« Science infirmière » ou « science appliquée
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U.F.R. PSYCHOLOGIE, SCIENCES DE L’EDUCATION
Département des Sciences de l’Education
Université de Provence. Aix-Marseille 1
Master Professionnel Education et Formation
2ème année
Parcours Education, Formation et Encadrement dans le secteur
sanitaire et le travail social
Année universitaire 2008-2009
« Science infirmière » ou « science appliquée » ?
… Ou quelle proximité avec le modèle épistémologique
de la « médecine scientifique »?
Patrick MALMONTET
Sous la direction universitaire de Chantal EYMARD
Maître de conférences HDR
Sous la direction professionnelle de Georges BLEIN
Docteur en Psychologie
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Sommaire
INTRODUCTION GENERALE __________________________________ 6
APPROCHE THEORIQUE _____________________________________ 12
1 LES CONCEPTIONS DE LA SANTE A TRAVERS L'HISTOIRE ---------------------------------- 12
1.1 HISTOIRE DE LA MEDICALISATION 12
1.2 PLACE ET CONCEPTION DE LA SANTE DANS LA SOCIETE ACTUELLE 15
2 RECHERCHE, SCIENCE ET PRATIQUE MEDICALE-------------------------------------------- 18
2.1 LE POSITIVISME 19
2.2 THEORIE, TECHNIQUE ET PRATIQUE. 22
2.3 LA SCIENCE ET LA PHILOSOPHIE 24
2.4 HIERARCHISATION DES SAVOIRS ET MODELE EPISTEMOLOGIQUE DE REFERENCE. 27
3 MEDECINE ET PRATIQUE SOIGNANTE : CONCILIER L'ART ET LA SCIENCE. ------------- 31
3.1 LES CONCEPTS DU NORMAL ET DU PATHOLOGIQUE 31
3.2 CONSEQUENCES DU PRINCIPE DE BROUSSAIS 32
3.3 LE NORMAL C'EST LA NORMATIVITE 33
3.4 DE LA NORMATIVITE A LA SUBJECTIVITE 34
3.5 RETOUR SUR L'ANTIQUITE 36
4 LA QUESTION DU PARADIGME EN MEDECINE ------------------------------------------------ 37
4.1 LE PARADIGME SELON THOMAS SAMUEL KUHN 37
3
4.2 QUEL EST LE PARADIGME DE LA MEDECINE CONTEMPORAINE ? EXISTE-T-IL ? 39
5 D'UNE DEMARCHE SCIENTIFIQUE A UNE DEMARCHE HERMENEUTIQUE ---------------- 42
5.1 VERITE OBJECTIVE ET VERITE SUBJECTIVE. 42
5.2 LA QUESTION DE LA GUERISON 43
5.3 LA PSYCHANALYSE COMME CLINIQUE DE LA VIE PSYCHIQUE 45
6 RETOUR SUR LE PROJET D’UNE DISCIPLINE INFIRMIERE --------------------------------- 47
6.1 SAVOIRS DISCIPLINAIRES ET PRATIQUE PROFESSIONNELLE. 47
6.2 L’INFLUENCE DU MODELE MEDICAL ? 48
6.3 UN SAVOIR INFIRMIER ? 50
6.4 QUELLE EST DONC LA PARTICULARITE DU SOIN INFIRMIER ? 51
6.5 UNE CONCEPTION DE L'ENSEIGNEMENT 52
6.6 « SCIENCE INFIRMIERE » ET SCIENCES HUMAINES ? 54
7 CONSTRUCTION D’UNE GRILLE D’ANALYSE -------------------------------------------------- 56
7.1 COMPRENDRE ? 57
7.2 EXPLIQUER ? 57
7.3 LE STATUT DES SCIENCES HUMAINES : COMPRENDRE / EXPLIQUER ? 58
METHODOLOGIE GENERALE ________________________________ 65
8 DISPOSITIF DE RECHERCHE -------------------------------------------------------------------- 65
8.1 LE CHEMINEMENT METHODOLOGIQUE 65
8.2 L’OBJET DE RECHERCHE 67
4
8.3 CHOIX DE LA METHODE : LA METHODE CLINIQUE 68
8.4 LE CHOIX DE L’OUTIL 70
8.5 LES CONDITIONS DE L’ENTRETIEN 71
8.6 LA POPULATION 71
9 ANALYSE DE CONTENU -------------------------------------------------------------------------- 72
9.1 ENTRETIENS ETUDIANTS 73
9.1.1 Entretien avec Mélanie : (annexe 6, P.95) 73
9.1.2 Entretien avec Chloé : (annexe 6, P.97) 74
9.1.3 Entretien avec Sophie : (annexe 6, P.99) 74
9.1.4 Entretien avec Thomas : (annexe 6, P.100) 75
9.1.5 Entretien avec Paul : (annexe 6, P.102) 75
9.1.6 Synthèse entretiens étudiants 76
9.2 ENTRETIENS INFIRMIERS 77
9.2.1 Entretien avec Claire : (annexe 7, P.104) 77
9.2.2 Entretien avec Alice : (annexe 7, P.106) 77
9.2.3 Entretien avec Léna : (annexe 7, P.108) 78
9.2.4 Entretien avec Hugo : (annexe 7, P.109) 78
9.2.5 Entretien avec Gilles : (annexe 7, P.110) 79
9.2.6 Entretien avec Nadine : (annexe 7, P.111) 79
9.2.7 Synthèse entretiens infirmiers 79
9.3 ENTRETIENS CADRES SOIGNANTS 80
9.3.1 Entretien avec Laurence : (annexe 8, P.114) 80
9.3.2 Entretien avec Yves : (annexe 8, P.116) 81
9.3.3 Entretien avec Renée : (annexe 8, P.117) 81
9.3.4 Entretien avec Eva : (annexe 8, P.120) 81
9.3.5 Entretien avec Lucile : (annexe 8, P.122) 82
9.3.6 Entretien avec Chantal : (annexe 8, P.123) 82
9.3.7 Synthèse entretiens Cadres Soignants 83
9.4 ENTRETIENS CADRES FORMATEURS 83
5
9.4.1 Entretien avec Cathy : (annexe 9, P.125) 83
9.4.2 Entretien avec Josiane : (annexe 9, P.127) 84
9.4.3 Entretien avec Valérie : (annexe 9, P.129) 84
9.4.4 Entretien avec Michèle : (annexe 9, P.131) 85
9.4.5 Entretien avec Barbara : (annexe 9, P.132) 85
9.4.6 Synthèse entretiens Cadres Formateurs 85
9.5 SYNTHESE DES ENTRETIENS 86
10 INTERPRETATION DES RESULTATS------------------------------------------------------------ 88
10.1 UNE CERTAINE « DYNAMIQUE » 88
10.2 LA QUESTION DU REDUCTIONNISME 93
10.3 UN TROISIEME TERME : « DISPOSITION PERSONNELLE » ? 95
11 COMMENTAIRES SUR L’HYPOTHESE --------------------------------------------------------- 99
CONCLUSION ______________________________________________ 102
6
Introduction générale
L'intention de ce travail est de rendre compte d'une problématique de recherche sur la
perspective d'universitarisation de la formation en soins infirmiers. Cette perspective semble,
au moment de l'écriture de ce travail1, se dessiner sous la forme d'un partenariat avec
l'université2. Ce rapprochement qui conjugue une formation professionnelle et universitaire
implique une réforme des études et une inscription dans le système Licence-Master-Doctorat3.
Les avantages de cette universitarisation ont déjà été largement discutés (développement de la
recherche, perspectives de mobilité, possibilité de passerelles entre formations, meilleure
lisibilité internationale...) et paraissent répondre à une attente de reconnaissance de la part des
professionnels. Si la régionalisation4 des formations paramédicales exclut pour l'heure une
inclusion dans le système universitaire, il n'en reste pas moins que cette perspective et
l'émergence éventuelle d'une discipline infirmière nous impose d'adopter une attitude
réflexive.
Dans une pratique médicale où le rationnel, l'instrumental, le procédural, la maîtrise
occupent une place privilégiée, que peut signifier une « science infirmière » ? La médecine
techno-scientifique d'aujourd'hui, née de la médecine expérimentale de Claude Bernard en
1865, tend à faire de la pratique médicale une science appliquée. Au regard de ce modèle
dominant, quelle serait alors la place d'une discipline infirmière ? Dans le métier d'infirmier
l'humain est central, puisqu'il s'agit de travailler avec et sur lui. C'est à dire de travailler avec
1 Janvier 2009 2 Rapport IGAS-IGAENR, septembre 2008: Évaluation de l'impact du dispositif LMD sur les formations et le
statut des professions paramédicales. 3 Lire LMD 4 Les régions ont « hérité » du financement des formations sanitaires et sociales: Loi du 13 août 2004 relative
aux libertés et responsabilités locales.
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l'inattendu, l'imprévisible, l'irréductible. Dès lors, de quelles « sciences » il s'agit ? Quels liens
entre savoirs disciplinaires et pratique professionnelle ? La question mérite ici d'être posée.
Si nous devions délimiter une question de départ utile à la construction de ce travail,
nous proposerions de la formuler ainsi :
La volonté d'inscrire le soin infirmier dans une « science » ne reproduit-elle pas, dans
un décalage temporel, la volonté de la médecine contemporaine à se définir comme une
médecine « scientifique » ?
Mais quel besoin, peut-on objecter d'interroger la Médecine ? Solidement ancrée sur la
biologie, n'a-t-elle pas fait la preuve de son efficacité opératoire ? La médecine
contemporaine, avec l'efficacité qu'il faut lui reconnaître, a placé au cœur de ses
préoccupation le traitement de la maladie se laissant aller à oublier la personne même du
malade (Canguilhem, 2002). Cette modernité de la médecine est fondée sur la mutation de la
pratique en technique. C'est la science et son « application constructive » qui a rendu possible
cette technique (Gadamer, 1998). Nous suggérerons alors, avec Canguilhem (2007), de
concevoir la médecine comme une techné ou comme « un art au carrefour de plusieurs
sciences, plutôt que comme une science proprement dite (ibid, 2007, p.7). ». Si la philosophie
est par l'exercice de la raison critique une interrogation permanente, nous proposerons dans ce
travail de considérer la pensée de certains auteurs pour faire l'analyse de ce que d'aucuns
nomment la « science médicale ».
Dans un premier temps, nous aborderons au travers des apports de Michel Foucault
(2004) un éclairage nous permettant de comprendre comment notre société s'est
progressivement médicalisée, fabriquant des corps dociles, conformes, et permettant d'obtenir
un contrôle de la vie individuelle. Nous préciserons comment ce biopouvoir se voit délégué à
l'individu lui-même (Elias, 1991) ; un individu érigé en gardien privilégié de sa propre santé,
dont le contrôle de soi individualisé se voit accompagné par l'État et vérifié par le médecin.
Délégation est donc faite aux sujets de réguler leurs excès, de s'en expliquer et de ménager
leur « capital » santé. L'individu devient, au travers de la médecine contemporaine, un
auxiliaire médical sous l'autorité des experts (Memmi, 2003). Un regard médical semble ainsi
posé sur tous les aspects de la vie (alimentation, sexualité, vieillesse, etc.). Ce n'est plus
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seulement la sphère du pathologique qui est visée mais plus généralement la différence par
rapport à des normes de conduites (Gori &Del Volgo, 2008). Cette rationalisation et cette
normalisation des conduites nous amènera à interroger la conception du normal et du
pathologique et au delà, notre conception du soin.
Nous proposerons avec Canguilhem (2007) une remise en question de la conception
objectiviste de la médecine. Sa thèse5 faisant basculer le concept de normal de l'objectivité à
la subjectivité comme point de référence. Il s'oppose ainsi à la pensée positive d’Auguste
Comte6 (1975) pour qui la vie (et la maladie) répond à des normes objectives. L'enjeu ultime
réside dans le fait que l'individu pensé comme subjectivité, est replacé au centre d'une pensée
du normal et du pathologique, c'est à partir de lui seul que peut être défini un critère du
normal, non à partir d'une moyenne théorique. L'expérience de la subjectivité devient
fondamentale dans la pratique médicale qui se voit dès lors obligé d'écouter et de réintégrer le
sujet dans la démarche thérapeutique. Dans la même perspective qu’Hippocrate, Canguilhem
veut redonner voix au patient.
Nous considérons, que tout en bénéficiant des progrès de la médecine moderne, une
personne ne peut « se résorber dans la partie troublée de son corps (Le Blanc, 2006, p. 110) »
et que la maladie n'est pas qu'une entité biologique. Nous nous attacherons à démontrer
comment la médecine moderne a accouché d'une vision simpliste de la maladie, en faisant
d'elle un événement purement biologique. Il n'est pas question pour nous de nier l'importance
de la science naturelle, mais de souligner seulement qu'elle doit être perçue dans sa propre
perspective et que l'homme, en tant que personne, ne peut être appréhendé intégralement à
l'intérieur d'un cadre naturaliste. L'écueil le plus important semble résider dans l'émergence
d'une médecine positive. L'excés de la science ne vient pas de ses découvertes mais de son
application. L'application est une des notions clés de la philosophie positive. La science et sa
traduction technique rationnelle se voit dès lors convoquée bien au delà de ce pour quoi elle
est effectivement compétente. Sa domination s'étend et touche de plus en plus de domaines de
la vie de l'homme.
Si la pratique médicale n'est pas l'application d'une science nous proposerons de la
5 Thèse soutenue en 1943, intitulée: Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique. 6 Surtout à la 40e Leçon du Cours de philosophie positive.
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considérer comme une techné, c'est à dire comme un savoir d'ordre pratique. L'art véritable du
soin tient à ce qui est au-delà de son modèle et ne peut être simplement déduit du savoir qui le
fonde. Nous pouvons dire que la techné est une articulation originale entre le savoir et la
pratique, où celle-ci n'est pas seulement l'application de celle là. Pour Laplantine (1997), le
fait d'être malade ne peut être scientifiquement appréhendé comme un phénomène
exclusivement médical. C'est un phénomène redevable d'une série d'éclairages différenciés
(biologique, économique, politique, psychologique, anthropologique...). Si l'évolution de la
médecine se fait de plus en plus vers une scientificité accrue et une complexité des
techniques, l'acte médical ne peut pour autant se réduire à cette dimension. La médecine, en
son sens le plus large, ne peut se détourner de l'hypothèse d'une « vie psychique de la
maladie ». Accorder une place à la « vie psychique de la maladie », « c'est en passer par la
parole du malade, c'est autoriser la construction d'un récit autobiographique à l'intérieur de la
relation thérapeutique (Le Blanc, 2006, p. 118). » L'intérêt de la psychanalyse, lorsqu'elle est
abordée comme une pensée clinique, est « d'inventer le malade comme sujet de la maladie et
ainsi donner sens à l'idée même d'un sujet malade (ibid, p. 111). »
Si la médecine est un art, une techné, une pratique qui repose sur des savoirs qui
n'épuisent pas la totalité de « l'objet », alors ; quelle légitimité aurait le soin infirmier à se
définir comme une science ?
Proposant de considérer la pratique médicale, non comme l'application d'une science
mais comme un art ou une techné, nous avançons que la pratique infirmière, c'est à dire le
soin infirmier, est encore moins une science. L'infirmier n'exerce pas une discipline, sa
pratique est celle des soins infirmiers et pas celle de la discipline infirmière. Si la pratique de
l'infirmier, au sens de la praxis aristotélicienne, requiert qu'il s'informe des travaux de
recherches et qu'il actualise régulièrement ses connaissances, cette praxis ne saurait se réduire
à l'application de ces résultats, aussi séduisants soient-ils.
Quelle est donc la particularité du soin infirmier ?
La première est certainement qu'il s'adresse au malade et donc qu'il ne peut se penser et
se réfléchir en dehors de ce lien, en dehors de cette relation. La compréhension de « ce qu'il
faut faire » relève d'une pratique à la dimension incarnée, contextualisée ; c'est à dire d'une
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praxis et non d'une pratique résultant d'une théorie appliquée. Autrement dit ; un soin
infirmier capable de convoquer dans la singularité de ce soin particulier, dans ce hic et nunc,
dans cette immédiateté, un corpus de connaissances de différentes disciplines nécessaires à sa
réalisation.
Nous pensons que la conception d'une médecine « scientifique » n'est pas sans
incidences sur la formation des infirmiers. Un vrai travail de réflexion doit dissiper, auprès
des étudiants, le malentendu sur une pratique médicale ou une pratique infirmière conçue
comme infaillible qui reposerait sur un savoir non réfutable. Il convient donc, dans la
formation de nos étudiants, de consacrer du temps et de l'énergie à développer l'esprit
critique. A défaut, le risque pourrait être de voir le modèle médical ressaisit pour penser la
pratique infirmière. Un modèle qui tendrait à se prononcer sur le malade comme il se
prononce sur la « maladie de la médecine » ; c'est-à-dire, en l'absence du malade, ou pour
reprendre la pensée de Dominique Lecourt (2008) en voulant « expliquer la vie sans la vie
(ibid, p. 111). »
Proposer la construction d'une « connaissance soignante » ne peut faire l'économie
d'une réflexion sur le lieu ou peut se créer une épistémologie du soin. C'est-à-dire, un lieu où
il est question d'accompagner les étudiants à des examens critiques approfondis et à la
révision de leurs connaissances. En somme, un lieu où il est question de développer un
« esprit scientifique » au sens bachelardien. Si ce chemin passe par celui de l'université, il n'en
reste pas moins que le terme même de « science infirmière » nous incite à une certaine
prudence. L'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise rationnelle de la
« science médicale », pose certaines questions, notamment celle d'une utilisation rationnelle
des sciences humaines ? C'est à dire, des sciences humaines permettant d'agir avec certitude,
capable de savoir et d'anticiper qui est l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour
lui. Pour le dire autrement, des sciences humaines appelées à se soumettre au modèle
épistémologique de référence de la médecine « scientifique ».
Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences
humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».
Un discours qui viendrait porter en miroir la marque des idéologies régnantes, proposant
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ainsi une vision positiviste des sciences humaines. Des sciences humaines ressaisies dans une
certaine rigidité déterministe, dans l’illusion d’une maîtrise. C'est-à-dire ; un discours qui
viendrait révéler une conception exclusivement nomothétique des sciences humaines.
Cadre formateur en IFSI depuis 6 ans, l’intérêt porté à la qualité de la formation et la
préoccupation de participer au développement d’un esprit critique chez les étudiants sont deux
vecteurs constitutifs de mon projet professionnel. Dans ce travail de recherche il s’agira
d’interroger le rapport au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. Ce
rapport au savoir où s’opère le passage de la simple écoute à la compréhension critique doit
s’initier dans les instituts. Nous proposerons que le rapport au savoir dans le soin infirmier
puisse être envisagé comme une tension, comme une dialectique entre expliquer et
comprendre. Les faits humains ont toujours deux aspects : objectifs et subjectifs, aussi les
sciences humaines font-elles jouer les deux registres de l’explication et de la compréhension.
Aborder les pratiques soignantes dans une pensée positiviste qui consisterait à replier
exclusivement les savoirs des sciences humaines sur le champ de l’explication, de la causalité,
de l’établissement de faits nous semble préjudiciable. Notre souci, dans le travail d’enquête,
va donc être de repérer chacun des jeux de langage qui peuvent ouvrir à des attentes
spécifiques quant au projet d’une science infirmière. La visée de ce travail est d’encourager
une réflexion épistémologique sur le soin et ainsi, dans la perspective d’universitarisation des
études, proposer à la formation de nouveaux dénouements.
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Approche théorique
11 LLEESS CCOONNCCEEPPTTIIOONNSS DDEE LLAA SSAANNTTEE AA TTRRAAVVEERRSS LL''HHIISSTTOOIIRREE
1.1 Histoire de la médicalisation
Nous devons à Foucault7 d'avoir rendu compte du lien étroit qui existe entre la
médecine et la pratique politique. Il montre comment, en particulier à partir du XVIIIe siècle,
nos sociétés se sont progressivement médicalisées à travers ce qu'il appelle une « extension
sociale de la norme ». Il en fera, à partir du milieu des années 1970, une des pierres angulaires
de son analyse de la bio-politique. La centralité de la médecine pour le pouvoir est, depuis le
XIXe siècle, liée au glissement d'une logique d'assistanat à une logique productive. Avec
l'apparition de la production industrielle, il est en effet devenu plus important de pouvoir
garantir une force de travail efficace et de bonne qualité plutôt que de fournir l'ordre social
contre les contagions et les épidémies. Avant la révolution industrielle, la clinique sert
essentiellement à isoler et à répertorier les individus, à contrôler le territoire. En revanche,
précise Foucault, « avec le capitalisme, on n'est pas passé d'une médecine collective à une
médecine privée, mais ... c'est précisément l'inverse qui s'est produit; le capitalisme, qui se
développe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, a d'abord socialisé un premier
objet, le corps, en fonction de la force productive, en fonction de la force de travail. Le
contrôle de la société sur les individus ne s'effectue pas seulement par la conscience ou par
l'idéologie mais aussi dans le corps et avec le corps ... Le corps est une réalité bio-politique; la
médecine est une stratégie bio-politique (Foucault, 1977). »
Foucault va développer son analyse dans deux directions. La première correspond à une
véritable « physique du pouvoir ». Cet investissement politique des corps sera également
7 Paul Michel Foucault (1926-1984), philosophe français. Il fut, entre 1970 et 1984, titulaire d'une chaire au
Collège de France à laquelle il donna le titre d'Histoire des systèmes de pensée.
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désigné par le philosophe comme une « anatomo-politique » ou une « orthopédie sociale »,
c'est à dire une étude des stratégies et des pratiques par lesquelles le pouvoir modèle chaque
individu depuis l'école jusqu'à l'usine. La seconde correspond au contraire à une bio-politique,
c'est à dire à la gestion politique de la vie : il ne s'agit plus de redresser et de surveiller les
corps des individus, mais de gérer des « populations » en instituant de véritables programmes
d'administration de la santé, de l'hygiène, etc. La bio-politique désigne la manière dont le
pouvoir tend à se transformer afin de gouverner non seulement les individus mais l'ensemble
des vivants constitués en population. La bio-politique – à travers des bio-pouvoirs locaux –
s'occupera donc de la gestion de la santé, de l'hygiène, de l'alimentation, de la sexualité, de la
natalité, etc., dans la mesure où ceux-ci sont devenus des enjeux politiques. Ce nouveau type
de « gouvernementalité » se présente par conséquent comme une nouvelle technologie du
pouvoir qui se donne un nouvel objet : la « population ». « La découverte de la population
est, en même temps que la découverte de l'individu et du corps dressable, l'autre grand noyau
technologique autour duquel les procédés politiques de l'Occident se sont transformés. On a
inventé à ce moment-là ce que j'appellerai, par opposition à l'anatomo-politique, la bio-
politique ( Foucault, 1976). » Alors que la discipline se donnait comme anatomo-politique des
corps et s'appliquait essentiellement aux individus, la bio-politique représente donc cette
grande « médecine sociale » qui s'applique à la population afin d'en gouverner la vie : la vie
fait désormais partie du champ du pouvoir.
Le contrôle social passe non seulement par la justice mais également par une série
d'autres pouvoirs latéraux (les institutions psychologiques, psychiatriques, criminologiques,
médicales, pédagogiques). Il s'agit d'une part de constituer des populations dans lesquelles
insérer les individus et d'autre part de rendre le pouvoir capillaire, c'est à dire de mettre en
place un système d'individualisation qui s'attache à modeler chaque individu et à en gérer
l'existence. Ce double aspect du contrôle social (gouvernement des populations /
gouvernement par l'individualisation) a été particulièrement étudié par Foucault dans le cas du
fonctionnement des institutions de santé et du discours médical au XIXe siècle. Toute
l'ambiguïté du terme « contrôle » tient au fait qu'à partir du début des années 1980, l'auteur
laisse sous-entendre, qu'il s’agit là d’un mécanisme d’application du pouvoir différent de la
discipline. « Le contrôle du comportement sexuel a une forme tout autre que la forme
disciplinaire (Foucault, 1984). » L'intériorisation de la norme correspond à une pénétration
extrêmement fine du pouvoir dans les mailles de la vie.
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La naissance d'une véritable « médecine sociale », allant bien au-delà du malade et de la
maladie, permet d'appliquer à la société toute entière une distinction permanente entre le
normal et le pathologique et d'imposer un système de normalisation des comportements et des
existences, du travail et des affects. « Par pensée médicale, j'entends une façon de percevoir
les choses qui s'organise autour de la norme, c'est à dire qui essaie de partager ce qui est
normal de ce qui est anormal, ce qui n'est pas tout à fait justement le licite et l'illicite ; la
pensée juridique distingue le licite de l'illicite, la pensée médicale distingue le normal de
l'anormal ; elle se donne, elle cherche aussi à se donner les moyens de correction qui ne sont
pas exactement les moyens de punition, mais des moyens de transformation de l'individu,
toute une technologie du comportement de l'être humain... est liée à cela ( Foucault, 1977). »
Si le pouvoir prend la vie comme objet de son exercice, Foucault est intéressé également à
déterminer ce qui dans la vie lui résiste et, en lui résistant, crée des formes de subjectivation et
des formes de vie qui échappent aux bio-pouvoirs.
Les disciplines, la normalisation à travers la médicalisation sociale, l'émergence d'une
série de bio-pouvoirs s'appliquant à la fois aux individus dans leur existence singulière et aux
populations selon le principe de l'économie et de la gestion politique, et l'apparition de
technologies du comportement forment donc une configuration du pouvoir qui, selon
Foucault, est encore la nôtre à la fin du XXe siècle.
Pour Norbert Elias (1991), à coté du processus de civilisation, se place un processus
d'individuation, qui se marque par l'intériorisation de contraintes externes par les sujets, donc
par un autocontrôle individuel qui renforce la conscience de soi. Que la discipline passe par
des institutions identifiées, chez Foucault, ou qu'elle passe par un processus de civilisation et
d'individuation, chez Elias, dans les deux hypothèses l'objectif politique est de fabriquer des
corps dociles, conformés, et d'obtenir un contrôle de la vie individuelle. Foucault comme
Elias ont mis en évidence que la gouvernementalité était avant tout un gouvernement des
conduites, une conduite des conduites, et que ce que cherche à obtenir le pouvoir c'est un
autocontrôle des individus, par le recours à la normalisation chez Foucault, ou aux civilités,
chez Elias. Normalisation et autocontrôle individuel visent tous deux une intériorisation des
contraintes externes, qui s'achèvent en un retrait relatif de l'Etat sur ses fonctions régaliennes,
au profit d'une prise en charge de nombre de ses fonctions par les individus.
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Pour Foucault, l'individu est ce qui résiste au pouvoir, chez Elias il est son auxiliaire,
celui qui permet à la forme étatique de se maintenir, une fois qu'elle a été individuellement
intériorisée. On a bien à faire selon cet auteur, à une intériorisation des normes nouvelles
comme d'ardentes obligations à la maîtrise individuelle : « Ils peuvent bien plus librement
décider de leur sort. Mais aussi doivent-ils décider de leur sort. Non seulement ils peuvent
devenir plus autonome, mais ils le doivent. A cet égard, ils n'ont pas le choix », note Norbert
Elias (1991) à propos des sujets en processus d'individuation. Si une œuvre s'est bien attachée
à décliner les différents modes successifs de gouvernement des conduites et des populations
concernant les usages du corps, c'est bien celle de Michel Foucault. Mais nous devons à
Norbert Elias d'avoir précisé comment ce biopouvoir était devenu un biopouvoir délégué à
l'individu. Cette « autonomie » de l’individu suggère l’avènement d’une figure maîtresse de
son destin, ayant à la fois le désir, les capacités, voire l’ardente obligation de s’autodéterminer
en toutes choses.
1.2 Place et conception de la santé dans la société actuelle
L'idée théorisée par Norbert Elias (1991) – de l' « autocontrôle » croissant d'un sujet pris
dans un « processus d'individuation » - semble habiter de plus en plus politiques publiques
et discours politiques. Le « corps » et ses usages sociaux, est un des lieux privilégiés où se
vérifierait aujourd'hui, comme chez Elias déjà, l'individuation des pratiques. Patient érigé en
gardien privilégié de sa propre santé, l'auto-surveillance des pratiques sanitaires et corporelles
semble être devenue un idéal fort exigeant : obsession des régimes alimentaires, méfiance
croissante à l'égard des dépendances orales (alcool, tabac), pratiques sportives intensives, etc.
Le « normal » devient le passage obligé par des références applicables à tous. Cette
prescription sociale des comportements est souligné par la remarque de Richard Liscia qui
dirige Le Quotidien du médecin8, « jamais l’Assemblée nationale n’a produit autant de lois
visant à encadrer, contrôler, vérifier, mettre aux normes les comportements des individus. Tout
y passe, l’alcool, le tabac, le sommeil, l’alimentation… »
8 Le Quotidien du médecin du 6 février 2007.
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Ce pouvoir politique, soucieux de sa population, soucieux du devenir de ses corps, est
un biopouvoir « bienfaisant » dont on retrouve l'écho dans le biopouvoir médical
contemporain. Dominique Memmi (2003) a mis en évidence que ce biopouvoir médical était
devenu un biopouvoir délégué à l'individu, en ce sens que l'État se déleste du contrôle médical
des corps, au profit d'un contrôle de soi individualisé. On passe sensiblement d'un pouvoir
disciplinaire à un pouvoir où la contrainte externe est affaiblie, au profit d'une autocontrainte,
qui est simplement accompagnée par l'État et vérifiée par le médecin. « Ce gouvernement
contemporain des conduites qui fait écho à la bio-individuation, nous lui avons donné un
nom : la bioplitique « individuée » ou « déléguée » ( ibid, p.293). » C'est sur l'individu que
repose en fin de compte la gestion de sa propre santé. Le biopouvoir étatique a vocation à
disparaître dès qu'il aura été incorporé au niveau individuel. Il cesse d'être contrainte quand il
devient autocontrainte. Dès lors, l'instrument de la régulation des conduites contemporaines
devient la parole, le discours, le récit de soi au travers de ce que l'auteur a nommé, « les
autobiographies d'institution (ibid, p.106) ». Délégation est faite aux sujets de réguler leurs
excès, de s'en expliquer, avec la « santé » comme principe de légitimité de l'action. Il y a une
incitation à ménager dans le présent, au nom de l'avenir, un véritable capital.
« L'intériorisation de la raison médicale s'avère un moyen de faire partager des impératifs
collectifs sous une forme individualisée (ibid, p. 230). » La société déléguerait toujours
davantage à l'individu le soin de se gouverner lui même, une sorte d'autocontrôle en sorte. Au
travers de la médecine contemporaine, « ... c'est tout un nouveau style anthropologique qui
se dessine, transformant le sujet humain en chef d'entreprise de sa santé (Gori, & Del Volgo,
2008, p.95). » L'entreprise de soi-même finalement, pour laquelle « ... la médecine donnerait
des indicateurs de conduite et de gestion (ibid, 2008, p.95). » L'individu devient donc un
calculateur rationnel de ses conduites, « ... capable de percevoir son corps comme un objet
clinique et apte à devenir un auxiliaire médical (ibid, p.106) ». Cette idéologie individualiste
en même temps qu'elle promeut les droits de l'homme dans le champ de la santé, accomplit
une prescription sociale. Elle dicte finalement les postures utiles à une bonne gestion de
l'existence sous l'autorité des experts.
Nous pouvons, dès lors, nous demander pourquoi la question de la santé est devenue
aussi centrale dans notre société actuelle ? Pourquoi un regard médical semble ainsi posé sur
tous les aspects de la vie ?
17
Les progrès techniques et scientifiques, l'accumulation des connaissances, l'accès
presque illimité à celles-ci par l'intermédiaire des médias et d'Internet ont probablement
permis aux hommes de s'occuper sérieusement de leur santé. Simplement une telle conception
pèche par naïveté car ; « … elle passe sous silence la donnée fondamentale de notre société
selon laquelle une certaine vision de la santé, de la norme et du normal est devenu un élément
central de la pensée dominante. Ainsi être sain apparaît aujourd'hui comme un véritable
impératif social. Il ne faut pas de nos jours être fatigué, déprimé, vieillir, fumer, boire, manger
et de façon plus générale souffrir d'un éloignement physique ou mental de la norme (Stévenin,
2006, p.78). » Nous ne pourrions, aujourd’hui, nous contenter de définir la santé comme une
simple absence de maladie. Dans une formule célèbre, le chirurgien René Leriche, au début
du siècle, présentait la santé comme « la vie dans le silence des organes ». Les citoyens des
sociétés occidentales, au fait des avancées technologiques, semblent réclamer davantage.
Leurs exigences, situées dans l’axe tracé par l’Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S),
définissant la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social »,
paraissent démesurées. Il suffit de s’attarder dans une librairie au rayon presse, voire même à
celui des ouvrages de psychologies, pour se rendre compte de l’utopie de leurs exigences. Ces
lectures laissent penser que chaque individu à droit à un corps parfait, à une vitalité
indéfectible, à des facultés épanouies, à l’absence de douleur physique et psychologique, à
une jeunesse qui perdure… Le bien être, la jeunesse, sont présentés comme l’idéal à atteindre.
L’idéal, de manière générale, quelque soit le domaine (travail, sport, santé, sexualité,
loisirs…) est toujours du coté de la performance.
Sur quel principe repose cette médicalisation de l’existence humaine ?
Selon Roland Gori et Marie-José Del Volgo (2008), « le domaine de la santé a colonisé
les régions naguère attribuées à la morale, à la religion, à l’éducation au social et au politique
(ibid, p.39). » Au point qu'à l'heure actuelle, citant Michel Foucault, les auteurs précisent, « ce
qui est diabolique, c'est que, lorsque nous voulons avoir recours à un domaine que l'on croit
extérieur à la médecine, nous nous apercevons qu'il a été médicalisé ( ibid, p. 39). » Si cette
médicalisation de l'existence a débutée au XVIIIe siècle avec la « médecine sociale »
évoquée par Foucault, elle s'est accrue sans cesse pour se mettre en œuvre massivement
jusqu'à faire apparaître le spectre d'une « santé totalitaire (Gori & Del Volgo, 2005). »
L’homme en forme d’aujourd’hui se révèle d’abord comme un homme formel, « c’est à dire
18
un homme dont on a cadré, régulé, défini, structuré de manière serré les conditions
d’existence, en particulier les manières d’utiliser son corps et son temps (Gori & Del Volgo,
2008, p. 42). » Ce n’est plus seulement la sphère du pathologique qui est visée, mais plus
généralement la différence par rapport à des normes de conduites. La médicalisation de
l’existence a sans cesse accru ses forces morales et normatives. Cette rationalité sanitaire a
atteint un tel point que « … rien ne ressemble plus à un malade potentiel qu’un homme
ordinaire (ibid, p.240). » Il n’y a plus de « fainéants » ou d’ « idiots » ou de « cancres »,
écrivait une journaliste9 de la Provence, mais des enfants « dys », 45000 paraît-il dans la seule
région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Cet éclairage sur la médecine contemporaine, cette orientation qui conduit à une
rationalisation et une normalisation des conduites doit nous inciter à une réflexion. Ce sont
toutes nos conceptions du soin qui se trouvent actuellement en voie de reconfiguration. Cette
haute estimation de la santé et de la vitalité est entretenue par le langage scientifique. Pour
Yvan Illich (1999), l’obsession de la santé dans les pays développés est devenue un facteur
pathogène prédominant. « Le système médical, dans un monde imprégné de l’idéal
instrumental de la science, crée sans cesse de nouveaux besoins de soins. Mais plus grande est
l’offre de santé, plus les gens répondent qu’ils ont des problèmes, des besoins, des maladies.
Chacun exige que le progrès mette fin aux souffrances du corps, maintienne le plus longtemps
possible la fraîcheur de la jeunesse, et prolonge la vie à l’infini. Ni vieillesse, ni douleur, ni
mort. Oubliant ainsi qu’un tel dégoût de l’art de souffrir est la négation même de la condition
humaine ( ibid, p.28). » L’utopie de la santé parfaite ignore, voire nie la maladie, la souffrance
et la mort. Et pourtant affirme Georges Canguilhem (2007), « … une santé parfaite
continuelle est un fait anormal … parce que l’expérience du vivant inclut en fait la maladie
(ibid, p.86). »
22 RREECCHHEERRCCHHEE,, SSCCIIEENNCCEE EETT PPRRAATTIIQQUUEE MMEEDDIICCAALLEE
La médecine contemporaine, avec l'efficacité qu'il faut lui reconnaître, a placé au cœur
de ses préoccupations le traitement de la maladie. Du fait même de sa spécialisation, elle
fragmente le corps du malade par le regard exclusif porté sur l'organe défectueux. D'une
9 Sophie Manelli, 2007, « Dans chaque classe, il y a au moins un enfant « dys », La Provence du 10 mai 2007.
19
médecine de l'homme qui prévalait depuis Hippocrate nous sommes passés à une médecine du
corps de l'homme – ou médecine de la maladie – dont les nécessités même de son élaboration
en savoirs scientifiquement établis ne pouvaient prendre en compte le sujet en la singularité
de son existence. La construction de la médecine techno-scientifique contemporaine s'est
laissée aller à oublier la personne même du malade – ce qui ne signifie néanmoins pas que la
pratique médicale s'exerce nécessairement dans cet oubli – alors que le soin nous invite à une
attention particulière portée à cette même personne. Une personne qui tout en bénéficiant des
progrès de la médecine moderne ne peut « se résorber dans la partie troublée de son corps (Le
Blanc, 2006, p. 110). » La difficulté à laquelle sont confrontés les professionnels de la santé
dans la mise en œuvre soignante de leurs savoirs ne provient ni de la validité de leurs
connaissances, ni de l'intérêt de celles-ci pour le soin, mais relève de leur utilisation et de
l'illusion de toute puissance qu'elles génèrent, y compris auprès de la population. En effet, de
tels savoirs, quels que soient leur complexité et le prestige associé, ne sont jamais que des
moyens auxquels ces professionnels peuvent avoir recours et ne constituent pas une finalité.
Comme nous le précise Canguilhem (2007), « la thérapeutique ne saurait se présenter comme
simple application d'un savoir physiologique préalablement donné. »
2.1 Le positivisme
C'est la science moderne qui a permis les découvertes les plus spectaculaires et
l'explosion des moyens technologiques de la médecine d'aujourd'hui. La physique, en tant que
science fondamentale de la nature et, avec elle, les autres sciences de la nature (ou sciences
naturelles), ont su séduire et conquérir les esprits. De l'étude scientifique des phénomènes
naturels, le pas sera franchi pour utiliser les mêmes méthodes et préceptes pour l'étude des
phénomènes humains et en particulier le corps humain. Ce dernier sera alors étudié comme les
objets inertes de la nature partant du principe qu'il ne pouvait y avoir de différences entre les
corps vivants et les corps bruts en ce qui concerne l'étude des phénomènes qui les concernent.
La médecine techno-scientifique d'aujourd'hui, née de la médecine expérimentale de Claude
Bernard (2008), en est un des exemples particulièrement marquant.
La doctrine exposée dans le Cours de philosophie positive d'Auguste Comte (1975) a
connu une postérité spectaculaire. La connaissance doit reposer, selon Comte, sur
l'observation de la réalité mesurée d'une façon scientifique et non sur des connaissances a
20
priori. Le positivisme constitue donc une systématisation du rationalisme accompagné d'une
sorte de confiance absolue dans la science, fondée sur un déterminisme mécaniste. Comte se
prétend le successeur de Descartes dont il retient le raisonnement analytique. Progressivement
les éléments centraux du corpus comtien se sont dilués, voire métamorphosés, ainsi que les
acceptions du positivisme au XXe siècle. Pour autant, il semble intéressant de dégager un
noyau dur du positivisme qui pourrait être significatif par rapport aux débats actuels autour de
la médecine et des sciences humaines (les plus « complexes » et les plus éminentes pour
Comte).
Ian hacking (1989), a magistralement résumé ce qui fait consensus entre les différentes
formes de positivisme, de sorte que nous ne pouvons faire mieux que de le citer:
« Le positivisme peut se définir par quelques idées forces.
ü 1. L'importance accordée à la vérification : une proposition n'a de sens que si l'on peut,
d'une quelconque manière, établir sa vérité ou sa fausseté.
ü 2. La priorité accordée à l'observation : ce que nous pouvons voir, toucher ou sentir
fournit, sauf pour les mathématiques, la matière ou le fondement le plus appréciable
de la connaissance.
ü 3. L'opposition à la cause : dans la nature, on ne trouve pas de causalité dépassant ou
surpassant la constance avec laquelle des événements d'un certain type sont suivis par
des événements d'un autre type.
ü 4. Le rôle mineur joué par l'explication : expliquer peut contribuer à organiser des
phénomènes mais le pourquoi reste sans réponse. On peut seulement remarquer que le
phénomène se produit régulièrement de telle ou telle manière.
ü 5. Opposition aux entités théoriques : les positivistes ont tendance à être non réalistes
parce qu'ils limitent la réalité à ce qui est observable mais aussi parce qu'ils s'opposent
à la causalité et se méfient des explications. Leur rejet de la causalité les fait douter de
l'existence des électrons simplement parce que ces derniers ont une action causale. Ils
21
soutiennent qu'il s'agit là seulement de régularités constantes entre phénomènes.
L'opposition à la métaphysique est finalement le dénominateur commun entre les points (1) à
(5) ci-dessus. Propositions invérifiables, entités inobservables, causes, explications profondes,
tout cela dit le positiviste, est objet de métaphysique et doit être abandonné. (Hacking, 1989,
p. 82). »
Deux aspects du positivisme sont également peu connus et revêtent un écho particulier
dans le contexte de ce début du XXIe siècle. Le premier est le rejet absolu d'une connaissance
de soi, ou par soi. Le scientifique comtien ne se connaît pas lui-même et ne saurait établir de
savoir subjectif. L'une des conditions essentielles de la vérification est l'objectivation des
phénomènes, c'est à dire leur mise à distance. Le second aspect est une conception binaire des
lois scientifiques, qui ne peuvent être que vraies ou fausses, vérifiées ou infirmées, ce qui fait
leur valeur positive. Il n'y a pas de place pour le « peut-être » dans les sciences.
La science moderne conquérante a cru pouvoir expliquer mais aussi maîtriser toute
chose, y compris les comportements humains et la tentation de poursuivre dans cette voie est
toujours forte et bien présente. L'excès de la science ne vient néanmoins pas de ses
découvertes ni de ses méthodes mais bien de certaines de ses applications. L'écueil le plus
important réside dans le positivisme, à la fois très largement décrié tout en étant aussi
largement soutenu et présent dans la civilisation contemporaine. Il faut rappeler que c'est par
les milieux médicaux que la pensée d'Auguste Comte s'est tout d'abord développée et a
contribué à l'émergence d'une médecine positive. L'application est une des notions clés de la
philosophie positive. Pour Auguste Comte10(1975), la science consiste surtout à voir pour
prévoir, donc à « étudier ce qui est, afin d'en conclure ce qui sera ». Elle est « destinée à
fournir la véritable base rationnelle de l'action de l'homme sur la nature ». Ainsi résume la
maxime d'Auguste Comte : « Science, d'où prévoyance; prévoyance d'où action. » Dans
l'esprit positif la science doit renoncer à la question du « pourquoi » des choses, qui est la
recherche du sens et de l'absolu, pour se concentrer sur le « comment » afin de décrire des lois
de la nature, dans le but d'être utile à la société.
Par le positivisme, les savoirs revêtent un confortable caractère de certitude qui trouve
10 Cours de philosophie positive, deuxième Leçon, p. 45.
22
tout naturellement son prolongement dans le concret de la pratique des humains. L'écueil du
positivisme ne concerne pas seulement les sciences de la nature, il est également très présent
dans les sciences humaines. Auguste Comte interprète d'ailleurs sa propre dépression en 1826
comme l'effet d'un excès de subjectivité, envisageant dès lors la vérification du principe de
Broussais à propos de son propre cas. Canguilhem (2007) note que « c'est surtout dans le
domaine de la psychologie que l'écho des idées de Comte s'est prolongé (ibid, 2007, p;15). »
Cette influence majeure dans l'histoire de la psychologie semble également partagée par
Guillaume Le Blanc (2005) qui précise ; « il existe en effet un revers de la médaille qui
consiste dans l'importation, dans les questions psychologiques proprement dites, du principe
de Broussais de l'identification du normal et du pathologique aux variations quantitatives près
(ibid, p. 254). » Dans les métiers du soin, le positivisme a ceci de confortable mais aussi de
redoutable qu'il permet aux professionnels d'agir avec une étonnante certitude leur donnant
une forme d'assurance qui semble parfois leur permettre de savoir et d'anticiper qui est l'autre,
de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui. La revendication de nombre de ces
professionnels voulant du concret, applicable immédiatement, indique bien les ravages du
positivisme au sein de ses métiers, et par extension, au sein de la société.
2.2 Théorie, technique et pratique.
L’application des savoirs et des techniques se vérifie particulièrement aujourd’hui dans
l’importance accordée au travail standardisé. L’hôpital, traversé par le souci sécuritaire, voit
la réalisation du soin soumise à une augmentation des procédures et des protocoles codifiant
les pratiques et énonçant les bonnes règles relatives à celles-ci. Cette centration sur la tache,
ce respect des règles édictées peut parfois desservir le soin. Le travail prescrit, c’est à dire le
travail dans les règles de l’art, n’est jamais la réalité du travail.
S'il est vrai que toute pratique inclut en elle l'application de la science, toute pratique
dépasse toujours pour autant le strict domaine de la science. La pratique ne consiste pas
seulement à faire tout ce qui peut être fait ; « la pratique est toujours, dans le même temps, un
choix et une décision entre des possibilités (Gadamer, 1998, p. 13). » Si toutes les décisions
d'un professionnel du soin sont dépendantes, il est vrai, d'un savoir général, l'application in
concreto de ce savoir soulève une difficulté spécifique. C'est à la faculté de juger (et plus du
tout à un enseignement ou à un apprentissage) que revient la tâche de reconnaître dans une
23
situation donnée quel cas elle représente et quelle règle générale il convient d'appliquer. Il
existe une contradiction irréductible entre la science et la pratique, « la science est inachevée
par essence, quant à la pratique, elle exige des prises de décision instantanées (ibid, p. 14). »
Les médecins, mais aussi les infirmiers, ont vu progressivement leurs professions
informées par des percées spectaculaires du côté des sciences physiques, chimiques et
biologiques ainsi que du côté de la technologie. Cette modernité de la médecine
contemporaine est fondée sur la mutation de la pratique en technique. C'est la science, selon
Gadamer (1998), qui a rendu possible cette technique. C'est à dire, « un savoir orienté vers un
pouvoir-faire, une maîtrise savante de la nature, autrement dit, une technique, ce qui n'est pas
précisément de la pratique (ibid, p.16). » Le savoir de la science rend ainsi possible un
rapport à la pratique d'un genre spécifiquement nouveau et qui est celui de « l'application
constructive (ibid, p. 16). » Une application dont la démarche méthodologique consiste
invariablement à l'abstraction des relations causales singulières ; c'est à dire à isoler le
singulier.
Or, cette technique scientifique est à distinguer du concept grec de techne qui ne désigne
pas l'application pratique d'un savoir théorique, mais une forme propre au savoir pratique, un
art. Ce que nous nommons technique est, par essence, une science appliquée et « plus le
domaine de l'application s'élargit, plus l'exercice véritable du jugement personnel et, par là
même, l'expérience pratique, dans le sens propre du terme, s'amenuise (ibid, p. 29). » La
conséquence principale est que, dès lors, la science se trouve finalement convoquée bien au
delà de ce pour quoi elle est effectivement compétente. Cette science, dont les progrès
incontestables réalisés dans la connaissance de la maladie, dont la traduction technique
rationnelle se déploie dans tous les services, oublie que « la sphère du non rationalisé reste ici
particulièrement importante (ibid, p. 32). »
Que pourrait nous dire la science et sa traduction technique de la vie psychique de la
maladie ? Quel enseignement nous apporte la science appliquée de ce que peut être la vie avec
la maladie, ou l'aménagement de la vie avec la maladie ?
Une forme de domination technique et scientifique s'étend et touche de plus en plus de
domaines de la vie de l'homme. L'application de la science intervient en lieu et place de la
24
décision personnelle de l'individu. Sa rationalité touche un domaine dans lequel est en jeu ce
que l'on nomme la compréhension de soi ou le « souci de soi ». C'est là une modification
fondamentale et « il s'agit, ici, moins du progrès scientifico-technologique, en tant que tel, que
de la rationalité délibérée à l'œuvre dans l'application de la science (ibid, p.19). » Aussi est-il
profondément justifié que le médecin ou l'infirmier n'envisage pas son métier seulement en
tant que simple technicien, qui appliquerait la science et les connaissances transmises par
cette dernière en vue du rétablissement de la santé. La pratique est plus que la seule
application d'un savoir. L'homme n'est pas seulement un être de nature, il est aussi, en tant que
personne, « mystérieusement étranger à lui-même et aux autres ... de sorte que l'imprévisible
intervient sans cesse (ibid, p.172). » Dès lors, cet art de la compréhension que l'on nomme
herméneutique a à voir avec cette énigme de l'homme à la fois pour lui-même et pour les
autres. Il n'y a alors rien d'étonnant, qu'en cette époque où la science est reine, la philosophie
commence à percevoir et à estimer quelles sont les limites de l'application des règles. Pour
Gadamer, « il serait bon de prendre conscience des différences qui existent entre la médecine
scientifique et le véritable art médical. Il s'agit finalement de la même différence que celle
qu'il y a entre le savoir des choses en général et l'application concrète de ce savoir à un cas
unique (ibid, p. 113). »
2.3 La science et la philosophie
L'ambivalence des sentiments qui entourent les progrès actuels des sciences et la
puissance croissante de leurs applications appellent une réflexion philosophique approfondie.
Entre une confiance souvent aveugle et une inquiétude parfois excessive, comment trouver la
voie de la raison ? Les progrès fulgurants des sciences biologiques depuis cinquante ans, le
jaillissement puis l'expansion des biotechnologies, les extraordinaires succès des nouvelles
techniques participent à « une conception scientifique du monde ». Dans certaines branches
de la science, un nouveau vocable a vu le jour et son utilisation est de plus en plus répandue ;
la « technoscience ».
Dominique Lecourt (1997), précisait dans un éditorial à propos de la science ; « La
puissance qu'elle permet de conférer aux techniques humaines a installé la science au cœur
des sociétés contemporaines. Elle bénéficie d'une solide confiance de la part de tous ceux qui
ont pu bénéficier de la maîtrise des phénomènes naturels qu'elle rend possible. La science,
25
référence suprême de la pensée occidentale, naguère appelée à y tenir la place de Dieu, suscite
aujourd'hui dénigrement et ressentiments. Tout le monde s'incline devant son efficacité.
Nombreux sont cependant les penseurs, les ingénieurs, les chercheurs même et les simples
citoyens qui considèrent sa rationalité comme desséchante, voire oppressive. Contre elle, une
certaine « spiritualité » fait recette pour le plus grand profit de charlatans bien organisés (ibid,
p.3). » Les prolongements et les applications de certaines connaissances, notamment
lorsqu'elles prennent la forme d'une rationalité oubliant que c'est aux humains et à leur
environnement qu'elles se destinent, peuvent faire l'objet d'une mise en garde. L'oubli de
l'humain dans le recours à la science est certainement ce qui explique son rejet, sans nuances
par les uns, ou alors avec une confiance fluctuante pour les autres. C'est ainsi que Ilya
Prigogine, prix Nobel de chimie (1977), formulera une mise en garde à propos de certaines
tentations de la science. « Il faut dire que science et domination de la nature deviennent
proches parentes; et il faut ajouter que ce n'est que tout récemment que nous avons découvert
les limites et les dangers de cette approche (Prigogine, 2001, p.42). » Si nous devons à la
science, par l'intermédiaire de la recherche, une incontestable production de connaissances
nouvelles elle nous confronte également à un défi. Le défi de l'intelligence humaine donnée à
son application.
Le débat social autour de la science trouve que peu d'écho dans l'enseignement
scientifique. La pratique de cet enseignement vise essentiellement à la maîtrise technique.
Pour Dominique Lecourt (2008), le lien entre la pensée scientifique et ses caractères propres
d'une part, et les autres formes de la pensée humaine d'autre part a été perdu de vue ou nié, ce
qui aboutit au « scientisme ». Dans un rapport11 remis au ministre de l'Education nationale, de
la Recherche et de la Technologie, il dénonce une image purement calculatoire et opérative
de l'activité scientifique. Image qui tend à s'imposer aux chercheurs eux-mêmes. Il précise que
l'enseignement des sciences tel qu'il est aujourd'hui conçu ne leur apporte pas les instruments
intellectuels nécessaires pour faire face aux questions qui ne manqueront pas de leur être
posées. Dominique Lecourt, dans ce rapport, plaide pour qu'il y ait reconstitution de l'alliance
entre philosophes et scientifiques. Une coopération entre professeurs de philosophie et
professeurs de sciences et techniques permettrait de prendre un peu de distance avec les
formes de l'enseignement des sciences. Un enseignement de philosophie des sciences attentif
11 L'enseignement de la philosophie des sciences: rapport au ministre de L'Education nationale, de la Recherche
et de la Technologie, Paris, 1999, p.5.
26
à l'histoire de la pensée scientifique semble constituer le meilleur des garde-fous. Cet
enseignement vaut bien évidemment pour les étudiants en médecine, mais aussi pour les
étudiants infirmiers. Les progrès du savoir biomédical confèrent un pouvoir qui interroge, par
ses possibilités d'intervention sur l'homme, le sens même de ces métiers et plus largement la
conception de la personne humaine. Pour Lecourt (1999), l'absence de cet enseignement se
vérifie au regard de la place occupée aujourd'hui par l'éthique. « Confrontés à des questions
ouvertes qui exigent une réflexion approfondie sur les fondements de tous les systèmes
normatifs admis par l'homme moderne, ils (les médecins) expriment leur malaise par le mot
d'éthique (ibid, p. 28). » Dans son rapport, l'auteur précise que les rares professeurs de
philosophie français spécialistes des sciences bio-logiques et médicales, notamment Anne
Fagot-Largeault12, font remarquer que la médecine contemporaine sollicite leur réflexion sous
trois aspects:
ü La question du rapport entre la science et l'art médical profondément renouvelée par la
place qu'y prend la recherche fondamentale, laquelle n'est plus exclusivement ni
nécessairement l'affaire des médecins.
ü Le rôle joué par la pharmacologie industrielle et l'instrumentation modifie la distribution
des rôles sociaux dans l'art médical lui-même. L'interposition de couches techniques de plus
en plus complexes dans l'intervention médicale déplace la responsabilité du diagnostic et de la
décision thérapeutique du médecin individuel vers des instances collectives. Ce transfert
appelle une réflexion qui ne s'inscrit pas dans le simple registre éthique.
ü Enfin, il existe un nombre croissant de problèmes individuels et sociaux qui ne relèvent
pas spécifiquement de la maladie et dont nos sociétés semblent chercher la solution au niveau
de l'hôpital ou plus largement dans les moyens de l'appareil biomédical.
Le traitement de ces questions suppose un travail de réflexion qui fasse appel au
concours de plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, aussi bien qu'aux
médecins. La philosophie s'affirmant comme l'opérateur de transdisciplinarité par excellence.
12 Il faut transporter la philosophie dans la médecine, et la médecine dans la philosophie: Anne Fagot Largeault
a fait sienne cette maxime d'Hippocrate. A la fois médecin psychiatre et philosophe des sciences elle occupe
la chaire de philosophie des sciences au Collège de France et est membre de l'Académie des sciences.
27
2.4 Hiérarchisation des savoirs et modèle épistémologique de référence.
La science est vaste et les connaissances qui la compose augmentent au fil du temps. Il
est apparu nécessaire de l'organiser en branches et ce sont ces différentes branches de la
science qui sont nommées disciplines. Celles-ci se ramifient à leur tour selon l'étendue du
domaine concerné et créent de la sorte, en certains cas des sous-disciplines. Cette expression
n'indique néanmoins pas un niveau d'infériorité mais bien un degré plus précis de
spécialisation ou un regroupement de certaines particularités au sein d'une même discipline.
La recherche relève ainsi de disciplines qui lui servent, en quelque sorte, de domicile, de lieu
où elle est accueillie, abritée et où elle peut se développer. La discipline permet d'organiser les
connaissances en catégories et de mettre de l'ordre tant dans leur construction que dans leur
présentation et leur diffusion.
S’il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie des sciences, qui viendrait postuler par avance
que dans la pratique médicale une serait majeure et l’autre mineure, dans la réalité, une
distinction s'opère. La science n’échappe pas à la tentation de la hiérarchisation. Celle-ci est
exprimée de manière explicite par les expressions « sciences dures » et « sciences molles ».
Cette hiérarchisation qui s’ordonne autour des notions d’intérêt et d’utilité est dommageable à
la science elle même. Les tentatives de hiérarchisation témoignent d’un rapport de force
étranger à l’esprit scientifique et mettent à l’œuvre d’autres questions que celles qui relèvent
de la science. Pour François Laplantine (1997), « La pensée médicale officielle de notre
société, celle qui bénéficie de la plus grande légitimation sociale, ne serait guère
compréhensible sans son modèle épistémologique de référence qui est celui des sciences
exactes (ibid, p. 267). » Selon lui, « tout ce qui n'entre pas dans ce champ du savoir (le
biomédical) est soit abandonné aux élucubrations de la pensée non scientifique, soit appelé à
s'y soumettre (ibid, p. 267). » Les principes énoncés par Claude Bernard, en 1865, suggérant
que la médecine devienne une science véritable, c'est à dire une « physiologie appliquée »,
paraissent encore fécond dans la médecine contemporaine. Pour Laplantine, la situation
actuelle de l'épistémologie médicale semble procéder d'une radicalisation croissante qui ne
manque pas d'entraîner un certain nombre de conséquences :
ü « Seuls les individus qui sont le support d'une maladie organique, c'est à dire ceux
28
pour lesquels il est possible de trouver une correspondance lésionnelle, méritent le nom de
malade dans l'espace de cette biologie appliquée qu'est la médecine. Les troubles
fonctionnels ne sont pas à proprement parler des maladies.
ü La clinique médicale est dans une relation de subordination par rapport à la science
fondamentale qui, dans le domaine de la médecine, est la biologie moléculaire. Cette
clinique tend à devenir selon Laplantine (citant Israël13), la simple courroie de
transmission des sciences fondamentales, c'est à dire de la biologie générale appliquée.
ü La priorité est donnée à la quantification, il n'y aurait de connaissance scientifique que du
mesurable. L'administration de la preuve par la mesure devient la référence du vrai et du
faux, de l'objectif et du subjectif. Le diagnostic clinique devient secondaire. Fondé sur
l'observation et sur l'écoute du malade et donnant trop de prise à la subjectivité, il est
considéré comme non scientifique. Le diagnostic de la médecine contemporaine privilégie
les médiations instrumentales. Les signes imparables du « vrai malade », présentant une
« vraie maladie », sont aujourd'hui nécessairement quantifiés et se donnent à voir dans un
rapport chiffré (ibid, p. 270). »
Selon Laplantine ce modèle épistémologique de référence de la pensée médicale
s'ordonne autour des « sciences exactes » ou sciences nomothétiques. Il tend dans la pratique
des médecins, au mieux à un clivage du biologique et du non biologique et, au pire, dans une
attitude qui peut être qualifiée de positiviste. Positiviste, car opérant une extension du
biologique dans des prises en charge (sexualité, insatisfaction psychologique, sociale,
existentielle...) qui ne relèvent pas du champ de leurs compétences de la maladie au sens
proprement médical. Ce modèle épistémologique de référence participe à la genèse d'une
culture médicale, qui, « paradoxalement, procède à un double mouvement de désocialisation
de la maladie et de médicalisation de la société (ibid, p. 273). » C'est cette extension du
« naturel » à l'affectif et à l'historique, cette biologisation du psychologique, du social et du
politique qu'il convient, pour des raisons strictement scientifiques, de mettre en question.
Pour Laplantine, le savoir (bio)médical ignore ou réduit « le rapport de la maladie au
social et à l'histoire, ainsi qu'à tout ce qui échappe à la mesure et notamment la subjectivité et
13 Israël, L. (1968). Le médecin face au malade. Bruxelles: Dessart.
29
la fantasmatique non seulement du malade mais aussi du médecin … bref le rapport au
langage, à l'inconscient et à la question du sens (ibid, p.325). » C'est à dire, des
représentations qui ne se prêtent pas au processus de validation positive qui est la règle d'or
de la biomédecine. Une médecine, soucieuse de cette part d'irrationnel, ne peut pas ne pas
tenir compte de la spécificité de son objet et, « ne saurait se passer de l'approche des sciences
humaines, en prenant garde que, de complémentaire, cette approche ne devienne à son tour
exclusive (ibid, p. 325). » Dans une médecine, dont la pratique se traduit par l'application
intégrale d'une science exacte, tout ce qui relève de la relation médecin-malade ne peut être
que considéré comme secondaire. Ce ne sont pour les médecins « que de simples éléments
d'accompagnement, des facteurs résiduels, et non des causes décisives, lesquelles ... ne
peuvent être que mesurées (ibid, p. 326). » Or, le grand mérite des sciences psychologiques, et
en particulier de la psychanalyse, est d'avoir montré à quel point il était nécessaire de
réintégrer toute cette problématique du sens.
Nous avons abordé dans une première partie du travail les liens étroits entre la médecine
et la pratique politique et ainsi proposé un éclairage, permettant de comprendre comment nos
sociétés se sont progressivement médicalisées. Nous avons précisé, grâce aux apports de
Norbert Elias, que ce biopouvoir concernant les usages du corps était devenu un biopouvoir
délégué à l'individu ; individu, dès lors, respectueux d’une prescription normative autour de
pratiques sanitaires et corporelles. Toute situation médicale implique donc un lien au social,
pourtant, le processus d’objectivation en œuvre dans le savoir biomédical suppose
l’élimination de ce lien. La médicalisation croissante de l’existence (retards scolaires,
alimentation, rapport au corps, etc.) et la notion même de santé qu’elle engage, « n’a
absolument rien de scientifique, mais dépend d’une normativité et de critères qui ne sont pas
biologiques, ni psychologiques, mais éminemment sociaux (ibid, p. 328). » Si la bio-
médecine n’est pas un point de vue parmi d’autres mais une explication tenue pour
absolument incontestable, c’est à dire dans notre culture la seule approche qui soit réellement
scientifique, elle le doit au prestige et à l’hégémonie sociale qui lui est conférée par rapport à
tous les autres discours.
La pratique de la médecine pour être le plus proche de son objet ou plutôt de son objet /
sujet, c’est à dire de « de la maladie du malade », doit à la fois s’intéresser et convoquer des
connaissances des sciences biologiques et des sciences humaines. Plutôt que d’agiter l’apport
30
inestimable des sciences humaines, Laplantine nous propose d’approfondir un certain nombre
d’exigences épistémologiques incontournables :
ü « Le fait d’être malade, à moins de procéder à une dilatation à l’infini du médical, au
sens ou nous l’entendons en Occident, ne peut être scientifiquement appréhendé comme un
phénomène exclusivement médical. C’est un phénomène redevable d’une lecture biologique,
mais aussi économique, politique, psychologique… Le même fait de santé n’est jamais en lui
même un fait plutôt économique, plutôt psychologique, plutôt culturel… Il est, en revanche,
redevable d’une série d’éclairages différenciés, avec ses aires de rentabilités respectives, et
dont il convient d’articuler les problématiques en présence (lesquelles ne peuvent être que
différentes) plutôt que de les fusionner en une problématique unique.
ü Il n’est pas scientifique de disjoindre la médecine comme science et la médecine
comme pratique sociale. Même en temps que science, et peut-être surtout en tant que science,
la médecine évolue. Elle est redevable d’une anthropologie (sociale, culturelle, historique) au
même titre que les autres formes de thérapies. L’une des raisons d’être de cette anthropologie,
c’est de mettre en évidence ce qui n’est pas dit par le discours (bio) médical (ibid, p.331). »
L’intérêt devient alors de chercher un modèle plus souple et apte à saisir la réalité des
phénomènes, sans opposer un mode d’interprétation à un autre. Un modèle qui ne réduit pas la
complexité de la pathologie humaine derrière l’affirmation réitérée de l’objectivité. Un
modèle plus proche de « l’esprit scientifique », où un problème nécessite d’être bien posé,
« où rien n’est donné, où rien ne va de soi, où tout est construit (Bachelard, 2004, p.16) ». Si
Canguilhem réfute l’idée d’une médecine scientifique, Laplantine considère qu’elle ne l'est
pas suffisamment, et même dans certains cas qu’elle ne l’est pas du tout. Il lui fait le reproche
de rechercher et de retrouver en toute circonstance le schéma épistémologique de la cause et
de l’effet.
Nous postulons, dès lors, de la nécessaire complémentarité entre une approche
nomothétique et une approche herméneutique des savoirs et de la connaissance dans la
pratique médicale. L'essentiel consiste ainsi à maintenir une « tension » entre deux
perspectives dont aucune, prise en elle-même et comme un absolu, ne peut prétendre à une
totale légitimité.
31
33 MMEEDDEECCIINNEE EETT PPRRAATTIIQQUUEE SSOOIIGGNNAANNTTEE :: CCOONNCCIILLIIEERR LL''AARRTT EETT LLAA SSCCIIEENNCCEE..
3.1 Les concepts du normal et du pathologique
Georges Canguilhem (2007), au travers de sa thèse de médecine sur le normal et le
pathologique, se réfère pour l'essentiel à Auguste Comte et à Claude Bernard14. L'auteur
examine d'abord le problème de savoir si l'état pathologique n'est qu'une modification
quantitative de l'état normal. A contre courant du positivisme dominant, il précise dans son
introduction sa conception d'une médecine qu'il qualifie « ...comme une technique ou un art
au carrefour de plusieurs sciences, plutôt que comme une science proprement dite (ibid,
p.7) . » Il rappelle que la thérapeutique ne saurait se présenter comme simple application d'un
savoir physiologique préalablement donné. Il est question pour Canguilhem de faire la
critique de la thèse de Comte. « Comte attribue à ce qu'il appelle le principe de Broussais15
une portée universelle, dans l'ordre des phénomènes biologiques, psychologiques et
sociologiques (ibid, p.18). »
La thèse de Comte, à travers la continuité du normal et du pathologique et
l'identification quantitative, postule une norme objective qui caractérise l'état normal. C'est
autour de cette norme qu'oscillent maladie et santé. Qu'est-ce qui définit cet état dit normal ?
« La norme, le médecin l'emprunte usuellement à sa connaissance de la physiologie, dite
science de l'homme normal (ibid, p.75). » le normal est l'état ou l'organisme obéit aux lois
partout et pour tous identiques. A l'inverse le pathologique est du moins normal, un écart que
l'on traite par rapport à la norme: « Guérir c'est en principe ramener à la norme une fonction
ou un organisme qui s'en sont écartés (ibid, p.75). »
Canguilhem réfute d'emblée la thèse de Comte. Il critique une conception mécanisée du
corps qui consisterait à appréhender la maladie en plus et en moins et à la considérer comme
un écart par rapport à la norme. « Voir dans toute maladie un homme augmenté ou diminué,
14 Surtout à l'Introduction à la médecine expérimentale. 15 Ce dernier consiste à dire que « toutes les maladies consistent dans l'excès ou le défaut de l'excitation des
divers tissus au-dessus et au-dessous du degré qui constitue l'état normal. Les maladies ne sont que les effets
de simples changements d'intensité dans l'action des stimulants indispensables à l'entretien de la santé. »
32
c'est déjà en partie se rassurer. Ce que l'homme a perdu peut lui être restitué, ce qui est entré
en lui peut en sortir... (ibid, p.11). » Pourquoi se rassurer ? Précisément parce que la maladie
ainsi conçue n'est qu'un écart qu'il faut rattacher au normal, dès lors, l'espoir d'une guérison,
d'une restitution de l'état initial est envisageable. Sa démarche va être précisément d'ébranler
cette conception objectiviste de la santé (et donc de la maladie), pour montrer que la santé ne
correspond pas à une norme objective mais subjective. Pour Canguilhem, c'est seulement à
partir de la personne que l'on peut déterminer et penser la santé, la maladie et par extension la
norme.
3.2 Conséquences du principe de Broussais
La première conséquence de cette théorie consiste à dire que la vie répond à des normes
objectives. Cette détermination médicale du normal et de la santé impose un raisonnement
techno-scientifique et perd de vue le patient lui-même. Cette « conviction de pouvoir
scientifiquement restaurer le normal est telle qu'elle finit par annuler le pathologique. La
maladie n'est plus objet d'angoisse pour l'homme sain, elle est devenue objet d'étude pour le
théoricien de la santé (ibid, p.14). » Dans cette perspective, la maladie se traite
objectivement, elle est rationalisée par rapport à un savoir fondamental. La médecine se
concentre exclusivement sur l'épreuve de soin devant conduire à la guérison et écarte l'histoire
subjective de la maladie. Sur ce point, Canguilhem insiste sur l'idée qu'il existerait deux
maladies, une maladie de la médecine et une maladie du malade ou une maladie « portée par
le malade ». Le drame de la médecine contemporaine, dite « scientifique », c'est que « le
médecin à tendance à oublier que ce sont les malades qui font appel au médecin (ibid,
p.139). » Ainsi, il nous propose de bien distinguer « ... les deux points de vue si souvent
mêlés, celui du malade qui éprouve sa maladie et que la maladie éprouve, et celui du savant
qui ne trouve rien dans la maladie dont la physiologie ne puisse rendre compte (ibid, p.24). »
La seconde conséquence, illustrée par Claude Bernard cette fois (toujours cité par
Canguilhem) est l'affirmation d'une continuité entre les phénomènes pathologiques et
physiologiques. La pertinence de la thérapeutique viendrait s'épuiser dans la connaissance
d'une pathologie scientifique, qui elle même ne peut qu'être fondée sur la science
physiologique. Claude Bernard considère « la médecine comme science des maladies, la
physiologie comme la science de la vie (ibid, p.34). » Ces évidences se trouvent consolidées
33
dès lors qu'elles apparaissent porteuses d'une quantification, signe de la science. Cette double
qualification de science traduit le fait que la théorie prime sur la pratique. Pouvons-nous en
conclure que le pathologique ne serait, par rapport au physiologique, que « ...le dérangement
d'un mécanisme normal, consistant dans une variation quantitative des phénomènes
normaux » ? Nous voilà bien éloignés de l'idée soutenue par Canguilhem selon laquelle le
pathologique serait en soi, une autre norme, une autre « allure de la vie 16», et qu'en ce sens
« aucune guérison est un retour ». Une vie malade n'est donc pas seulement une vie diminuée
mais une vie modifiée par l'événement qu'est la maladie. En tout cas, « aucune guérison n'est
retour à l'innocence biologique. Guérir c'est se donner de nouvelles normes de vie, parfois
supérieures aux anciennes. Il y a une irréversibilité de la normativité biologique (ibid,
p.156). »
3.3 Le normal c'est la normativité
Le normal est le concept clé de toute la philosophie de Canguilhem, sa thèse va faire
basculer le concept de normal de l'objectivité à la subjectivité comme point de référence. En
tant qu'humain, un individu est doué de conscience. Se déclarant malade, il juge l'état de ses
normes biologiques. Dans tous les cas, ce jugement consiste à comparer ses possibilités
d'aujourd'hui à celles d'hier. Et ce qui est menacé par la maladie, ce n'est pas la fonction de tel
ou tel organe, c'est « l'allure de la vie » de l'individu, c'est à dire le tout de ses relations avec
son milieu dans son devenir. Canguilhem montre que toute conception objectiviste de la
norme comme moyenne statistiquement établie repose sur une confusion. L'individu humain
est un vivant particulier. Sa normativité s'affirme comme une capacité de créer de nouvelles
normes. Il affirme ; « en matière de normes biologiques c'est toujours à l'individu qu'il faut se
référer (Canguilhem, 2007, p.118) ». Pour Canguilhem, il n'y a pas de normal et de
pathologique en soi, ce qui implique une réfutation de l'objectivité de la norme concernant le
vivant et le refus de l'idée d'une santé parfaite. La pratique médicale impose selon lui un
16 Canguilhem accorde à cette expression une importance toute particulière dans sa thèse. L'allure, c'est le
mouvement selon le plus ou le moins (vite) mais aussi selon le rythme, c'est le pas, le trot, le galop; c'est
aussi, en société, la reconnaissance par d'autres de qui en impose - qui a de l'allure ou fière allure. Lorsqu'il
s'agit, au terme de son argumentation, de définir la physiologie, Canguilhem propose la formule suivante: « la
science des allures stabilisées de la vie (Canguilhem, 2007, p. 137). » Définition dynamique, car « des allures
ne peuvent être stabilisées qu'après avoir été tentées, par rupture d'une stabilité antérieure (ibid, p. 137). »
34
réexamen des notions de « norme », de « normalité » et de « normativité ». Pour Canguilhem,
le normal c'est le normatif. Être normatif, c'est pouvoir s'adapter, se donner de nouvelles
normes d'existence, « l'homme normal, c'est l'homme normatif, l'être capable d'instituer de
nouvelles normes, même organiques (ibid, p.87). » La normativité ne peut être comprise que
par référence à l'individu. La normativité c'est la manière dont chaque individu vit la santé ou
la maladie dans la dynamique de la vie, dans « l'allure de la vie ». La normativité permet de
comprendre qu'il n'y ait ni normal, ni pathologique en soi. Nier l'objectivité, c'est redonner
voix à la subjectivité qui se sent normale, ou qui se sent malade. C'est réhabiliter la place
centrale du vécu du patient dans la relation soignant-soigné.
Il n'est pas question pour Canguilhem de réfuter les apports de la science pour la
médecine. Il ne s'agit pas non plus de défendre une conception seulement « intuitive » de la
pratique médicale, mais davantage de soutenir la nature particulière de cette pratique. Elle ne
saurait se « présenter comme la simple application d'un savoir préalablement donné parce
qu'elle a pour cible un être en détresse, dont les traits individuels ne se laissent pas assigner au
statut d'un objet (Lecourt, 2008, p.33). »
3.4 De la normativité à la subjectivité
Dire que l'homme normal est celui qui éprouve son existence, qui jauge sa normativité,
implique que nous pensions la frontière entre le normal et le pathologique sur fond de
subjectivité. Ce qui est au premier plan de la maladie pour un malade ce n'est pas la variation
quantitative mais plutôt qualitative. Pour Canguilhem, la nécessité de comprendre l'organisme
dans son tout permet d'affirmer que, lorsqu'il est « malade », il est devenu « autre ». Cette
altérité est nécessairement perçue par le malade comme qualitative. La formule de Leriche,
que cite Canguilhem, donne tout son sens à cette affirmation : « La maladie humaine est
toujours un ensemble ... ce qui la produit touche en nous, de si subtile façon les ressorts
ordinaires de la vie, que leurs réponses sont moins d'une physiologie déviée que d'une
physiologie nouvelle (Canguilhem, 2007, p.53). » L'expérience de la subjectivité devient
fondamentale dans la pratique médicale qui se voit dès lors obligée d'écouter l'homme qui se
sent « autre ».
Pour Canguilhem, la maladie vient interrompre une « allure de la vie ». Il y a un
35
autrefois dont le patient garde la mémoire, « On est donc malade non seulement par référence
aux autres, mais par rapport à soi (ibid, p. 87). » Le pathologique naît donc d’un sentiment de
pathos, de la conscience d’une diminution de soi. Le sujet éprouve une diminution qu’il
affirme en référence à la représentation qu’il se fait de sa propre santé. Entrer dans la maladie,
de ce point de vue, c'est entrer dans la fragilité de la vie. Nous pensons, avec Guillaume Le
Blanc (2006), que « la maladie est un point de vue sur la vie qui fait disparaître l'attachement
innocent à la vie (ibid, p. 114). » La maladie est donc appréhendée d’abord subjectivement par
le malade qui éprouve un écart à son état normal. Il se fie à la connaissance qu’il a de
l’expérience de sa normalité ; en bref, il connaît son état en l’éprouvant. Nous pouvons dire
que « c’est le pathos qui conditionne le logos parce qu’il l’appelle. C’est l’anormal qui suscite
l’intérêt théorique pour le normal (ibid, p.139). »
Deux implications découlent de la définition de la maladie qui vient d'être donnée. La
première est philosophique et elle redonne de l'importance à la connaissance intuitive laissée
de côté par l'approche positiviste. La seconde concerne la nature de la relation soignant-
soigné. Le médecin se doit de considérer la conscience du patient, d'écouter ce que lui délivre
son intuition. Cette épreuve subjective, cette vie psychique de la maladie qui est considérée
par Canguilhem comme une nouvelle dimension de la vie, doit nous amener à repenser le sens
de la pratique médicale et du soin en général. L'enjeu ultime réside dans le fait que l'individu
pensé comme subjectivité, est replacé au centre d'une pensée du normal et du pathologique,
c'est à partir de lui seul que peut être défini un critère du normal, non à partir d'une moyenne
théorique. La normalité c'est l'activation de la normativité permettant à l'organisme de faire
varier ses normes de vie. La pathologie est une diminution de cette même normativité, mais
c'est l'individu qui en prend conscience, qui se juge déficient, et en appelle à la médecine. La
médecine, dans cette perspective, doit nécessairement tenir compte de l'intuition qu'a
l'individu de sa propre existence. Canguilhem contribue à redonner au patient l'importance de
sa connaissance sensible, et ainsi, la position qui lui revient de droit à l'intérieur de sa propre
maladie. Toute considération de la maladie part du malade lui-même. La perspective de
Canguilhem est donc de réintégrer le sujet dans la démarche thérapeutique, oublié sur son
propre terrain, évincé au profit d'une sur-rationalisation. Dans la même perspective que
Hippocrate, Canguilhem veut redonner voix au patient afin qu'il exprime ses signes. Il veut
redonner corps à la certitude sensible de celui qui se sent malade et montrer par-là même, que
la médecine existe parce qu'il y a des patients, que le premier terme de la clinique est le sujet
36
et non le cas.
3.5 Retour sur l'antiquité
La médecine grecque est le centre du tout premier débat sur la science. Elle apporte
avec elle son propre exemple, très précieux pour l'époque, celui d'une techné unique en son
genre, à la fois spécialisée, dotée d'un code de déontologie précis – le Serment d'Hippocrate –
et se prêtant à merveille à l'analyse des relations entre la pratique et le savoir. Le concept grec
de techné ne désigne pas l'application d'une connaissance théorique, il est par lui -même un
savoir d'ordre pratique. Nous pouvons dire que la techné est une articulation originale entre le
savoir et la pratique, où celle-ci n'est pas seulement l'application de celle-là. C'est bien l'action
de soigner, de soulager et de guérir qui est au cœur de la médecine et non le savoir lui-même.
La techné, vertu aristotélicienne de l'intelligence poïétique et art d'adapter aux cas particuliers
les données générales de l'intelligence théorique17. La techné se construit sur l'expérience,
mais elle ne naît que dans « un jugement universel, applicable à tous les cas semblables »18,
elle est en ce sens porteuse d'un savoir rationnel. Avec Aristote, c'est un premier statut
scientifique de la médecine qui se met en place, traduisant en quelque sorte un investissement
progressif de la techné par l'épistémé. La techné médicale a été d'emblée et restera
indéfiniment une attente de plus de savoir venant valoriser la part irréductible de savoir-faire
autour de laquelle elle est construite.
Cette singularité irréductible de l'acte soignant, l'absence de référence absolue quant aux
résultats qu'il produit, l'écart inéluctable entre sa prescription et son accomplissement, font du
soin dispensé une œuvre qui est hors de portée de toute saisie entièrement objective. L'art
véritable du soin tient à ce qui est au-delà de son modèle et ne peut être simplement déduit du
savoir qui le fonde. La techné a sur la simple technique une supériorité éclatante : loin d'être
seulement le moyen entièrement préétabli de certaines fins, elle est aussi l'art de se retrouver
et s'orienter dans un domaine inconnu, assurant ainsi l'avancée du savoir. Voilà qui nous
entraîne bien loin du sens moderne et étriqué de la technique comme maniement ou utilisation
de moyens. Les sciences modernes ont cette particularité qu’elles envisagent leur savoir
comme un pouvoir-faire. Nous pouvons dire que nous sommes passés d’une techné à une
17 Cf. notamment Aristote, Ethique à Nicomaque, 1094 a, 1140 a, L'épistémé est la science de l'intelligence
théorique, dont se distingue précisément la techné. 18 Aristote, Métaphysique, A, 1, 981 a.
37
technique. « Le concept de technique dans la pensée scientifique moderne s’arroge ainsi des
possibilités plus grandes, en particulier dans le domaine de la pratique et de l’art médical. Le
pouvoir-faire se rend en quelque sorte autonome … il est l’application d’un savoir théorique
… il n’est pas une thérapie, il est une action (Gadamer, 1998, p.47). »
44 LLAA QQUUEESSTTIIOONN DDUU PPAARRAADDIIGGMMEE EENN MMEEDDEECCIINNEE
4.1 Le paradigme selon Thomas Samuel kuhn
Le terme de paradigme est complexe, polysémique. Nous retiendrons ici le travail de
Thomas Samuel Kuhn (1999), qui est le promoteur du concept de « paradigme » ; modèle
théorique de pensée qui oriente la réflexion et la recherche scientifique à un moment donné.
Nous pouvons dire que le paradigme constitue le cadre à l'intérieur duquel les scientifiques
raisonnent pour résoudre les problèmes relevant de leurs disciplines. Il représente les
prémisses d'une réflexion scientifique et n'est pas habituellement considéré comme un
problème scientifique en soi. Le paradigme d'une science renferme le sens de ses concepts
fondamentaux. Considérant que la médecine contemporaine tend à se qualifier comme une
« science » médicale, nous pourrions dire que le paradigme de la médecine renferme le sens
des concepts de « santé » et de « maladie ». Le paradigme d'une science pose également les
limites légitimes du champ de sa recherche, les théories de base, les méthodes de recherche
reconnues et les valeurs auxquelles les chercheurs adhèrent. Les composantes d'un paradigme
constituent ce qui a été appelé « la connaissance tacite de la communauté scientifique ». Nous
pouvons dire que le paradigme est « une constellation globale, faite de convictions, de
valeurs, de manières de faire des membres d'une société donnée (Kuhn, 1999, p. 64). »
Kuhn souligne cette règle générale : les scientifiques n'apprennent jamais à déchiffrer
dans l'abstrait les concepts, les lois et les théories. En revanche, ils apprennent
progressivement à utiliser ces outils intellectuels en lisant des ouvrages ou en assistant aux
cours. Les étudiants apprennent graduellement à penser comme leurs enseignants et
finalement, lorsqu'ils partagent la connaissance tacite de la profession, ils se sentent intégrés
au milieu académique et acceptés comme collègues. L'intérêt de Kuhn est centré sur l'histoire
des sciences : sa thèse principale est que les disciplines scientifiques ne se développent pas
38
progressivement, mais par bonds successifs. Pendant de longues périodes, le paradigme d'une
science reste stable et les scientifiques résolvent des problèmes dans le cadre conceptuel de ce
paradigme. Cependant de telles périodes, qui constituent selon la terminologie de Kuhn « la
science normale », ne durent pas éternellement. Tôt ou tard une crise survient (c’est la prise
de conscience d’une anomalie, d’un événement ou d’un ensemble d’événements qui n’entrent
pas dans les cadres existants pour l’ordonnancement des phénomènes), le paradigme
s'effondre et une « révolution scientifique » se fait jour. L'unité de la communauté scientifique
est brisée par l'émergence d'écoles de pensée concurrentes mais, à terme, un nouveau
paradigme attire l'intérêt d'un nombre croissant de scientifiques et une nouvelle période de
production de « science normale » s'instaure. A partir de ces études, il arrive à la conclusion
que le développement scientifique dépend en partie d’un processus de changement qui n’est
pas une simple croissance, mais une révolution. Nous parlons alors de révolution
paradigmatique.
Il n’est pas certain que la théorie de Kuhn décrive correctement le développement de la
médecine. Une pensée médicale fondée sur un seul paradigme semble peu probable au
regard de la variété de disciplines scientifiques qu’elle convoque dans sa pratique. A ce titre,
nous pouvons fonder la pensée médicale sur un complexe de paradigmes relatif à plusieurs
disciplines. Cependant, la philosophie de la médecine s’est attachée à considérer l’existence
d’un paradigme de base à une activité aussi importante que la médecine clinique. Pour
certains auteurs, sans annoncer une révolution Kuhnienne, il serait justifié de dire que la
médecine est entrée dans une période d’instabilité paradigmatique.
Karl Popper (1970), philosophe des sciences, accepte l’idée que l’on puisse approcher
chaque phénomène à la lumière d’une théorie préconçue et que la science « normale », au
sens de Kuhn, existe réellement. Cependant il pense que cela constitue un danger pour la
science et non pas un état de fait souhaitable. Dans une correspondance avec Kuhn il écrit ;
« A mon avis, le scientifique « normal » comme le décrit Kuhn est un individu pour lequel il y
a lieu d’être désolé… Je crois, et beaucoup d’autres également le croient, que tout
l’enseignement que l’on dispense à l’université et, si possible avant l’université, doit être un
entraînement et un encouragement à la pensée critique. Le scientifique « normal » comme le
décrit Kuhn a été mal enseigné. Il a été enseigné dans un esprit dogmatique. » Selon lui, la
science est un processus évolutif plus que révolutionnaire. Dans la conception de Popper, le
39
scientifique ne fait pas seulement que produire une nouvelle connaissance à l’intérieur du
paradigme établi, il est aussi co-responsable d’un ajustement progressif de ce paradigme.
4.2 Quel est le paradigme de la médecine contemporaine ? Existe-t-il ?
Quel enseignement ?
Il semble que l’enseignement dans la plupart des facultés de médecine soit basé sur la
prétention que la pratique clinique n’est rien de plus que l’application pratique de la
connaissance biologique. Une certaine vision de la médecine a eu une profonde influence sur
l’enseignement médical. Les étudiants qui entrent en faculté de médecine commencent par
étudier l’anatomie, la physiologie et la biochimie. Puis ils étudient la pathologie et la
pharmacologie et habituellement ils ne voient leur premier patient qu’après avoir passé leurs
examens dans toutes les disciplines biologiques.
François Grémy19 relève que l’idée de « médecine scientifique » n’est pas sans
conséquences pour la formation initiale et continue des médecins. « Un premier paradoxe se
trouve dans le fait que l’apprentissage massif des sciences fondamentales n’est en rien une
éducation à la pensée scientifique : l’accumulation des faits à mé-moriser, et à réciter,
encombre, mais ne forme guère l’esprit. L’esprit de la science c’est à dire son aspect
pédagogique – le respect et la critique serrée des faits, l’explication des hypothèses, la mise au
jour des processus qui ont conduit à leur vérification ou à leur information, la discussion des
arguments pro et contra -, n’est pas au rendez-vous. Ni la prédominance de la démarche sur
les résultats, ni celle de la réflexion sur la mémorisation ne sont respectées. L’esprit de
l’étudiant oscille entre la réception dogmatique de l’enseignement et le scepticisme devant la
précarité des connaissances, et leur renouvellement permanent. D'où un déficit critique majeur
dans l’utilisation concrète des connaissances issues de la recherche scientifique (Grémy, 2001,
p.204). » Ce discours nous éclaire sur l’éloignement avec l’activité du chercheur qui soumet
chaque étape de sa démarche à un examen critique systématique de la méthode qu’il utilise,
des données qu’il recueille, et de l’interprétation qu’il est en droit de leur donner.
« L’approche scientifique de la médecine est résolument (ce qui est bien), mais exclusivement
( ce qui doit être contesté) réductionniste … il en résulte un dépérissement de la pratique
médicale : l’examen clinique au lit du malade passe au second plan par rapport à la biologie et
19 Professeur honoraire de Santé publique et membre correspondant de l'Académie nationale de médecine.
40
à l’imagerie (ibid, P.208). »
Nous retrouvons ici ce que Frédéric Dubas20 (2004) nomme « la pulsion scopique ».
Une partie de ces difficultés serait levée si nous voulions admettre que la médecine, si
« scientifique » qu’elle puisse être ou veuille paraître n’est pas une science, mais une pratique.
F. Grémy (2001) insiste en précisant, « Médiocrement scientifique, la formation médicale est
néanmoins marquée par l’idéologie « scientiste » : la Science (avec un S majuscule) est la
seule source valide de connaissance ; et parmi les sciences (avec un petit s), seules les plus
« dures » méritent d’être véritablement respectées. Élevé dans l’exaltation de la toute
puissance des examens biologiques et techniques, et conduit à se désintéresser de la clinique
(trop sujette à l’approximation et à la subjectivité, ainsi que des sciences sociales dont on
n’imagine même pas qu’elles puissent être d’une quelconque utilité pour l’exercice de la
médecine), l’étudiant apprend à ne se comporter qu’en ingénieur, ou plus souvent en
technicien supérieur (ibid, p.210). »
Quelle est la pensée médicale actuelle ?
La science moderne se caractérise par le fait qu'elle sait. C'est apparemment là que se
situe le problème pour la médecine. On expliquera que pour la science moderne, objectiver
signifie mesurer. Tout est mesuré, de sorte que l'on ne voit plus guère la maladie à l'œil, qu'on
ne l'entend plus guère à la voix mais qu'on la lit avant tout à travers l'ensemble des valeurs
fournies par nos appareils de mesure. Pour Didier Sicard (2002), « L'homme contemporain a
une image de lui de plus en plus paramétrée, quantifiée, normée, normative, « normale »,
encadrée par la médecine. Cette image le constitue de l'extérieur ; ce qui est vrai et juste c'est
ce que disent de lui les instruments de bord. Ceux-ci ne mentent pas, ne délirent pas mais
expriment des faits constatés (ibid, p.48). » Pour cet auteur, c'est une autre clinique qui
s'invente à distance de l'observation des symptômes. L'exigence de cette traduction objective
implique que « nous nous fions de moins en moins à la parole, la notre ou celle de l'autre.
Pour faire preuve, il faut du chiffre, des références, des normes auxquelles nous puissions
accorder la valeur sacrée de lois universellement reconnues (Gori, & Del Volgo, 2008,
p.72). ».
La science moderne et toutes ses pratiques sont irrémédiablement vouées à la
spécialisation. Pour autant, « la pratique clinique n'est pas une science et ne sera jamais une
20 Docteur en médecine, responsable du Département de neurologie du CHU d'Angers (en 2004).
41
science, alors même qu'elle usera de moyens à efficacité toujours plus scientifiquement
garantie (Canguilhem, 2007, p.153). »
Une conception mécaniste de la médecine ?
La médecine étant considérée comme une branche des sciences naturelles, des
générations successives de médecins scientifiques ont développé la théorie biologique de la
maladie. Selon cette théorie, la maladie est considérée comme un défaut de fonctionnement
affectant la machine biologique et à ce titre, elle peut être présentée sous l’expression de
conception mécaniste ou de modèle mécanique. La conception mécaniste de la médecine
correspond à ce que les philosophes nomment le réductionnisme biologique. C'est l'idée de
réduire les êtres humains à des organismes biologiques et la médecine à une branche de la
biologie. Pour certains philosophes, le réductionnisme biologique fait perdre aux concepts de
santé et de maladie leur sens originel. Nous ne devons pas oublier que si les individus
recherchent des avis médicaux c'est parce qu'ils se « sentent malades ». Il n'est pas question de
sous-entendre que les médecins qui partagent le point de vue biologique ignorent les
syndromes subjectifs de leurs patients, mais ils les considèrent comme des phénomènes
secondaires plus que comme des composantes du concept de maladie. Il n'est pas également
question de remplacer une conception mécaniste par une conception subjective mais
davantage de rechercher une conception de la maladie qui tienne compte des deux. Le concept
de maladie doit inclure non seulement les dysfonctionnements biologiques mais aussi les
symptômes subjectifs qu'entraînent ces dysfonctionnements et le sens que le patient assigne à
ces symptômes dans le contexte de sa propre vie. Nous acceptons le modèle mécanique
comme un élément indispensable du concept de maladie et nous nous élevons seulement
contre sa prétention à représenter toute la maladie. Il n'y a pas de doute que le modèle
mécanique, comme constituant du paradigme de la médecine contemporaine a été très
productif, mais les maladies ne sont pas que des entités biologiques. Nous postulons que la
médecine clinique est beaucoup plus que la biologie appliquée.
Promouvoir une science de l'homme en médecine ou repenser la médecine en tant que
discipline proprement humaine ne revient pas seulement à promouvoir l'ajout d'éléments de
psychologie, de sociologie ou d'autres sciences humaines aux connaissances issues « des
sciences exactes ». C'est probablement renouveler dans sa globalité le paradigme scientifique
qui fonde la formation des savoirs et des pratiques en médecine. Le modèle biomédical
42
procède de l'application en médecine de la méthode analytique réductionniste des sciences
classiques de la nature. L'erreur qui fait de ce modèle un modèle estropié, précise Engel,
« réside dans le fait qu'il n'inclut pas le patient et ses attributs en tant que personne, en tant
qu'être humain (Engel, 1980, p.536). »
55 DD''UUNNEE DDEEMMAARRCCHHEE SSCCIIEENNTTIIFFIIQQUUEE AA UUNNEE DDEEMMAARRCCHHEE HHEERRMMEENNEEUUTTIIQQUUEE
5.1 Vérité objective et vérité subjective.
D'un point de vue herméneutique, l'anxiété est un attribut constituant de l'homme et c'est
une grave erreur de considérer ce phénomène comme indésirable ou de conclure qu'une
anxiété est toujours un signe de maladie. Cela ne signifie pas, bien sur, que l'anxiété n'est
jamais un signe de maladie. Il s'ensuit de cette réflexion, que d'un point de vue
herméneutique, les patients qui souffrent d'une anxiété inexpliquée ne doivent pas seulement
être traités au sens médical. Ils doivent eux-mêmes en venir aux prises avec leurs problèmes,
guidés par leur réflexion sur soi. Actuellement la plupart des gens acceptent la conception
naturaliste de l'homme, qui repose sur un modèle mécaniste, et l'une des conséquences
logiques de cette vision est que les anxiolytiques et les antidépresseurs sont devenus un article
commercial majeur. L'anxiété et la dépression sont considérés comme des symptômes non
désirables, juste comme le mal de dents, et c'est le devoir du médecin d'enlever le symptôme.
Cet exemple autour de l’anxiété est riche de sens. Pour Kierkegaard21, les vérités
objectives de « la médecine scientifique » sont rapportées dans le langage de l’abstraction et si
elles acquièrent de l’importance, c'est seulement quand elles sont reliées à l’existence du
patient singulier. Ceux qui cherchent la vérité objective sont uniquement concernés par la
réalité indépendante du sujet. En revanche, ceux qui réfléchissent subjectivement ne peuvent
pas séparer l’objet du sujet car la vérité subjective concerne la relation entre les deux. La
vérité objective doit être recherchée par les méthodes propres aux sciences naturelles tandis
que la recherche de la vérité subjective exige l’apport de la méthode herméneutique, c’est à
dire l’interprétation et la réflexion. Ce qui compte, ce ne sont pas seulement les troubles
21 Sören Kierkegaard, philosophe Danois (1813-1855). Sa philosophie qui repose sur le concept d’expérience
vécue est annonciatrice de l’existentialisme : « plus on pense de façon objective, moins on existe. »
43
anatomiques et physiologiques mais la relation que le patient entretient avec sa maladie. Nous
retrouvons ici l’idée de Canguilhem (2007) lorsqu'il soutient ; « On comprend que la
médecine ait besoin d'une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet
n'est pas objective (ibid, p.49). » Il n’est pas question de penser que les philosophes
herméneutiques comme Kierkegaard et Heidegger22 nient l’importance de la science
naturelle. Ils soulignent seulement qu’elle doit être perçue dans sa propre perspective et que
l’homme en tant que personne ne peut pas être appréhendé intégralement à l’intérieur d’un
cadre naturaliste. Une réflexion sur ce que peut constituer la guérison, dans la manière dont
elle est appréhendée par le médecin ou par le patient, éclaire la nécessité de ne pas séparer
l'objet (la maladie) du sujet (celui qui la porte).
5.2 La question de la guérison
Georges Canguilhem (2002), dans un article intitulé « Une pédagogie de la guérison
est-elle possible ? », nous rappelle les rapports entre soin, guérison et maladie. Un premier
décalage s'opère dans la perception de la guérison par le malade et le médecin. Pour ce dernier
la guérison reste une valeur biologique, « la guérison est visée dans l'axe d'un traitement
validé par l'enquête statistique de ses résultats (ibid, p.69). » En ce sens, la guérison peut être
considérée comme l'efficacité et la bonne application de la prescription. Elle vient, par
ailleurs, nous signifier la pertinence du diagnostic posé. L'auteur nous rappelle la tendance
générale à considérer la guérison comme « un retour à l'ordre antérieur » et « une réversibilité
des phénomènes dont la succession constituait la maladie (ibid, p.75). » L'appréciation de la
guérison est ainsi fondée sur une mesure objective, et le rapport du médecin au malade
comme celui « d'un technicien compétent à un mécanisme dérangé (ibid, p.85). » Dans cette
perspective, le raisonnement médical impose la forme techno-scientifique.
Qu'en est-il de la guérison pour le malade ?
Si la guérison reste une valeur biologique pour le médecin, elle surgit toujours comme
une valeur existentielle pour le malade. Ainsi, comme l'affirme Canguilhem « la santé d'après
la guérison n'est pas la santé antérieure (ibid, p. 99). » Elle n'est donc pas un retour à l'ordre
normal antérieur. Pour Guillaume Le Blanc (2006), « la vie psychologique de la guérison ne
22 Martin Heidegger (1889-1976), philosophe allemand considéré comme l’un des philosophes les plus
influents du XXe siècle.
44
coïncide pas avec la vie physiologique de la disparition de la maladie (ibid, p. 113). » La
guérison, ainsi doublée d'une vie psychique, a à faire avec l'histoire singulière du sujet. Il y
aurait donc, comme il y a une vie psychique de la maladie, une vie psychique de la guérison
qui permet d'expliquer notamment, « qu'un sujet peut s'estimer ne jamais être totalement guéri
alors même que l'instance médicale a déclaré la guérison (ibid, p. 113). » Le sentiment de la
maladie ne disparaît pas avec la guérison, « la santé qui apparaît avec la guérison est une santé
consciente de la précarité de sa valeur (ibid, p. 115) », une santé dans une autre dynamique de
la vie, dans une « autre allure de la vie », qui a pris un autre sens avec la maladie.
Par ailleurs, il existe au regard du développement des maladies chroniques (cancer, sida,
etc.), des soins, « pour lesquels l'horizon n'est plus la guérison, mais la viabilité d'une vie
(ibid, p.109). » Cette « nouvelle allure de la vie » devient dès lors, aménagement avec la
maladie, vie avec la maladie. Dans la maladie, mais aussi avec l'existence de la conscience de
la maladie dans la guérison, la vie est devenue « autre ». En ce sens la guérison, comme la
maladie, est une nouvelle dimension de la vie. S'il y a une maladie éprouvée par le malade, il
y a également une guérison éprouvé et avoué par celui-ci. S'il y a une subjectivité de la
maladie, il y a également une subjectivité de la guérison. Pour Canguilhem (2002), « du point
de vue de la pratique médicale, fortifiée de sa scientificité et de sa technologie, bien des
malades se satisfont de moins que ce qu'on estime leur devoir, et certains autres refusent de
reconnaître qu'on a fait pour eux tout ce qui leur était dû. C'est donc que santé et guérison
relèvent d'un autre discours que celui dont on apprend le vocabulaire et la syntaxe dans les
traités de médecine et dans les conférences de clinique (ibid, p. 83). »
Si pour Guillaume Le Blanc (2006), il est difficile pour « une existence de savoir à quel
moment elle peut se dire guérie, dans la mesure où la guérison engage la fin d'une anxiété à
propos de la maladie (ibid, p.113) », alors il « semble difficile de concevoir le rapport du
médecin au malade comme celui d'un technicien compétent à un mécanisme dérangé
(Canguilhem, 2002, p.85). » Le médecin, dans ce rapport, dans cette relation avec le patient,
a donc à faire avec ce versant psychique de l'épreuve de la maladie et de la guérison. Selon
Canguilhem les médecins qui se sont le plus intéressés à cette question de la guérison sont
pour la plupart des psychanalystes.
45
5.3 La psychanalyse comme clinique de la vie psychique
La pratique psychanalytique peut apporter à celle des médecins des réflexions
conduisant à la mise à jour de perspectives et questions communes. En effet, si l'évolution de
la médecine se fait de plus en plus vers une scientificité accrue et une complexité des
techniques, l'acte médical ne peut pour autant se réduire à cette dimension. Il demeure un art
supposant répondre à la souffrance et à la demande liées non seulement à la maladie mais au
sujet malade.
Le terme de psychanalyse désigne un ensemble de pratiques cliniques inspiré d'un
corpus théorique dont les fondements ont été posés par Sigmund Freud au XIXe siècle. La
théorie psychanalytique est bâtie sur la reconnaissance de l'existence de l'inconscient dans le
psychisme de l'homme. Le champ de connaissance de la psychanalyse est étroitement
dépendant de son instrument de collecte de données qui est l'association libre au sein de la
cure analytique. Régulièrement critiquée depuis sa naissance, la psychanalyse est aujourd'hui
l'objet de remises en cause sur l'aspect non scientifique de ses fondements. Il est vrai que la
psychanalyse est bâtie sur un socle épistémologique très différent de celui qui supporte
aujourd'hui la science contemporaine. Elle n'est pas, elle même, une science et ne peut donc
être l'objet d'un débat contradictoire sur ses résultats ou ses prémisses sur le terrain de la
vérification scientifique. Un objet quelconque recueilli lors d'une psychanalyse (pensée, acte,
rêve, symptôme...) peut posséder à un moment donné une valeur A et dans un autre contexte
de la cure une valeur B inverse à celle de A, sans que cela ne gêne aucunement la rationalité
psychanalytique. En tant que discipline centrée sur l'inconscient, la psychanalyse permet la
construction d'un sens subjectif, privé, donné par le malade à son trouble. Les explications
rationnelles et objectives sur la maladie sont utiles, mais elles sont insuffisantes à aider
véritablement le malade à construire cette signification personnelle.
C'est sur ce versant psychique de l'épreuve de la maladie que la clinique
psychanalytique se révèle fondamentale, dans la mesure ou elle cherche « à faire émerger le
sens subjectif d'une vie et à révéler ainsi la scène psychique sur fond de laquelle s'incrustent
les événements de la maladie et de la guérison (Le Blanc, 2006, p.115). » L’intérêt de la
psychanalyse est à chercher dans le récit qu’elle propose de cette dimension subjective de la
maladie. Il s’agit ici de l’aborder comme une pensée clinique, « dont la signification est
d’inventer le malade comme sujet de la maladie et ainsi donner sens à l’idée même d’un sujet
46
malade (ibid, p.111). » C'est certainement au travers de la psychanalyse que l'on retrouve les
enjeux de la méthode clinique. La psychanalyse s'appuie effectivement sur la clinique, tant
pour résoudre les questions théoriques qu'elle se pose que pour orienter sa pratique. D'où
peut-être l'appel de plus en plus fréquent que fait la médecine de pointe à la psychanalyse, à
partir des vertiges qu'impliquent ses avancées technologiques. Excessivement réglée par des
universaux, cette médecine bute sur l'incontournable d'une singularité qui s'impose là où tout
devrait être maîtrisé, au risque de faire basculer ses projets.
La clinique psychanalytique suppose donc l'accès à quelque chose d'insaisissable. Le
propre du sujet est de ne pas pouvoir vraiment se saisir comme tel. Une part de lui-même lui
échappe. Ce qu'il sait et montre occulte ce qu'il ignore de lui-même, ce qui ne se voit pas dans
ce qu'il manifeste. Il s'agit de développer l'écoute de ce qui ne s'entend pas. L'attention doit se
porter vers l'inapparent, l'inaudible. C'est aussi ce qu'exprime l'hypothèse de l'inconscient, qui
justement se manifeste dans les discontinuités du discours conscient. L'essentiel est d'oser s'y
risquer. On mesure à quel point la clinique psychanalytique est dans une certaine mesure une
clinique à l'envers par rapport au projet de la clinique médicale. La médecine voudrait que
tout soit possible. La psychanalyse mise sur l'impossible pour ouvrir à nouveau le champ des
possibles. C'est dans l'impasse de son intervention qu'elle trouve paradoxalement les voies
d'une issue possible. C'est dans ce qu'elle ne peut saisir ou énoncer que se trouve l'espace
d'une liberté où le sujet pourra défaire ce qui s'est figé, pour s'inventer différemment.
Il reste que la médecine, en son sens le plus large, ne peut se détourner de l'hypothèse
d'une vie psychique de la maladie. Accorder une place à la vie psychique de la maladie, « c'est
en passer par la parole du malade, c’est autoriser la construction d’un récit autobiographique à
l’intérieur de la relation thérapeutique ( Le Blanc, 2006, p.115). » C'est donc la nécessité d'en
référer au patient et à sa parole. L'intérêt de la psychanalyse, en l'abordant comme une pensée
clinique, permet de considérer la vie psychique de la maladie. La psychanalyse est née de
cette nécessité de devoir reconnaître un reste irréductible à la logique médicale et à son savoir
anatomophysiopathologique.
47
66 RREETTOOUURR SSUURR LLEE PPRROOJJEETT DD’’UUNNEE DDIISSCCIIPPLLIINNEE IINNFFIIRRMMIIEERREE
6.1 Savoirs disciplinaires et pratique professionnelle.
Nous considérons avec Canguilhem, que la pratique médicale n'est pas une science mais
un art ou une technique. Dès lors, nous avançons que la pratique infirmière, c'est à dire le
soin infirmier, est encore moins une science. Si l’action professionnelle des soignants et en
particulier celle des infirmiers requiert des connaissances scientifiques dans différentes
disciplines, le soin infirmier n’est en rien réductible à ces connaissances. Le soin infirmier
n’est pas en lui-même une science mais bien, pour reprendre l’affirmation de Canguilhem
(2007), « une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences (ibid, p. 7). » En ce sens,
la connaissance en tant que telle n’est pas le plus important mais davantage le recours
judicieux à celle-ci selon les circonstances. C’est par un recours judicieux que la valeur de la
connaissance sera mis en lumière grâce à son utilité ou à la promesse de ses perspectives.
L'infirmier n'exerce pas une discipline, sa pratique est celle des soins infirmiers et pas celle de
la discipline infirmière.
La distinction entre savoirs disciplinaires et pratique professionnelle mérite ici d'être
posée. Les finalités ne peuvent être confondues. L'action du professionnel s'inscrit dans une
perspective soignante, elle concerne à chaque fois une situation singulière. Si la pratique de
l'infirmier, au sens de la praxis aristotélicienne, requiert qu'il s'informe des travaux de
recherches et qu'il actualise régulièrement ses connaissances, cette praxis ne saurait se réduire
à l'application de ces résultats, aussi séduisants soient-ils. Pourtant, l'importance grandissante
accordée depuis quelques années à la notion de pratique fondée sur les preuves (evidence-
based nursing et evidence-based medicine)23, s'éloigne radicalement du sens même d'une
pratique autonome, tant vis à vis de la théorie que de la technique. Pour Aristote, la rationalité
des « choses humaines » - c'est à dire celle du monde auquel nous sommes – ne relève ni de la
23 La médecine fondée sur les faits se définit comme l’utilisation rigoureuse et judicieuse des meilleures
données disponibles lors de prise de décisions concernant les soins à prodiguer à des patients individuels. On
utilise plus couramment le terme anglais Evidence-Based Medecine (EBM), et parfois les termes médecine
fondée sur des preuves ou médecine factuelle. Ces preuves proviennent d’études cliniques systématiques,
telles que des essais contrôlés randomisés en double aveugle.
48
connaissance théorique des causes de ce qui est, ni d'un quelconque savoir faire
techniquement efficace ou rhétoriquement persuasif. Si le médecin par la médiation
instrumentale a à faire à la maladie de la médecine, l'infirmier dans sa pratique ne peut pas ne
pas rencontrer le malade. Il semble bien que le problème soit là. Il a donc à faire à l'humain.
Encore faut-il qu'il accepte cette rencontre et qu'il ne la médiatise pas en singeant le modèle
médical. Ceci, au travers d'une taxinomie, qui viendrait dans les diagnostics infirmiers qu'elle
pose, proposer une saisie entièrement objective du soin à réaliser. Même si la techné est
porteuse d'un savoir rationnel, elle n'est pas l'application ou la mise en pratique d'une
connaissance théorique, elle est d'emblée un savoir d'ordre pratique.
Si le médecin lutte contre la maladie qu'il objective et qu'il cherche à maîtriser, traite
l'urgence de la pathologie mais peu le patient, l'infirmier est lui directement confronté à celui-
ci. Le rôle propre dévolu à l'infirmier serait de nature « relationnelle », centré sur le patient il
pallierait en quelque sorte un « manque à soigner » de la personne lié au modèle médical. Il
semblerait cependant que ce modèle médical, qui repose sur le langage scientifique de la
médecine moderne, fonctionne comme idéal type pour les autres professions de santé. Cette
affirmation semble partagée par Michel poisson (2005) ; « Durant les trente dernières années,
la profession (infirmière) a essentiellement investi le champ de connaissances et de pratiques
des sciences de la vie, caractéristiques de l’exercice médical. »
La profession infirmière peut-elle exister de manière quelque peu autonome avec des
modèles et des théories distincts de ceux qu’utilise la médecine ?
6.2 L’influence du modèle médical ?
Nous prendrons pour incitation à la réflexion le discours provocateur d’Eliot Freidson
(1984). A l’en croire, il est abusif de considérer le travail de l’infirmier comme une
profession : « On discerne la profession du simple métier à ce qu’elle a acquis le droit
d’exercer son contrôle sur son propre travail. Un métier paramédical, dit-il, peut atteindre le
degré d’autonomie d’une profession à condition de contrôler un domaine d’activité disjoint,
qui peut-être isolé du champ global de la médecine et où la pratique n’exige pas le contact
quotidien avec les médecins, ni le recours à leur autorité ». Dans la réalité, l'autonomie que
suggère le rôle propre est peu valorisée. Le rôle propre est paradoxalement celui qui confronte
49
le soignant avec la saleté, le pousse à toucher le corps lésé. Il est en fait souvent délégué aux
aides-soignants. La revendication du rôle propre infirmier et des savoirs centrés sur le soin
infirmier ne bouleverse pas les pratiques. Lorsque le rôle propre est délégué, « l'ordre négocié
demeure fortement médicalisé et donc centré sur la pathologie (Sorel &Wittorski, 2005,
p.72). » Dès lors, peut-on considérer le rôle propre comme un domaine d'activité disjoint ?
Pour Marcel Jaeger24 (1999) « …il est certain que le rôle propre de l’infirmier est très loin de
ce critère, dans la mesure où il reste, quoi qu’on en dise, un rôle délégué. »
Bien que doté officiellement d'un rôle autonome (rôle propre), l'infirmier figure encore
dans le Code de Santé Publique sous la rubrique des auxiliaires médicaux. Le dictionnaire25
définit un auxiliaire comme une personne « utilisée en second, en secours, secondaire ».
Historiquement, la profession médicale s'est inscrite dans une démarche d'obtention et de
défense d'une « habilitation générale à intervenir sur le corps d'autrui (Matillon, 2003) ». Cette
attitude a entraîné la relégation des professions non médicales dans des fonctions auxiliaires.
Les professions de santé non médicales ont été dotées d'une « habilitation sous contrôle
médical (Matillon, 2003) » qui est à l'origine de leur catégorisation paramédicale. L'auteur de
ce rapport26 souligne qu'au centre du système se trouve la profession médicale, les
compétences des autres professionnels étant construites comme des dérogations à son
monopole. Cette réalité se reflète dans l'organisation de l'offre de soins infirmiers. Le médecin
reste le passage obligé du patient pour accéder aux soins infirmiers de quelque nature qu'ils
soient, à domicile comme en établissement de santé. Cette considération organisationnelle
n'est pas sans conséquence sur la visibilité de la contribution apportée par l'exercice infirmier
autonome (rôle propre) aux résultats de santé. « Premier professionnel de santé à aborder la
réalité du patient, le médecin va problématiser ses symptômes sur une perspective médicale.
Ce phénomène peut parfois obérer une définition et une thérapeutique infirmière plus
appropriée à la situation de soins (Debout, 2002, p. 81). »
24 Marcel Jaeger est sociologue et ancien infirmier de secteur psychiatrique. 25 Dictionnaire Littré de la langue française. 26 Le professeur Yves Matillon est l'auteur d'un rapport commandé en 2003 par le Ministre de la Jeunesse, de
l'Education nationale et de la Recherche ainsi que par le Ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes
Handicapées. Le rapport porte sur les modalités et conditions d'évaluation des compétences professionnelles
des métiers de la santé.
50
L'organisation des soins et la formation des médecins et des soignants restent rivés à un
modèle « moderne » et positiviste de la médecine. Le modèle de référence reste le modèle
centré sur la pathologie et en particulier sur les pathologies aiguës. Ceci malgré les
trajectoires, nombreuses aujourd'hui (cancer, sida, etc.), qui ne peuvent plus être clairement
identifiées en termes de guérison. Ces maladies chroniques, nécessitant « des soins chroniques
pour lesquels l'horizon n'est plus la guérison mais la viabilité d'une vie (Le Blanc, 2006, p.
109) » remettent en cause le fondement du modèle médical et des pratiques soignantes
centrées sur la pathologie.
Par ailleurs, les revendications identitaires des infirmiers articulées autour d'une
centration sur le soin infirmier, ne sont pas partagées par tous. Selon Sorel &Wittorski (2005),
les infirmiers oscillent entre deux options:
ü Une première option « techniciste », les rapprocherait du médecin et donc des
pathologies. Cette option les reconduit dans la ligne où ils se sont toujours situés « auxiliaires
du médecin ». Mais de plus en plus compétents sur ce plan, ils sont valorisés en tant que tels.
ü L'autre option est de nature relationnelle et centré sur le patient (le rôle propre) ; elle
suppose une décentration par rapport aux objectifs les plus valorisés dans les services et un
éloignement relatif de la fonction médicale. Cet éloignement apparaît difficile, l'autonomie
qu'il suggère est peu valorisé et rapproche les infirmiers de ceux qui leur sont
hiérarchiquement « inférieurs », les aides-soignants.
6.3 Un savoir infirmier ?
Habilités à intervenir sous contrôle médical, voyant leurs compétences construites
comme une dérogation à un monopole, ne bénéficiant pas réellement d'un degré d'autonomie,
s'inscrivant dans la prise en charge du patient en continuité d'une problématisation sur une
perspective médicale, les infirmiers ont-ils un champ de connaissances spécifiques ? La
pratique infirmière semble subordonnée à un corps de savoirs qui ne lui est pas nommément
désigné. Existe t-il un savoir qui serait un savoir infirmier ? Le savoir infirmier ne serait-il pas
la capacité de convoquer des connaissances de différentes disciplines (biomédicale,
psychologique, philosophique, anthropologique, sociologique...) ? C'est à dire un savoir de
51
nature pratique ; une réponse soignante construite à partir d'un corpus de connaissances
théoriques et techniques de ces différentes disciplines.
Le savoir infirmier est constitué de la somme des différents savoirs. Il sélectionne et met
en corrélation les connaissances scientifiques des sciences humaines et médicales pour les
fondre en un soin infirmier adapté à un besoin précis, à un moment précis. Si nous pouvons
dire que le soin emprunte à toutes ces disciplines, il n'en n'est cependant pas moins
spécifique ; autre. Vouloir définir ce qu'est le savoir infirmier constitue une tâche difficile. Si
pour les professionnels cette notion de savoir infirmier existe de manière implicite, il n'en
reste pas moins délicat d'en donner une définition suffisamment claire. Cette réflexion nous
renvoie à la nécessaire conflictualité dans la définition du soin lui même. Qu'est-ce que le soin
infirmier ? De la même façon, n'est-il pas difficile d'en donner une définition précise ?
Existerait-il une vérité du soin infirmier ? Un soin infirmier dont la compréhension viendrait
s'épuiser dans une connaissance particulière.
6.4 Quelle est donc la particularité du soin infirmier ?
La première est certainement qu'il s'adresse au malade et donc qu'il ne peut se penser et
se réfléchir en dehors de ce lien, en dehors de cette relation. Le soin infirmier ne peut se
concevoir qu'incarné dans cette relation qui unit le bénéficiaire de soins et l'infirmier qui le
prodigue car « ... un malade n'est pas plus réductible à sa maladie, qu'un corps à un organisme
ou qu'une existence humaine à une vie biologique (Dubas, 2004, p.9). » La compréhension de
« ce qu'il faut faire » relève d'une pratique à la dimension incarnée, contextualisé, c'est à dire
d'une praxis et non d'une pratique résultant d'une théorie appliquée. En ce sens, la pratique
soignante est fondamentalement œuvre de création et, à ce titre, unique, impossible à répéter
ou à reproduire. « Souligner la création que constitue le soin ce n'est pas exempter le soin de
la règle, bien au contraire, c'est souligner que le soin ne peut pas ne pas rencontrer la
nouveauté sous les formes du singulier, et qu'il doit faire avec (Blein, 2007). »
Nous pouvons également dire que le soin infirmier nécessite la mobilisation d'une
dimension affective. Un soin ne peut pas être donné « n'importe comment ». Les travaux
menés par Spitz (1968) sur l'hospitalisme nous rappellent que les fonctions du corps sont
éminemment liées aux fonctions psychiques et qu'on ne peut traiter les êtres humains comme
52
de simples agrégats d'organes. Pour Virginie Pirard (2006), « Penser le soin comme travail,
c'est assumer la dénaturalisation des ressources affectives nécessaires au soin et cela conduit
logiquement à s'interroger sur leurs sources, la façon dont elles sont mobilisées et leur
éventuelle reproductibilité (ibid, p.81). » Cette perspective prédispose le soin à être pensé
comme relation de soin. La mobilisation de ses ressources affectives constitue un travail et
non le résultat d'une entreprise placée sous le signe exclusif du don de soi.
Nous pouvons dire que le soin infirmier est la capacité à convoquer, dans la singularité
de ce soin particulier, dans cet hic et nunc, dans cette immédiateté un corpus de connaissances
de différentes disciplines nécessaires à sa réalisation. Nous postulons qu'il n'y a pas de
différences fondamentales entre un soin médical et un soin infirmier et que tous deux
s'ordonnent autour de la compétence de chaque professionnel à convoquer les connaissances
nécessaires à sa réalisation. Nous pensons cependant que le soin s'inscrit dans une temporalité
et que l'infirmier, de par la nature même de son travail, est davantage concerné par ce que
Canguilhem nomme, la « maladie du malade ». Le sens que la maladie prend pour le malade,
ce que ce malheur veut dire pour lui dans le drame de son existence, à une fonction de
révélation ontologique qui ne peut être réduite par la logique purement rationnelle.
6.5 Une conception de l'enseignement
Le modèle médical, qui repose sur le langage scientifique de la médecine moderne, ne
fonctionne t-il pas comme idéal type pour les autres professions de santé ? Nous pensons que
la conception d'une médecine « scientifique » n'est pas sans incidence sur la formation des
infirmiers. Un vrai travail de réflexion doit dissiper, auprès des étudiants, le malentendu sur
une pratique médicale ou une pratique infirmière conçue comme infaillible qui reposerait sur
un savoir non réfutable. La formation des étudiants à « l'esprit scientifique (Bachelard,
2004) » doit être un entraînement à l'esprit critique. Pour Chantal Eymard27 (2006), il est
« nécessaire de sortir d'un enseignement « décontextualisé » ... pour privilégier la
problématisation d'un objet d'étude, à partir de situations de santé inscrites dans un contexte
social, politique et économique ... ainsi le développement de l'intelligence critique devient
majeur (ibid, p.156). »
27 Chantal Eymard est Maître de conférences à L'Université Aix-Marseille I: Département des sciences de
l'éducation de Lambesc.
53
Si la formation des étudiants infirmiers comprend l'acquisition de savoirs et de
techniques nécessaires à un exercice de base, elle doit cependant consacrer un temps
important pour travailler son propre engagement et développer l'esprit critique. Plus que les
connaissances, ce sont les capacités à se projeter qui sont importantes. Plus que les certitudes,
c'est le doute qui est nécessaire. Qu'en est-il dans nos instituts de formation ? La réalité nous
montre que les cadres de santé responsables de l'enseignement dans les instituts sont souvent
mal à l'aise avec ce que Martin (2000) nomme « le scepticisme organisé ». Ils sont
historiquement et culturellement familiarisés à une transmission discursive des savoirs et des
savoirs faire. Dès lors, quelles disciplines du programme émergent de façon prépondérante ?
Comment sont articulés les enseignements afin d'amener les étudiants à analyser leurs
pratiques ? Nous pouvons dire qu'il existe de grandes disparités d'un institut à l'autre. Le cadre
réglementaire fixe un programme28 qui additionne de multiples connaissances regroupées
sous forme de modules d'enseignements. Ces contenus sont très aléatoires et tiennent, du
moins en ce qui concerne le module sciences humaines, à une intention pédagogique soutenue
institutionnellement.
Aujourd'hui, nous l'avons vu, la profession infirmière ne semble toujours pas s'être
émancipée du modèle médical. La formation actuelle est découpée en modules spécifiques à
l'image des spécialités médicales. Les médecins assurent de nombreux enseignements. Si la
formation des étudiants à l'esprit scientifique doit être un entraînement à l'esprit critique,
alors, aucun enseignement ne devrait de la sorte se référer à des résultats de recherche ou à
des théories, sans que l'enseignant qui les expose n'explique le contexte historique de leur
élaboration tout en demandant aux étudiants d'exercer leur regard critique. Ceci interpelle la
notion du rapport aux savoirs des enseignants. Cette préoccupation relative à l'esprit critique
achoppe bien souvent sur une conception cumulative de l'enseignement. Enseigner les
sciences, cela se résume-t-il à transmettre la plus grande quantité de connaissances établies au
risque de figer théories et concepts ? N'est ce pas plutôt à l'esprit de recherche qu'il convient
de faire accéder le plus grand nombre d'étudiants ? Ne doit-on pas, au premier chef, les initier
à une certaine manière de s'y prendre avec l'inconnu, de s'ouvrir à l'imprévu ? Initier et
cultiver un esprit « au sens du problème » ne consiste pas à « déposer » des connaissances
28 Arrêté du 28 septembre 2001, modifiant l'arrêté du 23 mars 1992 modifié relatif au programme des études
conduisant au diplôme d'État d'infirmier et d'infirmière.
54
scientifiques mais tend à proposer à l'étudiant de se mettre en recherche. C'est probablement
tout une autre conception de la formation qui est en œuvre dès lors. Se poser une question et
la travailler, en percevoir les multiples facettes, la reformuler encore et encore ne doit pas être
réservé au travail d'initiation à la recherche29. Cette approche trouve une pertinence
pédagogique quelque soit le module d'enseignement.
Il convient donc, dans la formation de nos étudiants, de consacrer du temps et de
l'énergie à développer l'esprit critique. A défaut, le risque pourrait être de voir le modèle
médical ressaisit pour penser la pratique infirmière. Proposer la construction d'une
« connaissance soignante » ne peut faire l'économie d'une réflexion sur le lieu ou peut se
créer une épistémologie du soin. C'est à dire un lieu où il est question d'accompagner les
étudiants à des examens critiques approfondis et à la révision de leurs connaissances. En
somme, un lieu où il est question de développer un « esprit scientifique » au sens
bachelardien. Ce chemin passe t-il par celui de l'université ? Ce travail doit-il être domicilié,
accueilli, abrité dans une discipline ? La question reste ouverte... cependant la terminologie
même de « science infirmière » doit nous interroger.
6.6 « Science infirmière » et sciences humaines ?
L'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise rationnelle de la « science
médicale », pose certaines questions. De quelle science il s'agit ? Quelle est sa perspective ?
Est-elle véritablement soignante ou renforce-t-elle les approches « objectivantes » ? Quel
rapport le soin infirmier peut-il entretenir avec la preuve ? Quelle est la prétention du soin
infirmier à vouloir se poser comme une « science » alors qu’il s’agit d’une pratique ? Cette
volonté d’inscrire le soin infirmier dans une « science » ne reproduit-elle pas, dans un
décalage temporel, la volonté de la médecine contemporaine à se définir comme une
médecine « scientifique » ?
L'exemple de la « science infirmière » dans les pays anglo-saxons, sa prétention à une
« scientificité », doit nous inciter à une certaine prudence. L'infirmier, dans sa pratique, a à
29 Dans l'instant du travail d'écriture, nous est apparu un possible effet pervers à localiser l'esprit critique dans
un lieu qui est sensé l'accueillir. C'est, de fait, donner la possibilité aux enseignants et aux étudiants de le
maintenir, voire de le renvoyer en ce lieu.
55
faire au patient et donc au singulier. Le diagnostic infirmier (réactions du patient face à sa
maladie) est sensé évaluer des éléments dont la nature relève d’une compréhension et non
d'une explication ; c'est à dire de connaissances qui s’ordonnent plutôt autour des sciences
humaines. Le diagnostic infirmier exclu, dans son approche objectivante du patient (c’est à
dire en ramenant à une taxinomie), le singulier, là où le singulier ne peut-être exclu. Une
pratique soignante, soucieuse d'une part de subjectivité, d'irrationnel, ne peut pas ne pas tenir
compte de la spécificité de son « objet » et ne saurait se passer de l'approche des sciences
humaines. Encore faut-il qu'elle ne réduise pas la complexité de cet « objet » à une simple
lecture théorique. Ce qui nous amène à partager l'interrogation de Canguilhem (2002); « En
matière de réductionnisme en thérapeutique, le psychologisme vaudrait-il mieux que le
physiologisme ? (ibid, p.96). » Et la tentation est grande, en particulier pour les étudiants
infirmiers, de « brandir » le « psychologique » en dénonçant l'approche « techniciste » et
rationnelle du soin, mais en opérant une bascule qui les amène à reproduire ce qu'ils
dénoncent. C'est à dire à se prononcer sur le malade en l'absence du malade ou pour reprendre
la pensée de Dominique Lecourt (2008), en voulant « expliquer la vie sans la vie (ibid, p.
111). »
Le danger n'est-il pas alors, insidieusement, de dicter une « application constructive
(Gadamer, 1998, p.16) » des sciences humaines, qui aurait pour effet de les détourner de leur
« objet » ? Des sciences humaines, dont l'utilisation délibérément rationnelle viendrait poser
une vérité sur le patient et sur la nature du soin à réaliser. Des sciences humaines permettant
d'agir avec certitude, donnant une forme d'assurance, capable de savoir et d'anticiper qui est
l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui. C'est à dire des sciences
humaines appelées à se soumettre au modèle épistémologique de référence de la médecine
« scientifique ». Des savoirs orientés vers un pouvoir faire, une maîtrise savante, autrement
dit, une technique ou une science appliquée. Une approche, qui voudrait allouer sous le terme
de « sciences humaines », une dimension « humaniste », mais qui viendrait masquer la
tendance générale au recours à la « science » et à ce qui fait preuve.
56
Hypothèse de recherche
Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences
humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».
Des sciences humaines ressaisies dans une certaine rigidité déterministe, dans l'illusion
d'une maîtrise. Des sciences humaines qui, dès lors, viendraient faire « science », sur le
modèle des sciences nomologiques. Ainsi, elles se verraient utilisées dans une logique de
résolution de problèmes ne permettant pas de problématiser sur une pratique soignante, ni de
mettre en travail certaines questions qui n'attendent pas de réponses.
Question de recherche
Quel est le discours porté par les professionnels du soin sur les sciences humaines ?
La manière dont sont parlées les sciences humaines traduit-elle des positions empreintes d'une
logique dominante issue d'une pensée rationnelle (croyance en une maîtrise) ?
77 CCOONNSSTTRRUUCCTTIIOONN DD’’UUNNEE GGRRIILLLLEE DD’’AANNAALLYYSSEE
Sans la formation d’un esprit critique, nos savoirs ne trouveront pas le sens des mots ;
nous devons tous y travailler. Dans la perspective d’une « science infirmière » ou d’une
science en soins infirmiers nous devons exiger et demander ce que l’on souhaite faire de nous.
Quelle pratique infirmière se dessine et autour de quelle(s) science(s) ? Au-delà, nous
sommes en devoir de nous interroger à propos du mot soin, qui doit nous rendre autorisés à en
être également les rédacteurs. Dans cette réflexion, il s’agit pour nous d’interroger le rapport
au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. Toute conception du savoir
nous oblige à concevoir la finalité de l’acte de formation. Dans cette modélisation, nous
proposerons que le rapport au savoir dans le soin infirmier puisse être envisagé comme une
tension, comme une dialectique entre expliquer et comprendre. Nous postulons que
distinguer les deux concepts permet de mieux les repérer et ainsi de les articuler.
57
7.1 Comprendre ?
La méthode classique du rapport au savoir passe à côté du formé et de sa propre parole,
dont la production des connaissances et des savoirs doit absolument tenir compte. C’est à lui
que le savoir est adressé. Le formé n’est pas un spectateur ou un simple élément passif qui ne
ferait que recopier ce qui est dit. Dans son rapport au savoir, le formé est appelé à son tour à
créer, à faire création d’une nouvelle connaissance subjective. L’apprentissage est absolument
inconcevable sans la participation active de l’autre. C’est l’intervention active de l’autre « qui
fait entrer l’œuvre dans la continuité mouvante de l’expérience, où l’horizon ne cesse de
changer, où s’opère en permanence le passage de la réception passive à la réception active, de
la simple écoute à la compréhension critique, de la norme admise à son dépassement par une
production nouvelle (Jauss, 1978) ». On pourrait dire que comprendre un savoir, ce n’est pas
seulement être capable de le résumer et de le paraphraser d’une certaine façon ou de répondre
à des questions sur son contenu ; c’est aussi (et peut-être plus encore) être capable de rendre
compte de son « pour quoi », de décrire quel sujet ou quelle vérité générale il illustre, de
préciser quelle est sa visée, d’élaborer son sens. La compréhension interprétative n’est pas une
simple activité de reproduction, elle est l’appropriation de la signification d’un texte par un
sujet. Elle n’est pas simplement une réception, mais bien une affirmation s’appuyant sur un
rapport individuel au texte ; en ce sens, selon Kierkegaard, une interprétation relève d’une
décision. Pour Gadamer (1995), l’expérience herméneutique est une aventure, et comme
toute aventure elle est risquée. Il y a d’abord le fait que « … comprendre, exactement comme
agir, reste toujours un se-risquer et ne permet jamais la simple application d’un savoir général.
Plus encore, cela veut dire que la compréhension, là où elle se produit, signifie une
appréciation qui entre, en tant qu’expérience nouvelle, dans la totalité de notre propre
expérience. Il est incontestable que le procédé herméneutique, précisément parce qu’il ne se
contente pas de vouloir saisir ce qui est dit là, ou se trouve là, … est d’une sûreté beaucoup
moins grande que celle atteinte par les méthodes des sciences de la nature (ibid, p.251) ». Ce
rapport au savoir où s’opère le passage de « la simple écoute à la compréhension critique, de
la norme admise à son dépassement par une production nouvelle » doit s’initier dans les
instituts. Cette capacité travaillée avec les étudiants modélise probablement chez eux une
disposition à l’esprit critique transférable en situation.
7.2 Expliquer ?
Il semble qu’aujourd’hui l’impact de la technique ou de la « science appliquée » soit
58
considérable. Elle est en effet la théorie qui a pour objet la prise en main de la planification
possible et de l’organisation du travail humain. Pour Heidegger, c’est à partir de la tekhnê
occidentale que la connaissance de l’objet a scellé l’oubli de l’Etre. Sa critique vis-à-vis de la
technique, rappelée dans l’ouvrage de Gadamer (1995), pointe l’illusion de croire que « la
science quel qu’en soit son style puisse un jour se charger des décisions d’une praxis (ibid,
pp.216-231) ». La technique, d’après Heidegger, devient synonyme du nihilisme, comme si
l’existence humaine était dénuée de toute signification. Elle devient la maîtrise d’une matière
première exploitable où l’homme est exposé au rien. « C’est une mécompréhension de
considérer le savoir responsable de nos décisions pratiques comme une pure application de la
science (ibid, pp. 216-231) ». Dans sa critique du système rationnel et logique qui objective
l’existence, Kierkegaard (1970) nous invite à opérer un retour sur nos propres existences, à
rétablir l’individu dans sa propre individualité. « J’honore la science, je respecte les savants ;
mais la vie aussi a ses exigences (ibid, p. 312) ». Pour le philosophe, la réalité est la
subjectivité qui fonde l’individu face aux systèmes objectifs, face aux concepts
dépersonnalisants. Ce qui existe ce n’est pas le concept de souffrance, mais bien des hommes
et des femmes qui souffrent.
7.3 Le statut des sciences humaines : comprendre / expliquer ?
Le terme de « sciences humaines » pour désigner la psychologie, l'histoire, la sociologie,
l'anthropologie, etc. est d'un usage assez récent. Autrefois, au XIXe siècle, on employait plutôt
l'expression de « sciences morales ». Le terme « morales » mettait l'accent sur le caractère
distinct de l'esprit humain par rapport à l'ordre de la nature. Mais désigner une science par la
moralité de son objet semble assez étrange, ou du moins, pas vraiment scientifique. La science
porte essentiellement sur des jugements de fait et non sur des jugements de valeur. Le terme
« science », quant à lui, peut présenter un aspect inquiétant. Il sous-entend que l'homme est un
objet comme les autres, qu'il doit aussi pouvoir être connu scientifiquement, comme on
connaît les phénomènes naturels.
Que faut-il entendre par objectivité dans le domaine des sciences de l'homme ?
Qu'implique l'idée d'objectivité du « savoir scientifique » ? Dans les sciences humaines, est-il
vraiment possible de faire abstraction de tout point de vue sur l'homme ? Peut-on rester
impartial ? S'il existe autant d'écoles, autant de doctrines dans les sciences humaines, n'est-ce
pas parce qu'un point de vue y est à chaque fois posé comme prédominant ? Prenons
59
l'exemple de la psychologie ; nous pouvons dire qu'il existe de nombreuse écoles différentes
et les affrontements de doctrines sont pratiques courantes. Dans les sciences humaines la
partialité semble la règle. Comment pourrait-il en être autrement ?
S'agissant de se prononcer sur ce qu'est l'homme, il nous paraît impossible de faire
abstraction de toute prise de position, de toute philosophie de l'homme. Toute interprétation
d'une donnée, d'une découverte ou d'une observation est une prise de position. Les faits
humains ont bien une réalité, mais cette réalité est susceptible de plusieurs interprétations.
Chacune de ces interprétations peut-être pertinente, ingénieuse, convaincante par l'éclairage
qu'elle apporte. Les théories peuvent se multiplier et se contredire sans qu'une seule ne
parvienne à englober le savoir précédent et à congédier une autre théorie. C'est un fait que
dans chacune des sciences humaines se rencontrent des points de vue différents. Il n'existe pas
une psychologie mais des psychologies. A côté de la psychanalyse de Freud, il y a la
psychologie analytique de Jung, la psychologie génétique de Piaget, le béhaviorisme de
Watson, la psychologie humaniste de Maslow, etc. La sociologie est également partagée en
plusieurs écoles. Une manière de rendre raison de cette pluralité est de dire que les sciences de
la nature et les sciences humaines n’utilisent pas le même langage. Les sciences humaines
utilisent le langage du sens, qui permet de construire une intelligibilité herméneutique. Les
sciences de la nature utilisent un langage mathématique qui leur permet de formuler des
ensembles de propositions formalisées, dont on peut tirer des conséquences mesurables. Ainsi,
nous pouvons dire que dans les sciences humaines nous avons à faire à un conflit des
interprétations. Chaque interprétation nous permet de comprendre ce qui est humain, mais
aucune interprétation n’épuise jamais l’humain. La subjectivité qui est à l’origine de toute
motivation humaine, de tout acte, de toute œuvre peut encore et encore être relue et comprise
de manière différente. La conscience humaine n’est pas une chose dont on peut faire le tour de
manière définitive, parce qu’elle n’est pas une chose du tout !
La vérité d’une interprétation dans les sciences humaines n’est pas du même ordre que
la vérité d’une théorie physique. Seule la vérité d’une théorie physique peut s’exprimer dans
un langage mathématique et être soumise au verdict de l’expérimentation. Nous devons à W.
Dilthey30 l’idée que s’opposent ainsi deux domaines distincts, celui de la Nature et de ses
30 Wilhelm Dilthey (1833-1911) était historien, psychologue, sociologue et philosophe allemand.
60
modes, dont l’explication physique est régie par une forme de mécanisme et celui de l’esprit
et de ses créations, dont la compréhension psychique est l’élément fondamental. C'est en fait
l'idée même de déterminisme qui s'applique mal à l'ordre humain. Un être humain est un être
conscient. La conscience se détermine par des intentions, des buts, des motivations. Elle
agence constamment les moyens à des fins. Ce n'est pas la causalité qui rend compte de
l'humain, c'est l'intentionnalité. Nous pouvons tenter de comprendre le comportement
psychologique de l'anorexique en essayant de discerner sa pensée, sa peur devant la
nourriture, le complexe de motivations conscientes et inconscientes qui se traduit dans ce type
de comportement. Une explication causale n'a guère d'intérêt. En d’autres termes :
l'explication causale est le mode de la représentation qui convient le mieux à la
description des phénomènes naturels. La compréhension convient mieux à la description
des phénomènes humains, elle cherche à rendre compte des conditions intérieures.
Cette séparation duelle est commode. Mais faut-il vraiment opposer l’explication
physique, qui serait le propre des sciences de la nature et la compréhension psychique qui
serait le propre des sciences de l’homme ? Rien n’est moins sûr. Et de fait, le plus paradoxal,
c’est que les sciences humaines tentent, bien souvent, de suivre un paradigme mécaniste que
la physique quantique a remis en cause. Si on passe sous silence ces remarques, disons qu’en
physique nous sommes satisfaits d’une explication, quand une théorie conduit à des
prévisions précises, ce qui suppose implicitement une forme de déterminisme des
phénomènes naturels. Or, dans l'ordre des phénomènes humains le déterminisme ne parvient
pas à être rigoureux. Si c’était le cas, il y à longtemps que nous serions capables de prédire le
comportement de l’individu, l’évolution économique d’une société, l’issue historique d’une
situation donnée. Les sciences humaines n’aboutissent guère à des prévisions. Le seul fait
d’observer et de connaître un processus humain, et de l’expliquer dans la communauté
scientifique et culturelle peut déjà l’altérer. Les prédictions dans les sciences humaines sont
aléatoires. Tout ce qu'il est possible d'obtenir ce sont des probabilités d'événement. Aucun
historien ne prétend être capable de tirer des conjectures31 sur le futur. Si les sciences
humaines étaient achevées, si un réel déterminisme était à l’œuvre à l’échelle de l’homme,
nos sciences humaines seraient capables de décrire et de prévoir avec précision les
31 En mathématique, une conjecture est une assertion qui a été proposé comme vraie, mais que personne n’a
encore pu ni démontrer ni réfuter.
61
transformations psychologiques, sociales et historiques. Le déterminisme fonctionne assez
bien dans le champ de la Nature, mais s’applique-t-il aussi bien à l’homme ? S’il y a en
l’homme une dimension de conscience qui est libre, alors il est possible que son intervention
décisive et créatrice déjoue toute prévision, toute détermination.
Cependant le problème peut être contourné. L’homme n’est pas un pur esprit, il faut
bien qu’il s’insère dans des structures existantes qui sont des structures humaines, qui, elles,
existent de fait avant lui. Le structuralisme est la doctrine qui soutient que l’individualité
humaine est préformée par des structures (Lévi-Strauss). Appliquée aux sciences humaines,
l’idée de structure revient à considérer l’homme comme le produit de l’entrecroisement de
séries de déterminations, qui sont celles de la parenté, des règles sociales, du langage, de
l’inconscient, des systèmes économiques, etc. Dans les années 60, le structuralisme s’est
développé en prenant le contre-pied de l’existentialisme et sa philosophie de la conscience.
Les règles, les codes, les systèmes sont mis en avant pour détrôner la primauté de la
subjectivité. On ne dit plus que l’homme fait le sens, mais que le sens advient à lui dans des
structures. Nous pourrions commenter le virage structuraliste pour la sociologie, la
linguistique, la psychologie, etc. Nous prendrons ici l’exemple de la psychanalyse, dont les
résultats théoriques peuvent aussi être interprétés à travers la notion de structure.
L’inconscient figure un ordre caché qui régit le psychisme individuel. Il contient en lui un
système de représentations refoulées qui agissent sur la vie consciente, mais ne peuvent
s’exprimer qu’indirectement. Freud a d’abord montré que l’inconscient était une structure
essentiellement personnelle, liée à l’histoire personnelle de chacun. Mais dans la seconde
topique, il insiste sur un inconscient primitif, le ça. Ses successeurs n’ont pas eu de difficulté à
parler d’un inconscient structural à l’œuvre dans le psychisme de l’homme, notamment
Jacques Lacan pour qui l’inconscient s’exprime comme un langage. Dès lors, nous pouvons
dire que l’homme n’est jamais libre vis à vis des structures. Il est un sujet, mais dont
l’individualité est composite. Le structuralisme ne supprime pas le concept de sujet, mais c’est
« une pensée qui l’émiette et le distribue systématiquement, qui conteste l’identité du sujet,
qui le dissipe et le fait passer de place en place, sujet toujours nomade, fait d’individuations,
mais impersonnelles, ou de singularités, mais pré-individuelles (Deleuze, 1979, p. 325). »
Avec le structuralisme nous ne pouvons comprendre l’individualité humaine que comme
rapportée à ses conditions d’Objet. Ainsi, sous cet angle, le savoir est recevable par plusieurs
62
sujets. Nous pouvons dire que le structuralisme permet d’édifier une science cohérente qui a
effectivement trouvé une objectivité à laquelle s’attacher. Mais qu’est-ce qu’un Objet sans
sujet ? Peut-il y avoir structure sans sujet structurant ?
Le propre de la conscience est de poser la relation sujet / objet. Les sciences humaines
montrent avec force ce qu’est l’homme en situation sur la scène du monde. Nous ne pouvons
pas penser l’homme comme vivant dans un ciel idéal, coupé de toute réalité sociale et
culturelle. Un homme c’est un locuteur pour le linguiste, un individu pour le sociologue, un
consommateur pour l’économiste, un être sujet à des pulsions inconscientes pour le
psychanalyste, etc. Chacune des sciences humaines occupe le terrain d’une thématique
particulière. Mais de cette prolixité de recherches n’émerge pas de certitude essentielle quant
au sens de la vie humaine. Elle a un aspect confus et inorganisé.
L’accumulation des faits scientifiques ne produit pas de sens. Ce dont nous avons
besoin, ce n’est pas d’un catalogue de faits, d’une suite de statistiques. La fragmentation du
savoir dans notre monde contemporain, appelle la nécessité d’un retour sur soi de la
représentation scientifique et d’une connexion constante avec la Vie telle qu’elle s’éprouve en
chacun de nous. Une représentation objectivée, par nature, ne parle pas au sujet, parce que la
vie est par essence subjective et non pas objective. Dès lors, nous pouvons dire que les faits
humains ont toujours deux aspects : objectifs et subjectifs, aussi les sciences humaines font-
elles jouer les deux registres de l’explication et de la compréhension.
Aborder les pratiques soignantes dans une pensée positiviste qui consisterait à replier
exclusivement les savoirs des sciences humaines sur le champ de l’explication, de la
causalité, de l’établissement de faits nous semble préjudiciable. La « science infirmière » née
du contexte anglo-saxon, marquée par le scientisme (evidence-based nursing et evidence-
based medicine)32, donne le primat à la méthode objectivante, elle même rapportée
essentiellement au modèle nomologique. L’hypothèse est donc que l’idée même de science
présuppose la mise en forme causale, c’est à dire la possibilité d’exprimer la connaissance
sous la forme d’énoncés déductifs pertinents dans des conditions données, valant par ailleurs
32 . On utilise le terme anglais Evidence-Based Medecine (EBM), et parfois les termes médecine fondée sur
des preuves ou médecine factuelle. Ces preuves proviennent d’études cliniques systématiques, telles que
des essais contrôlés randomisés en double aveugle.
63
comme pronostics (présentant donc comme prévisible ce qui doit être expliqué), et donnant
dès lors idéalement lieu à une possibilité de validation à partir de cas semblables. Cette
extension d'un projet d'une « science infirmière » sur le modèle médical pose de redoutables
problèmes épistémologiques. Dans le même esprit, de nombreux auteurs ont développé une
critique du projet d'application des méthodes des sciences de la nature à l'homme, dans la
mesure où cela revient à l'« objectiver », le « chosifier », le « réifier ».
Nous proposerons donc d’envisager le soin et la pratique soignante, dans son rapport à
la connaissance, aux savoirs, comme une tension, comme une dialectique entre expliquer et
comprendre. Notre souci, dans le travail d’enquête, va donc être de repérer chacun des jeux
de langage qui peuvent ouvrir à des attentes spécifiques quant au projet d’une science
infirmière. Ainsi, un premier jeu de langage qui se construirait sur une sémantique centrée sur
des termes comme, explication, cause, régularité, objectivité, preuve, quantitatif, maîtrise,
contrôle, etc., auxquels serait associée une conception nomothétique des sciences humaines.
L'épistémologie nomothétique en sciences humaines est directement importée des sciences de
la nature. A base de données quantitatives, elle s'applique à rechercher des régularités, qu'elle
transforme en lois. La sémantique du second jeu de langage mettrait en avant des termes
comme, compréhension, intention, sens, qualitatif, singulier, imprévisible, incertitude, etc.,
auxquels serait associée une conception herméneutique des sciences humaines.
64
Sciences humaines:
modèle nomothétique
Sciences humaines:
modèle herméneutique
Expliquer
Causalité
Quantitatif
Langage mathématique
Réductible
Général
Vérité objective
Pourquoi
Résolution de problèmes
Maîtrise
contrôle – mesure – preuve
Certitude
Concret
Régularité
Objet
Science appliquée
Technique
Maladie
Signe
Comprendre
Intentionnalité
Qualitatif
Langage du sens
Irréductible
Singulier
vérité subjective
Comment
Questionnement – recherche de sens
Inattendu – imprévisible
Interprétation
Incertitude
Abstrait
Création
sujet
Praxis
Techné
Malade
Symptôme
65
Méthodologie générale
88 DDIISSPPOOSSIITTIIFF DDEE RREECCHHEERRCCHHEE
8.1 Le cheminement méthodologique
Un travail de recherche nous oblige à un préalable. Avant de pouvoir présenter des
résultats faisant appel à des notions théoriques spécifiques, il convient de clarifier notre
rapport à la méthode et bien plus encore notre implication en tant que sujet, depuis sa
conception jusqu’à sa mise en œuvre. A partir de cet état des lieux, il s’agira alors d’envisager
une manière de prendre en compte cette part éminemment subjective inhérente à toute
méthodologie en sciences humaines.
Il est important dans un premier temps de nous arrêter un peu sur le terme de méthode
considéré dans le domaine spécifique des sciences humaines. Puisant dans un écrit de
Dominique Weil, nous réfèrerons le terme de méthode à son origine grecque métodos, formé à
partir de meta (après) et de odos (la route ou le voyage). Pour traduire ce terme Dominique
Weil (1992) propose la formule de Dumézil, à savoir : « Avec la métaphore du métodos, la
connaissance est un trajet ordonné par des repères déjà donnés, mais qui laisse au parcours sa
dimension d’invention et de nouveauté, qui peut laisser incertain son point d’arrivée, et qui
soumet à des choix justifiables l’itinéraire ainsi découvert (ibid, p. 8). » Ce qui revient à dire
au fond, que parler de méthode c’est témoigner dans un après-coup d’un itinéraire proprement
singulier effectivement emprunté. Itinéraire d’autant plus singulier que nous nous situons ici
dans un domaine scientifique bien particulier qui est celui des sciences humaines : ici, un
Homme pose son regard sur les Hommes.
L’objet des sciences humaines est d’une complexité extraordinaire en ce qu’il met en
jeu, d’une manière ou d’une autre, le sujet en tant qu’être de langage. C’est à-dire que l’objet
66
des sciences humaines est le fait humain au sens large, sachant que la caractéristique
essentielle du fait humain est précisément d’être fait langagier. Pour globalisants qu’ils sont,
les propos de Pierre Legendre (1990) n’en sont pas moins éloquents : « une société n’est ni un
groupe, ni un troupeau, ni un magma, mais une organisation soumise au statut de la parole
(ibid, p. 10). » C’est dire que l’objet des sciences humaines, s’il est un objet de la réalité
observable, est doublement inscrit dans l’ordre symbolique : d’une part en ce qu’il procède de
la structure du langage et d’autre part en ce qu’il est observé par un chercheur, lui-même pris
dans le langage, et dont un des buts est de venir énoncer une parole sur l’objet de son
observation.
Il en résulte que, dans la recherche en sciences humaines, le langage comme structure
occupe résolument une place surdéterminée dont l’effet majeur est de créer de l’écart : écart
entre la réalité observable et ce qu’en appréhende le chercheur, écart entre ce que le chercheur
a pu appréhender de cette réalité et ce qu’il en transmet effectivement, écart entre ce que le
chercheur a tenté de transmettre de sa compréhension de la réalité et ce que ses auditeurs ou
lecteurs en appréhendent à leur tour. Ecart inhérent à notre structure même de sujet parlant.
Ecart inhérent à la structure même de l’objet des sciences humaines comme fait langagier.
C’est dans ce contexte de la recherche en sciences humaines, avec les caractéristiques
spécifiques de son objet, que s’inscrit notre travail.
Le choix d’une méthode dans un travail de recherche nous oblige à revenir sur nos
questions, nos idées, notre réflexion et tous ses allers et retours. Ce choix exige de préciser ce
sur quoi l’on souhaite véritablement travailler. Afin de ne pas s’égarer dans ce travail, il nous
est apparu nécessaire de partager la problématique et les perspectives de ce travail de
recherche avec des professionnels33, eux-mêmes inscrits dans cette réflexion épistémologique
autour du soin. Il est indispensable de trouver un lieu pour rendre compte de l’état de sa
réflexion au fur et à mesure qu’elle se construit. Provoquer des rencontres qui permettent de
parler de son travail à d’autres, constitue une opportunité à saisir pour faire scansion dans une
réflexion au long court. L’argumentation de ses choix, ainsi que l’effort de mise en mots de
l’objet et de la problématique présente un avantage non négligeable ; il oblige le chercheur à
33 Ceci, dans le cadre de rencontres de différents professionnels concernés par la formation initiale des étudiants
en soins infirmiers. Ces rencontres, qui ont une existence institutionnelle dans notre institut, ont pour objet de
nourrir une réflexion sur le travail de recherche (TEFE) des étudiants ainsi que sur les apports des sciences
humaines dans la formation et dans le soin en général.
67
préciser ses références théoriques et ainsi à définir le cadre de sa recherche. En débattre
permet de relancer la réflexion.
Le mode d’appréhension de l’objet et la question du recueil de données de la recherche
s’est posé très rapidement dans le groupe. Cette dimension, à savoir l’enquête de terrain, était
pour nous tout à fait essentielle. Nous tenions à ce que ce travail soit l’occasion d’écouter des
professionnels nous parler du soin, mais pas dans n’importe quelles conditions bien
évidemment. Il était nécessaire de définir au préalable, et le type de données à recueillir et le
mode de leur recueil. En effet, les entretiens que nous envisagions de réaliser devaient
répondre, dans leur forme comme dans leurs objectifs, aux exigences d’une recherche en
sciences de l’éducation. En l’occurrence, en sciences de l’éducation, il existe une méthode
dénommée méthode clinique. Sans préciser pour l’instant davantage de quoi il retourne, nous
dirons qu’il s’agissait pour nous d’envisager une forme aux entretiens de recherche à réaliser.
Tout en concevant une enquête de terrain propre aux objectifs de la recherche, nous étions en
train de définir un élément central du cadre de la recherche ; à savoir la méthode. Mais non la
méthode au sens de la démarche méthodologique globale effectuée pour mener cette
recherche, mais la méthode comme mode d’appréhension spécifique de l’objet d’étude.
8.2 L’objet de recherche
Ce travail repose sur l’analyse d’entretiens de recherche à réaliser dans le cadre d’une
enquête de terrain. Notre référentiel théorique est philosophique et épistémologique, et
s’appuie sur l’élaboration théorique d’un statut des sciences humaines. D’une part il s’agira
d’identifier, à travers le discours porté sur les sciences humaines par les professionnels, une
posture objectivante qui peut se traduire dans des énoncés causaux ou fonctionnels. D’autre
part, une posture réflexive dont le médium est la compréhension. Cette dichotomie risque de
caricaturer les positions, mais penser les tensions qui existent dans le champ de la pratique
soignante nécessite parfois de forcer le trait. Il n’est pas question ici de jouer un modèle
contre un autre mais plutôt de réfléchir à une possible articulation.
68
Il est donc nécessaire à ce stade du travail de faire un rappel de notre hypothèse :
Nous posons l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences
humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».
Un discours qui viendrait révéler une conception nomothétique des sciences humaines.
A travers l’analyse de ces différents discours, notre souci portera sur des interrogations
épistémologiques. L’intérêt de ces interrogations est de révéler, à travers les choses et les
mots, ce qui donne sens à la question de la pratique soignante pour l’étudiant, l’infirmier, le
cadre formateur et le cadre soignant et ainsi, analyser le rapport que ces professionnels
entretiennent avec les savoirs théoriques des sciences humaines. Cette situation nous invite à
« … une écoute attentive des termes choisis, les vocabulaires employés, les mots s’avèrent
indicateurs, révélateurs, « analyseurs », … des paradigmes, des épistémologies, des
philosophies sous-jacentes aux pratiques, comme de leurs contradictions éventuelles
(Ardoino, 2001, p. 10) ».
8.3 Choix de la méthode : la méthode clinique
La méthode dicte surtout des façons concrètes d’envisager ou d’organiser la recherche,
nous pouvons dire qu’elle permet de donner une réponse à la question « comment ? ». « La
méthode est un ensemble concerté d’opérations, mise en œuvre pour atteindre un ou plusieurs
objectifs … elle constitue de façon plus ou moins abstraite, précise ou vague, un plan de
travail en fonction d’un but (Grawitz, 2001, P. 352). » L’objet de la méthode clinique est de
comprendre la réalité sans la simplifier ou la généraliser. La méthode clinique s’intéresse au
discours des sujets. « Le centre d’intérêt du chercheur est l’individu en tant que sujet
singulier, son récit, son histoire, sur le phénomène mis à l’étude par le chercheur (Eymard,
2003, p. 51). » Cette méthode est principalement d’ordre qualitative dans la mesure où ce
n’est pas le nombre de personnes rencontrées qui fonde la qualité de la recherche. Fondée sur
l’écoute et l’interprétation, cette méthode nous semble ici pertinente car les professionnels
vont pouvoir raconter leur expérience. Le chercheur dans cette méthode, est en quête de sens,
impliqué, et travaille avec sa subjectivité. Cette implication du chercheur est également
(…objet de connaissance (ibid, p.52). » C’est cette prise en compte de la place du chercheur
69
dans l’observation même, qui plus est dans un entretien de recherche, qui fait dire à Ben
Slama (1989) que, « Le chercheur propose un cadre de travail à des sujets volontaires en vue
de la co-construction d’un discours (ibid, p. 170). » Ainsi le discours obtenu, transcrit, n’est
autre qu’un « co-discours ». Ce qui signifie que le chercheur en tant que sujet, avec ses
réactions, ses émotions, ses motivations, ses préjugés, ses interventions, et tout ce que cela
implique d’inconscient, à toute sa place dans la recherche même. Il nous semble que ce
questionnement amenant à se situer comme sujet dans sa propre recherche fait partie
intégrante pour ne pas dire essentielle d’une démarche méthodologique en sciences humaines.
Nous le savons, l’approche clinique appartient originellement au champ de la médecine,
et c’est sans doute Michel Foucault qui, le premier, en a proposé une étude historique et
critique de référence dans son ouvrage Naissance de la clinique publié en 1963. Le « lit » du
malade devient champ d’investigation et de discours scientifique. La posture clinique est bien
connue : « elle laisse venir silencieusement les choses sous le regard, sans les troubler
d’aucun discours … La retenue du discours clinique renvoie aux conditions non verbales à
partir de quoi il peut parler : la structure commune qui découpe et articule ce qui se voit et ce
qui se dit (Foucault, 2003, p. 15). » La clinique n’est pas cette observation empirique et naïve
qui se contenterait de déchiffrer la maladie exprimée dans ses symptômes. Elle repose, selon
le philosophe, sur deux privilèges qui sont un « regard pur, antérieur à toute intervention,
fidèle à l’immédiat qu’il reprend sans le modifier » et dans le même mouvement « un regard
équipé de toute une armature logique (ibid, p. 107). » Le premier implique l’interruption des
discours bavards et un double silence, celui des théories et de l’imagination, qui permet
d’écouter. Le second signale que la qualité de l’écoute ne se réduit pas à la perception aveugle
d’un symptôme, mais exige la capacité à faire surgir les signes. Nous retiendrons cette idée
que la clinique, si elle reste bien à l’écoute, pratique néanmoins une attention informée par des
savoirs disponibles. Nous nous contenterons donc ici, dans une visée plus pragmatique,
d’élucidation de notre objet, d’en exposer quelques caractères généraux. Il s’agira dans notre
travail d’enquête de nous rendre disponible à ce qui se manifeste en situation réelle, restant à
l’écoute des événements. Nous reprendrons cette idée que le chercheur en méthode clinique
travaille sur un cas singulier, il s’efforce d’en avoir une vue globale, avec l’intention de ne pas
altérer la manifestation de ce qui se voit et ce qui se dit. En revanche, il peut très bien
provoquer un signe, sans toutefois en commander la manifestation ni le contenu. Comme le
70
médecin il sélectionne ce qui lui paraît faire sens.
8.4 Le choix de l’outil
Notre intention étant de repérer dans les différentes populations, le discours particulier
porté par les professionnels sur les sciences humaines, il nous est apparu assez rapidement que
l’outil le plus adapté était l’entretien semi-directif. Il s’agissait alors de tester un guide
d’entretien. Pour cela nous avons organisé deux entretiens préalables qui nous permettent de
définir quelques pistes :
ü L’importance de ne pas aborder directement, dans un premier temps, la question des
sciences humaines. Il s’agira davantage de repérer certains indicateurs, au travers d’une
question ouverte portant sur une définition ou une conception du soin infirmier.
ü L’importance de relancer le discours de l’interviewé en tenant compte des particularités de
chaque production. Ce qui peut nous amener à formuler de manières différentes certaines
questions en fonction de l’interlocuteur. Pour autant, le guide d’entretien reste présent
dans l’esprit du chercheur et une formulation parfois modifiée de certaines questions
n’altère pas la qualité du discours.
ü La nécessité d’amener la personne interrogée à s’exprimer avec un grand degré de liberté,
ceci par un nombre restreint de questions relativement larges.
ü Enfin, ces deux entretiens préalables nous rappellent une exigence fondamentale. Ils ont
été réalisés dans une configuration particulière, dans le sens d’une grande proximité
professionnelle entre l’interviewé et l’interviewer. Cette proximité entre celui qui mène
l’entretien et celui qui répond, le contexte, l’institut de formation où ils ont été réalisés, les
attendus en fonction des positions de chacun dans l’institut, biaisent les propos. Cette
situation nous enseigne ; dans le sens où il serait illusoire de croire à une complète
spontanéité de l’interviewé, mais également à une totale neutralité du chercheur. L’analyse
d’un entretien doit donc comprendre une élucidation de ce que les questions du chercheur,
la relation d’échange et le cadre de l’entretien induisent dans les propos de son
interlocuteur.
71
8.5 Les conditions de l’entretien
Un rendez-vous a été pris avec chaque interviewé. C’est à l’occasion de cette prise de
contact que nous avons précisé la durée de l’entretien. Celle-ci étant fixée à environ trente
minutes. C’est également lors de ce contact qu’une demande d’autorisation d’enregistrement a
été formulée. Le choix du lieu de l’entretien à été dicté par l’activité professionnelle des
différentes personnes interrogées. Nous sommes cependant parvenus à trouver un cadre
adapté et confortable.
Afin d’éveiller l’intérêt des personnes interviewées il était nécessaire d’indiquer
l’objectif de l’enquête. Sans révéler l’attention particulière de ce travail, centrée autour du
discours porté par les professionnels sur les sciences humaines, nous avons précisé la
thématique. Ainsi, nous avons plutôt insisté sur un travail de recherche portant sur
l’universitarisation de la formation des étudiants en soins infirmiers et la perspective d’une
discipline infirmière. Nous avons par ailleurs indiqué que l’entretien respectait les règles de
confidentialité et que le recueil de données serait traité de manière anonyme. Nous avons
également communiqué sur les différentes populations interrogées pour notre enquête et
insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un examen comportant de bonnes ou mauvaises
réponses. Il nous paraissait vraiment essentiel de pouvoir rassurer l’interviewé sur la portée de
ce qu’il souhaitait dire, sans en minimiser l’importance.
8.6 La population
L’intention de ce travail d’enquête est de recueillir, sur le terrain d’exercice du soin, le
discours porté par les professionnels sur les sciences humaines. Notre objectif, de manière
indirecte, est de saisir la « nature » de ce discours. C'est-à-dire ; autour de quelles conceptions
s’ordonnent chez les infirmiers et les étudiants ce savoir théorique et quel en est le modèle
épistémologique sous-jacent. Il nous semble également nécessaire d’élargir notre recueil de
données aux professionnels qui exercent, dans leurs missions, une responsabilité particulière
par rapport à ces deux populations. Les cadres formateurs et les cadres soignants, de par leurs
responsabilités pédagogiques, partagent et /ou transmettent un certain rapport au savoir. Nous
proposerons donc dans ce travail de mener respectivement des entretiens auprès des cadres
formateurs, des cadres soignants, des infirmiers et des étudiants.
72
Recueil de données
99 AANNAALLYYSSEE DDEE CCOONNTTEENNUU
L’analyse s’inscrit dans une démarche beaucoup plus critique et compréhensive
qu’explicative. Il ne s’agit jamais pour nous d’expliquer des discours et des positions, mais de
dégager des énoncés et de les inscrire à l’intérieur d’une vision d’ensemble. C'est-à-dire, au-
delà de cette parole prononcée, quels signifiants retentissent et quels signifiés se dégagent.
« L’analyse de contenu s’intéresse justement (et exclusivement) au signifié, par définition
même, parce qu’elle s’intéresse au sens (Mucchielli, 1991, p.24). » L’intérêt ne réside pas
dans la description des contenus mais dans ce que ceux-ci, une fois traités, peuvent nous
apprendre concernant d’autres choses. « Faire une analyse thématique consiste à repérer des
« noyaux de sens » qui composent la communication et dont la présence ou la fréquence
d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi (Bardin, 2003,
p.137). »
Dans l’ensemble des techniques d’analyse de contenu, nous avons choisi de travailler
avec l’analyse catégorielle. Elle fonctionne par opérations de découpage du texte en unités
puis classification de ces unités en catégories selon regroupements analogiques. « La
catégorisation est une démarche de type structuraliste. Elle comporte deux étapes :
ü L’inventaire : isoler les éléments
ü La classification : répartir les éléments, donc chercher ou imposer une certaine
organisation aux messages (ibid, p.151). »
73
L’exploitation de deux entretiens préalables nous a permis de repérer la nécessité
d’employer pour ce travail de catégorisation deux démarches inverses :
ü Le Système de catégories est donné par la grille d’analyse construite dans ce
travail (Annexe 10, p.136). « Tel est le cas lorsque l’organisation du matériel
découle directement des fondements théoriques hypothétiques (Bardin, 2003
p.152). »
ü Le système de catégories n’est pas donné par cette même grille. Celui-ci est
construit à partir des données du discours (Annexe 10, p.135). « Il est la
résultante de la classification analogique et progressive des éléments… Le titre
conceptuel de chaque catégorie n’est défini qu’en fin d’opération (ibid, p.153). »
En effet, notre intention dans ce travail, de ne pas aborder directement avec les
interviewés la question de l’intérêt des sciences humaines dans le soin, nous permet de
recueillir un discours qui ne s’épuise pas dans les deux modèles (nomothétique –
herméneutique) qui découle des fondements théoriques hypothétiques. Nous avons donc été
confronté à toute une partie du discours qu’il nous semblait nécessaire d’organiser. C’est à
partir de ce discours que nous avons mis en évidence des catégories. Les catégories sont ici
induites du contenu.
Nous avons donc opté pour la démarche qui consiste à interroger des noyaux qui
composent les discours et qui pourraient nous permettre d’avancer dans la réflexion à propos
de notre interrogation qui est : Le discours des professionnels du soin ne viendrait-il pas
révéler une conception nomothétique des sciences humaines ?
9.1 Entretiens étudiants
9.1.1 Entretien avec Mélanie : (annexe 6, P.95)
Nous pouvons repérer dans le discours de Mélanie une définition du soin infirmier qui
s’ordonne autour de l’opposition « technique/relation » ; la technique étant posée comme un
préalable. Les unités de sens reliées au critère relation sont articulées à des unités de sens
74
reliées au critère disposition personnelle ; unités de sens dont il est intéressant de repérer ici la
fréquence d’apparition (9). Nous retrouvons dans l’idée d’une science infirmière chez
Mélanie, le même mécanisme qui opère ; objectivité – subjectivité rappelle en miroir
l’opposition, technique – relation. L’affirmation que la « subjectivité n’est pas une science »
(Annexe 2, p.16, l.46) est intéressante dans la mesure où elle vient en quelque sorte confirmer
la place que Mélanie accorde aux dispositions personnelles. Quant aux sciences humaines,
leurs utilisations au travers d’une situation de soin singulière révèlent un contre sens avec la
manière dont elles sont parlées. Dans le discours elles suggèrent une approche herméneutique,
dans la pratique elles deviennent prescriptives.
9.1.2 Entretien avec Chloé : (annexe 6, P.97)
A l’opposé de Mélanie, Chloé propose de définir le soin à partir de la technique, c’est
« le cœur du métier » (ibid, P.18, l.7). Le discours sur le soin est structuré et témoigne d’une
certaine rigueur. La technique renvoie à une responsabilité particulière, responsabilité qu’elle
ressaisit également pour évoquer le champ de la relation. Ecouter pour l’infirmier, c’est
d’abord « relever des éléments objectifs » (ibid, p.18, l.11). La place et la fonction de chacun
est située. Il est intéressant de remarquer l’absence d’unité de sens concernant le critère
disposition personnelle. Le soin infirmier semble être pour Chloé avant tout un travail.
« Penser le soin comme travail, c’est assumer la dénaturalisation des ressources affectives
nécessaires au soin et cela conduit logiquement à s’interroger sur leurs sources, la façon dont
elles sont mobilisées et leur éventuelle reproductibilité (Pirard, 2006, p.81) ». Quant à la
science infirmière, Chloé la conçoit comme une science appliquée sur le modèle de la science
médicale, « une théorie qui doit être mise en pratique » (ibid, p.18, l.27). Nous pouvons
penser qu’il y a là une certaine permanence qui renvoie à la place prépondérante accordée par
Chloé à la technique dans le soin. Par contre, la contradiction majeure repose comme chez
Mélanie dans l’écart entre le discours théorique construit sur les sciences humaines et la
manière dont ces mêmes sciences humaines sont ressaisies dans la pratique. C'est-à-dire ; dans
une certaine rigidité déterministe, dans l'illusion d'une maîtrise. Des sciences humaines qui
prennent la forme d’une technique.
9.1.3 Entretien avec Sophie : (annexe 6, P.99)
Sophie, comme Mélanie, considère la relation dans le soin comme primordiale. La
fréquence d’apparition des unités de sens en témoigne. La maîtrise du geste technique, même
si elle est importante… « Tout le monde peut l’acquérir » (ibid, p.21, l.10). Cette
75
hiérarchisation ne s’articule pas chez Sophie avec des éléments pouvant être reliés au critère
disposition personnelle. Nous ne repérons pas d’unité de sens autour du don de soi, du
dévouement. Nous ne retrouvons pas d’éléments exploitables en ce qui concerne l’idée d’une
science infirmière. Les sciences humaines révèlent la même contradiction que chez Mélanie et
Chloé. Le discours met en évidence des unités de sens en faveur du questionnement, de la
réflexivité alors que l’exposé d’une situation propose des unités de sens dans le champ de
l’explication, de la causalité.
9.1.4 Entretien avec Thomas : (annexe 6, P.100)
La répartition des unités de sens dans le discours de Thomas fait apparaître la même
articulation que chez Mélanie. Les unités concernant la relation proposent une proximité avec
les unités de sens qui peuvent être considérées comme des éléments caractéristiques d’une
disposition personnelle. Comme chez Sophie, Thomas ne propose aucune unité de sens
exploitable à l’évocation d’une science infirmière. Les sciences humaines sont parlées dans le
discours comme la possibilité d’une réflexion, d’une recherche de sens et dans la pratique
elles sont plutôt ressaisies comme la possibilité d’une explication.
9.1.5 Entretien avec Paul : (annexe 6, P.102)
Paul définit le soin essentiellement par la relation. Nous ne retrouvons pas la lecture de
l’opposition, technique – relation, souvent exprimée par les interviewés. Il est assez
surprenant de voir ainsi ce mouvement de balancier ramener le soin infirmier exclusivement à
« l’écoute, le respect, la connaissance de l’un et de l’autre… la confiance » (ibid, p.28, l.25).
Il y a quelque chose qui est ressaisi dans une précipitation, dans une approximation qui
renvoie à une injonction de l’écoute. L’évocation d’une science infirmière est de fait abordée
par Paul exclusivement autour de cette dimension relationnelle du soin. Les unités de sens
précisant la dimension singulière, irréductible présentent une certaine cohérence dans la
mesure où le soin est pensé exclusivement comme une relation. Il est intéressant de voir
comment la question de la maîtrise apparaît avec les sciences humaines à travers l’exposé
d’une situation ; « Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à
un cas précis. » (ibid, p.29, l.63)
76
9.1.6 Synthèse entretiens étudiants
Nous pouvons affirmer que certaines choses se répètent dans le discours des différents
étudiants interviewés. Dans un premier temps il est intéressant de repérer cette distinction
systématique entre relation et technique qui surgit dans la définition du soin. La technique est
très peu commentée, lorsqu’elle est évoquée c’est essentiellement pour poser le principe que
la maîtrise technique « n’est pas compliquée » (Annexe 2, p.24, l.14), « cela vient comme un
réflexe » (ibid, p.24, l.20), « tout le monde peut l’acquérir » (ibid, p.21, l.10). A l’opposé, le
critère relation engage dans le discours de 4 étudiants sur 5 toute une série de qualificatifs qui
l’accompagne, qualificatifs qui s’ordonnent autour d’indicateurs tels que ; l’écoute, la
présence, l’empathie, la considération, la disponibilité, la confiance, etc. Pour 2 étudiants sur
5, les unités de sens reliées au critère relation sont articulées à des unités de sens reliées au
critère disposition personnelle. Cette articulation témoigne une proximité manifeste entre,
d’une part, l’écoute, la présence, la disponibilité, l’empathie, etc., et d’autre part, le
dévouement, l’oubli de soi, la vocation, l’enthousiasme… Seule, Chloé, propose de définir le
soin à partir de la technique, c’est « le cœur du métier » (ibid, p.18, l.16). La technique
renvoie à une responsabilité particulière, responsabilité qu’elle ressaisit également pour
évoquer le champ de la relation. Ecouter pour l’infirmier, c’est d’abord « relever des éléments
objectifs » (ibid, p.18, l.11). En assumant la dénaturalisation des ressources affectives, le soin
infirmier semble être pour Chloé avant tout un travail.
La question de l’intérêt des sciences humaines dans le soin laisse apparaître, chez les 5
étudiants interviewés, une contradiction majeure. Nous relevons un écart entre le discours
théorique construit sur les sciences humaines et la manière dont ces mêmes sciences humaines
sont ressaisies dans la pratique. Le discours théorique propose une approche herméneutique
où la compréhension et la recherche de sens dominent. L’exposé d’un soin ou d’une pratique
singulière tend à considérer les sciences humaines sur le modèle nomothétique ; c’est à dire
dans le champ de l’explication, de la résolution de problèmes, de la maîtrise, de la
prescription.
77
9.2 Entretiens infirmiers
9.2.1 Entretien avec Claire : (annexe 7, P.104)
Claire travaille dans un service de cardiologie. Le discours de Claire propose des unités
de sens qui témoignent de l’importance qu’elle accorde à la dimension relationnelle dans le
soin. « Il faut que l’on soit capable… la théorie, la pratique, mais aussi le relationnel. »
(Annexe 3, p.33, l.11). Il est intéressant de repérer comment claire distingue ce qu’elle définit
comme étant la relation, de la pratique et de la théorie. Il y a d’un côté « théorie et
technicité » (ibid, p.33, l.15) et de l’autre le relationnel qui opère « la différence entre une
bonne et une moins bonne infirmière » (ibid, p.33, l.17). Le terme de bonne ou de moins
bonne mérite une attention particulière. Il renvoie à une disposition personnelle qui exclue
toute référence théorique. Cette prédisposition qui ne convoque pas de réflexion théorique
semble se confirmer lorsque Claire nous dit, « il existe des choses très simples qui ne sont pas
prescrites » (ibid, p.33, l.26). Le rôle prescrit correspond, quant à lui, à « tout ce qui est
théorique et pratique » (ibid, p.33, l.30). La relation est intégrée dans le rôle propre qui lui,
«… est spontané… cela vient tout seul » (ibid, p.34, l.39). La théorie reste cependant évoquée
dans le rôle propre dans son rapport à la pathologie et aux connaissances de la maladie. La
relation semble exclue de la théorie et propose des approximations comme ; « … s’immiscer
dans l’intimité des gens… » (ibid, p.34, l.51). Il existe chez Claire une contradiction majeure
qui tend à sortir la relation du champ de la théorie et de la pratique et dans le même
mouvement, lui accorder une place centrale dans son exercice professionnel. Lorsqu’elle
ressaisit la théorie à travers le discours porté sur les sciences humaines, elle le fait sur le mode
nomothétique de l’explication et de la causalité ; « ce n’est pas à n’importe quel moment que
vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel moment ? Si vous piochez un peu… vous avez
la réponse » (ibid, p.35, l.97).
9.2.2 Entretien avec Alice : (annexe 7, P.106)
Les unités de sens sont distribuées dans le discours d’Alice essentiellement autour des
critères relation et disposition personnelle. Alice, ancienne aide soignante, travaille dans un
service de long séjour et attache une grande importance à l’humanité, la chaleur, la présence,
la disponibilité, même si elle reste « dans la technique et dans l’exécution du soin infirmier
prescrit par le médecin » (ibid, p.37, l.12). Cette définition du soin, qui accorde à la
dimension relationnelle une place prépondérante, révèle une conception de la nature de cette
78
relation reposant sur des dispositions individuelles. Les sciences humaines, dès lors, ne
trouvent pas leur place dans la pratique d’Alice, considérant qu’il existe « un côté inné qui est
là » (ibid, p.39, l.79). Il semble d’ailleurs que pour Alice les sciences sont des théories qui
s’appliquent ; « … l’apport théorique des sciences humaines ne m’a pas servi au niveau
pratique. Le reste (les autres connaissances) on peut les prendre pour les appliquer » (ibid,
p.38, l.57). Nous retrouvons cette idée à l’évocation d’une science infirmière qui renvoie
exclusivement dans le discours d’Alice à la « pathologie, la biologie, la pharmacie » (ibid,
p.38, l.43).
9.2.3 Entretien avec Léna : (annexe 7, P.108)
Léna est une jeune diplômée (6 mois), qui a fait ses études d’infirmière à Bruxelles. La
première partie de l’entretien ne révèle pas grand-chose. Elle est informée de ma fonction de
cadre formateur à l’institut et se soumet à l’exercice en donnant l’impression d’être évaluée ;
« Je ne sais pas si j’ai été complète… c’était la bonne réponse ? » (ibid, p.41, l.14). Le
discours reste très scolaire et appliqué, cependant nous pouvons dire que l’ensemble est unifié
et que cela semble répéter certaines choses. La dimension relationnelle dans le soin est
évoquée mais dans l’exigence d’une explication, d’un compte rendu à donner au patient.
L’idée d’une science infirmière se résorbe dans la connaissance de la maladie, de la
pathologie. Les sciences humaines permettent de prévoir, d’anticiper. Il y a une certaine
cohérence dans le discours sur le soin, discours qui s’ordonne autour d’une approche très
pragmatique. L’écoute est abordée par Léna pour préciser que c’est « logique » et que cette
disposition relève d’une « qualité naturelle » (ibid, p.42, l.42).
9.2.4 Entretien avec Hugo : (annexe 7, P.109)
Hugo est un jeune diplômé qui exerce dans un service de psychiatrie. Comme pour
Léna, nous retrouvons peu d’éléments exploitables dans son discours. Il définit le soin
infirmier en accordant une place centrale à la relation. Il considère que c’est là, une
particularité de l’exercice en psychiatrie. L’idée d’une science infirmière évoque pour lui le
travail de recherche ainsi qu’un travail de réflexion sur le soin. Son discours propose quelques
confusions entre médecine psychiatrique et sciences humaines. Les unités de sens présentes
dans le discours nous permettent de dire que les sciences humaines sont ressaisies par Hugo
sur le modèle nomothétique, il s’agit d’expliquer et de résoudre un problème.
79
9.2.5 Entretien avec Gilles : (annexe 7, P.110)
Gilles est infirmier dans un service de soins intensifs en cardiologie. Il définit le soin
infirmier en identifiant le rôle propre et le rôle prescrit. Son quotidien relève de prises en
charge où il est confronté à l’urgence ; l’urgence vitale. C’est cette réalité, probablement, qui
l’amène à proposer une conception très utilitariste des sciences humaines. Les unités de sens
repérées dans le discours mettent en évidence, exclusivement, une approche nomothétique de
ce référentiel. Il s’agit d’adapter, d’expliquer, d’objectiver, de prévoir, d’être dans la maîtrise.
Il est intéressant de repérer l’absence d’unités de sens concernant la disposition individuelle.
Le soin infirmier est considéré par Gilles comme un « travail » et n’est jamais abordé comme
une « ascèse individuelle ».
9.2.6 Entretien avec Nadine : (annexe 7, P.111)
Nadine exerce son activité dans un service de rééducation cardiaque. Au quotidien elle
est en prise avec la question du travail éducatif dans le soin. Ainsi, elle définit sa pratique
soignante infirmière principalement par sa dimension relationnelle. Le terme expliquer revient
avec une fréquence importante dans les unités de sens (4). Elle nous précise ; « le soin…
plutôt dans la discussion » (ibid, p.49, l.12). Cette unité de sens nous paraît intéressante à
relier à l’affirmation, « … disponible et à l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours,
ce n’est pas propre à l’infirmière… » (ibid, p.50, l.47). C’est en terme de disposition
individuelle qu’elle nous parle de cette activité comme s’il était impossible pour elle de la
concevoir comme un travail. Par ailleurs, Nadine souligne que des contenus en sciences
humaines pourraient l’intéresser dans sa pratique. Ceci, dans la mesure où ils permettent
«… d’arriver à ce que l’on veut » (ibid, p.51, l.72). L’utilisation de ce référentiel est replié
intégralement sur l’idée de la résolution de problèmes ; des sciences humaines ressaisies
comme une technique ou une science appliquée.
9.2.7 Synthèse entretiens infirmiers
Nous retrouvons dans le discours de la population infirmiers, l’opposition « technique –
relation ». L’importance accordée à la dimension relationnelle dans le soin est articulé, pour 4
infirmiers sur 6, à des unités de sens concernant le critère disposition personnelle. Pour 2
d’entre eux le discours, de manière explicite, pose le principe que la relation exclue toute
référence théorique ; « …ce n’est pas à la fac qu’on va l’apprendre » (Annexe 3, p.35, l.74)
ou « …je n’ai pas l’impression d’avoir eu besoin de la théorie » (ibid, p.38, l.61). Il est
80
question ici de préciser, que la relation c’est « …naturel » ou bien qu’ « …être disponible et à
l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas propre à l’infirmière » (ibid,
p.50, l.47). Il y a une contradiction à sortir la relation du champ de la théorie et dans un même
mouvement lui accorder une place centrale. Pour 2 infirmiers sur 6, le discours ne révèle pas
une conception de la nature de cette relation reposant sur des dispositions personnelles. L’un
travaille dans un service de psychiatrie et l’autre dans un service intensif de cardiologie.
Pour 5 infirmiers sur 6 les sciences humaines dans le soin sont ressaisies sur le modèle
nomothétique. Il s’agit essentiellement de prévoir, d’expliquer et d’être dans la maîtrise ;
« …ce n’est pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel
moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse. » (ibid, p.35, l.97) ou « …les
sciences humaines sont utiles car dans cet exemple on est déjà au courant de ce qui peut
arriver » (ibid, p.42, l.51). Les sciences humaines sont par ailleurs parlées comme une
technique ou une science appliquée ; «Les nouveaux diplômés… les sciences humaines, ils
n’en voient pas l’importance… ils ne voient pas comment l’appliquer » (ibid, p.36, l.111) ou
« Il faut faire preuve de psychologie pour réussir une prise de sang. Il faut passer par
certaines tactiques… et à travers ça, c’est des sciences humaines » (ibid, p.45, l.79). Dans les
entretiens infirmiers, nous n’avons pas relevé de contradictions majeures entre le discours
théorique porté sur les sciences humaines et la manière dont elles sont ressaisies à travers une
pratique singulière.
9.3 Entretiens Cadres Soignants
9.3.1 Entretien avec Laurence : (annexe 8, P.114)
Laurence travaille dans un service de long séjour. Sa définition du soin s’ordonne autour
de l’opposition, technique – relation. L’accent est mis sur la présence, l’aide, la disponibilité.
La relation est placée au centre de son discours. Elle ne s’attarde pas sur les actes techniques,
s’ils sont évoqués c’est généralement pour mieux revenir sur ce qu’elle qualifie d’ « approche
humaine » (Annexe 4, p.54, l.20). Sa conception de l’intérêt des sciences humaines dans le
soin propose une contradiction que nous avons déjà relevé à plusieurs reprises chez les
interviewés. Le discours théorique porté sur les sciences humaines met en évidence des unités
de sens qui traduisent un intérêt pour le questionnement, la recherche de sens. La manière
dont elles sont ressaisies dans la pratique indique davantage le recours à ce référentiel sur le
modèle nomothétique.
81
9.3.2 Entretien avec Yves : (annexe 8, P.116)
Yves occupe une fonction de cadre dans un service de psychiatrie. La définition du soin
qu’il propose l’amène à considérer la relation comme un outil indispensable dans la pratique
soignante. Cet outil est le prolongement d’une intention professionnelle et, à l’opposé d’un
discours assez partagé parmi les autres personnes interviewées, ne repose pas sur des
dispositions personnelles ou individuelles. Le discours est assez structuré mais parfois,
brutalement, se perd dans des approximations : « …il faut toujours penser à la globalité de la
personne » (ibid, p.56, l.16). La place de la relation est mise en avant mais elle reste peu ou
pas précisée dans cette pratique singulière en psychiatrie. Elle est d’autant moins précisée
lorsqu’il affirme ; « …on ne soigne pas un bras, on ne soigne pas une dépression, on soigne la
personne » (ibid, p.56, l.16). Les sciences humaines sont considérées par Yves dans une
tension, une dialectique entre expliquer et comprendre.
9.3.3 Entretien avec Renée : (annexe 8, P.117)
Renée travaille dans un service de pédiatrie. La première chose qui apparaît dans le
discours de Renée pour définir le soin est la technique. Autour de la « technicité » il y a une
« construction professionnelle » (ibid, p.59, l.21), construction qui correspond à sa définition
de la relation et qu’elle considère comme le « plus passionnant dans le métier » (ibid, p.59,
l.22). La technique, il faut pouvoir l’intégrer « pour pouvoir s’en débarrasser » (ibid, p.59,
l.18). Ainsi, il est question ensuite pour Renée de s’appliquer à préciser ce qu’elle n’arrive pas
à préciser ; c'est-à-dire autour de quoi s’ordonne cette relation ? Et là, surgit tout un discours
sur des dispositions personnelles qui ramènent la nature de cette relation à la vocation, l’idéal,
le dévouement, l’oubli de soi, l’enthousiasme, etc. Une forme d’ascèse individuelle qu’il nous
semble possible d’illustrer au travers de cette affirmation ; « …on voit qu’à travers le soin il y
a autre chose » (ibid, p.60, l.41). Dans ce discours les sciences humaines sont évoquées
exclusivement sur le modèle nomothétique, elles permettent de « dire ce qu’il faut dire »
(ibid, p.63, l.136) et nous pouvons supposer de faire ce qu’il faut faire.
9.3.4 Entretien avec Eva : (annexe 8, P.120)
Eva travaille dans un service d’hèmato-oncologie. Elle nous propose de considérer le
soin infirmier avant tout comme une pratique. Nous ne retrouvons pas dans le discours d’Eva
l’opposition « technique – relation » ainsi que des unités de sens rattachées au critère
dispositions personnelles. La vocation, le dévouement, l’oubli de soi, c’est à dire les qualités
82
naturelles, ne sont pas ici évoquées. L’aspect personnel, individuel laisse la place à une
conception du soin qui repose sur « …des pratiques professionnelles fortes » (ibid, p.64, l.22).
La clinique est mise en avant ; « …le soin infirmier c’est de la clinique » (ibid, p.64, l.20).
Pratique et clinique peuvent être considérées comme les deux termes qui structurent le
discours d’Eva. Dès lors, les sciences humaines sont ressaisies dans cette pratique et
« …permettent de passer de l’acte au soin » (ibid, p.66, l.92). Elles sont considérées, de la
même façon que chez Yves, dans une tension, une dialectique entre expliquer et comprendre ;
« …c’est une aide à la réflexion, une ouverture, pas vraiment une aide à la décision…
toujours » (ibid, p.66, l.101).
9.3.5 Entretien avec Lucile : (annexe 8, P.122)
Lucile est une jeune cadre qui exerce en service de cardiologie. Le soin infirmier est
défini dans sa double dimension, technique et relationnelle. L’aspect technique n’est pas
précisé. L’aspect relationnel, quant à lui, amène Lucile à tenir un discours exclusivement
centré sur des dispositions personnelles. Il est ici question, d’enthousiasme, de dévouement,
c'est-à-dire ; « …tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous pour soigner » (ibid, p.68,
l.28). Nous retrouvons les allant-de-soi habituels, comme le « prendre soin » et la « bonne
distance » (ibid, p.69, l.34). L’intérêt des sciences humaines est développé par Lucile sur le
modèle nomothétique. Elles permettent dans la pratique d’expliquer, de se positionner et
d’être dans la maîtrise. Il est intéressant de repérer que le discours sur les sciences humaines
re-(saisit) les allant-de-soi mais en leur donnant une légitimité « scientifique » ; « …être plus
dans le prendre soin, mais avec la bonne distance grâce à ces connaissances là » (ibid, p.69,
l.65). Des sciences humaines qui, dans leurs utilisations, viennent servir un positionnement
idéologique.
9.3.6 Entretien avec Chantal : (annexe 8, P.123)
Chantal pour définir le soin infirmier parle de prise en charge globale du patient. Elle
insiste sur la nécessité d’aller au-delà de la technique, c'est-à-dire ; « …un peu plus au profond
des choses » (ibid, p.71, l.18). En dehors de l’écoute et de la prise en compte de l’anxiété du
patient, il est difficile pour Chantal de préciser ce que peut signifier cette « globalité ». Nous
ne retrouvons pas d’unité de sens associée au critère disposition personnelle. Par ailleurs, le
discours sur les sciences humaines ne propose pas d’éléments exploitables pour notre
recherche.
83
9.3.7 Synthèse entretiens Cadres Soignants
Nous retrouvons dans le discours des Cadres soignants interviewés une place importante
accordée à la notion de relation dans le soin infirmier. Renée est la seule à insister sur la
« technique » mais pour mieux revenir à sa définition de la relation qu’elle considère comme
« le plus passionnant dans le métier ». Elle partage avec Lucile (2 interviewés sur 6) un
discours sur la nature de cette relation qui renvoie à des éléments que nous pouvons relier au
critère disposition personnelle. Il est question de « prendre soin » avec «..tout ce que l’on y
met de nous-mêmes… » (Annexe 4, p.68, l.24). Pour Renée nous pouvons relever 14 unités de
sens qui témoignent de cette disposition individuelle, dont l’essentiel se voit résumé dans
cette affirmation ; « …je pense que c’est le don de soi, quoi que l’on en dise …sans retour… »
(ibid, P.59, l.26). Le soin est défini comme une « prestation » qui renvoie à la « …raison
d’être… » (ibid, p.60, l.44) du soignant. « La finalité du soin » revient à « …donner ce que
l’on a de soi-même pour les patients… » (ibid, p.60, l.36). Nous retrouvons ici une
naturalisation des ressources affectives. Naturalisation qui semble posée par Renée comme
une exigence lorsqu’elle affirme ; « Si, en tant que soignant on n’a pas perçu cela… on passe
à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à l’usine, on accomplit sa tâche, on
signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (ibid, P.60, l.42).
Les sciences humaines sont parlées sur le modèle de l’explication, de la causalité, de la
maîtrise par 3 cadres sur 6. Parmi ces 3 professionnels, 1 propose la contradiction partagée par
la population des étudiants. C'est-à-dire ; d’une part un discours théorique (prêt à entendre)
qui traduit un intérêt pour le questionnement et la recherche de sens, d’autre part, le recours
à ce référentiel dans la pratique sur le modèle nomothétique. Pour 2 cadres sur 6 le discours
porté sur les sciences humaines propose plutôt une tension, une dialectique entre expliquer et
comprendre. C’est en particulier le cas pour Eva qui définit le soin infirmier avant tout
comme une pratique clinique. Elle considère les sciences humaines comme la possibilité
d’une « …réflexion, une ouverture… », et pas « toujours » comme une « …aide à la
décision » (ibid, p.66, l.101). Chantal ne propose pas d’éléments exploitables.
9.4 Entretiens Cadres Formateurs
9.4.1 Entretien avec Cathy : (annexe 9, P.125)
Cathy exerce aujourd’hui la fonction de cadre de santé chargé de l’enseignement dans
un I.F.S.I. Une grande partie de son exercice professionnel s’est déroulé dans un service de
84
bloc et d’anesthésie. Elle est titulaire d’un diplôme d’infirmière anesthésiste (I.A.D.E.). Elle
nous rappelle que « …c’est une formation qui fait appel essentiellement à la technicité… »
(Annexe 5, p.77, l.42), mais pour autant, «…une fois dépassée cette technicité, l’intérêt c’est
d’aller privilégier ce côté relationnel » (ibid, p.77, l.45). Cathy insiste sur la nécessité d’une
« prise en charge globale du patient » (ibid, p.76, l.14). Il s’agit de ne pas considérer le
patient comme « un objet » et d’instaurer un « climat de confiance » (ibid, p.76, l.28) avant
l’anesthésie. A l’évocation de l’intérêt des sciences humaines dans le soin, elle nous précise
qu’ « …il ne faut pas que l’étudiant s’y perde » (ibid, p.77, l.64). L’infirmier comme
« …l’étudiant est confronté à une logique de résolution de problèmes » (ibid, p.77, l.65), il
s’agit pour lui de «…trouver des solutions » (ibid, p.77, l.67). Des sciences humaines, elle
nous dit ; « …il n’est pas évident de les mettre en œuvre, de les mettre en action » (ibid, p.78,
l.87). L’intention est bien ici, de ressaisir ce référentiel sur le modèle nomothétique, il s’agit
pour Cathy, essentiellement, de « …répondre et de faire face à certaines situations » (ibid,
p.79, l.15).
9.4.2 Entretien avec Josiane : (annexe 9, P.127)
Josiane occupe un poste de cadre formateur dans une école d’Infirmière de Bloc
Opératoire (I.B.O.D.E.). Deux dimensions émergent de sa définition du soin infirmier ; une
dimension physique et une dimension psychologique. Pour Josiane, l’expertise technique dans
le soin nécessite une bonne connaissance du patient sur le plan psychologique. Ce préalable
l’amène à soutenir ; « …si tu ne t’occupes pas vraiment de l’état dans lequel se trouve le
patient en pré et post opératoire tu passes à côté » (ibid, p.81, l.40). Il est intéressant de
repérer que cette préoccupation pour Josiane est au service de l’acte chirurgical lui-même.
Ainsi elle affirme ; « …on peut faire des bêtises parce qu’il est tellement tendu qu’il peut
gêner le geste » (ibid, p.81, l.41). Le discours porté sur les sciences humaines ne nous donne
pas suffisamment d’indications pour soutenir une conception particulière. Les éléments
présents dans le discours laissent penser à une tension, une dialectique entre expliquer et
comprendre.
9.4.3 Entretien avec Valérie : (annexe 9, P.129)
Valérie est Cadre Formateur dans un I.F.S.I depuis 2005. Pour Valérie le soin
infirmier, « …ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez dans le guidon, mais faire avec le
patient » (Ibid, p.84, l.25). Son discours est ainsi traversé par des notions telles que
l’humanité, l’aide, l’écoute, la disponibilité, la présence. Nous ne relevons pas d’unité de sens
85
en lien avec la disposition personnelle. Le discours porté sur l’intérêt des sciences humaines
dans le soin accorde une importance à la compréhension et la recherche de sens.
9.4.4 Entretien avec Michèle : (annexe 9, P.131)
Michèle exerce son activité de Cadre Formateur dans un I.F.S.I. depuis 2007. Nous
retrouvons comme chez Valérie une définition du soin infirmier qui accorde un place centrale,
du moins dans le discours, à des notions telles que la proximité, l’écoute, la disponibilité,
l’empathie. De la technique, Michèle nous dit ; « …tout le monde sait tenir une seringue ».
(ibid, p.87, l.25). Nous relevons une unité de sens concernant la disposition personnelle ;
« …il y a des choses… pas innées, mais des choses que l’on sent » (ibid, p.88, l.58). Les
sciences humaines sont ressaisies dans une double dimension, herméneutique et
nomothétique.
9.4.5 Entretien avec Barbara : (annexe 9, P.132)
Barbara occupe un poste de Cadre Formateur dans un I.F.S.I. depuis 97. Sa définition du
soin repose sur une approche clinique. Le soin infirmier pour Barbara est d’abord « …une
rencontre » (ibid, p.90, l.15). La pratique infirmière repose sur la « construction » (ibid, p.90,
l.21) d’un « regard clinique » (ibid, p.90, l.22) qui nécessite des « savoirs théoriques
solides » (ibid, p.90, l.31) et un véritable travail d’ « observation » (ibid, p.90, l.23). Nous
pouvons dire que Barbara défend l’idée d’une pratique clinique infirmière. C’est dans cette
pratique que le soin convoque des connaissances théoriques spécifiques. Les sciences
humaines sont ici abordées sur le modèle herméneutique.
9.4.6 Synthèse entretiens Cadres Formateurs
Nous retrouvons dans le discours de cette population une définition du soin infirmier
qui accorde une place importante à la technique ou à la « technicité » dans le soin infirmier.
C’est un préalable nécessaire, mais « …ça ne suffit pas » (Annexe 5, p.87, l.31). « La
technique du soin… peut s’acquérir en 2 ou 3 mois… » (ibid, p.90, l.19) et elle doit
« s’adapter … au patient » (ibid, p.81, l.67). La relation est donc envisagée comme ce qui
permet « …de ne pas s’attacher uniquement au patient en tant qu’objet… » (ibid, p.76, l.20).
Il est question, au-delà de la maladie, de se préoccuper du malade et de « …pouvoir l’aider à
supporter un passage difficile » (ibid, p.84, l.18). L’écoute, l’empathie, la confiance, la
présence, la disponibilité sont autant de qualificatifs qui s’ordonnent autour « …de la prise en
charge d’ordre psychologique » (ibid, p.76, l.17) du patient. Il est important de préciser que
86
nous ne relevons pas d’unité de sens concernant le critère disposition personnelle pour 4
cadres formateurs sur 5. Seule Michèle nous dit ; « il y a quand même des choses… pas
innées, mais des choses que l’on sent » (ibid, p.88, l. 58).
Pour 4 cadres formateurs sur 5, le discours porté sur l’intérêt des sciences humaines
dans le soin, accorde une importance à la compréhension et la recherche de sens. Pour 2
d’entre eux les éléments présents laissent penser à une tension, une dialectique entre expliquer
et comprendre. Les sciences humaines sont ressaisies dans une double dimension,
herméneutique et nomothétique. Pour les 2 autres, elles sont abordées sur le modèle
herméneutique. Seule Cathy nous propose une approche exclusivement sur le modèle
nomomothétique. Il s’agit essentiellement de « …répondre et de faire face à certaines
situations » (ibid, P.79, l.105) et de ne pas oublier que l’ « …on est vraiment dans la
résolution de problèmes, pure et dure, il faut trouver des solutions » (ibid, p.77, l.67).
9.5 Synthèse des entretiens
Une première polarité semble se dessiner à l’analyse des différents entretiens. Nous
retrouvons un discours qui nous permet d’identifier les deux termes de cette polarité. Il s’agit
de l’opposition « technique – relation ». La distinction entre les deux termes surgit dans les
différentes populations interviewées. La technique, bien qu’elle soit considérée comme un
préalable indispensable est très peu commentée. Le second terme de la polarité engage à
l’opposé toute une série de qualificatifs. Il est important de préciser que, les commentaires qui
accompagnent le terme de relation, sont articulés à des unités de sens correspondant au critère
que nous avons nommé « disposition personnelle » (9/22). Nous retrouvons cette articulation
en particulier dans le discours des infirmiers (4/6), ce qui nous semble être significatif. La
population la moins concernée par cette particularité est la population des cadres formateurs
(1/5). Cette polarité « technique – relation » renvoie en miroir à deux autres polarités,
« objectif –subjectif », « rôle prescrit – rôle propre ». Pour définir la technique nous
retrouvons dans les différents discours, des unités de sens qui s’ordonnent autours de termes
que nous avons identifiés comme indicateurs (Annexe 10, p.136) et qui sont ; l’expertise, la
maîtrise, le prescrit, l’obligation. La relation, quant à elle, se voit définie à travers toute une
série de qualificatifs qui va de l’écoute à l’aspect psychologique en passant par le rôle propre.
Deux infirmiers sur 4, articulant le terme de relation à des dispositions personnelles, posent le
principe de manière explicite que la relation exclue toute référence théorique.
87
La seconde polarité est celle que nous avons construite dans notre approche théorique,
elle concerne les sciences humaines. Il s’agit de les considérer sur le modèle nomothétique et
herméneutique. Ces deux modèles ont été posés avant les entretiens comme des critères.
Accompagnés d’indicateurs (Annexe 10, p.136), ils nous ont permis de repérer des unités de
sens dans le discours des différents professionnels interviewés. Pour 15 professionnels sur 22,
la manière dont sont parlées les sciences humaines dans le soin infirmier traduit une
conception sur le modèle nomothétique. Dans la façon dont elles sont ressaisies, il s’agit
essentiellement de prévoir, d’expliquer, d’anticiper, d’être dans la maîtrise. Nous retrouvons
cette approche, en particulier chez les étudiants (5/5) et les infirmiers (6/6). Cela semble
plutôt partagé pour les cadres soignants (3/6) et moins marqué pour les cadres formateurs
(1/5). Cette conception nomothétique des sciences humaines paraît moins prégnante chez les
professionnels dont la pratique s’éloigne du terrain ou de l’exercice concret du soin.
Une particularité est apparue chez les étudiants interviewés. L’analyse de la question de
l’intérêt des sciences humaines dans le soin laisse apparaître une contradiction majeure. Nous
relevons un écart entre le discours théorique construit sur les sciences humaines et la manière
dont ces mêmes sciences humaines sont ressaisies dans la pratique. Le discours théorique
propose une approche herméneutique où la compréhension et la recherche de sens dominent.
L’exposé d’un soin ou d’une pratique singulière tend à considérer les sciences humaines sur le
modèle nomothétique. Cette contradiction peut s’éclairer du statut du chercheur. Les étudiants
se sont trouvés confrontés, lors de l’interview, à un cadre formateur de leur propre institut,
investi dans le module sciences humaines. Nous pouvons considérer qu’ils aient, pour certains
d’entre eux, livré un discours pré-construit. Ou, pour le dire autrement, un « prêt à dire » ou
« un prêt à entendre ». Nous retrouvons, par ailleurs, cette contradiction chez un cadre
soignant.
Ainsi, l’analyse des entretiens nous permet de dire que seulement 2 personnes interviewées
sur 22 abordent l’intérêt des sciences humaines exclusivement sur le modèle herméneutique.
Il s’agit de deux cadres formateurs. La tension, la dialectique entre le modèle nomothétique et
herméneutique, entre expliquer et comprendre est proposée par 2 cadres soignants sur 6 et 2
cadres formateurs sur 5 (4/22). Seulement 1 cadre formateur sur 5 présente une approche des
sciences humaines sur le modèle nomothétique. Nous pouvons considérer que de par sa
fonction, le cadre formateur a à nourrir une réflexion particulière sur l’intérêt et la place des
sciences humaines dans le soin. Il est nécessairement amené à conceptualiser la pratique
soignante ou du moins à participer à des échanges et des réflexions pédagogiques sur le sujet.
88
Dès lors, nous pouvons supposer qu’à l’image du discours théorique proposé par les étudiants
sur les sciences humaines, certains cadres formateurs puissent également tenir un discours
attendu, un discours pré-construit. Si nous ne tenons pas compte de cette population nous
pouvons considérer dans l’interprétation des résultats que, 15 personnes interrogées sur 18,
présentent une conception des sciences humaines qui tend à les replier exclusivement sur le
modèle nomothétique. Ce nombre augmente de manière significative, (11/11), si nous ne
retenons que les deux populations directement en prise avec la réalité concrète du soin
infirmier ; c’est à dire la population « étudiants » et la population « infirmiers ».
1100 IINNTTEERRPPRREETTAATTIIOONN DDEESS RREESSUULLTTAATTSS
10.1 Une certaine « dynamique »
Une lecture attentive des données et de l’analyse de contenu nous oblige à revenir sur
les différentes polarités. Nous pensons qu’elles se superposent et qu’elles viennent,
probablement, signifier la même chose dans le discours des personnes interviewées. Nous
proposerons donc une lecture sous forme de tableau, représentant les oppositions, les tensions
entre les termes des polarités.
Polarité
1er terme 2ème terme
Technique Relation
Rôle prescrit Rôle propre
Expliquer Comprendre
Objectif Subjectif
Sciences
Bio-(médicales)
Sciences humaines
Nomothétique Herméneutique
Maladie Malade
89
Un troisième terme significatif apparaît dans l’analyse des entretiens. Il s’agit de celui
que nous avons défini comme critère et qui est induit de la classification des unités de sens. Il
est question ici du terme « disposition personnelle »
Polarité
3ème terme 1er terme 2ème terme
Technique Relation
Disposition
personnelle
Rôle prescrit Rôle propre
Expliquer Comprendre
Objectif Subjectif
Sciences
Bio-(médicales)
Sciences humaines
Nomothétique Herméneutique
Maladie Malade
Il est intéressant de repérer que ce troisième terme (disposition personnelle), tend à
prendre la place du 2ème terme de la polarité. Les éléments repérés comme des éléments de
disposition personnelle ou individuelle ; dévouement, don de soi, oubli de soi, naturel,
bonté, idéal, enthousiasme, inné, courage… viennent dans le discours de 6 étudiants et/ou
infirmiers sur 11, en lieu et place :
De la relation ; « …je tente de le faire avec beaucoup d’humanité… je suis dans la
relation » (Annexe 3, p.37, l.13) ou alors, « …les patients le sentent bien que vous êtes
disponible… la relation se fait comme ça » (Annexe 4, p.60, l.52) mais aussi, « Il faut
avoir certaines dispositions pour faire ce métier. » (Annexe 2, p.15, l.32) et, « …puis
je me dis que l’on ne devient pas infirmière pour rien » (Annexe5, p.88, l.59) ou,
« …c’est aussi tout ce que l’on y met de nous-mêmes » (Annexe 4, p.68, l.24) dès lors,
« …la technique… c’est vrai que c’est reposant quelque part… » (ibid, p.60, l.47).
Du rôle propre ; « …le prendre soin de la personne… toute une conception du soin »
(Annexe 4, p.68, l.18) mais également, « …donner ce que l’on a de soi-même pour les
patients… pour moi c’est la finalité du soin » (ibid, p.60, l.36) et, « …on voit qu’à
90
travers le soin il y a autre chose (ibid, p.60, l.41) ou, « …un infirmier sur le terrain,
qui donne du soin, qui se donne aussi à travers le soin » (ibid, p.61, l.72).
De la compréhension ; « Il faut être capable de recevoir la souffrance… » (Annexe 2,
p.15, l.25) et, « …je trouve que cela devient quelque chose qui s’intellectualise… »
(Annexe 4, p.60, l.63) mais aussi, « …c’est naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on
veut être infirmière… » (Annexe 3, p.42, l.42).
De la subjectivité ; « L’humain égale subjectivité…la subjectivité ce n’est pas une
science » (Annexe 2, p.16, l.46) et « Après, je me dis qu’il y a quand même des
choses… pas innées, mais des choses que l’on sent » (Annexe 5, p.88, l.58) ou alors,
« …disponible et à l’écoute… c’est pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas
propre à l’infirmière non plus » (Annexe 3, p.50, l.47).
Des sciences humaines ; « Les sciences humaines… c’est vrai qu’il en faut mais je
pense qu’il y a un profil de la personne » (Annexe 3, p.39, l.73) ou, « …on se dit, celle
là elle est faite pour ça, celle là elle ne sera pas commode… » (ibid, p.39, l.77). Dans
le travail qui nous intéresse, l’herméneutique devient la « disposition personnelle » ;
« …plus profondément dans sa prestation, dans sa… finalement, raison d’être… la vie
(le soin) c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce que l’on a pu apporter » (Annexe 4,
p.60, l.45). La compréhension du malade devient une affaire de « feeling », une
affaire personnelle ; « …il me semble que de façon naturelle je peux régler ce
problème » (ibid, p.39, l.67). Cela devient également une affaire de reconnaissance ;
« Lorsqu’un patient manifeste de la reconnaissance en nous disant que nous sommes
gentils… » (Annexe 2, p.15, l.9) ou, « …si, en tant que soignant on n’a pas perçu
cela… on passe à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à l’usine,
on accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (Annexe 4, p.60,
l.42) mais aussi, « ...je le vois un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… la
contre partie de la rémunération » (Annexe 2, p.25, l.50). La reconnaissance, ici,
vient s’opposer à la connaissance ; « Il y a quand même de la théorie… mais à force
c’est tellement spontané » (Annexe 3, p.34, l.38) ou alors, « …moi, je n’ai pas eu
l’impression d’avoir besoin de la théorie » (ibid, p.38, l.61) mais également, « Où est
ce qu’ils vont mettre la grande partie qui est le relationnel… c’est pas à la fac qu’on
91
va l’apprendre » (ibid, p.35, l.73).
Nous venons de voir comment, un premier glissement, tend à substituer les éléments
constitutifs du troisième terme (disposition personnelle) aux éléments du second terme de la
polarité. Eux-mêmes, dans un nouveau glissement, viennent se substituer aux premiers termes
de la polarité. Ainsi s’opère un nouveau déplacement, dès lors :
La relation devient technique ; « …toujours mettre des mots sur ce que l’on va
faire… » (Annexe 3, p.37, l.16) ou, « …expliquer la totalité du soin… donner un
compte rendu » (ibid, p.41, l.11) et, « …adapter les soins en fonction de la
personnalité du patient et pas uniquement en fonction de la pathologie » (ibid, p.46,
l.16) mais aussi, « …l’écouter, lui répondre, lui expliquer…après tout est possible »
(ibid, p.49, l.28).
Comprendre devient expliquer ; « J’ai appris comment il faut répondre… » (Annexe
2, p.19, l. 51) et, « …les sciences humaines… elles devraient me dire à quel moment je
suis dangereuse, à quel moment je suis malsaine » (ibid, p.20, l.87) ou, « Les sciences
humaines permettent de dire que le patient réagit de cette façon là parce que… cela
permet d’expliquer » (ibid, p.26, l.30).
La subjectivité devient vérité objective ; « Le travail relationnel…écouter, entendre,
relever des éléments objectifs » (Annexe 2, p.18, l.11) ou, « A quel moment il ne faut
pas dépasser les bornes. L’infirmier, à quel moment il doit être respectueux » (ibid,
p.17, l.91).
Les sciences humaines sont parlées comme les sciences bio (médicales) ; « C’est une
théorie qui doit être mise en pratique… de la même façon que la science médicale… »
(Annexe 2, p.18, l.27) ou, « Les sciences humaines permettent d’être dans une
position adaptée face à un cas précis » (ibid, p.29, l.63) et, « Les sciences humaines
peuvent cautionner et expliquer le soin » (Annexe 4, p.58, l.72) mais aussi, « …les
sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire… » (ibid, p.63, l.136).
L’herméneutique devient nomothétique ; « Les sciences humaines sont utiles car…
92
on est déjà au courant de ce qui peut arriver » (Annexe 3, p.42, l.52) ou, « Ce n’est
pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel
moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse » (ibid, p.35, l.97) ou,
« …peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les étapes… les
différentes étapes » (Annexe 4, p.55, l.58).
Ainsi ; les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle nomothétique.
Nous retrouvons la polarité sous cette forme
Polarité
1er terme 2ème terme
Sciences humaines
=
Nomothétique
Disposition personnelle
=
Herméneutique
Expliquer Comprendre
Objectif Subjectif
Rôle prescrit Rôle propre
Technique Relation
Maladie Malade
Connaissance Reconnaissance
Une analyse des entretiens, plus attentive à la chaîne signifiante des propos de chaque
personne interrogée, nous aurait probablement permis de mieux repérer ces glissements. Nous
pensons, en particulier, aux discours des professionnels (cadres soignants, cadres formateurs)
pour lesquels il est plus difficile d’inférer un sens. Notre interprétation porte essentiellement
sur des discours très explicites. Il n’en demeure pas moins que ce déplacement, dont nous
venons de montrer la dynamique, est repéré dans la plupart des discours des étudiants et
infirmiers qui ont à se confronter à l’exercice concret du soin. Il nous reste donc maintenant à
essayer d’en saisir le sens.
93
10.2 La question du réductionnisme
Nous avons abordé dans une première partie de ce travail l’évolution de la médecine
contemporaine qui tend, aujourd’hui, à se définir comme une « médecine scientifique ». Nous
avons rappelé avec Sören Kierkegaard que les vérités objectives de la « médecine
scientifique » sont rapportées dans le langage de l’abstraction et si elles acquièrent de
l’importance, c’est seulement quand elles sont reliées à l’existence d’un patient singulier. Ce
qui compte, ce ne sont pas seulement les troubles anatomiques et physiologiques mais la
relation que le patient entretien avec sa maladie. Nous avons souscrit à l’affirmation de
Georges Canguilhem (2007) lorsqu’il soutient ; « On comprend que la médecine ait besoin
d’une pathologie objective, mais une recherche qui fait évanouir son objet n’est pas objective
(ibid, p.49). » Nous avons partagé l’approche de la philosophie herméneutique qui, sans nier
l’importance de la science naturelle, considère que l’homme en tant que personne ne peut être
appréhendé intégralement à l’intérieur d’un cadre naturaliste. Nous avons insisté sur la
nécessité de ne pas séparer l’objet (la maladie) du sujet (celui qui la porte). Nous avons
précisé que la vérité subjective concerne la relation entre les deux et qu’elle exige l’apport de
la méthode herméneutique.
Il n’est pas question, ici, de faire le procès théorique de la technique et de la science
médicale. Le discours dominant de la bio-(médecine) est fondé dans ce qu’il fait. Cependant,
dans ce mouvement de balancier qui renvoie la pratique médicale essentiellement dans le
champ de la bio-(médecine), il y a quelque chose qui est dessaisi (la vérité subjective) et qui
ne peut l’être. Ainsi, ceux qui partagent cette proximité avec le malade et ne peuvent s’en
défaire (infirmiers-étudiants), s’en ressaisissent dans une précipitation et une approximation la
plus totale; « …les patients le sentent bien que vous êtes disponible… la relation se fait
comme ça » (Annexe 4, p.60, l.52) ou, « …je tente de le faire avec beaucoup d’humanité… je
suis dans la relation » (Annexe 3, p.37, l.13). C’est comme s’il n’y avait pas d’autres
manières de penser. Soit on est dans le « feeling », c’est à dire dans ce que nous avons nommé
« la disposition personnelle » ; « …c’est aussi tout ce que l’on y met de nous-mêmes »
(Annexe 4, p.68, l.24) ou, « …moi, je n’ai pas eu l’impression d’avoir besoin de la théorie »
(Annexe 3, p.38, l.61) et cela devient une technique, une injonction de l’écoute, « …l’écouter,
lui répondre, lui expliquer…après tout est possible » (ibid, p.49, l.28). Soit, je sors « ma
94
réglette » et je mesure, c’est à dire une approche nomothétique des sciences humaines ;
« …les sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire… » (Annexe 4, p.63, l.136).
Ou, plus inquiétant ; « Les sciences humaines sont utiles car… on est déjà au courant de ce
qui peut arriver » (Annexe 3, p.42, l.52).
Cette conception du soin, de quelle subjectivité elle fait usage ?
Face au désarroi provoqué par l’insuffisance des « dispositions personnelles » qui
viennent occuper la place des sciences humaines (vs) herméneutique, les sciences humaines
sont ressaisies sur le modèle nomothétique. Nous sommes dans l’idée positiviste d’une
« psychologie » où il y aurait des savoirs que l’on peut appliquer. C’est une position
épistémologique dans le champ de la psychologie. On attend des outils… il faut avoir des
outils pour répondre à tout ; « J’ai appris comment il faut répondre… » (Annexe 2, p.19, l.
51). Qu’est ce que cela peut vouloir dire que de prétendre avoir des réponses par rapport à la
mort, par rapport à la souffrance ? Lorsque les « dispositions personnelles » sont débordées,
et elles le sont nécessairement, il faut pouvoir expliquer, contrôler, mesurer…, ce qui
justement n’offre pas de prises à la maîtrise ; « …les sciences humaines… elles devraient me
dire à quel moment je suis dangereuse, à quel moment je suis malsaine » (ibid, p.20, l.87).
Ainsi, la technique vient se substituer à la théorie scientifique. La technique est science à
elle toute seule. L’hôpital n’est pas en reste, familiarisé au contrôle qualité et aux procédures
il sort son attirail ; sa réglette pour mesurer la douleur, les tests psychométriques pour
justifier le digicode sur la porte d’entrée du « cantou ». C’est dans l’air du temps…
performance, compétence, conformité, contrôle, mesure ; l’hôpital est traversé par le souci
sécuritaire. Même la mort (et surtout la mort) ne semble résister à ce besoin de tout anticiper
et de tout prévoir ; « …peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les
étapes… les différentes étapes » (Annexe 4, p.55, l.58). Ainsi, les sciences humaines se
résument à une construction et une utilisation rationnelle du savoir, portée par une visée
d’objectivité ; « Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à un
cas précis » (Annexe 2, p.29, l.63). Elles permettent de « cautionner et expliquer le soin »
(Annexe 4, p.58, l.72). Il n’est pas question de remettre en cause la méthode clinique qui
cherche à formuler objectivement le champ de la pathologie mais ; « On confond clinique et
subjectivité, on croit que la clinique c’est celle du sujet. Or pas du tout, la clinique c’est
ramener à du général, à un cadre nosographique. Il faut être un bon clinicien pour permettre à
95
une subjectivité de se dire (Blein, 2007). » Une telle entreprise d’objectivité implique une
prudence : se garder d’une objectivation du sujet. Encore faut-il ne pas, dans cette entreprise
d’objectivation, convoquer les sciences humaines. Quoi de commun par exemple entre la
réalité du virus H.I.V. et la manière dont H. Guibert raconte dans son premier roman
comment, dès qu’il a connu le diagnostic de sa séropositivité, il s’imaginait qu’en le regardant
les gens voyaient derrière ses yeux l’état de ses lymphocytes34. L’anthropologie de la
médecine met en évidence cette distance entre la maladie objectivée et la maladie vécue,
invitant ainsi à une analyse critique des dominantes du savoir biomédical. Souligner la place
que doivent tenir les sciences humaines dans le soin, c’est probablement rappeler qu’elles ont
à proposer un modèle critique et à se distancier de la position épistémologique de la bio-
médecine.
10.3 Un troisième terme : « disposition personnelle » ?
Il est nécessaire de s’interroger sur la présence dans le discours, d’éléments reliés au
critère que nous avons nommé « disposition personnelle ». Le double déplacement qui
s’opère et dont nous avons montré la dynamique semble trouver son origine dans la place
accordée par la profession à un certain « idéal » et à des « qualités naturelles » ; « Il faut
avoir certaines dispositions pour faire ce métier » (Annexe 2, p.15, l.32)…, « Il faut être
capable de recevoir la souffrance… » (Annexe 2, p.15, l.25). Les sciences humaines (vs)
herméneutique c’est le « féminin » ; « …c’est naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on veut
être infirmière… » (Annexe 3, p.42, l.42). C’est cette forme informelle du savoir, celle qui
correspond à l’intuition… bien sur féminine ; « …on voit qu’à travers le soin il y a autre
chose (annexe 4, p.60, l.41). Tout semble s’ordonner autour de ça, « …je tente de le faire avec
beaucoup d’humanité… je suis dans la relation » (Annexe 3, p.37, l.13). Le soin, ici, renvoie
à la vie et nous pourrions dire à la naissance ou à la maternité ; « …plus profondément dans sa
prestation, dans sa… finalement, raison d’être… la vie c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce
que l’on a pu apporter » (Annexe 4, p.60, l.45). Dans son ouvrage consacré à l’histoire des
infirmières, Yvonne Knibiehler (2008) nous rappelle : « …l’histoire des infirmières projette
une vive lumière sur l’histoire des femmes et sur celle du « genre » : métier « féminin » fondé
sur le dévouement, métier subalterne soumis à la domination des hommes médecins (ibid,
p.9). » Evoquant le début de la laïcisation des soins elle précise « …l’infirmière est d’abord
34 Guibert, H. (1989). A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Gallimard : Paris.
96
une femme et son travail doit exprimer ou exalter les caractères naturels de la féminité (ibid,
p.67). » L’accent est mis sur le dévouement et l’abnégation et sa valeur morale est placée au
premier plan ; « L’infirmière est toujours vue comme une religieuse laïque (ibid, p.70). »
C’est toujours en termes de vocation, de mission, de qualités de cœur, de prolongement des
activités domestiques qu’on parle des activités de l’infirmière ; « …comme s’il était
impossible de les concevoir comme un travail. Les qualités requises ne peuvent se
monnayer… (ibid, p.70). » Nous retrouvons en écho cette affirmation dans le discours d’un
étudiant ; « ...je le vois un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… la contre partie de
la rémunération » (Annexe 2, p.25, l.50). L’auteur précise que même en devenant
« scientifique, objective, technicienne (ibid, p.71) », les médecins ont bien conscience que la
médecine pasteurienne « …n’assume pas toute la réalité de l’être qui souffre (ibid, p.71). »
Ainsi, « leur infirmière doit devenir un instrument perfectionné sans cesser d’être une femme
compatissante (ibid, p.71). » Il s’agit donc de former une bonne technicienne, naturellement
apte à assister celui qui souffre ; « Il n’y a pas de souffrance qui n’éveille en elle l’instinct de
la maternité, et n’en ouvre les trésors infinis (ibid, p.71). » Ce qui semble dessaisi par la
médecine pasteurienne (la réalité de l’être qui souffre) est donc renvoyé aux dispositions
naturelles de l’infirmière. « Puisque tout porte la femme vers la maternité, l’infirmière sera la
mère de tous les malades (ibid, p.71). » La lecture de cette étude historique sur la profession,
proposée par Knibiehler, donne une résonnance particulière aux propos relevés dans l’analyse
des entretiens. Le discours sur « la disposition personnelle » tend à nous indiquer que cette
conception « féminine » du soin traverse encore la profession. Elle est sûrement moins
marquée, elle prend probablement d’autres formes, mais elle n’en est pas moins présente et
active. L’auteur nous rappelle d’ailleurs la faible évolution du stéréotype. Si l’œuvre des
pionnières à la fin des années 30 a été positive, les efforts déployés n’ont pas pleinement
atteint leur but. « Le premier ouvrage rédigé par Léonie Chaptal est un livre de morale
professionnelle, prêchant le dévouement, l’humilité, l’obéissance au médecin, la rigueur dans
l’accomplissement des tâches les plus modestes, et non pas l’initiative, la responsabilité, la
fierté (ibid, p.143). » Elle rajoute, « Le métier d’infirmière reste une ascèse individuelle au
lieu de devenir une fonction sociale. Les pionnières n’ont pas vu clairement la nécessité de
déplacer le centre de gravité (ibid, p.144). » Des années 20 aux années 60, la morale semble
rester la clé de voute de la formation infirmière mais elle change peu à peu de contenu en
raison des progrès des sciences humaines. Entre 1945 et 1960, les soins au malade vont passer
du « maternage » à la « technique ». Auprès des patients, ce sont désormais les aides-
97
soignantes qui assurent le plus de présence. La conscience morale des aînées s’est doublée
peu à peu, chez les jeunes, d’une conscience politique. « Les événements de l’automne 1988
témoignent pour la première fois d’une mobilisation générale, de dimension nationale, dans
une profession « féminine ». Ce sont bien les infirmières de toute la France (non pas les
infirmiers) qui ont pris l’initiative et qui ont gardé la direction de la révolte (ibid, p.389). »
Ainsi, « …répudiant l’image ancienne de la vocation, qui suppose l’abnégation absolue, elles
proclament que le métier d’infirmière est un métier comme un autre (ibid, p.391). » Mais en
même temps, « …elles affirment que leur métier ne ressemble à aucun autre, en raison des
épreuves affectives qu’il inflige et du dévouement qu’il requiert… (ibid, p.392). » La
contradiction semble toujours présente et le discours porte encore aujourd’hui cette idée que
l’exercice du soin n’est pas un exercice comme un autre ; « …si, en tant que soignant on n’a
pas perçu cela… on passe à côté de plein de choses, on fait son travail comme on va à
l’usine, on accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va » (Annexe 4,
p.60, l.42). L’idée exprimée ici par un cadre soignant est intéressante, dans la mesure où elle
ne renvoie pas à un manque pour le patient mais plutôt pour l’infirmier qui réalise le soin. Un
manque qui prend une allure moralisatrice et culpabilisante. Le soin infirmier se devrait donc
d’être accompagné d’une « humanité ». Pourtant le soin, ce n’est pas le soin à priori, c’est le
soin que la situation impose. Une situation d’urgence est une situation que l’on peut qualifier
de complètement « inhumaine ». Et c’est bien ainsi. Le patient est considéré comme un objet,
et nous défendons l’idée que parfois cela est nécessaire en fonction du soin à réaliser, pour
bien le prendre en charge. A vouloir mettre de « l’humanité » partout on ne sait plus de quoi
on parle et pourquoi il est nécessaire parfois de la « mobiliser». Virginie Pirard (2006) nous
rappelle que le soin, parce qu’il touche au corps et à la vie psychique, favorise dans notre
imaginaire « des représentations prototypiques » qui mettent en avant, « la prédominance de
la figure féminine (ibid, p.80). » Si une dimension affective particulière est nécessaire à la
réalisation du soin, l’auteur nous convie à sortir du flou conceptuel persistant et à assumer la
« dénaturalisation des ressources affectives nécessaires au soin (ibid, p.81). Il est donc
question de s’interroger sur « leurs sources, la façon dont elles sont mobilisées et leur
éventuelle reproductibilité (ibid, 82). » Elle nous propose de sortir des registres du
vocabulaire de la passion et nous invite à penser le soin comme un travail et non comme « le
résultat d’une entreprise placée sous le signe exclusif du don de soi (ibid, p.86). »
98
Le paradoxe de la doxa ?
Reprenons l’entretien effectué avec Lucile, Cadre Soignant dans un service de
cardiologie. Elle nous dit ; «Le soin ou le prendre soin …c’est tout ce que l’on y met de nous-
mêmes… c’est à dire tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous… toute l’humanité… »
(Annexe 4, p.68, l.24). Pierre Bourdieu (1998) part du postulat que le monde est agencé d’une
certaine manière, et que cet agencement se perpétue, se reproduit, plus facilement qu’il ne se
bouleverse : « Je n’ai jamais cessé, en effet, de m’étonner devant ce que l’on pourrait appeler
le paradoxe de la doxa : le fait que l’ordre du monde… soit grosso modo respecté, qu’il n’y ait
pas davantage de transgressions ou de subversions, de délits et de « folie »… ou plus
surprenant encore, que l’ordre établi, avec ses rapports de domination, ses droits et ses passe-
droits, ses privilèges et ses injustices se perpétue… j’appelle la violence symbolique, violence
douce, insensible, invisible, pour ses victimes même, qui s’exerce pour l’essentiel par les
voies purement symboliques de la communication et de la connaissance ou, plus précisément,
de la méconnaissance, de la reconnaissance ou, à la limite du sentiment (ibid, p.7). » Cette
« violence symbolique » est inscrite dans l’ordre des choses, elle se passe de justification. La
personne dominée, en raison de la « méconnaissance » de la domination qu’elle subit, finit par
adopter les catégories, les schèmes de pensée, du dominant, quand elle porte des jugements
sur elle-même et sur le monde. Ainsi, Lucile nous dit ;
ü « …le prendre soin de la personne… toute une conception du soin » (Annexe 4, p.68,
l.19).
Nous pouvons penser que Lucile interprète le monde selon des catégories instituées, les
faisant ainsi apparaître comme naturelles. Pour Bourdieu, la violence symbolique annihile
toute autonomie de la pensée, tout jugement de valeur personnel. Nous posons la question à
Lucile ;
ü « Lorsque vous dites… (toute une conception du soin), pouvez vous me préciser cette
conception ? » (ibid, p.68, l.21)
ü “Heu… j’ai dit ça? (rire)… oui… ce que je veux dire ce sont toutes les valeurs que
l’on met dans les soins… » (ibid, p.68, l.23).
Nous retrouvons dans le discours de Lucile, au centre de ces valeurs ; « …tout ce que l’on y
met de nous-mêmes …tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous… » (ibid, p.68, l.24),
acceptant peut-être insidieusement la naturalisation d’une féminité dévolue au souci d’autrui.
Il paraît en effet difficile d’imaginer que ces valeurs ne soient pas considérées pour Lucile
99
comme une sorte de caractère sexuel secondaire féminin et à ce titre là, une disposition
supposée naturelle. C’est à dire ; « …l’effet d’un pouvoir, inscrit durablement dans le corps
des dominés sous la forme de schèmes de perception et de disposition (à admirer, à respecter,
à aimer…) qui rendent sensible à certaines manifestations du pouvoir (Bourdieu, 1998,
p.46). » Selon Bourdieu, la prise de conscience qui s’opère notamment par le mouvement
féministe n’aurait pas encore remis en cause la structuration des modes de pensée. « Les
changements mêmes de la condition féminine obéissent toujours à la logique du modèle
traditionnel de la division entre le masculin et le féminin. Les hommes continuent à dominer
l’espace public et le champ du pouvoir (notamment économique sur la production), tandis que
les femmes restent vouées (de manière prédominante) à l’espace privé… ou à l’extension de
cet espace que sont les services sociaux (hospitaliers notamment)… (ibid, p.101). »
1111 CCOOMMMMEENNTTAAIIRREESS SSUURR LL’’HHYYPPOOTTHHEESSEE
Reprenons notre question de recherche.
Quel est le discours porté par les professionnels du soin sur les sciences humaines ?
Le recueil de données nous a permis d’identifier le critère de « disposition
personnelle », alimenté par toute une série de qualificatifs dont nous avons tenté de
comprendre autour de quoi ils s’ordonnent. La subjectivité ; ce qui échappe à la médecine et à
la clinique, ce qui par définition ne peut être ramené à du général, est laissé à l’appréciation
ou à la « compréhension » de dispositions individuelles. C'est-à-dire ; les « qualités
naturelles » de l’ « infirmière ». Les sciences humaines (vs) herméneutique c’est la
mobilisation de certains registres affectifs ; c’est le « féminin ». Face au désarroi provoqué
par l’insuffisance des « dispositions personnelles » qui viennent occuper la place des sciences
humaines (vs) herméneutique, les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle
nomothétique. Lorsque les « dispositions personnelles » sont débordées, et elles le sont
nécessairement, il faut pouvoir expliquer, contrôler, mesurer… ce qui justement n’offre pas de
prises à la maîtrise. Ainsi, la technique vient se substituer à la théorie scientifique.
Nous repérons donc, dans ce travail, une approche qui voudrait allouer sous le terme de
100
« sciences humaines » une dimension « humaniste », mais qui replie cette dimension sur des
dispositions individuelles, masquant ainsi la tendance générale au recours à la « science » et à
ce qui fait preuve. Les sciences humaines sont alors ressaisies dans une certaine rigidité
déterministe, dans l'illusion d'une maîtrise... Elles sont utilisées dans une logique de résolution
de problèmes ne permettant pas de problématiser sur une pratique soignante, ni de mettre en
travail certaines questions qui n'attendent pas de réponses. Le double déplacement qui s’opère
et dont nous avons montré la dynamique semble trouver son origine dans la place accordée
par la profession à un certain « idéal » et à des « qualités naturelles ».
Ainsi ; les sciences humaines sont ressaisies sur le modèle nomothétique.
Revenons sur quelques interrogations qui nous ont accompagnés tout au long de ce
travail. Nous considérons que l'idée d'une « science infirmière », au regard de l'emprise
rationnelle de la « science médicale », pose certaines questions :
De quelle science il s'agit ? Quelle est sa perspective ? Est-elle véritablement soignante
ou renforce-t-elle les approches « objectivantes » ? Quel rapport le soin infirmier peut-il
entretenir avec la preuve ? Cette volonté d’inscrire le soin infirmier dans une « science »
ne reproduit-elle pas, dans un décalage temporel, la volonté de la médecine
contemporaine à se définir comme une médecine « scientifique » ?
Une pratique soignante, soucieuse d'une part de subjectivité, d'irrationnel, ne peut pas
ne pas tenir compte de la spécificité de son « objet » et ne saurait se passer de l'approche des
sciences humaines. Mais, de quelle approche parlons-nous ?
Des sciences humaines, dont l'utilisation délibérément rationnelle viendrait poser une
vérité sur le patient et sur la nature du soin à réaliser ? Des sciences humaines permettant
d'agir avec certitude, donnant une forme d'assurance, capable de savoir et d'anticiper qui est
l'autre, de quoi il a besoin, et ce qui est bien et bon pour lui ? C'est-à-dire ; des sciences
humaines appelées à se soumettre au modèle épistémologique de référence de la
101
médecine « scientifique ».
Nous voici donc au cœur de notre hypothèse de recherche :
Nous avons posé l'hypothèse que c'est d'un discours particulier porté sur les sciences
humaines que se structure l'idée d'une « science infirmière ».
Notre souci, dans le travail d’enquête, a donc été de repérer chacun des jeux de langage
qui peuvent ouvrir à des attentes spécifiques quant au projet d’une science infirmière. Nous
avons relevé toute une sémantique centrée sur des termes comme, explication, causes,
régularité, objectivité, preuve, quantitatif, loi, maîtrise, contrôle, etc., auxquels est associée
une conception nomothétique des sciences humaines. A travers l’analyse de ces différents
discours, notre souci portait sur des interrogations épistémologiques. L’intérêt de ces
interrogations est de révéler, à travers les mots, ce qui donne sens à la question de la pratique
soignante pour l’étudiant, l’infirmier, le cadre formateur et le cadre soignant et ainsi, analyser
le rapport que ces professionnels entretiennent avec les savoirs théoriques des sciences
humaines. C’est une définition opérationnelle des sciences humaines qui nous a été donnée
essentiellement par les étudiants et les infirmiers. Elles sont considérées en ce sens comme un
outil sensé répondre aux objectifs du soin. Elles trahissent souvent une visée fonctionnaliste et
utilitaire, leurs utilisations relevant de la technique ou de la science appliquée. Nous pouvons
considérer que la manière dont sont ressaisies les sciences humaines par ces professionnels
s’avère révélatrice de l’épistémologie et de la philosophie sous-jacente aux pratiques. Cette
approche « utilitariste » des sciences humaines vient révéler en miroir une approche
rationnelle et instrumentale du soin, sur le modèle épistémologique de la médecine
« scientifique ». Mais, peut-être aussi, et nous avons à en discuter… sur le modèle
épistémologique à venir d’une « science infirmière ».
102
Conclusion
C’est en raison d’un certain discours sur la formation professionnelle des infirmiers, tant
sur le terrain que dans les instituts, et la mainmise de la technique dans ce discours qu’est née
le questionnement de ce travail de recherche. Aujourd’hui et parallèlement aux progrès
fulgurants des techniques médicales, ce sont les sources de l’innovation technique qui
orientent, selon des préoccupations restant utilitaires, les conceptions et les pratiques en
formation. L’alternative réside dans le fait, soit de privilégier la permanence de cette approche
« utilitariste » du soin infirmier, soit de viser des ruptures, des changements de paradigmes,
des réflexions épistémologiques sur le soin. Ce devenir peut être défini comme un processus
qui met le sujet en capacité de concevoir sa pratique et son action comme une activité
constructive, créatrice. Penser ce devenir suppose de proposer à la formation de nouveaux
dénouements.
De quelle façon renouer avec une formation qui ferait sens ? Un sens à conquérir, qui ne
se donne pas ? Comment ne pas sombrer dans des logiques techniques qui constituent les
fondements des activités de formation, orientant les savoirs vers des apprentissages
adaptatifs ?
Encourager les étudiants à développer un esprit critique c’est probablement en premier
lieu, s’autoriser soi-même. Notre position est caractérisée par une mise en cause à l’égard des
normes de conduite que les pratiques de formation induisent. Pratiques de formation qui
révèlent en miroir une approche rationnelle et instrumentale du soin. En formation, une telle
dérive peut conduire à rencontrer des dispositifs purement démonstratifs dont la réflexion sur
l'inattendu, l'imprévisible, l'irréductible – c'est-à-dire sur l’humain – est absente, voire très
103
faible. Aujourd’hui, « la formation se dessine comme le triomphe de l’équipement d’un
monde en tant que soumis aux commandes de la technique (Fabre, 1994, p. 19) ». Les
pratiques de formation en général sont devenues contrôle social et transmission des valeurs
sociales et économiques instituées. Elles s’appuient sur un savoir-faire qui valorise
réflexivement sa propre performance et qui s’impose au détriment d’autres formes
d’appréhension du monde. Nous pensons que la praxis ne se laisse jamais déterminer par un
savoir préalable, elle est autre chose qu’une fin. La praxis s’appuie sur un savoir, mais celui-ci
est toujours fragmentaire et provisoire, et pénètre le savoir sous la forme de l’interrogation.
C’est en grande partie, une définition opérationnelle des sciences humaines qui nous a
été donnée par les professionnels interviewés. Elles sont parlées sur le modèle de
l’explication, de la causalité, de la maîtrise. En ce sens, elles sont considérées comme un outil
sensé répondre aux objectifs du soin, trahissant une visée fonctionnaliste et utilitaire sur le
modèle de la technique ou de la science appliquée. Le soin serait alors la représentation d’une
réalité donnée et qui par conséquent ne pourrait que s’ériger en normes localisées et
déterminées sensées répondre à la dimension prescrite du travail. Le propre de cette idéologie
« techniciste » est de se présenter comme étant sans alternative. Le risque serait alors que la
formation se résume à l’apprentissage des procédures et du travail standardisé. Il s’agirait de
mettre en adéquation la formation et une conception du travail infirmier où la culture
technique s’impose ; même dans les sciences humaines.
L’emprise du discours technique, même dans les sciences humaines, ne risque t-il pas
d’être prépondérant dans la décision du partenariat avec l’université ? C'est-à-dire, un savoir
technologique qui deviendrait le seul intérêt d’investissement et l’unique véritable lien entre
les instituts et l’université. Cette conception du rapport au savoir nous questionne dans nos
modes de réflexion et nos choix épistémologiques au sujet de la formation. Le risque serait
alors d’être dans une logique de rationalité instrumentale, proposant une formation conçue
comme équipement des personnes par rapport à des postes particuliers avec souvent peu de
travail sur les finalités du soin. Nous avons pu remarquer dans ce travail que si les discours
sur le soin infirmier tendent à mettre en avant la « relation », ils se rabattent souvent sur les
techniques et traduisent une conception instrumentale de la finalité du soin. Notre analyse
nous a révélé les grands traits qui marquent les discours sur les sciences humaines. Une
technicisation qui construit une culture de l’intelligence compétente et non pas réflexive ou
critique. Le savoir, dans sa définition opérationnelle utilitaire, se présente comme un outil qui
104
oriente les acteurs dans la pratique. Le savoir utilitaire et technique obéit à un principe, celui
de l’optimisation des performances. Le savoir est donc présenté dans les limites étroites d’une
finalité fonctionnaliste et utilitaire ; des savoirs morcelés qui répondent aux objectifs posés
d’un apprentissage qui tend à devenir un apprentissage à être performant.
Il nous semble nécessaire de sortir de la question des gestes de l’ « infirmière », de leur
description et du commentaire pour interroger le soin lui-même. C’est ce que nous avons tenté
de faire dans une première partie du travail. Nous avons vu que l’explication ne se suffit pas
de la description. Il existe une autre position : essayer de penser, en tant qu’infirmier, comme
tel. Et nous pouvons le faire, quitte à convoquer qui ne s’occupe pas de nous ; plus
particulièrement la philosophie et l’épistémologie. Nous voulons poser quelques questions
comme : Qu’est-ce que le soin ? Que signifie soigner ? On voit bien que les réponses
n’appartiennent pas à notre « univers de savoir », que les réponses ne sauraient être contenues
dans le soin infirmier. Par contre, les éléments qui permettent de répondre y résident. Il s’agit
donc de questionner et de déstabiliser le savoir du soin en le portant sur un support plus large
que lui-même.
Sans la formation d’un esprit critique nos savoirs ne trouveront pas le sens des mots ;
nous devons tous y travailler. Dans la perspective d’une « science infirmière » ou d’une
« science en soins infirmiers » nous devons exiger et demander ce que l’on souhaite faire de
nous. Quelle pratique infirmière se dessine et autour de quelle(s) science(s) ? Au-delà, nous
sommes en devoir de nous interroger à propos du mot soin, qui doit nous rendre autorisés à en
être également les rédacteurs.
105
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110
RESUME
La perspective d’universitarisation de la formation en soins infirmiers nous impose d’adopter une attitude réflexive. Le soin infirmier est redevable d’une série d’éclairages différenciés et les savoirs convoqués lors de sa réalisation ne peuvent se soumettre, uniquement, au modèle épistémologique de référence de la « médecine scientifique ». Nous postulons de la nécessaire complémentarité entre une approche nomothétique et une approche herméneutique des savoirs et de la connaissance dans la pratique soignante. L’essentiel consiste ainsi à maintenir une « tension » entre deux perspectives dont aucune, prise en elle-même et comme un absolu, ne peut prétendre à une totale légitimité. Dès lors, réfléchir à une « discipline infirmière » ne revient pas seulement à promouvoir l’ajout d’éléments de psychologie et de sociologie aux vérités objectives de la « médecine scientifique ». Nous mettrons en évidence comment l’organisation des soins et la formation des infirmiers restent rivés à un modèle « moderne » et positiviste de la médecine. Le danger de ce modèle serait de dicter une « application constructive » des sciences humaines. Des sciences humaines permettant d’agir avec certitude, donnant une forme d’assurance, capable de savoir et d’anticiper qui est l’autre, et ce qui est bien et bon pour lui. Dans ce travail, la visée est d’interroger le rapport au savoir et son articulation à la question de la pratique soignante. L’hypothèse est donc que l’idée même de « science » présuppose la mise en forme causale, quelle que soit la science en question. Cette extension d’un projet d’une « science infirmière » sur le modèle médical peut se dévoiler dans la manière dont sont parlées les sciences humaines par les professionnels sur le terrain. Un discours qui viendrait révéler une conception nomothétique trahissant une visée fonctionnaliste et utilitaire des sciences humaines dans le soin.
SYNTHESIS
Bringing nurse care to university causes some thinking. Nursing care involves various
disciplines and angles of perception such that the reference model of “scientific medicine” is not sufficient to cover them all. The different approaches nomothetic and hermeneutic of nursing care are necessarily complementary. The essence being to maintain a sort of “tension” between the two perspectives, neither one individually having absolute legitimacy. Reflecting upon a “nursing care discipline” does not only consist of adding certain psychological and social elements to objective truths of “scientific medicine”. The current organisation of care and training of nurses remain within the model of modern and positive medicine. The danger of this model being that it imposes a constructive application of human science. Human science allow to act with certainty, giving a sort of assurance, knowing and being able to anticipate who the other person is, what is good for him. In this work, the aim is to question the relation to knowledge and its articulation around the question of the health care practice. The hypothesis is that the term “science” presupposes a cause, whatever science is concerned. The extension of the project of a “nursing science” according to the medical model may be implemented through the way human science is treated by professionals on the ground. An approach which would reveal a nomothetic conception, a functional and utilitarian vision of human science in health care.
Mots clés : soin infirmier, sciences humaines, épistémologie, philosophie, normal,
pathologique, herméneutique, nomothétique, sciences, technique, art, pratique.
111
1
Grille d’entretien (Entretiens préalables)
Age :
Sexe :
Diplôme d’Etat :
Diplôme Cadre de Santé :
Diplôme Universitaire :
Expériences professionnelles :
- Exercice Cadre Soignant depuis :
- Exercice Cadre Formateur depuis :
Quelles conceptions du soin infirmier ? Concrètement c’est quoi le soin infirmier ?
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour
vous une science infirmière ?
Quelle est l’utilité selon vous des sciences humaines dans le soin infirmier ?
Dans le souvenir d’une pratique soignante est ce qu’il y a un moment, ou un soin particulier,
qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences humaines ?
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,
comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?
Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins
infirmiers au pluriel ?
2
Entretien préalable N°1 1
Age : 56 ans 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1972 4
Diplôme cadre de santé : 1998 Licence en Sciences de l’éducation. 5
Cadre soignant : 1999-2003 6
Cadre formateur : 2003 à ce jour 7
Expériences professionnelles : infirmière dans des services de soins généraux en cardiologie, 8
cancérologie, médecine générale, chirurgie générale. 9
Expériences professionnelles : Cadre de santé en médecine et HDJ 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Le soin infirmier… c’est un soin complet… pour moi le soin infirmier… qui est en même 13
temps technique, pratique, un soin de confort et en même temps un soin où tu mets la relation 14
avec la personne. Un soin infirmier c’est un soin complet qui regroupe tout ce qui est soin 15
technique mais aussi soin relationnel. C’est pour moi inévitable, c’est indissociable et c’est 16
spécifique à la profession. C’est pour cela que pour moi une recherche en soins infirmiers ça 17
se justifie. Le soin infirmier, c’est particulier, cela ne ressemble pas à un autre soin, le soin 18
d’un kiné, du podologue… le soin infirmier c’est un soin à part entière. 19
Quelle différence aurait selon-vous le soin infirmier par rapport à un autre soin ? 20
Il a sa spécificité, il a sa spécificité non seulement en tant qu’acte mais en tant que 21
philosophie de l’acte. On a une culture en soins infirmiers, qui nous est propre comme les 22
kinés ont leur culture propre, et nous on a la notre… déjà, il y a Virginie Handerson, 23
Nightingale, etc., depuis longtemps et qui a déjà commencé, Nightingale c’est elle qui a 24
commencé la première recherche en soins infirmiers… si on peut dire ça s’appelait pas 25
comme ça mais c’était comme ça, elle a commencé le soin etc, pour moi elle a déjà 26
commencé une recherche en soins infirmiers, elle s’est donc bien penché sur nous, les soins 27
qui nous sont vraiment spécifiques. 28
D’accord, mais quelle est la particularité de ce soin, le soin infirmier ? 29
C’est un soin d’éducation, en même temps un soin de prévention, un soin curatif, un soin 30
relationnel, enfin après je ne sais pas au niveau des kinés exactement, leur soin, s’il est aussi 31
complet que le notre. Mais nous on a vraiment une notion très large du soin infirmier, très 32
3
étendue et donc on a besoin de cultiver ces connaissances là… de façon très pointue pour 33
pouvoir améliorer… disons l’efficience de ce soin… moi c’est ma façon de voir. 34
D’accord, alors qu’elles sont les connaissances que convoque le soin infirmier dans la 35
mesure où il présente une particularité ? 36
Les actes techniques c’est sur, donc ça c’est pas le plus difficile à mon avis, c’est… c’est 37
l’approche, la philosophie du soin… comment vous dire, j’ai du mal à vous le dire de façon 38
très précise parce que… heu… c’est quand même assez global, je pense qu’une infirmière n’a 39
pas la même philosophie du soin qu’un kiné ou un podologue… heu…, nous on a, peut-être 40
qu’aussi les autres ont une vision globale… mais nous on a vraiment une vision globale de la 41
personne et je sais pas si on est pas un peu seul a avoir cette vision globale de la personne. Par 42
exemple si on compare les chirurgiens et les médecins, le chirurgien a une vision, comment 43
dire, très partielle de la personne alors que le médecin a une vision plus globale, et bien moi je 44
fais un peu cette différence là. Peut-être que je me trompe, mais voilà c’est mon sentiment. 45
Que recouvre cette globalité ? 46
La globalité c’est voir tous les aspects du soin, les aspect curatifs, les aspects préventifs, les 47
aspects psychologiques… heu, les aspects techniques… les connaissances autour de ce soin, 48
qu’est-ce qu’il est nécessaire d’avoir comme connaissances pour appliquer ce soin… bon ça, 49
cela peut se transférer à d’autres professions je pense, mais enfin nous, il me semble pour 50
arriver à faire les liens, à chaque fois que l’on fait un soin pour arriver à amener les liens 51
nécessaires, il faut avoir des connaissances, et ces connaissances là, elle sont pas assez 52
pointues dans notre domaine à mon avis. Parce qu’on les a laissées un peu trop au médecin, 53
parce qu’on n’avait pas de recherche en soins infirmiers. Il est temps que l’on se réapproprie 54
un peu ça, de façon à être un peu plus pointu et à chercher nous-mêmes à creuser… heu… les 55
connaissances nécessaires à faire des soins de qualité. Le médecin, ce n’est pas vraiment sa 56
place dans le sens où il n’est pas au cœur des soins de la même façon que nous. 57
En quoi il (le médecin) se différencie par rapport au soin ? 58
Ne serait-ce que par la notion de sciences humaines, la notion que l’on met autour des soins, 59
je ne pense pas qu’il ait (le médecin) un enseignement ou une culture qui va dans ce sens par 60
exemple. Je ne le pense pas et aux dernières nouvelles peut-être que l’on commence à 61
introduire maintenant dans la nouvelle formation des médecins des sciences humaines, mais 62
elles n’y figuraient pas. 63
D’accord, avec l’idée, vous me reprenez si je me trompe, que finalement le soin infirmier 64
nécessite d’amener des connaissances de plusieurs disciplines pour sa réalisation ? 65
4
Pour son amélioration, l’amélioration de son efficacité… j’avais préparé une petite phrase : 66
l’utilisation de nouvelles connaissances… voilà… qui favorise l’excellence de la pratique 67
infirmière professionnelle… voilà. C’est exactement ce que je voulais dire… Silence… Je 68
l’avais écrit, cela me paraissait bien correspondre à ce que je voulais dire. 69
Il y aurait une spécificité du soin infirmier, dans le sens où il embrasse plus de choses 70
qu’un soin d’une autre profession ? 71
Voilà, il ne faut pas le réduire, c’est un soin qui est extrêmement, alors on ne peut pas dire un 72
soin mais des soins, mais extrêmement vaste, large et on n’a pas assez travaillé autour de ça. 73
Après, on peut parler du confort, on peut parler du vécu, enfin je veux dire ça peut avoir une 74
extension très large. 75
Autour de l’actualité du projet d’universitarisation de la formation, mais aussi dans une 76
perspective plus lointaine de création d’une discipline infirmière ou d’une science en 77
soins infirmiers, que signifie pour vous cette perspective ? 78
C’est que l’on soit « harmonisé », que l’on donne une culture européenne des soins. Donc 79
c’est faisable, donc c’est possible, donc il y a des choses à faire et pourquoi ne pas poursuivre 80
ce que des femmes comme Nightingale ont commencé. L’intérêt c’est que l’on soit au même 81
niveau que les autres pays, au niveau culturel, pourquoi pas la France et puis voilà. Pour moi 82
c’est une vraie valeur ajoutée, c’est une vraie valeur ajoutée, ce n’est pas seulement le titre, 83
c’est une vraie valeur ajoutée à notre profession. Et puis ça permet la libre circulation des 84
infirmiers au même titre que les autres. Bon voilà, ça ouvre des portes. Pour moi c’est la 85
qualité, c’est la profession qui s’approprie ses soins, qui s’approprie la recherche de ses soins 86
et qui ne laisse plus aux autres et en particulier aux médecins le privilège de travailler sur les 87
soins… ça nous appartient, ça nous permet de s’approprier ça, j’en suis persuadé… ça nous 88
permet d’améliorer les choses nous-mêmes sans avoir besoin de quelqu’un d’autre pour le 89
faire, de se prendre en main, de commencer à écrire, vraiment de montrer que l’on est là, que 90
l’on se prend en charge et que l’on essaie de concevoir nous-mêmes nos propres soins en 91
fonction de nos propres connaissances et pas de celles des autres. Ne pas se servir des 92
connaissances produites par les autres. Il y a que l’université qui, structurellement, va pouvoir 93
donner les moyens pour que la recherche avance en soins infirmiers. 94
En poursuivant cette réflexion, quelle est selon vous l’utilité des sciences humaines dans 95
le soin infirmier ? 96
Les sciences humaines c’est primordial, ça fait partie intégrante des soins infirmiers, c’est 97
indissociable, les sciences humaines c’est avec tout le reste. L’utilité des sciences humaines 98
c’est de comprendre pourquoi on fait les choses, dans quel but pour la personne, pour les 99
5
patients, pour les familles, ça donne un sens au soin, au contexte psychologique du soin… 100
Voilà, sans les sciences humaines… on le voit grâce aux sciences humaines les étudiants ils 101
apprennent beaucoup de choses sur la personne. 102
C’est l’idée, pour reprendre votre pensée, que les sciences humaines permettraient de 103
donner du sens à ce que l’on fait ? 104
Oui, et de comprendre ce que l’on fait, dans quel but… heu, oui… pour la personne, voilà. Je 105
ne sais pas si je m’explique suffisamment bien, mais c’est vrai que c’est ce que je pense. Ma 106
façon de voir les sciences humaines… quoi. 107
Dans le souvenir d’une pratique soignante est ce qu’il y a un moment, ou un soin 108
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 109
humaines ? 110
Je peux difficilement vous parler de ça, parce que moi, je n’ai pas eu d’enseignement en 111
sciences humaines. J’ai travaillé sans ça, je veux dire sans cet apport là. 112
Alors on va renverser la question, dans le souvenir d’une pratique particulière, est ce 113
que vous avez le souvenir d’un moment où des connaissances en sciences humaines vous 114
ont manquées ? 115
Oui… parce-que après, c’est vrai que… l’approfondissement de la personne… 116
l’approfondissement… oui de la connaissance de la personne je l’avais pas. Donc j’ai du 117
apprendre. Je pense que cela peut-être aidant d’avoir ses apports là dès le départ… tu tâtonnes 118
moins. Après tu te fais toi même ta propre expérience, moi j’ai lu et voilà… je me suis fais 119
mon apport livresque quoi, mais ça n’a rien à voir, pour moi ça n’a rien à voir. Je m’y suis 120
mise sans les apports du départ, mais cela aurait été plus efficace d’emblée si je les avais eus, 121
cela m’aurait aidé dans le soin, dans l’approche du soin et de la personne. Parce-que des fois 122
on le fait, mais on le fait avec l’instinct… enfin je ne sais pas si c’est l’instinct, mais on le fait 123
comme ça sans base derrière, sans connaissances aidantes quoi. 124
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 125
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 126
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 127
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 128
Moi ce qui me plait bien c’est les sciences infirmières, il y a plusieurs sciences. C’est ce qui 129
me parle le mieux. 130
6
Entretien préalable N°2 1
Age : 52 ans 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1977 4
Diplôme cadre de santé : 1997. Licence A.E.S (Administration, Economie et Social), mention 5
Ressources Humaines 6
Cadre soignant : 1997-2000 7
Cadre formateur : 2000 à ce jour 8
Expérience professionnelle : infirmière dans des services de soins généraux en néonat, 9
dialyse, le secteur libéral, directeur maison de retraite, cancérologie, chirurgie thoracique, 10
chirurgie vasculaire. 11
Expérience professionnelle : Cadre de santé en cancérologie 12
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13
infirmier ? 14
Alors, le soin infirmier pour moi est une rencontre qui est conditionnée à la fois par le 15
soignant et la prescription médicale, qui est le démarrage du soin, quoi que lorsqu’il s’agit de 16
nursing ce n’est pas conditionné obligatoirement par une prescription médicale. Le soin est 17
également conditionné par le patient, chacun va mettre quelque chose dans ce soin qui pour 18
moi est de l’ordre de la rencontre. Le soin, par ailleurs peut être une technique, il se fait avec 19
les connaissances du professionnel, les connaissances que le patient a de sa maladie, des 20
questions qu’il va poser et puis… silence… Le soin pour moi, c’est un instant unique, c’est un 21
instant que l’on ne peut pas reproduire. C’est vraiment un acte créatif, individuel, voilà… 22
pour moi c’est ça le soin infirmier. Si on devait le définir dans ses dimensions, bien sur il est 23
encadré ce soin par la législation, par les bonnes pratiques, c’est certain qu’il est encadré par 24
tout ça mais il est chaque fois une création. Une création, parce qu’au moment où il est réalisé 25
il y a un patient avec son histoire, là où il en est de sa maladie, ses attentes vis à vis du 26
soignant, les questions qu’il se pose et puis il y a un professionnel et son regard clinique sur 27
ce patient, qui va observer les réactions du patient. Ce n’est pas simplement se contenter de 28
dispenser un acte. Avant on faisait beaucoup d’injections intra-musculaires, lorsque j’étais 29
infirmière libérale je faisais parfois cinquante injections dans la même journée, c’est vrai 30
qu’aller faire un antibiotique à un patient couché sur son lit, la plupart du temps il n’y a pas 31
vraiment de moment de rencontre, le patient est content d’avoir son antibiotique et puis il dort 32
à nouveau, et puis voilà. S’il n’a pas de réels problèmes autres que sa pathologie, il n’y a pas 33
7
de réelle rencontre. On peut donner un conseil mais je n’appelle pas ça une rencontre. Par 34
contre pour avoir travaillé en soins palliatifs, pour avoir travaillé en cancérologie, sûrement lié 35
à la gravité de la maladie, à des instants de vie assez forts où les patients se posent beaucoup 36
de questions, et là il y a des attentes et le regard du professionnel va peut-être, même quand le 37
patient ne le formalise pas, observer et essayer de déchiffrer ces pistes, ce que le patient lui 38
laisse voir. La plupart du temps, dans ces moments forts de vie se dégagent des choses à 39
confier à quelqu’un. Le soignant c’est un aidant à formaliser les peurs, les angoisses, qu’il ne 40
va pas résoudre, sûrement pas, mais qu’il va entendre, et qui va aider le patient à ce moment 41
là. La grande bataille c’est de soutenir que lorsqu’on fait un soin conditionné par une 42
prescription médicale, il se fait autre chose dans ce soin. Autre chose, mais on a beaucoup de 43
mal à le définir et il n’y a aucune science actuellement qui peut le définir. On va parler de la 44
pathologie, des symptômes, on va peut-être parler de la psychologie, de la pathologie mentale 45
mais en aucun cas on va parler de tout ce qui est autour du soin. Ce qui entoure ce soin et qui 46
n’est pas reconnu, sauf revendiqué par les infirmières. La plupart des médecins peuvent dire, 47
elle c’est une bonne infirmière, elle c’est une bonne exécutante. Moi j’ai connu beaucoup de 48
médecins qui me disaient, lorsque c’est une telle qui m’appelle je n’ai pas besoin de me 49
presser, parce qu’elle je sais que c’est une bonne infirmière. Mais ils ne seront pas dire 50
pourquoi elle est bonne, si ce n’est parce qu’elle aura évité une catastrophe parce qu’elle a 51
anticipé un patient qui s’aggravait, ou elle aura désamorcé un mécanisme, un patient qui 52
finalement avait caché ses intentions suicidaires en cancérologie lors de l’annonce de la 53
maladie. L’infirmière étant auprès du patient c’est rendu compte de certaines choses dans son 54
discours qui a pu alerter. Mais il n’y a pas de reconnaissance et lorsque l’on fait l’évaluation 55
de la charge de travail d’un infirmier, cela repose sur le nombre de perfusions, de pansements. 56
L’entretien infirmier en soins généraux comme il n’est pas positionné comme acte de soin, il 57
n’est pas reconnu. Tout cela fait que, un médecin ne sait pas pourquoi, il le pressent, mais 58
voilà, il est tranquille lorsque c’est une telle qui fait la garde… « Je peux dormir tranquille ». 59
Le médecin ne sait pas ce qu’est le travail d’une infirmière. Si les patients lui renvoient une 60
image gratifiante de son service, chez vous elles sont gentilles, on est bien pris en charge… le 61
médecin dira, dans mon service j’ai de bonnes infirmières, mais il ne sera pas dire sur quoi, il 62
ne connaît pas le travail d’une infirmière. 63
Selon vous, donc, c’est quoi une bonne infirmière ? 64
C’est celle qui réalise le soin infirmier comme je l’ai défini, c’est à dire pas simplement une 65
exécutante de prescriptions. Une infirmière qui sait voir les priorités certains jours, 66
8
désamorcer des mécanismes, qui va enclencher un entretien infirmier. Pour moi c’est cela une 67
bonne infirmière. Ce n’est pas simplement du psychologique mais aussi au niveau 68
physiologique. Quelqu’un qui, très vite, fait une évaluation clinique de l’aggravation de l’état 69
d’un patient sans qu’on avoir vraiment pour l’instant une évidence. On peut, par exemple, 70
s’apercevoir qu’un patient fait une hémorragie interne post opératoire, avant même qu’il est sa 71
tension qui chute. Pour moi une bonne infirmière c’est quelqu’un qui est attentif au discours 72
du patient et qui a une bonne observation clinique. Cette attention portée au discours du 73
patient va révéler des évènements dans la prise en charge de ce patient qui vont être 74
déterminants. 75
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 76
pour vous une science infirmière ? 77
La reconnaissance, la reconnaissance, justement de ce que personne arrive encore à 78
reconnaître, à identifier, enfin personne… en tout cas avec les personnes avec qui on travaille 79
le plus souvent, c'est-à-dire les médecins. On est soumis à la prescription pour faire des actes. 80
Alors, ils veulent bien nous déléguer des missions, reconnaître des expertises en clinique 81
avancée. Dans certains domaines on vient de créer un master en insuffisance rénale, en 82
diabéto ou en cancérologie. Ils nous reconnaissent certaines compétences mais c’est des 83
compétences qu’ils veulent bien nous accorder dans la mesure où l’on va reconduire des 84
prescriptions médicales, où l’on va demander des examens complémentaires dans le suivi des 85
patients présentant des maladies chroniques. C'est-à-dire des compétences qui viennent palier 86
le travail médical et en aucun cas des compétences propres au soin infirmier. Ils reconnaissent 87
une expertise dans un domaine, mais dans un domaine médical. On ne reconnaît pas cette 88
compétence propre que nous voulons, moi je la revendique en tout cas. Une compétence de ce 89
que fait l’infirmière et qui n’est pas matérialisée par un acte, un acte que l’on puisse voir. Si 90
on est présent dans le soin, si on est observateur par exemple on peut le mettre en évidence. 91
C’est là que la recherche en soins infirmiers va être intéressante, c’est qu’il va y avoir des 92
observations rigoureuses et je pense que là on pourra enfin être reconnu. 93
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 94
Elles sont indispensables, elles sont indispensables, puisque nous sommes dans la relation 95
avec le patient, si on n’a pas de pré-requis au niveau des sciences humaines… moi je suis allé 96
les chercher, j’ai été lire, j’ai fait des formations complémentaires… parce que justement on 97
ne les avait pas dans notre formation. Jai un vieux diplôme, 77, c’est ce qui m’a manqué. 98
9
Avec aussi l’enseignement des pathologies mentales, parce que l’hôpital général reçoit aussi 99
des patients, des patients… et moi pour avoir travaillé avec des sida et tout, il fallait que je 100
comprenne certains comportements, l’addiction pour moi c’est quelque chose que j’ai 101
découvert. Tout ça c’est vraiment des carences importantes qui se sont révélées dans ma 102
pratique professionnelle. Pourquoi avec tel patient je n’arrive pas. Pourquoi c’est toujours 103
avec le même qu’il y a le conflit. Si bien qu’il y a quelque chose de l’ordre des 104
représentations, moi je dis les étudiants ici ils ont une chance extraordinaire. Ils ne se rendent 105
pas compte dans l’immédiat. J’ai rencontré d’anciens étudiants qui maintenant me disent 106
quand vous nous disiez d’aller au cours… parfois on a fait le mauvais choix. C’est vrai que je 107
rencontre beaucoup d’anciens étudiants qui travaillent maintenant en cancérologie, ces 108
pathologies graves, chroniques, avec des diagnostics lourds, amènent à plus de relation et puis 109
on les voit sur le temps, c’est pas une moyenne d’hospitalisation de trois jours. Ils me disent 110
qu’ils ressortent leurs cours et ils qu’ils souhaiteraient revenir assister aujourd’hui à ces cours. 111
Je pense que c’est avec l’expérience que l’on peut se rendre compte de l’intérêt des sciences 112
humaines. C’est dans l’expérience du métier que l’on va se rendre compte de l’intérêt, parce 113
que ça va débloquer des situations et permettre de comprendre des comportements. 114
Comprendre son comportement, je crois que ça c’est le mieux que l’on puisse espérer, d’être 115
capable d’analyser sa pratique, pour moi ça me parait essentiel pour continuer dans ce métier. 116
Pour y trouver, non pas de la frustration mais de la valorisation. En plus, à l’époque où 117
j’exerçais comme infirmière, je pense que les sciences humaines présentaient moins 118
d’importance. Les gens étaient là pour guérir et pas pour parler, il y avait plus de retenue dans 119
l’expression, la mort était presque normale, enfin normale… je pense que l’on n’avait pas la 120
même vision de la mort, de la vieillesse que l’on a maintenant. Je pense que là, il y a une 121
évolution au niveau de la société, du rejet de la médecine toute puissante. On était plus 122
fataliste et peut être plus religieux, il y avait moins d’expression de cette souffrance 123
psychologique. Dans les services on s’est quand même toujours plein du manque de temps, 124
mais je pense qu’aujourd’hui c’est encore plus important. Il n’y a pas de temps de parole dans 125
les services, on échange des transmissions. Les transmissions, nous à l’époque elles duraient 126
une heure. Maintenant, c’est la moitié moins pour la même quantité de patients la plupart du 127
temps. Donc, on échange que des transmissions médicales, très peu de transmissions sur l’état 128
psychologique d’un patient. On échange peu comment chacun à vécu la relation avec le 129
patient et les difficultés. Il y a très peu d’endroits où il existe des groupes de parole. Dans les 130
services où ça pose problème, à mon avis ces groupes de parole font défaut. Pour l’avoir vécu 131
sans groupe de parole et avec groupe de parole, cela fait défaut. Dans le groupe de parole on 132
10
peut trouver des solutions, alors que lorsqu’on fait uniquement des transmissions médicales 133
on reste avec son paquet lourd que l’on ramène à la maison. Alors que là, en le posant, en 134
essayant d’abord de comprendre ce qui se passe dans la situation, en le posant autour d’une 135
table où chacun peut entendre et respecte, parce que c’est chacun son tour, on sait que l’on y 136
passe tous à un moment donné, et bien toutes ces difficultés de la prise en charge d’un 137
patient… c’est vrai, c’est peut-être spécifique à la cancérologie mais je pense pas, la médecine 138
est lourde, je pense qu’il y a une évolution de tout ça qui fait qu’il y a une grande souffrance. 139
Du coup les soignants ne restent pas, on a une grande mobilité, plus grande qu’à mon époque, 140
grande mobilité des soignants et une poursuite de l’inaccessible étoile. Ils poursuivent un 141
idéal parce qu’ils sont plein de frustrations. Ce que nous leur avons appris ou transmis, ils 142
n’arrivent pas à le trouver. On leur demande de travailler plus que ce qu’il ne faut, ils n’ont 143
pas le temps de se ressourcer. Et puis ce sont des pions, on a besoin d’un tel on le met là… ils 144
n’ont même pas le temps de transmettre. On le voit, l’encadrement des étudiants est difficile 145
dans les services. On voit bien que c’est parce que le personnel est très mobile, il bouge sans 146
arrêt. C’est difficile de faire de l’encadrement lorsque soit même on n’est pas bien assis dans 147
sa fonction. 148
Dans le souvenir d’une pratique soignante, pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 149
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 150
humaines ? 151
J’étais cadre à ce moment là, mais un matin je vois des chiffres avec des prénoms de l’équipe 152
du dimanche sur le tableau. Trois chiffres à la suite, sur le moment je me suis dit qu’est-ce qui 153
se passe. On me répond c’est un tiercé. De la façon que la personne me l’a dit, j’ai compris 154
que c’était quelque chose qui faisait honte, qui n’allait pas. J’ai quand même précisé, jouer 155
aux chevaux ce n’est pas grave, ce n’est pas une faute. Elle m’a dit, non ce n’est pas les 156
chevaux. On fait des paris gagnants sur les DC. C’était un service très lourd de cancérologie 157
avec un quart des patients en soins palliatif. On avait 365 DC par an, mais souvent le week-158
end. Donc, pour les équipes c’était lourd, on avait fait un gros travail avec le psychiatre, les 159
psychologues et le chef de service sur l’accompagnement en fin de vie et on pensait avoir 160
répondu, parce que le personnel déjà était formé. On pensait vraiment avoir porté une 161
qualité… pour moi quand j’ai entendu dire avoir fait des tiercés sur les DC futurs, je me suis 162
effondrée. Je me suis dit, j’ai rien compris, c’est catastrophique, je travaille avec des 163
infirmiers qui cachent bien leur jeu. J’ai fait une enquête, j’ai convoqué l’équipe et j’ai 164
compris que c’était un infirmier qui dysfonctionnait et qui avait emballé toute l’équipe. Ce 165
11
service me laissait la responsabilité pour recruter le personnel. Je pouvais donner un 166
avertissement ou même une mise à pied et la direction aurait suivi, la faute étant très grave. 167
J’ai discuté avec le psychiatre avec qui je travaillais et il m’a aidé à comprendre qu’il y avait 168
des mécanismes de défense qui pouvaient très bien se masquer sur une pratique déviante. 169
Dons j’ai compris cet infirmier, j’ai eu un entretien avec lui et donc je me suis rendu compte 170
qu’il avait des gros problèmes personnel. C’est comme cela que je me suis rendu compte 171
qu’un élément en difficulté pouvait entraîner dans sa suite une équipe. Dons nous avons 172
convenu pendant un certain temps qu’il ne ferait pas de soins palliatif. Alors que c’était un 173
excellent infirmier, il avait atteint ses limites, en concertation il n’y a pas eu de sanctions mais 174
il est allé faire autre chose. Il est revenu par la suite. Sans certaines connaissances, sans un 175
éclairage, je pense que cela aurait été la sanction disciplinaire brute. J’ai également un autre 176
exemple sur les cultures, dans notre région où on a beaucoup de gens de passage, de nomades, 177
des tziganes, des gitans. Une année cela a posé des problèmes, on a reçu une patiente en fin de 178
vie d’une tribu tzigane. On a vu l’envahissement de l’établissement d’abord sur le parking, 179
des roulotes de partout, on venait de tous les pays d’Europe, ils parlaient plusieurs langues, 180
mais aussi un envahissement des couloirs, de la chambre. Alors le personnel a commencé à 181
tout mettre sous clef, à dire que cela sentait mauvais, à dire qu’il y avait des risques de vol. Il 182
y a eu une paranoïa complète dans le service. Et c’est vrai que j’ai réalisé un travail sur la fin 183
de vie, les croyances du peuple gitan et donc j’avais convoqué le chef de clan dans mon 184
bureau et j’ai régulé avec lui. J’ai négocié avec lui le nombre de personnes dans la chambre. 185
J’ai régulé également le fait qu’il voulait faire venir un exorciste. Alors on a fait venir un 186
exorciste à la demande de la patiente, c’était un pasteur qui chassait le mal. Je pense que si je 187
n’avais pas étudié sur les cultures j’aurai réagi différemment. Il m’est déjà arrivé dans ma 188
pratique de mettre dehors des gitans, auparavant, et c’est cela qui m’avait posé problème. 189
J’avais vu dans leurs yeux beaucoup d’agressivité, beaucoup d’incompréhension, et je me 190
disais, qu’est-ce que j’ai fait de mal. Mais il faut aussi régler les problèmes de l’unité, penser 191
aux autres patients… ils font du bruit. Donc, tout cela m’a beaucoup éclairé et je pense que 192
cela fait partie des sciences humaines l’ethnologie. Je pense qu’avant de se lancer dans la 193
pratique soignante il est important de savoir que ce n’est pas la bonne conscience catholique 194
européenne qui détient la vérité. Je pense que c’est un bien parce que dans les familles ce 195
n’est pas toujours transmis comme cela. Souvent dans la famille, on transmet une vérité qui 196
est la culture familiale. Quand on est soignant cette vérité, elle peut-être remise en question. 197
12
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 198
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 199
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 200
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 201
Je revendique les sciences infirmières, ou une science infirmière je n’en sais rien, mais je 202
revendique la spécificité de notre métier qui doit être reconnu. Mais maintenant je ne m’étais 203
pas posé la question jusque là, mais je trouve que c’est une bonne question. Très difficile pour 204
moi encore, si on met sciences au pluriel on peut se dire que l’on fait appel aux sciences 205
pures, biologie, physique, chimie… oui peut-être et puis les sciences molles, anthropologie, 206
psychologie, sociologie… euh… et puis on y mettrait des soins infirmiers là dedans, des 207
pratiques, l’enseignement de technique. Maintenant ce savoir être, ce positionnement 208
professionnel, je ne sais pas exactement. Celui là, je pense qu’il est spécifique à l’infirmière et 209
que je ne sais pas… je ne vois pas où on peut le mettre dans toutes ces sciences là. Donc, est-210
ce qu’il en existe plusieurs des sciences infirmières, est-ce qu’il y en a une seule, ou est-ce 211
qu’elle est mélangée avec d’autres sciences. Je pense que c’est… je ne sais pas… désolé… je 212
n’y arrive pas. 213
13
ANNEXE 2
14
Grille d’entretien
(Entretiens Etudiant Infirmiers)
Age :
Sexe :
Année :
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin
infirmier ? Revenir à la pratique.
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour
vous une science infirmière ?
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences
humaines ?
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,
comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?
Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins
infirmiers au pluriel ?
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
15
Entretien étudiant N°1 : Mélanie 1
Age : 29 2
Sexe : F 3
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 4
infirmier ? 5
En dehors du fait qu’il faut avoir une expertise technique, le soin infirmier c’est avant tout la 6
présence, être à l’écoute… le soin infirmier c’est également un peu le don de soi. Chaque 7
patient renvoie également quelque chose de personnel. Le soin infirmier c’est aider sans en 8
attendre forcément quelque chose de la part du patient. Lorsqu’un patient manifeste de la 9
reconnaissance en nous disant que nous sommes gentils, que le soin est bien réalisé, que nous 10
sommes présentes… pour moi c’est une évidence dans le soin infirmier, il faut être humain 11
pour faire ce métier là. 12
Si vous deviez raconter à un ami ou à votre famille ce qu’est le soin infirmier, que leurs 13
diriez-vous ? 14
Soigner le patient ou, du moins, essayer de le soulager… pas de le guérir mais de le soulager. 15
Voilà… soulager sa souffrance et sa douleur. La souffrance est davantage à relier au 16
psychique quant à la douleur c’est physique. Il faut prendre en charge la personne… mais pas 17
seulement du côté somatique et pas seulement non plus du côté psychologique. C’est un 18
ensemble en fait. C’est prendre en globalité la personne qui est là, en un temps donné. Essayer 19
de lui apporter ce que l’on peut… au-delà des soins techniques, sans non plus être trop 20
intrusif. Voilà… garder une position professionnelle. Je pense quand même qu’il faut avoir 21
des qualités… être un peu sensible… pas sensible mais… je ne sais pas… être capable de 22
percevoir des choses. Ce n’est pas tout le monde qui peut faire ce métier… voilà. 23
Vous pouvez préciser en quoi tout le monde ne peut pas faire ce métier ? 24
Il faut être capable de recevoir la souffrance… enfin pas la recevoir directement mais… ce 25
n’est pas facile de voir quelqu’un qui souffre et qui est dans la douleur. Il y a des gens qui 26
refusent cela. On voit des patients qui avant l’annonce de la maladie sont bien entourés par la 27
famille et lorsque la maladie se déclare, il n’y a plus personne. Donc la maladie fait fuir. La 28
maladie renvoie aussi à la mort. Il y a beaucoup de personnes qui me disent qu’elles ne 29
pourraient faire ce métier… « Voir des personnes dans un lit, souffrir et tout je ne pourrai 30
pas ». Peut être qu’elles ne sont pas claires dans la vie aussi… et dans la vie il y a la mort, la 31
maladie, les faiblesses. Il faut avoir certaines dispositions pour faire ce métier. 32
De quelles natures peuvent être ces dispositions selon-vous ? 33
16
Essayer de ne pas rentrer dans le jugement… ne pas juger la personne. Il faut être neutre 34
même si ce n’est pas toujours évident. Etre empathique aussi. Pour moi, je le perçois comme 35
ça. Peut être j’oublie des choses… 36
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 37
pour vous une science infirmière ? 38
Une science infirmière… alors pour moi, il faut la science parce qu’il faut être au clair avec 39
les pathologies, mais les choses ne sont pas aussi claires que ça. Pour moi le terme science… 40
parce que la science est posée… c’est voilà… 1+1=2, bon ça on y revient pas… Pour moi le 41
terme science c’est tout ce qui est côté scientifique, passer une radio c’est scientifique, passer 42
un scanner c’est scientifique. Le soin infirmier ce n’est pas que ça. Cela rejoint mes réponses 43
de tout à l’heure. Le fait d’employer le terme science me dérange un peu, je ne dis pas que 44
tout est négatif… simplement le soin ce n’est pas que ça. On a à faire à un être humain à part 45
entière, c’est un individu unique avec son histoire. L’humain égale subjectivité, alors on ne 46
peut pas appliquer cela à une spécialité, une science. Bien sur qu’il faut avoir de la technique 47
pour faire un pansement, poser une perfusion… il faut une grille mais on ne peut pas savoir à 48
l’avance ce qu’il va se passer. Dans le mot science infirmière, ce que l’on pourrait 49
comprendre du côté positif c’est la revalorisation de la profession. 50
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 51
Les sciences humaines ça fait réfléchir le soin. A un moment donné il faut sortir de 52
l’automatisme et se poser la question… Pourquoi on fait ça ? Donc moi, pour ma part, je ne 53
suis pas allé en fac et je n’ai pas eu de connaissances… tout ce qui est philosophie et tout ça. 54
Donc, lorsque je suis arrivée dans cet institut je ne connaissais pas. Voilà… c’est pouvoir 55
penser le soin, pas faire les choses parce qu’elles se font comme ça. C’est aussi s’affirmer un 56
peu plus… 57
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 58
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 59
humaines ? 60
En première année, lors de mon tout premier stage en maison de retraite, il me fallait faire une 61
injection à une dame démente (maladie d’Alzheimer). C’est l’après midi… elle avait de la 62
visite, sa sœur était dans la chambre. Donc me voilà avec mon petit plateau, ma petite 63
injection et… cette dame, impossible de la réveiller. Au début, la personne qui était en visite 64
est restée dans la chambre. Sa présence ne me dérangeait pas pour faire mon soin… après 65
chacun voit… mais, j’étais mal à l’aise car devant elle je n’arrivais pas à réveiller la patiente. 66
Je me sentais mal également de repartir avec mon plateau car pour moi il était hors de 67
17
question de piquer quelqu’un qui dort. Et donc… me voilà reparti avec mon plateau parce que 68
je ne l’ai pas piqué, elle dormait, je ne suis pas arrivé à la réveiller. Enfin… cette personne 69
elle était bien malade parce que le lendemain elle ne s’est pas réveillé du tout. Moi je n’ai pas 70
vu les signes qu’elle était en fin de vie… en début de première année. Donc, moi avec mon 71
petit plateau, gentil petit soldat de l’infirmière qui va piquer, toute contente en plus de ma 72
première injection, me revoilà dans le poste infirmier. L’infirmière me demande pourquoi je 73
n’ai pas piqué la patiente et je lui réponds que je ne pique pas quelqu’un qui dort. Elle me dit 74
que c’est son traitement, qu’il faut faire l’injection. Me revoilà donc dans la chambre toute 75
seule avec mon plateau. J’ai demandé à la visite de sortir. J’ai secoué… enfin tenté de 76
réveiller la patiente en vain. J’ai fait mon injection. Sous la pression de l’infirmière j’ai fait 77
mon injection. En faisant le geste je n’étais pas au clair avec moi-même. Voilà… cela m’a 78
dérangée, je l’ai fait parce qu’il fallait le faire. Cela m’a profondément dérangée. Cela allait à 79
l’encontre de mes convictions personnelles. Oui, là… les sciences humaines m’ont aidée mais 80
je n’ai pas eu assez de caractère pour résister. 81
Comment vous ont-elles aidé les sciences humaines ? 82
Elles m’ont aidée dans le sens où je me suis questionnée. Je savais que pour moi ce n’était pas 83
possible de faire cette piqure là. S’il n’y avait pas eu les sciences humaines je ne me serai pas 84
posé la question, j’aurai obéi à l’infirmière, j’aurai fait ma piqure, j’aurai été contente et puis 85
voilà. 86
Pour vous, c’est les sciences humaines qui ont permis ce questionnement ? Ce n’est pas 87
vous tout simplement ? 88
Cela à été dit par des auteurs, des gens qui ont pensé cela… 89
Qui ont dit quoi ? 90
Et bien… la dignité humaine. A quel moment il ne faut pas dépasser les bornes. Et, l’infirmier 91
à quel moment il doit être respectueux. 92
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 93
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 94
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 95
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 96
Aucun… le mot science en lui-même me dérange. 97
18
Entretien étudiant N°2 : Chloé 1
Age : 29 2
Sexe : F 3
Année :3ième année de formation 4
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5
infirmier ? 6
Franchement, avant tout technique… pour moi c’est le cœur du métier la technique. C’est ce 7
qu’un psychologue ne peut faire, et ce qu’un médecin ne peut faire. C’est un intermédiaire 8
entre différents corps de métier au centre du soin. Le travail relationnel je ne l’envisage pas 9
comme celui que peut faire le psychologue ou le médecin. Je suis juste là pour écouter, 10
entendre, relever des éléments objectifs. Ce travail me permet de servir d’intermédiaire pour 11
orienter vers le psychologue, ou bien la personne que je pense compétente, pour répondre à 12
une demande ou soulager une souffrance. 13
Pouvez- vous préciser cette dimension technique du soin ? 14
Ce sont tous les soins…. un sondage vésical ne peut pas être fait par un psychologue. Pour 15
moi, ça, c’est le cœur du métier. C’est ce que les autres ne peuvent faire, ni le psychologue, ni 16
le médecin. La prise de sang, c’est moi qui vais la faire et je peux vous assurer que parfois le 17
médecin…. c’est un fiasco. C’est la gestion d’un matériel et la gestion d’un corps… non… ce 18
n'est pas comme ça que je veux le dire. Le corps de cette personne et le matériel… et 19
comment je fais pour le réaliser dans les règles de l’art, tout en me préservant moi et en 20
préservant le patient. Mais, c’est aussi certainement parce que je me positionne comme 21
quelqu’un qui va travailler en soins généraux, donc à partir de là j’évoque la technique avant 22
tout. 23
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 24
pour vous une science infirmière ? 25
C’est une théorie pratique au soin infirmier… non, une théorie spécifique au soin infirmier. 26
C’est une théorie qui doit être mise en pratique. De la même façon que la science médicale est 27
une théorie qui par l’expérience technique de laboratoire, par les statistiques, doit être 28
appliquée à la pratique. La science infirmière, c’est la même chose, mais elle prend sa source 29
dans plusieurs disciplines, elle pioche un peu partout. Elle pioche dans la médecine, dans la 30
psychologie, la philosophie… pour arriver à faire quelque chose de particulier en science 31
infirmière. 32
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 33
19
Avant tout réfléchir sur soi même. Qu’on le veuille ou pas les patients nous renvoie beaucoup 34
de choses… voilà ! De ce que l’on est, de notre histoire… le travail de réflexion en lui-même 35
mène à ça. Nous faire prendre conscience de notions que le commun des mortels ne va pas 36
aborder. C’est aussi casser toutes les évidences que l’on a dans la vie de tous les jours… 37
élever le niveau de réflexion au-delà du sens commun. Je pense que le professionnalisme 38
vient de là… au-delà de la technique. Etre professionnel c’est aussi du recul, c’est aussi se 39
dire que ce n'est pas le patient qui est ennuyeux, c’est le symptôme. C’est pouvoir faire la 40
différence, avoir ce recul nécessaire, ressentir les choses, garder ses émotions et ne pas 41
s’effondrer. Ressentir les choses mais sans juger le patient… voilà ! Rester intègre. Je suis là, 42
je ressens des émotions, il me renvoie des choses… mais je suis professionnelle et je n’ai pas 43
le droit de dire, « tu m’ennuies », comme si j’étais dehors. Je n’ai pas les mêmes attitudes en 44
3ième année que celles que j’avais en 1er année. Je ne suis plus surprise face à des situations qui 45
m’énervaient en première année… maintenant cela ne m’énerve plus. Le travail réflexif 46
autour des sciences humaines, mais également l’expérience m’ont permis de voir les choses 47
de manière différente. Ce qui m’a surpris une première fois je l’ai intégré… imprimé, et face à 48
une nouvelle expérience cela ne me surprend plus. J’ai réfléchi… je sais pourquoi certaines 49
choses m’ont embarrassées. Je m’en suis voulu de ne pas avoir répondu d’une certaine façon 50
et j’ai appris comment il faut répondre face à une deuxième expérience. On ne peut pas faire 51
certaines choses lorsque l’on est professionnel… je ne suis pas une femme mais je suis un 52
soignant en tenue de travail. Cette réflexion permet que, une deuxième fois les choses soient 53
plus claires. 54
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 55
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 56
humaines ? 57
Peut être que les sciences humaines m’ont manquées… le premier DC. Je me suis dit, on ne 58
fait pas ce métier pour rien. Les sciences humaines m’ont manquées… je pense. Après ce DC 59
là, j’ai réfléchi et je me suis dit, est-ce que c’est sain ce que j’ai fait ou est-ce que ce n’est pas 60
sain. Je n'ai pas d’éléments de réponse… je sais que ce n’est pas tout à fait sain… mais pas 61
autant que ça. J’ai toujours attendu de vivre le premier DC en service. C’était une dame assez 62
âgée, très malade… elle était ma patiente depuis trois semaines… on avait compris qu’elle 63
était en train de partir. Donc, je suis rentré dans la chambre, elle était vivante, mais atone, 64
aréactive. Elle avait toujours un pouls radial, elle était vivante, mais je ne sais pas pourquoi… 65
je sentais qu’il allait se passer quelque chose, comme du feeling. Je ne sais pas pourquoi, mais 66
20
je le sentais. J’ai refermé la porte et je suis resté seule avec elle… alors que normalement… la 67
peur de la mort… qui est là… j’ai toujours laissé la porte ouverte. Je sentais qu’il allait se 68
passer quelque chose… il n’y a rien d’objectif. Donc, je lui ai pris la main, j’avais mes doigts 69
sur l’artère… et ça partait… ça devenait filant… ça partait petit à petit… j’ai compris qu’elle 70
était en train de mourir. Et je suis resté là, la porte fermée, et vraiment solide. Bien sur elle est 71
partie, j’ai fermé ses yeux… ce que l’on fait immédiatement. Les infirmières m’ont dit ; tu 72
n’es pas obligé de rester. J’ai répondu ; je reste. La toilette, prévenir la famille… non je veux 73
y aller… Ce DC là… j’avais besoin de le vivre et d’être là ! Après, lorsque j’ai réfléchi à ça… 74
je voyais bien que j’étais en train de répéter le scénario de la mort de mon père. J’ai utilisé la 75
mort de cette dame pour faire un bras de fer, pour affronter la mort… Oui, tu es là, avant tu 76
m’as demandé, mais là non, je suis là… Les sciences humaines m’ont manquées… je voulais 77
trouver du sens… pourquoi j’étais là… C’est de la répétition, est-ce que c’est ça, est-ce que 78
j’ai dépassé ça. Les filles m’ont demandé ; c’est ton premier DC ? Tu sais, tu peux pleurer, tu 79
peux. Et j’étais là, de plomb. Tu ne peux pas t’effondrer mais tu peux pleurer. Si tu as quelque 80
chose, crache-le. Voilà… ça c’est une situation où on peut dire qu’il y a bien quelque chose 81
de l’ordre de la réparation. J’aurai aimé avoir eu cette réflexion avant. Si depuis la première 82
année je cherche un DC… Avec l’apport des sciences humaines j’aurai pu éviter d’utiliser ce 83
moment, ce besoin de faire un bras de fer. J’ai été frustré… je n’ai pas vu mon père deux 84
semaines avant sa mort… on ne m’a jamais dit qu’il allait mourir… voilà ! J’ai voulu répéter 85
cette situation à ma façon… je comprends maintenant que c’était de la répétition. Les sciences 86
humaines… elles devraient me dire à quel moment je suis dangereuse, à quel moment je suis 87
malsaine. Comment vous dire… je sais que je n’ai pas été dangereuse ! Pour moi, le 88
malsain… il y a des niveaux. Est-ce que c’est bien correct d’avoir utilisé cette dame et sa 89
famille parce que je voulais voir leurs yeux… pour quelque chose de personnel finalement! 90
Les sciences humaines devraient me donner des éléments de réponse pour me permettre de 91
choisir… moi, après. 92
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 93
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 94
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 95
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 96
Sciences infirmières au pluriel… non, une science. J’aime bien rester dans une vision assez 97
généraliste…, une science. 98
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Non 99
21
Entretien étudiant N° 3 : Sophie 1
Age : 39 2
Sexe : F 3
Année : 3ième année 4
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5
infirmier ? 6
Pour moi le soin infirmier… il y a deux versants. Il y a la maîtrise du geste technique qui est 7
importante. Même en psychiatrie, l’entretien nécessite une certaine maîtrise technique. 8
L’autre versant est la considération du patient. Pour moi ce n’est pas quelque chose que l’on 9
peut séparer de la notion de soin. C’est à dire un aspect humain. La maîtrise technique tout le 10
monde peut l’acquérir, c’est quand même pas… apprendre à faire un sondage, apprendre à 11
faire une injection, une pose de cathéter… ce n’est pas quelque chose d’insurmontable. Pour 12
être soignant il faut aussi, à minima, connaître la pathologie. Il faut pouvoir surveiller les 13
conséquences des actions que l’on met en place… la surveillance, les effets attendus, les 14
effets secondaires. En dehors de la maîtrise technique, il y a donc la considération du patient 15
dans le sens où l’on doit savoir pourquoi il est là. Pour moi la relation est primordiale, c’est 16
pour ça que je n’aime pas les stages en soins généraux parce que ce sont des services où la 17
charge de travail est telle que l’approche du patient est extrêmement limitée. Evidemment, on 18
ne perd pas de vue que l’on est là pour le soigner, pour lui apporter des soins prescrits, mais 19
le manque de temps pour rester auprès du patient pour moi est un gouffre. 20
Vous pouvez préciser ce que vous entendez par, « …rester auprès du patient » ? 21
La relation inter humaine… l’infirmier ce n’est pas une machine à dispenser des soins. Il y a 22
aussi toute l’approche… appréhender son patient, qui il est, comment il est. Cela peut nous 23
aider pour lui faire accepter un soin, cela peut nous aider à comprendre son attitude face aux 24
soins, donc nous éviter d’être dans le jugement hâtif. Donc pour moi c’est extrêmement 25
important. 26
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 27
pour vous une science infirmière ? 28
C’est quelque chose d’assez obscur pour moi. Une science infirmière en termes de formation ; 29
je ne vois pas. Pour moi, à la limite, une science infirmière c’est plutôt lié à une somme 30
d’expériences. Dans notre école, on a de gros apports en sciences humaines, mais ce n’est pas 31
pour ça qu’il y aura 120 diplômés qui prendront en compte les apports en sciences humaines 32
22
dans leurs pratiques quotidiennes. Pour moi, la science infirmière elle vient davantage d’une 33
pratique. La science infirmière c’est l’expérience… les expériences professionnelles. 34
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 35
D’une part, il y a des apports qui sont tellement complexes que je ne suis pas sure, moi même, 36
de les appréhender à leur justes valeurs. Mais par contre, leurs utilités… comment je peux 37
dire ça ? Par rapport à des choses qui peuvent nous paraître évidentes au départ… les sciences 38
humaines nous montrent que ce sont des choses qui ont déjà été travaillées, conceptualisées. 39
Donc, ça c’est bien… ce qui fait que, au lieu de considérer les choses comme évidentes on se 40
met à réfléchir dessus. Par rapport à notre pratique future, je pense que cela nous permet de 41
prendre du recul. Alors… peut-être pas au moment où il faudrait… mais à un moment ou à un 42
autre cet apport là nous permet de réfléchir notre positionnement, sur la façon que l’on a de 43
réagir. Cela nous amène à nous questionner sur nos pratiques… je trouve que c’est très 44
intéressant. Même si par nature, par mon caractère, je vais facilement me remettre en 45
question, ces apports là me permettent de le faire à juste titre. Cela permet d’éviter certains 46
écueils ; de forcément tout ramener à soi lorsque il y a quelque chose qui ne se passe pas bien 47
par exemple, ou au contraire de tout rejeter sur les autres. Je pense que c’est vraiment des 48
apports qui nous aident. 49
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 50
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 51
humaines ? 52
J’ai une situation… j’étais en stage dans un service de cardiologie d’une clinique privée ou 53
était hospitalisée une patiente plus jeune que les patientes habituellement hospitalisées dans ce 54
service. Elle était dans le service pour le changement d’une pile de son pacemaker. C’était une 55
femme âgée de 40 ans. Elle avait des problèmes cardiaques depuis l’âge de 20 ans. Après son 56
passage au bloc pour son changement de pile, pour une raison technique quelconque elle s’est 57
retrouvée avec deux cicatrices… deux plaies opératoires au lieu d’une. Cette femme se 58
plaignait d’avoir mal… voilà, elle disait qu’elle avait mal. En fait, la réaction de l’équipe, de 59
l’aide soignante à l’infirmière, a été : de toute façon elle est psy… avec pas mal de dédain 60
dans la voix. Y compris de la part d’une infirmière qui était diplômée depuis peu, 3 ou 4 ans 61
je crois. Elle est psy, elle est psy… voilà. Personne n’a jugé utile de prévenir le médecin que 62
cette patiente manifestait une douleur particulière. La seule thérapeutique mise en place était 63
du Doliprane, elle n’avait rien d’autre. Lorsque je suis allé la voir pour débarrasser son 64
plateau du repas de midi, je lui ai dit ; vous n’avez pas mangé votre viande ? Pourquoi… vous 65
n’avez plus faim ? Elle m’a répondu ; je n’arrive pas à la couper, j’ai trop mal. Je lui ai 66
23
demandé si elle avait réclamé un traitement pour sa douleur et elle m’a avoué que, au regard 67
de l’attitude des infirmières elle ne demanderait rien à personne. Moi… ce qui m’a interpellé 68
là… c’est que… les autres patients ils n’ont pas mal, si elle, elle a mal… c’est qu’elle est 69
folle. Personne n’a pris en compte qu’elle avait 20 ans de problèmes cardiaques derrière elle. 70
Je pense qu’effectivement cela affectait son moral et que, du coup, la douleur était 71
certainement ressentie… enfin, elle avait une sensibilité à la douleur par rapport à ça, à son 72
histoire. J’étais surprise que personne ne puisse s’en rendre compte dans l’équipe. Moi… je 73
ne suis pas intervenu en fait… je ne suis pas intervenu de part ma position de stagiaire. Si 74
j’avais été diplômé… j’aurai prévenu le médecin et j’aurai expliqué aux autres que ce n’est 75
pas parce qu’elle est la seule à se plaindre que cela relève du psy. Il y avait beaucoup de 76
choses qui auraient permis d’expliquer sa douleur… sur le versant médical ou sur le versant 77
histoire personnelle de la patiente. Cette femme là, elle a été laissé seule face à sa douleur. 78
En quoi les sciences humaines vous ont elles été utiles dans cette situation ? 79
Et bien les sciences humaines… elles m’ont… pour faire la part des choses. Je pense que sans 80
l’apport des sciences humaines, dans cette situation, j’aurais souscrit à l’avis général. 81
Effectivement, cette femme là était déprimée… et puis voilà. J’étais surprise que l’équipe sur 82
pace la catégorise psy sans davantage s’occuper de son problème. Je me suis questionné, 83
aussi, sur le fait que l’équipe ne prenne pas en compte cette douleur. Est-ce que ce n’est pas 84
une façon de se rassurer pour l’équipe ? Là, les apports des sciences humaines sont 85
indispensables. 86
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 87
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 88
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 89
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 90
Sciences infirmières au pluriel. Parce que… voilà… il y a le côté technique, le côté clinique, 91
le côté humain, l’échange, le rapport inter-humain…sciences molles peut être, mais sciences 92
quand même. 93
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 94
Accoler le terme science à la profession ce n’est pas quelque chose qui vient naturellement.95
24
Entretien étudiant N°4 : Thomas 1
Age : 27 2
Sexe : H 3
Année : 3ième année 4
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5
infirmier ? 6
Le soin infirmier… c’est compliqué. C’est le patient, une équipe, le milieu familial, mais 7
aussi la vie que l’on peut avoir en dehors de la structure, qui fait partie aussi du soin 8
infirmier…. on ne peut pas faire abstraction de tout. Le soin, c’est une technique également, 9
c’est savoir mettre des choses en pratique. Mais pas seulement… parce que le patient est là. 10
Pouvez-vous préciser ce « pas seulement » ? 11
Parce que justement il y a tout ce que l’on voit en sciences humaines, tout ce que l’on a vu 12
dans notre cursus. Toute la relation entre nous et le patient… les choses qui va nous renvoyer. 13
Je prends l’exemple d’une ponction veineuse… le geste en soi n’est pas forcément compliqué 14
mais il peut le devenir très vite parce que le patient a peur, parce qu’on ne peut pas arriver 15
comme ça… je vous pique… et on en parle plus. Non, il va falloir… ce n’est même pas qu’il 16
va falloir, c’est qu’il y a une discussion qui s’instaure. Le patient va parler de ses peurs 17
directement ou alors il va directement parler de ses enfants… enfin, et puis il faut jongler avec 18
tout ça… je ne sais pas, comme ça… c’est une question qui est vraiment difficile, enfin la 19
réponse est vraiment difficile. Je ne sais pas trop comment le verbaliser tout ça. C’est un petit 20
peu comme si la technique venait comme un réflexe, on pose l’acte technique mais sans 21
vraiment y penser… en étant plus dans la relation avec le patient que dans l’acte lui-même. 22
Cet acte est généralement répété plusieurs fois, donc… on le connait bien. A la limite on 23
arrive à faire abstraction de l’acte pour rentrer dans une relation avec le patient. 24
Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par relation ? 25
Justement… c’est là que cela devient difficile parce que pour moi la relation est quelque 26
chose qui regroupe énormément de paramètres. En fait, j’en reviens un petit peu à l’éducation, 27
à la manière dont on a été élevé… aux origines de ce que l’on est. C'est-à-dire comment on 28
entre en relation avec les gens… et donc, il y a vraiment beaucoup de paramètres qui sont, je 29
pense, insaisissables sur le moment. Après en réfléchissant… la relation… (rire). La relation 30
c’est connaître le patient. Qui est avec moi, qui je vais soigner… pour pouvoir le soigner. 31
Quoi que pas toujours… (rire)… un accidenté de la route en urgence on ne sait pas qui il est. 32
Après dans la relation… qu’est ce que je pourrai y mettre… tout ce que j’imagine de la 33
25
personne, par rapport à la présentation, l’image que je vais créer de la personne va me 34
permettre de faire comme si je la connaissais aussi. Pour les patients Alzheimer c’est pareil… 35
quelqu’un qui est plus ou moins vide… enfin, je ne sais pas… moi j’ai le sentiment d’avoir 36
besoin de connaître… oui, de connaître, d’avoir quelqu’un devant moi. C’est quelque chose 37
qui pour moi est primordial. 38
Pourquoi ? 39
Pourquoi… parce qu’il est très facile de tomber dans la mécanique et plus dans le soin 40
justement. A partir du moment où on soigne un corps… on fait de la mécanique. On n’est plus 41
dans cette dimension du soin. 42
C’est important pour vous ? 43
Oui… j’ai peur de tomber dans ce truc là… de glisser facilement dans de la mécanique et plus 44
du soin. Je pense que c’est pour ça. Je pense qu’il y a des notions d’éducation et tout ça… ma 45
mère est infirmière… donc, elle me parlait souvent de son boulot aussi. C’est vrai qu’elle 46
attache une grande importance à tout ça… une grande importance au contact humain, aux 47
échanges qu’il peut y avoir, à la richesse que peut apporter le patient. Cette richesse là, ces 48
expériences de la vie… c’est quelque chose. Je ne sais plus trop où j’en suis (rire). Je le vois 49
un petit peu comme la paye que l’on n’aurait pas… C'est-à-dire, l’échange humain, 50
l’importance que j’accorde à ce que peut apporter le patient c’est un peu la contre partie de la 51
rémunération… cela vient compenser ce dont on se plaint, ce manque dans la rémunération… 52
voilà ! Même une relation qui ne se passe pas forcément bien reste une expérience qui est 53
vivante. Le soin, quelque part, serait une façon de se rapprocher de la vie… alors c’est un 54
petit peu… c’est pas du voyeurisme… mais je dirais un peu… un petit peu comme prendre de 55
la vie de chacun des patients que l’on a… des choses que nous, on n’a pas vécues, que le 56
patient nous rapporte, aussi bien de sa vie passée que de la manière dont il vit la maladie… 57
comme une expérience que nous on a pas vécue. C’est égoïste comme démarche… 58
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 59
pour vous une science infirmière ? 60
Alors là… actuellement, une science de toutes les autres disciplines ; sciences humaines, 61
médecine, psychologie, législation, soins infirmiers. Je le vois comme un échantillon de tout 62
ça et l’on doit faire avec pour travailler. Cela me renvoie même à la définition de l’infirmier. 63
Mais je ne suis pas convaincu par ce truc là. Parce qu’au final, l’identité que l’on pourrait 64
dégager de ça, c’est davantage une identité morcelée qu’une identité de corps infirmier… 65
d’infirmier à part entière. On à l’impression d’être un peu le bouche trou. Je fonde mon 66
identité sur l’identité du médecin, du psychologue, du pharmacien, etc… Au final qu’est ce 67
26
que c’est que l’infirmier ? L’infirmier c’est un peu de chacun. J’ai l’impression d’un 68
rafistolage… tout ces éléments que l’on met ensemble et au final il n’y a plus d’identité 69
infirmière. En tout cas c’est le sentiment que j’ai dans la formation. 70
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 71
Je pense que cela permet de mettre entre parenthèses les principes, les certitudes, que l’on 72
considère comme posés, parce qu’on les a appris de nos parents… tout le contexte de 73
l’éducation. Cela permet de pouvoir appréhender les situations de manière différente et de les 74
voir autrement. Cela permet d’accéder au soin, à la relation. Pour prendre un exemple… un 75
patient avec lequel cela ne passe pas… sans les sciences humaines cela ne passerait toujours 76
pas. Les sciences humaines permettent de dire que le patient réagit de cette façon là parce que 77
telle culture, parce que tel phénomène dans sa vie, parce que telle façon de voir les choses… 78
Cela permet d’expliquer, ou du moins, de se dire que l’on n’est pas forcément dans le vrai et 79
que le jugement… on peut se tromper. Cela permet de développer certaines attitudes par 80
rapport… cela permet la réflexion. 81
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 82
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 83
humaines ? 84
A l’hôpital… une grand-mère d’origine magrébine… cette dame va aux toilettes et je lui 85
demande comment sont vos selles aujourd’hui ? Elle ne comprenait pas trop… finalement 86
j’arrive à faire passer le message, elle retourne au toilettes et puis elle se penche au dessus de 87
la cuvette et elle attrape la selle avec ses mains. Elle palpe la selle pour apprécier si celle-ci 88
est dure ou pas. C’est vrai que là… sans les sciences humaines j’aurais probablement dit, 89
lâchez ça, c’est sale… voilà ! Au lieu de se laver les mains par la suite dans le lavabo, elle se 90
lave les mains dans le WC. Là où je pense que les sciences humaines sont intervenues pour 91
moi à ce moment là… il y a peut être une culture ou alors une hiérarchie dans la famille… 92
l’homme avait probablement accès au lavabo et la femme était restreinte à se laver les mains 93
dans le WC. Je sais pas trop… en fait je n’avais pas l’explication mais je savais que… ce 94
n’était pas forcément évident pour tout le monde de se laver les mains dans un lavabo. Il n’y 95
avait pas de pathologie mentale chez cette patiente. C’était une dame qui avait toute sa tête. 96
Là, je pense que oui… ça m’a servi les sciences humaines, cela m’a permis de prendre les 97
choses avec calme, distance. 98
Est-ce que vous avez demandé la raison de ce geste à cette dame ? 99
Non… je ne sais pas… peut être que je n’avais pas envie de savoir tout simplement… parce 100
qu’il y a une gêne… j’étais gêné. 101
27
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 102
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 103
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 104
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 105
Tout au singulier, je souhaiterai que l’on s’oriente vers quelque chose d’unifié… pour 106
l’identité. Cela renvoie à ce que je vous disais tout à l’heure. 107
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 108
Non, je pense que j’ai dit tout ce que j’avais à dire. 109
28
Entretien étudiant N°5 : Paul 1
Age : 38 2
Sexe : H 3
Année : 2 ième 4
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 5
infirmier ? 6
Si on fait référence à tous les cours, tous les intervenants, qui essaient de mettre un peu en 7
évidence comment on caractérise… comment on considère le soin et la pratique soignante, 8
c’est sur que l’on peut rentrer dans un débat de plusieurs heures. Pour moi… c’est vrai que je 9
ne me suis pas interrogé sur mon rôle et comment je le perçois. Enfin… pour moi, c’est 10
davantage l’aspect relationnel. On peut polémiquer beaucoup sur cette notion de relation… le 11
soin passe d’abord par ce contact avec la personne. En dehors de toutes les théories sur cette 12
notion de la relation… cela reste un des piliers de la pratique soignante ; être en contact avec 13
l’autre, que ce soit avec les autres soignants ou avec les gens qui sont en demande de soins. 14
Cela passe par ce contact, et au travers de ce contact les liens que l’on va construire avec le 15
patient. Il va se construire quelque chose à partir de là. La relation c’est le pilier de la pratique 16
soignante, c’est entrer en contact avec les gens et puis à partir de là élaborer des soins, la prise 17
en charge et tout ce qui va avec. La relation c’est ce qui permet de construire tout ce qui va 18
autour de la prise en charge soignante et puis de la fonction soignante 19
Lorsque vous dites, « tout ce qui va autour », vous pensez à quoi en particulier ? 20
Tout ce qui va autour… c’est prendre connaissance de la pathologie, c’est les manifestations 21
cliniques, tous les soins que l’on doit mettre en œuvre. Le cœur de la pratique soignante et du 22
soin infirmier c’est la relation. 23
Pouvez-vous me préciser ce que contient ce terme de « relation » pour vous ? 24
Cette relation elle est basée sur beaucoup de choses… sur l’écoute, sur le respect, sur la 25
connaissance de l’un et de l’autre, sur l’appréhension de ce que ressentent l’un et l’autre, sur 26
la confiance. C’est à dire tous les éléments qui vont composer la relation. Puis, sur le fait que 27
l’on arrive à comprendre ce que le patient attend et ce que nous on attend de lui. 28
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 29
pour vous une science infirmière ? 30
Une science infirmière… ? Je ne suis pas sur que l’on puisse parler de science infirmière. Je 31
ne suis pas sur que l’on puisse parler de science dans la mesure où cette fameuse relation elle 32
est parfaitement singulière. Dans la mesure où elle est singulière elle ne peut pas se 33
29
reproduire, si elle ne peut pas se reproduire on ne peut pas parler de science. Voilà, tout 34
simplement… parce que la science elle est basée sur des faits d’observations qui se 35
reproduisent sur lesquels on peut établir des lois. Des lois, qui vont pouvoir justifier ce qui a 36
été précédemment observé. A partir de là, on ne peut pas dire qu’il y est une science 37
infirmière. Je ne suis pas sur que l’on puisse parler d’une science, pas sur que l’on puisse 38
« scientifiser » le soin. 39
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 40
Très grande utilité, pour reprendre cette utilité… cela nous apporte à la fois des connaissances 41
mais, justement, ces connaissances nous font dire que l’on ne connaît rien. On ne peut pas 42
savoir ce qui va se passer, c’est à la fois des connaissances pour s’appuyer dessus mais, ce sur 43
quoi on s’appuie, nous permet de dire que l’on ne sait pas ce qui va se passer à l’instant 44
présent. Cela nous rassure et cela nous déstabilise en même temps. Rien ne peut nous dire que 45
l’on doit se comporter comme-ci ou comme-ça. C’est à la fois rassurant et bouleversant. 46
Rassurant, dans le sens où ce sont des acquisitions théoriques qui permettent d’appréhender… 47
ou plutôt d’éviter de se casser la figure. Je vais utiliser une expression que j’aimais bien 48
lorsque je professais en sport… les sciences humaines nous permettent de nous mettre dans 49
une position où on ne sait pas ce que l’on va être capable de faire mais on sait ce que l’on ne 50
doit pas faire. 51
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 52
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 53
humaines ? 54
Je ne sais pas si je vais pouvoir prendre l’exemple d’une situation ou d’un soin précis. Peut-55
être, plus particulièrement en psychiatrie ou là, on a besoin d’un référentiel pour comprendre 56
ce qui se passe, pour comprendre ce que l’on ressent… pour mieux se placer… à la fois pour 57
mieux comprendre et mieux se placer. Pour reprendre finalement ce que je viens de vous dire, 58
effectivement ces connaissances nous permettent d’éviter de faire des erreurs. Je n’ai pas 59
d’exemples très précis… mais, oui… je me suis retrouvé plusieurs fois dans des situations 60
d’échec, dans des situations où je n’avais pas cette maîtrise. Sans ces acquisitions, on peut se 61
planter, on peut se casser la figure et être vraiment en dehors d’une véritable prise en charge. 62
Les sciences humaines permettent d’être dans une position adaptée face à un cas précis. Avec 63
un enfant par exemple, il est nécessaire d’avoir des repères sur le développement, si on n'a pas 64
ces repères on peut se tromper et puis se dévier dans une prise en charge. 65
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 66
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 67
30
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 68
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 69
C’est un QCM ou quoi ? Il y a une autre case où l’on peut dire autre chose ? Je ne sais pas… 70
je suis un peu bloqué sur le terme science… 71
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 72
On peut dire beaucoup de choses sur le soin infirmier… et puis on est tous un peu soignant 73
quelque part, à partir du moment où on est à l’écoute. 74
31
ANNEXE 3
32
Grille d’entretien (Entretiens infirmiers)
Age :
Sexe :
Diplôme d’Etat :
Diplôme Universitaire :
Expériences professionnelles :
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin
infirmier ? Revenir à sa pratique.
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour
vous une science infirmière ?
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences
humaines ?
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,
comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?
Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins
infirmiers au pluriel ?
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
33
Entretien infirmier N°1 : Claire 1
Age : 39 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1992 4
Expérience professionnelle : Pool, gastro-entérologie et service de cardiologie depuis 8 ans. 5
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 6
infirmier ? 7
Alors… le rôle infirmier pour moi. Je pense que le rôle infirmier c’est d’abord le rôle propre. 8
Le rôle propre c’est quelque chose d’essentiel. Il faut que l’on soit des techniciennes 9
organisées, ça c’est sur… c’est très important d’être organisé… mais le coté rôle propre et 10
relationnel fait partie intégrante du soin infirmier. Il faut que l’on soit capable… la théorie, la 11
pratique, mais aussi le relationnel avec le patient et la famille. Il faut oublier personne. C’est 12
vrai que c’est très large. 13
Définissez-vous essentiellement le soin infirmier autour du rôle propre ? 14
Oui… sachant que bien sur je n’exclue absolument pas tout ce qui est théorie et technicité 15
parce-que c’est ce qui nous différencie des aides soignants et des autres professions 16
paramédicales. La différence entre une bonne et une moins bonne infirmière c’est le 17
relationnel et l’application que l’on met dans le rôle propre. 18
Pourriez-vous me dire ce que vous attribuez au rôle propre infirmier ? 19
Déjà… c’est voir la personne dans sa globalité, ce qui va, ce qui ne va pas, ce qui est difficile 20
pour lui et ce qui ne l’est pas. Pour chaque patient cela peut être complètement différent. Pour 21
un patient, cela peut être le fait de ne pas dormir car il présente une valvulopathie majeure qui 22
est la priorité absolue auprès des médecins. Mais lui, ce qui le gène c’est le fait d’être 23
essoufflé et de ne pas dormir la nuit. Donc il faut mettre l’accent là-dessus et bien faire la part 24
des choses entre le besoin du malade et le besoin recherché ou de l’effet recherché par le 25
médecin. Il existe des choses très simples qui ne sont pas prescrites. 26
Dans ce que vous définissez comme étant finalement le soin infirmier vous donnez des 27
indications par rapport au rôle propre, c’est ce qui est selon vous important. Qu’est-ce qui 28
définie encore le soin infirmier ? 29
Après… c’est notre pluridisciplinarité. On doit passer au rôle prescrit avec tout ce qui est 30
théorique et pratique… et médical. Mais aussi nos responsabilités, suite à nos décrets, qui 31
prouvent notre pratique professionnelle. Mais également dans les services tout ce qui est 32
encadrement, formation… formation des élèves aussi… ça aussi nous y sommes en plein 33
34
dedans. Tout ce qui est enseignement et encadrement dépend du rôle propre aussi. Les 34
médecins on ne va pas leur parler de tout ce qui est encadrement d’élèves, ils s’en fichent. 35
Si je suis bien votre idée, vous évoquez la théorie dans le rôle prescrit et moins dans le 36
rôle propre ? 37
Il y a quand même de la théorie… mais à force c’est tellement spontané. Après cela devient 38
tellement un acquis que cela vient tout seul. La théorie forcément… car quand on n’y connait 39
rien… on ne peut pas être à l’aise dans le rôle propre si on n’a pas un peu des notions… oui. 40
La théorie cela permet d’être plus à l’aise dans son rôle propre car on connait la pathologie, 41
on connait la suite des choses et on sait vers quoi on voudrait aller avec le patient… Le patient 42
pour le faire sortir… sortir d’un état dégradé ou très mal pour l’améliorer. 43
Pour résumer, dans votre réponse à la question sur la conception du soin infirmier, il y 44
aurait selon vous une dimension qui serait celle du rôle propre ainsi qu’une dimension 45
prescrite du soin, vous définissez le soin infirmier ainsi ? 46
C’est un ensemble… oui… c’est un complément des deux. Parce que je trouve qu’à l’heure 47
actuelle on prend beaucoup trop les élèves infirmiers en tant que prescripteurs… comment 48
dire… ils doivent reconnaître une pathologie et analyser une pathologie mais ils sont très loin 49
au niveau du relationnel avec les patients. Il y a un gros écart… et ils n’arrivent pas à 50
s’immiscer comme ça dans l’intimité des gens. Il y a toujours un gros écart ce qui fait qu’ils 51
sont toujours en recul et ils vous posent des questions… mais toutes simples sur la vie de tous 52
les jours. Je lui dis… mais tu l’as regardé ton patient ? Ils ont complètement effleuré parce 53
qu’ils ne veulent pas mettre un bassin… parce que voilà… Là, on a deux jeunes D.E. 54
(Diplômé d’Etat)… quand on dit que l’on fait les toilettes et bien cela ne se passe pas bien 55
avec les aides soignantes. Parce qu’elles ne répondent pas forcément au bassin, à un pistolet 56
plein. Elles sont dans la chambre et elles appelleront l’aide soignante en disant tu peux aller 57
vider le pistolet. Et bien, ça ne passe pas dans l’équipe. Et il n’y a pas de honte à ça, c’est 58
notre rôle aussi. 59
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 60
pour vous une science infirmière ? 61
Pour moi, c’est quelque chose que je ne concrétise absolument pas… c’est très difficile de le 62
percevoir. Plus on y va, moins il y a de pratique et d’enseignement sur la pratique et je trouve 63
que c’est là où ça pêche. C’est peut être une science, mais on a besoin d’une pratique très 64
importante et souvent je trouve que cela pêche à ce niveau là. De plus en plus on s’éloigne de 65
la pratique… quand vous voyez qu’il n’y aura bientôt plus de MSP (mise en situation 66
professionnelle). Selon les endroits, les élèves n’ont pas la chance d’être encadrés. Selon les 67
35
endroits, vous avez des filles qui s’en fichent des élèves… qui le leur balancent dans la 68
figure. Il y a des étudiantes qui arrivent en troisième année et qui sont passées à l’as… qui à 69
chaque fois sont arrivées à contourner et qui en technique sont nulles. Et ça… ça c’est 70
important. Donc, la science infirmière peut être un enseignement basé sur les pathologies, sur 71
les connaissances théoriques des pathologies, sur l’hygiène parce que c’est primordial, mais 72
où est-ce qu’ils vont mettre la grande partie qui est le relationnel et la pratique ? Et ça 73
comment faire ? Parce que ce n’est pas à la fac qu’on va l’apprendre. 74
L’idée d’une science infirmière, selon vous, présenterait le risque de s’éloigner de 75
l’enseignement de la pratique ? 76
On ressent de plus en plus… franchement… on ressent de plus en plus que l’on se retrouve 77
avec des élèves qui font l’école d’infirmière avec ce concours, parce qu’ils ont des capacités, 78
qu’ils ont loupé les autres concours, et qu’ils font cela en se disant qu’il y a des débouchés et 79
qu’ils sont sur de trouver un boulot. Ce sont des jeunes qui ne sont absolument pas impliqués 80
et qui avec un malade par terre à 13h, vous disent, c’est mon heure… je dois partir. 81
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 82
Oui… cela rentre dans l’intimité et le relationnel avec le patient. Le côté psychologique cela 83
peut vous aider énormément. Mais un élève qui n’est pas à l’aise dans ses connaissances cela 84
ne l’aidera pas. Il n’arrivera pas à l’adapter, ils ont du mal. Lorsqu’il y a quelque chose de 85
difficile, ils fuient… c’est rare ceux qui restent. La fuite c’est plus facile que l’affrontement, 86
la peur on l’évite. Mais c’est vrai que moi… je peux dire que ça me sert. Nous avons la 87
chance dans l’hôpital d’avoir beaucoup de formations, tout ce qui est gestion du stress, le 88
toucher, les choses comme ça, on parle beaucoup de tout ce qui est formation parallèle, 89
beaucoup de psycho, de socio, de relation avec les autres. 90
Lorsque vous dites que cela vous sert ; cela vous sert à quoi dans le soin ? 91
Peut être à avoir une approche avec les patients… personnalisée. Ce ne sont pas tous un 92
infarctus, ce ne sont pas tous une insuffisance cardiaque, ce ne sont pas tous une endocardite. 93
Il y a un vécu derrière, c’est jamais le hasard, vous n’êtes jamais malade comme ça, au pif. 94
C’est peut être un peu idiot ce que je dis, mais c’est un ensemble de formations qui me font 95
penser à cela. Ce n’est pas à n’importe quel moment que vous faites un infarctus ou pas. 96
Pourquoi à tel moment ? Si vous piochez un peu… vous avez la réponse. 97
Les sciences humaines vous apporterez donc cette réponse ? 98
Oui, grâce à des formations… mais aussi parce que moi j’y suis plus sensible, parce que ça 99
m’intéresse. J’ai un patient qui a fait de la réanimation pendant 3 semaines à Marseille dans 100
un coma artificiel, il m’a dit à son retour : « ma femme je l’aime encore plus qu’avant, je ne 101
36
sais pas, elle me manque, elle me manque, j’étouffe, elle me manque. » J’en ai parlé 102
longtemps avec lui et puis d’un coup j’ai réagit et je lui ai demandé : « mais elle venait vous 103
voir ? » Il m’a répondu : « Tous les jours, et tous les jours elle me disait qu’elle m’aimait, que 104
je lui manquais, qu’il fallait que je revienne. » Je lui ai répondu : « Ben… vous voyez tout ça 105
vous l’avez emmagasinez, vous êtes plein de son amour et vous comprenez pas pourquoi. » 106
Cela lui a permis de comprendre les choses, il n’était plus angoissé et il n’a pas eu besoin 107
d’oxygène… voilà. La force ce n’est pas tout. Les nouveaux diplômés aujourd’hui ils arrivent 108
un peu trop en force. Toutes les sciences humaines, ils n’en voient pas l’importance parce que 109
déjà ils ne sont pas à l’aise avec tout ce qui est pathologie, technique et pratique. Pour eux 110
c’est du suggestif, ils ne voient pas comment l’appliquer parce que déjà ils ne voient pas 111
comment appliquer le reste. 112
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 113
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 114
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 115
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 116
Sciences en soins infirmiers au pluriel car cela regroupe beaucoup de choses. Cela regroupe la 117
théorie, la pratique… beaucoup ce qui est relationnel et qui est important pour nous. 118
37
Entretien infirmier N°2 : Alice 1
Age : 38 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 2004 4
Diplôme universitaire : D.U. de gérontologie 5
Expérience professionnelle : Gériatrie et long séjour (comme aide soignante avant 2004, puis 6
ensuite comme infirmière). 7
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 8
infirmier ? 9
Alors pour moi le soin infirmier… c’est dans un premier temps tout ce qui est relation, 10
instaurer la relation avec le patient, apprendre à le connaitre. Même si je suis dans la 11
technique et dans l’exécution du soin infirmier prescrit par le médecin, je tente de le faire 12
avec beaucoup d’humanité… je suis dans la relation. Je suis référent dans le service des 13
étudiantes infirmières et j’essaie de faire passer ce message. Même si on travaille de façon 14
rapide il faut essayer de mettre un peu de chaleur dans le soin. C'est-à-dire, toujours mettre 15
des mots sur ce que l’on va faire en essayant de savoir si cela va bien, si le patient a bien 16
dormi. Mais aussi travailler en équipe, avec les équipes aides soignantes, ce qui n’est pas 17
toujours évident car elles ont quand même un rôle ingrat. Voilà… je pense que cela résume 18
ma conception du soin infirmier ; le travail d’équipe, après… bien évidemment tout ce qui est 19
coté technique de l’acte infirmier et surtout, prendre les gens comme des gens et pas comme 20
des personnes âgées que l’on va mettre de coté. Par exemple, ce matin, il y avait une patiente 21
qui n’était pas très bien, elle avait mal au ventre. Le fait de dire… « Cela va aller, calmez 22
vous, essayez de souffler… » Le fait d’être là et de prendre sa douleur en compte, de lui dire... 23
« Vous avez mal, ok j’ai compris… » Enfin… le fait d’être là et pas simplement lui donner du 24
Spasfon. Pour moi le travail infirmier il se résume à être là, mais être là pour la personne et 25
pas simplement à donner des Spasfons et puis partir. Comme on est dans un service où il y a 26
beaucoup de travail infirmier, ça va vite… je trouve que les infirmières ne sont pas tout le 27
temps abordables. Lorsqu’on va par exemple dans les tours (services de médecine et 28
chirurgies) et que l’on va vers une infirmière… elle n’a pas le temps. Elle n’a pas le temps au 29
niveau des patients, elle n’a pas le temps au niveau des visites. Relation, communication, 30
disponibilité, travail d’équipe, faire passer les infos et travailler dans une harmonie, voilà 31
comment je perçois le soin infirmier… même si c’est dans l’idéal des choses. Voilà… et je 32
38
pense que j’ai choisi le long séjour pour ça, parce qu’ailleurs ce n’est pas toujours faisable. Et 33
puis, bien évidemment après, tout ce qui est exécution des soins infirmiers. 34
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 35
pour vous une science infirmière ? 36
Une science infirmière… c’est tout le savoir infirmier. C'est-à-dire des connaissances sur les 37
pathologies, sur les traitements. De faire les choses… enfin… qu’il y est des liens dans tout ce 38
que l’on fait. C’est vrai que cela peut nous arriver lorsqu’on donne un traitement, que l’on ne 39
sait pas trop… tout à l’heure cela m’est arrivé et bien j’ai téléphoné au médecin en lui disant ; 40
« là c’est bizarre, je ne comprends pas la prescription, deux grammes d’Aspégic… ». Voilà… 41
c’est quand il y a des choses qui nécessitent de faire les liens entre les connaissances et le 42
patient, que ce soit au niveau de la pathologie, de la biologie, de la pharmacie… 43
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 44
Les sciences humaines ? Comme l’enseignement pendant les études ? Non… ça n’a pas 45
raisonné, ça n’a pas été quelque chose qui m’a apporté énormément. C’est un peu paradoxal 46
parce que je me dis non et à côté de ça… oui… enfin… je dis que je suis sensible à tout ce qui 47
est relation, communication et que c’est très important. D’un autre côté je vous dis que les 48
cours en eux-mêmes m’ont… peut être que oui… je vais vous dire oui en fait. Je vais vous 49
dire oui parce que si on met tout cela sur la table cela veut dire que devant nous on a 50
quelqu’un, quelqu’un qui n’est pas qu’un patient mais un individu. C’est nécessaire, mais je 51
pense qu’il faut que ce soit des cours simples, accessibles, que l’on est le temps de les 52
assimiler. J’ai le souvenir que c’était très lourd, ce n’était pas assez simplifié. Je pense que je 53
vais vous dire oui quand même. J’ai quand même le souvenir de la lourdeur de ces cours 54
même si rétrospectivement on va repenser à des choses… Là, c’est vrai que l’on m’avait dit 55
en cours… c’est vrai qu’il a raison, donc forcément oui, donc je vous dis oui. J’ai 56
l’impression cependant que l’apport théorique des sciences humaines ne m’a pas servi au 57
niveau pratique. Le reste (les autres connaissances) on peut le prendre pour l’appliquer. Moi 58
je n’ai pas eu l’impression d’avoir pris la théorie des sciences humaines pour l’appliquer… 59
pour la mettre en pratique. Il y a des gens qui sont dans la communication, d’autres qui le sont 60
moins, d’autres qui ne le sont pas du tout. Moi je n’ai pas eu l’impression d’avoir besoin de la 61
théorie. J’étais aide soignante et j’étais déjà comme ça… je n’avais pas eu d’apports en 62
sciences humaines. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé. Je pense qu’il y a des profils de 63
poste, il ya des gens qui sont à l’aise en psychiatrie et d’autres en soins généraux. L’apport 64
des sciences humaines… il y a des gens qui en ont plus besoin au niveau théorique. Je n’ai 65
pas besoin d’aller ouvrir mes cahiers de sciences humaines pour me dire que là, j’ai un 66
39
problème. Il me semble que de façon naturelle je peux régler ce problème. Je pense par contre 67
que sur le terrain, dans certaines situations que l’on peut rencontrer, des cours de sciences 68
humaines pour nous expliquer pourraient nous aider. Cela me parait important sur le terrain, 69
mais si on n’a pas la chance d’avoir un interlocuteur qui nous explique ce n’est pas pour cela 70
que l’on va ouvrir nos cahiers de sciences humaines. Enfin… moi je ne le fais pas. Les 71
sciences humaines sont nécessaires, un petit peu à l’école mais… surtout cultivées sur le 72
terrain. Les sciences humaines… c’est vrai qu’il en faut mais je pense qu’il y a un profil de 73
personne. Il y a des personnes qui vont être naturellement dans la relation, la communication 74
ou alors, il ya des patients qui vont vous dire ; « celle là elle n’est pas souple, elle est raide ». 75
Il y a des infirmières qui vont être plus dans l’exécution du soin. Dans l’expérience que j’ai, 76
même au travers des élèves que l’on peut voir, on se dit, celle là elle est faite pour ça, celle là 77
elle ne sera pas commode. Et je pense que l’on peut leur donner des kilos de sciences 78
humaines, ça va peut être un peu les aider, mais il y a le côté inné qui est là. On entend parfois 79
des personnes âgées… et bien justement juste avant de vous voir, une patiente à qui je dis ; 80
« ça va, vous êtes bien avec nous ? », elle me répond « oui, ça va dans la globalité, mais il y a 81
des infirmières qui ne sont pas souples ». Ce qui me vient là surtout, c’est que les sciences 82
humaines il faudrait les avoir sur le terrain. Je pense qu’à l’école d’infirmière, c’est bien, 83
c’est super, c’est génial, mais il y a tellement de choses que je les ai oubliées les sciences 84
humaines. Je ne sais plus ce qu’on y met dedans, je les ai oubliées. On devrait avoir des 85
sciences humaines, mais sur le terrain. J’ai un peu honte de dire ça… de dire que je ne me 86
souviens plus des sciences humaines. Je dois les avoir survolées, mais je pense que c’est 87
quelque chose qui doit… comment dire… comme un jardin, qui doit se cultiver. Sinon, on le 88
perd, on arrive, on est parachuté… le stress, les patients, les exigences des médecins et puis 89
voilà… les sciences humaines, elles n’ont plus trop de place en fait. 90
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 91
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 92
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 93
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 94
D’abord, le mot soin ne me plait pas, cela donne l’impression d’être dans l’exécution du soin. 95
Donc je préfère sciences infirmières au pluriel. Le mot soin pour moi, c’est le soin exécution, 96
et il n’y a pas que cela. Moi, je considère qu’il y a beaucoup de choses dans le travail 97
infirmier. La place semble être prise uniquement par le soin et il n’y a plus de place pour la 98
relation et la communication. Il faut de la place pour autre chose. C'est-à-dire des sciences 99
40
infirmières au sens large. Cela mérite un pluriel, il ya et les connaissances et le côté savoir 100
être, savoir faire, le savoir paraître. On peut tout mettre dedans. 101
41
Entretien infirmier N°3 : Léna 1
Age : 23 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : juin 2008, Etudes infirmières à Bruxelles. 4
Expérience professionnelle : Quelques mois en neuro-rhumatologie et en long séjour gériatrie 5
depuis 15 jours. 6
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 7
infirmier ? 8
La prise en charge dans la globalité : au niveau psychologique, au niveau physiopathologique 9
et au niveau environnemental. Prendre en charge le patient, c'est-à-dire, lors du pansement par 10
exemple, expliquer ce que l’on fait, essayer de le mettre en confiance, expliquer la totalité du 11
soin pour éviter qu’il soit anxieux parce que cela se répercute sur la douleur. Après il y a le 12
soin technique. Mais aussi, lorsque la famille est là, qu’elle pose des questions, il faut donner 13
un compte rendu assez complet de l’évolution par rapport au soin. Je ne sais pas si j’ai été 14
complète ? C’était la réponse… ? Enfin… le soin infirmier c’est prendre en charge le patient 15
dans les trois dimensions, physiopathologique, psychologique et socioculturelle. Nous on a 16
appris comme ça, toutes nos prises en charge… c’est toujours dans les trois dimensions. 17
Lorsqu’on fait nos rapports de stages il faut toujours décrire dans les trois dimensions. La 18
prise en charge du patient c’est toujours les trois dimensions. 19
Aujourd’hui, vous les repérez dans le soin ces trois dimensions ? 20
Oui… pendant trois ans on a utilisé en permanence cette méthode… à force… oui. C’est une 21
vision pour le soin. Le soin englobe tous ces aspects. 22
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 23
pour vous une science infirmière ? 24
L’idée de comprendre… comprendre pourquoi les traitements sont mis en place, pour quelles 25
raisons des examens sont prescrits. C'est-à-dire essayer de comprendre tout ce qui est mis en 26
place par le médecin, pourquoi on le fait et pour quelles raisons. Les sciences infirmières c’est 27
comprendre le but de tous les examens prescrits par le médecin. C’est comprendre le 28
cheminement du diagnostic médical. 29
Pour vous, quelle est l’utilité des sciences humaines dans le soin infirmier ? 30
Euh… les sciences humaines… cela veut dire quoi ? Tout ce qui est anatomie... je ne vois pas 31
trop ? (Rappel des disciplines des sciences humaines) C’est important… je prends un exemple 32
en fait, lors de mes études cela m’avait un peu étonné. Par exemple, voir lors d’un DC d’un 33
42
patient toutes les choses qui semblent importantes pour la famille ; les positions du malade, 34
les objets qui sont disposés à côté. C’est important pour les soignants de connaître un petit 35
peu ce qu’il en est… on est dans une société multiculturelle, donc il faut quand même 36
comprendre un peu tout ce qui se passe autour. Je pense que c’est important de voir tout ce 37
qui n’est pas dans notre culture. Par contre, pendant les études on a fait de la relation d’aide… 38
mais moi je pense que c’est logique. Les cours me semblaient tellement logiques… Expliquer 39
qu’il faut être à l’écoute du patient, c’est en fait la base du travail du personnel soignant. Non 40
cela ne m’a pas apporté énormément en fait. Pour celui qui veut faire cette profession cela 41
paraît naturel, c’est une qualité à avoir lorsqu’on veut être infirmière ou aide soignante. 42
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 43
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 44
humaines ? 45
Il y avait quelque chose qui m’avait un peu étonné… c’est par rapport à la prise en charge de 46
la douleur. Par rapport aux cultures des personnes… la prise en charge de la douleur peut être 47
différente. En cours d’anthropologie on avait vu qu’il existait un syndrome méditerranéen. 48
Ces personnes, déracinées et un peu perdues par rapport à leur pays, lors d’une hospitalisation 49
ont tendance à exagérer la douleur. On rencontre beaucoup de cris, de pleurs, avant même 50
qu’on les touche… une grande exagération de la douleur. Les sciences humaines sont utiles 51
car dans cet exemple on est déjà au courant de ce qui peut arriver. Mais je n’ai pas une grande 52
expérience, j’ai du mal à avoir de la distance. 53
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 54
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 55
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 56
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 57
Je pense plutôt à des sciences en soins infirmiers, plutôt le soin, même la parole, le fait de 58
rassurer est inclus dans le soin infirmier. Tout est soin en fait. Tout est soins au pluriel.59
43
Entretien infirmier N°4 : Hugo 1
Age : 24 2
Sexe : H 3
Diplôme d’Etat : 2007 4
Expériences professionnelles : Unité d’accueil et de crise en psychiatrie depuis le diplôme. 5
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 6
infirmier ? 7
Pour moi le soin infirmier est une prise en charge du patient qui vise à améliorer son état… 8
dans le respect des règles évidemment. C’est avant tout prendre soin du patient et lui 9
permettre d’accéder à quelque chose de plus évolué. Permettre au patient de passer une 10
épreuve ou une étape qu’il ne peut gérer seul. Pour moi, le soin infirmier se représente à 11
travers cela, du moins en psychiatrie. Après, je pense que pour les soins généraux ou la 12
psychiatrie la définition du soin infirmier va être différente par la pratique et par les objectifs. 13
C’est ma conception, je pense que l’exercice infirmier en psychiatrie et en soins généraux 14
constitue deux métiers différents, les prises en charges sont spécifiques. En psychiatrie je 15
parlerai plus de soins infirmiers relationnels. Tout acte, tout soin en psychiatrie est réfléchi à 16
travers un objectif. Cela peut prendre la forme d’une partie de ping-pong avec un patient mais 17
également une réfection de lit. Ce n’est pas forcément possible en soins généraux, la réfection 18
du lit, ici, sera d’éviter les escarres. La part d’hygiène aussi n’est pas la même en psychiatrie 19
et en soins généraux, on n’est pas aussi à cheval sur l’hygiène en psychiatrie. Il me semble 20
que la conception du soin est complètement différente. Je pense que ce n’est pas pour rien que 21
les deux diplômes étaient séparés avant 92, pour moi cela reste deux métiers différents. Il y a 22
une particularité… particularité relationnelle en psychiatrie. Je pense qu’il faut avoir une 23
bonne pratique du relationnel, on ne peut pas rentrer en contact de la même façon avec le 24
patient en psychiatrie et en soins généraux. C’est difficilement descriptible pour moi, là… à 25
chaud. Le soin infirmier, c’est l’aide à la personne. C’est difficile à expliquer. Pour moi le 26
soin c’est une aide que l’on apporte à une personne, avec ce que l’on a et ce que l’on est. Le 27
soin sera singulier en fonction de chaque personne, et de l’intervenant et de la personne à 28
laquelle le soin s’adresse. Moi je le vois comme ça. 29
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 30
pour vous une science infirmière ? 31
Une science infirmière ? Pour moi une science infirmière c’est l’existence d’une recherche 32
infirmière. C'est-à-dire qu’il y est une réflexion sur le soin et que l’on ne reste pas sur des 33
44
connaissances antérieures. C’est une remise en question. C’est aussi des perspectives… 34
comme dans certains pays comme au Canada par exemple. Cela donne plus de débouchés en 35
termes de travail, par rapport au soin, par rapport aux nouveautés mises en place. Pour moi 36
c’est quelque chose de nécessaire car la réflexion de fait existe, au niveau des soins, au niveau 37
des protocoles. Vis-à-vis de ça j’ai des problèmes. C'est-à-dire que j’ai l’impression qu’une 38
grande partie de cette réflexion, c’est des personnes extérieures à l’hôpital qui la mette en 39
place. C'est-à-dire que ça ne correspond pas du tout à la réalité du terrain. Je pense que c’est 40
aux acteurs du soin, aux soignants, que revient la mise en œuvre de recherches. Et non à des 41
personnes dont on se demande si elles ont vu des patients depuis 20 ans. Parfois j’ai 42
l’impression que les lois… heu… oui les lois… parce qu’on applique cela comme des lois, au 43
niveau des règlements, des prises en charge, cela parait inadapté, inapproprié. Ce sont les 44
personnes qui sont au quotidien avec les patients qui peuvent dire ce qui peut être bénéfique 45
ou pas pour le patient. Il faut avoir une certaine proximité, une certaine conscience de la 46
réalité, pour se permettre de proposer des changements. Derrière le terme de science 47
infirmière j’entends qu’il y aura peut être davantage une prise en compte de la réalité. Je suis 48
jeune dans la profession… moi le regard que j’en ai c’est ça. Parfois cela fait peur… je peux 49
vous donner un exemple à travers la mise sous surveillance vidéo des chambres d’isolement. 50
La majorité des patients mis en chambre d’isolement sont ultra-attentifs à tout ce qu’il peut y 51
avoir dans la chambre. Le seul œilleton sur la porte… ils prennent cela pour une caméra. Et 52
qu’est ce que l’on fait… on installe une caméra dans la chambre, bien en vue. Comment ne 53
pas faire flamber un patient avec ça ? J’ai du mal à comprendre la réflexion. C’est la même 54
chose pour le projet GPS à tous les patients hospitalisés d’office. Comment équiper d’un GPS 55
un parano qui est parfaitement persuadé qu’il est observé et surveillé en permanence ? 56
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 57
Disons que les sciences humaines c’est très global comme terme. Cela passe par le 58
développement de l’enfant, les relations entre les personnes… c’est vraiment très vaste. Je 59
pense que pour le soin infirmier il est indispensable d’avoir des connaissances en sciences 60
humaines, d’avoir un apport théorique en sciences humaines. Cela donne des pistes pour 61
entrer en contact avec certaines personnes, pour expliquer certaines choses. Moi je n’étais pas 62
un grand fervent et admirateur des sciences humaines à l’école et plutôt à mon grand regret. 63
Maintenant, je me rends compte que c’est quelque chose qui est très utile. Cela donne des 64
pistes quant aux relations que l’on pourrait avoir avec certaines personnes. C’est l’impression 65
que j’en ai. Les sciences humaines je trouve que c’est très large… mais c’est important. C’est 66
45
à cela que l’on touche en étant soignant, on est perpétuellement dans des relations avec les 67
patients, les familles et les collègues. 68
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 69
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 70
humaines ? 71
Tous les jours on utilise des sciences humaines pour pouvoir travailler. Même au-delà du 72
travail… à tel point que l’on ne s’en rend même plus compte. Je veux dire… on est en 73
perpétuelle utilisation des sciences humaines. Pour moi c’est évident… j’ai envie de dire, le 74
soin infirmier est une science humaine en lui-même. On est en contact de la personne. J’ai 75
l’impression d’en utiliser tous les jours, que ce soit pour calmer un patient… pour moi tout est 76
emprunt de sciences humaines. Décrire un soin particulier… cela peut être une simple prise de 77
sang le matin au lever. Il faut faire preuve de psychologie pour réussir une prise de sang. Il 78
faut passer par certaines tactiques… et à travers ça, c’est des sciences humaines. Cela peut 79
être pour une prise de traitement tout simplement… j’ai l’impression que cela occupe 80
tellement de champs que c’est difficile à décrire. 81
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 82
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 83
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 84
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 85
Sciences en soins infirmiers au pluriel. Sciences au pluriel et soins au pluriel. Le mot 86
infirmier pour moi regroupe plusieurs disciplines, alors parler d’une science cela ne me parait 87
pas logique. Pourquoi soin ? Parce que la science… elle n’est pas infirmière… c’est les soins 88
qui sont infirmiers. Moi c’est la vision que j’en ai. 89
46
Entretien infirmier N°5 : Gilles 1
Age : 30 2
Sexe : H 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 2003 4
Expériences professionnelles : Quelques mois au S.M.A (service médical d’accueil), S.I.C. 5
(soins intensifs de cardiologie), au bout de 2 ans essai d’une expérience libérale pendant 4 6
mois avec une mise en disponibilité de l’hôpital, retour au S.I.C après cette expérience. 7
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 8
infirmier ? 9
C’est une question assez complexe. Comment pourrait-on le définir assez facilement le soin 10
infirmier ? Je pense que c’est mettre en rapport des soins très spécifiques… tout en gardant la 11
globalité de la personne. Cela comprend à la fois tout ce qui est rôle propre, tout ce qui est sur 12
prescription, mais aussi tout ce qui existe autour, notamment la relation d’aide… ce genre de 13
chose, avec l’éducation du patient. C’est essayer de soigner des patients pour des pathologies 14
spécifiques, sans oublier que ces patients sont des personnes à part entière à considérer dans la 15
globalité. Il faut adapter les soins en fonction de la personnalité du patient et pas uniquement 16
en fonction de la spécificité de la pathologie. Cela me semble important dans les soins 17
infirmiers car on est le maillon le plus près… c'est-à-dire au contact du patient. On peut 18
beaucoup plus facilement le voir comme une personne et non seulement comme un patient 19
avec une pathologie à soigner. Il faut tenir compte du contexte du patient, de sa personnalité. 20
Il faut également appréhender ce que va déclencher la pathologie pour le devenir. Voilà… la 21
globalité. 22
Si vous deviez raconter à un ami ou à votre famille ce qu’est le soin infirmier, que leurs 23
diriez-vous ? 24
C’est vrai que c’est toujours assez délicat à définir, cela comprend tellement de choses… Ce 25
que les gens ont à l’esprit, c’est davantage le rôle prescrit que le rôle propre. C'est-à-dire 26
injecter des produits, distribuer des médicaments, prendre les tensions alors que c’est 27
beaucoup plus compliqué que ça. C’est vrai que j’ai du mal à définir en quelques mots le soin 28
infirmier… ce n’est pas facile. En général cela fait un genre de petit listing de tout ce que l’on 29
fait sur une journée. A résumer… j’ai quelques difficultés. Ce n’est pas faute d’avoir réfléchi 30
à ma pratique et peut être que, justement, cela m’amène à appréhender les choses de façon 31
assez profondes et du coup, c’est un peu plus difficile à définir de façon très simple. 32
47
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33
pour vous une science infirmière ? 34
J’ai du mal à imaginer ce que pourrait être un autre schéma que celui de mes études à 35
l’institut. Actuellement c’est assez complet et on a à la fois ce qui est vraiment la technicité du 36
rôle infirmier (les injections, les prises de tension, tout le quotidien des prescriptions 37
médicales) mais aussi l’aspect psychologique du travail (la relation d’aide et toutes ces choses 38
là). S’il y avait une science infirmière… ce serait essayer d’adapter le soin au patient en fait. 39
D’avoir cette faculté là, d’adapter le soin en fonction de la spécificité de la personne. Est-ce 40
que c’est vraiment une science infirmière ? Est-ce que ce n’est pas le propre de tout ce qui 41
devrait se faire lorsque l’on est au contact du patient ? Une science … c’est un savoir, une 42
connaissance objective avec laquelle on peut travailler. C’est déjà ce que l’on fait dans les 43
écoles infirmières… il me semble. Pour moi, il n’y a rien de nouveau. Je trouve que c’est 44
assez complet déjà. Je ne vois pas… ou alors, peut-être, pour harmoniser les enseignements 45
des différents instituts au niveau national. 46
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 47
C’est très important… je trouve que c’est la base de tous les métiers au contact de l’humain. 48
Au niveau infirmier c’est très important car cela permet d’objectiver des choses que l’on 49
ressent plus ou moins de manière sensitive. Cela nous permet de mettre des savoirs objectifs 50
sur justement… comment aborder tout l’aspect psychologique et relationnel au travail. C’est 51
très important les sciences humaines par rapport à cela, dans mon service et même ailleurs. A 52
mon avis, cela permet d’expliquer clairement des choses qui, parfois, relèvent du ressenti. 53
Cela permet de voir, en fonction du contexte de la personne, comment aborder le soin avec 54
cette personne en particulier. C'est-à-dire appréhender différents profils. C’est un outil 55
nécessaire même si moi je suis en général plutôt sensitif. Cela permet d’adapter son soin. 56
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 57
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 58
humaines ? 59
Je n’ai pas d’exemples bien précis… mais assez régulièrement il m’arrive d’être confronté à 60
des personnes agressives. On a tendance à idéaliser le patient, on veut tellement aider que l’on 61
idéalise le patient. C’est quelqu’un qui va être très gentil avec nous puisque nous, on va être 62
très gentil avec lui. Il m’est parfois arrivé face à un patient un peu agressif de me souvenir des 63
cours de sciences humaines où les enseignants nous disaient ; « n’oubliez pas que parfois 64
vous serez face à des patients difficiles à soigner ». Cela arrive tous les jours et pas seulement 65
à l’hôpital. C’est aggravé à l’hôpital du fait que l’on n’est pas très bien et que l’on ne vient 66
48
pas à l’hôpital pour le plaisir. Tout cela fait que nous sommes amenés à voir des gens qui 67
peuvent être agressifs. Des gens qui sont sous une autre forme de rapport et d’intérêt que 68
nous, des gens parfois racistes… voilà… plein de choses qui peuvent déranger. Malgré tout 69
on est là pour soigner, cela permet d’avoir ce recul que sans doute parfois il serait difficile 70
d’avoir. Face à de telles situations il m’arrive de me rappeler de certains cours et donc parfois, 71
d’aborder la chose autrement. On sort du sensitif, de l’affect, on est sur quelque chose 72
d’établi. 73
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 74
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 75
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 76
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 77
Science en soin infirmier cela me semble reléguer juste au soin infirmier. Ensuite une science 78
ce n’est pas au pluriel…. mais je préfère mettre la science au pluriel malgré tout… tout au 79
pluriel, sciences infirmières au pluriel. 80
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81
Je n’étais pas du tout au courant des questions que vous alliez me poser, je pense que c’est un 82
peu le but aussi… ce qui fait que par moments j’ai peut être un peu répondu à côté. 83
49
Entretien infirmier N°6 : Nadine 1
Age : 44 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1986 4
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Cancérologie, chirurgie uro, infirmière libérale, médecine 5
préventive, rééducation cardiaque et moyen séjour depuis 8 ans. 6
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 7
infirmier ? 8
Le soin infirmier pour moi, ce serait d’expliquer un peu plus au patient ce que l’on fait pour 9
lui. C'est-à-dire, être plus dans le relationnel et dans l’éducatif que dans le soin technique 10
comme je pouvais l’envisager lorsque j’ai passé mon diplôme en 1986. Je ne sais pas si vous 11
parlez du soin technique ou bien du soin en général. Le soin… plutôt dans la discussion avec 12
les gens à qui je vais faire mon soin. S’il est technique, je vais expliquer ce que je vais faire. 13
Au niveau de la pathologie… c’est l’éducation, pour la suite en fonction des interventions 14
qu’il a subies. Par exemple, en rééducation cardiaque on demande de changer d’hygiène de 15
vie à la suite de ce qui est arrivé. C’est vrai que je n’ai jamais réfléchi à la définition… pour 16
moi le soin infirmier cela peut être le fait de lever une grand-mère comme cela peut-être le fait 17
de poser une perfusion pour passer un produit par voie veineuse. C’est très large… je ne sais 18
pas le définir. Moi je pense que le soin infirmier passe par l’explication du soin… la 19
coopération du patient est à ce prix. Lorsque le patient sait ce qu’il risque ou pas… c’est plus 20
facile de participer au soin. Par exemple un mauvais accueil d’un patient dans un service… 21
l’hospitalisation va être différente. Si on explique, qui on est, pourquoi on est là, quelles sont 22
les personnes qui vont assurer la prise en charge et comment cela se passe… le patient sera 23
plus confiant et nous on aura de meilleures relations. Le séjour se passera mieux. Je m’en suis 24
aperçu… mais tardivement. Si le patient à confiance il aura moins mal, il sait que l’on est là et 25
que l’on répondra lorsqu’il voudra, qu’on est disponible. La notion de confiance pour moi… 26
si on ne l’a pas cela complique les choses. Pour cela, il faut lui montrer que l’on est prêt à 27
l’écouter, à lui répondre, à lui expliquer… après tout est possible. En fait je ne sais pas ce que 28
vous appelez le soin infirmier… c’est aussi l’exécution d’une prescription médicale. Moi j’ai 29
toujours discuté les prescriptions en général… pour comprendre et aussi parce que je ne suis 30
pas toujours d’accord. Les soins infirmiers… oui, les soins techniques. Il y en a plein des 31
soins. Le soin infirmier c’est aussi faire des actes techniques. 32
50
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33
pour vous une science infirmière ? 34
Une science infirmière ? Je ne sais pas… Depuis peu j’ai appris qu’il existait une philosophie 35
par rapport à ce métier… mais honnêtement je ne sais pas du tout. J’ai appris que le soin était 36
basé sur des fondements philosophiques… je ne savais pas, alors que je suis infirmière depuis 37
20 ans. Je n’aurai jamais pu penser qu’un jour on puisse parler de science infirmière. Le 38
métier d’infirmière… scientifique… science… c’est beaucoup plus subjectif que ça pour moi. 39
Le terme de science pour moi est relié à des choses plus concrètes, objectives, explicables par 40
des équations. Mon métier je ne le vois pas comme ça. Science infirmière je demande à voir 41
ce que cela veut dire. 42
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 43
C’est d’être le plus disponible et à l’écoute. Le côté technique du métier est donné à tout le 44
monde je pense. Les gestes techniques, une fois qu’ils sont montrés une ou deux fois ce n’est 45
pas le plus difficile. Après, c’est tous les rapports que l’on peut avoir avec les gens, c’est 46
pareil dans la vie de tous les jours, ce n’est pas propre à l’infirmière non plus. C’est une 47
approche vers les autres… oui, c’est peut-être une science humaine d’être à l’écoute, 48
disponible, d’être là quand il faut. On peut être confronté à des choses difficiles et même si on 49
n’accepte pas il va falloir faire avec. 50
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 51
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 52
humaines ? 53
C’est difficile votre question… là où cela m’a manqué les sciences humaines et où cela me 54
manque encore c’est quand c’est difficile, les moments difficiles de fin de vie par exemple. 55
J’ai arrêté les soins palliatifs pour cela. A un moment donné ce n’était plus acceptable pour 56
moi… est-ce que cela s’apprend de pouvoir continuer ? Je ne pouvais plus… et donc je savais 57
que mes rapports avec ces personnes… je pourrai plus. Est-ce que ce n’est pas ses propres 58
limites aussi ? Est-ce que les sciences humaines peuvent nous permettre de connaître nos 59
limites ? Je ne sais pas. Les sciences humaines je ne sais pas ce que vous y mettez dedans. 60
Moi je n’ai pas appris les sciences humaines à l’école. Peut-être un peu de psychologie… 61
mais très peu. Par contre on m’a parlé qu’il existait au niveau de l’éducation du patient une 62
approche qui pouvait se faire et ne pas se faire. Si on voulait bien sur arriver à notre objectif 63
de convaincre les gens sans les culpabiliser. Et ça, je me rends compte… l’éducation ça a l’air 64
très simple comme ça… il suffit de dire ce qu’il faut faire et ne pas faire et en fait cela ne 65
marche pas comme ça. Et ça je l’ai appris dernièrement, on m’a dit qu’il y avait des cours 66
51
dans votre institut qui sont donnés par quelqu’un, qui permettent de dire aux patients sans les 67
culpabiliser comment il faut faire. Ces cours peuvent m’intéresser… l’éducation ça à l’air très 68
simple mais en fait c’est très compliqué. Dire à quelqu’un d’arrêter de fumer… il faut y 69
arriver. C’est intéressant de savoir qu’il y a des moyens de dire aux gens que l’on peut 70
changer de façon de vivre sans les culpabiliser par rapport à ce qui leur est arrivé et, du coup, 71
arriver à ce qu’ils changent de manière de vivre. C’est bien aussi d’arriver à ce que l’on 72
veut… qu’un patient opéré d’un pontage ne récidive pas trois années plus tard… c’est 73
dommage. On essaie de faire les choses au mieux… c’est comme pour un pansement 74
finalement. C’est vrai que je n’ai pas trop suivi de formation en dehors de mon diplôme, je 75
suis surtout sur mes acquis et mon expérience. C’est bien de savoir qu’il y a des moyens qui 76
font que l’on peut y arriver. 77
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 78
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 79
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 80
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 81
A le faire… autant l’appeler la science infirmière… j’ai l’impression que cela sera plus ouvert 82
sur différentes disciplines. Soin infirmier pour moi c’est trop restrictif, personnellement je le 83
vois exclusivement comme un soin technique, soin infirmier… je n’arrive pas à l’expliquer 84
autrement. La science infirmière… c’est peut-être davantage axé sur des concepts 85
philosophiques, psychologiques… Donc, la science infirmière au singulier. 86
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 87
Non… mais j’aurai aimé que vous me donniez les réponses. Un soin infirmier… qu’est ce que 88
c’est pour vous ? 89
52
ANNEXE 4
53
Grille d’entretien
(Entretiens cadres soignants)
Age :
Sexe :
Diplôme d’Etat :
Diplôme Cadre de Santé :
Diplôme Universitaire :
Expériences professionnelles :
- Exercice Infirmier Diplômé d’Etat :
- Exercice Cadre Soignant depuis :
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin
infirmier ? Revenir à sa pratique.
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour
vous une science infirmière ?
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences
humaines ?
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,
comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?
Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins
infirmiers au pluriel ?
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
54
Entretien cadre Soignant N°1 : Laurence 1
Age : 38 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1992 4
Diplôme Cadre de Santé : 2003 5
Diplôme Universitaire : Licence AES 6
Expériences professionnelles : 7
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Médecine et chirurgie 8
Exercice Cadre Soignant depuis 2003 : Médecine, chirurgie et rééducation fonctionnelle. 9
Long séjour depuis septembre 2008. 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Alors ma conception du soin infirmier… le soin infirmier c’est prendre en charge un patient, 13
sur le plan technique (tous les actes techniques) et sur le plan relationnel (la relation d’aide). 14
C’est une prise en charge globale… voilà. Le soin infirmier tourne autour de ça. A chaud, 15
comme ça, je vous dirais soin technique et soin relationnel. La conception du soin c’est avec 16
des valeurs ; le respect de la personne, tenir compte de ses droits… voilà… tout ce qui va 17
avec. Le soin infirmier comporte cette approche globale… qui tient compte des habitudes de 18
vie, du rythme des patients. Ce n’est pas juste un soin technique, pour moi il y a autre chose… 19
une approche humaine. Ce n’est pas tellement reconnu…. Enfin ce qui n’est pas reconnu c’est 20
la présence que cela exige auprès d’un patient. Pour 33 lits il nous faut tant d’infirmières… 21
oui mais par rapport à quoi par rapport à des soins techniques. Je ne pense pas que le temps 22
relationnel soit pris en compte dans un service vu la charge de travail que l’on demande aux 23
infirmières au niveau de l’organisation administrative. Le temps passé auprès du patient dans 24
la relation, je pense qu’il n’est pas assez valorisé. On passe à côté de beaucoup de choses 25
quand on est soignant parce que la charge administrative, logistique, malheureusement prend 26
du temps sur le temps du soin. Le soin infirmier c’est beaucoup d’aide et de relation et ce 27
n’est pas seulement des actes en série selon la prescription médicale. Ce n’est pas que ça, à 28
mon sens. L’infirmière est là pour identifier les besoins et faire remonter les informations, les 29
observations au médecin. Il y a donc une dimension technique et une dimension relationnelle 30
avec la prise en charge de la famille. Il faut tenir compte de l’environnement affectif, social, 31
familial. 32
55
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33
pour vous une science infirmière ? 34
Pour moi la science infirmière c’est la question de la recherche, c’est à dire des études 35
réalisées dans le soin infirmier. C’est également la question de la reconnaissance. Si on me dit 36
« science » c’est qu’il y a une recherche derrière, une recherche professionnelle. C’est 37
alimenter la connaissance pour réajuster notre fonction. Si on fait une étude sur, pourquoi le 38
patient accepte mieux son traitement qu’un autre, il y a une recherche derrière. 39
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 40
Les sciences humaines sont importantes justement pour ne pas tomber dans des actes… 41
comment dire… des actes en série. Des actes en série, sans prendre en charge une personne 42
humaine. Même quand c’est une personne démente, grabataire, c’est encore une personne 43
humaine qui a des ressources. Même si comme ça, excusez-moi l’expression, c’est un vrai 44
légume… mais non… il y a toujours quelque chose avec une histoire passée. Les sciences 45
humaines sont importantes et puis cela fait réfléchir, on a une approche différente de la 46
personne. Prendre soin, ça a une dimension énorme, il faut l’intégrer. Les sciences humaines 47
cela apporte un plus au concret. 48
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 49
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 50
humaines ? 51
Peut-être dans l’approche d’un patient agité, agressif. Ou bien alors tout simplement dans 52
l’accompagnement d’un patient en fin de vie par exemple. Il faut bien avoir une certaine 53
distance ou un recul avec des connaissances autour du deuil, de l’approche de la mort. Le 54
patient agité, parce que s’il y a agitation il doit bien y avoir quelque chose derrière… 55
Concrètement ce n’est pas facile à identifier… ce n’est pas facile… on ne peut pas l’avoir 56
avant cette question ? Oui… même dans l’approche d’un patient en fin de vie, qui va mourir, 57
cela peut être au niveau de l’approche de la mort, du deuil… voilà… les étapes… les 58
différentes étapes. Cela nous aide à gérer une situation de soin difficile… gérer au mieux. 59
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 60
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 61
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 62
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 63
Sciences en soins infirmiers au pluriel. Pour moi un soin infirmier ne se résume pas à une 64
seule chose. C’est tellement varié, il y a une multitude de choses. 65
56
Entretien cadre Soignant N°2 : Yves 1
Age : 53 2
Sexe : H 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier de Secteur Psychiatrique : 1979 4
Diplôme Cadre de Santé : 2007 5
Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Uniquement dans des services de psychiatrie. 7
Exercice Cadre Soignant : depuis 2007 dans une unité d’accueil et de crise en psychiatrie 8
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 9
infirmier ? 10
Le soin infirmier, c’est avoir une relation de confiance le plus tôt possible avec un patient. 11
Plus vite le patient perçoit cette intention, cette attention… plus vite la relation sera établie. A 12
partir de là il est possible de proposer un soin. Le plus important c’est que le patient puisse 13
percevoir cette intention. Pour moi le soin en psychiatrie c’est travailler sur la souffrance, sur 14
le vécu par le patient de sa souffrance. Après, par l’empathie, par tous ces moyens là…. il faut 15
toujours penser à la globalité de la personne, on ne soigne pas un bras, on ne soigne pas une 16
dépression, on soigne la personne. Prendre la personne dans sa globalité et à partir de là on va 17
agir en considérant la personne dans son contexte, dans son environnement. Moi j’ai bien 18
aimé les paradigmes mécanicistes… tout ça. On retrouve à chaque fois la même chose, les 19
paradigmes mécanicistes, constructivistes et socioconstructivistes. En fait tu retrouves chaque 20
fois ces choses là. Le paradigme mécaniciste c’est la pathologie, le constructivisme c’est 21
comment tu vas faire évoluer la personne et le socioconstructivisme c’est l’environnement 22
dans lequel elle vit et comment on va pouvoir interagir. Pour moi, à chaque fois on retrouve 23
ces trois paradigmes et en fait on va composer avec tout ça. Si on fait que du mécaniciste, on 24
va soigner un genou… point. On ne soignera pas bien un genou si on n’a pas pris en 25
considération l’environnement dans laquelle cette personne travaille. S’il s’agit d’un joueur de 26
foot, d’un agriculteur, d’un sédentaire, cela aura une importance dans la finalité. Donc, 27
prendre la personne dans sa globalité et dans son contexte culturel, social… voilà. Il faut 28
toujours se servir de l’environnement… on l’oublie un peu, donc il faut travailler avec les 29
familles. Il n’y a pas que la pathologie, il y a la personne et son environnement. 30
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 31
pour vous une science infirmière ? 32
57
Quand on vient de la psychiatrie, je m’amuse à dire que l’on est passé de l’époque des druides 33
à l’époque gallo-romaine et ainsi de suite. Avant, tout était par transmission orale, il y avait 34
très peu d’écrits… c’était de l’oral, point. Après on a commencé à écrire un peu et maintenant 35
il faudrait que l’on passe à autre chose. C'est-à-dire que l’on passe à plus de conception du 36
soin. Il y a déjà des gens qui font cela, de plus en plus on écrit. Dans le diplôme d’infirmier 37
l’écriture devient plus élaborée. En trente ans les choses ont évoluées. Entre mon mémoire de 38
psychiatrie de 6 pages sur les unités à l’intérieur de la prison de Fleury-Mérogis et le travail 39
écrit de fin d’études d’aujourd’hui, il y a une différence. Il y a une conceptualisation autour du 40
soin qui permet de valider ce que l’on dit. Donc écrire, conceptualiser, éclairer nos actes… 41
voilà, donner des traces écrites de ce que l’on fait. Notre revendication autour de la 42
qualification de Diplôme d’Etat pour la psychiatrie à l’époque… l’erreur a été de ne pas écrire 43
ce que l’on savait faire, pour valider notre conception du soin. Seulement cela, on ne l’a pas 44
fait, on a d’abord affiché nos revendications. Une science infirmière c’est écrire, c’est 45
communiquer sur nos connaissances, nos pratiques. 46
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 47
Moi je ne connaissais pas trop ce domaine là avant de faire la formation de cadre. Cela a été 48
un éclairage professionnel pour moi de rencontrer les sciences humaines. Même si on disait 49
un peu les mêmes choses parfois en psychiatrie ou en psychanalyse. On retrouvait les mêmes 50
choses. J’ai retrouvé par exemple des concepts en pédagogie que l’on travaillait en 51
psychiatrie. Les sciences humaines c’est une compréhension de ce que l’on fait et à partir de 52
concepts c’est pouvoir éclairer notre pratique et pouvoir la faire évoluer. A partir du moment 53
où l’on s’interroge sur notre pratique on doit pouvoir construire notre identité professionnelle. 54
Ce que je tente de faire avec les équipes maintenant, c’est de faire une petite réunion d’une 55
heure chaque mardi pour parler de nos pratiques, pour les faire évoluer. C’est comme ça que 56
l’on construit son identité professionnelle, j’en suis persuadé. 57
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 58
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 59
humaines ? 60
Sur des choses particulières par exemple comme les chambres d’isolement… les 61
représentations sociales sont intéressantes. Savoir qu’elle est la représentation sociale qu’ont 62
les gens de la chambre d’isolement est intéressant. On peut travailler autour de ça pour arriver 63
à faire bouger quelque chose. On ne peut pas changer les choses, avant il faut savoir ce que 64
cela représente pour la personne. L’enfermement, une protection pour le patient, une 65
protection pour l’équipe ça représente quoi exactement ce lieu de soin particulier ? A partir de 66
58
ce moment là, si on convoque des concepts particuliers, on peut travailler autour. Si moi je 67
dis… voilà, il faut faire comme ça… ça suffit pas, ça ne fera jamais bouger les choses. Donc 68
tu es obligé de partir de concepts théoriques pour éclairer ce que tu dis. Pour que ce ne soit 69
pas moi, dans ma toute puissance de cadre ou d’infirmier qui dit, il faut faire comme ça. Tu 70
penses comme ça… ok… mais qu’est-ce qui te permet d’affirmer ça. Les sciences humaines 71
peuvent cautionner et expliquer le soin. Expliquer… enfin cela peut permettre de comprendre. 72
Par exemple la théorie sur les groupes restreints, parce que tu as cet éclairage là, de savoir ce 73
qu’est un groupe restreint comment cela fonctionne et bien cela t’aide à gérer une équipe. 74
Donner un lieu pour que les gens puissent parler, que cela ne se fasse pas dans une remise, un 75
placard, lorsque tu as compris cela, lorsque tu as eu des éclairages conceptuels, cela te permet 76
de comprendre des choses qui se jouent à ce moment là dans une équipe. 77
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 78
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 79
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 80
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 81
Au pluriel… c’est vaste. Et puis sciences en soins infirmiers pour recentrer sur le soin, pour 82
que le soin apparaisse. Au pluriel parce que dans le soin les disciplines sont très vastes. 83
Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose ? 84
Une profession existe si elle a des écrits, si elle reste dans une tradition orale elle peut mourir. 85
A partir du moment où on écrit on garde une trace, on peut constater une évolution. Les 86
infirmiers doivent écrire pour exister. Lorsque je suis allé au Maroc les infirmiers n’écrivaient 87
pas et ils disaient ; parfois on se sent gardien. Quelle différence entre quelqu’un qui garde et 88
quelqu’un qui donne des soins ? C’est qu’il peut écrire le soin qu’il donne. Il faut écrire pour 89
exister.90
59
Entretien Cadre Soignant N°3 : Renée 1
Age : 54 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1993 4
Diplôme d’Etat d’Infirmière Puéricultrice : 2003. 5
Diplôme Cadre de Santé : 2006 6
Diplôme Universitaire : Licence AES 7
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Service intensif de cardiologie pendant 3 ans, service 8
d’oncologie hématologie pendant 4 mois, service de pédiatrie. 9
Exercice Cadre Soignant : Faisant fonction de cadre puéricultrice de 2004 à 2005. Exercice 10
cadre soignant puéricultrice depuis 2006 aux urgences pédiatriques. 11
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 12
infirmier ? 13
Alors d’emblée on pense à ce qui est technique. Mais, à l’âge que j’ai, je ne me jette pas trop 14
sur la technique… bien que dans ma carrière le choix du S.I.C. (service intensif de 15
cardiologie) relève certainement de quelques raisons. En fait, très vite, j’ai compris que tout 16
ce qui était du domaine technique était facile, dans le sens où, très rapidement il fallait 17
intégrer la technique pour pouvoir s’en débarrasser. Très vite on veut écarter tout stress, on 18
veut avoir la maîtrise totale de la technicité. Donc, il suffit de s’y donner à fond et ainsi on 19
peut le mettre de côté. Par contre, ce qui est beaucoup plus difficile reste probablement toute 20
la construction professionnelle autour du soin. C'est-à-dire toute la relation au patient, mais 21
aussi la relation à soi. C’est ce qui constitue, de mon point de vue, l’aspect le plus passionnant 22
car on se construit dans la relation au quotidien. Je trouve que le métier est passionnant pour 23
la relation… voilà. Alors maintenant, en tant que cadre, ce n’est plus la relation au patient 24
mais davantage la relation à l’équipe et puis à des tas de gens… des collaborateurs. Si je veux 25
aller plus loin dans le soin… je pense que c’est le don de soi, quoi que l’on en dise… sans 26
retour. Je ne parlerai pas de vocation… mais c’est un peu cela. Je pense que l’on s’accomplit 27
vraiment lorsque l’on à fait le maximum. Je peux en parler en connaissances de causes… je 28
pense ici en particulier à l’accompagnement de fin de vie de jeunes enfants dans le service 29
hospitalisation en pédiatrie. Là, on rentre dans une relation totalement différente du soin. 30
C’est un accompagnement, c’est un soutien. Là, je peux dire que l’on est satisfait de sa 31
prestation, du soin, de soi, au regard de ce que l’on a donné… voilà. Ce qui perturbe un peu 32
les personnes dans les changements qu’on leurs propose, c’est cette crainte, cette angoisse par 33
60
rapport à l’inconnu. C’est une question de maîtrise de la technique, une fois que l’on connait 34
le matériel et toute la technicité on devient disponible et disposé à vraiment donner ce que 35
l’on a de soi même, pour les patients. Pour moi, c’est la finalité du soin. Tout ce qui est 36
technicité à la limite c’est facile, une fois que c’est intégré… c’est là pour longtemps. A 37
travers la maladie les patients ont des demandes et on le perçoit très bien dans le discours 38
qu’ils nous renvoient. Le geste technique en lui-même doit plutôt être considéré comme 39
l’outil qui permet cette relation. Ils viennent à l’hôpital pour quelque chose de bien précis 40
mais on voit qu’à travers le soin il y a autre chose. Si, en tant que soignant on n’a pas perçu 41
cela… on passe à côté de pleins de choses, on fait son travail comme on va à l’usine, on 42
accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait et puis on s’en va. Si on va plus profondément 43
dans sa prestation, dans sa… finalement raison d’être, et bien on s’aperçoit… la vie c’est tout 44
ce que l’on reçoit et tout ce que l’on a pu apporter. On va plus loin qu’une prescription. Dans 45
la technique, c’est vrai que l’on s’est acquitté de son devoir, est ce que c’est satisfaisant … je 46
ne sais pas. Alors maintenant, c’est vrai que c’est reposant quelque part, si on est préoccupé 47
personnellement on ne peut pas être disponible, on n’est pas dégagé de pleins d’autres choses. 48
Donc, quelque part cela aide aussi, on se dit je fais au moins mon boulot après je passe à autre 49
chose pour mon compte personnel. Mais quand on n’a pas de souci de quoi que ce soit et bien 50
c’est vrai que… on ne se force pas d’aller au plus profond des choses parce que l’on est 51
disponible, et les patients le sentent bien que vous êtes disponible… alors voilà… la relation 52
se fait comme ça. Il y a plein de choses au-delà de la prescription… sa personnalité, ce que 53
l’on est, ses valeurs, ses qualités. Tout passe dans cette sphère finalement, dans cet espace 54
relationnel. C’est tout ce que l’on est, avec notre singularité, et puis on s’adresse à une 55
personne qui est unique aussi et puis quelques fois voilà… c’est le moment fabuleux, il s’est 56
passé plein de choses par 2 ou 3 mots, on a fait plaisir à quelqu’un… voilà. C’est ce que l’on a 57
pu donner à ce moment là et qui dure parfois quelques secondes, ce que l’on a pu recevoir 58
aussi. C’est la même chose lorsque l’on est cadre vis-à-vis des collaborateurs mais dans un 59
domaine différent. 60
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 61
pour vous une science infirmière ? 62
Je trouve que cela devient quelque chose qui s’intellectualise… la science infirmière. Je 63
trouve que ce n’est pas mal en soi. Certains pourront dire… mais non… on ne sera plus des 64
personnes de terrain, on ne sera plus dans le soin proprement dit. Je pense que, à un moment 65
donné, il faut réfléchir à ce que l’on fait, au sens que l’on donne au soin, au sens que l’on 66
donne à notre métier. C’est vrai que l’on sort de quelque chose qui était traditionnellement 67
61
dans le faire… l’écriture cela commence mais la réflexion pas trop. Pourquoi ? Peut-être parce 68
que les gens n’ont pas suffisamment de temps, de disponibilité pour s’accorder cette 69
réflexion. En tant que cadre on s’est posé un certain nombre de questions, avec le recul et 70
parce que l’on est plus dans le soin, il est possible de se détacher de tout ça et réfléchir au vrai 71
sens des choses. Mais pour un infirmier sur le terrain, qui donne du soin, qui se donne aussi à 72
travers le soin, s’il n’a pas des moments de recul et de réflexion… la science infirmière… oui 73
je suis pour. Cela fait des têtes pensantes et pas comment dire… du travail sur prescription. 74
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 75
C’est l’ouverture… à des champs dont on ne soupçonne pas… finalement c’est avoir une 76
vision globale des choses. Et c’est vrai que je peux en parler en connaissance de causes. 77
Avant d’être dans la santé… cela fait 16 ans que je suis dans ce milieu… avant, j’avais fait 15 78
ans d’horticulture, de commerce, d’agriculture… voilà. Dans un champ finalement très 79
différent mais toujours en relation avec des tas de gens. En plus, il y a la maturité qui est là, il 80
y a les années… bon bref. Et c’est vrai, que du coup, j’ai une vision des choses différente que 81
quelqu’un qui à débuté sa carrière dans l’hôpital et qui n’est pas sorti des murs de l’hôpital. 82
Cela m’a apporté beaucoup, cela m’a aidé à comprendre les comportements, les gens et à 83
tolérer beaucoup de choses. Je pense que l’apport des sciences humaines dans le métier 84
d’infirmière peut ouvrir les gens à autre chose que vraiment… la connaissance qu’ils ont du 85
milieu. Souvent les gens… ils ont leur vie à L’hôpital, leur vie à la maison, c’est bien cadré et 86
cela ne va pas plus loin. Ma fille a fait ses études d’infirmière dans l’institut à côté de 87
l’hôpital, institut qui propose dans sa formation une place importante réservée aux sciences 88
humaines. Pendant la durée de ses études elle est revenue à la maison. Nous passions 89
beaucoup de temps à discuter. Elle, dans une toute nouvelle perspective professionnelle et 90
moi également, puisque je préparais l’école des cadres. On confrontait nos parcours, nos 91
ressentis, nos impressions. Elle allait au fond des choses et elle se posait toujours des 92
questions sur le sens… voilà… sur le sens du métier d’infirmière, le sens de ceci, le sens de 93
cela. Parce que l’école l’amenait à réfléchir là dessus. En fait, je n’ai pas eu pour ma part ce 94
degré de réflexion dans ma formation et je ne l’aurai pas eu en son absence ou plutôt, s’il elle 95
ne m’avait pas proposé la nature de sa réflexion. On a passé 3 années formidables. Sans doute 96
qu’elle en avait besoin pour se construire et accepter finalement tout ce que le domaine de la 97
santé… tout ce que le terrain allait lui offrir comme travail. C’est à dire tout ce que cela allait 98
lui demander au niveau émotions, au niveau relationnel… à tous ces niveaux. J’ai trouvé cela 99
vraiment très enrichissant. Alors, je pense que les sciences humaines, là… au travers de cette 100
formation… elle avait ce qui fallait et que tout le monde n’a pas. Tout le monde n’a pas cette 101
62
chance. Je le vois… les soignantes me disent… on ne peut pas faire un acte et partir comme 102
ça… ce n’est pas possible. Il y a toujours quelque chose après, il y a nous, il y a eux… eux qui 103
ont reçu quelque chose de douloureux, en paroles ou en actes. Et donc voilà, cela ne s’arrête 104
pas là, on ne peut pas partir comme ça… on part obligatoirement avec. Du coup les sciences 105
humaines peuvent nous aider à relativiser ou à gérer des problèmes ou à maitriser ou à 106
percevoir ce que veulent les gens. Je pense que cela développe un certain regard, une certaine 107
réflexion… 108
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 109
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 110
humaines ? 111
En particulier avec les enfants… la relation avec un enfant n’est pas comme une relation à un 112
adulte. Il y a une notion d’affect. Bien qu’avec les adultes également… chez les adultes, 113
quand ils vos confient leur vie… dans les soins intensifs, ils frôlent la mort et à un moment ils 114
vous déballent leur vie… Donc, c’est fantastique… il ya des vies fantastiques. Il y a vraiment 115
des gens extraordinaires… mais c’est vrai que l’enfant… Pour des soins que j’ai réalisés… 116
cela sert à partir du moment où il y a eu une communication avant. A partir du moment où les 117
personnes se sont dévoilées un peu. Ils se confient forcément, ils confient leur corps… pas 118
que leur corps… ils nous confient des choses… voilà. Ils nous témoignent de certaines choses 119
et du coup là, on peut enchainer, on peut exploiter tout ce qu’ils nous transmettent. C’est à 120
nous, après, d’approfondir et de rentrer dans cette relation. Là, les sciences humaines, bien sur 121
que ça sert, on a une relation qui est beaucoup plus facile, on a une réponse plus adaptée. 122
Mais il faut que l’on ait matière à développer ça. S’il n’y a pas eu confidence ou témoignage, 123
s’il n’y a pas eu relation on enchaine sur quelque chose. Après, c’est nous qui amenons la 124
personne à rentrer en relation, en communication. Pour prendre un exemple autour de 125
l’intérêt des sciences humaines dans le soin je peux plutôt vous préciser un moment où il me 126
semble qu’elles m’ont fait défaut. On sort en se disant ça a foiré… il me manque des outils. 127
C’est surtout dans les relations qui touchent à la vie, à la mort. Dès que l’on approche cet 128
espace entre les deux, on perçoit bien que l’on est entre la vie et la mort. Et c’est vrai que 129
lorsque l’on se trouve dans cette relation… et bien on n’a rien. Je n’ai plus rien, je n’ai rien à 130
proposer, je n’ai plus rien quoi… tellement je suis moi-même trop prise par l’événement, et 131
voilà… j’ai rien. On pourrait enchainer en disant aux parents, confrontés aux derniers 132
moments de leur enfant… mais je ne sais pas ce que l’on peut dire dans cette situation… je 133
n’ai pas les connaissances. Voilà justement le problème… enchainer en disant bon… voilà… 134
j’ai vu un tel qui disait… et du coup on entraine la personne dans une réflexion et on la laisse 135
63
avec ça. Je pense que là… les sciences humaines permettent de dire ce qu’il faut dire dans ce 136
cas là. 137
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 138
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 139
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 140
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 141
En tout cas au pluriel. Au pluriel parce que c’est pluridisciplinaire… on doit taper dans tous 142
les champs. Au singulier cela nous réduit trop… 143
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 144
Non… mais c’est bien intéressant 145
64
Entretien Cadre Soignant N°4 : Eva 1
Age : 37 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1993 4
Diplôme Cadre de Santé : 2005 5
Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education, Maitrise de Santé Publique, D.U. 6
de médecine humanitaire. 7
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : 6 ans d’intérim dans tous les services (médecine, 8
chirurgie) en alternance avec des missions humanitaires (Palestine, Egypte, Afrique). Ensuite 9
5 années dans une clinique en soins palliatifs et états végétatifs chroniques (comas dépassés, 10
unité de non éveil). 11
Exercice Cadre Soignant : Depuis janvier 2006 en service d’Hémato-oncologie. 12
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13
infirmier ? 14
Le soin infirmier… alors… le soin infirmier c’est une pratique… des pratiques visant à 15
accompagner une personne dans un parcours thérapeutique. Il s’agit d’évaluer une situation 16
clinique donnée, dans la vie d’une personne, et de l’accompagner au-delà des thérapeutiques 17
médicales… ou en partenariat avec les thérapeutiques médicales. Le soin infirmier c’est 18
également une relation. C’est aussi des compétences… moi je suis très clinique, voilà. Le soin 19
infirmier c’est de la clinique. Après on peut mettre beaucoup de choses autour ; un suivi de 20
l’évolution clinique, de l’éducation thérapeutique, un accompagnement avec des pratiques 21
professionnelles fortes. Le soin infirmier c’est donc des connaissances, des compétences, des 22
savoirs… voilà. 23
Pouvez-vous préciser le terme d’accompagnement dans le soin ? 24
Je pense ici à la cancérologie en particulier. J’ai une pratique essentiellement d’oncologie, 25
curatif et palliatif. C’est vrai que l’entrée dans la maladie cancéreuse d’un patient détermine 26
un projet thérapeutique ou l’infirmier occupe une vraie place. L’infirmier, dans cette 27
proposition faite au patient d’un projet thérapeutique, prend une place prépondérante. En 28
cancérologie, et probablement beaucoup depuis le plan cancer, on a des patients qui sont 29
acteurs. Ils disposent des éléments nécessaires à la prise de décision… ce que l’on appelle le 30
consentement éclairé. Ils sont acteurs dans leur prise en charge… ils ont l’information. Le 31
patient tout au long de son programme thérapeutique passe par différents états cliniques, 32
psychologiques, professionnels… voilà. Le soin infirmier, il doit s’adapter à ces différentes 33
65
dimensions et proposer un accompagnement. Il faut considérer, ici, la pathologie comme étant 34
une pathologie chronique. Donc, on passe par différentes étapes et différentes phases pour 35
lesquelles cet accompagnement semble indispensable. C’est à dire l’état clinique, 36
psychologique, familial… il y a des retentissements dans toutes les sphères de la personne. Le 37
terrain familial, professionnel, personnel avec ses espoirs… la maladie traverse tous ces 38
champs là. C’est comme cela que je vois l’accompagnement… le soin infirmier doit tenir 39
compte de toutes ces dimensions et il doit faire avec. Il me semble aussi qu’en cancérologie il 40
doit y avoir un vrai partenariat entre le soin infirmier et les aspects médicaux de la prise en 41
charge. Le diagnostic médical détermine une proposition thérapeutique. Personne d’autre que 42
le médecin ne peut le faire. Je crois qu’en cancérologie on se retrouve sur les aspects 43
cliniques. C’est à dire qu’en fait, une infirmière est tout aussi légitime pour interpeller un 44
médecin sur un état clinique qui lui semble non compatible avec la poursuite d’une 45
chimiothérapie par exemple. Aujourd’hui en cancérologie la décision est pluridisciplinaire… 46
c’est très staff, c’est très compréhension d’une problématique. Dans le soin infirmier il y a 47
aujourd’hui une réflexion plus importante sur les aspects que je vous ai cités, c’est à dire 48
social, familial, professionnel… qui montrent des champs où l’on va pouvoir intervenir… en 49
questionnant au moins la prise en charge. Compte tenu de tel ou tel événement, médicalement 50
qu’est ce que l’on peut faire ? 51
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 52
pour vous une science infirmière ? 53
Je tiens à dire dans un premier temps que cela doit être une science qui ne peut être enseignée 54
exclusivement par les médecins, sans que je renie du tout… l’anat-physio on ne va pas 55
l’inventer. Ce que je veux dire, c’est que cette science ne soit pas réduite à des interventions 56
de médecins qui enseignent des pathologies à des infirmières. Il faut en même temps être 57
réaliste, ils garderont une place… et c’est bien, si on fait des choses complètement déliées… 58
après le risque c’est de ne jamais se retrouver sur le terrain. Mais c’est vrai qu’un médecin qui 59
enseigne, comme c’est le cas actuellement, une pathologie, un traitement, une prise en 60
charge… tiens… j’ai un très bon exemple indépendamment de l’enseignement récent. Il s’agit 61
du travail que l’on a fait dans le service où un des médecins a voulu faire un petit fascicule… 62
enfin un truc de poche à l’usage des infirmières qui arrivent dans le service, quelque soit leur 63
expérience ou expertise dans le soin. Ce document était destiné surtout aux nouveaux 64
diplômés ou aux infirmières qui n’avaient aucune expérience en cancérologie. L’objectif était 65
de les aider à se repérer dans les pathologies, les examens demandés, la surveillance 66
infirmière. Il a voulu faire la surprise et puis je l’ai appris par le laboratoire qui finance… 67
66
« Tu as vu ce qu’il a fait dans le service, c’est une surprise pour les infirmières… » Et je lis 68
effaré le contenu… effaré dans le sens ou je me vois moi… je lis… et je me dis, ça m’est 69
absolument inutile ça. Des chiffres, des normes, une surveillance qui est tout sauf 70
infirmière… c’est à dire une surveillance… c’est à dire, rappel au médecin de ce qu’il doit 71
penser lui peut-être. Enfin je ne sais pas… plus qu’une science infirmière il y a une culture 72
quand même, et en fait cette culture là elle ne peut pas être comprise ou partagée toujours, 73
comme on ne comprend pas toujours cette nébuleuse médicale… et tant mieux, ce n’est pas 74
grave. Alors je lui ai dit, vous ne pouvez pas faire un document sans moi, sans l’équipe… 75
vous ne pouvez pas. Donc on a tout repris… c’est quelqu’un d’intelligent avec qui on travaille 76
très bien… donc on a tout revu. On a travaillé avec lui et je lui ai demandé… qu’est ce que 77
vous, vous voulez faire passer comme message ? Parce que moi ce que j’aimerai y trouver ce 78
n’est pas ça. Moi ce que j’aimerai y trouver c’est ce patient là… d’abord comprendre de façon 79
simple la pathologie, quelques repères, puis quelle surveillance, moi, je vais faire. Quels 80
repères je peux avoir sur un patient pour vérifier que son état ne s’aggrave pas ? Sur quoi je 81
vais vous alerter ? Finalement sur quoi on va travailler ensemble ? Quelle clinique 82
infirmière ?… voilà. Moi, je ne comprends rien à ce que vous avez écrit, ça ne m’intéresse 83
pas, c’est votre travail. C’est d’abord ça… une science infirmière. C’est pour moi une 84
discipline qui saurait regrouper toutes les compétences. Il y a sûrement des aspects partagés 85
par les médecins, mais pas seulement. C’est ce que l’on disait finalement, une science qui 86
regroupe tous les champs dont on a parlé, avec une culture propre et enseigné par des 87
professionnels du soin… de la discipline en question. 88
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 89
C’est, je pense, tout ce que j’ai dit avant… cela n’a pas de sens autrement. Il me semble… 90
sans ça on a, des actes infirmiers… voilà. Mais, de soins infirmiers, on ne peut pas en avoir 91
sans les sciences humaines. Les sciences humaines permettent de passer de l’acte au soin. 92
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 93
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 94
humaines ? 95
Long silence…. Ça, c’est sans l’appui des sciences humaines… tout ce monde qui beugle 96
dans le couloir alors qu’il y a plein de malades autour. En cancérologie on est confronté au 97
quotidien à la décision éthique… en tout cas à ce que l’on appelle la décision éthique. On est 98
confronté beaucoup à continuer ou pas… oui, à la proximité avec ce que l’on appelle 99
l’acharnement, à un refus de soin par un patient. Je pense que les sciences humaines c’est une 100
aide à la réflexion, une ouverture, pas vraiment une aide à la décision toujours, une autre 101
67
vision, c’est aussi parfois la confrontation de différents points de vue qui éclairent 102
différemment une situation, qui nous font reconsidérer une situation. La prise de décision elle 103
ne se fait pas toujours par la somme des éclairages… mais oui, c’est une aide de ce point de 104
vue là, je pense. 105
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 106
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 107
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 108
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 109
Des sciences infirmières. J’ai peur de l’enfermement…oui, je préfère au pluriel. Je ne peux 110
pas trop l’argumenter… c’est spontané. 111
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 112
Non… j’espère qu’on l’aura cette formation en sciences infirmières. Par pour la 113
reconnaissance… cela va au delà. C’est pour faire exister un vrai champ de compétences, de 114
responsabilités… ne plus être noyé dans la confusion d’exécutantes d’une activité médicale. 115
Peut être que l’on y trouverait une vraie force… un pouvoir. 116
68
Entretien Cadre Soignant N°5 : Lucile 1
Age : 32 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1999 4
Diplôme Cadre de Santé : 2007 5
Diplôme Universitaire : Master I Sciences de l’Education. 6
Exercice Diplômé d’Etat d’Infirmier : Uniquement l’oncologie ; médecine oncologique, soins 7
palliatifs adolescents, chirurgie oncologique et dernièrement en Hôpital de semaine oncologie. 8
Exercice Cadre Soignant : depuis 2007, en service de cardiologie. 9
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 10
infirmier ? 11
Ce sont les soins qui dépendent de notre rôle propre et de notre rôle délégué. C’est prendre 12
soin de la personne. Ce sont tous les actes répertoriés par notre décret professionnel et toutes 13
les choses que l’on peut mettre en place à côté pour faire les soins. C’est notre pratique 14
quotidienne avec des soins qui sont à la fois des soins techniques et des soins relationnels. 15
Lorsque vous dites, «… toutes les choses que l’on peut mettre en place à côté », vous 16
pensez à quoi ? 17
C’est tout ce qui accompagne notre pratique quotidienne, c'est-à-dire aussi le prendre soin de 18
la personne, toute une conception du soin. Voilà… tout ce que l’on met en place pour 19
effectuer nos soins auprès de la personne au quotidien. 20
Lorsque vous dites « … toute une conception du soin », pouvez vous me préciser cette 21
conception ? 22
Heu… j’ai dit ça ? (rire)… Oui… ce que je veux dire… ce sont toutes les valeurs que l’on 23
met dans les soins que l’on apporte aux patients. C’est aussi tout ce que l’on y met de nous-24
mêmes… dans le prendre soin, dans soigner, dans tout ça. 25
Eventuellement, pouvez-vous me préciser quelles sont ces valeurs ? 26
Et bien toute l’humanité… l’éthique… les valeurs en lien avec le relationnel, avec le prendre 27
soin de la personne… heu… voilà… la bonne distance. C’est à dire tout ce qui est dans ce que 28
l’on donne de nous pour soigner. Dans les soins infirmiers il y a tout ce qui est encadré par 29
notre décret, tous les actes professionnels répertoriés, mais il y a aussi toute l’humanité et 30
toutes ces valeurs que l’on y met nous soignants, le soin, c’est un peu aussi tout ça. 31
Vous parlez d’humanité, pouvez-vous préciser ? 32
69
C’est les valeurs dont je parle, l’éthique, le respect de la personne, l’écoute de l’autre, la 33
bonne distance… le prendre soin. 34
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 35
pour vous une science infirmière ? 36
Je pense que, justement, cela signifie un peu plus que ce qu’il y a aujourd’hui. C’est à dire la 37
recherche. C’est valoriser notre diplôme tout en continuant ensuite à se former, à pouvoir 38
publier, à pouvoir partager. C’est plus de possibilités de faire de la recherche en soins 39
infirmiers, de partager ça au niveau national et international. 40
Science… égale recherche ? 41
Oui… c’est aller un petit peu plus loin dans la connaissance de notre profession et continuer 42
après l’obtention du diplôme. C’est ouvrir sur des perspectives, s’impliquer dans des projets à 43
plus grande échelle, participer à des choses qui se font comme au Canada ou en Suisse. 44
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 45
Justement, j’ai commencé à en parler au début… c’est primordial, c’est imbriqué dans le soin 46
infirmier pour travailler sur ce prendre soin du patient. Je pense que c’est important d’avoir 47
des notions en sciences humaines pour pouvoir ensuite se positionner et être dans la 48
relation… dans une relation juste avec le patient. C’est pouvoir expliquer ce qui se passe aussi 49
dans les relations et les phénomènes de groupe. C’est aussi avoir plus de recul et pouvoir 50
analyser les situations. 51
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 52
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 53
humaines ? 54
En débutant en tant que jeune infirmière dans un service d’oncologie, confronté à la mort des 55
patients et tout ce qu’il y a autour de la mort, je peux dire que les sciences humaines m’ont 56
beaucoup manquées au début. Il y avait des notions que je n’avais pas sur la distance avec 57
l’autre, sur la relation avec la famille. Je pense qu’à ce moment là par exemple, au début de 58
ma pratique, je me suis senti un peu démunie. C’est par le partage de l’expérience avec les 59
anciennes que j’ai pu ensuite mieux me positionner, mais aussi avec des formations un peu 60
plus spécifiques. Je pense effectivement que si j’avais eu plus de notions en sciences 61
humaines cela m’aurait aidé au début à passer un cap difficile, surtout dans ces moments de 62
relation avec le patient. Certaines formations sur la relation d’aide et le soin palliatif m’ont 63
permis de mieux réussir et de mieux me positionner par la suite, être plus dans le prendre 64
soin, mais avec la bonne distance grâce à ces connaissances là. 65
70
Concrètement, qu’est ce qui a évolué dans la manière dont vous avez abordé, avec les 66
sciences humaines, ces moment là ? 67
Réussir à prendre un peu plus de recul, à être plus empathique, à être dans la juste distance 68
avec le patient, à être moins dans l’émotionnel. 69
Vous parlez de bonne distance… c’est quoi la bonne distance ? 70
C’est la juste distance où l’on est aidant… sans être ni trop près du patient, c’est à dire trop 71
envahissant, trop dans l’émotion… ou bien trop loin, à mettre des barrières. La distance où 72
l'on est à la fois, dans notre rôle de soignant proche du patient, où on peut lui apporter quelque 73
chose parce que l’on arrive à se positionner, sans pour cela y mettre trop d’émotion… qui fait 74
alors que l’on est trop impliqué dans la relation à l’autre et du coup pas aidant. La distance où 75
l’on n’est aussi pas trop loin du patient, à fuir par exemple cette mort qui approche en évitant 76
de rentrer dans la chambre, en gardant une certaine froideur, en ne pouvant pas toucher, en ne 77
pouvant pas être touché aussi. 78
Les sciences humaines vous permettent donc de préciser cette distance ? 79
Oui… je trouve. Pendant ma formation infirmière… moi… j’ai trouvé le module sciences 80
humaines insuffisamment traité. On avait du mal à y trouver quelque chose pour nous aider 81
dans notre pratique. C’est resté tellement théorique que cela n’a pas été bénéfique, en tout cas 82
pas pour moi. 83
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 84
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 85
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 86
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 87
Sciences en soins infirmiers au pluriel. Oui… parce que je trouve que ce qui permet de nous 88
définir, c’est le soin… soins infirmiers c’est important. Et au pluriel, parce qu’ils sont 89
nombreux, parce qu’il y a beaucoup de choses et que cela doit englober un peu tout ça. 90
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 91
Non92
71
Entretien Cadre Soignant N°6 : Chantal 1
Age : 54 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1977 4
Diplôme Cadre de Santé : 1999 5
Diplôme Universitaire : Licence AES 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Cancérologie, urgences, consultations de chirurgie, 7
chirurgie la nuit, cardiologie, neurologie, pneumologie, chirurgie thoracique et vasculaire. 8
Exercice Cadre Soignant : depuis 1999, en cardiologie et ensuite en chirurgie thoracique et 9
vasculaire où je suis actuellement. 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Ce qui me vient à l’esprit, c’est une prise en charge globale du patient. C’est ce que, 13
généralement, j’essaie d’inculquer aux infirmières et aux étudiantes. Donc pour moi la prise 14
en charge globale c’est à la fois l’aspect somatique, l’aspect psychologique, le contexte 15
social… voilà ! Une globalité du patient lorsqu’il arrive… que ce soit en chirurgie ou en 16
médecine. Pour préciser un peu plus… il faut faire abstraction de l’aspect technique, il faut 17
aller un peu plus au profond des choses. Souvent, par exemple… les étudiants lorsqu’on exige 18
d’eux leurs objectifs de stage, ils nous disent ; « faire des pansements, poser des cathéters, 19
etc. ». C’est tout l’aspect technique qui ressort. Bon ok, c’est normal, ils sont là pour 20
apprendre des gestes, je comprends… mais après lorsqu’on les voit dans la pratique ils se 21
concentrent sur ces gestes et puis… ensuite, ils oublient tout. Ils passent à côté d’un tas de 22
choses. 23
Pour vous, en dehors de votre préoccupation par rapport aux étudiants, que signifie 24
« tout ce reste » dont vous me parlez ? 25
Un peu tout le reste… c’est tout l’aspect psychologique, comment le patient ressent sa 26
maladie, comment il vit son hospitalisation. C’est à dire, toute cette prise en charge là qu’on a 27
tendance à occulter. C’est aussi l’écoute du patient… on passe faire un soin technique et si le 28
patient pose une question… soit on l’élude soit on dit je reviendrai et on ne revient pas 29
forcément. C’est tout cet aspect là qui bien souvent n’est pas pris en compte. Alors, bien sur, 30
il y a la pression et le manque de personnel. On entend toujours : « on n’a pas le temps ! ». 31
C’est l’éternel problème, je pense que l’on a le temps… le temps de le faire, même si on a des 32
impératifs horaires, même s’il y a des problèmes d’effectifs. On peut prendre le temps de se 33
72
poser 5 minutes et de parler au patient, de voir quelles sont ses interrogations et de voir si on 34
peut y répondre. Notamment en cancérologie… le patient a souvent eu un traitement avant, il 35
n’arrive pas à la chirurgie comme ça, sans avoir une connaissance de ce qu’il a. Justement, il a 36
plein d’interrogations, de questions… et voilà… il est là pour 4 jours, pour faire de la 37
chirurgie et on n’y pense pas. Il vient pour un acte chirurgical mais il y a de l’anxiété derrière. 38
Ce matin j’ai été un peu surprise de la réflexion d’un interne qui parlait avec une infirmière à 39
propos d’un patient. Ce patient depuis son arrivée était assez jovial, tout se passait très bien, il 40
communiquait bien. Hier soir, il a appris du médecin que les résultats d’examens n’étaient pas 41
bon. Aujourd’hui il se renferme, il est triste… bon, cela semblait… enfin, lors de la discussion 42
l’interne et l’infirmière semblaient interrogatif par rapport à ce patient. Je leur ai dit… vous ne 43
pensez pas que c’est un petit peu normal dans l’évolution de la pathologie ? 44
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 45
pour vous une science infirmière ? 46
Une science infirmière… c’est forcément développer des compétences en soins infirmiers, 47
encore une fois de manière globale, mais plutôt au niveau de la clinique. La clinique 48
infirmière qui comprend tout ce que je viens de vous dire : les soins techniques, la recherche, 49
l’éducation… 50
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 51
Je pense que c’est capital, essentiel… c’est vrai que c’est un terme assez vaste. Cela englobe 52
tout ce qui est en relation avec l’humain… qu’est-ce que je pourrai vous dire… Je pense que 53
l’on peut exercer les soins infirmiers comme ça, n’importe qui peut le faire, je vais chercher 54
n’importe qui dans la rue, je le prends et je peux lui enseigner les piqures. Mais je crois que 55
notre profession à une dimension autre. Justement on retrouve en faisant des études un peu 56
plus approfondies, la sociologie, la psychologie, la philosophie, l’économie de la santé. Je 57
pense qu’aujourd’hui, quand on travaille à l’hôpital on ne peut pas faire abstraction de 58
l’économie de la santé. 59
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 60
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 61
humaines ? 62
Je trouve que le travail de nuit m’a beaucoup apporté lorsque j’étais infirmière. La nuit les 63
patients se livrent peut-être plus facilement, il y a aussi beaucoup plus d’angoisse… voilà ! Je 64
me rappelle d’une patiente en service de cancérologie qui dans la journée semblait bien 65
accepter la maladie, elle était joviale, et la nuit elle craquait complètement. A l’époque j’étais 66
jeune infirmière, aujourd’hui je ne sais pas si je saurai mieux me débrouiller, mais à ce 67
73
moment là je me trouvais plutôt démunie. Démunie par rapport à tout ce qu’elle pouvait me 68
livrer, elle savait qu’elle était en fin de vie, c’était tout son questionnement par rapport à sa 69
famille, par rapport à son vécu, ses regrets… J’ai tenté de l’accompagner au mieux mais je 70
pense que je n’étais pas très bien armé pour ce type de prise en charge. 71
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 72
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 73
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 74
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 75
Je ne souhaite pas mettre les soins, je trouve que le soin c’est en rapport avec la technique. 76
Souvent on fait ce rapprochement, lorsqu’on pense soin on pense pansements, on pense 77
piqures… Donc, je préfère science infirmière. Au pluriel ou au singulier ? Cela peut-être une 78
science qui englobe plusieurs spécialités. Cela peut-être des sciences dans la mesure où cela 79
nécessite plusieurs compétences, plusieurs disciplines. 80
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81
Non. 82
74
ANNEXE 5
75
Grille d’entretien
(Entretiens cadres formateurs)
Age :
Sexe :
Diplôme d’Etat :
Diplôme Cadre de Santé :
Diplôme Universitaire :
Expériences professionnelles :
- Exercice Infirmier Diplômé d’Etat :
- Exercice Cadre Soignant depuis :
- Exercice Cadre Formateur depuis :
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin
infirmier ?
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier pour
vous une science infirmière ?
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ?
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences
humaines ?
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière question,
comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au singulier ?
Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou sciences en soins
infirmiers au pluriel ?
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
76
Entretien Cadre Formateur N°1 : Cathy 1
Age : 51 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1981 4
Diplôme Cadre de Santé : 2001 5
Diplôme Universitaire : Licence AES et Licence en Sciences de l’Education 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Infirmière en réanimation pendant 3 ans, infirmière 7
anesthésiste (IADE) pendant 17 ans en service de bloc et d’anesthésie. 8
Exercice Cadre Soignant : Cadre anesthésiste (IADE) pendant un an. 9
Exercice Cadre Formateur : depuis 6 ans en IFSI 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Si je le rattache à ma pratique professionnelle qui est essentiellement une pratique de bloc 13
opératoire, c’est pour moi une prise en charge globale du patient mais dans tous ses systèmes 14
de fonctionnement. La fonction IADE (Infirmier Anesthésiste Diplômé d’Etat) considère le 15
patient dans toutes ses fonctions vitales puisqu’on le met dans un coma artificiel. Le 16
deuxième point c’est la prise en charge d’ordre psychologique. Ma conception du soin, c’est 17
la conception holistique du patient dans les dimensions physique, psychique, sociale, etc. De 18
façon très schématique il s’agit de palier à ses besoins. Le patient a des besoins perturbés et il 19
faut répondre à ses besoins en priorité et ne pas s’attacher uniquement au patient en tant 20
qu’objet mais aussi dans ses émotions, dans son ressenti, dans la relation et le soin qui se joue 21
à ce moment là. Il faut aller extraire un peu ce qui se passe chez lui, ce n’est pas systématique, 22
ce n’est pas à tous les moments. Il est certain que dans le cadre d’un service de réanimation 23
les patients ne parlent pas, il n’y a pas forcément de communication verbale. Ce temps de 24
prise en charge du patient est un moment un peu privilégié car il se fait juste avant 25
l’anesthésie. C’est à ce moment là que l’on peut entrer en communication avec le patient, 26
savoir ce qu’il ressent au regard de sa maladie, ne pas forcément apporter des réponses mais 27
plutôt instaurer un climat de confiance, ce qui permet à la personne de s’endormir dans de 28
bonnes conditions. De mon expérience, quand les personnes sont conditionnées pour entrer 29
dans un sommeil apaisant et tranquille, il y a des répercutions au niveau du réveil. C'est-à-30
dire, si je sens quelqu’un de stressé, angoissé, ou qui ne verbalise pas, ou qui manifeste sur le 31
plan clinique des sueurs ou de l’hypertension, qui a du mal à entrer dans l’anesthésie, dans le 32
sommeil, c’est certain qu’au réveil ce sera un patient hypertendu, algique. Moi mon rôle, en 33
77
tant que soignant, dans cette prise en charge globale du patient c’est d’apporter cette part 34
d’écoute et de relation même si c’est un moment très court. Ce moment privilégié permet, 35
après la partie occulte que le patient ne voit pas, qui est une partie beaucoup plus technique 36
qui répond aux mécanismes physiologiques, d’avoir comme objectif de réveiller le patient. 37
Les conditions de réveil du patient dépendent des conditions d’endormissement. C’est cette 38
conception du soin qui est de répondre aux besoins et en même temps à tout cet aspect 39
psychologique, qui n’est pas habituel chez nous. Car le choix de faire de l’anesthésie n’est pas 40
anodin, c’est facile pour nous d’injecter un médicament et de faire taire le patient. Au début 41
c’est une formation qui fait appel essentiellement à la technicité, c’est d’ailleurs ce que l’on 42
va chercher, c’est ce côté technique qui nous plait, les capacités à être réactif à faire face aux 43
urgences. Ce qui nous donne l’illusion d’être un peu les sauveurs du monde. Une fois que l’on 44
a dépassé cette technicité, l’intérêt c’est d’aller privilégier ce côté relationnel. Après c’est à 45
chacun, dans la structure dans laquelle il travaille, dans le temps qui lui est imparti et en 46
anesthésie ce temps est très court, de tout faire pour mettre en place les conditions favorables 47
à la relation. 48
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 49
pour vous une science infirmière ? 50
C’est une question difficile, accepter une science infirmière c’est accepter le fait qu’elle soit 51
reconnue. Dans le cadre de notre activité elle n’est pas reconnue comme entité propre, cette 52
activité dépend de plusieurs sciences. Notre activité repose sur les sciences médicales à 53
travers les pathologies et sur la psychologie, la sociologie, l’anthropologie… A mon époque 54
la formation était essentiellement axée sur la pathologie, sur le savoir médical. L’évolution 55
des programmes a conduit à l’introduction des sciences humaines, cala élargit le champ de la 56
science infirmière. Ceci dit, je pense que la science infirmière proprement dite est une science 57
du soin. Une science du soin qui fait appel aux différentes disciplines médicales et sociales. 58
Le tout est de trouver un équilibre qui actuellement fait débat. Je pense que vouloir à tout prix 59
introduire des disciplines qui sont de l’ordre de la psychologie, de la sociologie n’est pas 60
forcement adapté à la science infirmière propre. La science infirmière elle découle aussi de 61
notre rôle propre et de ce que l’on y fait dans nos actes, dans la limite de nos compétences. 62
Aborder ce champ là est intéressant en termes de culture, d’épanouissement et d’approche 63
différente de la personne mais il ne faut pas non plus que l’étudiant s’y perde. Car, malgré 64
tout, dans sa pratique l’étudiant est confronté à une logique de résolution de problèmes. Il est 65
face à un patient et il se doit d’être réactif très rapidement en fonction des moyens qu’il 66
dispose. On est vraiment dans la résolution de problèmes, pure et dure, il faut trouver des 67
78
solutions. Dans les sciences humaines, dans cette réflexion, il y a une distance, une autre 68
logique. D’ailleurs, cela pose les limites de notre formation actuelle, demander aux étudiants 69
de passer d’une logique de résolution de problèmes à une réflexion, c’est quelque chose que 70
les étudiants ont du mal à s’approprier. Peut-être est-ce nous, formateurs, qui ne nous donnons 71
pas les moyens de cette réflexion, peut-être est-ce un problème de méthodes pédagogiques, en 72
tout cas le travail écrit de fin d’études est un échec dans le sens où il ne rentre pas dans cette 73
réflexion, même s’il s’appuie sur les sciences humaines. Les sciences humaines sont 74
essentielles, car on est dans un métier de l’humain, mais il y a un équilibre à trouver. Depuis 75
l’introduction du nouveau programme en 1992 j’ai un peu l’impression que l’on est à la limite 76
de ce que produit la formation. A vouloir trop scientifiser la formation et bien on en arrive à 77
faire une science qui n’est pas adaptée à l’étudiant et ensuite au terrain. Une science qui 78
finalement ne répond pas aux besoins des patients. 79
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 80
Elles ont une utilité… c’est indéniable. Elles ne sont pas à remettre en cause, elles apportent 81
cette dimension plus humaine du soin, pour ne pas rester dans une science infirmière trop 82
technique, trop pratique et accès essentiellement sur le soin. En revanche la question que je 83
me pose est, est-ce que l’apport de ces sciences humaines permet à l’étudiant ou au 84
soignant… enfin comment ils s’en servent ? Notre rôle de formateur est de les accompagner, 85
mais dans la formation ces sciences sont souvent dispensées sur le mode magistral. Il n’est 86
pas évident de les mettre en œuvre, de les mettre en action. On pourrait réfléchir à des jeux de 87
rôle ou à d’autres dispositifs. Cela pose également les limites de nos compétences, on ne 88
s’improvise pas praticien réflexif. Il faut probablement faire appel à des compétences 89
extérieures. A l’heure actuelle je n’ai pas l’impression d’une très grande efficacité de nos 90
méthodes ce qui ne permet pas à l’étudiant d’en avoir le bénéfice complet… de mon point de 91
vue. 92
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 93
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 94
humaines ? 95
Il me faut un petit temps de réflexion… C’est l’expérience de l’accueil du patient en pré 96
anesthésie qui me permet de dire qu’il est nécessaire de considérer le côté humain. C’est par 97
moment le manque d’adaptation aux situations vis-à-vis de patients dans la douleur, la 98
douleur à la limite on peut y répondre de façon technique, mais c’est plus vis-à-vis de patients 99
en souffrance par rapport à leur pathologie où la relation d’aide, l’écoute, l’empathie peuvent 100
être efficace. Je me suis retrouvé en difficulté dans une situation où je me dis que là 101
79
effectivement, par rapport à ma propre formation où je n’ai pas eu les outils, comment je peux 102
être aidante pour la personne, comment je peux être dans l’écoute. Si j’avais eu une approche 103
pendant mes études, de la connaissance de l’individu, cela m’aurait rendu service. Cela peut 104
permettre de répondre et de faire face à certaines situations. 105
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 106
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 107
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 108
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 109
De façon globale comme ça, je dirais, à partir du moment où l’on parle de soins, le soin n’est 110
pas quelque chose de singulier, il y a plusieurs soins… si on veut également intégrer la 111
pluralité des sciences… donc… comme ça en première intention je mettrais tout au pluriel. 112
Cela pour permettre une ouverture, que cela ne soit pas restrictif… donc tout au pluriel. 113
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 114
C’est une réflexion autour des sciences humaines dans la perspective de la réforme des études 115
infirmières. Il me semble nécessaire de ne pas reproduire ce qui a été fait en termes 116
d’enseignement des sciences humaines, qui ne sont pas faciles à intégrer, pas facile à 117
dispenser. Il y a quand même une réflexion à avoir sur la place des sciences humaines à 118
accorder dans la formation, l’intérêt au bénéfice de l’étudiant et du futur infirmier, l’intérêt 119
pour le patient. Il faut qu’elles puissent répondre à l’évolution du soin et à l’évolution de notre 120
système de santé, mais aussi aux contraintes économiques. Il faut dire aussi que lorsqu’on a 121
des durées moyennes de séjour de 3 ou 4 jours et qu’il faut répondre au patient dans sa 122
globalité, comment pouvons-nous organiser tout cela, être au mieux soignant dans un temps 123
déterminé ? 124
80
Entretien Cadre Formateur N°2 : Josiane 1
Age : 54 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1981. Diplôme d’Etat d’Infirmier de Bloc Opératoire (IBODE) : 4
1989 5
Diplôme Cadre de Santé : 1996 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Exercice libéral, humanitaire, intérimaire en France et en 7
Suisse dans différents services, exercice en bloc opératoire. 8
Exercice Cadre Soignant : 5 ans en bloc opératoire dans un centre de lutte contre le cancer. 9
Exercice Cadre Formateur : depuis 1998 dans une école IBODE. 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Il y a deux éléments importants qui concernent l’état physique et psychologique. Il faut 13
prendre en compte les soins dont le patient a besoin dans cet esprit là. C'est-à-dire qu’il existe 14
une pathologie mais elle automatiquement rattachée aux antécédents. Mais là, c’est 15
l’infirmière de bloc qui parle, car en tant qu’instrumentiste, circulante ou même aide 16
opératoire ce sont des éléments que l’on prend en compte. C'est-à-dire l’état dans lequel se 17
trouve le patient au moment où il a besoin d’un soin aigu ou bien un soin au cours de la 18
journée. C'est-à-dire ; est-ce qu’il est réceptif, est-ce qu’il est dans l’angoisse, la 19
préoccupation, préoccupation par rapport aux soins ou par rapport à l’extérieur. Mais 20
également tout son passé par rapport à la santé, comment elle est gérée jusqu’à présent. C’est 21
très important car on travaille de plus en plus dans un milieu interculturel et que, pour le 22
patient, ce n’est pas la même chose de recevoir un soin selon les cultures. Par exemple si tu 23
n’es jamais allé à l’hôpital… moi qui ai travaillé longtemps dans le milieu rural, c’est vrai que 24
pour les patients hospitalisés c’était dramatique. Ils étaient complètement perdus comme si on 25
les mettait dans un univers… comme s’ils se retrouvaient dans une communauté indienne au 26
fin fond de l’Amazonie. Pour moi c’est très important car il y a cet aspect dans le soin 27
éducatif, dans l’accompagnement, qui fait que si tu ne prends pas cela en compte tu ne peux 28
pas prendre en compte ce qu’est la personne. Il faut donc prendre en compte l’état du patient 29
sur le plan physique et psychologique. Curieusement, et cela peut paraître un peu surprenant 30
au bloc opératoire… c’est quand même comme ça que l’on arrive à mieux cerner l’aspect 31
technique du travail du soin. Il faut donc bien connaître le patient, les dossiers et voir 32
comment il arrive le matin. S’il est tendu, s’il a des préoccupations particulières… c’est vrai 33
81
qu’au niveau de la douleur… la douleur est majorée s’il arrive au bloc dans un état de tension 34
et que l’on n’est pas parvenu à le décontracter. J’ai vu des patients faire des malaises en étant 35
pas anesthésiés généralement, c’est à dire en ayant eu des rachis anesthésies. Comme on ne 36
s’occupe pas spécialement à la tête du patient… c’est à l’acte chirurgical que l’on est 37
concentré, si l’infirmière circulante ne fait pas le tour et ne voit pas l’état dans lequel est le 38
patient… tu es obligé de l’endormir parce que son angoisse monte. Cela veut bien dire que si 39
tu ne t’occupes pas vraiment de l’état dans lequel se trouve le patient en pré et post opératoire 40
tu passes à côté. On peut faire des bêtises parce qu’il est tellement tendu qu’il peut gêner, 41
gêner le geste. Quelque soit le service c’est la même chose, c’est exactement la même chose. 42
Si le patient à l’hôpital est un peu perdu, à domicile c’est différent. C’est à l’infirmier de 43
s’adapter un petit peu aux modes de vie du patient. Pour faire une injection il m’est arrivé de 44
me présenter chez des patients qui n’avaient pas l’eau courante ou bien elle était au bout de la 45
ferme… des choses comme ça. Les patients immergés dans leur milieu de vie, ils ont aussi 46
parfois des soins réitérés qu’ils ne devraient pas forcément avoir… c’est quelquefois leur 47
façon de vivre qui majore l’état de santé déficient. 48
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 49
pour vous une science infirmière ? 50
Je crois que l’on va retrouver les mêmes choses que dans les sciences de l’éducation. Les 51
sciences de l’éducation qui regroupent un peu de sociologie, de psychologie… enfin voilà, il y 52
a tout ce mélange là qui fait que l’on met cet ensemble de disciplines au service de l’étudiant. 53
On va retrouver la même chose en sciences infirmières. La science infirmière fait appel à des 54
connaissances psychologiques, physiologiques, anatomique. Cela regroupe d’une certaine 55
manière ce que l’on appelle le médical et toute les sciences sociales. Mais en sachant que si 56
l’on veut extraire une science infirmière à part entière et bien, elle est faite de cette 57
articulation autour d’une personne que l’on accompagne dans son chemin de santé. Cela 58
ramène à un ensemble, à une certaine unité, c’est une façon de mettre en musique, 59
d’harmoniser tous ces savoirs. En sachant qu’il y a quand même des savoirs propres qui se 60
dégagent, ils sont pas forcément formalisés. Il y a plein d’astuces, de savoirs faires, de savoirs 61
êtres qui sont présents mais pas forcément formalisés. 62
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 63
A partir du moment où tu travailles avec l’humain, il est au cœur de tes préoccupations 64
professionnelles. Même si en apparence on travaille sur le corps tu ne peux pas ignorer 65
l’aspect psychologique, sociologique de la personne que tu as en face. La preuve, tu es bien 66
obligé d’adapter y compris ta technique de soin au patient. Cela revient à s’intéresser à la 67
82
culture… à l’état de la personne sur le plan psychologique à son arrivée. Cela remet en 68
question tout ça en fait… les aspects qui ont conduit le patient à être dans cet état là. Une 69
autre dimension à prendre en considération également est celle du travail en équipe. Il y a 70
beaucoup d’acteurs autour du patient et du soin et cela peut faire l’objet de pas mal de 71
conflits, de problèmes d’organisation. Si les sciences humaines ne sont pas présentes et 72
reconnues dans les pratiques ou les apprentissages cela devient très compliqué. Il faut quand 73
même admettre que parmi les soignants et les médecins il y a quand même un rejet des 74
sciences humaines. Je prends l’exemple d’une patiente qui arrive au bloc opératoire et qui est 75
très préoccupée. Si on demande au médecin anesthésiste le temps de lui parler, de ne pas 76
rentrer de suite dans ce qu’ils appellent le technicage du patient, on s’entend dire… oui mais 77
c’est psychologique, hier elle était déjà comme ça. En fait, il y a une tendance à mettre dans 78
des cases un peu rapidement parfois et ce n’est pas toujours évident. Parfois c’est aussi nos 79
collègues et par exemple dans notre école d’IBODE les psychologues ne sont pas toujours très 80
bien acceptés. 81
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 82
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 83
humaines ? 84
Je reviens à cette expérience qui n’est pas très lointaine et qui concerne un patient qui avait un 85
problème d’alcoolisme. On lui fait un examen très douloureux sous anesthésie locale pour 86
voir si ses vaisseaux se bouchent. Un examen qui n’est pas très compliqué mais qui demande 87
pas mal d’équipement et de personnes au pied du lit. Moi je circulais en tant qu’enseignante et 88
ce patient se décomposait. Je voyais bien qu’il transpirait, qu’il transpirait… J’ai du prévenir 89
de la réalité de ce malaise. On a voulu répondre par une injection. Je me suis mise à discuter 90
avec ce patient… il n’avait pas mal, il n’avait pas peur non plus, c’est que je crois qu’on 91
l’avait oublié tout simplement. Là, il y a un problème. Ce sont des conversations au pied du 92
patient qui étaient très angoissantes pour lui. Parce qu’une montée de sonde dans les 93
vaisseaux ce n’est pas quelque chose de très facile, il y a des obstacles parfois. Le chirurgien 94
avait du mal à faire cette montée de sonde et à l’autre bout le patient était désemparé. C’est 95
bien de pouvoir le reprendre et en reparler après. 96
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 97
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 98
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 99
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 100
83
D’emblée, comme ça, j’aurai tendance à le mettre au pluriel. Peut être pour retrouver une 101
espèce d’unité, qu’il y est des petits plus partout… je ne sais pas comment l’exprimer 102
autrement. Pour être un peu plus dans l’ouverture… donc sciences infirmières au pluriel.103
84
Entretien Cadre Formateur N°3 : Valérie 1
Age : 52 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1978 4
Diplôme Cadre de Santé : 1996 5
Diplôme Universitaire : Non 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : Médecine, chirurgie, hospitalisations à domicile. 7
Exercice Cadre Soignant : Depuis 96 en service d’hémoto-oncologie. 8
Exercice Cadre Formateur : Depuis 2005 en IFSI. 9
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 10
infirmier ? 11
Bonne question… ma réponse sera naturellement influencée par le discours à ce sujet dans 12
notre institut de formation et le débat forcément présent dans un lieu consacré à 13
l’enseignement du soin infirmier. Le soin infirmier c’est s’occuper de l’autre en reconnaissant 14
cet individu, tel qu’il peut être. C’est une approche globale avec tout ce que l’on peut y mettre 15
dessous. C’est des soins techniques, mais au travers de ces soins techniques c’est pouvoir 16
apporter un petit peu d’humanité à un séjour hospitalier. C’est pouvoir l’aider à supporter un 17
passage difficile. Par exemple, en service d’hémato-oncologie, c’est de l’accompagnement de 18
fin de vie du patient, de l’accompagnement des familles. C’est pouvoir écouter, c’est apporter 19
une présence, des explications pour le geste, c’est être disponible, c’est être à l’écoute. 20
Que signifie pour vous, « apporter de l’humanité » ? 21
L’humanité c’est la reconnaissance de l’autre… les soins infirmiers, ce n’est pas, à la lettre 22
appliquer un soin qui a été prescrit. C’est appliquer à une personne un soin en fonction de ce 23
qu’elle peut réclamer, de ses besoins… si à un moment donné cette personne refuse les 24
traitements, ou se pose des questions par rapport au soin, par rapport à son devenir. C’est 25
pouvoir aussi se poser en tant que soignant, en discuter en équipe, en parler avec les 26
médecins. Ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez dans le guidon mais faire avec le patient. 27
Pourtant, c’est ce que l’on est amené à faire au quotidien parce que l’on est soumis à la 28
pression, à une telle charge d’actes prescrits… Souvent on a tendance à être dans la réponse 29
sans être suffisamment dans l’analyse du pourquoi, du comment… suffisamment dans 30
l’écoute du patient qui nous renvoie des choses. C’est un travail d’équipe qui n’est pas facile, 31
chaque membre de l’équipe est différent, on n’a pas tous les mêmes objectifs, la même 32
conception du soin. Certains veulent faire leurs actes techniques… point. D’autres passent 33
85
dans les chambres et restent un peu plus de temps, parce que ils souhaitent voir autre chose 34
que le soin technique. Je pense que le patient à besoin autant de ce rapport humain que de la 35
dextérité du geste technique. C’est d’ailleurs souvent ce que le patient retient de son 36
hospitalisation ; le contact humain. De là…. Il y a l’aspect éthique qui nous questionne… tout 37
ce questionnement qui peut surgir si on est à l’écoute du patient et pour lequel on peut 38
échanger avec nos médecins. Se poser un peu pour ça… plutôt que d’être dans le faire, le 39
faire, le faire. 40
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 41
pour vous une science infirmière ? 42
C’est bien difficile à définir…. pour l’instant cela n’existe pas. La science infirmière a besoin 43
des autres sciences. Dans le soin infirmier on travaille en cherchant à comprendre à l’aide de 44
plusieurs disciplines. Même si un jour une discipline infirmière voit le jour il faudra 45
considérer nos connaissances dans cette diversité. Une science infirmière… je la perçois 46
davantage comme la reconnaissance d’une fonction de l’infirmière. Pour l’instant cette 47
fonction on la découpe en rôle propre, en rôle prescrit… dans le préventif, le curatif, etc. Il y a 48
plein de mots… mais il faudrait réunir tout cela dans une science infirmière qui aura à 49
s’inspirer des autres disciplines. Si on prend le patient dans sa globalité… on n’est pas seul. 50
On est obligatoirement obligé d’utiliser les différentes sciences. 51
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 52
Moi je trouve que c’est capital… c’est capital car soigner c’est prendre soin de quelqu’un, 53
d’une personne, d’un individu. Travailler avec les sciences humaines permet une meilleure 54
compréhension de l’autre, en tout cas, on va s’arrêter et essayer de comprendre ce qui se passe 55
chez l’autre. En 78, lors de ma formation, les sciences humaines n’étaient pas au programme 56
des études. Cette formation s’est enrichie depuis 92… je pense notamment grâce à l’apport 57
des sciences humaines et à la réunion avec la psychiatrie. Je trouve qu’il y a aujourd’hui une 58
différence avec cet apport…. on le remarque chez les étudiants et les nouveaux diplômés dans 59
les services. On n’avait pas à l’époque cette approche, cette réflexivité, cette analyse qui 60
utilise justement l’éclairage des sciences humaines. 61
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 62
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 63
humaines ? 64
Je vous ai précisé au début de l’entretien que j’avais exercé dans un service d’hospitalisation à 65
domicile… j’étais infirmière coordinatrice. J’étais en contact avec de nombreux patients 66
porteurs de pathologies S.I.D.A. Je pense que j’ai beaucoup appris du terrain mais peut-être 67
86
que si j’avais eu une meilleure connaissance de… par le biais des sciences humaines, peut-68
être que cela m’aurait permis de… une meilleure approche de ces patients… toxicomanes, 69
addictions diverses, je ne parle même pas de la pathologie S.I.D.A et de tout le contexte social 70
et psychologique et de toutes les difficultés qui leurs étaient spécifiques. J’ai tiré un 71
apprentissage au contact de ces patients, au cœur de ces situations, mais peut-être que j’aurais 72
eu un éclairage plus rapide si j’avais eu un enseignement en sciences humaines. 73
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 74
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 75
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 76
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 77
Peut-être sciences en soins infirmiers au pluriel… je pense qu’il faut s’inspirer de plusieurs 78
disciplines. Les soins… parce que les soins c’est ce qui nous appartient vraiment, c’est notre 79
identité. 80
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 81
Que c’est un vaste sujet… que c’est une vraie problématique et qu’il ne me semble pas y 82
avoir, dans cette perspective, une réelle émulation des gens du terrain. 83
87
Entretien Cadre Formateur N°4 : Michèle 1
Age : 49 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat : 1982 4
Diplôme Cadre de Santé : 2000 5
Diplôme Universitaire : D.U. Hygiène Hospitalière 6
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat d’Infirmier : (CMLS) Centre de Moyen et Long Séjour, 7
Service de médecine gastrologie, Hygiène Hospitalière. 8
Exercice Cadre Soignant : depuis 2001 en service de gastro-entérologie. 9
Exercice Cadre Formateur : depuis 2007 en IFSI. 10
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 11
infirmier ? 12
Etre auprès du patient, proche du patient… voilà en gros. Oui… c’est ça. J’ai un peu de mal à 13
développer. Oui… c’est une proximité par rapport à la personne soignée. C’est faire des soins 14
en étant à l’écoute de la personne. 15
Qu’est-ce que signifie pour vous « être à l’écoute de la personne » ? 16
Etre disponible, être attentif… un terme que l’on entend beaucoup, être dans l’empathie. 17
Pouvoir se dire, moi dans ce contexte là, comment je réagirai. 18
Pour vous le soin infirmier c’est être à l’écoute, disponible et dans l’empathie ? 19
Oui... je ne parle pas d’un geste spécifique, je reste très générale. Il va y avoir tout type de 20
soins mais tous les soins sont englobés dans ces trois termes. Par contre, pour définir le soin 21
infirmier, si je m’adresse à quelqu’un qui n’est pas du métier je présenterai plutôt 22
l’organisation de ma journée de travail. Je vais lui décrire les gestes, l’organisation, en 23
mettant l’accent sur le fait que ce n’est pas juste que de la technique. Cela ne suffit pas en soi-24
même. Tout le monde sait tenir une seringue… puisque c’est l’image, la représentation que la 25
plupart des gens ont de l’infirmière… la personne qui tient la seringue, qui purge… voila ! On 26
voit bien ce mouvement là. Donc oui, il y a ça… mais c’est dans quelque chose de beaucoup 27
plus global on va dire. C’est un travail sur les valeurs et sur la personne et pas uniquement 28
centré sur les gestes. Ce sont des gestes que l’on apprend, des gestes techniques, mais qui sont 29
insérés dans quelque chose de beaucoup plus… il ne s’agit pas de savoir simplement l’asepsie 30
ou le geste technique… ça ne suffit pas. On ne passe pas trois années d’études à apprendre à 31
tenir une seringue. Il ne suffit pas de repérer le bon endroit, le bon quart, la fesse pour piquer. 32
88
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 33
pour vous une science infirmière ? 34
Je ne sais pas… c’est de travailler, de développer, d’apprendre aux étudiants à l’université 35
tout ce qui gravite autour d’un geste technique. Oui… c’est de travailler tout ce qui existe 36
autour du soin. En même temps je ne me représente pas très bien ce que peut être une science 37
infirmière. 38
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 39
Justement… c’est pour répondre à tout ce qui n’est pas geste technique. Cela permet de 40
faciliter la relation, la compréhension des phénomènes qui se passent chez les personnes, que 41
ce soit les patients ou les familles. Cela permet également de répondre à l’anxiété qui peut se 42
dégager par rapport à une hospitalisation… même une hospitalisation pour un motif bénin. 43
Derrière le soin il y a plein de réalités que les personnes vivent. Ils sont là, par exemple, pour 44
une appendicectomie et à côté de ça les enfants sont seuls à la maison, cela pose un souci, il 45
existe des choses auxquelles on ne pense pas et qu’il parait intéressant de comprendre. Cela 46
permet en même temps d’être plus à l’aise avec ce que l’on fait, on essaye d’avoir une 47
compréhension des choses, du coup on a plus de recul. Je pense par exemple à la famille qui 48
est un petit peu anxieuse et qui brutalement devient agressive, du coup cela permet de prendre 49
du recul par rapport à ça. Si j’étais moi même dans l’inconnu d’un diagnostic, je serais peut 50
être dans le même état. Les sciences humaines permettent de mieux voir les choses et en cela, 51
on arrive davantage à gérer les difficultés des personnes. 52
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 53
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 54
humaines ? 55
Alors moi… je suis d’une formation en 1982 dans laquelle il y avait peu de sciences 56
humaines. Je pense que cela m’a manqué par rapport à la prise de recul face à des situations. 57
Après, je me dis qu’il y a quand même des choses… pas innées, mais des choses que l’on 58
sent. Bon voilà… puis je me dis que l’on ne devient pas infirmière pour rien. Quelque part, je 59
pense à la majorité des cas, il y a quand même… une petite fibre. Mais c’est vrai que pour 60
prendre du recul face aux situations… elles m’ont manquées. En étant plus jeune on est 61
parfois plus réactif… mais j’ai appris à gérer les choses autrement, je prenais sur moi… 62
c’était un peu douloureux. Je peux dire que parfois cela me mettait en tension… j’avais de la 63
tension. Alors que, effectivement, si j’avais eu plus de formation à ce niveau là… encore 64
que… je pense qu’il faut que cela chemine, il faut de l’expérience, les sciences humaines en 65
soi… 66
89
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 67
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 68
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 69
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 70
C’est difficile… j’ai déjà du mal à mettre une définition sur la science infirmière et même le 71
soin… je cherche les mots, c’est un peu difficile pour moi. Alors, reprenons… moi je mettrais 72
science au singulier et soins au pluriel. Vous me triturez le cerveau… je suis très… pas terre à 73
terre mais très concrète quand même. Tout cela… c’est de la terminologie, je ne suis pas sur 74
que cela puisse être d’un grand intérêt. 75
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 76
Non… non. 77
90
Entretien Cadre Formateur N°5 : Barbara 1
Age : 52 2
Sexe : F 3
Diplôme d’Etat d’Infirmier : 1979 4
Diplôme Cadre de Santé : 1997 5
Diplôme D’Etat de Psychomotricien : Pratique de psychomotricienne en IME (Institut Médico 6
Educatif) pendant 2 ans. 7
Exercice Infirmier Diplômé d’Etat : nourrissons prématurés, réanimation cardiaque, chirurgie 8
orthopédique, chirurgie vasculaire, médecine de nuit, MAS (maison d’accueil spécialisé), 5 9
années de libéral en coupé. 10
Exercice Cadre Soignant : Non 11
Exercice Cadre Formateur : depuis 97 en IFSI. 12
Quelle est votre conception du soin infirmier ? Qu’est-ce que signifie pour vous le soin 13
infirmier ? Revenir à sa pratique. 14
Alors… pour moi le soin infirmier c’est la rencontre de 2 personnes, avec une personne qui à 15
un moment donné se trouve dans une position de faiblesse. L’infirmier va pouvoir l’aider (le 16
patient) à faire ce qu’il ferait par lui-même s’il avait toutes ses aptitudes. C’est la définition de 17
Virginia Anderson. C’est ça pour moi… et donc pour moi être infirmier c’est d’abord être 18
dans une situation clinique. La technique du soin, quant à elle, peut s’acquérir en 2 ou 3 mois. 19
L’infirmier clinicien, ou avec un regard clinique, que l’on souhaite former ici… enfin on 20
essaye, prend plus de temps à se construire. Pour moi, être infirmier c’est avoir un regard 21
clinique sur les situations de soins, avec tout l’accompagnement que cela présuppose. Donc… 22
avec des aptitudes d’observations et puis ce désir d’accompagnement, d’être à côté de l’autre 23
et pas faire pour lui… voilà. Dans l’instant… voilà ce que je peux dire du soin infirmier. Je 24
pense que l’on forme un bon technicien du soin très rapidement, un infirmier de réanimation 25
au bout d’un an il est très opérationnel, un infirmier psy pour moi il faut une vie de travail 26
pour le former. 27
Dans la perspective éventuelle d’une discipline en soins infirmiers que peut signifier 28
pour vous une science infirmière ? 29
Une science infirmière… c’est l’approche clinique de l’être humain. L’approche clinique 30
suppose d’être assis sur un savoir théorique solide. C'est-à-dire une réflexivité, une adaptation 31
aux situations, une remise en question de soi-même, un apprentissage permanent de 32
l’exercice. Donc… la science infirmière, elle a lieu d’être pour moi. Elle n’est pas nommée, 33
91
elle n’est pas reconnue par les représentations sociales de notre métier, mais elle existe. Elle 34
existe comme travail d’élaboration, analyse de situations… vous voyez ce que je veux dire. 35
Quelle est l’utilité, selon vous, des sciences humaines dans le soin infirmier ? 36
Primordial… pour moi c’est primordial, c’est indispensable. Sans les sciences humaines on 37
est un simple technicien du soin, on ne peut pas être un infirmier. Les sciences humaines… 38
sont indispensables par leurs apports sur le développement de l’individu à tous les niveaux, 39
cognitif, intellectuel, psychomoteur, staturo-pondéral, tout ce que vous voulez… Mais aussi 40
l’éclairage psychologique, psychanalytique, sociologique… le contexte sociologique est très 41
important dans le soin… elles vont loin les sciences humaines. Je mettrais également l’aspect 42
culturel… voyez, elles sont indispensables, premières. Cet éclairage là, on ne peut pas en faire 43
l’économie dans le soin. Si vous voulez… quand on forme un étudiant on ne peut pas lui 44
amener tous ces contenus, c’est impossible… mais ce que l’on peut lui apporter c’est 45
l’ouverture. Lorsque j’ai fait mes études de psychomotricienne… cela m’a ouvert une 46
bibliothèque… quelle ouverture, quel éclairage, quel autre regard sur le soin ! Vous voyez ce 47
que je veux dire ? Je vous parle des sciences humaines mais je mets autant l’accent sur les 48
disciplines fondamentales, anatomie, physiologie. Ce n’est pas uniquement les sciences 49
humaines. Je vais aller loin… en grandissant, en prenant de la hauteur, de l’âge… je pensais 50
avoir un boulot un petit peu léger, aujourd’hui je pense que, à notre poste, on a un niveau 51
universitaire. J’en suis persuadée aujourd’hui. Au plus je m’ouvre… au plus je me rends 52
compte que l’on ne mesure pas les compétences que demandent notre fonction. 53
Dans le souvenir d’une pratique soignante pouvez-vous préciser un moment, ou un soin 54
particulier, qui vous a paru mettre en évidence l’intérêt de connaissances en sciences 55
humaines ? 56
J’étais infirmière libérale… on travaillait avec une population harki. Comment vous 57
expliquer… je me suis aperçue que les sciences humaines, en creux, pouvaient me manquer 58
ou me faire défaut. Ce manque m’ouvrait, m’incitait à aller chercher le savoir. Mais je peux 59
également affirmer que l’on peut travailler avec ce creux. L’authenticité permet de 60
travailler… d’entrer en relation de manière suffisante pour faire accepter le soin. Je travaillais 61
avec des patients maghrébins, des hommes d’un certain âge. L’authenticité, l’empathie, le 62
regard sur l’autre, l’acceptation de l’autre me suffisait pour fonctionner. Là où cela 63
apparaissait en creux… c’est que cela me questionnait sur ce que j’allais pouvoir découvrir 64
chez eux… si je ne pouvais pas le découvrir dans les livres. Je pense que les apports 65
théoriques sont nécessaires mais s’apprennent par l’observation sur le terrain. En tout cas, la 66
base de la théorie c’est quand même ce que l’on… et donc, c’est l’écoute. Ce manque me 67
92
permettait d’ouvrir mes yeux… ce creux en quelque sorte m’a permis de m’ouvrir. Cela pose 68
la question de la formation… notre rôle de formateur devient peut-être, dès lors, de créer du 69
creux pour que l’étudiant désire le remplir. Si on voit la formation au travers du projet 70
programmatique… on offre du plein. Selon le regard, le projet de l’IFSI, on est fait pour faire 71
du creux, pour donner les clefs d’une bibliothèque… Lorsque j’étais jeune infirmière j’ai 72
commencé aux nourrissons prématurés… c’est un sacré poste. Lorsque l’on n’a pas 73
d’expérience, que l’on est de nuit avec trois auxiliaires… il faut assurer. Grace à dieu je me 74
suis appuyée sur l’expérience de ces filles là et sur des médecins pédiatres qui étaient de 75
garde. Certains m’ont appris plein de choses. C’est pour vous dire que là, j’ai commencé avec 76
des creux. Par la suite je suis allée à l’université en alternance pour ma formation de 77
psychomotricienne. Quand je suis revenue dans le service… je me suis mis les mains sur la 78
tête… on mettait tout sur les couveuses… pan, pan, pan… le bruit. Je commence à observer le 79
soin avec cet éclairage… on mettait tout sur les couveuses, les flacons, les machins. Les 80
enfants sursautaient. Je commence à observer les pratiques de soins et à analyser avec 81
l’éclairage théorique. Déjà, à l’époque, j’alertais sur des pratiques qui me questionnaient. On 82
s’était moqué de moi dans tout l’hôpital parce que je demandais des précisions sur des 83
injections de pénicillines pour des prématurés. Je demandais à l’interne de me prescrire en 84
même temps de la Xylocaïne pour la douleur. Il m’autorisait à le faire mais cela avait fait le 85
tour de l’hôpital. Si je pouvais soigner sans faire mal… c’était mieux. A l’époque, en 79, la 86
prise en charge de la douleur ce n’était pas pris en compte. Cela avait fait rire beaucoup de 87
personnes dans l’hôpital… mais en attendant l’interne me le prescrivait. Cette ouverture par 88
rapport aux sciences humaines, je l’avais déjà eue. Le fait de faire des études m’a permis de 89
comprendre que ces creux, ces manques dans ma pratique… il y avait des réponses, des 90
chercheurs avaient réfléchi sur la douleur. 91
Dans la perspective d’une discipline infirmière, et je formulerais ici ma dernière 92
question, comment souhaiteriez-vous intituler cette science ? Une science infirmière au 93
singulier ? Sciences infirmières au pluriel ? Science en soins infirmiers au singulier ou 94
sciences en soins infirmiers au pluriel ? 95
Science infirmière au singulier. Elle tient sa particularité de faire des ponts entre les autres 96
disciplines. C'est-à-dire que l’on ne peut pas faire l’économie des autres sciences. Je la vois 97
comme ça cette science… mais c’est une utopie. 98
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? 99
93
Oui… le mot science, je fais le lien avec les sciences techniques, physiques, mathématiques. 100
Pour chacune, il y a plusieurs disciplines. Dans les mathématiques… il y a l’algèbre, la 101
géométrie, etc. Pour la science infirmière c’est pareil. 102
94
ANNEXE 6
95
Entretien étudiant N°1 : Mélanie (Annexe 2, p.15)
Unités de sens Indicateurs Critères Thème
« …le soin infirmier c’est avant tout la
présence, être à l’écoute… » L.6 « Etre empathique aussi. » L.35
Ø Ecoute Ø Présence Ø Empathie
Relation
So
in in
firmier
« En dehors du fait qu’il faut avoir une
expertise technique… » L.6
Ø Expertise
Technique
Clinique
« …le soin infirmier c’est également un
peu le don de soi… » L.7 « Lorsqu’un patient manifeste de la
reconnaissance en nous disant que nous
sommes gentils… » L.9 « …c’est aider sans en attendre forcément
quelque chose de la part du patient. » L.9
« …pour moi c’est une évidence dans le
soin infirmier, il faut être humain pour
faire ce métier là. » L.12
« Essayer de lui apporter ce que l’on
peut… » L.20
« Je pense quand même qu’il faut avoir
des qualités… être un peu sensible…pas
sensible mais... je ne sais pas…être
capable de percevoir des choses. Ce n’est
pas tout le monde qui peut faire ce
métier... voilà. » L.21
« Il faut être capable de recevoir la
souffrance… » L.25
« Il y a beaucoup de personnes qui me
disent qu’elles ne pourraient faire ce
métier… » L.29
« Il faut avoir certaines dispositions pour
faire ce métier. » L.32
Ø Oubli de soi Ø Bonté Ø Dévouement Ø Enthousiasme Ø Naturel Ø Inné
Disposition individuelle
96
Thème Critères Indicateurs Unités de sens S
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Science vs nomothétique
Ø Maladie Ø Général Ø Objectivité
«…il faut la science parce qu’il faut être
au clair avec les pathologies… » L.39
« Pour moi le terme science…parce que la
science est posée…c’est voilà…1+1=2,
bon ça on y revient pas… » L.41
Science vs herméneutique
Ø Subjectivité « Le soin infirmier ce n’est pas que ça…
(la science) » L.43-L.45 « L’humain égale subjectivité…La
subjectivité ce n’est pas une science » L.46
Sci
ence
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Science vs herméneutique
Ø Recherche de sens
« Les sciences humaines ça fait réfléchir le
soin… » L.52 «…c’est pouvoir penser le soin… » L.56
« Les sciences humaines… elles m’ont
aidée dans le sens où je me suis
questionnée » L.83
Science vs nomothétique
Ø Général Ø Réductible Ø Vérité objective Ø Causalité Ø Pourquoi ?
« …cela a été dit par des auteurs, des gens
qui ont pensé cela… » L.89
« A quel moment il ne faut pas dépasser les
bornes. L’infirmier, à quel moment il doit
être respectueux. » L.91
« …pourquoi on fait ça ? » L.53
97
Entretien étudiant N°2 : Chloé (Annexe 2 p.18)
Unités de sens Indicateurs Critères Thème
« Le travail relationnel… écouter, entendre,
relever des éléments objectifs. » L.10 « Ce travail me permet de servir
d’intermédiaire pour orienter vers le
psychologue… » L.11
Ø Ecoute
Relation
So
in in
firmier
« Franchement, avant tout technique… pour
moi c’est le cœur du métier la technique. »
L.7
« …un sondage vésical ne peut pas être fait
par un psychologue. Pour moi, c’est ça le
cœur du métier. » L.15
Ø Expertise
Technique
Clinique
Disposition individuelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Ø Science appliquée
« C’est une théorie qui doit être mise en
pratique. » L.27
« De la même façon que la science
médicale… » L27
Science vs herméneutique
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Sujet Ø Comprendre Ø Recherche
de sens
« Avant tout, réfléchir sur soi même… les
patients nous renvoie beaucoup de choses… »
L.34
« C’est aussi casser toutes les évidences…
élever le niveau de réflexion au-delà du sens
commun. » L.37 « Je pense que le professionnalisme vient de
là… au-delà de la technique. » L.38
« Etre professionnel c’est aussi du recul… »
L.39
« Je voulais trouver du sens… » L.77
98
Science vs nomothétique
Ø Réductible Ø Causalité Ø Général Ø Maîtrise Ø Mesure Ø Expliquer Ø Pourquoi ?
« …j’ai appris comment il faut répondre… »
L.51
« On ne peut pas faire certaines choses
lorsque l’on est professionnel… » L.52 « Avec l’apport des sciences humaines j’aurai
pu éviter d’utiliser ce moment, ce besoin de
faire un bras de fer. » L.83 « Les sciences humaines… elles devraient me
dire à quel moment je suis dangereuse, à quel
moment je suis malsaine. » L.86 « Les sciences humaines devraient me donner
des éléments de réponse… » L.91
99
Entretien étudiant N°3 : Sophie (Annexe 2 p.21)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Pour moi la relation est primordiale… »
L.16 «…la considération du patient… » L.9, L.15 « C’est à dire un aspect humain. » L. 10 « …le manque de temps pour rester auprès
du patient pour moi est un gouffre. » L.20 « La relation inter-humaine…l’infirmier n’est
pas une machine à dispenser des soins… »
L.22 «…appréhender son patient, qui il est,
comment il est. » L.23
Ø Disponibilité Ø Présence
Relation
So
in in
firmier « Il y a la maîtrise du geste technique… » L.7
« La maîtrise technique tout le monde peut
l’acquérir… » L.10
Ø Expertise Ø Maîtrise
Technique
Clinique
Disposition individuelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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Science vs herméneutique
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Recherche de sens
Ø Questionnement
« …au lieu de considérer les choses
comme évidentes on se met à réfléchir
dessus. » L.40 « …cela nous permet de prendre du
recul. » L.41 « …cet apport là nous permet de réfléchir
notre positionnement. » L.43 « Cela nous amène à nous questionner
sur nos pratiques… » L.44 « …me remettre en question… » L.45
Science vs nomothétique
Ø Expliquer Ø Réductible Ø Pourquoi ? Ø Causalité
« Il y avait beaucoup de choses qui
auraient permis d’expliquer sa
douleur… » L.76 « …elle avait une sensibilité à la douleur
par rapport à ça, à son histoire. » L.72 « …et j’aurai expliqué aux autres… » L75
100
Entretien étudiant N°4 : Thomas (Annexe 2 p.24)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Toute la relation entre nous et le
patient… » L.13 « …il y a une discussion qui s’instaure… » L.17 « …en étant plus dans la relation avec le
patient que dans l’acte lui-même. » L.22 « La relation c’est connaître le patient. Qui
est avec moi, qui je vais soigner… pour
pouvoir le soigner. » L.30 « …moi j’ai le sentiment d’avoir besoin de
connaître… oui, de connaître, d’avoir
quelqu’un devant moi. » L.36 « … il est très facile de tomber dans la
mécanique et plus dans le soin justement. » L.40
Ø Ecoute Ø Présence Ø Disponibilité
Relation
So
in in
firmier
« Le soin, c’est une technique également,
c’est savoir mettre des choses en pratique. » L.9
« …le geste en soi n’est pas forcément
compliqué… » L.14 « C’est un petit peu comme si la technique
venait comme un réflexe… » L.20
Ø Expertise Ø Maîtrise
Technique
Clinique
« …mais aussi la vie que l’on peut avoir en
dehors de la structure, qui fait partie aussi
du soin infirmier… » L.8 « Pour moi la relation… j’en reviens un
petit peu à l’éducation, à la manière dont on
a été élevé… aux origines de ce que l’on
est. » L.27
« Je pense qu’il y a des notions d’éducation
et tout ça… ma mère est infirmière… » L.45 « Je le vois un petit peu comme la paye que
l’on n’aurait pas… la contre partie de la
rémunération. » L.50
Ø Dévouement Ø Oubli de soi Ø Vocation Ø Bonté
Disposition personnelle
101
Thème Critères Indicateurs Unités de sens S
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Science vs herméneutique
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Recherche de sens
Ø Incertitude
« …cela permet de mettre entre parenthèses
les principes, les certitudes, que l’on
considère comme posés… » L.72 « Cela permet la réflexion. » L.81 « Cela permet d’accéder au soin, à la
relation. » L.75
Science vs nomothétique
Ø Causalité Ø Expliquer Ø Vérité
objective Ø Pourquoi ?
« Les sciences humaines permettent de dire
que le patient réagit de cette façon là parce
que… » L.77 « Cela permet d’expliquer… » L.79 « …sans les sciences humaines, j’aurais
probablement dit, lâchez ça, c’est sale… »
L.89
102
Entretien étudiant N°5 : Paul (Annexe 2 p.28)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …pour moi, c’est davantage l’aspect
relationnel. » L.10 « …le soin passe d’abord par ce contact avec
la personne. » L.12 « …cela reste un des piliers de la pratique
soignante ; être en contact avec l’autre. » L.13 « La relation c’est le pilier de la pratique
soignante… » L.16 « Il va se construire quelque chose à partir
de là. » L.16 « Le cœur de la pratique soignante et du soin
infirmier c’est la relation. » L.22 « La relation est basée… sur l’écoute, sur le respect, sur la connaissance de l’un et de
l’autre… sur la confiance. » L. 25
Ø Ecoute Ø Respect Ø Confiance
Relation
So
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firmier
Technique
Clinique Disposition
personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Ø Général Ø Réductible Ø Loi
«... la science elle est basée sur des faits
d’observations qui se reproduisent sur
lesquels on peut établir des lois. » L.35
Science vs herméneutique
Ø Singulier Ø Irréductible
« Je ne suis pas sur que l’on puisse parler de
science dans la mesure où cette fameuse
relation elle est parfaitement singulière. » L.31 « Cette relation… elle ne peut se reproduire…
on ne peut pas parler de science. » L.34 « Je ne suis pas sur que l’on puisse
‘scientifiser’ le soin. » L.39
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Comprendre Ø Recherche
de sens
« …on a besoin d’un référentiel pour
comprendre ce qui se passe, pour comprendre
ce que l’on ressent… pour mieux se placer. »
L. 56
Science vs nomothétique
Ø Maîtrise Ø Contrôle Ø Vérité
objective
« Je me suis retrouvé… dans des situations
d’échec, dans des situations où je n’avais pas
cette maîtrise. » L.60 « Les sciences humaines permettent d’être
dans une position adaptée face à un cas
précis. » L. 63
103
ANNEXE 7
104
Entretien infirmier N°1 : Claire (Annexe 3, p.33)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …le côté rôle propre et relationnel fait
partie intégrante du soin infirmier. » L.10 « Il faut que l’on soit capable… la théorie,
la pratique, mais aussi le relationnel… » L.11 « Il existe des choses très simples qui ne
sont pas prescrites. » L.26 « …les élèves infirmiers… ils sont très loin
au niveau du relationnel avec les patients…
ils n’arrivent pas à s’immiscer comme ça
dans l’intimité des gens. » L.50
Ø Rôle propre Relation
So
in in
firmier
« Il faut que l’on soit des techniciennes
organisées, ça c’est sur… » L.9 « …je n’exclue absolument pas tout ce qui
est théorie et technicité… » L.15 « On doit passer au rôle prescrit avec tout
ce qui est théorique et pratique… » L.30
Ø Expertise Ø Technicité Ø Pratique
Technique
Clinique
« La différence entre une bonne et une
moins bonne infirmière c’est le
relationnel… » L.17 « Il y a quand même de la théorie… mais à
force c’est tellement spontané. » L.38 « Où est ce qu’ils vont mettre la grande
partie qui est le relationnel… ce n’est pas à
la fac qu’on va l’apprendre. » L.73
Ø Naturel
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Ø Maladie
« La science infirmière peut être un
enseignement basé sur les pathologies, sur les
connaissances théoriques des pathologies… »
L.71 Science vs
herméneutique
105
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Science vs herméneutique
Ø Singulier
« Oui… cela rentre dans l’intimité et le
relationnel avec le patient. » L.83 « Peut être à avoir une approche avec les
patients… personnalisée. » L.92
Science vs nomothétique
Ø Maîtrise Ø Causalité Ø Expliquer Ø Réductible Ø Résolution
de problème
« … tout ce qui est gestion du stress… » L.88 « Ce n’est pas à n’importe quel moment que
vous faites un infarctus ou pas. Pourquoi à tel
moment ? Si vous piochez un peu… vous avez
la réponse. » L.97 «Les nouveaux diplômés… les sciences
humaines, ils n’en voient pas l’importance…
ils ne voient pas comment l’appliquer… » L.111
106
Entretien infirmier N°2 : Alice (Annexe 3, p.37)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
«Le soin infirmier… c’est dans un premier
temps tout ce qui est relation… » L.10 « …instaurer la relation avec le patient,
apprendre à le connaître. » L.11 « …toujours mettre des mots sur ce que
l’on va faire… » L.16 « Pour moi le travail infirmier il se résume
à être là, mais être là pour la
personne… » L.25 «… j’ai choisi le long séjour pour ça,
parce qu’ailleurs ce n’est pas toujours
faisable. » L.33 « … je suis sensible à tout ce qui est
relation… » L.47
Ø Présence Ø Disponibilité
Relation
So
in in
firmier
« Même si je suis dans la technique et
dans l’exécution du soin infirmier prescrit
par le médecin… » L.11 « …après… tout ce qui est technique de
l’acte infirmier… » L.20
Ø Expertise Ø Prescrit
Technique
Clinique
« Il y a des gens qui sont dans la
communication, d’autres qui le sont
moins, d’autres qui ne le sont pas du
tout. » L.60 « Moi je n’ai pas eu l’impression d’avoir
besoin de la théorie. J’étais aide soignante
et j’étais déjà comme ça… » L61 « … je tente de le faire avec beaucoup
d’humanité… je suis dans la relation. »
L.13 « … j’essaie de faire passer ce message. » L.14 « … il faut essayer de mettre un peu de
chaleur dans le soin. » L.14 « Je pense qu’il y a des profils de
poste… » L.63 « Les sciences humaines… c’est vrai qu’il
en faut mais je pense qu’il y a un profil de
la personne. » L.73 « …on se dit, celle là elle est faite pour ça,
celle là elle ne sera pas commode… » L.77 « … il y a un côté inné qui est là. » L.79 « Il me semble que de façon naturelle je
peux régler ce problème… » L.67
Ø Dévouement Ø Idéal Ø Vocation Ø Enthousiasme Ø Naturel Ø Inné
Disposition personnelle
107
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Ø Maladie Ø Objectivité Ø Causalité
« C’est des connaissances sur les
pathologies, sur les traitements. » L.37 « Voilà… c’est quand il y a des choses qui
nécessitent de faire des liens entre les
connaissances, que ce soit au niveau de la
pathologie, de la biologie, de la
pharmacie. » L.42
Science vs herméneutique
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Science vs herméneutique
Ø Singulier Ø Abstrait
« … cela veut dire que devant nous on a
quelqu’un qui n’est pas un patient mais un
individu. » L.51 « J’ai l’impression cependant que l’apport
théorique des sciences humaines ne m’a
pas servi au niveau pratique. Le reste (les
autres connaissances) on peut le prendre pour l’appliquer. Moi je n’ai pas eu
l’impression d’avoir pris la théorie des
sciences humaines pour l’appliquer… pour
la mettre en pratique. » L.57
Science vs nomothétique
108
Entretien infirmier N°3 : Léna (Annexe 3, p.41)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …expliquer ce que l’on fait, essayer de le
mettre en confiance, expliquer la totalité du
soin… » L.10 « … donner un compte rendu… » L.14
Ø Confiance Ø Echange
Relation
So
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firmier
« Après il y a le soin technique. » L.12
Ø Expertise
Technique
Clinique
« Expliquer qu’il faut être à l’écoute du
patient, c’est en fait la base du travail. »
L.39 « … c’est naturel, c’est une qualité à avoir
lorsqu’on veut être infirmière ou aide
soignante. » L.42
Ø Naturel
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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Science vs nomothétique
Ø Expliquer Ø Causalité Ø Maladie Ø Réductible Ø Général Ø Pourquoi ?
« L’idée de comprendre… comprendre
pourquoi les traitements sont mis en place,
pour quelles raisons des examens sont
prescrits… » L.25 « Les sciences infirmières c’est comprendre le
but de tous les examens prescrits par le
médecin. C’est comprendre le cheminement du
diagnostic médical. » L.27 « Pourquoi on le fait et pour quelles raisons ?
Science vs herméneutique
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herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Expliquer Ø Causalité Ø Maîtrise
« Les sciences humaines sont utiles car dans
cet exemple on est déjà au courant de ce qui
peut arriver. » L.51
109
Entretien infirmier N°4 : Hugo (Annexe 3, p.43)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« En psychiatrie je parlerai plus de soins
infirmiers relationnels » L.15 Il y a une particularité…. Particularité
relationnelle en psychiatrie » L.23 « Je pense qu’il faut avoir une bonne
pratique du relationnel… » L.24 « Le soin sera singulier en fonction de
chaque personne… » L.28 « … on est perpétuellement dans des
relations avec les patients, les familles et les
collègues. » L.67
Ø Singulier
Relation
So
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Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Ø Recherche de sens
« … qu’il y est une réflexion sur le soin… »
L.33
« C’est une remise en question. C’est aussi
des perspectives… » L.34
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Science vs herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Expliquer Ø Résolution
de problème Ø Maîtrise
« Cela donne des pistes pour entrer en
contact avec certaines personnes, pour
expliquer certaines choses. » L.62 « Il faut faire preuve de psychologie pour
réussir une prise de sang. Il faut passer par
certaines tactiques… et à travers ça, c’est des
sciences humaines » L.78
110
Entretien infirmier N°5 : Gilles (Annexe 3, p.46)
Unités de sens Indicateurs Critères Thème
« Cela comprend à la fois tout ce qui est rôle
propre, tout ce qui est sur prescription, mais
aussi tout ce qui existe autour, notamment la
relation d’aide… » L.12 « Il faut adapter les soins en fonction de la
personnalité du patient et pas uniquement en
fonction de la pathologie. » L.16
Ø Rôle propre
Relation
So
in in
firmier
« Ce que les gens ont à l’esprit, c’est
davantage le rôle prescrit que le rôle propre.
C'est-à-dire injecter des produits, distribuer
des médicaments, prendre les tensions alors
que c’est beaucoup plus compliqué que ça. » L.26
Ø Prescrit
Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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Science vs nomothétique
Ø Maladie
« … ce qui est vraiment la technicité du rôle
infirmier (les injections, les prises de sang…
tout le quotidien des prescriptions
médicales. » L.36
Science vs herméneutique
Ø Singulier « … l’aspect psychologique du travail, la
relation d’aide et toutes ces choses là. » L.38
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Science vs herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Vérité objective
Ø Expliquer Ø Résolution
de problème Ø Maîtrise Ø Contrôle Ø Certitude Ø Concret
« … c’est très important car cela permet
d’objectiver des choses que l’on ressent plus
ou moins de manière sensitive. » L.49 « Cela nous permet de mettre des savoirs
objectifs sur… justement comment aborder
tout l’aspect psychologique et relationnel au
travail. » L.50 « Cela permet d’expliquer clairement des
choses qui, parfois, relèvent du ressenti. »
L.53 « … comment aborder le soin avec cette
personne en particulier. C'est-à-dire
appréhender différents profils. » L. 54« Cela permet d’adapter le soin. » 56 « On sort du sensitif, de l’affect, on est sur
quelque chose d’établi. » L.72
111
Entretien infirmier N°6 : Nadine (Annexe 3, p.49)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …être plus dans le relationnel et dans
l’éducatif que dans le soin technique… »
L.10 « …expliquer au patient ce que l’on fait
pour lui… » L.9 « … plutôt dans la discussion… » L.12 « … c’est l’éducation… » L.14 « … le soin infirmier passe par l’explication
du soin… » L.19 « … si on explique… le patient sera plus
confiant et nous on aura de meilleures
relations. » L.23 « … si le patient à confiance il aura moins
mal… » L.25 « La notion de confiance pour moi… si on
ne l’a pas cela complique les choses. » L.26 « …l’écouter, lui répondre, lui expliquer…
après tout est possible. » L.28
Ø Educatif Ø Confiance Ø Ecoute Ø Expliquer
Relation
So
in in
firmier
« … c’est aussi l’exécution d’une
prescription médicale. » L.29 « Le soin infirmier c’est aussi faire des
actes techniques. » 32 « Le côté technique est donné à tout le
monde je pense… ce n’est pas le plus
difficile. » L.44
Ø Prescrit
Technique
Clinique
« …disponible et à l’écoute… c’est pareil
dans la vie de tous les jours, ce n’est pas
propre à l’infirmière non plus. » L.47
Ø Naturel
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Ø Objectif « Le terme de science pour moi est relié à des
choses plus concrètes, objectives, explicables
par des équations. » L.40
Science vs herméneutique
Ø Subjectif
Le métier d’infirmière… scientifique…
science… c’est beaucoup plus subjectif que ça
pour moi. » L.39
112
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Science vs herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Résolution de problème
Ø Maîtrise Ø Science
appliquée
« Dire à quelqu’un d’arrêter de fumer… il faut
y arriver. » L.69 « C’est intéressant de savoir qu’il y a des
moyens de dire aux gens que l’on peut changer
de façon de vivre… et du coup arriver à ce
qu’ils changent de manière de vivre. »L. 70 « C’est bien aussi d’arriver à ce que l’on
veut… » L.72 «… c’est bien de savoir qu’il y a des moyens
qui font que l’on peut y arriver. » L.76
113
ANNEXE 8
114
Entretien Cadre Soignant N°1 : Laurence (Annexe 4, p.54)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« … c’est prendre en charge un patient…
sur le plan relationnel, la relation d’aide. » L.14 « Ce n’est pas juste un soin technique, pour
moi il y a autre chose… une approche
humaine. » L.19 « Ce n’est pas tellement reconnu…enfin, ce
qui n’est pas reconnu c’est la présence que
cela exige auprès d’un patient. » L.20 « Je ne pense pas que le temps relationnel
soit pris en compte dans un service… » L.22 « Le soin infirmier c’est beaucoup d’aide et
de relation et ce n’est pas seulement des
actes en séries selon la prescription médicale. » L.27 « Il faut tenir compte de l’environnement
affectif, social, familial. » L.31
Ø Présence Ø Aide Ø Disponibilité
Relation
So
in in
firmier
« …le soin infirmier c’est prendre en charge
un patient, sur le plan technique, tous les
actes techniques… » L.13
Ø Prescrit
Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
ence
in
firm
ière
Science vs nomothétique
Ø Pourquoi ? Ø Expliquer Ø Causalité
« C’est la recherche… si on fait une étude sur,
pourquoi le patient accepte mieux son
traitement qu’un autre… » L.38
Science vs herméneutique
115
Sci
ence
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um
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es
Science vs herméneutique
Ø Singulier Ø Malade Ø Recherche
de sens
« Les sciences humaines sont importantes
justement pour ne pas tomber dans des
actes…des actes en série. » L.41 « … une personne démente, grabataire, c’est
encore une personne humaine qui a des
ressources. » L.43 « … et puis cela fait réfléchir… » L.46
Science vs nomothétique
Ø Résolution de problème
Ø Maîtrise
« … peut être au niveau de l’approche de la
mort, du deuil… voilà…les étapes…les
différentes étapes. » L.58 « Cela nous aide à gérer… gérer au mieux »
L.59
116
Entretien Cadre Soignant N°2 : Yves (Annexe 4, p.56)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Le soin infirmier c’est avoir une relation de
confiance le plus tôt possible avec un
patient. » L.11 « A partir de là, il est possible de proposer un
soin. » L.13 « …travailler… sur le vécu par le patient de
sa souffrance. » L.15 « Après par l’empathie… on ne soigne pas un
bras, on ne soigne pas une dépression, on
soigne la personne. » L.16 « Il n’y a pas que la pathologie, il y a la
personne et son environnement. » L.30
Ø Confiance Ø Empathie Ø Malade
Relation
So
in in
firmier
Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
ence
in
firm
ière
Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
« …écrire, conceptualiser, éclairer nos
actes. » L.41
Sci
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es
Science vs herméneutique
Ø Comprendre Ø Comment ?
« Les sciences humaines c’est une
compréhension de ce que l’on fait et à partir
de concepts c’est pouvoir éclairer notre
pratique et pouvoir la faire évoluer. » L.53 « …si on convoque des concepts particuliers,
on peut travailler autour. »L.67 « Expliquer… enfin cela peut permettre de
comprendre. »L.71 « …cela te permet de comprendre des choses
qui se jouent à ce moment là dans une
équipe. » L.77
Science vs nomothétique
Ø Expliquer Ø Pourquoi ? Ø Maîtrise
« Les sciences humaines peuvent cautionner
et expliquer le soin. » L.71 « …parce que tu as cet éclairage là… et bien
cela t’aide à gérer une équipe. » L.73
117
Entretien Cadre Soignant N°3 : Renée (Annexe 4, p.59)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …toute la construction professionnelle
autour du soin. C'est-à-dire toute la relation
au patient, mais aussi la relation à soi. » L.21 « …on se construit dans la relation au
quotidien. » L.23 « …le métier est passionnant pour la
relation… » L.23 « …en tant que cadre, ce n’est plus la relation
au patient mais davantage la relation à
l’équipe… » L.24
Ø Construction
Relation
So
in in
firmier
« Alors d’emblée on pense à ce qui est
technique. » L.14 « …ce qui était du domaine technique était
facile, dans le sens où, très rapidement il
fallait intégrer la technique pour pouvoir s’en
débarrasser. » L.17 « …on veut avoir la maîtrise totale de la
technicité. » L.19 « C’est une question de maîtrise de la
technique, une fois que l’on connait le matériel
et toute la technicité on devient disponible… » L.34 « Tout ce qui est technicité… c’est facile, une
fois que c’est intégré. » L.37 « Le geste technique en lui-même doit plutôt
être considéré comme l’outil qui permet cette
relation. » L.39 « On va plus loin qu’une prescription… dans
la technique, c’est vrai que l’on s’est acquitté
de son devoir… » L.46
Ø Expertise Ø Maîtrise Ø Prescrit Ø Obligation
Technique
Clinique
118
« …je pense que c’est le don de soi, quoi que
l’on en dise… sans retour. » L.26 « Je ne parlerai pas de vocation… mais c’est
un peu cela. » L.27 « Je pense que l’on s’accomplit vraiment
lorsque l’on a fait le maximum. » L.28 « Là, je peux dire que l’on est satisfait de sa
prestation, du soin, de soi, au regard de ce que
l’on a donné… » L.31 « …donner ce que l’on a de soi-même, pour les
patients… pour moi c’est la finalité du soin »
L.36 « …on voit qu’à travers le soin il y a autre
chose. »L.41 « Si, en tant que soignant on n’a pas perçu
cela… on passe à côté de plein de choses, on
fait son travail comme on va à l’usine, on
accomplit sa tâche, on signe ce que l’on a fait
et puis on s’en va. » L.42 « …plus profondément dans sa prestation,
dans sa… finalement raison d’être… la vie
c’est tout ce que l’on reçoit et tout ce que l’on
a pu apporter. » L.44 « La technique… c’est vrai que c’est reposant
quelque part… » L.47 « …si on est préoccupé personnellement on ne
peut pas être disponible » L.48 « …les patients le sentent bien que vous êtes
disponible… la relation se fait comme ça. » L.52 « …voilà… c’est le moment fabuleux… ce que
l’on pu donner… ce que l’on a pu recevoir
aussi. » L.56 « …un infirmier sur le terrain, qui donne du
soin, qui se donne aussi à travers le soin… »
L.72 « Je trouve que cela devient quelque chose qui
s’intellectualise… la science infirmière. » L.63
Ø Don de soi Ø Vocation Ø Enthousiasm
e Ø Idéal Ø Dévouement Ø Bonté Ø Energie Ø Courage Ø Oubli de soi Ø Naturel
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
119
Science vs herméneutique
Ø Recherche de sens
« …il faut réfléchir à ce que l’on fait, au
sens que l’on donne au soin… » L.66 « Cela fait des têtes pensantes et pas
comment dire… du travail sur
prescription. » L.74
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Irréductible Ø Incertitude
« C’est l’ouverture… à des champs dont on
ne soupçonne pas… » L.76
Science vs nomothétique
Ø Résolution de problème
Ø Maîtrise Ø Vérité
objective
« Du coup les sciences humaines peuvent
nous aider à relativiser ou à gérer des
problèmes ou à maîtriser ou à percevoir ce
que veulent les gens. »
« Là, les sciences humaines, bien sur que ça
sert, on a une relation qui est beaucoup plus
facile, on a une réponse adaptée. » L.121 « Je n’ai plus rien, je n’ai rien à proposer,
je n’ai plus rien quoi… » L.130 « On pourrait enchainer en disant aux
parents… mais je ne sais pas ce que l’on
peut dire… je n’ai pas les connaissances. »
L.132 « …enchainer en disant bon… voilà… j’ai
vu un tel qui disait… » L.134 « …les sciences humaines permettent de dire
ce qu’il faut dire dans ce cas là. » L.136
120
Entretien Cadre Soignant N°4 : Eva (Annexe 4, p.64)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Le soin infirmier c’est également une
relation. » L.18 « Après on peut mettre beaucoup de choses
autour… l’éducation thérapeutique, un
accompagnement… » L.20
Ø Educatif
Relation
So
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firmier
Technique
« Le soin infirmier… c’est une pratique…
visant à accompagner une personne dans un
parcours thérapeutique. » L.15 « …un accompagnement avec des pratiques
professionnelles fortes. » L.21 « Il s’agit d’évaluer une situation clinique
donnée… » L.16 « …moi je suis très clinique… le soin infirmier
c’est de la clinique… » L.19 « …on se retrouve sur les aspects cliniques. » L.43
Ø Pratique Ø Evaluation
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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ière
Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Ø Compréhension Ø Recherche de
sens
« Aujourd’hui en cancérologie la
décision est pluridisciplinaire… c’est très
compréhension d’une problématique ». L.46 « Dans le soin infirmier il y a
aujourd’hui une réflexion plus
importante… social, familial,
professionnel. » L.48 « …en questionnant au moins la prise en
charge… » L.50
121
Sci
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Science vs herméneutique
Ø Comprendre Ø Comment ? Ø Recherche de
sens
« Sans les sciences humaines on a des
actes infirmiers… » L.91 « Les sciences humaines permettent de
passer de l’acte au soin. » L.92 « …c’est une aide à la réflexion, une
ouverture, pas vraiment une aide à la
décision toujours. » L.101 « …la confrontation de différents points
de vue… qui nous font reconsidérer une
situation. » L.102
Science vs nomothétique
122
Entretien Cadre Soignant N°5 : Lucile (Annexe 4, p. 68)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« … et des soins relationnels. » L.15
Relation
So
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firmier
« … à la fois des soins techniques… »
L.15 Technique
Clinique
« … le prendre soin de la personne, toute
une conception du soin. » L.18 « C’est aussi tout ce que l’on y met de
nous-mêmes… dans le prendre soin, dans
tout ça. » L.24 « C'est-à-dire tout ce qui est dans ce que l’on donne de nous pour soigner. » L.28 « … toute l’humanité et toutes ces valeurs
que l’on y met nous soignants… » L.30 « … le respect de la personne, l’écoute de
l’autre, la bonne distance… le prendre
soin. » L.33
Ø Enthousiasme Ø Dévouement Ø Bonté Ø Idéal
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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re Science vs
nomothétique
Science vs herméneutique
Sci
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Science vs herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Vérité objective
Ø Expliquer Ø Maîtrise Ø Technique
« …pouvoir se positionner… » L.48 «…dans la relation juste avec le patient… »
L.49 « C’est pouvoir expliquer ce qui se passe
aussi dans les relations… » L.49 « Il y avait des notions que je n’avais pas
sur la distance avec l’autre, sur la relation
avec la famille. » L.57 « Certaines formations sur la relation d’aide
et le soin palliatif m’ont permis de mieux
réussir et de mieux me positionner… » L.63 « …être plus dans le prendre soin, mais
avec la bonne distance grâce à ces
connaissances là. » L.64
123
Entretien Cadre Soignant N°6 : Chantal (Annexe 4, p.71)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …c’est tout l’aspect psychologique,
comment le patient ressent sa maladie,
comment il vit son hospitalisation. » L.26 « C’est aussi l’écoute du patient… » L.28 « C’est tout cet aspect là qui bien souvent
n’est pas pris en compte. » L.30 « On peut prendre le temps de se poser 5
minutes et de parler au patient… » L.33 « Il vient pour un acte chirurgical mais il y
a de l’anxiété derrière. » L.38
Ø Ecoute Ø Empathie Ø Aspect
psychologique
Relation
So
in in
firmier
« …il faut faire abstraction de l’aspect
technique, il faut aller un peu plus au
profond des choses. » L.17 « …les étudiants… lorsqu’on exige d’eux
les objectifs de stage… c’est tout l’aspect
technique qui ressort. » L.19 « …ils se concentrent sur ces gestes et
puis… ensuite, ils oublient tout. Ils passent
à côté d’un tas de choses. » L.22 « …je vais chercher n’importe qui dans la
rue, je le prends et je peux lui enseigner
les piqures. » L.55
Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
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Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Sci
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es Science vs
herméneutique
Science vs nomothétique
124
ANNEXE 9
125
Entretien Cadre Formateur N°1 : Cathy (Annexe 5, p.76)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« …c’est la prise en charge d’ordre
psychologique. » L.17 « …ne pas s’attacher uniquement au patient
en tant qu’objet mais aussi dans ses
émotions, dans son ressenti, dans la
relation… » L.20 « …il faut aller extraire un peu ce qui se
passe chez lui… » L.22 « …savoir ce qu’il ressent au regard de sa
maladie… » L.27 « …instaurer un climat de confiance… » L.28
« …apporter cette part d’écoute et de
relation… » L.35 « …répondre aux besoins et en même temps à tout cet aspect psychologique… » L.39 « Une fois que l’on a dépassé cette technicité,
l’intérêt c’est d’aller privilégier ce côté
relationnel. » L.45 « …mettre en place les conditions favorables
à la relation. » L.47 « …la relation d’aide, l’écoute, l’empathie
peuvent être efficace. » L.100
Ø Aspect psychologique
Ø Confiance Ø Ecoute Ø Empathie
Relation
So
in in
firmier
« …au début c’est une formation qui fait
appel essentiellement à la technicité… c’est
ce côté technique qui nous plait… » L.42
Ø Expertise
Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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firm
ière
Science vs nomothétique
Ø Maladie
« Notre activité repose sur les sciences
médicales à travers la pathologie… » L.53 « A mon époque la formation était
essentiellement axée sur la pathologie, sur le
savoir médical. » L.55 Science vs
herméneutique
Ø Malade
« …et sur la psychologie, la sociologie,
l’anthropologie… » L.54
126
Sci
ence
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Science vs herméneutique
Science vs nomothétique
Ø Résolution de problèmes
Ø Science appliquée
« …il ne faut pas que l’étudiant s’y perde »
L.64 « …l’étudiant est confronté à une logique de
résolution de problèmes. » L.65 « On est vraiment dans la résolution de
problèmes, pure et dure, il faut trouver des
solutions. » L.67 « …demander aux étudiants de passer d’une
logique de résolution de problèmes à une
réflexion, c’est quelque chose que les
étudiants ont du mal à s’approprier. » L.70 « Peut-être est-ce nous, formateurs, qui ne
nous donnons pas les moyens de cette
réflexion… » L.71 « Il n’est pas évident de les mettre en œuvre,
de les mettre en action. » L.87 « Cela peut permettre de répondre et de faire
face à certaines situations. » L.104
127
Entretien Cadre Formateur N°2 : Josiane (Annexe 5, p.80)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Il y a deux éléments importants qui
concernent l’état physique et
psychologique. » L.13 « …est-ce qu’il est réceptif, est-ce qu’il est
dans l’angoisse, la préoccupation par
rapport aux soins ou par rapport à
l’extérieur. » L.19 « Pour moi c’est très important car il y a
cet aspect dans le soin éducatif, dans
l’accompagnement, qui fait que si tu ne
prends pas cela en compte tu ne peux pas
prendre en compte ce qu’est la
personne. » L.27 « S’il est tendu, s’il a des préoccupations particulières… » L.33 « …si tu ne t’occupes pas vraiment de
l’état dans lequel se trouve le patient en
pré et post opératoire tu passes à côté. » L.40
« …tu ne peux pas ignorer l’aspect
psychologique, sociologique de la
personne que tu as en face… » L.65 « Cela revient à s’intéresser à la culture…
à l’état de la personne sur le plan
psychologique à son arrivée. » L.68
Ø Aspect psychologique
Relation
So
in in
firmier
« …c’est quand même comme ça que l’on
arrive à mieux cerner l’aspect technique
du travail du soin. » L.31 « …c’est à l’acte chirurgical que l’on est
concentré… » L.37 « On peut faire des bêtises parce qu’il est
tellement tendu qu’il peut gêner, gêner le
geste. »L.41 « …tu es bien obligé d’adapter y compris
ta technique de soin au patient. » L.67
Ø Maîtrise
Technique
Clinique
Disposition personnelle
128
Thème Critères Indicateurs Unités de sens S
cien
ce
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Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Sci
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es
Science vs herméneutique
Ø Comprendre
« En fait, il y a une tendance à mettre
dans des cases un peu rapidement parfois
et ce n’est pas toujours évident. » L.78
Science vs nomothétique
Ø Causalité Ø Expliquer
« …les aspects qui ont conduit le patient
à être dans cet état là. » L.69
129
Entretien Cadre Formateur N°3 : Valérie (Annexe 5, p.84)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
«Le soin infirmier c’est s’occuper de l’autre en
reconnaissant cet individu, tel qu’il peut être. »
L.14 « C’est pouvoir apporter un peu
d’humanité… » L.17 « C’est pouvoir l’aider à supporter un passage
difficile. » L.18 « c’est pouvoir écouter, c’est apporter une
présence, des explications pour le geste, c’est
être disponible, c’est être à l’écoute. » L.19 « Les soins infirmiers, ce n’est pas, à la lettre,
appliquer un soin qui a été prescrit. » L.22 « Ce n’est pas travailler dans l’acte, le nez
dans le guidon mais faire avec le patient. » L.27 « …suffisamment dans l’écoute du patient qui
nous renvoie des choses. » L.30 « Je pense que le patient à besoin autant de ce
rapport humain que de la dextérité du geste
technique. » L.35 « Se poser un peu pour ça… plutôt que d’être
dans le faire, le faire, le faire. » L.40
Ø Humanité Ø Aide Ø Ecoute Ø Présence Ø Expliquer Ø Disponible
Relation
So
in in
firmier
« C’est des soins techniques, mais au travers
de ces soins techniques… » L.16 « Certains veulent faire leurs actes
techniques… point. » L.33
Ø Prescrit Technique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Ø Comprendre
« Dans le soin infirmier on travaille en cherchant à comprendre à l’aide de
plusieurs disciplines. » L.44
130
Sci
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es
Science vs herméneutique
Ø Comprendre Ø Recherche de
sens
« Travailler avec les sciences humaines
permet une meilleure compréhension de
l’autre, en tout cas, on va s’arrêter et
essayer de comprendre ce qui se passe chez
l’autre. » L.54 « On n’avait pas à l’époque, cette
réflexivité, cette analyse qui utilise
l’éclairage des sciences humaines. » L.60
Science vs nomothétique
131
Entretien Cadre Formateur N°4 : Michèle (Annexe 5, p.87)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Etre proche du patient… c’est une
proximité… » L.13 « C’est faire des soins en étant à l’écoute
de la personne. » L.15 « Etre disponible, être attentif… être dans
l’empathie… » L.17 « C’est un travail sur les valeurs et sur la personne et pas uniquement centré sur les gestes. » L.28
Ø Proximité Ø Ecoute Ø Disponibilité Ø Empathie
Relation
So
in in
firmier
« Tout le monde sait tenir une
seringue… » L.25 « …il ne s’agit pas de savoir simplement
l’asepsie ou le geste technique… ça ne
suffit pas. » L.30
Technique
Clinique
« Après, je me dis qu’il y a quand même
des choses…pas innées, mais des choses
que l’on sent. » L.58 « …puis je me dis que l’on ne devient pas
infirmière pour rien. » L.59
Ø Inné Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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ière
Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
Sci
ence
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es
Science vs herméneutique
Ø Comprendre Ø Recherche de
sens
«…il existe des choses auxquelles on ne
pense pas et qu’il paraît intéressant de
comprendre » L.46 « …on essaye d’avoir une compréhension
des choses, du coup on a plus de recul. » L.47
Science vs
nomothétique Ø Résolution de
problèmes
« C’est pour répondre à tout ce qui n’est
pas geste technique… » L.40 « Cela permet de répondre à
l’anxiété… » L.42
132
Entretien Cadre Formateur N°5 : Barbara (Annexe 5, p.90)
Unités de sens
Indicateurs Critères Thème
« Le soin infirmier c’est la rencontre de 2
personnes, avec une personne qui à un
moment donné se trouve dans une position
de faiblesse. » L.15 L’authenticité, l’empathie, le regard sur
l’autre, l’acceptation de l’autre me suffisait
pour fonctionner. » L.
Ø Rencontre Ø Empathie
Relation
So
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firmier
« La technique du soin… peut s’acquérir
en 2 ou 3 mois. » L.19 « Je pense que l’on forme un bon
technicien du soin rapidement, un
infirmier de réanimation au bout d’un an
il est opérationnel… » L.25
Ø Maîtrise
Technique
« …pour moi être infirmier c’est d’abord
être dans une situation clinique. » L.18 « L’infirmier clinicien, ou avec un regard
clinique… prend plus de temps à se
construire. » L.20 « Pour moi, être infirmier c’est avoir un
regard clinique sur les situations de soin…
avoir des aptitudes d’observations… »
L.21 « L’approche clinique suppose d’être assis
sur un savoir théorique solide. » L.30
Ø Pratique Ø Observation Ø Savoir
théorique
Clinique
Disposition personnelle
Thème Critères Indicateurs Unités de sens
Sci
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Science vs nomothétique
Science vs herméneutique
133
Sci
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es
Science vs herméneutique
Ø Imprévisible Ø Irréductible Ø Praxis Ø Incertitude Ø Création
« Sans les sciences humaines on est un
simple technicien du soin… » L.38 « Quand on forme un étudiant… ce que
l’on peut lui apporter c’est l’ouverture. »
L.45 « …quelle ouverture, quel éclairage, quel
autre regard sur le soin ! » L.47 « Cet éclairage là, on ne peut pas en
faire l’économie dans le soin. » L.43 « Je pense que les apports théoriques
sont nécessaires mais s’apprennent par
l’observation sur le terrain. » L.65 « …notre rôle de formateur devient peut-
être, dès lors, de créer du creux pour que
l’étudiant désire le remplir. » L.69 « …on est fait pour faire du creux, pour
donner les clefs d’une bibliothèque… »
L.71
Science vs
nomothétique
134
ANNEXE 10
135
Grille d’analyse
Critères
Indicateurs Unités de sens
Relation Ø Ecoute Ø Présence Ø Proximité Ø Aide Ø Empathie Ø Echange Ø Rencontre Ø Respect Ø Confiance Ø Rôle propre Ø Disponibilité Ø Educatif Ø Expliquer Ø Construction Ø Aspect psychologique
Critères
Indicateurs Unités de sens
Technique
Ø Expertise Ø Prescrit Ø Maîtrise Ø Obligation
Critères
Indicateurs Unités de sens
Clinique
Ø Pratique Ø Evaluation Ø Observation Ø Savoir théorique
Critères
Indicateurs Unités de sens
Disposition personnelle
Ø Vocation Ø Idéal Ø Enthousiasme Ø Bonté Ø Dévouement Ø Don de soi Ø Oubli de soi Ø Naturel Ø InnéØ Courage Ø Energie
136
Grille d’analyse
Critères
Indicateurs Unités de sens
Science (vs)
nomothétique
Ø Expliquer Ø Causalité Ø Quantitatif Ø Réductible Ø Général Ø Vérité objective Ø Pourquoi Ø Résolution de problèmes Ø Maîtrise Ø Mesure Ø Certitude Ø Concret Ø Régularité Ø Objet Ø Science appliquée Ø Technique Ø Maladie Ø Signe
Critères
Indicateurs Unités de sens
Science (vs)
herméneutique
Ø Comprendre Ø Intentionnalité Ø Qualitatif Ø Irréductible Ø Singulier Ø Vérité subjective Ø Comment Ø Recherche de sens Ø Imprévisible Ø Interprétation Ø Incertitude Ø Abstrait Ø Création Ø Sujet Ø Praxis Ø Techné Ø Malade Ø Symptôme
137