

pour ça que je n’aime pas les stages en soins généraux parce que ce sont des services où la 17

charge de travail est telle que l’approche du patient est extrêmement limitée. Evidemment, on 18

ne perd pas de vue que l’on est là pour le soigner, pour lui apporter des soins prescrits, mais 19

le manque de temps pour rester auprès du patient pour moi est un gouffre. 20

Vous pouvez préciser ce que vous entendez par, « …rester auprès du patient » ? 21

La relation inter humaine… l’infirmier ce n’est pas une machine à dispenser des soins. Il y a 22

aussi toute l’approche… appréhender son patient, qui il est, comment il est. Cela peut nous 23

aider pour lui faire accepter un soin, cela peut nous aider à comprendre son attitude face aux 24

soins, donc nous éviter d’être dans le jugement hâtif. Donc pour moi c’est extrêmement 25

important. 26

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 27

pour vous une science infirmière ? 28

C’est quelque chose d’assez obscur pour moi. Une science infirmière en termes de formation ; 29

je ne vois pas. Pour moi, à la limite, une science infirmière c’est plutôt lié à une somme 30

d’expériences. Dans notre école, on a de gros apports en sciences humaines, mais ce n’est pas 31

pour ça qu’il y aura 120 diplômés qui prendront en compte les apports en sciences humaines 32

Page 133: « Science infirmière » ou « science appliquée

22

dans leurs pratiques quotidiennes. Pour moi, la science infirmière elle vient davantage d’une 33

pratique. La science infirmière c’est l’expérience… les expériences professionnelles. 34

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 35

D’une part, il y a des apports qui sont tellement complexes que je ne suis pas sure, moi même, 36

de les appréhender à leur justes valeurs. Mais par contre, leurs utilités… comment je peux 37

dire ça ? Par rapport à des choses qui peuvent nous paraître évidentes au départ… les sciences 38

humaines nous montrent que ce sont des choses qui ont déjà été travaillées, conceptualisées. 39

Donc, ça c’est bien… ce qui fait que, au lieu de considérer les choses comme évidentes on se 40

met à réfléchir dessus. Par rapport à notre pratique future, je pense que cela nous permet de 41

prendre du recul. Alors… peut-être pas au moment où il faudrait… mais à un moment ou à un 42

autre cet apport là nous permet de réfléchir notre positionnement, sur la façon que l’on a de 43

réagir. Cela nous amène à nous questionner sur nos pratiques… je trouve que c’est très 44

intéressant. Même si par nature, par mon caractère, je vais facilement me remettre en 45

question, ces apports là me permettent de le faire à juste titre. Cela permet d’éviter certains 46

écueils ; de forcément tout ramener à soi lorsque il y a quelque chose qui ne se passe pas bien 47

par exemple, ou au contraire de tout rejeter sur les autres. Je pense que c’est vraiment des 48

apports qui nous aident. 49

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 50

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 51

humaines ? 52

J’ai une situation… j’étais en stage dans un service de cardiologie d’une clinique privée ou 53

était hospitalisée une patiente plus jeune que les patientes habituellement hospitalisées dans ce 54

service. Elle était dans le service pour le changement d’une pile de son pacemaker. C’était une 55

femme âgée de 40 ans. Elle avait des problèmes cardiaques depuis l’âge de 20 ans. Après son 56

passage au bloc pour son changement de pile, pour une raison technique quelconque elle s’est 57

retrouvée avec deux cicatrices… deux plaies opératoires au lieu d’une. Cette femme se 58

plaignait d’avoir mal… voilà, elle disait qu’elle avait mal. En fait, la réaction de l’équipe, de 59

l’aide soignante à l’infirmière, a été : de toute façon elle est psy… avec pas mal de dédain 60

dans la voix. Y compris de la part d’une infirmière qui était diplômée depuis peu, 3 ou 4 ans 61

je crois. Elle est psy, elle est psy… voilà. Personne n’a jugé utile de prévenir le médecin que 62

cette patiente manifestait une douleur particulière. La seule thérapeutique mise en place était 63

du Doliprane, elle n’avait rien d’autre. Lorsque je suis allé la voir pour débarrasser son 64

plateau du repas de midi, je lui ai dit ; vous n’avez pas mangé votre viande ? Pourquoi… vous 65

n’avez plus faim ? Elle m’a répondu ; je n’arrive pas à la couper, j’ai trop mal. Je lui ai 66

Page 134: « Science infirmière » ou « science appliquée

23

demandé si elle avait réclamé un traitement pour sa douleur et elle m’a avoué que, au regard 67

de l’attitude des infirmières elle ne demanderait rien à personne. Moi… ce qui m’a interpellé 68

là… c’est que… les autres patients ils n’ont pas mal, si elle, elle a mal… c’est qu’elle est 69

folle. Personne n’a pris en compte qu’elle avait 20 ans de problèmes cardiaques derrière elle. 70

Je pense qu’effectivement cela affectait son moral et que, du coup, la douleur était 71

certainement ressentie… enfin, elle avait une sensibilité à la douleur par rapport à ça, à son 72

histoire. J’étais surprise que personne ne puisse s’en rendre compte dans l’équipe. Moi… je 73

ne suis pas intervenu en fait… je ne suis pas intervenu de part ma position de stagiaire. Si 74

j’avais été diplômé… j’aurai prévenu le médecin et j’aurai expliqué aux autres que ce n’est 75

pas parce qu’elle est la seule à se plaindre que cela relève du psy. Il y avait beaucoup de 76

choses qui auraient permis d’expliquer sa douleur… sur le versant médical ou sur le versant 77

histoire personnelle de la patiente. Cette femme là, elle a été laissé seule face à sa douleur. 78

En quoi les sciences humaines vous ont elles été utiles dans cette situation ? 79

Et bien les sciences humaines… elles m’ont… pour faire la part des choses. Je pense que sans 80

l’apport des sciences humaines, dans cette situation, j’aurais souscrit à l’avis général. 81

Effectivement, cette femme là était déprimée… et puis voilà. J’étais surprise que l’équipe sur 82

pace la catégorise psy sans davantage s’occuper de son problème. Je me suis questionné, 83

aussi, sur le fait que l’équipe ne prenne pas en compte cette douleur. Est-ce que ce n’est pas 84

une façon de se rassurer pour l’équipe ? Là, les apports des sciences humaines sont 85

indispensables. 86

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 87

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 88

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 89

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 90

Sciences infirmières au pluriel. Parce que… voilà… il y a le côté technique, le côté clinique, 91

le côté humain, l’échange, le rapport inter-humain…sciences molles peut être, mais sciences 92

quand même. 93

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 94

Accoler le terme science à la profession ce n’est pas quelque chose qui vient naturellement.95

Page 135: « Science infirmière » ou « science appliquée

24

Entretien étudiant N°4 : Thomas 1

Age : 27 2

Sexe : H 3

Année : 3ième année 4

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5

infirmier ? 6

Le soin infirmier… c’est compliqué. C’est le patient, une équipe, le milieu familial, mais 7

aussi la vie que l’on peut avoir en dehors de la structure, qui fait partie aussi du soin 8

infirmier…. on ne peut pas faire abstraction de tout. Le soin, c’est une technique également, 9

c’est savoir mettre des choses en pratique. Mais pas seulement… parce que le patient est là. 10

Pouvez-vous préciser ce « pas seulement » ? 11

Parce que justement il y a tout ce que l’on voit en sciences humaines, tout ce que l’on a vu 12

dans notre cursus. Toute la relation entre nous et le patient… les choses qui va nous renvoyer. 13

Je prends l’exemple d’une ponction veineuse… le geste en soi n’est pas forcément compliqué 14

mais il peut le devenir très vite parce que le patient a peur, parce qu’on ne peut pas arriver 15

comme ça… je vous pique… et on en parle plus. Non, il va falloir… ce n’est même pas qu’il 16

va falloir, c’est qu’il y a une discussion qui s’instaure. Le patient va parler de ses peurs 17

directement ou alors il va directement parler de ses enfants… enfin, et puis il faut jongler avec 18

tout ça… je ne sais pas, comme ça… c’est une question qui est vraiment difficile, enfin la 19

réponse est vraiment difficile. Je ne sais pas trop comment le verbaliser tout ça. C’est un petit 20

peu comme si la technique venait comme un réflexe, on pose l’acte technique mais sans 21

vraiment y penser… en étant plus dans la relation avec le patient que dans l’acte lui-même. 22

Cet acte est généralement répété plusieurs fois, donc… on le connait bien. A la limite on 23

arrive à faire abstraction de l’acte pour rentrer dans une relation avec le patient. 24

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par relation ? 25

Justement… c’est là que cela devient difficile parce que pour moi la relation est quelque 26

chose qui regroupe énormément de paramètres. En fait, j’en reviens un petit peu à l’éducation, 27

à la manière dont on a été élevé… aux origines de ce que l’on est. C'est-à-dire comment on 28

entre en relation avec les gens… et donc, il y a vraiment beaucoup de paramètres qui sont, je 29

pense, insaisissables sur le moment. Après en réfléchissant… la relation… (rire). La relation 30

c’est connaître le patient. Qui est avec moi, qui je vais soigner… pour pouvoir le soigner. 31

Quoi que pas toujours… (rire)… un accidenté de la route en urgence on ne sait pas qui il est. 32

Après dans la relation… qu’est ce que je pourrai y mettre… tout ce que j’imagine de la 33

Page 136: « Science infirmière » ou « science appliquée

25

personne, par rapport à la présentation, l’image que je vais créer de la personne va me 34

permettre de faire comme si je la connaissais aussi. Pour les patients Alzheimer c’est pareil… 35

quelqu’un qui est plus ou moins vide… enfin, je ne sais pas… moi j’ai le sentiment d’avoir 36

besoin de connaître… oui, de connaître, d’avoir quelqu’un devant moi. C’est quelque chose 37

qui pour moi est primordial. 38

Pourquoi ? 39

Pourquoi… parce qu’il est très facile de tomber dans la mécanique et plus dans le soin 40

justement. A partir du moment où on soigne un corps… on fait de la mécanique. On n’est plus 41

dans cette dimension du soin. 42

C’est important pour vous ? 43

Oui… j’ai peur de tomber dans ce truc là… de glisser facilement dans de la mécanique et plus 44

du soin. Je pense que c’est pour ça. Je pense qu’il y a des notions d’éducation et tout ça… ma 45

mère est infirmière… donc, elle me parlait souvent de son boulot aussi. C’est vrai qu’elle 46

attache une grande importance à tout ça… une grande importance au contact humain, aux 47

échanges qu’il peut y avoir, à la richesse que peut apporter le patient. Cette richesse là, ces 48

expériences de la vie… c’est quelque chose. Je ne sais plus trop où j’en suis (rire). Je le vois 49

un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… C'est-à-dire, l’échange humain, 50

l’importance que j’accorde à ce que peut apporter le patient c’est un peu la contre partie de la 51

rémunération… cela vient compenser ce dont on se plaint, ce manque dans la rémunération… 52

voilà ! Même une relation qui ne se passe pas forcément bien reste une expérience qui est 53

vivante. Le soin, quelque part, serait une façon de se rapprocher de la vie… alors c’est un 54

petit peu… c’est pas du voyeurisme… mais je dirais un peu… un petit peu comme prendre de 55

la vie de chacun des patients que l’on a… des choses que nous, on n’a pas vécues, que le 56

patient nous rapporte, aussi bien de sa vie passée que de la manière dont il vit la maladie… 57

comme une expérience que nous on a pas vécue. C’est égoïste comme démarche… 58

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 59

pour vous une science infirmière ? 60

Alors là… actuellement, une science de toutes les autres disciplines ; sciences humaines, 61

médecine, psychologie, législation, soins infirmiers. Je le vois comme un échantillon de tout 62

ça et l’on doit faire avec pour travailler. Cela me renvoie même à la définition de l’infirmier. 63

Mais je ne suis pas convaincu par ce truc là. Parce qu’au final, l’identité que l’on pourrait 64

dégager de ça, c’est davantage une identité morcelée qu’une identité de corps infirmier… 65

d’infirmier à part entière. On à l’impression d’être un peu le bouche trou. Je fonde mon 66

identité sur l’identité du médecin, du psychologue, du pharmacien, etc… Au final qu’est ce 67

Page 137: « Science infirmière » ou « science appliquée

26

que c’est que l’infirmier ? L’infirmier c’est un peu de chacun. J’ai l’impression d’un 68

rafistolage… tout ces éléments que l’on met ensemble et au final il n’y a plus d’identité 69

infirmière. En tout cas c’est le sentiment que j’ai dans la formation. 70

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 71

Je pense que cela permet de mettre entre parenthèses les principes, les certitudes, que l’on 72

considère comme posés, parce qu’on les a appris de nos parents… tout le contexte de 73

l’éducation. Cela permet de pouvoir appréhender les situations de manière différente et de les 74

voir autrement. Cela permet d’accéder au soin, à la relation. Pour prendre un exemple… un 75

patient avec lequel cela ne passe pas… sans les sciences humaines cela ne passerait toujours 76

pas. Les sciences humaines permettent de dire que le patient réagit de cette façon là parce que 77

telle culture, parce que tel phénomène dans sa vie, parce que telle façon de voir les choses… 78

Cela permet d’expliquer, ou du moins, de se dire que l’on n’est pas forcément dans le vrai et 79

que le jugement… on peut se tromper. Cela permet de développer certaines attitudes par 80

rapport… cela permet la réflexion. 81

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 82

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 83

humaines ? 84

A l’hôpital… une grand-mère d’origine magrébine… cette dame va aux toilettes et je lui 85

demande comment sont vos selles aujourd’hui ? Elle ne comprenait pas trop… finalement 86

j’arrive à faire passer le message, elle retourne au toilettes et puis elle se penche au dessus de 87

la cuvette et elle attrape la selle avec ses mains. Elle palpe la selle pour apprécier si celle-ci 88

est dure ou pas. C’est vrai que là… sans les sciences humaines j’aurais probablement dit, 89

lâchez ça, c’est sale… voilà ! Au lieu de se laver les mains par la suite dans le lavabo, elle se 90

lave les mains dans le WC. Là où je pense que les sciences humaines sont intervenues pour 91

moi à ce moment là… il y a peut être une culture ou alors une hiérarchie dans la famille… 92

l’homme avait probablement accès au lavabo et la femme était restreinte à se laver les mains 93

dans le WC. Je sais pas trop… en fait je n’avais pas l’explication mais je savais que… ce 94

n’était pas forcément évident pour tout le monde de se laver les mains dans un lavabo. Il n’y 95

avait pas de pathologie mentale chez cette patiente. C’était une dame qui avait toute sa tête. 96

Là, je pense que oui… ça m’a servi les sciences humaines, cela m’a permis de prendre les 97

choses avec calme, distance. 98

Est-ce que vous avez demandé la raison de ce geste à cette dame ? 99

Non… je ne sais pas… peut être que je n’avais pas envie de savoir tout simplement… parce 100

qu’il y a une gêne… j’étais gêné. 101

Page 138: « Science infirmière » ou « science appliquée

27

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 102

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 103

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 104

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 105

Tout au singulier, je souhaiterai que l’on s’oriente vers quelque chose d’unifié… pour 106

l’identité. Cela renvoie à ce que je vous disais tout à l’heure. 107

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 108

Non, je pense que j’ai dit tout ce que j’avais à dire. 109

Page 139: « Science infirmière » ou « science appliquée

28

Entretien étudiant N°5 : Paul 1

Age : 38 2

Sexe : H 3

Année : 2 ième 4

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5

infirmier ? 6

Si on fait référence à tous les cours, tous les intervenants, qui essaient de mettre un peu en 7

évidence comment on caractérise… comment on considère le soin et la pratique soignante, 8

c’est sur que l’on peut rentrer dans un débat de plusieurs heures. Pour moi… c’est vrai que je 9

ne me suis pas interrogé sur mon rôle et comment je le perçois. Enfin… pour moi, c’est 10

davantage l’aspect relationnel. On peut polémiquer beaucoup sur cette notion de relation… le 11

soin passe d’abord par ce contact avec la personne. En dehors de toutes les théories sur cette 12

notion de la relation… cela reste un des piliers de la pratique soignante ; être en contact avec 13

l’autre, que ce soit avec les autres soignants ou avec les gens qui sont en demande de soins. 14

Cela passe par ce contact, et au travers de ce contact les liens que l’on va construire avec le 15

patient. Il va se construire quelque chose à partir de là. La relation c’est le pilier de la pratique 16

soignante, c’est entrer en contact avec les gens et puis à partir de là élaborer des soins, la prise 17

en charge et tout ce qui va avec. La relation c’est ce qui permet de construire tout ce qui va 18

autour de la prise en charge soignante et puis de la fonction soignante 19

Lorsque vous dites, « tout ce qui va autour », vous pensez à quoi en particulier ? 20

Tout ce qui va autour… c’est prendre connaissance de la pathologie, c’est les manifestations 21

cliniques, tous les soins que l’on doit mettre en œuvre. Le cœur de la pratique soignante et du 22

soin infirmier c’est la relation. 23

Pouvez-vous me préciser ce que contient ce terme de « relation » pour vous ? 24

Cette relation elle est basée sur beaucoup de choses… sur l’écoute, sur le respect, sur la 25

connaissance de l’un et de l’autre, sur l’appréhension de ce que ressentent l’un et l’autre, sur 26

la confiance. C’est à dire tous les éléments qui vont composer la relation. Puis, sur le fait que 27

l’on arrive à comprendre ce que le patient attend et ce que nous on attend de lui. 28

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 29

pour vous une science infirmière ? 30

Une science infirmière… ? Je ne suis pas sur que l’on puisse parler de science infirmière. Je 31

ne suis pas sur que l’on puisse parler de science dans la mesure où cette fameuse relation elle 32

est parfaitement singulière. Dans la mesure où elle est singulière elle ne peut pas se 33

Page 140: « Science infirmière » ou « science appliquée

29

reproduire, si elle ne peut pas se reproduire on ne peut pas parler de science. Voilà, tout 34

simplement… parce que la science elle est basée sur des faits d’observations qui se 35

reproduisent sur lesquels on peut établir des lois. Des lois, qui vont pouvoir justifier ce qui a 36

été précédemment observé. A partir de là, on ne peut pas dire qu’il y est une science 37

infirmière. Je ne suis pas sur que l’on puisse parler d’une science, pas sur que l’on puisse 38

« scientifiser » le soin. 39

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 40

Très grande utilité, pour reprendre cette utilité… cela nous apporte à la fois des connaissances 41

mais, justement, ces connaissances nous font dire que l’on ne connaît rien. On ne peut pas 42

savoir ce qui va se passer, c’est à la fois des connaissances pour s’appuyer dessus mais, ce sur 43

quoi on s’appuie, nous permet de dire que l’on ne sait pas ce qui va se passer à l’instant 44

présent. Cela nous rassure et cela nous déstabilise en même temps. Rien ne peut nous dire que 45

l’on doit se comporter comme-ci ou comme-ça. C’est à la fois rassurant et bouleversant. 46

Rassurant, dans le sens où ce sont des acquisitions théoriques qui permettent d’appréhender… 47

ou plutôt d’éviter de se casser la figure. Je vais utiliser une expression que j’aimais bien 48

lorsque je professais en sport… les sciences humaines nous permettent de nous mettre dans 49

une position où on ne sait pas ce que l’on va être capable de faire mais on sait ce que l’on ne 50

doit pas faire. 51

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 52

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 53

humaines ? 54

Je ne sais pas si je vais pouvoir prendre l’exemple d’une situation ou d’un soin précis. Peut-55

être, plus particulièrement en psychiatrie ou là, on a besoin d’un référentiel pour comprendre 56

ce qui se passe, pour comprendre ce que l’on ressent… pour mieux se placer… à la fois pour 57

mieux comprendre et mieux se placer. Pour reprendre finalement ce que je viens de vous dire, 58

effectivement ces connaissances nous permettent d’éviter de faire des erreurs. Je n’ai pas 59

d’exemples très précis… mais, oui… je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations 60

d’échec, dans des situations où je n’avais pas cette maîtrise. Sans ces acquisitions, on peut se 61

planter, on peut se casser la figure et être vraiment en dehors d’une véritable prise en charge. 62

Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à un cas précis. Avec 63

un enfant par exemple, il est nécessaire d’avoir des repères sur le développement, si on n'a pas 64

ces repères on peut se tromper et puis se dévier dans une prise en charge. 65

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 66

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 67

Page 141: « Science infirmière » ou « science appliquée

30

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 68

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 69

C’est un QCM ou quoi ? Il y a une autre case où l’on peut dire autre chose ? Je ne sais pas… 70

je suis un peu bloqué sur le terme science… 71

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 72

On peut dire beaucoup de choses sur le soin infirmier… et puis on est tous un peu soignant 73

quelque part, à partir du moment où on est à l’écoute. 74

Page 142: « Science infirmière » ou « science appliquée

31

ANNEXE 3

Page 143: « Science infirmière » ou « science appliquée

32

Grille d’entretien (Entretiens infirmiers)

Age :

Sexe :

Diplôme d’Etat :

Diplôme Universitaire :

Expériences professionnelles :

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin

infirmier ? Revenir à sa pratique.

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour

vous une science infirmière ?

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences

humaines ?

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,

comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?

Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins

infirmiers au pluriel ?

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Page 144: « Science infirmière » ou « science appliquée

33

Entretien infirmier N°1 : Claire 1

Age : 39 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1992 4

Expérience professionnelle : Pool, gastro-entérologie et service de cardiologie depuis 8 ans. 5

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 6

infirmier ? 7

Alors… le rôle infirmier pour moi. Je pense que le rôle infirmier c’est d’abord le rôle propre. 8

Le rôle propre c’est quelque chose d’essentiel. Il faut que l’on soit des techniciennes 9

organisées, ça c’est sur… c’est très important d’être organisé… mais le coté rôle propre et 10

relationnel fait partie intégrante du soin infirmier. Il faut que l’on soit capable… la théorie, la 11

pratique, mais aussi le relationnel avec le patient et la famille. Il faut oublier personne. C’est 12

vrai que c’est très large. 13

Définissez-vous essentiellement le soin infirmier autour du rôle propre ? 14

Oui… sachant que bien sur je n’exclue absolument pas tout ce qui est théorie et technicité 15

parce-que c’est ce qui nous différencie des aides soignants et des autres professions 16

paramédicales. La différence entre une bonne et une moins bonne infirmière c’est le 17

relationnel et l’application que l’on met dans le rôle propre. 18

Pourriez-vous me dire ce que vous attribuez au rôle propre infirmier ? 19

Déjà… c’est voir la personne dans sa globalité, ce qui va, ce qui ne va pas, ce qui est difficile 20

pour lui et ce qui ne l’est pas. Pour chaque patient cela peut être complètement différent. Pour 21

un patient, cela peut être le fait de ne pas dormir car il présente une valvulopathie majeure qui 22

est la priorité absolue auprès des médecins. Mais lui, ce qui le gène c’est le fait d’être 23

essoufflé et de ne pas dormir la nuit. Donc il faut mettre l’accent là-dessus et bien faire la part 24

des choses entre le besoin du malade et le besoin recherché ou de l’effet recherché par le 25

médecin. Il existe des choses très simples qui ne sont pas prescrites. 26

Dans ce que vous définissez comme étant finalement le soin infirmier vous donnez des 27

indications par rapport au rôle propre, c’est ce qui est selon vous important. Qu’est-ce qui 28

définie encore le soin infirmier ? 29

Après… c’est notre pluridisciplinarité. On doit passer au rôle prescrit avec tout ce qui est 30

théorique et pratique… et médical. Mais aussi nos responsabilités, suite à nos décrets, qui 31

prouvent notre pratique professionnelle. Mais également dans les services tout ce qui est 32

encadrement, formation… formation des élèves aussi… ça aussi nous y sommes en plein 33

Page 145: « Science infirmière » ou « science appliquée

34

dedans. Tout ce qui est enseignement et encadrement dépend du rôle propre aussi. Les 34

médecins on ne va pas leur parler de tout ce qui est encadrement d’élèves, ils s’en fichent. 35

Si je suis bien votre idée, vous évoquez la théorie dans le rôle prescrit et moins dans le 36

rôle propre ? 37

Il y a quand même de la théorie… mais à force c’est tellement spontané. Après cela devient 38

tellement un acquis que cela vient tout seul. La théorie forcément… car quand on n’y connait 39

rien… on ne peut pas être à l’aise dans le rôle propre si on n’a pas un peu des notions… oui. 40

La théorie cela permet d’être plus à l’aise dans son rôle propre car on connait la pathologie, 41

on connait la suite des choses et on sait vers quoi on voudrait aller avec le patient… Le patient 42

pour le faire sortir… sortir d’un état dégradé ou très mal pour l’améliorer. 43

Pour résumer, dans votre réponse à la question sur la conception du soin infirmier, il y 44

aurait selon vous une dimension qui serait celle du rôle propre ainsi qu’une dimension 45

prescrite du soin, vous définissez le soin infirmier ainsi ? 46

C’est un ensemble… oui… c’est un complément des deux. Parce que je trouve qu’à l’heure 47

actuelle on prend beaucoup trop les élèves infirmiers en tant que prescripteurs… comment 48

dire… ils doivent reconnaître une pathologie et analyser une pathologie mais ils sont très loin 49

au niveau du relationnel avec les patients. Il y a un gros écart… et ils n’arrivent pas à 50

s’immiscer comme ça dans l’intimité des gens. Il y a toujours un gros écart ce qui fait qu’ils 51

sont toujours en recul et ils vous posent des questions… mais toutes simples sur la vie de tous 52

les jours. Je lui dis… mais tu l’as regardé ton patient ? Ils ont complètement effleuré parce 53

qu’ils ne veulent pas mettre un bassin… parce que voilà… Là, on a deux jeunes D.E. 54

(Diplômé d’Etat)… quand on dit que l’on fait les toilettes et bien cela ne se passe pas bien 55

avec les aides soignantes. Parce qu’elles ne répondent pas forcément au bassin, à un pistolet 56

plein. Elles sont dans la chambre et elles appelleront l’aide soignante en disant tu peux aller 57

vider le pistolet. Et bien, ça ne passe pas dans l’équipe. Et il n’y a pas de honte à ça, c’est 58

notre rôle aussi. 59

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 60

pour vous une science infirmière ? 61

Pour moi, c’est quelque chose que je ne concrétise absolument pas… c’est très difficile de le 62

percevoir. Plus on y va, moins il y a de pratique et d’enseignement sur la pratique et je trouve 63

que c’est là où ça pêche. C’est peut être une science, mais on a besoin d’une pratique très 64

importante et souvent je trouve que cela pêche à ce niveau là. De plus en plus on s’éloigne de 65

la pratique… quand vous voyez qu’il n’y aura bientôt plus de MSP (mise en situation 66

professionnelle). Selon les endroits, les élèves n’ont pas la chance d’être encadrés. Selon les 67

Page 146: « Science infirmière » ou « science appliquée

35

endroits, vous avez des filles qui s’en fichent des élèves… qui le leur balancent dans la 68

figure. Il y a des étudiantes qui arrivent en troisième année et qui sont passées à l’as… qui à 69

chaque fois sont arrivées à contourner et qui en technique sont nulles. Et ça… ça c’est 70

important. Donc, la science infirmière peut être un enseignement basé sur les pathologies, sur 71

les connaissances théoriques des pathologies, sur l’hygiène parce que c’est primordial, mais 72

où est-ce qu’ils vont mettre la grande partie qui est le relationnel et la pratique ? Et ça 73

comment faire ? Parce que ce n’est pas à la fac qu’on va l’apprendre. 74

L’idée d’une science infirmière, selon vous, présenterait le risque de s’éloigner de 75

l’enseignement de la pratique ? 76

On ressent de plus en plus… franchement… on ressent de plus en plus que l’on se retrouve 77

avec des élèves qui font l’école d’infirmière avec ce concours, parce qu’ils ont des capacités, 78

qu’ils ont loupé les autres concours, et qu’ils font cela en se disant qu’il y a des débouchés et 79

qu’ils sont sur de trouver un boulot. Ce sont des jeunes qui ne sont absolument pas impliqués 80

et qui avec un malade par terre à 13h, vous disent, c’est mon heure… je dois partir. 81

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 82

Oui… cela rentre dans l’intimité et le relationnel avec le patient. Le côté psychologique cela 83

peut vous aider énormément. Mais un élève qui n’est pas à l’aise dans ses connaissances cela 84

ne l’aidera pas. Il n’arrivera pas à l’adapter, ils ont du mal. Lorsqu’il y a quelque chose de 85

difficile, ils fuient… c’est rare ceux qui restent. La fuite c’est plus facile que l’affrontement, 86

la peur on l’évite. Mais c’est vrai que moi… je peux dire que ça me sert. Nous avons la 87

chance dans l’hôpital d’avoir beaucoup de formations, tout ce qui est gestion du stress, le 88

toucher, les choses comme ça, on parle beaucoup de tout ce qui est formation parallèle, 89

beaucoup de psycho, de socio, de relation avec les autres. 90

Lorsque vous dites que cela vous sert ; cela vous sert à quoi dans le soin ? 91

Peut être à avoir une approche avec les patients… personnalisée. Ce ne sont pas tous un 92

infarctus, ce ne sont pas tous une insuffisance cardiaque, ce ne sont pas tous une endocardite. 93

Il y a un vécu derrière, c’est jamais le hasard, vous n’êtes jamais malade comme ça, au pif. 94

C’est peut être un peu idiot ce que je dis, mais c’est un ensemble de formations qui me font 95

penser à cela. Ce n’est pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. 96

Pourquoi à tel moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse. 97

Les sciences humaines vous apporterez donc cette réponse ? 98

Oui, grâce à des formations… mais aussi parce que moi j’y suis plus sensible, parce que ça 99

m’intéresse. J’ai un patient qui a fait de la réanimation pendant 3 semaines à Marseille dans 100

un coma artificiel, il m’a dit à son retour : « ma femme je l’aime encore plus qu’avant, je ne 101

Page 147: « Science infirmière » ou « science appliquée

36

sais pas, elle me manque, elle me manque, j’étouffe, elle me manque. » J’en ai parlé 102

longtemps avec lui et puis d’un coup j’ai réagit et je lui ai demandé : « mais elle venait vous 103

voir ? » Il m’a répondu : « Tous les jours, et tous les jours elle me disait qu’elle m’aimait, que 104

je lui manquais, qu’il fallait que je revienne. » Je lui ai répondu : « Ben… vous voyez tout ça 105

vous l’avez emmagasinez, vous êtes plein de son amour et vous comprenez pas pourquoi. » 106

Cela lui a permis de comprendre les choses, il n’était plus angoissé et il n’a pas eu besoin 107

d’oxygène… voilà. La force ce n’est pas tout. Les nouveaux diplômés aujourd’hui ils arrivent 108

un peu trop en force. Toutes les sciences humaines, ils n’en voient pas l’importance parce que 109

déjà ils ne sont pas à l’aise avec tout ce qui est pathologie, technique et pratique. Pour eux 110

c’est du suggestif, ils ne voient pas comment l’appliquer parce que déjà ils ne voient pas 111

comment appliquer le reste. 112

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 113

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 114

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 115

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 116

Sciences en soins infirmiers au pluriel car cela regroupe beaucoup de choses. Cela regroupe la 117

théorie, la pratique… beaucoup ce qui est relationnel et qui est important pour nous. 118

Page 148: « Science infirmière » ou « science appliquée

37

Entretien infirmier N°2 : Alice 1

Age : 38 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 2004 4

Diplôme universitaire : D.U. de gérontologie 5

Expérience professionnelle : Gériatrie et long séjour (comme aide soignante avant 2004, puis 6

ensuite comme infirmière). 7

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 8

infirmier ? 9

Alors pour moi le soin infirmier… c’est dans un premier temps tout ce qui est relation, 10

instaurer la relation avec le patient, apprendre à le connaitre. Même si je suis dans la 11

technique et dans l’exécution du soin infirmier prescrit par le médecin, je tente de le faire 12

avec beaucoup d’humanité… je suis dans la relation. Je suis référent dans le service des 13

étudiantes infirmières et j’essaie de faire passer ce message. Même si on travaille de façon 14

rapide il faut essayer de mettre un peu de chaleur dans le soin. C'est-à-dire, toujours mettre 15

des mots sur ce que l’on va faire en essayant de savoir si cela va bien, si le patient a bien 16

dormi. Mais aussi travailler en équipe, avec les équipes aides soignantes, ce qui n’est pas 17

toujours évident car elles ont quand même un rôle ingrat. Voilà… je pense que cela résume 18

ma conception du soin infirmier ; le travail d’équipe, après… bien évidemment tout ce qui est 19

coté technique de l’acte infirmier et surtout, prendre les gens comme des gens et pas comme 20

des personnes âgées que l’on va mettre de coté. Par exemple, ce matin, il y avait une patiente 21

qui n’était pas très bien, elle avait mal au ventre. Le fait de dire… « Cela va aller, calmez 22

vous, essayez de souffler… » Le fait d’être là et de prendre sa douleur en compte, de lui dire... 23

« Vous avez mal, ok j’ai compris… » Enfin… le fait d’être là et pas simplement lui donner du 24

Spasfon. Pour moi le travail infirmier il se résume à être là, mais être là pour la personne et 25

pas simplement à donner des Spasfons et puis partir. Comme on est dans un service où il y a 26

beaucoup de travail infirmier, ça va vite… je trouve que les infirmières ne sont pas tout le 27

temps abordables. Lorsqu’on va par exemple dans les tours (services de médecine et 28

chirurgies) et que l’on va vers une infirmière… elle n’a pas le temps. Elle n’a pas le temps au 29

niveau des patients, elle n’a pas le temps au niveau des visites. Relation, communication, 30

disponibilité, travail d’équipe, faire passer les infos et travailler dans une harmonie, voilà 31

comment je perçois le soin infirmier… même si c’est dans l’idéal des choses. Voilà… et je 32

Page 149: « Science infirmière » ou « science appliquée

38

pense que j’ai choisi le long séjour pour ça, parce qu’ailleurs ce n’est pas toujours faisable. Et 33

puis, bien évidemment après, tout ce qui est exécution des soins infirmiers. 34

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 35

pour vous une science infirmière ? 36

Une science infirmière… c’est tout le savoir infirmier. C'est-à-dire des connaissances sur les 37

pathologies, sur les traitements. De faire les choses… enfin… qu’il y est des liens dans tout ce 38

que l’on fait. C’est vrai que cela peut nous arriver lorsqu’on donne un traitement, que l’on ne 39

sait pas trop… tout à l’heure cela m’est arrivé et bien j’ai téléphoné au médecin en lui disant ; 40

« là c’est bizarre, je ne comprends pas la prescription, deux grammes d’Aspégic… ». Voilà… 41

c’est quand il y a des choses qui nécessitent de faire les liens entre les connaissances et le 42

patient, que ce soit au niveau de la pathologie, de la biologie, de la pharmacie… 43

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 44

Les sciences humaines ? Comme l’enseignement pendant les études ? Non… ça n’a pas 45

raisonné, ça n’a pas été quelque chose qui m’a apporté énormément. C’est un peu paradoxal 46

parce que je me dis non et à côté de ça… oui… enfin… je dis que je suis sensible à tout ce qui 47

est relation, communication et que c’est très important. D’un autre côté je vous dis que les 48

cours en eux-mêmes m’ont… peut être que oui… je vais vous dire oui en fait. Je vais vous 49

dire oui parce que si on met tout cela sur la table cela veut dire que devant nous on a 50

quelqu’un, quelqu’un qui n’est pas qu’un patient mais un individu. C’est nécessaire, mais je 51

pense qu’il faut que ce soit des cours simples, accessibles, que l’on est le temps de les 52

assimiler. J’ai le souvenir que c’était très lourd, ce n’était pas assez simplifié. Je pense que je 53

vais vous dire oui quand même. J’ai quand même le souvenir de la lourdeur de ces cours 54

même si rétrospectivement on va repenser à des choses… Là, c’est vrai que l’on m’avait dit 55

en cours… c’est vrai qu’il a raison, donc forcément oui, donc je vous dis oui. J’ai 56

l’impression cependant que l’apport théorique des sciences humaines ne m’a pas servi au 57

niveau pratique. Le reste (les autres connaissances) on peut le prendre pour l’appliquer. Moi 58

je n’ai pas eu l’impression d’avoir pris la théorie des sciences humaines pour l’appliquer… 59

pour la mettre en pratique. Il y a des gens qui sont dans la communication, d’autres qui le sont 60

moins, d’autres qui ne le sont pas du tout. Moi je n’ai pas eu l’impression d’avoir besoin de la 61

théorie. J’étais aide soignante et j’étais déjà comme ça… je n’avais pas eu d’apports en 62

sciences humaines. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé. Je pense qu’il y a des profils de 63

poste, il ya des gens qui sont à l’aise en psychiatrie et d’autres en soins généraux. L’apport 64

des sciences humaines… il y a des gens qui en ont plus besoin au niveau théorique. Je n’ai 65

pas besoin d’aller ouvrir mes cahiers de sciences humaines pour me dire que là, j’ai un 66

Page 150: « Science infirmière » ou « science appliquée

39

problème. Il me semble que de façon naturelle je peux régler ce problème. Je pense par contre 67

que sur le terrain, dans certaines situations que l’on peut rencontrer, des cours de sciences 68

humaines pour nous expliquer pourraient nous aider. Cela me parait important sur le terrain, 69

mais si on n’a pas la chance d’avoir un interlocuteur qui nous explique ce n’est pas pour cela 70

que l’on va ouvrir nos cahiers de sciences humaines. Enfin… moi je ne le fais pas. Les 71

sciences humaines sont nécessaires, un petit peu à l’école mais… surtout cultivées sur le 72

terrain. Les sciences humaines… c’est vrai qu’il en faut mais je pense qu’il y a un profil de 73

personne. Il y a des personnes qui vont être naturellement dans la relation, la communication 74

ou alors, il ya des patients qui vont vous dire ; « celle là elle n’est pas souple, elle est raide ». 75

Il y a des infirmières qui vont être plus dans l’exécution du soin. Dans l’expérience que j’ai, 76

même au travers des élèves que l’on peut voir, on se dit, celle là elle est faite pour ça, celle là 77

elle ne sera pas commode. Et je pense que l’on peut leur donner des kilos de sciences 78

humaines, ça va peut être un peu les aider, mais il y a le côté inné qui est là. On entend parfois 79

des personnes âgées… et bien justement juste avant de vous voir, une patiente à qui je dis ; 80

« ça va, vous êtes bien avec nous ? », elle me répond « oui, ça va dans la globalité, mais il y a 81

des infirmières qui ne sont pas souples ». Ce qui me vient là surtout, c’est que les sciences 82

humaines il faudrait les avoir sur le terrain. Je pense qu’à l’école d’infirmière, c’est bien, 83

c’est super, c’est génial, mais il y a tellement de choses que je les ai oubliées les sciences 84

humaines. Je ne sais plus ce qu’on y met dedans, je les ai oubliées. On devrait avoir des 85

sciences humaines, mais sur le terrain. J’ai un peu honte de dire ça… de dire que je ne me 86

souviens plus des sciences humaines. Je dois les avoir survolées, mais je pense que c’est 87

quelque chose qui doit… comment dire… comme un jardin, qui doit se cultiver. Sinon, on le 88

perd, on arrive, on est parachuté… le stress, les patients, les exigences des médecins et puis 89

voilà… les sciences humaines, elles n’ont plus trop de place en fait. 90

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 91

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 92

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 93

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 94

D’abord, le mot soin ne me plait pas, cela donne l’impression d’être dans l’exécution du soin. 95

Donc je préfère sciences infirmières au pluriel. Le mot soin pour moi, c’est le soin exécution, 96

et il n’y a pas que cela. Moi, je considère qu’il y a beaucoup de choses dans le travail 97

infirmier. La place semble être prise uniquement par le soin et il n’y a plus de place pour la 98

relation et la communication. Il faut de la place pour autre chose. C'est-à-dire des sciences 99

Page 151: « Science infirmière » ou « science appliquée

40

infirmières au sens large. Cela mérite un pluriel, il ya et les connaissances et le côté savoir 100

être, savoir faire, le savoir paraître. On peut tout mettre dedans. 101

Page 152: « Science infirmière » ou « science appliquée

41

Entretien infirmier N°3 : Léna 1

Age : 23 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : juin 2008, Etudes infirmières à Bruxelles. 4

Expérience professionnelle : Quelques mois en neuro-rhumatologie et en long séjour gériatrie 5

depuis 15 jours. 6

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 7

infirmier ? 8

La prise en charge dans la globalité : au niveau psychologique, au niveau physiopathologique 9

et au niveau environnemental. Prendre en charge le patient, c'est-à-dire, lors du pansement par 10

exemple, expliquer ce que l’on fait, essayer de le mettre en confiance, expliquer la totalité du 11

soin pour éviter qu’il soit anxieux parce que cela se répercute sur la douleur. Après il y a le 12

soin technique. Mais aussi, lorsque la famille est là, qu’elle pose des questions, il faut donner 13

un compte rendu assez complet de l’évolution par rapport au soin. Je ne sais pas si j’ai été 14

complète ? C’était la réponse… ? Enfin… le soin infirmier c’est prendre en charge le patient 15

dans les trois dimensions, physiopathologique, psychologique et socioculturelle. Nous on a 16

appris comme ça, toutes nos prises en charge… c’est toujours dans les trois dimensions. 17

Lorsqu’on fait nos rapports de stages il faut toujours décrire dans les trois dimensions. La 18

prise en charge du patient c’est toujours les trois dimensions. 19

Aujourd’hui, vous les repérez dans le soin ces trois dimensions ? 20

Oui… pendant trois ans on a utilisé en permanence cette méthode… à force… oui. C’est une 21

vision pour le soin. Le soin englobe tous ces aspects. 22

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 23

pour vous une science infirmière ? 24

L’idée de comprendre… comprendre pourquoi les traitements sont mis en place, pour quelles 25

raisons des examens sont prescrits. C'est-à-dire essayer de comprendre tout ce qui est mis en 26

place par le médecin, pourquoi on le fait et pour quelles raisons. Les sciences infirmières c’est 27

comprendre le but de tous les examens prescrits par le médecin. C’est comprendre le 28

cheminement du diagnostic médical. 29

Pour vous, quelle est l’utilité des sciences humaines dans le soin infirmier ? 30

Euh… les sciences humaines… cela veut dire quoi ? Tout ce qui est anatomie... je ne vois pas 31

trop ? (Rappel des disciplines des sciences humaines) C’est important… je prends un exemple 32

en fait, lors de mes études cela m’avait un peu étonné. Par exemple, voir lors d’un DC d’un 33

Page 153: « Science infirmière » ou « science appliquée

42

patient toutes les choses qui semblent importantes pour la famille ; les positions du malade, 34

les objets qui sont disposés à côté. C’est important pour les soignants de connaître un petit 35

peu ce qu’il en est… on est dans une société multiculturelle, donc il faut quand même 36

comprendre un peu tout ce qui se passe autour. Je pense que c’est important de voir tout ce 37

qui n’est pas dans notre culture. Par contre, pendant les études on a fait de la relation d’aide… 38

mais moi je pense que c’est logique. Les cours me semblaient tellement logiques… Expliquer 39

qu’il faut être à l’écoute du patient, c’est en fait la base du travail du personnel soignant. Non 40

cela ne m’a pas apporté énormément en fait. Pour celui qui veut faire cette profession cela 41

paraît naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on veut être infirmière ou aide soignante. 42

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 43

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 44

humaines ? 45

Il y avait quelque chose qui m’avait un peu étonné… c’est par rapport à la prise en charge de 46

la douleur. Par rapport aux cultures des personnes… la prise en charge de la douleur peut être 47

différente. En cours d’anthropologie on avait vu qu’il existait un syndrome méditerranéen. 48

Ces personnes, déracinées et un peu perdues par rapport à leur pays, lors d’une hospitalisation 49

ont tendance à exagérer la douleur. On rencontre beaucoup de cris, de pleurs, avant même 50

qu’on les touche… une grande exagération de la douleur. Les sciences humaines sont utiles 51

car dans cet exemple on est déjà au courant de ce qui peut arriver. Mais je n’ai pas une grande 52

expérience, j’ai du mal à avoir de la distance. 53

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 54

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 55

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 56

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 57

Je pense plutôt à des sciences en soins infirmiers, plutôt le soin, même la parole, le fait de 58

rassurer est inclus dans le soin infirmier. Tout est soin en fait. Tout est soins au pluriel.59

Page 154: « Science infirmière » ou « science appliquée

43

Entretien infirmier N°4 : Hugo 1

Age : 24 2

Sexe : H 3

Diplôme d’Etat : 2007 4

Expériences professionnelles : Unité d’accueil et de crise en psychiatrie depuis le diplôme. 5

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 6

infirmier ? 7

Pour moi le soin infirmier est une prise en charge du patient qui vise à améliorer son état… 8

dans le respect des règles évidemment. C’est avant tout prendre soin du patient et lui 9

permettre d’accéder à quelque chose de plus évolué. Permettre au patient de passer une 10

épreuve ou une étape qu’il ne peut gérer seul. Pour moi, le soin infirmier se représente à 11

travers cela, du moins en psychiatrie. Après, je pense que pour les soins généraux ou la 12

psychiatrie la définition du soin infirmier va être différente par la pratique et par les objectifs. 13

C’est ma conception, je pense que l’exercice infirmier en psychiatrie et en soins généraux 14

constitue deux métiers différents, les prises en charges sont spécifiques. En psychiatrie je 15

parlerai plus de soins infirmiers relationnels. Tout acte, tout soin en psychiatrie est réfléchi à 16

travers un objectif. Cela peut prendre la forme d’une partie de ping-pong avec un patient mais 17

également une réfection de lit. Ce n’est pas forcément possible en soins généraux, la réfection 18

du lit, ici, sera d’éviter les escarres. La part d’hygiène aussi n’est pas la même en psychiatrie 19

et en soins généraux, on n’est pas aussi à cheval sur l’hygiène en psychiatrie. Il me semble 20

que la conception du soin est complètement différente. Je pense que ce n’est pas pour rien que 21

les deux diplômes étaient séparés avant 92, pour moi cela reste deux métiers différents. Il y a 22

une particularité… particularité relationnelle en psychiatrie. Je pense qu’il faut avoir une 23

bonne pratique du relationnel, on ne peut pas rentrer en contact de la même façon avec le 24

patient en psychiatrie et en soins généraux. C’est difficilement descriptible pour moi, là… à 25

chaud. Le soin infirmier, c’est l’aide à la personne. C’est difficile à expliquer. Pour moi le 26

soin c’est une aide que l’on apporte à une personne, avec ce que l’on a et ce que l’on est. Le 27

soin sera singulier en fonction de chaque personne, et de l’intervenant et de la personne à 28

laquelle le soin s’adresse. Moi je le vois comme ça. 29

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 30

pour vous une science infirmière ? 31

Une science infirmière ? Pour moi une science infirmière c’est l’existence d’une recherche 32

infirmière. C'est-à-dire qu’il y est une réflexion sur le soin et que l’on ne reste pas sur des 33

Page 155: « Science infirmière » ou « science appliquée

44

connaissances antérieures. C’est une remise en question. C’est aussi des perspectives… 34

comme dans certains pays comme au Canada par exemple. Cela donne plus de débouchés en 35

termes de travail, par rapport au soin, par rapport aux nouveautés mises en place. Pour moi 36

c’est quelque chose de nécessaire car la réflexion de fait existe, au niveau des soins, au niveau 37

des protocoles. Vis-à-vis de ça j’ai des problèmes. C'est-à-dire que j’ai l’impression qu’une 38

grande partie de cette réflexion, c’est des personnes extérieures à l’hôpital qui la mette en 39

place. C'est-à-dire que ça ne correspond pas du tout à la réalité du terrain. Je pense que c’est 40

aux acteurs du soin, aux soignants, que revient la mise en œuvre de recherches. Et non à des 41

personnes dont on se demande si elles ont vu des patients depuis 20 ans. Parfois j’ai 42

l’impression que les lois… heu… oui les lois… parce qu’on applique cela comme des lois, au 43

niveau des règlements, des prises en charge, cela parait inadapté, inapproprié. Ce sont les 44

personnes qui sont au quotidien avec les patients qui peuvent dire ce qui peut être bénéfique 45

ou pas pour le patient. Il faut avoir une certaine proximité, une certaine conscience de la 46

réalité, pour se permettre de proposer des changements. Derrière le terme de science 47

infirmière j’entends qu’il y aura peut être davantage une prise en compte de la réalité. Je suis 48

jeune dans la profession… moi le regard que j’en ai c’est ça. Parfois cela fait peur… je peux 49

vous donner un exemple à travers la mise sous surveillance vidéo des chambres d’isolement. 50

La majorité des patients mis en chambre d’isolement sont ultra-attentifs à tout ce qu’il peut y 51

avoir dans la chambre. Le seul œilleton sur la porte… ils prennent cela pour une caméra. Et 52

qu’est ce que l’on fait… on installe une caméra dans la chambre, bien en vue. Comment ne 53

pas faire flamber un patient avec ça ? J’ai du mal à comprendre la réflexion. C’est la même 54

chose pour le projet GPS à tous les patients hospitalisés d’office. Comment équiper d’un GPS 55

un parano qui est parfaitement persuadé qu’il est observé et surveillé en permanence ? 56

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 57

Disons que les sciences humaines c’est très global comme terme. Cela passe par le 58

développement de l’enfant, les relations entre les personnes… c’est vraiment très vaste. Je 59

pense que pour le soin infirmier il est indispensable d’avoir des connaissances en sciences 60

humaines, d’avoir un apport théorique en sciences humaines. Cela donne des pistes pour 61

entrer en contact avec certaines personnes, pour expliquer certaines choses. Moi je n’étais pas 62

un grand fervent et admirateur des sciences humaines à l’école et plutôt à mon grand regret. 63

Maintenant, je me rends compte que c’est quelque chose qui est très utile. Cela donne des 64

pistes quant aux relations que l’on pourrait avoir avec certaines personnes. C’est l’impression 65

que j’en ai. Les sciences humaines je trouve que c’est très large… mais c’est important. C’est 66

Page 156: « Science infirmière » ou « science appliquée

45

à cela que l’on touche en étant soignant, on est perpétuellement dans des relations avec les 67

patients, les familles et les collègues. 68

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 69

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 70

humaines ? 71

Tous les jours on utilise des sciences humaines pour pouvoir travailler. Même au-delà du 72

travail… à tel point que l’on ne s’en rend même plus compte. Je veux dire… on est en 73

perpétuelle utilisation des sciences humaines. Pour moi c’est évident… j’ai envie de dire, le 74

soin infirmier est une science humaine en lui-même. On est en contact de la personne. J’ai 75

l’impression d’en utiliser tous les jours, que ce soit pour calmer un patient… pour moi tout est 76

emprunt de sciences humaines. Décrire un soin particulier… cela peut être une simple prise de 77

sang le matin au lever. Il faut faire preuve de psychologie pour réussir une prise de sang. Il 78

faut passer par certaines tactiques… et à travers ça, c’est des sciences humaines. Cela peut 79

être pour une prise de traitement tout simplement… j’ai l’impression que cela occupe 80

tellement de champs que c’est difficile à décrire. 81

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 82

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 83

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 84

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 85

Sciences en soins infirmiers au pluriel. Sciences au pluriel et soins au pluriel. Le mot 86

infirmier pour moi regroupe plusieurs disciplines, alors parler d’une science cela ne me parait 87

pas logique. Pourquoi soin ? Parce que la science… elle n’est pas infirmière… c’est les soins 88

qui sont infirmiers. Moi c’est la vision que j’en ai. 89

Page 157: « Science infirmière » ou « science appliquée

46

Entretien infirmier N°5 : Gilles 1

Age : 30 2

Sexe : H 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 2003 4

Expériences professionnelles : Quelques mois au S.M.A (service médical d’accueil), S.I.C. 5

(soins intensifs de cardiologie), au bout de 2 ans essai d’une expérience libérale pendant 4 6

mois avec une mise en disponibilité de l’hôpital, retour au S.I.C après cette expérience. 7

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 8

infirmier ? 9

C’est une question assez complexe. Comment pourrait-on le définir assez facilement le soin 10

infirmier ? Je pense que c’est mettre en rapport des soins très spécifiques… tout en gardant la 11

globalité de la personne. Cela comprend à la fois tout ce qui est rôle propre, tout ce qui est sur 12

prescription, mais aussi tout ce qui existe autour, notamment la relation d’aide… ce genre de 13

chose, avec l’éducation du patient. C’est essayer de soigner des patients pour des pathologies 14

spécifiques, sans oublier que ces patients sont des personnes à part entière à considérer dans la 15

globalité. Il faut adapter les soins en fonction de la personnalité du patient et pas uniquement 16

en fonction de la spécificité de la pathologie. Cela me semble important dans les soins 17

infirmiers car on est le maillon le plus près… c'est-à-dire au contact du patient. On peut 18

beaucoup plus facilement le voir comme une personne et non seulement comme un patient 19

avec une pathologie à soigner. Il faut tenir compte du contexte du patient, de sa personnalité. 20

Il faut également appréhender ce que va déclencher la pathologie pour le devenir. Voilà… la 21

globalité. 22

Si vous deviez raconter à un ami ou à votre famille ce qu’est le soin infirmier, que leurs 23

diriez-vous ? 24

C’est vrai que c’est toujours assez délicat à définir, cela comprend tellement de choses… Ce 25

que les gens ont à l’esprit, c’est davantage le rôle prescrit que le rôle propre. C'est-à-dire 26

injecter des produits, distribuer des médicaments, prendre les tensions alors que c’est 27

beaucoup plus compliqué que ça. C’est vrai que j’ai du mal à définir en quelques mots le soin 28

infirmier… ce n’est pas facile. En général cela fait un genre de petit listing de tout ce que l’on 29

fait sur une journée. A résumer… j’ai quelques difficultés. Ce n’est pas faute d’avoir réfléchi 30

à ma pratique et peut être que, justement, cela m’amène à appréhender les choses de façon 31

assez profondes et du coup, c’est un peu plus difficile à définir de façon très simple. 32

Page 158: « Science infirmière » ou « science appliquée

47

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33

pour vous une science infirmière ? 34

J’ai du mal à imaginer ce que pourrait être un autre schéma que celui de mes études à 35

l’institut. Actuellement c’est assez complet et on a à la fois ce qui est vraiment la technicité du 36

rôle infirmier (les injections, les prises de tension, tout le quotidien des prescriptions 37

médicales) mais aussi l’aspect psychologique du travail (la relation d’aide et toutes ces choses 38

là). S’il y avait une science infirmière… ce serait essayer d’adapter le soin au patient en fait. 39

D’avoir cette faculté là, d’adapter le soin en fonction de la spécificité de la personne. Est-ce 40

que c’est vraiment une science infirmière ? Est-ce que ce n’est pas le propre de tout ce qui 41

devrait se faire lorsque l’on est au contact du patient ? Une science … c’est un savoir, une 42

connaissance objective avec laquelle on peut travailler. C’est déjà ce que l’on fait dans les 43

écoles infirmières… il me semble. Pour moi, il n’y a rien de nouveau. Je trouve que c’est 44

assez complet déjà. Je ne vois pas… ou alors, peut-être, pour harmoniser les enseignements 45

des différents instituts au niveau national. 46

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 47

C’est très important… je trouve que c’est la base de tous les métiers au contact de l’humain. 48

Au niveau infirmier c’est très important car cela permet d’objectiver des choses que l’on 49

ressent plus ou moins de manière sensitive. Cela nous permet de mettre des savoirs objectifs 50

sur justement… comment aborder tout l’aspect psychologique et relationnel au travail. C’est 51

très important les sciences humaines par rapport à cela, dans mon service et même ailleurs. A 52

mon avis, cela permet d’expliquer clairement des choses qui, parfois, relèvent du ressenti. 53

Cela permet de voir, en fonction du contexte de la personne, comment aborder le soin avec 54

cette personne en particulier. C'est-à-dire appréhender différents profils. C’est un outil 55

nécessaire même si moi je suis en général plutôt sensitif. Cela permet d’adapter son soin. 56

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 57

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 58

humaines ? 59

Je n’ai pas d’exemples bien précis… mais assez régulièrement il m’arrive d’être confronté à 60

des personnes agressives. On a tendance à idéaliser le patient, on veut tellement aider que l’on 61

idéalise le patient. C’est quelqu’un qui va être très gentil avec nous puisque nous, on va être 62

très gentil avec lui. Il m’est parfois arrivé face à un patient un peu agressif de me souvenir des 63

cours de sciences humaines où les enseignants nous disaient ; « n’oubliez pas que parfois 64

vous serez face à des patients difficiles à soigner ». Cela arrive tous les jours et pas seulement 65

à l’hôpital. C’est aggravé à l’hôpital du fait que l’on n’est pas très bien et que l’on ne vient 66

Page 159: « Science infirmière » ou « science appliquée

48

pas à l’hôpital pour le plaisir. Tout cela fait que nous sommes amenés à voir des gens qui 67

peuvent être agressifs. Des gens qui sont sous une autre forme de rapport et d’intérêt que 68

nous, des gens parfois racistes… voilà… plein de choses qui peuvent déranger. Malgré tout 69

on est là pour soigner, cela permet d’avoir ce recul que sans doute parfois il serait difficile 70

d’avoir. Face à de telles situations il m’arrive de me rappeler de certains cours et donc parfois, 71

d’aborder la chose autrement. On sort du sensitif, de l’affect, on est sur quelque chose 72

d’établi. 73

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 74

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 75

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 76

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 77

Science en soin infirmier cela me semble reléguer juste au soin infirmier. Ensuite une science 78

ce n’est pas au pluriel…. mais je préfère mettre la science au pluriel malgré tout… tout au 79

pluriel, sciences infirmières au pluriel. 80

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81

Je n’étais pas du tout au courant des questions que vous alliez me poser, je pense que c’est un 82

peu le but aussi… ce qui fait que par moments j’ai peut être un peu répondu à côté. 83

Page 160: « Science infirmière » ou « science appliquée

49

Entretien infirmier N°6 : Nadine 1

Age : 44 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1986 4

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Cancérologie, chirurgie uro, infirmière libérale, médecine 5

préventive, rééducation cardiaque et moyen séjour depuis 8 ans. 6

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 7

infirmier ? 8

Le soin infirmier pour moi, ce serait d’expliquer un peu plus au patient ce que l’on fait pour 9

lui. C'est-à-dire, être plus dans le relationnel et dans l’éducatif que dans le soin technique 10

comme je pouvais l’envisager lorsque j’ai passé mon diplôme en 1986. Je ne sais pas si vous 11

parlez du soin technique ou bien du soin en général. Le soin… plutôt dans la discussion avec 12

les gens à qui je vais faire mon soin. S’il est technique, je vais expliquer ce que je vais faire. 13

Au niveau de la pathologie… c’est l’éducation, pour la suite en fonction des interventions 14

qu’il a subies. Par exemple, en rééducation cardiaque on demande de changer d’hygiène de 15

vie à la suite de ce qui est arrivé. C’est vrai que je n’ai jamais réfléchi à la définition… pour 16

moi le soin infirmier cela peut être le fait de lever une grand-mère comme cela peut-être le fait 17

de poser une perfusion pour passer un produit par voie veineuse. C’est très large… je ne sais 18

pas le définir. Moi je pense que le soin infirmier passe par l’explication du soin… la 19

coopération du patient est à ce prix. Lorsque le patient sait ce qu’il risque ou pas… c’est plus 20

facile de participer au soin. Par exemple un mauvais accueil d’un patient dans un service… 21

l’hospitalisation va être différente. Si on explique, qui on est, pourquoi on est là, quelles sont 22

les personnes qui vont assurer la prise en charge et comment cela se passe… le patient sera 23

plus confiant et nous on aura de meilleures relations. Le séjour se passera mieux. Je m’en suis 24

aperçu… mais tardivement. Si le patient à confiance il aura moins mal, il sait que l’on est là et 25

que l’on répondra lorsqu’il voudra, qu’on est disponible. La notion de confiance pour moi… 26

si on ne l’a pas cela complique les choses. Pour cela, il faut lui montrer que l’on est prêt à 27

l’écouter, à lui répondre, à lui expliquer… après tout est possible. En fait je ne sais pas ce que 28

vous appelez le soin infirmier… c’est aussi l’exécution d’une prescription médicale. Moi j’ai 29

toujours discuté les prescriptions en général… pour comprendre et aussi parce que je ne suis 30

pas toujours d’accord. Les soins infirmiers… oui, les soins techniques. Il y en a plein des 31

soins. Le soin infirmier c’est aussi faire des actes techniques. 32

Page 161: « Science infirmière » ou « science appliquée

50

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33

pour vous une science infirmière ? 34

Une science infirmière ? Je ne sais pas… Depuis peu j’ai appris qu’il existait une philosophie 35

par rapport à ce métier… mais honnêtement je ne sais pas du tout. J’ai appris que le soin était 36

basé sur des fondements philosophiques… je ne savais pas, alors que je suis infirmière depuis 37

20 ans. Je n’aurai jamais pu penser qu’un jour on puisse parler de science infirmière. Le 38

métier d’infirmière… scientifique… science… c’est beaucoup plus subjectif que ça pour moi. 39

Le terme de science pour moi est relié à des choses plus concrètes, objectives, explicables par 40

des équations. Mon métier je ne le vois pas comme ça. Science infirmière je demande à voir 41

ce que cela veut dire. 42

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 43

C’est d’être le plus disponible et à l’écoute. Le côté technique du métier est donné à tout le 44

monde je pense. Les gestes techniques, une fois qu’ils sont montrés une ou deux fois ce n’est 45

pas le plus difficile. Après, c’est tous les rapports que l’on peut avoir avec les gens, c’est 46

pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas propre à l’infirmière non plus. C’est une 47

approche vers les autres… oui, c’est peut-être une science humaine d’être à l’écoute, 48

disponible, d’être là quand il faut. On peut être confronté à des choses difficiles et même si on 49

n’accepte pas il va falloir faire avec. 50

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 51

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 52

humaines ? 53

C’est difficile votre question… là où cela m’a manqué les sciences humaines et où cela me 54

manque encore c’est quand c’est difficile, les moments difficiles de fin de vie par exemple. 55

J’ai arrêté les soins palliatifs pour cela. A un moment donné ce n’était plus acceptable pour 56

moi… est-ce que cela s’apprend de pouvoir continuer ? Je ne pouvais plus… et donc je savais 57

que mes rapports avec ces personnes… je pourrai plus. Est-ce que ce n’est pas ses propres 58

limites aussi ? Est-ce que les sciences humaines peuvent nous permettre de connaître nos 59

limites ? Je ne sais pas. Les sciences humaines je ne sais pas ce que vous y mettez dedans. 60

Moi je n’ai pas appris les sciences humaines à l’école. Peut-être un peu de psychologie… 61

mais très peu. Par contre on m’a parlé qu’il existait au niveau de l’éducation du patient une 62

approche qui pouvait se faire et ne pas se faire. Si on voulait bien sur arriver à notre objectif 63

de convaincre les gens sans les culpabiliser. Et ça, je me rends compte… l’éducation ça a l’air 64

très simple comme ça… il suffit de dire ce qu’il faut faire et ne pas faire et en fait cela ne 65

marche pas comme ça. Et ça je l’ai appris dernièrement, on m’a dit qu’il y avait des cours 66

Page 162: « Science infirmière » ou « science appliquée

51

dans votre institut qui sont donnés par quelqu’un, qui permettent de dire aux patients sans les 67

culpabiliser comment il faut faire. Ces cours peuvent m’intéresser… l’éducation ça à l’air très 68

simple mais en fait c’est très compliqué. Dire à quelqu’un d’arrêter de fumer… il faut y 69

arriver. C’est intéressant de savoir qu’il y a des moyens de dire aux gens que l’on peut 70

changer de façon de vivre sans les culpabiliser par rapport à ce qui leur est arrivé et, du coup, 71

arriver à ce qu’ils changent de manière de vivre. C’est bien aussi d’arriver à ce que l’on 72

veut… qu’un patient opéré d’un pontage ne récidive pas trois années plus tard… c’est 73

dommage. On essaie de faire les choses au mieux… c’est comme pour un pansement 74

finalement. C’est vrai que je n’ai pas trop suivi de formation en dehors de mon diplôme, je 75

suis surtout sur mes acquis et mon expérience. C’est bien de savoir qu’il y a des moyens qui 76

font que l’on peut y arriver. 77

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 78

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 79

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 80

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 81

A le faire… autant l’appeler la science infirmière… j’ai l’impression que cela sera plus ouvert 82

sur différentes disciplines. Soin infirmier pour moi c’est trop restrictif, personnellement je le 83

vois exclusivement comme un soin technique, soin infirmier… je n’arrive pas à l’expliquer 84

autrement. La science infirmière… c’est peut-être davantage axé sur des concepts 85

philosophiques, psychologiques… Donc, la science infirmière au singulier. 86

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 87

Non… mais j’aurai aimé que vous me donniez les réponses. Un soin infirmier… qu’est ce que 88

c’est pour vous ? 89

Page 163: « Science infirmière » ou « science appliquée

52

ANNEXE 4

Page 164: « Science infirmière » ou « science appliquée

53

Grille d’entretien

(Entretiens cadres soignants)

Age :

Sexe :

Diplôme d’Etat :

Diplôme Cadre de Santé :

Diplôme Universitaire :

Expériences professionnelles :

- Exercice Infirmier Diplômé d’Etat :

- Exercice Cadre Soignant depuis :

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin

infirmier ? Revenir à sa pratique.

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour

vous une science infirmière ?

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences

humaines ?

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,

comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?

Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins

infirmiers au pluriel ?

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Page 165: « Science infirmière » ou « science appliquée

54

Entretien cadre Soignant N°1 : Laurence 1

Age : 38 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1992 4

Diplôme Cadre de Santé : 2003 5

Diplôme Universitaire : Licence AES 6

Expériences professionnelles : 7

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Médecine et chirurgie 8

Exercice Cadre Soignant depuis 2003 : Médecine, chirurgie et rééducation fonctionnelle. 9

Long séjour depuis septembre 2008. 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Alors ma conception du soin infirmier… le soin infirmier c’est prendre en charge un patient, 13

sur le plan technique (tous les actes techniques) et sur le plan relationnel (la relation d’aide). 14

C’est une prise en charge globale… voilà. Le soin infirmier tourne autour de ça. A chaud, 15

comme ça, je vous dirais soin technique et soin relationnel. La conception du soin c’est avec 16

des valeurs ; le respect de la personne, tenir compte de ses droits… voilà… tout ce qui va 17

avec. Le soin infirmier comporte cette approche globale… qui tient compte des habitudes de 18

vie, du rythme des patients. Ce n’est pas juste un soin technique, pour moi il y a autre chose… 19

une approche humaine. Ce n’est pas tellement reconnu…. Enfin ce qui n’est pas reconnu c’est 20

la présence que cela exige auprès d’un patient. Pour 33 lits il nous faut tant d’infirmières… 21

oui mais par rapport à quoi par rapport à des soins techniques. Je ne pense pas que le temps 22

relationnel soit pris en compte dans un service vu la charge de travail que l’on demande aux 23

infirmières au niveau de l’organisation administrative. Le temps passé auprès du patient dans 24

la relation, je pense qu’il n’est pas assez valorisé. On passe à côté de beaucoup de choses 25

quand on est soignant parce que la charge administrative, logistique, malheureusement prend 26

du temps sur le temps du soin. Le soin infirmier c’est beaucoup d’aide et de relation et ce 27

n’est pas seulement des actes en série selon la prescription médicale. Ce n’est pas que ça, à 28

mon sens. L’infirmière est là pour identifier les besoins et faire remonter les informations, les 29

observations au médecin. Il y a donc une dimension technique et une dimension relationnelle 30

avec la prise en charge de la famille. Il faut tenir compte de l’environnement affectif, social, 31

familial. 32

Page 166: « Science infirmière » ou « science appliquée

55

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33

pour vous une science infirmière ? 34

Pour moi la science infirmière c’est la question de la recherche, c’est à dire des études 35

réalisées dans le soin infirmier. C’est également la question de la reconnaissance. Si on me dit 36

« science » c’est qu’il y a une recherche derrière, une recherche professionnelle. C’est 37

alimenter la connaissance pour réajuster notre fonction. Si on fait une étude sur, pourquoi le 38

patient accepte mieux son traitement qu’un autre, il y a une recherche derrière. 39

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 40

Les sciences humaines sont importantes justement pour ne pas tomber dans des actes… 41

comment dire… des actes en série. Des actes en série, sans prendre en charge une personne 42

humaine. Même quand c’est une personne démente, grabataire, c’est encore une personne 43

humaine qui a des ressources. Même si comme ça, excusez-moi l’expression, c’est un vrai 44

légume… mais non… il y a toujours quelque chose avec une histoire passée. Les sciences 45

humaines sont importantes et puis cela fait réfléchir, on a une approche différente de la 46

personne. Prendre soin, ça a une dimension énorme, il faut l’intégrer. Les sciences humaines 47

cela apporte un plus au concret. 48

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 49

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 50

humaines ? 51

Peut-être dans l’approche d’un patient agité, agressif. Ou bien alors tout simplement dans 52

l’accompagnement d’un patient en fin de vie par exemple. Il faut bien avoir une certaine 53

distance ou un recul avec des connaissances autour du deuil, de l’approche de la mort. Le 54

patient agité, parce que s’il y a agitation il doit bien y avoir quelque chose derrière… 55

Concrètement ce n’est pas facile à identifier… ce n’est pas facile… on ne peut pas l’avoir 56

avant cette question ? Oui… même dans l’approche d’un patient en fin de vie, qui va mourir, 57

cela peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les étapes… les 58

différentes étapes. Cela nous aide à gérer une situation de soin difficile… gérer au mieux. 59

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 60

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 61

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 62

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 63

Sciences en soins infirmiers au pluriel. Pour moi un soin infirmier ne se résume pas à une 64

seule chose. C’est tellement varié, il y a une multitude de choses. 65

Page 167: « Science infirmière » ou « science appliquée

56

Entretien cadre Soignant N°2 : Yves 1

Age : 53 2

Sexe : H 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier de Secteur Psychiatrique : 1979 4

Diplôme Cadre de Santé : 2007 5

Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Uniquement dans des services de psychiatrie. 7

Exercice Cadre Soignant : depuis 2007 dans une unité d’accueil et de crise en psychiatrie 8

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 9

infirmier ? 10

Le soin infirmier, c’est avoir une relation de confiance le plus tôt possible avec un patient. 11

Plus vite le patient perçoit cette intention, cette attention… plus vite la relation sera établie. A 12

partir de là il est possible de proposer un soin. Le plus important c’est que le patient puisse 13

percevoir cette intention. Pour moi le soin en psychiatrie c’est travailler sur la souffrance, sur 14

le vécu par le patient de sa souffrance. Après, par l’empathie, par tous ces moyens là…. il faut 15

toujours penser à la globalité de la personne, on ne soigne pas un bras, on ne soigne pas une 16

dépression, on soigne la personne. Prendre la personne dans sa globalité et à partir de là on va 17

agir en considérant la personne dans son contexte, dans son environnement. Moi j’ai bien 18

aimé les paradigmes mécanicistes… tout ça. On retrouve à chaque fois la même chose, les 19

paradigmes mécanicistes, constructivistes et socioconstructivistes. En fait tu retrouves chaque 20

fois ces choses là. Le paradigme mécaniciste c’est la pathologie, le constructivisme c’est 21

comment tu vas faire évoluer la personne et le socioconstructivisme c’est l’environnement 22

dans lequel elle vit et comment on va pouvoir interagir. Pour moi, à chaque fois on retrouve 23

ces trois paradigmes et en fait on va composer avec tout ça. Si on fait que du mécaniciste, on 24

va soigner un genou… point. On ne soignera pas bien un genou si on n’a pas pris en 25

considération l’environnement dans laquelle cette personne travaille. S’il s’agit d’un joueur de 26

foot, d’un agriculteur, d’un sédentaire, cela aura une importance dans la finalité. Donc, 27

prendre la personne dans sa globalité et dans son contexte culturel, social… voilà. Il faut 28

toujours se servir de l’environnement… on l’oublie un peu, donc il faut travailler avec les 29

familles. Il n’y a pas que la pathologie, il y a la personne et son environnement. 30

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 31

pour vous une science infirmière ? 32

Page 168: « Science infirmière » ou « science appliquée

57

Quand on vient de la psychiatrie, je m’amuse à dire que l’on est passé de l’époque des druides 33

à l’époque gallo-romaine et ainsi de suite. Avant, tout était par transmission orale, il y avait 34

très peu d’écrits… c’était de l’oral, point. Après on a commencé à écrire un peu et maintenant 35

il faudrait que l’on passe à autre chose. C'est-à-dire que l’on passe à plus de conception du 36

soin. Il y a déjà des gens qui font cela, de plus en plus on écrit. Dans le diplôme d’infirmier 37

l’écriture devient plus élaborée. En trente ans les choses ont évoluées. Entre mon mémoire de 38

psychiatrie de 6 pages sur les unités à l’intérieur de la prison de Fleury-Mérogis et le travail 39

écrit de fin d’études d’aujourd’hui, il y a une différence. Il y a une conceptualisation autour du 40

soin qui permet de valider ce que l’on dit. Donc écrire, conceptualiser, éclairer nos actes… 41

voilà, donner des traces écrites de ce que l’on fait. Notre revendication autour de la 42

qualification de Diplôme d’Etat pour la psychiatrie à l’époque… l’erreur a été de ne pas écrire 43

ce que l’on savait faire, pour valider notre conception du soin. Seulement cela, on ne l’a pas 44

fait, on a d’abord affiché nos revendications. Une science infirmière c’est écrire, c’est 45

communiquer sur nos connaissances, nos pratiques. 46

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 47

Moi je ne connaissais pas trop ce domaine là avant de faire la formation de cadre. Cela a été 48

un éclairage professionnel pour moi de rencontrer les sciences humaines. Même si on disait 49

un peu les mêmes choses parfois en psychiatrie ou en psychanalyse. On retrouvait les mêmes 50

choses. J’ai retrouvé par exemple des concepts en pédagogie que l’on travaillait en 51

psychiatrie. Les sciences humaines c’est une compréhension de ce que l’on fait et à partir de 52

concepts c’est pouvoir éclairer notre pratique et pouvoir la faire évoluer. A partir du moment 53

où l’on s’interroge sur notre pratique on doit pouvoir construire notre identité professionnelle. 54

Ce que je tente de faire avec les équipes maintenant, c’est de faire une petite réunion d’une 55

heure chaque mardi pour parler de nos pratiques, pour les faire évoluer. C’est comme ça que 56

l’on construit son identité professionnelle, j’en suis persuadé. 57

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 58

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 59

humaines ? 60

Sur des choses particulières par exemple comme les chambres d’isolement… les 61

représentations sociales sont intéressantes. Savoir qu’elle est la représentation sociale qu’ont 62

les gens de la chambre d’isolement est intéressant. On peut travailler autour de ça pour arriver 63

à faire bouger quelque chose. On ne peut pas changer les choses, avant il faut savoir ce que 64

cela représente pour la personne. L’enfermement, une protection pour le patient, une 65

protection pour l’équipe ça représente quoi exactement ce lieu de soin particulier ? A partir de 66

Page 169: « Science infirmière » ou « science appliquée

58

ce moment là, si on convoque des concepts particuliers, on peut travailler autour. Si moi je 67

dis… voilà, il faut faire comme ça… ça suffit pas, ça ne fera jamais bouger les choses. Donc 68

tu es obligé de partir de concepts théoriques pour éclairer ce que tu dis. Pour que ce ne soit 69

pas moi, dans ma toute puissance de cadre ou d’infirmier qui dit, il faut faire comme ça. Tu 70

penses comme ça… ok… mais qu’est-ce qui te permet d’affirmer ça. Les sciences humaines 71

peuvent cautionner et expliquer le soin. Expliquer… enfin cela peut permettre de comprendre. 72

Par exemple la théorie sur les groupes restreints, parce que tu as cet éclairage là, de savoir ce 73

qu’est un groupe restreint comment cela fonctionne et bien cela t’aide à gérer une équipe. 74

Donner un lieu pour que les gens puissent parler, que cela ne se fasse pas dans une remise, un 75

placard, lorsque tu as compris cela, lorsque tu as eu des éclairages conceptuels, cela te permet 76

de comprendre des choses qui se jouent à ce moment là dans une équipe. 77

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 78

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 79

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 80

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 81

Au pluriel… c’est vaste. Et puis sciences en soins infirmiers pour recentrer sur le soin, pour 82

que le soin apparaisse. Au pluriel parce que dans le soin les disciplines sont très vastes. 83

Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ? 84

Une profession existe si elle a des écrits, si elle reste dans une tradition orale elle peut mourir. 85

A partir du moment où on écrit on garde une trace, on peut constater une évolution. Les 86

infirmiers doivent écrire pour exister. Lorsque je suis allé au Maroc les infirmiers n’écrivaient 87

pas et ils disaient ; parfois on se sent gardien. Quelle différence entre quelqu’un qui garde et 88

quelqu’un qui donne des soins ? C’est qu’il peut écrire le soin qu’il donne. Il faut écrire pour 89

exister.90

Page 170: « Science infirmière » ou « science appliquée

59

Entretien Cadre Soignant N°3 : Renée 1

Age : 54 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1993 4

Diplôme d’Etat d’Infirmière Puéricultrice : 2003. 5

Diplôme Cadre de Santé : 2006 6

Diplôme Universitaire : Licence AES 7

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Service intensif de cardiologie pendant 3 ans, service 8

d’oncologie hématologie pendant 4 mois, service de pédiatrie. 9

Exercice Cadre Soignant : Faisant fonction de cadre puéricultrice de 2004 à 2005. Exercice 10

cadre soignant puéricultrice depuis 2006 aux urgences pédiatriques. 11

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 12

infirmier ? 13

Alors d’emblée on pense à ce qui est technique. Mais, à l’âge que j’ai, je ne me jette pas trop 14

sur la technique… bien que dans ma carrière le choix du S.I.C. (service intensif de 15

cardiologie) relève certainement de quelques raisons. En fait, très vite, j’ai compris que tout 16

ce qui était du domaine technique était facile, dans le sens où, très rapidement il fallait 17

intégrer la technique pour pouvoir s’en débarrasser. Très vite on veut écarter tout stress, on 18

veut avoir la maîtrise totale de la technicité. Donc, il suffit de s’y donner à fond et ainsi on 19

peut le mettre de côté. Par contre, ce qui est beaucoup plus difficile reste probablement toute 20

la construction professionnelle autour du soin. C'est-à-dire toute la relation au patient, mais 21

aussi la relation à soi. C’est ce qui constitue, de mon point de vue, l’aspect le plus passionnant 22

car on se construit dans la relation au quotidien. Je trouve que le métier est passionnant pour 23

la relation… voilà. Alors maintenant, en tant que cadre, ce n’est plus la relation au patient 24

mais davantage la relation à l’équipe et puis à des tas de gens… des collaborateurs. Si je veux 25

aller plus loin dans le soin… je pense que c’est le don de soi, quoi que l’on en dise… sans 26

retour. Je ne parlerai pas de vocation… mais c’est un peu cela. Je pense que l’on s’accomplit 27

vraiment lorsque l’on à fait le maximum. Je peux en parler en connaissances de causes… je 28

pense ici en particulier à l’accompagnement de fin de vie de jeunes enfants dans le service 29

hospitalisation en pédiatrie. Là, on rentre dans une relation totalement différente du soin. 30

C’est un accompagnement, c’est un soutien. Là, je peux dire que l’on est satisfait de sa 31

prestation, du soin, de soi, au regard de ce que l’on a donné… voilà. Ce qui perturbe un peu 32

les personnes dans les changements qu’on leurs propose, c’est cette crainte, cette angoisse par 33

Page 171: « Science infirmière » ou « science appliquée

60

rapport à l’inconnu. C’est une question de maîtrise de la technique, une fois que l’on connait 34

le matériel et toute la technicité on devient disponible et disposé à vraiment donner ce que 35

l’on a de soi même, pour les patients. Pour moi, c’est la finalité du soin. Tout ce qui est 36

technicité à la limite c’est facile, une fois que c’est intégré… c’est là pour longtemps. A 37

travers la maladie les patients ont des demandes et on le perçoit très bien dans le discours 38

qu’ils nous renvoient. Le geste technique en lui-même doit plutôt être considéré comme 39

l’outil qui permet cette relation. Ils viennent à l’hôpital pour quelque chose de bien précis 40

mais on voit qu’à travers le soin il y a autre chose. Si, en tant que soignant on n’a pas perçu 41

cela… on passe à côté de pleins de choses, on fait son travail comme on va à l’usine, on 42

accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va. Si on va plus profondément 43

dans sa prestation, dans sa… finalement raison d’être, et bien on s’aperçoit… la vie c’est tout 44

ce que l’on reçoit et tout ce que l’on a pu apporter. On va plus loin qu’une prescription. Dans 45

la technique, c’est vrai que l’on s’est acquitté de son devoir, est ce que c’est satisfaisant … je 46

ne sais pas. Alors maintenant, c’est vrai que c’est reposant quelque part, si on est préoccupé 47

personnellement on ne peut pas être disponible, on n’est pas dégagé de pleins d’autres choses. 48

Donc, quelque part cela aide aussi, on se dit je fais au moins mon boulot après je passe à autre 49

chose pour mon compte personnel. Mais quand on n’a pas de souci de quoi que ce soit et bien 50

c’est vrai que… on ne se force pas d’aller au plus profond des choses parce que l’on est 51

disponible, et les patients le sentent bien que vous êtes disponible… alors voilà… la relation 52

se fait comme ça. Il y a plein de choses au-delà de la prescription… sa personnalité, ce que 53

l’on est, ses valeurs, ses qualités. Tout passe dans cette sphère finalement, dans cet espace 54

relationnel. C’est tout ce que l’on est, avec notre singularité, et puis on s’adresse à une 55

personne qui est unique aussi et puis quelques fois voilà… c’est le moment fabuleux, il s’est 56

passé plein de choses par 2 ou 3 mots, on a fait plaisir à quelqu’un… voilà. C’est ce que l’on a 57

pu donner à ce moment là et qui dure parfois quelques secondes, ce que l’on a pu recevoir 58

aussi. C’est la même chose lorsque l’on est cadre vis-à-vis des collaborateurs mais dans un 59

domaine différent. 60

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 61

pour vous une science infirmière ? 62

Je trouve que cela devient quelque chose qui s’intellectualise… la science infirmière. Je 63

trouve que ce n’est pas mal en soi. Certains pourront dire… mais non… on ne sera plus des 64

personnes de terrain, on ne sera plus dans le soin proprement dit. Je pense que, à un moment 65

donné, il faut réfléchir à ce que l’on fait, au sens que l’on donne au soin, au sens que l’on 66

donne à notre métier. C’est vrai que l’on sort de quelque chose qui était traditionnellement 67

Page 172: « Science infirmière » ou « science appliquée

61

dans le faire… l’écriture cela commence mais la réflexion pas trop. Pourquoi ? Peut-être parce 68

que les gens n’ont pas suffisamment de temps, de disponibilité pour s’accorder cette 69

réflexion. En tant que cadre on s’est posé un certain nombre de questions, avec le recul et 70

parce que l’on est plus dans le soin, il est possible de se détacher de tout ça et réfléchir au vrai 71

sens des choses. Mais pour un infirmier sur le terrain, qui donne du soin, qui se donne aussi à 72

travers le soin, s’il n’a pas des moments de recul et de réflexion… la science infirmière… oui 73

je suis pour. Cela fait des têtes pensantes et pas comment dire… du travail sur prescription. 74

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 75

C’est l’ouverture… à des champs dont on ne soupçonne pas… finalement c’est avoir une 76

vision globale des choses. Et c’est vrai que je peux en parler en connaissance de causes. 77

Avant d’être dans la santé… cela fait 16 ans que je suis dans ce milieu… avant, j’avais fait 15 78

ans d’horticulture, de commerce, d’agriculture… voilà. Dans un champ finalement très 79

différent mais toujours en relation avec des tas de gens. En plus, il y a la maturité qui est là, il 80

y a les années… bon bref. Et c’est vrai, que du coup, j’ai une vision des choses différente que 81

quelqu’un qui à débuté sa carrière dans l’hôpital et qui n’est pas sorti des murs de l’hôpital. 82

Cela m’a apporté beaucoup, cela m’a aidé à comprendre les comportements, les gens et à 83

tolérer beaucoup de choses. Je pense que l’apport des sciences humaines dans le métier 84

d’infirmière peut ouvrir les gens à autre chose que vraiment… la connaissance qu’ils ont du 85

milieu. Souvent les gens… ils ont leur vie à L’hôpital, leur vie à la maison, c’est bien cadré et 86

cela ne va pas plus loin. Ma fille a fait ses études d’infirmière dans l’institut à côté de 87

l’hôpital, institut qui propose dans sa formation une place importante réservée aux sciences 88

humaines. Pendant la durée de ses études elle est revenue à la maison. Nous passions 89

beaucoup de temps à discuter. Elle, dans une toute nouvelle perspective professionnelle et 90

moi également, puisque je préparais l’école des cadres. On confrontait nos parcours, nos 91

ressentis, nos impressions. Elle allait au fond des choses et elle se posait toujours des 92

questions sur le sens… voilà… sur le sens du métier d’infirmière, le sens de ceci, le sens de 93

cela. Parce que l’école l’amenait à réfléchir là dessus. En fait, je n’ai pas eu pour ma part ce 94

degré de réflexion dans ma formation et je ne l’aurai pas eu en son absence ou plutôt, s’il elle 95

ne m’avait pas proposé la nature de sa réflexion. On a passé 3 années formidables. Sans doute 96

qu’elle en avait besoin pour se construire et accepter finalement tout ce que le domaine de la 97

santé… tout ce que le terrain allait lui offrir comme travail. C’est à dire tout ce que cela allait 98

lui demander au niveau émotions, au niveau relationnel… à tous ces niveaux. J’ai trouvé cela 99

vraiment très enrichissant. Alors, je pense que les sciences humaines, là… au travers de cette 100

formation… elle avait ce qui fallait et que tout le monde n’a pas. Tout le monde n’a pas cette 101

Page 173: « Science infirmière » ou « science appliquée

62

chance. Je le vois… les soignantes me disent… on ne peut pas faire un acte et partir comme 102

ça… ce n’est pas possible. Il y a toujours quelque chose après, il y a nous, il y a eux… eux qui 103

ont reçu quelque chose de douloureux, en paroles ou en actes. Et donc voilà, cela ne s’arrête 104

pas là, on ne peut pas partir comme ça… on part obligatoirement avec. Du coup les sciences 105

humaines peuvent nous aider à relativiser ou à gérer des problèmes ou à maitriser ou à 106

percevoir ce que veulent les gens. Je pense que cela développe un certain regard, une certaine 107

réflexion… 108

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 109

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 110

humaines ? 111

En particulier avec les enfants… la relation avec un enfant n’est pas comme une relation à un 112

adulte. Il y a une notion d’affect. Bien qu’avec les adultes également… chez les adultes, 113

quand ils vos confient leur vie… dans les soins intensifs, ils frôlent la mort et à un moment ils 114

vous déballent leur vie… Donc, c’est fantastique… il ya des vies fantastiques. Il y a vraiment 115

des gens extraordinaires… mais c’est vrai que l’enfant… Pour des soins que j’ai réalisés… 116

cela sert à partir du moment où il y a eu une communication avant. A partir du moment où les 117

personnes se sont dévoilées un peu. Ils se confient forcément, ils confient leur corps… pas 118

que leur corps… ils nous confient des choses… voilà. Ils nous témoignent de certaines choses 119

et du coup là, on peut enchainer, on peut exploiter tout ce qu’ils nous transmettent. C’est à 120

nous, après, d’approfondir et de rentrer dans cette relation. Là, les sciences humaines, bien sur 121

que ça sert, on a une relation qui est beaucoup plus facile, on a une réponse plus adaptée. 122

Mais il faut que l’on ait matière à développer ça. S’il n’y a pas eu confidence ou témoignage, 123

s’il n’y a pas eu relation on enchaine sur quelque chose. Après, c’est nous qui amenons la 124

personne à rentrer en relation, en communication. Pour prendre un exemple autour de 125

l’intérêt des sciences humaines dans le soin je peux plutôt vous préciser un moment où il me 126

semble qu’elles m’ont fait défaut. On sort en se disant ça a foiré… il me manque des outils. 127

C’est surtout dans les relations qui touchent à la vie, à la mort. Dès que l’on approche cet 128

espace entre les deux, on perçoit bien que l’on est entre la vie et la mort. Et c’est vrai que 129

lorsque l’on se trouve dans cette relation… et bien on n’a rien. Je n’ai plus rien, je n’ai rien à 130

proposer, je n’ai plus rien quoi… tellement je suis moi-même trop prise par l’événement, et 131

voilà… j’ai rien. On pourrait enchainer en disant aux parents, confrontés aux derniers 132

moments de leur enfant… mais je ne sais pas ce que l’on peut dire dans cette situation… je 133

n’ai pas les connaissances. Voilà justement le problème… enchainer en disant bon… voilà… 134

j’ai vu un tel qui disait… et du coup on entraine la personne dans une réflexion et on la laisse 135

Page 174: « Science infirmière » ou « science appliquée

63

avec ça. Je pense que là… les sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire dans ce 136

cas là. 137

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 138

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 139

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 140

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 141

En tout cas au pluriel. Au pluriel parce que c’est pluridisciplinaire… on doit taper dans tous 142

les champs. Au singulier cela nous réduit trop… 143

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 144

Non… mais c’est bien intéressant 145

Page 175: « Science infirmière » ou « science appliquée

64

Entretien Cadre Soignant N°4 : Eva 1

Age : 37 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1993 4

Diplôme Cadre de Santé : 2005 5

Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education, Maitrise de Santé Publique, D.U. 6

de médecine humanitaire. 7

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : 6 ans d’intérim dans tous les services (médecine, 8

chirurgie) en alternance avec des missions humanitaires (Palestine, Egypte, Afrique). Ensuite 9

5 années dans une clinique en soins palliatifs et états végétatifs chroniques (comas dépassés, 10

unité de non éveil). 11

Exercice Cadre Soignant : Depuis janvier 2006 en service d’Hémato-oncologie. 12

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13

infirmier ? 14

Le soin infirmier… alors… le soin infirmier c’est une pratique… des pratiques visant à 15

accompagner une personne dans un parcours thérapeutique. Il s’agit d’évaluer une situation 16

clinique donnée, dans la vie d’une personne, et de l’accompagner au-delà des thérapeutiques 17

médicales… ou en partenariat avec les thérapeutiques médicales. Le soin infirmier c’est 18

également une relation. C’est aussi des compétences… moi je suis très clinique, voilà. Le soin 19

infirmier c’est de la clinique. Après on peut mettre beaucoup de choses autour ; un suivi de 20

l’évolution clinique, de l’éducation thérapeutique, un accompagnement avec des pratiques 21

professionnelles fortes. Le soin infirmier c’est donc des connaissances, des compétences, des 22

savoirs… voilà. 23

Pouvez-vous préciser le terme d’accompagnement dans le soin ? 24

Je pense ici à la cancérologie en particulier. J’ai une pratique essentiellement d’oncologie, 25

curatif et palliatif. C’est vrai que l’entrée dans la maladie cancéreuse d’un patient détermine 26

un projet thérapeutique ou l’infirmier occupe une vraie place. L’infirmier, dans cette 27

proposition faite au patient d’un projet thérapeutique, prend une place prépondérante. En 28

cancérologie, et probablement beaucoup depuis le plan cancer, on a des patients qui sont 29

acteurs. Ils disposent des éléments nécessaires à la prise de décision… ce que l’on appelle le 30

consentement éclairé. Ils sont acteurs dans leur prise en charge… ils ont l’information. Le 31

patient tout au long de son programme thérapeutique passe par différents états cliniques, 32

psychologiques, professionnels… voilà. Le soin infirmier, il doit s’adapter à ces différentes 33

Page 176: « Science infirmière » ou « science appliquée

65

dimensions et proposer un accompagnement. Il faut considérer, ici, la pathologie comme étant 34

une pathologie chronique. Donc, on passe par différentes étapes et différentes phases pour 35

lesquelles cet accompagnement semble indispensable. C’est à dire l’état clinique, 36

psychologique, familial… il y a des retentissements dans toutes les sphères de la personne. Le 37

terrain familial, professionnel, personnel avec ses espoirs… la maladie traverse tous ces 38

champs là. C’est comme cela que je vois l’accompagnement… le soin infirmier doit tenir 39

compte de toutes ces dimensions et il doit faire avec. Il me semble aussi qu’en cancérologie il 40

doit y avoir un vrai partenariat entre le soin infirmier et les aspects médicaux de la prise en 41

charge. Le diagnostic médical détermine une proposition thérapeutique. Personne d’autre que 42

le médecin ne peut le faire. Je crois qu’en cancérologie on se retrouve sur les aspects 43

cliniques. C’est à dire qu’en fait, une infirmière est tout aussi légitime pour interpeller un 44

médecin sur un état clinique qui lui semble non compatible avec la poursuite d’une 45

chimiothérapie par exemple. Aujourd’hui en cancérologie la décision est pluridisciplinaire… 46

c’est très staff, c’est très compréhension d’une problématique. Dans le soin infirmier il y a 47

aujourd’hui une réflexion plus importante sur les aspects que je vous ai cités, c’est à dire 48

social, familial, professionnel… qui montrent des champs où l’on va pouvoir intervenir… en 49

questionnant au moins la prise en charge. Compte tenu de tel ou tel événement, médicalement 50

qu’est ce que l’on peut faire ? 51

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 52

pour vous une science infirmière ? 53

Je tiens à dire dans un premier temps que cela doit être une science qui ne peut être enseignée 54

exclusivement par les médecins, sans que je renie du tout… l’anat-physio on ne va pas 55

l’inventer. Ce que je veux dire, c’est que cette science ne soit pas réduite à des interventions 56

de médecins qui enseignent des pathologies à des infirmières. Il faut en même temps être 57

réaliste, ils garderont une place… et c’est bien, si on fait des choses complètement déliées… 58

après le risque c’est de ne jamais se retrouver sur le terrain. Mais c’est vrai qu’un médecin qui 59

enseigne, comme c’est le cas actuellement, une pathologie, un traitement, une prise en 60

charge… tiens… j’ai un très bon exemple indépendamment de l’enseignement récent. Il s’agit 61

du travail que l’on a fait dans le service où un des médecins a voulu faire un petit fascicule… 62

enfin un truc de poche à l’usage des infirmières qui arrivent dans le service, quelque soit leur 63

expérience ou expertise dans le soin. Ce document était destiné surtout aux nouveaux 64

diplômés ou aux infirmières qui n’avaient aucune expérience en cancérologie. L’objectif était 65

de les aider à se repérer dans les pathologies, les examens demandés, la surveillance 66

infirmière. Il a voulu faire la surprise et puis je l’ai appris par le laboratoire qui finance… 67

Page 177: « Science infirmière » ou « science appliquée

66

« Tu as vu ce qu’il a fait dans le service, c’est une surprise pour les infirmières… » Et je lis 68

effaré le contenu… effaré dans le sens ou je me vois moi… je lis… et je me dis, ça m’est 69

absolument inutile ça. Des chiffres, des normes, une surveillance qui est tout sauf 70

infirmière… c’est à dire une surveillance… c’est à dire, rappel au médecin de ce qu’il doit 71

penser lui peut-être. Enfin je ne sais pas… plus qu’une science infirmière il y a une culture 72

quand même, et en fait cette culture là elle ne peut pas être comprise ou partagée toujours, 73

comme on ne comprend pas toujours cette nébuleuse médicale… et tant mieux, ce n’est pas 74

grave. Alors je lui ai dit, vous ne pouvez pas faire un document sans moi, sans l’équipe… 75

vous ne pouvez pas. Donc on a tout repris… c’est quelqu’un d’intelligent avec qui on travaille 76

très bien… donc on a tout revu. On a travaillé avec lui et je lui ai demandé… qu’est ce que 77

vous, vous voulez faire passer comme message ? Parce que moi ce que j’aimerai y trouver ce 78

n’est pas ça. Moi ce que j’aimerai y trouver c’est ce patient là… d’abord comprendre de façon 79

simple la pathologie, quelques repères, puis quelle surveillance, moi, je vais faire. Quels 80

repères je peux avoir sur un patient pour vérifier que son état ne s’aggrave pas ? Sur quoi je 81

vais vous alerter ? Finalement sur quoi on va travailler ensemble ? Quelle clinique 82

infirmière ?… voilà. Moi, je ne comprends rien à ce que vous avez écrit, ça ne m’intéresse 83

pas, c’est votre travail. C’est d’abord ça… une science infirmière. C’est pour moi une 84

discipline qui saurait regrouper toutes les compétences. Il y a sûrement des aspects partagés 85

par les médecins, mais pas seulement. C’est ce que l’on disait finalement, une science qui 86

regroupe tous les champs dont on a parlé, avec une culture propre et enseigné par des 87

professionnels du soin… de la discipline en question. 88

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 89

C’est, je pense, tout ce que j’ai dit avant… cela n’a pas de sens autrement. Il me semble… 90

sans ça on a, des actes infirmiers… voilà. Mais, de soins infirmiers, on ne peut pas en avoir 91

sans les sciences humaines. Les sciences humaines permettent de passer de l’acte au soin. 92

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 93

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 94

humaines ? 95

Long silence…. Ça, c’est sans l’appui des sciences humaines… tout ce monde qui beugle 96

dans le couloir alors qu’il y a plein de malades autour. En cancérologie on est confronté au 97

quotidien à la décision éthique… en tout cas à ce que l’on appelle la décision éthique. On est 98

confronté beaucoup à continuer ou pas… oui, à la proximité avec ce que l’on appelle 99

l’acharnement, à un refus de soin par un patient. Je pense que les sciences humaines c’est une 100

aide à la réflexion, une ouverture, pas vraiment une aide à la décision toujours, une autre 101

Page 178: « Science infirmière » ou « science appliquée

67

vision, c’est aussi parfois la confrontation de différents points de vue qui éclairent 102

différemment une situation, qui nous font reconsidérer une situation. La prise de décision elle 103

ne se fait pas toujours par la somme des éclairages… mais oui, c’est une aide de ce point de 104

vue là, je pense. 105

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 106

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 107

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 108

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 109

Des sciences infirmières. J’ai peur de l’enfermement…oui, je préfère au pluriel. Je ne peux 110

pas trop l’argumenter… c’est spontané. 111

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 112

Non… j’espère qu’on l’aura cette formation en sciences infirmières. Par pour la 113

reconnaissance… cela va au delà. C’est pour faire exister un vrai champ de compétences, de 114

responsabilités… ne plus être noyé dans la confusion d’exécutantes d’une activité médicale. 115

Peut être que l’on y trouverait une vraie force… un pouvoir. 116

Page 179: « Science infirmière » ou « science appliquée

68

Entretien Cadre Soignant N°5 : Lucile 1

Age : 32 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1999 4

Diplôme Cadre de Santé : 2007 5

Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education. 6

Exercice Diplômé d’Etat d’Infirmier : Uniquement l’oncologie ; médecine oncologique, soins 7

palliatifs adolescents, chirurgie oncologique et dernièrement en Hôpital de semaine oncologie. 8

Exercice Cadre Soignant : depuis 2007, en service de cardiologie. 9

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 10

infirmier ? 11

Ce sont les soins qui dépendent de notre rôle propre et de notre rôle délégué. C’est prendre 12

soin de la personne. Ce sont tous les actes répertoriés par notre décret professionnel et toutes 13

les choses que l’on peut mettre en place à côté pour faire les soins. C’est notre pratique 14

quotidienne avec des soins qui sont à la fois des soins techniques et des soins relationnels. 15

Lorsque vous dites, «… toutes les choses que l’on peut mettre en place à côté », vous 16

pensez à quoi ? 17

C’est tout ce qui accompagne notre pratique quotidienne, c'est-à-dire aussi le prendre soin de 18

la personne, toute une conception du soin. Voilà… tout ce que l’on met en place pour 19

effectuer nos soins auprès de la personne au quotidien. 20

Lorsque vous dites « … toute une conception du soin », pouvez vous me préciser cette 21

conception ? 22

Heu… j’ai dit ça ? (rire)… Oui… ce que je veux dire… ce sont toutes les valeurs que l’on 23

met dans les soins que l’on apporte aux patients. C’est aussi tout ce que l’on y met de nous-24

mêmes… dans le prendre soin, dans soigner, dans tout ça. 25

Eventuellement, pouvez-vous me préciser quelles sont ces valeurs ? 26

Et bien toute l’humanité… l’éthique… les valeurs en lien avec le relationnel, avec le prendre 27

soin de la personne… heu… voilà… la bonne distance. C’est à dire tout ce qui est dans ce que 28

l’on donne de nous pour soigner. Dans les soins infirmiers il y a tout ce qui est encadré par 29

notre décret, tous les actes professionnels répertoriés, mais il y a aussi toute l’humanité et 30

toutes ces valeurs que l’on y met nous soignants, le soin, c’est un peu aussi tout ça. 31

Vous parlez d’humanité, pouvez-vous préciser ? 32

Page 180: « Science infirmière » ou « science appliquée

69

C’est les valeurs dont je parle, l’éthique, le respect de la personne, l’écoute de l’autre, la 33

bonne distance… le prendre soin. 34

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 35

pour vous une science infirmière ? 36

Je pense que, justement, cela signifie un peu plus que ce qu’il y a aujourd’hui. C’est à dire la 37

recherche. C’est valoriser notre diplôme tout en continuant ensuite à se former, à pouvoir 38

publier, à pouvoir partager. C’est plus de possibilités de faire de la recherche en soins 39

infirmiers, de partager ça au niveau national et international. 40

Science… égale recherche ? 41

Oui… c’est aller un petit peu plus loin dans la connaissance de notre profession et continuer 42

après l’obtention du diplôme. C’est ouvrir sur des perspectives, s’impliquer dans des projets à 43

plus grande échelle, participer à des choses qui se font comme au Canada ou en Suisse. 44

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 45

Justement, j’ai commencé à en parler au début… c’est primordial, c’est imbriqué dans le soin 46

infirmier pour travailler sur ce prendre soin du patient. Je pense que c’est important d’avoir 47

des notions en sciences humaines pour pouvoir ensuite se positionner et être dans la 48

relation… dans une relation juste avec le patient. C’est pouvoir expliquer ce qui se passe aussi 49

dans les relations et les phénomènes de groupe. C’est aussi avoir plus de recul et pouvoir 50

analyser les situations. 51

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 52

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 53

humaines ? 54

En débutant en tant que jeune infirmière dans un service d’oncologie, confronté à la mort des 55

patients et tout ce qu’il y a autour de la mort, je peux dire que les sciences humaines m’ont 56

beaucoup manquées au début. Il y avait des notions que je n’avais pas sur la distance avec 57

l’autre, sur la relation avec la famille. Je pense qu’à ce moment là par exemple, au début de 58

ma pratique, je me suis senti un peu démunie. C’est par le partage de l’expérience avec les 59

anciennes que j’ai pu ensuite mieux me positionner, mais aussi avec des formations un peu 60

plus spécifiques. Je pense effectivement que si j’avais eu plus de notions en sciences 61

humaines cela m’aurait aidé au début à passer un cap difficile, surtout dans ces moments de 62

relation avec le patient. Certaines formations sur la relation d’aide et le soin palliatif m’ont 63

permis de mieux réussir et de mieux me positionner par la suite, être plus dans le prendre 64

soin, mais avec la bonne distance grâce à ces connaissances là. 65

Page 181: « Science infirmière » ou « science appliquée

70

Concrètement, qu’est ce qui a évolué dans la manière dont vous avez abordé, avec les 66

sciences humaines, ces moment là ? 67

Réussir à prendre un peu plus de recul, à être plus empathique, à être dans la juste distance 68

avec le patient, à être moins dans l’émotionnel. 69

Vous parlez de bonne distance… c’est quoi la bonne distance ? 70

C’est la juste distance où l’on est aidant… sans être ni trop près du patient, c’est à dire trop 71

envahissant, trop dans l’émotion… ou bien trop loin, à mettre des barrières. La distance où 72

l'on est à la fois, dans notre rôle de soignant proche du patient, où on peut lui apporter quelque 73

chose parce que l’on arrive à se positionner, sans pour cela y mettre trop d’émotion… qui fait 74

alors que l’on est trop impliqué dans la relation à l’autre et du coup pas aidant. La distance où 75

l’on n’est aussi pas trop loin du patient, à fuir par exemple cette mort qui approche en évitant 76

de rentrer dans la chambre, en gardant une certaine froideur, en ne pouvant pas toucher, en ne 77

pouvant pas être touché aussi. 78

Les sciences humaines vous permettent donc de préciser cette distance ? 79

Oui… je trouve. Pendant ma formation infirmière… moi… j’ai trouvé le module sciences 80

humaines insuffisamment traité. On avait du mal à y trouver quelque chose pour nous aider 81

dans notre pratique. C’est resté tellement théorique que cela n’a pas été bénéfique, en tout cas 82

pas pour moi. 83

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 84

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 85

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 86

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 87

Sciences en soins infirmiers au pluriel. Oui… parce que je trouve que ce qui permet de nous 88

définir, c’est le soin… soins infirmiers c’est important. Et au pluriel, parce qu’ils sont 89

nombreux, parce qu’il y a beaucoup de choses et que cela doit englober un peu tout ça. 90

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 91

Non92

Page 182: « Science infirmière » ou « science appliquée

71

Entretien Cadre Soignant N°6 : Chantal 1

Age : 54 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1977 4

Diplôme Cadre de Santé : 1999 5

Diplôme Universitaire : Licence AES 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Cancérologie, urgences, consultations de chirurgie, 7

chirurgie la nuit, cardiologie, neurologie, pneumologie, chirurgie thoracique et vasculaire. 8

Exercice Cadre Soignant : depuis 1999, en cardiologie et ensuite en chirurgie thoracique et 9

vasculaire où je suis actuellement. 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Ce qui me vient à l’esprit, c’est une prise en charge globale du patient. C’est ce que, 13

généralement, j’essaie d’inculquer aux infirmières et aux étudiantes. Donc pour moi la prise 14

en charge globale c’est à la fois l’aspect somatique, l’aspect psychologique, le contexte 15

social… voilà ! Une globalité du patient lorsqu’il arrive… que ce soit en chirurgie ou en 16

médecine. Pour préciser un peu plus… il faut faire abstraction de l’aspect technique, il faut 17

aller un peu plus au profond des choses. Souvent, par exemple… les étudiants lorsqu’on exige 18

d’eux leurs objectifs de stage, ils nous disent ; « faire des pansements, poser des cathéters, 19

etc. ». C’est tout l’aspect technique qui ressort. Bon ok, c’est normal, ils sont là pour 20

apprendre des gestes, je comprends… mais après lorsqu’on les voit dans la pratique ils se 21

concentrent sur ces gestes et puis… ensuite, ils oublient tout. Ils passent à côté d’un tas de 22

choses. 23

Pour vous, en dehors de votre préoccupation par rapport aux étudiants, que signifie 24

« tout ce reste » dont vous me parlez ? 25

Un peu tout le reste… c’est tout l’aspect psychologique, comment le patient ressent sa 26

maladie, comment il vit son hospitalisation. C’est à dire, toute cette prise en charge là qu’on a 27

tendance à occulter. C’est aussi l’écoute du patient… on passe faire un soin technique et si le 28

patient pose une question… soit on l’élude soit on dit je reviendrai et on ne revient pas 29

forcément. C’est tout cet aspect là qui bien souvent n’est pas pris en compte. Alors, bien sur, 30

il y a la pression et le manque de personnel. On entend toujours : « on n’a pas le temps ! ». 31

C’est l’éternel problème, je pense que l’on a le temps… le temps de le faire, même si on a des 32

impératifs horaires, même s’il y a des problèmes d’effectifs. On peut prendre le temps de se 33

Page 183: « Science infirmière » ou « science appliquée

72

poser 5 minutes et de parler au patient, de voir quelles sont ses interrogations et de voir si on 34

peut y répondre. Notamment en cancérologie… le patient a souvent eu un traitement avant, il 35

n’arrive pas à la chirurgie comme ça, sans avoir une connaissance de ce qu’il a. Justement, il a 36

plein d’interrogations, de questions… et voilà… il est là pour 4 jours, pour faire de la 37

chirurgie et on n’y pense pas. Il vient pour un acte chirurgical mais il y a de l’anxiété derrière. 38

Ce matin j’ai été un peu surprise de la réflexion d’un interne qui parlait avec une infirmière à 39

propos d’un patient. Ce patient depuis son arrivée était assez jovial, tout se passait très bien, il 40

communiquait bien. Hier soir, il a appris du médecin que les résultats d’examens n’étaient pas 41

bon. Aujourd’hui il se renferme, il est triste… bon, cela semblait… enfin, lors de la discussion 42

l’interne et l’infirmière semblaient interrogatif par rapport à ce patient. Je leur ai dit… vous ne 43

pensez pas que c’est un petit peu normal dans l’évolution de la pathologie ? 44

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 45

pour vous une science infirmière ? 46

Une science infirmière… c’est forcément développer des compétences en soins infirmiers, 47

encore une fois de manière globale, mais plutôt au niveau de la clinique. La clinique 48

infirmière qui comprend tout ce que je viens de vous dire : les soins techniques, la recherche, 49

l’éducation… 50

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 51

Je pense que c’est capital, essentiel… c’est vrai que c’est un terme assez vaste. Cela englobe 52

tout ce qui est en relation avec l’humain… qu’est-ce que je pourrai vous dire… Je pense que 53

l’on peut exercer les soins infirmiers comme ça, n’importe qui peut le faire, je vais chercher 54

n’importe qui dans la rue, je le prends et je peux lui enseigner les piqures. Mais je crois que 55

notre profession à une dimension autre. Justement on retrouve en faisant des études un peu 56

plus approfondies, la sociologie, la psychologie, la philosophie, l’économie de la santé. Je 57

pense qu’aujourd’hui, quand on travaille à l’hôpital on ne peut pas faire abstraction de 58

l’économie de la santé. 59

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 60

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 61

humaines ? 62

Je trouve que le travail de nuit m’a beaucoup apporté lorsque j’étais infirmière. La nuit les 63

patients se livrent peut-être plus facilement, il y a aussi beaucoup plus d’angoisse… voilà ! Je 64

me rappelle d’une patiente en service de cancérologie qui dans la journée semblait bien 65

accepter la maladie, elle était joviale, et la nuit elle craquait complètement. A l’époque j’étais 66

jeune infirmière, aujourd’hui je ne sais pas si je saurai mieux me débrouiller, mais à ce 67

Page 184: « Science infirmière » ou « science appliquée

73

moment là je me trouvais plutôt démunie. Démunie par rapport à tout ce qu’elle pouvait me 68

livrer, elle savait qu’elle était en fin de vie, c’était tout son questionnement par rapport à sa 69

famille, par rapport à son vécu, ses regrets… J’ai tenté de l’accompagner au mieux mais je 70

pense que je n’étais pas très bien armé pour ce type de prise en charge. 71

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 72

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 73

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 74

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 75

Je ne souhaite pas mettre les soins, je trouve que le soin c’est en rapport avec la technique. 76

Souvent on fait ce rapprochement, lorsqu’on pense soin on pense pansements, on pense 77

piqures… Donc, je préfère science infirmière. Au pluriel ou au singulier ? Cela peut-être une 78

science qui englobe plusieurs spécialités. Cela peut-être des sciences dans la mesure où cela 79

nécessite plusieurs compétences, plusieurs disciplines. 80

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81

Non. 82

Page 185: « Science infirmière » ou « science appliquée

74

ANNEXE 5

Page 186: « Science infirmière » ou « science appliquée

75

Grille d’entretien

(Entretiens cadres formateurs)

Age :

Sexe :

Diplôme d’Etat :

Diplôme Cadre de Santé :

Diplôme Universitaire :

Expériences professionnelles :

- Exercice Infirmier Diplômé d’Etat :

- Exercice Cadre Soignant depuis :

- Exercice Cadre Formateur depuis :

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin

infirmier ?

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour

vous une science infirmière ?

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences

humaines ?

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,

comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?

Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins

infirmiers au pluriel ?

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Page 187: « Science infirmière » ou « science appliquée

76

Entretien Cadre Formateur N°1 : Cathy 1

Age : 51 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1981 4

Diplôme Cadre de Santé : 2001 5

Diplôme Universitaire : Licence AES et Licence en Sciences de l’Education 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Infirmière en réanimation pendant 3 ans, infirmière 7

anesthésiste (IADE) pendant 17 ans en service de bloc et d’anesthésie. 8

Exercice Cadre Soignant : Cadre anesthésiste (IADE) pendant un an. 9

Exercice Cadre Formateur : depuis 6 ans en IFSI 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Si je le rattache à ma pratique professionnelle qui est essentiellement une pratique de bloc 13

opératoire, c’est pour moi une prise en charge globale du patient mais dans tous ses systèmes 14

de fonctionnement. La fonction IADE (Infirmier Anesthésiste Diplômé d’Etat) considère le 15

patient dans toutes ses fonctions vitales puisqu’on le met dans un coma artificiel. Le 16

deuxième point c’est la prise en charge d’ordre psychologique. Ma conception du soin, c’est 17

la conception holistique du patient dans les dimensions physique, psychique, sociale, etc. De 18

façon très schématique il s’agit de palier à ses besoins. Le patient a des besoins perturbés et il 19

faut répondre à ses besoins en priorité et ne pas s’attacher uniquement au patient en tant 20

qu’objet mais aussi dans ses émotions, dans son ressenti, dans la relation et le soin qui se joue 21

à ce moment là. Il faut aller extraire un peu ce qui se passe chez lui, ce n’est pas systématique, 22

ce n’est pas à tous les moments. Il est certain que dans le cadre d’un service de réanimation 23

les patients ne parlent pas, il n’y a pas forcément de communication verbale. Ce temps de 24

prise en charge du patient est un moment un peu privilégié car il se fait juste avant 25

l’anesthésie. C’est à ce moment là que l’on peut entrer en communication avec le patient, 26

savoir ce qu’il ressent au regard de sa maladie, ne pas forcément apporter des réponses mais 27

plutôt instaurer un climat de confiance, ce qui permet à la personne de s’endormir dans de 28

bonnes conditions. De mon expérience, quand les personnes sont conditionnées pour entrer 29

dans un sommeil apaisant et tranquille, il y a des répercutions au niveau du réveil. C'est-à-30

dire, si je sens quelqu’un de stressé, angoissé, ou qui ne verbalise pas, ou qui manifeste sur le 31

plan clinique des sueurs ou de l’hypertension, qui a du mal à entrer dans l’anesthésie, dans le 32

sommeil, c’est certain qu’au réveil ce sera un patient hypertendu, algique. Moi mon rôle, en 33

Page 188: « Science infirmière » ou « science appliquée

77

tant que soignant, dans cette prise en charge globale du patient c’est d’apporter cette part 34

d’écoute et de relation même si c’est un moment très court. Ce moment privilégié permet, 35

après la partie occulte que le patient ne voit pas, qui est une partie beaucoup plus technique 36

qui répond aux mécanismes physiologiques, d’avoir comme objectif de réveiller le patient. 37

Les conditions de réveil du patient dépendent des conditions d’endormissement. C’est cette 38

conception du soin qui est de répondre aux besoins et en même temps à tout cet aspect 39

psychologique, qui n’est pas habituel chez nous. Car le choix de faire de l’anesthésie n’est pas 40

anodin, c’est facile pour nous d’injecter un médicament et de faire taire le patient. Au début 41

c’est une formation qui fait appel essentiellement à la technicité, c’est d’ailleurs ce que l’on 42

va chercher, c’est ce côté technique qui nous plait, les capacités à être réactif à faire face aux 43

urgences. Ce qui nous donne l’illusion d’être un peu les sauveurs du monde. Une fois que l’on 44

a dépassé cette technicité, l’intérêt c’est d’aller privilégier ce côté relationnel. Après c’est à 45

chacun, dans la structure dans laquelle il travaille, dans le temps qui lui est imparti et en 46

anesthésie ce temps est très court, de tout faire pour mettre en place les conditions favorables 47

à la relation. 48

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 49

pour vous une science infirmière ? 50

C’est une question difficile, accepter une science infirmière c’est accepter le fait qu’elle soit 51

reconnue. Dans le cadre de notre activité elle n’est pas reconnue comme entité propre, cette 52

activité dépend de plusieurs sciences. Notre activité repose sur les sciences médicales à 53

travers les pathologies et sur la psychologie, la sociologie, l’anthropologie… A mon époque 54

la formation était essentiellement axée sur la pathologie, sur le savoir médical. L’évolution 55

des programmes a conduit à l’introduction des sciences humaines, cala élargit le champ de la 56

science infirmière. Ceci dit, je pense que la science infirmière proprement dite est une science 57

du soin. Une science du soin qui fait appel aux différentes disciplines médicales et sociales. 58

Le tout est de trouver un équilibre qui actuellement fait débat. Je pense que vouloir à tout prix 59

introduire des disciplines qui sont de l’ordre de la psychologie, de la sociologie n’est pas 60

forcement adapté à la science infirmière propre. La science infirmière elle découle aussi de 61

notre rôle propre et de ce que l’on y fait dans nos actes, dans la limite de nos compétences. 62

Aborder ce champ là est intéressant en termes de culture, d’épanouissement et d’approche 63

différente de la personne mais il ne faut pas non plus que l’étudiant s’y perde. Car, malgré 64

tout, dans sa pratique l’étudiant est confronté à une logique de résolution de problèmes. Il est 65

face à un patient et il se doit d’être réactif très rapidement en fonction des moyens qu’il 66

dispose. On est vraiment dans la résolution de problèmes, pure et dure, il faut trouver des 67

Page 189: « Science infirmière » ou « science appliquée

78

solutions. Dans les sciences humaines, dans cette réflexion, il y a une distance, une autre 68

logique. D’ailleurs, cela pose les limites de notre formation actuelle, demander aux étudiants 69

de passer d’une logique de résolution de problèmes à une réflexion, c’est quelque chose que 70

les étudiants ont du mal à s’approprier. Peut-être est-ce nous, formateurs, qui ne nous donnons 71

pas les moyens de cette réflexion, peut-être est-ce un problème de méthodes pédagogiques, en 72

tout cas le travail écrit de fin d’études est un échec dans le sens où il ne rentre pas dans cette 73

réflexion, même s’il s’appuie sur les sciences humaines. Les sciences humaines sont 74

essentielles, car on est dans un métier de l’humain, mais il y a un équilibre à trouver. Depuis 75

l’introduction du nouveau programme en 1992 j’ai un peu l’impression que l’on est à la limite 76

de ce que produit la formation. A vouloir trop scientifiser la formation et bien on en arrive à 77

faire une science qui n’est pas adaptée à l’étudiant et ensuite au terrain. Une science qui 78

finalement ne répond pas aux besoins des patients. 79

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 80

Elles ont une utilité… c’est indéniable. Elles ne sont pas à remettre en cause, elles apportent 81

cette dimension plus humaine du soin, pour ne pas rester dans une science infirmière trop 82

technique, trop pratique et accès essentiellement sur le soin. En revanche la question que je 83

me pose est, est-ce que l’apport de ces sciences humaines permet à l’étudiant ou au 84

soignant… enfin comment ils s’en servent ? Notre rôle de formateur est de les accompagner, 85

mais dans la formation ces sciences sont souvent dispensées sur le mode magistral. Il n’est 86

pas évident de les mettre en œuvre, de les mettre en action. On pourrait réfléchir à des jeux de 87

rôle ou à d’autres dispositifs. Cela pose également les limites de nos compétences, on ne 88

s’improvise pas praticien réflexif. Il faut probablement faire appel à des compétences 89

extérieures. A l’heure actuelle je n’ai pas l’impression d’une très grande efficacité de nos 90

méthodes ce qui ne permet pas à l’étudiant d’en avoir le bénéfice complet… de mon point de 91

vue. 92

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 93

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 94

humaines ? 95

Il me faut un petit temps de réflexion… C’est l’expérience de l’accueil du patient en pré 96

anesthésie qui me permet de dire qu’il est nécessaire de considérer le côté humain. C’est par 97

moment le manque d’adaptation aux situations vis-à-vis de patients dans la douleur, la 98

douleur à la limite on peut y répondre de façon technique, mais c’est plus vis-à-vis de patients 99

en souffrance par rapport à leur pathologie où la relation d’aide, l’écoute, l’empathie peuvent 100

être efficace. Je me suis retrouvé en difficulté dans une situation où je me dis que là 101

Page 190: « Science infirmière » ou « science appliquée

79

effectivement, par rapport à ma propre formation où je n’ai pas eu les outils, comment je peux 102

être aidante pour la personne, comment je peux être dans l’écoute. Si j’avais eu une approche 103

pendant mes études, de la connaissance de l’individu, cela m’aurait rendu service. Cela peut 104

permettre de répondre et de faire face à certaines situations. 105

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 106

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 107

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 108

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 109

De façon globale comme ça, je dirais, à partir du moment où l’on parle de soins, le soin n’est 110

pas quelque chose de singulier, il y a plusieurs soins… si on veut également intégrer la 111

pluralité des sciences… donc… comme ça en première intention je mettrais tout au pluriel. 112

Cela pour permettre une ouverture, que cela ne soit pas restrictif… donc tout au pluriel. 113

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 114

C’est une réflexion autour des sciences humaines dans la perspective de la réforme des études 115

infirmières. Il me semble nécessaire de ne pas reproduire ce qui a été fait en termes 116

d’enseignement des sciences humaines, qui ne sont pas faciles à intégrer, pas facile à 117

dispenser. Il y a quand même une réflexion à avoir sur la place des sciences humaines à 118

accorder dans la formation, l’intérêt au bénéfice de l’étudiant et du futur infirmier, l’intérêt 119

pour le patient. Il faut qu’elles puissent répondre à l’évolution du soin et à l’évolution de notre 120

système de santé, mais aussi aux contraintes économiques. Il faut dire aussi que lorsqu’on a 121

des durées moyennes de séjour de 3 ou 4 jours et qu’il faut répondre au patient dans sa 122

globalité, comment pouvons-nous organiser tout cela, être au mieux soignant dans un temps 123

déterminé ? 124

Page 191: « Science infirmière » ou « science appliquée

80

Entretien Cadre Formateur N°2 : Josiane 1

Age : 54 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1981. Diplôme d’Etat d’Infirmier de Bloc Opératoire (IBODE) : 4

1989 5

Diplôme Cadre de Santé : 1996 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Exercice libéral, humanitaire, intérimaire en France et en 7

Suisse dans différents services, exercice en bloc opératoire. 8

Exercice Cadre Soignant : 5 ans en bloc opératoire dans un centre de lutte contre le cancer. 9

Exercice Cadre Formateur : depuis 1998 dans une école IBODE. 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Il y a deux éléments importants qui concernent l’état physique et psychologique. Il faut 13

prendre en compte les soins dont le patient a besoin dans cet esprit là. C'est-à-dire qu’il existe 14

une pathologie mais elle automatiquement rattachée aux antécédents. Mais là, c’est 15

l’infirmière de bloc qui parle, car en tant qu’instrumentiste, circulante ou même aide 16

opératoire ce sont des éléments que l’on prend en compte. C'est-à-dire l’état dans lequel se 17

trouve le patient au moment où il a besoin d’un soin aigu ou bien un soin au cours de la 18

journée. C'est-à-dire ; est-ce qu’il est réceptif, est-ce qu’il est dans l’angoisse, la 19

préoccupation, préoccupation par rapport aux soins ou par rapport à l’extérieur. Mais 20

également tout son passé par rapport à la santé, comment elle est gérée jusqu’à présent. C’est 21

très important car on travaille de plus en plus dans un milieu interculturel et que, pour le 22

patient, ce n’est pas la même chose de recevoir un soin selon les cultures. Par exemple si tu 23

n’es jamais allé à l’hôpital… moi qui ai travaillé longtemps dans le milieu rural, c’est vrai que 24

pour les patients hospitalisés c’était dramatique. Ils étaient complètement perdus comme si on 25

les mettait dans un univers… comme s’ils se retrouvaient dans une communauté indienne au 26

fin fond de l’Amazonie. Pour moi c’est très important car il y a cet aspect dans le soin 27

éducatif, dans l’accompagnement, qui fait que si tu ne prends pas cela en compte tu ne peux 28

pas prendre en compte ce qu’est la personne. Il faut donc prendre en compte l’état du patient 29

sur le plan physique et psychologique. Curieusement, et cela peut paraître un peu surprenant 30

au bloc opératoire… c’est quand même comme ça que l’on arrive à mieux cerner l’aspect 31

technique du travail du soin. Il faut donc bien connaître le patient, les dossiers et voir 32

comment il arrive le matin. S’il est tendu, s’il a des préoccupations particulières… c’est vrai 33

Page 192: « Science infirmière » ou « science appliquée

81

qu’au niveau de la douleur… la douleur est majorée s’il arrive au bloc dans un état de tension 34

et que l’on n’est pas parvenu à le décontracter. J’ai vu des patients faire des malaises en étant 35

pas anesthésiés généralement, c’est à dire en ayant eu des rachis anesthésies. Comme on ne 36

s’occupe pas spécialement à la tête du patient… c’est à l’acte chirurgical que l’on est 37

concentré, si l’infirmière circulante ne fait pas le tour et ne voit pas l’état dans lequel est le 38

patient… tu es obligé de l’endormir parce que son angoisse monte. Cela veut bien dire que si 39

tu ne t’occupes pas vraiment de l’état dans lequel se trouve le patient en pré et post opératoire 40

tu passes à côté. On peut faire des bêtises parce qu’il est tellement tendu qu’il peut gêner, 41

gêner le geste. Quelque soit le service c’est la même chose, c’est exactement la même chose. 42

Si le patient à l’hôpital est un peu perdu, à domicile c’est différent. C’est à l’infirmier de 43

s’adapter un petit peu aux modes de vie du patient. Pour faire une injection il m’est arrivé de 44

me présenter chez des patients qui n’avaient pas l’eau courante ou bien elle était au bout de la 45

ferme… des choses comme ça. Les patients immergés dans leur milieu de vie, ils ont aussi 46

parfois des soins réitérés qu’ils ne devraient pas forcément avoir… c’est quelquefois leur 47

façon de vivre qui majore l’état de santé déficient. 48

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 49

pour vous une science infirmière ? 50

Je crois que l’on va retrouver les mêmes choses que dans les sciences de l’éducation. Les 51

sciences de l’éducation qui regroupent un peu de sociologie, de psychologie… enfin voilà, il y 52

a tout ce mélange là qui fait que l’on met cet ensemble de disciplines au service de l’étudiant. 53

On va retrouver la même chose en sciences infirmières. La science infirmière fait appel à des 54

connaissances psychologiques, physiologiques, anatomique. Cela regroupe d’une certaine 55

manière ce que l’on appelle le médical et toute les sciences sociales. Mais en sachant que si 56

l’on veut extraire une science infirmière à part entière et bien, elle est faite de cette 57

articulation autour d’une personne que l’on accompagne dans son chemin de santé. Cela 58

ramène à un ensemble, à une certaine unité, c’est une façon de mettre en musique, 59

d’harmoniser tous ces savoirs. En sachant qu’il y a quand même des savoirs propres qui se 60

dégagent, ils sont pas forcément formalisés. Il y a plein d’astuces, de savoirs faires, de savoirs 61

êtres qui sont présents mais pas forcément formalisés. 62

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 63

A partir du moment où tu travailles avec l’humain, il est au cœur de tes préoccupations 64

professionnelles. Même si en apparence on travaille sur le corps tu ne peux pas ignorer 65

l’aspect psychologique, sociologique de la personne que tu as en face. La preuve, tu es bien 66

obligé d’adapter y compris ta technique de soin au patient. Cela revient à s’intéresser à la 67

Page 193: « Science infirmière » ou « science appliquée

82

culture… à l’état de la personne sur le plan psychologique à son arrivée. Cela remet en 68

question tout ça en fait… les aspects qui ont conduit le patient à être dans cet état là. Une 69

autre dimension à prendre en considération également est celle du travail en équipe. Il y a 70

beaucoup d’acteurs autour du patient et du soin et cela peut faire l’objet de pas mal de 71

conflits, de problèmes d’organisation. Si les sciences humaines ne sont pas présentes et 72

reconnues dans les pratiques ou les apprentissages cela devient très compliqué. Il faut quand 73

même admettre que parmi les soignants et les médecins il y a quand même un rejet des 74

sciences humaines. Je prends l’exemple d’une patiente qui arrive au bloc opératoire et qui est 75

très préoccupée. Si on demande au médecin anesthésiste le temps de lui parler, de ne pas 76

rentrer de suite dans ce qu’ils appellent le technicage du patient, on s’entend dire… oui mais 77

c’est psychologique, hier elle était déjà comme ça. En fait, il y a une tendance à mettre dans 78

des cases un peu rapidement parfois et ce n’est pas toujours évident. Parfois c’est aussi nos 79

collègues et par exemple dans notre école d’IBODE les psychologues ne sont pas toujours très 80

bien acceptés. 81

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 82

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 83

humaines ? 84

Je reviens à cette expérience qui n’est pas très lointaine et qui concerne un patient qui avait un 85

problème d’alcoolisme. On lui fait un examen très douloureux sous anesthésie locale pour 86

voir si ses vaisseaux se bouchent. Un examen qui n’est pas très compliqué mais qui demande 87

pas mal d’équipement et de personnes au pied du lit. Moi je circulais en tant qu’enseignante et 88

ce patient se décomposait. Je voyais bien qu’il transpirait, qu’il transpirait… J’ai du prévenir 89

de la réalité de ce malaise. On a voulu répondre par une injection. Je me suis mise à discuter 90

avec ce patient… il n’avait pas mal, il n’avait pas peur non plus, c’est que je crois qu’on 91

l’avait oublié tout simplement. Là, il y a un problème. Ce sont des conversations au pied du 92

patient qui étaient très angoissantes pour lui. Parce qu’une montée de sonde dans les 93

vaisseaux ce n’est pas quelque chose de très facile, il y a des obstacles parfois. Le chirurgien 94

avait du mal à faire cette montée de sonde et à l’autre bout le patient était désemparé. C’est 95

bien de pouvoir le reprendre et en reparler après. 96

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 97

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 98

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 99

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 100

Page 194: « Science infirmière » ou « science appliquée

83

D’emblée, comme ça, j’aurai tendance à le mettre au pluriel. Peut être pour retrouver une 101

espèce d’unité, qu’il y est des petits plus partout… je ne sais pas comment l’exprimer 102

autrement. Pour être un peu plus dans l’ouverture… donc sciences infirmières au pluriel.103

Page 195: « Science infirmière » ou « science appliquée

84

Entretien Cadre Formateur N°3 : Valérie 1

Age : 52 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1978 4

Diplôme Cadre de Santé : 1996 5

Diplôme Universitaire : Non 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Médecine, chirurgie, hospitalisations à domicile. 7

Exercice Cadre Soignant : Depuis 96 en service d’hémoto-oncologie. 8

Exercice Cadre Formateur : Depuis 2005 en IFSI. 9

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 10

infirmier ? 11

Bonne question… ma réponse sera naturellement influencée par le discours à ce sujet dans 12

notre institut de formation et le débat forcément présent dans un lieu consacré à 13

l’enseignement du soin infirmier. Le soin infirmier c’est s’occuper de l’autre en reconnaissant 14

cet individu, tel qu’il peut être. C’est une approche globale avec tout ce que l’on peut y mettre 15

dessous. C’est des soins techniques, mais au travers de ces soins techniques c’est pouvoir 16

apporter un petit peu d’humanité à un séjour hospitalier. C’est pouvoir l’aider à supporter un 17

passage difficile. Par exemple, en service d’hémato-oncologie, c’est de l’accompagnement de 18

fin de vie du patient, de l’accompagnement des familles. C’est pouvoir écouter, c’est apporter 19

une présence, des explications pour le geste, c’est être disponible, c’est être à l’écoute. 20

Que signifie pour vous, « apporter de l’humanité » ? 21

L’humanité c’est la reconnaissance de l’autre… les soins infirmiers, ce n’est pas, à la lettre 22

appliquer un soin qui a été prescrit. C’est appliquer à une personne un soin en fonction de ce 23

qu’elle peut réclamer, de ses besoins… si à un moment donné cette personne refuse les 24

traitements, ou se pose des questions par rapport au soin, par rapport à son devenir. C’est 25

pouvoir aussi se poser en tant que soignant, en discuter en équipe, en parler avec les 26

médecins. Ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez dans le guidon mais faire avec le patient. 27

Pourtant, c’est ce que l’on est amené à faire au quotidien parce que l’on est soumis à la 28

pression, à une telle charge d’actes prescrits… Souvent on a tendance à être dans la réponse 29

sans être suffisamment dans l’analyse du pourquoi, du comment… suffisamment dans 30

l’écoute du patient qui nous renvoie des choses. C’est un travail d’équipe qui n’est pas facile, 31

chaque membre de l’équipe est différent, on n’a pas tous les mêmes objectifs, la même 32

conception du soin. Certains veulent faire leurs actes techniques… point. D’autres passent 33

Page 196: « Science infirmière » ou « science appliquée

85

dans les chambres et restent un peu plus de temps, parce que ils souhaitent voir autre chose 34

que le soin technique. Je pense que le patient à besoin autant de ce rapport humain que de la 35

dextérité du geste technique. C’est d’ailleurs souvent ce que le patient retient de son 36

hospitalisation ; le contact humain. De là…. Il y a l’aspect éthique qui nous questionne… tout 37

ce questionnement qui peut surgir si on est à l’écoute du patient et pour lequel on peut 38

échanger avec nos médecins. Se poser un peu pour ça… plutôt que d’être dans le faire, le 39

faire, le faire. 40

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 41

pour vous une science infirmière ? 42

C’est bien difficile à définir…. pour l’instant cela n’existe pas. La science infirmière a besoin 43

des autres sciences. Dans le soin infirmier on travaille en cherchant à comprendre à l’aide de 44

plusieurs disciplines. Même si un jour une discipline infirmière voit le jour il faudra 45

considérer nos connaissances dans cette diversité. Une science infirmière… je la perçois 46

davantage comme la reconnaissance d’une fonction de l’infirmière. Pour l’instant cette 47

fonction on la découpe en rôle propre, en rôle prescrit… dans le préventif, le curatif, etc. Il y a 48

plein de mots… mais il faudrait réunir tout cela dans une science infirmière qui aura à 49

s’inspirer des autres disciplines. Si on prend le patient dans sa globalité… on n’est pas seul. 50

On est obligatoirement obligé d’utiliser les différentes sciences. 51

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 52

Moi je trouve que c’est capital… c’est capital car soigner c’est prendre soin de quelqu’un, 53

d’une personne, d’un individu. Travailler avec les sciences humaines permet une meilleure 54

compréhension de l’autre, en tout cas, on va s’arrêter et essayer de comprendre ce qui se passe 55

chez l’autre. En 78, lors de ma formation, les sciences humaines n’étaient pas au programme 56

des études. Cette formation s’est enrichie depuis 92… je pense notamment grâce à l’apport 57

des sciences humaines et à la réunion avec la psychiatrie. Je trouve qu’il y a aujourd’hui une 58

différence avec cet apport…. on le remarque chez les étudiants et les nouveaux diplômés dans 59

les services. On n’avait pas à l’époque cette approche, cette réflexivité, cette analyse qui 60

utilise justement l’éclairage des sciences humaines. 61

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 62

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 63

humaines ? 64

Je vous ai précisé au début de l’entretien que j’avais exercé dans un service d’hospitalisation à 65

domicile… j’étais infirmière coordinatrice. J’étais en contact avec de nombreux patients 66

porteurs de pathologies S.I.D.A. Je pense que j’ai beaucoup appris du terrain mais peut-être 67

Page 197: « Science infirmière » ou « science appliquée

86

que si j’avais eu une meilleure connaissance de… par le biais des sciences humaines, peut-68

être que cela m’aurait permis de… une meilleure approche de ces patients… toxicomanes, 69

addictions diverses, je ne parle même pas de la pathologie S.I.D.A et de tout le contexte social 70

et psychologique et de toutes les difficultés qui leurs étaient spécifiques. J’ai tiré un 71

apprentissage au contact de ces patients, au cœur de ces situations, mais peut-être que j’aurais 72

eu un éclairage plus rapide si j’avais eu un enseignement en sciences humaines. 73

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 74

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 75

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 76

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 77

Peut-être sciences en soins infirmiers au pluriel… je pense qu’il faut s’inspirer de plusieurs 78

disciplines. Les soins… parce que les soins c’est ce qui nous appartient vraiment, c’est notre 79

identité. 80

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81

Que c’est un vaste sujet… que c’est une vraie problématique et qu’il ne me semble pas y 82

avoir, dans cette perspective, une réelle émulation des gens du terrain. 83

Page 198: « Science infirmière » ou « science appliquée

87

Entretien Cadre Formateur N°4 : Michèle 1

Age : 49 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat : 1982 4

Diplôme Cadre de Santé : 2000 5

Diplôme Universitaire : D.U. Hygiène Hospitalière 6

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat d’Infirmier : (CMLS) Centre de Moyen et Long Séjour, 7

Service de médecine gastrologie, Hygiène Hospitalière. 8

Exercice Cadre Soignant : depuis 2001 en service de gastro-entérologie. 9

Exercice Cadre Formateur : depuis 2007 en IFSI. 10

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11

infirmier ? 12

Etre auprès du patient, proche du patient… voilà en gros. Oui… c’est ça. J’ai un peu de mal à 13

développer. Oui… c’est une proximité par rapport à la personne soignée. C’est faire des soins 14

en étant à l’écoute de la personne. 15

Qu’est-ce que signifie pour vous « être à l’écoute de la personne » ? 16

Etre disponible, être attentif… un terme que l’on entend beaucoup, être dans l’empathie. 17

Pouvoir se dire, moi dans ce contexte là, comment je réagirai. 18

Pour vous le soin infirmier c’est être à l’écoute, disponible et dans l’empathie ? 19

Oui... je ne parle pas d’un geste spécifique, je reste très générale. Il va y avoir tout type de 20

soins mais tous les soins sont englobés dans ces trois termes. Par contre, pour définir le soin 21

infirmier, si je m’adresse à quelqu’un qui n’est pas du métier je présenterai plutôt 22

l’organisation de ma journée de travail. Je vais lui décrire les gestes, l’organisation, en 23

mettant l’accent sur le fait que ce n’est pas juste que de la technique. Cela ne suffit pas en soi-24

même. Tout le monde sait tenir une seringue… puisque c’est l’image, la représentation que la 25

plupart des gens ont de l’infirmière… la personne qui tient la seringue, qui purge… voila ! On 26

voit bien ce mouvement là. Donc oui, il y a ça… mais c’est dans quelque chose de beaucoup 27

plus global on va dire. C’est un travail sur les valeurs et sur la personne et pas uniquement 28

centré sur les gestes. Ce sont des gestes que l’on apprend, des gestes techniques, mais qui sont 29

insérés dans quelque chose de beaucoup plus… il ne s’agit pas de savoir simplement l’asepsie 30

ou le geste technique… ça ne suffit pas. On ne passe pas trois années d’études à apprendre à 31

tenir une seringue. Il ne suffit pas de repérer le bon endroit, le bon quart, la fesse pour piquer. 32

Page 199: « Science infirmière » ou « science appliquée

88

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33

pour vous une science infirmière ? 34

Je ne sais pas… c’est de travailler, de développer, d’apprendre aux étudiants à l’université 35

tout ce qui gravite autour d’un geste technique. Oui… c’est de travailler tout ce qui existe 36

autour du soin. En même temps je ne me représente pas très bien ce que peut être une science 37

infirmière. 38

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 39

Justement… c’est pour répondre à tout ce qui n’est pas geste technique. Cela permet de 40

faciliter la relation, la compréhension des phénomènes qui se passent chez les personnes, que 41

ce soit les patients ou les familles. Cela permet également de répondre à l’anxiété qui peut se 42

dégager par rapport à une hospitalisation… même une hospitalisation pour un motif bénin. 43

Derrière le soin il y a plein de réalités que les personnes vivent. Ils sont là, par exemple, pour 44

une appendicectomie et à côté de ça les enfants sont seuls à la maison, cela pose un souci, il 45

existe des choses auxquelles on ne pense pas et qu’il parait intéressant de comprendre. Cela 46

permet en même temps d’être plus à l’aise avec ce que l’on fait, on essaye d’avoir une 47

compréhension des choses, du coup on a plus de recul. Je pense par exemple à la famille qui 48

est un petit peu anxieuse et qui brutalement devient agressive, du coup cela permet de prendre 49

du recul par rapport à ça. Si j’étais moi même dans l’inconnu d’un diagnostic, je serais peut 50

être dans le même état. Les sciences humaines permettent de mieux voir les choses et en cela, 51

on arrive davantage à gérer les difficultés des personnes. 52

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 53

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 54

humaines ? 55

Alors moi… je suis d’une formation en 1982 dans laquelle il y avait peu de sciences 56

humaines. Je pense que cela m’a manqué par rapport à la prise de recul face à des situations. 57

Après, je me dis qu’il y a quand même des choses… pas innées, mais des choses que l’on 58

sent. Bon voilà… puis je me dis que l’on ne devient pas infirmière pour rien. Quelque part, je 59

pense à la majorité des cas, il y a quand même… une petite fibre. Mais c’est vrai que pour 60

prendre du recul face aux situations… elles m’ont manquées. En étant plus jeune on est 61

parfois plus réactif… mais j’ai appris à gérer les choses autrement, je prenais sur moi… 62

c’était un peu douloureux. Je peux dire que parfois cela me mettait en tension… j’avais de la 63

tension. Alors que, effectivement, si j’avais eu plus de formation à ce niveau là… encore 64

que… je pense qu’il faut que cela chemine, il faut de l’expérience, les sciences humaines en 65

soi… 66

Page 200: « Science infirmière » ou « science appliquée

89

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 67

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 68

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 69

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 70

C’est difficile… j’ai déjà du mal à mettre une définition sur la science infirmière et même le 71

soin… je cherche les mots, c’est un peu difficile pour moi. Alors, reprenons… moi je mettrais 72

science au singulier et soins au pluriel. Vous me triturez le cerveau… je suis très… pas terre à 73

terre mais très concrète quand même. Tout cela… c’est de la terminologie, je ne suis pas sur 74

que cela puisse être d’un grand intérêt. 75

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 76

Non… non. 77

Page 201: « Science infirmière » ou « science appliquée

90

Entretien Cadre Formateur N°5 : Barbara 1

Age : 52 2

Sexe : F 3

Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1979 4

Diplôme Cadre de Santé : 1997 5

Diplôme D’Etat de Psychomotricien : Pratique de psychomotricienne en IME (Institut Médico 6

Educatif) pendant 2 ans. 7

Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : nourrissons prématurés, réanimation cardiaque, chirurgie 8

orthopédique, chirurgie vasculaire, médecine de nuit, MAS (maison d’accueil spécialisé), 5 9

années de libéral en coupé. 10

Exercice Cadre Soignant : Non 11

Exercice Cadre Formateur : depuis 97 en IFSI. 12

Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13

infirmier ? Revenir à sa pratique. 14

Alors… pour moi le soin infirmier c’est la rencontre de 2 personnes, avec une personne qui à 15

un moment donné se trouve dans une position de faiblesse. L’infirmier va pouvoir l’aider (le 16

patient) à faire ce qu’il ferait par lui-même s’il avait toutes ses aptitudes. C’est la définition de 17

Virginia Anderson. C’est ça pour moi… et donc pour moi être infirmier c’est d’abord être 18

dans une situation clinique. La technique du soin, quant à elle, peut s’acquérir en 2 ou 3 mois. 19

L’infirmier clinicien, ou avec un regard clinique, que l’on souhaite former ici… enfin on 20

essaye, prend plus de temps à se construire. Pour moi, être infirmier c’est avoir un regard 21

clinique sur les situations de soins, avec tout l’accompagnement que cela présuppose. Donc… 22

avec des aptitudes d’observations et puis ce désir d’accompagnement, d’être à côté de l’autre 23

et pas faire pour lui… voilà. Dans l’instant… voilà ce que je peux dire du soin infirmier. Je 24

pense que l’on forme un bon technicien du soin très rapidement, un infirmier de réanimation 25

au bout d’un an il est très opérationnel, un infirmier psy pour moi il faut une vie de travail 26

pour le former. 27

Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 28

pour vous une science infirmière ? 29

Une science infirmière… c’est l’approche clinique de l’être humain. L’approche clinique 30

suppose d’être assis sur un savoir théorique solide. C'est-à-dire une réflexivité, une adaptation 31

aux situations, une remise en question de soi-même, un apprentissage permanent de 32

l’exercice. Donc… la science infirmière, elle a lieu d’être pour moi. Elle n’est pas nommée, 33

Page 202: « Science infirmière » ou « science appliquée

91

elle n’est pas reconnue par les représentations sociales de notre métier, mais elle existe. Elle 34

existe comme travail d’élaboration, analyse de situations… vous voyez ce que je veux dire. 35

Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 36

Primordial… pour moi c’est primordial, c’est indispensable. Sans les sciences humaines on 37

est un simple technicien du soin, on ne peut pas être un infirmier. Les sciences humaines… 38

sont indispensables par leurs apports sur le développement de l’individu à tous les niveaux, 39

cognitif, intellectuel, psychomoteur, staturo-pondéral, tout ce que vous voulez… Mais aussi 40

l’éclairage psychologique, psychanalytique, sociologique… le contexte sociologique est très 41

important dans le soin… elles vont loin les sciences humaines. Je mettrais également l’aspect 42

culturel… voyez, elles sont indispensables, premières. Cet éclairage là, on ne peut pas en faire 43

l’économie dans le soin. Si vous voulez… quand on forme un étudiant on ne peut pas lui 44

amener tous ces contenus, c’est impossible… mais ce que l’on peut lui apporter c’est 45

l’ouverture. Lorsque j’ai fait mes études de psychomotricienne… cela m’a ouvert une 46

bibliothèque… quelle ouverture, quel éclairage, quel autre regard sur le soin ! Vous voyez ce 47

que je veux dire ? Je vous parle des sciences humaines mais je mets autant l’accent sur les 48

disciplines fondamentales, anatomie, physiologie. Ce n’est pas uniquement les sciences 49

humaines. Je vais aller loin… en grandissant, en prenant de la hauteur, de l’âge… je pensais 50

avoir un boulot un petit peu léger, aujourd’hui je pense que, à notre poste, on a un niveau 51

universitaire. J’en suis persuadée aujourd’hui. Au plus je m’ouvre… au plus je me rends 52

compte que l’on ne mesure pas les compétences que demandent notre fonction. 53

Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 54

particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 55

humaines ? 56

J’étais infirmière libérale… on travaillait avec une population harki. Comment vous 57

expliquer… je me suis aperçue que les sciences humaines, en creux, pouvaient me manquer 58

ou me faire défaut. Ce manque m’ouvrait, m’incitait à aller chercher le savoir. Mais je peux 59

également affirmer que l’on peut travailler avec ce creux. L’authenticité permet de 60

travailler… d’entrer en relation de manière suffisante pour faire accepter le soin. Je travaillais 61

avec des patients maghrébins, des hommes d’un certain âge. L’authenticité, l’empathie, le 62

regard sur l’autre, l’acceptation de l’autre me suffisait pour fonctionner. Là où cela 63

apparaissait en creux… c’est que cela me questionnait sur ce que j’allais pouvoir découvrir 64

chez eux… si je ne pouvais pas le découvrir dans les livres. Je pense que les apports 65

théoriques sont nécessaires mais s’apprennent par l’observation sur le terrain. En tout cas, la 66

base de la théorie c’est quand même ce que l’on… et donc, c’est l’écoute. Ce manque me 67

Page 203: « Science infirmière » ou « science appliquée

92

permettait d’ouvrir mes yeux… ce creux en quelque sorte m’a permis de m’ouvrir. Cela pose 68

la question de la formation… notre rôle de formateur devient peut-être, dès lors, de créer du 69

creux pour que l’étudiant désire le remplir. Si on voit la formation au travers du projet 70

programmatique… on offre du plein. Selon le regard, le projet de l’IFSI, on est fait pour faire 71

du creux, pour donner les clefs d’une bibliothèque… Lorsque j’étais jeune infirmière j’ai 72

commencé aux nourrissons prématurés… c’est un sacré poste. Lorsque l’on n’a pas 73

d’expérience, que l’on est de nuit avec trois auxiliaires… il faut assurer. Grace à dieu je me 74

suis appuyée sur l’expérience de ces filles là et sur des médecins pédiatres qui étaient de 75

garde. Certains m’ont appris plein de choses. C’est pour vous dire que là, j’ai commencé avec 76

des creux. Par la suite je suis allée à l’université en alternance pour ma formation de 77

psychomotricienne. Quand je suis revenue dans le service… je me suis mis les mains sur la 78

tête… on mettait tout sur les couveuses… pan, pan, pan… le bruit. Je commence à observer le 79

soin avec cet éclairage… on mettait tout sur les couveuses, les flacons, les machins. Les 80

enfants sursautaient. Je commence à observer les pratiques de soins et à analyser avec 81

l’éclairage théorique. Déjà, à l’époque, j’alertais sur des pratiques qui me questionnaient. On 82

s’était moqué de moi dans tout l’hôpital parce que je demandais des précisions sur des 83

injections de pénicillines pour des prématurés. Je demandais à l’interne de me prescrire en 84

même temps de la Xylocaïne pour la douleur. Il m’autorisait à le faire mais cela avait fait le 85

tour de l’hôpital. Si je pouvais soigner sans faire mal… c’était mieux. A l’époque, en 79, la 86

prise en charge de la douleur ce n’était pas pris en compte. Cela avait fait rire beaucoup de 87

personnes dans l’hôpital… mais en attendant l’interne me le prescrivait. Cette ouverture par 88

rapport aux sciences humaines, je l’avais déjà eue. Le fait de faire des études m’a permis de 89

comprendre que ces creux, ces manques dans ma pratique… il y avait des réponses, des 90

chercheurs avaient réfléchi sur la douleur. 91

Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 92

question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 93

singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 94

sciences en soins infirmiers au pluriel ? 95

Science infirmière au singulier. Elle tient sa particularité de faire des ponts entre les autres 96

disciplines. C'est-à-dire que l’on ne peut pas faire l’économie des autres sciences. Je la vois 97

comme ça cette science… mais c’est une utopie. 98

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 99

Page 204: « Science infirmière » ou « science appliquée

93

Oui… le mot science, je fais le lien avec les sciences techniques, physiques, mathématiques. 100

Pour chacune, il y a plusieurs disciplines. Dans les mathématiques… il y a l’algèbre, la 101

géométrie, etc. Pour la science infirmière c’est pareil. 102

Page 205: « Science infirmière » ou « science appliquée

94

ANNEXE 6

Page 206: « Science infirmière » ou « science appliquée

95

Entretien étudiant N°1 : Mélanie (Annexe 2, p.15)

Unités de sens Indicateurs Critères Thème

« …le soin infirmier c’est avant tout la

présence, être à l’écoute… » L.6 « Etre empathique aussi. » L.35

Ø Ecoute Ø Présence Ø Empathie

Relation

So

in in

firmier

« En dehors du fait qu’il faut avoir une

expertise technique… » L.6

Ø Expertise

Technique

Clinique

« …le soin infirmier c’est également un

peu le don de soi… » L.7 « Lorsqu’un patient manifeste de la

reconnaissance en nous disant que nous

sommes gentils… » L.9 « …c’est aider sans en attendre forcément

quelque chose de la part du patient. » L.9

« …pour moi c’est une évidence dans le

soin infirmier, il faut être humain pour

faire ce métier là. » L.12

« Essayer de lui apporter ce que l’on

peut… » L.20

« Je pense quand même qu’il faut avoir

des qualités… être un peu sensible…pas

sensible mais... je ne sais pas…être

capable de percevoir des choses. Ce n’est

pas tout le monde qui peut faire ce

métier... voilà. » L.21

« Il faut être capable de recevoir la

souffrance… » L.25

« Il y a beaucoup de personnes qui me

disent qu’elles ne pourraient faire ce

métier… » L.29

« Il faut avoir certaines dispositions pour

faire ce métier. » L.32

Ø Oubli de soi Ø Bonté Ø Dévouement Ø Enthousiasme Ø Naturel Ø Inné

Disposition individuelle

Page 207: « Science infirmière » ou « science appliquée

96

Thème Critères Indicateurs Unités de sens S

cien

ce i

nfi

rmiè

re

Science vs nomothétique

Ø Maladie Ø Général Ø Objectivité

«…il faut la science parce qu’il faut être

au clair avec les pathologies… » L.39

« Pour moi le terme science…parce que la

science est posée…c’est voilà…1+1=2,

bon ça on y revient pas… » L.41

Science vs herméneutique

Ø Subjectivité « Le soin infirmier ce n’est pas que ça…

(la science) » L.43-L.45 « L’humain égale subjectivité…La

subjectivité ce n’est pas une science » L.46

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Recherche de sens

« Les sciences humaines ça fait réfléchir le

soin… » L.52 «…c’est pouvoir penser le soin… » L.56

« Les sciences humaines… elles m’ont

aidée dans le sens où je me suis

questionnée » L.83

Science vs nomothétique

Ø Général Ø Réductible Ø Vérité objective Ø Causalité Ø Pourquoi ?

« …cela a été dit par des auteurs, des gens

qui ont pensé cela… » L.89

« A quel moment il ne faut pas dépasser les

bornes. L’infirmier, à quel moment il doit

être respectueux. » L.91

« …pourquoi on fait ça ? » L.53

Page 208: « Science infirmière » ou « science appliquée

97

Entretien étudiant N°2 : Chloé (Annexe 2 p.18)

Unités de sens Indicateurs Critères Thème

« Le travail relationnel… écouter, entendre,

relever des éléments objectifs. » L.10 « Ce travail me permet de servir

d’intermédiaire pour orienter vers le

psychologue… » L.11

Ø Ecoute

Relation

So

in in

firmier

« Franchement, avant tout technique… pour

moi c’est le cœur du métier la technique. »

L.7

« …un sondage vésical ne peut pas être fait

par un psychologue. Pour moi, c’est ça le

cœur du métier. » L.15

Ø Expertise

Technique

Clinique

Disposition individuelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

infi

rmiè

re

Science vs nomothétique

Ø Science appliquée

« C’est une théorie qui doit être mise en

pratique. » L.27

« De la même façon que la science

médicale… » L27

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Sujet Ø Comprendre Ø Recherche

de sens

« Avant tout, réfléchir sur soi même… les

patients nous renvoie beaucoup de choses… »

L.34

« C’est aussi casser toutes les évidences…

élever le niveau de réflexion au-delà du sens

commun. » L.37 « Je pense que le professionnalisme vient de

là… au-delà de la technique. » L.38

« Etre professionnel c’est aussi du recul… »

L.39

« Je voulais trouver du sens… » L.77

Page 209: « Science infirmière » ou « science appliquée

98

Science vs nomothétique

Ø Réductible Ø Causalité Ø Général Ø Maîtrise Ø Mesure Ø Expliquer Ø Pourquoi ?

« …j’ai appris comment il faut répondre… »

L.51

« On ne peut pas faire certaines choses

lorsque l’on est professionnel… » L.52 « Avec l’apport des sciences humaines j’aurai

pu éviter d’utiliser ce moment, ce besoin de

faire un bras de fer. » L.83 « Les sciences humaines… elles devraient me

dire à quel moment je suis dangereuse, à quel

moment je suis malsaine. » L.86 « Les sciences humaines devraient me donner

des éléments de réponse… » L.91

Page 210: « Science infirmière » ou « science appliquée

99

Entretien étudiant N°3 : Sophie (Annexe 2 p.21)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Pour moi la relation est primordiale… »

L.16 «…la considération du patient… » L.9, L.15 « C’est à dire un aspect humain. » L. 10 « …le manque de temps pour rester auprès

du patient pour moi est un gouffre. » L.20 « La relation inter-humaine…l’infirmier n’est

pas une machine à dispenser des soins… »

L.22 «…appréhender son patient, qui il est,

comment il est. » L.23

Ø Disponibilité Ø Présence

Relation

So

in in

firmier « Il y a la maîtrise du geste technique… » L.7

« La maîtrise technique tout le monde peut

l’acquérir… » L.10

Ø Expertise Ø Maîtrise

Technique

Clinique

Disposition individuelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

infi

rmiè

re Science vs

nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Recherche de sens

Ø Questionnement

« …au lieu de considérer les choses

comme évidentes on se met à réfléchir

dessus. » L.40 « …cela nous permet de prendre du

recul. » L.41 « …cet apport là nous permet de réfléchir

notre positionnement. » L.43 « Cela nous amène à nous questionner

sur nos pratiques… » L.44 « …me remettre en question… » L.45

Science vs nomothétique

Ø Expliquer Ø Réductible Ø Pourquoi ? Ø Causalité

« Il y avait beaucoup de choses qui

auraient permis d’expliquer sa

douleur… » L.76 « …elle avait une sensibilité à la douleur

par rapport à ça, à son histoire. » L.72 « …et j’aurai expliqué aux autres… » L75

Page 211: « Science infirmière » ou « science appliquée

100

Entretien étudiant N°4 : Thomas (Annexe 2 p.24)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Toute la relation entre nous et le

patient… » L.13 « …il y a une discussion qui s’instaure… » L.17 « …en étant plus dans la relation avec le

patient que dans l’acte lui-même. » L.22 « La relation c’est connaître le patient. Qui

est avec moi, qui je vais soigner… pour

pouvoir le soigner. » L.30 « …moi j’ai le sentiment d’avoir besoin de

connaître… oui, de connaître, d’avoir

quelqu’un devant moi. » L.36 « … il est très facile de tomber dans la

mécanique et plus dans le soin justement. » L.40

Ø Ecoute Ø Présence Ø Disponibilité

Relation

So

in in

firmier

« Le soin, c’est une technique également,

c’est savoir mettre des choses en pratique. » L.9

« …le geste en soi n’est pas forcément

compliqué… » L.14 « C’est un petit peu comme si la technique

venait comme un réflexe… » L.20

Ø Expertise Ø Maîtrise

Technique

Clinique

« …mais aussi la vie que l’on peut avoir en

dehors de la structure, qui fait partie aussi

du soin infirmier… » L.8 « Pour moi la relation… j’en reviens un

petit peu à l’éducation, à la manière dont on

a été élevé… aux origines de ce que l’on

est. » L.27

« Je pense qu’il y a des notions d’éducation

et tout ça… ma mère est infirmière… » L.45 « Je le vois un petit peu comme la paye que

l’on n’aurait pas… la contre partie de la

rémunération. » L.50

Ø Dévouement Ø Oubli de soi Ø Vocation Ø Bonté

Disposition personnelle

Page 212: « Science infirmière » ou « science appliquée

101

Thème Critères Indicateurs Unités de sens S

cien

ce i

nfi

rmiè

re Science vs

nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Recherche de sens

Ø Incertitude

« …cela permet de mettre entre parenthèses

les principes, les certitudes, que l’on

considère comme posés… » L.72 « Cela permet la réflexion. » L.81 « Cela permet d’accéder au soin, à la

relation. » L.75

Science vs nomothétique

Ø Causalité Ø Expliquer Ø Vérité

objective Ø Pourquoi ?

« Les sciences humaines permettent de dire

que le patient réagit de cette façon là parce

que… » L.77 « Cela permet d’expliquer… » L.79 « …sans les sciences humaines, j’aurais

probablement dit, lâchez ça, c’est sale… »

L.89

Page 213: « Science infirmière » ou « science appliquée

102

Entretien étudiant N°5 : Paul (Annexe 2 p.28)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …pour moi, c’est davantage l’aspect

relationnel. » L.10 « …le soin passe d’abord par ce contact avec

la personne. » L.12 « …cela reste un des piliers de la pratique

soignante ; être en contact avec l’autre. » L.13 « La relation c’est le pilier de la pratique

soignante… » L.16 « Il va se construire quelque chose à partir

de là. » L.16 « Le cœur de la pratique soignante et du soin

infirmier c’est la relation. » L.22 « La relation est basée… sur l’écoute, sur le respect, sur la connaissance de l’un et de

l’autre… sur la confiance. » L. 25

Ø Ecoute Ø Respect Ø Confiance

Relation

So

in in

firmier

Technique

Clinique Disposition

personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Général Ø Réductible Ø Loi

«... la science elle est basée sur des faits

d’observations qui se reproduisent sur

lesquels on peut établir des lois. » L.35

Science vs herméneutique

Ø Singulier Ø Irréductible

« Je ne suis pas sur que l’on puisse parler de

science dans la mesure où cette fameuse

relation elle est parfaitement singulière. » L.31 « Cette relation… elle ne peut se reproduire…

on ne peut pas parler de science. » L.34 « Je ne suis pas sur que l’on puisse

‘scientifiser’ le soin. » L.39

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre Ø Recherche

de sens

« …on a besoin d’un référentiel pour

comprendre ce qui se passe, pour comprendre

ce que l’on ressent… pour mieux se placer. »

L. 56

Science vs nomothétique

Ø Maîtrise Ø Contrôle Ø Vérité

objective

« Je me suis retrouvé… dans des situations

d’échec, dans des situations où je n’avais pas

cette maîtrise. » L.60 « Les sciences humaines permettent d’être

dans une position adaptée face à un cas

précis. » L. 63

Page 214: « Science infirmière » ou « science appliquée

103

ANNEXE 7

Page 215: « Science infirmière » ou « science appliquée

104

Entretien infirmier N°1 : Claire (Annexe 3, p.33)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …le côté rôle propre et relationnel fait

partie intégrante du soin infirmier. » L.10 « Il faut que l’on soit capable… la théorie,

la pratique, mais aussi le relationnel… » L.11 « Il existe des choses très simples qui ne

sont pas prescrites. » L.26 « …les élèves infirmiers… ils sont très loin

au niveau du relationnel avec les patients…

ils n’arrivent pas à s’immiscer comme ça

dans l’intimité des gens. » L.50

Ø Rôle propre Relation

So

in in

firmier

« Il faut que l’on soit des techniciennes

organisées, ça c’est sur… » L.9 « …je n’exclue absolument pas tout ce qui

est théorie et technicité… » L.15 « On doit passer au rôle prescrit avec tout

ce qui est théorique et pratique… » L.30

Ø Expertise Ø Technicité Ø Pratique

Technique

Clinique

« La différence entre une bonne et une

moins bonne infirmière c’est le

relationnel… » L.17 « Il y a quand même de la théorie… mais à

force c’est tellement spontané. » L.38 « Où est ce qu’ils vont mettre la grande

partie qui est le relationnel… ce n’est pas à

la fac qu’on va l’apprendre. » L.73

Ø Naturel

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Maladie

« La science infirmière peut être un

enseignement basé sur les pathologies, sur les

connaissances théoriques des pathologies… »

L.71 Science vs

herméneutique

Page 216: « Science infirmière » ou « science appliquée

105

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Singulier

« Oui… cela rentre dans l’intimité et le

relationnel avec le patient. » L.83 « Peut être à avoir une approche avec les

patients… personnalisée. » L.92

Science vs nomothétique

Ø Maîtrise Ø Causalité Ø Expliquer Ø Réductible Ø Résolution

de problème

« … tout ce qui est gestion du stress… » L.88 « Ce n’est pas à n’importe quel moment que

vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel

moment ? Si vous piochez un peu… vous avez

la réponse. » L.97 «Les nouveaux diplômés… les sciences

humaines, ils n’en voient pas l’importance…

ils ne voient pas comment l’appliquer… » L.111

Page 217: « Science infirmière » ou « science appliquée

106

Entretien infirmier N°2 : Alice (Annexe 3, p.37)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

«Le soin infirmier… c’est dans un premier

temps tout ce qui est relation… » L.10 « …instaurer la relation avec le patient,

apprendre à le connaître. » L.11 « …toujours mettre des mots sur ce que

l’on va faire… » L.16 « Pour moi le travail infirmier il se résume

à être là, mais être là pour la

personne… » L.25 «… j’ai choisi le long séjour pour ça,

parce qu’ailleurs ce n’est pas toujours

faisable. » L.33 « … je suis sensible à tout ce qui est

relation… » L.47

Ø Présence Ø Disponibilité

Relation

So

in in

firmier

« Même si je suis dans la technique et

dans l’exécution du soin infirmier prescrit

par le médecin… » L.11 « …après… tout ce qui est technique de

l’acte infirmier… » L.20

Ø Expertise Ø Prescrit

Technique

Clinique

« Il y a des gens qui sont dans la

communication, d’autres qui le sont

moins, d’autres qui ne le sont pas du

tout. » L.60 « Moi je n’ai pas eu l’impression d’avoir

besoin de la théorie. J’étais aide soignante

et j’étais déjà comme ça… » L61 « … je tente de le faire avec beaucoup

d’humanité… je suis dans la relation. »

L.13 « … j’essaie de faire passer ce message. » L.14 « … il faut essayer de mettre un peu de

chaleur dans le soin. » L.14 « Je pense qu’il y a des profils de

poste… » L.63 « Les sciences humaines… c’est vrai qu’il

en faut mais je pense qu’il y a un profil de

la personne. » L.73 « …on se dit, celle là elle est faite pour ça,

celle là elle ne sera pas commode… » L.77 « … il y a un côté inné qui est là. » L.79 « Il me semble que de façon naturelle je

peux régler ce problème… » L.67

Ø Dévouement Ø Idéal Ø Vocation Ø Enthousiasme Ø Naturel Ø Inné

Disposition personnelle

Page 218: « Science infirmière » ou « science appliquée

107

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Maladie Ø Objectivité Ø Causalité

« C’est des connaissances sur les

pathologies, sur les traitements. » L.37 « Voilà… c’est quand il y a des choses qui

nécessitent de faire des liens entre les

connaissances, que ce soit au niveau de la

pathologie, de la biologie, de la

pharmacie. » L.42

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Singulier Ø Abstrait

« … cela veut dire que devant nous on a

quelqu’un qui n’est pas un patient mais un

individu. » L.51 « J’ai l’impression cependant que l’apport

théorique des sciences humaines ne m’a

pas servi au niveau pratique. Le reste (les

autres connaissances) on peut le prendre pour l’appliquer. Moi je n’ai pas eu

l’impression d’avoir pris la théorie des

sciences humaines pour l’appliquer… pour

la mettre en pratique. » L.57

Science vs nomothétique

Page 219: « Science infirmière » ou « science appliquée

108

Entretien infirmier N°3 : Léna (Annexe 3, p.41)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …expliquer ce que l’on fait, essayer de le

mettre en confiance, expliquer la totalité du

soin… » L.10 « … donner un compte rendu… » L.14

Ø Confiance Ø Echange

Relation

So

in in

firmier

« Après il y a le soin technique. » L.12

Ø Expertise

Technique

Clinique

« Expliquer qu’il faut être à l’écoute du

patient, c’est en fait la base du travail. »

L.39 « … c’est naturel, c’est une qualité à avoir

lorsqu’on veut être infirmière ou aide

soignante. » L.42

Ø Naturel

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Expliquer Ø Causalité Ø Maladie Ø Réductible Ø Général Ø Pourquoi ?

« L’idée de comprendre… comprendre

pourquoi les traitements sont mis en place,

pour quelles raisons des examens sont

prescrits… » L.25 « Les sciences infirmières c’est comprendre le

but de tous les examens prescrits par le

médecin. C’est comprendre le cheminement du

diagnostic médical. » L.27 « Pourquoi on le fait et pour quelles raisons ?

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es Science vs

herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Expliquer Ø Causalité Ø Maîtrise

« Les sciences humaines sont utiles car dans

cet exemple on est déjà au courant de ce qui

peut arriver. » L.51

Page 220: « Science infirmière » ou « science appliquée

109

Entretien infirmier N°4 : Hugo (Annexe 3, p.43)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« En psychiatrie je parlerai plus de soins

infirmiers relationnels » L.15 Il y a une particularité…. Particularité

relationnelle en psychiatrie » L.23 « Je pense qu’il faut avoir une bonne

pratique du relationnel… » L.24 « Le soin sera singulier en fonction de

chaque personne… » L.28 « … on est perpétuellement dans des

relations avec les patients, les familles et les

collègues. » L.67

Ø Singulier

Relation

So

in in

firmier

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Ø Recherche de sens

« … qu’il y est une réflexion sur le soin… »

L.33

« C’est une remise en question. C’est aussi

des perspectives… » L.34

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Expliquer Ø Résolution

de problème Ø Maîtrise

« Cela donne des pistes pour entrer en

contact avec certaines personnes, pour

expliquer certaines choses. » L.62 « Il faut faire preuve de psychologie pour

réussir une prise de sang. Il faut passer par

certaines tactiques… et à travers ça, c’est des

sciences humaines » L.78

Page 221: « Science infirmière » ou « science appliquée

110

Entretien infirmier N°5 : Gilles (Annexe 3, p.46)

Unités de sens Indicateurs Critères Thème

« Cela comprend à la fois tout ce qui est rôle

propre, tout ce qui est sur prescription, mais

aussi tout ce qui existe autour, notamment la

relation d’aide… » L.12 « Il faut adapter les soins en fonction de la

personnalité du patient et pas uniquement en

fonction de la pathologie. » L.16

Ø Rôle propre

Relation

So

in in

firmier

« Ce que les gens ont à l’esprit, c’est

davantage le rôle prescrit que le rôle propre.

C'est-à-dire injecter des produits, distribuer

des médicaments, prendre les tensions alors

que c’est beaucoup plus compliqué que ça. » L.26

Ø Prescrit

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Maladie

« … ce qui est vraiment la technicité du rôle

infirmier (les injections, les prises de sang…

tout le quotidien des prescriptions

médicales. » L.36

Science vs herméneutique

Ø Singulier « … l’aspect psychologique du travail, la

relation d’aide et toutes ces choses là. » L.38

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Vérité objective

Ø Expliquer Ø Résolution

de problème Ø Maîtrise Ø Contrôle Ø Certitude Ø Concret

« … c’est très important car cela permet

d’objectiver des choses que l’on ressent plus

ou moins de manière sensitive. » L.49 « Cela nous permet de mettre des savoirs

objectifs sur… justement comment aborder

tout l’aspect psychologique et relationnel au

travail. » L.50 « Cela permet d’expliquer clairement des

choses qui, parfois, relèvent du ressenti. »

L.53 « … comment aborder le soin avec cette

personne en particulier. C'est-à-dire

appréhender différents profils. » L. 54« Cela permet d’adapter le soin. » 56 « On sort du sensitif, de l’affect, on est sur

quelque chose d’établi. » L.72

Page 222: « Science infirmière » ou « science appliquée

111

Entretien infirmier N°6 : Nadine (Annexe 3, p.49)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …être plus dans le relationnel et dans

l’éducatif que dans le soin technique… »

L.10 « …expliquer au patient ce que l’on fait

pour lui… » L.9 « … plutôt dans la discussion… » L.12 « … c’est l’éducation… » L.14 « … le soin infirmier passe par l’explication

du soin… » L.19 « … si on explique… le patient sera plus

confiant et nous on aura de meilleures

relations. » L.23 « … si le patient à confiance il aura moins

mal… » L.25 « La notion de confiance pour moi… si on

ne l’a pas cela complique les choses. » L.26 « …l’écouter, lui répondre, lui expliquer…

après tout est possible. » L.28

Ø Educatif Ø Confiance Ø Ecoute Ø Expliquer

Relation

So

in in

firmier

« … c’est aussi l’exécution d’une

prescription médicale. » L.29 « Le soin infirmier c’est aussi faire des

actes techniques. » 32 « Le côté technique est donné à tout le

monde je pense… ce n’est pas le plus

difficile. » L.44

Ø Prescrit

Technique

Clinique

« …disponible et à l’écoute… c’est pareil

dans la vie de tous les jours, ce n’est pas

propre à l’infirmière non plus. » L.47

Ø Naturel

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Objectif « Le terme de science pour moi est relié à des

choses plus concrètes, objectives, explicables

par des équations. » L.40

Science vs herméneutique

Ø Subjectif

Le métier d’infirmière… scientifique…

science… c’est beaucoup plus subjectif que ça

pour moi. » L.39

Page 223: « Science infirmière » ou « science appliquée

112

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Résolution de problème

Ø Maîtrise Ø Science

appliquée

« Dire à quelqu’un d’arrêter de fumer… il faut

y arriver. » L.69 « C’est intéressant de savoir qu’il y a des

moyens de dire aux gens que l’on peut changer

de façon de vivre… et du coup arriver à ce

qu’ils changent de manière de vivre. »L. 70 « C’est bien aussi d’arriver à ce que l’on

veut… » L.72 «… c’est bien de savoir qu’il y a des moyens

qui font que l’on peut y arriver. » L.76

Page 224: « Science infirmière » ou « science appliquée

113

ANNEXE 8

Page 225: « Science infirmière » ou « science appliquée

114

Entretien Cadre Soignant N°1 : Laurence (Annexe 4, p.54)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« … c’est prendre en charge un patient…

sur le plan relationnel, la relation d’aide. » L.14 « Ce n’est pas juste un soin technique, pour

moi il y a autre chose… une approche

humaine. » L.19 « Ce n’est pas tellement reconnu…enfin, ce

qui n’est pas reconnu c’est la présence que

cela exige auprès d’un patient. » L.20 « Je ne pense pas que le temps relationnel

soit pris en compte dans un service… » L.22 « Le soin infirmier c’est beaucoup d’aide et

de relation et ce n’est pas seulement des

actes en séries selon la prescription médicale. » L.27 « Il faut tenir compte de l’environnement

affectif, social, familial. » L.31

Ø Présence Ø Aide Ø Disponibilité

Relation

So

in in

firmier

« …le soin infirmier c’est prendre en charge

un patient, sur le plan technique, tous les

actes techniques… » L.13

Ø Prescrit

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Pourquoi ? Ø Expliquer Ø Causalité

« C’est la recherche… si on fait une étude sur,

pourquoi le patient accepte mieux son

traitement qu’un autre… » L.38

Science vs herméneutique

Page 226: « Science infirmière » ou « science appliquée

115

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Singulier Ø Malade Ø Recherche

de sens

« Les sciences humaines sont importantes

justement pour ne pas tomber dans des

actes…des actes en série. » L.41 « … une personne démente, grabataire, c’est

encore une personne humaine qui a des

ressources. » L.43 « … et puis cela fait réfléchir… » L.46

Science vs nomothétique

Ø Résolution de problème

Ø Maîtrise

« … peut être au niveau de l’approche de la

mort, du deuil… voilà…les étapes…les

différentes étapes. » L.58 « Cela nous aide à gérer… gérer au mieux »

L.59

Page 227: « Science infirmière » ou « science appliquée

116

Entretien Cadre Soignant N°2 : Yves (Annexe 4, p.56)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Le soin infirmier c’est avoir une relation de

confiance le plus tôt possible avec un

patient. » L.11 « A partir de là, il est possible de proposer un

soin. » L.13 « …travailler… sur le vécu par le patient de

sa souffrance. » L.15 « Après par l’empathie… on ne soigne pas un

bras, on ne soigne pas une dépression, on

soigne la personne. » L.16 « Il n’y a pas que la pathologie, il y a la

personne et son environnement. » L.30

Ø Confiance Ø Empathie Ø Malade

Relation

So

in in

firmier

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

« …écrire, conceptualiser, éclairer nos

actes. » L.41

Sci

ence

s h

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ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre Ø Comment ?

« Les sciences humaines c’est une

compréhension de ce que l’on fait et à partir

de concepts c’est pouvoir éclairer notre

pratique et pouvoir la faire évoluer. » L.53 « …si on convoque des concepts particuliers,

on peut travailler autour. »L.67 « Expliquer… enfin cela peut permettre de

comprendre. »L.71 « …cela te permet de comprendre des choses

qui se jouent à ce moment là dans une

équipe. » L.77

Science vs nomothétique

Ø Expliquer Ø Pourquoi ? Ø Maîtrise

« Les sciences humaines peuvent cautionner

et expliquer le soin. » L.71 « …parce que tu as cet éclairage là… et bien

cela t’aide à gérer une équipe. » L.73

Page 228: « Science infirmière » ou « science appliquée

117

Entretien Cadre Soignant N°3 : Renée (Annexe 4, p.59)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …toute la construction professionnelle

autour du soin. C'est-à-dire toute la relation

au patient, mais aussi la relation à soi. » L.21 « …on se construit dans la relation au

quotidien. » L.23 « …le métier est passionnant pour la

relation… » L.23 « …en tant que cadre, ce n’est plus la relation

au patient mais davantage la relation à

l’équipe… » L.24

Ø Construction

Relation

So

in in

firmier

« Alors d’emblée on pense à ce qui est

technique. » L.14 « …ce qui était du domaine technique était

facile, dans le sens où, très rapidement il

fallait intégrer la technique pour pouvoir s’en

débarrasser. » L.17 « …on veut avoir la maîtrise totale de la

technicité. » L.19 « C’est une question de maîtrise de la

technique, une fois que l’on connait le matériel

et toute la technicité on devient disponible… » L.34 « Tout ce qui est technicité… c’est facile, une

fois que c’est intégré. » L.37 « Le geste technique en lui-même doit plutôt

être considéré comme l’outil qui permet cette

relation. » L.39 « On va plus loin qu’une prescription… dans

la technique, c’est vrai que l’on s’est acquitté

de son devoir… » L.46

Ø Expertise Ø Maîtrise Ø Prescrit Ø Obligation

Technique

Clinique

Page 229: « Science infirmière » ou « science appliquée

118

« …je pense que c’est le don de soi, quoi que

l’on en dise… sans retour. » L.26 « Je ne parlerai pas de vocation… mais c’est

un peu cela. » L.27 « Je pense que l’on s’accomplit vraiment

lorsque l’on a fait le maximum. » L.28 « Là, je peux dire que l’on est satisfait de sa

prestation, du soin, de soi, au regard de ce que

l’on a donné… » L.31 « …donner ce que l’on a de soi-même, pour les

patients… pour moi c’est la finalité du soin »

L.36 « …on voit qu’à travers le soin il y a autre

chose. »L.41 « Si, en tant que soignant on n’a pas perçu

cela… on passe à côté de plein de choses, on

fait son travail comme on va à l’usine, on

accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait

et puis on s’en va. » L.42 « …plus profondément dans sa prestation,

dans sa… finalement raison d’être… la vie

c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce que l’on

a pu apporter. » L.44 « La technique… c’est vrai que c’est reposant

quelque part… » L.47 « …si on est préoccupé personnellement on ne

peut pas être disponible » L.48 « …les patients le sentent bien que vous êtes

disponible… la relation se fait comme ça. » L.52 « …voilà… c’est le moment fabuleux… ce que

l’on pu donner… ce que l’on a pu recevoir

aussi. » L.56 « …un infirmier sur le terrain, qui donne du

soin, qui se donne aussi à travers le soin… »

L.72 « Je trouve que cela devient quelque chose qui

s’intellectualise… la science infirmière. » L.63

Ø Don de soi Ø Vocation Ø Enthousiasm

e Ø Idéal Ø Dévouement Ø Bonté Ø Energie Ø Courage Ø Oubli de soi Ø Naturel

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

infi

rmiè

re

Science vs nomothétique

Page 230: « Science infirmière » ou « science appliquée

119

Science vs herméneutique

Ø Recherche de sens

« …il faut réfléchir à ce que l’on fait, au

sens que l’on donne au soin… » L.66 « Cela fait des têtes pensantes et pas

comment dire… du travail sur

prescription. » L.74

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Irréductible Ø Incertitude

« C’est l’ouverture… à des champs dont on

ne soupçonne pas… » L.76

Science vs nomothétique

Ø Résolution de problème

Ø Maîtrise Ø Vérité

objective

« Du coup les sciences humaines peuvent

nous aider à relativiser ou à gérer des

problèmes ou à maîtriser ou à percevoir ce

que veulent les gens. »

« Là, les sciences humaines, bien sur que ça

sert, on a une relation qui est beaucoup plus

facile, on a une réponse adaptée. » L.121 « Je n’ai plus rien, je n’ai rien à proposer,

je n’ai plus rien quoi… » L.130 « On pourrait enchainer en disant aux

parents… mais je ne sais pas ce que l’on

peut dire… je n’ai pas les connaissances. »

L.132 « …enchainer en disant bon… voilà… j’ai

vu un tel qui disait… » L.134 « …les sciences humaines permettent de dire

ce qu’il faut dire dans ce cas là. » L.136

Page 231: « Science infirmière » ou « science appliquée

120

Entretien Cadre Soignant N°4 : Eva (Annexe 4, p.64)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Le soin infirmier c’est également une

relation. » L.18 « Après on peut mettre beaucoup de choses

autour… l’éducation thérapeutique, un

accompagnement… » L.20

Ø Educatif

Relation

So

in in

firmier

Technique

« Le soin infirmier… c’est une pratique…

visant à accompagner une personne dans un

parcours thérapeutique. » L.15 « …un accompagnement avec des pratiques

professionnelles fortes. » L.21 « Il s’agit d’évaluer une situation clinique

donnée… » L.16 « …moi je suis très clinique… le soin infirmier

c’est de la clinique… » L.19 « …on se retrouve sur les aspects cliniques. » L.43

Ø Pratique Ø Evaluation

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Ø Compréhension Ø Recherche de

sens

« Aujourd’hui en cancérologie la

décision est pluridisciplinaire… c’est très

compréhension d’une problématique ». L.46 « Dans le soin infirmier il y a

aujourd’hui une réflexion plus

importante… social, familial,

professionnel. » L.48 « …en questionnant au moins la prise en

charge… » L.50

Page 232: « Science infirmière » ou « science appliquée

121

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre Ø Comment ? Ø Recherche de

sens

« Sans les sciences humaines on a des

actes infirmiers… » L.91 « Les sciences humaines permettent de

passer de l’acte au soin. » L.92 « …c’est une aide à la réflexion, une

ouverture, pas vraiment une aide à la

décision toujours. » L.101 « …la confrontation de différents points

de vue… qui nous font reconsidérer une

situation. » L.102

Science vs nomothétique

Page 233: « Science infirmière » ou « science appliquée

122

Entretien Cadre Soignant N°5 : Lucile (Annexe 4, p. 68)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« … et des soins relationnels. » L.15

Relation

So

in in

firmier

« … à la fois des soins techniques… »

L.15 Technique

Clinique

« … le prendre soin de la personne, toute

une conception du soin. » L.18 « C’est aussi tout ce que l’on y met de

nous-mêmes… dans le prendre soin, dans

tout ça. » L.24 « C'est-à-dire tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous pour soigner. » L.28 « … toute l’humanité et toutes ces valeurs

que l’on y met nous soignants… » L.30 « … le respect de la personne, l’écoute de

l’autre, la bonne distance… le prendre

soin. » L.33

Ø Enthousiasme Ø Dévouement Ø Bonté Ø Idéal

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

infi

rmiè

re Science vs

nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Vérité objective

Ø Expliquer Ø Maîtrise Ø Technique

« …pouvoir se positionner… » L.48 «…dans la relation juste avec le patient… »

L.49 « C’est pouvoir expliquer ce qui se passe

aussi dans les relations… » L.49 « Il y avait des notions que je n’avais pas

sur la distance avec l’autre, sur la relation

avec la famille. » L.57 « Certaines formations sur la relation d’aide

et le soin palliatif m’ont permis de mieux

réussir et de mieux me positionner… » L.63 « …être plus dans le prendre soin, mais

avec la bonne distance grâce à ces

connaissances là. » L.64

Page 234: « Science infirmière » ou « science appliquée

123

Entretien Cadre Soignant N°6 : Chantal (Annexe 4, p.71)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …c’est tout l’aspect psychologique,

comment le patient ressent sa maladie,

comment il vit son hospitalisation. » L.26 « C’est aussi l’écoute du patient… » L.28 « C’est tout cet aspect là qui bien souvent

n’est pas pris en compte. » L.30 « On peut prendre le temps de se poser 5

minutes et de parler au patient… » L.33 « Il vient pour un acte chirurgical mais il y

a de l’anxiété derrière. » L.38

Ø Ecoute Ø Empathie Ø Aspect

psychologique

Relation

So

in in

firmier

« …il faut faire abstraction de l’aspect

technique, il faut aller un peu plus au

profond des choses. » L.17 « …les étudiants… lorsqu’on exige d’eux

les objectifs de stage… c’est tout l’aspect

technique qui ressort. » L.19 « …ils se concentrent sur ces gestes et

puis… ensuite, ils oublient tout. Ils passent

à côté d’un tas de choses. » L.22 « …je vais chercher n’importe qui dans la

rue, je le prends et je peux lui enseigner

les piqures. » L.55

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

infi

rmiè

re

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es Science vs

herméneutique

Science vs nomothétique

Page 235: « Science infirmière » ou « science appliquée

124

ANNEXE 9

Page 236: « Science infirmière » ou « science appliquée

125

Entretien Cadre Formateur N°1 : Cathy (Annexe 5, p.76)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« …c’est la prise en charge d’ordre

psychologique. » L.17 « …ne pas s’attacher uniquement au patient

en tant qu’objet mais aussi dans ses

émotions, dans son ressenti, dans la

relation… » L.20 « …il faut aller extraire un peu ce qui se

passe chez lui… » L.22 « …savoir ce qu’il ressent au regard de sa

maladie… » L.27 « …instaurer un climat de confiance… » L.28

« …apporter cette part d’écoute et de

relation… » L.35 « …répondre aux besoins et en même temps à tout cet aspect psychologique… » L.39 « Une fois que l’on a dépassé cette technicité,

l’intérêt c’est d’aller privilégier ce côté

relationnel. » L.45 « …mettre en place les conditions favorables

à la relation. » L.47 « …la relation d’aide, l’écoute, l’empathie

peuvent être efficace. » L.100

Ø Aspect psychologique

Ø Confiance Ø Ecoute Ø Empathie

Relation

So

in in

firmier

« …au début c’est une formation qui fait

appel essentiellement à la technicité… c’est

ce côté technique qui nous plait… » L.42

Ø Expertise

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Ø Maladie

« Notre activité repose sur les sciences

médicales à travers la pathologie… » L.53 « A mon époque la formation était

essentiellement axée sur la pathologie, sur le

savoir médical. » L.55 Science vs

herméneutique

Ø Malade

« …et sur la psychologie, la sociologie,

l’anthropologie… » L.54

Page 237: « Science infirmière » ou « science appliquée

126

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Science vs nomothétique

Ø Résolution de problèmes

Ø Science appliquée

« …il ne faut pas que l’étudiant s’y perde »

L.64 « …l’étudiant est confronté à une logique de

résolution de problèmes. » L.65 « On est vraiment dans la résolution de

problèmes, pure et dure, il faut trouver des

solutions. » L.67 « …demander aux étudiants de passer d’une

logique de résolution de problèmes à une

réflexion, c’est quelque chose que les

étudiants ont du mal à s’approprier. » L.70 « Peut-être est-ce nous, formateurs, qui ne

nous donnons pas les moyens de cette

réflexion… » L.71 « Il n’est pas évident de les mettre en œuvre,

de les mettre en action. » L.87 « Cela peut permettre de répondre et de faire

face à certaines situations. » L.104

Page 238: « Science infirmière » ou « science appliquée

127

Entretien Cadre Formateur N°2 : Josiane (Annexe 5, p.80)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Il y a deux éléments importants qui

concernent l’état physique et

psychologique. » L.13 « …est-ce qu’il est réceptif, est-ce qu’il est

dans l’angoisse, la préoccupation par

rapport aux soins ou par rapport à

l’extérieur. » L.19 « Pour moi c’est très important car il y a

cet aspect dans le soin éducatif, dans

l’accompagnement, qui fait que si tu ne

prends pas cela en compte tu ne peux pas

prendre en compte ce qu’est la

personne. » L.27 « S’il est tendu, s’il a des préoccupations particulières… » L.33 « …si tu ne t’occupes pas vraiment de

l’état dans lequel se trouve le patient en

pré et post opératoire tu passes à côté. » L.40

« …tu ne peux pas ignorer l’aspect

psychologique, sociologique de la

personne que tu as en face… » L.65 « Cela revient à s’intéresser à la culture…

à l’état de la personne sur le plan

psychologique à son arrivée. » L.68

Ø Aspect psychologique

Relation

So

in in

firmier

« …c’est quand même comme ça que l’on

arrive à mieux cerner l’aspect technique

du travail du soin. » L.31 « …c’est à l’acte chirurgical que l’on est

concentré… » L.37 « On peut faire des bêtises parce qu’il est

tellement tendu qu’il peut gêner, gêner le

geste. »L.41 « …tu es bien obligé d’adapter y compris

ta technique de soin au patient. » L.67

Ø Maîtrise

Technique

Clinique

Disposition personnelle

Page 239: « Science infirmière » ou « science appliquée

128

Thème Critères Indicateurs Unités de sens S

cien

ce

infi

rmiè

re

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre

« En fait, il y a une tendance à mettre

dans des cases un peu rapidement parfois

et ce n’est pas toujours évident. » L.78

Science vs nomothétique

Ø Causalité Ø Expliquer

« …les aspects qui ont conduit le patient

à être dans cet état là. » L.69

Page 240: « Science infirmière » ou « science appliquée

129

Entretien Cadre Formateur N°3 : Valérie (Annexe 5, p.84)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

«Le soin infirmier c’est s’occuper de l’autre en

reconnaissant cet individu, tel qu’il peut être. »

L.14 « C’est pouvoir apporter un peu

d’humanité… » L.17 « C’est pouvoir l’aider à supporter un passage

difficile. » L.18 « c’est pouvoir écouter, c’est apporter une

présence, des explications pour le geste, c’est

être disponible, c’est être à l’écoute. » L.19 « Les soins infirmiers, ce n’est pas, à la lettre,

appliquer un soin qui a été prescrit. » L.22 « Ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez

dans le guidon mais faire avec le patient. » L.27 « …suffisamment dans l’écoute du patient qui

nous renvoie des choses. » L.30 « Je pense que le patient à besoin autant de ce

rapport humain que de la dextérité du geste

technique. » L.35 « Se poser un peu pour ça… plutôt que d’être

dans le faire, le faire, le faire. » L.40

Ø Humanité Ø Aide Ø Ecoute Ø Présence Ø Expliquer Ø Disponible

Relation

So

in in

firmier

« C’est des soins techniques, mais au travers

de ces soins techniques… » L.16 « Certains veulent faire leurs actes

techniques… point. » L.33

Ø Prescrit Technique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Ø Comprendre

« Dans le soin infirmier on travaille en cherchant à comprendre à l’aide de

plusieurs disciplines. » L.44

Page 241: « Science infirmière » ou « science appliquée

130

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre Ø Recherche de

sens

« Travailler avec les sciences humaines

permet une meilleure compréhension de

l’autre, en tout cas, on va s’arrêter et

essayer de comprendre ce qui se passe chez

l’autre. » L.54 « On n’avait pas à l’époque, cette

réflexivité, cette analyse qui utilise

l’éclairage des sciences humaines. » L.60

Science vs nomothétique

Page 242: « Science infirmière » ou « science appliquée

131

Entretien Cadre Formateur N°4 : Michèle (Annexe 5, p.87)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Etre proche du patient… c’est une

proximité… » L.13 « C’est faire des soins en étant à l’écoute

de la personne. » L.15 « Etre disponible, être attentif… être dans

l’empathie… » L.17 « C’est un travail sur les valeurs et sur la personne et pas uniquement centré sur les gestes. » L.28

Ø Proximité Ø Ecoute Ø Disponibilité Ø Empathie

Relation

So

in in

firmier

« Tout le monde sait tenir une

seringue… » L.25 « …il ne s’agit pas de savoir simplement

l’asepsie ou le geste technique… ça ne

suffit pas. » L.30

Technique

Clinique

« Après, je me dis qu’il y a quand même

des choses…pas innées, mais des choses

que l’on sent. » L.58 « …puis je me dis que l’on ne devient pas

infirmière pour rien. » L.59

Ø Inné Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Comprendre Ø Recherche de

sens

«…il existe des choses auxquelles on ne

pense pas et qu’il paraît intéressant de

comprendre » L.46 « …on essaye d’avoir une compréhension

des choses, du coup on a plus de recul. » L.47

Science vs

nomothétique Ø Résolution de

problèmes

« C’est pour répondre à tout ce qui n’est

pas geste technique… » L.40 « Cela permet de répondre à

l’anxiété… » L.42

Page 243: « Science infirmière » ou « science appliquée

132

Entretien Cadre Formateur N°5 : Barbara (Annexe 5, p.90)

Unités de sens

Indicateurs Critères Thème

« Le soin infirmier c’est la rencontre de 2

personnes, avec une personne qui à un

moment donné se trouve dans une position

de faiblesse. » L.15 L’authenticité, l’empathie, le regard sur

l’autre, l’acceptation de l’autre me suffisait

pour fonctionner. » L.

Ø Rencontre Ø Empathie

Relation

So

in in

firmier

« La technique du soin… peut s’acquérir

en 2 ou 3 mois. » L.19 « Je pense que l’on forme un bon

technicien du soin rapidement, un

infirmier de réanimation au bout d’un an

il est opérationnel… » L.25

Ø Maîtrise

Technique

« …pour moi être infirmier c’est d’abord

être dans une situation clinique. » L.18 « L’infirmier clinicien, ou avec un regard

clinique… prend plus de temps à se

construire. » L.20 « Pour moi, être infirmier c’est avoir un

regard clinique sur les situations de soin…

avoir des aptitudes d’observations… »

L.21 « L’approche clinique suppose d’être assis

sur un savoir théorique solide. » L.30

Ø Pratique Ø Observation Ø Savoir

théorique

Clinique

Disposition personnelle

Thème Critères Indicateurs Unités de sens

Sci

ence

in

firm

ière

Science vs nomothétique

Science vs herméneutique

Page 244: « Science infirmière » ou « science appliquée

133

Sci

ence

s h

um

ain

es

Science vs herméneutique

Ø Imprévisible Ø Irréductible Ø Praxis Ø Incertitude Ø Création

« Sans les sciences humaines on est un

simple technicien du soin… » L.38 « Quand on forme un étudiant… ce que

l’on peut lui apporter c’est l’ouverture. »

L.45 « …quelle ouverture, quel éclairage, quel

autre regard sur le soin ! » L.47 « Cet éclairage là, on ne peut pas en

faire l’économie dans le soin. » L.43 « Je pense que les apports théoriques

sont nécessaires mais s’apprennent par

l’observation sur le terrain. » L.65 « …notre rôle de formateur devient peut-

être, dès lors, de créer du creux pour que

l’étudiant désire le remplir. » L.69 « …on est fait pour faire du creux, pour

donner les clefs d’une bibliothèque… »

L.71

Science vs

nomothétique

Page 245: « Science infirmière » ou « science appliquée

134

ANNEXE 10

Page 246: « Science infirmière » ou « science appliquée

135

Grille d’analyse

Critères

Indicateurs Unités de sens

Relation Ø Ecoute Ø Présence Ø Proximité Ø Aide Ø Empathie Ø Echange Ø Rencontre Ø Respect Ø Confiance Ø Rôle propre Ø Disponibilité Ø Educatif Ø Expliquer Ø Construction Ø Aspect psychologique

Critères

Indicateurs Unités de sens

Technique

Ø Expertise Ø Prescrit Ø Maîtrise Ø Obligation

Critères

Indicateurs Unités de sens

Clinique

Ø Pratique Ø Evaluation Ø Observation Ø Savoir théorique

Critères

Indicateurs Unités de sens

Disposition personnelle

Ø Vocation Ø Idéal Ø Enthousiasme Ø Bonté Ø Dévouement Ø Don de soi Ø Oubli de soi Ø Naturel Ø InnéØ Courage Ø Energie

Page 247: « Science infirmière » ou « science appliquée

136

Grille d’analyse

Critères

Indicateurs Unités de sens

Science (vs)

nomothétique

Ø Expliquer Ø Causalité Ø Quantitatif Ø Réductible Ø Général Ø Vérité objective Ø Pourquoi Ø Résolution de problèmes Ø Maîtrise Ø Mesure Ø Certitude Ø Concret Ø Régularité Ø Objet Ø Science appliquée Ø Technique Ø Maladie Ø Signe

Critères

Indicateurs Unités de sens

Science (vs)

herméneutique

Ø Comprendre Ø Intentionnalité Ø Qualitatif Ø Irréductible Ø Singulier Ø Vérité subjective Ø Comment Ø Recherche de sens Ø Imprévisible Ø Interprétation Ø Incertitude Ø Abstrait Ø Création Ø Sujet Ø Praxis Ø Techné Ø Malade Ø Symptôme

Page 248: « Science infirmière » ou « science appliquée

137