Remerciements....Sarkozy, au budget. La droite se déchire en 1995, ne sachant pas quel candidat...

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Remerciements.

Je tiens à remercier M. DAUGE Michel, professeur et référent du dossier, qui a su m’éclairer lors

de questionnements et de doutes sur ce mémoire et qui a su également, par ses conseils, me guider

tout au long du semestre afin de produire un travail de qualité.

Je tiens également à remercier Mme BLANDIN Stéphanie, pour ses interventions sur la recherche

documentaire, me permettant d’alimenter ce mémoire par de nombreuses sources découvertes grâce

à ses conseils.

Il m’est important également de remercier M. CHARAUDEAU Patrick, un des représentants de

l’École française de l’analyse du discours, pour ses réponses et son attention au projet que je porte

et, de surcroît, pour sa générosité à m’offrir son œuvre « Entre populisme et peopolisme, Comment

Sarkozy a gagné ».

Enfin, je tiens à remercier M. DE ANDRADE Antoine, graphiste, pour l’entièreté de la réalisation

de la première de couverture.

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Table des sigles et abréviations.

U.D.R. : Union des Démocrates pour la République

R.P.R. : Rassemblement Pour la République

U.M.P. : Union pour un Mouvement Populaire

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Glossaire.

Tous les termes joints d’un astérisque dans le texte seront définis dans ce glossaire.

Logométrie :

Du Latin logos signifiant le discours, et la métrie signifiant la mesure. C’est une méthode d’analyse

et d'interprétation des discours utilisée par exemple en sciences humaines. Cette méthode d'analyse,

assistée par ordinateur, combine lecture qualitative et lecture quantitative des corpus numériques.

Elle combine aussi lecture globale (tout le discours) et lecture locale (les unités du discours) pour

construire l'interprétation.

Hyperbase :

Hyperbase est un logiciel universitaire d'exploration documentaire et statistique des textes. Il est

diffusé par le CNRS et l’Université Nice Sophia Antipolis. Entre sa naissance en 1989 et sa dernière

version en 2016, Hyperbase a implémenté continuellement le savoir-faire lexicométrique français

en matière de statistique textuelle et d'exploration documentaire des grands corpus.

Subprime :

Ce terme désigne des emprunts financiers plus risqués pour le prêteur (et à meilleur rendement) que

la catégorie prime, particulièrement pour désigner une certaine forme de crédit hypothécaire. Pour

les créanciers, les prêts subprime étaient considérés comme individuellement risqués, mais

globalement sûrs et rentables. Cette perception reposait sur une hausse rapide et continue du prix de

l’immobilier. Si un emprunteur ne pouvait pas payer, la revente du bien immobilier permettait au

prêteur de récupérer son dû.

Écart réduit :

L'écart correspond à la distance qui sépare une valeur donnée d'une origine (ici, la moyenne). Ainsi,

l'écart à la moyenne est la différence entre une valeur donnée et la moyenne, considéré avec son

signe, positif ou négatif. Ainsi, plus l’écart à la moyenne est éloigné, plus l’utilisation d’un mot dans

le corpus est importante, ou complètement désuète.

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Introduction.

«La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité». Les

propos d’Albert Camus retentissent encore aujourd’hui, traversant les peuples et les pensées. La

démocratie, c’est donner une voix à ceux qui n’en n’ont pas. C’est donner à des hommes la

conviction d’un avenir plus juste, plus heureux pour soi et son prochain. Ce n’est pas imposer par le

choix des masses, mais la volonté de se protéger par la voie du vote. La démocratie, aussi sacrée

soit-elle, permet au peuple de déléguer une partie de sa souveraineté, au profit d’une représentativité

dans ses choix, ses idées. Elle arme nombre de dirigeants politiques depuis des années. Le fruit

d’une campagne présidentielle, c’est le vote du peuple en faveur d’un seul homme, d’une seule

femme, pour désigner le chef de l’État, et ce en France, depuis 1962. Le peuple récompense une

personne en le faisant serviteur du bien commun, le protecteur du peuple, le père de la patrie. En

démocratie, il est compliqué d’accepter que le peuple vote plutôt pour l’image d’une personne, que

pour son programme politique. Pourtant, c’est une réalité qui a déjà été prouvée. Les discours

politiques, porteurs de mythes, de symboles, d’espoir, de réalités ou d’imaginations, sont souvent

plus mémorisables et mémorisées que de propositions concrètes pour l’avenir du pays. A partir de

là, le candidat se doit de persuader et convaincre, choisissant l’émotion, et l’argumentation. Et

même avant, en dehors de tout processus démocratique, les sentiments dans le processus langagier

ne pouvaient être écartés. Déjà, pour Aristote1, il fallait par l’élocution chercher à « toucher » les

juges, afin d’orienter les auditeurs dans telle direction. Il faut influencer l’interlocuteur, en

détachant ses propos de la conviction. Convaincre, c’est utiliser un raisonnement, des arguments,

dire la vérité. La persuasion, c’est l’usage des sentiments, l’utilisation des mots qui touchent, ceux

qui font changer d’avis. C’est, dans un discours, montrer une passion, un engouement, en dehors de

tout esprit critique. Cet art de l’influence, qui est au cœur de nos sociétés, au cœur de la démocratie.

Le but du candidat en politique, n’est donc pas toujours de développer un raisonnement logique,

cherchant à élucider une vérité, de montrer la force de la raison. L’homme politique n’a pas pour

enjeu d’établir la vérité, mais d’établir une vérité qu’il croit vraie, et qu’il doit faire croire et

accepter comme vraie. L’enjeu est donc de s’appuyer sur des croyances partagées, des sujets

communs qui résonnent de façon universelle. Quant aux arguments, dans le discours politique, ils

passent par le poids des circonstances, par le risque de ne pas être bien choisis, par un choix

d’action dans tel ou tel domaine, ils relèvent aussi parfois de l’autorité présidentielle que l’on

1 Rhétorique, Aristote, 1991, Livre de Poche

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souhaite imposer, ou encore défendre des valeurs. Ce sont tant d’arguments qui peuvent se

retourner contre le candidat, s’ils ne sont pas partagés par tous. C’est un choix à double tranchant.

En somme, il existe un certain nombre d’arguments dans les discours politiques, que nous

n’étudierons pas dans notre développement. Rappelons seulement que se mélangent au sein d’un

même discours, sentiments et arguments.

Tous les gagnants de l’élection présidentielle, ont bénéficié d’un arsenal les menant vers la

victoire. Le poids des mots employés font - entre autre - parti de cet ensemble de procédés aidant à

la conquête du pouvoir. Depuis 1958, date de l’entrée en vigueur de la Vè République, 7 présidents

ont été locataire de l’Élysée. De Gaulle est celui qui a rendu cette République plus présidentielle

que jamais. Tous ressentent ce pouvoir d’homme d’État seul au service de son peuple. Si une

continuité a toujours existé dans le discours politique et présidentielle, nous le verrons, Nicolas

Sarkozy a effectué une vraie rupture dans le langage des candidats et des Présidents. Si certains

historiens s’intéresseront à l’entièreté de la carrière politique de l’homme, et jusqu’à sa fin, il est

possible de chercher les événements fondateurs de son ambition politique, qui l’amèneront à la tête

du pays. Tous s’accordent sur un point : il était né pour gouverner. Dans un ouvrage2 retraçant le

destin des 6 premiers présidents de la République, Robert Schneider détaille la vie et l’ascension de

Nicolas Sarkozy. Jeune, il était en admiration devant De Gaulle, et devant son grand-père. Il

explique ne s’être jamais « lassé de regarder, fasciné et ému, les défilés du 11 novembre et du 14

juillet ». Il a toujours rêvé d’être Président, « bien avant de se raser », rapporte le journaliste. En

1974, il adhère à l’Union des Démocrates pour la République (UDR) un peu avant la mort de

Pompidou, et milite en faveur de Jacques Chaban-Delmas pour la présidentielle. Alors qu’il n’a que

19 ans, il déclare à ses proches: « Si je fais de la politique, c’est pour monter très haut ». À un de

ses amis de la faculté de Nanterre, où il étudie le droit, il glissera: « Un jour, je serai Président de la

République ». L’histoire lui donnera raison. L’auteur raconte qu’il se rend vite indispensable dans le

local départemental du parti. Il se rend utile et est toujours énergétique. Il a toujours cette envie de

tout faire, lui-même. En juin 1975, il s’exprime devant 25.000 personnes au congrès du parti. Sans

une once de timidité, il se lance: « j’ai la tête dans les étoiles, vous êtes devant moi, vous êtes mes

idoles. Je suis jeune, mais comme vous, je suis gaulliste, car je sais qu’être gaulliste, c’est être

révolutionnaire ». Jeune, à peine adulte, il est ovationné par les militants dans la salle. C’est le

début d’une ascension dont on connaît le sommet. Il rejoint le Rassemblement pour la République

(RPR), nouvellement créé en 1976 avant d’être élu conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine

l’année suivante, ville où il a grandi. Il sera surtout remarqué lors de sa première victoire en 1983,

2 Je serai président. Enfance et jeunesse des six chefs d’État de la Ve République, Robert Schneider, 2012, Perrin

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en décrochant la mairie de Neuilly-sur-Seine, après le renoncement de Charles Pasqua au même

poste. À 28 ans, Nicolas Sarkozy est l’un des plus jeunes maires de France. Il entre à l’Assemblée

Nationale en 1988. En 1993, lors des nouvelles législatives, la droite l’emporte, Édouard Balladur

est chargé de former un gouvernement, et une cohabitation s’installe avec dans ses rangs Nicolas

Sarkozy, au budget. La droite se déchire en 1995, ne sachant pas quel candidat investir à la

présidentielle. Le RPR décide de choisir naturellement Jacques Chirac, et Balladur, porté par son

poste de Premier ministre, décide de se présenter malgré les réticences du parti. Nicolas Sarkozy le

soutient. Finalement, c’est Jacques Chirac qui l’emporte, Alain Juppé devient Premier ministre et

Nicolas Sarkozy ne fera pas parti du gouvernement. Il revient en tant que secrétaire général du RPR

en 1997, et prend la présidence du parti par intérim en 1999. Chargé des élections européennes, le

RPR est écrasé (12,82% des suffrages pour 5,64% des inscrits) par la droite souverainiste de

Charles Pasqua, et d’un parti socialiste puissant depuis la victoire de la « gauche plurielle » aux

législatives de 1997. Les historiens, auteurs et journalistes s’accordent sur un second point. On

retiendra la carrière de Nicolas Sarkozy lors de son entrée au gouvernement Raffarin, en 2002. Si

des rumeurs pressentaient son arrivée à Matignon, c’est à la Place Beauvau qu’il sera investi, en tant

que ministre de l’Intérieur et de la sécurité. Un remaniement ministériel le renvoie au ministère du

Budget en mars 2004. Alain Juppé, poursuivi pour « prise illégale d’intérêt » démissionne de la

présidence de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), Nicolas Sarkozy souhaite récupérer

sa place. Il est élu à la présidence de l’UMP, continuant une ascension qui ne semble pas s’arrêter.

Élu par plus de 85% des suffrages, il rénove le parti qu’il voyait s’essouffler. Dans le même temps,

il est toujours ministre. Le gouvernement Raffarin démissionne le 31 mai 2005, deux jours après la

victoire du « NON » au « référendum français sur le traité établissant une Constitution pour

l’Europe ». Nicolas Sarkozy retrouve son poste de ministre de l’Intérieur dans le gouvernement

Dominique De Villepin, qu’il cumule avec la Présidence de l’UMP et du Conseil général des Hauts-

de-Seine. Le 26 novembre 2006, Nicolas Sarkozy annonce sa candidature à la Présidence de la

République. Le 22 avril 2007, il arrive en tête des 12 candidats avec 31,18% des suffrages

exprimés, devant Ségolène Royal (25,87%) et François Bayrou (18,57%). Le 6 mai 2007, il est élu

Président de la République française avec 53,06% des votes exprimés. À 52 ans, il devient le 23ème

Président de la République.

Nicolas Sarkozy a un discours propre. Quelque chose qui, nous le verrons, rompt avec toutes

les habitudes des hommes politiques, qui deviendront un jour, président de la République. On peut

tout de suite donner un nom à ce discours: le sarkozysme. Damon Mayaffre, chercheur en science

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politique et spécialiste du discours, en propose une définition3, comme étant un volontarisme de

droite. C’est un mélange d’antagonismes, réunissant le volontarisme politique et la conservation

sociale, le progrès et la réaction, l’activisme et l’inertie. C’est un homme fier d’être de droite, et

dont il ne cesse de le répéter dans des discours aux sujets conservateurs et traditionnels : la famille,

le mérite, le travail, la sécurité, la patrie, la nation, l’immigration. Cesser d’être spectateur, devenir

acteur. Il veut arrêter de subir le cours des choses pour agir continuellement. Le langage se doit

d’être incarné, il ne se suffit pas à lui même. A travers le discours de Nicolas Sarkozy, sa pensée

prend vie. Le but du développement n’est pas de porter un jugement entre les promesses et les

réalisations de son quinquennat, mais seulement de connaître les sujets abordés, les mots employés

et d’en découvrir les interprétations possibles.

Une question semble alors se dessiner, comment la rhétorique de Nicolas Sarkozy, rompt-

elle avec les codes lexicaux des différents candidats et présidents de la République? Il est question

ici de voir comment l’homme a pu gagner, en abordant quels thèmes, comment a-t-il réussi à

séduire. Pour cela, nous nous cantonnerons à l’analyse des discours, aux mots utilisés. Les textes de

campagne, de 2006 à l’élection seront traités, puis ceux de la période présidentielle, de 2007 à 2012.

La méthode utilisée sera la logométrie*, qui permet de rassembler toutes les informations que l’on

dispose, afin de traiter par mathématiques et de façon statistique un corpus de discours. C’est le

logiciel Hyperbase* qui sera utilisé pour établir des tableaux, des formes, des index alphabétiques,

des listes de fréquences, des réseaux de co-occurences. Il s’agit pour les co-occurences, sans rentrer

dans le processus informatique, de sélectionner les 200 mots les plus utilisés par Nicolas Sarkozy.

Ainsi, ces termes seront considérés comme étant les meilleurs témoins de la substance de son

discours. Le texte peut ainsi être métaphorisé comme étant un cerveau, et la rencontre de tous les

mots (les co-occurences) en constitue les neurones qui permettent de donner un sens à ce texte. Les

mots seront croisés entre eux afin de repérer des attirances ou des répulsions. Ainsi, les mots seront

regroupés autour de thèmes majeurs que l’on développera tout au long de notre réflexion. Seront

également alors représentés des graphiques, afin d’avoir une vision du discours de Nicolas Sarkozy

en le comparant aux autres présidents, et aux autres candidats à la présidentielle. Tout au long de

notre développement, des détails seront apportés afin de comprendre le traitement des tableaux et

cartes qui peuvent paraître, à la première lecture, indigestes.

Trois parties semblent se dégager afin de pouvoir répondre à notre question. La première

permettra de savoir s’il existe une idéologie « sarkozyste ». Il est question de voir si ses thèmes de

3 Dans «Nicolas Sarkozy, mesure & démesure du discours, 2007 / 2012», Presses Science Po, 2012

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prédilections reflètent une idéologie politique propre. Cette première partie permettra d’enchaîner

sur une suivante, qui analysera le discours de Nicolas Sarkozy durant sa présidence. Il conviendra

de traiter l’évolution de son discours afin de savoir si le «sarkozysme» s’est dénaturisé au cours de

son quinquennat, et d’analyser son discours lors des premières difficultés. Enfin, il conviendra de

traiter le discours sarkozyste en le comparant aux autres présidents, afin de savoir où se trouve la

rupture avec ses prédécesseurs. Cinquante-cinq ans ans de discours politiques permettront de

dessiner les contours et les spécificités du discours de Nicolas Sarkozy. Entrons dans les coulisses

de la rhétorique décomplexée de Nicolas Sarkozy.

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Première partie.

Thèmes et portées du discours de Nicolas Sarkozy: une nouvelleidéologie politique?

Certains politologues4 ont démontré l’affaissement du discours présidentiel depuis le

changement de République. Le discours est devenu peu à peu superficiel, la forme l’emportant sur

le fond, la communication sur la pensée. Ainsi, les idéologies ne sont plus assumées par les

présidents, ne parlant pas à tous les français. Posons dès à présent que le discours de Nicolas

Sarkozy opère une rupture dans cette tendance, et définissons les sujets majeurs du discours

sarkozyste. Il conviendra ensuite d’étudier la sécurité et l’autorité, avant d’examiner les références

du travail, de la famille et de l’éducation pour y déceler une idéologie propre à Nicolas Sarkozy.

Chapitre premier: Les thèmes majeurs du discours de Nicolas Sarkozy.

Si l’on édite une carte d’analyse factorielle des co-occurences relatives au corpus de Nicolas

Sarkozy entre 2007 et 2012, voici ce qu’on obtient :

Figure 1 : Analyse factorielle des co-occurences. Corpus Sarkozy (2007-2012). Extrait de D. MAYAFFRE, «Nicolas

Sarkozy, mesure & démesure du discours, 2007 / 2012», Presses Science Po, 2012

4 Dont Damon Mayaffre, dans Le discours présidentiel sous la Vème République. Chirac, Mitterrand, Giscard, Pompidou, De Gaulle, Paris, Presses de Sciences Po, 2012

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On propose une interprétation en ajoutant sur l’axe horizontal les catégories « économique »

et « non économique », et sur l’axe vertical l’ « international » et le « national ». Cela permet de

souligner une problématique majeure du discours sarkozyste, en présentant l’homme comme un

expert économique, par l’omniprésence du vocabulaire s’y référant (près de cent substantifs). Des

termes très marqués comme les « millions », les « milliards », donnent sens à des considérations

techniques sur la « monnaie », les « taux » et le « crédit », particulièrement importants sur cette

carte. Le discours de Sarkozy est libéral, même si ce dernier a souvent prôné la régulation du

capitalisme et qui se caractérise par la proximité des termes sur la carte. Le chef d’État donne

l’impression d’être un chef d’entreprise, tant la relation entre le politique et le système économique

est proche. Le contexte économique en est aussi pour cause, et les interventions médiatiques de

Nicolas Sarkozy au cours de son quinquennat dans les émissions « Face à la crise » en 2009 et 2011

justifient ce discours économique. Pour essayer de comprendre le discours de Nicolas Sarkozy, il

semble intéressant de le comparer au premier chef d’État de la cinquième République, De Gaulle, à

travers l’ensemble de ses discours médiatiques entre 1958 et 1969.

Figure 2 : Analyse factorielle des co-occurences. Corpus de De Gaulle (1558 – 1969), Extrait de D. MAYAFFRE,

«Nicolas Sarkozy, mesure & démesure du discours, 2007 / 2012», Presses Science Po, 2012

Le contexte jouant fortement, De Gaulle consacre beaucoup de mots de ses discours à la

politique internationale dans le cadre de la guerre froide (« Moscou », « Berlin », « occident »,

« américain », etc.), là où Nicolas Sarkozy semble absent. Le lexique économique de De Gaulle n’a

rien de comparable avec celui de Sarkozy : même si les mots « prix », « monnaie » ou « dépense »

ressortent, ils restent très minoritaires là où ils sont majoritaires chez Sarkozy. On note une

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diminution de la sphère régalienne au profit d’un discours économique fort, expliqué aussi par des

crises sévères dont il était impossible de passer outre. La crise des sub-primes*, la faillite de

banques américaines ou le risque de l’implosion de la zone euro sous le poids des dettes des pays

comme la Grèce, le Portugal ou bien la France, obligent Sarkozy président, à s’exprimer sur des

sujets qui n’étaient pas ceux du Sarkozy candidat. Il faut en revanche noter que de l’autre côté du

discours économique, se place le non-économique et permet de mettre en valeurs un discours varié

et riche de sujets. Sont abordés des questions de société comme la « sécurité », la « jeunesse »,

l’« autorité », ou la politique de la « ville ».

Quant à la question internationale, ressortent par exemple les mots « Méditerranée »,

« union », faisant référence à l’Union pour la Méditerranée, voulue par Nicolas Sarkozy durant sa

campagne de 2007, et le terme de « nucléaire » faisant référence à la catastrophe de Fukushima de

mars 2011. Cependant, la thématique internationale semble peu présente dans le discours de Nicolas

Sarkozy, et lorsqu’elle l’est, c’est souvent sous un angle économique. Pourtant, durant sa re-

présidentialisation, dès 2010, Sarkozy traite des questions internationales mais sans affecter le

corpus, c’est-à-dire les discours publics en direction des français. Ne paraît pas dans la carte la

question de la guerre libyenne en 2011, et qui ne fait pas oublier le silence du président sur le

printemps arabe, ou la position de la France lors de la crise de régime de Côte d’Ivoire en 2010 et

2011, sans oublier le rôle de la présidence de l’Europe par Nicolas Sarkozy en 2008 mais qui resta,

à terme, dépendant du partenaire allemand. Enfin, le sommet du G20 à l’automne 2011 ne fait

qu’enterrer cette transparence dans le discours sarkozyste des questions internationales.

On peut, d’une autre manière, analyser le corpus de Sarkozy non pas seulement de manière

économique et international, mais en regroupant le tout en 5 thèmes structurants. Le cadran

supérieur droit lie l’économie à l’international, donnant un corpus relatif à la macroéconomie, en

parlant de la « régulation », du « capitalisme », ou bien des « marchés ». Le quadrant inférieur droit

est relatif à l’économie nationale, donnant lieu à la microéconomie, dominée par les termes de

« travail », de « chômage », de « retraite ». Le quadrant supérieur gauche lie l’international au non

économique, que l’on qualifiera de géo-stratégie, en retrouvant la « méditerranée, l’« union » , la

« paix », la « guerre ». Le quadrant inférieur gauche traite de la société française, à travers les mots

comme « école », « lycée », « famille », « jeune ». Enfin, à l’extrême gauche, on retrouve tous les

mots liés à la sécurité : « violence », « ordre », « respect », ou encore « prison ». Et ce discours lié à

la sécurité, l’autorité, est un thème majeur du discours de Nicolas Sarkozy, l’érigeant comme une

valeur, et justifiant cette idéologie trop longtemps sous-estimée.

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Chapitre deuxième: La sécurité, l’autorité, les marques du sarkozysme.

La carte lexicale (figure 1) faisait ressortir la thématique sécuritaire avec de nombreux

termes s’y référant, telle que la « violence », le « préfet », la « prison », la « police », la « justice »,

l’« autorité », ou le « quartier ». C’est une des marques du sarkozysme, pour celui qui s’est construit

au ministère de l’Intérieur durant plusieurs années. C’est une petite révolution (parmi d’autres, nous

le verrons) que Sarkozy opère en abordant la question sécuritaire. Dans les soixante-dix-neuf

allocutions et conférences de De Gaulle, le mot « délinquance » n’a été employé qu’une seule fois,

tout comme le mot « insécurité ». Giscard lui, n’a jamais employé ces termes en 405 000 mots.

Nicolas Sarkozy sait marteler la place de la sécurité dans son discours, c’est le « premier des droits

républicains »5. Les mots sont forts, plaçant la sécurité comme étant le fondement de tout État de

droit, contrairement à l’état de nature. « Sans la sécurité, il n’y a pas de développement. Sans la

sécurité, il n’y a pas de progrès social. […] Sans la sécurité, il n’y a rien »6 martèle-t-il durant son

quinquennat. Au-delà, toute une série de mots étaient inconnus du discours présidentiel. Les mots

«caïd » ou « trafiquant » étaient absents des discours présidentiels, alors qu’ils sont employés quatre

fois et dix-sept fois dans le corpus de Sarkozy. « Voyou » sera utilisé deux fois par Chirac, et dix-

huit fois par Sarkozy. Les mots « dealers », « casseurs », « violeurs », « barbares », « délinquants

sexuels », « mafieux », « cocktail Molotov » sont partis intégrantes du discours de Sarkozy. Un

ouvrage d’un collectif s’est penché sur Nicolas Sarkozy, et sans demie-mesure assure qu’il n’hésite

pas à vouloir « gouverner par la peur »7. En novembre 2007, quelques mois après son élection, il

réagit à des émeutes : « Nous avons eu quatre-vingt-deux blessés. Je pense particulièrement à un

fonctionnaire de police […] qui a perdu un œil parce qu’un voyou lui a tiré à la hauteur de la tête.

[…] Je pense à ce commissaire de police, […] qui a été lynché à coup de barre de fer »8. La

délinquance va jusqu’à s’introduire le soir du Nouvel An lors de la traditionnelle déclaration des

vœux : « Nous allons donc continuer à réformer parce que c’est la seule façon de préserver notre

modèle et notre identité, c’est la seule façon de protéger la France et les français. […] Les protéger

de la violence chaque jour plus brutale de la part des délinquants ». Le Président n’est plus le garant

du bon fonctionnement des institutions ou de l’arbitre de l’équilibre des mesures gouvernementales,

c’est devenu le sauveur, le protecteur de la patrie.

5 Sarkozy, 20 avril 2010, discours public en préfecture de Seine-Saint-Denis6 Ibid.7 L. Dakhi, B. Maris, R. Sue et G. Vigarello, Gouverner par la peur, Paris, Fayard, 20078 Sarkozy, 29 novembre 2007, interview télévisée

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Le substantif « autorité » est utilisé 194 fois dans le discours sarkozyste fondateur de 2007.

Si l’on compare l’utilisation de ce terme avec ses concurrents à la présidentielle de la même année,

il est celui qui l’a le plus utilisé, et d’une écrasante distanciation. Il traite souvent de l’autorité en

lien avec la morale, deux valeurs qui lui sont chères et qui feront à terme partis du corpus

idéologique. L’autorité doit être restauré dans plusieurs strates de la société. Tout d’abord, dans la

famille : « c’est l’autorité des parents qu’il faut réhabiliter »9. Mais l’autorité est aussi une autorité

étatique, et il se demande « Comment l'État pourrait-il avoir encore une autorité s'il ne remplit plus

ses missions régaliennes : l'ordre public, la protection des personnes et des biens, la répression de la

délinquance, la justice, la lutte contre le terrorisme, la maîtrise de l'immigration ? c'est cela l'autorité

de la République »10. L’État doit être fort, avec des lois rudes qui s’imposent à tous. Par l’autorité,

Sarkozy justifie ce qui doit être bon pour les citoyens. Apparaît un troisième niveau, entre la famille

et l’État : l’école. « Il faut refaire de l’école une école où il y ait de l’autorité »11. L’autorité est un

des sujets sur lesquels Sarkozy s’appuiera tout au long de sa campagne, un des sujets qui l’amènera

aussi à gagner. L’analyse des co-occurences du terme « autorité » montre qu’il est souvent associé

au lexique scolaire, avec les termes de « professeur », « école », « diplôme ». Mais le terme le plus

co-occurent est le terme de « maître », refusant d’ailleurs d’employer le terme de « professeur des

écoles », trop laxiste aux yeux du candidat.

Durant sa campagne, le candidat n’a de cesse rappeler la perte d’autorité de l’État, et l’a

également démontré en évoquant Mai 68. A deux jours du premier tour, Nicolas Sarkozy évoque à

Montpellier sa volonté de « liquider l’héritage de Mai 68 », liquider « la pensée unique » et le

« politiquement correct », avec pour objectif de « renoncer au renoncement »12. Plus radicalement,

encore il exclamera : « L'autorité ? Qui ose encore en parler ? L'autorité ? C'est devenu un de ces

mots qui peuvent vous briser une carrière politique. (…) Mai 68 est hélas passé par là. A bas

l'autorité ! C'était cela le programme de Mai 1968. A bas l'autorité ! »13. Il liera Mai 68 avec le

« relativisme intellectuel et moral » durant sa campagne, voulant en finir avec « l’idée que tout se

valait, qu’il n’y avait aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau

et le laid »14. S’attaquer à Mai 68 n’était pas sans risque si on regarde l’électorat de Sarkozy. En

effet, il a obtenu 67 % des voix des plus de 65 ans au second tour, et 44 % des 65-74 ans ont voté

pour Sarkozy au premier tour, soit 13 % de plus que la population globale. Ainsi, on se rend compte

9 Sarkozy, 23 février 2007, discours à Perpignan10 Ibid. 11 Sarkozy, 5 avril 2007, discours à Lyon12 Sarkozy, 21 avril 2007, discours à Montpellier13 Sarkozy, 23 février 2007, discours à Perpignan14 Sarkozy, 29 avril 2007, discours à Bercy.

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que si on avait retranché du corps électoral les seniors pour conserver seulement les voix des actifs,

c’est la candidate socialiste qui aurait été élue présidente de la République15. C’était, en s’attaquant

à Mai 68, demander à une classe d’âge de renier sa propre jeunesse, prouvant que la victoire de

Sarkozy dans les urnes n’est pas qu’une simple victoire électorale mais un véritable succès

idéologique.

Chapitre troisième: Le travail comme valeur, l’éducation et la famille

comme apprentissage.

C’est le slogan le plus connu, et celui qui aura le plus marqué les français. Nicolas Sarkozy

restera le président du « travailler plus pour gagner plus ». Au delà du slogan que l’histoire

retiendra, le substantif « travail » et son associé « travailler » resteront parmi les mots les plus

utilisés du discours sarkozyste. On y voit un culte du travail, du labeur et de l’effort, sans aucune

comparaison dans le discours présidentiel précédent.

Graphique 1 : « Travail » et « Travailler » dans le

corpus présidentiel (1958 – 2012) Extrait de D.

MAYAFFRE, «Nicolas Sarkozy, mesure & démesure

du discours, 2007 / 2012», Presses Science Po, 2012

Chiffré ici par un écart réduit*, l’indice de spécificité du mot « travail » dans le corpus de

Sarkozy s’élève à +18. De Gaulle, par rapport à la moyenne présidentielle est à -11. Et dès le soir de

son élection, Sarkozy exprime sa « priorité » pour les français, celle de « travailler ensemble »16. Il

continue, et rajoute, que « le peuple français s’est exprimé. Il a choisi de rompre avec les idées, les

habitudes, et les comportements du passé. Je veux réhabilité le travail »17. Le travail doit être

martelé pour N. Sarkozy, et on ne compte plus les références lié à cette valeur durant son

quinquennat. Sa volonté de réhabiliter de travail aura une place importante durant sa présidence,

15 J. Jaffré, « L’indiscutable défaite de Ségolène Royal », Le Monde, 8 juin 2007.16 Sarkozy, 6 mai 2007, discours de la victoire17 Ibid.

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déclarant encore en 2011 la volonté d’une « réhabilitation du travail, refus du partage du travail »18.

En matière de travail, Sarkozy promeut sans cesse de faire des réformes (« mon mandat est de faire

des réformes »19), visant à abolir des réformes récentes comme les 35 heures, qu’il qualifie comme

une « folie »20. Il veut également supprimer l’âge de départ à la retraite à 60 ans qu’avait mis en

place le gouvernement socialiste de 1983. Si l’on traite statistiquement les co-occurences du mot

travail, il est frappant de voir à quel point la morale est associée au travail dans le discours

sarkozyste. On associe le travail au « fruit », à l’« effort », au « mérite », à la « récompense ». A la

veille du jour de la fête du travail, il s’écrie : « Je souhaite une France qui récompense le travail, qui

connaisse le plein-emploi, une France où on se dit le matin en se levant que si l’on se donne la

peine, on honorera la récompense »21. Dans le discours du président, on est face à une activité

morale presque religieuse.

A l’opposition du travail, Sarkozy dénonce l’ « assistanat », les « assistés » tout au long de sa

campagne et de sa présidence. Ainsi, il déclarera que « La France n’a pas besoin d’assistanat, la

France a besoin qu’on trouve du travail pour les gens […]. Personne ne sera abandonné. On ne

laissera tomber personne. Mais le problème de la France c’est de travailler plus, pas de travailler

moins »22. Il lance des attaques directes durant sa campagne à « l’assisté qui gagne plus que le

travailleur » et dont la situation « ne peut plus durer »23. Mais les accusations vont plus loin, et

déclare en terre conquise : « Que ressent le citoyen qui n’en peut plus de l’insécurité et de la

violence, qui n’en peut plus de payer des impôts pour entretenir des assistés qui gagnent plus que lui

sans rien faire et qui ne respectent aucune loi, aucune règle, aucune autorité ? »24. En introduisant

l’insécurité et la violence, l’assisté est celui qui ne respecte plus aucune loi : c’est un délinquant.

Lorsque l’on compare le discours de Nicolas Sarkozy à ses prédécesseurs, il convient

d’observer une autre rupture, notamment par l’utilisation philosophique de différents sujets,

notamment en référence au travail. Ainsi, il déclare lors de sa conférence de presse en 2008 : « Nous

poursuivons la politique de revalorisation du travail, parce que le travail, c’est une valeur

essentielle, c’est ce par quoi chacun trouve sa place dans la société, c’est ce qui tisse du lien social,

le travail, ce n’est pas un asservissement, le travail, c’est une émancipation. Le travail, c’est un

18 Nicolas Sarkozy, 4 mai 201119 Sarkozy, 6 septembre 2007, interview aux Dernières nouvelles d’Alsace20 Sarkozy, 27 octobre 2011, interview télévisée « Face à la crise »21 Sarkozy, 30 avril 2008, allocution à l’Élysée22 Sarkozy, 25 janvier 2010, interview télévisée23 Sarkozy, 23 février 2007, discours à Perpignan24 Sarkozy, 30 mars 2007, discours à Nice

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moyen de conquérir sa liberté »25. Sarkozy n’exclue pas que le travail permet aussi

l’épanouissement personnel et l’enrichissement, au contraire. Mais ce qu’ajoute Sarkozy au travail,

c’est sa considération philosophique, le travail devient un dogme. Le tout s’illustre dans une

élocution incroyable de sa campagne fondatrice, à Saint-Quentin : « Cette force, nous la trouverons

en remettant l’homme au cœur de la politique. Nous la trouverons en rendant au travail sa valeur

morale et sa capacité d’émancipation. Nous la trouverons en rendant au travailleur la première place

dans la société. Je veux redonner un beau nom de travailleur le prestige qu’il a perdu, parce qu’en

abaissant le travailleur, on a abaissé l’Homme. Je veux réhabiliter le travailleur qui a été trop

longtemps ignoré par la droite et qui a été trahi par la gauche »26. Le travail devient une valeur

propre, marqueur de l’idéologie sarkozyste, le tout d’une manière inédite.

Une fois rappelées les valeurs du travail, de l’autorité et de la sécurité et après avoir abordé

la question économique, Nicolas Sarkozy a enchéri son idéologie avec le sujet de l’éducation, de la

famille et de l’apprentissage pour les enfants. On trouve dans le discours de Sarkozy des passages

assez neutres, susceptibles de parler à tous, et que même la gauche soit conquise. Ainsi, Sarkozy

propose « une vision ambitieuse de l’école. Une école dont le primaire se fixe pour objectif de

donner à tous les enfants les bases fondamentales sans lesquelles il n’est pas possible de vivre une

vie d’adulte »27. Il aborde de façon très général l’accès au collège, ayant pour but de « donner aux

élèves le goût des grands auteurs, le sens de la rigueur »28. Le lycée quant à lui, a pour « objectif de

porter plus d’élèves vers l’enseignement supérieur, plus d’étudiants vers le diplôme, plus de

diplômés vers l’emploi »29. Il utilise des procédés lexicaux habituellement de gauche en désirant

« une école de l’égalité des chances. Une école qui ait pour objectif la liberté de l’esprit et de la

dignité de la personne humaine »30, ou en désirant une école qui contribue « de nouveau à réduire

les inégalités au lieu de les aggraver »31.

Rapidement, ce lexique est mis de côté au profit d’un autre, qui dénonce l’école

d’aujourd’hui : « Entre l’école où on apprend tout par cœur et l’école ou l’on n’apprend plus rien, il

y a un juste milieu. Entre la règle dont on frappait les doigts des enfants et l’enseignante qu’on

tutoie, il y a un juste milieu, […] entre le pensionnat de Chavannes et l’école ouverte à tous les

25 Sarkozy, 8 janvier 2008, conférence de presse26 Sarkozy, 25 janvier 2007, discours à Saint-Quentin27 Sarkozy, 1er décembre 2006, discours à Angers28 Ibidem29 Ibidem30 Sarkozy, 18 décembre 2006, discours à Charleville-Mézières31 Sarkozy, 2 février 2007, discours à Maisons-Alfort

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trafics et toutes les violences, il y a un juste milieu, celui de l’école sans portable sans tabac et sans

casquette »32. De façon claire, il s’exclame : « Je souhaite une école qui place au cœur de ses valeurs

l’autorité, le travail, l’effort, le mérite »33. Cette phrase a été répétée cinq fois durant la campagne et

impossible de croire qu’il s’agit d’un hasard. Et comme l’a repéré Damon Mayaffre, ces mots font

l’écho de ceux du Maréchal Pétain sur l’éducation, prononcés le 15 août 1940 : « Nous ne devons

jamais perdre de vue que le but de l’éducation est de faire de tous les français des hommes ayant le

goût du travail, et l’amour de l’effort »34. Et Sarkozy ne cessera de rappeler, comme nous l’avons

vu, la volonté d’autorité du maître à l’école. Une phrase marquante peut tenter de faire le

rapprochement une fois de plus entre le candidat Sarkozy et Pétain. Le premier déclare que

« l’ordre, […] c’est quand l’école apprend à l’enfant à faire la différence entre le bien et le mal, à

distinguer de ce qui est vrai et de ce qui est faux, à apprécier ce qui est beau et ce qui est grand »35,

alors que le second a déclaré que « l’école française de demain enseignera avec le respect […]. Il

n’y a pas de neutralité possible entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, entre la santé et la

maladie, entre l’ordre et le désordre ». L’école est donc un sujet très important chez Nicolas

Sarkozy qui prouve cette volonté de redresser une société qu’il trouve en déclin.

Le rôle des parents est très présent dans le discours de Sarkozyste, surtout durant sa

campagne, que l’on considère comme révolutionnaire par rapport aux candidatures passées. Le rôle

de la famille est clé, et Sarkozy est celui qui utilisera ce mot le plus de fois. Il ne cesse de rappeler

le rôle des parents dans l’éducation des enfants, et de les mettre en garde afin de ne pas être un

mauvais éducateur pour son enfant. Ainsi, il déclare que « les parents sont les premiers éducateurs

de l’enfant. La famille joue un rôle décisif dans le développement intellectuel, moral et affectif de

l’enfant »36. De façon plus stricte, « C'est d'abord au sein de la famille qu'il faut réhabiliter le

principe d'autorité »37 pour le candidat Sarkozy. Il s’est d’ailleurs demandé quel statut attribué à

cette famille, et notamment à la famille homoparentale. Il a refusé d’ailleurs l’adoption aux familles

homoparentales car selon lui, « on donnerait alors à la société une image de la famille qui n'est pas

celle que je souhaite que l'on donne »38. Son alternative, c’est un « contrat d'union civile

garantissant aux couples homosexuels les mêmes droits successoraux, sociaux et fiscaux qu'aux

32 Sarkozy, 1er décembre 2006, discours à Angers33 Sarkozy, 23 avril 2007, discours à Dijon34 P. Pétain, « L’éducation nationale », Revue des Deux Mondes, 15 août 194035 Sarkozy, 25 janvier 2007, discours à Saint-Quentin36 Sarkozy, 2 février 2007, discours à Maisons-Alfort37 Sarkozy, 23 février 2007, discours à Perpignan38 Sarkozy, interview télévisée sur TF1

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couples hétérosexuels », en ajoutant ironiquement « que les unions civiles soient célébrées en

mairie, c'est quand même autre chose que le Pacs au greffe sinistre du tribunal d'instance»39.

Pour conclure cette première partie, il est indiscutable sur le fait que Nicolas Sarkozy

introduit dans le discours présidentiel une idéologie politique. En tant que candidat, et président, il

n’aura de cesse rappeler des valeurs, des références philosophiques, des souhaits politiques, voire

même des références religieuses dans son discours. Ainsi, les valeurs d’autorité, de sécurité,

d’école, de famille, de travail, font parties intégrantes du discours de Nicolas Sarkozy de 2006 à

2007. C’est un véritable discours axiologique qui va jusqu’à introduire la question morale dans le

discours politique. Durant sa présidence, s’est plutôt dessiné un président aux airs d’expert

économique, traversant des crises économiques qu’il a du surmonter. Mais a aussi été remarquée

une certaine continuité de ministre de l’Intérieur, poste qu’il a occupé au début des années 2000 et

jusqu’à son élection, abordant dans sa campagne et sa présidence l’autorité et la sécurité comme

jamais jusque là. Il convient désormais de se pencher sur sa présidence, de 2007 à 2012 afin

d’analyser durant cinq ans, le discours de celui qui a gagné l’élection par une rhétorique

révolutionnaire.

39 Sarkozy dans Tétu, juillet 2006

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Deuxième partie.

De la victoire au souhait de réélection, une présidencemouvementée ?

Le sarkozysme, nous l’avons vu, est un volontarisme de droite entre volonté d’action et

d’inertie. Mais c’est aussi, et surtout, un pragmatisme qui s’adapte à la situation. C’est un discours

qui entend répondre aux événements du moments, aux problématiques qui se posent, qui se créent

dans le temps. Après avoir étudié son idéologie et ses discours de campagne, il convient de se

pencher sur les événements nombreux du quinquennat qui obligeront Nicolas Sarkozy à changer de

ton. Cela permettra d’étudier en grandes lignes les sujets abordés durant ces cinq ans : la crise, la

thématique sécuritaire, l’agriculture, les retraites. Enfin, il semblera se demander comment la fin du

quinquennat s’est terminée, en abordant un possible épuisement face aux réalités dans lesquelles il

est embourbé, et dans un quinquennat qui finalement ne sera peut-être pas celui qu’il aura souhaité.

Chapitre premier: Une présidence mouvementée, une influence sur le

discours présidentiel

Il convient ici de ne pas traiter la politique de Nicolas Sarkozy et des événements nationaux

et internationaux qui se sont posés à lui durant le quinquennat. Le but reste d’analyser le discours du

président Sarkozy à travers les années, à travers ses mots clés et sujets abordés. Nous verrons à quel

point son idéologie précédemment démontrée n’a pu au fur et à mesure des années totalement

s’imposer au gré d’une actualité dictant ses priorités.

Tableau 1 : Les dix lemmes spécifiques des années présidentielles (2007-2012)

2007 – 2008 2008 – 2009 2009 – 2010 2010 – 2011 2011 – 2012

Je (+12) Prix (+9) Crise (+13) Agriculteur (+10) Dette (+11)

Civilisation (+11) Pétrole (+8) Jeune (+11) Agriculture (+9) Grèce (+10)

Politique (+10) TVA (+6) Europe (+10) Médecin (+9) Nous (+8)

Moi (+9) Concurrence (+6) État (+8) Retraite (+8) Contrat (+7,5)

Vouloir (+7) Ressource (+6) Relance (+7) Woerth (7,5) Apprentis-sage(+7)

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Sentiment (+7) Produit (+6) Jeunesse (+7) Mineur (+7) Aide (+6)

Pensée (+7) Fiscalité (+5) Liberté (+6) Magistrat (+7) Emploi (+5,5)

Élire (+6) Baril (+5) Paradis (+6) Département (+6) Libye (+5,5)

Audace (+6) Marché (+4) OTAN (+6) Policier (+6) Investisse-ment(+5)

Ouverture (+6) Contribuer (+4) Financer (+5) Sécurité (+6) Rembourser (+5)

Ce tableau fait ressortir une division binaire du quinquennat, entre la première année du

mandat et toutes les autres. On peut lire que la première année semble aborder des questions très

générales, abordant la « politique », la « pensée », la « civilisation », le « sentiment » ou

l’« audace ». Et dès 2008, le président fait face aux réalités qui le rattrape et qui s’invitent au sein

du discours. On retrouve toutes les autres années les mots comme « pétrole », « crise », « Europe »,

« agriculture », ou bien encore la « dette ». Mais on peut cependant repérer tout de même une

tripartition dans le quinquennat. On reprend cette première année qui semblait prête à

l’« ouverture » et à l’ « audace » avant de tomber dans une période de crises entre 2008 et 2010,

abordant la « crise » autour de celle des « prix », ou bien celle du « marché », et une autre crise

concernant la « dette » des pays, notamment de la « Grèce ». Enfin, une dernière période peut être

observée entre 2010 et 2011 avec un retour aux questions nationales durant un temps. On y parle

d’« agriculture », du « médecin », de « retraite », de « magistrat » et de « police ».

Cette première année de présidence fut sûrement la plus audacieuse, celle avec le plus de

volonté du président, malgré de premières difficultés comme son divorce avec Cécilia Ciganer ou

l’affaire du Fouquet’s. Le vocabulaire de cette première année justifie cette volonté d’ « ouverture ».

Il est par exemple possible de lier le « je » et le « vouloir » marquant dans cette année première

année de mandat cette toute puissance de président-élu. Il a d’ailleurs été relevé quand dans la

bataille du « je », Nicolas Sarkozy arrive juste derrière François Mitterrand en nombre

d’utilisations. La première personne du pluriel, pour ainsi englober l’ensemble des français sera

effacée durant la première année de la présidence, au profit du « je ». Le « nous » n’apparaîtra que

tardivement, à partir de 2010 et seulement de façon très discrète, avant une explosion dès 2011. La

volonté de travailler ensemble prendra le peu sur l’égo du président, afin d’être réélu. Ce qui est

frappant, c’est aussi la disparition de termes très fort après la première année de mandat. Ainsi, la

« civilisation » ne trouvera sa place que jusqu’en 2008. C’est l’idée d’une « société » à « rénover »,

avec des politiques ambitieuses et novatrices. Les valeurs se retrouvent dans cette « civilisation »,

celles qui forment l’idéologie sarkozyste. On retrouve cette idée de « civilisation » au sein de l’

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« école » et l’éducation. Mais la « civilisation » n’est pas le seul terme éphémère du discours de

Sarkozy, puisqu’on peut faire le même constat du terme « ouverture ». Durant la campagne, c’est un

terme qui reviendra à de nombreuses reprises, déclarant ainsi : « Je veux être le candidat de

l’ouverture, mais d’une ouverture qui n’a rien à voir avec la politique politicienne, d’une ouverture

qui n’est pas l’ouverture vers les appareils. […] L’ouverture dont je veux être le candidat, c’est

l’ouverture vers le autres, vers ceux qui ne pensent pas la même chose que moi »40. Cette politique

d’ « ouverture » se retrouvera au sein même de l’entourage de Nicolas Sarkozy, avec les départs de

Fadela Amara, Bernard Kouchner ou Martin Hirsch. Ouverture également aux membres du

gouvernement, avec Eric Besson, présent aux côtés de François Fillon pendant cinq ans sans avoir

adhéré à l’UMP. Mais l’ouverture s’est surtout traduite dans la diversité des membres des

gouvernements par la présence de Rachida Dati, d’origine maghrébine, au ministère de la Justice, et

de Rama Yade, d’origine noire africaine comme secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et

des Droits de l’Homme, puis comme secrétaire d’État chargée des sports. Mais très vite, le président

est rattrapé par des réalités qui s’imposent, et les audaces s’effacent dans le discours, au profit d’un

discours complètement chamboulé.

On l’a vu dans le premier graphique, Nicolas Sarkozy se présente dans sa présidence comme

un expert économique, au vu du vocabulaire employé. Dans son discours, on repère la question des

« prix », suivi chronologiquement par celle de la « crise » et enfin de la « dette », durant la dernière

année de présidence. Cette classification a d’ailleurs été reprise par le Premier ministre lui-même :

« Depuis 2008, nous avons dû affronter trois crises majeures »41. Le président a pu s’exprimer

devant les français à la télévision, notamment dans l’émission « Face à la crise » en février 2009 et

en octobre 2011. La première traitera de la crise boursière, et la seconde de la crise de la dette qui

touche les pays européen. On remarque pourtant une arrivée tardive de la crise dans le discours de

Sarkozy par rapport à l’évolution des événements. Ainsi, on estime l’éclatement de la crise en juillet

2007 lorsque les prêts hypothécaires, les subprime ne trouvent plus preneur aux États-Unis. Mais de

manière plus évidente, les premiers signes apparaissent lors de la publication de l’État de la banque

HSBC en février 2007. Durant la première année de mandature, Nicolas Sarkozy ne voit rien de la

crise et fera plusieurs politiques d’exonérations fiscales amputant à l’État des recettes qui

manqueront cruellement les années qui suivront. Nicolas Sarkozy n’abordera la question de la crise

que 14 mois après le début des premiers signes, en septembre 2008, lors du discours de Toulon.

C’est à partir de ce jour que la présidence de Nicolas Sarkozy bascule dans un mandat presque

40 Sarkozy, 23 avril 2007, discours à Dijon41 Fillon, 22 novembre 2011, discours au congrès des maires de France

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exclusivement économique. C’est avec gravité qu’il dénoncera sans cesse une crise « sans

précédent », qui mis le monde « au bord du gouffre »42. Sans concession, il déclare dans une

formule inédite qu’il s’agit d’une « crise inouïe »43. Le discours de Sarkozy, comprenant de

nombreuses hyperboles ne cessera de laisser paraître une gravité autour de ces différentes crises,

déclarant par exemple qu’il s’agit de « la première fois dans l’histoire du monde que l’on a connu

une crise qui touchait en même temps tous les secteurs et toutes les régions du monde »44.

Enfin, une dernière partie se dégage dans le discours de Nicolas Sarkozy, entre 2010 et 2011,

marquant le – seul – retour aux affaires nationales du quinquennat. Une pause, une parenthèse, un

aparté, ayant pour but de retrouver une confiance avec les citoyens qui semble s’éloigner. La courbe

de popularité ne cesse de chuter, dépassant les 65 % d’insatisfaits et battant ainsi un record

d’impopularité. Et pour cause, la réforme des retraites est entachée de neuf manifestations

nationales, l’affaire Woerth – Bettencourt cristallise un mécontentement qui se généralise. L’année

2010 – 2011 est l’année où les termes « médecin » et « agriculteur » sont les plus présents, là où ils

sont totalement invisibles des autres années. Les médecins sont ceux qui ont voté pour Sarkozy à

plus de 50 % au premier tour de 2007, et les agriculteurs avaient voté à droite à plus de 80 %, le

choix n’étant donc pas anodin pour le président. Mais au-delà de ces deux cibles importantes dans

le paysage français, cette année marque la résurgence des thèmes forts à Sarkozy, comme

l’insécurité. Ainsi, c’est l’année où sera mentionnée le plus les termes de « mineurs », de

« policiers », de « sécurité » et de « magistrat ». C’est d’ailleurs en 2010 que le président évoquera

sa proposition de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, afin de répondre à la télévision

à une pharmacienne cambriolée plusieurs fois, dans le but de lutter contre la délinquance.

Ainsi, Nicolas Sarkozy n’a pu aborder dans sa présidence tous les sujets qu’il aurait voulu

aborder. L’actualité a fracassé son discours conservateur et très sociétal au profit d’un discours

économique et national continuellement mouvant. Toujours ancré dans son idéologie, le président

Sarkozy se tourne rapidement vers une réélection qui semble compliquée, mais possible.

42 Sarkozy, 27 juin 2011, conférence de presse43 Sarkozy, 31 décembre 2011, vœux aux Français, site de l’Élysée 44 Sarkozy, 27 juin 2011, conférence de presse

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Chapitre deuxième: La réélection, rêve ou réalité ?

Tout le monde sait que Sarkozy sera candidat. Même s’il tarde à déclarer sa candidature, qui

n’est toujours pas effective au début de l’année 2012, l’UMP reconnaît ne pas avoir de candidat de

rechange, tant le leur semble naturel. Une stratégie semble s’imposer pour le président Sarkozy, qui

souhaite mener une campagne éclair, là où il avait longuement planifié celle de 2007. Sa deuxième

campagne sera d’une forte efficience, en multipliant les meetings tous les deux jours. Il vise sur une

image présidentielle qu’il a forgé depuis maintenant cinq ans plutôt que sur un nouveau discours

qu’il n’aura pas le temps de prononcer, considérant lui-même qu’il est président jusqu’au bout, et

que la France se doit d’être gouvernée. Son idéologie a surpris tout le monde, à droite comme à

gauche, offrant à la droite un nouveau souffle, une droitisation à travers des discours clivant et

choquants. Mais que reste-t-il de l’homme nouveau de 2007, qui avait forgé sa candidature sur

l’homme de droit qu’il était à l’Intérieur, et son discours « révolutionnaire » ? Le problème d’un

président sortant, c’est d’être face à son bilan, être face à ses promesses. Prononcer des mots ne

suffit pas, et les actes doivent suivre. C’est le pourquoi d’une élection réussie. Ainsi, il est facile

d’affirmer que les paroles de Nicolas Sarkozy en 2007 n’étaient pas de simples banales promesses.

Lui qui voulait avoir l’action sur le monde, par des discours nouveaux et prodigieux, par des tirades

d’un volontarisme rare, en prononçant par exemple « je veux être le président de » 170 fois en 2007,

n’est plus que face à lui-même. Cette promesse de la baisse du chômage, prononcée dès 200845 avec

les premières augmentations lui fera du tort. Et cette volonté de faire, sera remplacée, au fur et à

mesure des mois, par le « devoir faire ». Il déclare ainsi : « La maladie qui consiste à vouloir

absolument se faire aimer, à ne penser qu’à son image, et à ne pas faire son devoir. Je voudrais juste

terminer là dessus. A un moment, il faut faire son devoir. Et moi je suis président de la République.

J’ai pas à me poser la question de savoir si je dois le redevenir, ou pas. Je dois assumer les

responsabilités »46. Passer du vouloir au devoir, n’est-ce pas vouloir séduire un électorat résigné ? A

force de constater ce que le pays à traversé, pour pouvoir rester au pouvoir ? La nouvelle volonté du

président et candidat Sarkozy, c’est parler vrai. La vérité prendra le pas sur sa campagne : « J’avais

la conviction que, pour sauver la confiance, pour éviter la peur, il fallait au contraire dire la vérité

aux Français. Cette vérité, les français étaient prêts à l’entendre. Leur dire la vérité, c’était leur dire

que la France ne pouvait pas rester à l’abri d’une crise planétaire. Leur dire la vérité, c’était leur dire

que tout le système était menacé »47. Tout dire, ne rien cacher, et faire preuve de transparence, c’est

45 Sarkozy, 27 mai 2008, interview sur RTL46 Sarkozy, 27 octobre 2011, interview télévisée « Face à la crise »47 Sarkozy, 1er décembre 2011, discours à Toulon

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peut être la stratégie du président. Et au final, lui même le reconnaît. Il a eu ce « défaut » d’avoir

trop pensé « que la volonté peut tout surmonter ». Le faiseur de promesses de 2007 s’est transformé

en diseur de vérité en 2012, grâce à l’expérience d’une présidence mouvementée.

Il est, à chaque fin de mandature, l’heure du bilan, ce passage obligé dans la vie d’un

président de la République. Il semble pertinent de prendre comme exemple l’insécurité pour

analyser le bilan sarkozyste. Le président a du se justifier, seulement quelques mois après sa prise

de fonctions face à la montée de la violence dans plusieurs banlieues, en demandant « comment on

peut arranger ça, qui est la marque d’un laxisme de trente ou quarante ans, simplement en six mois

de présidence de la République ou en quatre années de ministère de l’Intérieur ?48. Mais à la fin de

sa mandature, cinq ans se sont écoulés. Désormais, le président doit assumer presque dix ans de

pleins pouvoirs en matière de sécurité, si l’on ajoute sa mandature à l’Intérieur en 2002 et sa

présidence en 2007. Il semble donc difficile de s’éloigner de son propre bilan, et il faut ainsi

justifier le problème sécuritaire. Est-il résolu ? Dans ce cas, l’un de ses thèmes favoris n’est plus un

argument de campagne, ou dans un second cas où l’insécurité ne s’est pas résorbé et la question de

l’efficacité du mandat de Sarkozy se pose. Ainsi, et plutôt habillement, le président a rodé un

argumentaire tout prêt. Il assume être « responsable de la sécurité des français, grosso modo, depuis

2002, puisque j’ai été quatre ans ministre de l’Intérieur, deux ans ministre des Finances, et je suis

président de la République depuis 2007 »49. Il dénonce ainsi les mandats passés et avoue avoir

« trouvé une situation de démobilisation catastrophique avec une délinquance qui avait augmenté de

17 % pour les cinq années 1997 - 2002 ». Il annoncera dans la même émission que sous ses dix ans

de sécurité française, « la délinquance a baissé de 17 % dans notre pays »50. La stratégie du

président est de dire que la situation aurait été pire sans son action, justifiant bilan contre bilan.

Même stratégie dans le domaine économique, en avançant que « la retraite à 60 ans et les 35 heures

ont été des fautes graves dont nous payons aujourd’hui lourdement les conséquences et qu’il nous a

fallu réparer »51. Cependant, un argument de campagne sera souvent abordé par ses concurrents à la

présidentielle, celui de la dette. La dette publique française a explosé sous l’ère Sarkozy, en passant,

selon les chiffres de l’Insee de 65 % en 2007 à presque 90 % en 2012, passant de 1 300 milliards

d’euros à plus de 1 800 milliards.

48 Sarkozy, 29 novembre 2007, interview télévisée49 Sarkozy, 25 janvier 2010, émission télévisée50 Ibidem51 Sarkozy, 1er décembre 2011, discours à Toulon

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Si tous les présidents sortants voulant se représenter avaient réussi à être réélu, Nicolas

Sarkozy aura fait mentir l’histoire. Ses handicaps l’ont empêché de briguer un nouveau mandat, et

l’image qu’il a forgé au fur et à mesure des mandats ne l’aura pas sauvé. La thématique économique

aura étouffé le mandat de Sarkozy, c’est la plus prégnante. L’homme d’expérience n’aura pas suffit,

le discours idéologique de droite et clivant n’aura pas une nouvelle fois fédérer. La thématique

internationale l’a aussi contraint dans certains domaines, avec une arrivée tardive dans le discours

sarkozyste. Cependant, Sarkozy est indiscutable sur la rigueur idéologique qu’il porte, elle ne

changera pas. C’est son discours de 2007 qui mettra en place un discours lexical dans lequel le

président puisera jusqu’au bout. Le sarkozysme varie très peu dans ses fondamentaux, les contours

sont stables. Mais il semble intéressant de se pencher sur les éléments de rupture avec la droite

traditionnelle et républicaine, afin de savoir ce qui a changé en cinquante-cinq ans de présidence

sous la Vème.

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Troisième partie.

De 1958 à 2012, 55 ans de parole présidentielle: spécificités etcontours du discours sarkozyste.

Le président de la République, sous la Vème, a un rôle si important que peu d’autres chefs

d’État étrangers peuvent se narguer d’avoir autant, voire plus de pouvoirs que lui. Mi monarque, mi

premier ministre, le pouvoir semble symbolique et performatif. Son action est principalement une

prise de parole qui résonne au-delà de lui, puisque le gouvernement et le Parlement se chargeront

d’appliquer ou non les volontés présidentielles. Cette parole toute puissante s’est vue

considérablement modifiée avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. En le comparant aux

autres présidents, nous verrons comment il a modifié la façon de s’exprimer. Les contours du

populisme de Sarkozy pourront être posés avant d’examiner l’image que l’homme souhaite

transmettre à travers une communication finement rodée.

Chapitre premier : La révolution linguistique du discours de Sarkozy

Le logiciel Hyperbase nous permet de visualiser la distribution des principales catégories

grammaticales dans le corpus présidentiel et ainsi proposer une typologie des textes pour établir les

discours similaires ou opposés. Le résultat est plutôt intéressant dans la mesure où des

ressemblances surviennent là où on ne les attendait pas. On apprend que les discours des années

1959 à 1970 sont dominés par des discours d’essence nominal, en utilisant par exemple les

syntagmes de « souveraineté populaire », le « peuple de France », « la crise pétrolière », ou « le

chômage de masse ». A contrario, le discours des années 1980 à 2000 est majoritairement d’essence

verbale, c’est-à-dire un discours qui suremploie les verbes et les pronoms, multipliant les formes

telles que « je pense réellement », « il faudra se décider rapidement », « je vous en dirais plus » etc.

Cependant Nicolas Sarkozy semble s’approcher du discours de Mitterrand dans la forme des

discours, avec un emploi très fort de la forme négative à près d’une phrase sur trois, signifiant un

discours de combat qui nie autant qu’il affirme. De plus, ce sont les présidents qui utiliseront le plus

le « je » dans leurs prises de parole durant leurs mandats. La rupture sarkozyste ne semble donc pas

s’opérer ici, mais plutôt dans l’usage récurrent – voire omniprésent – des hyperboles et des

anaphores.

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La rupture du discours de Sarkozy est réelle, mais semble s’accentuer après le second

mandat de Chirac qui a été jugé comme étant le « roi fainéant de la langue molle »52. Sarkozy a

toujours eu cette volonté de mettre fin à la « pensée unique »53 qu’il dénoncera sans cesse durant ses

meetings de la campagne de 2007. C’est rompre avec un verbe consensuel, rompre avec la langue

de bois, les tabous, avec les codes de l’élite bien pensante. Si quelques sorties médiatiques ont fait

grand bruit (« Kärcher », « racaille », « pauv’con »), il semble qu’il s’agit plutôt d’une stratégie

gouvernementale plutôt que de simples dérapages. A Nice, en pleine campagne, il s’exclame : « Un

jour, j’ai utilisé le mot « racaille » en réponse à l’interpellation d’une habitante […]. On me l’a

reproché. C’est mépriser la jeunesse que de lui parler par euphémismes sous prétexte qu’elle ne

serait pas capable de regarder la réalité en face. Quels éducateurs serons-nous si nous nous laissons

aller à ces petites lâchetés ? Si les multirécidivistes n’ont rien à craindre ? […] Si les voyous ne

peuvent même pas être appelés des voyous ? »54. Ainsi, la liberté de parole de Sarkozy est mise en

équation de l’inefficacité de la justice ou du politique, comme si ne pas correctement nommer

interdisait d’agir. Réhabiliter les mots, c’est oser appeler les « voyous », la « racaille », mais aussi

parler du « travail », de l’« effort » et du « mérite ».

Le sarkozysme ne fait ainsi qu’un avec le discours, c’est un travail sur la langue, les mots,

c’est une parole libérée, une rhétorique décomplexée. Il déclare, avec l’usage des anaphores :

« Vous en avez assez de la pensée unique et du politiquement correct. Vous en avez assez que l’on

ne puisse plus avoir le dire qu’un voyou est un voyou. Vous en avez assez que l’on ne puisse pas

parler de la nation sans être accusé de nationalisme. Vous en avez assez que l’on ne puisse pas

dénoncer la surévaluation de l’euro sans être accusé d’être anti-européen »55. Ce jour à Meaux, près

de huit fois, ses phrases commenceront par ces mots. S’en suit par « je veux », qu’il répétera encore

plusieurs fois. L’usage de l’anaphore n’est pas anodin, elle a pour but de provoquer, de

communiquer avec plus d’énergie, renforce des affirmations et fait d’un discours un véritable

plaidoyer. La force du discours sarkozyste, c’est d’opérer une rupture avec le verbe présidentiel, et

en général le verbe républicain, celui de l’euphémisme. Sarkozy amplifie, et là où on tempère, il

exagère. Le traitement du temps et de l’argent semble significatif. Les jours et les mois s’inscrivent

dans le discours dans son vocabulaire, comme dans celui des anciens présidents. Mais là où ou

Giscard et Chirac parlaient en « heure », en « semaine », Sarkozy parle à la « minute » près, voire à

52 Cf. D. Mayaffre, « L’analyse de données textuelles aujourd’hui : du corpus comme une urne, au corpus comme un plan. Bilan sur les travaux actuels de topographie/topologie textuelle », Lexicométrica, 2007

53 Comme à Toulouse, le 11 avril 200754 Sarkozy, Nice, 30 mars 200755 Sarkozy, 13 avril 2007, discours à Meaux

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la « seconde ». Dans le langage économique, là où les principaux économistes s’expriment en

unités, ou en millions, Sarkozy chiffre aussi en centime. Il est celui qui s’exprimera le plus en

« minute » et en « centime », dans le corpus présidentiel, de 1958 à 2012. Dans la moyenne depuis

le début de la Vème, tous les présidents sont en deçà de cette moyenne – excepté le premier mandat

de Mitterrand -, là où Sarkozy cumule à plus de 6 points d’écarts dans l’utilisation de ces deux

termes. A la télévision, il s’exprime : « J’ai été élu pour commencer à travailler à la première minute

de mon quinquennat et pour continuer à travailler jusqu’à la dernière minute de mon

quinquennat »56, ou bien quant au décompte de l’argent : « Cette année, il y aura zéro centime de

bonus versé aux dirigeants des banques »57.

L’usage des adjectifs est aussi significatif, utilisant le plus possible d’hyperboles. On

trouvera dans le discours de Sarkozy les termes de « fantastique », de « remarquable »,

« parfaitement », « extraordinaire », « inouï ». Autre exemple marquant, c’est l’usage du couple

« mensonge » et « vérité », utilisé seulement trois fois entre 1958 et 2007, là où Sarkozy l’utilisera

dix-huit fois en cinq ans seulement. Également, l’opposition entre le « rêve » et la « haine » a été

utilisé trois cents fois en quelques mois par Sarkozy. Cependant, des hyperboles violentes peuvent

même être relevées dans le discours de Sarkozy. Il déclare ainsi que « Personne n’est obligé, je

répète, d’habiter en France, mais quand on habite en France, on respecte ses règles, c’est-à-dire

qu’on n’est pas polygame […]. On ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le

mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines »58. C’est la première fois que

l’électorat français entend ces mots de la bouche d’un futur président, épousant des termes

habituellement réservés à l’extrême droite, là où Jean-Marie Le Pen dénonçait le fait d’égorger des

moutons dans « la baignoire ». Cependant, rien n’est nouveau dans l’utilisation de l’amplification,

qui a toujours eu pour but de frapper les esprits. La nouveauté se situe dans chaque prise de parole,

qui ressemble à une interpellation, là où auparavant les discours ressemblait plutôt à des narrations.

C’est dans l’utilisation de « voyou » plutôt que délinquant, de « vieux » à la place de personne âgée,

d’ « assisté » plutôt que bénéficiaire de minima sociaux, de « rêver » plutôt qu’espérer, de « je

veux » plutôt que je voudrais, de « haine » plutôt que détester, que Sarkozy rompt avec les usages

lexicaux présidentiels. De cette manière, il a réussi à faire basculer le discours de l’euphémisme

vers l’hyperbole, là où personne n’avait osé le faire auparavant, opérant une vraie révolution

linguistique.

56 Sarkozy, 5 février 2009, interview télévisée dans « Face à la crise »57 Ibid.58 Sarkozy, 5 février 2007, interview télévisée

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Chapitre deuxième : Les contours populistes de Sarkozy

Plusieurs traits se dessinent et méritent d’être regardés, analysés puis interprétés. En premier

lieu, il semble intéressant de se pencher sur un trait incontestable de Sarkozy : l’interrogation

rhétorique. Cette manière de se poser des questions à soi-même est inédite et fonde en partie

l’efficacité du discours sarkozyste. Plus fortes que des affirmations, les interrogations rendent le

discours vivant et dialogué. Dans le corpus de Sarkozy, plus d’un millier de questions ressortent,

soit une question toutes les dix phrases, alors qu’il n’existe pas d’interlocuteur, comme des

journalistes lors d’interviews ou conférences de presse. Il est le président qui a distribué le plus de

points d’interrogations dans le discours présidentiel, distançant de plus de 20 points la moyenne

présidentiel. Le « pourquoi » est utilisé près de trois cents fois dans son discours, qui permet de

prendre position sur toute sorte de sujet. La force de Nicolas Sarkozy est d’orchestrer son discours,

en écartant l’interlocuteur s’il existe afin de mener seul un débat tout en simulant l’interaction : « Le

mieux pour l’intérêt du pays c’est de poser les questions telles qu’elles se posent. Oui ou non y a-t-il

un problème de retraite ? Oui. Oui ou non y a-t-il un problème de dépendance ? Oui. Oui non non y

a-t-il un problème de compétitivité fiscale ? Oui. Oui ou non y a-t-il des usines qui ferment en

France pour aller s’ouvrir ailleurs ? Oui. […] Et bien il faut que j’apporte des réponses »59. L’autre

subtilité du discours de Sarkozy, c’est la reformulation des questions et le choix qu’il prend de

répondre ou non à ces questions posées. Ainsi, face à David Pujadas qui lui pose une question sur le

bouclier fiscal, le président proposera de « mettre ça dans un contexte » et pose un nouveau

problème : « La France est en compétition mondiale »60.Ainsi, il ne donne pas de réponse mais de

plus, il répond à celle qu’il veut bien s’auto-adresser. On a donc l’impression que Sarkozy a réponse

à tout, il semble parler vrai.

Mais cette subtilité montre surtout que le discours est défini par l’orateur lui-même, en

esquivant des réponses, et produire de nouvelles questions. De ce fait, le but premier est surtout de

mettre l’auditoire dans une incapacité de réponse. Le public se retrouve face à l’abandon de

réponse, face à un charisme qui vient apporter une réponse à un problème posé par le discours. Il

prouve ainsi une forme d’autorité, il se construit comme étant l’homme providentiel qui détient

seul, de facto, les solutions. Les discours de Sarkozy ressemblent à une sorte de cours magistral, où

le professeurs s’adressent à ses élèves. Pour avoir une autorité incontestable, il est nécessaire de

poser des questions à ses élèves sur un problème difficile qu’on vient de leur enseigner. A l’absence

59 Sarkozy, 16 octobre 2010, interview télévisée60 Sarkozy, 12 juillet 2010, interview télévisée

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de réponses, Sarkozy peut faire triompher sa science et ses solutions radicales qu’il est le seul à

détenir. Face au maître, on ne peut que s’incliner. L’appel au bon sens est l’argument majeur du

discours sarkozyste et définit une première marque populiste. Les sondages, ou intuitions politiques

permettent à Sarkozy d’épouser l’opinion majoritaire, et de faire varier son discours, que l’on a déjà

qualifié de mouvant.

D’une autre manière, Sarkozy ne cesse de soumettre au débat des constats qui font

l’unanimité, et dont aucune remise en cause n’est possible. Il demande ainsi : « Aujourd’hui, une

voiture propre vaut plus cher qu’une voiture polluante, est-ce normal ? »61, ou bien encore « Alors,

est-ce que l’on veut que nos jeunes soient autonomes ou est-ce que l’on veut qu’ils soient

assistés ? »62. La réponse semble claire pour tout le monde. Au final, Sarkozy semble toujours

gagnant. Lorsqu’il a un interlocuteur, ce dernier n’est pas habilité à répondre, et par exemple le

journaliste est là pour poser les questions, non y répondre, et rentrer dans le jeu en donnant son avis,

ou en dérapant, cela serait une faute professionnelle pouvant avoir des conséquences. Sarkozy ne

cesse de vouloir provoquer, dans un terrain qui parfois s’étend jusqu’à l’affrontement politique

gauche – droite, toujours avec cette même forme interrogative. Il demandera notamment, lorsque

des journalistes semblent avoir été freinés dans leurs investigations lors de l’affaire Woerth –

Bettencourt : « Excusez-moi, il n’y a qu’un seul cas dans l’histoire française où un président de la

République a fait écouter les journalistes. Ce n’est pas moi, comme vous le savez. Il est à gauche.

Oui ou non ? Oui ou non ? »63. En un tour de main, Sarkozy retourne la situation et est innocenté de

tout soupçon et lavé d’accusations qui finalement, seront confirmées par le ministre de l’Intérieur

lui même à l’été 2011. La force de Sarkozy c’est que de sa place d’interrogé, il devient

interrogateur, passant de président à journaliste, de bourreau il devient victime. Cette victime

semble contrainte de contre-attaquer. Le président interroge une élite soupçonnée d’actes

malveillants vis-à-vis de lui-même. Par l’enchaînement de questions et de réponses simples et

rapides, par des reformulations, ou même des questions s’adressant à lui-même, le discours de

Sarkozy s’auto-suffit, et réduit l’ensemble du débat à sa seule volonté. Mais ce n’est pas tout, car

des études ont démontré l’importance des thèmes et actualités dans le discours de Sarkozy, et que

l’opinion est moins influencée par des solutions apportées que par les questions d’actualité qu’on lui

soumet, telle que l’insécurité, le chômage, l’immigration. Sarkozy aura su se saisir de ces

opportunités.

61 Sarkozy, 5 mai 2009, discours à Nîmes62 Sarkozy, 29 septembre 2009, discours à Avignon63 Sarkozy, 16 octobre 2010, interview télévisée

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La première signature linguistique de Nicolas Sarkozy, repérée par le logiciel Hyperbase est

le pronom démonstratif « ça ».

Graphique 2 : Pronoms démonstratifs (ceux, celui,

celle, ce, ça, ceci, etc.) en position sujet. Extrait de D.

MAYAFFRE, « «Nicolas Sarkozy, mesure &

démesure du discours, 2007 / 2012», Presses Science

Po, 2012)

L’utilisation familière et courante du pronom « ce » est employée par Sarkozy, car des

formes plus soutenues comme « ceci » ou « cela » paraîtraient plus pédantes à utiliser. Là où De

Gaulle, écrivain, cherchaient à épouser un style littéraire, là où Pompidou, agregé de lettres et poète

cherchait à respecter le bon français par une dimension esthétique, Sarkozy cherche à imiter le

discours de « tous les jours ». Cette utilisation du « ça » est bien une marque de stratégie rhétorique

en vue d’imiter le langage populaire. Sur l’ensemble du discours de Sarkozy, « ça » a été prononcé

5 363 fois, justifiant un discours spontané, quotidien, et proche des français. L’utilisation de « ça »

permet à Sarkozy de montrer, mettre en évidence, pour permettre aux français de voir ou entendre

les choses. Mais ce trait récurrent est aussi dépersonnalisant. On trouve dans le corpus de Sarkozy

des phrases comme « On donnera plus de sanctions à ceux qui ont fait cela »64, ou « ceux qui ont

cassé, ceux qui ont saboté, ceux qui ont détruit des éléments du service public, […] ceux qui ont fait

ça auront à rendre compte devant la justice »65. Au delà du fait qu’on ne sait pas vraiment à qui il

s’adresse, Nicolas Sarkozy utilisera les formes démonstratives dans son ensemble pour dénoncer,

donnant un aspect polémique à son discours. Il désigne du doigt, il a recours à une désignation qui

est pour le plus dévalorisante, avec une forme de mépris. Prenons une phrase en exemple qu’il

prononcera en début de mandat : « La gauche et la sécurité, ça a été un désastre »66. Dans cette

phrase, il s’agit d’une affirmation plus que d’une démonstration. Qu’accuse-t-il ? Des choix

budgétaires votés contre l’insécurité ? Si oui, lesquels ? Est-ce des choix politiques des

gouvernements de gauche ? Une loi votée par la gauche ? En réalité, le but est bien de ne pas

démontrer, mais seulement de montrer, d’imposer une évidence partagée par l’oratoire et le public.

Le sous-entendu doit être partagé, et que l’implicite dénoncé tienne comme démonstration justifiée.

64 Sarkozy, 29 novembre 2007, interview télévisée65 Ibid.66 Sarkozy, 26 février 2008, entretien avec les lecteurs du Parisien

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L’emploi du « ça » n’est pas le seul à être utilisé de façon impersonnel, puisque l’emploi du

« on » résonne dans le discours de Sarkozy comme étant un des principaux mots utilisés. Il est le

président qui a le plus utilisé le « on » depuis 1958. La force de ce pronom est incroyable, et réside

dans l’indénombrable nombre de situations lexicales où il peut être utilisé : désigne le pluriel ou le

singulier, soi-même, l’autre, « je » ou « tu », « nous » ou « vous » etc. Dans l’entièreté du corpus de

Sarkozy, le pronom « on » a été prononcé plus de 2500 fois, les autres présidents le délaissant

complètement. Le « on » renvoie vers un flou, qui est une force dans le discours sarkozyste, et

renvoie à notre interprétation de l’utilisation de « ça » : la bonne réception du public permet une

compréhension sous-entendue, et une connivence avec Sarkozy qui ne nomme pas, mais qui

n’évoque qu’à demi-mots. Durant sa présidence, il s’exprime : « Pourquoi des médecins, des

femmes et des hommes qui soignent sont-ils agressés et ont-ils peur ? Comment peut-on

l’accepter ? »67. Qui est visé quand Sarkozy utilise le « on » ? A vrai dire, on comprend la subtilité et

l’exclusion de lui-même que Sarkozy opère : le discours a pour but de montrer qu’il prendra des

mesures contre l’insécurité, puisque lui ne tolère pas ce genre de pratiques. Ainsi, l’auditoire va

ensuite s’exclure du « on » pour rejoindre l’avis du président. Il ne reste plus que ceux qui semblent

accepter l’inclusion du « on » et donc en définitive les pratiques dénoncées. D’une manière plutôt

habile, Sarkozy met le doigt sur quelque chose qu’il ne nomme pas, mais visant tout de même un

laxisme et une faiblesse d’action politique.

Chapitre troisième: Entre charisme et peopolisme, la stratégie finement

rodée de Nicolas Sarkozy

Comme rappelé en introduction, un candidat à la présidence de la République doit séduire et

convaincre le public. Le candidat doit donc se revêtir d’une image positive, crédible, être sincère et

paraître honnête au yeux des français. Le discours est incarné par l’image de celui qui le prononce,

et cette image est la condition d’une bonne réception du discours. Un candidat peut vite paraître

inaudible dans ses mots et ses convictions s’il n’a pas lui même l’image de l’homme exemplaire.

Les moyens utilisés par les candidats et présidents pour être entendus par leurs concitoyens évoluent

au gré de la technologie, la forme médiatique télévisuelle devenant au fur et à mesure des années

l’agora politique du discours présidentiel. Le poids de l’institution se présidentialise, par les

cohabitations, et les présidents refusent petit à petit de se soumettre à quiconque. Cette

présidentialisation pousse les hommes politiques jusqu’à devenir des stars médiatiques, allant

67 Sarkozy, 20 avril 2010, discours à la préfecture de Seine-Saint-Denis

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jusqu’à battre des records d’audimat à chaque intervention. Sarkozy saura utiliser tous les moyens

communicatifs durant son mandat pour incarner l’hyper-présidence, mot qui sera d’ailleurs inventé

et popularisé pour incarner son mandat, définissant un président présent sur tous les points, tous les

sujets, tous les supports, avec la seule volonté de tout faire soi-même. Son énergie, son charisme,

ses discours sont relayés en boucle, jusqu’à évoquer sa vie, ses footings, ses femmes, ses enfants,

qui mettent le doigt sur une situation inédite, et qui va jusqu’à inventer le nom de cette nouvelle

forme de discours : la « peopolisation »68 de la politique. Dans ses discours, Nicolas Sarkozy va

incarner cette nouvelle forme de communication. S’il utilise la nouvelle forme de communication,

le fond du discours est lui aussi novateur.

C’est le président qui transformera le discours du « vivre ensemble » en un « souffrir avec ».

Le compassionnel et l’émotion prendront une place au sein du discours que personne n’avait

envisagé de faire jusque là. Ainsi, l’affectif prend le pas sur l’objectif, le discours devient le lieu où

on exhibe les souffrances et les drames. Le but étant de partager des sentiments avec le peuple, de

souffrir avec si l’on reprend l’étymologie exacte de la compassion. Mais si Sarkozy ne tombait que

dans le compassionnel, son discours serait vite retombé et il n’aurait jamais gagné l’élection

présidentielle. La force de son discours réside dans les réponses qu’il veut apporter après avoir

évoqué des émotions chez l’auditeur. En plein cœur de son mandat, il déclare à la télévision : « Est-

ce que ces gens auront les moyens de rester chez eux, avec des personnes pour s’occuper d’eux,

quand on est dépendant ? Quand on n’est pas autonome, on n’en est pas moins un être humain. On

souffre, on a sa conscience. Et ce n’est pas parce qu’on est obligé d’être lavé, ou d’être soigné,

qu’on n’est pas un être humain […]. Qu’est-ce qu’on fait ? Ma réponse ? Je souhaite – je prends

mes responsabilités – la création, pour la première fois depuis la libération, d’un nouveau risque,

d’une nouvelle branche dans la sécurité sociale, le cinquième risque »69. Il convient de trouver

quelque chose que nous avons déjà expliqué : la multiplicité du « on » est inévitable. L’extrait « on

souffre » montre bien la volonté d’inclure, Sarkozy cherche à montrer que l’on souffre ensemble.

On remarque aussi la question « Qu’est-ce qu’on fait ? » qui est typique de ce que nous avons

démontré précédemment, ne cherchant en fait aucune réponse, puisqu’il sera le seul à l’apporter.

L’apport du « je » présidentiel vient apporter des réponses, lui-même disant « ma réponse », « je

prends mes responsabilités ». Il va jusqu’à évoquer l’intimité, avec le terme de « lavé », ou bien en

évoquant la maladie avec le terme « soigné ». Ces sujets sont poignants, sont compris par tous et

sont des sujets du quotidien qui inquiètent les français. Le rapport à la maladie, la sénilité, la

68 Terme popularisé notamment par les œuvres utilisant cette notion, comme dans « Entre populisme et peopolisme, Comment Sarkozy a gagné », Patrick Charaudeau, Vuibert, Paris, 2008

69 Sarkozy, 16 octobre 2010, interview télévisée

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dépendance sont des sujets importants et c’est aussi un message à l’électorat âgé de Nicolas

Sarkozy. Le rouage du discours est d’ailleurs recherché puisque est mise en scène la réponse, avec

deux questions (« Alors qu’est-ce qu’on fait ? » et « Ma réponse ? »), avant d’amorcer un début de

réponse par deux expressions symptomatiques du suspense auquel il tient (« Je souhaite », « je

prends mes responsabilités »), et enfin sa réponse politique au problème, « le cinquième risque »,

qui est une « nouvelle branche dans la sécurité sociale ». L’émotion a de remarquable d’être à la fois

universelle et particulière, commune à tous et propre à chacun. L’émotion, la souffrance, deviennent

des composantes d’un discours rassembleur qui cultive une certaine proximité avec le public, une

sorte de lien intime entre Sarkozy et chaque français. Il dira aux lecteurs du Parisien : « Je suis du

côté des victimes. Je veux les protéger »70, ou bien « Oui, c’est ma place. C’est ma place d’être à

côté des gens qui souffrent »71 à la télévision.

Si Sarkozy se place à côté du peuple, c’est aussi pour se démarquer et avoir comme image

celle d’un homme providentiel et charismatique. Le signe le plus évident est l’usage indénombrable

du « je », qui a longtemps été substitué par le « nous ».

Graphique 3 : « Je » dans le corpus présidentiel (1958-

2012), Extrait de D. MAYAFFRE, «Nicolas Sarkozy,

mesure & démesure du discours, 2007 / 2012», Presses

Science Po, 2012

Seul Mitterrand avant lui, avait montré un usage plus important. Une utilisation récurrente

du « ça », du « on », et l’appel au compassionnel permettent à Sarkozy de faire ressortir la virilité

du « moi » dans son discours politique. La vraie spécialité de Sarkozy est l’utilisation récurrente de

« je veux », là où aucun président ne peut rivaliser. Dans son discours, cette élocution est prononcée

quelque 1 294 fois durant la campagne fondatrice. On retiendra par exemple une tirade anaphorique

prononcée en marge du congrès de l’UMP à Paris : « Je veux être le président de l’augmentation du

pouvoir d’achat. Je veux être celui qui garantit que, si vous travaillez plus, si vous prenez plus de

risque, si vous vous engagez plus, vous gagnerez davantage. […] »72. Le charisme de Sarkozy

70 Sarkozy, 26 février 2008, entretien avec les lecteurs du Parisien71 Sarkozy, 12 juillet 2010, interview télévisée72 Sarkozy, 14 janvier 2007, congrès de l’UMP, Paris

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s’incarne dans la volonté de devenir, ou d’être président. Sa détermination est une des composantes

du sarkozysme, et lui-même ne s’en est jamais excusé. Peu à près avoir remporté l’élection, il

s’exclame : « Je l’ai dit : je serai un président qui gouverne. Les français élisent le président de la

République pour qu’il agisse et pour qu’il décide. C’est la haute idée que je me fais de la fonction

présidentielle. Je serai un président qui gouverne. Je le serai avec le soucis de préserver l’autorité de

la fonction présidentielle. Je le serai avec le souci de rester au-dessus des partis et de conserver ce

rôle de rassembleur qui est l’essence même de la fonction présidentielle. Mais je le serai »73. Son

rapport avec la présidence semble indissociable de son discours, et sera le président qui prononce le

terme le plus de fois dans le discours présidentiel.

Le discours de Sarkozy apporte quelque chose de nouveau. Il révolutionne la façon

d’exprimer la politique, d’endosser la politique, de l’incarner. Son discours est charismatique avec

une construction de l’image du chef qui a de la volonté et de l’autorité. Il incarne le peuple, et

domine le peuple. Sa volonté, c’est que chacun puisse se retrouver dans ses mots, ses actes. Sa

force, c’est prononcer des vérités évidentes avec des mots de tous les jours, c’est mettre le doigt sur

des tabous, les dénoncer, les fustiger. C’est apporter des solutions à des problèmes qu’il pose, c’est

s’auto-répondre, c’est s’incarner seul, c’est travailler seul. Le sarkozysme a pour but premier

d’incarner, de définir ce qu’est le peuple.

73 Sarkozy, 29 mai 2007, réunion républicaine de l’UMP

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Conclusion générale.

Sarkozy, l’homme qui murmurait à l’oreille des français.

Ce que le développement a essayé d’établir, c’est que le discours de Sarkozy est

révolutionnaire dans la manière de parler aux français. C’est à la fois un discours de proximité, mais

aussi un discours vulgaire, au sens étymologique, définissant ce qui est commun à tous. C’est un

discours populaire, qui s’adresse à tous les français. Sa volonté n’est pas de s’adresser aux élites,

qu’il ne cesse de dénoncer, mais bien rompre avec cette « pensée unique » qu’il déteste tant. On

peut même aller plus loin : le discours de Sarkozy est un discours populiste, incarné par un

président tribun du peuple, qui est du côté des français, qui les défend.

L’idéologie qu’il incarne rompt avec les habitudes républicaines et présidentielles. Son

discours de droite est fièrement assumé, abordant des sujets comme la sécurité et l’autorité comme

jamais auparavant. L’idéologie trouve également de son essence dans sa volonté de moraliser la

société, avec des références au mérite, à la responsabilité. Sa présidence est marquée par un

discours mouvant, des mots changeants au fur et à mesure des actualités, par un discours qui épouse

à la ligne les nouvelles. Enfin, nous avons réussi à démontrer la rupture du langage de Sarkozy par

rapport aux anciens présidents : des anaphores, des hyperboles, un faux dialogue dans un discours

aux questions – réponses, l’utilisation flou du démonstratif « ça » ou du pronom « on », de la virilité

du « moi », d’une communication médiatique nouvelle justifiant l’hyper-présidence, l’utilisation du

compassionnel et de l’émotif, et d’une volonté qui est exacerbée, au cœur d’un discours qui sur le

long terme est cohérent. Jamais un discours aussi clivant, mais si clair, si proche du peuple n’avait

été entendu dans l’histoire de la présidence française.

A travers son discours, Sarkozy s’est définit, de Guizot à Maurras, de Pétain à De Gaulle, là

où la droite était fièrement assumée dans ses valeurs et ses principes. Mais ce serait mentir et

simplifier le discours de Sarkozy que de ne le comparer exclusivement à celui des pères de la droite.

En réalité, c’est un discours entier et cohérent que Sarkozy a fondé. Sa vision du monde, de la vie,

du travail, de la jeunesse, de la morale, de la façon de s’adresser au peuple, et du discours en

général est quelque chose qui lui appartient, qui lui ressemble. Et ce n’est probablement pas un

hasard, lorsque l’on sait ce que pensait Sénèque, à savoir que « le discours est le visage de l’âme ».

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Bibliographie.

Ouvrages.

Aristote, Rhétorique, traduction française, Paris, Tel-Gallimard, 1991, 308 pages.

CALVET Louis-Jean, VERONIS Jean, Les mots de Nicolas Sarkozy, Paris, Seuil, 2008, 176 pages.

CHARAUDEAU Patrick, Le discours politique, Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005, 258

pages.

CHARAUDEAU Patrick, Entre populisme et peopolisme, Comment Sarkozy a gagné, Paris,

Vuibert, 2008, 108 pages.

DAKHLI Leyla, MARIS Bernard, SUE Roger, VIGARELLO Georges , Gouverner par la peur,

Paris, Fayard, 2007, 180 pages.

MAYAFFRE Damon, Le discours présidentiel sous la Vème République. Chirac, Mitterrand,

Giscard, Pompidou, De Gaulle, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, 384 pages.

MAYAFFRE Damon, Nicolas Sarkozy: mesure et démesure du discours (2007-2012), Presses de

Sciences Po, Paris, 2012, 368 pages.

SCHNEIDER Robert, Je serai président. Enfance et jeunesse des six chefs d’État de la Ve

République, Paris, Perrin, 2012, 312 pages.

Articles.

MAYAFFRE Damon, « L’analyse de données textuelles aujourd’hui : du corpus comme une urne,

au corpus comme un plan. Bilan sur les travaux actuels de topographie/topologie textuelle »,

Lexicométrica, 2007

JAFFRÉ Jérome, « L’indiscutable défaite de Ségolène Royal », Le Monde, 8 juin 2007.

PÉTAIN Philippe « L’éducation nationale », Revue des Deux Mondes, 15 août 1940.

TETU, juillet 2006, n°113.

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Table des matières.

p. 3 Remerciements.

p. 4 Table des sigles et abréviations.

p. 5 Glossaire.

p. 7 Introduction.

p. 12 Partie 1. Thèmes et portées du discours de Nicolas Sarkozy: une nouvelle idéologie

politique?

p. 12 Chapitre premier. Les thèmes majeurs du discours de Nicolas Sarkozy.

p. 15 Chapitre deuxième. La sécurité, l’autorité, les marques du sarkozysme.

p. 17 Chapitre troisième. Le travail comme valeur, l’éducation et la famille comme

apprentissage.

p. 22 Partie 2. De la victoire au souhait de réélection, une présidence mouvementée ?

p. 22 Chapitre premier. Une présidence mouvementée, une influence sur le discours

présidentiel.

p. 26 Chapitre deuxième. La réélection, rêve ou réalité ?

p. 29 Partie 3. De 1958 à 2012, 55 ans de parole présidentielle: spécificités et contours du

discours sarkozyste.

p. 29 Chapitre premier. La révolution linguistique du discours de Sarkozy.

p. 32 Chapitre deuxième. Les contours populistes de Sarkozy.

p. 35 Chapitre troisième. Entre charisme et peopolisme, la stratégie finement rodée de Nicolas

Sarkozy.

p. 39 Conclusion générale. Sarkozy, l’homme qui murmurait à l’oreille des français.

p. 42 Bibliographie

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PELÉ Antoine

Nicolas Sarkozy, 2007 – 2012

Coulisses d’une rhétorique décomplexée.

Analyse du discours.

Nicolas Sarkozy n’est pas un président comme les autres. Le sarkozysme est une rupture dans le

discours présidentiel. Caractérisé par un volontarisme de droite épousant la conservation sociale, le

progrès lié à la réaction, et l’activisme joint à l’inertie, Nicolas Sarkozy révolutionne la façon de

s’exprimer. Jamais un candidat à la présidentielle n’avait créé une idéologie réunissant la sécurité,

l’autorité, le travail, la morale, l’enfant poussant à l’extrême certains thèmes jusque là jamais

abordés, et réservés à la droite la plus radicale.

Le récit d’une présidence mouvementée, au gré de l’actualité, et sans cesse fixée sur l’agenda a

permis de définir ce que Sarkozy voulait faire paraître : l’image d’un homme au discours moderne,

mais sans cesse mouvant, sans cesse conservateur. Désigner sans pointer, inclure et s’exclure,

dénoncer mais accepter, réclamer mais se taire, bouger en restant immobile, comment Sarkozy a

réussi à détruire une politique élitiste qui écartait le peuple chaque jour un peu plus ? Populiste,

démagogue ? Ou proche du peuple et sincère ? Nouvelles réformes ou retour en arrière ?

Par une analyse de dizaines de discours, d’interviews papiers ou télévisées, il convient de

comprendre l’essence même du discours sarkozyste à travers ses procédés rhétoriques, ses figures

de styles, l’usage des pronoms, des verbes ou de la ponctuation, au regard de ses manipulations, ses

questions, ses réponses, ses attaques et ses défenses. Parce que le sarkozysme est un tout, il n’est ni

comparable, ni pré-existant dans l’histoire présidentielle. Parce que l’analyse du discours permet de

rentrer dans les coulisses, il convient de déterrer les subtilités d’une rhétorique décomplexée.