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ISBN : 978-2-36013-446-5© Riveneuve éditions, 201785, rue de Gergovie75014 Paris

© Duplex 100 m2, 2017Obala Kulina bana 22, 71000 Sarajevo

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Ouverture L’effet ville Sarajevo, Christophe Solioz 5Ici / là-bas, les confins et les centres, Pierre-Philippe Freymond 7

Entrevues d’artistes Edo Numankadic 13Nardina Zubanović 29Emina Kujundžić 35Edin Zubčević 41Almir Kurt 49Daniel Premec 55Nela Hasanbegović 61Asim Ðelilović 67Gordana Anđelić-Galić 73Adela Jušić 77Pierre Courtin 83Nenad Dizdarević 89Danis Tanović 95Damir Imamović 103Aleksandra Nina Knežević 111Mak Hubjer 117Paul Lowe 121Dante Buu 127Andrej Ðerković 133

Coda Sarajevo, portrait d’une ville du dedans, Dževad Karahasan 141

Notices biographiques 150Remerciements 154

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Christophe Solioz

Sarajevo. Ville palimpseste entre Orient et Occident, à la fois lumineuse et resplendissante, sombre et sévère. Ville livre dont le processus de réécriture comprend quatre siècles de présence ottomane, quelques décennies de monarchie habsbourgeoise (1878-1918), un destin yougoslave d’abord roya-liste (1918-1941) puis titiste (1945-1992), avant une indépendance payée par le feu et le sang.

Livre brûlé : 1425 jours de siège (5 avril 1992-29 février 1996), 11’541 victimes et son lot d’humi-liations et de meurtres. Urbicide, mémoricide, crime contre l’humanité, génocide… Les mots peinent à restituer l’ampleur des crimes commis et de la souffrance endurée.

« […] ne vois-tu pas que je brûle ? » « Sarajevo ? Je ne savais pas. » …

Sarajevo, Thanatos et Eros : « Quelle que soit l’heure du jour, quel que soit le lieu, quand vous re-gardez Sarajevo étendu à vos pieds la même pensée surgit toujours, même inconsciente. Une ville est là. Une ville qui, en même temps, se transforme, agonise et renaît. » (Ivo Andrić)

On ne cherche pas Sarajevo, c’est elle qui vous trouve. Aimer… découvrir Sarajevo : le séculaire face à face avec l’autre nous confronte au mal-être de la civilisation contemporaine autant qu’il appelle tout un chacun à se découvrir. Sarajevo, dont l’art de vi(ll)e invite aussi bien à vivre en-semble qu’à regarder en soi – comme le rappelle magnifiquement Dževad Karahasan avec « Sara-jevo, portrait d’une ville du dedans » (reproduit en fin de volume).

Ne plus en sortir, c’est se « rendre » à Sarajevo. Pouvoir dire enfin « je… » ; non, « j’y suis ».

Sarajevo à livre ouvert, (com)pris à bras le corps par des étudiants du Collège de Genève sur les traces de « l’effet ville » – ce que la ville fait, ce qui la fait, mais aussi ce qui la défait et la recom-pose. Ce recueil de dialogues restitue leur rencontre avec Sarajevo et sa scène artistique. Englo-bant passé et futur, deuil et espoir, le travail des artistes sarajéviens rassemble les disjecta membra

L’effet ville SarajevoA Dunja Blažević

Photo : Théo Mader, 2017

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Christophe Solioz

d’une ville meurtrie, retrouvée pour en livrer le texte étrangement familier – unheimlich.

Au montage, « l’effet ville » – autrement dit, l’ouverture à sa « dis-position » (espacement, tou-cher, contact, parcours) – impose au livre son agencement. D’où une topo-chronologie remontant à la fois le temps et la Miljacka – véritable colonne vertébrale, cette rivière structure Sarajevo d’est en ouest. Plan de marche d’une déambulation et d’un déchiffrement : notre parcours dialogique commence à Dobrinja (quartier accueillant des réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir une banlieue modèle socialiste, puis Cité olympique des Jeux de 1984) ; passant par Grbavica nous atteignons Marindvor (Marijin dvor, le palais de Marija), carrefour frontière entre l’architecture austro-hongroise et l’urbanisme des années 1960 à 2010 ; traversant Sarajevo Centar, le centre-ville austro-hongrois, nous parvenons à l’hôtel Europe qui marque quant à lui la limite entre les périodes austro-hongroise et ottomane, et donne accès au labyrinthe de Baščaršija (le bazar de la vieille ville ottomane). Au fil des rencontres, un sens émerge qui excède la vi(ll)e.

En miroir aux images kaléidoscopiques du tissu urbain composite et de la rencontre avec les mots du monde, la polysémie du titre s’est imposée : « Sarajevo – l*a*tribu*t de l’art ».

« La tribu de l’art » désigne un lieu à la fois de coexistence et de différences : soit l’« effet Sarajevo » comme horizon commun et point d’ancrage de pratiques artistiques individuelles. Ce recueil in-vite à prendre la mesure du tribut apporté à l’art et à la ville par ses artistes. Au-delà, il témoigne également de l’art que pratique la ville, et d’une ville qui a suscité des artistes à même de resti-tuer ses arcanes, ses blessures et promesses d’une espérance. L’art miroir de la ville et vice-versa : champ de tensions permanentes – entre ce qui est ouvert et fermé, dehors et dedans, convergence et divergence, conscient et inconscient – rythmant l’architecture, la prose, les arts visuels et le chant d’une ville dont l’art est voué à la fois à s’inscrire dans, et à transcender le champ politique. Sarajevo, ville artiste.

Christophe Solioz, 22 mai 2017

Références : Ivo Andrić, « Sarajevo » (1953), Contes de la solitude, Paris, L’esprit des péninsules, 1991.Jean-Christophe Bailly, La phrase urbaine, Paris, Seuil, 2013.Achille Bonito Oliva, Le tribù dell’arte, Milan, Skira, 2001.Dževad Karahasan, « Sarajevo, portrait d’une ville du dedans », Un déménagement, Paris, Maren Sell & Calmann-Lévy, 1994.– Die Schatten der Städte, Berlin, Insel, 2010.Jean-Luc Nancy, Le Sens du monde, Paris, Galilée, 1993.– La ville au loin, Paris, La Phocide, 2011.

Carte de Sarajevo de 1929, Institut géographique Wagner & Debes, Leipzig

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Genève, la classe avec Yvana Enzler,20 mars 2017, photographie : Linus Leuch

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Pierre-Philippe Freymond

Lorsque je parle de Sarajevo et de la guerre de Bosnie en Suisse, les mêmes réactions émergent souvent : tout cela est si loin, et pourtant si proche. De quoi sont donc tissées ces impressions contradictoires d’éloignement et de proximité ?

La proximité avec les Balkans est géographique et elle convoque un imaginaire culturel identi-taire que l’on pourrait qualifier d’européen : l’enracinement de nos cultures dans le monde grec et méditerranéen y est sans doute pour beaucoup. Comme des membres d’une même famille élevés séparément, le rideau de fer nous aurait donc placés artificiellement dans des univers qui ont évo-lué indépendamment l’un de l’autre. À cette dérive s’ajouterait une empreinte culturelle orientale, ottomane, slave, qui aurait abouti à cette culture si subtilement différente. La fin du communisme aurait dû nous rapprocher, mais vu d’ici, de l’Ouest, ça n’a pas vraiment été le cas : pourquoi ?

C’est avec une bonne dose de naïveté anthropologique, proche de celle des collégiens que j’ac-compagnais, que j’ai abordé ces questions lors d’un voyage organisé pour eux dans le cadre de leur cours de philosophie, voyage d’étude au sens fort. Lors de la préparation déjà, la qualité des intervenants, les sources diverses, écrites et documentaires, ont commencé à construire des re-présentations nouvelles et à en faire vaciller d’anciennes. Mais c’est en arrivant sur place, au fil des rencontres, que le choc a pris une dimension réellement existentielle.

Nos représentations sont ethnocentrées, et nous pensons habiter une partie du monde qui a trouvé depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale une sorte d’équilibre pacifié. Alors com-ment une telle violence a-t-elle été possible, et comment se fait-il qu’elle ait été si proche sans nous toucher réellement ? Est-ce parce qu’elle reste pour nous issue d’une logique post-commu-niste qui n’est pas la nôtre ? Ou alors pensons-nous que s’y joue l’infinie répétition d’une violence historique qui serait celle du Proche-Orient, avec des valeurs politico-religieuses qui nous sont profondément étrangères ?

Ici / La-basLes confins et les centres

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Pierre-Philippe Freymond

Mais les temps changent, ce mécanisme de refoulement symbolique fonctionne de moins en moins bien. Dans le monde globalisé que nous avons contribué à mettre en place, par une sorte d’effet boomerang, les extrémismes et la violence voyagent aussi. La délocalisation ne touche pas que les industries, et la question de l’identité nationale, de l’entre-soi et de l’autre, de la frontière ouverte ou fermée, semble partout monter en puissance. Le Brexit n’a-t-il pas pour moteur poli-tique essentiel la peur d’une vague de migrants venue du Proche-Orient ? Serions-nous engagés dans une nouvelle période de balkanisation de l’Europe ? Si c’est le cas, il est peut-être temps d’aller y regarder de plus près.

Sarajevo, l*a*tribu*t de l’art : arrivés sur place, Pierre Courtin et Christophe Solioz nous ont conduits à la rencontre des artistes. Leur capacité à opérer des allers-retours d’une culture à l’autre nous ont construit des ponts. En Bosnie, les artistes forment l’un des rares groupes so-ciaux à fonctionner aujourd’hui encore hors des déterminismes ethniques ou politiques. Comme des passeurs, ils nous ont projetés de l’autre côté du mur de la mémoire. Cela a été une expérience extraordinaire, nous leur en sommes infiniment redevables ; à travers eux, une vingtaine de collé-giens genevois ont pu débarquer dans la réalité du terrain anthropologique, très loin des circuits touristiques.

Et pour moi, cela a été le début d’une histoire.

Pierre-Philippe Freymond

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Megan Howarth (MH) – Y-a-t-il quelque chose en particulier qui vous ait poussé à devenir un artiste ?Ma mère enseignait l’allemand. Elle venait d’une ancienne famille bosnienne, qui vit à Saraje-vo depuis plus de 300 ans. De plus, elle a toujours eu des affinités particulières avec la culture. Lorsque j’avais 4 ou 5 ans, elle m’a emmené à Dubrovnik, voir ma première galerie d’art. Je me rappelle une œuvre de Vlaho Bukovac (1855-1922), un artiste croate renommé, qui m’a profondé-ment marqué. J’ai été impressionné par le fait qu’on puisse matérialiser des éléments spirituels sous la forme d’une image. À partir du moment où une œuvre va au-delà de la simple description, son éternel mystère m’étonne.Je me rappelle que lorsque j’étais enfant, je posais souvent ma main pleine de peinture sur une feuille de papier. Je ne comprenais pas ce que je faisais, ni pourquoi je le faisais, mais je sentais une sorte d’énergie naître de cette action. Je conçois qu’il soit déjà difficile de se placer devant une œuvre, mais imaginez la difficulté éprouvée lors de sa création ! Je reviens sans cesse sur mes travaux ; il m’est difficile de savoir quand une œuvre est vraiment terminée, j’ai toujours l’im-pression de pouvoir aller plus loin. Je laisse les marges sur la feuille comme preuve, ou témoin, du processus de mon travail. En ce qui concerne mes œuvres, j’ajoute généralement une inscription comme perspective. Je sai-sis une feuille et commence par y écrire une phrase. Ensuite, je décline cette œuvre sur une vaste palette de couleurs. J’essaie toujours de prendre des directions variées dans mon travail. Je n’écris pas toujours la même phrase ; en effet, cette dernière ne constitue pas le point essentiel. L’impor-tant, pour moi, c’est l’énergie qu’on y investit soi-même. Les couleurs peuvent être vues comme les touches d’un piano : il faut jouer avec ! Aussi, certaines de mes œuvres ne sont pas achevées.Certains amis me disent que toutes mes créations se ressemblent, mais moi je trouve que rien n’est pareil. En fait, je ne sais jamais à quoi va ressembler mon œuvre lorsque je m’assois à ma table de travail. Tout découle de l’instinct chez moi.

Edin Numankadić

Edin Numankadić dans son atelier, 29 avril 2017, photographie : Pierre- Philippe Freymond

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Edo Numankadić

MH – Quelles études avez-vous faites ?Tout d’abord, il faut savoir que mon père était le directeur d’une entreprise d’électricité. Il vou-lait donc que j’étudie le génie électrotechnique. Après le collège, j’ai commencé à étudier dans ce domaine pendant deux ans. Je trouvais ironique le fait que, moi qui ai un penchant plutôt huma-niste, j’étudiais les sciences appliquées. De plus, je n’étais pas un très bon élève, ce qui détonait dans ma famille. Au bout de deux ans, ma grand-mère m’a suggéré de rejoindre l’armée. Je lui ai demandé de me laisser une nouvelle chance d’étudier. Cette fois, j’ai choisi la littérature, et en parallèle les arts visuels.Ainsi, j’ai commencé à étudier simultanément la littérature yougoslave à la faculté de philosophie de l’université, et les arts visuels à l’académie des beaux-arts. J’ai terminé ces deux parcours en même temps, trois ans plus tard. Cependant, la linguistique me posait un problème : je trouvais stupides la syntaxe, la morphologie et tout ce qui s’ensuit. C’est pourquoi je n’ai pas poursuivi dans ce domaine. Cela dit, j’ai rédigé ma thèse sur la peinture et Ivo Andrić (1892-1975). Lorsque ce grand auteur a reçu son prix Nobel en 1961, j’étais à Cologne. J’ai eu avec lui une discussion d’une journée entière. Je l’ai de nouveau rencontré en 1974 à l’association bosnienne d’art de Poči-telj, fondée en 1964, qui est l’association d’artistes la plus ancienne du Sud de l’Europe. J’ai créé un portrait de lui l’année suivante.À Paris, en 1971, j’ai été frappé pour la première fois de ma vie par la modernité de certaines œuvres peintes par des gens de ma génération. Elles n’avaient rien de commercial. Je me suis alors demandé si je ne pourrais pas, moi aussi, créer de telles œuvres chez moi, à Sarajevo. Cela m’a conduit à vivre des aventures fabuleuses au cours des années soixante-dix. Par exemple, je me rappelle qu’en 1972, pour organiser un grand événement musical, je me suis rendu à la biblio-thèque américaine de Zagreb pour y choisir des morceaux du genre de ceux de John Cage. En 1971, j’ai exposé mes œuvres pour la première fois ; c’était une sorte de one-man-show. Après cela, j’ai rejoint l’asssociation des artistes de Bosnie-Herzégovine. J’ai rencontré beaucoup d’artistes par le biais de celle-ci, ce qui m’a beaucoup aidé.Plus tard, j’ai monté une exposition au Lichtenstein – une magnifique exposition, je dirais même, avant-gardiste. La peinture était considérée comme un art très commercial en Bosnie-Herzégo-vine. C’est pourquoi les artistes ne peignaient habituellement que des paysages locaux, de ma-nière très traditionnelle. À quelques-uns, nous avons essayé de détruire cette conception de la peinture, mais nous nous sommes finalement rendu compte que ce n’était pas à nous de l’affron-ter. Ce point de vue existait, et le nôtre aussi ; nous devions simplement parvenir à coexister. Ces temps étaient très difficiles, notamment pour les artistes ayant des tendances néo-romantiques. J’ai voyagé à Zagreb, Belgrade et Ljubljana où les associations locales m’ont soutenu et m’ont offert du travail.J’ai exposé mes œuvres deux fois à la Biennale de Venise. La première fois en 1993, soit en plein

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milieu de la guerre bosnienne et du siège de Sarajevo. La seconde, en 2003, a permis à la Bos-nie-Herzégovine de bénéficier d’une première représentation au Palazzo Zorzi à Venise. C’était une exposition fantastique.

MH – Y-a-t-il des artistes ou des courants artistiques particuliers qui influencent votre art ?En deux mots : le surréalisme français. Je trouve que c’est un mouvement très instructif, notam-ment dans le domaine de la liberté. De tels artistes étaient présents principalement à Zagreb et à Belgrade, où se trouvaient par exemple des groupes influents de Serbes surréalistes. J’ai d’ailleurs eu un très bon professeur de littérature qui avait rédigé sa thèse au sujet du surréalisme en France, et de ses liens avec la Serbie. J’apprécie beaucoup l’esthétique d’André Breton. Depuis le début de ma carrière, je m’intéresse avant tout aux œuvres qui se rattachent à ce courant.

Quentin Toso (QT) – Vous parliez des artistes serbes qui étaient amis avec André Breton, une grande personnalité du surréalisme. Avez-vous déjà rencontré de telles figures emblématiques ?Oui, j’ai connu personnellement un grand nombre d’artistes de ce courant, dont Zagreb était un centre important. L’écrivain surréaliste serbe Oskar Davičo (1909-1989), à mon avis l’un de nos meilleurs poètes, communiste convaincu, était mon ami pendant la Deuxième Guerre mondiale ; nous étions jeunes à l’époque, dans la vingtaine. Je le trouvais fou ! Il a créé d’excellentes œuvres surréalistes à Paris, en 1931 ou 1932. Il entretenait une correspondance avec André Breton. Une fois, on l’a interrogé au sujet du surréalisme, dont l’enjeu principal est la connexion qu’une per-sonne entretient avec elle-même. Il a répondu qu’il n’avait aucun lien avec sa propre personne. J’étais si étonné que, lorsque je l’ai rencontré, je lui ai dit que je n’arrivais pas à croire qu’il avait répondu cela !Je vois partout l’influence d’artistes surréalistes tels que Breton. Si vous prenez les installations ou expositions qu’on crée aujourd’hui, vous y remarquerez toujours un fond de surréalisme. De même en ce qui concerne la poésie ou le cinéma. Et dans la vie de tous les jours, des éléments issus du surréalisme sont présents d’une manière ou d’une autre. Je possède beaucoup de livres sur le sujet, qui portent sur ma génération.Pour moi, le présent n’existe pas. La grande majorité des objets que j’apporte dans mon atelier y restent pour toujours. Petit à petit, ils deviennent un élément de l’histoire, de mon histoire. Je me dis qu’il faudrait que je range mon studio, mais je sais que je mettrais tout à la poubelle. Je m’en fiche ! J’étais heureux lorsque j’ai créé tout ce que vous pouvez voir ; je me trouvais dans la situa-tion particulière auquel mon statut d’artiste me donne accès.

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Edin Numankadić dans son atelier, 29 avril 2017, photographie : Pierre-Philippe Freymond

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Le processus de création est en soi magnifique ; la capacité de créer quelque chose de ses propres mains procure une sensation tout simplement incroyable. Je ressens une forme d’énergie et j’adore ça. Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi j’éprouve le besoin de venir ici et de créer. Mais c’est mon choix, et je ne le regrette pas.

MH – Vous avez dit que l’art vous permet de mieux gérer et exprimer vos frustrations. Est-ce son rôle le plus important dans votre vie ?Oui. Je suis peintre depuis un demi-siècle ; depuis 1967, année où j’ai effectué mon premier dessin, je me pense en tant qu’artiste. Ce n’est pas facile, mais cela m’a beaucoup aidé à comprendre la vie et sa valeur, ainsi que la manière dont j’appréhende l’art et la créativité. Il est très important de trouver en soi-même une motivation quelconque. Bien sûr, il est plus facile de n’être qu’un simple visiteur d’exposition, mais le point de vue du créateur est magnifique. Pourtant, lorsque je suis obsédé par un thème, j’ai beaucoup de mal à imaginer des gens visitant mon exposition et appréciant mon art !

QT – Vous avez dit que vous considériez le processus de création comme une sorte de thérapie pour vous, mais est-ce également une forme de confrontation ? Sentez-vous parfois que vous vous faites plus de mal que de bien à travers vos œuvres ?J’ai participé à une exposition en 1975, où était présente la fantastique artiste Marina Abramović, accompagnée de son mari Ulay (né Frank Uwe Laysiepen), lui aussi un artiste formidable. Elle est une personne si courageuse ; pourtant, elle a toujours eu besoin de mythifier sa vie, sa mère, son père et ses origines. Je me rappelle l’un de ses spectacles, datant de 1974 ou 1975, dans lequel tout ce qu’elle exposait était magnifique et demandait beaucoup de courage.En 1966, dans une galerie d’art contemporain à Ljubljana, il y avait une exposition organisée sur le thème du génocide en Bosnie-Herzégovine. Tout le monde se demandait quel était le lien entre Marina, originaire de Belgrade, et moi-même, issu de Sarajevo. Quel était notre point de vue personnel sur ce sujet très controversé ? Elle était si sympathique et chaleureuse. Je ne juge pas, parce qu’il est très difficile d’analyser ce genre de choses. Le facteur qui en ressort est avant tout le courage. Elle a fait de sa vie un mythe, ce que j’apprécie, de même que le sujet de son travail et la direction qu’il emprunte. En fait, c’est plutôt le côté publicitaire qu’elle entretient que je n’aime pas. Il s’agit du comportement typique d’une célébrité américaine.De nos jours, le marketing envahit tout. Il faut se concentrer sur ses travaux et les orienter dans le sens que nous voulons ; il faut choisir en fonction de ses propres centres d’intérêt. C’est impor-tant, parce qu’il y a tellement de manipulation à travers le marketing et les médias. Actuellement,

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à Sarajevo, ou plus généralement dans les Balkans, si un artiste en a les moyens, il peut payer un magazine pour qu’il publie des critiques favorables, et devenir ainsi un génie dans l’opinion pu-blique. C’est un énorme mensonge, tout simplement de la corruption, de la propagande.Une œuvre d’art, de même que l’énergie qu’elle dégage, doit être capable de toucher son public. Si une telle connexion existe, alors il s’agit d’une œuvre acceptable ; dans le cas contraire, elle ne l’est pas – de mon point de vue. Il ne faut pas écouter les critiques, mais laisser l’œuvre vous parler elle-même. C’est ce qu’elle exprime et ce que vous en percevez qui compte. Qu’y-a-t-il d’impossible à dire ? Si un sujet est facile à exprimer, il ne devrait pas devenir la thématique d’une œuvre. Voi-là le secret de l’énergie qu’une œuvre dégage. Une centaine de peintres peuvent peindre exacte-ment de la même manière, mais un seul se démarquera et vous touchera d’une manière tout à fait unique – et cela fait toute la différence. Il faut alors se demander pourquoi. Tout est acceptable, mais une seule œuvre sera spéciale, si elle vous touche de manière profonde et émotionnelle.

MH – Quel est votre lien à la ville de Sarajevo ? Y avez-vous toujours vécu ?Oui. Ah, Sarajevo… Pendant toute la durée du siège, je n’ai quitté la ville que huit fois. En 1991, lorsque je me trouvais aux États-Unis, un ami m’a suggéré d’y rester. Il m’a promis qu’il m’aide-rait, mais j’ai refusé son offre : je devais rentrer. Sarajevo est ma grande douleur, mais mon grand amour en même temps. Ma famille maternelle y habite depuis 300 ans et elle est renommée. J’aurais aussi eu l’occasion de rester à Londres ou à Paris en tant que réfugié, mais je suis rentré à Sarajevo à chaque fois. J’ai toujours pensé que ce serait trop dommage d’emporter deux sacs et d’abandonner sur place tous mes souvenirs, mon héritage entier, etc. C’est pourquoi je suis resté ici, à Sarajevo – c’était essentiel pour moi.Je me rappelle que mes voisins venaient me voir et me demandaient pourquoi ma bibliothèque et mes photos me tenaient autant à cœur. Ils ont dû penser que j’avais perdu ma tête ! Pour certaines personnes, rester ici était considéré comme stupide, mais pour moi, c’était une véritable question d’identité.En outre, la ville est tout pour moi. Lorsque je traverse la rue, je comprends les lieux, je connais chaque maison, chaque personne, ainsi que tout ce que je vois. Cet endroit possède une sorte d’énergie qui me donne la liberté dont j’ai besoin pour créer. Cependant, ce n’est pas facile ; c’est en fait une ville très difficile. Elle est magnifique, mais horrible en même temps. Elle est unique : je suis originaire d’une rue dans laquelle cohabitent catholiques, orthodoxes et juifs. À partir du moment où vous ouvrez les yeux à Sarajevo, vous devez respecter les différences à toutes les échelles. En fait, pas simplement les respecter, mais également les aimer ; nous sommes tous amis.

Edo Numankadić

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Pierre-Philippe Freymond (PPF) – Je suis particulièrement intrigué par l’atmosphère de Sarajevo ; savez-vous ce qui la façonne ?L’atmosphère est la base de tout ; cette journée superbe, cette lumière. Tout ! Vous vivez ici pen-dant plusieurs décennies et chaque élément – la rivière, la configuration de la ville – signifie quelque chose pour vous. La culture ainsi que l’héritage de la ville sont très différents de ceux des autres villes. Le legs de la monarchie austro-hongroise et de l’Empire ottoman crée quelque chose de magnifique et de tout à fait spécial.

MH – Pendant le siège, vous viviez à Sarajevo, alors que votre atelier se situait en périphérie de la ville. Comment se passait le trajet entre les deux ?Pendant le siège, nous n’avions ni bus, ni tram. Chaque matin, je me levais à 6 heures et je mar-chais 8 kilomètres pour aller à l’atelier, afin de vérifier que tout était en ordre. Je faisais ensuite les 8 kilomètres en sens inverse pour rentrer chez moi. Il y avait des tirs d’obus et des bombes. Je tenais également à être un témoin ; je voulais être à même de voir, de comprendre et d’assimiler la situation.Une nuit, en 1992, je dînais avec l’écrivaine et réalisatrice américaine Susan Sontag. Elle m’a dit que j’avais, en tant qu’artiste, le privilège d’être témoin de cette situation tragique. À l’époque, je me suis demandé quelle sorte de témoin je pouvais bien être, et de quel privilège elle voulait parler. Maintenant, je comprends : je mourrai peut-être demain. En effet, c’est seulement à tra-vers cette connexion avec la mort, surtout lors d’une situation aussi tragique, que nous pouvons vraiment voir la vie et et en apprécier pleinement la valeur. Je l’ai observé par moi-même et j’en ai déduit que la souffrance est une forme d’éducation. Si je n’avais pas vécu cette tragédie, je ne serais pas en mesure de comprendre la vie autant que je la comprends aujourd’hui. D’un côté, c’est un privilège auquel je ne désire pas que tout le monde accède, mais d’un autre côté, je sais qu’il est essentiel, en tout cas pour moi.

PPF – Comment êtes vous parvenu à effectuer ce trajet quotidien, alors que la guerre se déchaînait autour de vous ?En fait, j’ai remarqué qu’à 9 heures du soir, les soldats assiégeants commençaient à boire et qu’ils ne se réveillaient que vers 9 heures le lendemain matin. Donc, je commençais mon trajet à 6 heures du matin, je restais à l’atelier une heure ou deux, puis rentrais au centre-ville. Tout cela avant que les tirs d’obus ne reprennent.

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MH – Vous avez lu beaucoup de littérature pendant la guerre. Comment ces lectures vous ont-elles aidé, tout d’abord en tant que personne vi-vant ce siège ?Je n’ai confiance qu’en la littérature, les artistes et les arts visuels. Je ne crois pas en la politique – tout cela n’est que propagande. J’ai été membre du comité central du parti social-démocrate (SPD). J’ai aussi été membre de l’Assemblée de la ville de Sarajevo, en tant que social-démocrate. Mais je ne m’impliquais que dans les affaires culturelles, que je tentais de soutenir.

MH – Vos lectures ont-elles également influencé vos œuvres ?Il y a une citation que j’adore de Samuel Beckett (1906-1989). J’ai lu énormément de ses écrits. Dans une interview magnifique qu’il a faite avant de mourir, il a dit que les personnes à succès ne l’intéressaient pas ; il ne s’intéressait qu’à celles qui échouaient. Je partage ce point de vue. J’ai aussi lu un grand nombre de textes d’Emil Cioran, Walter Benjamin et Frank Kafka. Ces derniers m’ont beaucoup aidé.Sur une de mes boîtes, j’ai inscrit une citation de Robert Musil, que je trouve fantastique, qui dit que dans un combat opposant deux armées, il est très compliqué de rester en dehors du conflit tout en demeurant un être humain normal. La guerre est tellement absurde et horrible… Il im-porte de rester distant spirituellement d’un tel événement. J’ai toujours aspiré à demeurer un être humain normal, en vertu de mes convictions personnelles.En fait, je n’ai confiance en personne. Chaque version d’une histoire contient une part de vérité. Chaque politicien, chaque nationalité et chaque groupe ethnique détenait une part de vérité lors du siège de Sarajevo. Le siège n’était qu’une confrontation de ces points de vue.J’ai commencé à lire énormément grâce à mes trois ans d’études en littérature yougoslave. C’est pourquoi j’ai un bagage littéraire. À travers toutes mes lectures, j’ai tenté d’établir des liens avec l’expérience que je vivais et ma situation difficile, étant donné que je ne crois qu’en la parole des artistes.Je me rappelle le moment où je suis tombé sur une citation de Walter Benjamin, qui dit que ce n’est qu’au moment où nous sommes confrontés à la mort et à la destruction que nous comprenons vraiment la valeur et la fragilité de la vie. Cette citation résume à merveille ma position. Lorsque je quitte mon lit le matin, il n’y a aucune certitude que j’y retourne le soir. Cette connexion à la tragédie nous offre un nouveau point de vue sur la vie. Donc, j’ai commencé par noter cette phrase sur un bout de papier, puis sur ces boîtes. Lorsque j’ai terminé ce projet, j’ai réalisé que cette ci-tation m’avait aidé à survivre à la tragédie. Cioran a également affirmé que c’est la souffrance qui nous éduque. Quant à moi, j’ai toujours essayé de garder un regard positif sur la vie.

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MH – Vos lectures vous ont-elles aidé à comprendre la guerre en tant que témoin, comme vous l’affirmiez précédemment ?Oui, elles m’ont aidé. Il faut absolument avoir une idée quelconque, une lueur d’espoir. Je crois que le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer (1900-2002) avait raison d’affirmer que lorsque nous avons tout perdu, nous conservons une forme abstraite d’espoir comme mécanisme de dé-fense. Nous nous raccrochons à cette forme abstraite d’espoir pour faire face aux situations diffi-ciles, pour nous battre. C’est primordial.

PPF – Quelle place la poésie occupe-t-elle dans les arts visuels ?Je suis d’avis que la poésie est à la base de tous les sujets essentiels. J’essaie vraiment de donner une orientation poétique à mon travail. Mon bagage littéraire m’a beaucoup aidé tout au long de ma vie, il m’a permis d’explorer un plus grand nombre de concepts. Beaucoup de gens pensent qu’aujourd’hui, l’art se suffit à lui-même – je ne suis pas d’accord. Il ne faut pas oublier les émo-tions, parce que celles-ci occupent une place non négligeable dans notre vie ; de même que le fait de les partager avec notre entourage. Nous partageons tous les mêmes expériences. Nous devons obligatoirement nous confronter à nos émotions.

MH – À votre avis, l’art a-t-il joué un rôle important dans la recons-truction du Sarajevo d’après-guerre ?Pendant la guerre, le gouvernement avait besoin des artistes pour diffuser certaines idées dans la population, mais maintenant, il n’a plus besoin de nous. La situation est horrible ! Le Musée national est fermé, et tant la Galerie nationale que le projet d’un Musée d’art contemporain à Sarajevo (Ars Aevi) font face à de multiples problèmes. Cela prouve que le gouvernement n’en a plus rien à faire de nous. Mais peut-être qu’il se battra pour la prochaine génération ? Peut-être qu’il se battra dans le futur ?

Christophe Solioz (CS) – Comment percevez-vous ce que fait la nouvelle génération d’artistes à Sarajevo ?J’appartiens à une génération qui considère l’éducation comme une donnée fondamentale. Je trouve qu’un grand nombre de jeunes aujourd’hui s’efforcent trop de n’être qu’actuels et modernes, en tournant le dos à l’apprentissage. Pourquoi pas ? Je me rappelle un de mes professeurs qui me disait souvent que ce que je faisais pouvait être considéré comme « la terreur de la nouveauté ». La nouvelle génération est en train de se battre pour définir sa propre identité, c’est pourquoi elle peut se montrer un peu extrême dans ses modes d’expression. Voire même agressive parfois, ce

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Cadre pour miroir, 1998Technique mixte combinant un miroir baroque et une peinture à l’huile — soit une œuvre de jeunesse de l’artiste,Toits de Sarajevo (1968) — tous deux endommagés pendant la guerre et enveloppés de ruban adhésif, 70 x 100 x 15 cm Photographie : SCCA

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qui pose problème.Je considère l’expérience comme le facteur le plus important du processus de création. Par le biais de cette dernière, nous pouvons tout imaginer. Nous pouvons créer des arrangements magni-fiques en utilisant tout ce que nous savons. Si une œuvre n’incorpore pas cette énergie tout à fait particulière provenant de l’expérience et d’une réflexion approfondie, elle ne peut pas être complète. C’est ça le problème. Les meilleurs artistes ressentent tous cette émotion lorsqu’ils produisent. Le sens que nous, les artistes, imprimons à nos œuvres peut être très dramatique parfois. Chaque artiste a un problème qui l’obsède. Il n’est pas facile de se prononcer à un niveau philosophique.Pour revenir à la question, j’adore ces jeunes gens ; ils travaillent avec tant de passion. Pour moi, la question demeure de savoir à quel point ils sont véritablement honnêtes avec eux-mêmes, ainsi que la façon dont ils surmontent leurs rivalités personnelles. Il doit toujours y avoir une touche d’expérience derrière une œuvre. En fait, ce n’est pas un problème quand ça concerne quelque chose de mauvais ; ça ne l’est que dans le cas où la qualité est là. Nous dépensons tant d’énergie au sujet des choses mauvaises et désagréables ; nous ne devons pas oublier de nous recentrer sur les choses réjouissantes. Lorsque je découvre la présence d’émotion, d’audace et de l’idée du bien dans une œuvre, je suis satisfait. Cependant, je ne peux absolument pas être considéré comme un juge, puisque je n’ai jamais étudié l’histoire de l’art. Je ne veux pas l’être d’ailleurs ; je veux simple-ment pouvoir être utile aux jeunes et les aider, sur un plan humain.

MH – L’œuvre d’art au sujet de laquelle j’ai décidé de vous poser des questions est « Cadre pour le Miroir », parce que je l’ai trouvée tout à fait intrigante.Dunja Blažević – une experte d’art très renommée de Belgrade, mais active à Sarajevo pendant et après la guerre – montait une exposition pour le Centre d’art contemporain de Sarajevo (SCCA) et m’a demandé si je voulais bien y participer. Je me suis rappelé l’époque où des obus volaient à travers mon salon et en détruisaient le contenu. J’ai trouvé un cadre qui entourait à l’origine un miroir détruit, et une toile qui, elle aussi, avait été endommagée. C’était l’une de mes toutes premières créations. J’ai examiné ces deux « déchets » et je les ai assemblés en une composition. J’ai placé dans le cadre l’image datant de 1968, déchirée par des éclats d’obus. L’œuvre représente le miracle et la douleur. Ce n’est pas simplement de l’art : cette pièce constitue un souvenir docu-menté de la guerre et du siège de la ville de Sarajevo. Il s’agit de la représentation d’un événement, et aussi de ce que ma mémoire en a fait. Ça me fait du bien de créer quelque chose de constructif à partir de la destruction.

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MH – Quelle est votre analyse de cette œuvre ?Je n’ai jamais été un peintre normal ; j’ai toujours aimé relever des défis. Chacun a un point de vue différent et je dois tous les prendre en considération et y répondre – cela constitue pour moi un défi magnifique. Depuis mes débuts, je suis passé par diverses obsessions. Chacune dure en général deux ou trois ans ; pendant ce laps de temps, je ne crée que des œuvres en lien avec le sujet qui m’obsède. Il est évident que j’aurais pu m’arrêter d’évoluer en 1975 et me contenter de créer des variations de mes travaux antérieurs. Mais la vie nous confronte à des expériences qui altèrent notre manière de penser. Nous devons trouver des réponses aux problèmes qu’elle nous impose.Je suis également d’avis qu’il faut toujours apporter une touche d’humour et d’ironie. Sans cela, nous ne pourrions pas survivre, et nous devons le cultiver. Certaines questions restent sans ré-ponse ; c’est à travers l’humour et l’ironie que nous sommes capables de fournir une réponse sa-tisfaisante.Seul le temps peut apporter une véritable analyse, qui n’est pas à mes yeux le point essentiel d’une œuvre. J’essaie toujours de faire de mon mieux, mais seul le temps a la capacité d’opérer une sélection – c’est-à-dire de séparer ce qui est bon de ce qui ne l’est pas. J’essaie aussi de travailler avec passion. J’adore l’énergie que ça me procure. C’est facile de rester à la surface, dans sa zone de confort ; plus compliqué est de suivre son intuition, laquelle nous pousse vers des choses appa-remment impossibles.

MH – Est-il nécessaire de commémorer les événements tragiques à tra-vers l’art ?Je crois que si l’on survit à ce genre d’événements, il est important de le commémorer d’une ma-nière ou d’une autre. La véritable victoire est de réussir à produire quelque chose de bien à partir de la tragédie. C’est la responsabilité de chaque individu d’initier un mouvement vers une vision plus positive des choses. Créer quelque chose de positif constitue la meilleure réponse possible à l’horreur.Lorsque la guerre a éclaté, en 1992, personne n’arrivait à y croire. Je me rappelle que je pensais qu’en août, je pourrais profiter de mes vacances sur la côte Adriatique. Alors que c’était en réalité le début de quatre longues années de siège… Chaque jour nous devions tâcher de survivre. Je venais ici, au studio, et je voyais des obus ainsi que des éclats de verre recouvrant le sol. Des crimi-nels sont entrés ici et ont volé des objets à quatre reprises. C’était l’anarchie totale. Je n’étais même pas sûr que j’aurais de quoi manger le lendemain. J’ai quand même créé de l’art en m’inspirant de la guerre : j’ai recueilli tous mes souvenirs, ainsi que ceux de ma fille et de ma famille, et j’ai placé ces objets symboliques et emblématiques dans de nombreuses boîtes.J’ai inscrit les citations des auteurs que j’évoquais tout à l’heure sur les couvercles de certaines de

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ces boîtes. Par exemple, sur le cadre en verre d’une photographie de Paris, j’ai inscrit une phrase de Walter Benjamin. J’ai exposé cette œuvre pendant la guerre. Dans le même état d’esprit, au milieu de la guerre, l’un de mes amis peintre de Slovénie m’a envoyé une magnifique boîte de crayons pastel. J’ai enlevé l’un des crayons et je l’ai remplacé par une balle. J’ai également ajouté une phrase sur le couvercle.Un jour, dans un magasin chinois, j’ai acheté une fausse cage à oiseau. Je l’ai ensuite transpercée d’un couteau. Cela représente la situation des artistes pendant la guerre. Cette œuvre est pleine d’humour et d’ironie.

CS – Dans un premier temps, vous avez recopié des citations, que vous effaciez partiellement avec une brosse. Ensuite, vous n’avez plus rien inscrit de précis, vous esquissiez simplement la trace des lettres pour en restituer le mouvement, dans une sorte d’écriture abstraite, imagi-naire.Bien que j’aie inscrit un grand nombre de citations sur mes œuvres, je ne voulais pas transmettre de message. J’aurais trouvé cela idiot. Je voulais que ces phrases restent énigmatiques, tout comme un vieux graffiti à moitié effacé, ou bien une épitaphe sur une pierre tombale bosnienne datant du Moyen Âge. Par ailleurs, ce n’était pas pour moi de la simple peinture ; c’était une psychothé-rapie. J’ai pu poser mes frustrations sur le papier afin de m’en libérer. Je dois avouer que venir ici quotidiennement m’a permis de conserver ce statut d’être humain normal qui m’est si cher.La frustration que nous avons tous en nous, qui croît à l’intérieur de chacun de nous, est ce qui m’importe, voire m’obsède. Je dessine ce que j’aime et apprécie le plus au monde : les choses simples. Je peins simplement la pièce, et tout ce à quoi je pense au même moment m’emporte, moi et mon travail, dans une direction particulière. J’essaie de tisser des liens entre mon travail et mes besoins psychiques grâce à divers procédés. C’est une bonne manière d’opérer une synthèse artis-tique à partir des éléments de l’existence humaine. Comme ce serait bizarre, si je savais d’avance où aller avec mon travail en cours ! Mon expérience personnelle m’inspire, me donne une orienta-tion artistique. Avoir confiance en son instinct est très important. Nous pouvons tout apprendre, mais selon moi, sans un petit côté provocateur, une pièce ne peut pas être complètement achevée. Il faut absolument qu’elle contienne une motivation profonde et une touche de provocation.

MH – Pensez-vous que l’art peut être un moyen de résistance, comme par exemple pendant la guerre ?Martin Heidegger s’est exprimé à propos de sujets très délicats dans une interview qu’il a donnée vers la fin de sa vie à la revue allemande Der Spiegel (« Il ne reste que Dieu pour nous sauver », 1966,

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publié seulement en mai 1976). La question posée tournait autour de ce à quoi nous pourrions encore croire dans le futur. Il a affirmé qu’il ne croyait plus en rien et que tout se trouvait entre les mains de Dieu. Telle a été la réponse de Heidegger, alors que c’était quelqu’un de très rationnel ! C’est à cela que nous pouvons nous rendre compte à quel point la guerre affecte les gens et change les choses – toute logique disparaît.

MH – Pensez-vous que les pressions politiques puissent influencer l’art ?Pouvait-on imaginer créer librement sous le régime communiste ? Par exemple, j’ai composé une certaine œuvre en 1971. Lorsque mon père et mes amis ont visité l’exposition dans laquelle elle fi-gurait, ils étaient tous choqués. Ils me demandaient ce que c’était, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à ressentir une forme de pression. Maintenant, les choses ont évolué : je suis le seul artiste qui ait droit à une collection permanente au Musée d’art moderne à Belgrade. À Zagreb également, il n’y a que deux ou trois artistes dont les œuvres soient exposées de manière permanente, et j’en fais partie.Lorsque le régime communiste est tombé, les peuples ont prétendu en avoir été les victimes, bien entendu ! Il faut se rappeler que sous Tito, en 1948, notre pays a été le premier à refuser clairement le stalinisme. Nous bénéficiions de plus de liberté que les Tchèques, les Polonais, les Roumains et autres peuples appartenant au bloc communiste. Je me rappelle que ces derniers nous traitaient de capitalistes, parce que nous avions une voiture, une maison, et que nous pouvions sans trop de difficulté nous rendre en Europe avec un simple passeport.Je suppose qu’à l’époque, nous étions aussi naïfs que des enfants. Nous ne croyions pas que quelque chose d’horrible pouvait nous arriver ; seuls, les gens qui cherchaient des ennuis étaient réprimés par le pouvoir, pensions-nous. Les autorités incriminaient notre liberté d’artiste. Une peinture pouvait leur paraître absurde, mais c’était une question de liberté. Quelqu’un qui aurait osé dépeindre la situation contemporaine en Europe aurait été considéré comme fou, purement et simplement.Bref, je n’ai jamais subi de pression directe, mais je l’ai toujours ressentie d’une manière ou d’une autre. Cela dit, sans pression, un artiste ne prendrait pas son travail au sérieux.En fait, je résiste d’une manière ou d’une autre depuis 1968. Je me rappelle une manifestation contre la guerre du Vietnam, où ma colère était dirigée contre le meurtre des femmes et des en-fants. J’avais 18 ans. Je n’étais pas d’accord avec une telle violence, je refusais d’être témoin d’une chose pareille.Quand je vois aujourd’hui toutes les pierres tombales à Sarajevo, où 10’541 personnes, dont 1500 enfants, ont été assassinées, je me trouve chanceux d’avoir survécu à la guerre. Les gens enterrés dans les multiples cimetières n’ont pas eu cette possibilité. Nous, qui avons survécu, avons eu de la chance.

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QT – Quel est votre état d’esprit lorsque vous peignez ?Chaque élément possède son propre caractère et il faut essayer de prendre en compte l’individua-lité de chaque objet. Mon esprit recèle un mélange de tout ce que je vois dans la nature et, plus généralement, dans le monde. Il est impossible de créer quoi que ce soit sans la nature. Ainsi, lorsque j’étais en Corée du Sud, je trouvais les champs de riz d’un vert si vif que j’ai élaboré une œuvre qui représentait cela. J’essaie de recréer la simplicité de la nature. On ne peut pas inventer quoi que ce soit de futuriste ; d’ailleurs, je n’aime pas cette approche.En général, j’aime bien peindre avec des couleurs ; c’est un héritage de la tradition bosnienne. J’ai une passion particulière pour l’argenté et le doré, bien qu’ils ne soient pas des couleurs à pro-prement parler. Je trouve leurs reflets superbes. J’apprécie aussi le monochrome. J’aime faire des compositions à la façon des surréalistes français. J’aime bien le minimalisme ; d’ailleurs, je suis en train de créer une œuvre en employant les couleurs primaires sorties du tube, telles quelles.

QT – Déchirez-vous parfois le papier en travaillant ?Oui, bien sûr. C’est aussi pour cela que je travaille sur un support en papier ; et puis, c’est beau-coup plus simple et épuré. Cela dit, je ne détruis pas de pièces très souvent, seulement en de rares occasions, lorsque je suis particulièrement mécontent, ou lorsque je n’emprunte pas la direction que je désire, ou encore, dans les cas où je subis trop de pression et de stress.

CS – Comment se passe le montage de vos expositions ? Sélectionnez-vous vous-même certaines de vos œuvres ?J’ai un ami conservateur et curateur, qui monte mes expositions. J’aurais beaucoup de mal à sé-lectionner des pièces dans ma propre collection. Je lui transmets parfois des suggestions, mais la plupart du temps, c’est moi qui l’écoute, puisque c’est son métier. Un de mes amis de Belgrade m’aide aussi. Nous nous connaissons depuis trente ans et nous avons toujours travaillé ensemble. De telles personnes sont très bénéfiques pour moi, car je suis incapable de prendre de la distance par rapport à mon propre travail.

� Interview préparée et conduite dans le studio d’Edin Numankadić à Sarajevo, le 29 mars 2017, par Megan Howarth, avec des interventions de Pierre-Philippe Freymond, Christophe Solioz et Quentin Toso.

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Sarajevo, capitale et plus grande ville de Bosnie-Herzégovine, est, de surcroît, une ville typique-ment bosnienne par tous ses aspects. Fondée en 1440 par Isa-beg Isaković, construite dans une vallée (celle de la rivière Miljacka) entourée de collines qui, telle une enceinte, l’isolent prati-quement du monde, elle est fermée à tout ce qui lui est extérieur, entièrement tournée vers elle-même. Sur le fond plat de la cuvette, on a érigé le centre des affaires, nommé Čaršija (équivalent de la City des villes européennes modernes), tandis que, sur les versants internes des collines alentour, on a bâti des quartiers d’habitation appelés mahala. C’est ainsi que le centre urbain est doublement protégé du monde : par les monts qui l’environnent et par ces mahala qui, en raison de la configuration du terrain, des solutions urbanistiques retenues et de leur relation avec le centre, fonctionnent comme une carapace ou une coquille que celui-ci aurait, tels une tortue ou un escargot, sécrétée pour le protéger de tout ce qui est au-dehors.Est-ce parce que, doublement isolée du monde, elle est obligée de « regarder en soi », de se tourner vers le dedans d’elle-même, ou pour toute autre raison ? Sarajevo est très vite devenue une sorte de métaphore du monde, lieu où convergent ses différents aspects comme les rayons de lumière épars dans un prisme. Un siècle environ après sa fondation, la population de la ville était com-posée de personnes confessant toutes les religions monothéistes, représentant toutes les cultures qui en découlent, parlant une multitude de langues, pratiquant tous les modes de vie que ces dernières véhiculent. Elle était devenue un microcosme, le centre du monde. Tout centre, nous enseignent les occultistes, contient l’univers entier. C’est pourquoi Sarajevo est indubitablement une ville du dedans, dans le sens que donnent à ce terme les ésotéristes : tout ce qui peut exister au monde y est présent en plus petit, sous une forme réduite à son noyau. Toutes les virtualités sont là, à Sarajevo, car c’est le centre du monde – le dehors étant toujours entièrement contenu dans le dedans, nous disent les philosophes. Sarajevo ressemble à la boule de cristal de la voyante où se trouvent réunis tous les évènements, tout ce qui peut advenir aux hommes, toutes choses et tous phénomènes ; elle est comme l’Aleph de Borges, recelant ce qui a été, ce qui sera, ce qui est à l’état de virtualité. En Sarajevo se concentrent les éléments constitutifs des civilisations apparues

Sarajevo, portrait d'une ville du dedans

Photographie : Erich Malter

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à l’ouest de l’Inde. Peut-être parce qu’elle est, comme tant d’autres villes bosniennes, entièrement isolée du monde extérieur et, de ce fait, tournée vers elle-même, uniquement vers elle-même ; peut-être parce que le monde a justement besoin d’une ville semblable où il se trouve idéalement contenu ; ou pour une autre raison ; je l’ignore, mais je sais qu’il en est ainsi.Dès sa fondation vinrent s’y installer des populations observant trois des religions monothéistes : l’islam, le catholicisme et l’orthodoxie ; on y parlait turc, arabe et persan, bosniaque, croate et serbe, hongrois, allemand et italien. Puis, cinquante ans plus tard, Ferdinand et Isabelle, pieux souverains d’Espagne, chassèrent les juifs de leur pays. Certains se réfugièrent à Sarajevo, y in-troduisant la quatrième religion monothéiste et une nouvelle culture qui s’était constituée au-tour d’elle durant des siècles d’errance, y apportant également plusieurs autres langues. Sarajevo devint alors une sorte de nouvelle Babylone ou de nouvelle Jérusalem – ville de la confusion des langues, ville où l’on peut, d’un seul coup d’œil, apercevoir les sanctuaires de toutes les religions du Livre.Ce mélange de langues, de religions, de cultures et de peuples voués à vivre ensemble dans un espace aussi restreint fut à l’origine d’une forme de culture très particulière, d’un système culturel extrêmement original et spécifique, propre à la Bosnie-Herzégovine et, surtout, à Sarajevo. Il exis-tait évidemment dans l’Empire ottoman, multinational et multiconfessionnel, de nombreuses régions et villes où se mêlaient peuples, langues et religions ; mais nulle part ailleurs, c’est certain, ils ne furent amenés à cohabiter dans un espace aussi réduit. Cela explique sans doute pourquoi la Bosnie jouissait dans cet Empire d’un statut particulier, celui de pachalik indépendant. La spécificité du système culturel bosnien – et par culture, j’entends ici ce que Claude Lévi-Strauss a défini comme mode de vie, c’est-à-dire ensemble de comportements et de faits constituant la vie quotidienne – implique la nécessité d’un statut politique spécial.Ce système, qui se présente sous sa forme la plus pure à Sarajevo où il se réalise de la façon la plus conséquente, pourrait être décrit de façon assez précise par l’épithète « dramatique », en opposi-tion avec ce que l’on peut qualifier de « dialectique ». Ses principes de base sont apparentés aux principes constitutifs du drame et peuvent se comprendre par analogie. Le rapport fondamental entre les éléments du système est une tension oppositionnelle : ces éléments sont placés face à face et reliés les uns aux autres justement par cette opposition, qui leur permet de se refléter mu-tuellement ; ils s’intègrent au système (à un ensemble d’ordre supérieur) sans perdre leur nature primordiale, c’est-à-dire aucune des spécificités qu’ils possèdent en dehors de celui-ci, mais en en acquérant de nouvelles ; chacun de ces éléments représente lui-même un ensemble complexe, constitué de deux parties reliées par un rapport d’opposition.La principale caractéristique d’un tel système culturel est le pluralisme ; c’est donc tout le contraire des systèmes culturels monistes, que l’on pourrait qualifier de « dialectiques », qui do-minent encore dans les grandes villes occidentales où se mêlent actuellement religions, langues

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et peuples comme ce fut le cas à Sarajevo autrefois. Si, dans le système culturel dramatique, le rapport fondamental consiste en une tension qui permet aux deux facteurs de confirmer leur nature primaire, dans le système dialectique, il réside en un entre-dévorement ou, pour employer un terme plus adéquat, en un « englobement » du plus bas par le plus élevé, du plus faible par le plus fort. Chaque élément du système culturel dramatique a besoin de l’Autre pour prouver sa propre identité, car sa propre spécificité s’atteste et s’articule par rapport à la spécificité de l’Autre ; tandis que dans le système dialectique l’Autre n’est qu’apparemment autre, c’est en fait un Moi masqué, l’Autre contenu en moi, étant donné que dans tout système dialectique – et tout mode de pensée dialectique –, les oppositions ne font qu’un. C’est là la principale différence entre Sarajevo et les nouvelles babylones occidentales, différence qu’il convenait d’expliquer par cette description sommaire et un peu trop technique des systèmes culturels qui se sont élaborés dans ces différents milieux.À l’intérieur d’un système culturel constitué sur le mode dramatique apparaît, et telle en est la caractéristique la plus marquée, un jeu excitant entre ce qui est ouvert et ce qui est fermé, entre le dehors et le dedans, qui se reflètent mutuellement en s’opposant. C’est ce jeu qui définit à la fois l’organisation interne de la ville et la structure de chacune de ses parties, la vie quotidienne qu’on y mène, voire chaque élément de celle-ci, allant de l’habitat à la façon de se nourrir. Ce jeu, dont on peut constater l’existence quel que soit le niveau auquel on observe la ville, montre comment Sarajevo est, d’une autre manière encore, une ville du dedans.Ce jeu entre ce qui est ouvert et fermé, entre le dehors et le dedans, est parfaitement visible dans l’organisation même de la ville. Nous avons déjà dit que son centre est intériorité même puisqu’il est doublement séparé du monde extérieur, tout d’abord par les monts qui entourent la cuvette où il s’érige, puis par les différents quartiers, ou mahala, construits sur les versants internes de ces collines. Les mahala sont comme des rayons émanant du centre. D’un côté nous avons Vratnik, le quartier musulman, de l’autre le quartier catholique, ou Latinluk, d’un autre encore le quar-tier orthodoxe, appelé Tašlihan, opposé, quant à lui, à Bjelave, quartier juif. Entre ces principales mahala, il en existe de plus petites (Bistrik, Mejtaš, Kovači) caractérisées, ainsi que les grandes, par une religion, une langue, des mœurs spécifiques.Le centre de la ville, qui est aussi le centre géométrique de l’espace délimité par les mahala, est constitué par 1a Čaršija, lieu dans lequel personne n’habite, puisqu’il est réservé aux ateliers des artisans, aux commerces et autres formes d’activités lucratives. Cette Čaršija, doublement isolée du monde extérieur, est intériorité même sur le plan technique, non seulement en raison de son enclavement, mais aussi parce qu’elle est le centre géométrique. Intériorité, elle l’est enfin sur le plan sémantique, car le dedans, nous disent les ésotéristes, est toujours ouvert, puisqu’il contient potentiellement toutes les virtualités du dehors. La Čaršija contient effectivement tout ce qui l’en-toure, tout ce qui existe dans les enceintes qui la séparent et la protègent du monde extérieur.

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Chacune des cultures présentes dans les mahala y articule et y réalise sa composante universelle, puisqu’elle est le lieu où se réalisent les valeurs humaines générales inhérentes, bien évidemment, à ces cultures. On y négocie, assurant ainsi la base économique de l’existence en ce bas monde, on y manifeste aussi sa solidarité, son besoin de communication, son ouverture à l’autre. Car dans la Čaršija se rencontrent, collaborent et cohabitent les gens de toutes les mahala environnantes. On trouve les uns à côté des autres des magasins appartenant à des Juifs de Bjelave, à des Musulmans de Vratnik, à des Croates ou à des Italiens du Latinluk, à des Serbes ou à des Grecs de Tašli-han… Qu’ils s’entraident, qu’ils coopèrent ou se concurrencent, qu’ils se secourent ou se jouent des tours, s’associant parfois à deux contre un troisième, tous cultivent, dans cette collaboration ou ces conflits, les valeurs humaines élémentaires, réalisant ainsi les composantes universelles de leurs cultures respectives. Dans la Čaršija s’effacent les différences dues à leur appartenance à di-verses cultures, unis qu’ils sont par ce qui leur est commun, ainsi qu’à tous les hommes : le besoin de travailler, d’acquérir des biens matériels, d’éprouver de l’amour et de la haine, d’exprimer sa so-lidarité. Malgré les différences, il n’y a plus dans la Čaršija que des êtres humains, des Sarajéviens, des commençants et des artisans. C’est pourquoi le centre de la ville est à la fois intériorité et ouverture par excellence.Lorsqu’ils quittent la Čaršija, les habitants de Sarajevo abandonnent les valeurs universelles pour se retirer dans la spécificité de leurs cultures respectives. Dans chaque mahala, en effet, on vit replié sur la culture du groupe dominant du point de vue statistique. Ainsi, à Bjelave, quartier peuplé surtout de juifs, on cultive dans la vie quotidienne les particularités de la culture juive, de même que dans le Latinluk on observe les principes de la culture catholique, ceux de l’islam à Vratnik et ceux de l’orthodoxie à Tašlihan. Le catholique du Latinluk l’est tout autant et de la même manière que celui qui vit à Rome. Le musulman de Vratnik l’est tout autant que celui de La Mecque. Ils le sont peut-être même plus car, vivant ensemble à Sarajevo, ils côtoient l’autre qui leur permet de mettre en évidence ce qui fait leur spécificité, d’avoir une conscience plus nette de leurs propres particularités, de leur identité. Le Latinluk est limitrophe de Bistrik, ce qui veut dire que les quartiers catholique et musulman se touchent, qu’il y a un contact permanent entre les deux cultures. Ce voisinage fait que le musulman et le catholique ont une conscience très nette de leurs identités respectives. En découvrant l’autre, je me découvre moi-même ; en faisant la connaissance de l’autre, je me connais moi-même. C’est ainsi que la mahala, qui se situe au-dehors, à la frontière, à la lisière, et qui est ouverte sur le plan technique car elle donne d’un côté sur la colline, la nature, le monde extérieur, se trouve fermée sur le plan sémantique puisque les gens y vivent repliés sur une seule culture, se contentant de réaliser au quotidien ce qui en fait la spécificité.Et c’est ainsi que s’instaure ce qui fait la spécificité de Sarajevo, un jeu d’opposition et de confor-tation mutuelle entre ce qui est ouvert et ce qui est fermé, entre le dedans et le dehors ; c’est

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ainsi que se crée une tension entre ces derniers, tension qui est peut-être le fondement même de l’existence de la ville. La Čaršija est fermée sur le plan technique et ouverte sur le plan sémantique, chacune des mahala est ouverte sur le plan technique et fermée sur le plan sémantique ; la Čaršija représente l’universalité, la mahala, le particularisme et le concret ; la Čaršija est isolée de tout et, pour cette raison même, recèle toutes les potentialités, la mahala est ouverte sur tout mais elle doit, au niveau du sens et de la signification, se replier sur ses particularités afin de subsister, car elle ne le peut – dans le monde extérieur – que grâce à ce qui la définit comme forme particulière et l’y enferme. La Čaršija et la mahala, l’universel et le particulier, ce qui est ouvert et ce qui est fermé, le dedans et le dehors sont la projection l’un de l’autre, ainsi qu’un objet et son reflet dans un miroir. Elles sont tels les deux termes d’une proportion inversée.On retrouve dans n’importe quel segment de la vie sarajevienne ce jeu compliqué d’interposition et de réflexion entre le dedans et le dehors sur lequel se fondent, nous semble-t-il, l’existence et le fonctionnement de Sarajevo, et qui est si évident dans la relation entre la Čaršija et les mahala, dans l’habitat, par exemple.Les maisons des Sarajeviens se dressent sur les versants des monts. La façade de chacune d’elles donne sur la rue et est donc tournée vers la ville, la Čaršija, le centre, tandis que l’autre côté donne sur la colline, la nature, le monde extérieur. Sur le devant, le terrain est fermé par une palissade de bois ou un mur qui rendent la maison invisible de l’extérieur alors que, derrière, il reste ouvert ou n’est clos que symboliquement. De part et d’autre de la demeure, un jardin ou une cour.Il est évident que l’on retrouve dans cette structure et dans cette distribution des cours et des jardins le même jeu de projection inversée que celui que nous avons mis en évidence dans la structure de la ville et dans le rapport entre la Čaršija et les mahala. Le devant de la maison, ai je dit, est fermé sur le plan technique, séparé de la rue, de la ville, de la Čaršija, de tout ce vers quoi il est tourné, par un haut mur qui empêche de voir quoi que ce soit à l’intérieur. Par contre, il est ouvert sur le plan fonctionnel et sémantique (tourné vers le centre, il est au demeurant le côté interne de la maison), car c’est par là qu’on entre, qu’on accueille les invités, c’est de ce côté qu’on vit et qu’on a des échanges avec monde. L’arrière, ouvert sur le plan technique puisque rien ne le sépare du monde, puisqu’on passe directement du jardin à la nature, est fermé sur le plan fonctionnel et sémantique, car on ne peut, de ce côté, que sortir de la maison. On n’y accueille pas les invités, ce n’est pas par là que l’on s’approvisionne, que l’on sort pour aller au travail. Seuls les habitants de la maison y ont accès. Il ne peut être question ici de communication, d’échange avec le monde.La situation est pratiquement identique en ce qui concerne les fonctions des cours et des jardins. La cour de devant, parfaitement fermée du point de vue technique, est telle une coquille, car elle est clôturée de toute part, soit par le mur qui donne sur la rue, soit par la maison. On ne peut y pénétrer ni même regarder à l’intérieur sans l’assentiment des habitants. Mais, du point de vue fonctionnel et sémantique, c’est l’espace le plus ouvert où ces derniers puissent se réfugier à l’écart

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du monde : c’est par cette cour qu’arrivent les invités, les convocations de l’armée ou de la justice, la nourriture et les policiers, tout ce qui désire pénétrer à l’intérieur de la maison. Quand il fait beau, on y reçoit.À l’intérieur de la maison elle-même, de ses murs, la situation est semblable ; elle est divisée en partie fermée et partie ouverte, masculine et féminine. Dans les pièces des hommes, on reçoit les invités, les personnes étrangères à la maison, on parle d’argent et de politique, d’armée et de chô-mage ; seuls les habitants de la maison, par contre, ont accès aux pièces des femmes, et ce après y avoir été conviés ; on y parle de nourriture et de sentiments, c’est là que l’on aime et que naissent les enfants.Considéré sous cet angle, l’habitat des Sarajéviens présente la même structure que la ville, c’est une ville en miniature, morceau de cristal inclus dans la mosaïque qui la reflète tout entière. Il existe, entre les différents lieux où se déroule la vie personnelle, intime, des habitants de Sarajevo, les mêmes rapports et le même jeu de projection entre ce qui est ouvert et ce qui est fermé, entre le dedans et le dehors, que ceux que nous avons mis en évidence dans la structure même de la ville et les rapports que celle-ci entretient avec le monde environnant, ou les rapports entre la Čaršija et les mahala. On retrouvera la même chose dans la culture gastronomique, c’est-à-dire dans les habitudes alimentaires des citadins.À Sarajevo comme dans toutes les villes bosniennes, cette culture gastronomique est constituée de deux paradigmes. L’un représente l’ouverture extrême, le second, la fermeture par excellence. Le premier est composé de différentes sortes de viandes grillées à même le feu, que l’on mange dehors : au restaurant, lors de pique-niques, dans la maison lorsque des invités y sont présents. Cela peut être un simple morceau de viande grillé avec des herbes et servi sur un plat, un morceau de papier propre ou une planchette, ou un élément plus complexe de l’art culinaire qui garde mal-gré tout un très grand degré d’ouverture. Les tchevaps de Sarajevo sont sans doute le mets le plus caractéristique de ce paradigme, puisqu’on les mange le plus souvent dehors.Ils sont confectionnés à partir de viande hachée et d’épices. La viande, mélangée à ces derniers par quelque moyen mécanique, est ensuite modelée en petites boulettes oblongues, de forme phallique, puis grillée sur le feu et servie sur un petit plat non couvert. Peut-il exister davantage d’ouverture, davantage d’extériorité, de principe masculin à l’état pur ?Il en va tout autrement des mets relevant du paradigme gastronomique fermé. Ceux-ci sont pré-parés à l’intérieur, dans la maison, une fois que les invités en sont partis, dans le cercle de famille. Ils sont confectionnés à partir de légumes, de viande et d’épices. La meilleure illustration de ce paradigme est sans doute donnée par tout un groupe de mets que l’on désigne par le terme com-mun de dolma (légumes farcis). Les dolmas sont composées de farce, faite le plus souvent d’un mélange de viande hachée, d’épices et de différents légumes émincés, et de son contenant : poi-vron que l’on a ouvert en l’équeutant, pomme de terre creusée, oignon évidé, feuille de chou ou

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de vigne ou de tout autre ingrédient, du moment qu’il est suffisamment grand pour envelopper la boule de farce et qu’il s’attendrit à la cuisson. Si l’on utilise des poivrons, des pommes de terre ou des courgettes, on obtient la forme du légume farci ; si l’on emploie des feuilles, on obtient la forme de la boulette préparée à partir de viande, de légumes et d’épices. Lorsqu’on a confectionné suffisamment de dolmas, on les empile dans un récipient en forme d’amphore que l’on ferme her-métiquement au moyen d’un couvercle ou d’un parchemin solidement fixé autour du col. Puis on fait cuire à tout petit feu, sur un fourneau, suffisamment longtemps pour que tous les éléments du plat mitonnent dans leur propre jus. Chaque composante de la dolma doit conserver son goût originel ; pourtant, toutes ensemble, elles doivent en produire un nouveau, extrêmement com-plexe et incomparable. La dolma est, comme on peut le voir d’après cette description superficielle, un plat de structure dramatique. Elle est en cela très représentative de la culture bosnienne, elle en adopte la structure, elle lui ressemble et en respecte les lois. La dolma est le mets du principe féminin, du dedans, de ce qui est fermé. Et, en conséquence, de ce qui est tolérant, au point qu’on la considère comme ratée si l’un des éléments a perdu son goût originel au cours de la cuisson.Est-il besoin d’expliquer les rapports qui s’établissent entre ces deux paradigmes de la culture gastronomique bosnienne ? Est-il besoin d’insister sur le fait que l’on retrouve le même jeu que celui que nous avons mis au jour dans les rapports entre la Čaršija et les mahala, la cour du devant et le jardin de derrière, la partie masculine et la partie féminine de la maison ? Est-il besoin de répéter qu’en gastronomie comme ailleurs, chaque élément reflète, telle une boule de cristal, la mosaïque entière dont il fait partie ?Est-il besoin de dire qu’un ensemble aussi raffiné et complexe que l’est Sarajevo, où se reflète comme dans un miroir toute la Bosnie-Herzégovine, est forcément fragile ? Qu’il est naturel qu’il attire et fascine ceux qui sont encore prisonniers de la culture épique, de la même manière qu’une fleur sous une cloche de verre attire et fascine le sauvage ? Mais il faut souligner une différence fondamentale : si le sauvage se contente de regarder, émerveillé, la fleur sous la cloche de verre sans essayer de casser cette dernière pour s’emparer de ce qui l’enchante car, en tant qu’être em-preint de piété, il sait qu’alors le charme serait rompu, l’homme encore captif de la culture épique – culture qui consiste en une musique jouée sur un instrument monocorde – tourne autour de Sa-rajevo, ne la quitte pas des yeux, car elle lui échappe comme la fleur au sauvage, et il la casse car son semblant de culture (épique) lui a fait perdre le sens de la piété, la capacité de jouir d’un charme.

Dževad Karahasan, Un déménagement, Maren Sell & Calmann-Lévy, 1994, pp. 9-21 © Calmann-Lévy

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Notices biographiques

Gordana Anđelić-Galić est née à Mostar (Bos-nie-Herzégovine) en 1949. Après des études au département philosophie de l’Université de Sara-jevo et à l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo, elle expose depuis la fin des années 1980 aussi bien en Bosnie qu’à l’étranger, notamment à la Biennale d’art de Venise. Son œuvre aborde les problèmes de la globalisation, de la transition ainsi que la création de nouvelles identités individuelles et collectives. Elle utilise différentes techniques : installation, performance, vidéo, photographie ain-si que des interventions dans l’espace public. Elle vit et travaille à Sarajevo.www.gordanaandjelicgalic.com

Dante Buu est né à Rožaje (Monténégro). Enra-cinées dans l’intimité, à travers différents médias ses œuvres offrent une réponse à l’environnement socio-culturel brutal et à l’aliénation omniprésente au sein de la société. Les rôles liés aux genres, les identités, le sexe et les stéréotypes mis en place par des mécanismes de pouvoir sont remis en question et déconstruits, afin d’illustrer la façon dont ils s’étendent de la sphère privée à la sphère publique, et la quête personnelle de résistance et de subver-sion. Ce qui s’affirme comme ostensiblement beau, joyeux et accessible se voit démasqué pour en dé-voiler l’envers, qui affecte tant l’individu que le col-lectif. Ses installations, performances, vidéos ainsi que ses interventions dans l’espace public ont été exposées à Sarajevo, Prague, Vienne et Berlin.www.dantebuu.com

Pierre Courtin a étudié à l’école l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. En 2003-2004, il a été choisi pour assister à la post-formation In-troduction to exhibition présidée par Christian Ber-nard, directeur de la MAMCO à Genève. En 2005 la Fondation de France lui décerne le prix Keskar d’art. Installé depuis 2004 à Sarajevo, il y anime la galerie Duplex100m2 et présente régulièrement de nombreux artistes bosniens sur la scène artistique internationale. Pierre Courtin est également ar-tiste, depuis 2004 il travaille sur différentes séries de dessins au marqueur noir sur papier.www.duplex100m2.com

Nenad Dizdarević est né à Sarajevo en 1955. Il est à la fois scénariste, réalisateur et producteur. Après quatre films, dont Gazija (1981), Magareče godine (L’Âge ingrat, 1994) – inspiré d’une nou-velle autobiographique de Branko Ćopić publiée en 1960 – entre dans l’histoire comme le premier long-métrage de fiction réalisé et produit en Bos-nie-Herzégovine indépendante. La même année, il reçoit pour pour ce film la palme d’or de la Mostra de Valence du cinéma méditerranéen. Co-fonda-teur de l’Académie des arts scéniques de Sarajevo, il y enseigne et détient la fonction de doyen. Il vit et travaille à Sarajevo.

Asim Ðelilović est né à Vitez (Bosnie-Herzégo-vine) en 1964. Elève de l’architecte Zlatko Uglgen, il est diplômé de l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo où il enseigne comme professeur associé le design industriel. Il a exposé notamment à Saraje-vo, Ljubljana, Zagreb, Belgrade, Bratislava et Vienne. Parmi ses nombreuses publications : Museum in Exile (Sarajevo, 3ème édition révisée, 2016), Periphery Art. Art Works 1998-2016 (Sarajevo, 2016), et Drawing in Bosnian and Herzegovinian Design (Sarajevo, 2017). Il vit et tra-vaille à Sarajevo.www.asimartworks.com

Andrej Ðerković est né à Sarajevo en 1971. Il est diplômé de l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo, département arts graphiques. Il est l’un des fondateurs de la collection du Musée d’art contemporain de Sarajevo ARS AEVI. Ses expo-sitions individuelles se sont tenues dans de nom-breux pays, ses œuvres figurent dans les collections de divers musées d’art contemporain (notamment : Fototeca, Cuba, MACBA Barcelone, Museum für Kunst und Gewerbe, Hambourg, Musée National de Géorgie, Tbilissi, ARS AEVI, Sarajevo, Musée d’histoire de la Yougoslavie, Belgrade. Il vit et tra-vaille à Genève et à Sarajevo.www.andrej-djerkovic.com

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Notices biographiques

Pierre-Philippe Freymond vit et travaille à Ge-nève. Il a une double formation de plasticien et de généticien. Depuis une quinzaine d’années, il pour-suit un travail dans le domaine des arts plastiques, questionnant les rapports entre cultures scienti-fique et artistique, entre l’humain et l’animal, le corps et l’espace. Il partage actuellement son temps entre le travail d’atelier, l’enseignement de la biolo-gie et des arts plastiques, des voyages réguliers en Chine, et un intérêt marqué pour les Balkans.www.pfreymond.ch

Nela Hasanbegović est née à Sarajevo en 1984. Elle est diplômée de l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo, département sculpture, où elle enseigne en tant que maître-assistante. Elle prépare un doctorat à l’Académie des beaux-arts de Belgrade (Serbie). Son travail artistique – utilisant divers médias, notamment la sculpture, des instal-lations, des performances ainsi que des vidéos – a reçu de nombreux prix et distinctions. Active sur la scène artistique régionale et internationale depuis 12 ans, elle est membre de l’Association des artistes de Bosnie-Herzégovine et engagée dans l’Associa-tion culturelle et artistique Crvena (Sarajevo) ainsi que dans le réseau international Artnaut. www.nelahasanbegovic.com

Mak Hubjer, né à Sarajevo en 1993, a étudié à l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo, département peinture. Son travail artistique, réali-sé en studio et consistant souvent en des peintures et des installations (techniques mixtes), thématise les problèmes sociaux et se réclame d’un art enga-gé, exposant revendications et protestations dans le but de rapprocher les gens. Ses interventions ont pour objectif de transformer des espaces, initiale-ment non destinés à l’art, en lieux d’exposition. Il travaille et vit à Sarajevo, où il a fondé en 2016 la Galerie Brodac qu’il dirige.www.facebook.com/brodac4/

Damir Imamović est né à Sarajevo en 1978. Après des études de philosophie, il se tourne vers la mu-sique Sevdah. Ses premiers concerts ont lieu en 2005 à Sarajevo et au Centre Pompidou à Paris. Outre une carrière en solo, il est pleinement engagé dans son groupe, d’abord le Damir Imamović Trio et, depuis 2012, le Damir Imamović Sevdah Takht, qui tourne en Bosnie, Suisse, Allemagne, Italie, Turquie ainsi qu’aux États-Unis. En 2016, il sort Dvojka sous le label Glitterbeat. Avec le Sevdah.lab, il inaugure un laboratoire itinérant qui propose d’explorer de manière innovante les racines et l’es-thétique de la musique Sevdah.www.damirimamovic.com

Adela Jušić, née à Sarajevo en 1982, est diplômée de l’Ecole supérieure des arts appliqués de Saraje-vo. Elle a mené également des études en droits de l’homme aux Universités de Sarajevo et Bologne. Co-fondatrice de l’Association culturelle et artis-tique Crvena (Sarajevo), elle développe dans ce cadre différents projets culturels et féministes. Son travail artistique, souvent des installations et vi-déos, s’est vu décerner plusieurs prix et est réguliè-rement exposé en Europe (Paris, Londres, Moscou, Stockholm, Düsseldorf, Vienne, Zurich).www.adelajusic.wordpress.com

Dževad Karahasan est né en 1953 à Duvno (Bos-nie-Herzégovine). Après sa thèse de littérature soutenue à l’Université de Zagreb en 1986, il occupe la chaire de dramaturgie et histoire du théâtre de l’Université de Sarajevo jusqu’en 1993. Son travail d’écrivain embrasse aussi bien le monde du théâtre que le roman, le récit et la nouvelle. Un déménage-ment (1993) lui a valu plusieurs prix, dont le Prix européen de l’essai Charles Veillon ainsi que le Prix Bruno Kreisky en 1995. Die Schatten der Städte (2010) rassemble des essais sur la ville. Avec Der Trost des Nachthimmels (2016), il renoue avec succès avec le roman. Le lecteur francophone lira L’Âge de sable (2000), conte à tiroirs dans la veine des Mille et Une Nuits. Il vit et travaille à Graz et à Sarajevo.www.suhrkamp.de/autoren/dzevad_karahasan_2324.html

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Notices biographiques

Aleksandra Nina Knežević, née en 1973 à Sa-rajevo, est designer graphique et illustratrice. Ses œuvres ont été publiées dans plusieurs revues spécialisées. Elle a obtenu de nombreuses distinc-tions et prix. En 2010, elle a été classée parmi les 200 meilleurs illustrateurs du monde. Ses créations dans le domaine du design graphique (Sarajevo Dingbats) se sont vues récompenser par le grand prix du Collegium Artisticum en 2014. Présidente de l’Association des artistes visuels des arts ap-pliqués et des designers de Bosnie-Herzégovine (2006-2010), elle travaille comme graphiste indé-pendante à Sarajevo.www.behance.net/masinanina

Emina Kujundžić est née en 1980 au Caire. Elle est diplômée de l’Ecole supérieure des arts appli-qués de Sarajevo, département peinture. Depuis 2002, elle est présente sur la scène artistique tant nationale qu’internationale. Elle travaille notam-ment comme designer dans le monde du cinéma pour l’agence de production multimédia SCCA/Pro.ba. Membre de l’Association des cinéastes de Bosnie-Herzégovine, elle vit et travaille à Sarajevo.www.emina.ba

Almir Kurt dit Kugla vit et travaille en tant que graphiste à Sarajevo. Dans la sphère artistique, il est réputé pour son travail en duo Kurt&Plasto. Au travers de son action dans les domaines de l’art et de la culture, il entend contribuer à laisser un monde meilleur à son fils Sin.

Paul Lowe a assuré la couverture photographique de la chute du mur de Berlin, la libération de Man-dela, la famine en Afrique, les conflits en ex-You-goslavie et la destruction de Grozny. Ses travaux ont été publiés dans Time, Newsweek, Life, The Sunday Times Magazine, The Observer et The Independent. Il est professeur de photographie et directeur d’un Mas-ter en photojournalisme et photographie docu-mentaire au London College for Communication, Université des arts de Londre. Il vit et travaille à Sarajevo et Londres.www.arts.ac.uk

Edin Numankadić est né à Sarajevo en 1948. Après ses études, d’abord en art à l’Académie des sciences de l’éducation, puis en histoire de la littérature yougoslave à l’Université de Sarajevo, département philosophie, il s’est voué corps et âme à la peinture. Son œuvre, présentée dans plus de 300 expositions internationales, notamment à la Biennale d’art de Venise, a reçu de nombreux prix et distinctions. Il est le fondateur des cercles artistiques Space Shape et Stone. Membre du Comité olympique des Jeux de 1984, il est aujourd’hui le directeur du Musée olympique de la Ville de Sarajevo. Il vit et travaille à Sarajevo.

Daniel Premec est né à Sarajevo en 1976. Il est diplômé de l’Ecole supérieure des arts appliqués de Sarajevo, département sculpture, où il enseigne en tant que maître-assistant tout en terminant un doctorat qu’il soutiendra à l’Académie des beaux-arts de Belgrade (Serbie). Ses œuvres utilisent dif-férents médias, notamment la sculpture, des ins-tallations, des performances ainsi que des vidéos. Son travail a reçu plusieurs distinctions et prix. Depuis plus de vingt ans, il est présent sur la scène artistique régionale et internationale. Membre de diverses associations professionnelles, il est no-tamment actif dans l’Association culturelle et ar-tistique Crvena (Sarajevo) et le réseau internatio-nal Artnaut. www.premecdaniel.com

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Notices biographiques

Christophe Solioz est à l’origine de plusieurs initiatives citoyennes dans l’espace yougoslave (1992-2013). Anciennement président suisse de la Helsinki Citizens’ Assembly, puis fondateur et secré-taire général de l’Association Bosnia and Herzegovina 2005 puis du Center for European Integration Strategies, son travail porte sur l’analyse des processus de tran-sition et de démocratisation dans les Balkans. Il publie régulièrement aux éditions Nomos, où il di-rige avec Wolfgang Petritsch la collection Southeast European Integration Perspectives (SEIP). Depuis 2013, il est aussi professeur de philosophie et d’allemand au Collège de Genève.www.christophesolioz.ch

Danis Tanović est né à Zenica (Bosnie-Herzégo-vine) en 1969. Formé à l’Académie du film de Sara-jevo, il s’engage pendant la guerre dans l’armée de la République de Bosnie-Herzégovine, pour laquelle il tourne des documentaires avant d’organiser les ar-chives du film des Forces armées bosniennes. Il se rend en 1994 en Belgique, pour parfaire sa forma-tion de réalisateur à l’Institut national supérieur des arts du spectacle. Son premier long-métrage No Man’s Land (2001) sera couronné de plusieurs prix, dont l’Oscar du meilleur film étranger. Avec Mort à Sarajevo (2016), adapté d’une pièce de Bernard-Hen-ri Lévy, il explore les peurs existentielles et les di-lemmes moraux de l’Europe contemporaine. Le film a été récompensé par l’Ours d’argent à la Berlinale de 2016. Il vit et travaille à Sarajevo, où il enseigne la réalisation à l’Académie des arts scéniques.

Nardina Zubanović est née à Sarajevo en 1987. Elle est diplômée de l’Ecole supérieure d’arts ap-pliqués de Sarajevo, département sculpture, et poursuit ses études à l’Université de Sarajevo. Son travail artistique emploie différents médias : vi-déo, photographie, installation, performances. Elle questionne la façon dont l’art et l’artiste participent à la construction de la société. Elle a fondé en 2009 le groupe informel Kolektiv Kreativa, qui organise des performances et des événements, et collabore avec divers acteurs culturels en Europe. Elle est aussi ac-tive dans l’Association culturelle et artistique Crve-na (Sarajevo). Elle vit et travaille à Sarajevo.www.nardinazubanovic.wordpress.com

Edin Zubčević, né à Sarajevo en 1969, est le fon-dateur et directeur artistique à la fois du label Gra-mofon et du Sarajevo Jazz Festival. Il a produit plus de 30 CD, DVD et livres dans le cadre de son label fondé en 2003, et organisé plusieurs centaines de concerts allant du concert de musique de chambre au show pop-rock. Il a été membre du jury du Prix européen de Jazz et est membre du comité de la fondation Open Society en Bosnie-Herzégovine. Il vit et travaille à Sarajevo en tant que PR indépen-dant, manager d’artistes, écrivain et enseignant à l’Académie de musique de Sarajevo.www.jazzfest.bawww.gramofon.ba

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Pour leur présence en classe et/ou soutien : Kasim Bajrović (Sarajevo), Damir Begović (Sarajevo), Jean-François Berger (Genève), Serge Chabey (Genève), Andrej Đerković (Sarajevo & Genève), Vjekoslav Domiljan (Sarajevo), Yvana Enzler (Berne), Mersiha Halilović (Sarajevo), Almir Kurt (Sarajevo), Senka Kurt (Sarajevo), Anela Lemeš (Sarajevo), Hervé Loichemol (Genève), Jasmina Pašalić (Sarajevo), Ambassadeur Andrea Rauber Saxer (Sarajevo), René Rieder (Genève), Nenad Stojanović (Berne), Milomir Kovačević Strašni (Paris), Florence Vuilleumier (Genève)

Personnes rencontrées à Sarajevo : Gordana Andjelić-Galić, Bojan Bajić, Kasim Bajrović, Damir Begović, Andrea Čavar, Ivo Kaunitz, Pierre Courtin, Sabina Ćudić, Nenad Dizdarević, Asim Ðelilović, Vjekoslav Domiljan, Adelata Durmić Pasić, Emin Eminagić, Jakob Finci, Nela Hasanbegović, Mak Hubjer, Damir Imamović, Adela Jušić, Andrea Čavar, Nihad Katica, Ivo Kaunitz, Aleksandra Nina Knežević, Emina Kujundžić, Almir Kurt, Senka Kurt, Sin Kurt, Paul Lowe, Boriša Mravić, Edin Numankadić, Jasmina Pašalić, Daniel Premec, Ambassadeur Andrea Rauber Saxer (Sarajevo), Danis Tanović, Lamija Tiro, Osman Topčagić, Nardina Zubanović, Edin Zubčević

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Titre : Sarajevo – l*a*tribu*t de l'art

Editeurs : Pierre Courtin, Pierre-Philippe Freymond & Christophe Solioz

Etudiants :Sydney Amadasun, Oliver Bachar, Mihaela Berezantev, Balthazar Bujard, Lucien Camacho, Amaury Champion, Clara Da Broi, Alexandre Di Giuseppe, Sabrina Forsell, Yonathan Haccoun, Géorgia Honegger, Megan Howarth, Hugo Lehmann, Linus Leuch, Mathieu Lutz, Théo Mader, Chloé Roehrich, Julien Schenkel, Quentin Toso

Artistes interviewés :Gordana Anđelić-Galić, Dante Buu, Pierre Courtin, Nenad Dizdarević, Asim Đelilović, Andrej Đerković, Nela Hasanbegović, Mak Hubjer, Damir Imamović, Adela Jušić, Aleksandra Nina Knežević, Emina Kujundžić, Almir Kurt, Paul Lowe, Edin Numankadić, Daniel Premec, Danis Tanović, Nardina Zubanović, Edin Zubčević

Directeur de projet :Christophe Solioz, Genève

Couverture & Graphisme : Aleksandra Nina Knežević, Sarajevo

Mise au point des textes :Géraldine Solioz, Carouge

Correction et révision :Sophie Képès, Paris

Partenariat :Galerie Duplex 100m2, Sarajevo

Imprimerie :Amos Graf, Sarajevo

Tirage : 400

© Riveneuve éditions, Paris & Duplex 100m2, Sarajevo