« Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

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« Mythologie de la raison » Un manifeste hégélien de jeunesse Panagiotis Thanassas I. Le texte et l’auteur 1 En 1917, Franz Rosenzweig présentait devant l'Académie des Sciences de Heidelberg un manuscrit jusqu'alors inconnu de Hegel, en le qualifiant de « plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand ».1 Le texte connut alors une célébrité particulière, mais aussi de nombreuses péripéties dans les décennies qui suivirent. Pendant la seconde guerre mondiale, le manuscrit jusqu’alors conservé à la Bibliothèque nationale de Prusse fut transféré en Silésie avec d'autres objets précieux à des fins de sauvetage. Après 1945, quand cette région fut rattachée à la Pologne, le manuscrit disparut et les chercheurs durent se contenter d'une photographie que détenait le philosophe Martin Buber. Ce n'est que trente ans plus tard, après des efforts obstinés, que Dieter Henrich parvint à découvrir que le texte était conservé à la bibliothèque de Cracovie. Les autorités polonaises admirent l’avoir en leur possession et le remirent à la disposition des chercheurs en 1979.2 2 Quant au sort du contenu même du manuscrit, il fut encore plus aventureux. Non content d’avoir baptisé le texte « programme systématique », Rosenzweig détermina aussi pour quasiment un demi-siècle l'interprétation qu’il convenait d’en donner. Le manuscrit, qui était de la plume de Hegel, était représentatif de son type d'écriture des années 1796-1797. Cependant, inspiré par les sentiments pour le moins mitigés qu’il nourrissait envers le philosophe, Rosenzweig lança l’hypothèse que ce dernier n'était pas l’auteur du texte mais le simple copiste d’un original rédigé par l'enfant terrible de l’idéalisme allemand, Schelling, de cinq ans son cadet. Prétendre que le texte était un programme et l’attribuer à Schelling avait deux objectifs. D'un côté, l’idole philosophique de Rosenzweig se voyait débarrassée du reproche d’être le

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« Mythologie de la raison » Un manifeste hégélien de jeunesse

Panagiotis Thanassas

I. Le texte et l’auteur

1

En 1917, Franz Rosenzweig présentait devant l'Académie des Sciences de

Heidelberg un manuscrit jusqu'alors inconnu de Hegel, en le qualifiant de

« plus ancien programme systématique de l'idéalisme allemand ».1 Le texte

connut alors une célébrité particulière, mais aussi de nombreuses péripéties

dans les décennies qui suivirent. Pendant la seconde guerre mondiale, le

manuscrit jusqu’alors conservé à la Bibliothèque nationale de Prusse fut

transféré en Silésie avec d'autres objets précieux à des fins de sauvetage.

Après 1945, quand cette région fut rattachée à la Pologne, le manuscrit

disparut et les chercheurs durent se contenter d'une photographie que détenait

le philosophe Martin Buber. Ce n'est que trente ans plus tard, après des efforts

obstinés, que Dieter Henrich parvint à découvrir que le texte était conservé à

la bibliothèque de Cracovie. Les autorités polonaises admirent l’avoir en leur

possession et le remirent à la disposition des chercheurs en 1979.2

2

Quant au sort du contenu même du manuscrit, il fut encore plus aventureux.

Non content d’avoir baptisé le texte « programme systématique », Rosenzweig

détermina aussi pour quasiment un demi-siècle l'interprétation qu’il convenait

d’en donner. Le manuscrit, qui était de la plume de Hegel, était représentatif

de son type d'écriture des années 1796-1797. Cependant, inspiré par les

sentiments pour le moins mitigés qu’il nourrissait envers le philosophe,

Rosenzweig lança l’hypothèse que ce dernier n'était pas l’auteur du texte mais

le simple copiste d’un original rédigé par l'enfant terrible de l’idéalisme

allemand, Schelling, de cinq ans son cadet. Prétendre que le texte était un

programme et l’attribuer à Schelling avait deux objectifs. D'un côté, l’idole

philosophique de Rosenzweig se voyait débarrassée du reproche d’être le

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« Protée » de l'idéalisme : sa philosophie semblait acquérir cohérence et unité

en apparaissant comme le développement logique de ce programme, qui devait

être achevé au cours des années 1840 avec la fameuse Philosophie de la

Révélation. De l’autre, Schelling était érigé en figure dominante et

emblématique du mouvement idéaliste, en génie philosophique catalyseur qui

avait tracé la voie que ne feraient ensuite qu’emprunter tous les autres.

3

Le montage de Rosenzweig orienta de manière décisive la conception que l’on

se fit du texte cinq décennies durant ou presque. Il n’est pas jusqu’à ceux qui

tentèrent de percer des brèches dans ce schéma interprétatif qui n’aient

adhéré à ses données de base. Wilhelm Böhm, par exemple, admettant sans

objection que Hegel fût borné au rôle de copiste, soutint en 1926 que le

véritable auteur était non pas Schelling mais le troisième larron du trio de

Tübingen, le poète Hölderlin. Dès l’année suivante, Ludwig Strauß remit en

selle l’interprétation de Rosenzweig, tout en reconnaissant à Hölderlin une

certaine part dans la genèse de quelques idées formulées dans le texte. Ce

point de vue domina sans susciter de réticences notables jusqu’en 1965, où

Otto Pöggeler affirma avec détermination que le rédacteur du texte était Hegel

en personne, et se livra à une nouvelle datation : contrairement à ce dont

Rosenzweig était convaincu, le texte n’avait pas été écrit au printemps 1796,

c’est-à-dire lorsque Hegel se trouvait encore à Berne, en Suisse, mais en 1797,

alors qu’il avait déménagé à Francfort et avait renoué avec Hölderlin.3

4

La thèse de Pöggeler donna lieu à de vives querelles, au fil desquelles il finit

par devenir clair que derrière la question de la paternité du texte s’en

dissimulait une autre, plus pertinente et plus passionnante : celle des

modalités et des conditions de la genèse de l’idéalisme allemand. L’intérêt se

déplaça donc peu à peu vers ce second problème et vers celui de l’évaluation

du texte sur le plan philosophique – se substituant ainsi à la préoccupation

unilatérale de la paternité et entérinant l’appréciation qu’avait formulée

Rüdiger Bubner en 1969 : « La fécondité de la question si disputée de l’auteur

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réside moins dans cette question en soi et dans la perspective d’une décision

définitive en faveur de l’un ou de l’autre des noms [avancés], que dans la mise

en lumière très significative du réseau de collaborations et de liaisons, de

dépendances et d’influences qui caractérise les dix dernières années du XVIIIe

siècle ».4 Les nombreux et solides travaux qui s’étaient penchés au cours des

décennies passées sur les conditions de la naissance de l’idéalisme allemand

ayant insisté à souligner l’aspect collectif qui en avait marqué le processus, les

chercheurs reconnurent que le modeste « programme systématique » était lui

aussi le produit de communications et d’échanges de points de vue

ininterrompus non seulement entre les membres du trio de Tübingen, mais

également avec un cercle plus large d’individus qui appartenaient à l’avant-

garde de l’époque.

5

Depuis qu’il a été établi, notamment, que le manuscrit mis au jour en 1917

provenait des papiers laissés par Hegel et qu’il reposa donc dans ses archives

jusqu’à sa mort avant d’aboutir chez son disciple et ami Friedrich Förster, il ne

semble plus exister de motif valable pour dénier à Hegel le mérite d’en avoir

été le véritable auteur (et non un simple copiste). En tout cas, il revient à ceux

qui refusent cette hypothèse, d’une parfaite logique à première vue, de

prouver le contraire.5 Et tandis que la vivacité des querelles autour de la

paternité du texte semble s’essouffler, la sobre conclusion déduite par Pöggeler

en 1965 trouve sa confirmation : « Nous devons admettre les choses telles

qu’elles sont : reconnaître en Hegel, qui a rédigé le Programme systématique,

celui qui a également conçu les pensées que contient le programme, non sans

être orienté, naturellement, vers Schelling et Hölderlin ».6 Il vaut la peine de

noter que l’une des réactions les plus positives à l’interprétation de Pöggeler

est venue de Martin Heidegger : « Jamais je n’ai pu me faire à l’idée d’un

‘texte de Schelling, copié par Hegel’. Mais je n’ai jamais eu rien d’autre à

proposer ».7 Le présent travail repose sur la conviction que le rédacteur du

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texte fut Hegel. Quant à la date exacte de la rédaction, elle est située

désormais de manière définitive dans les derniers mois de 1796 ou les

premiers de 1797.8

6

Le manuscrit qui a été sauvé contient selon toute vraisemblance la conclusion

d’un texte plus étendu – ce qui explique la phrase initiale en suspens : « Une

éthique ». La teneur du passage inciterait volontiers à voir en cette phrase le

titre de l’ensemble du texte ; mais cette vision des choses est ébranlée par la

place de la phrase dans le manuscrit et par la façon dont elle est écrite. Le

texte a été rédigé sans apprêt particulier, comme un premier jet, et il n’est pas

exclu qu’il s’agisse d’un fragment ou de l’annexe d’une lettre.9 Il se divise en

trois parties, dont la première traite de questions de métaphysique, de

physique et d’éthique sous l’angle de cette dernière (infra, II), la deuxième de

questions d’esthétique (III), la troisième étant consacrée à la « mythologie de

la Raison » (IV). Après une tentative d’évaluation en guise de récapitulation

(V), nous citons en Annexe une traduction du texte, fondée (à quelques

changements près) sur celle de D. Naville.10

II. Le système comme éthique 7

Le texte s’ouvre par une insistance emphatique sur l’importance de l’éthique,

érigée en seule préoccupation de la métaphysique. Bien que la première partie

traite de manière distincte de questions de métaphysique, de physique et de

« l’œuvre humaine » (à savoir la philosophie pratique), il est clair que ces trois

dimensions sont présentées comme autant d’aspects de la réflexion morale.

8

D’emblée, la première proposition du texte affirme ses repères philosophiques,

qui sont ceux de toute une époque. Les deux composantes en sont :

9

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a. l’adoption de la « révolution copernicienne » qu’avait provoquée la

philosophie kantienne, et de ses conséquences, la première étant le fait de

partir du sujet pensant ;

10

b. la conscience des lacunes du kantisme et des questions qu’il a laissées sans

réponse, ainsi que de la nécessité de reposer ces dernières dans le cadre d’une

manière nouvelle, systématique, de poser les fondements de la philosophie.

11

En d’autres termes, alors que la philosophie kantienne avait su mener à terme

sa mission critique, il restait à réaliser la formulation positive d’une nouvelle

Doktrin que Kant lui-même projetait sans toutefois avoir pu (ou eu le temps)

de la développer. Les jeunes épigones se mobilisent sur cet objectif, qui les

mènera à la construction complexe qui est passée dans l’histoire sous le nom

d’idéalisme allemand. Leur trait commun à l’époque de notre texte est le

maintien de la terminologie kantienne comme une base qui tantôt facilite

tantôt entrave la claire formulation des nouvelles questions.11

12

L’auteur du texte, le jeune Hegel, veille à faire la profession expresse de son

kantisme à travers une référence positive aux postulats pratiques kantiens

(Postulate). Mais lorsqu’il invoque ces postulats comme exemples d’une

subsomption complète de la métaphysique à la morale, il opère un

déplacement fort peu compatible avec le noyau de la philosophie kantienne. Le

souci essentiel de cette philosophie était de sans cesse rappeler l’impuissance

de la Raison spéculative/métaphysique traditionnelle à produire de la

connaissance, dans la mesure où elle est constamment obligée de dépasser le

champ de l’expérience possible : la Raison n’acquiert sens et valeur que

comme Raison pratique (praktische Vernunft), et c’est alors qu’elle fonde la

liberté et l’autonomie humaines qui découlent de l’obéissance à la loi morale.

Dans ce cadre émerge aussi la fameuse « primauté (Primat) de la Raison

pratique pure », qui s’appuie sur le fait que «toute préoccupation est

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finalement pratique, et que même celle de la Raison spéculative n’est complète

que sous conditions et exclusivement dans son usage pratique».12

13

Mais cette orientation pratique de la Raison ne correspond en aucun cas à une

subsomption de la métaphysique, en tant que philosophie spéculative, à la

morale ni, bien entendu, n’autorise un enrôlement éthique de la physique

(comme celui qui sera soutenu dans la suite du texte). Au contraire, Kant

maintient intacte l’autonomie d’une métaphysique de la nature purifiée sur le

plan critique, qu’il traitera (en contrepoint à la Métaphysique des mœurs) dans

son ouvrage de maturité intitulé Fondements métaphysiques de la de la

science de la nature (Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft,

1786). Outre cette transgression de la distinction kantienne orthodoxe entre

Raison spéculative et Raison pratique, on remarque aussi la référence que fait

notre texte à «deux postulats pratiques», alors que l’on sait que les «postulats

de la Raison pratique pure» qu’avait exposés Kant étaient au nombre de trois :

l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté. Hegel s’est

manifestement laissé entraîner par le fait que dans la Critique de la Raison

pratique, Kant traite longuement et dans des chapitres distincts uniquement

des deux premiers.13

14

On constate donc que le kantisme fournit le cadre général des investigations et

de l’entreprise du texte, sans toutefois borner l’horizon de l’auteur ni empêcher

les influences d’autres penseurs, antérieurs ou postérieurs à Kant. La

subsomption de la métaphysique à la morale, par exemple, fait manifestement

écho à Spinoza et à son choix personnel de donner à son système

métaphysique le nom d’Éthique.14 Cette même influence est visible dans

l’ambition du jeune Hegel de constituer cette éthique en un « système complet

de toutes les idées ». Il s’agit là d’un objectif systématique que partagèrent

tous les pionniers de l’idéalisme. D’un autre côté, on repère d’évidentes

influences post-kantiennes dans les éléments constitutifs de la construction

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systémique projetée, à commencer par son point de départ : la « première

idée », la base fondatrice du système, est la « représentation de moi-même en

tant qu’être absolument libre ». Il s’agit du sujet kantien, qui toutefois apparaît

ici sous la forme renforcée que lui avait conférée Fichte, qui avait fait de ce

sujet gnoséo-spéculatif un sujet absolu qui produit non seulement les concepts

à travers lesquels nous connaissons le monde des objets mais aussi le monde

des objets lui-même, dans des conditions d’absolue liberté. L’influence de

Fichte se repère également dans l’affirmation de la possibilité d’une « création

à partir du néant ». La question de la creatio ex nihilo, question philosophique

et théologique traditionnelle, avait aussi particulièrement préoccupé Spinoza,

avant de redevenir d’actualité à l’époque de la rédaction de notre texte.15

15

Certes, Spinoza rejetait catégoriquement la possibilité d’une « création à partir

du néant ». Notre auteur, en revanche, semble l’admettre, par une formule

très prudente et délibérément vague. Il présente le monde surgissant « en

même temps » que le sujet libre et conscient, sans préciser si le monde est

une création du sujet ou un simple complément qui émerge avec lui dans la

liberté.16 À notre sens, Hegel décrit plutôt ici une émergence parallèle, sans

paraître disposé à admettre clairement ce que l’on a appelé l’inversion de

Spinoza opérée par Fichte (et fortement contestée à cette époque) à savoir la

substitution, à l'idée selon laquelle la réalité se concentre dans l’objet, de l'idée

que cette concentration a lieu dans un sujet qui, ensuite, est capable de

produire toute chose. L’assertion hégélienne d’une «création à partir du néant»

devra plutôt être considérée en liaison avec la spontanéité de la subjectivité

dans le cadre de l’entendement spéculatif : il ne s’agit pas d’une cosmogonie

matérielle mais d’une révélation du monde à travers les idées que produit le

sujet rationnel. Nous sommes manifestement en présence d’une interprétation

philosophique rationnelle, systématique, d’un dogme théologique traditionnel,

qui semble également dirigée contre l’orthodoxie théologique de l’époque (avec

laquelle Hegel avait des comptes à régler depuis ses années d’apprentissage

au séminaire de Tübingen).17

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16

Le début du passage contient in nuce l’ensemble de sa problématique : la

nécessité de partir du kantisme et de le dépasser pour constituer une éthique

systématique dans le rôle de la prima philosophia. De manière indirecte mais

claire, Hegel nous rappelle que Kant n’a pas épuisé la question de l’enrôlement

moral de la métaphysique ni n’a pu répondre à la nécessité de constituer un

« système complet de toutes les idées ou, ce qui revient au même, de tous les

postulats pratiques ». De plus, à l’épicentre de la nouvelle métaphysique, il n’y

a pas la foi raisonnable en un être suprême, mais un Moi absolument libre

d’origine fichtéenne : c’est sur lui, et non sur une idée de Dieu, que la quête

métaphysique est dorénavant appelée à se fonder. Parallèlement, l’auteur du

texte semble prêt à poser le postulat non seulement d’un parachèvement

systémique, mais aussi d’une application pratique de la philosophie kantienne.

Sous cet angle, il apparaîtra que la philosophie n’a de sens que pratique,

comme philosophie « appliquée ».

17

Hegel donne alors l’impression qu’il va se lancer dans une digression en

« descendant » dans le domaine de la physique. Mais cette digression est une

partie organique de l’éthique universelle qu’il projette et qui doit englober

l’ensemble des domaines du connaissable. La nécessité d’une nouvelle

physique a surgi de la corrélation qui a précédé entre monde et sujet libre.

L’interpénétration du monde et de la libre subjectivité ne saurait qu’avoir des

conséquences également dans le domaine de la physique – conséquences qui

se condensent en une révolution quasi copernicienne, correspondant à celle

que Kant avait proclamée par sa philosophie critique : la physique n’est pas

une connaissance qui soumet l’homme à la réalité du monde physique, mais un

processus cognitif qui rend la nature compatible avec la libre moralité de la

subjectivité.

18

Cette inversion est entreprise sur la base de la question suivante : « Pour un

être moral, quelle doit être la nature du monde ? » Cette question ne se

cantonne pas à la compréhension du monde par l’être moral mais pose aussi

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celle de la formation du monde d’une façon qui le rendra digne de l’être moral.

La moralité est la pierre angulaire qui fondera également la conversion de la

quête physique. La physique à venir ne se dépensera pas en expériences et en

laborieuses investigations quantitatives, mais abordera le monde physique sur

le mode anthropocentrique – plus précisément : sur le mode éthicocentrique,

en partant de sa compatibilité avec la moralité. La physique de l’époque, au

contraire, est limitée et regorge de problèmes. D’une part, elle progresse

lentement, avec une difficulté qui, comparée au résultat, semble

disproportionnée. D’autre part, c’est une science qui se borne à un relevé

passif du monde physique, qui est dépourvue de créativité et incapable de

satisfaire des besoins intellectuels plus élevés. On peut supposer que ce que

Hegel lui reproche avant tout, c’est son ancrage obstiné à un déterminisme

mécaniste, son attachement unilatéral à une approche expérimentale qui se

focalise sur le particulier et contribue au morcellement du monde.

19

Naturellement, l’intérêt de Hegel pour la physique n’est pas d’ordre strictement

physico-scientifique, et ses réserves à l’égard de l’approche expérimentale

empirique ne le mènent pas à la rejeter complètement. Au contraire, les

« données » qu’offre « l’expérience » restent pour la « physique des temps à

venir » un paramètre incontournable. La question ne réside pas dans le rejet

de la recherche empirique mais dans sa mise en valeur créative. Si les données

cessent d’être sacrifiées sur l’autel du déterminisme, si elles commencent à se

mêler aux idées philosophiques et à y trouver vie, alors la physique pourra

apporter son écot au postulat de l’époque : un postulat de synthèse et

d’unification de la connaissance, sous l’égide de l’éthique universelle. L’objectif

de l’auteur n’est donc pas de rejeter, mais de dépasser la physique

traditionnelle : il désire aller au-delà, en la reliant à une méta-physique des

idées et en faisant du domaine de la physique un domaine de liberté. En ce

sens, la «descente» dans le domaine de la physique ne saurait être prise à la

lettre : c’est peut-être là la position de Hegel face à la physique empirique,

mais non face à la nature en général. La nature est le champ d’un monde qui

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surgit «avec» la libre conscience, apportant à la science physique la possibilité

de s’élever au niveau de l’éthique et de la méta-physique des idées.

20

La critique adressée au progrès trop lent et problématique de la physique

reprend une remarque similaire contenue dans la 13e lettre de Schiller Sur

l’éducation esthétique de l’homme.18 Il n’empêche que la forme qui continue

de dominer comme point de référence (et de critique) est celle de Kant. Il est

normal que l’approche de la physique sous l’angle de la morale surprenne car,

à première vue, elle semble contredire la position kantienne face à la nature et

l’espoir de voir garantie la valeur objective de la connaissance empirique. D’un

autre côté, la téléologie de la troisième Critique offre un exemple clair de la

tentative de Kant lui-même de voir la nature non seulement comme un objet

de connaissance théorique mais aussi comme un terrain de réalisation

d’objectifs rationnels.19 Dans ce cadre, par une lettre adressée en 1795 à

Schelling, Hegel formulait le « postulat selon lequel la Raison pratique doit

dominer le monde des phénomènes ».20 Une autonomie de type kantien du

sujet moral, qui repose sur la séparation entre esprit et nature, ne peut

actualiser ce postulat, car elle laisse de côté la préoccupation la plus

importante de la génération des jeunes épigones de Kant : la conciliation des

deux règnes.

21

La liberté humaine peut être compatible avec la nature, mais non avec l’État.

Tel est le sens clé de la partie suivante du texte, où est posée pour la première

fois à l’épicentre l’« œuvre humaine » – à savoir une problématique purement

morale. Il s’agit d’une référence programmatique à des questions de

philosophie pratique, dans laquelle domine l’approche fortement critique de

l’institution de l’État. Le point de départ est ici aussi la subjectivité humaine,

« l’idée d’humanité ». Le fait d’atteler ensemble métaphysique et subjectivité

dans le cadre d’un système dont le fondement est la « première idée », la

représentation du Moi comme un « être absolument libre », permet la

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formulation de la thèse selon laquelle « seul ce qui est objet de liberté,

s’appelle idée ». La notion de liberté reste plutôt indéfinie dans notre texte, et

semble incompatible avec toute notion de nécessité – surtout lorsque celle-ci

prend une forme mécaniste. Une idée de machine serait quelque chose de

profondément contradictoire : c’est pour la même raison qu’est rejetée

catégoriquement l’existence d’une idée d’État, puisque Hegel part du

présupposé que l’État est « quelque chose de mécanique ».

22

La comparaison de l’État à une machine inhumaine, et plus généralement

l’opposition entre machine et organisme libre, est un lieu commun répandu à

l’époque.21 Mais jusqu’à quel point la présentation de l’État comme un ouvrage

mécanique, avec des hommes qui en seraient les rouages passifs, est-elle

convaincante ? C’est une manière de voir que Hegel ne semble adopter ni dans

sa maturité, où il concevra l’État moderne comme une condition inaliénable de

la liberté, ni dans sa jeunesse, où il idéalise la communauté et la coexistence

politique comme une construction éthique en soi, le modèle insurpassable

étant la cité grecque antique. L’explication de cet écart se trouve peut-être

dans cette dernière remarque : c’est précisément l’idéalisation de la cité

ancienne qui conduit Hegel à une dénonciation un peu anhistorique de l’État

moderne comme machine inhumaine. Cette dénonciation semble également

dictée par les théories modernes sur l’État : les théories du contrat social, que

le philosophe utilise à rebours. Son Léviathan à lui, c’est la machine qui surgit

au milieu des sujets non pas pour leur procurer la sécurité et garantir les

conditions du développement des facultés humaines, mais pour triompher

d’eux comme un engin d’asservissement et d’inhumanité.22

23

De même que la physique, par son modèle mécaniste et déterministe, éloigne

l’homme du monde, de même l’État, par son déterminisme mécaniste non libre

éloigne l’homme de lui-même. À l’instar de la physique qui, par son approche

quantitative, morcelle le monde, l’État morcelle l’humanité en réduisant les

individus à la condition de « rouages », contraints de jouer dans un contexte

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d’absence de liberté le rôle limité qui leur a été attribué. État et liberté sont

incompatibles. Lorsqu’un système philosophique qui repose sur l’idée de liberté

se trouve confronté à la question de « l’œuvre humaine », il est obligé de tirer

une conclusion politique extrême, mais qui s’impose : l’État « doit

disparaître ».

24

La conclusion est assurément révolutionnaire. Hegel cherche encore, à cette

époque, à compléter le kantisme moral par un programme politique. L’une de

ses lettres à Schelling formule cette quête un peu vague sur un ton très

décidé : « Du système de Kant et de son achèvement suprême, j’attends une

révolution en Allemagne, qui partira de prémices qui existent déjà ; dans les

grandes lignes, tout ce qu’il faut, c’est qu’elles soient appliquées à la totalité de

la connaissance préexistante ».23 Cette critique politique est formulée dans

notre texte sur un ton généralisateur et indéfini, mais non pas fragmentaire,

dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte général « d’histoire de

l’humanité ».24 Il s’agit là d’une déclaration sans équivoque de l’intention de

Hegel d’intégrer le particulier au général, l’isolé à la globalité du processus

historique – une intention qui sera réalisée quelques décennies plus tard, avec

les cours sur la «philosophie de l’histoire». Certes, alors que la philosophie de

l’histoire de la maturité de Hegel présente l’État comme l’incarnation de la

liberté et l’aboutissement du processus historique, ce manifeste précoce, qui

préfigure de manière étonnante les analyses du jeune Marx, montre en fait

l’histoire de l’humanité comme ne débutant qu’après la dissolution de l’État-

despote. Cette dissolution signifiera le passage de la préhistoire, règne de

l’oppression de l’homme, à l’histoire, création de la liberté humaine.

25

L’intention de procéder à un développement systématique du sujet se reflète

dans le fait que la critique de l’État est située non seulement dans un contexte

historique plus large, mais aussi dans le cadre du système métaphysique

global. Des idées politiques par excellence, telle la « paix éternelle » de Kant,

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sont intégrées sans réserve à ce système – non sans qu’il soit indiqué toutefois

qu’elles sont « subordonnées à une idée supérieure » à laquelle, dans le cadre

d’une hiérarchisation systémique, elles sont soumises, puisqu’elle est la seule

qui puisse garantir « la liberté absolue pour tous les esprits ». L’auteur

diffèrera la présentation expresse de cette idée pour la suite du texte,

préférant ici relier sa critique politique à la critique de la religion, formulée

comme une sorte de « critique de l’idéologie » : lorsque la religion

institutionnelle et « la prêtrise » affirment que les idées de moralité, de divinité

et d’immortalité ont leur origine dans l’au-delà, elles en dissimulent l’essence

dans le but de s’approprier leur représentation d’une manière intéressée.25

L’assujettissement de l’homme ne cessera que lorsque les idées commenceront

à être cherchées dans l’en deçà de la subjectivité humaine, lorsqu’elles seront

développées comme des idées qui émanent du Moi libre et qu’elles reviendront

à lui pour le libérer.

26

L’insistance sur la nécessité de la quête de Dieu en l’homme même, le

déplacement de cette quête de l’au-delà dans l’en deçà, témoigne d’une

influence de Spinoza ; elle reflète aussi très vraisemblablement une disposition

critique envers Kant qui, selon l’auteur, a eu tort de situer Dieu dans l’au-delà,

comme élément équilibrant de moralité et de bonheur.26 L’accomplissement de

l’homme ne peut avoir lieu que dans l’en deçà, et Dieu n’a pas le droit de

limiter la liberté, qui est la quintessence de la Raison. Un Dieu de liberté

procède de la source intarissable de la subjectivité humaine, il ne peut être

cherché « ailleurs qu’en [nous]-mêmes » !

27

Le rôle de la créativité humaine est, certes, ambigu : elle véhicule la liberté,

mais produit aussi des liens. La référence pénétrante au « misérable

échafaudage humain que représente l’État, la constitution, le gouvernement, la

législation », entend l’« humain » comme conventionnel, fabriqué, factice – en

l’opposant à un monde d’idées. Il est évident que la conciliation de la

subjectivité humaine et de l’esprit absolu ne peut être obtenue par les

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déclarations d’un manifeste et qu’elle requiert le « labeur de la pensée » et un

processus difficile, tel celui que décrira dix ans plus tard l’imposante

Phénoménologie de l’esprit. Mais dans notre texte non plus, Hegel n’insistera

pas particulièrement sur la condamnation sommaire de l’État et sur le

postulat… anarchique de son abolition. L’ombre de la Révolution française, la

Terreur qui lui succéda et la désillusion qu’elle sema partout semblent avoir

déjà commencé à hanter les pensées du philosophe qui, repérant les impasses

politiques de l’époque, est contraint de se tourner vers des issues qui en soi ne

sont pas politiques. Il est disposé à dénoncer l’État comme incompatible avec

les idées et la liberté, réclame qu’il cesse d’exister. Mais le couronnement de sa

construction philosophique, ainsi que de « l’œuvre humaine », sera recherché

non pas dans un acte de bouleversement politique mais dans une conception

esthétique : l’idée du Beau.

III. Esthétique et éducation

28

La deuxième partie du texte décrit un « refuge » dans l’esthétique. Elle apporte

le couronnement du passage, en posant la question qui anime toute tentative

de constitution d’un système philosophique : le postulat de synthèse. Ce

postulat est appelé à accomplir l’idée du Beau, l’idée éthique suprême vers

laquelle converge le programme hégélien de jeunesse d’atteler ensemble

éthique et esthétique. Le caractère de cette idée est compatible avec le fait de

fonder le système métaphysique sur la subjectivité humaine. En dépit de la

déclaration de Hegel affirmant qu’il la conçoit « au sens supérieur, platonicien »

du terme, l’idée du Beau diverge nettement de la forme qu’adoptent les idées

dans le platonisme traditionnel : ce n’est pas une entité métaphysique existant

en soi, une partie d’un deuxième monde indépendant et autonome ; elle

émane de la liberté de la subjectivité humaine et existe exclusivement en tant

que relevant de la Raison. Elle est, elle aussi, objet d’un « acte de la Raison »,

qui seul a la faculté de concevoir et d’« englober toutes les idées » en tant que

dérivés de la subjectivité. L’autre différenciation très nette par rapport au cadre

platonicien orthodoxe consiste à ériger l’idée du Bau en idée suprême, alors

Page 15: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

que le Platon des dialogues (mais aussi des « doctrines non écrites ») met au

sommet de la pyramide l’idée du bien qui, parce qu’il est « au-delà de

l’essence » et « inconditionnel »,27 est du même coup beau et vrai. Le jeune

Hegel conserve cette triade tout en donnant la préséance au Beau, dans lequel

« la Vérité et la Bonté s’allient ». L’unité de la philosophie spéculative (« la

Vérité ») et de la philosophie pratique (« la Bonté ») n’est accessible qu’au sein

de l’esthétique.

29

C’est de cette partie du texte qu’ont tiré argument les chercheurs résolus à

démontrer que son véritable auteur était Hölderlin. Même les ardents partisans

de la paternité de Hegel ne peuvent nier qu’ici, ce dernier a manifestement été

inspiré par son ami poète et par son intention de développer un « platonisme

esthétique » en faisant du Beau, dans le cadre d’une «philosophie de la

réunion» (Vereinigungsphilosophie), un élément dominant englobant la Raison

tant spéculative que pratique.28 Ce platonisme remplace au sommet du

système hiérarchique des idées celle du bien par celle du Beau, qui agit comme

noyau ultime d’une fondation philosophique.29 Pour Hölderlin, à cette époque,

la métaphysique du Beau acquiert encore une indubitable priorité face à tout

acte. Mais dans notre texte, en dépit de l’importance que prend la dimension

esthétique, il ne faut pas oublier que le Beau demeure organiquement intégré

à un système d’éthique, qui constitue le couronnement de la perfection morale

et la forme suprême de la vertu. Celui qui communie avec la beauté est

réellement vertueux. C’est là un projet de métaphysique morale, qui apparaît

comme une entreprise parallèle, convergente, mais non identique à la

métaphysique esthétique de Hölderlin. Nous avons vu d’ailleurs qu’à l’opposé

de Hölderlin, Hegel ne semble pas prêt à admettre la substanciation

ontologique de l’idée du Beau : la beauté n’est pas une hypostase ontologique

mais une conception de la Raison et le sommet de l’éthique, c’est-à-dire la

réalisation de la liberté humaine.

30

Page 16: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

Cette revalorisation spectaculaire de la faculté esthétique exige bien entendu

une revalorisation en proportion du sens esthétique appelé à concevoir l’idée

du Beau. Ce sens est érigé en instrument philosophique par excellence. Ce

n’est pas simplement un trait caractéristique des seuls poètes et autres

artistes, il ne se contente plus d’être, comme dans des écrits antérieurs de

Hegel, l’attribut indispensable de celui qui « instruit le peuple », mais il devient

une qualité propre à tout vrai philosophe. Ainsi se trouve décrite la perspective

d’une philosophie d’un type nouveau, différente de celle que pratiquent les

p h i l o s o p h e s t r a d i t i o n n e l s a t t a c h é s à « l a l e t t r e

seule » (Buchstabenphilosophen). Cette philosophie de l’avenir reposera sur

l’inspiration qu’apporte le sens esthétique ; on peut supposer qu’elle se

constituera et se développera dans le cadre sommairement tracé dans le

texte : préoccupation éthique, point de départ dans la libre subjectivité,

couronnement dans la conception de l’idée du Beau.

31

La nécessité du recours à l’inspiration semble inévitable y compris dans un

domaine où l’on serait enclin à croire que la consignation fidèle, passive,

suffit : celui de l’histoire. Par cette référence, Hegel remplit la promesse vague

de la partie précédente concernant la pose des « principes d’une histoire de

l’humanité ». La vision philosophique, systématique, de l’histoire va au-delà du

recensement historiographique de l’enchaînement des événements et compose

ceux-ci en une image cohérente qui présuppose la force de l’inspiration. Cette

image, comme cela a été souligné dans la partie précédente, tend à dépasser

l’institution de l’État qui, manifestement, sera remplacé par une réalité de

création et de jouissance esthétique. La domination de l’inspiration devient

ainsi du même coup le point de départ de la compréhension historiographique

et le but du processus historique lui-même.

32

La notion typiquement romantique de « l’inspiration » trace ici une ligne de

démarcation autre que celle qui sépare les gens cultivés de ceux qui ne le sont

pas. Les philosophes attachés « à la lettre seule » ne sont pas mieux lotis que

Page 17: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

les simples individus qui ne comprennent que leurs « tableaux et registres »,

puisque les deux catégories se montrent aussi incapables l’une que l’autre

d’appréhender la nature, le caractère et le contenu des idées. Il est permis de

supposer que s’ils développaient leur sens esthétique, les gens incultes

deviendraient plus féconds dans la conception d’idées que certains philosophes

accoutumés à la stérilité des formes. Cette hypothèse est confirmée par la

suite du texte, qui invite la poésie à redevenir celle qui « instruit l’humanité ».

L’auteur retrouve donc le fil de l’acte et de la problématique morale dont il

s’était quelque peu écarté en traitant de l’importance du sens esthétique. Il

s’agissait bien sûr d’un écart superficiel, puisque dans la suite, le sens

esthétique est réintégré au projet pratico-moral qui gouverne tout le texte. En

assumant un rôle didactique et pédagogique, la poésie récupère une qualité qui

l’avait caractérisée lors de son apparition et de son élaboration originelle, à la

période archaïque. Dans un mouvement en spirale de retour aux origines,

l’humanité devrait donc pouvoir revenir à la situation qui avait permis à la

poésie d’« instruire l’humanité ». L’élévation du langage poétique au rang

d’expression suprême du Beau caractérise l’ensemble de la génération qui

pense, écrit et agit au tournant des XVIIIe et XIXe siècles.30 Pour Hegel, cette

élévation a aussi des retombées sur la philosophie. Le postulat de la mutation

de celle-ci en une «philosophie esthétique» de l’inspiration, qui venait tout

juste d’être exposé, se révèle à présent comme un premier pas qui en

appellera un deuxième : la disparition définitive de la philosophie, son auto-

abolition. L’idéal esthétique et l’inspiration poétique sont greffés sur la

philosophie pour qu’elle puisse finalement se muer complètement en poésie.31

33

Alors que dans la première partie dominaient les influences de Kant et de

Schiller, c’est celle de Hölderlin qui l’emporte dans la deuxième, la partie

esthétique. Derrière lui, naturellement, restent présentes la troisième Critique

kantienne et les lettres de Schiller Sur l’éducation esthétique de l’homme, qui

les premières érigèrent avec emphase le Beau en élément imprescriptible de

l’accomplissement de l’individu. La perspective de « l’éducation esthétique »

englobe aussi bien la revalorisation de la poésie dans la deuxième partie que le

Page 18: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

projet d’une « mythologie de la Raison » dans la troisième et dernière partie

du texte.

IV. Un mythe raisonnable 34

La troisième partie expose le contour général d’une philosophie politique

appliquée. La dimension esthétique qui était apparue dans la partie précédente

comme le tremplin de la mutation de la philosophie est installée ici à

l’épicentre de la fonction religieuse. Hegel embrasse l’un des lieux communs

des quêtes spirituelles de l’époque, le constat de la nécessité de créer et de

propager une « religion sensible », et en use pour saper à nouveau la

pertinence de la classification des individus en éduqués et illettrés, cultivés et

incultes. L’aire de validité de cette « religion sensible » ne se limite pas

exclusivement à la masse des gens sans instruction, mais s’élargit et acquiert

une dimension universelle en englobant les gens lettrés et instruits, et même

les philosophes. Cette religion nouvelle sera polythéiste. À l’opposé de la

Raison et du cœur qui cherchent unité et cohérence et se tournent donc vers le

monothéisme, l’imagination, l’art et le sens esthétique qui les active se

développent uniquement dans des conditions de multiplicité et de diversité, et

ne se satisfont donc que d’un contexte polythéiste.

35

Ces considérations font suite à la problématique hégélienne de jeunesse autour

de la question de la Volksreligion : une « religion populaire »32 dont le rôle

n’est pas tant d’assurer la rédemption de l’âme individuelle que de fournir la

base spirituelle du développement de la vie d’un peuple entier. Elle était décrite

comme une religion qui, pour pouvoir « agir dans la vie et la pratique », ne

pouvait reposer exclusivement sur la Raison ni laisser «l’imagination et le

cœur... insatisfaits».33 Ces positions font écho au postulat de Rousseau

concernant la «religion civile» mais aussi, d’une manière plus générale, à la

conviction des hommes des Lumières que la disparition de toute forme de

Page 19: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

préjugé n’est pas incompatible avec une nouvelle forme de religiosité qui

servira et facilitera le développement de la moralité au sein de la masse

inculte. Le fait de lier l’art à la mythologie et de l’inclure en elle est un

paramètre qui restera en tout cas très fort dans l’œuvre de maturité de Hegel.

Dans les leçons de Berlin, par exemple, l’art sera déterminé significativement à

travers sa dimension sociale, qui consiste en la faculté collective d’un peuple

de concevoir la vérité de son existence.34

36

L’élargissement du domaine de référence de la religion nouvelle va de pair

dans le texte avec un déplacement sémantique : la religion sensible a une

dimension théologique plutôt qu’esthétique. Le postulat d’un « polythéisme de

l’imagination et de l’art » et celui d’une « religion nouvelle » ne sont pas tant

l’écho de l’espérance de voir introduire des divinités nouvelles qui

remplaceraient les anciennes, que l’expression de la nécessité de doter d’une

signification nouvelle les formes et les traditions religieuses du passé. Cette

redéfinition ne touche pas seulement la mythologie religieuse mais aussi

l’histoire même, qui elle aussi a besoin d’un « sens esthétique ». À cet égard,

la personne de Jésus, qui avait vivement préoccupé Hegel au cours des années

précédentes, pourrait sans hésitation être incorporée dans ce cadre nouveau.

35 Et bien sûr, la nouvelle « religion sensible » polythéiste concerne

exclusivement l’imagination et l’art, dans une coexistence harmonieuse avec le

monothéisme traditionnel.

37

Il s’agit là au fond d’une religiosité au service non pas de l’au-delà mais de l’en

deçà. Elle constitue la base de l’ébauche d’une « mythologie de la Raison », sur

laquelle culmine et s’achève le texte. L’auteur affirme l’originalité de son

entreprise d’un ton presque excessif. Il reconnaît que le postulat de

développement d’une nouvelle mythologie est un lieu commun de l’époque,

tout en soulignant avec emphase que sa propre conception met cette

mythologie au service de la Raison et des idées. Il ne s’agit donc pas d’un

corps mythologique qui s’adresserait à la majorité, aux gens sans instruction,

Page 20: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

fonctionnant de manière complémentaire à une Raison qui resterait l’apanage

de quelques-uns. Le but de Hegel est ici de remplacer cette relation de

complémentarité externe par une relation de médiation. Sa mythologie n’est

pas un simple habillement, mais un moyen fondamentalement nécessaire

d’expression de la Raison.

38

La Raison, non contente d’avoir recours aux services du mythe, est elle-même

imprégnée de l’élément mythologique. Tout d’abord, les idées doivent devenir

« esthétiques, c’est-à-dire mythologiques », de sorte à acquérir un « intérêt

pour le peuple ». Ensuite se révèle l’ampleur de l’enjeu de l’entreprise : le

caractère mythologique des idées et de la philosophie ne concerne pas

uniquement le « peuple » mais aussi les philosophes, pour qui c’est la seule

manière de devenir sensibles et de développer leur sens esthétique, la seule

manière d’être dignes de l’acte suprême de la Raison. La relation de médiation

de la Raison et du mythe prend ainsi la forme d’un mélange organique des

deux éléments, d’une consubstantialité – dans une perspective qui est une

nouvelle fois politique.

39

La médiation du mythe et de la Raison est possible et nécessaire uniquement

parce que le mythe contient une dimension politique importante : il est le

corps de représentations communes d’un peuple, qui fournit à ce dernier le

terrain de son unité politique.36 Bien qu’elle apparaisse sous une forme

religieuse, la nouvelle mythologie est par excellence politique et a vocation à

traverser tous les aspects de la vie de l’ensemble social. Ce caractère politique

fait que le mythe est compatible avec l’activité philosophique. Lorsque la

Raison sera devenue mythologique, permettant au peuple d’être éclairé, et

lorsque les mythes seront devenus raisonnables, permettant aux philosophes

de développer leur sensibilité, alors seront possibles non seulement la

communication mais aussi une « unité éternelle » entre les deux classes. Cette

unité signifie bien plus que le dépassement des attitudes respectives de

« regard méprisant » et de « tremblement » de crainte : c’est une unité qui va

Page 21: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

jusqu’aux tréfonds de l’hypostase du corps social. Elle s’appuie sur l’égalité, qui

n’est pas statique, car elle ne privilégie pas la stabilité et l’immobilité mais au

contraire l’« épanouissement des forces » du corps social ; elle ne produit pas

l’uniformité mais la diversité et la multiplicité, qui vont de pair avec la création

et la conception esthétiques. La notion dynamique d’égalité permet

l’épanouissement des aptitudes individuelles d’un ensemble (« du particulier »)

mais aussi collectives (« de tous les individus »). Le résultat sera une « liberté

et [une] égalité [qui] régneront partout » – l’accomplissement de l’utopie

hégélienne.

40

La conception hégélienne originale de la « mythologie de la Raison » spécifie et

clarifie le postulat d’instauration d’une « religion sensible ». À la fin du

passage, Hegel reviendra sur la nécessité de fonder une religion nouvelle en

recourant à la force surnaturelle d’un «esprit supérieur» appelé à l’installer sur

terre. Manifestement, les devoirs qu’attribue ce texte programmatique à

l’humanité sont si nombreux qu’il lui sera impossible d’y faire face. Si bien que,

d’une manière paradoxale, « la plus grande œuvre de l’humanité » est confiée

à un surhomme, un esprit supérieur, qui a vocation eschatologique à annoncer

la fin de l’histoire.

41

Nous avons déjà signalé que la « mythologie de la Raison » prolonge les

investigations précédentes de Hegel concernant la dynamique politique de

cohésion de la Volksreligion. Mais à l’opposé d’autres textes plus anciens37 qui

attribuaient à la « religion subjective » un rôle de servante de la Raison, ici la

nouvelle religion et sa mythologie s’autonomisent pour incarner le nouvel

esprit de liberté et d’égalité. Pour autant que cette quête s’inscrive dans le

programme des Lumières, elle ne manque pas de manifester une disposition

clairement critique à l’égard des « lumières de l’entendement » qui se

montrent indifférentes envers la dimension pratique et qui rendent les hommes

« plus intelligents, mais non pas meilleurs ».38 Hegel ne rejette pas le projet

des Lumières mais est en quête de son complément mythologique.

Page 22: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

42

La nouvelle mythologie cherche à libérer les mythes de leur assujettissement à

« la prêtrise » et de leur utilisation instrumentaliste.39 Cette ambition contient

aussi en soi une dimension anti-chrétienne. L’auteur semble abandonner son

ancienne conviction que le christianisme peut être réformé et devenir un

exemple de « religion populaire », et lui oppose une fois de plus le modèle grec

ancien d’une religion profondément esthétique, imprégnée de mythes et

destinée à activer sans relâche l’imagination humaine. Hegel semble penser

que le christianisme, du fait de son hostilité envers l’élément mythique, ne sera

jamais une « religion populaire » : il ne pourra jamais réunir les hommes s’il

ne fait pas usage de l’inépuisable dynamique unificatrice de la mythologie. La

seule issue se trouve dans une mythologie nouvelle, fonctionnant à l’instar des

mythes en Grèce ancienne – une mythologie qui sera au service de la Raison

mais aussi d’une religion nouvelle, politique.

43

Ce qui, en tout cas, ne change pas, c’est la foi qui avait uni Hegel à ses deux

condisciples de Tübingen, et qui continue de les unir : la foi, née des Lumières,

en la nécessité d’une « éducation du peuple ». Cet idéal pédagogique exprime

en même temps une position libérale, en se faisant l’écho de la critique du

jacobinisme et en s’élaborant comme une esthétisation de la Raison et des

idées dans le cadre de la « nouvelle mythologie ». La révolution politique

apparaît comme un résultat, comme le complément d’une révolution religieuse

dont l’accomplissement est confié, sur le mode de la révélation, à un « esprit

supérieur ». La philosophie raisonnable demeure un instrument fondamental,

mais non pas unique, de cette entreprise utopique d’union nouvelle de

l’humanité.

V. Une étude de la liberté 44

Le texte hégélien de jeunesse que l’on a coutume d’appeler « le plus ancien

programme systématique de l’idéalisme allemand » est un texte limite – au

sens littéral du terme, et cela pour deux raisons : Situé au croisement du

Page 23: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

kantisme et de l’idéalisme allemand, il représente l’une des étapes les plus

importantes du processus de genèse du second au sein du premier ; il est

également situé au carrefour des Lumières et du Romantisme, dans la mesure

où il tente de préserver l’acquis des premières en matière de liberté en

l’inscrivant dans la problématique esthétique et dans l’exaltation de

l’imagination que prônait le second.

45

Nous avons signalé à plusieurs reprises la présence très nette de la philosophie

kantienne dans le texte, qui toutefois ne se borne pas, en tant que programme

d’une « éthique », à refléter les thèses de la seule deuxième Critique. La

première Critique, celle de la Raison pure, affirme également sa présence, car

la remarque que «la première idée consiste dans la représentation de moi-

même» fait de la subjectivité un fondement du système. La troisième, la

Critique du jugement, est non moins présente dans la deuxième partie (supra,

III), où l’idée du Beau sera appelée à s’entremettre entre le vrai et le bien,

entre la Raison spéculative et la Raison pratique. Cependant, malgré les

références kantiennes indubitables, on ne saurait négliger que l’objectif le plus

profond du texte demeure le dépassement d’un questionnement

transcendantal orienté vers la conscience et son remplacement par un désir

d’origine romantique de dépasser toute dichotomie et d’atteindre l’union avec

l’absolu. L’interprétation à laquelle sont soumis les postulats kantiens est

caractéristique de cet objectif. Le postulat de l’existence de Dieu, par exemple,

n’est pas tant lié à l’existence d’un créateur de l’univers qu’à la recherche de

l’accomplissement de Dieu dans le Moi fini.40 D’une manière plus générale,

notre texte considère d’un regard critique la philosophie pratique kantienne,

estimant que le soutien absolu apporté à l’autonomie mène à l’attente

hétéronome d’une moralité et d’un bonheur venus de l’au-delà.

46

Il a souvent été dit que le texte manque de cohérence, qu’il est régi par une

« tension » ou que l’éthique de la première partie et l’esthétique de la

deuxième créent une « rupture » interne qu’il est difficile, voire impossible de

Page 24: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

réparer.41 Cette opinion est, à notre sens, excessive. Étant donné que le texte

joue sur plusieurs niveaux et effleure un grand nombre de sujets, on ne saurait

s’étonner, par exemple, que dans la première partie, la « représentation de

moi-même en tant qu’être absolument libre » soit qualifiée de « première

idée » du système, et que dans la deuxième partie l’idée du Beau apparaisse

comme objet de « l’acte suprême de la Raison », occupant ainsi la plus haute

place dans la pyramide systémique des idées. La qualification de l’une des

idées comme « première » et de l’autre comme « suprême » génère, certes,

un rapport de forces qui nécessite un traitement spéculatif sérieux, mais ne

pose pas obligatoirement de problèmes de cohérence.

47

La cohésion du passage est assurée par un fil unificateur qui relie les diverses

questions et objectifs. Ce fil n’est autre que la quête d’une unité qui dépasse

les dichotomies chaque fois constatées : l’écart entre la théorie et la pratique,

entre les philosophes et l’esprit commun, la logique et l’imagination, les gens

instruits et les rustres. Hegel voit en cette unité l’unité de la Raison, atteinte

dans le cadre d’un système qui culmine avec l’idée du Beau, en résolvant

l’opposition entre nature et liberté. L’accomplissement des idéaux sociaux des

Lumières, la liberté et l’égalité, semble ici possible seulement si la Raison se

défait de la froideur d’une apparence trop crue et revêt l’aspect du mythe. Le

Beau n’est pensé qu’au sein d’une intensification extrême de l’activité de la

Raison, qui part de la « première idée » du sujet libre et trouve son

couronnement dans la conception de « l’idée suprême » du Beau. Seule la

présence de la Raison garantit l’unité du système, en le protégeant des

brèches et des «fossés» impossibles à combler. En suivant la Raison et en

activant son sens esthétique, le philosophe acquiert la possibilité d’accomplir

son rôle systématique, son rôle de cohésion. Il n’unit qu’en participant à l’idée

qui unit, l’idée du Beau.

48

Il va de soi que le texte ne propose pas de système achevé. Il ne contient

même pas ce que lui attribuait le titre de Rosenzweig, lorsqu’il le qualifiait de

Page 25: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

« programme systématique ». La qualification avancée par Glockner semble

plus pertinente, qui parle d’« esquisse d’un programme philosophique de

travail ».42 Le point de vue de Henrich, qui a vu dans le texte « un programme

de propagande au moins autant qu’un projet de système »,43 n’est pas dénué

de bien-fondé. Quoi qu’il en soit, au regard de son contenu et pour paraphraser

Platon, on pourrait dire que ce passage, avec la philosophie qu’il professe, est

une « étude de la liberté ». L’enrôlement de la religion dans l’éthique, la

transformation de l’idée de Dieu d’objet de la Raison spéculative en postulat

d’accomplissement pratique, l’appel à une mythologie de la Raison qui rendra

sensibles les idées en dépassant le fossé de classe entre gens cultivés et

illettrés, le postulat d’une « éducation esthétique » généralisée et d’un

épanouissement universel du sens esthétique – tout cela constitue une

tentative nouvelle, moins violente et plus intellectuelle, d’appliquer les idéaux

d’une Révolution française qui continue à animer tant Hegel que ses amis et

interlocuteurs.

Annexe44

49

[Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand]

50

– une éthique. Étant donné que toute la métaphysique se ramènera à la

morale (ce dont Kant et ses deux postulats pratiques n’a donné qu’un exemple,

sans rien épuiser), cette éthique ne sera pas autre chose qu’un système

complet de toutes les idées ou, ce qui revient au même, de tous les postulats

pratiques. La première idée consiste naturellement dans la représentation de

moi-même en tant qu’être absolument libre. Avec cet être libre et conscient de

lui-même, tout un monde surgit en même temps du néant – seule création

véritable et concevable à partir du néant. – Je voudrais ici descendre dans le

domaine de la physique ; la question est celle-ci : Pour un être moral, quelle

doit être la nature du monde ? Je voudrais donner de nouvelles ailes à notre

science physique, qui avance si lentement et à si grand-peine d’expérience en

expérience.

Page 26: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

51

Ainsi – si la philosophie fournit les idées, l’expérience les données, nous

pourrons enfin obtenir la physique en grand que j’attends des temps à venir. Il

ne semble pas que la physique actuelle puisse satisfaire un esprit créateur tel

qu’est, ou devrait être, le nôtre.

52

De la nature j’en viens à l’œuvre humaine. En tête, l’idée d’humanité – je veux

montrer que l’État, étant quelque chose de mécanique, l’idée d’État n’existe

pas, aussi peu qu’existe l’idée de machine. Seul ce qui est objet de liberté,

s’appelle idée. Nous devons donc dépasser aussi l’État ! – Car tout État est

obligé de traiter les hommes libres comme un rouage mécanique ; et c’est ce

qu’il ne faut pas ; donc il doit disparaître. Il est évident qu’ici toutes les idées

de paix éternelle etc. ne sont que des idées subordonnées à une idée

supérieure. Je voudrais en même attends consigner les principes d’une histoire

de l’humanité et mettre à nu tout le misérable échafaudage humain que

représente l’État, la constitution, le gouvernement, la législation. Enfin, les

idées viennent du monde moral, divinité, immortalité – renversement de toute

pseudo-croyance, persécution de la prêtrise, que l’on voit ces temps-ci feindre

d’user de la Raison, par la Raison elle-même – liberté absolue pour tous les

esprits, dépositaires du monde intellectuel, qui ne doivent pas chercher Dieu ni

l’immortalité ailleurs qu’en eux-mêmes.

53

En dernier lieu, l’idée qui les résume toutes, celle de Beauté, prise au sens

supérieur, platonicien. Or, je suis convaincu que l’acte suprême de la Raison est

celui qui, englobant toutes les idées, est un acte esthétique et que la Vérité et

la Bonté ne s’allient que dans la Beauté. Le philosophe doit avoir autant de

force esthétique que le poète. Les hommes dépourvus de sens esthétique

pratiquent une philosophie de la lettre seule. La philosophie de l’esprit est une

philosophie esthétique. On ne peut avoir d’esprit en rien, on ne peut même pas

raisonner sur l’Histoire – en l’absence de sens esthétique. Ceci révèle ce qui

manque véritablement aux hommes qui ne comprennent pas les idées – et qui

Page 27: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

avouent volontiers que tout leur est obscur, dès qu’il ne s’agit plus seulement

de tableaux et de registres.

54

La poésie acquiert ainsi une dignité plus grande, elle reprend à la fin sa

fonction première – celle d’instruire l’humanité ; car la philosophie, la science

de l’histoire disparaîtront, seule la poésie survivra à toutes les autres sciences

et à tous les arts.

55

En même temps, on entend dire si souvent que les masses ont besoin d’une

religion sensible. Pas seulement les masses, le philosophe aussi en a besoin.

Monothéisme de la Raison et du cœur, polythéisme de l’imagination et de l’art,

voilà ce qu’il nous faut.

56

Je parlerai d’abord d’une idée qui, à ma connaissance, n’est encore jamais

venue à l’esprit de personne – il nous faut une nouvelle mythologie, mais cette

mythologie doit être au service des idées, elle doit devenir une mythologie de

la Raison.

57

Les idées que nous ne présentons pas sous forme esthétique, c’est-à-dire

mythologique, n’ont pas d’intérêt pour le peuple, et inversement, une

mythologie qui n’est pas raisonnable est pour le philosophe un objet de honte.

Ainsi les gens éclairés et ceux qui ne le sont pas finiront par se donner la main,

la mythologie doit devenir philosophique, afin de rendre le peuple raisonnable,

et la philosophie doit devenir mythologique, afin de rendre les philosophes

sensibles. Alors on verra s’instaurer parmi nous l’unité éternelle. Plus de regard

méprisant [des philosophes sur le peuple], le peuple ne tremblera plus devant

ses sages et ses prêtres. Alors seulement on verra s’épanouir uniformément

toutes les forces, celles du particulier comme celles de tous les individus.

Aucune force ne sera plus réprimée, la liberté et l’égalité des esprits régneront

partout ! – Un esprit supérieur, envoyé du ciel, doit fonder cette nouvelle

religion parmi nous, elle sera la dernière, la plus grande œuvre de l’humanité.

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Bibliographie

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MdV: Jamme, C. / Schneider, H. (éd.) : Mythologie der Vernunft. Hegels

« ältestes Systemprogramm des deutschen Idealismus ». Francfort: Suhrkamp

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éditeurs et des textes de F. Rosenzweig, O. Pöggeler, D. Henrich, A. Gethmann-

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Page 29: « Mythologie de La Raison » Un Manifeste Hégélien de Jeunesse Panagiotis Thanassas

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chapitre V, Paris : Grasset 1990, pp.211-256.

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#bibliography

Notes

1 « Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus ». Ein handschriftlicher

Fund. Heidelberg: Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften,

Philologisch-historische Klasse, Jg. 1917, 5. Abh. – La présentation du texte par

Rosenzweig est aussi contenue dans l’ouvrage : C. Jamme/H. Schneider. (éd.):

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Mythologie der Vernunft. Hegels «ältestes Systemprogramm des deutschen

Idealismus». Frankfurt: Suhrkamp 1984, p. 79-125 (désormais MdV).

2 Voir aussi D. Henrich : « Aufklärung der Herkunft des Manuskripts “Das älteste

Systemprogramm des deutschen Idealismus” ». Zeitschrift für philosophische

Forschung 30 (1976), p. 510-528. Nouvelle publication avec ajout d’une annexe dans

MdV, p. 144-169.

3 O. Pöggeler : « Hegel, der Verfasser des ältesten Systemprogramms des deutschen

Idealismus ». H.-G. Gadamer (éd.), Hegel-Tage Urbino 1965 (= Hegel-Studien,

Beiheft 4). Bonn: Bouvier 1969, p. 17-32. Réimpression dans MdV, p. 126-143. – Pour

une présentation très ample, souvent prolixe, des interprétations qui ont été données

du texte entre 1917 et 1982, voir la première partie du travail de F.-P. Hansen (1989,

p. 19-343).

4 Bubner (1969), p. 2.

5 Les deux dernières tentatives d’attribuer le texte à Hölderlin (Förster 1995) et à

Schelling (Baum 1999) n’ont pas eu d’écho.

6 MdV, p. 142.

7 Extrait d’une lettre à Pöggeler, 19.9.1965; cité dans MdV, p. 69.

8 Voir aussi l’analyse à ce propos de Jamme et Schneider, MdV, p. 36-43. Pöggeler

avait insisté particulièrement sur une période ayant suivi le déménagement de Hegel à

Francfort, donc pendant l’année 1797. Hansen (1989) a en vain proposé l’année 1795.

9 Voir aussi MdV, p. 28-30.

10 Hölderlin, Œuvres. Paris: Bibliothèque de la Pléiade 1967, p. 1157-1158 ; les

responsables de cette édition ont attribué la paternité du texte à Hölderlin.

11 Voir aussi D. Henrich, qui parle d’« ambiguïté théorique » (theoretische

Doppelbödigkeit) du texte: « L’auteur parle totalement la langue kantienne […], mais

suppose une position philosophique qui ne peut plus être exprimée par des moyens

kantiens » (MdV, p. 156-7). À notre sens, toutefois, c’est à tort que Henrich formule

des doutes quant à la possibilité pour Hegel en 1797 de s’exprimer philosophiquement

au moyen de cette ambivalence théorique.

12 Kritik der praktischen Vernunft. Hamburg: Meiner 1985, p. 140.

13 Voir les chapitres de la Critique de la Raison pratique intitulés « L’immortalité de

l’âme comme postulat de la Raison pratique pure » et « L’existence de Dieu comme

postulat de la Raison pratique pure ». Kant n’évoquera le troisième postulat, celui de

la liberté, que dans le passage en revue qu’il entreprendra dans le chapitre suivant:

« Sur les postulats de la Raison pratique pure en général ». – Il significatif que dans la

suite du texte, Hegel se réfère uniquement à Dieu et à l’immortalité.

14 Le parallélisme est également tenté par Harris (1972, p. 250).

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15 V.L. Waibel (1999, p. 349-353) signale l’importance qu’eut pour la diffusion de

cette question le texte de Jacoby, Ueber die Lehre des Spinoza in Briefen an Herrn

Moses Mendelssohn (1785-9).

16 Voir aussi sur ce point D. Henrich, « Systemprogramm? Vorfragen zum

Zurechnungsproblem », dans Bubner (1969), p. 13.

17 Voir aussi à ce propos Gawoll (1992), qui désapprouve le point de vue de Hansen

(1989) selon lequel le monde qui surgit du néant est exclusivement le «monde

intelligible ».

18 Friedrich Schiller : Über die ästhetische Erziehung des Menschen, 1795/96 ;

traduction française par R. Leroux. Paris: Aubier 1943. – Förster (1995) a soutenu que

l’auteur de notre texte (qui selon lui est Hölderlin) prépare par ce renvoi implicite une

critique à l’adresse de Schiller, en partant de thèses influencées par Goethe.

19 Sur l’influence de la troisième Critique sur cette partie, voir aussi V.L. Waibel

(1999), p. 346-347.

20 Briefe von und an Hegel. Hamburg: Meiner 31969, t. 1, p. 29.

21 Voir les renvois à ce propos de Jamme/Schneider dans MdV, p. 55. – Voir aussi la

6e lettre de Schiller, qui oppose à l’époque moderne celle de la Grèce ancienne, tout

en formulant une vive critique de l’État moderne, qualifié d’« espèce mécanique de vie

collective », de « machine vulgaire et brutale», «obscure et compliquée » (op. cit.).

22 Hegel continue en 1801, dans le cadre de sa critique de Fichte, à s’en prendre à

l’État machine; voir le texte Différence des systèmes de Fichte et de Schelling, dans

la série Werke in zwanzig Bänden. Francfort: Suhrkamp 1969-71 (= W), t. 2, p. 87:

« Cet État de l’entendement n’est pas un organisme mais une machine, le peuple

n’est pas le corps organique d’une vie commune et riche mais une multiplicité

individualiste pauvre en vie ».

23 Briefe... , op. cit., p. 23.

24 L’expression « principes d’une histoire de l’humanité » renvoie à l’ouvrage de

Herder Idées pour une philosophie de l’Histoire de l’humanité (Ideen zur Philosophie

der Geschichte der Menschheit, 1784-91).

25 Le reproche fait au clergé de « feindre d’user de » la Raison se rapporte sans

doute à la tentative de l’orthodoxie théologique de réhabiliter les preuves théoriques

pseudo-logiques, dogmatiques, de l’existence de Dieu en faisant fi de la réfutation

définitive qu’en avait donnée la philosophie critique de Kant. Selon une autre

explication possible (Pöggeler, MdV, p. 131), Hegel songe à la tentative des

théologiens de Tübingen d’utiliser les «postulats» kantiens pour légitimer la doctrine

théologique traditionnelle.

26 Voir aussi Pöggeler, MdV, p. 130.

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27 Voir La République, 509b, 511b

28 Klaus Düsing a été le premier à souligner le rôle du «platonisme esthétique» dans

le texte: « Ästhetischer Platonismus bei Hölderlin und Hegel ». C. Jamme/O. Pöggeler

(éd.): Homburg von der Höhe in der deutschen Geistesgeschichte. Stuttgart: Klett-

Cotta 1981, p. 101-117. En revanche, Hansen (1989) a échoué à exclure toute

influence de Hölderlin en ne voyant dans la partie esthétique du texte que des

influences de Schiller et de la troisième Critique de Kant. – On trouvera l’examen le

plus détaillé de l’apport de Hölderlin à la formation de l’idéalisme allemand chez D.

Henrich, Der Grund im Bewußtsein. Untersuchungen zu Hölderlins Denken (1794 -

1795). Stuttgart: Klett-Cotta 1992. Voir aussi D. Henrich, Konstellationen. Probleme

und Debatten am Ursprung der idealistischen Philosophie (1789 – 1795). Stuttgart:

Klett-Cotta 1991, ainsi que P. Kondylis, Die Entstehung der Dialektik. Eine Analyse der

geistigen Entwicklung von Hölderlin, Schelling und Hegel bis 1802. Stuttgart: Klett-

Cotta 1979.

29 Le texte programmatique de Hölderlin «Urtheil und Seyn», dans lequel l’«Être

absolu» (Seyn schlechthin) existe fondamentalement tant dans la théorie que dans la

pratique, et apparaît resplendissant comme la beauté, est significatif (voir F. Hölderlin:

Werke, Briefe, Dokumente. München: Winkler, 41990, p. 490-491).

30 La primauté de l’art poétique sur les autres arts est également soulignée par Kant

dans la Critique du jugement (§ 53).

31 Le poème « Éleusis » écrit par Hegel en août 1796 et dédié à Hölderlin (W, t. 1., p.

230-233) est une autre expression de cette manière de voir les choses. C’est un

nouveau témoignage de l’estime que nourrit Hegel pour la poésie, et une expression

poétique de sa conviction que « l’acte suprême de la Raison est un acte esthétique ».

32 Voir W, t. 1, p. 24.

33 W, t. 1, p. 24, 30-31.

34 Cette continuité entre notre texte et l’œuvre de maturité de Hegel a été repérée et

étudiée par A. Gethmann-Siefert: « Die geschichtliche Funktion der “Mythologie der

Vernunft” und die Bestimmung des Kunstwerkes in der Ästhetik » (MdV, p. 226-260).

35 Voir le texte de 1795 « La vie de Jésus » (« Das Leben Jesu », dans Hegels

theologische Jugendschriften, éd. H. Nohl. Tübingen: Mohr 1907); voir aussi à ce

propos H. Busche (1999), p. 313-317.

36 Cet élément a été tout particulièrement souligné par Pöggeler (MdV, p. 136-138).

37 Comme le texte précurseur de 1793 sur la relation entre « religion populaire et

christianisme » (W, t. 1, p. 9 et suiv.). – H. Busche (1999) insiste notamment sur la

relation de notre texte avec les écrits « théologiques » antérieurs.

38 Voir W, t. 1, p. 21.

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39 Voir aussi W, t. 1, p. 94.

40 Voir K. Düsing, « Die Rezeption der kantischen Postulatenlehre in den frühen

philosophischen Entwürfen Schellings und Hegels », dans R. Bubner (1969), p. 53-90.

41 Voir notamment la référence de Pöggeler à «une tension, sinon une brèche» qui

traverse le texte (MdV, p. 135). De même, Henrich a soutenu que «si on lit le texte

mot à mot […] et en même temps comme une position philosophique sans arrière-

pensées, il ne saurait être considéré comme cohérent» (MdV, p. 158).

42 Hermann Glockner, Hegel. 2. Bd.: Entwicklung und Schicksal der Hegelschen

Philosophie. Stuttgart 1940, p. 78. Notons que Glockner était certain que le texte était

de Schelling.

43 D. Henrich, « Systemprogramm? Vorfragen zum Zurechnungsproblem », dans

Bubner (1969), p. 11. Voir aussi Henrich dans MdV, p. 156, 160. Mais Pöggeler lui-

même considère le titre de Rosenzweig comme «ampoulé et impropre» (MdV, p. 177).

44 Nous reproduisons ici, en y apportant quelques modifications, la traduction donnée

par D. Naville in Hölderlin, Œuvres. Paris: Bibliothèque de la Pléiade, 1967, p.

1157-1158.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Panagiotis Thanassas, « « Mythologie de la raison » », Methodos [En ligne], 5 | 2005,

mis en ligne le 16 mars 2005, consulté le 23 avril 2015. URL : http://

methodos.revues.org/341 ; DOI : 10.4000/methodos.341