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    LA NARRATION FILMIQUE

    Remarques sur la narration et les points de vue...

    Depuis ses origines pratiquement (Mlis, Porter, Griffith...) le cinma est une machine

    raconter des histoires ; ds le dpart le film a ainsi crois la route de la narrativit littraire,

    soit qu'il s'inspire de romans en les adaptant, soit qu'il transpose des procds narratifs, soit

    qu'il importe des codes gnriques comme celui du western, du roman historique ou policier...

    Par l, on comprend qu'une tude de type narratologique soit fconde pour aborder des films

    narratifs fictionnels o les catgories dintrigue, de personnages sont nettement prgnantes.

    Pour s'informer sur l'approche narratologique et se doter a minima d'outils et concepts

    d'analyse, on pourra consulter ces pagesspcifiques. L'tude narratologique des textes

    littraires aborde des lments suffisamment gnraux pour qu'on puisse aisment lestransfrer avec profit dans l'abord du cinma, le film narratif tant une forme de rcit en

    images.

    Mais on se doit cependant de constater une spcificit du cinma lie ses diverses matires

    d'expression, vhicules par divers canaux. Une analyse mthodique d'un rcit

    cinmatographique peut ainsi difficilement se passer de la prise en compte des dimensions

    visuelles et auditives des structures narratives : on peut en effet transmettre des lments

    relevant de l'actantiel dans un film avec les visages, la position, les postures des acteurs, les

    angles de prises de vue, voire la musique... Les passages descriptifs, la prsentation de

    l'espace ne fonctionnent pas comme dans un roman qui ne dispose quant lui que des mots.

    Le cinma aux origines sest bien sr pos le problme

    de la narration : comment raconter efficacement, en

    effet, au temps du cinma muet, une histoire par le seul

    biais des images mouvantes ? Si pour assurer la

    cohsion des scnes et donner une cohrence explicite

    aux plans et aux squences, on a utilis d'abord un

    commentateur externe lors de la projection, trs vite on

    a intgr au film des cartons, des intertitres, des

    discours crits introductifs pour contextualiser... Mais

    certains cinastes ont ambitionn de raliser des

    oeuvres sans mentions crites, en quelque maniresenties comme plaques, tels F-W. Murnau avecLe

    Dernier des hommesen 1924 ou D. Vertov dans

    L'homme la camraen 1929. Observons ici au

    passage que les cartons ou autres crits intgrs au film

    relvent du discours d'un narrateur extradigtique.

    L'analyse de la narration met en vidence cette spcificit : l'nonciation filmique ne passe pas

    pour l'essentiel par l'nonciation linguistique et n'est pas caractre dictique. Le cinma

    reprsente autant qu'il raconte l'instar du genre dramatique : comme au thtre on semble ne

    pas pouvoir parler de narrateur car on n'est plus dans le simple domaine du discours narratifmais dans celui de la reprsentation. Ainsi, le rcit cinmatographique ne sera jamais vraiment

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    comme un rcit crit, d'ordre scriptural, pour la seule raison que si lun est "polyphonique",

    lautre reste "monodique". En fin de compte, le rcit filmique renvoie au thtre parce quil

    met en scne des actions, mais il renvoie aussi au roman parce quil utilise le verbe ou

    rinvente la narration.

    Par ailleurs, il convient d'observer que dans le cas du film la communication est aussi diffreet "fige" : on opposera donc une narration orale qui se fait "en prsence", avec des

    interactions locuteur / interlocuteur(s), la narration filmique qui, tout comme la narration

    crite, se fait "en absence"... La communication orale d'un conte est mouvante comme le

    spectacle thtral alors que le film nous donne une version fige par la mmoire artificielle de

    la pellicule.

    1. Enonciation et narration au cinma : aspects spcifiques

    L'nonciation filmique souvent ne semble pas manifester de marques spcifiques et le cinma,dans sa priode classique tout au moins, a essay d'occulter son processus d'nonciation et les

    traces d'une mission. De l, une apparente transparence du cinma o l'histoire "raconte"

    semble le plus souvent sengendrer delle-mme car, en apparence du moins, personne nest l

    pour la raconter et elle semble se drouler simplement sous nos yeux.

    Toutefois, il convient de percevoir que ce qui se montre nos yeux, dans tout film narratif de

    fiction, depuisLArroseur arrosdes frres Lumire comme d'ailleurs leurs documentaires,

    est bien organis et passe par un processus d'nonciation et de structuration du discours. Cette

    nonciation est reprable par certaines images ou par leur agencement qui nous donnent voir

    de faon humainement impossible, non naturelle, non spontane, non objective. Certains

    indices rompent ainsi l'illusion rfrentielle et manifestent la prsence d'un narrateur

    fondamental, virtuel, appel le grand imagier ou le matre de crmonie par Albert Laffay,

    dans laLogique du cinma. Ainsi, une opposition par passage du flou au net, un changement

    d'chelle, l'usage de la contre-plonge sont rvlateurs... Dans un discours filmique, un jeu

    musical servant mettre en relief un mouvement dramatique ou un mouvement de la camra

    fixant en gros plan le visage d'un acteur, afin den souligner lexpression psychologique,

    peuvent s'interprter comme des marques dune nonciation. En quelque sorte, un narrateur

    virtuel tourne pour nous les pages de l'histoire et c'est bien lui qui attire, d'une manire ou

    d'une autre, notre attention sur tel dtail, insignifiant en apparence, par une image rapide ou

    par la composition du cadre, d'un plan. Le film "raconte" une histoire non par le seul langage

    verbal mais en arrangeant et composant des informations relevant de divers ordres ; il peut

    certes aussi y inclure des textes (cartons...) ou un commentaire de voix off, impliquantclairement un narrateur.

    On peut enfin palper, plus nettement encore, le processus d'nonciation quand le film parle

    explicitement de lui, traite du cinma en gnral ou montre en abyme un film dans le film, ou

    mme encore lorsqu'il voque symboliquement la position du spectateur par un regard depuis

    une fentre... Le cinma rvle alors un peu ses secrets de fabrication ou d'nonciation au

    spectateur attentif et casse l'illusion de la transparence.

    2. Narration et instance narratrice

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    Il est ainsi plus difficile de relever les traces de prsence d'une instance narratrice dans un

    rcit cinmatographique que dans un texte narratif littraire o le pointage de ces marques est

    facilit par les indices de personnes, les dictiques, l'usage des temps verbaux (opposition

    rcit/ discours). Mme dans un roman balzacien, la 3me personne avec un narrateur

    extradigtique, on peut identifier aisment des interventions, des intrusions du narrateur,

    adressant des commentaires ou des explications au lecteur/ narrataire, parfois brivement etdiscrtement :

    Aprs un tour de galerie, le jeune homme regarda tour tour le ciel et sa montre, fit un geste

    dimpatience, entra dans un bureau de tabac, y alluma un cigare, se posa devant une glace, et

    jeta un regard sur son costume, un peu plus riche que ne le permettent en France les lois du

    got. Il rajusta son col et son gilet de velours noir sur lequel se croisait plusieurs fois une de

    ces grosses chanes dor fabriques Gnes; puis, aprs avoir jet par un seul mouvement sur

    son paule gauche son manteau doubl de velours en le drapant avec lgance, il reprit sa

    promenade sans se laisser distraire par les oeillades bourgeoises quil recevait. (...)

    H. de Balzac, Gambara.

    Vue de l'extrieur : regardextrieur la chambre, donc

    pas celui de Kane

    Vue de l'intrieur : le regard afranchi la fentre

    Neige, clairement = vuesubjective de Kane

    Mort de Kane: la main lche

    la boule

    Kane mort, qui voit ? La neige

    s'estompe.

    Curieux regard, curieux reflet

    de la porte qui s'ouvre sur

    l'infirmire.

    Ces quelques photogrammes de Citizen Kanepermettent de mettre en vidence la prsence

    d'un narrateur virtuel ou grand imagier et la complexit du point de vue adopt dans le rcit de

    Welles. Les premires images semblent en effet impliquer un regard extrieur, une

    focalisation zro : le passage de l'extrieur l'intrieur par la fentre en est un indice. Mais la

    neige qui tombe l'intrieur de la pice ne peut tre relle : la narration semble alors adopter

    le point de vue de Kane l'agonie, influenc par la boule de verre et ses souvenirs. Toutefois,quand il est mort (la boule roule, se brise et la neige s'estompe), il y a bien l l'vidence d'une

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    instance narratrice qui nous donne encore voir en externe cette scne; Kane ne peut pas voir

    sa main ni la boule se casser... Un narrateur premier, l'instar d'un dieu omniscient, semble

    alors bien le tmoin unique et privilgi des derniers moments solitaires de Kane dans la

    chambre de son manoir.

    La dernire image, celle du reflet dform de l'infirmire dans la boule brise, peutsymboliser, comme le constate Marilyn Fabe, la fin de l'omniscience privilgie du spectateur

    : la suite du film montrera en dominante des points de vue personnels sur Kane.

    Plus gnralement, avec ce film, il faut bien

    postuler un narrateur premier qui dtient une vued'ensemble sur la biographie de Kane et une forme

    d'omniscience la diffrence de tous les

    personnages ou relais qui interviennent dans

    l'oeuvre pour tmoigner et raconter : (fausses)

    bandes d'actualits, puis souvenirs crits de

    Thatcher, tmoignages de Bernstein, Leland ouSusan, voire de Raymond le majordome, qui

    deviennent des personnages narrateurs. Ce

    narrateur fondamental nous donne voir et

    entendre sur les mystres de la vie de Kane, la

    fois par les discours et par les images.

    L'omnipotence de ce narrateur est symboliquement

    signifie l'incipit du film : malgr le panneau

    d'interdiction, (Entre interdite: No trespassing),

    on franchit avec lui la grille de la proprit comme

    la fentre de la chambre de Kane ensuite.

    Mais aucun mot ne peut expliquer la vie d'un homme.

    Bouton de Rose n'est qu'une pice du puzzle, une pice qui manque.

    Ainsi, dans le film de Welles, aucun personnage de la digse ne dtient in fine

    l'explication du dernier mot mystrieux prononc par le protagoniste ("Rosebud" :

    bouton de rose ). Mais le spectateur dcouvrira, la fin du film, la cl de l'nigme

    qui chappe tous les personnages de l'histoire raconte. En effet, c'est bien le

    regard de cette instance narratrice premire qui se fixe sur le petit traneau, aprs

    l'avoir choisi, repr dans le bric--brac gigantesque de Xanadu, et qui dchiffre en

    gros plan pour nous son inscription avant que le feu ne l'engloutisse jamais. Aucun

    personnage parmi ceux prsents, ultime drision, n'accorde de l'importance ce

    pauvre objet matriel, insignifiant leurs yeux. Le spectateur sera ainsi plus lucidequ'eux grce au dcodage de l'instance narratrice premire. On observe que la

    solution de l'nigme pose au dbut par le langage verbal, un simple mot, est

    transmise travers les seules images d'un modeste objet qui est dtruit. Aboli bibelot

    d'inanit ... visuelle ! Le narrateur premier se rvle alors surtout "shower-narrator"

    (Chatman) ou monstrateur.

    Le cinma peut ainsi rutiliser des procds littraires dans la narration : comme dans certains

    romans ou mme comme dans une autobiographie, celle-ci se fait alors par le biais d'un

    personnage (narrateur intradigtique). Avec Citizen Kane plusieurs fils de narrations se

    juxtaposent ainsi et les personnages narrateurs se passent le relais pour voquer dans le cadrede rtrospections leurs souvenirs; il y a une forme de polyphonie narrative ou de stroscopie

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    dans le sens o plusieurs voix narratives apportent leur clairage. On peut considrer que les

    rcits mdiatiss par un personnage de l'univers digtique s'enchssent dans le rcit premier,

    pris en charge par le "grand imagier". Aucun de ces narrateurs relais ou seconds nest le

    narrateur du film : chacun assure un fragment de la narration ; le fil directeur est bien tiss par

    le narrateur premier.

    Le journaliste Thomson, incarn par l'acteur William Alland, dans son enqute va servir de fil

    conducteur : c'est lui qui rencontre successivement les diffrents tmoins de la vie de Kane.Plus qu'interviewer ou enquteur, il semble occuper essentiellement une fonction de

    narrataire: c'est lui qui reoit les divers tmoignages et rcits sur Kane. Il est en quelque

    sorte un substitut figur du spectateur, qui cherche galement comprendre la personnalit du

    magnat de la presse, le sens de ses derniers mots.

    Ce narrataire est un personnage de la fiction, narrataire seconddans le sens o il voit les

    images des actualits, lit les relations ou entend les rcits d'autres personnages narrateurs

    reprsents dans loeuvre. Il faut bien, en effet, prsupposer un narrataire premier qui a une

    vue d'ensemble et qui reoit le rcit filmique du narrateur premier.

    Le personnage de Thomson reste un peu mystrieux, on ne le voit jamais clairement l'image,

    ni de face; souvent il est montr de dos dans le cadre dun premier plan sombre... A la fin du

    film ce personnage narrataire, mal clair, en saura moins que le spectateur plus et mieux

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    inform. Semblablement, en effet, lincipit du film comme la clture, le spectateur voit ce

    que montre la camra de la mort de Kane et de la cl de l'nigme. Le spectateur, narrataire

    premier, partage ainsi l'omniscience de l'instance narratrice dans une sorte de point de vue

    divin. Le rcit reste symboliquement sur le mode de la confidence.

    3. Le personnage du narrateur

    Tous les films ne manifestent donc pas explicitement un narrateur, mais s'ils le font, on peut

    distinguer deux cas de figure :

    -le narrateur reste hors cran : c'est une voix off qui apporte des informations d'ordre narratif,

    descriptif, qui donne des commentaires ou des explications ;

    - le narrateur est prsent l'cran : il apparat donc physiquement l'image, au moins un

    moment donn du rcit ; il est reprsent en train de narrer.

    Ce narrateur peut tre homodigtique, c'est dire prsent dans l'histoire raconte, comme les

    divers narrateurs seconds de Citizen Kane ; voire autodigtique, quand c'est sa proprehistoire passe qu'il relate (Rebecca). Il peut tre htrodigtique : il n'est pas prsent comme

    personnage dans l'histoire raconte (Splendeur des Amberson).

    Quelquefois, certains films donnent ainsi un des personnages un rle peu prs

    exclusivement vou la narration; il semble alors tmoin de ce qu'il relate. Souvent, le

    personnage est impliqu : ainsi dansRebeccad'Hitchcock. Le dbut du film met en place un

    processus de remmoration, passant par une voix off. Avec la dcouverte progressive d'un

    paysage un peu sinistre, puis d'un manoir en ruines, dans une atmosphre quelque peu

    gothique, le spectateur entend la voix d'une femme voquant les souvenirs de son propre

    pass la 1re personne :

    La nuit dernire, j'ai rv que je retournais Manderley. Parvenue au portail donnant sur

    l'alle, je ne pouvais entrer car la voie m'tait barre. Puis, comme tous les rveurs, je fus

    soudain dote de pouvoirs surnaturels et traversais l'obstacle tel un esprit. L'alle serpentait

    devant moi, en ses tours et dtours familiers. Mais mesure que j'avanais, je m'aperus du

    changement. La nature avait repris ses droits et peu peu, enlaait l'alle... dans ses longs bras

    tenaces. Suivant les ondulations du pauvre chemin qui avait jadis t notre alle, je dcouvris

    enfin Manderley.

    Manderley... drap de mystre et silence. Le temps n'avait pas de prise sur sa parfaite

    symtrie. Le clair de lune nous joue parfois d'tranges tours. Soudain, il me sembla voir de la

    lumire clairer les fentres. Puis un nuage voila la lune et s'attarda un instant, telle une main

    sombre sur un visage. L'illusion disparu avec le nuage. J'avais sous les yeux une btissedsole... dont les murs austres n'voquaient plus son pass. Jamais nous ne retournerons

    Manderley. Ceci est une certitude. Mais parfois, en rve... je renoue avec cette trange priode

    de ma vie... qui dbuta dans le sud de la France.

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    Le rcit adopte donc une forme apparemmentautobiographique (c'est un rcit fictif la

    premire personne) et rtrospective : le personnage revient pour le distancier sur un pass

    rvolu, situ un moment indtermin du moment de l'nonciation. Le rcit semble s'ouvrir

    sur un amalgame de souvenirs rels et de rves, d'illusions. Les images montrent l'tat de

    ruines du manoir au moment de la remmoration, transform par les effets de lumire. Une

    trange attirance, voire une forme de nostalgie, amne le personnage narrateur se replonger

    dans le pass : la suite du film se propose donc comme un retour en arrire, fait sans doute sur

    le mode de la confidence au spectateur, dans un but cathartique par le narrateur. La fin du film

    nous donnera l'explication de la destruction du manoir.

    Pour aborder la question du narrateur, on pourrait aussi voquer sur un mode voisin le film

    dOtto PremingerLaura(1944): aprs le gnrique montrant un dcor avec un portrait de

    femme l'arrire plan, le film s'ouvre curieusement sur un fond noir avant mme de nous

    montrer des images, sur lequel une voix que nous identifions vite comme celle d'un

    personnage de l'histoire Waldo Lydecker, intervient ; il semble alors s'adresser au

    spectateur.

    I shall never forget the weekend Laura died. A silver sun burned through the sky like a huge

    magnifying glass. It was the hottest Sunday in my recollection. I felt as if I were the only

    human being left in New York. For Laura's horrible death, I was alone. I, Waldo Lydecker,

    was the only one who really knew her. And I had just begun to write Laura's story when -

    another of those detectives came to see me.

    Je n'oublierai jamais le jour de la mort de Laura. Un soleil de plomb brlait comme au

    travers d'une loupe. Le dimanche le plus chaud de ma vie. Je me sentais comme le seul

    survivant de New York. Depuis sa mort horrible, j'tais seul. Moi, Waldo Lydecker, j'tais le

    seul la connatre vraiment. Je commenais juste crire son histoire quand... l'un de ces

    dtectives vint me voir.

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    Gnrique d'ouverture avec

    dcor l'arrire plan.

    Puis l'cran passe au noir.

    Le dtective Mac Pherson

    observ par Waldo Lydecker

    qui reste cach : Je le fis

    attendre. Je l'observais par

    l'entrebillement de la porte.,

    dixit la voix off. P.d.v. marqu

    explicitement par le

    commentaire.

    Waldo Lydecker apparat

    l'image en train de dialoguer

    avec le dtective... Le

    personnage narrateur est donc

    figur l'cran, vu de

    l'extrieur.

    Waldo Lydecker, plus tard,commence raconter Mac

    Pherson sa rencontre avec

    Laura : le fondu enchan

    signifie le retour sur le pass.

    Le rcit est donc

    rtrospection.

    La camra montre la rencontre

    de Laura par Waldo Lydecker:

    retour en arrire, autre cadre

    spatio-temporel.

    Reconstitution ?

    Photogrammes deLaura de Preminger

    Le personnage racontera dans la suite du film au dtective charg de lenqute, Mark Mc

    Pherson, sa rencontre avec le personnage ponyme Laura : Nous avons dn ici pour ses

    vingt-deux ans. Tous les deux heureux. Faisant des projets pour son avenir. Quelle avait

    chang depuis notre rencontre cinq ans plus tt ! On tait dj loin de la jeune fille rencontre

    l'htel Algonquin, cinq ans plus tt. Il devient alors narrateur lintrieur de sa propre

    narration, s'adressant alors un autre personnage de la fiction et plus seulement nous,

    spectateurs ; le film enchsse alors un nouveau rcit dans ce qui devient un rcit cadre, un

    rcit de niveau suprieur. Le rcit de W. Lydecker est accompagn par la monstration des

    images de la rencontre.

    On peut mme considrer qu'une instance narratrice premire (celle du gnrique montrant le

    portrait de Laura et montrant Waldo Lydecker) passe le relais la voix off de WaldoLydecker: les divers rcits s'embotent les uns dans les autres.

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    En rsum : le narrateur premier ou grand imagier nous montre le personnage narrateur de

    Waldo Lydecker et son destinataire, Mc Pherson. Mme quand la voix de Waldo raconte au

    dpart, le grand imagier est cependant responsable du rcit imag, audiovisuel. Le narrateur

    second est ensuite visualis, reprsent par l'image en train de faire son sous-rcit. Puis,

    l'image du narrateur second s'estompe au profit de la visualisation du monde digtique dont

    Waldo Lydecker rend compte : le sous-rcit devient alors aussi audiovisuel. Le grand imagiera pass le relais et s'est effac au profit du personnage narrateur second.

    4. Points de vue dans le film et focalisationsAumont distingue quatre significations de la notion de point de vue au cinma :

    1. Le point depuis lequel on regarde, la position dfinie par l'emplacement de la camra par

    rapport lobjet regard. Les cinastes, ds les frres Lumire, ont rinvesti l'exprience des

    photographes voire des peintres pour choisir l'emplacement de la camra et optimiser le

    cadrage de l'image. Trs tt, avec Griffith, le cinma a appris dplacer et multiplier cepoint de vue : cela implique des changements de plan et des mouvements dappareil. Une

    caractristique du cinma de fiction est bien d'offrir un point de vue multiple et variable.

    2. La vue elle-mme, en tant que prise depuis un certain point de vue, limage organise par le

    jeu de la perspective centre.

    3. Ce point de vue est rfr un point de vue narratif. Le cadre est toujours plus ou moins la

    reprsentation dun regard, qu'il soit celui du narrateur ou celui dun personnage.

    Lemplacement de la camra et la vue elle-mme correspondent ce point de vue narratif.

    4. Le mot point de vue en franais prend aussi un sens figur pour dsigner une opinion

    particulire, un jugement. Le point de vue informe lorganisation de la reprsentation et de la

    narration, le tout est surdtermin par une attitude mentale qui traduit le jugement du narrateur

    sur lvnement ou sur les personnages.

    Dans le film narratif, le point de vue est la plupart du temps assign quelquun : c'est soit

    celui d'un personnage du rcit, soit celui de linstance narratrice. Analyser les points de vue

    ou les regards dans un film narratif, cest centrer lanalyse essentiellement sur la

    monstration par opposition la narration au sens strict.

    La focalisationrenvoie aux procds et moyens de reprsenter les informations narratives dupoint de vue de quelqu'un. Il convient d'emble de distinguer la focalisation parun

    personnage de la focalisation surun personnage. La focalisation surun personnage est

    extrmement frquente puisquelle dcoule trs normalement de lorganisation mme de tout

    rcit qui implique un hros et des personnages secondaires : le hros sera celui que la camra

    isole, privilgie et suit. On peut parler de focalisation externe.La focalisation parun personnage est aussi frquente dans les films et se traduit le plus

    souvent sous la forme de ce quon appelle la camra subjective, mais de faon momentane ;

    cette focalisation interneadopte le regard d'un personnage ; elle peut varier, rester stable ou

    papillonner plus ou moins dans une oeuvre filmique, comme d'ailleurs dans un roman.

    La focalisationamne ainsi voir quel point de vue oriente le segment d'informations donnpar le film, envisager quelle est la perception adopte comme la source de l'information. De

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    qui relve-t-elle ? Quelle est aussi sa nature : est-ce la vision d'un personnage, vision directe

    ou mdiatise par un instrument (jumelles, tlobjectif, camra...), sont-ce les images d'un

    rve, des images ou lments d'un souvenir etc. ?

    On peut considrer trois cas de figure, selon que le p.d.v. relve :

    - du narrateur premier ou grand imagier,

    - d'un narrateur second, personnage,

    - d'un personnage de l'histoire raconte. Un personnage dans laction est cens voir ce que le

    spectateur voit.

    Les oiseaux,film d'Alfred Hitchcock (The Birds, 1963), joue ainsi sur lintroduction de plans

    subjectifs, focalisation interne, au sein de la continuit du film qui passe par une instance

    narratrice extrieure dont le p.d.v. semble neutre, focalisation zro. Le lgendaire suspense

    hitchcockien dans ce cas est amen surtout par un travail sur la construction du cadre et la

    multiplicit des points de vue adopts.Ainsi, dans la squence de l'cole, la camra commence par suivre Melanie Daniels sortant du

    btiment, traversant la cour et s'asseyant sur une barrire, puis celle-ci fume une cigarette

    attendant la sortie des lves et la fin du cours de chant d'Annie. Au second plan apparaissent

    les lments importants du dcor, btiment scolaire et accessoires de jeu. Hitchcock use ici de

    plans alterns, les uns sur le visage de l'hrone, les autres sur la "cage poules" du jeu.

    Progressivement, un puis plusieurs oiseaux vont venir s'y percher, semblant s'y regrouper en

    nombre. Enfin, un oiseau passe de gauche droite devantMelanie Danielsqui l'aperoit et le

    suit du regard, tournant la tte. Le volatile rejoint les autres oiseaux sur l'accessoire de jeu :

    c'est seulement alors que Melanie Daniels dcouvre la situation et voit le groupe d'oiseaux

    inquitants.

    Le mcanisme de cration du suspense repose ainsi sur l'identification du spectateur au

    personnage et la diffrence ou l'cart entre deux p.d.v. : le spectateur partage la vision et le

    savoir de l'instance narratrice sur les oiseaux et constate que Melanie n'a pas peru le danger

    par les plans qui montrent ce qu'elle voit. Le spectateur, moins "naf" que le personnage,

    attend donc sa prise de conscience : se fera-t-elle temps?

    Remarquons que la bande sonore, ds l'ouverture de la squence, nous permet de faire le lienavec l'intrieur de l'cole de Bodega Bay : pendant que Melanie Daniels attend, nousentendons les lves de la classe chanter sous la direction de leur matresse. L'horizon de la

    menace est ainsi cadr : les enfants sont concerns autant que Melanie. Une volution se

    construit autour de l'effet de la bande sonore : au dbut, le chant semble ainsi simplementprendre une coloration positive et contextualiser la scne en rappelant l'enfance et l'univers

    scolaire ; mais avec la dcouverte du rassemblement des oiseaux par le spectateur, un

    contraste dramatique s'tablit et accentue la tension. La classe comme Melanie n'a pas

    conscience du danger. La bande sonore, loin d'tre inutile, rappelle ainsi l'espace intrieur et

    souligne l'enjeu en termes de menaces.

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    Le regard. L'objet du regard.

    Les Oiseauxd'Hitchcock (1963)

    Images du storyboard ralis par Harold Michelson (1962) et photogrammes du film.

    De mme, pour cerner les effets possibles de la focalisation, on pourrait prendre un cassignificatif deLa Femme au portrait,oeuvre de Fritz Lang (The Woman in the window,1944). Nous voyons le personnage Richard Wanley, assomm par un somnifre, dormir dans

    un fauteuil apparemment chez lui (le contexte et le dcor semblent rvlateurs : photos de

    famille etc.). La suite montre pourtant explicitement qu'il rvait : il est en effet rveill par un

    serveur et se trouve son club. Le changement partiel du dcor, l'arrire plan, rvle alors,

    aprs coup, que le p.d.v. initial tait subjectif et n'tait pas le regard neutre d'un narrateur

    externe ; nous tions dans le rve de R. Wanley. La focalisation tait donc interne, renvoyant

    la conscience du personnage. La manipulationest essentielle la logique du film.

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    Les Oiseauxd'Hitchcock

    Des procds techniques divers peuvent souligner le p.d.v. : par exemple, comme ci-dessus,un plan montre qu'un personnage regarde, le plan suivant montre ce qui est observ ou

    dcouvert, l'objet de son regard. Frquemment, un troisime plan peut montrer la raction dupersonnage. De mme, on peut reprer l'usage de gros plan "focalisant" sur quelque chose de

    prcis, l'usage d'un clairage particulier, un mouvement particulier de l'appareil, une mise au

    point sur un lment du cadre jusque l flou...

    P.d.v. extrieur sur Jeff et

    Lisa.

    Ce n'est pas vraiment le point

    de vue de Jeff: par derrire

    son paule.

    Le regard de Jeff est attir.

    Fentre sur courd'Hitchcock

    Ce que voit Jeff: les fantasmes A votre sant! Etrange communication distance; non

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    The magnificence of the Ambersons began in 1873. Their splendor lasted throughout all the

    years that saw their Midland town spread and darken into a city. In that town in those days, all

    the women who wore silk or velvet knew all the other women who wore silk or velvet and

    everybody knew everybody else's family horse and carriage. The only public conveyance was

    the streetcar. A lady could whistle to it from an upstairs window, and the car would halt at

    once, and wait for her, while she shut the window, ... put on her hat and coat, ... wentdownstairs, ... found an umbrella, ... told the 'girl' what to have for dinner...and came forth

    from the house. Too slow for us nowadays, because the faster we're carried, the less time we

    have to spare.

    La splendeur des Amberson commena en 1873. Elle dura des annes, jusqu' ce que le

    Midland devnt une ville. En ce temps-l, toutes les dames lgantes connaissaient les autres

    dames lgantes. Et chacun pouvait mettre un nom sur chaque quipage. La seule voiture

    publique tait le tramway. De sa fentre, on pouvait le hler. Le tram s'arrtait et attendait.

    Le temps de prendre son chapeau, son manteau, de descendre et d'attraper son parapluie, de

    donner des consignes pour le souper et de sortir de la maison. Cette lenteur serait odieuse

    aujourd'hui. Plus nous allons vite, moins nous avons de temps.

    - La voix off est celle d'un des personnages figurant dans l'histoire, qu'il soit un protagoniste

    ou ventuellement un personnage secondaire, voire un simple tmoin l'arrire plan. Dans

    Gervaisede R. Clment, c'est la voix de l'hrone qui commente les images de sa propre vie

    passe, de faon autobiographique. Elle guide alors la lecture du rcit sur le mode de la

    confidence. Cela implique un dcalage nonciatif : il s'agit d'une rtrospection ; nous la

    voyons l'image la fentre de l'htel, mais ses lvres ne remuent pas. Nous voyons ainsi le

    personnage, mais pas le narrateur.

    Idem avecRebecca. Parfois, le sous-rcit rapport par un personnage (Waldo Lydecker dans

    Laura) s'enchsse dans le rcit cadre ; on peut souligner alors la coloration subjective. Nous

    voyons Waldo raconter Mac Pherson.

    - Quelquefois, proche de la voix off, nous entendons une voix intrieure au personnage. Mais

    l'nonciation de la pense est simultane la scne. C'est une forme de monologue intrieur

    qui nous fait partager les rflexions du personnage en marge du dialogue qu'il peut aussi tenir

    l'cran.

    6. Le cinma la premire personneBien des rcits fictifs, romans ou nouvelles, sont crits la premire personne (L'Etrangerde

    Camus...); l'auteur n'y est pas assimilable pourtant comme dans une autobiographie au

    narrateur-personnage, narrateur-protagoniste. Il s'agit de romans la 1re personne o il ne

    faut pas confondre auteur, personne relle, et narrateur, personnage fictif et pure figuretextuelle.

    Au cinma,il y a eu des tentatives dcriture filmique la premire personne : tout le dbut

    desPassagers de la Nuit (Dark Passage) de Delmer Daves, film policier ralis en 1947, a

    t tourn en camra subjective.La Dame du lac(Lady in the lake) de Robert Montgomery,

    film noir ralis en 1947 d'aprs le roman (1943) de Raymond Chandler, en est un autre

    exemple canonique pur. Ce film utilise, en effet, en dehors du prologue, systmatiquement la

    camra subjective: la totalit de laction du film est ainsi vue travers les yeux dupersonnage-narrateur, de telle sorte que le spectateur a la sensation de partager la perception

    visuelle du dtective Philip Marlowe ; nous avons seulement de lui de brefs aperus grce au

    miroir o il se reflte. Quand il reoit un coup, la camra chancelle, quand il s'assoit, lahauteur de la camra change... Entre autres inconvnients du procd, le point de vue du seul

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    privest privilgi, ce qui n'est pas usuel dans le film noir qui alterne les focalisations, cf.

    Laurad'O. Preminger etc. Paradoxalement aussi, le mcanisme de l'identification du

    spectateur au hros semble moins bien fonctionner: on voit peu le hros. De mme, le grand

    public peut se sentir "vol" en quelque sorte: le grand Humphrey Bogart est absent de l'image

    dansDark Passagependant 30 minutes; cela ne va pas dans le sens commercial en s'cartant

    du star system et chacun sait que le cinma est par ailleurs une industrie Malraux dixit.

    Reflet de Marlowe pour une

    fois prsent l'image.

    Regard la camra, lgitim

    par la vision subjective.Jeff dort.

    DansCitizen Kanede Welles, plusieurs plans relvent d'une focalisation interne au

    personnage de Kane (vide supra) et sont donc l'quivalent d'un rcit la premire personne.

    L'intrt premier est de manifester la psychologie du personnage et la subjectivit de la

    perception.

    Un film comme Vue sur courd'Alfred Hitchcock (Rear Windows) en1954 fonctionne pour

    l'essentiel avec une focalisation centre sur le personnage principal de Jeff ; souvent, la

    camra adopte le regard de Jeff qui observe le spectacle de l'immeuble offert lui. Mais onremarque que divers passages de l'oeuvre ne peuvent tre expressment perus par Jeff : il y a

    donc bien une instance narrative plus gnrale supposer. En particulier, dans la squence

    gnrique d'ouverture, ce ne peut tre le personnage qui voit : la suite immdiate nous le

    montre en train de dormir dans son fauteuil. On ne peut pas dire donc que le film soit une

    narration la 1re personne, ni que le personnage narrateur soit omniscient, bien sr, mais le

    point de vue se restreint souvent celui du personnage; on peut ainsi parler de restriction de

    champ. Le personnage n'est qu'un tmoin, reste un observateur intelligent qui peut se livrer

    des hypothses et dductions comme un dtective.

    Fiche outil sur le point de vueet le point d'coute

    Questions se poser sur le point de vue :

    - O est place la

    camra qui prend

    l'image ?

    pdv= emplacement depuis lequel on

    regarde

    aspectspatial et

    visuel

    - Quelle est la vue ? pdv = vue elle-mme, en tant queprise depuis un point de vue, image

    imageorganise

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    NB Claude Bailbl prfre judicieusement l'expression "point d'oue" "point d'coute" parce

    que ce dernier terme suppose une attention que le spectateur n'a pas forcment constamment.

    Perspective sonore dans Wonder Years

    (Les Annes coup de coeur),

    srie tlvise amricaine (1988-1993) deCarol Black, Neal Marlens ...

    A l'arrire plan, Kevin Arnold et ses

    copains discutent de la jeune fille au

    premier plan. Le spectateur entend leurs

    propos, mais le personnage concern ne les

    peroit pas.

    Un autre exemple : un film peut prsenter une focalisation sur le point

    d'coute d'un personnage dans l'objectif de nous faire sentir sa difficult

    comprendre un message qui lui est adress, ou entendre un son qui le

    concerne. A la fin deLa Dolce vita, la voix de la jeune fille qui appelle

    Marcello est couverte par la distance et la mer.

    Pour informations :- Prcis d'analyse filmique, Francis Vanoye et Anne Goliot-Lt, Nathan-Universit

    - Michel Chion,Le son au cinma, in chapitre III, "Le point d'coute" :