« Les Dames galantes » au fil des mots 005

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« Les Dames galantes » au fil des mots J’ay oüy faire un pareil compte 1 au chevallier de Sanzay 2 de Bretagne, un trés-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort n’eust entrepris sur 3 son jeune aage, fust esté un grand homme de mer, comme il avoit un trés-bon commencement : aussi en portoit-il les marques et enseignes 4 , car il avoit eu un bras emporté d’un coup de canon en un combat qu’il fist sur mer. Le malheur pour luy fut qu’il fut pris des corsaires 5 , et mené en Alger 6 . Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit le grand prestre de la mosquée de là, qui avoit une trés-belle femme qui vint à s’amouracher si fort dudict Sanzay qu’elle luy commanda de venir en amoureux plaisir avec elle, et qu’elle luy feroit trés-bon traittement, meilleur qu’à aucun de ses autres esclaves ; mais surtout elle luy commanda trés-expressement, et sur la vie 7 , ou une prison trés-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa semence, d’autant 8 , disoit- elle, qu’elle ne vouloit nullement estre polluë 9 et contaminée du sang chrestien, dont elle penseroit offenser grandement et sa loy 10 et son grand prophete Mahommet ; et, de plus, luy commanda qu’encor qu’elle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle luy commanderoit cent fois d’hazarder le paquet 11 tout à trac 12 , qu’il n’en fit 13 rien, d’autant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit ravie 14 qui le luy feroit dire, et non pas la volonté de l’ame. 1 Les secrétaires de Brantôme ne distinguent pas compte et conte. 2 Je m’en rapporte, pour l’identi cation de ce personnage, à ce qu’en a écrit Anatole de Barthélemy [1821-1904], qui lui a consacré une plaquette : « Anne de Sanzay, comte de La Magnanne, abbé séculier de Lantenac », Saint-Brieuc, Guyon frères, 1852. In-8 o , 34 p. ; l’essentiel, pour ce concerne notre propos, s’en retrouve dans la notice de la Biographie bretonne (tome II, 1857, pp. 370-374), sous la direction de Prosper Levot. Il s’agit d’Anne de Sanzay (surnommé Bras-de-fer ) comte de La Ma(i)gnanne, chevalier de l’or- dre, gentilhomme ordinaire de la chambre, capitaine de 50 hommes d’armes des ordonnances, maréchal de camp, seigneur de Bourouguel et d’Alollac. Fils de René, seigneur de Saint-Mar- sault, et de Renée du Plantys. Le connétable de Montmorency était son parrain. Bulletin de géographie historique et descriptive , Année 1891, n o 4 : L’Œuvre géographique des Reinel , par le Dr Ernest-Théodore Hamy, page 125. Signature apposée par l’un des propriétai- res d’une carte établie par le cartographe portugais Pedro Reinel vers 1504. « C’est sans doute quand il armait contre les Algériens, que Sanzay s’était procuré la carte de Reinel, où il a mis son nom », écrivait le Dr Hamy. 005

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Les Dames galantes au l des mots 005

Jay oy faire un pareil compte1 au chevallier de Sanzay2 de Bretagne, un trs-honneste et brave gentilhomme, lequel, si la mort neust entrepris sur3 son jeune aage, fust est un grand homme de mer, comme il avoit un trs-bon commencement : aussi en portoit-il les marques et enseignes4, car il avoit eu un bras emport dun coup de canon en un combat quil fist sur mer. Le malheur pour luy fut quil fut pris des corsaires5, et men en Alger6. Son maistre, qui le tenoit esclave, estoit le grand prestre de la mosque de l, qui avoit une trs-belle femme qui vint samouracher si fort dudict Sanzay quelle luy commanda de venir en amoureux plaisir avec elle, et quelle luy feroit trs-bon traittement, meilleur qu aucun de ses autres esclaves ; mais surtout elle luy commanda trs-expressement, et sur la vie7, ou une prison trs-rigoureuse, de ne lancer en son corps une seule goutte de sa semence, dautant8, disoitelle, quelle ne vouloit nullement estre pollu9 et contamine du sang chrestien, dont elle penseroit offenser grandement et sa loy10 et son grand prophete Mahommet ; et, de plus, luy commanda quencor quelle fust en ses chauds plaisirs, quand bien elle luy commanderoit cent fois dhazarder le paquet11 tout trac12, quil nen fit13 rien, dautant que ce seroit le grand plaisir duquel elle estoit ravie14 qui le luy feroit dire, et non pas la volont de lame.1 2

Les secrtaires de Brantme ne distinguent pas compte et conte.Je men rapporte, pour lidentication de ce personnage, ce quen a crit Anatole de Barthlemy [1821-1904], qui lui a consacr une plaquette : Anne de Sanzay, comte de La Magnanne, abb sculier de Lantenac , Saint-Brieuc, Guyon frres, 1852. In-8o, 34 p. ; lessentiel, pour ce concerne notre propos, sen retrouve dans la notice de la Biographie bretonne (tome II, 1857, pp. 370-374), sous la direction de Prosper Levot.

Il sagit dAnne de Sanzay (surnomm Bras-de-fer) comte de La Ma(i)gnanne, chevalier de lordre, gentilhomme ordinaire de la chambre, capitaine de 50 hommes darmes des ordonnances, marchal de camp, seigneur de Bourouguel et dAlollac. Fils de Ren, seigneur de Saint-Marsault, et de Rene du Plantys. Le conntable de Montmorency tait son parrain.Bulletin de gographie historique et descriptive, Anne 1891, no4 : Luvre gographique des Reinel, par le Dr Ernest-Thodore Hamy, page 125. Signature appose par lun des propritaires dune carte tablie par le cartographe portugais Pedro Reinel vers 1504. Cest sans doute quand il armait contre les Algriens, que Sanzay stait procur la carte de Reinel, o il a mis son nom , crivait le Dr Hamy.

La carte fait partie de la collection Kunstmann (Atlas zur Entdeckungsgeschichte Amerikas, Herausgegeben von Friedrich Kunstmann, Karl von Spruner, Georg M. Thomas ; Zu den Monumenta Saecularia der K.B. Akademie der Wissenschaften, 28 Mrz, 1859, Mnchen) la Bayerische Staatsbibliothek de Munich.

Anatole de Barthlemy, p. 374 :La seule mention quon trouve ensuite de ce partisan [ partisan de la sainte Union , partisan de lunion des princes catholiques , ligueur] se rencontre dans une requte par laquelle labb de Lantenac demandait (16 dcembre 1624) lautorisation dtre reprsent la leve des scells apposs au Bourouguel, chez La Magnanne, pour quil pt vrifier sil ne sy trouvait pas des titres provenant de labbaye. Depuis long-temps, on le regardait comme mort, puisque, ds les premires annes du XVII e sicle, Brantme, qui semblait ignorer que son ancien ami le chevalier de Sanzay et La Magnanne fussent un seul et mme personnage, regrettait en ces termes la mort prmature de notre terrible partisan : Le chevalier de Sanzay, de Bretagne [].

attaquer marques ; marques et enseignes est un clich qui se retrouve chez Amyot, Montaigne, Calvin, Henri Estienne 5 captur par des corsaires 6 comme en Arles, en Avignon ; mais Alger dsigne tout un territoire, le royaume dAlger 7 sous peine de perdre la vie 8 dautant que comme, tant donn que, vu que 9 souille 10 sa religion 11 pour hasarder le paquet , TLFi fournit comme premire attestation : 1606 hasarder le paquet (DU VILLARS, Mm., VIII ds GDF. Compl.) ; on voit quil est possible dantdater. 12 tout net, tout fait, carrment 13 on attendrait quil nen st rien 14 dont elle serait comme transporte, mise en extase 3 4

Ledict Sanzay, pour avoir bon traittement15 et plus grande libert, encor quil fust chres-

tien, ferma les yeux pour ce coup sa loy16 : car un pauvre esclave rudement17 traitt et miserablement18 enchaisn peut soublier bien quelques fois19. Il obeit la dame, et fut si sage et si abstraint20 son commandement quil commanda fort bien son plaisir ; et moulloit21 au moulin de sa dame tousjours trs-bien, sans y faire couller deau : car, quand lescluse22 de leau vouloit23 se rompre et se deborder, aussitost il la retiroit, la resserroit et la faisoit escouler o il pouvoit ; dont cette femme len ayma davantage, pour estre si abstraint sont estroit24 commandement, encor quelle lui criast : Laschez, je vous en donne toute permission ! mais il ne voulut onc25, car il craignoit destre battu la turque26, comme il voyoit ses autres compagnons devant soy27.15 16 17 18 19 20 21 22

an dtre bien trait ferma les yeux pour cette fois sur sa religion avec brutalit pitoyablement peut bien soublier loccasion (astreint) soumis son injonction (de moudre) les meules sont superposes (cluse) il sagit de la vanne pour les moulins ( eau), cf. biez Foss creus ct dune rivire pour lusage dun moulin, et pris dassez loin pour pouvoir mnager une chute deau ou au moins une pente qui augmente la rapidit de leau. Le conduit se nomme buse quand leau tombe sur la roue, et coursier quand elle passe au-dessous Littr ; la forme bief ne sest impose quau XXe sicle 23 sapprtait , tait sur le point de 24 strict 25 jamais 26 allusion lapplication de coups de bton sur la plante des pieds : falaka, en turc ; arabe FaLaQa fendre , car le mot dsigne, au propre, un morceau de bois aux extrmits duquel est attache une corde servant immobiliser les chevilles du supplici le dbat reste ouvert en ce qui concerne la forme grecque , de : voir, dans Clmence et Chtiment, dit par Sydney H. Aufrre et Michel Mazoyer (LHarmattan, 2009), Moniales rcalcitrantes et violence ducative (falaque) au Deir el-Abyad, daprs un passage du canon 4 de Chnout pp. 31-48, par Sydney H. Aufrre et Nathalie Bosson, page 47 note 31.

Henri Lammens SJ, Remarques sur les mots franais drivs de larabe (1890), page 111.

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[ltre] devant lui

Voil une terrible humeur de femme28 ; et pour ce il semble quelle faisoit beaucoup, et pour son ame qui estoit turque, et pour lautre qui estoit chrestien, puisquil ne se deschargeoit29 nullement avec elle : si me jura-il quen sa vie30 il ne fut en telle peine. Voil une femme au caprice terriant cf. et voil que servent telles escholes de marys ! Les Dames galantes au l des mots 004, note 15. 29 on est pass de se dcharger le ventre, lestomac lelliptique (et encore pronominal) se dcharger ; lultrieur dcharger jaculer , employ absolument, est une ellipse de dcharger une arme feu, employ au gur 30 que de toute sa vie 28

Il men t un autre compte, le plus plaisant quil est possible, dun trait31 quelle luy fit ; mais, dautant quil est trop sallaud, je men tairay, de peur doenser les oreilles chastes32. le sens est celui donn par Littr, 28o : Action, acte ayant quelque chose de remarquable 32 Brantme pense la lecture haute voix, qui tait de rigueur depuis lantiquit pour les personnes dun certain rang social : elles avaient un liseur attitr ; cest ainsi qu se mtamorphose en anagnoste chez Rabelais, cf. Der Vorleser de Bernhard Schlink (et le lm de Stephen Daldry)31

Du depuis33 ledict Sanzay fut rachept par les siens, qui sont gens dhonneur et de bonne maison en Bretagne, et qui appartiennent 34 beaucoup de grands, comme M. le Connestable qui aimoit fort son frere aisn35, et qui luy ayda beaucoup cette delivrance, laquelle ayant eu, il vint la cour36, et nous en conta fort M. dEstrozze37 et moy de plusieurs choses, et entre autres il nous fit ces comptes.33

par la suite lexistence de du depuis stend du moyen franais (chez Gringore, par exemple) au dbut du XVIIe sicle, avec des attestations sporadiques de Malherbe Montesquieu 34 sont au service de (vocabulaire de la fodalit) 35 Ren de Sanzay 36 ( Amboise) 37 Filippo di Piero Strozzi [1541-1582], grand ami de Brantme. Attir en France par sa cousine Catherine de Mdicis, il devint marchal.

Que dirons-nous maintenant daucuns marys qui ne se contentent de se donner du contentement et du plaisir paillard de leurs femmes, mais en donnent de lappetit38, soit leurs compagnons et amys, soit dautres ? Ainsi que jen ay cogneu plusieurs qui leur loent39 leurs femmes, leur disent leurs beautez, leur figurent40 leurs membres et partyes du corps, leur re-presentent leurs plaisirs quils ont avec elles, et leurs follastreries dont elles usent envers eux, les leur font baiser, toucher, taster, voire voir nus.38 39 40

en suscitent le dsir leur font lloge dcrivent

Que meritent-ils ceux-l ? sinon quon les face cocus bien point41, ainsi que t Gigs42, par le moyen de sa bague, au roy Candaule, roy des Lidiens, lequel, sot quil estoit, luy ayant lo la rare beaut de sa femme, comme si le silence luy faisoit tort et dommage, et puis, la luy ayant monstre toute nu, en devint si amoureux quil en joit son gr, et le fit mourir, et simpatronisa43 de son royaume. On dit que la femme en fut si desespere, pour avoir est represente44 ainsi, quelle fora Gigs ce mauvais tour, en luy disant : Ou celuy qui ta press et conseill de telle chose, faut quil meure de ta main, ou toy, qui mas regarde toute nu, que tu meures de la main dun autre45. Certes, ce roy estoit bien de loisir46 de donner ainsi appetit dune viande nouvelle, si belle et bonne, quil devoit47 tenir si chere. ni trop ni trop peu, ni plus ni moins la lgende est rapporte (avec plus que des nuances entre eux) par Hrodote, Platon et Cicron ; chez ces deux derniers, le rle principal est dvolu lanneau dor que dcouvre Gygs : chaque fois quil en tourne le chaton vers lintrieur de sa main, Gygs devient invisible. Chez Plutarque, il est question dun talisman royal (une hache), mais de reine aucune mention. On comprend, ds lors, pourquoi la prfrence de lauteur est alle au texte dHrodote mtin de Platon.41 42

Candaule, roi des Lydiens, a un regain de notorit notre poque la faveur du candaulisme. (Source de lillustration : BnF Ms Fr 230 fo 54, miniature ornant la traduction du De Casibus de Boccace par Laurent Guillot de Premierfait.)

se rendit matre cf. les fortes paroles de Dorine : Certes, cest une chose aussi qui scandalise De voir quun inconnu cans simpatronise ; le mot nest pas inconnu de langlais et Francis Bacon a pu crire (en 1624, dans Considerations touching a war with Spain) : They have now twice sought to impatronise themselves of this kingdom of England. 44 exhibe 45 au cur de lnonc (un dilemme ou choix entre deux branches qui sexcluent), un impersonnel, faut, dpourvu de pronom et non rpt : une russite architecturale 46 avait du temps perdre appetit dune viande envie, dsir dune chair 47 (latinisme) quil aurait d 43

Louis, duc dOrleans48, tu la porte Barbette49, Paris, t bien au contraire (grand desbaucheur des dames de la cour, et tousjours des plus grandes) : car, ayant avec luy couch une fort belle et grande dame, ainsi que son mary vint en sa chambre pour luy donner le bonjour, il alla couvrir la teste de sa dame, femme de lautre, du linceul50, et luy descouvrit tout le corps, luy faisant voir tout nud et toucher son bel aise, avec defense expresse sur la vie de noster le linge du visage, ny la descouvrir aucunement, quoy il nosa contrevenir, luy demandant par plusieurs fois ce qui luy sembloit de ce beau corps tout nud : lautre en demeura tout esperdu51 et grandement satisfait. Le duc luy bailla cong52 de sortir de la chambre, ce quil fit sans avoir jamais pu cognoistre53 que ce fust sa femme. Louis Ier dOrlans [13 mars 1372-23 novembre 1407, assassin sur lordre de Jean sans Peur, duc de Bourgogne], frre de Charles VI. Thomas Basin [1412-1491, vque de Lisieux, n Caudebec-en-Caux] a crit son sujet :48

Aurelianensium dux, qui, ut satis famosum tunc habebatur, ad omnem ferme speciosissimam mulierem, uelut equus aliquis emissarius adhinniebat Le duc dOrlans le fait tait de notorit publique lpoque ragissait la prsence de pour ainsi dire nimporte quelle trs jolie femme en hennissant comme un talon49

Porte Barbette

50 51 52 53

drap de lit en proie une motion violente, submerg par le trouble donna la permission sans jamais avoir t capable de reconnatre sa femme

Sil leust bien veu et recogneu toute nu, comme plusieurs que jay veu, il leust cogneu plusieurs sis54, possible55 ; dont il fait bon les visiter quelquesfois par le corps56.54 55 56

signes, marques note le pluriel de signe (prononc /sin/) peut-tre raison pour laquelle il convient de procder loccasion sur sa femme une inspection physique/corporelle ; le mdecin visitait son patient, cest--dire lauscultait, lexaminait, cf. le Mdecin malgr lui (II, III) :SGANARELLE: en voulant toucher les tetons de la Nourrice. Mais comme je mintresse toute votre famille, il faut que jessaye un peu le lait de votre nourrice, et que je visite son sein.

Elle, aprs son mary party57, fut interroge de M. dOrleans si elle avoit eu lallarme58 et peur. Je vous laisse penser ce quelle en dist, et la peine et laltere59 en laquelle elle fut lespace dun quart dheure : car il ne falloit quune petite indiscretion60, ou la moindre desobeissance que son mary eust commis pour lever le linceul ; il est vray, ce dist M. dOrleans, mais quil leust tu aussitost61 pour lempescher du mal quil eust faict la femme. (latinisme) aprs le dpart de son mari, une fois son mari parti (de mme pour fut interroge si fut questionne par M. dOrlans qui voulait savoir si ) 58 inquitude, angoisse 59 trouble, agitation, motion, angoisse, anxit 60 tourderie, imprudence 61 mais (il ajouta) quil laurait tu sur-le-champ 57

Et le bon62 fut de ce mary, questant la nuict damprs63 couch avec sa femme, il luy dit que M. DOrleans luy avoit fait voir la plus belle femme nu quil vit64 jamais, mais, quant au visage, quil nen savoit que rapporter, dautant quil luy avoit interdit. Je vous laisse penser ce quen pouvoit dire sa femme dans sa pense. Et, de cette dame tant grande et de M. dOrleans, on dit que sortit ce brave et vaillant bastard dOrleans, le soustien de la France et le fleau de lAngleterre, et duquel est venu ceste noble et genereuse race des comtes de Dunois65.62 63

le plus drle, le comble variante daprs avec nasalisation

on attendrait vist la protagoniste de lanecdote serait Yolande (dite Mariette) dEnghien (dite dHavr), dame de Wige et de Fagnoles, pouse [en 1389] dAubert Le Flamenc, seigneur de Cannysur-Matz et de Varesnes, capitaine de la ville de Noyon, chambellan (mais de qui ? les attributions varient) ; matresse de Louis dOrlans, elle en a eu un ls : Dunois (1402-1468 au chteau de lHa-les-Roses), compagnon darmes de Jeanne dArc. Le mari, la femme et lamant sont des personnages dans la pice de thtre de Grard de Nerval, le Prince des Sots, et dans le roman du mme titre quil a tir de sa propre pice.64 65

Or, pour retourner encor nos marys prodigues de la veu de leurs femmes nus, jen say un qui, pour un matin66, un sien compaignon lestant all voir dans sa chambre ainsi quil shabilloit, luy monstra sa femme toute nu, estendu tout de son long toute endormie, et sestant elle-mesme ost ses linceuls de dessus elle, dautant quil faisoit grand chaud, luy tira le rideau67 demy, si bien que, le soleil levant donnant dessus elle, il eut loisir de la bien contempler son aise, o il ne vid rien que tout beau en perfection ; et y put paistre68 ses yeux, non tant quil eust voulu, mais tant quil put ; et puis le mary et luy sen allerent chez le roy. variante, moins frquente mais qui semble avoir eu la prfrence de Brantme, de par un matin un (beau) matin : exemples :66

Li Rois Di-moi, fu-tu onques jalous ? Et puis sapelerai* Robin. Gautiers Ol, sire, pour .j. matin Que jos hurter lautre fie* A luis de la cambre mamie ; Si en soupechonnai .j. home. Estant seulet auprs dune fenestre Pour un matin, comme le jour poignoit

* jappellerai (s = si, adverbe de renforcement) * quand jentendis frapper lautre fois Adam de La Halle, Li Gieus de Robin et de Marion Clment Marot

le cosmographe Andr Thevet se vante, en rappelant ses prgrinations dans les mers du Sud, davoir pour un matin [] trouv sur le tillat [tillac] du navire bien vingt-sept poissons volants, autrefois moins, selon les lieux o nous estions (cit par Frank Lestringant, Sous la leon des vents)67

le lit colonnes est ferm par des rideaux ou courtines (do langlais curtain rideau ) sur chaque ct ; cest lun de ces rideaux de lit et non pas des rideaux de croise que le mari carte pour rvler lintimit de sa femme son visiteur. (Dans le meilleur des cas, les fentres taient grillages on disait grilles , disposaient de persiennes et de tentures, mais certainement pas de voilages). Lillustration est un document Educol.net ; comme de juste, lillustrateur a privilgi le lit aux dpens des courtines.

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a) patre na pas toujours t restreint la nourriture des animaux : Mais la dame voulait patre encore ses yeux Du trsor quenfermait la bire (La Fontaine, la Matrone dphse); b) au figur, la forme simple a t supplante par repatre (cf. repas, repu) Le lendemain, le gentilhomme, qui estoit fort serviteur de ceste dame honneste, luy racconta ceste vision, et mesme luy gura beaucoup de choses quil avoit remarques en ses beaux membres, jusques aux plus cachez ; et si69 le mary le luy conrma, et que cestoit luy-mesme qui en avoit tir le rideau. La dame, de despit quelle conceut contre son mary, se laissa aller et soctroya son amy par ce seul sujet70 ; ce que tout son service71 navoit sceu gagner.69 70 71

et dailleurs La dame sabandonna et accorda ses faveurs son ami pour ce seul motif dans le vocabulaire courtois, lhomme est le serviteur de la dame (cf. chevalier servant) et lui doit donc un service, comme le vassal son suzerain dans le systme fodal : ce que toutes ses prvenances et attentions ne lui avaient pas permis dobtenir

Jay cogneu un trs-grand seigneur qui, un matin, voulant aller la chasse, et ses gentilshommes lestant venu trouver72 son lever73, ainsi quon le chaussoit74, et avoit sa femme couche prs de luy, et qui luy tenoit son cas75 en pleine main, il leva si promptement la couverture quelle neut loisir de lever la main o elle estoit pose76, que lon ly vit laise et la moiti de son corps ; et, en se riant77, il dit ces messieurs qui estoyent presents : Et bien, Messieurs, ne vous ai-je pas fait voir choses et autres de ma femme ? Laquelle fut si despite de ce trait78 quelle luy en voulut un mal extresme, et mesme pour la surprise de cette main ; et, possible, depuis elle le luy rendit bien. supposer quadopter un point de vue normatif pour ce texte ait un sens, cest la leon imprime par Henri Vigneau qui serait retenir : lestans venus trouver. 73 Louis XIV a fait codier en tiquette son petit et son grand lever (variante : lev ; le mot est pass en anglais : levee), mais la pratique est bien antrieure 74 A. R. Allinson traduit even as they were booting him (pendant quon lui mettait ses chaussures) mais Georg Harsdrffer gerade wie man ihm die Strmpfe anzog (pendant quon lui enlait ses bas). Voici tout dabord un bon rsum de la situation par Lazare Sainan, la Langue de Rabelais, I (1922), p. 159 :72

Une des rvolutions les plus importantes dans lhistoire du costume [masculin] est le remplacement, pendant la seconde moiti du XVe sicle, des anciennes braies par des chausses, pantalons collants auxquels, au moyen daiguillettes [Brantme crit esguillettes], tait attach le pourpoint. Vers la mme poque, les chausses compltes se diffrencient en haut-de-chausses et bas-de-chausses. Le premier est un caleon court muni dune braguette, lun et lautre prenant de lampleur principalement sous Franois Ier ; le second, enveloppant la jambe et le pied, a donn naissance aux bas modernes.

L o nous disons en proverbe ce sont toujours les cordonniers les plus mal chausss , Montaigne crivait : Quand nous voyons un homme mal chauss, nous disons que ce nest pas merveille [a na rien dtonnant] sil est chaussetier , o le fabricant de chausses est prsent comme portant des chausses qui ne sont pas sa taille : il nest pas question de ce quil a aux pieds. Le Roman de Renart le Contrefait, dition de Gaston Raynaud et Henri Lematre (1914), t. I, pp. 281-282, Deuxime Branche, 123 :En ce temps, avoit deux qui se faisoient pappes : lun esconmenioit lautre, et lun ne faisoit force de la sentence de lautre ; pour quoy le menu peuple prisoit moins (205 a) les clercs et la court de lEglise, pour ce quilz voient telle discorde entre les souverains. En ce temps, rengnoit en Angleterre ung roy que on appelloit Guillame, qui fut Pestillent, lequel fist monlt [lire moult] de griefs a saint Ancelme, pour laquelle chose il sen alla en exil avec sa religion. Advint que a ung matin, ainsi comme on le chaussoit dunes chausses noeufves, il demanda a son chanbellan, combien ellex avoient coust, et il lui dist : Trois solz. Lors le roy ot despit, et lui dist en fremissant : Vil tresort [= trs ort] filz de putain, appartient il au roy chausses de si petit pris ? Va tost, et men aportes unes qui coustent un marc dagent [lire argent]. Tantost [aussitt] cellui sen va au chausetier, et print unes chausses qui ne valloient pas les premieres, et lui dist du pris. Telles, ce dist le roy, appartiennent la majest royal. [dans ce passage, appartenir = convenir ]

Le verbe, sous linuence de chausses, a pris pour un temps le sens de (se) vtir, (s)habiller et, de l, celui encore plus gnral de mettre (comme un vtement) : dans le Glossaire de sa Chrestomathie, Bartsch rend chaucier et ses variantes graphiques par anziehen, bekleiden. Baligant, dans la Chanson de Roland : Si len dunez cest guant ad or pleiet, El destre poign si li faites chalcer , donnez-lui en gage ce gant brod dor et quil le mette sa main droite.Littr, chausser, HIST. se fait lcho de La Curne de Sainte-Palaye (III, 1877, p. 273) citant Froissart : Et [Charles VI] chaussant son espe, et la levant contre mont pour ferir et donner un coup ; mais chaussant tel quel serait impossible chez Froissart : Buchon donne haussant et Kervyn de Lettenhove haulchant.

Ainsi sexpliquent chez Rabelais, ce pendant quon chaussoit gantelets de tous costs , il sen chausse comme dune mitaine , Attendez que je chausse mes lunettes et sois recors de deschausser tes lunettes ; et chez Montaigne, cette vilaine chaussure et cette ridicule piece de la chaussure de nos peres , priphrase grce laquelle lcrivain vite dcrire le mot braguette. Dans notre passage, les gentilshommes venus assister au lever du seigneur sont tmoins dune priptie pendant quon lhabille. 75 son sexe 76 il ta si brusquement la couverture que sa femme neut pas le temps dter sa main do elle tait pose 77 en plaisantant, en badinant 78 tellement irrite de cette rexion Jen say un autre79 dun grand seigneur, lequel, connoissant80 quun sien amy et parent estoit amoureux de sa femme, fust81 ou pour luy en faire venir lenvie davantage, ou du depit et desespoir quil pouvoit concevoir de quoy il avoit eu une si belle femme et luy nen

tastoit point82, la luy monstra un matin, lestant all voir83, dans le lict tous deux couchez ensemble, demye nu ; et si84 t bien pis, car il luy t cela85 devant luy-mesme86, et la mit en besogne87 comme si elle eust est part88 ; encor prioit-il cet amy de bien voir le tout, et quil faisoit tout cela sa bonne grace89. Je vous laisse penser si la dame, par une telle privaut90 de son mary, navoit pas occasion de faire son amy lautre91 toute entiere, et bon escient92, et sil nestoit pas bien employ93 quil en portast les cornes. (conte anecdote ) sachant soit ou du depit et desespoir quil [le mari] pouvoit concevoir de quoy il [le visiteur] avoit eu une si belle femme et luy [le mari] nen tastoit point 83 un matin o lautre tait venu le voir 84 et mme 85 il lui t lamour 86 en sa prsence 87 cf. besogner chez Mellin de Saint-Gelais, Aux Hostelliers, dbut :79 80 81 82

Hostelliers, vos hostes passans De ces droits-cy sont joissans : Ils peuvent, en toute saison, Besongner en vostre maison, Par prix ou par douces prieres, Vos lles et vos chambrieres.

comme sils avaient t seul seul, en tte tte, lcart par complaisance familiarit excessive, inconvenante lautre (privaut) les dernires faveurs , comme on disait jadis [Corneille, Clitandre, 1632 Ils [Rosidor et Hippolyte] avaient rendez-vous dans les bois le lendemain au lever du soleil pour en venir aux dernires faveurs ] ; sens attest depuis les fabliaux 92 . Vaucheret : vigoureusement 93 Cest bien employ, on a bien fait de punir ou battre cette personne-l (Oudin) On dit proverbialement, Cest bien employ, parlant de celuy qui il est arriv par sa faute ou par son imprudence quelque malheur ou chastiment quil meritoit Furetire88 89 90 91

Adont commencerent a cheminer vers le chastel. Mais encores devez entendre que tres grant plent des habitans de la fortresse estoient saillis illec pour voir la bataille, qui estoient bien joyeulx de ce que leur seigneur estoit vaincu pour ce quil leur estoit tant ruide et tant divers qua merveilles. Et lui disoient quil avoit establi ce mauvais treu [page] du pont et que cestoit bien employ sil en avoit aucune punition, car il y traveilloit [tourmentait] moult les chevaliers qui y passoient, quelz quilz fussent, mais principalement tous les chevaliers du Francq Palais ou ceulx qui se renommoient de lostel du noble roy Perceforest. Sy furent tous moult joyeulx de la male fortune de leur seigneur. Perceforest, IIIe Partie, XIII, tome I, p. 135, d. de Gilles Roussineau, 1988 Quand le demeurant [des Flamands] qui eschapper purent, furent venus en lost devers leurs compagnons, si conterent leurs aventures [la bataille de Saint-Omer, 26 juillet 1340] aux uns et aux autres ; et vinrent les nouvelles messire Robert dArtois et messire Henry de Flandre, qui peu les en plaignirent, mais dirent que cestoit bien employ, car sans conseil et sans commandement ils y estoient alls.

Froissart Cest bien employ sil a pass pour un fripon dit Apollon propos de Titus, dans Brnice.

Jay oy parler dun autre et grand seigneur, qui le faisoit94 ainsi sa femme devant un grand prince, son maistre, mais cestoit par sa priere et commandement, qui se delectoit tel plaisir. Ne sont-ils pas donc ceux-l coulpables, puisquayant est leurs propres maquereaux95, en veulent estre les bourreaux96 ?94 95

faisait lamour maquereau homme qui vit de la prostitution des femmes, souteneur, proxnte et son pendant maquerelle tenancire de maison close , tous deux attests depuis le Roman de la Rose, sont emprunts (avec mtathse) au moyen-nerlandais makelare (moderne makelaar) intermdiaire, agent, courtier 96 donc leurs propres bourreaux ; serait-ce une rminiscence du titre de la pice de Trence, Heautontimoroumenos (Mnandre : ), le Bourreau de luimme ? Il ne faut jamais montrer sa femme nu, ny ses terres, pays et places, comme je tiens dun grand capitaine, propos de feu M. de Savoye97, qui desconseilla et dissuada nostre roy Henry dernier98, quand, son retour de Pologne, il passa par la Lombardie, de naller ny entrer dans la ville de Milan, luy alleguant que le roy dEspagne99 en pourroit prendre quelque ombre ; mais ce ne fut pas cela : il craignoit que le roy y estant, et la visitant bien point, et contemplant sa beaut, richesse et grandeur, quil ne fust tent dune extresme envie de la ravoir et reconquerir par bon et juste droit, comme avoyent fait ses predecesseurs. Et voyl la vraye cause, comme dit un grand prince qui le tenoit du feu roy, qui cognoissoit ceste encloueure100. Mais, pour complaire M. de Savoye et ne rien alterer du cost du roy dEspagne, il prit son chemin cost, bien quil eust toutes les envies du monde dy aller, ce quil me t cet honneur, quand il fut de retour Lion, de me le dire : en quoy ne faut douter que M. de Savoye ne fust plus Espagnol que Franois.

Emmanuel-Philibert [1528-1580], dit Tte-de-fer ou le Prince cent yeux ; il pousa Marguerite de Valois, lle de Franois Ier et de Claude France, et sur dHenri II. 98 Henri III [1551-1589] 99 Philippe II [1527-1598] 100 dicult, obstacle, inconvnient 97

Jestime les marys aussi condamnables, lesquels, aprs avoir receu la vie par la faveur de101 leurs femmes, en demeurent tellement ingrats que, pour le soupon quils ont de leurs amours avec dautres, les traitent trs-rudement, jusques attenter sur leurs vies. Jay oy parler dun seigneur sur la vie duquel aucuns conjurateurs ayant conjur et conspir, sa femme, par supplication, les en destourna, et le garantit102 destre massacr ;

dont depuis elle en a est trs-mal recogneu103, et traitte trs-rigoureusement.101 102 103

grce lui vita ce qui ne lui a gure valu de reconnaissance, ce dont elle a t mal rcompense Quand la livre tait lunit montaire, lcu valait 3 livres.

Jay veu aussi un gentilhomme104, lequel ayant est accus et mis en justice pour avoir fait trs-mal son devoir secourir son general en une battaille, si bien quil le laissa tuer sans aucune assistance ny secours, estant prs destre sentenci et destre condamn davoir la teste tranche, nonobstant105 vingt mille escus quil presenta pour avoir la vie sauve, sa femme106 ayant parl un grand seigneur de par le monde et couch avec luy par la permission et supplication dudit mary, ce que largent navoit pu faire, sa beaut et son corps lexecuta ; et luy sauva la vie et la libert. Du despuis107, il la traita si mal que rien plus108. Certes, tels marys, cruels et enragez, sont trs-miserables109.104

Dans la notice quil consacre Pierre dOssun ( 1562), Brantme est plus explicite :

Nostre roy Henry dernier troisiesme, par la solicitation de la reyne sa mre [Catherine de Mdicis], fit constituer prisonnier le sieur de Saincte-Souline [Joseph dOineau (ou Doineau), seigneur de Sainte-So(u)line], pour avoir manqu au secours de son general, M. dEstrozze [Filippo Strozzi], Sainct-Michel et La Tercire [S. Miguel, Terceira, deux des Aores, le 26 juillet 1582], et son procs sen alloit faict, et en danger de mort, sans la faveur de ses amis, par lesquelz il se purgea [se disculpa].

son retour de la dsastreuse expdition des Aores, Sainte-Soline fut accus de trahison par un autre combattant minent, Charles II, duc de Coss-Brissac [1550-1621] ; incarcr pendant prs dun an ( la Bastille, pour lessentiel),il fut arrach grandpeine la colre de Catherine de Mdicis qui demandait une victime pour venger la mort de Strozzi son compatriote, assassin de sang-froid [par les Espagnols] aprs le combat. Enfin, ses amis sauvrent sa tte aux dpens de son honneur, en persuadant ses juges que le cur lui avait manqu au moment de laction. La honte de sa dtention, le pardon humiliant qui lavait suivie, ne le dtachrent point cependant de la cause royale, et si on en cherchait quelque raison personnelle, peut-tre faut-il se souvenir que Brissac, son accusateur et son ennemi, se montra ds la journe des barricades [12 mai 1588] un des plus furieux ligueurs. Henri Ouvr, Essai sur lhistoire de la Ligue Poitiers, Mmoires de la Socit des Antiquaires de lOuest, Anne 1854, p. 160.105 106 107 108

malgr, en dpit de entre 1577 et 1602, lcu valait 60 sous = 3 livres Sainte-Soline pousa en 1570 Louise de Clermont, lle du seigneur de Galeraude. par la suite cf. le Prologue du Cinquiesme Livre ils sont tous tant bons, tant humains, gracieux et debonnaires que rien plus ; Monluc en toute la cit nestoit demeur que quatre vieilles jumens, si maigres que rien plus ; saint Franois de Sales (lettre du 2 novembre 1607) Je suis tant homme que rien plus ; Molire, les Amants magniques Il y paroit le dieu de londe Et le dieu du mont Parnassus Avec tant dclat que rien plus . Littr : Que rien plus, ellipse pour : que rien ne lest plus. Ils soutiennent quun tel repentir [sincre, larticle de la mort] est si rare que rien plus, Anal[yse raisonne] de Bayle, t. III, p.

282.109

mprisables

Dautres en ay-je cogneu qui nont pas fait de mesmes, car ilz ont bien sceu recognoistre le bien do il venoit110, et honoroyent ce bon trou toute leur vie, qui111 les avoit sauvez de mort. (latinisme) ont su manifester leur reconnaissance envers lorigine du bien quon leur avait fait 111 a pour antcdent ce bon trou110

Il y a encor une autre sorte de cocus, qui ne se sont contentez davoir est ombrageux112 en leur vie113, mais allans mourir et sur le poinct du trespas le sont encores ; comme jen ay cogneu un qui avoit une fort belle et honneste femme, mais pourtant qui ne sestoit point tousjours estudie114 luy seul ; ainsi quil vouloit115 mourir, il luy disoit : Ah ! ma mye, je men vais mourir ! Et plust Dieu que vous me tinssiez compagnie, et que vous et moy allassions ensemble en lautre monde ! Ma mort ne men seroit si odieuse, et la prendrois plus en gr116. Mais la femme, qui estoit encore trs-belle et jeune de trente-sept ans, ne le voulut point suivre ny croire pour ce coup-l, et ne voulut point faire la sotte, comme nous lisons de Evadn117, fille de Mars et de Thb, femme de Capane, laquelle layma si ardemment118 que, luy estant mort, aussitost que son corps fut jett dans le feu, elle sy jetta aprs toute vive, et se brusla et se consuma avec luy par une grande constance et force, et ainsi laccompaigna sa mort. souponneux leur vie durant, de leur vivant rserve sapprtait je laccepterais plus volontiers vadn (), femme de Capane (), un des Sept contre Thbes, qui stant proclam indestructible et ayant ainsi fait preuve d (mlange darrogance, dorgueil, de prsomption, doutrecuidance, de susance, dinsolence), fut foudroy par Zeus ; ses restes furent brls et sa veuve, au dsespoir, se jeta sur le bcher. Ironie dramatique : (Eschyle dcrit le bouclier de Capane) lemblme en est un homme nu portant une torche ( ) et la devise en lettres dor je brlerai la ville ( ). Je nai trouv aucune piste reliant une vadn (il y en a plusieurs) une Thb ( ; mme remarque), mme en substituant Ars Mars. 118 dans un nonc o le feu constitue le motif central, ardemment est-il une pointe ?112 113 114 115 116 117

Alceste119 t bien mieux, car, ayant sceu par loracle que son mary Admette, roi de

Thessalie, devoit mourir bientost si la vie nestoit rachepte par la mort de quelque autre de ses amis, elle soudain se precipita la mort, et ainsy sauva son mary.119

( est le titre dune pice dEuripide) son mari (dont le nom Admte veut dire indomptable ) est roi de Phres, localit de Thessalie (le nom moderne est ) qui doit son nom au pre dAdmte, Phrs. Il ny a plus meshuy120 de ces femmes si charitables, qui veulent aller de leur gr dans la fosse121 avant leurs marys, ny les suivre. Non, il ne sen trouve plus : les meres en sont mortes122, comme disent les maquignons123 de Paris des chevaux, quand on nen trouve plus de bons.120

dsormais ; de mais + hui aujourdhui (il existe aussi une forme symtrique huimais, de mme sens) 121 pour la spcialisation du sens, cf. fosse commune et fossoyeur 122 locution phrastique (phrase ge) pour dire que quelque chose est devenu introuvable

LEstoille, octobre 1610 :Le mesme [saint Bernard] raconte dun abb, nomm Sisoy, lequel, ayant, un jour trouv un de ses moines qui pleuroit, lui en aiant demand la raison : Jay bien occasion, mon Pere (lui respondit-il), de pleurer, car il y a j deux ans entiers que Dieu ne sest point souvenu de menvoier quelque maladie . Je crois que, de tels moines, la mre en est morte.

Tahureau :Mais o men pescher-vous un de ces bons espris et tant homme de bien qui desire plustost la mort que son profit ? Il y a long tems que la mere en est morte !

Henry Prunires [1886-1942], Histoire de lopra italien en France avant Lulli, Paris, 1913, p. XV, note 6 :Dans une curieuse lettre, datant sans doute des annes 1520-1525, Claude de Sermisy [dit Claudin] rpondit au duc de Ferrare, qui lui avait demand de lui fournir des chantres : il est fort difficile de trouver bons enfans pour le present en France. Je croy que la mere en est morte.

Mais un dpouillement rcent, louvrage de Pierre Enckell (dj mentionn), permet de relever une datation antrieure : Le Mistere du Viel Testament (1500 env.), I, 140 : [Avec jeu de mots, puisquil sagit de la mort dve]ENOS CAYNAM O mr a tous les humains, Qui te eust creu voir en ceste sorte ? Tous en auront ne plus ne mains. Sen est fait, la mre en est morte.

P. Enckell indique mme une variante assez rjouissante qui orne le tome VII du Recueil de posies franoises des XVe et XVIe sicles, dAnatole de Montaiglon (1857). Le texte, intitul la Dsolation des frres de la robe grise, pour la perte de la marmite, quest renvers [sic], est une pice protestante imprime Lyon en 1562 :

Nostre bissac, jadis tout plein dandouilles, Nest plus rien rapportant ; Nous avons beau contrefaire grenouilles, Criant et barbottant, Nostre frere Judas, sur son espaule forte, Ne rapporte, En la sorte Que souloit, deniers ; De nous donner la grand mere en est morte.

Remarque On a dit de mme le moule en est cass , cf. une des pitaphes de lacteur Baron [ 1729] :

Selon TLFi, probablement issu de maquereau courtier [voir plus haut note 95], avec substitution de suxe sous linuence de barguigner (FEW t. 16, p. 504).123

Et voyl pourquoy jestimois ce mary, que je viens dalleguer124, malhabile de tenir ces propos sa femme si fascheux, pour la convier la mort, comme si ce fust est quelque beau festin pour ly convier. Cestoit une belle jalousie qui luy faisoit parler ainsy, quil concevoit en soy du desplaisir125 quil pouvoit avoir aux enfers l-bas126, quand il verroit sa femme, quil avoit si bien dresse127, entre les bras dun sien amoureux ou de quelque autre mary nouveau.124 125 126 127

de citer de la douleur, du chagrin, de la peine l en-bas forme

Quelle forme de jalousie voil, quil fallust que son mary en fust saisy alors, et qu tous les coups il luy disoit que, sil en reschappoit, il nendureroit128 plus delle ce quil avoit endur ! et, tant quil a vescu, il nen avoit point est atteint, et luy laissoit faire son bon plaisir.128

ne tolrerait plus, naccepterait plus

Ce brave Tancrede129 nen t pas de mesme, luy qui dautre fois130 se t jadis tant signaler131 en la guerre sainte132. Estant sur le point de la mort, et sa femme prs de luy dolente, avec le comte de Tripoly, il les pria tous deux aprs sa mort de sespouser lun lautre, et le commanda sa femme ; ce quils rent133.129

Tancrde de Hauteville [vers 1072, en Italie mridionale-1112], un des hros du Tasse dans Jrusalem dlivre. Brave nest pas condescendant et veut dire courageux . 130 autrefois (fait curieusement double emploi avec jadis qui suit) 131 se distingua, sillustra ; le verbe est form sur signal, qui est un italianisme 132 la [premire] croisade 133 Voici le texte de Guillaume de Tyr et sa traduction par Guizot.Per idem tempus, dominus Tancredus, illustris memori et pi in Domino recordationis, cuius eleemosynas et pietatis opera, in perpetuum enarrabit omnis ecclesia sanctorum, lethale debitum persoluit. Hic dum in suprem lecto gritudinis decubaret, circa se in sui obsequio adolescentem Pontium, domini Bertrami comitis Tripolitani filium habebat; uidensque sibi mortis imminere diem, uxore sua coram se posita, Ccilia, qu, ut superius prmisimus, domini Philippi Francorum regis filia erat, et prdicto iuuene, consuluisse dicitur ambobus, ut post eius obitum iure conuenirent maritali. Factumque est ita, ut post eius ex hac luce decessum, mortuo etiam domino Bertramo comite Tripolitano, eiusdem patre, prdictus Pontius, eamdem dominam, prdicti domini Tancredi uiduam, uxorem duxerit. Vers le mme temps, le seigneur Tancrde, guerrier de pieuse et illustre mmoire, acquitta sa dette envers la mort. Toute lglise des Saints racontera perptuit les uvres charitables et les libralits qui honorent son souvenir. Tandis quil tait tendu sur son lit de mort, il avait auprs de lui et son service le jeune Pons, fils du seigneur Bertrand, comte de Tripoli. Lorsquil se vit prs de son dernier jour, il fit appeler sa femme Ccile, fille du roi des Franais Philippe, ainsi que le jeune homme que je viens de nommer, et leur conseilla, dit-on, tous les deux de sunir aprs sa mort par les liens du mariage. En effet, aprs la mort de Tancrde et aprs celle du seigneur Bertrand, comte de Tripoli, Pons, fils de ce dernier, pousa Ccile, veuve de Tancrde.

Alors que Guillaume de Tyr nuance son armation par un prudent dicitur que Guizot nomet pas de rendre, le traducteur en vernaculaire du XIIIe sicle en dcide autrement, avec une assurance dont il est permis de se demander sur quoi elle repose. Guillaume de Tyr et ses continuateurs Texte franais du XIIIe sicle Paulin Paris Firmin-Didot, 1879, livre XI, ch. XVIII (dbut), p. 409.

Pensez quil en avoit veu quelques approches134 damour en son vivant : car elle pouvoit estre aussi bonne vesse135 que sa mere, la comtesse dAnjou, laquelle, aprs que le comte de Bretagne leut entretenu136 longuement, elle vint trouver le roy de France Philippes, qui la mena137 de mesmes, et lui t cette lle bastarde qui sappella Cicile, et puis la donna en mariage ce valeureux Tancrede, qui certes, par ces beaux exploicts, ne meritoit destre cocu. (terme de poliorctique ou art dassiger les villes) Travaux pour approcher, couvert, dune place assige Littr, 5o ; nous parlons encore de travaux dapproche 135 le sens premier est Vent qui sort du corps sans bruit (Littr), cf. vesse-de-loup (do lycoperdon), dverbal de lancien vessir [lat. pop. uissre, classique uisre], puis vesser (forme apparente : vesner, cf. le seigneur Humevesne et le diminutif venette , peur) ; cf. aussi avoir veze de paour, vesarde, vezarde peur (ce qui fait vesser). Cotgrave explique crment : Panier vees. Cet le cul. 134

TLFi donne comme premire attestation 1410-20 dans Les Miracles de sainte Genevive, dition de Clotilde Sennewaldt [Le Quart Fol, Fy, fy, tu as fait une vesse !], mais le dialogue de Salomon et Marcoulf, o on relve De blanche levriere Grant saut en bruyere, Ce dist Salemons De grosse lodiere Grant vesse pleniere, Respont lui Marcon nest-il pas antrieur ?

De lemploi du mot comme insulte lgard dune femme (dans la Farce du Cuvier, seconde moiti du XVe sicle), le sens est pass Marie-couche-toi-l, dbauche .Remarque On rencontre un jeu de mots, attest depuis 1507, entre vesse et vesce (lentille sauvage), qui explique ce passage des Historiettes de Tallemant des Raux : Cette madame dEstres [Franoise Babou de La Bourdaisire, mre de Gabrielle dEstres] toit de La Bourdaisire, la race la plus fertile en femmes galantes qui ait jamais t en France ; on en compte jusqu vingt-cinq ou vingt-six, soit religieuses, soit maries, qui toutes ont fait lamour hautement ; de l vient quon dit que les armes de La Bourdaisire, cest une poigne de vesces/vesses ; car il se trouve, par une plaisante rencontre [concidence], que dans leurs armes il y a une main qui sme de la vesce. On fit sur leurs armes ce quatrain : Nous devons benir cette main Qui seme avec tant de largesses, Pour le plaisir du genre humain, Quantit de si belles vesces.

(Lillustration a t faite partir du blason de Montlouis-sur-Loire, commune sur le territoire de laquelle se trouve le chteau de La Bourdaisire.) Ccile de France [1097-aprs 1145] est la lle naturelle de Philippe Ier, quatrime des Captiens directs, mari avec Berthe de Hollande,

et de Bertrade de Montfort, pouse de Foulque IV dAnjou le Reschin ( hargneux, querelleur , cf. rche) ; elle ne sera lgitime quen 1104. Rsum de lpisode par Mrime et Lacour :

Bertrade, lle de Simon de Montfort et dAgns dvreux, cinquime femme (1088) de Foulques-Rchin, comte dAnjou ; elle abandonna ce prince en 1092, pour devenir la concubine, puis la femme du roi de France, Philippe Ier (mme anne). Considre comme adultre par le Pape et les conciles, elle resta dix ans sous le coup de lexcommunication. En 1106, aprs la leve de linterdit qui la frappait, elle revint Angers avec son second mari et fut reue par le premier, dans cette ville, avec les honneurs souverains.136 137

leut eue comme matresse la traita

Un Albanois138, ayant est condamn de-l les monts139 destre pendu pour quelque forfait, estant au service du roy de France, ainsi quon le vouloit140 mener au supplice, il demanda voir sa femme et luy dire adieu, qui estoit une trs-belle femme et trsagreable. Ainsi donc quil luy disoit adieu, en la baisant il luy trononna tout le nez avec belles dents141, et le luy arracha de son beau visage. En quoy la justice layant interrog pourquoy il avoit fait cette villainie142 sa femme, il respondit quil lavoit fait de belle jalousie, dautant, ce disoit-il, quelle est trs-belle ; et, pour ce, aprs ma mort je say quelle sera aussitost recherche et aussitost abandonne un autre de mes compagnons, car je la cognois fort paillarde, et quelle moublieroit incontinent143. Je veux donc quaprs ma mort elle ait de moy souvenance, quelle pleure et quelle soit afflige ; si elle ne lest par ma mort, au moins quelle le soit pour estre144 defigure, et quaucun de mes compagnons nen aye le plaisir que jay eu avec elle. Voil un terrible jaloux ! Sous Charles VIII, au cours de la Ire guerre dItalie, les armes franaises eurent loccasion dapprendre connatre des mercenaires originaires des Balkans que les Vnitiens utilisaient pour faire des reconnaissances (comme claireurs) et des coups de main, parce quils taient constitus en petites units de cavalerie lgre.138

Trois jalons : Les estradeurs [ceux qui battent lestrade, les claireurs] de lost [larme] des Venitiens estoient moult estranges, fort barbuz, sans armures et sans chausses, ayans une targette [petite targe, bouclier, do langlais target cible ] en une main, et une demy lance [assagaye] en laultre. Souvent ils donnoient cops fort soubdains, et quant ils peuvent tuer ung Franchois, ils lui coppent la teste et la portent aux Venitiens qui leur donnent ung ducat de chascune teste. Molinet Estradiotz sont gens comme genetaires [cavalier mont sur un genet] : vestuz, pied et cheval, comme les Turcs, sauf la teste, o ilz ne portent ceste toille quilz appellent tolliban [turc tlbent turban ], et sont dures gens, et couchent dehors tout lan et leurs chevaux. Ilz estoient tous Grecz, venuz des places que les Venissiens y ont, les ungz de Naples de Rommanie [Nauplie, , , en Argolide ; italien : Napoli di Romania ], en la Moree, aultres dAlbanie, devers Duras [Durrs, lancienne ; italien : Durazzo] : et sont leurs chevaulx bons, et tous chevaulx turcs. Les Venissiens sen servent fort, et sy fient. Je les avoye tous veu descendre Venise, et faire leurs monstres [revues de troupes ; muster] en une isle o est labbaye de sainct Nicolas [San Nicol], et estoient bien quinze cens : et sont vaillans hommes

et qui fort travaillent un ost [harclent une arme], quant ilz sy mettent. Commynes [Jean, comte dAstarac, sieur de Fontrailles] a eu en son temps reputation dun bon capitaine, et surtout bien commandant aux chevaux legers, et les bien menant. Aussi le roy Louys [XII] son maistre laymoit fort, et lui donna lestat de couronnel general des Albanois quil avoit son service : car de ce temps il ne se parloit point de cavalerie legere franoise, sinon de la gendarmerie, qui pour lors surpassoit toutes les autres du monde, je ne veux pas dire seulement de la chrestient ; mais on saydoit desdicts Albanois, qui ont port nous la forme de la cavallerie legere et la methode de faire la guerre comm eux. Les Venitiens appelloient les leurs estradiotz, qui nous donnarent de la fatigue [du fil retordre] Fornoue [6 juillet 1495 ; furia francese] ; ils les appelloient aussi corvats [Croates, de Hrvat ; cf. cravate ], cause de la nation. Les Espagnolz appelloient les leurs genetaires. Brantme

Estradiot est emprunt (avec voyelle prosthtique) litalien stradiotto, lui-mme emprunt (avec inuence de strada) au grec soldat . Voir luvre en greghesco dAntonio da Molin, dit il Burchiella (le terme dsignait la barque de louage reliant Venise la terre ferme) : O Strathiotti puveretti [-th- notant une spirante interdentale ?]. . Vaucheret fait tat dun rapprochement avec laaire Le Voix (mai 1581, voir les MmoiresJournaux de LEstoille) : le conseiller en la Cour de Parlement de Paris, apprenant par sa matresse quelle rompt avec lui, lui fait taillader le visage par des archers du guet et obtient sa propre relaxe au moyen, dit-on, de pots de vin. Hormis la sauvagerie, peu de rapports avec lAlbanais. (M. Rat fait tat du mme rapprochement propos de lallusion vague contenue dans le paragraphe suivant de Brantme, ce qui est inattendu : lappel de note aura t mal plac.) 139 en Italie 140 alors quon sapprtait le mener au supplice 141 belles dents Pierre de Larivey se sert de lexpression avec belles dents dans sa traduction des Facetieuses nuits de Straparola (VIIIe nuit, fable IV) : un gros singe grimpe amont larbre de la navire et entre en la gabie, o avec belles dents il desnoue les sacz una scimia rattamente ascese larboro della nave, ed entr nella gabbia, e cominci trar fuori i danari de sacchetti (cest donc un ajout du traducteur) 142 outrage 143 sur-le-champ, aussitt 144 parce quelle a t Jen ay oy parler dautres qui, se sentans vieux, caducs145, blessez146, attenuez147 et proches de la mort, de beau depit et de jalousie secretement ont advanc les jours 148 leurs moitiez149, mesmes150 quand elles ont est belles. caduc qui menace de tomber, prs de tomber , do dlabr (caducit : Priode de la vie humaine qui stend de la soixante-dixime la quatre-vingtime anne, et qui prcde la dcrpitude Littr ; 1re attestation en 1588, dans les Bigarrures) 146 bless meurtri (comme un fruit blet) 147 diminus 148 ht la mort de 149 mes surs , medias naranjas ; TLFi fournit les repres suivants :145

1552 1552 1610 1662150

ma ere moiti dsigne une femme aime (Ronsard, Amours, Sonnet 17, 7) ; ma moiti dsigne un homme aim (Jodelle, Cloptre, IV) ; sa plus chre moiti dsigne une pouse (Montchrestien, Reine dcosse, III,) ; [cf. his better half] fam. votre moiti id. (Molire, cole des femmes, I, 1).

surtout

Or, sur ces bizarres humeurs de ces marys tyrans et cruels, qui font mourir ainsi leurs femmes, jay oy faire une dispute151, savoir-mon152 sil est permis aux femmes, quand elles sapperoivent ou se doutent de la cruaut et massacre que leurs marys veulent exercer envers elles, de gaigner le devant153 et de joer la prime154, et, pour se sauver, les faire joer les premiers et les envoyer devant faire les logis155 en lautre monde.151 152

un dbat savoir mon sert introduire une citation, une numration, une prcision et correspond cest--dire ou bien au signe de ponctuation deux-points ( : ) ; dans le cas prsent, ce qui suit est lnonc du sujet dbattu, sous la forme (hrite du latin) dune proposition interrogative indirecte, cf. Rabelais nous suons disputans, savoir mon si la face du medicin chagrin contriste le malade mon est une particule armative en usage du XIIe au XVIIe sicle (amon chez Molire) 153 prendre les devants 154 la prime tait un jeu de cartes trs rpandu ; ici, il y a jeu de mots et lexpression signie agir le premier 155 Nicot dnit fourrier celuy qui marque de craye blanche les logis o chascun de ceux qui suyvent la court, ou un grand Seigneur, ou arme doibvent loger dans ville, bourg, ou village [cela quivaut une rquisition]. Et parce quil y en a plusieurs, chascun marque au quartier qui luy est donn par le Mareschal des logis, escrivant la porte du logis le nom et la qualit de celuy qui y doibt loger, avec son paraphe. Le mot avait pris le sens gur davant-coureur : Et cet heureux hymen, qui les charmoit si fort, Devient souvent pour eux un fourrier de la mort , crit Corneille, dans la Suivante. Quand la femme se sent menace de mort par son mari, a-t-elle le droit de prendre les devants et de lenvoyer ad patres, prparer sa venue ultrieure, linstar du fourrier qui, prcdant les personnalits en dplacement, marque la craie les demeures o elles rsideront ltape ? Jay oy maintenir156 quoy, et quelles le peuvent faire, non selon Dieu, car tout meurtre est defendu, ainsi que jay dit, mais, selon le monde, prou157 ; et se fondent sur ce mot158, quil vaut mieux prevenir que destre prevenu159 ; car enn chacun doit estre curieux de sa vie160 ; et, puisque Dieu nous la donne, la faut garder jusques ce quil nous appelle par nostre mort. Autrement, sachant bien leur mort, et sy aller precipiter, et ne la fuir quand elles peuvent, cest se tuer soy-mesme161, chose que Dieu abhore fort ; parquoy cest le meilleur de les envoyer en ambassade devant, et en parer le coup, ainsi que fit Blanche dAuverbruckt son mary le sieur de Flavy162, capitaine de Compiegne et gouverneur, qui trahit et fut cause de la perte et de la mort de la Pucelle dOrleans. Et cette dame Blanche, ayant sceu que son mary la vouloit faire noyer, le prevint, et, avec

layde de son barbier, lestouffa et lestrangla, dont le roy Charles septiesme luy en donna aussitost sa grace ; quoy aussi ayda bien la trahison du mary pour lobtenir, possible, plus que tout autre chose. Cela se trouve aux Annales de France, et principalement celles de Guyenne.156 157 158 159

soutenir beaucoup proverbe mieux vaut prendre linitiative que laisser linitiative ; se trouve dj dans Laberinto de Fortuna, o las Trescientas (1444), strophe 132 :Por ende vosotros, algunos maridos, si sois trabajados de aquella sospecha, nunca vos sienta la vuestra derecha, nin menos entiendan que sois entendidos ; sean remedios enante venidos que nesesidades vos trayan dolores ; a grandes cautelas, cautelas mayores : ms val prevenir que ser prevenidos.

chacun doit prendre grand soin de (prserver) sa vie ; cure, cest le soin ou le souci que lon a de quelque chose ou de quelquun, cf. je nen ai cure 161 suicide nest pas attest avant 1734 (auparavant, on disait homicide de soi mesme ou, comme ici, se tuer soi mesme, soccire soi mesme ; cf. felo de se) ; voici ce qucrit JeanBaptiste Racine son frre Louis, en 1741 :160

A lgard du suicide (mot que vous avez vraisemblablement employ pour rire, car personne ne lentend [ne le comprend] et deux gens desprit me dirent hier que ce ne pouvoit estre quun charcutier), ce ne sera jamais un pch fort la mode parmi les gens de bon sens [les gens desprit feignaient de croire le mot form partir du latin ss porc, cochon et cdre frapper, tuer ]162

(Louvrage de rfrence reste la thse de Pierre Champion, Guillaume de Flavy, capitaine de Compigne, 1906.)

Guillaume de Flavy, chef de guerre, capitaine de Compigne, pouse en 1436 alors quil approche de la quarantaine une llette de 9 10 ans, Blanche dOverbreuc, vicomtesse dAcy, dont il capte lhritage et quil va, semble-t-il, maltraiter : elle trame avec Pierre de Louvain (son futur 2e mari) lassassinat de Flavy ; lhomicide a lieu le 9 mars 1449, avec la complicit du barbier et de lcuyer. (Pierre de Louvain est assassin en 1464 par un des frres de Flavy ; sa veuve convolera de nouveau en justes noces.) Blanche dOverbreuc obtient des lettres de rmission, dans des conditions qui ne sont peut-tre pas irrprochables. En dehors de ce fait divers tragique (cf. Marcel Schwob, Blanche la Sanglante, et Anatole France, dans les Sept femmes de la Barbe-Bleue), ce qui a retenu lattention dans la carrire de Guillaume de Flavy cest la possibilit quil soit lorigine de la capture de Jeanne dArc : on trouve des allgations dans ce sens ds 1445 (donc, dj du vivant de Flavy). Aprs cet tat des lieux, trac grands traits, voici la source directe de Brantme :

Apres ce couronnement [de Charles VII Reims, le 17 juillet 1429], et que le petit Henry eut est couronn en Angleterre [Henri VI en labbaye de Westminster, le 6 novembre 1429, avant son 9e anniversaire], repassa la mer, et vint en Normandie avec son armee, en lan 1430. Et au regard de la Pucelle, feit plusieurs escarmouches contre les Anglois autour de Paris, ou elle deffeit quatre ou cinq cents Anglois : puis sen alla tenir garnison dedans Compiegne, dont Guillaume de Flavy estoit capitaine. Et au comancement du mois de Iuing, 1430, messire Iehan de Luxembourg, les comtes de Hantonne et de Harondel [Arundel], en une grande compaignie de Bourgoignons allerent assieger ladicte ville de Compiegne : et par lintelligence [connivence] que ledict capitaine avoit avec eulx, esquels [ qui] il avoit vendu la Puccelle, trouva moien de lenvoier vers le roy querir gens a diligence [en hte], pour lever ledict siege, et la feit passer par une des portes ou le siege nestoit. Avant que partir elle feit dire messe bien matin en leglise sainct Iaques, ou elle se confessa, et receut le sainct sacrement de lautier [le saint sacrement de lautel, leucharistie]. Et en sortant de leglise, ou plusieurs gens sestoient assembls pour la veoir, leur dist : Mes seigneurs et amys, ie vous signifie [informe, annonce, apprends] quon ma vendue, et trahie, et que de brief [sous peu] on me fera mourir, priez Dieu pour moy. Et comme elle fut sortye en la compaignie de .XXV. ou XXX. archiers a ung quar de lieue de ladicte ville apperceut le duc de Luxembourg et autres ennemys du roy en grant nombre. Se cuida [crut] se saulver en ladicte ville mais le traistre de Flavy incontinant aprs son partement [dpart] avoit faict fermer les barres et les portes de la ville. Parquoy fut prinse et depuis vendue et livree aux Anglois mais on ne peut [put] prouver la trahison dudict de Flavy. Ledict en fut de Dieu pugny aprs. Car depuis sa femme nommee Blanche dAnvrebruch qui estoit belle damoiselle le souffoqua et estrangla par laide de son barbier lors questoit couch au lict en son chastel de Neelle en Tardenois [Nesles-en-Tardenois, dans lAisne]. Dont depuis elle eut grace et remission dudict roy Charles VII parce quelle prouva que ledict de Flavy avoit entreprins de la faire noyer.

Jean Bouchet, Les Annalles dAcquitaine (1524), Quarte Partie, fo XXXII (haut). Document des Bibliothques Virtuelles Humanistes. De mesme en t une madame de la Borne, du regne du roy Franois premier, qui accusa et deera163 son mary164 la justice, de quelques follies faites et crimes, possible enormes165, quil avoit fait avec elle et autres, le t constituer prisonnier166, sollicita167 contre luy et luy t trancher la teste. Jay oy faire ce compte ma grand-mere168, qui la disoit de bonne maison et belle femme. Celle-l gaigna bien le devant.

dfra pour la forme, dnona pour le sens Charles dAubusson, seigneur de La Borne [nom dune localit de la Creuse absorbe par Blessac en 1842] et du Dognon. Voici le commentaire succinct de lpisode le concernant dans le Nobiliaire du diocse et de la gnralit de Limoges (1882) :163 164

Ayant fait plusieurs violences quelques monastres de son voisinage et sur ses propres vassaux, il fut emmen prisonnier au Petit-Chtelet de Paris, et condamn, par arrt du grand conseil du roi, avoir la tte tranche pour ses excs et divers crimes ; ce qui fut excut, le mme jour, au pilori, Paris, le 23 fvrier 1533. Il fut ensuite mis quartiers. Il avait pous, le 9 mars 1525, Jeanne de Montal, fille dAimeri Sgr de Montal, et de Jeanne de Balzac. Une gnalogie manuscrite, dresse en 1657 par Pierre Robert, prsident et lieutenant-gnral de la Basse-Marche au sige du Dorat, porte que les galanteries de cette dame, pour lesquelles son mari lavait maltraite, furent cause de sa mort, elle-mme ayant fait rechercher la conduite de son mari, et que ses poursuites le conduisirent lchafaud.

Des prtendues galanteries de la dame, nulle nouvelle ; alors que les turpitudes du seigneur de La Borne sont bien documentes, car il a jou de malchance. quelques lieues de sa demeure slevait le monastre de Blessac, prieur de lles de lordre de Fontevrault, dont le prieur tait Jean dAubusson, son propre frre, et la prieure Franoise dAubusson (appartenant la branche des seigneurs de Villac). Lorsque Rene de Bourbon [1468-1534], lle de Jean VIII de Bourbon-Vendme et dIsabelle de Beauvau, vingtseptime abbesse de Fontevrault, fut enn en mesure de rformer son ordre, deux enqutes furent diligentes sur les dportemens des dirigeants de la maison de Blessac ; les rapports (publis par Alfred Leroux en 1886 dans Chartes, chroniques et mmoriaux pour servir lhistoire de la Marche et du Limousin, document CXVIII = pp. 152-183) laissent assez apparatre que les deux frres se croyaient tout permis. Madame de La Borne (qui navait pas besoin de faire rechercher la conduite de son mari pour tre die sur son compte) a d proter de laubaine que reprsentaient pour elle les enqutes en cours pour porter plainte contre lui et charger la barque. 165 peut-tre abominables 166 obtint une prise de corps 167 intenta une action en justice (cf. solliciteur, devenu en anglais britannique solicitor) 168 Louise de Daillon du Lude, dame dhonneur de la sur de Franois Ier, Marguerite de Valois ou dAngoulme ou dAlenon ou de Navarre. La reine Jeanne de Naples premiere169 en t de mesmes lendroit de linfant de Majorque170, son tiers mary, qui elle t trancher la teste pour la raison que jay dit en son Discours171 ; mais il pouvoit bien estre172 quelle se craignoit173 de luy et le vouloit depescher174 le premier : quoy175 elle avoit raison, et toutes ses semblables, de faire de mesme quand elles se doutent de176 leurs gallants.169 170 171

Jeanne Ire dAnjou-Sicile [vers 1328-1382] Jacques de Majorque [1336-1375], prince dAchae voici le paragraphe auquel lcrivain renvoie le lecteur :

Elle espousa aprs, pour son tiers mary, ung nomm Jacques de Tarancon [dAragon], infant de Majorque, qui estoit pour lors tenu le plus deliber, dispost et beau personnage qui se trouvast en la place, quelle ne voulust pourtant quil portast tiltre de roy, ains de simple duc de Calabre ; car elle vouloit seule dominer et regner, et ne vouloit plus avoir de compaignon, ainsin quelle faisoit bien ; et luy monstra bien aussy ; car, ayant sceu quil sestoit donn une autre femme (malheureux quil estoit, car de plus belle nen pouvoit-il choisir que la sienne,) lui fit trancher la teste, et ainsy mourut.

Brantme cite sa source : Pandolfo Collenuccio, Compendio delle historie del Regno di Napoli, (publication posthume en 1548) :

En ralit, le 3e mari mourut en Espagne, loin de la reine Jeanne, de ses blessures ou bien empoisonn, on ne sait. 172 peut-tre (conjugu limparfait) 173 se mait 174 lexpdier, le tuer (langlais to dispatch et le castillan despachar connaissent galement cette acception) 175 en quoi 176 quand elles craignent cf. redouter Jay oy parler de beaucoup de dames qui bravement se sont acquittes de ce bon oce177 et sont eschappes par ceste faon ; et mesmes jen ay cogneu une, laquelle, ayant est trouve avec son amy par son mary, il nen dit rien ny lun ny lautre, mais sen alla courrouc et la laissa l-dedans avec son amy, fort panthoise178 et desole179 et en grand alteration180. Mais la dame fut resolu jusques l de dire181 : Il ne ma rien dit ny fait pour ce coup182, je crains quil me la garde bonne183 et sous mine184 ; mais, si jestois asseure quil me deust faire mourir, jadviserois185 lui faire sentir la mort le premier. La fortune186 fut si bonne pour elle, au bout de quelque temps, quil mourut de soy-mesme ; dont bien luy en prit187, car oncques puis il ne luy avoit pas fait bonne chere188, quelque recherche189 quelle luy t190.177 178 179 180 181 182

ont courageusement rendu ce service (cf. ocieux qui aime rendre service ) penaude tourmente, mortie trouble, motion (cf. altere(s) et altr, saltrer) fut dtermine au point de dire pour cette fois

La garder quelquun, la lui garder bonne, Conserver du ressentiment contre quelquun, et attendre loccasion de se venger. Dictionnaire de lAcadmie. 184 secrtement cf. Littr, mine 2, 4o : Dans lantiquit et le moyen ge, cavit que, dans les siges, l'on pratiquait sous des murailles, sous une tour, etc. ; on tanonnait, puis le mineur, mettant le feu aux tanons, se retirait ; les tanons manquaient et la muraille scroulait et TLFi, mine2 : 1578 cavit souterraine pratique sous un rempart, un roc pour les faire sauter au moyen dexplosifs 185 je veillerais 186 le hasard, la chance, le sort 187 ce qui fut une chance pour elle cf. Littr, prendre, 64o. 188 car jamais depuis lincident il ne lui avait fait bon visage ; le mot est pass en anglais : cheer. 189 ouvertures, avances 190 on attendrait st.183