« Les Dames galantes » au fil des mots 002

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« Les Dames galantes » au fil des mots Une grande, belle et jeune dame 1 du regne du roy François I er , mariée avec un grand seigneur de France et d’aussi grande maison qui y soit point 2 , se sauva bien autrement, et mieux que la precedente : car fust 3 , ou qu’elle eust donné quelque sujet d’amour 4 à son mary, ou qu’il fust surpris d’un ombrage 5 ou d’une rage soudaine et fust venu à elle l’espée nue à la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour s’en sauver, s’advisa soudain de se voüer à la Glorieuse Vierge Marie, et en aller accomplir son vœu à sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit, à Sainct-Jean des Mauverets 6 , au païs d’Anjou. Et, sitost qu’elle eut fait ce vœu mentallement, ledict seigneur tumba par terre et luy faillit son espée du poing 7 ; puis tantost 8 se releva, et, comme venant 9 d’un songe, demanda à sa femme à quel saint elle s’estoit recommandée pour eviter ce peril. Elle luy dit que c’estoit à la Vierge Marie, en sa chappelle susdite, et avoit promis d’en visiter le saint lieu. Lors 10 il luy dit : « Allez-y donc, et accomplissez vostre vœu » ; ce qu’elle fit, et y appendit 11 un tableau contenant l’histoire, ensemble 12 plusieurs beaux et grands vœux 13 de cire, à ce jadis accous- tumez 14 , qui s’y sont veus long-temps après. Voilà un bon vœu, et belle escapade 15 inopi- née ! Voyez la Cronique d’Anjou 16 . 1 Françoise de Daillon du Lude [† 1540] épousa en premières noces Jacques I er de Ro- han et de Léon [1478-1527], comte de Porhoët (il y a, semble-t-il, débat sur l’identité de son second époux, mais l’anecdote que relate Brantôme ne se rapporte pas à lui). 2 Georges Gougenheim, 1974 : Marguerite de Navarre emploie volontiers point (sans ne) dans des subordonnées comparatives dépendant d’une comparaison d’égalité, en particulier dans le type de phrase assez fréquent aussi (autant)… qu’il en est (qu’il y en a) : Il me semble qu’Amadour estoit ung aussy honneste et vertueux cheva- lier qu’il en soit poinct (Heptameron, 10 : éd. M. François, p. 84). Mais aussi dans d’autres types de phrase : Encores que vostre compte soyt court, dist Oisille, si est il aussi plaisant que je n’en ay poinct oy (Ibid., 27 ; éd. M. François, p. 223). Bien que Gougenheim ne la signale pas chez notre auteur, Brantôme utilise volontiers cette construction (conclusif sans discordantiel) ; exemples : «... d’autant que l’on tient le sang royal pour le plus precieux qui soit point. » « Pour fin, à mon gré, c’estoit une des plus accomplies princesses estrangères que j’aye point veu. » « Ceste princesse, à mon gré, a esté une des belles princesses et autant accomplies que j’aye point veu. » « Il y eut quelques-uns... qui.. firent un pasquin d’elle, le plus scandaleux que j’aye point veu. » 3 c’est la conjonction « soit » (subjonctif présent sans béquille) introduisant une alter- native, mais avec concordance des temps ; il suffit de comparer « ou soit de loing ou soit de pres » et « ou fust a tort ou fust a droit » (tirés d’Érec). Du Bellay, Jeux rustiques, Epitaphe de l’abbé Bonnet, dernière strophe : Vray est, qu’on luy feit maint exces, Mais il gaigna tous ses proces : 002

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« J’ay oüy parler... » Suite des anecdotes de Brantôme, avec les commentaires assortis.

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Les Dames galantes au l des mots 002

Une grande, belle et jeune dame1 du regne du roy Franois Ier, marie avec un grand seigneur de France et daussi grande maison qui y soit point2, se sauva bien autrement, et mieux que la precedente : car fust3, ou quelle eust donn quelque sujet damour4 son mary, ou quil fust surpris dun ombrage5 ou dune rage soudaine et fust venu elle lespe nue la main pour la tuer, desesperant de tout secours humain pour sen sauver, sadvisa soudain de se voer la Glorieuse Vierge Marie, et en aller accomplir son vu sa chapelle de Lorette, si elle la sauvoit, Sainct-Jean des Mauverets6, au pas dAnjou. Et, sitost quelle eut fait ce vu mentallement, ledict seigneur tumba par terre et luy faillit son espe du poing7 ; puis tantost8 se releva, et, comme venant9 dun songe, demanda sa femme quel saint elle sestoit recommande pour eviter ce peril. Elle luy dit que cestoit la Vierge Marie, en sa chappelle susdite, et avoit promis den visiter le saint lieu. Lors10 il luy dit : Allez-y donc, et accomplissez vostre vu ; ce quelle t, et y appendit11 un tableau contenant lhistoire, ensemble12 plusieurs beaux et grands vux13 de cire, ce jadis accoustumez14, qui sy sont veus long-temps aprs. Voil un bon vu, et belle escapade15 inopine ! Voyez la Cronique dAnjou16. Franoise de Daillon du Lude [ 1540] pousa en premires noces Jacques Ier de Rohan et de Lon [1478-1527], comte de Porhot (il y a, semble-t-il, dbat sur lidentit de son second poux, mais lanecdote que relate Brantme ne se rapporte pas lui). 2 Georges Gougenheim, 1974 :1

Marguerite de Navarre emploie volontiers point (sans ne) dans des subordonnes comparatives dpendant dune comparaison dgalit, en particulier dans le type de phrase assez frquent aussi (autant) quil en est (quil y en a) : Il me semble quAmadour estoit ung aussy honneste et vertueux chevalier quil en soit poinct (Heptameron, 10 : d. M. Franois, p. 84). Mais aussi dans dautres types de phrase : Encores que vostre compte soyt court, dist Oisille, si est il aussi plaisant que je nen ay poinct oy (Ibid., 27 ; d. M. Franois, p. 223).

Bien que Gougenheim ne la signale pas chez notre auteur, Brantme utilise volontiers cette construction (conclusif sans discordantiel) ; exemples :... dautant que lon tient le sang royal pour le plus precieux qui soit point. Pour fin, mon gr, cestoit une des plus accomplies princesses estrangres que jaye point veu. Ceste princesse, mon gr, a est une des belles princesses et autant accomplies que jaye point veu. Il y eut quelques-uns... qui.. firent un pasquin delle, le plus scandaleux que jaye point veu.

cest la conjonction soit (subjonctif prsent sans bquille) introduisant une alternative, mais avec concordance des temps ; il sut de comparer ou soit de loing ou soit de pres et ou fust a tort ou fust a droit (tirs drec). Du Bellay, Jeux rustiques, Epitaphe de labb Bonnet, dernire strophe :3

Vray est, quon luy feit maint exces, Mais il gaigna tous ses proces :

Et fut Bonnet tant habile* homme, * savant, docte Quonq ne perdit en court de Romme, Ou fust droit, ou fust tort, Proces, si-non contre la mort : Dont encores il se lamente (Ce croy-ie) deuant Rhadamante : Mais Bonnet aura beau crier, Sil peult Rhadamante plier*. * chir

ou encore Bonaventure des Periers : ou fust quil ntait pas au gr delle ou quil ne savoit pas sy gouverner . 4 quelque motif de jalousie 5 soupon 6 Saint-Jean-des-Mauvrets, canton des Ponts-de-C, arrondissement dAngers (Maineet-Loire). Loreto (province dAncne, rgion des Marches) est surtout connu pour son sanctuaire marial (1294) 7 et son pe lui chappa du poing, lui tomba de la main mais lordre des mots est bien plus intressant dans le texte original 8 aussitt aprs 9 sortant 10 alors (qui est un renforcement de lors ) 11 spcialis dep. le XVIe s. au sens de offrir en hommage, ddier, consacrer la divinit dans un lieu sacr (TLFi) 12 en mme temps que autre exemple : Elle [lisabeth de France, lle dHenri II et de Catherine de Mdicis, 3e femme de Philippe II, roi dEspagne] me presenta don Carlos, lestant venue voir en sa chambre, ensemble la princesse [sa lle ane], et don Jouan ensanble od (mot mot "ensemble avec") est trs frquent chez Marie de France. 13 ex-voto 14 tels quils taient habituels jadis cette n 15 cest chez Brantme que se trouvent les premires attestations du mot, emprunt selon TLFi lespagnol escapada, mais selon Vastin Lespy au barnais ; lcrivain lemploie le plus souvent soit au sens de fuite ( Car bienheureux [= chanceux] est celuy, qui na fait quelque escapade reprochable en la guerre ), soit celui d vasion :Quand le duc dAscot [Philippe II de Croy, duc drschot] sortit hors de prison du bois de Vincennes, du rgne du roy Henry II, la comtesse de Senningan [Franoise dAmboise, comtesse de Seninghem] fut fort accuse et suspecte de sa delivrance, et dy avoir fort tenu la main, et y trouv les moyens ; car elle estoit fort sa proche parente [sa belle-sur]. M. le Connestable [Anne de Montmorency], qui estoit le prisonnier, et qui avoit soigneuse cure [mettait un soin particulier] de le garder pour en faire eschange de luy M. de Montmorency son fils [Franois], qui estoit prisonnier en Flandres, ne faut point penser sil fut fasch de ceste escapade [il ne faut pas demander sil fut mcontent de cette vasion] ; et, pour ce, par ordonnance du Roy, que M. le Connestable gouvernoit [manipulait], ladite comtesse fut constitue prisonniere et resserre [croue], et commissaires ordonnez pour loyr [lentendre] et faire [instruire] son procs : et de faict, fut en une trs-grande peine, et possible [peut-tre] en grand danger de la vie, sans messieurs de Guyse et cardinal son frere, lesquels, esmeus [mus], prirent sa cause en main, et luy rendirent si bonne, quelle nen eut que la peur.

Mais ici, Brantme adapte son propos un calque de lexpression barnaise bre escapade (le fait de lchapper belle). 16 Puisque nous sommes invits consulter la Chronique dAnjou, de noble et discret messire

Jean de Bourdign [ 1547], voici le passage en question dans ldition parue Angers en 1842 (pp. 355-356), ce qui permet de mesurer lcart par rapport notre texte :

Jai oy parler que le roy Franois une fois voulut aller coucher avec une dame17 de sa cour quil aimoit. Il trouva son mary lespe au poing pour laller tuer ; mais le roy luy porta la sienne la gorge et luy commanda, sur sa vie, de ne luy faire nul mal, et que sil luy faisoit la moindre chose du monde, quil le tueroit ou quil luy feroit trencher la teste ; et pour cette nuict lenvoya dehors, et prit sa place. Cette dame estoit bien heureuse18 davoir trouv un si bon champion et protecteur19 de son con, car onques puis le mary ne luy osa sonner20 mot, ains luy laissa tout faire sa guise. Il pourrait sagir, selon color che sanno, de Franoise de Foix [1495-1537], dame de Chteaubriant, et donc de Franois Ier. sur sa vie sous peine de perdre la vie 18 Une traduction en anglais rend par This lady was quite happy to have found such a good champion and protector of her cunt ; le sens est lucky, fortunate. 19 En 1411, lantipape Jean XXIII [Baldassarre Cossa, v. 1360-1419], dans sa lutte pour reprendre Rome Ladislas Ier dAnjou-Durazzo [1376-1414], a pour alli Louis II dAnjou [1377-1417], auquel il confre le titre de principal champion et protecteur de la sainte glise ipsum pugilem precipuum constituit et protectorem sancte matris Ecclesie, pour citer dans17

le texte la Chronique du religieux de Saint-Denis [Chronicorum Karoli Sexti, Liber tricesimus secundus, Capitulum I], voir Bellaguet, 4, 1842, p. 391. Telle est la formule traditionnelle (nettement antrieure 1411 : ds 769, Charlemagne est quali de deuotus sanct ecclesi defensor, atque adiutor in omnibus apostolic sedis), devenue clich, que dtourne Brantme. 20 le syntagme soner mot est attest depuis la n du Xe sicle Jay oy dire que non seulement cette dame, mais plusieurs21 autres, obtindrent22 pareille sauvegarde du roy. Comme plusieurs23 font en guerre pour sauver leurs terres et y mettent les armoiries du roy sur leurs portes, ainsi font24 ces femmes celles de ces grands roys, au bord et au-dedans de leur con, si bien que leurs marys ne leur osoyent25 dire mot, qui26, sans cela, les eussent passez27 au fil de lespe.21 22 23 24 25 26 27

de nombreuses forme analogique de tindrent, vindrent (qui sont hrditaires) bien des gens = mettent retour aux temps du rcit a pour antcdent marys les rgles daccord du participe pass avec avoir remontent Marot ; leur application ntait pas systmatique Jen ay cogneu dautres dames, favorises ainsi des rois et des grands, qui portoyent ainsi leurs passeports28 partout ; toutesfois si29 en avoit-il aucunes30 qui passoyent le pas31, auxquelles leurs marys, nosans y apporter le couteau, saydoient des poisons et morts caches et secretes, faisant croire32 que cestoyent catherres33, apoplexie et mort subite. Et tels marys sont detestables, de voir leurs costs coucher leurs belles femmes, languir et tirer la mort34 de jour en jour, et meritent mieux35 la mort que leurs femmes ; ou bien les font mourir entre deux murailles, en chartre perpetuelle36, comme nous en avons aucunes croniques anciennes de France, et comme jen ay sceu un grand de France, qui t ainsi mourir sa femme, qui estoit une fort belle et honneste dame, et ce par arrest de la cour, prenant son petit plaisir par cette voye se faire declarer cocu.

lautorisation de circuler ntait pas seulement ncessaire aux personnes pour sortir de France ou pour y (r)entrer, mais aussi lintrieur du pays 29 pourtant, cependant 30 certaines : Et si lon me reprend que je parle fort sobrement daucuns, et daucuns point, je leur responds quainsy me plaist, et en ay ensuivy ma fantaisie en cela, ne pensant faire tort aucun. nous avons encore daucuns ( Il est un singe dans Paris qui lon avoit donn femme : Singe en effet daucuns maris, Il la battoit. ) 31 mouraient cf. Pathelin : Le front me sue De ne frayeur ; je tressue, Tant je doubte [je redoute de] passer le pas. jeu de mots entre passeports et passer le pas28

(Brantme emploie, par ailleurs, le verbe accroire) catarrhes (coulements, inflammations) ; dsignait une affection crbrale dprir et se rapprocher de la mort plus laccusatif latin crcrem prison (cf. incarcrer, carcral ; italien carcere [parola sdrucciola], castillan crcel, avec dissimilation) aboutit chartre, concurrenc puis remplac par gele , son tour supplant par prison ; chartre perpetuelle (il sagit de perptuit relle) quivaut dtention jusqu ce que mort sensuive : le 23 mai 1431, Jeanne dArc est condamne par ses deux juges un vque, un inquisiteur tre mise en chartre perpetuelle avec pain de douleur et eau dangoisse . Lexpression ne semployait, en toute rigueur, que dans le cas o la condamnation tait prononce par un tribunal ecclsiastique et, au moins Paris, avait pour synonyme populaire oubliette .32 33 34 35 36

Constant Leber a publi en 1838 un document dont jextrais le montage ci-dessous :

(Le symbole

qui suit les nombres est un d, initiale de denarii/deniers.)

Hugues Aubriot [ 1382], prvt de Paris de 1367 1381 (il a fait construire le pont Saint-Michel, le

Pont-au-Change, le Petit-Chtelet et la Bastille), fut mis en accusation sous Charles VI pour hrsie et condamn le 17 mai 1381, puis incarcr (crit Froissart) la prison quon dit Oubliette [donc au Grand-Chtelet, mais lancien prvt tait dtenu au For-lvque, rue Saint-Germain lAuxerrois ; erreur rectifie par Le Roux de Lincy en 1862] ; il fut dlivr le 1er mars 1382 par les Maillotins, surnomms ainsi parce quils staient empars de douze mille maillets (de plomb ? de fer ?) que Hugues Aubriot avait autrefois fait faire en prvision dune guerre. Les insurgs veulent le mettre leur tte, mais il prfre senfuir et regagner sa Bourgogne natale ; il se rend ensuite Sommires, dans le Gard, o le pape (qui sige Avignon) lui assigne rsidence et o il ne tarda pas mourir. C. Leber crit Les moines avaient aussi leurs oubliettes : on les appelait in-pace (cf. Les Misrables, 2e Partie : Cosette, Livre 7e : Parenthse, Chapitre II : Le couvent, fait historique), de vade in pace [ ] va en paix (ce que dit le confesseur en congdiant le pnitent)

De ces forcenez37 et furieux maris de cocus38 sont volontiers39 les vieillards, lesquels se defians de leurs forces et chaleurs40 et sasseurans41 de celles de leurs femmes, mesmes quand ilz ont est si sots de42 les espouser jeunes et belles, ilz en sont jaloux et si ombrageux43, tant par leur naturel que par leurs vieilles pratiques44 quils ont traittes eux-mesmes autresfois ou veu traitter dautres, quils meinent si miserablement45 ces pauvres creatures que leur purgatoire leur seroit plus doux que non pas46 leur autorit. LEspagnol dit : El diablo sabe mucho, porque es viejo, que le diable sait beaucoup parce quil est vieux : de mesme ces vieillards par leur aage et anciennes routines47, savent force choses. Si sontils grandement blasmer de ce poinct que, puisquils ne peuvent contenter les femmes, pourquoy les vont-ils espouser ? et les femmes aussi belles et jeunes ont grand tort de les aller espouser, sous lombre des biens48, en pensant joir49 aprs leur mort, quelles attendent dheure autre50 ; et cependant se donnent du bon temps avec des amis jeunes quelles font, dont aucunes delles en patissent griefvement51. forcen (cf. occitan forsenat) est dabord le participe pass du verbe forsener : ex. dans la Vie de saint Alexis La vint curant[e] cum femme forsenede (elle accourut, comme folle furieuse) et chez Montaigne : De mesme aux femmes, un animal glouton et avide, auquel si on refuse aliments en sa saison, il forcene, impatient de delai , Je veux que lavantage soit pour nous, mais je ne forcene point sil ne lest . Compos de la prposition fors hors de (lacception except, sauf, hormis est secondaire) et de sen intelligence, bon sens [cf. les noms de famille Sen, Malsen], en particulier dans lexpression changier le sen perdre le sens chez Chrtien de Troyes : Tel duel ot que le san chanja, Onques ne but ne ne manja, Si morut con huem forssenez (Cligs 6607), Mes ainz voldroit le san changier Que il ne se post vengier De lui, qui joie sa tolue (Yvain 2793). [Dictionnaire lectronique de Chrtien de Troyes, DCT]. Pour le smantisme, cf. a ma mis hors de moi , estaba fuera de s , he was beside himself with anger. Sen provient du westique *sinn- (all. der Sinn [nerl. zin] et le dnominatif sinnen), apparent au vieil-anglais sinnan [fort 3e cl.], dont le causatif est sendan. On pourra consulter louvrage de Louis Guinet, Les Emprunts gallo-romans au germanique (du Ier la n du Ve sicle), 1982. La graphie forcen a subi linuence de force . Ici, furieux a un sens trs voisin : en dlire, dment, gar, insens (fursus : Ira furor breuis, la colre est une courte folie).37

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la comparaison simpose avec des marauts de vallets qui rpond au schma [Dt N1 de N2], quivalant celui de notre grand andrin de vicomte. Mais si le thme (topic) est ce dont on parle, le rhme (comment) ce quon en dit , la rpartition dans le nouvel nonc ne rpond pas lattente (**ces cocus de maris**).

Se pourrait-il que lcrivain ait t induit en erreur par la construction en miroir quil a adopte ? (Comparer : Les vieillards sont volontiers de ces forcens et furieux) 39 souvent 40 leurs capacits davoir une rection et lintensit de leur dsir 41 tant srs 42 assez sots pour 43 souponneux 44 manigances /menes / intrigues auxquelles ils ont eu recours 45 quils traitent dune faon si odieuse et mprisable 46 Dans des cas de comparaison dingalit o la langue actuelle utilise un ne dit expltif (le purgatoire des femmes en question leur serait plus doux que nest lautorit de leur vieux mari), les crivains de la Renaissance avaient la latitude demployer la locution adverbiale ngative continue. 47 et (leurs) vieilles pratiques routine nest attest que depuis 1559 48 sous lombre de sous prtexte de (cf. sous couleur de, sous couvert de) ; mais les femmes vises mettraient en avant leur cupidit comme motif pour se marier ? 49 en pensant en proter 50 dune heure lautre, tout moment ; sans cesse 51 terriblement Jay oy parler dune, laquelle estant surprise sur le fait, son mary, vieillard, luy donna une poison52 de laquelle elle languit plus dun an et vint53 seiche comme bois ; et le mary lalloit voir souvent, et se plaisoit en cette langueur, et en rioit, et disoit quelle navoit que ce quil luy falloit54. le mot a dabord t du genre fminin, tant issu de laccusatif du latin pto, -nis, fm. action de boire ; boisson, breuvage ; breuvage mdicinal, potion, drogue ; breuvage empoisonn ; philtre, breuvage magique La rpartition des 13 occurrences du mot dans les Essais est la suivante : fm. 3 ; masc. 3 ; indcidable 7. 53 devint 54 que son d, que ce quelle mritait 52

Une autre, son mary lenferma dans une chambre et la mit au pain et leau, et bien souvent la faisoit despouiller55 toute nue et la foettoit son saoul56, nayant aucune compassion de ceste belle charnure57 nu, ny non plus demotion. Voil le pis58 deux : car estant desgarnis de chaleurs et despourveus de tentation comme une statu de marbre, nont piti de nulle beaut, et passent leurs rages par de cruels martyres59, au lieu questans jeunes la passeroyent, possible, sur leur beau corps nud, comme jay dict cy devant. lui faisait retirer ses vtements, la faisait dshabiller cf. spogliarsi et despojarse (de sus ropas) Do le jeu de mots dans la formule que Montaigne cite en la donnant pour traditionnelle : Ie ne me veulx pas despouiller devant que de maller coucher , cest-dire au figur je ne veux pas me dessaisir de mes biens de mon vivant [si ce nest par testament] Cotgrave, 1611 sous despouiller.55

tout son sol, jusqu ce quil en ait assez, satit laccusatif singulier carnem de cro, carnis chair aboutissait charn (cf. charnel), do est tir charnure. 58 ladjectif latin mlus mauvais, mchant faisant partie de ceux qui recourent la suppltion pour leurs degrs de comparaison, sest constitu un comparatif de supriorit partir des formes suivantes :56 57

masculin/fminin (picne) nominatif accusatif pir pirem

neutre pius

Pire est issu de pir et pis de pius. (Il a exist, en ancien franais, un cas-rgime pieur, issu de pirem.) Ici, pour exprimer le superlatif, Brantme se sert dj de le pis qui avait supplant la forme hrditaire pesme. 59 en inigeant de cruelles sourances Voyl pourquoy il ne fait pas bon despouser de tels vieillards bizarres : car, encor que la veu leur baisse et vienne manquer par laage, si en ont-ils tousjours prou60 pour espier et voir les frasques61 que leurs jeunes femmes leur peuvent faire.60

beaucoup ; ne subsiste que dans la locution peu ou prou (La Fontaine : Lun jura foi de roi, lautre foi de hibou, Quils ne se goberoient leurs petits peu ni prou ). Il sagit de

lemploi adverbial du substantif dancien franais prod (dans la Chanson de Roland), pro (dans la Vie de saint Alexis) avantage, prot : Fust li a preu u a damage , que cela tourne son avantage ou son dsavantage (Marie de France, Lai de Guigemar). La Civilit purile et honneste 1537 apprenait aux enfants dire leurs pre et mre, aprs les grces, prouface, cest--dire bon prou vous fasse, que ce repas vous prote. Franois Gnin. Furetire prsente la formule comme ntant plus gure en usage son poque, si ce nest par raillerie (par antiphrase, le sens avait fini par tre allez au diable ) ; mais auparavant elle tait passe outre-Manche.(La scne se passe en octobre 1527, Hampton Court, o le cardinal Wolsey, Lord Chancellor, a t charg par Henry VIII daccueillir une dlgation franaise de 280 personnes ayant sa tte pas moins de quatre ambassadeurs.) Ye must understand that my lord was not there, ne yet come, but they [la dlgation] being merry and pleasant with their fare, devising and wondering upon the subtleties. Before the second course, my Lord Cardinal came in among them, booted and spurred, all suddenly, and bade them proface ; at whose coming they would have risen and given place with much joy. Whom my lord commanded to sit still and keep their rooms []. Thomas Wolsey, Late Cardinall, his Lyffe and Deathe, by George Cavendish, His Gentleman Usher Il faut savoir que son minence tait absente et ntait pas encore arrive, mais que les membres de la dlgation prenaient plaisir au festin et en taient joyeux, le ranement leur faisant changer des propos admiratifs. Avant le deuxime service, Son minence le Cardinal, en bottes et nayant pas quitt ses perons, t soudain son entre parmi eux et leur souhaita bon apptit ; sur quoi, les Franais voulurent se lever et lui faire place avec grand plaisir. Mais son minence leur dit de ne pas se dranger et de rester leur place. Dans King Henry IV, Part Two (V, III), Davy (domestique de Master Robert Shallow) dit de mme au page que Prince Hal a attribu par drision Falstaff : Master page, good master page, sit : proface !

Lexpression a exist en italien ( Come ha bevuto, sen porta la taccia, E parli a ponto aver pagato loste Con dir, quando sen va : - Buon pro vi faccia ! Orlando innamorato) et en espagnol ( buena pro le haga al Corregidor ! Alarcn, El Sombrero de tres picos, XVII in ne). 61 tours pendables, mauvaises plaisanteries ; carts de conduite Aussy jay oy parler dune grande dame qui disoit que nul samedy fut sans soleil62, nulle belle femme sans amours, et nul vieillard sans estre jaloux ; et tout procede pour63 la debolezze64 de ses forces. tienne Vaucheret : Dicton se rapportant la croyance populaire quil ne se passe pas de samedi sans que le soleil se montre, en lhonneur de la Vierge qui ce jour est consacr. 63 et tout sexplique par tienne Vaucheret : tout vient de 64 litalien debolezza est labstrait de ladjectif debole [parola sdrucciola] faible (du latin dblis) ; linsusance (an dviter "la faiblesse de ses forces")62

Cest pourquoy un grand prince que je say disoit65 quil voudroit ressembler66 le lion, qui, pour vieillir67, ne blanchit jamais ; le singe, qui tant plus68 il le fait, tant plus il le veut faire ; le chien, tant plus il vieillit, son cas69 se grossit ; et le cerf, que tant plus il est vieux, tant mieux il le fait, et les biches vont plustost luy quaux jeunes. Les commentateurs ont fait le rapprochement avec le passage suivant, dans le Moyen de parvenir, de Broalde de Verville :65

A propos de chien, je me souviens de monsieur le Commandeur de Compesires qui desiroit estre comme trois sortes danimaux, savoir, ainsi que le signe [cygne] qui plus vieillit et plus embellit, comme le chien auquel vieillissant le membre grossit, et tel que le cheval ou le cerf qui plus vieillissent plus le font. [Compesires, qui se trouve maintenant dans la Confdration helvtique (canton de Genve), appartenait lpoque au duch de Savoie. En 1270, lvque de Genve Aymon de Cruseilles fit donation de lglise Saint-Sylvestre lordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jrusalem (aujourdhui ordre de Malte) qui, par la suite, construisit une Commanderie dans la localit.]

ressembler , simple intensif de sembler , en a longtemps conserv la construction transitive : Par tels paroles vus resemblez enfant (Chanson de Roland) ; Cette majest infinie [de Dieu], ne ressemble pas les grandeurs humaines o il y a toujours quelque foible (Bossuet). Littr, en citant dans la partie historique cette phrase de Montaigne : Le jeune Ciceron, qui na ressembl son pere que de nom , fausse un peu la ralit, car on trouve aussi dans les Essais qui ne cognoit pas Socrates, voyant son pourtraict, ne peut dire quil luy ressemble et Comme nul evenement et nulle forme ressemble entierement une autre . 67 tout en vieillissant, quoiquil vieillisse ; cf. Ah ! pour tre dvot, je nen suis pas moins homme 68 la variation proportionnelle exprime par tant plus tant plus est atteste depuis 1200 env. 69 sa verge (avec inuence de litalien cazzo : Montaigne [les Romains] sessuyoient le catze de laine perfume, quand ils en auoyent faict ; cf. caiche chez Rabelais)66

Or, pour en parler franchement, ainsy que jay oy dire un grand personnage, quelle raison y a-il70, ny quelle puissance71 a-il le mary si grand, quil doive et puisse tuer sa femme, veu quil ne la point de Dieu, ny de sa loy, ny de son saint Evangile, sinon de la repudier seulement ? Il ne sy parle point de mort, de sang, de meurtre, de tourmens, de prison, de poisons ny de cruautez. Ah ! que Nostre Seigneur Jesus-Christ nous a bien remonstr72 quil y avoit de grands abus en ces faons de faire et en ces meurtres, et quil ne les approuvoit guieres, lorsquon luy amena cette pauvre femme accuse dadultre pour jetter sa sentence73 de punition ; il leur dit, en escrivant en terre de son doigt74 : Celuy de vous autres qui sera le plus net75 et le plus simple76, quil prenne la premiere pierre et commence la lapider ! ce que nul nosa faire, se sentans atteints par telle sage et douce reprehension77.70

Henri Estienne, Hypomneses de Gallica lingua (1582), Thodore de Bze, De Francicae lin-

guae recta pronuntiatione (Genve, 1583), Antoine Cauchie, Grammatica Gallica (1570-1586) et dautres grammairiens du XVIe sicle nous ont lgu des observations prcieuses sur ce que nous appelons le -t- euphonique. Jacques Peletier du Mans [1517-1582] prconise un systme original pour rformer lorthographe et lutilise dans son ouvrage Dialogue de lortografe e prononciation franoe (1re d. : 1550), qui dclenche une polmique avec Louis Meigret, lui aussi rformateur. Voici ce quil crit sur le point de phonographmatique qui nous intresse :

Souvant aui nous prononons des lttres qui ne ecriuet point. Comme quand nous dions dne ti ? ira ti ? e ecriuons dne il ? ira il ? e eroit choe ridicule i nous les ecriuions elon quz e prononcet. [Il ne ma pas t possible de reproduire le symbole e + barre oblique dont Peletier se sert pour noter e caduc.] Si lon en croit donc Peletier du Mans et les autres grammairiens ses contemporains, Brantme (ou plutt son amanuensis) crit a-il ce qui devait se prononcer /ati/, la consonne finale tant muette. Mais il est envisageable que lcrivain nait trouv aucun inconvnient lhiatus : on en trouve des exemples chez Ronsard (Puisse-il tousjours sous ses ailes couver Ton chef royal, et, nud, tousjours laver Le sien crespu dans largent de ton Loire) et Du Bellay (Ce Dieu ta donn encor Le thresor De sa langue bien apprise. Te puisse-il tousjours aider, Et guider Chacune tienne entreprise).

Chez les prosateurs, on peut mentionner lindiffrence de Bonaventure Des Periers vis--vis du -t- euphonique : il lemploie ou ne lemploie pas sans suivre pour cela de rgle xe (Adolphe Chnevire). 71 la patria potestas du chef de famille, qui lui donnait droit de vie et de mort (uit necisque) sur ses enfants, sa femme et ses esclaves. NB : grand se rapporte puissance. 72 ce nest pas en remontrer quelquun , mais exposer quelquun ce quon lui reproche, ce dont on lui fait grief (remontrances) 73 prononcer la condamnation (sententiam emittere) 74 dtail caractristique du texte source (Jean, 8, 1-11) : , digito scribebat in terra 75 sans souillure (immaculatus) 76 innocent, qui na rien se reprocher 77 blme (reprehensio) Nostre Createur nous apprenoit tous de nestre si legers78 condamner et faire mourir les personnes, mesmes sur ce sujet, cognoissant les fragilitez de nostre nature, et labus que plusieurs y commettent : car tel fait mourir sa femme, qui est plus adultre quelle, et tels les font mourir bien souvent innocentes, se faschans79 delles pour en prendre dautres nouvelles ; et combien y en a-il ! Saint Augustin dit80 que lhomme adultre est aussi punissable que la femme. prompts se lassant : Sondit pere [Rodrigo de Borja] eut un ls aisn [Juan/Giovanni] qui fut duc de Candie [Ganda] ; et Caesar Borgia fut le second, qui fut faict cardinal, et eut le chapeau [et reut le chapeau de cardinal des mains] de son pere aprs estre cre [une fois que celuici fut devenu] pape [Alexandre VI, 1492-1503]. Mais se faschant de la robbe, et ayant la fantaisie dresse aux hautes conceptions et entreprises du monde, la quicta []. 80 De Coniugiis adulterinis ad Pollentium, livre II, chap. VIII (Viri adulteri grauius puniendi quam adulter uxores, Les maris adultres doivent tre punis avec plus de svrit que les pouses adultres)78 79

Jay oy parler dun trs-grand prince de par le monde, qui, soubonnant sa femme81 faire lamour avec un gallant cavalier, il le t assassiner sortant le soir de son palais, et puis la dame ; laquelle, un peu auparavant, un tournoy qui se t la cour, et elle xement arregardant82 son serviteur qui manioit si bien son cheval, se mit dire : Mon Dieu ! quun tel pique bien ! Oy, mais il pique trop haut 83; ce qui lestonna, et aprs fut empoisonne par quelques parfums, ou autrement par la bouche.81

lisabeth de France [1545-1568] (appele en Espagne Isabel de Valois et Isabel de la Paz), lle dHenri II et de Catherine de Mdicis, 3e femme de Philippe II, roi dEspagne. Voici ses dates de naissance :

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lisabeth_de_France_%281545-1568%29 http://es.wikipedia.org/wiki/Isabel_de_Valois_%281546-1568%29 http://en.wikipedia.org/wiki/Elisabeth_of_Valois : 2 April 1544

2 avril 1545 13 de abril de 1546 2 April 1544

Brantme, qui avait eu loccasion de la rencontrer Madrid, lui a consacr une vingtaine de pages dithyrambiques : Que pleust Dieu fuss-je un bon petrarquiseur, pour bien lexalter ! La pauvre femme mourut en couches. 82 arregarder est une variante dargarder, dformation non-conventionnelle (populaire) de regarder (et croisement avec agarder ?) mais le verbe lui-mme nappartient pas un registre particulier : lors de leur premire rencontre aprs leur mariage (qui a eu lieu par procuration), Philippe II dEspagne (33 ans), trouvant que sa femme (14 ans) le dvisage trop, lui demande Que mirais, si tengo canas ? [selon les sources espagnoles : Qu miris ? Por ventura, si tengo ya canas ?], ce que Brantme rend par Quarregardezvous, si jay les cheveux blancs ? 83 Mrime et Lacour :On raconte le mme mot de Philippe IV [1605-1665], loccasion dune course de taureaux o le comte de Villa-Mediana [Juan de Tassis y Peralta, 1582-1622], amant, dit-on, dIsabelle de Bourbon [lisabeth de France, 1602-1644, lle dHenri IV et de Marie de Mdicis], recevait les loges de cette princesse. (Voy. le pome charmant du duc de Rivas, El conde de Villa-Mediana.) Ce passage de Branthme prouve que lanecdote conserve en Espagne par la tradition ne peut sappliquer aux personnages auxquels on lattribue. Je crois dailleurs que Branthme dsigne ici une reine dEspagne, peut-tre la femme de Philippe II, lisabeth de France. Je fonde cette prsomption sur le mot piquer employ par Branthme. En franais, de son temps, piquer voulait dire pousser un cheval, le faire galoper. On ne pique ni haut ni bas un cheval, tandis que dans une course de taureaux ladresse du picador consiste frapper lanimal sur le col, ni trop haut prs de la tte, ni trop bas, cest--dire prs des paules. Enn, en espagnol, picar muy alto est une mtaphore trs usite qui signie avoir beaucoup dambition, se proposer un but trop lev [ viser trs haut ]. Mrime renvoie au romance intitul El conde de Villamediana, compos Paris en 1833 par le duc de Rivas [ngel de Saavedra y Ramrez de Baquedano, 1791-1865], morceau danthologie o se trouvent dans la 1re partie : Los toros les rpliques qui font mouche : La reina, que, sin aliento, los ojos desencajados en jinete y toro tuvo, vuelve, ansiosa, respirando ; Qu bien pica el conde ! , dice, y Muy bien , los cortesanos repiten. El rey responde : Bien pica, pero muy alto.

Dans la 2e partie du pome (Las mscaras y caas), le comte parat avec un cu o on peut lire la devise Son mis amores surmontant des raux (reales) dargent ; peu aprs le fou du roi, le nain Vasquillo, lucide la devise : mes amours sont royales , ce qui fait dire au souverain mi-voix : Pues yo se los har cuartos , je lui rendrai la monnaie de sa pice. Autre extravagance mettre au compte de Villamediana, la reprsentation le 15 mai 1622 Aranjuez, au cours de ftes fastueuses, de sa pice la Gloria de Niquea (avec prologue de son ami Gngora), suivie dune uvre de Lope de Vega, el Vellocino de Oro, dont le deuxime acte est interrompu par un incendie rel que le conte met prot pour emporter la reine dans ses bras (crime de lse-majest punissable de mort), dans le seul but nul nen doute de lui sauver la vie. Villamediana mourut assassin.

Jay cogneu un seigneur de bonne maison qui t mourir sa femme, qui estoit trs-belle et de bonne part et de bon lieu84, en lempoisonnant par sa nature85, sans sen ressentir86, tant subtile et bien faitte avoit est icelle poison, pour espouser une grand dame qui avoit espous un prince ; dont en fut en peine, en prison et en danger, sans ses amis87 ; et le malheur voulut quil ne lespousa pas, et en fut tromp et fort scandalis88, et mal veu des hommes et des dames.84 85

tienne Vaucheret : de noble origine et issue dune grande famille on disait nature pour dsigner le sexe de la femme et membre de nature pour dsigner celui de lhomme (do laboureur de nature, chez Rabelais).Marco Polo (d. de Roux de Rochelle, 1824) : E si vos di qe en toute ceste provence de Mabar [maabar passage, dtroit , actuelle cte de Coromandel] ne a mester por taillier ne cuire dras, por ce qe il ont tuit nus de tous les tens de lan. Car ie vos di quil ont tout tens tenpr, ce est quil ne ont ne froit ne chaut, e por ce vont toutes foies nus, for qe il se cuvrent lor nature dou pou de drap tant solamant. Ambroise Par : Iatteste auoir veu et medicament vne ieune femme, qui sa matrice tomboit hors de sa nature la grosseur dvn gros uf de poulle, auoir est guerie et port depuis des enfans, et sa matrice nestre iamais retombe. Amyot (Vie de Romulus), traduisant Plutarque qui dcrit les lupercales : Cela fait, on couppe les peaux de chevres, et en faict lon des courroyes, quilz prennent en leurs mains, et sen vont courans par la ville [Rome] tous nuds, fors quilz ont un linge ceinct devant leur nature, et frappent avec ces courroyes ceulx quilz rencontrent en leur chemin [ , , ]. Euphmisme emprunt au latin et dont voici un exemple chez Cicron (De Diuinatione) : Parere qu-dam matrona cupiens dubitans, essetne prgnans, uisa est in quiete obsignatam habere naturam. Rettulit. Negauit eam, quoniam obsignata fuisset, concipere potuisse. At alter prgnantem esse dixit; nam inane obsignari nihil solere. Une matrone dsirant un enfant ntait pas sre dtre enceinte ; or elle rva pendant son sommeil quelle avait le sexe scell. Elle rapporta ce songe. Linterprte considra que, puisquelle avait le sexe scell, elle ne pouvait avoir conu. Mais un autre interprte dit quelle tait enceinte, car, gnralement, on ne scellait pas un rcipient vide. (trad. J. Scheid et G. Freyburger, Paris, 1992) On scellait les amphores de vin (avec de la poix, de largile ou du pltre) et la correspondance (avec de la cire).86 87 88

sans quelle ressente quoi que ce soit dont il aurait t sil navait pas eu ses amis perdu de rputation (cf. Scandalize My Name) ; autre exemple chez Brantme :Jay oy parler dune dame qui fort sujette songer et resver toutes les nuits, quelle disoit la nuict tout ce quelle faisoit le jour, si bien quelle-mesme sescandalisa lendroit de son mary, qui se mit lour parler, gazouiller et prendre pied ses songes et resveries, dont aprs mal en prit elle.

Jay veu de grands personnages blasmer grandement nos rois anciens, comme Louis Hutin et Charles le Bel89, pour avoir fait mourir leurs femmes : lune, Marguerite, lle de Robert, duc de Bourgogne ; et lautre, Blanche, lle dOthelin90, comte de Bourgogne ; leur mettans sus91 leurs adulteres ; et les rent mourir cruellement entre quatre murailles, au Chasteau-Gaillard, et le comte de Foix en t de mesmes Jeanne dArthoys92. Sur quoy il ny avoit point tant de forfaits et de crimes comme ilz le faisoient croire ; mais messieurs se faschoyent93 de leurs femmes, et leur mettoyent sus ces belles besognes, et en espouserent dautres.

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il sagit de deux des ls de Philippe IV dit le Bel : Louis X dit le Hutin ( le querelleur , surnomm aussi le Noiseux) [1289-1316] : sa 1re pouse, Marguerite de Bourgogne [1290-1315], compromise dans le scandale de la Tour de Nesle, retrouve morte dans sa cellule Chteau-Gaillard (aux Andelys, dans lEure); Charles IV dit le Bel [1294-1328] : sa 1re pouse, Blanche de Bourgogne [v.1296-1326], belle-sur de Marguerite de Bourgogne, compromise dans le scandale de la Tour de Nesle et condamne en 1322 pour adultre, morte labbaye de Maubuisson. 90 Othon IV de Bourgogne 91 leur reprochant ; l o nous disons Qui veut noyer son chien laccuse de la rage , Eustache Deschamps crit : Qui son chien het, on li met sus la raige. 92 Gaston II de Foix-Barn [1308-1343] outr des dportements de sa mre, Jeanne dArtois [1289-1350 ?], obtint de Philippe de Valois, en 1331, un ordre dinternement au Chteau-Gaillard (tienne Vaucheret). Selon dautres sources, Jeanne dArtois aurait t emprisonne au chteau de Foix, puis Orthez, Lourdes et Carbonne, ce qui parat plus vraisemblable. 93 voir note 79 se fascher de se lasser de chair Comme de frais94, le roy Henry dAngleterre t mourir sa femme et la dcapiter95, Anne de Boulan96, pour en espouser une autre, ainsi quil estoit fort sujet au sang97 et au change de nouvelles femmes. Ne vaudroit-il pas mieux quils les repudiassent selon la parole de Dieu, que les faire ainsi cruellement mourir ? Mais il leur en faut de la viande fraische ces messieurs, qui veulent tenir table part sans y convier personne, ou avoir nouvelles et secondes femmes qui leur apportent des biens aprs quilz ont mang98 ceux de leurs premieres, ou nen ont eu assez pour les rassasier ; ainsi que t Baudouin99, 2e roy de Jerusalem, qui faisant croire sa premiere femme quelle avoit paillard100, la repudia pour prendre une lle du duc de Malyterne101, parce quelle avoit un dot102 dune grand somme dargent, dont il estoit fort necessiteux103. Cela se trouve en lHistoire de la Terre Sainte. Il leur sied bien104 de corriger la loy de Dieu et en faire une nouvelle, pour faire mourir ces pauvres femmes.

il y a peu, rcemment nouvelle occurrence dhystron protron : Henry VIII t mourir sa femme et [ cette n] la (t) dcapiter 96 le nom dAnn Boleyn [1501 ou 1507-1536] scrivait aussi Bullen et Boullan 97 tant trs sanguinaire 98 dissip , mais mang amne rassasier 99 Je men rapporte aux commentateurs qui ont tous not la confusion commise par lauteur entre Baudoin Ier et Baudoin II. 100 men une vie de dvergonde ; le verbe est attest depuis la Ballade dite de la Grosse Margot ( De paillarder tout elle me destruyt, En ce bordeau ou tenons nostre estat ). Tir de paillard , lui-mme driv de paille , le paillard tant proprement le gueux couchant sur la paille explique TLFi (cest moi qui souligne) ; mais je serais port croire94 95

que lassociation qui prime est celle avec paillasse (sac de toile bourr de paille, servant de matelas ou de lit). On en est rduit interprter la phrase comme voulant dire que Baudoin a russi faire admettre sa femme que la conduite de celle-ci ( linsu de lintresse) constituait un manquement la foi conjugale ; si tel est le sens, nous sommes en pleine casuistique. 101 Mlitne, aujourdhui Eski Malatya (en turc, eski signie ancien, vieux ) 102 dot est du masculin jusqu lpoque classique : Blise, dans les Femmes savantes, lemploie au fminin ( Veuillez, au lieu dcus, de livres et de francs, Nous exprimer la dot en mines et talents ), mais il nen est pas de mme dans lcole des femmes (le notaire : Lordre est que le futur doit douer la future Du tiers du dot quelle a ) ni dans lAvare (Harpagon Frosine : Cest une raillerie, que de vouloir me constituer son dot de toutes les dpenses quelle ne fera point ). 103 dont il avait grand besoin : Vous ne me parlez point assez de vous : jen suis ncessiteuse, comme vous ltes de folies Mme de Svign, 24 avril 1671. TLFi cite le Journal de Lon Bloy en 1906 : Les religieuses navaient pas encore t remplaces par des employs municipaux tels que ce portier bel-esprit, ncessiteux de gies et de coups de pieds dans le cul . Cet exemple nest pas isol dans luvre du polmiste, qui parle, dans ce passage dUn brelan dexcommunis (1889) [o ladjectif est substantiv], dun recueil de Verlaine, le plus grand pote qui leur [aux bons catholiques] ait apport son cur depuis cinq ou six cents ans :

Brantme procde par antiphrase et ironise : Il est malsant de leur part (It ill becomes them), et, en modernisant, a leur va bien ! 104

Le roy Louis le Jeune105 nen t pas de mesme lendroit de Leonor106, duchesse dAquitaine, qui, soubonne dadultere, possible faux107, en son voyage108 de Syrie, fut repudie de luy seulement109, sans vouloir user de la loy des autres, invente et pratique plus par autorit110 que de droit et raison : dont sur ce il en acquist plus grande reputation que les autres rois, et tiltre111 de bon, et les autres de mauvais, cruels et tyrans ; aussi que dans son ame il avoit quelque remords de conscience dailleurs ; et cest vivre en chrestien cela ! Voire que les payens romains112, la pluspart sen sont acquittez de mesme plus chrestiennement que payennement, et principalement aucuns empereurs, desquels la plus grande part ont est sujets estre cocus, et leurs femmes trs-lubriques et fort putains ; et, tels cruels113 quilz ont est, vous en lirez force qui se sont defaits de leurs femmes plus par repudiations que par tueries de nous autres chrestiens114. Louis VII [1120-1180] Alinor dAquitaine [ 1204], plus rarement lonore de Guyenne, Eleanor of Aquitaine en anglais ; les lucubrations rpandues propos de lorigine du nom montrent lvidence que ltymologie en est, lheure actuelle, inconnue. Pour mmoire : Guyenne (attest depuis 1258-1259), est ladaptation de la forme occitane (gasconne) issue dAquitania, sans tymologie. 107 peut-tre tort 108 le voyage en question est une expdition militaire : la deuxime croisade (1145-1149) 109 fut rpudie, sans plus, par le roi 110 le sens est ici assez proche d abus de pouvoir 111 la forme la plus ancienne est title (do langlais title ; de son ct, lallemand a Titel comme le nerlandais a titel), emprunt du latin ttlu(m) qui est aussi ltymon du castillan tilde (avec mtathse) ; voir la nale de la srie aptre, chapitre, ptre apostolum, capitulum, epistulam (langlais a apostle et epistle). 112 Dautant que chez les Romains, qui taient paens 113 tienne Vaucheret : Si cruels quils aient t 114 Mrime et Lacour :105 106

Il y a ici une trange ellipse. Lauteur veut dire que les empereurs romains rpudiaient leurs femmes au lieu de les tuer comme font quelques chrtiens.

Jules Cesar ne t autre mal sa femme Pompea, sinon la repudier, laquelle avoit est adultere de P. Claudius115, beau jeune gentilhomme romain, de laquelle estant eperdument amoureux, et elle de luy, espia116 loccasion quun jour elle faisoit un sacrice en sa maison, o il ny entroit que des dames117 : il shabilla en garce118, luy qui navoit encore point de barbe au menton, qui, se meslant de chanter et de joer des instrumens119, et par ainsi120, passant par cette monstre121, eut loisir de faire avec sa maistresse ce quil voulut ; mais, estant cogneu122, il fut chass et accus ; et par moyen dargent et de faveur il fut absous123, et nen fut pas autre chose124. Ciceron y perdit son latin125 par une belle oraison126 quil t contre luy. Il est vray que Cesar, voulant faire croire127 au monde qui luy persuadoit sa femme innocente, il respondit quil ne vouloit pas que seulement son lict fust tach de ce crime, mais exempt de toute suspicion128. Cela estoit bon pour en abbreuver129 ainsi le monde ; mais,

dans son ame130, il savoit bien que131 vouloit dire cela : sa femme avoir est ainsi trouve avec son amant ; si que, possible, luy avoit-elle donn cette assignation et cette commodit132 : car, en cela, quand la femme veut et desire, il ne faut point que lamant se soucie dexcogiter133 des commoditez, car elle en trouvera plus en une heure que tous nous autres saurions faire en cent ans ; ainsi que dit une dame de par le monde, que je say qui dit son amant : Trouvez moyen seulement de men faire venir lenvie, jen trouverai prou pour en venir l134. 115 116 117

Publius Clodius Pulcher (v.92 av. J.-C.-52 av. J.-C.), dmagogue. guetta il ne sagit pas dun sacrice mais dune crmonie religieuse et Clodius commet un sacrilge en participant, travesti en femme (cum ueste muliebri), un rituel le culte de la Bona Dea do sont exclus, mme en egie, les tres humains de sexe masculin et animaux de sexe mle. 118 en jeune lle (par opposition dames qui prcde) ; garce est le fminin de gars, ancien cas sujet de garon. Synthse lart. garon du TLFi :En a. fr., les termes qui servent dsigner le jeune homme semblent se rpartir entre deux catgories : bacheler (v. bachelier) et damoiseau qui mettent laccent sur le jeune ge, tandis que valet et garon font ressortir lorig. sociale ; lenfant noble est appel valet, lenfant de couche sociale infrieure, garon (souvent terme dinjure, cf. garce).

Quant ltymologie du terme, je renvoie louvrage (dj cit) de Louis Guinet, p. 30. 119 participant aux chants et aux concerts dinstruments (Clodius stait dguis en psaltria/, joueuse de cithare ou plus probablement de harpe) 120 de cette faon, par ce moyen 121 (se prononait montre) grce ce spectacle 122 reconnu 123 relax, acquitt 124 il ny eut aucune autre consquence (fcheuse pour Clodius) 125 en ancien franais, latin voulait dire : langage ; langue, idiome, parler, jargon ; discours, propos ; ce quon a dire, pense, rexion ; gazouillement, gazouillis des oiseaux ; (au plur.) nesses, subtilits ; science (daprs A. J. Greimas). Lexpression perdre son latin (en parlant des oiseaux) demeurer muet apparat en 1338 dans lincipit des Vux du Hron ( En le mois de septembre quests va declin, Que chil oiseillon gay ont perdu leur latin ), do y perdre son latin rester coi, interdit, sans voix, tre court dexplication ou dexpression, renoncer comprendre en 1558 dans lApologie pour Hrodote, o Henri Estienne parle dun personnage qui usa dune comparaison fort subtile pour prouver un point o tous les docteurs ont perdu leur latin. Latinus est pass dans dautres langues avec le sens de langue, idiome, parler, jargon , p. ex. en vieil-anglais : Spasmus t ys on re ledene hneccan sr , , that is in our language, a pain at the back of the neck (dans notre langue, un torticolis) et Chaucer emploie leden pour dire langage, gazouillis :This faire kynges doghter Canacee, That on hir fynger baar the queynte ryng, Canace, cette belle fille du roi, qui portait au doigt cet anneau trange

Thurgh which she understood wel every thyng grce auquel elle comprenait parfaitement That any fowel may in his leden seyn, tout ce quun oiseau pouvait dire dans son langage And koude answeren hym in his ledene ageyn... et tait capable de lui rpondre dans ce langage

De mme, en vieil espagnol, ladino est glos el que sabe otra lengua lenguas ademas de la suya . Cest la locution en son latin qui a t la plus durable et la plus rpandue, grce au topos sur le chant des oiseaux (Guido Cavalcanti e cantin[n]e gli auselli / ciascuno in suo latino / da sera e da matino ). Cela dit, Brantme plaisante en dtournant un clich et veut dire que Cicron se donna du mal en pure perte. Remarque Driv intressant de latin, le latinier tait un interprte (le terme apparat dabord chez Wace, dans le Roman de Rou ; on le rencontre chez Marie de France, Joinville, Froissart). Dans le Domesday Book, certains personnages ont droit la qualication de latinarius et dautres la variante latimarus : Radulfus Latimarus [Raoul, interprte], of Essex. Do des noms de famille tels que Latimer, Lattimore, Latomer, Lanter, etc. dans les pays anglophones, Latimier, Latinier dans les pays francophones. 126 discours, plaidoirie (cest un latinisme : oratio) 127 tienne Vaucheret : donner le change 128 Lors du procs intent Clodius, Csar, cit comme tmoin et qui, dans lintervalle, a rpudi Pompia, dpose quil navait aucune connaissance des faits imputs laccus ; cette dclaration ayant paru trs trange (dit Plutarque), laccusateur lui demanda pourquoi donc il stait spar de son pouse : , , Parce que, rpondit-il, jai estim que la mienne ne devait mme pas tre lobjet de soupons. Do : la femme de Csar doit rester au-dessus de tout soupon. 129 Nicot (1606) : on dit par metaphore, Abbreuver aucun de quelque opinion ou persuasion, pour le remplir, imbuer et outrer de telle opinion ou persuasion induire en erreur, tromper 130 en son for intrieur 131 ce que 132 tant et si bien quelle lui avait peut-tre x ce rendez-vous et fourni ce moyen 133 faire leort dimaginer, inventer (latinisme : excogitare) 134 Brantme a dj cit cette rexion dans la Ire partie du Livre des Dames. venir l : euphmisme pour faire lamour Cesar aussi savoit bien combien vaut laune de ces choses l, car il estoit un fort grand ruffian135, et lappeloit-on le coq toutes poules136 ; et en t force cocus en sa ville137, tesmoing le sobriquet que luy donnoyent ses soldats son triumphe : Romani, servate uxores, mchum adducimus calvum. Romains, serrez138 bien vos femmes, car nous vous amenons ce grand paillard et adultere de Cesar le chauve, qui vous les repassera toutes139. Voil donc comment Cesar, par cette sage response quil t ainsi de sa femme, il sexemta140 de porter le nom de cocu quil faisoit porter aux autres ; mais, dans son ame, il se sentoit bien touch.135

au sens propre, un ruf(f)ian tait un proxnte (ln), un souteneur, mais ici le

divin Jules est seulement trait de dbauch. Attest depuis le XIVe s., le mot est emprunt litalien :Cos parlando il* percosse un demonio de la sua scuriada, e disse : Via, ruffian ! qui non son femmine da conio. *(il sagit de Venedico Caccianemico) Inferno, XVIII, 64-66

Alors quil parlait ainsi un dmon le frappa de sa lanire de cuir et lui dit : Va-ten, maquereau ! ici, il ny a pas de femmes que tu puisses vendre. (femmine da conio : sens controvers ; lexpression a toutes les chances dtre polysmique)

Dion Cassius (XLII, 34,3) nous montre Cloptre dcouvrant que le temprament de Csar , , , , tait trs libidineux et quil avait possd de trs nombreuses femmes, toutes celles sans doute dont la route avait crois la sienne il tait trs-enclin lamour et avait eu commerce avec la plupart des femmes que le hasard lui avait fait connatre (tienne Gros (1856) et V. Boisse, tome V (1861), p. 69) she discovered his disposition (which was very susceptible, to such an extent that he had his intrigues with ever so many women with all, doubtless, who chanced to come in his way) (Earnest Cary, on the basis of the version of Herbert Baldwin Foster, vol. IV (1916), p. 167). 136 il est dicile de dterminer si lexpression est de Brantme ; elle se retrouve dans la traduction, De lincertitude, vanit, & abus des sciences ch. LXIII (Des Putains), 1630, p. 264, que Louis Turquet de Mayerne [ 1618] a donne de louvrage de Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim (le texte original dit : Quin & cum Csarem dictatorem uirum strenuissimum hanc ob causam omnium mulierum uirum nuncupatum, sans plus, ce qui nest gure imag). 137 Rome, bien sr, mais Brantme pense urbs ; cf. la bndiction urbi et orbi, que tant de commentateurs expliquent tous les ans de travers. 138 enfermez 139 citation (faite de mmoire ?) et traduction de Brantme approximatives Urbani, seruate uxores, mchum* caluum adducimus. * cf. Aurum in Gallia eutuisti : hic sumpsisti mutuum. (cit par Sutone) Citadins, surveillez vos femmes : nous amenons le dragueur chauve. Tu as bais en Gaule avec lor que tu as emprunt ici. (trad. Alain Canu)140

graphie qui rete la prononciation /gzte/

Octavie Cesar141 repudia aussi Scribonia pour lamour142 de sa paillardise sans aucune autre chose, et ne luy t autre mal, bien quelle eust raison de le faire cocu, cause dune infinit de dames quil entretenoit143 ; et devant leurs marys publiquement les prenoit table aux festins quil leur faisoit, et les emmenoit en sa chambre, et, aprs en avoir fait144, les renvoyoit, les cheveux defaits un peu et destortillez145, avec les oreilles rouges, grand signe quelles en venoyent ! lequel je navoys oy dire propre pour descouvrir que lon en vient, oy bien le visage, mais non loreille. Aussi lui donna-on la reputation destre fort paillard ; mesmes Marc-Anthoine luy reprocha ; mais il sexcusoit quil nentretenoit point tant les dames pour la paillardise que pour descouvrir plus facilement les secrets de leurs maris, desquels il se meioit.

141 142 143 144 145

il sagit de lempereur Auguste, dont Scribonia fut la 3e pouse cause de, en raison de avec lesquelles il avait des relations sexuelles une fois quil en avait ni avec elles antonyme dentortills : lenroulement des boucles et frisures a souert

Jay cogneu plusieurs grands et autres qui en ont fait de mesmes et en ont recherch les dames pour ce mesme sujet, dont sen sont bien trouvez ; jen nommerois bien aucuns ; ce qui est une bonne nesse, car il en sort double plaisir. La conjuration de Catilina fut ainsi descouverte par une dame de joye146. femme de joie est attest depuis le XIIIe s., lle de joie depuis le XIVe ; dame de joye est propre Brantme. Selon Salluste, la conjuration fut rvle par Fulvia, matresse de longue date de Q. Curius : Erat ei cum Fuluia, muliere nobili, stupri uetus consuetudo. 146

Ce mesme Octavie sa lle Julia, femme dAgrippa, pour avoir est une trs-grande putain, et qui luy faisoit grande honte (car quelquesfois les lles font leurs peres plus de deshonneur que les femmes ne font leurs marys), fut une fois en deliberation de147 la faire mourir ; mais il ne la t que bannir, luy oster le vin et lusage des beaux habillemens, et duser de pauvres, pour trs-grande punition, et la frequentation des hommes : grande punition pourtant pour les femmes de cette condition, de les priver de ces deux derniers points !147

dcid, rsolu

Cesar Caligula, qui estoit un fort cruel tyran, ayant eu opinion que sa femme Livia Hostilia148 luy avoit drob quelques coups149 en robe et donn son premier mary C. Piso, duquel il lavoit oste par force, et luy, encore vivant, luy faisoit quelque plaisir et gracieuset de son gentil150 corps, cependant quil estoit absent en quelque voyage, nusa point en son endroit de sa cruaut accoustume, ains la bannit de soy seulement, au bout de deux ans quil leut oste son mary Piso et espouse. Il en t de mesme Tullia151 Paulina, quil avoit oste son mary C. Memmius : il ne la t que chasser, mais avec defense expresse de nuser nullement de ce mestier doux152, non pas seulement 153 son mary : rigueur cruelle pourtant de nen donner son mary ! Jay oy parler dun grand prince chrestien qui t cette deence une dame quil entretenoit154 et son mary de ny toucher, tant il en estoit jaloux. Claudius155, ls de Drusus Germanicus, repudia tant seulement156 sa femme Plantia Herculalina157 pour avoir est une signale158 putain, et, qui pis est, pour avoir entendu quelle avoit attent sur sa vie ; et, tout cruel quil estoit, encore que ces deux raisons fussent assez bas-

tantes159 pour la faire mourir, il se contenta du divorce. elle sappelait Liuia Orestilla selon Salluste, Cornelia Orestilla selon Dion Cassius. rapport sexuel avec un(e) partenaire ; en robe en cachette, sous cape, en douce ( si josasse jurer quelque petit coup en robe, cela me soulageroit dautant , dit Panurge, exaspr par les rponses vasives de Trouillogan) drober et robe sont proches parents : lancien-franais rober faire du butin, dpouiller, piller, voler vient dune forme germanique qui se retrouve dans lallemand rauben, le nerlandais roven, langlais to reave et to bereave, et le sens initial de robe est butin . Si lon remonte lindo-europen, les formes germaniques sont apparentes au latin rumpre (avec nasale inxe, cf. rp, ruptum) pntrer de force, faire irruption . 150 noble 151 Lollia Paulina 152 le bas mestier, le petit mestier taient des priphrases pour les relations sexuelles 153 non pas mme avec 154 voir note 143 155 lempereur Claude, qui a eu quatre pouses : Plautia Urgulanilla, lia Ptina, Valeria Messalina ( Messaline , dont il va tre question), et sa nice Agrippina (mre de Nron) 156 attest depuis Chrtien de Troyes 157 Plautia Urgulanilla 158 insigne, remarquable : italianisme de frache date (1557) ; lemploi de segnalato est un vritable tic de langage chez Bandello 159 amplement susantes 148 149

Davantage160, combien de temps porta-il161 les fredaines et sales bourdeleries162 de Valleria Messalina, son autre femme, laquelle ne se contentoit pas de le faire avec lun et lautre dissolument et indiscretement163, mais faisoit profession daller164 aux bourdeaux sen faire donner165, comme la plus grande bagasse166 de la ville ; jusques l167, comme dit Juvenal, quainsi que son mary estoit couch avec elle, se deroboit168 tout bellement169 dauprs de luy le voyant bien endormy, et se deguisoit le mieux quelle pouvoit, et sen alloit en plain170 bourdeau, et l sen faisoit donner si trs-tant171 et jusques quelle en partoit plustost lasse que saoule et rassasie172. Et faisoit encor pis : pour mieux se satisfaire et avoir cette reputation et contentement en soy destre une grande putain et bagasse, se faisoit payer et taxoit173 ses coups et ses chevauches, comme un commissaire174 qui va par pas, jusques la dernire maille175.160 161 162

en outre ; davantage est la forme agglutine de de + avantage supporta-t-il des bourdelleries sont des dbauches dignes dun bordel Une borde est, avant tout, une cabane en planches (le mot est un lointain parent de langlais board planche ), do grange ; btisse ; petite mtairie (frquent en toponymie et, par consquent, trs prsent dans les noms de famille : Laborde, Desbordes, Bordier, Borderie, etc.), diminutif

bordel, p. ex. dans le Roman de Rou, de Wace :A pi est e sainz armes en un bordel entrez, U uns fuluns maneit, dedenz sest resconsez. pied et sans armes, (le comte Jbles de Poitiers) est entr dans une petite chaumire o habitait un foulon et sy est cach

Le sens na pas tard se restreindre celui de lieu de prostitution . Variantes comportant un -ou- radical et/ou un autre suxe ; do bourdeau, qui suit. 163 sans retenue, sans frein 164 se rendait ouvertement 165 euphmisme ancien :De femme qui faict la grimasse, Quand son mary va a la chasse, Et, lattendant, sen faict donner, Gardez vous dy estre tromp.166 167 168 169 170

(Legende des Femmes, strophe 11)

prostitue , emprunt loccitan tel point schappait tout doucement, sans hte, sans bruit confusion frquente entre plain (de plnum ; it. piano, esp. llano) et plein (de plnum ; it. pieno, esp. lleno), dautant quil y a parfois collision homonymique 171 trs-tant se trouve dj chez Pathelin, lavocat disant au drapier qui lui fait larticle propos dun drap de Rouen : la couleur Men plaist tres-tant, que cest douleur. 172 Brantme, qui adapte tant bien que mal un des morceaux danthologie de Juvnal, rend ici un des vers les plus cits du pote, montrant Messaline sortant du lupanar (o elle ociait sous le nom de Lycisca/ la chienne-louve , forme prob. lorigine du mot lice ) et que les hommes ont recrue mais toujours pas repue , et lassata uiris necdum satiata recessit. 173 xait un tarif (ses prestations) 174 un commissaire est celui que lon commet (nomme, dsigne) une fonction dtermine (cf. avocat commis doce) ; cela est bel et bon, mais laquelle ? les commentateurs nen disent mot, quelles que soient leurs raisons : il sagit ici du commissaire des pauvres, bourgeois que lon commet pour recueillir les deniers de la taxe faite par le bureau gnral des pauvres , dsign par les marguilliers (la fabrique de la paroisse, do leur autre nom de fabriciens). Ctait le premier degr des honneurs bourgeois. Qui dit recueillir les deniers, dit recouvrement, fonction qui ne va pas de pair avec la popularit. En 1618, Thophraste Renaudot fut nomm par lettrespatentes commissaire des pauvres valides et invalides dans tout le royaume. 175 Quand la livre tait lunit montaire, elle se subdivisait en vingt sous et chaque sou en douze deniers : une maille valait un demi-denier, soit 1/480e de livre. (Il nous reste lexpression avoir maille partir [= partager] avec quelquun .) Le commissaire recouvrait jusquau dernier centime. Jay oy parler dune dame de par le monde, dassez chere estoe176, qui quelque temps t cette vie, et alla ainsi aux bourdeaux dguise, pour en essayer la vie et sen faire donner177 ; si que le guet178 de la ville, en faisant la ronde, ly surprit une nuict. Il y en a dautres qui font ces coups que lon sait bien.

de trs haute condition : Et jusque-l la lle navoit fait Grand cas des gens de mme toe quelle (La Fontaine) 177 Un manuscrit (BnF, Ms. fr. 22565, fo41 vo), cit par Bouchot et par Vaucheret, mentionne les paroles dune chanson qui pourrait se rapporter la dame en question : On void Simonne / Proumener aux bordeaux / Matin, soir, nonne, / Avec ses macquereaux. 178 au mme titre que les sergents pied du Chtelet, les sergents du guet (placs sous lautorit du prvt, rpartis par quartiers et dizaines dans la capitale) assumaient un rle de police ; mais eux seuls assuraient des rondes de nuit. (Dans ces expressions, sergent nest pas un grade.)176

Bocace, en son livre des Illustres malheureux179, parle de cette Messaline gentiment180, et la fait alleguant ses excuses en cela, dautant quelle estoit du tout 181 ne cela, si que182 le jour quelle nasquit ne fut en certains signes du ciel qui lembraserent et elle et autres183. Son mary le savoit, et lendura long-temps, jusques ce quil sceut quelle sestoit marie sous bourre184 avec un Caius Silius, lun des beaux gentilshommes de Rome. Voyant que cestoit une assignation sur sa vie185, la t mourir sur ce sujet186, mais nullement pour sa paillardise, car il y estoit tout accoustum la voir, la savoir et lendurer. Dans ses Rodomontades espaignoles, Brantme rapporte lanecdote suivante qui a pour hros Charles-Quint :179

Or, faut noter que, quelque temps aprs, lempereur Charles sestant sorti de son Espaigne, et mis en campaigne, il produisit tant de braves fruicts de luy et de sa valeur, que les soldats espaignols se mirent dire en riant parmy eux : Juro Dios, que aora no somos mas soldados del emperador hornero, mas del emperador guerrero [Parbleu, nous ne sommes plus maintenant soldats de lempereur boulanger, mais de lempereur guerrier]. Et, certes, il lestoit, et trs-bon : aussy le pensoit-il bien estre, ainsy quil se vanta, son retour du voyage [expdition militaire] de la Gollette [la Goulette, Halq al-Wd, prs de Tunis, en 1535] Rome, devant Sa Sainctet [Paul III, Alessandro Farnese] et tout le sainct [sacr] college des cardinaux, o il deschira [calomnia] si bien le roy Franois [Ier], et le menaa, jusques dire : Yo lo forzar y meter tal punto de guerra, que servir para acabar el postrero captulo de los ilustres desdichados de Bocacio [Jexercerai sur lui une telle contrainte et le mettrai dans un tel embarras de guerre quil servira conclure le dernier chapitre des Illustres Malheureux de Boccace]. Dautant que [En eet] Bocace en a fait un livre, o il exprime la grandeur daucuns grands, et leur dclinaison [dclin] par aprs.

La formule qui, lpoque, tait une rfrence, sest ensuite aadie en clich. Louvrage en latin de Boccace, De Casibus uirorum illustrium [chez Chaucer, sert de sous-titre au Conte du Moine : For certein, whan that Fortune list to flee, Ther may no man the cours of hire withholde], sur le thme des vicissitudes de fortune [car fortune a coustume de abattre jus et de desrocher presque tous ceux quelle a elevs au haut degr de sa roue], eut un trs grand retentissement en Europe ; il a t traduit en franais, dans la version la plus connue ( Des Nobles maleureux / Des Nobles hommes et femmes infortunez , 1400 et 1409), par Laurent Guillot de Premierfait [ 1418] ce texte servant de base luvre de John Lydgate, The Fall of Princes et en espagnol ( Los acaecimientos & casos de la Fortuna que ovieron muchos prncipes & grandes seores = Cada de prncipes , traducida de latn al castellano por don Pedro Lpez de Ayala y

continuada por don Alfonso Garca). 180 . Vaucheret : de manire lgante ; gentiment remonte gentil (picne) + -ment 181 entirement, tout fait 182 du fait que, tant donn que 183 Boccace (VII, III : Tristes quidam et Tyberii Cesaris atque Gai Caligule iurgium cum Valeria Messalina) imagine une altercation (iurgium) entre Tibre, Caligula et Messaline, cette dernire rpondant aux deux hommes qui lui reprochent sa dpravation par largument de la prdisposition induite par son thme astrologique de naissance :Memini et meminisse iuvat percontanti Barbato [Valerius Messala Barbatus, pre de Messaline] de nativitate mea mathematicum [un astrologue] respondisse: Dum hec tibi, Messala, nata est, gemina Latone proles in vestrum orbem chelibus detenta surgebat ab infero, quam hostem tenens Orionis Athlantiades sequebatur celique medium hiulco Draconis capiti Martique suo iuncta Cytharea tenebat et suis in Piscibus Iovem atque infelicem cum Ganimede senem celi vertigo in noctem profundissimam rapiebat, quibus agentibus, omnis etherea compago ruere videbatur in Venerem. Il me souvient dune chose qui me delite a recorder [me plat voquer], cestassavoir que ung astronomien [astrologue] en respondit a mon pere Messala, quant il enqueroit de ma nativit [horoscope] et des inclinacions [propensions] que le ciel me donnoit. Certes dist celluy astronomien mon beau sire Messala quant ceste tienne fille Messalina fut ne le soleil et la lune avoient leur naissement ou ciel par devers orient et se eslevoient de bas en hault selon lessaulcement du ciel. Le soleil et la lune estoient ou siege de la Balance qui est compose de deux parties, cestassavoir des piez de la Vierge et des bras de le Scorpion qui sont deux estoilles ou ciel. Apres le soleil et la lune venoit la planete de Mercure qui tenoit une estoille que len nomme lennemy de Orion qui est empres les piedz du Toreau qui est des douze signes du zodiaque. Et la planete Venus avoit son cours par le milieu du ciel et si estoit conjointe a la planete de Mars son amy. Et la planete de Jupiter qui est ou signe des Poissons gouvernoit le tournoiement du ciel jusques en la nuyt tresparfonde qui est a douze heures apres midi. Et aussi faisoit la planete de Saturne quant de soy est mauvaise et demouroit ou signe de Ganimedes que len nomme Aquarius [Verseau]. Et selon les planetes et les signes dessusdictz il sembloit que tout le ciel tombast en la planete Venus, cest adire que Venus avoit la seignourie et linfluance en ce monde plus que quelconques aultres planetes ou estoilles du ciel. Je suis doncques nee soubz telle constellacion que le ciel me constraint aux oeuvres de luxure. Laurent Guillot de Premierfait, traduction /adaptation de 1409, dans ld. dAnthoine Vrard de 1494.

clandestinement, en secret (bourre poil pais de certains animaux ) Mrime et Lacour : cest--dire que ce mariage secret indiquait un complot contre sa vie 186 pour ce motif 184 185

Qui a veu la statu187 de ladite Messaline, trouve ces jours passez en la ville de Bourdeaux advoera quelle avoit bien la vraye mine de faire une telle vie. Cest une medaille188 antique, trouve parmy aucunes ruines, qui est trs-belle, et digne de la garder189 pour la voir et bien contempler. Cestoit une fort grande femme, de trs-belle haute taille, les beaux traits de son visage, et sa coiure tant gentille190 lantique romaine, et sa taille trs-haute191, dmonstrant bien quelle estoit ce quon a dit : car, ce que je tiens de plusieurs philosophes, medecins et physionomistes192, les grandes femmes sont cela volontiers inclines193, dautant quelles sont hommasses194 ; et, estant ainsi, participent des chaleurs de lhomme et de la femme ; et, jointes ensemble en un seul corps et sujet, sont plus violentes et ont plus de force quune seule : aussi qu195 un grand navire, dit-on, il faut une grande eau pour le

soustenir davantage, il faut une grande eau pour le soutenir. Davantage, ce que disent les grands docteurs en lart196 de Venus, une grand femme y est plus propre197 et plus gente quune petite. allusion probable une statue trouve en 1594 aux environs de Bordeaux ; Louis XIV layant rclame pour Versailles, la statue fut charge sur un chaland qui sombra en pleine Garonne en octobre 1686. 188 medaille (emprunt litalien medaglia) pour dsigner une statue est, ma connaissance, sans autre exemple 189 digne dtre garde ; mrite dtre conserve 190 tienne Vaucheret : gracieuse 191 de trs-belle haute taille sa taille trs-haute : si lon essaie de faire crdit Brantme en envisageant quil ny ait pas redite, il faut supposer que taille, dans le premier cas signie stature , et dans le second dsigne le corps humain depuis les paules jusquaux hanches, le buste ; cette dernire acception ntant pas enregistre avant 1657 [chez Scarron, dans le Romant comique :187

la Bouvillon, seule de sa troupe, demeura dans lhtellerie, se trouvant un peu fatigue ou feignant de ltre, outre que sa taille ronde ne lui permettoit pas de monter mme sur un ne, quand on en auroit pu trouver dassez forts pour la porter . (la Bouvillon was the only one in her group who stayed behind at the inn, being a little tired or pretending to be. Besides, her round shape would not have allowed her to ride, even a donkey, were it possible to find one strong enough to carry her. trad. Jacques Houis) On ne sait gure quil existe une comdie en cinq actes Ragotin, ou Le Roman comique (1684), uvre de La Fontaine et Champmesl, qui fut reprsente une dizaine de fois.]

il reste choisir entre modier la date de premire attestation de taille au sens de buste et accepter la redite chez notre auteur. 192 physiognomonistes La physiognomonie ( art de juger quelquun daprs son air, sa physionomie ), mentionne par Hippocrate, expose dans un trait longtemps attribu Aristote, tire son nom du compos , qui conjecture la nature dune personne, dun animal ou dune chose par sa mine, son air (le mot se trouve, par exemple, dans lpitaphe dEusthnos par Thocrite) ; le terme, attest depuis 1565, chez H. Estienne, est insparable de physionomie (1256 : phisanomie ; 1532, Marot : phizionomie) qui en rsulte par haplologie ou superposition syllabique. Physionomiste qui est ou se pr-

tend habile juger du caractre daprs la physionomie , quant lui, apparat en 1538 dans la 1re traduction (attribue Jacques Colin dAuxerre) du Libro del Cortegiano, IV, 57, de Castiglione ; lillustration ci-dessus est tire de la 2e trad. (Gabriel Chappuis, Lyon, 1580), qui ore lavantage de prsenter vis--vis original et traduction : come si vede, che i Fisionomi al volto conoscono spesso i costumi, & talhor i pensieri degli huomini comme lon voit, que les Physionomistes cognoissent souuent les murs par le visage, & quelquefois les pensees des hommes . 193 enclines, sujettes, portes cela ( faire lamour) 194 la 1re attestation dhommasse est indirecte : le Mesnagier de Paris (1393 env.) emploie ladverbe pjoratif hommassement, le mari-narrateur conseillant sa femme de ne pas suivre lexemple daucunes yvrongnes, foles ou non sachans qui ne tiennent compte de leur honneur ne de lonnestet de leur estat ne de leurs maris, et vont les yeulx ouvers, la teste espoventablement leve comme un lyon, leurs cheveulx saillans hors de leurs coiffes, et les colez de leurs chemises et cottes lun sur lautre et marchent hommassement et se maintiennent laidement devant la gent sans en avoir honte . Le mot fait une rapparition trs remarque sous la plume dOlivtan qui eut lide de rendre par lternel le Yahv de lAncien Testament dans sa traduction de la Bible (1535), Gense II, 23 quand Adam donne un nom la femme :A , Hc uocabitur Virago, quoniam de uiro sumpta est hc On appellera icelle Hommace, car elle a est prise de lhomme.

Le troisime jalon historique est le texte des Dames galantes. Remarque : uirago femme forte ou courageuse comme un homme (Ernout-Meillet ; cest moi qui souligne), cf. chez Plaute, Mercator (Le Marchand), II, 3, Demopho (le pre) sadressant Charinus (son ls) : Ego emero matri tu / ancillam uiraginem aliquam je me chargerai dacheter comme esclave pour ta mre quelque grosse lle robuste , Ill buy for your mother some stout wench of a female slave (Henry Thomas Riley, 1912). 195 de mme qu 196 laspect concret et pratique, la technique 197 apte Sur quoy il me souvient dun trs-grand prince que jay cogneu : voulant loer une femme de laquelle il avoit eu joissance, il dit ces mots : Cest une trs-belle putain, grande comme madame ma mere. Dont ayant est surpris sur la promptitude de sa parole, il dit quil ne vouloit pas dire quelle fust198 une grande putain comme madame sa mere mais quelle fust de la taille et grande comme madame sa mere. Quelquesfois on dit des choses quon ne pense pas dire, quelquesfois aussi sans y penser lon dit bien la verit. Exemple de discours indirect (oratio obliqua, disaient mes bons matres), avec concordance des temps, o le locuteur embarrass, sapercevant quil sest trahi, ne prend pas en charge ses propres dires et les rcuse, les vacue, par le biais de lirrel. Peut-tre louer est-il le mot dont lemploi surprend le plus dans ce contexte, dautant quil est le fait de lcrivain et non du personnage dont les propos sont rapports ; mais on fait les compliments quon peut.198

Voil donc comme il fait meilleur avec les grandes et hautes femmes, quand ce ne serait que pour la belle grace, la majest qui est en elles : car, en ces choses, elle y est aussi requise et autant aimable quen dautres actions et exercices ; ny plus ny moins que le manegge199 dun beau et grand coursier du regne200 est bien cent fois plus agreable et plaisant que dun petit bidet201, et donne bien plus de plaisir son escuyer ; mais aussi il faut bien que cet escuyer soit bon et se tienne bien, et monstre bien plus de force et adresse. De mesme se fautil porter lendroit des grandes et hautes femmes : car, de cette taille, elles sont sujettes daller dun air202 plus haut que les autres ; et bien souvent font perdre lestrieu203, voire laron, si lon na bonne tenu ; comme jay oy conter aucuns cavalcadours204 qui les ont montes et lesquelles font gloire et grand mocquerie quand elles les font sauter et tomber tout plat, ainsi que jen ay oy parler dune de cette ville, laquelle, la premiere fois que son serviteur coucha avec elle, luy dit franchement : Embrassez-moy205 bien et me liez vous206 de bras et de jambes le mieux que vous pourrez, et tenez-vous bien hardiment207, car je vays haut208, et gardez bien de tomber. Aussi, dun cost, ne mespargnez pas : je suis assez forte et habile pour soustenir vos coups, tant rudes soyent-ils ; et si vous mespargnez je ne vous espargneray point. Cest pourquoy beau jeu beau retour209. Mais la femme le gaigna210. comme lindique la prsence de la double consonne intrieure, cest remodel la franaise litalien maneggio dressage des chevaux ; mange nest pas attest avant 1611 (Cotgrave : The manage, or managing, of a horse lieu o lon exerce les chevaux ; action dexercer les chevaux ; manage vient de maneggio). 200 On disait et on crivait il Regno le Royaume (par excellence) , sans autre prcision, et il fallait comprendre il Regno di Napoli le royaume de Naples (sous domination espagnole de 1504 1707) . Ainsi, Rabelais montre (Gargantua, XLI) frre Jean des Entommeures arm de pied en cap, et mont sus un bon coursier du royaulme . Ronsard donne en quelque sorte la solution de lquation quand il crit, dans la prface de la Franciade : Tous ceux qui escrivent en carmes [en vers], tant doctes puissent-ils estre, ne sont pas potes. Il y a autant de dierence entre un pote et un versicateur quentre un bidet et un genereux coursier de Naples, et, pour mieux les accomparer, entre un venerable prophete et un charlatan vendeur de triacles [thriaque]. 201 petit cheval . Cotgrave : A small nag, or curtall. Attestation antrieure, dans une variante du Cinquiesme Livre (1564), la n du chap. XXVI : rebours de bidet [la tte vers la croupe du cheval] et contrepoil . 202 Littr, AIR2 11o : En termes de mange, allure du cheval. Airs bas, ceux o le cheval manie prs de terre ; airs relevs, ceux o le cheval senlve davantage. 203 ltrier (cf. anglais stirrup de strp, all. Stegreif, moyen-nerl. steegereep, vieilislandais stigreip) ; trivire a pour point de dpart estrief, estrieu. Brantme, dans son Discours sur les duels :199

Le roy Louis XI estoit maistre pass en telles choses [les coups fourrs] ; car si elles alloient bien il les advouoit, si mal il les desadvouoit et desnyoit [niait] comme un beau diable : tesmoing la guerre de Liege, quil suscita contre le duc Charles de Bourgoigne [le Tmraire]. Mais aussi il fit bien du fat [commit une bvue], et perdit lestrieu de son bon esprit, quand, ne sen souvenant pas, il fut attrap dans Peronne, et alla servir son vassal comme son valet.

Les mtaphores hippiques dans le vocabulaire rotique sont monnaie courante (voir plus haut piquer ). Cavalcadour est occitan et correspond chevaucheur (il ne sagit pas, ici, dcuyers cavalcadours) ; Philibert-Joseph LeRoux, dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial (d. de 1786, p. 192), fournit lexplication qui convient :204

Pour dire un homme qui satisfait vigoureusement une femme, un bon talon, un homme rude & infatigable au combat de Vnus, un bon sonneur

et, en outre, cite un exemple tir des Apresdisnes du Seigneur de Cholires (1587), uvre de Jean Dagon(n)eau, mort en 1623 [le passage se trouve dans lApresdisne VII : Des Vieillards et des jeunes enfans. Sils peuvent engendrer ] :

Cavalcadour appartient au vocabulaire libre quutilise volontiers Cholires (alors que Rabelais nutilise le terme, dans la Sciomachie, quau sens propre cuyer prpos aux chevaux de selle , le cavalcador du seigneur Robert [Roberto Strozzi], ce qui prsente un intrt pour la datation des sens ; Stanislas De lAulnaye a inclus cavalcadour dans les Erotica verba rabelaisiens, mais cela est mal venu) et quil partage avec Brantme. 205 serrez-moi fort dans vos bras, treignez-moi 206 accrochez-vous moi par les bras et les jambes

207 208 209

sans hsiter, solidement pour un cheval, aller haut cest se cabrer (Ludovic Lalanne) = bien attaqu, bien dfendu ; chacun trouve occasion de se venger son tour ; Acad. 1re d. (1694) : On dit prov. & g. A beau jeu, beau retour, pour dire, quon a bien eu sa revanche, quon a rendu la pareille , complter quon a bien eu sa revanche ou quon laura, quon a rendu la pareille ou quon la rendra . Expression en rapport avec le jeu de paume (courte paume, real tennis).Pendant la guerre quHenri II t en Italie, raconte Brantme, Amprs que le duc dAlbe desassiegea Sanjac [Santhi (origine: Sancta Agatha), Province de Vercelli, Rgion Pimont], M. le marechal Brissac ne fut pas plus heureux au siege de Coni [Cuneo (en pimontais : Coni), chef-lieu de province, Rgion Pimont] : si bien que, si les Franois leur reprochoient Sanjac, ils nous reprochoient Coni : beau jeu, beau retour, et ainsy ils se rendoient la jument [ils se renvoyaient la balle]. Le mme auteur dcrit une algarade survenue entre le cardinal de Lorraine et Michel de lHospital : Pour faire n [nalement], & lun & lautre vindrent fort se fascher devant Leurs Majestez, jusques outrages, reproches & dementis ; de sorte quelles leur rent commandement de leur taire ; mais ce fut aprs beau jeu beau retour. Jestois lors la cour Fontainebleau, & nous le sceusmes aussi-tost.

210

lemporta sur lui

Voil donc comme il faut bien adviser se gouverner211 avec telles femmes hardies, joyeuses, renforces212, charnus et proportionnes, et bien que la chaleur surabondante en elles donne beaucoup de contentement, quelquesfois aussi sont-elles trop pressantes pour estre si challeureuses. Toutesfois, comme lon dit : De toutes tailles bons levriers, aussi y a-il de petites femmes nabottes213 qui ont le geste, la grace, la faon en ces choses un peu approchante des autres, ou les veulent imiter, et si sont aussi chaudes et aspres la cure 214, voire plus (je men rapporte aux maistres en ces arts), ainsi quun petit cheval se remue aussi prestement quun grand ; et, comme disoit un honneste homme, que la femme ressembloit plusieurs animaux, et principalement un singe, quand dans le lict elle ne fait que se mouvoir et remuer. Jay fait cette digression en men souvenant ; il faut retourner notre premier texte.211 212 213

se comporter tienne Vaucheret : vigoureuses TLFi indique comme 1re attestation Cotgrave, 1611.

Or, comme on voit, le mot se trouve dj chez Brantme. Par consquent, il y a lieu de modier cette datation.214

mtaphore tire de la chasse courre et dont la saveur sest perdue : les bas morceaux du gibier abattu quon donnait en pture la meute (que des chiens devorans se dispu-

taient entre eux) taient tendus sur la peau dune bte frachement corche, la cure se donnant dans un cuir. Extrait du Livre du roy Modus et de la royne Racio (1486, Henri de Ferrires Saint-Hilaire et Denis dHormes. - Attribu aussi au comte Jean de Melun Tancarville) :Cy devise commant on doyt faire la curee aux chiens pour les cerfz Laprentis demande commant on doit faire la curee au chiens. Modus respond pren le foye du cerfz le poulmon et le jargel [gosier] et le cueur et soit descoupp par morceaulx sur le cuir et sur le sang qui est sur le cuir, et fay effondrer la pence et vuider et tres bien laver et puis descoupper sur le cuir avecques les aultres choses et soit la bouelle [boyaux] garde par puis prens dung pain et soit descoupper par morceaux et quil ait plus pain que char puis soit soublev le cuir hault aux mains dung chascuns cost et soit mesl ensemble es mains la char et le pain dedans le cuir et quant tout sera bien mesl si soit estandu le cuir terre, et soit ce dedant esparti sur le cuir puis doit on laiss aller les chiens manger sur le cuir la cure et quant ils aurons meng celluy qui tiendra la bouelle qui doit estre long au giet dune pierre

La tonalit dominante est celle davidit animale, bestiale, car aspre la cure voquait un chien ou une chienne.