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² NEWSLETTER CeDIE - Centre Charles de Visscher pour le droit international et européen EDEM Place Montesquieu, 2 1348 Louvain-la-Neuve Belgique Tél. 010 47 84 53 [email protected] Contact : Sylvie Sarolea [[email protected]] Jean-Yves Carlier [[email protected]] Emmanuelle Néraudau [[email protected]] Luc Leboeuf [[email protected]] Lilian Tsourdi [[email protected]] Matthieu Lys [[email protected]] Hélène Gribomont [[email protected]] Trésor Maheshe Musole [[email protected]] Jean-Baptiste Farcy [[email protected]] Géraldine Renaudière [[email protected]] La newsletter EDEM a vu le jour dans le cadre du projet de recherche fonds européen pour les réfugiés – UCL. Mars 2017 Cette newsletter est rédigée par l'EDEM, l’équipe Droits européens et migrations, constituée à l’UCL au sein du CeDIE. Elle, se propose de présenter quelques arrêts récents d’une juridiction nationale ou européenne dans ses domaines d'études, à savoir la mise en œuvre du droit européen de l’asile et de l’immigration en droit belge. L’équipe EDEM organise avec d’autres centres de recherche en sciences humaines un cycle de conférence intitulé « Migrations : regards croisés ». Ces conférences proposent un regard interdisciplinaire sur les questions migratoires. Les conférences se dérouleront à Louvain-la-Neuve un vendredi par mois d’octobre à mai. Les personnes intéressées peuvent déjà noter les dates et sujets suivants : - Vendredi 21 avril 2017 : 14h – 16h30 : Migrations et familles. (auditoire SCES 02) - Vendredi 12 mai 2017 : 14h – 16h30 : Migrations, violence et santé. (auditoire SUD 08) - Vendredi 12 mai 2017 : 18h30 – 22h : Migrations : regards croisés en images et en musique (Ferme du Biéreau, Louvain-la-Neuve) L’inscription est gratuite mais obligatoire – ici - sur la page UCL du CeDIE (Actualités) En fonction de l’actualité et de la date de parution de la newsletter, l’équipe insérera dans celle-ci de brèves annonces de jurisprudences toutes récentes, qui pourront faire l’objet d’un commentaire plus approfondi le mois suivant. C’est le cas cette fois des ordonnances du Tribunal de première instance de l’Union européenne du 28 février 2017 par lesquelles il se déclare incompétent pour connaître des recours de trois demandeurs d’asile à l’encontre de la déclaration UE-Turquie tendant à résoudre la crise migratoire. Sommaire 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, arrêt du 7 mars 2017, X. et X., ECLI:EU:C:2017:173 : Délivrer un visa humanitaire visant à obtenir une protection internationale au titre de l’asile ne relève pas du droit de l’Union : X. et X. , ou quand le silence est signe de faiblesse ........ 3 Le droit de l’Union européenne n’impose pas aux États membres d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l’asile. Ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national. Renvoi préjudiciel – Code communautaire des visas - Règlement (CE) n° 810/2009 – Art. 25, paragraphe 1, sous a) – Visa à validité territoriale limitée – Visa pour motif humanitaire ou pour honorer des obligations internationales – Notion d’ obligations internationales – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Convention de Genève – Situation extraterritoriale - Délivrance d’un visa dans l’hypothèse d’un risque avéré d’une violation des articles 4 et/ou 18 de la charte des droits fondamentaux – Absence d’obligation.

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CeDIE - Centre Charles de Visscher pour le droit international et europeacuteen EDEM Place Montesquieu 2 1348 Louvain-la-Neuve Belgique Teacutel 010 47 84 53 cedieuclouvainbe

Contact Sylvie Sarolea [sylviesaroleauclouvainbe] Jean-Yves Carlier [jean-yvescarlieruclouvainbe] Emmanuelle Neacuteraudau [eneraudaugmailcom] Luc Leboeuf [lucleboeufuclouvainbe] Lilian Tsourdi [evangeliatsourdiuclouvainbe] Matthieu Lys [matthieulysuclouvainbe] Heacutelegravene Gribomont [helenegribomontuclouvainbe] Treacutesor Maheshe Musole [musolemahesheuclouvainbe] Jean-Baptiste Farcy [jean-baptistefarcyuclouvainbe] Geacuteraldine Renaudiegravere [geraldinerenaudiereuclouvainbe]

La newsletter EDEM a vu le jour dans le cadre du projet de recherche fonds europeacuteen pour les reacutefugieacutes ndash UCL

Mars 2017

2015

Cette newsletter est reacutedigeacutee par lEDEM lrsquoeacutequipe Droits europeacuteens et migrations constitueacutee agrave lrsquoUCL au sein du

CeDIE Elle se propose de preacutesenter quelques arrecircts reacutecents drsquoune juridiction nationale ou europeacuteenne dans ses

domaines deacutetudes agrave savoir la mise en œuvre du droit europeacuteen de lrsquoasile et de lrsquoimmigration en droit belge

Lrsquoeacutequipe EDEM organise avec drsquoautres centres de recherche en sciences humaines un cycle de confeacuterence

intituleacute laquo Migrations regards croiseacutes raquo Ces confeacuterences proposent un regard interdisciplinaire sur les

questions migratoires Les confeacuterences se deacuterouleront agrave Louvain-la-Neuve un vendredi par mois drsquooctobre agrave

mai Les personnes inteacuteresseacutees peuvent deacutejagrave noter les dates et sujets suivants

- Vendredi 21 avril 2017 14h ndash 16h30 Migrations et familles (auditoire SCES 02)

- Vendredi 12 mai 2017 14h ndash 16h30 Migrations violence et santeacute (auditoire SUD 08)

- Vendredi 12 mai 2017 18h30 ndash 22h Migrations regards croiseacutes en images et en musique (Ferme du

Bieacutereau Louvain-la-Neuve)

Lrsquoinscription est gratuite mais obligatoire ndash ici - sur la page UCL du CeDIE (Actualiteacutes)

En fonction de lrsquoactualiteacute et de la date de parution de la newsletter lrsquoeacutequipe inseacuterera dans celle-ci de bregraveves

annonces de jurisprudences toutes reacutecentes qui pourront faire lrsquoobjet drsquoun commentaire plus approfondi le mois

suivant Crsquoest le cas cette fois des ordonnances du Tribunal de premiegravere instance de lrsquoUnion europeacuteenne du 28

feacutevrier 2017 par lesquelles il se deacuteclare incompeacutetent pour connaicirctre des recours de trois demandeurs drsquoasile agrave

lrsquoencontre de la deacuteclaration UE-Turquie tendant agrave reacutesoudre la crise migratoire

Sommaire

1 CJUE C-63816 PPU arrecirct du 7 mars 2017 X et X ECLIEUC2017173 Deacutelivrer un

visa humanitaire visant agrave obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne

relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou quand le silence est signe de faiblesse 3

Le droit de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoimpose pas aux Eacutetats membres drsquoaccorder un visa humanitaire

aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans lrsquointention de demander lrsquoasile Ils

demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national

Renvoi preacutejudiciel ndash Code communautaire des visas - Regraveglement (CE) ndeg 8102009 ndash Art 25 paragraphe 1

sous a) ndash Visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee ndash Visa pour motif humanitaire ou pour honorer des obligations

internationales ndash Notion drsquo obligations internationales ndash Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne ndash Convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes

fondamentales ndash Convention de Genegraveve ndash Situation extraterritoriale - Deacutelivrance drsquoun visa dans

lrsquohypothegravese drsquoun risque aveacutereacute drsquoune violation des articles 4 etou 18 de la charte des droits fondamentaux

ndash Absence drsquoobligation

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2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NF NG et NMConseil europeacuteen aff T-19216 T-19316 et T-25716 Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences 10

Le Tribunal de lrsquoUE se deacuteclare incompeacutetent pour connaicirctre des recours de trois demandeurs drsquoasile

agrave lrsquoencontre de la deacuteclaration UE-Turquie tendant agrave reacutesoudre la crise migratoire au motif qursquoil a

eacuteteacute neacutegocieacute et conclu par les repreacutesentants des Etats membres agissant en leur qualiteacute de chefs

drsquoEtat ou de gouvernement et non en tant que membres du Conseil europeacuteen Cet accord peu

importe sa nature nrsquoest donc pas un acte drsquoune institution europeacuteenne Ce faisant la compeacutetence

du Tribunal nrsquoest pas fondeacutee au regard de lrsquoarticle 263 du TFUE Outre le raisonnement alambiqueacute

du Tribunal cette deacuteclaration drsquoincompeacutetence nrsquoest pas sans conseacutequence tant sur le plan

institutionnel qursquoau regard des droits fondamentaux

Accord UE-Turquie ndash Chefs drsquoEtat ou de gouvernement ndash Conseil europeacuteen ndash Accord Intergouvernemental

ndash Incompeacutetence du Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne

3 CJUE arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101 Interpreacutetation du droit

drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la

protection subsidiaire confirmation et preacutecision 19

Saisie drsquoune question preacutejudicielle la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne estime que le droit

drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas dans le cadre drsquoune proceacutedure drsquooctroi de la protection internationale

en deux temps que le demandeur de protection subsidiaire beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral

relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins agrave

lrsquooccasion de cet entretien Elle preacutecise neacuteanmoins qursquoun entretien oral doit ecirctre organiseacute lorsque

des circonstances speacutecifiques tenant aux eacuteleacutements dont dispose lrsquoautoriteacute compeacutetente ou agrave la

situation personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire le

rendent neacutecessaire pour statuer en pleine connaissance

Protection subsidiaire ndash droit drsquoecirctre entendu ndash neacutecessiteacute drsquoune audition ndash droit drsquoappeler et de contre-

interroger des teacutemoins ndash vulneacuterabiliteacute particuliegravere

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1 CJUE C-63816 PPU ARREcircT DU 7 MARS 2017 X ET X

ECLIEUC2017173

Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne

relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou quand le silence est signe de faiblesse

A Arrecirct

La Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute saisie drsquoune question preacutejudicielle poseacutee par un arrecirct

de lrsquoassembleacutee geacuteneacuterale du Conseil du contentieux des eacutetrangers (ci-apregraves le CCE) du 8 deacutecembre

2016

Cette affaire est conseacutecutive au deacutepocirct drsquoune demande de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee introduite

par une famille syrienne aupregraves de lrsquoambassade de Belgique agrave Beyrouth Cette demande a eacuteteacute

introduite sur le fondement de lrsquoarticle 25 sect1er a) du Code communautaire des visas (Regraveglement CE

ndeg 8102009) Les requeacuterants ont invoqueacute agrave lrsquoappui de leur demande de visa qursquoils veulent quitter la

ville assieacutegeacutee drsquoAlep afin drsquointroduire une demande dasile en Belgique Ils invoquent la situation

seacutecuritaire preacutecaire en Syrie en geacuteneacuteral et agrave Alep en particulier le fait qursquoils sont de confession

chreacutetienne orthodoxe et des perseacutecutions subies par lrsquoun des requeacuterants Ils preacutecisent qursquoil leur est

impossible de se faire enregistrer comme reacutefugieacutes dans les pays limitrophes eu eacutegard agrave la fermeture

de la frontiegravere entre le Liban et la Syrie

LrsquoOffice des eacutetrangers a rejeteacute cette demande de visa Saisi par une requecircte en suspension drsquoextrecircme

urgence le CCE interroge la Cour de justice quant agrave la porteacutee des obligations internationales viseacutees agrave

lrsquoarticle 25 du Code des visas Ces obligations visent-elles lrsquoensemble des droits garantis par la Charte

des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Parmi ces droits figurent lrsquo article 4 relatif agrave

lrsquointerdiction de la torture et des traitements inhumains et deacutegradants et lrsquoarticle 18 relatif au droit

drsquoasile ainsi que les obligations auxquelles sont tenus les Eacutetats membres sur la base de la

Convention europeacuteenne des droits de lhomme et de lrsquoarticle 33 de la Convention de Genegraveve Plus

preacuteciseacutement lrsquoarticle 25 du Code communautaire des visas doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoEacutetat membre saisi drsquoune telle demande doit deacutelivrer le visa srsquoil y a un risque de violation de lrsquoarticle

4 ou de lrsquoarticle 18 de la Charte ou drsquoune autre obligation internationale sous reacuteserve de sa marge

drsquoappreacuteciation lieacutee aux circonstances de lrsquoespegravece Une seconde question interroge la porteacutee de

lrsquoexistence drsquoattaches entre le demandeur et la Belgique

La Cour de justice traite la demande selon la proceacutedure drsquourgence

La Cour de justice estime que le Code des visas adopteacute sur le fondement de lrsquoarticle 62 TFUE vise les

visas relatifs agrave des seacutejours drsquoune dureacutee maximale de 90 jours Or en lrsquooccurrence les demandes de

visa ont eacuteteacute formeacutees aux fins de demander lrsquoasile et donc de se voir deacutelivrer un titre de seacutejour dont la

dureacutee de validiteacute nrsquoest pas limiteacutee agrave 90 jours La Cour en deacuteduit que ces visas ne relegravevent pas du

champ drsquoapplication du Code des visas

La Cour suit le gouvernement belge et la Commission europeacuteenne pour souligner qursquoaucun acte nrsquoa

eacuteteacute adopteacute par le leacutegislateur de lrsquoUnion en ce qui concerne les conditions de deacutelivrance par les Eacutetats

membres de visas ou de titres de seacutejour de longue dureacutee pour des motifs humanitaires Il srsquoensuit

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que ces demandes relegravevent du seul droit national La situation qui fait lrsquoobjet de la question

preacutejudicielle nrsquoest pas reacutegie par le droit de lrsquoUnion de sorte que les dispositions de la Charte ne sont

pas applicables Le fait que lrsquoarticle 32 sect1er sous b) du Code des visas eacuterige en motif de refus de visa

lrsquoexistence drsquoun doute raisonnable sur la volonteacute du demandeur de quitter le territoire des Eacutetats

membres avant lrsquoexpiration du visa demandeacute ne modifie pas la conclusion de la Cour En effet dans

le cas drsquoespegravece il nrsquoy a pas de doute quant agrave lrsquointention des requeacuterants drsquoensuite solliciter un droit de

seacutejour au titre de lrsquoasile qursquoils assument clairement Il en reacutesulte selon la Cour que leur demande a

un objet diffeacuterent de la demande drsquoun visa de courte dureacutee

La Cour preacutecise enfin qursquoune conclusion contraire impliquerait que le Code des visas impose aux Eacutetats

de permettre agrave des ressortissants de pays tiers drsquointroduire une demande de protection

internationale aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres situeacutees sur le territoire des Eacutetats tiers

Tel nrsquoest pas lrsquoobjectif de ce Code qui nrsquoa pas pour objet drsquoharmoniser les leacutegislations des Eacutetats

membres quant agrave la protection internationale Agrave ce sujet la Cour preacutecise que les textes de droit

deacuteriveacute relatifs au droit europeacuteen de lrsquoasile nrsquoont pas un champ drsquoapplication extraterritorial Lrsquoarticle

3 sect1er 2deg de la Directive 201332 relative aux proceacutedures drsquoasile est applicable aux demandes de

protection internationale preacutesenteacutees sur le territoire des Eacutetats membres en ce compris agrave la frontiegravere

dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit mais pas aux demandes dasile diplomatique

ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres Les articles 1er et 3 du

regraveglement 6042013 (Dublin) obligent uniquement les Eacutetats agrave examiner les demandes de protection

internationale preacutesenteacutees sur leur territoire en ce compris agrave la frontiegravere ou dans une zone de transit

La Cour conclut agrave lrsquoinapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion

B Eacuteclairage

La Cour nrsquoa pas suivi les conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi Au terme drsquoun examen long

de vingt-et-une pages celui-ci consideacuterait que le Code des visas srsquoappliquait et que son article 25

relatif au visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee devait ecirctre interpreacuteteacute laquo en ce sens que lrsquoEacutetat membre

solliciteacute par un ressortissant drsquoun pays tiers afin de lui deacutelivrer un visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee au

motif de lrsquoexistence de raisons humanitaires est tenu de deacutelivrer un tel visa si eu eacutegard aux

circonstances de lrsquoespegravece il existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire que le refus de proceacuteder agrave la

deacutelivrance de ce document conduira agrave la conseacutequence directe drsquoexposer ce ressortissant agrave subir des

traitements [inhumains ou deacutegradants] prohibeacutes par lrsquoarticle 4 de la charte des droits fondamentaux

en le privant drsquoune voie leacutegale pour exercer son droit de demander une protection internationale

dans cet Eacutetat membre raquo

Lrsquoessentiel des consideacuterations de lrsquoavocat geacuteneacuteral portaient drsquoune part sur lrsquoapplication de la Charte

agrave lrsquoarticle 25 du Code des visas qui permet aux Eacutetats dans lrsquoexercice de leur souveraineteacute de deacutelivrer

un visa agrave territorialiteacute limiteacutee et drsquoautre part sur les obligations positives des Eacutetats dans le respect

des droits fondamentaux proteacutegeacutes par la Charte lorsqursquoils exercent cette souveraineteacute La Cour en

deacutecidant que la question ne relegraveve pas du champ du droit de lrsquoUnion nrsquoa pas eu agrave examiner la

question du champ drsquoapplication de la Charte Cette question meacuteriterait un commentaire approfondi

Le preacutesent commentaire se limite agrave lrsquoapplicabiliteacute ou non du droit de lrsquoUnion agrave une demande de visa agrave

validiteacute territoriale limiteacutee pour motif humanitaire en vue de demander lrsquoasile

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Faut-il consideacuterer que la Cour a fait une interpreacutetation erroneacutee du droit de lrsquoUnion au vu des

conseacutequences politiques et eacuteconomiques de sa deacutecision Admettons que quelle que fut la deacutecision

de la Cour elle eucirct vraisemblablement eacuteteacute lue par les uns ou les autres comme laquo politique raquo Il reste

que laquo si les conseacutequences pratiques de toute deacutecision juridictionnelle doivent ecirctre peseacutees avec soin

on ne saurait aller jusqursquoagrave infleacutechir lrsquoobjectiviteacute du droit et compromettre son application en raison

des reacutepercussions qursquoune deacutecision de justice peut entraicircner raquo affirmait la Cour dans lrsquoarrecirct Bosman

de 1995 Dans cet arrecirct elle fit preuve de grande audace pour condamner les modaliteacutes de transfert

des joueurs de football professionnels au titre drsquoentraves indistinctement applicables agrave la libre

circulation des travailleurs (pt 77) Agrave dire vrai lrsquoerreur est de croire en une absolue laquo objectiviteacute du

droit raquo Particuliegraverement en droit europeacuteen comme la Cour lrsquoa montreacute freacutequemment le texte

imprime un cadre au sein duquel des interpreacutetations diverses sont possibles Tel est preacuteciseacutement

lrsquoobjet de la question preacutejudicielle en interpreacutetation du droit de lrsquoUnion Dans lrsquoaffaire des visas

humanitaires deux lectures eacutetaient possibles Lrsquoune consistait agrave dire pour droit que toute demande

de visa comportant une intention de seacutejour de plus de 90 jours nrsquoentre pas dans le champ

drsquoapplication du Code des visas Telle est la position de la Cour motiveacutee par les eacuteleacutements exposeacutes ci-

dessus Lrsquoautre consistait agrave dire que toute demande de visa de court seacutejour entre dans le champ

drsquoapplication du Code des visas indeacutependamment de lrsquointention de seacutejour ulteacuterieur Ce nrsquoest

qursquoensuite qursquoil conviendrait drsquoexaminer les motifs drsquooctroi ou de refus de ce visa Telle eacutetait la

position de lrsquoavocat geacuteneacuteral Telle est notre position Pour les motifs exposeacutes ci-dessous nous

consideacuterons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ drsquoapplication du code des

visas (I) ou agrave tout le moins dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion (II)

I Le champ drsquoapplication du Code des visas

Lrsquoarticle 1er du Code indique clairement que laquo le preacutesent regraveglement fixe les proceacutedures et conditions

de deacutelivrance des visas pour les transits ou les seacutejours preacutevus sur le territoire des Eacutetats membres

drsquoune dureacutee maximale de 90 jours raquo Crsquoest ce qursquoil est convenu drsquoappeler le seacutejour touristique qui

offre lrsquoaccegraves au territoire et un droit de seacutejour pour la dureacutee indiqueacutee sur le visa dureacutee qui ne pourra

pas deacutepasser 90 jours Fallait-il consideacuterer qursquoen lrsquoespegravece la demande de visa ne correspondait pas agrave

ce champ drsquoapplication en raison de ce qursquoelle se faisait selon les termes du dispositif de lrsquoarrecirct de la

Cour laquo dans lrsquointention drsquointroduire degraves son arriveacutee dans cet Eacutetat membre une demande de

protection internationale raquo Non pour trois motifs

1 Ambiguiumlteacute du critegravere de lrsquointention

Chacun devine la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention pour mesurer le champ drsquoapplication drsquoun texte

Une fois preacutevenu de la chose il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le

champ drsquoapplication du texte Le visage de la fraude et de lrsquoabus de droit se profile Ceci entraicircne un

examen qui doit porter sur le fond de la demande non sur le champ drsquoapplication du texte Tel est

bien lrsquoobjet de lrsquoarticle 32 paragraphe 1 sous b) du Code qui permet de refuser le visa laquo srsquoil existe des

doutes raisonnables hellip sur [la] volonteacute de quitter le territoire des Eacutetats membres avant lrsquoexpiration du

visa demandeacute raquo Consideacuterer comme le fait la Cour qursquoil srsquoagit non drsquoun motif de refus mais drsquoune

cause de non-application du Code au motif que la demande a laquo un objet diffeacuterent raquo consiste agrave

introduire une diffeacuterence de traitement qui favorise le fraudeur qui nrsquoexprime pas son intention par

rapport agrave la personne qui exprime honnecirctement les motifs humanitaires de sa demande drsquoaccegraves au

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 2: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NF NG et NMConseil europeacuteen aff T-19216 T-19316 et T-25716 Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences 10

Le Tribunal de lrsquoUE se deacuteclare incompeacutetent pour connaicirctre des recours de trois demandeurs drsquoasile

agrave lrsquoencontre de la deacuteclaration UE-Turquie tendant agrave reacutesoudre la crise migratoire au motif qursquoil a

eacuteteacute neacutegocieacute et conclu par les repreacutesentants des Etats membres agissant en leur qualiteacute de chefs

drsquoEtat ou de gouvernement et non en tant que membres du Conseil europeacuteen Cet accord peu

importe sa nature nrsquoest donc pas un acte drsquoune institution europeacuteenne Ce faisant la compeacutetence

du Tribunal nrsquoest pas fondeacutee au regard de lrsquoarticle 263 du TFUE Outre le raisonnement alambiqueacute

du Tribunal cette deacuteclaration drsquoincompeacutetence nrsquoest pas sans conseacutequence tant sur le plan

institutionnel qursquoau regard des droits fondamentaux

Accord UE-Turquie ndash Chefs drsquoEtat ou de gouvernement ndash Conseil europeacuteen ndash Accord Intergouvernemental

ndash Incompeacutetence du Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne

3 CJUE arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101 Interpreacutetation du droit

drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la

protection subsidiaire confirmation et preacutecision 19

Saisie drsquoune question preacutejudicielle la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne estime que le droit

drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas dans le cadre drsquoune proceacutedure drsquooctroi de la protection internationale

en deux temps que le demandeur de protection subsidiaire beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral

relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins agrave

lrsquooccasion de cet entretien Elle preacutecise neacuteanmoins qursquoun entretien oral doit ecirctre organiseacute lorsque

des circonstances speacutecifiques tenant aux eacuteleacutements dont dispose lrsquoautoriteacute compeacutetente ou agrave la

situation personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire le

rendent neacutecessaire pour statuer en pleine connaissance

Protection subsidiaire ndash droit drsquoecirctre entendu ndash neacutecessiteacute drsquoune audition ndash droit drsquoappeler et de contre-

interroger des teacutemoins ndash vulneacuterabiliteacute particuliegravere

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1 CJUE C-63816 PPU ARREcircT DU 7 MARS 2017 X ET X

ECLIEUC2017173

Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne

relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou quand le silence est signe de faiblesse

A Arrecirct

La Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute saisie drsquoune question preacutejudicielle poseacutee par un arrecirct

de lrsquoassembleacutee geacuteneacuterale du Conseil du contentieux des eacutetrangers (ci-apregraves le CCE) du 8 deacutecembre

2016

Cette affaire est conseacutecutive au deacutepocirct drsquoune demande de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee introduite

par une famille syrienne aupregraves de lrsquoambassade de Belgique agrave Beyrouth Cette demande a eacuteteacute

introduite sur le fondement de lrsquoarticle 25 sect1er a) du Code communautaire des visas (Regraveglement CE

ndeg 8102009) Les requeacuterants ont invoqueacute agrave lrsquoappui de leur demande de visa qursquoils veulent quitter la

ville assieacutegeacutee drsquoAlep afin drsquointroduire une demande dasile en Belgique Ils invoquent la situation

seacutecuritaire preacutecaire en Syrie en geacuteneacuteral et agrave Alep en particulier le fait qursquoils sont de confession

chreacutetienne orthodoxe et des perseacutecutions subies par lrsquoun des requeacuterants Ils preacutecisent qursquoil leur est

impossible de se faire enregistrer comme reacutefugieacutes dans les pays limitrophes eu eacutegard agrave la fermeture

de la frontiegravere entre le Liban et la Syrie

LrsquoOffice des eacutetrangers a rejeteacute cette demande de visa Saisi par une requecircte en suspension drsquoextrecircme

urgence le CCE interroge la Cour de justice quant agrave la porteacutee des obligations internationales viseacutees agrave

lrsquoarticle 25 du Code des visas Ces obligations visent-elles lrsquoensemble des droits garantis par la Charte

des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Parmi ces droits figurent lrsquo article 4 relatif agrave

lrsquointerdiction de la torture et des traitements inhumains et deacutegradants et lrsquoarticle 18 relatif au droit

drsquoasile ainsi que les obligations auxquelles sont tenus les Eacutetats membres sur la base de la

Convention europeacuteenne des droits de lhomme et de lrsquoarticle 33 de la Convention de Genegraveve Plus

preacuteciseacutement lrsquoarticle 25 du Code communautaire des visas doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoEacutetat membre saisi drsquoune telle demande doit deacutelivrer le visa srsquoil y a un risque de violation de lrsquoarticle

4 ou de lrsquoarticle 18 de la Charte ou drsquoune autre obligation internationale sous reacuteserve de sa marge

drsquoappreacuteciation lieacutee aux circonstances de lrsquoespegravece Une seconde question interroge la porteacutee de

lrsquoexistence drsquoattaches entre le demandeur et la Belgique

La Cour de justice traite la demande selon la proceacutedure drsquourgence

La Cour de justice estime que le Code des visas adopteacute sur le fondement de lrsquoarticle 62 TFUE vise les

visas relatifs agrave des seacutejours drsquoune dureacutee maximale de 90 jours Or en lrsquooccurrence les demandes de

visa ont eacuteteacute formeacutees aux fins de demander lrsquoasile et donc de se voir deacutelivrer un titre de seacutejour dont la

dureacutee de validiteacute nrsquoest pas limiteacutee agrave 90 jours La Cour en deacuteduit que ces visas ne relegravevent pas du

champ drsquoapplication du Code des visas

La Cour suit le gouvernement belge et la Commission europeacuteenne pour souligner qursquoaucun acte nrsquoa

eacuteteacute adopteacute par le leacutegislateur de lrsquoUnion en ce qui concerne les conditions de deacutelivrance par les Eacutetats

membres de visas ou de titres de seacutejour de longue dureacutee pour des motifs humanitaires Il srsquoensuit

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que ces demandes relegravevent du seul droit national La situation qui fait lrsquoobjet de la question

preacutejudicielle nrsquoest pas reacutegie par le droit de lrsquoUnion de sorte que les dispositions de la Charte ne sont

pas applicables Le fait que lrsquoarticle 32 sect1er sous b) du Code des visas eacuterige en motif de refus de visa

lrsquoexistence drsquoun doute raisonnable sur la volonteacute du demandeur de quitter le territoire des Eacutetats

membres avant lrsquoexpiration du visa demandeacute ne modifie pas la conclusion de la Cour En effet dans

le cas drsquoespegravece il nrsquoy a pas de doute quant agrave lrsquointention des requeacuterants drsquoensuite solliciter un droit de

seacutejour au titre de lrsquoasile qursquoils assument clairement Il en reacutesulte selon la Cour que leur demande a

un objet diffeacuterent de la demande drsquoun visa de courte dureacutee

La Cour preacutecise enfin qursquoune conclusion contraire impliquerait que le Code des visas impose aux Eacutetats

de permettre agrave des ressortissants de pays tiers drsquointroduire une demande de protection

internationale aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres situeacutees sur le territoire des Eacutetats tiers

Tel nrsquoest pas lrsquoobjectif de ce Code qui nrsquoa pas pour objet drsquoharmoniser les leacutegislations des Eacutetats

membres quant agrave la protection internationale Agrave ce sujet la Cour preacutecise que les textes de droit

deacuteriveacute relatifs au droit europeacuteen de lrsquoasile nrsquoont pas un champ drsquoapplication extraterritorial Lrsquoarticle

3 sect1er 2deg de la Directive 201332 relative aux proceacutedures drsquoasile est applicable aux demandes de

protection internationale preacutesenteacutees sur le territoire des Eacutetats membres en ce compris agrave la frontiegravere

dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit mais pas aux demandes dasile diplomatique

ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres Les articles 1er et 3 du

regraveglement 6042013 (Dublin) obligent uniquement les Eacutetats agrave examiner les demandes de protection

internationale preacutesenteacutees sur leur territoire en ce compris agrave la frontiegravere ou dans une zone de transit

La Cour conclut agrave lrsquoinapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion

B Eacuteclairage

La Cour nrsquoa pas suivi les conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi Au terme drsquoun examen long

de vingt-et-une pages celui-ci consideacuterait que le Code des visas srsquoappliquait et que son article 25

relatif au visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee devait ecirctre interpreacuteteacute laquo en ce sens que lrsquoEacutetat membre

solliciteacute par un ressortissant drsquoun pays tiers afin de lui deacutelivrer un visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee au

motif de lrsquoexistence de raisons humanitaires est tenu de deacutelivrer un tel visa si eu eacutegard aux

circonstances de lrsquoespegravece il existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire que le refus de proceacuteder agrave la

deacutelivrance de ce document conduira agrave la conseacutequence directe drsquoexposer ce ressortissant agrave subir des

traitements [inhumains ou deacutegradants] prohibeacutes par lrsquoarticle 4 de la charte des droits fondamentaux

en le privant drsquoune voie leacutegale pour exercer son droit de demander une protection internationale

dans cet Eacutetat membre raquo

Lrsquoessentiel des consideacuterations de lrsquoavocat geacuteneacuteral portaient drsquoune part sur lrsquoapplication de la Charte

agrave lrsquoarticle 25 du Code des visas qui permet aux Eacutetats dans lrsquoexercice de leur souveraineteacute de deacutelivrer

un visa agrave territorialiteacute limiteacutee et drsquoautre part sur les obligations positives des Eacutetats dans le respect

des droits fondamentaux proteacutegeacutes par la Charte lorsqursquoils exercent cette souveraineteacute La Cour en

deacutecidant que la question ne relegraveve pas du champ du droit de lrsquoUnion nrsquoa pas eu agrave examiner la

question du champ drsquoapplication de la Charte Cette question meacuteriterait un commentaire approfondi

Le preacutesent commentaire se limite agrave lrsquoapplicabiliteacute ou non du droit de lrsquoUnion agrave une demande de visa agrave

validiteacute territoriale limiteacutee pour motif humanitaire en vue de demander lrsquoasile

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Faut-il consideacuterer que la Cour a fait une interpreacutetation erroneacutee du droit de lrsquoUnion au vu des

conseacutequences politiques et eacuteconomiques de sa deacutecision Admettons que quelle que fut la deacutecision

de la Cour elle eucirct vraisemblablement eacuteteacute lue par les uns ou les autres comme laquo politique raquo Il reste

que laquo si les conseacutequences pratiques de toute deacutecision juridictionnelle doivent ecirctre peseacutees avec soin

on ne saurait aller jusqursquoagrave infleacutechir lrsquoobjectiviteacute du droit et compromettre son application en raison

des reacutepercussions qursquoune deacutecision de justice peut entraicircner raquo affirmait la Cour dans lrsquoarrecirct Bosman

de 1995 Dans cet arrecirct elle fit preuve de grande audace pour condamner les modaliteacutes de transfert

des joueurs de football professionnels au titre drsquoentraves indistinctement applicables agrave la libre

circulation des travailleurs (pt 77) Agrave dire vrai lrsquoerreur est de croire en une absolue laquo objectiviteacute du

droit raquo Particuliegraverement en droit europeacuteen comme la Cour lrsquoa montreacute freacutequemment le texte

imprime un cadre au sein duquel des interpreacutetations diverses sont possibles Tel est preacuteciseacutement

lrsquoobjet de la question preacutejudicielle en interpreacutetation du droit de lrsquoUnion Dans lrsquoaffaire des visas

humanitaires deux lectures eacutetaient possibles Lrsquoune consistait agrave dire pour droit que toute demande

de visa comportant une intention de seacutejour de plus de 90 jours nrsquoentre pas dans le champ

drsquoapplication du Code des visas Telle est la position de la Cour motiveacutee par les eacuteleacutements exposeacutes ci-

dessus Lrsquoautre consistait agrave dire que toute demande de visa de court seacutejour entre dans le champ

drsquoapplication du Code des visas indeacutependamment de lrsquointention de seacutejour ulteacuterieur Ce nrsquoest

qursquoensuite qursquoil conviendrait drsquoexaminer les motifs drsquooctroi ou de refus de ce visa Telle eacutetait la

position de lrsquoavocat geacuteneacuteral Telle est notre position Pour les motifs exposeacutes ci-dessous nous

consideacuterons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ drsquoapplication du code des

visas (I) ou agrave tout le moins dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion (II)

I Le champ drsquoapplication du Code des visas

Lrsquoarticle 1er du Code indique clairement que laquo le preacutesent regraveglement fixe les proceacutedures et conditions

de deacutelivrance des visas pour les transits ou les seacutejours preacutevus sur le territoire des Eacutetats membres

drsquoune dureacutee maximale de 90 jours raquo Crsquoest ce qursquoil est convenu drsquoappeler le seacutejour touristique qui

offre lrsquoaccegraves au territoire et un droit de seacutejour pour la dureacutee indiqueacutee sur le visa dureacutee qui ne pourra

pas deacutepasser 90 jours Fallait-il consideacuterer qursquoen lrsquoespegravece la demande de visa ne correspondait pas agrave

ce champ drsquoapplication en raison de ce qursquoelle se faisait selon les termes du dispositif de lrsquoarrecirct de la

Cour laquo dans lrsquointention drsquointroduire degraves son arriveacutee dans cet Eacutetat membre une demande de

protection internationale raquo Non pour trois motifs

1 Ambiguiumlteacute du critegravere de lrsquointention

Chacun devine la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention pour mesurer le champ drsquoapplication drsquoun texte

Une fois preacutevenu de la chose il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le

champ drsquoapplication du texte Le visage de la fraude et de lrsquoabus de droit se profile Ceci entraicircne un

examen qui doit porter sur le fond de la demande non sur le champ drsquoapplication du texte Tel est

bien lrsquoobjet de lrsquoarticle 32 paragraphe 1 sous b) du Code qui permet de refuser le visa laquo srsquoil existe des

doutes raisonnables hellip sur [la] volonteacute de quitter le territoire des Eacutetats membres avant lrsquoexpiration du

visa demandeacute raquo Consideacuterer comme le fait la Cour qursquoil srsquoagit non drsquoun motif de refus mais drsquoune

cause de non-application du Code au motif que la demande a laquo un objet diffeacuterent raquo consiste agrave

introduire une diffeacuterence de traitement qui favorise le fraudeur qui nrsquoexprime pas son intention par

rapport agrave la personne qui exprime honnecirctement les motifs humanitaires de sa demande drsquoaccegraves au

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 3: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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1 CJUE C-63816 PPU ARREcircT DU 7 MARS 2017 X ET X

ECLIEUC2017173

Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne

relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou quand le silence est signe de faiblesse

A Arrecirct

La Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute saisie drsquoune question preacutejudicielle poseacutee par un arrecirct

de lrsquoassembleacutee geacuteneacuterale du Conseil du contentieux des eacutetrangers (ci-apregraves le CCE) du 8 deacutecembre

2016

Cette affaire est conseacutecutive au deacutepocirct drsquoune demande de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee introduite

par une famille syrienne aupregraves de lrsquoambassade de Belgique agrave Beyrouth Cette demande a eacuteteacute

introduite sur le fondement de lrsquoarticle 25 sect1er a) du Code communautaire des visas (Regraveglement CE

ndeg 8102009) Les requeacuterants ont invoqueacute agrave lrsquoappui de leur demande de visa qursquoils veulent quitter la

ville assieacutegeacutee drsquoAlep afin drsquointroduire une demande dasile en Belgique Ils invoquent la situation

seacutecuritaire preacutecaire en Syrie en geacuteneacuteral et agrave Alep en particulier le fait qursquoils sont de confession

chreacutetienne orthodoxe et des perseacutecutions subies par lrsquoun des requeacuterants Ils preacutecisent qursquoil leur est

impossible de se faire enregistrer comme reacutefugieacutes dans les pays limitrophes eu eacutegard agrave la fermeture

de la frontiegravere entre le Liban et la Syrie

LrsquoOffice des eacutetrangers a rejeteacute cette demande de visa Saisi par une requecircte en suspension drsquoextrecircme

urgence le CCE interroge la Cour de justice quant agrave la porteacutee des obligations internationales viseacutees agrave

lrsquoarticle 25 du Code des visas Ces obligations visent-elles lrsquoensemble des droits garantis par la Charte

des droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Parmi ces droits figurent lrsquo article 4 relatif agrave

lrsquointerdiction de la torture et des traitements inhumains et deacutegradants et lrsquoarticle 18 relatif au droit

drsquoasile ainsi que les obligations auxquelles sont tenus les Eacutetats membres sur la base de la

Convention europeacuteenne des droits de lhomme et de lrsquoarticle 33 de la Convention de Genegraveve Plus

preacuteciseacutement lrsquoarticle 25 du Code communautaire des visas doit-il ecirctre interpreacuteteacute en ce sens que

lrsquoEacutetat membre saisi drsquoune telle demande doit deacutelivrer le visa srsquoil y a un risque de violation de lrsquoarticle

4 ou de lrsquoarticle 18 de la Charte ou drsquoune autre obligation internationale sous reacuteserve de sa marge

drsquoappreacuteciation lieacutee aux circonstances de lrsquoespegravece Une seconde question interroge la porteacutee de

lrsquoexistence drsquoattaches entre le demandeur et la Belgique

La Cour de justice traite la demande selon la proceacutedure drsquourgence

La Cour de justice estime que le Code des visas adopteacute sur le fondement de lrsquoarticle 62 TFUE vise les

visas relatifs agrave des seacutejours drsquoune dureacutee maximale de 90 jours Or en lrsquooccurrence les demandes de

visa ont eacuteteacute formeacutees aux fins de demander lrsquoasile et donc de se voir deacutelivrer un titre de seacutejour dont la

dureacutee de validiteacute nrsquoest pas limiteacutee agrave 90 jours La Cour en deacuteduit que ces visas ne relegravevent pas du

champ drsquoapplication du Code des visas

La Cour suit le gouvernement belge et la Commission europeacuteenne pour souligner qursquoaucun acte nrsquoa

eacuteteacute adopteacute par le leacutegislateur de lrsquoUnion en ce qui concerne les conditions de deacutelivrance par les Eacutetats

membres de visas ou de titres de seacutejour de longue dureacutee pour des motifs humanitaires Il srsquoensuit

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que ces demandes relegravevent du seul droit national La situation qui fait lrsquoobjet de la question

preacutejudicielle nrsquoest pas reacutegie par le droit de lrsquoUnion de sorte que les dispositions de la Charte ne sont

pas applicables Le fait que lrsquoarticle 32 sect1er sous b) du Code des visas eacuterige en motif de refus de visa

lrsquoexistence drsquoun doute raisonnable sur la volonteacute du demandeur de quitter le territoire des Eacutetats

membres avant lrsquoexpiration du visa demandeacute ne modifie pas la conclusion de la Cour En effet dans

le cas drsquoespegravece il nrsquoy a pas de doute quant agrave lrsquointention des requeacuterants drsquoensuite solliciter un droit de

seacutejour au titre de lrsquoasile qursquoils assument clairement Il en reacutesulte selon la Cour que leur demande a

un objet diffeacuterent de la demande drsquoun visa de courte dureacutee

La Cour preacutecise enfin qursquoune conclusion contraire impliquerait que le Code des visas impose aux Eacutetats

de permettre agrave des ressortissants de pays tiers drsquointroduire une demande de protection

internationale aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres situeacutees sur le territoire des Eacutetats tiers

Tel nrsquoest pas lrsquoobjectif de ce Code qui nrsquoa pas pour objet drsquoharmoniser les leacutegislations des Eacutetats

membres quant agrave la protection internationale Agrave ce sujet la Cour preacutecise que les textes de droit

deacuteriveacute relatifs au droit europeacuteen de lrsquoasile nrsquoont pas un champ drsquoapplication extraterritorial Lrsquoarticle

3 sect1er 2deg de la Directive 201332 relative aux proceacutedures drsquoasile est applicable aux demandes de

protection internationale preacutesenteacutees sur le territoire des Eacutetats membres en ce compris agrave la frontiegravere

dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit mais pas aux demandes dasile diplomatique

ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres Les articles 1er et 3 du

regraveglement 6042013 (Dublin) obligent uniquement les Eacutetats agrave examiner les demandes de protection

internationale preacutesenteacutees sur leur territoire en ce compris agrave la frontiegravere ou dans une zone de transit

La Cour conclut agrave lrsquoinapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion

B Eacuteclairage

La Cour nrsquoa pas suivi les conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi Au terme drsquoun examen long

de vingt-et-une pages celui-ci consideacuterait que le Code des visas srsquoappliquait et que son article 25

relatif au visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee devait ecirctre interpreacuteteacute laquo en ce sens que lrsquoEacutetat membre

solliciteacute par un ressortissant drsquoun pays tiers afin de lui deacutelivrer un visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee au

motif de lrsquoexistence de raisons humanitaires est tenu de deacutelivrer un tel visa si eu eacutegard aux

circonstances de lrsquoespegravece il existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire que le refus de proceacuteder agrave la

deacutelivrance de ce document conduira agrave la conseacutequence directe drsquoexposer ce ressortissant agrave subir des

traitements [inhumains ou deacutegradants] prohibeacutes par lrsquoarticle 4 de la charte des droits fondamentaux

en le privant drsquoune voie leacutegale pour exercer son droit de demander une protection internationale

dans cet Eacutetat membre raquo

Lrsquoessentiel des consideacuterations de lrsquoavocat geacuteneacuteral portaient drsquoune part sur lrsquoapplication de la Charte

agrave lrsquoarticle 25 du Code des visas qui permet aux Eacutetats dans lrsquoexercice de leur souveraineteacute de deacutelivrer

un visa agrave territorialiteacute limiteacutee et drsquoautre part sur les obligations positives des Eacutetats dans le respect

des droits fondamentaux proteacutegeacutes par la Charte lorsqursquoils exercent cette souveraineteacute La Cour en

deacutecidant que la question ne relegraveve pas du champ du droit de lrsquoUnion nrsquoa pas eu agrave examiner la

question du champ drsquoapplication de la Charte Cette question meacuteriterait un commentaire approfondi

Le preacutesent commentaire se limite agrave lrsquoapplicabiliteacute ou non du droit de lrsquoUnion agrave une demande de visa agrave

validiteacute territoriale limiteacutee pour motif humanitaire en vue de demander lrsquoasile

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Faut-il consideacuterer que la Cour a fait une interpreacutetation erroneacutee du droit de lrsquoUnion au vu des

conseacutequences politiques et eacuteconomiques de sa deacutecision Admettons que quelle que fut la deacutecision

de la Cour elle eucirct vraisemblablement eacuteteacute lue par les uns ou les autres comme laquo politique raquo Il reste

que laquo si les conseacutequences pratiques de toute deacutecision juridictionnelle doivent ecirctre peseacutees avec soin

on ne saurait aller jusqursquoagrave infleacutechir lrsquoobjectiviteacute du droit et compromettre son application en raison

des reacutepercussions qursquoune deacutecision de justice peut entraicircner raquo affirmait la Cour dans lrsquoarrecirct Bosman

de 1995 Dans cet arrecirct elle fit preuve de grande audace pour condamner les modaliteacutes de transfert

des joueurs de football professionnels au titre drsquoentraves indistinctement applicables agrave la libre

circulation des travailleurs (pt 77) Agrave dire vrai lrsquoerreur est de croire en une absolue laquo objectiviteacute du

droit raquo Particuliegraverement en droit europeacuteen comme la Cour lrsquoa montreacute freacutequemment le texte

imprime un cadre au sein duquel des interpreacutetations diverses sont possibles Tel est preacuteciseacutement

lrsquoobjet de la question preacutejudicielle en interpreacutetation du droit de lrsquoUnion Dans lrsquoaffaire des visas

humanitaires deux lectures eacutetaient possibles Lrsquoune consistait agrave dire pour droit que toute demande

de visa comportant une intention de seacutejour de plus de 90 jours nrsquoentre pas dans le champ

drsquoapplication du Code des visas Telle est la position de la Cour motiveacutee par les eacuteleacutements exposeacutes ci-

dessus Lrsquoautre consistait agrave dire que toute demande de visa de court seacutejour entre dans le champ

drsquoapplication du Code des visas indeacutependamment de lrsquointention de seacutejour ulteacuterieur Ce nrsquoest

qursquoensuite qursquoil conviendrait drsquoexaminer les motifs drsquooctroi ou de refus de ce visa Telle eacutetait la

position de lrsquoavocat geacuteneacuteral Telle est notre position Pour les motifs exposeacutes ci-dessous nous

consideacuterons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ drsquoapplication du code des

visas (I) ou agrave tout le moins dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion (II)

I Le champ drsquoapplication du Code des visas

Lrsquoarticle 1er du Code indique clairement que laquo le preacutesent regraveglement fixe les proceacutedures et conditions

de deacutelivrance des visas pour les transits ou les seacutejours preacutevus sur le territoire des Eacutetats membres

drsquoune dureacutee maximale de 90 jours raquo Crsquoest ce qursquoil est convenu drsquoappeler le seacutejour touristique qui

offre lrsquoaccegraves au territoire et un droit de seacutejour pour la dureacutee indiqueacutee sur le visa dureacutee qui ne pourra

pas deacutepasser 90 jours Fallait-il consideacuterer qursquoen lrsquoespegravece la demande de visa ne correspondait pas agrave

ce champ drsquoapplication en raison de ce qursquoelle se faisait selon les termes du dispositif de lrsquoarrecirct de la

Cour laquo dans lrsquointention drsquointroduire degraves son arriveacutee dans cet Eacutetat membre une demande de

protection internationale raquo Non pour trois motifs

1 Ambiguiumlteacute du critegravere de lrsquointention

Chacun devine la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention pour mesurer le champ drsquoapplication drsquoun texte

Une fois preacutevenu de la chose il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le

champ drsquoapplication du texte Le visage de la fraude et de lrsquoabus de droit se profile Ceci entraicircne un

examen qui doit porter sur le fond de la demande non sur le champ drsquoapplication du texte Tel est

bien lrsquoobjet de lrsquoarticle 32 paragraphe 1 sous b) du Code qui permet de refuser le visa laquo srsquoil existe des

doutes raisonnables hellip sur [la] volonteacute de quitter le territoire des Eacutetats membres avant lrsquoexpiration du

visa demandeacute raquo Consideacuterer comme le fait la Cour qursquoil srsquoagit non drsquoun motif de refus mais drsquoune

cause de non-application du Code au motif que la demande a laquo un objet diffeacuterent raquo consiste agrave

introduire une diffeacuterence de traitement qui favorise le fraudeur qui nrsquoexprime pas son intention par

rapport agrave la personne qui exprime honnecirctement les motifs humanitaires de sa demande drsquoaccegraves au

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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17

Mars 2017

2015

La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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Mars 2017

2015

3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 4: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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que ces demandes relegravevent du seul droit national La situation qui fait lrsquoobjet de la question

preacutejudicielle nrsquoest pas reacutegie par le droit de lrsquoUnion de sorte que les dispositions de la Charte ne sont

pas applicables Le fait que lrsquoarticle 32 sect1er sous b) du Code des visas eacuterige en motif de refus de visa

lrsquoexistence drsquoun doute raisonnable sur la volonteacute du demandeur de quitter le territoire des Eacutetats

membres avant lrsquoexpiration du visa demandeacute ne modifie pas la conclusion de la Cour En effet dans

le cas drsquoespegravece il nrsquoy a pas de doute quant agrave lrsquointention des requeacuterants drsquoensuite solliciter un droit de

seacutejour au titre de lrsquoasile qursquoils assument clairement Il en reacutesulte selon la Cour que leur demande a

un objet diffeacuterent de la demande drsquoun visa de courte dureacutee

La Cour preacutecise enfin qursquoune conclusion contraire impliquerait que le Code des visas impose aux Eacutetats

de permettre agrave des ressortissants de pays tiers drsquointroduire une demande de protection

internationale aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres situeacutees sur le territoire des Eacutetats tiers

Tel nrsquoest pas lrsquoobjectif de ce Code qui nrsquoa pas pour objet drsquoharmoniser les leacutegislations des Eacutetats

membres quant agrave la protection internationale Agrave ce sujet la Cour preacutecise que les textes de droit

deacuteriveacute relatifs au droit europeacuteen de lrsquoasile nrsquoont pas un champ drsquoapplication extraterritorial Lrsquoarticle

3 sect1er 2deg de la Directive 201332 relative aux proceacutedures drsquoasile est applicable aux demandes de

protection internationale preacutesenteacutees sur le territoire des Eacutetats membres en ce compris agrave la frontiegravere

dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit mais pas aux demandes dasile diplomatique

ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres Les articles 1er et 3 du

regraveglement 6042013 (Dublin) obligent uniquement les Eacutetats agrave examiner les demandes de protection

internationale preacutesenteacutees sur leur territoire en ce compris agrave la frontiegravere ou dans une zone de transit

La Cour conclut agrave lrsquoinapplicabiliteacute du droit de lrsquoUnion

B Eacuteclairage

La Cour nrsquoa pas suivi les conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi Au terme drsquoun examen long

de vingt-et-une pages celui-ci consideacuterait que le Code des visas srsquoappliquait et que son article 25

relatif au visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee devait ecirctre interpreacuteteacute laquo en ce sens que lrsquoEacutetat membre

solliciteacute par un ressortissant drsquoun pays tiers afin de lui deacutelivrer un visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee au

motif de lrsquoexistence de raisons humanitaires est tenu de deacutelivrer un tel visa si eu eacutegard aux

circonstances de lrsquoespegravece il existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire que le refus de proceacuteder agrave la

deacutelivrance de ce document conduira agrave la conseacutequence directe drsquoexposer ce ressortissant agrave subir des

traitements [inhumains ou deacutegradants] prohibeacutes par lrsquoarticle 4 de la charte des droits fondamentaux

en le privant drsquoune voie leacutegale pour exercer son droit de demander une protection internationale

dans cet Eacutetat membre raquo

Lrsquoessentiel des consideacuterations de lrsquoavocat geacuteneacuteral portaient drsquoune part sur lrsquoapplication de la Charte

agrave lrsquoarticle 25 du Code des visas qui permet aux Eacutetats dans lrsquoexercice de leur souveraineteacute de deacutelivrer

un visa agrave territorialiteacute limiteacutee et drsquoautre part sur les obligations positives des Eacutetats dans le respect

des droits fondamentaux proteacutegeacutes par la Charte lorsqursquoils exercent cette souveraineteacute La Cour en

deacutecidant que la question ne relegraveve pas du champ du droit de lrsquoUnion nrsquoa pas eu agrave examiner la

question du champ drsquoapplication de la Charte Cette question meacuteriterait un commentaire approfondi

Le preacutesent commentaire se limite agrave lrsquoapplicabiliteacute ou non du droit de lrsquoUnion agrave une demande de visa agrave

validiteacute territoriale limiteacutee pour motif humanitaire en vue de demander lrsquoasile

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Faut-il consideacuterer que la Cour a fait une interpreacutetation erroneacutee du droit de lrsquoUnion au vu des

conseacutequences politiques et eacuteconomiques de sa deacutecision Admettons que quelle que fut la deacutecision

de la Cour elle eucirct vraisemblablement eacuteteacute lue par les uns ou les autres comme laquo politique raquo Il reste

que laquo si les conseacutequences pratiques de toute deacutecision juridictionnelle doivent ecirctre peseacutees avec soin

on ne saurait aller jusqursquoagrave infleacutechir lrsquoobjectiviteacute du droit et compromettre son application en raison

des reacutepercussions qursquoune deacutecision de justice peut entraicircner raquo affirmait la Cour dans lrsquoarrecirct Bosman

de 1995 Dans cet arrecirct elle fit preuve de grande audace pour condamner les modaliteacutes de transfert

des joueurs de football professionnels au titre drsquoentraves indistinctement applicables agrave la libre

circulation des travailleurs (pt 77) Agrave dire vrai lrsquoerreur est de croire en une absolue laquo objectiviteacute du

droit raquo Particuliegraverement en droit europeacuteen comme la Cour lrsquoa montreacute freacutequemment le texte

imprime un cadre au sein duquel des interpreacutetations diverses sont possibles Tel est preacuteciseacutement

lrsquoobjet de la question preacutejudicielle en interpreacutetation du droit de lrsquoUnion Dans lrsquoaffaire des visas

humanitaires deux lectures eacutetaient possibles Lrsquoune consistait agrave dire pour droit que toute demande

de visa comportant une intention de seacutejour de plus de 90 jours nrsquoentre pas dans le champ

drsquoapplication du Code des visas Telle est la position de la Cour motiveacutee par les eacuteleacutements exposeacutes ci-

dessus Lrsquoautre consistait agrave dire que toute demande de visa de court seacutejour entre dans le champ

drsquoapplication du Code des visas indeacutependamment de lrsquointention de seacutejour ulteacuterieur Ce nrsquoest

qursquoensuite qursquoil conviendrait drsquoexaminer les motifs drsquooctroi ou de refus de ce visa Telle eacutetait la

position de lrsquoavocat geacuteneacuteral Telle est notre position Pour les motifs exposeacutes ci-dessous nous

consideacuterons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ drsquoapplication du code des

visas (I) ou agrave tout le moins dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion (II)

I Le champ drsquoapplication du Code des visas

Lrsquoarticle 1er du Code indique clairement que laquo le preacutesent regraveglement fixe les proceacutedures et conditions

de deacutelivrance des visas pour les transits ou les seacutejours preacutevus sur le territoire des Eacutetats membres

drsquoune dureacutee maximale de 90 jours raquo Crsquoest ce qursquoil est convenu drsquoappeler le seacutejour touristique qui

offre lrsquoaccegraves au territoire et un droit de seacutejour pour la dureacutee indiqueacutee sur le visa dureacutee qui ne pourra

pas deacutepasser 90 jours Fallait-il consideacuterer qursquoen lrsquoespegravece la demande de visa ne correspondait pas agrave

ce champ drsquoapplication en raison de ce qursquoelle se faisait selon les termes du dispositif de lrsquoarrecirct de la

Cour laquo dans lrsquointention drsquointroduire degraves son arriveacutee dans cet Eacutetat membre une demande de

protection internationale raquo Non pour trois motifs

1 Ambiguiumlteacute du critegravere de lrsquointention

Chacun devine la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention pour mesurer le champ drsquoapplication drsquoun texte

Une fois preacutevenu de la chose il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le

champ drsquoapplication du texte Le visage de la fraude et de lrsquoabus de droit se profile Ceci entraicircne un

examen qui doit porter sur le fond de la demande non sur le champ drsquoapplication du texte Tel est

bien lrsquoobjet de lrsquoarticle 32 paragraphe 1 sous b) du Code qui permet de refuser le visa laquo srsquoil existe des

doutes raisonnables hellip sur [la] volonteacute de quitter le territoire des Eacutetats membres avant lrsquoexpiration du

visa demandeacute raquo Consideacuterer comme le fait la Cour qursquoil srsquoagit non drsquoun motif de refus mais drsquoune

cause de non-application du Code au motif que la demande a laquo un objet diffeacuterent raquo consiste agrave

introduire une diffeacuterence de traitement qui favorise le fraudeur qui nrsquoexprime pas son intention par

rapport agrave la personne qui exprime honnecirctement les motifs humanitaires de sa demande drsquoaccegraves au

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 5: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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Faut-il consideacuterer que la Cour a fait une interpreacutetation erroneacutee du droit de lrsquoUnion au vu des

conseacutequences politiques et eacuteconomiques de sa deacutecision Admettons que quelle que fut la deacutecision

de la Cour elle eucirct vraisemblablement eacuteteacute lue par les uns ou les autres comme laquo politique raquo Il reste

que laquo si les conseacutequences pratiques de toute deacutecision juridictionnelle doivent ecirctre peseacutees avec soin

on ne saurait aller jusqursquoagrave infleacutechir lrsquoobjectiviteacute du droit et compromettre son application en raison

des reacutepercussions qursquoune deacutecision de justice peut entraicircner raquo affirmait la Cour dans lrsquoarrecirct Bosman

de 1995 Dans cet arrecirct elle fit preuve de grande audace pour condamner les modaliteacutes de transfert

des joueurs de football professionnels au titre drsquoentraves indistinctement applicables agrave la libre

circulation des travailleurs (pt 77) Agrave dire vrai lrsquoerreur est de croire en une absolue laquo objectiviteacute du

droit raquo Particuliegraverement en droit europeacuteen comme la Cour lrsquoa montreacute freacutequemment le texte

imprime un cadre au sein duquel des interpreacutetations diverses sont possibles Tel est preacuteciseacutement

lrsquoobjet de la question preacutejudicielle en interpreacutetation du droit de lrsquoUnion Dans lrsquoaffaire des visas

humanitaires deux lectures eacutetaient possibles Lrsquoune consistait agrave dire pour droit que toute demande

de visa comportant une intention de seacutejour de plus de 90 jours nrsquoentre pas dans le champ

drsquoapplication du Code des visas Telle est la position de la Cour motiveacutee par les eacuteleacutements exposeacutes ci-

dessus Lrsquoautre consistait agrave dire que toute demande de visa de court seacutejour entre dans le champ

drsquoapplication du Code des visas indeacutependamment de lrsquointention de seacutejour ulteacuterieur Ce nrsquoest

qursquoensuite qursquoil conviendrait drsquoexaminer les motifs drsquooctroi ou de refus de ce visa Telle eacutetait la

position de lrsquoavocat geacuteneacuteral Telle est notre position Pour les motifs exposeacutes ci-dessous nous

consideacuterons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ drsquoapplication du code des

visas (I) ou agrave tout le moins dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion (II)

I Le champ drsquoapplication du Code des visas

Lrsquoarticle 1er du Code indique clairement que laquo le preacutesent regraveglement fixe les proceacutedures et conditions

de deacutelivrance des visas pour les transits ou les seacutejours preacutevus sur le territoire des Eacutetats membres

drsquoune dureacutee maximale de 90 jours raquo Crsquoest ce qursquoil est convenu drsquoappeler le seacutejour touristique qui

offre lrsquoaccegraves au territoire et un droit de seacutejour pour la dureacutee indiqueacutee sur le visa dureacutee qui ne pourra

pas deacutepasser 90 jours Fallait-il consideacuterer qursquoen lrsquoespegravece la demande de visa ne correspondait pas agrave

ce champ drsquoapplication en raison de ce qursquoelle se faisait selon les termes du dispositif de lrsquoarrecirct de la

Cour laquo dans lrsquointention drsquointroduire degraves son arriveacutee dans cet Eacutetat membre une demande de

protection internationale raquo Non pour trois motifs

1 Ambiguiumlteacute du critegravere de lrsquointention

Chacun devine la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention pour mesurer le champ drsquoapplication drsquoun texte

Une fois preacutevenu de la chose il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le

champ drsquoapplication du texte Le visage de la fraude et de lrsquoabus de droit se profile Ceci entraicircne un

examen qui doit porter sur le fond de la demande non sur le champ drsquoapplication du texte Tel est

bien lrsquoobjet de lrsquoarticle 32 paragraphe 1 sous b) du Code qui permet de refuser le visa laquo srsquoil existe des

doutes raisonnables hellip sur [la] volonteacute de quitter le territoire des Eacutetats membres avant lrsquoexpiration du

visa demandeacute raquo Consideacuterer comme le fait la Cour qursquoil srsquoagit non drsquoun motif de refus mais drsquoune

cause de non-application du Code au motif que la demande a laquo un objet diffeacuterent raquo consiste agrave

introduire une diffeacuterence de traitement qui favorise le fraudeur qui nrsquoexprime pas son intention par

rapport agrave la personne qui exprime honnecirctement les motifs humanitaires de sa demande drsquoaccegraves au

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 6: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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territoire Reposant sur lrsquointention affirmeacutee ou non cette diffeacuterence de traitement nrsquoest pas

objective et srsquoapparente agrave une discrimination On notera que dans un autre domaine de la politique

europeacuteenne drsquoimmigration et drsquoasile la juridiction europeacuteenne en lrsquooccurrence le Tribunal de

premiegravere instance agrave propos de la laquo deacuteclaration UE-Turquie raquo srsquoattache agrave la forme de lrsquoacte bien plus

qursquoagrave lrsquointention des parties ou aux conseacutequences de lrsquoacte Au terme drsquoun examen deacutetailleacute de chaque

document de cette laquo deacuteclaration raquo le Tribunal considegravere que laquo indeacutependamment du point de savoir

si elle constitue hellip une deacuteclaration de nature politique ou hellip un acte susceptible de produire des

effets juridiques obligatoires la deacuteclaration UE-Turquie hellip ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte

adopteacute par le Conseil europeacuteen raquo mais comme une deacuteclaration qui laquo aurait eacuteteacute le fait des chefs

drsquoEacutetats ou de gouvernement des Eacutetats membres raquo (Tribunal 28 feacutevrier 2017 T-19216 pts 70-71

commentaire ici mecircme) Lagrave la forme de lrsquoacte permet de deacuteclarer laquo lrsquoincompeacutetence du Tribunal pour

en connaicirctre raquo (dispositif) Ici lrsquointention du demandeur de visa permet agrave la Cour de deacuteclarer que le

Code des visas ne srsquoapplique pas Des motivations tregraves distinctes sinon opposeacutees conduisent au

mecircme reacutesultat eacuteviter de trancher les deacutebats de fond

Dans lrsquoaffaire des visas la fragiliteacute du critegravere de lrsquointention se deacuteduit eacutegalement de lrsquoattitude du juge

national et de lrsquoadministration nationale Drsquoune part le juge belge le CCE dans son arrecirct en

assembleacutee geacuteneacuterale nrsquoeacutemet aucun doute quant agrave lrsquoapplication du Code des visas constatant que les

requeacuterants laquo ont introduit des demandes de visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee sur la base de lrsquoarticle

25 paragraphe 1 du Code des visas raquo (pt 334A) Drsquoautre part lrsquoadministration belge nrsquoa pas eacutecarteacute

lrsquoapplication du Code et lrsquoa rejeteacutee consideacuterant que laquo la deacutelivrance drsquoun visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee doit rester exceptionnelle notamment parce que sa deacutelivrance deacuteroge aux regravegles geacuteneacuterales

de deacutelivrance des visas pour un court seacutejour communes aux Eacutetats Schengen et fondeacutees sur la

leacutegitime confiance et la coopeacuteration loyale entre eux raquo (idem pt 1) Ce nrsquoest qursquoulteacuterieurement dans

la proceacutedure que lrsquoEacutetat belge invoquera la non-application du Code des visas Lrsquoensemble de ces

consideacuterations montrent que le critegravere de lrsquointention ne devrait pas servir de base agrave lrsquoexamen du

champ drsquoapplication du Code des visas pas plus qursquoagrave la compeacutetence de la Cour car comme celle-ci

lrsquoindique agrave ce sujet laquo il ressort sans eacutequivoque de la deacutecision de renvoi que lesdites demandes ont

eacuteteacute introduites pour raisons humanitaires sur la base de lrsquoarticle 25 du code des visas raquo (pt 36)

2 Souveraineteacute

Il reste que lrsquoarticle 25 du Code des visas preacutevoit qursquoun laquo visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee est deacutelivreacute

agrave titre exceptionnel hellip lorsqursquoun Eacutetat membre estime neacutecessaire pour des raisons humanitaires pour

des motifs drsquointeacuterecirct national ou pour honorer des obligations internationales hellip de deacuteroger au

principe du respect des conditions drsquoentreacutee preacutevues agrave lrsquoarticle 5 hellip du code frontiegraveres Schengen raquo

LrsquoEacutetat belge avance agrave titre subsidiaire qursquoil srsquoagit drsquoune possibiliteacute exceptionnelle qui relegraveve de sa

seule souveraineteacute Faudrait-il en deacuteduire que ce visa agrave validiteacute territoriale limiteacutee eacutechappe au champ

drsquoapplication du Code des visas Non en raison mecircme du fait que la disposition qui preacutevoit cette

possibiliteacute est inscrite dans le Code De mecircme srsquoagissant de la clause de souveraineteacute figurant dans

le regraveglement Dublin la Cour avait opposeacute au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute deacutecision

fondeacutee sur cette clause de souveraineteacute eacutechappait au controcircle de la Cour que laquo le pouvoir

drsquoappreacuteciation confeacutereacute aux Eacutetats membres hellip ne constitue qursquoun eacuteleacutement du systegraveme europeacuteen

commun drsquoasile raquo et que laquo partant un Eacutetat membre qui exerce ce pouvoir drsquoappreacuteciation doit ecirctre

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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2015

La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 7: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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consideacutereacute comme mettant en œuvre le droit de lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 51 paragraphe 1 de la

charte raquo (pt 68)

3 Prolongation

Une chose est le visa de court seacutejour donnant accegraves au territoire Autre chose est la demande drsquoasile

ulteacuterieure qui donne accegraves agrave un seacutejour provisoire pendant la proceacutedure et ensuite agrave un seacutejour

prolongeacute et renouvelable si et seulement si la demande drsquoasile est fondeacutee Du reste la limite dans le

temps des visas relevant du Code nrsquoest pas une limite absolue de 90 jours Le Code des visas preacutevoit

lui-mecircme drsquoautres hypothegraveses de prolongation du seacutejour Drsquoune part le visa agrave validiteacute territoriale

limiteacutee peut par deacutelivrance drsquoun nouveau visa ecirctre une sorte de visa agrave validiteacute temporelle prolongeacutee

qui deacutepasse le visa laquo normal raquo de 90 jours dans la peacuteriode de 180 jours (art 25 paragraphe 1 lettre

b) Plus important sur pied de lrsquoarticle 33 du Code ignoreacute dans lrsquoaffaire X et X laquo la dureacutee de validiteacute

etou la dureacutee de seacutejour preacutevue dans un visa deacutelivreacute est prolongeacutee si les autoriteacutes compeacutetentes de

lrsquoEacutetat membre concerneacute considegraverent que le titulaire du visa a deacutemontreacute lrsquoexistence drsquoune force

majeure ou de raisons humanitaires lrsquoempecircchant de quitter le territoire des Eacutetats membres avant la

fin de la dureacutee de validiteacute du visa ou de la dureacutee du seacutejour qursquoil autorise raquo (sect 1) Si laquo la validiteacute

territoriale du visa prolongeacute demeure identique agrave celle du visa original raquo (sect 3) rien nrsquoest preacuteciseacute

quant agrave sa validiteacute dans le temps Rien nrsquoindique expressis verbis qursquoelle serait limiteacutee agrave 90 jours

Agrave lrsquoopposeacute de ces raisonnements la Cour a consideacutereacute qursquoune demande de visa dans lrsquointention de

demander lrsquoasile nrsquoentrait pas dans le champ drsquoapplication du Code des visas car elle autoriserait un

seacutejour de plus de 90 jours Mecircme dans ce cas il conviendrait encore drsquoexaminer si telle demande de

visa eacutechappe agrave lrsquoensemble du droit de lrsquoUnion

II Le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion

Un rapprochement entre la preacutesente affaire relative au visa et lrsquoaffaire Rottman relative agrave la

nationaliteacute ne manque pas drsquointeacuterecirct Plus encore qursquoune demande de visa mecircme de longue dureacutee

laquo la deacutefinition des conditions drsquoacquisition et de perte de la nationaliteacute relegraveve conformeacutement au

droit international de la compeacutetence de chaque Eacutetat raquo (Rottman 2010 C-13508 pt 39) Toutefois

la Cour a preacuteciseacute dans cet arrecirct Rottman que laquo le fait qursquoune matiegravere ressortit agrave la compeacutetence des

Eacutetats membres nrsquoempecircche pas que dans des situations relevant du droit de lrsquoUnion les regravegles

nationales concerneacutees doivent respecter ce dernier raquo (pt 41) La protection internationale par droit

drsquoasile relegraveve du droit de lrsquoUnion Il ne nous paraicirct pas suffisant comme le fait la Cour de constater

que ni la directive proceacutedure ni le regraveglement Dublin ne sont applicables laquo aux demandes drsquoasile

diplomatique ou territorial introduites aupregraves des repreacutesentations des Eacutetats membres raquo (X et X

pt 49) Premiegraverement il est eacutevident que lrsquooctroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes

drsquoasile aura des incidences directes drsquoune part sur les proceacutedures et sur la reacutepartition des demandes

drsquoasile dans lrsquoUnion drsquoautre part sur la lutte contre le trafic et la traite des ecirctres humains (Directives

200290 2002946 200481 et 201136) et sur les sanctions agrave charge des transporteurs qui

prennent agrave leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 200151) toutes

matiegraveres qui relegravevent des compeacutetences de lrsquoUnion Ainsi si un transporteur est en principe

sanctionneacute pour avoir pris une personne dont le passeport nrsquoest pas muni du visa drsquoaccegraves au

territoire des Eacutetats membres de lrsquoUnion ce principe est laquo sans preacutejudice des obligations des Eacutetats

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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2015

laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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2015

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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Mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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2015

qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 8: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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membres lorsquun ressortissant de pays tiers demande agrave beacuteneacuteficier dune protection

internationale raquo (art 4 paragraphe 2) Deuxiegravemement le reacutegime drsquoasile europeacuteen commun forme un

tout Il comporte eacutegalement laquo des instruments et meacutecanismes relatifs agrave sa dimension exteacuterieure raquo

qui entrent notamment dans les compeacutetences du Bureau europeacuteen drsquoappui en matiegravere drsquoasile

(Regraveglement 4392010 art 7) Troisiegravemement lorsqursquoune matiegravere ne relegraveve pas du droit deacuteriveacute il

advient qursquoelle puisse relever directement du droit primaire de lrsquoUnion Les exemples types de cette

hypothegravese sont les situations purement internes qui eacutechappent aux dispositions relatives agrave la libre

circulation des personnes tant dans le droit deacuteriveacute (principalement la Directive 200438) que dans le

droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE) Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui

institue une citoyenneteacute de lrsquoUnion la Cour a jugeacute que cette disposition laquo srsquooppose agrave des mesures

nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de lrsquoUnion de la jouissance effective de lrsquoessentiel

des droits confeacutereacutes par ce statut raquo et que cela laquo se reacutefegravere agrave des situations caracteacuteriseacutees par la

circonstance que le citoyen de lrsquoUnion se voit obligeacute en fait de quitter le territoire hellip de lrsquoUnion pris

dans son ensemble raquo (Dereci 2011 C-25611 pts 64 et 66) Par paralleacutelisme avec les situations

purement internes qui entrent dans le champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du citoyen est en cause il serait possible de consideacuterer que des situations laquo purement

externes raquo relegravevent de mecircme du champ drsquoapplication du droit de lrsquoUnion lorsque lrsquoessentiel des

droits du ressortissant drsquoEacutetat tiers est en cause Tel serait le cas de maniegravere exceptionnelle lorsqursquoil

est obligeacute drsquoentrer sur le territoire de lrsquoUnion parce que ce serait le seul moyen drsquoeacutechapper au risque

reacuteel de traitement inhumain ou deacutegradant Lrsquoarticle 67 TFUE sert de fondement agrave cette hypothegravese

exceptionnelle dans la mesure ougrave laquo LUnion constitue un espace de liberteacute de seacutecuriteacute et de justice

dans le respect des droits fondamentaux hellip [et] hellip deacuteveloppe une politique commune en matiegravere

dasile dimmigration et de controcircle des frontiegraveres exteacuterieures qui est fondeacutee sur la solidariteacute entre

Eacutetats membres et qui est eacutequitable agrave leacutegard des ressortissants des pays tiers raquo

Le silence de la Cour la parole du juge national

En deacuteclarant le Code des visas non applicable agrave une demande de visa humanitaire en vue de lrsquoasile la

Cour eacutevite de se prononcer sur lrsquointerpreacutetation du droit de lrsquoUnion et drsquointerroger le reacutegime drsquoasile

europeacuteen commun Certains jugeront ce silence prudent La Cour mentionne expresseacutement que telle

demande de visa relegraveve laquo en lrsquoeacutetat actuel du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du seul droit national raquo

Deux portes demeurent ouvertes Premiegraverement le droit de lrsquoUnion peut eacutevoluer Mais rien

nrsquoindique une quelconque eacutevolution agrave moyen terme en matiegravere de voies leacutegales de voyage pour les

demandeurs drsquoasile Deuxiegravemement le juge national peut interpreacuteter son droit agrave la lumiegravere des

droits fondamentaux dont lrsquointerdiction des traitements inhumains ou deacutegradants Lrsquoexpeacuterience

montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de lrsquoUnion crsquoest pour que celui-ci

lrsquoaide agrave asseoir une interpreacutetation du droit qursquoil ne peut ou nrsquoose formuler dans son contexte

national Tel fut preacuteciseacutement le cas en matiegravere de situations purement internes ougrave la Cour

constitutionnelle qui avait interrogeacute la Cour de justice fut renvoyeacutee agrave sa propre responsabiliteacute mais

refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santeacute CJUE C 21206 pt 40 et CC ndeg

112009) Si ici de mecircme le CCE estime ne pas devoir interpreacuteter son droit national comme

imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques reacuteels de

traitement inhumain et deacutegradant crsquoest apregraves eacutepuisement des voies de recours interne la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui pourrait ecirctre ameneacutee agrave se prononcer Tel fut aussi le cas pour

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 9: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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des situations purement internes agrave propos des discriminations fondeacutees sur la nationaliteacute (Koua

Poirrez CJCE 1992 C-20691 CEDH 2003) Une reacuteponse de fond agrave la question preacutejudicielle eucirct

permis drsquoeacuteviter ces incertitudes Elle pouvait avec nuance en respectant les souveraineteacutes indiquer

qursquoen application du Code des visas lrsquoadministration devait sous controcircle du juge national motiver

sa deacutecision au regard de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion Le meacutecanisme de juge agrave juge

qursquoest la question preacutejudicielle est aussi une maniegravere drsquoorganiser le pluralisme juridique par des

formes de compleacutementariteacutes entre les juridictions compeacutetentes Cette solidariteacute des juges est

particuliegraverement importante lorsqursquoelle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir

juridictionnel le seul accegraves possible agrave la table de la deacutemocratie car ils ne participent drsquoaucune faccedilon

au pouvoir leacutegislatif ou au pouvoir exeacutecutif La roue de secours demandeacutee par le juge belge eacutetait

aussi une boueacutee de sauvetage pour les damneacutes de la mer La Cour srsquoy est refuseacutee Ce silence nrsquoest pas

marque de prudence mais signe de faiblesse

SS J-YC LL

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 7 mars 2017 X et X C-63816 PPU GC ECLIEUC2017173

Jurisprudence

Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral P Mengozzi 7 feacutevrier 2017 ECLIEUC201793

CCE (assembleacutee geacuteneacuterale) 8 deacutecembre 2016 ndeg 179108

Doctrine

JY CARLIER L LEBOEUF laquo Le visa humanitaire et la jouissance effective de lrsquoessentiel des droits

une voie moyenne Agrave propos de lrsquoaffaire X et X raquo Omnia 27 feacutevrier 2017

V MORENO-LAX laquo Asylum Visas as an Obligation under EU Law Case PPU C-63816 X X v Eacutetat

belge raquo Omnia 16 et 21 feacutevrier 2017 part I part II

L LEBOEUF laquo Visa humanitaire et recours en suspension drsquoextrecircme urgence Le Conseil du

contentieux des eacutetrangers interroge la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de lrsquoUnion

europeacuteenne raquo Newlsetter EDEM deacutecembre 2016

E BROUWER laquo The European Court of Justice on Humanitarian Visas legal integrity vs political

opportunism raquo CEPS Commentary 16 March 2017

Pour citer cette note S SAROLEA JY CARLIER L LEBOEUF laquo Deacutelivrer un visa humanitaire visant agrave

obtenir une protection internationale au titre de lrsquoasile ne relegraveve pas du droit de lrsquoUnion X et X ou

quand le silence est signe de faiblesseraquo Newsletter EDEM mars 2017

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 10: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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2 TRIBUNAL DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE 28 FEacuteVRIER 2017 NF NG ET

NMCONSEIL EUROPEacuteEN AFF T-19216 T-19316 ET T-25716

laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de

conseacutequences raquo

A Lrsquoarrecirct du Tribunal

Saisi de trois recours introduits seacutepareacutement par trois demandeurs drsquoasile le Tribunal de lrsquoUnion

europeacuteenne eacutetait ameneacute agrave se prononcer sur la deacuteclaration adopteacutee par le Conseil europeacuteen ou les

chefs drsquoEtat ou de gouvernement - lagrave est toute la question bien qursquoil srsquoagisse physiquement des

mecircmes personnes - et la Turquie au plus fort de ce qursquoon a appeleacute la laquo crise des reacutefugieacutes raquo

Outre lrsquoincertitude quant agrave sa nature et la qualiteacute en laquelle les repreacutesentants des Etats membres

lrsquoont adopteacutee cette deacuteclaration rendue publique agrave travers un communiqueacute de presse datant du 18

mars 2016 a eacuteteacute unanimement deacutenonceacutee par le milieu associatif ainsi que par une grande partie du

monde acadeacutemique (voir ici ici ou encore ici pour une position plus nuanceacutee) Sur le plan moral la

critique estime que lrsquoUnion europeacuteenne sous-traite le respect de ses valeurs agrave la Turquie Sur le

plan juridique par contre lrsquoaccord a eacuteteacute deacutenonceacute en raison du risque de violation du principe de

non-refoulement et du manque de garanties permettant de conclure que la Turquie est un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la Directive proceacutedure

Les recours introduits par les trois demandeurs drsquoasile dont lrsquointeacuterecirct agrave agir nrsquoa pas eacuteteacute contesteacute

portent toutefois sur une question diffeacuterente consideacuterant que la deacuteclaration peut ecirctre qualifieacutee

drsquoacte attribuable au Conseil europeacuteen mateacuterialisant un accord international conclu entre lrsquoUnion

europeacuteenne et la Turquie les requeacuterants demandent au Tribunal lrsquoannulation de lrsquoaccord pour non-

respect des regravegles de proceacutedures contenues dans les Traiteacutes europeacuteens Si le TFUE en son article

216 preacutevoit effectivement que lrsquoUnion peut dans certaines matiegraveres conclure un accord avec un

pays tiers la neacutegociation et la conclusion drsquoun tel accord est soumis au respect de la proceacutedure

eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 218 du Traiteacute1 Selon cette disposition lrsquoouverture de neacutegociations avec un pays

tiers la signature et la conclusion drsquoun accord requiegraverent lrsquoautorisation du Conseil En outre

lrsquoapprobation du Parlement europeacuteen est neacutecessaire lorsque lrsquoaccord couvre des domaines

auxquels srsquoapplique la proceacutedure leacutegislative ordinaire ce qui est le cas de la politique drsquoasile

conformeacutement agrave lrsquoarticle 78 du TFEU Lrsquoarticle 15 du TUE dispose par ailleurs que le Conseil

europeacuteen nrsquoexerce aucune fonction leacutegislative Les requeacuterants demandent ainsi agrave ce que lrsquoaccord

conclu avec la Turquie soit annuleacute pour non-respect des regravegles de proceacutedure eacutedicteacutees par le droit

primaire

En vue de reacutepondre agrave la question de savoir si lrsquoarticle 218 du TFUE nrsquoa effectivement pas eacuteteacute

respecteacute ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants le Tribunal devait preacutealablement identifier les auteurs

de la deacuteclaration Celle-ci a-t-elle eacuteteacute conclue avec la Turquie par les chefs drsquoEtat ou de

gouvernement des Etats membres en tant que tels ou en tant que membres du Conseil europeacuteen et

1 Au regard des articles 78 et 216 du TFUE lrsquoUnion dispose effectivement drsquoune compeacutetence externe en

matiegravere drsquoasile compeacutetence certes partageacutee avec les Etats membres

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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2015

La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 11: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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engageant de ce fait lrsquoinstitution elle-mecircme La reacuteponse agrave cette question preacutealable est importante

puisqursquoelle conditionne la compeacutetence de la juridiction europeacuteenne A consideacuterer que la

deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee par les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres en cette

qualiteacute elle eacutechapperait au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par lrsquoarticle 263 du TFUE Le recours en

annulation preacutevu par cette disposition est effectivement ouvert agrave lrsquoencontre des toutes les

dispositions indeacutependamment de la nature ou de la forme de celles-ci prises par les institutions

organes ou organismes de lrsquoUnion A contrario le juge europeacuteen nrsquoest pas compeacutetent pour

connaicirctre de la leacutegaliteacute drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres agissant en tant

que tels

Par conseacutequent il incombe au Tribunal de deacuteterminer si lrsquoaccord conclu avec la Turquie reacutevegravele eu

eacutegard agrave son contenu et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute lrsquoexistence

drsquoun acte imputable au Conseil europeacuteen Dans un deuxiegraveme temps seulement et agrave condition que

la reacuteponse agrave cette premiegravere question soit positive se pose celle de savoir si ce faisant le Conseil

europeacuteen a conclu un accord international en meacuteconnaissance de lrsquoarticle 218 du TFUE

Sur la base de lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen en tant que deacutefendeur

agrave la cause le Tribunal rejette les recours introduits par les demandeurs drsquoasile Dans les trois

ordonnances mot pour mot identiques le Tribunal considegravere en effet que ce nrsquoest pas lrsquoUnion

europeacuteenne mais ses Etats membres qui ont meneacute les neacutegociations et conclu lrsquoaccord avec la

Turquie En drsquoautres termes les Etats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont agi collectivement sans

pour autant que lrsquoUnion elle-mecircme soit engageacutee En vertu de lrsquoarticle 263 du TFEU la compeacutetence

de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoest degraves lors pas fondeacutee puisqursquoelle ne peut srsquoexercer

agrave lrsquoeacutegard drsquoun acte adopteacute par les repreacutesentants des Etats membres quand bien mecircme ils seraient

reacuteunis physiquement dans lrsquoenceinte du Conseil europeacuteen Le Tribunal estimant que la deacuteclaration

UE-Turquie ne peut ecirctre consideacutereacutee comme un acte adopteacute par le Conseil europeacuteen ni par une

autre institution europeacuteenne il se deacuteclare incompeacutetent En deacutefinitive drsquoapregraves le raisonnement du

Tribunal lrsquoacte en cause est eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Lrsquoidentification des auteurs de la deacuteclaration et de la qualiteacute en vertu de laquelle ils ont agi se

reacutealise ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal au regard du contenu et de lrsquoensemble des circonstances

dans lesquelles la deacuteclaration a eacuteteacute adopteacutee La deacuteclaration UE-Turquie mateacuterialiseacutee dans le

communiqueacute de presse ndeg 11416 a fait suite agrave la reacuteunion du 18 mars 2016 la troisiegraveme rencontre

entre les dirigeants europeacuteens et leurs homologues turcs Drsquoapregraves le Tribunal il apparait que les

repreacutesentants des Etats membres ont participeacute aux deux premiegraveres rencontres en leur qualiteacute de

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres Le communiqueacute de presse affeacuterant agrave la

troisiegraveme reacuteunion se preacutesente toutefois diffeacuteremment et indique que ce sont les laquo membres du

Conseil europeacuteen raquo qui ont participeacute agrave la reacuteunion et que ce sont lrsquoUE et la Turquie qui ont convenu

des eacuteleacutements exposeacutes dans la deacuteclaration Le Tribunal considegravere neacuteanmoins qursquoune incertitude

entoure la nature de la reacuteunion du 18 mars tantocirct il serait fait reacutefeacuterence aux travaux du Conseil

europeacuteen tantocirct agrave un laquo sommet international raquo reacuteunissant les chefs drsquoEtat ou de gouvernement

des Etats membres avec leur homologue turc

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 12: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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Le Tribunal srsquointeacuteresse alors au contenu de la deacuteclaration UE-Turquie Le Tribunal commence par

admettre que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et lrsquoindication selon laquelle crsquoest

lrsquoUnion qui a convenu de points drsquoaction compleacutementaires avec la Turquie laissent entendre qursquoil

srsquoagisse bien drsquoun acte du Conseil europeacuteen Ce nrsquoest toutefois pas lrsquoavis de cette institution selon

laquelle lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo doit srsquoentendre comme une reacutefeacuterence faite

aux chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres puisque ceux-ci composent le Conseil

europeacuteen En outre la reacutefeacuterence agrave lrsquoUnion dans la deacuteclaration srsquoexplique drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen par le souci de simplification des termes utiliseacutes pour le grand public Il srsquoensuit que dans

le contexte journalistique lrsquoobjectif informatif drsquoun communiqueacute de presse justifie que des

formulations simplifieacutees ou des raccourcis soient utiliseacutes Drsquoapregraves le Conseil europeacuteen nonobstant

les termes de la deacuteclaration celle-ci ne saurait engager lrsquoUnion drsquoune quelconque maniegravere et ne

serait en reacutealiteacute qursquoun engagement politique la discordance srsquoexpliquant par le public cible du

support utiliseacute

Prenant en compte les explications du Conseil europeacuteen et au vu de lrsquoambivalence des termes

figurant dans la deacuteclaration qui en deacutecoule (le terme laquo UE raquo signifiant en fait les Etats membres et

non lrsquoUnion) le Tribunal deacutecide ensuite de se reacutefeacuterer aux documents officiels qui ont preacuteceacutedeacute la

reacuteunion du 18 mars Eu eacutegard notamment aux documents protocolaires le Tribunal considegravere que

deux eacuteveacutenements distincts ont eacuteteacute organiseacutes agrave savoir une reacuteunion du Conseil europeacuteen le 17 mars

2016 et un sommet international le lendemain tous deux entre les quatre murs beacutetonneacutes du

bacirctiment Justus Lipsius Il srsquoensuit que laquo nonobstant les termes regrettablement ambigus de la

deacuteclaration UE-Turquie telle que diffuseacutee au moyen du communiqueacute de presse ndeg 14416 crsquoest en

leur qualiteacute de chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement desdits Eacutetats membres que les repreacutesentants de

ces Eacutetats membres ont rencontreacute le Premier ministre turc le 18 mars 2016 raquo2

En outre la preacutesence du preacutesident du Conseil europeacuteen et celui de la Commission lors de ce

laquo sommet international raquo nrsquoa pas pour effet de rendre la deacuteclaration plus europeacuteenne Leur rocircle

dans les neacutegociations et dans le dialogue politique avec la Turquie justifiait apparemment leur

preacutesence agrave cette reacuteunion entre les chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres avec leur

homologue turc

Le Tribunal conclu dans ces conditions que lrsquoexpression laquo membres du Conseil europeacuteen raquo et le

terme laquo UE raquo figurant dans la deacuteclaration UE-Turquie doivent srsquoentendre comme des reacutefeacuterences aux

chefs drsquoEacutetat ou de gouvernement de lrsquoUnion Par conseacutequent laquo le Conseil europeacuteen en tant

qursquoinstitution nrsquoa pas adopteacute de deacutecision de conclure un accord avec le gouvernement turc au nom

de lrsquoUnion et qursquoil nrsquoa pas non plus engageacute lrsquoUnion au sens de lrsquoarticle 218 TFUE raquo3 En drsquoautres

termes peu importe la nature de la deacuteclaration celle-ci est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne Seuls

les Etats membres ayant agi ici collectivement mais en dehors du cadre europeacuteen sont ainsi

engageacutes par les termes de la deacuteclaration Le Tribunal juge opportun drsquoajouter agrave titre surabondant

que mecircme agrave supposer qursquoun accord international ait pu ecirctre conclu celui-ci aurait eacuteteacute le fait des

chefs drsquoEtat ou de gouvernement des Etats membres de lrsquoUnion et du Premier ministre turc Pour

2 Tribunal de lrsquoUnion europeacuteenne 28 feacutevrier 2017 NFConseil europeacuteen aff T-19216 sect66

3 Ibid sect70

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 13: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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ces raisons le Tribunal accueille lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen

puisque les recours portaient sur un acte nrsquoimpliquant aucune institution ni aucun organe ou

organisme de lrsquoUnion europeacuteenne

B Eacuteclairage

Outre le caractegravere eacutelusif de la deacutecision du Tribunal la deacuteclaration drsquoincompeacutetence de celui-ci nrsquoest

pas sans conseacutequence tant sur le plan institutionnel (I) qursquoau regard des droits fondamentaux (II)

I Un raisonnement eacutetrange pour un accord eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

A la lecture des ordonnances lrsquoargumentaire du Tribunal a de quoi surprendre Sans avoir agrave se

prononcer sur la nature de la deacuteclaration deacuteterminant lrsquoapplicabiliteacute ou non de lrsquoarticle 218 du

TFUE en lrsquoespegravece le Tribunal se deacuteclare incompeacutetent au motif que lrsquoacte nrsquoa pas eacuteteacute adopteacute par le

Conseil europeacuteen mais bien par les repreacutesentants des Etats membres agissant collectivement mais

en-dehors du cadre europeacuteen La deacuteclaration qursquoelle soit de nature politique ou juridique

nrsquoengage ainsi que les 28 Etats membres et la Turquie lrsquoUnion europeacuteenne eacutetant exteacuterieure agrave cet

accord

Avant drsquoaborder la deacutelicate question de la nature de lrsquoacte le Tribunal se devait effectivement de

veacuterifier que celui-ci incombe ainsi que lrsquoallegraveguent les requeacuterants agrave une institution un organe ou un

organisme de lrsquoUnion Dans le cas contraire lrsquoacte eacutechappe au controcircle de leacutegaliteacute institueacute par

lrsquoarticle 263 du TFUE Jusqursquoici rien drsquoanormal De mecircme que la forme drsquoun acte ne preacutejuge pas de

sa nature la qualification drsquoun acte de laquo deacutecision des Etats membres raquo par le Conseil europeacuteen en

tant que deacutefendeur agrave la cause nrsquoa pas pour effet de rendre cet acte eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne

Ainsi que lrsquoaffirme le Tribunal encore faut-il veacuterifier que lrsquoacte en question eu eacutegard agrave son contenu

et agrave lrsquoensemble des circonstances dans lesquelles il a eacuteteacute adopteacute ne constitue pas en reacutealiteacute une

deacutecision du Conseil europeacuteen Le contenu de lrsquoacte est donc ici fondamental lorsqursquoil existe un

doute sur la nature de lrsquoacte et les intentions des parties

Crsquoest agrave ce moment-ci que le raisonnement du Tribunal commence agrave vaciller La deacuteclaration du 18

mars commence par ces mots laquo Les membres du Conseil europeacuteen se sont reacuteunis ce jour avec leur

homologue turc raquo Le Tribunal ne le deacutement pas Ensuite le texte ne laisse aucun doute quant au

fait que crsquoest lrsquoUnion europeacuteenne qui est convenue de points drsquoaction compleacutementaires avec la

Turquie et que crsquoest lrsquoUnion qui srsquoengage que ce soit un engagement politique ou juridiquement

contraignant Bien que le contenu du texte apparaisse a priori clair le Conseil europeacuteen a deacutefendu

une lecture diffeacuterente et le Tribunal a accepteacute de prendre en compte ces explications Ainsi les

termes utiliseacutes dans le communiqueacute de presse doivent ecirctre lus au regard du contexte journalistique

qui justifie aux yeux du Conseil europeacuteen qursquoune simplification soit opeacutereacutee pour le grand public Le

contenu de la deacuteclaration serait donc trompeur au nom drsquoune neacutecessaire vulgarisation pour un

public sans doute pas suffisamment apte agrave comprendre la meacutecanique institutionnelle europeacuteenne

Outre le manque de respect envers les citoyens europeacuteens les explications du Conseil europeacuteen

reacutevegravelent une hypocrisie certaine qui nrsquoest pas sans rappeler lrsquoideacutee drsquolaquo alternative facts raquo Un acte

vendu comme eacutetant le fait de lrsquoUnion europeacuteenne ne le serait en fait pas et drsquoapregraves le Conseil

europeacuteen le contenu de cet acte ne saurait affecter le statut juridique et la qualiteacute en vertu de

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 14: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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laquelle les dirigeants europeacuteens ont rencontreacute leur homologue turc Il nrsquoest degraves lors pas eacutetonnant

que le doute srsquoinstalle quant au contenu de la deacuteclaration Plus fondamentalement lrsquoargumentaire

du Conseil europeacuteen avaliseacute par le Tribunal ne tient pas sur le fond Comment expliquer le rocircle

joueacute par la Commission europeacuteenne mais aussi par le preacutesident du Conseil europeacuteen tant avant

qursquoapregraves le 18 mars 2016 Si lrsquoaccord qursquoil soit politique ou juridique est eacutetranger agrave lrsquoUnion

europeacuteenne pourquoi la Commission europeacuteenne a-t-elle deacutejagrave publieacute cinq rapports le dernier le 2

mars 2017 vantant les progregraves reacutealiseacutes suite agrave ladite deacuteclaration En outre tant le plan drsquoaction

commun du 15 octobre 2015 que les points drsquoaction compleacutementaires convenus le 18 mars 2016

sont suffisamment clairs quant aux engagements de lrsquoUnion europeacuteenne En effet crsquoest lrsquoUnion qui

verse les montants astronomiques promis le processus drsquoadheacutesion agrave lrsquoUnion europeacuteenne a eacuteteacute

relanceacute lrsquoUnion srsquoest en outre engageacutee agrave libeacuteraliser son reacutegime des visas pour les ressortissants

turcs et enfin la reacuteinstallation de reacutefugieacutes syriens se fait vers lrsquoUnion dans son ensemble Au vu de

ces eacuteleacutements il est difficile de croire que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne puisque les

contreparties accordeacutees agrave la Turquie incombaient agrave lrsquoUnion europeacuteenne La Turquie a sans doute

accepteacute les termes de lrsquoaccord preacuteciseacutement parce qursquoelle srsquoattendait agrave des engagements de la part

de lrsquoUnion

Suivant la position du Conseil europeacuteen le Tribunal a adopteacute une position formaliste faisant fi du

contenu de lrsquoacte et de lrsquointention des parties Or au vu du contenu de la deacuteclaration et de

lrsquointention des parties il apparait difficilement contestable que crsquoest bien lrsquoUnion agrave travers le

Conseil europeacuteen qui srsquoeacutetait engageacutee La compeacutetence du Tribunal nrsquoaurait ainsi pas ducirc poser de

grandes difficulteacutes Tout en srsquoestimant compeacutetent eu eacutegard au contenu de la deacuteclaration le

Tribunal aurait pu neacuteanmoins juger qursquoun accord juridiquement contraignant en droit international

nrsquoaurait pas pour autant eacuteteacute conclu Par conseacutequent lrsquoarticle 218 du TFUE ne trouvant pas agrave

srsquoappliquer nrsquoaurait pas eacuteteacute meacuteconnu Les arguments en faveur drsquoune telle interpreacutetation ne

manquent pas et sont agrave nrsquoen pas douter plus seacuterieux que ceux avanceacutes par le Conseil europeacuteen en

lrsquoespegravece En effet la question de savoir si un traiteacute au sens de lrsquoarticle 2 de la Convention de Vienne

sur le droit des traiteacutes mateacuterialiseacute notamment par le plan drsquoaction commun et la deacuteclaration du 18

mars a eacuteteacute conclu entre lrsquoUnion europeacuteenne et la Turquie nrsquoest pas aussi aiseacutee qursquoelle nrsquoen a lrsquoair

et la deacutelimitation entre un traiteacute et un protocole drsquoentente (lsquomemorandum of understandingrsquo) est

parfois difficilement deacutecelable Ce faisant le Tribunal aurait deacutelivreacute un jugement drsquoautoriteacute quant agrave

la nature de lrsquoaccord question demeurant non reacutesolue Au lieu de cela le Tribunal a preacutefeacutereacute une

voie de sortie peu convaincante en faisant droit agrave lrsquoargumentaire du Conseil europeacuteen

Politiquement la deacutecision du Tribunal pose eacutegalement question Lrsquoaccord avec la Turquie a fait

lrsquoobjet de nombreuses critiques essuyeacutees par lrsquoUnion europeacuteenne renforccedilant encore un peu plus le

sentiment anti-europeacuteen alors que le Tribunal nous annonce un an plus tard que la coopeacuteration

avec la Turquie est eacutetrangegravere agrave lrsquoUnion europeacuteenne La confusion regravegne ainsi non pas seulement

dans le contenu de la deacuteclaration mais plus largement au niveau institutionnel et politique LrsquoUnion

europeacuteenne et ses Etats membres donnent lrsquoimpression drsquoun navire ayant perdu le cap faute

drsquoavoir quelqursquoun agrave la barre On ne sait plus tregraves bien qui fait quoi ni surtout qui est responsable de

quoi Alors que la crise des reacutefugieacutes a mis en eacutevidence les failles institutionnelles et les problegravemes

de gouvernance de lrsquoUnion europeacuteenne en matiegravere drsquoasile le Tribunal nrsquoaura pas permis drsquoy voir

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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2015

3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 15: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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plus clair Face agrave la crise de lrsquoasile et aux deacutecisions unilateacuterales de ses Etats membres lrsquoUnion

europeacuteenne a chercheacute une solution commune agrave travers la coopeacuteration avec la Turquie solution

sans doute critiquable mais qui a le meacuterite de promouvoir la coopeacuteration intereacutetatique Le Tribunal

nous informe toutefois agrave la surprise quasi-geacuteneacuterale que ce nrsquoest pas lrsquoUnion mais bien les Etats

membres qui sont seuls engageacutes

La deacutecision du Tribunal laisse ainsi sous-entendre que la logique intergouvernementale resurgit face

agrave lrsquoeffritement du reacutegime drsquoasile europeacuteen commun malgreacute la supranationalisation de la politique

drsquoasile formellement inscrite dans les Traiteacutes Cette lecture confirme lrsquoimpression que les

institutions communautaires sont inaptes agrave trouver des solutions agrave la crise et que le pouvoir des

capitales europeacuteennes se retrouve de facto renforceacute La deacutecision du Tribunal certes critiquable

illustre bien le fait que lrsquointeacutegration europeacuteenne souffre de la reacuteticence des Etats membres agrave lrsquoeacutegard

de la logique communautaire dans une matiegravere aussi sensible que lrsquoasile Cette reacutealiteacute est drsquoailleurs

implicitement accepteacutee par les institutions supranationales en atteste la deacutecision du Tribunal en

lrsquoespegravece A cet eacutegard il est eacutegalement remarquable que la Commission (tout comme la Belgique

drsquoailleurs) ait demandeacute agrave intervenir agrave la cause en soutien des conclusions du Conseil europeacuteen On

peut eacutegalement noter que le Parlement europeacuteen nrsquoa pas demandeacute agrave intervenir ce qui est tout

aussi reacuteveacutelateur En fin de compte bien que lrsquoaccord soit eacutetranger agrave lrsquoUnion europeacuteenne le

sentiment drsquoune Union en manque de souffle preacutedomine et les ordonnances du Tribunal

participent agrave la confusion des genres

II Compatibiliteacute avec les droits fondamentaux

Cet aveu drsquoincompeacutetence du Tribunal nrsquoest pas deacutepourvu de conseacutequences sur le plan humain Au-

delagrave des probleacutematiques institutionnelles souleveacutees par cet accord conclu en marge des

proceacutedures eacutetablies par le Traiteacute se pose la question des migrants et des reacutefugieacutes directement viseacutes

par les engagements mutuels des Etats parties En rejetant les trois recours introduits devant lui

pour cause drsquoincompeacutetence le Tribunal prive de facto de protection juridictionnelle les requeacuterants

dont les questions nrsquoeacutetaient pas limiteacutees agrave la seule conformiteacute de lrsquoaccord avec le droit de lrsquoUnion ni

agrave son caractegravere juridiquement contraignant

Les trois demandeurs drsquoasile (de nationaliteacute Afghane et Pakistanaise) eacutetaient arriveacutes sur lrsquoicircle de

Lesbos en 2016 Lrsquoun drsquoeux NF expliquait par exemple avoir fui la Reacutepublique islamique du

Pakistan laquo par crainte de perseacutecutions et drsquoatteintes graves agrave sa personne raquo Entreacute en Gregravece par

bateau depuis la Turquie il avait introduit une demande drsquoasile aupregraves des autoriteacutes grecques

quelques semaines apregraves la conclusion de lrsquoaccord avec la Turquie non pas par choix (conscient

des deacuteficiences systeacutemiques dans la mise en œuvre du systegraveme drsquoasile europeacuteen en Gregravece telles

que constateacutees par les juridictions europeacuteennes) mais afin de ne pas ecirctre refouleacute vers la Turquie

avec le cas eacutecheacuteant le risque drsquoy ecirctre placeacute en reacutetention ou drsquoecirctre expulseacute vers son pays drsquoorigine

Les deux autres requeacuterants soutenaient eacutegalement avoir introduit leur demande drsquoasile laquo agrave contre

cœur raquo ou laquo sous la contrainte raquo en raison des pressions exerceacutees sur eux par les autoriteacutes

grecques soucieuses drsquoune mise en œuvre rapide de lrsquoaccord contesteacute Leurs demandes ayant eacuteteacute

rejeteacutees les requeacuterants espeacuteraient du Tribunal de lrsquoUnion qursquoil se prononce sur la compatibiliteacute des

mesures envisageacutees lrsquoaccord preacutevoit en effet un renvoi vers la Turquie des migrants dont la

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 16: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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demande drsquoasile a eacuteteacute rejeteacutee et qui se trouvent partant en situation drsquoirreacutegulariteacute Parmi les cinq

moyens invoqueacutes les requeacuterants font valoir en premier lieu que la deacuteclaration nrsquoest pas compatible

avec les droits fondamentaux de lrsquoUnion en particulier les articles 1er 18 et 19 de la Charte des

droits fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne Ils allegraveguent ensuite que la Turquie nrsquoest pas un pays

tiers sucircr au sens de lrsquoarticle 38 de la directive 201332UE (dite laquo proceacutedures raquo) Au vu des

circonstances exceptionnelles et de lrsquoampleur de la crise migratoire actuelle ils soutiennent que la

directive 200155CE (laquo protection temporaire raquo) aurait ducirc ecirctre transposeacutee Ils considegraverent enfin

que lrsquoaccord viole lrsquoarticle 19 paragraphe 1 de la Charte qui prohibe formellement les expulsions

collectives Le Tribunal ne retenant que le quatriegraveme moyen nrsquoa donc pas eu agrave se prononcer sur

ces arguments Accueillant lrsquoexception drsquoincompeacutetence souleveacutee par le Conseil europeacuteen la

juridiction limite son analyse agrave des consideacuterations institutionnelles eacutevitant ainsi de srsquoattaquer agrave

lrsquoeacutepineuse question des droits fondamentaux

Que ce serait-il passeacute dans le cas contraire si le Tribunal avait reconnu sa compeacutetence nrsquoaurait-il

pas eacuteteacute obligeacute drsquoexaminer la leacutegaliteacute de lrsquoaccord tant sur la forme que sur le fond Tout drsquoabord il

faut bien admettre que lrsquoabsence de transposition de la directive laquo protection temporaire raquo reste

un mystegravere juridique Au regard notamment laquo du caractegravere massif des arriveacutees de personnes ayant

besoin de protection raquo des dysfonctionnements que ces arriveacutees ont pu engendrer dans les

systegravemes drsquoasile nationaux et de lrsquoimpossibiliteacute pour de nombreux migrants de rentrer de maniegravere

sucircre dans leur pays drsquoorigine on comprend mal pourquoi ce meacutecanisme dont le but est drsquoaccorder

une protection immeacutediate drsquoune dureacutee temporaire (renouvelable) nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclencheacute Face aux

reacuteticences politiques susciteacutees par cet instrument la Commission a preacutefeacutereacute proposer un meacutecanisme

innovant de relocalisation drsquourgence qui nrsquoa pas rencontreacute le succegraves escompteacute dans un certain

nombre drsquoEtats membres (lrsquoAutriche la Hongrie le Danemark ou la Pologne ont ainsi refuseacute toute

relocalisation de demandeurs drsquoasile en provenance de Gregravece ou drsquoItalie) La conformiteacute de lrsquoaccord

avec les droits de lrsquohomme tant sur le fond que sur le plan de sa mise en œuvre immeacutediate et

ulteacuterieure a eacutegalement susciteacute un grand nombre de questions et drsquoinquieacutetudes au niveau europeacuteen

et international LrsquoAssembleacutee parlementaire du Conseil de lrsquoEurope avait ainsi consideacutereacute au

lendemain de la conclusion de lrsquoaccord que laquo le renvoi de demandeurs drsquoasile syriens ou non vers

la Turquie en tant que laquopays tiers sucircrraquo est contraire au droit de lrsquoUnion europeacuteenne etou au droit

international la Turquie ne leur fournit en effet pas la protection preacutevue par la Convention des

Nations Unies de 1951 relative au statut des reacutefugieacutes les non-Syriens ne beacuteneacuteficient pas drsquoun accegraves

reacuteel agrave la proceacutedure drsquoasile et des cas de refoulement indirect de Syriens et de non-Syriens ont eacuteteacute

signaleacutes raquo Amnesty International qui avait justement preacutesenteacute une demande drsquointervention dans

ces affaires fait eacutetat dans son rapport de conditions de vie deacutesastreuses et de laquo prisons agrave ciel

ouvert raquo sur les icircles grecques drsquoexpulsions forceacutees illeacutegales de la Turquie vers la Syrie de personnes

ayant fui la guerre drsquoaccegraves limiteacute aux services de base et agrave lrsquoeacuteducation des reacutefugieacutes syriens

beacuteneacuteficiaires en Turquie drsquoun statut de protection temporaire ou encore des failles des systegravemes

dasile grecs et turcs dans le traitement des demandes introduites par des migrants non-syriens

Drsquoun point de vue meacutedical le bilan dresseacute par Meacutedecins Sans Frontiegraveres est tout aussi

preacuteoccupant dans son dernier rapport lrsquoorganisation internationale dresse les coucircts humains

reacutesultants de la politique migratoire europeacuteenne et notamment de lrsquoaccord conclu avec la Turquie

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2015

La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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2015

La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 17: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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La question de savoir si la Turquie peut ecirctre consideacutereacutee comme un pays tiers sucircr au sens du droit de

lrsquoUnion ne semble pas non plus trancheacutee les Comiteacutes drsquoappel grecs compeacutetents agrave lrsquoeacutepoque pour

connaicirctre des deacutecisions rendues par le Service drsquoasile contestegraverent cette qualification jusqursquoagrave ce

qursquoune recomposition soit opeacutereacutee par la loi nationale quelques mois apregraves la conclusion de

lrsquoaccord4 Certains continuent de deacutenoncer le caractegravere laquo extrecircmement restrictif raquo de lrsquoaccegraves agrave la

proceacutedure drsquoasile et agrave une protection internationale en Turquie ainsi que lrsquoapplication laquo partielle raquo

de la Convention de Genegraveve sur le statut de reacutefugieacute aux non-ressortissants des pays membres du

Conseil de lrsquoEurope5 Enfin la crainte drsquoassister agrave des expulsions laquo collectives et arbitraires raquo fucirct

ouvertement exprimeacutee par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de lhomme Zeid

Raad Al Hussein avant mecircme la conclusion deacutefinitive de lrsquoaccord Celles-ci sont illicites tant en

droit de lrsquoUnion qursquoen droit international en vertu respectivement de la Charte et de la Convention

europeacuteenne des droits de lrsquohomme Dans lrsquoaffaire Khlaifia et autres c Italie la Grande Chambre de

la Cour de Strasbourg a ainsi preacuteciseacute que lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg4 laquo srsquoil ne garantit pas en toute

circonstance le droit agrave un entretien individuel raquo exige que laquo chaque eacutetranger ait la possibiliteacute

drsquoinvoquer les arguments srsquoopposant agrave son expulsion et que ceux-ci soient examineacutes par les

autoriteacutes de lrsquoEtat raquo concerneacute de faccedilon laquo reacuteelle et effective raquo6 Cette interpreacutetation lie le juge de

lrsquoUnion qui est tenu drsquointerpreacuteter la Charte conformeacutement aux dispositions similaires de la CEDH

Sans preacutejuger de la reacuteponse qursquoaurait apporteacute le Tribunal agrave ces diffeacuterentes questions il aurait eacuteteacute

souhaitable qursquoil srsquoattarde - voir se prononce explicitement - sur ces aspects lui qui agrave lrsquoinstar de la

Cour de justice entend proteacuteger et assurer le respect des droits fondamentaux dans toute situation

reacutegie par le droit de lrsquoUnion Si des voies de recours alternatives existent pour les requeacuterants tant

devant les juridictions grecques que devant la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (apregraves

eacutepuisement des voies de recours internes) le signal donneacute par lrsquoUnion nrsquoen reste pas moins

deacutecevant

Autrefois proactif et preacutecurseur sur ces questions7 le juge de lrsquoUnion oscille aujourdrsquohui entre

prudence et preacutecaution En deacutepit des mises en garde exteacuterieures et de lrsquoappel lanceacute par certains

avocats geacuteneacuteraux8 Cour et Tribunal de lrsquoUnion peinent agrave proteacuteger efficacement et concregravetement

les droits fondamentaux des eacutetrangers et des reacutefugieacutes pourtant premiegraveres victimes drsquoune crise

migratoirehellip peu agrave peu transformeacutee en une crise morale politique et institutionnelle ineacutedite

J-BF et GR

4 Lrsquoeacutetude reacutealiseacutee par ECRE le CIR et le Greek Refugee Council souligne lrsquointention claire poursuivie par cette

modification consistant agrave laquo mieux aligner les deacutecisions relatives au concept de pays tiers sucircr raquo Voy The Implementation of the Hotspost in Italy and Greece a study deacutecembre 2016 5 M MASE laquo laquo Accord UE-Turquie raquo les droits fondamentaux en danger raquo Courrier de lrsquoACAT 339 juillet-aoucirct

2016 p 10 6 Cour eur DH arrecirct Khlaifia et autres c Italie 15 deacutecembre 2016 ndeg1648312 sect248

7 Voy notamment CJUE 14 mai 1974 Nold C-473 EUC197451 17 deacutecembre 1970 Internationale

Handelsgesellschaft C-1170 EUC1970114 26 feacutevrier 2013 Melloni C-39911 EUC2013107 26 feacutevrier 2013 Aringkerberg Fransson C-61710 EUC2013105 8 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral Paolo Mengozzi du 7 feacutevrier 2017 dans lrsquoaffaire X et X C-43814 PPU

EUC201793

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C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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2015

La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 18: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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2015

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoordonnance du Tribunal (affaire NF)

- O CORTEN et M DONY laquo Accord politique ou juridique Quelle est la nature du ldquomachinrdquo conclu

entre lrsquoUE et la Turquie en matiegravere drsquoasile raquo EU Migration Law Blog 10 Juin 2016

- H LABAYLE laquo Lrsquoaccord Union europeacuteenne avec la Turquie lrsquoheure de veacuteriteacute raquo gdr-elsjeu 28 avril

2016 [En ligne]

- J-B FARCY ldquoEU-Turkey agreement solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in

Bodrumrdquo EU Migration Law Blog 7 deacutecembre 2015

- M TISSIER-RAFFIN laquo Crise europeacuteenne de lrsquoasile lrsquoEurope nrsquoest pas agrave la hauteur de ses

ambitions raquo La Revue des droits de lrsquohomme [En ligne] 8 | 2015 mis en ligne le 16 novembre 2015

Pour citer cette note J-B FARCY et G RENAUDIERE laquo Lrsquoaccord UE-Turquie devant le Tribunal de

lrsquoUnion europeacuteenne Une incompeacutetence lourde de conseacutequences raquo Newsletter EDEM mars 2017

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 19: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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3 CJUE ARREcircT DU 9 FEVRIER 2017 M C-56014 EUC2017101

Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire confirmation et preacutecision

A Arrecirct

1 Faits et reacutetroactes

Le requeacuterant M (ressortissant rwandais) a eacuteteacute admis en Irlande sous le couvert drsquoun visa eacutetudiant

Au terme de ses eacutetudes il a introduit une demande drsquoasile Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee Il a ensuite

introduit une demande de protection subsidiaire1 eacutegalement rejeteacutee Dans le cadre de lrsquoexamen du

recours introduit devant la High Court contre la deacutecision rejetant la demande de protection

subsidiaire celle-ci a poseacute une question preacutejudicielle agrave la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(CJUE) La question partait de lrsquohypothegravese selon laquelle le demandeur sollicite le statut confeacutereacute par

la protection subsidiaire apregraves que le statut de reacutefugieacute lui ait eacuteteacute refuseacute et ougrave il est proposeacute qursquoune

telle demande soit rejeteacutee Il srsquoagissait de savoir si lrsquoexigence de coopeacuterer avec le demandeur

imposeacutee aux Etats membres par lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification2 obligeait les autoriteacutes

compeacutetentes agrave communiquer au demandeur les reacutesultats drsquoune telle appreacuteciation avant lrsquoadoption

drsquoune deacutecision finale de maniegravere agrave lui permettre de reacuteagir aux aspects de la deacutecision de rejet La

Cour a consideacutereacute que si lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive qualification nrsquooblige pas les Etats agrave

communiquer les motifs pour lesquels ils srsquoapprecirctent agrave adopter une deacutecision de rejet drsquoune

demande de protection internationale le droit drsquoecirctre entendu consacreacute par lrsquoarticle 41 sect 2 a) de

la Charte des droits fondamentaux impose drsquoentendre le demandeur avant de statuer sur sa

demande de protection subsidiaire mecircme srsquoil a deacutejagrave eacuteteacute entendu dans le cadre de lrsquoexamen de sa

demande drsquoasile3

Agrave la suite de cet arrecirct la High Court a jugeacute que lrsquoautoriteacute compeacutetente avait omis agrave tort drsquoorganiser

une audition effective de M lors de lrsquoexamen de sa demande de protection subsidiaire Lrsquoautoriteacute

compeacutetente a introduit un recours contre cette deacutecision devant la Supreme Court qui a deacutecideacute de

surseoir agrave statuer et de poser une question preacutejudicielle Elle demande agrave la CJUE si le droit drsquoecirctre

entendu exige dans le cadre drsquoun systegraveme dual que le demandeur de la protection subsidiaire

beacuteneacutefice du droit agrave un entretien oral relatif agrave sa demande et du droit drsquoappeler ou de mener un

contre-interrogatoire des teacutemoins agrave lrsquooccasion de cet entretien4

2 Deacutecision de la Cour

1 En Irlande la proceacutedure de demande de protection internationale est deacutedoubleacutee Le laquo guichet unique raquo

preacutevoyant le deacutepocirct et lrsquoexamen simultaneacute des demandes drsquoasile et de protection subsidiaire nrsquoy a pas eacuteteacute instaureacute 2 Directive (UE) ndeg 200483 du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux

conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir preacutetendre au statut de reacutefugieacute ou les personnes qui pour dautres raisons ont besoin dune protection internationale et relatives au contenu de ces statuts JO 30 avril 2004 L 302 p 12 3 Arrecirct du feacutevrier 2017 M C-27711 EUC2012744 Voy not L LEBOEUF laquo Le droit drsquoecirctre entendu

srsquoapplique au demandeur de protection subsidiaire raquo Newsletter EDEM novembre 2012 pp 10-12 4 Arrecirct du 22 novembre 2012 M C-56014 EUC2017101 pts 18-21

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 20: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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La Cour rappelle la jurisprudence relative au droit drsquoecirctre entendu5 et les conclusions particuliegraveres

du premier arrecirct M

Le droit drsquoecirctre entendu fait partie inteacutegrante du respect des droits de la deacutefense lequel

constitue un principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne devant ecirctre garanti pour les

deacutecisions qui affectent de maniegravere sensible les inteacuterecircts des destinataires (pt 25)

Lorsqursquoune reacuteglementation nationale preacutevoit deux proceacutedures distinctes et successives aux

fins de lrsquoexamen respectivement de la demande visant agrave obtenir le statut de reacutefugieacute et de

la demande de protection subsidiaire le droit du demandeur drsquoecirctre entendu doit ecirctre

pleinement garanti dans le cadre de chacune des proceacutedures (p26)

Le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas qursquoil soit neacutecessairement proceacutedeacute agrave un entretien oral

dans le cadre de la proceacutedure drsquoexamen de la demande de protection subsidiaire (pt 27)

Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune deacutecision relative agrave une demande de

protection subsidiaire doit permettre au demandeur drsquoexposer son point de vue sur les

eacuteleacutements pertinents dont lrsquoadministration doit tenir compte dans son eacutevaluation

individuelle drsquoune demande de protection internationale6 afin de lui permettre de statuer

en pleine connaissance de cause et de motiver sa deacutecision d maniegravere approprieacutee afin que

le cas eacutecheacuteant le demandeur puisse exercer son droit de recours (pts 28-37)

Dans ces conditions la Cour estime que le fait qursquoun demandeur de protection subsidiaire nrsquoait pu

faire eacutetat de son point de vue sur lrsquoensemble des eacuteleacutements pertinents que sous une forme eacutecrite ne

pourrait de maniegravere geacuteneacuterale ecirctre consideacutereacute comme affectant le respect effectif du droit drsquoecirctre

entendu avant lrsquoadoption sur sa demande Elle estime que ces eacuteleacutements peuvent utilement ecirctre

porteacutes agrave la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur

ou drsquoun formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves

documentaires Elle considegravere que si le demandeur dispose drsquoune marge de manœuvre suffisante

pour exprimer son point de vue et qursquoil beacuteneacuteficie si besoin drsquoune assistance approprieacutee un tel

meacutecanisme proceacutedural est de nature agrave lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere circonstancieacutee sur

les eacuteleacutements devant ecirctre pris en consideacuteration par lrsquoautoriteacute compeacutetente et drsquoexposer srsquoil le juge

utile des informations ou des appreacuteciations diffeacuterentes de celles deacutejagrave soumises agrave lrsquoautoriteacute

compeacutetente agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile (pts 38-41)

5 Arrecirct du 18 deacutecembre 2008 Sopropeacute C-34907 EUC2008 756 arrecirct du 22 novembre 2012 M C-

271111 EUC2012744 arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336 arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431 arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175 6 Article 4 sect 3 de la directive (UE) ndeg 201195 du Conseil du 13 deacutecembre 2011 concernant les normes

relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir beacuteneacuteficier drsquoune protection internationale agrave un statut uniforme pour les reacutefugieacutes ou les personnes pouvant beacuteneacuteficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection (refonte) JO 20 deacutecembre 2011 L 337 p 9 Il srsquoagit des informations et documents relatifs agrave lrsquoacircge du demandeur agrave son passeacute agrave son identiteacute agrave sa ou ses nationaliteacutes aux pays ougrave il a reacutesideacute auparavant agrave ses demandes drsquoasile anteacuterieures agrave son itineacuteraire aux raisons justifiant sa demande et plus largement aux atteintes graves dont il a fait ou pourrait faire lrsquoobjet Le cas eacutecheacuteant lrsquoautoriteacute doit aussi prendre en consideacuteration les explications fournies quant agrave lrsquoabsence drsquoeacuteleacutements probants et la creacutedibiliteacute geacuteneacuterale du demandeur

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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2015

qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 21: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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Cela eacutetant la Cour pose une exception Elle deacuteclare que des circonstances speacutecifiques peuvent

rendre neacutecessaire lrsquoorganisation drsquoun entretien oral afin que le droit drsquoecirctre entendu du demandeur

de protection subsidiaire soit effectivement respecteacute Elle se base sur lrsquoarticle 4 sect 1er de la directive

qualification en vertu duquel si les eacuteleacutements fournis par le demandeur de la protection

internationale ne sont pas complets actuels ou pertinents lrsquoautoriteacute compeacutetente a lrsquoobligation de

coopeacuterer activement avec le demandeur pour permettre la reacuteunion de lrsquoensemble des eacuteleacutements

permettant drsquoappreacutecier sa demande Partant un entretien oral doit ecirctre organiseacute dans deux

hypothegraveses Premiegraverement si lrsquoautoriteacute compeacutetente nrsquoest objectivement pas en mesure sur la base

des eacuteleacutement dont elle dispose agrave la suite de la proceacutedure eacutecrite et de lrsquoentretien oral du demandeur

reacutealiseacute lors de lrsquoexamen de sa demande drsquoasile de deacuteterminer en pleine connaissance de cause srsquoil

existe des motifs seacuterieux et aveacutereacutes de croire qursquoen cas de renvoi le demandeur courrait un risque

reacuteel de subir des atteintes graves Deuxiegravemement srsquoil apparaicirct au regard de la situation

personnelle ou geacuteneacuterale dans laquelle srsquoinscrit la demande de protection subsidiaire notamment

de lrsquoeacuteventuelle vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur tenant par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat

de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des formes graves de violence qursquoun entretien oral est

neacutecessaire pour lui permettre de srsquoexprimer de maniegravere complegravete et coheacuterente sur les eacuteleacutements

susceptibles drsquoeacutetayer sa demande (pts 47-52)

Dans lrsquohypothegravese ougrave un entretien oral aurait ducirc ecirctre organiseacute la Cour considegravere que le droit

drsquoappeler et de mener un contre-interrogatoire des teacutemoins lors de lrsquoentretien deacutepasse les

exigences qui deacutecoulent du droit drsquoecirctre entendu dans les proceacutedures administratives tel qursquoil en

reacutesulte de la jurisprudence7 Elle ajoute que les regravegles applicables agrave lrsquoexamen des demandes de

protection subsidiaire ne confegraverent pas aux teacutemoignages une importance particuliegravere dans

lrsquoappreacuteciation des faits et circonstances pertinentes (pts 53-55)

B Eacuteclairage

La CJUE preacutecise la porteacutee du droit drsquoecirctre entendu dans le droit de lrsquoUnion europeacuteenne srsquoagissant en

particulier de la proceacutedure drsquooctroi de la protection subsidiaire (1) Dans son raisonnement elle

introduit explicitement la notion de vulneacuterabiliteacute agrave lrsquoeacutegard des demandeurs drsquoasile (2)

1 La porteacutee du droit drsquoecirctre entendu

Ainsi qursquoen attestent les renvois de la Cour agrave la jurisprudence anteacuterieure le droit drsquoecirctre entendu

dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration fait lrsquoobjet drsquoune construction preacutetorienne

reacutecente Dans lrsquoarrecirct M la Cour a consideacutereacute que le droit drsquoecirctre entendu en tant que partie

inteacutegrante du principe geacuteneacuteral des droits de la deacutefense peut ecirctre invoqueacute dans le cadre des

proceacutedures drsquoasile Elle a abouti agrave la mecircme conclusion dans les arrecircts G et R Mukarubega et

Boudjlida au sujet du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure relative agrave lrsquoadoption drsquoune

deacutecision drsquoeacuteloignement et agrave lrsquoeacuteventuelle privation de liberteacute en vue de cet eacuteloignement Dans ces

arrecircts la Cour srsquoest prononceacutee sur le champ drsquoapplication de lrsquoarticle 41 de la Charte des droits

7 Arrecirct du 7 janvier 2004 Aalborg Portland ea C-20400 P C-20500 P C-21100P C-21300 P C-21700 P

et C-21900 P pt 200)

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 22: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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fondamentaux de lrsquoUnion europeacuteenne sur le respect du droit drsquoecirctre entendu ainsi que sur ses

modaliteacutes8

Dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour poursuit et deacuteveloppe le raisonnement entameacute dans le premier

arrecirct M concernant lrsquoapplication du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la demande de

protection subsidiaire faisant suite agrave la proceacutedure de reconnaissance du statut de reacutefugieacute

Comme le rappelle lrsquoavocat geacuteneacuteral dans ses conclusions9 lors du premier arrecirct M la Cour nrsquoa pas

jugeacute que dans la proceacutedure tendant agrave la reconnaissance de la protection subsidiaire une audition de

lrsquointeacuteresseacute est laquo toujours et absolument neacutecessaire raquo (pt 52) Lrsquoarrecirct doit ecirctre lu non pas dans le

sens drsquoune affirmation de la neacutecessiteacute absolue drsquoune audition dans le cadre de la proceacutedure relative

agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire mais plutocirct comme un rappel fort agrave lrsquoexigence que le droit

drsquoecirctre entendu doit pleinement ecirctre respecteacute dans cette proceacutedure y compris dans un systegraveme

dual (pt 55)

En lrsquoespegravece la Cour et lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduisent une logique inverseacutee de ces consideacuterations La

premiegravere eacutetablit que le droit drsquoecirctre entendu nrsquoexige pas que le demandeur beacuteneacuteficie du droit agrave un

entretien oral sauf lorsque des circonstances speacutecifiques le rendent neacutecessaire le second

considegravere que le droit drsquoecirctre entendu exige une audition personnelle du demandeur sauf dans des

cas exceptionnels En effet lrsquoavocat geacuteneacuteral estime que si ces consideacuterations ne militent pas en

faveur de la reconnaissance drsquoun droit absolu agrave une audition personnelle dans tous les cas de

demandes de protection subsidiaire lrsquoexigence de garantie particuliegravere drsquoexercice effectif du droit

drsquoecirctre entendu dans une telle proceacutedure au vu de sa nature particuliegravere et de ses objectifs

lrsquoaudition personnelle du demandeur devrait en tout eacutetat de cause constituer la regravegle et non

lrsquoexception et que celle-ci ne pourrait ecirctre omise que dans des cas exceptionnels et ce mecircme dans

un systegraveme dual (pt 56)

Selon lrsquoavocat geacuteneacuteral la fonction du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la proceacutedure tendant agrave

lrsquooctroi de la protection subsidiaire est de permettre agrave lrsquoadministration compeacutetente de faire

prendre position agrave lrsquointeacuteresseacute sur les faits qui sous-tendent sa demande de maniegravere agrave assurer

drsquoune part sa protection effective et drsquoautre part lrsquoadoption drsquoune deacutecision de la part de

lrsquoadministration en plein connaissance de cause (pt 57 voy aussi pt 30 des conclusions) Or

lrsquoaudition personnelle constitue lrsquoexpression maximale du doit drsquoecirctre entendu lrsquooccasion unique

pour le demandeur drsquoexposer personnellement son histoire et de srsquoentretenir avec la personne la

plus qualifieacutee pour tenir compte de sa situation personnelle A cette occasion il peut preacutesenter

drsquoeacuteventuels nouveaux eacuteleacutements au soutien de sa demande qursquoil nrsquoavait pas inteacutegreacutes dans son

argumentation et surtout srsquoexpliquer personnellement sur des doutes eacuteventuellement survenus ou

8 Voy not L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefit de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399 M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp 10-15 E

GUIL amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves towards a

definition raquo EU law analysis January 2015 H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation

irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

9 Conclusions de lrsquoavocat geacuteneacuteral MENGOZZI preacutesenteacutees le 3 mai 2016 EUC2016320

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

Page 23: ² NEWSLETTER - European Migration La...NEWSLETTER 3 Mars 2017 2015 1. C.J.U.E., C-638/16 PPU, ARRÊT DU 7 MARS 2017, X. ET X., ECLI:EU:C:2017:173 Délivrer un visa humanitaire visant

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drsquoeacuteventuels eacuteleacutements perccedilus comme contradictoires (pt 58) On ajoute eacutegalement lrsquoimportance du

contact interpersonnel drsquoautant plus face agrave des individus qui ne sont pas habitueacutes aux proceacutedures

administratives et qui deacutependent parfois de tiers pour srsquoexprimer par eacutecrit Pour lrsquoautoriteacute nationale

compeacutetente lrsquoaudition est lrsquooccasion drsquoexaminer de maniegravere concregravete des eacuteleacutements notamment

de nature subjective et donc pouvant difficilement ecirctre releveacutes par eacutecrit qui pouvaient ne pas

revecirctir drsquoimportance aux fins de lrsquooctroi du statut de reacutefugieacute et qui en revanche peuvent ecirctre

pertinents aux fins de lrsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire (pt 59) Dans une

proceacutedure telle que celle relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire dans laquelle la

personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute joue un rocircle central et dans laquelle il est souvent impossible de fournir

des preuves documentaires lrsquoaudition personnelle constitue une phase drsquoimportance

fondamentale aux fins notamment de lrsquoappreacuteciation de la personnaliteacute de lrsquoindividu et de la

creacutedibiliteacute des eacuteleacutements invoqueacutes dans sa demande (pt 60)

Au vu de ces deacuteveloppements il est regrettable que la Cour nrsquoait pas suivi lrsquoavocat geacuteneacuteral Le droit

drsquoecirctre entendu est un maillon du droit agrave lrsquoeffectiviteacute de la protection internationale et agrave lrsquoeffectiviteacute

des recours Il srsquoagit drsquoune composante du principe de bonne administration ndash lui-mecircme participant

au principe drsquoeffectiviteacute ndash et des droits de la deacutefense et il semble que laquo le fil rouge de tous ces

principes est reacuteellement constamment lrsquoideacutee drsquoune administration rationnelle raquo 10 La suite du

raisonnement de lrsquoavocat geacuteneacuteral repris ci-apregraves traduit le lien intrinsegraveque existant entre la qualiteacute

de la proceacutedure et les garanties au fond dans le contentieux de lrsquoasile et de lrsquoimmigration

Lrsquoavocat geacuteneacuteral poursuit en assurant que le fait que le droit drsquoecirctre entendu ait eacuteteacute pleinement

respecteacute dans le cadre de la proceacutedure anteacuterieure relative agrave la demande drsquoasile nrsquoimplique pas que

lrsquoexigence particuliegravere de garantie de lrsquoexercice effectif de ce droit soit limiteacutee dans la proceacutedure

relative agrave lrsquooctroi de la protection subsidiaire qui y succegravede Le droit drsquoecirctre entendu dans les deux

proceacutedures se rapporte agrave des critegraveres diffeacuterents et constitue une garantie de proceacutedure qui couvre

des contextes diffeacuterents (pt 63) A cet eacutegard on peut renvoyer agrave la jurisprudence du Conseil drsquoEtat

qui souligne que le droit drsquoecirctre entendu doit ecirctre respecteacute dans la deacutecision de retour qui est

diffeacuterente de la deacutecision de fin de seacutejour11

Lrsquoavocat geacuteneacuteral deacuteduit que dans un systegraveme dual les constatations opeacutereacutees par lrsquoadministration

dans la premiegravere proceacutedure ne peuvent ecirctre automatiquement transposeacutees dans la seconde

proceacutedure En drsquoautres termes on ne peut pas transfeacuterer le respect du droit drsquoecirctre entendu drsquoune

proceacutedure agrave lrsquoautre Il insiste laquo dans un contexte tel que celui de la protection internationale agrave la

lumiegravere du caractegravere fondamental que revecirct le droit drsquoecirctre entendu ces consideacuterations sont

drsquoautant plus importantes pour ce qui est des constatations neacutegatives sur la creacutedibiliteacute qui sont

susceptibles drsquoavoir un impact deacutecisif sur la deacutecision finale raquo (pt 64)

10

I OPDEBEEK et M VAN DAMME (dir) Beginselen van behoorlijk bestuur Bruges La Charte 2006 p 10 11

Voy CE 15 deacutecembre 2015 ndeg 233 257 laquo Degraves lors que lrsquointerdiction drsquoentreacutee eacutetait de nature agrave affecter de maniegravere deacutefavorable et distincte de lrsquoordre de quitter le territoire les inteacuterecircts de [lrsquoeacutetranger] son droit agrave ecirctre entendu a impliqueacute que [lrsquoadministration] lrsquoinvitait agrave exposer eacutegalement son point de vue au sujet de cette interdiction avant de lrsquoadopter Le premier juge a donc pu deacutecider leacutegalement que le principe geacuteneacuteral du droit de lrsquoUnion europeacuteenne du respect des droits de la deacutefense nrsquoa pas eacuteteacute respecteacute par [lrsquoadministration] car [lrsquoeacutetranger] nrsquoa pu faire valoir son point de vue qursquoagrave lrsquoeacutegard de lrsquoordre de quitter le territoire et non agrave propos de lrsquointerdiction drsquoentreacutee raquo

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

NEWSLETTER

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Mars 2017

2015

La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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2015

qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017

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La mise en eacutevidence de la creacutedibiliteacute est absente des consideacuterations de la Cour Elle considegravere que

les eacuteleacutements pertinents agrave lrsquoappui de la demande de protection internationale peuvent ecirctre porteacutes agrave

la connaissance de lrsquoautoriteacute compeacutetente au moyen de deacuteclarations eacutecrites du demandeur ou drsquoun

formulaire adapteacute preacutevu agrave cet effet accompagneacutes le cas eacutecheacuteant des preuves documentaires

jointes Une telle argumentation semble deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute factuelle culturelle et psychique

des demandeurs Ceux-ci sont particuliegraverement deacutemunis pour prouver la crainte de perseacutecution ou

le risque reacuteel de subir des atteintes graves qursquoils allegraveguent ils disposent geacuteneacuteralement de tregraves peu

de preuves mateacuterielles ils sont potentiellement traumatiseacutes et ils proviennent drsquoun environnement

social et culturel diffeacuterent Ces circonstances complexifient lrsquoeacutetablissement des faits tant pour les

demandeurs dont les deacuteclarations orales deviennent le seul eacuteleacutement probant et qui peinent dans

leur restitution des faits et circonstances agrave lrsquoorigine de leur fuite que pour les deacutecideurs qui ne

parviennent pas agrave les comprendre Le recours agrave lrsquoeacutecrit jugeacute suffisant par la Cour dans lrsquoarrecirct

commenteacute nrsquoapparait pas comme participant agrave la mise en œuvre entameacutee et neacutecessaire de pistes

drsquoameacutelioration de la bonne administration de la preuve

Les enseignements du premier arrecirct M ne se sont pas imposeacutes agrave la Belgique La proceacutedure de

demande de protection internationale est une proceacutedure dite laquo agrave guichet unique raquo Le CGRA

examine dans la mecircme et unique proceacutedure le statut de reacutefugieacute et la protection subsidiaire Ces

enseignements indiquent toutefois que mecircme dans le cadre drsquoune proceacutedure unique la garantie

drsquoaudition impose que lors de son audition les deux volets de la demande de protection soient

examineacutes agrave deacutefaut de quoi une nouvelle audition serait neacutecessaire pour le second volet Ils vont au

delagrave de lrsquohypothegravese drsquoune proceacutedure agrave deux guichets en ce qursquoils rappellent que le devoir de

coopeacuteration et le droit agrave une audition sont des principes geacuteneacuteraux de droit de lrsquoUnion

europeacuteenne12

En droit belge lrsquoarrecircteacute royal relatif agrave la proceacutedure et au fonctionnement devant le CGRA preacutevoit

que demandeur drsquoasile doit ecirctre convoqueacute au moins une fois devant un agent de protection13 Il

peut toutefois ecirctre fait exception agrave cette obligation drsquoaudition dans le cas de demandes drsquoasile

subseacutequentes14 ainsi que si lrsquoaudition est manifestement impossible (par exemple en raison de

problegravemes de santeacute)15 Lorsque la demande drsquoasile subseacutequente tend agrave lrsquooctroi de la protection

subsidiaire et que celle-ci nrsquoa pas fait lrsquoobjet drsquoun examen suffisant lorsque la premiegravere demande

drsquoasile cet arrecirct peut imposer une nouvelle audition

2 La vulneacuterabiliteacute du demandeur de protection

12

J-Y CARLIER et S SAROLEA Droit des eacutetrangers Bruxelles Larcier 2016 p 619 13

Article 6 sect 1er

de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 fixant la proceacutedure devant le Commissariat geacuteneacuteral aux Reacutefugieacutes et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement MB 27 janvier 2004 p 4623 14

Article 6 sect 2 de lrsquoarrecircteacute royal du 11 juillet 2003 preacuteciteacute 15

CCE 28 juin 2013 ndeg 103 656 Voy aussi CCE 25 juin 2014 ndeg 126 219 Le principe geacuteneacuteral de droit de

lrsquoUnion qursquoest le droit drsquoecirctre entendu nrsquoest pas violeacute en cas de refus de prendre en consideacuteration une

nouvelle demande drsquoasile sans proceacuteder agrave une nouvelle audition srsquoil nrsquoapparait pas que cela aurait ameneacute le

CGRA agrave adopter une deacutecision diffeacuterente

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2015

La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

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La Cour nuance toutefois son raisonnement Elle eacutetablit deux circonstances speacutecifiques rendant

neacutecessaire le droit agrave un entretien oral pour la demande de protection subsidiaire Lrsquoune est requise

par la vulneacuterabiliteacute particuliegravere du demandeur

Dans sa jurisprudence la Cour se reacutefegravere tregraves peu agrave la notion de laquo vulneacuterabiliteacute raquo Le cas eacutecheacuteant

elle deacutesigne rarement des personnes et plus souvent des zones des espegraveces proteacutegeacutees voire

lrsquoindustrie europeacuteenne au regard du contexte eacuteconomique mondial La preacutesence du laquo signifieacute raquo y

est neacuteanmoins bien reacuteelle16 Elle peut provenir des processus de reacuteglementation et de

deacutesintervention induits par les regravegles europeacuteennes de libre circulation eacuteconomique et en atteste

lrsquoarrecirct Ruiz Zambrano17 le critegravere de la vulneacuterabiliteacute tente de supplanter celui de la mobiliteacute18

Jusqursquoalors la Cour nrsquoavait pas mentionneacute la vulneacuterabiliteacute des demandeurs de protection

internationale malgreacute la reconnaissance de celle-ci par la Cour europeacuteenne des droits de

lrsquohomme19 et le leacutegislateur europeacuteen dans les directives accueil et proceacutedures20 Ces textes dressent

une liste non exhaustive de personnes qui peuvent ecirctre consideacutereacutees comme vulneacuterables (ou qui

neacutecessitent des garanties proceacutedurales speacuteciales) Cette liste renvoie agrave des cateacutegories ou agrave des

groupes qui compte tenu de leur acircge de leur eacutetat physique ou physiologique de leur situation

familiale ou encore de leur veacutecu preacutesentent une certaine fragiliteacute preacutecariteacute faiblesse ou

deacutependance neacutecessitant une aide une attention des soins speacutecifiques Il srsquoagit par exemple des

mineurs des personnes acircgeacutees des femmes enceintes des victimes de la traite des ecirctres humains

etc De la mecircme maniegravere dans lrsquoarrecirct commenteacute la Cour speacutecifie que la vulneacuterabiliteacute du

demandeur peut tenir par exemple agrave son acircge agrave son eacutetat de santeacute ou au fait qursquoil aurait subi des

formes graves de violence

La reacutefeacuterence bregraveve mais explicite faite par la Cour agrave la vulneacuterabiliteacute des demandeurs est

importante mais pas encore significative Si les deacutecisions de la Cour sont toujours circonscrites par

les questions preacutejudicielles poseacutees par les Etats membres il devient neacutecessaire qursquoelle preacutecise les

contours du concept de vulneacuterabiliteacute Les directives le reconnaissent et lrsquoexemplifient mais ne

donnent aucune indication quant agrave lrsquoeacutetape de lrsquoidentification des personnes vulneacuterables (mis agrave part

que cela doit ecirctre fait dans un deacutelai raisonnable apregraves lrsquointroduction de la demande de protection

pour ce qui est des besoins particuliers en matiegravere drsquoaccueil) ni aux conseacutequences sur le plan

juridique (la directive proceacutedures preacutevoit que les Etats membres ont lrsquoobligation de veiller agrave ce

16

P MARTENS laquo La nouvelle controverse de Valladolid raquo Rev trim dr h 2014 p 322 17

Arrecirct du 8 mars 2011 Ruiz Zambrano C-3409 EUC2011124 18

E DUBOUT laquo La vulneacuterabiliteacute saisie par la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne raquo in L BURGORGUE-LARSEN (dir) La vulneacuterabiliteacute saisie par les juges en Europe Pedone Paris 2014 pp 31 agrave 57 19

Cour eur DH 21 janvier 2011 MSS c Belgique et Gregravece req ndeg 3069609 pts 232 et 251 23 feacutevrier 2012 Hirsi Jamaa et autres c Italie req ndeg 2776509 pt 155 4 novembre 2014 Tarakhel c Suisse req ndeg 2921712 pts 119 agrave 121 20

Articles 21 agrave 25 de la directive (UE) ndeg 201333 du Parlement europeacuteen et du Conseil du 26 juin 2013

eacutetablissant des normes pour lrsquoaccueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) JO L

180 du 29 juin 2013 p 96 article 24 de la directive (UE) ndeg 201332 du Parlement europeacuteen et du Conseil du

26 juin 2013 relative agrave des proceacutedures communes pour lrsquooctroi et le retrait de la protection internationale

(refonte) JO L 180 du 29 juin 2013 p 60

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

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qursquoun soutien adeacutequat leur soit accordeacute pour qursquoils puissent tout au long de la proceacutedure drsquoasile

beacuteneacuteficier des droits et se conformer aux obligations preacutevues par la directive) Les Etats membres

jouissent drsquoune large marge de manœuvre alors que la laquo vulneacuterabiliteacute raquo nrsquoest pas deacutefinie

juridiquement et que sa deacutetection devrait ecirctre opeacutereacutee par des speacutecialistes

HG

C Pour aller plus loin

Lire lrsquoarrecirct arrecirct du 9 feacutevrier 2017 M C-56014 EUC2017101

Jurisprudence de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne

- arrecirct du 22 novembre 2012 M C-271111 EUC2012744

- arrecirct du 5 novembre 2014 Mukarubega C-16613 EUC20142336

- arrecirct du 11 deacutecembre 2014 Boudjlida C-24913 C-16613 EUC20142431

- arrecirct du 17 mars 2016 Bensada Benallal C-16115 EUC2016175

Doctrine

- H GRIBOMONT laquo Ressortissants de pays tiers en situation irreacuteguliegravere le droit decirctre entendu

avant ladoption dune deacutecision de retour raquo JDE 2015 p 192

- E GUILD amp K NAPLEY laquo The right to be heard in immigration and asylum cases the CJEU moves

towards a definition raquo EU law analysis January 2015

- L LEBOEUF Le droit europeacuteen de lrsquoasile au deacutefi de la confiance mutuelle Limal Antheacutemis 2016

pp 383-399

- M MORARU amp G RENAUDIERE laquo European Synthesis Report on the Judicial Implementation of

Chapter III of the Return Directive Procedural safeguards raquo REDIAL Research Report 201603 pp

10-15

Sur le droit drsquoecirctre entendu voy aussi

- L LEBOEUF laquo Droit drsquoecirctre entendu et ordre public Le rappel du principe drsquoeacutequivalence raquo

Newsletter EDEM mars 2016 pp 3-7

- G RENAUDIERE laquo Le droit drsquoecirctre entendu avant lrsquoadoption drsquoune mesure privative de liberteacute un obstacle agrave lrsquoeffectiviteacute raquo Newsletter EDEM novembre 2016 pp 17-20

Pour citer cette note H GRIBOMONT laquo Interpreacutetation du droit drsquoecirctre entendu dans le cadre de la

proceacutedure drsquooctroi du statut confeacutereacute par la protection subsidiaire confirmation et preacutecision raquo

Newsletter EDEM mars 2017