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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 COUR DES COMPTES Rapport public particulier « Le Groupe CREDIT LYONNAIS exercices 1987 à 1993 » Octobre 1995

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

COUR DES COMPTES

Rapport public particulier

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Octobre 1995

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INTRODUCTION PREMIERE PARTIE : - DES RESULTATS PROFONDEMENT DEGRADES I. - Des résultats nets qui contrastent avec ceux des concurrents du Crédit Lyonnais II. - Des pertes dont les origines sont anciennes A. - Une rentabilité technique insuffisante, le produit net bancaire B. - Une rentabilité courante insuffisante, le revenu brut d'exploitation C. - Les provisions D. - Les opérations exceptionnelles DEUXIEME PARTIE. - LES CAUSES DES PERTES DU CREDIT LYONNAIS I. - La formulation de la stratégie de croissance II. - La mise en oeuvre de la stratégie de croissance A. - Une expansion du Crédit Lyonnais supérieure à celle de ses grands concurrents B. - Une croissance qui se concentre sur l'étranger et sur les filiales françaises III. - Le défaut de cohérence entre la stratégie de croissance et les données fondamentales de la période sous revue A. - L'objectif d'accroissement de la rentabilité B. - Antinomie entre la politique de vive croissance et les fonds propres disponibles C. - Insuffisance des moyens de contrôle interne du groupe Crédit Lyonnais TROISIEME PARTIE. - LES PRINCIPAUX FOYERS DE PERTES I. - Le réseau européen II. - Le financement du cinéma et du para-cinéma III. - Le partenariat banque-industrie IV. - L'immobilier CONCLUSION. - LA PREVENTION DES DEFAILLANCES Annexe I. - Méthode utilisée pour les comparaisons entre le Crédit Lyonnais et ses grands concurrents Annexe II. - Crédit Lyonnais : chronologie résumée REPONSES

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AVANT-PROPOS

Le présent rapport est le premier rapport public particulier que la Cour consacre à une entreprise publique.

Afin d'en faciliter la compréhension, la Cour croit utile de rappeler les traits fondamentaux de la procédure qu'elle suit, qui découlent du caractère même de l'institution et du rôle qui lui est dévolu par la loi.

1. La Cour est une institution de contrôle à statut juridictionnel, et non un organe de tutelle. Sa compétence s'étend notamment des services de l'Etat aux établissements publics nationaux et aux entreprises publiques, dans des conditions déterminées par la loi.

Sa fonction est de contrôler les comptes qui lui sont rendus et d'examiner les conditions dans lesquelles les organismes contrôlés assument leur mission et de relever les défaillances ou dysfonctionnements constatés. C'est aux organismes contrôlés de prendre les décisions destinées à remédier aux anomalies relevées, et non à la Cour, qui n'a pas à se substituer à leurs responsables ni aux administrations de tutelle.

Ainsi, par exemple, ce n'est pas à elle de déterminer, dans le cas particulier d'une banque, le montant des provisions nécessaires. Lorsque la Cour relève dans ce domaine une défaillance, ou suggère le sens d'une rectification, c'est seulement pour mettre en évidence un dysfonctionnement, dont la constatation constitue en soi une critique.

La Cour ne dispose, au surplus, d'aucun pouvoir d'injonction à l'égard des dirigeants de l'entreprise, ni à l'égard de sa tutelle représentée dans le cas d'une banque publique par la direction du Trésor, qui assure également la représentation de l'Etat actionnaire.

2. Le contrôle de la Cour s'exerce sur des comptes arrêtés : il intervient donc nécessairement a posteriori, ce qui permet au demeurant d'appuyer les conclusions sur des faits vérifiés et des documents incontestables.

Le fait que, lors de ses contrôles, la Cour s'informe également sur les opérations postérieures à la date du dernier compte arrêté ne retire rien au caractère a posteriori de sa vérification.

En revanche, la Commission bancaire est chargée en continu de contrôler le respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés, ainsi que de veiller à la qualité de leur situation financière.

3. Les communications de la Cour, et tout particulièrement celles qui sont destinées à la publication, sont établies après que les personnes ou organismes intéressés ont pu lui apporter, de la manière la plus large, leurs justifications ou leurs observations.

Cette procédure contradictoire implique des délais (cinq mois dans le cas du présent rapport de synthèse), mais elle est garante de l'objectivité des travaux de la juridiction et des droits légitimes de ceux que la Cour met en cause.

Ainsi lorsqu'elle effectue un contrôle sur une entreprise publique, la Cour adresse le relevé de ses constatations provisoires, qui n'est qu'un document d'instruction, aux dirigeants intéressés et aux autorités de tutelle, de manière à garantir l'exactitude de ses constatations et afin de recueillir leurs observations. Ces observations sont formulées auprès d'elle par écrit, sans que rien ne limite leur nombre ou leur ampleur. Elles sont ensuite complétées le plus souvent par des auditions, permettant de commenter verbalement les observations écrites déjà déposées ou de les compléter. Là encore, le temps de parole de chacun n'est pas limité.

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A la suite de ces observations, la Cour établit le texte définitif de ses constatations et de ses appréciations, qui peuvent différer du document d'instruction, précisément pour tenir compte des réponses suscitées par les constatations provisoires. La communication ainsi arrêtée collégialement et qui clôture la procédure d'instruction est le document final qui, seul, engage la Cour.

Ces différentes phases de la procédure ont été intégralement respectées dans le cas du contrôle du Crédit Lyonnais et de ses filiales, depuis les premiers rapports d'instruction jusqu'au présent rapport public.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

INTRODUCTION

La loi donne mission à la Cour des comptes de vérifier les comptes et la gestion des entreprises publiques. C'est à ce titre qu'elle a procédé au contrôle du groupe Crédit Lyonnais .

Après avoir en 1987 examiné les comptes du Crédit Lyonnais jusqu'au 31 décembre 1986, la Cour a entrepris en novembre 1991 un nouveau cycle de vérifications sur le groupe Crédit Lyonnais , dans le cadre d'une enquête sur le financement des professionnels de l'immobilier par les banques du secteur public1. A cette occasion, au sein du groupe Crédit Lyonnais , elle a examiné ces financements immobiliers tant à la maison mère que dans les principales filiales concernées : la Société de banque occidentale (SDBO), Francim, Soflim, Slipar et Altus Finance. La Cour a simultanément étudié l'évolution des fonds propres du groupe et les opérations sur crédits d'impôt fictifs de la Banque internationale de gestion de trésorerie (BIGT) et de la SDBO.

Ces vérifications, terminées au cours de l'année 1992, ont alerté la Cour sur certaines méthodes de travail anormales du groupe, ce qui l'a conduite à étendre ses contrôles en 1993 : vérification des comptes de la SDBO et de la BIGT, examen global des comptes de la maison mère, de son organisation comptable, de ses systèmes d'information et de compte rendu, du réseau France du Crédit Lyonnais , de grands dossiers d'engagement.

En 1994 les contrôles ont été élargis à la phase préparatoire à la constitution de la structure de " cantonnement " (Omnium immobilier de gestion : OIG), aux opérations à l'étranger et notamment à celles de la filiale hollandaise, le Crédit Lyonnais Bank Nederland (CLBN), au regroupement de quatre filiales, dont International Bankers SA (IB SA), dans la banque Colbert, aux comptes et opérations d'Altus Finance autres que dans le secteur immobilier. Enfin les vérifications effectuées en 1992 et 1993 ont été reprises pour être actualisées et prolongées afin d'englober pour chacune d'elles l'exercice 1993.

L'ensemble des constatations provisoires de la Cour ont été portées au fur et à mesure à la connaissance des diverses sociétés du groupe concernées et des autorités de tutelle, ministère de l'économie et des finances (direction du Trésor) et Commission bancaire, en vue de recueillir leurs observations et de leur permettre d'agir le cas échéant, avant de faire l'objet de constatations définitives, portées notamment à la connaissance du Parlement. La Cour a en outre prêté son concours à la commission d'enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais . Enfin, certains faits relevés ont été transmis au Garde des sceaux comme susceptibles de constituer des infractions pénales.

Au vu des réponses reçues à ses constatations et des auditions des dirigeants des entreprises et personnes concernées, dont les dernières ont eu lieu en mai 1995, la Cour a arrêté le présent rapport de synthèse sur le groupe Crédit Lyonnais , pour les exercices 1987 à 1993 inclus, dont l'objet principal est d'exposer les causes de la détérioration des comptes du groupe Crédit Lyonnais , causes qui ont trouvé leur origine principale dans la stratégie et les méthodes suivies jusque dans les derniers mois de l'année 1993.

Postérieurement à cette date, le nouveau président du Crédit Lyonnais a changé profondément la stratégie et les méthodes du groupe, et deux plans de redressement ont été mis en place avec le concours de l'Etat actionnaire, en 1994 puis en 1995, dont le second fait état d'une aggravation de la situation de l'établissement au cours de l'année 1994. Cette aggravation a conduit la Cour à décider des contrôles complémentaires, notamment sur la société de cantonnement (OIG), dont certains sont déjà commencés à la date du présent rapport.

1) Ces travaux ont donné lieu à une insertion au rapport public de la Cour des comptes de 1993.

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Sans attendre le résultat de ces nouveaux contrôles, la Cour a décidé de porter à la connaissance du public ses premières conclusions sur le groupe Crédit Lyonnais . Tel est en conséquence l'objet de la présente publication, qui expose successivement :

- les résultats profondément dégradés du groupe ;

- les causes des pertes ;

- les principaux foyers de pertes.

En prenant connaissance des critiques sévères que la Cour est conduite à émettre sur la gestion du groupe, le lecteur gardera en mémoire que les rapports de la Cour, par nature, contiennent plus de critiques que de compliments. Le présent rapport n'échappe pas à cette règle, même si, dans le cas du Crédit Lyonnais , la Cour n'a pas relevé que des aspects négatifs. Elle a ainsi constaté qu'il n'y avait pas eu au Crédit Lyonnais que des opérations financières perdantes telles que celles évoquées dans le rapport.

De même a-t-elle noté la compétence et la motivation des personnels ainsi que la pertinence du vaste effort de réorganisation commerciale selon une segmentation par marché entreprise à la fin des années 1980, qui donnent à la banque une base solide en France même.

Aussi, face au diagnostic sévère que porte la Cour, convient-il de distinguer, d'une part, le comportement des responsables et, d'autre part, l'entreprise elle-même qui, pour l'essentiel, a gardé sa valeur malgré les épreuves subies et qui, pour tout dire, était digne de dirigeants mieux inspirés.

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Première partie : Des résultats profondément dégradés.

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Les pertes du Crédit Lyonnais ont atteint, en 1993, 6,37 milliards après qu'ont été transférés à l'Omnium immobilier de gestion (OIG) 42,7 milliards de francs de créances "sensibles ou compromises". Cette opération a permis au Crédit Lyonnais d'éviter de constituer 14,4 milliards de provisions et de supporter 4 milliards de frais de portage 2 en 1994 et 1995, qui auraient augmenté sa perte de 1993 d'autant (voir p. ?? ci-dessous).

Sans cette opération, le résultat réel de 1993 aurait été une perte de 20,8 milliards de francs, et même de 24,8 milliards en tenant compte des frais de portage ci-dessus.

A la fin de 1993 le groupe a changé radicalement de stratégie, l'orientation définie par le nouveau président consistant à apurer le plus rapidement et le plus complètement possible les pertes du passé, ce qui conduisait à revoir à la baisse la valeur de certains actifs appelés à être cédés et à accélérer l'effort de provisionnement concernant ces actifs, qui, du fait de leur mise en vente, devaient être évalués en valeur de marché et non plus selon une valeur à moyen terme, ces deux facteurs ayant pour conséquence mécanique de faire enregistrer dans les comptes de 1993 un montant de pertes plus élevé que celui qu'aurait entraîné la poursuite de la stratégie antérieure.

Il n'en reste pas moins que, même sans ce facteur d'accélération dans l'enregistrement des résultats, les comptes du Crédit Lyonnais en 1993 ne pouvaient que traduire des pertes élevées. Il n'est pas contesté, notamment par les responsables précédemment en fonction, que le Crédit Lyonnais ne pouvait pas assurer son avenir en 1993 sans le concours de ses actionnaires : l'Etat, Thomson-CSF et la Caisse des dépôts et consignations.

L'analyse des pertes du Crédit Lyonnais conduit à une constatation centrale :

Ces pertes résultent d'une stratégie de croissance accélérée du Crédit Lyonnais , très différente de celle de ses principaux concurrents, que l'établissement a été le seul à mener parmi les grands établissements de la place de Paris, sans en avoir ou en prendre les moyens, et qui comportait des risques de pertes particulièrement élevés.

On peut certes comprendre qu'une grande banque publique adopte, dans une conjoncture difficile, une stratégie d'expansion et de soutien actif à l'économie qui, au-delà du souci de valorisation et de rendement immédiat du capital investi dans la banque, mais sans perdre pour autant de vue ce souci, réponde à un objectif économique prioritaire de l'Etat actionnaire, justifiant le caractère public de l'établissement.

Mais en raison des risques élevés d'une telle stratégie il aurait été indispensable pour la banque de disposer d'une assise financière en provisions et en fonds propres suffisante pour y faire face 3 et de faire preuve d'un discernement renforcé dans la prise des risques et d'une réelle rigueur dans leur gestion.

La Cour a constaté qu'aucune de ces deux conditions n'avait été remplie dans la période sous revue et qu'en outre dans de très nombreux cas les risques élevés pris par l'établissement ne répondaient aucunement à un objectif de soutien à l'économie, mais relevaient d'initiatives à caractère spéculatif ou d'imprudences caractérisées.

2) Manque à gagner par rapport à ce que rapportent les autres emplois de la banque. 3) Voir à ce propos les pages du présent rapport relatives aux fonds propres. On notera que cette nécessité était reconnue par les dirigeants du Crédit Lyonnais , qui avaient fait de l'accroissement des fonds propres un des objectifs de l'entreprise.

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Le caractère dangereux de la stratégie suivie par le groupe est exposé plus en détail dans la partie II du présent rapport, mais il est utile, pour la bonne compréhension des chiffres qui vont suivre, d'en résumer ici les principales caractéristiques :

- la structure financière du Crédit Lyonnais était plus fragile que celle de ses deux grands concurrents, la Société générale et la Banque nationale de Paris, avant le début de la période sous revue, situation que la Cour avait d'ailleurs signalée en 1987 : rentabilité moindre, insuffisance de fonds propres. Cela s'était traduit notamment par un abaissement de la notation du groupe par l'agence de notation Moody's en 1986. En outre, il ne disposait pas non plus de provisions proportionnellement aussi fortes que ses deux grands concurrents ;

- les dirigeants du Crédit Lyonnais savaient que les modifications de l'environnement national et international, annoncées et, pour certaines, programmées, conduisaient à bref délai à un durcissement des conditions de concurrence et à une baisse de rentabilité de l'activité bancaire ;

- malgré ces facteurs défavorables, les dirigeants du Crédit Lyonnais ont annoncé publiquement que le groupe allait augmenter ses résultats nets pour des montants et selon un calendrier annoncé d'avance, tout en lançant ce groupe, seul de toute la place financière, dans une stratégie de croissance accélérée, interne et externe, qui comportait par nature des risques de pertes plus élevés que la moyenne. Une telle situation exigeait donc une surveillance renforcée des risques ;

- corrélativement, les dirigeants du Crédit Lyonnais n'ont pas mis en place les moyens de contrôle interne et d'organisation indispensables pour parer aux risques plus élevés qu'ils lui faisaient courir ;

- dès lors il était prévisible que l'absence de précautions adaptées, face à une stratégie plus dangereuse que la moyenne, contenait en germe des risques de pertes élevés qui auraient dû appeler l'attention des autorités de surveillance compétentes.

Les graphiques suivants établissent rétrospectivement le bien-fondé de cette analyse.

I. - DES RESULTATS NETS QUI CONTRASTENT AVEC CEUX DES CONCURRENTS DU CREDIT LYONNAIS

Lorsque l'on compare les résultats nets du groupe Crédit Lyonnais (comptes consolidés) au cours de la période sous revue avec ceux de ses principaux concurrents qui lui sont le plus comparables (Société générale et Banque nationale de Paris) 4on constate la différence des évolutions illustrée par le graphique n° 1 ci-après.

4) Sur la méthodologie suivie pour les comparaisons du Crédit Lyonnais avec ses grands concurrents, voir annexe 1.

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1. Résultats nets

Ce graphique montre une relative stabilité des résultats des grands concurrents du Crédit

Lyonnais au cours de la période.

Pour le Crédit Lyonnais, au contraire, après une année 1988 où le résultat était proportionnellement inférieur à celui de ses deux grands concurrents, les résultats nets ont augmenté de manière accélérée en 1989 et 1990, faisant plus que doubler en deux ans, dépassant proportionnellement ceux de ses grands concurrents et atteignant un sommet de 4,5 milliards de francs, à un moment où, au contraire, les résultats de ses deux grands concurrents fléchissaient.

Ensuite, c'est l'évolution inverse qui se dessine : le résultat net du Crédit Lyonnais diminue en 1991 alors que celui de ses concurrents se redresse, s'effondre en 1992 alors que celui de ses concurrents diminue légèrement, et devient une perte réelle de près de 25 milliards en 1993, alors que ses grands concurrents restent bénéficiaires.

II. - DES PERTES DONT LES ORIGINES SONT ANCIENNES

Les pertes du Crédit Lyonnais en 1992 et 1993 ne sont pas survenues subitement et de manière inattendue. La rentabilité de l'établissement était insuffisante antérieurement à la période sous revue, ainsi que la Cour l'avait déjà souligné dans son rapport définitif sur les comptes 1983 à 1986. Les effets de cette situation se sont trouvés aggravés et multipliés du fait de la stratégie mise en oeuvre durant cette période et de la manière dont elle a été appliquée.

En outre, la conjoncture défavorable à partir de 1991 a été un facteur aggravant, mais si ce facteur a joué un rôle plus important chez le Crédit Lyonnais que chez ses concurrents, c'est parce que sa stratégie le mettait en position plus vulnérable qu'eux.

Compte tenu de l'insuffisante rentabilité initiale du Crédit Lyonnais , les chiffres apparaissant dans ses comptes dès les premières années de la période sous contrôle traduisaient une situation délicate porteuse d'évolutions dangereuses qui se sont effectivement produites, faute d'avoir été perçues et corrigées en temps utile.

L'analyse de ces évolutions défavorables et de leurs conséquences fait l'objet des graphiques 2 à 5 qui vont suivre.

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A. - UNE RENTABILITE TECHNIQUE INSUFFISANTE LE PRODUIT NET BANCAIRE (PNB)

Le produit net bancaire est la différence entre :

- d'une part l'ensemble des recettes courantes de la banque, c'est- à-dire pour l'essentiel les intérêts qu'elle perçoit sur les prêts à ses clients, et les commissions qu'elle encaisse sur les divers services qu'elle rend à sa clientèle ;

- et, d'autre part le coût payé par la banque pour acquérir ses ressources : ces ressources, figurant au passif du bilan, sont pour l'essentiel des fonds empruntés par la banque, qu'elle reprête à ses propres clients. Les dépôts et autres ressources émanant de la clientèle ne suffisent pas à fournir les recettes à cette fin. La banque doit, en plus, emprunter sur les marchés de l'argent. En outre les dépôts à vue non rémunérés ne représentent plus qu'un tiers des dépôts de la clientèle.

Le coût payé par la banque pour acquérir ses ressources représente pour l'essentiel les intérêts qu'elle paie sur l'ensemble des ressources autres qu'à vue.

Le PNB traduit donc la rentabilité technique élémentaire des opérations de la banque, avant prise en compte des frais généraux et des pertes résultant de défaillances des clients (constitution de provisions, utilisation de ces provisions).

Il s'analyse comme étant le "surplus" financier brut que produisent l'ensemble des moyens financiers dont dispose la banque, et qui sont reflétés par le passif de son bilan.

Le PNB ne mesure pas la production d'affaires nouvelles, contrairement à une idée parfois émise, mais le flux net produit par l'ensemble des affaires anciennes et nouvelles.

Il mesure ainsi la plus ou moins grande efficacité technique des activités de la banque concernée.

2. - Produit net bancaire

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Le graphique 2 montre tout d'abord que dès le début de la période sous contrôle la rentabilité technique du Crédit Lyonnais était inférieure à celle de ses grands concurrents, constat qui avait d'ailleurs été fait par la Cour lors de ses contrôles sur la période antérieure.

Le graphique montre en second lieu qu'après une "amélioration relative" en 1990, due uniquement aux effets négatifs d'une grève de longue durée à la BNP, qui a dégradé de manière exceptionnelle les résultats de l'échantillon comparatif, la rentabilité technique du Crédit Lyonnais a continué de chuter, en raison principalement de la montée des actifs non productifs, ou faiblement productifs, inscrits à son bilan, alors que ses grands concurrents ont opéré un redressement de leur rentabilité en fin de période.

Encore le graphique ne reflète-t-il qu'incomplètement la baisse du PNB du Crédit Lyonnais en 1992 et 1993, années au cours desquelles ont été enregistrés dans le PNB des montants élevés de plus-values exceptionnelles sur titres de placement ainsi que d'immobilisations financières, auxquelles n'ont pas eu recours les grands concurrents du Crédit Lyonnais . Sans l'apport de cet élément exceptionnel, les chiffres de PNB du Crédit Lyonnais auraient dû être diminués de plus de 10 p. 100 au cours de chacune de ces deux années, cela traduisant une perte supplémentaire de rentabilité de l'établissement par rapport à ses grands concurrents en fin de période.

La faiblesse ancienne et persistante du PNB du Crédit Lyonnais faisait contraste avec les résultats nets en forte augmentation affichés par l'établissement à partir de 1989. Ces résultats ne provenaient pas des activités normales de l'établissement5. Ils constituaient de ce fait un motif d'interrogation sur la véritable situation de l'établissement.

B. - UNE RENTABILITE COURANTE INSUFFISANTE LE REVENU BRUT D'EXPLOITATION (RBE)

Le revenu brut d'exploitation (RBE).

Le revenu brut d'exploitation (RBE) est formé par le PNB, diminué des frais généraux. C'est l'indicateur le plus représentatif de la rentabilité de base d'un établissement bancaire, de sa capacité à dégager régulièrement des résultats courants, avant prise en compte notamment des provisionnements.

5) Voir page 17, provisions.

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3. - Revenu brut d'exploitation (en pourcentage des opérations interbancaires) 6

Le graphique 3 confirme le manque de rentabilité du Crédit Lyonnais , par rapport à ses grands concurrents en début de période, et l'aggravation de la situation en fin de période. Ce retard du Crédit Lyonnais en matière d'importance du RBE représentait en 1993 pour l'établissement un manque à gagner annuel de l'ordre de 6 milliards de francs.

Dans cette insuffisance de performance du Crédit Lyonnais on relèvera le rôle de l'alourdissement des frais généraux, dont le poids relatif a augmenté au cours de la période sous contrôle, malgré deux plans d'allégement au niveau du siège, alors qu'il diminuait chez ses grands concurrents.

Les frais généraux du Crédit Lyonnais sont passés de 2,018 p. 100 à 2,023 p. 100 du total du bilan entre 1987 et 1993, tandis qu'ils régressaient de 2,23 p. 100 du bilan en 1987 à 1,89 p. 100 en 1993 chez ses grands concurrents.

Si l'on rapproche du PNB les frais généraux, ratio dit "coefficient d'exploitation", la conclusion est la même : le coefficient d'exploitation du Crédit Lyonnais s'est alourdi de 8,1 points, passant de 67,3 p. 100 à 75,4 p. 100 au cours de cette période, cependant que pour ses deux grands concurrents il est resté presque stable, passant de 68,7 p. 100 à 69,5 p. 100.

Le Crédit Lyonnais , qui était mieux placé que ses concurrents en termes de frais généraux en 1987 est à présent moins bien placé qu'eux. Cette évolution défavorable a été due principalement aux filiales étrangères, qui ont représenté une part croissante de l'activité de l'établissement, et dont les frais généraux étaient plus élevés que ceux de la maison mère.

6) On entend par opérations interbancaires les prêts que se font les uns aux autres les établissements bancaires, qui ont pour but principal de répondre à des situations de pure trésorerie. Ils ont été éliminés du présent graphique en raison du fait que leurs évolutions ne traduisent pas une modification de l'activité des établissements.

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Ce graphique confirme que la rentabilité courante du Crédit Lyonnais , après imputation des frais généraux, inférieure à celle de ses grands concurrents ne pouvait pas permettre de dégager les résultats nets élevés et croissants qu'il a affichés au début de la période sous contrôle, et qui ont fini par dépasser ceux de ses grands concurrents.

C. - LES PROVISIONS

Provisions : on entend par provisions les sommes que l'établissement inscrit dans ses comptes en les prélevant sur ses résultats courants ou ses fonds propres pour faire face à des pertes probables, par exemple la défaillance d'un emprunteur, mais dont le coût définitif ne peut être connu avec exactitude, par exemple parce qu'il est possible que l'emprunteur défaillant revienne à meilleure fortune, ou encore parce que les gages qu'il a donnés au banquier tels qu'une hypothèque ou une caution, sont susceptibles d'être mis effectivement en jeu.

Pour cette raison, le calcul des provisions repose pour partie sur des éléments subjectifs.

Les règles prudentielles recommandent de "provisionner" les risques de manière suffisante pour couvrir toute la perte définitive le jour où elle se manifestera, compte tenu des informations dont on dispose au jour de l'arrêté des comptes.

Les graphiques 4 A et 4 B montrent qu'en début de période le Crédit Lyonnais a davantage que ses grands concurrents "tiré vers le bas" ses provisions, économisant sur ses dotations annuelles nettes aux provisions, de manière à pouvoir dégager des résultats nets.

4 A. - Crédit Lyonnais : total des provisions rapporté au total du bilan diminué des opérations interbancaires

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 4 B. - Crédit Lyonnais , crédits à la clientèle

Le graphique 4 C montre que les dotations annuelles nettes de la banque aux provisions d'exploitation ont été pratiquement stables en valeur absolue en 1988 et 1989, malgré le développement des encours (graphique 4 D) et l'aggravation de la conjoncture. Elles n'ont augmenté qu'à partir de 1991, lorsque la dégradation de la qualité des risques s'est manifestée de manière visible par l'apparition de sinistres de grande ampleur.

4 C. - Dotations nettes annuelles aux provisions d'exploitation

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 4 D. - Crédit Lyonnais , évolution du bilan et des provisions

Les graphiques 4 A et 4 B montrent également que, dès le début de période, les encours du Crédit Lyonnais étaient moins couverts que ceux de ses grands concurrents par des provisions, la différence représentant un montant d'environ 6 milliards de francs, alors même que le groupe était proportionnellement plus engagé que l'échantillon comparatif sur les "risques pays". Cette faiblesse de l'établissement en matière de provisions avait d'ailleurs été notée par une étude d'une grande banque conseil de la place, faite à la demande de la Caisse des Dépôts et Consignations. Les graphiques montrent également que l'écart avec les grands concurrents du Crédit Lyonnais n'a cessé d'augmenter jusqu'en 1990, la différence par rapport à leurs taux de provisionnement représentant à cette date un montant d'environ 15 milliards.

Le fait que, dans le même temps, le Crédit Lyonnais affichait des résultats nets croissants constituait l'indication d'un comportement dangereux pour l'établissement, d'autant que, simultanément, le Crédit Lyonnais disposait proportionnellement de moins de fonds propres que ses grands concurrents, situation que la Cour, dans son rapport définitif sur les comptes 1983 à 1986, avait déjà relevée. En 1987 ses fonds propres et assimilés représentaient 2,85 p. 100 du total de son bilan, contre 3,20 p. 100 pour ses grands concurrents, ce qui, toutes choses égales par ailleurs, représentait une différence de l'ordre de 3 milliards de francs.

Il était donc dangereux pour l'établissement de puiser dans ses réserves financières, déjà plus faibles que celles de ses grands concurrents, pour accroître des résultats nets que sa rentabilité courante ne lui permettait pas d'obtenir, en augmentant ainsi la fragilité financière de l'établissement. L'évolution défavorable ci-dessus était d'autant plus significative que l'établissement avait affiché publiquement et commencé de mettre en oeuvre une stratégie de croissance rapide qui nécessitait au contraire un renforcement de ses moyens financiers, en raison des risques d'une telle stratégie.

A partir de 1991, les graphiques 4 A et 4 B montrent que le Crédit Lyonnais a dû remonter vigoureusement son taux de provisionnement, qui, à force d'allégements successifs, était descendu à un niveau extrêmement faible (2,7 p. 100 des crédits à la clientèle, contre 4,87 p. 100 pour ses grands concurrents), pour faire face à la survenance de graves sinistres sur son portefeuille de risques.

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L'effort ainsi consenti en 1991 puis 1992 n'a cependant pas été suffisant pour remonter les provisions à un niveau satisfaisant. A cet égard le président du Crédit Lyonnais de l'époque a précisé à la Cour (lettre du 3 mai 1995) que les provisions de 1992 avaient été arrêtées "à un niveau tel que le ratio de solvabilité du Crédit Lyonnais soit au moins de 8,20 p. 100, le solde des provisions devant s'étaler sur les exercices 1993 et 1994". Entendu par la Cour le 12 mai 1995, en présence de l'ancien président du Crédit Lyonnais , le secrétaire général de la commission bancaire a indiqué que ces provisions et résultats avaient été établis "en concertation" avec le secrétariat général de cette commission, tout en précisant que les comptes des banques étaient arrêtés sous la seule responsabilité de leurs dirigeants.

L'ensemble des évolutions précédemment exposées traduit l'application de la stratégie dangereuse menée par le groupe. Ces évolutions n'ont entraîné aucune réaction ni de la part du Crédit Lyonnais ni de celle des autorités de contrôle, chargées de veiller année après année à la qualité de la situation financière des établissements bancaires, jusqu'à l'automne 1991, moment où la commission bancaire, alertée notamment par la survenance de très gros sinistres, a programmé les premières vérifications sur place, dont les résultats ont été disponibles en octobre 1992.

D. - LES OPERATIONS EXCEPTIONNELLES

Les "opérations exceptionnelles" :

Les recettes exceptionnelles sont, pour leur plus grande partie, des réalisations de plus-values latentes non récurrentes. Les charges exceptionnelles reflètent essentiellement des pertes sur exercices antérieurs, des réalisations de moins-values d'actifs et des amortissements de survaleur d'acquisition de filiales.

Les établissements bancaires sont, dans la plupart des cas, maîtres du jeu, pour décider s'ils réalisent ou non des opérations exceptionnelles au cours d'un exercice donné, notamment pour corriger en cas de nécessité les résultats courants.

5. - Produits exceptionnels

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Le graphique 5 montre que le Crédit Lyonnais a eu largement recours aux opérations exceptionnelles pour alimenter son compte de résultats, surtout à partir de 1990 et 1991, moment où il n'était plus possible de pousser plus loin l'allégement des taux de provisionnement et où se sont manifestés de graves sinistres notamment chez la filiale néerlandaise, le CLBN, rendant nécessaire la constitution de provisions élevées. Le total des ressources exceptionnelles ainsi dégagées par le Crédit Lyonnais a été de 6,7 milliards au cours des quatre années 1990/1993.

Les plus-values dégagées proviennent de cessions d'actifs : titres de participation ou immeubles pour l'essentiel.

En face de ces plus-values, on trouve des pertes exceptionnelles sur exercices antérieurs, et, dans des proportions croissantes à partir de 1992, l'amortissement des "survaleurs" constatées sur le prix d'achat des filiales, notamment étrangères, acquises par le Crédit Lyonnais dans le cadre de sa croissance externe.

La croissance rapide du solde positif des "opérations exceptionnelles" à partir de 1990 et 1991, contrastant avec leur diminution chez les grands concurrents du Crédit Lyonnais , reflète la volonté de l'établissement de faire face à la montée des sinistres, qu'il ne pouvait plus absorber par d'autres moyens, après avoir allégé ses taux de provisions de la manière qui a été exposée plus haut.

Les agences de cotation internationales ne s'y sont pas trompées : depuis 1991, Moody's a abaissé à trois reprises la notation à long terme du Crédit Lyonnais , pour atteindre A1 en février 1994, cette évolution défavorable s'étant d'ailleurs poursuivie ultérieurement.

Pour les années 1992 et 1993 le montant des éléments exceptionnels, permettant de faire face à la montée des sinistres, a été en réalité supérieur à celui reflété par le graphique.

En 1992, le résultat net du Crédit Lyonnais a enregistré 4 milliards de plus-values exceptionnelles sur "junk bonds" réalisées par Altus Finance en 1992, qui sont classées en comptabilité dans les produits des titres de transaction, et non dans les recettes exceptionnelles.

En outre, au cours de ce même exercice, le Crédit Lyonnais a procédé à la réalisation exceptionnelle de plus-values latentes, pour des montants très supérieurs à ceux des années antérieures, sur son portefeuille de titres de placement et d'immobilisations financières, qui, là encore, en vertu des règles comptables, ne sont pas recensées dans les résultats exceptionnels, mais dans les résultats courants sur titres. Un tel classement est justifié par le fait qu'un établissement bancaire dégage normalement chaque année une certaine proportion de plus-values sur ses titres de placement ou de participation, qui revêtent ainsi un caractère récurrent.

Ce dégagement a atteint 5 228 millions de francs de plus-values contre un niveau moyen annuel de 1 120 millions par an au cours de la période 1987-1991 (année la plus basse : 467 millions en 1989 ; année la plus haute : 1 278 millions en 1990). Dans le même temps, les grands concurrents du Crédit Lyonnais ne dégageaient que des montants très faibles de plus-values.

Le dégagement supplémentaire et exceptionnel de plus-values par le Crédit Lyonnais en 1992 a ainsi été d'environ 4 milliards à ce titre, en plus des 4 milliards de plus-values sur "junk bonds" déjà signalés.

De ce fait, au total, en 1992, les recettes nettes tirées par la banque de ses opérations exceptionnelles ont été plus élevées de 8 milliards que les chiffres traduits par le graphique, lequel ne recense que les "opérations exceptionnelles" stricto sensu, au sens du plan comptable applicable aux banques.

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En 1993, et pour les mêmes raisons, le Crédit Lyonnais a procédé à nouveau à des dégagements très élevés de plus-values, se montant à 5 791 millions, sur titres de placements et d'immobilisations financières, soit 4,6 milliards de plus que le niveau moyen antérieur. Là encore, ces chiffres ont été classés dans les recettes courantes par application des règles comptables. En analyse économique, en revanche, ils doivent être considérés comme des recettes exceptionnelles pour leur plus grande partie, s'ajoutant aux chiffres retracés sur le graphique.

Le Crédit Lyonnais a été seul à opérer de cette manière : ses grands concurrents, qui disposaient d'une structure financière plus solide, et qui n'ont pas eu à faire face à des sinistres aussi élevés que le Crédit Lyonnais , n'ont réalisé en 1992 et 1993 que des montants modérés de plus-values sur titres de placements et immobilisations financières, montants proportionnellement sept fois moins importants que ceux dégagés par le Crédit Lyonnais , bien qu'ils aient disposé de montants comparables de titres acquis depuis plusieurs années, et susceptibles de receler des plus-values (voir graphique n° 13, p. 81).

En outre, en 1993, le Crédit Lyonnais , avant que les actifs immobiliers compromis soient sortis du bilan, a procédé à une reprise de 2 milliards sur les provisions, déjà insuffisantes, qui avaient été antérieurement constituées pour tenir compte de la dépréciation des actifs immobiliers compromis sortis du bilan et transférés à une "structure de cantonnement" (Omnium immobilier de gestion : OIG) bénéficiant notamment de la garantie de l'Etat. Cette reprise, non justifiée par la valeur des actifs immobiliers transférés, a constitué elle aussi une recette exceptionnelle pour le Crédit Lyonnais .

Du fait de ces opérations, en 1992 et 1993, le niveau des opérations exceptionnelles, destinées à faire face à la montée des pertes, a été plus élevé de 14,6 milliards que celui affiché par le graphique.

Le graphique ne recense pas non plus l'effet du transfert d'actifs sensibles à l'OIG évoqué ci-dessus, accompagné d'une garantie des actionnaires destinée à remplacer la constitution de provisions à due concurrence, qui s'analyse en fait comme un allégement de charges exceptionnel au profit du Crédit Lyonnais , pour 18,4 milliards de francs (14,4 milliards en capital plus 4 milliards en intérêts sur deux ans).

On constate ainsi que le Crédit Lyonnais , contrairement à ses grands concurrents, après avoir dans un premier temps puisé dans les réserves contenues dans ses provisions, a continué en utilisant les plus-values latentes immobilières ou mobilières contenues dans ses actifs les plus sains.

Ces dernières n'ont plus été suffisantes à la fin de la période sous contrôle pour faire face à la monté des pertes de l'établissement, entraînant la nécessité d'une aide élevée des actionnaires.

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6. - Crédit Lyonnais , résultat après exclusion des éléments exceptionnels et avant impôt sur les sociétés

Ce graphique montre l'importance des résultats exceptionnels au sens large, évoqués ci-

dessus, dans les comptes du Crédit Lyonnais, et permet de mesurer par là même l'ampleur des sinistres auxquels l'établissement a dû faire face au moyen de ces ressources.

La courbe en trait simple est celle du résultat net publié.

La courbe en trait double retrace les résultats du Crédit Lyonnais , exprimés comme s'il avait eu recours aux facteurs exceptionnels dans une aussi faible proportion que ses concurrents, toutes choses égales par ailleurs7.

Elle montre tout d'abord une plongée rapide et profonde durésultat à partir de 1992, conséquence normale d'une politique de développement accéléré au cours des années antérieures, qui sera analysée plus loin.

Elle montre en second lieu la faible rentabilité courante duCrédit Lyonnais au cours de la période sous revue : de 1988 à 1991, dernière année à afficher des résultats nets positifs, les deux tiers du résultat net ont été obtenus par des éléments exceptionnels (indépendamment des allégements de provisions, évoqués plus haut, non retracés sur le graphique).

7) Les chiffres retenus sont ceux avant impôt sur les sociétés, de manière à éviter d'avoir à recalculer rétroactivement l'impôt qui aurait été dû si le Crédit Lyonnais avait eu recours aux résultats exceptionnels dans une proportion comparable à ses concurrents. Un tel calcul aurait créé des risques d'erreurs. La comparaison avant impôt est, en l'espèce, tout autant significative qu'après impôt.

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Deusième partie : Les causes des pertes du Crédit Lyonnais

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Les résultats du Crédit Lyonnais au cours de la période sous contrôle trouvent leur origine de manière prédominante dans la stratégie suivie par la banque au cours de cette période et dans la manière dont cette stratégie a été appliquée.

Il s'agissait d'une stratégie de vive croissance interne et externe, que l'établissement a été seul à mener parmi tous les grands établissements de la place, que l'Etat actionnaire et les autorités de contrôle n'ont pas contestée, pour le succès de laquelle il ne disposait pas des moyens nécessaires, et qui a constitué en outre un facteur d'aggravation de certains choix erronés antérieurs à 1988.

Certes, la détérioration de la conjoncture au cours des dernières années peut expliquer pour une part notable l'ampleur des pertes : la France a connu à partir du milieu de 1990 une crise économique d'une ampleur et d'une durée exceptionnelles, telles que le pays n'en avait pas connu depuis plus de 50 ans.

Mais la crise n'est pas le seul facteur expliquant l'ampleur des pertes du Crédit Lyonnais , comme le montre le fait que ses grands concurrents, confrontés aux mêmes difficultés conjoncturelles, ont pu les surmonter.

La différence est venue du fait que, seul parmi les grands établissements de la place financière de Paris, et malgré une conjoncture défavorable à partir de 1991, le Crédit Lyonnais s'est lancé au cours de la période sous contrôle, sans en avoir tous les moyens, dans une stratégie de croissance accélérée dans tous les domaines tout en négligeant les usages prudentiels habituels et les avertissements reçus8. L'établissement a ainsi accumulé en peu d'années un portefeuille de mauvais risques d'une ampleur très supérieure à la moyenne.

Dans le même temps, ainsi qu'il a été exposé ci-avant, le Crédit Lyonnais a puisé de plus en plus largement dans les réserves accumulées antérieurement à la période sous contrôle, de sorte qu'il ne disposait plus, lorsque les mauvais risques se sont concrétisés, des ressources qui lui auraient été indispensables pour y faire face.

L'établissement, surchargé en mauvais risques, et vidé de l'essentiel de ses réserves, était progressivement devenu vulnérable au moindre remous, et à plus forte raison à un retournement conjoncturel.

Le Crédit Lyonnais a exprimé à plusieurs reprises l'idée qu'il suffisait d'attendre que la crise soit passée pour que l'établissement puisse recueillir les fruits d'une politique volontairement hardie de prise de risques. Les constatations qui précèdent ne permettent pas de conclure que ce pari était inexact, mais seulement que l'établissement n'était plus en mesure de passer une crise sans aide extérieure. Dès lors, recueillir ultérieurement les fruits de l'après-crise espérés, s'ils existaient, devenait problématique.

La devise de l'établissement, "le pouvoir de dire oui", adoptée en 1986, résumait ainsi à la fois la stratégie suivie et ses dangers.

I. - LA FORMULATION DE LA STRATEGIE DE CROISSANCE

Cette stratégie n'a pas été menée par l'établissement dans le secret. Elle a été affichée publiquement et fréquemment, notamment, pour ce qui est des documents de l'entreprise, dans la "lettre du président" servant d'introduction aux comptes publiés successifs. Elle peut, de ce fait, être considérée comme ayant reçu l'approbation au moins implicite de l'Etat actionnaire. Le 26 juin 1992, cependant, le directeur du Trésor a fait part au ministre de ses réticences vis-à-vis d'une stratégie de croissance "volontariste, ambitieuse et audacieuse... nécessitant d'importants

8) Notamment avertissements de la banque centrale des Pays-Bas (p. 78), du directeur du Trésor (p. 78) et avertissements de la Cour des comptes (p. 51, 97, 98).

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Parmi les différentes expressions de cette stratégie, on retiendra les formulations suivantes, tirées de la "lettre du président" annexée aux divers rapports annuels :

"... Le Crédit Lyonnais poursuivra une politique de croissance active... Il renforcera son dispositif international... Cette expansion est nécessaire pour maintenir le Crédit Lyonnais parmi les très grandes banques mondiales (rapport sur les comptes 1988).

"... Vive progression dans tous les métiers de la banque, diversification des activités et extension géographique, ...déploiement sur tous les marchés de capitaux, construction d'un important portefeuille de participations selon une stratégie de partenariat avec l'industrie, déploiement d'un réseau international maintenant le deuxième au monde... (Rapport sur les comptes 1990.)

"... L'avenir est en effet la préoccupation permanente guidant nos choix stratégiques d'expansion et de diversification. (Comptes 1991.)

Un objectif de rentabilité est également évoqué et présenté comme nécessaire pour autofinancer cette croissance : à cette fin il est décidé de "porter le résultat net à plus de 4 milliards de francs en 1992, et ceci en poursuivant le renforcement de la couverture des risques" (c'est-à-dire le renforcement des provisions). (Comptes 1988.)

"... Doubler au minimum le résultat net entre 1988 et 1992 en conjuguant avec détermination croissance interne et externe et adaptation des organisations et méthodes." (Comptes 1989.)

"... Ces réalisations (les chiffres de 1990) viennent à l'appui de nos stratégies d'expansion dans la profitabilité qui motivent puissamment et efficacement nos équipes."

La fin de l'exercice 1992 a marqué la fin de la stratégie de croissance. Le message du président, constatant début 1993 les pertes de l'exercice 1992, conclut : "après les temps de l'expansion, nous allons vivre les temps de l'optimisation".

Cette orientation fut confirmée à la fin de 1993 avec l'arrivée d'un nouveau président, qui mit l'accent sur la nécessité de l'assainissement, de la "concentration sur les métiers de base de la banque, ... retrouver un niveau de rentabilité plus en rapport avec notre histoire, notre taille et nos capacités". (Rapport sur les comptes de 1993.)

Il y a lieu de replacer dans l'atmosphère de l'époque le choix de l'expansion accélérée dans toutes les directions. A ce moment le système bancaire était accusé de frilosité dans ses concours, tant par l'opinion que par les représentants des Pouvoirs publics. Le ministre de l'économie et des finances a ainsi exhorté à plusieurs reprises et publiquement l'ensemble des banques publiques et privées à apporter plus largement leur soutien à l'économie.

On doit constater que le Crédit Lyonnais est parmi les grands groupes celui dont la stratégie a été en phase de la manière la plus marquée avec ces orientations.

Cela laissait cependant entier le problème de savoir si une telle stratégie était compatible avec les réalités économiques, les règles prudentielles, les possibilités de la banque et celles de l'Etat actionnaire, points qui seront abordés dans le III de la présente partie.

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II. - LA MISE EN OEUVRE DE LA STRATEGIE DE CROISSANCE

A. - UNE EXPANSION DU CREDIT LYONNAIS SUPERIEURE A CELLE DE SES GRANDS CONCURRENTS

Graphique n° 7. - Evolution du total du bilan diminué des opérations interbancaires

Le graphique montre que la stratégie de forte expansion a été appliquée de manière

marquée dès 1988, et s'est poursuivie sans défaillance tout au long de la période : l'activité ainsi mesurée du Crédit Lyonnais a fait plus que doubler de 1987 à 1993 (2,6 fois). Celle de l'ensemble formé par la Société Générale et la BNP en revanche a progressé de 72 p. 100 seulement.

Les chiffres du graphique sont confirmés par ceux du PNB (non portés sur le graphique). Mesurée en termes de produit net bancaire (PNB), la croissance comparée du Crédit Lyonnais et de ses grands concurrents montre la même différence dans le rythme d'évolution.

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B. - UNE CROISSANCE QUI SE CONCENTRE SUR L'ETRANGER ET SUR LES FILIALES FRANCAISES

8. - Produit net bancaire, total et étranger

En France, après une vive croissance jusqu'en 1991, due notamment à l'intégration d'Altus

Finance en 1990, se traduisant par un supplément de PNB de 2 milliards de francs en 1990, la croissance du PNB du Crédit Lyonnais a ralenti en 1992, et le PNB lui-même a même diminué en 1993.

En réalité, le ralentissement de 1992 était beaucoup plus important que celui retracé par le graphique, en raison de la réalisation au cours de cet exercice de plus-values exceptionnelles sur "junk bonds" et sur titres de placement et d'immobilisations financières enregistrées en comptabilité dans le PNB, déjà évoquées précédemment.

Si l'on retranche du PNB ces éléments exceptionnels, on constate que le PNB courant du Crédit Lyonnais France avait baissé en valeur absolue dès 1992.

La croissance se concentre surtout sur les filiales :

Le graphique montre que la croissance, mesurée par le produit net bancaire, a été surtout rapide à l'étranger, effet d'une croissance externe soutenue en Europe : la part de l'étranger est passée de 20 p. 100 du PNB en 1987 à 43,4 p. 100 en 1993, année où le PNB de la filiale allemande BFG a été pris en compte pour la première fois.

Au cours de la période sous revue, la part du Crédit Lyonnais France stricto sensu par rapport à l'ensemble de ses filiales françaises et étrangères n'a cessé de diminuer. Elle est passée des deux tiers du PNB consolidé du groupe Crédit Lyonnais en début de période à un tiers en fin de période.

Le fait que la croissance s'est faite surtout dans les filiales (France et surtout étranger) permet de comprendre l'importance des problèmes rencontrés par le Crédit Lyonnais dans le contrôle de ses filiales et le poids élevé de leurs pertes au sein du résultat global du groupe : les filiales tant françaises qu'étrangères ont représenté plus des deux tiers des foyers de pertes du groupe Crédit Lyonnais au cours de la période sous contrôle.

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III. - LE DEFAUT DE COHERENCE ENTRE LA STRATEGIE DE CROISSANCE ET LES DONNEES FONDAMENTALES DE LA PERIODE SOUS REVUE

La stratégie d'expansion soutenue suivie au cours de la période sous revue avait peu de chances d'aboutir favorablement, car elle n'était cohérente ni avec l'objectif d'accroissement de la rentabilité, ni avec la situation en fonds propres du Crédit Lyonnais , ni enfin avec les moyens de contrôle dont disposait le groupe.

La mise en oeuvre d'une stratégie contraire à celle suivie par le reste de la place financière supposait que l'établissement en ait les moyens, notamment en termes de rentabilité et de capitaux propres, et que l'expérience soit suivie de manière particulièrement attentive, tant à l'intérieur de l'établissement qu'à l'extérieur. Or ces conditions n'étaient pas réunies.

A. - L'OBJECTIF D'ACCROISSEMENT DE LA RENTABILITE

La stratégie affichée dans les diverses "lettres du Président" publiées en tête des rapports sur les comptes comportait deux objectifs principaux : celui d'une politique de croissance active dans tous les domaines et celui d'un renforcement de la rentabilité et de la couverture des risques, c'est-à-dire, selon la définition donnée dans les mêmes textes, un accroissement des provisions et des fonds propres.

Une telle stratégie n'était ni cohérente en elle-même ni compatible avec les exigences de l'environnement économique.

- Défaut de cohérence d'une stratégie de croissance active avec un objectif de rentabilité accrue

Pour un établissement bancaire tel que le Crédit Lyonnais ces deux objectifs pouvaient devenir contradictoires dès lors que n'étaient pas mis en oeuvre des moyens de surveillance accrus de la souscription et de la gestion des risques. Dans les métiers financiers comportant une prise de risques (banque, assurance) toute croissance interne à un rythme nettement supérieur à la moyenne entraîne avec soi un risque de pertes élevées, pour différentes raisons dont la première et la plus importante est qu'une telle croissance entraîne mécaniquement une "antisélection" des risques, car elle ne peut se faire qu'en prenant de la clientèle aux autres établissements. Sauf rares exceptions, par exemple l'expansion du Crédit Lyonnais USA qui a profité du retrait des grandes banques américaines du marché des grandes entreprises en 1982- 1992, la qualité de la clientèle ainsi déplacée est inférieure à la moyenne : il s'agit pour l'essentiel de clients dont les autres établissements ne veulent pas ou ne veulent plus. L'exemple des interventions d'Altus Finance dans les participations industrielles, évoqué p. 82 et suivantes, illustre particulièrement ce risque, de même que le développement de la filiale hollandaise dans le cinéma. Le même phénomène se manifeste en cas de croissance externe : le développement du Crédit Lyonnais en Europe (p. 69 à 74 ci-dessous) en fournit un bon exemple.

Une stratégie de croissance appelle donc un surcroît de vigilance, particulièrement en raison des risques accrus qu'elle entraîne. Or, une telle conquête de clientèle nouvelle est d'autant plus dangereuse qu'elle conduit généralement à une diminution de la vigilance, à tous les échelons de la prise de risque.

Dans le cas du Crédit Lyonnais , les conséquences de l'antisélection risquaient d'être particulièrement élevées du fait que sa rentabilité de base était inférieure à celle de ses grands concurrents (voir plus haut graphiques n°s 2 et 3) et qu'il disposait de moins de réserves financières qu'eux.

Dès lors, la stratégie affichée en 1988 tendant à la fois à réaliser une forte croissance et à "accroître sensiblement la profitabilité du Groupe" pour "l'autofinancer de notre mieux" (la croissance), était dès le départ une stratégie exagérément optimiste, qui aurait dû se traduire par des contrôles internes et externes renforcés, destinés à éviter que ne se concrétisent les risques inhérents à une telle stratégie.

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Il était en particulier improbable, dès le départ, qu'une telle stratégie puisse aboutir à doubler le résultat de 1988 (qui était de 2,16 milliards) "pour le porter à plus de 4 milliards de francs" en 1992. Aussi aurait-elle dû être accueillie d'emblée avec vigilance, et donner lieu à la mise en place d'un dispositif de suivi en temps réel.

Les chiffres annuels publiés par l'établissement ont rapidement traduit de telles conséquences, ainsi qu'il a été exposé plus haut, les "résultats" affichés étant faits pour l'essentiel de diminutions de l'assise financière de l'établissement.

A partir de 1992, les risques de mauvaise qualité acceptés pendant les années de croissance active 1989/91 se sont concrétisés, faisant apparaître l'obligation de constituer des provisions pour des montants élevés. L'établissement n'a pu faire face par ses propres moyens à la survenance des sinistres, conséquence directe de la stratégie adoptée, dont la conjoncture a, de surcroît, alourdi les effets.

- "Renforcer la couverture des risques" en poursuivant "une politique de croissance active"

Là encore l'affirmation simultanée de ces deux objectifs aurait dû, dès le départ, éveiller l'attention : il y avait lieu d'expliquer comment l'établissement pourrait dégager l'autofinancement destiné à renforcer ses provisions et ses fonds propres, alors qu'une croissance nettement supérieure à la moyenne s'accompagne à peu près inévitablement d'une diminution de la rentabilité.

Concernant les provisions, la pratique de l'établissement a été, dès 1988, à l'inverse de sa stratégie affichée (voir ce qui a été dit plus haut à propos des graphiques n°s 4 relatif aux provisions).

De même, pour les fonds propres, l'établissement n'a pas été en mesure d'en dégager lui-même pour accompagner sa croissance et a dû recourir à des solutions de remplacement qui ont contribué à dégrader encore sa rentabilité, ainsi qu'il sera exposé plus loin.

- Antinomie entre une politique de vive croissance et l'environnement économique et réglementaire

Ces phénomènes défavorables ne pouvaient qu'être aggravés par l'état de l'environnement, caractérisé par l'arrivée d'une crise économique mondiale et par des modifications des textes affaiblissant la rentabilité des banques.

La crise économique

Les années 1989-1993 ont été marquées par une dégradation de la conjoncture, l'année 1988 ayant connu le plus fort taux de croissance pour les pays de l'OCDE.

La diminution du taux de croissance du PIB dans les pays de l'OCDE a commencé en 1988. Ce taux est passé de 4,3 p. 100 en 1988 à 3,2 p. 100 en 1989, 2,6 p. 100 en 1990 et 1 p. 100 en 1991.

Une telle situation aurait dû entraîner de la part de l'établissement un surcroît de vigilance à partir du moment où la dégradation de la conjoncture devenait manifeste. Or c'est l'inverse qui s'est produit, l'établissement ne voulant pas, selon ses propres termes, "ajouter la crise à la crise".

La perception que les opérateurs français pouvaient avoir de ce retournement conjoncturel a été décalée par rapport à l'événement, notamment parce que, comme lors des cycles précédents, la France a suivi avec retard les retournements conjoncturels mondiaux. Il était donc naturel qu'en 1988 et 1989 la stratégie du Crédit Lyonnais n'ait pas pris en compte un retournement conjoncturel qui n'était pas encore apparent pour tous.

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A partir de la fin de 1989, en revanche, des diagnostics pessimistes ont été formulés. C'est ainsi que les analyses présentées à l'appui de la loi de finances pour 1990 prévoyaient que le ralentissement apparu aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne risquait de gagner le reste de l'OCDE en 1990.

Dans son rapport annuel pour 1990, élaboré au tout début de 1991, le Crédit Lyonnais était conscient d'un risque conjoncturel sérieux : il soulignait pour sa part que l'expansion en France s'était poursuivie en 1989 à un rythme inférieur à celui de 1988 dans les pays de l'OCDE et qu'aux Etats-Unis la conjoncture était entrée dans une phase de stagnation. Il exposait en outre que partout dans le monde il y avait resserrement des politiques monétaires et que les taux à court terme étaient désormais plus élevés que ceux à long terme. Cette inversion des taux est généralement interprétée par les conjoncturistes comme le signe précurseur d'une dépression.

La guerre Irak-Koweït d'août 1990 a constitué le révélateur des tendances dépressives. A partir de l'automne 1990 l'ensemble des instituts privés ou publics de conjoncture ont fait état de perspectives mondiales sombres pour 1991.

Bien que ses dirigeants aient pris conscience de ce retournement conjoncturel, le Crédit Lyonnais a continué sa forte croissance en 1991, 1992 et 1993, sur le même rythme qu'au cours des années antérieures, ainsi qu'en témoigne le graphique n° 7 (total du bilan) déjà cité, cependant que chez ses deux grands concurrents un infléchissement durable du rythme de croissance peut être observé dès l'année 1990.

Il était imprudent pour un établissement de crédit soumis à la concurrence et informé de la détérioration de la conjoncture mondiale de poursuivre une politique de croissance soutenue, un tel climat ne faisant que renforcer le phénomène d'antisélection des risques.

Les modifications de la réglementation bancaire

La décennie 1980 a été marquée par la volonté des pouvoirs publics français de moderniser la place financière de Paris, afin de préparer l'ouverture de celle-ci à la concurrence européenne, puis mondiale. Les changements qui sont intervenus en ce sens avaient pour but de mettre fin aux réglementations et cartellisations qui limitaient la concurrence et procuraient aux banques des marges partiellement automatiques.

Parmi les étapes de cette évolution, on rappellera la "loi bancaire" de janvier 1984, la fin de l'encadrement du crédit le 1er janvier 1987, la fin du contrôle des changes le 1er janvier 1990, la libération des mouvements de capitaux en Europe le 1er juillet 1990, l'instauration du marché unique des services bancaires le 1er janvier 1993.

Ces évolutions, annoncées à l'avance, ont modifié profondément les comportements des acteurs économiques, souvent avant même d'être adoptées. Les grandes entreprises ont utilisé rapidement les possibilités nouvelles de "désintermédiation" en s'adressant directement aux marchés de l'argent. Les banques libérées de l'encadrement du crédit se sont livré à une concurrence chaque année plus soutenue, tant sur la collecte des capitaux que sur la distribution des concours.

Aussi la marge brute des banques n'a-t-elle cessé de diminuer : de 1987 à 1993, elle a reculé de 3 points. Les graphiques n°s 2 et 3 (PNB et RBE) déjà examinés reflètent ce recul de la rentabilité brute chez le Crédit Lyonnais et ses deux grands concurrents.

Dans le même temps était adoptée en 1985 la loi dite "Badinter" qui rendait plus risqué le crédit aux entreprises en amoindrissant les garanties dont pouvaient bénéficier les prêteurs.

Tous ces changements, annoncés et connus, rendaient plus risquée l'activité bancaire. Cette conséquence, prévisible dès le début de la période sous revue, aurait dû entraîner un surcroît d'attention de la part des autorités de tutelle, notamment sur le Crédit Lyonnais qui avait arrêté une stratégie comportant plus de risques que la moyenne.

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B. - ANTINOMIE ENTRE LA POLITIQUE DE VIVE CROISSANCE ET LES FONDS PROPRES DISPONIBLES

Une croissance soutenue impliquait l'obligation de renforcer les fonds propres de l'établissement. Cette obligation résultait des règles prudentielles en usage, et tout particulièrement des nouvelles règles en cours d'élaboration en 1987/88 par le Comité des gouverneurs des banques centrales de Bâle, face à la montée des risques sur les métiers de l'argent. Des règles du même ordre avaient d'ailleurs été adoptées dans le domaine de l'assurance, dès 1976 au niveau de la CEE, pour les mêmes motifs prudentiels.

Les réflexions du Comité de Bâle ont abouti en juin 1988 à l'adoption du "ratio Cooke", repris dans des directives européennes en avril et décembre 1989 sur les fonds propres et le ratio de solvabilité, fixant notamment à 8 p. 100 des engagements pondérés le ratio de solvabilité que les établissements devaient atteindre au 1er janvier 1993.

Du fait de ces règles, les établissements bancaires avaient à augmenter leurs fonds propres, indépendamment de toute expansion de leur activité, précisément au moment où le Crédit Lyonnais décidait de se lancer dans une expansion accélérée. Cette stratégie de croissance du Crédit Lyonnais obligeait l'établissement à doubler l'effort d'accroissement des fonds propres (voir ci-dessous graphique n° 9).

Compte tenu de la faible rentabilité de l'établissement et de la fragilisation de la rentabilité des banques évoquée ci-dessus, il était exclu de dégager de tels fonds propres par autofinancement. Comme au surplus l'Etat n'était pas disposé à les apporter, le financement de la stratégie de croissance était dès le départ problématique, ce que ne pouvaient ignorer ni l'Etat actionnaire ni les autorités de tutelle, lesquels ont néanmoins laissé mettre en oeuvre et se poursuivre une stratégie de croissance accélérée. Il s'en est suivi l'obligation de recourir à des substituts à de véritables fonds propres en numéraire ne répondant que formellement aux exigences réglementaires et entraînant des conséquences négatives pour l'établissement, comme il sera exposé plus loin.

Le graphique n° 9 ci-dessous montre l'évolution des fonds propres et assimilés du Crédit Lyonnais et de ses grands concurrents.

Les fonds propres et assimilés du Crédit Lyonnais ont été augmentés de 210 p. 100 sur

la période 1987-1993, alors que son total bilan hors opérations interbancaires augmentait de 156 p. 100.

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Simultanément ses grands concurrents augmentaient leurs fonds propres et assimilés de 197 p. 100, presque autant que le Crédit Lyonnais , cependant que leur total de bilan hors inter bancaire croissait de 71 p. 100 seulement : ils ont donc renforcé plus que le Crédit Lyonnais leur assise financière au cours de la période sous contrôle.

La croissance supérieure des fonds propres, par rapport à celle du bilan, traduit l'incidence des mesures décidées par le Comité de Bâle : ces mesures ont été à l'origine de la moitié environ de la croissance des fonds propres du Crédit Lyonnais sur la période.

Les substituts à des fonds propres apportés en numéraire

De 1988 à 1992, l'établissement a dû augmenter de quelque 63 milliards de francs ses fonds propres et assimilés, en raison de sa politique d'expansion accélérée et des exigences de la réglementation nouvelle.

Pour un montant total de 50 milliards de francs il a recouru aux moyens suivants :

- l'émission de "fonds propres complémentaires" ;

- des augmentations de capital en titres ;

- l'accroissement du périmètre de consolidation.

En dehors d'une augmentation de capital de 1,5 milliard souscrite par la Caisse des dépôts et consignations en novembre 1989, il a fallu attendre juillet 1994 pour que 4,9 milliards de fonds propres soient apportés en numéraire au titre de 1993, en vue de combler une partie des pertes. Ils ont de ce fait été immédiatement consommés, ce qui explique que, malgré cet apport, le total des fonds propres ait diminué en 1993.

Le reste des "fonds propres" de l'établissement a été obtenu par divers procédés internes : changements de méthodes comptables, reprises sur le stock de provisions, vente du siège et des immeubles d'exploitation de la banque à une filiale captive.

Avant d'examiner chacune des trois grandes rubriques ci-dessus, on rappellera que dans un établissement bancaire les fonds propres répondent à deux finalités complémentaires.

. La première et la plus essentielle est de permettre à l'établissement de prendre des risques. Les fonds déposés par les clients ou les fonds empruntés ne doivent pas être mis en risque. Ils sont destinés seulement à fournir des moyens de trésorerie. Si la banque fait des pertes, celles-ci ne doivent pas être supportées par les déposants.

Seuls les fonds propres peuvent être mis en risque, c'est-à-dire être utilisés pour la couverture des pertes éventuelles. A cette fin les fonds propres doivent donc être "libres de tous engagements", c'est-à-dire notamment mobilisables dans des délais suffisamment rapides.

. La seconde finalité des fonds propres est d'apporter une contribution au PNB de l'établissement. Etant donné qu'ils ne sont rémunérés qu'en fonction du résultat net de l'établissement, leur prix de revient financier "ex ante" est le plus souvent nul : en conséquence, leur placement par la banque engendre un PNB plus élevé que celui tiré par exemple du placement de fonds empruntés sur les marchés.

Les divers moyens, tous juridiquement réguliers, utilisés par le Crédit Lyonnais pour augmenter ses fonds propres seront examinés ci- après à la lumière des développements qui précèdent.

a) L'émission de fonds propres complémentaires

Les "fonds propres complémentaires" sont en réalité des emprunts.

Pour l'essentiel ce sont des emprunts dont la date de remboursement est laissée au gré de l'émetteur, et qui ne sont remboursés qu'après que les autres créanciers de l'établissement ont été désintéressés. Les titres représentatifs de ces emprunts sont dits "titres subordonnés à durée

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En revanche, ils ne répondent pas à la seconde finalité des fonds propres, qui est de contribuer au PNB. En effet, ces emprunts sont plus coûteux pour l'émetteur que des emprunts classiques, en raison de leurs caractéristiques moins attrayantes. En conséquence, le placement des fonds ainsi recueillis ne contribue généralement pas au PNB. Au contraire, le plus souvent, il coûte du PNB. Ceci explique sans doute que le Crédit Lyonnais y ait eu recours moins que ses grands concurrents : au 31 décembre 1993, de tels titres figuraient au bilan pour 23 milliards, soit 29 p. 100 des fonds propres et assimilés de la banque, contre 38 p. 100 pour les deux grands concurrents du Crédit Lyonnais .

b) Des augmentations de capital en titres

Le Crédit Lyonnais a eu recours à hauteur de 13 milliards de francs à des augmentations de capital en titres, au moyen d'apport par l'Etat ou par des entreprises du secteur public de titres d'entreprises appartenant à ce secteur, rémunérés par des titres du Crédit Lyonnais , émis pour la circonstance.

Ces opérations, faites avec l'accord de l'Etat actionnaire, étaient certes juridiquement régulières, mais du point de vue économique elles ne répondaient que très imparfaitement aux finalités des fonds propres et ont aggravé les difficultés du Crédit Lyonnais . Y recourir de manière intense, pour un établissement dont le fonds de roulement était gravement négatif, était méconnaître l'esprit des règles prudentielles.

- Des échanges de titres : du point de vue économique on ne peut tout d'abord que s'interroger sérieusement sur le fait qu'il y ait réellement création de capitaux propres dans le cas d'échanges de titres, quelles que soient la régularité et l'ingéniosité des montages mis en oeuvre.

Sans traiter ce débat au plan général, on notera seulement, du strict point de vue du Crédit Lyonnais , deux caractéristiques des "fonds propres" de l'espèce : leur caractère non mobilisable, leur caractère peu rémunérateur.

- Ces titres n'étaient pas mobilisables : il s'agissait de titres d'entreprises nationales. Les vendre pour faire face à des pertes aurait conduit à une dénationalisation. En outre, pour certains d'entre eux, il s'agissait de papier qui n'aurait pu se placer sur le marché sans perte.

Ce caractère non mobilisable était d'autant plus dangereux que l'établissement développait plus que la moyenne de la place ses participations industrielles, type d'emplois peu liquides et nécessitant un financement par de vrais fonds propres. Dans ces conditions la liquidité de l'établissement devenait dangereusement insuffisante.

Le caractère non mobilisable de ces titres est d'ailleurs bien apparu lorsque l'établissement a dégagé des pertes élevées. Il a été obligé de chercher ailleurs, notamment dans son portefeuille de participations, les moyens de procéder à des désinvestissements.

- Ces titres ne contribuaient pas au PNB : faute de pouvoir les céder pour en tirer de l'argent frais, utilisable dans l'activité bancaire, le Crédit Lyonnais a dû les conserver. Et rapidement ces titres, dont certains apportés en pleine crise économique, n'ont produit aucun dividende. Une bonne part de la baisse du PNB retracée dans les graphiques n°s 2 et 3 déjà étudiés plus haut résulte du caractère stérile de tels "fonds propres".

Bien plus, ces titres, perdant de la valeur, ont entraîné pour l'établissement l'obligation de constituer des provisions pour moins- value, facteur d'aggravation de la situation propre du Crédit Lyonnais .

Au total, ces augmentations de capital en titres satisfaisaient certes aux exigences réglementaires mais n'apportaient pas de solution appropriée à la situation particulière du Crédit Lyonnais .

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Dès janvier 1989, le directeur du Trésor a souligné à plusieurs reprises auprès du ministre de l'économie et des finances les dangers pour l'entreprise de telles augmentations de capital, leur faible rentabilité potentielle et leur manque de liquidité. Dans certains cas, les montages aboutissaient même à diminuer la liquidité de la banque. Il exprimait l'opinion que seule l'émission d'actions apportant du numéraire était la "solution adaptée".

Les opérations d'augmentation de capital en titres ont été les suivantes :

Opération Altus Finance

Cette opération s'analyse comme un échange de titres entre le groupe Thomson CSF et le Crédit Lyonnais .

Le 6 février 1990, Thomson CSF a fait apport au Crédit Lyonnais d'une participation de 50 p. 100 dans sa filiale à 100 p. 100 Thomson CSF Finance, rebaptisée Altus Finance (du mot latin altus qui signifie à la fois haut et profond), pour une valeur de 4,9 milliards de francs. Le Crédit Lyonnais a rémunéré cet apport en émettant des actions pour une valeur équivalente et en les transférant à Thomson CSF.

Le 20 décembre 1990, le Crédit Lyonnais a acquis 15 p. 100 supplémentaires d'Altus Finance et rémunéré Thomson CSF de la même façon, pour 1 500 millions.

Le 3 septembre 1993, 31 p. 100 du capital d'Altus Finance ont été apportés par Thomson CSF, cela se traduisant par une nouvelle augmentation de capital "en papier" de 3,444 milliards.

Cette prise de participation a été considérée sur le moment comme très avantageuse pour le Crédit Lyonnais , au point que le ministre de l'économie et des finances n'y consentit que moyennant l'engagement du Crédit Lyonnais de participer ultérieurement à une augmentation de capital dans une entreprise publique à désigner (voir ci-dessous, affaire Aérospatiale).

Dans un premier temps, les bénéfices d'Altus Finance apportèrent aux résultats consolidés du Crédit Lyonnais une contribution cumulée de 3,8 milliards de francs de 1990 à 1992. Toutefois cette contribution ne reflétait pas l'apparition de pertes, rendues moins apparentes par des montages juridiques et par des insuffisances de provisionnements. En réalité, les comptes consolidés d'Altus étaient déjà en perte en 1992, alors qu'ils affichaient un résultat positif de 1,8 milliard. Les comptes consolidés de 1993 firent apparaître l'existence des pertes : ils affichèrent une perte de 2,6 milliards, qui était elle-même gravement sous-estimée.

Globalement, coûts de portage inclus, Altus Finance a apporté une contribution négative au PNB du Crédit Lyonnais de l'ordre d'au moins 5 milliards de francs de 1990 à 1993.

Opération Rhône-Poulenc

Cette opération s'analyse comme un échange de titres entre le Crédit Lyonnais et l'Etat.

Le 20 août 1990, le Crédit Lyonnais a reçu de l'Etat des actions de Rhône-Poulenc pour une valeur de 1,7 milliard de francs, représentant 5,4 p. 100 du capital de ce groupe, et a remis à l'Etat en règlement, à due concurrence, des titres du Crédit Lyonnais créés pour la circonstance.

Le groupe Rhône-Poulenc a dégagé de 1990 à 1993 des résultats positifs, représentant pour le Crédit Lyonnais en moyenne un peu plus de 50 millions par an, soit un rendement moyen des fonds investis pour le Crédit Lyonnais d'un peu plus de 3 p. 100 l'an au cours de ces quatre années. Ce rendement, très inférieur à celui que le Crédit Lyonnais pouvait tirer de ses emplois bancaires, a représenté en termes de PNB, du fait des coûts de portage, un manque à gagner cumulé proche de 500 millions de francs de 1990 à 1993.

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L'opération Usinor-Sacilor

Il s'agit d'une augmentation de "fonds propres" de 3 milliards de francs obtenue par un échange de titres entre le Crédit Lyonnais et l'Etat : le 31 décembre 1991 le Crédit Lyonnais a reçu de l'Etat une participation de 20 p. 100 dans Usinor-Sacilor, et a remis à l'Etat, en contrepartie des titres Crédit Lyonnais créés pour la circonstance, pour 3 milliards.

Cette prise de participation du Crédit Lyonnais dans Usinor-Sacilor s'est faite à un moment où la crise économique était déclarée, et où tout permettait de penser que la sidérurgie en subirait particulièrement l'impact, comme tous les secteurs de base, ce qui ne manquerait pas de se répercuter défavorablement par la suite sur les comptes du Crédit Lyonnais .

Elle s'est faite également sans que la banque ait demandé, comme il est d'usage pour de tels montants, d'étude industrielle à un cabinet d'évaluation extérieur. Le Crédit Lyonnais s'est contenté d'un "avis rapide" de ses services, élaboré à partir d'informations anciennes non remises à jour, émanant du groupe Usinor-Sacilor lui-même, et faisant état de prévisions de résultats optimistes, supérieurs à 4 milliards par an en 1992, 1993 et 1994.

Au vu de ces chiffres, peu crédibles en raison de la crise, le Crédit Lyonnais a fait état devant son Conseil d'administration de prévisions de rendement de sa participation de 840 millions en 1992 et 800 millions en 1993. En fait, le résultat a été une perte de 480 millions pour le Crédit Lyonnais en 1992 et de 1,2 milliard en 1993.

Au 31 décembre 1993, la valeur d'Usinor-Sacilor dans les comptes du Crédit Lyonnais était tombée à 60 p. 100 de sa valeur initiale. En 1992 et 1993, le Crédit Lyonnais a perdu dans cette affaire environ 2,9 milliards, coûts de portage inclus.

Toutefois, en 1994 les comptes d'Usinor-Sacilor se sont traduits par un résultat net positif de 1,5 milliard de francs contre 5,7 milliards de pertes en 1993, dont 20 p. 100 sont revenus au Crédit Lyonnais .

L'opération Aérospatiale

Cette opération s'analyse, elle aussi, comme un échange de titres entre le Crédit Lyonnais et l'Etat. Elle a été réalisée à la demande du ministre de l'économie et des finances, en contrepartie de l'autorisation donnée au Crédit Lyonnais de prendre le contrôle d'Altus Finance en 1990.

Le 31 décembre 1992, le Crédit Lyonnais a reçu de l'Etat des titres de l'Aérospatiale, pour une valeur de 1,87 milliard de francs, et a remis à l'Etat en contrepartie à due concurrence des titres du Crédit Lyonnais émis pour la circonstance.

Cette opération s'est révélée perdante pour le Crédit Lyonnais . Elle s'est faite à un moment où la mauvaise situation de cette entreprise était connue du Crédit Lyonnais . Néanmoins les prévisions de résultats présentées au Conseil d'administration de la banque en novembre 1992 étaient optimistes, tablant sur des bénéfices d'un peu plus de 2 milliards par an au cours des années futures.

Cette opération s'est faite malgré les avertissements donnés par la Cour des comptes, dans un rapport transmis le 18 décembre 1992 à l'entreprise et à la tutelle, sur le caractère artificiel et dangereux des augmentations de capital en titres d'entreprises nationales non négociables.

Les résultats de l'Aérospatiale ont été une perte de 2,4 milliards en 1992, de 1,4 milliard en 1993 et de 483 millions en 1994. En un an, en 1993, le Crédit Lyonnais a perdu dans cette affaire 585 millions, coût de portage inclus. Pour les deux années 1993 et 1994 la perte cumulée pour le Crédit Lyonnais a été d'environ 800 millions de francs.

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Bilan des augmentations de capital en titres

Au total, les augmentations de capital réalisées par ce moyen ont apporté, pour les années sous contrôle, des pertes cumulées de plus de 8 milliards au groupe Crédit Lyonnais , coûts de portage inclus, au lieu de contribuer de manière positive au PNB, comme c'est le rôle normal de véritables fonds propres.

Les augmentations de capital en titres non mobilisables présentaient dès le départ le risque de fragiliser l'entreprise au lieu de la renforcer, dans le cas de difficultés conjoncturelles, c'est-à- dire au moment où l'appui des fonds propres serait le plus nécessaire.

Dès le 1er octobre 1992 la direction du Trésor avait fait part au ministre de ses soucis concernant "la compatibilité entre les moyens de l'actionnaire et la stratégie du Crédit Lyonnais ". La Cour pour sa part avait souligné, le 18 décembre 1992, auprès de l'entreprise et des autorités compétentes, les dangers des augmentations de capital en titres non mobilisables, ce qui n'a pas empêché le Crédit Lyonnais de continuer d'y avoir recours après cette date. En réponse à la Cour, le directeur du Trésor, le 8 février 1993, tout en rappelant la régularité juridique de telles opérations, écrivait : "Toutefois, il est clair que dans l'hypothèse où les établissements concernés (les banques nationales) rencontreraient des difficultés de refinancement, il leur serait a priori difficile d'utiliser ces titres."

c) Des accroissements du périmètre de consolidation

L'accroissement du périmètre de consolidation a été employé comme troisième moyen de suppléer à l'absence d'apports de véritables fonds propres par l'actionnaire Etat.

Les fonds propres issus de cet effet de consolidation représentaient au bilan consolidé de 1993 un peu plus de 14 milliards de francs. Ils résultent du fait qu'il est permis d'inscrire au bilan de la société mère la totalité des fonds propres d'une filiale dont elle ne détient cependant qu'une partie, dès lors que cette partie est suffisante pour avoir le pouvoir de gestion dans la filiale et pour permettre de la consolider par "intégration globale".

Dans le cas du Crédit Lyonnais , l'acquisition de nombreuses filiales s'est ainsi révélé apporter plus de fonds propres consolidés que n'en coûtait l'acquisition de la participation correspondante. En pareil cas, les ratios de solvabilité, loin de jouer leur rôle de frein à des prises de risques excessives, ont servi au contraire d'accélérateur à l'expansion par croissance externe. En outre, compte tenu de la situation du Crédit Lyonnais , cet effet de levier sur les fonds propres a abouti à des inconvénients voisins de ceux des apports en titres d'entreprises publiques.

- Manque de liquidité : les participations dans les filiales non mobilisables concernées ne peuvent être revendues, car ceci entraînerait pour la maison mère la disparition des fonds propres correspondants, la mettant en contravention avec les règles de solvabilité.

Tel est actuellement le cas, pour de nombreuses filiales étrangères, au premier rang desquelles la filiale allemande BFG dont le Crédit Lyonnais possède 50 p. 100 plus une action, qui, pour un coût d'acquisition de 4 830 millions de francs, a permis d'inscrire au bilan de 1992 un montant de fonds propres consolidés de 6 758 millions de francs. Cette acquisition a été d'ailleurs l'occasion d'une augmentation de capital du Crédit Lyonnais en titres à hauteur de 1,8 milliard de francs, par apport d'actions BFG acquises par les AGF.

Altus Finance relève également de la catégorie des extensions de périmètre : en 1990, pour une mise de fonds en titres de 6,4 milliards de francs, le Crédit Lyonnais a pu inscrire à son bilan consolidé 11 milliards de fonds propres d'Altus Finance et 7 milliards de quasi- fonds propres. Cet effet de levier avait été pour beaucoup dans la décision du Crédit Lyonnais d'entrer dans cette filiale.

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- Défaut de contribution au PNB : de tels "fonds propres" n'apportent pas à la maison mère le PNB supplémentaire attendu des véritables fonds propres. Ils sont en effet bloqués dans la filiale et ne peuvent être mobilisés. Leur rentabilité dépend donc de celle de cette filiale. Dans le cas des filiales étrangères acquises depuis 1988, la rentabilité globale des fonds propres a été apparemment favorable en 1989, 1990 et 1991, avec des rendements proches de 10 p. 100, qui ne paraissaient d'ailleurs pas justifiés par les conditions de l'activité de ces établissements. En 1992 cette rentabilité apparente a diminué, pour tomber à zéro en 1993.

Là encore, les fonds immobilisés dans des actifs peu ou pas productifs pèsent sur le PNB et le RBE et contribuent à expliquer l'allure des graphiques n°s 2 et 3 déjà cités. En 1993 l'insuffisance de rentabilité des filiales étrangères acquises depuis 1988 a minoré d'environ 3 milliards de francs le PNB du Crédit Lyonnais .

Il apparaît ainsi que la stratégie de vive croissance décidée par le Crédit Lyonnais était incompatible avec les capacités de l'Etat actionnaire de fournir à l'établissement, autrement que par des titres d'entreprises publiques non mobilisables, les fonds propres qui auraient dû accompagner sa stratégie d'expansion accélérée et répondre aux exigences elles-mêmes croissantes de la réglementation. Les dangers d'une telle situation auraient dû apparaître dès la formulation de cette stratégie, et donner lieu dès ce moment à des réorientations tenant compte de la réalité et des exigences prudentielles.

C. - INSUFFISANCE DES MOYENS DE CONTROLE INTERNE DU GROUPE CREDIT LYONNAIS

La stratégie de vive croissance n'était pas compatible avec les moyens de contrôle dont disposait le Crédit Lyonnais . Dès lors, les conditions étaient réunies pour que se réalisent les risques de pertes inhérents à une telle stratégie.

Cette insuffisance existait dans la maison mère, mais plus encore dans les filiales et dans les rapports de celles-ci avec la maison mère.

a) L'insuffisance des moyens de contrôle interne au Crédit Lyonnais

La Cour a constaté que jusqu'à une époque récente (1992 ou 1993 selon les cas) les outils de connaissance et de contrôle des engagements du Crédit Lyonnais sur ses propres risques étaient insuffisants.

L'établissement était organisé par grandes directions verticales, dites directions centrales, spécialisées chacune dans un métier. Une telle organisation avait été mise sur pied pour tenter d'y voir plus clair, avant le début de la période sous revue. Il en était résulté un isolationnisme des directions centrales qui saisissaient rarement le directeur général ou le président. En outre, dans un tel schéma, les instruments de pilotage au niveau central étaient moins développés que dans une organisation traditionnelle.

Au niveau central, existait un comité des opérations bihebdomadaire, présidé par le directeur général ou un de ses adjoints, pour examiner les dossiers relevant de plusieurs directions centrales, ou atypiques. Il existait également un comité mensuel du Conseil d'administration, examinant les engagements dépassant un certain seuil, auquel chaque direction centrale présentait séparément ses propres dossiers.

- Il n'existait pas de direction des engagements au niveau central, ni de comité des engagements destiné à décider ou à donner un avis sur les dossiers à la suite d'une procédure collégiale. Chaque direction disposait d'un pouvoir d'engagement illimité dans son propre secteur et organisait seule son propre contrôle des engagements. Chacune d'entre elles rapportait directement au président.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

La Cour a constaté que des décisions d'engager l'établissement ont été prises, pour des montants élevés, contre l'avis des services et, dans le cas d'une filiale, contre l'avis également du président de cette dernière, sans qu'il ait été possible de trouver de trace écrite permettant d'établir quelle autorité avait donné l'ordre de passer outre.

- La centralisation était imparfaite en ce qui concerne les prises de participation, entraînant pourtant "consommation de fonds propres" du groupe. Les décisions de l'espèce relevaient de chaque direction centrale et n'étaient pas toujours présentées au comité des participations créé en 1989.

- Le suivi des engagements au niveau du groupe était constitué pour l'essentiel par un tableau de bord trimestriel, tenu depuis 1990, disponible trois mois après la fin du trimestre concerné, qui recensait les risques les plus importants, mais de manière incomplète. En outre il ne traduisait que les utilisations de crédits , non les engagements eux-mêmes. Ce tableau de bord était diffusé seulement aux directeurs centraux, lesquels, de manière générale, ne répercutaient pas ses informations sur leurs services.

La Cour a constaté que sur de grands dossiers d'engagements, les décisions avaient souvent été prises sans qu'ait été connu le montant réel des engagements antérieurs du groupe Crédit Lyonnais sur le client considéré.

En septembre 1992, après que de graves impayés ont affecté la banque, fut mis en place, au sein de la direction de la gestion financière du groupe créée en 1989, un Contrôle général du groupe, structure légère de trois personnes, chargée de suivre les grands risques figurant sur le tableau de bord évoqué ci-dessus, dont le nombre des clients suivis a été doublé, et de rapporter devant un comité trimestriel de suivi des grands risques placé sous l'autorité du président. Ce dispositif fut mis en place progressivement en 1993.

- La fonction d'inspection générale était délaissée et celle d'audit interne peu développée.

Les effectifs de l'inspection générale sont descendus de 87 personnes en 1987 (pour un effectif autorisé de 111) à 66 personnes en 1990, cette situation étant due, selon les dirigeants, à la pénurie de cadres créée par la stratégie de vive croissance du Crédit Lyonnais . En 1991, les effectifs en sont remontés à 119 grâce à un élargissement du recrutement, ses missions ont été redéfinies et ses conditions de travail améliorées.

La fonction d'audit interne, chargée d'assurer la fiabilité et la sécurité des traitements comptables, était confiée à chaque direction centrale. En fait lorsque fut installé, en novembre 1991, le Comité d'audit interne rendu obligatoire par la réglementation, la plupart de ces directions n'assuraient pas cette fonction dont elles étaient en principe chargées.

- Enfin la comptabilité analytique, qui, à la fin des années 1970, avait été en avance par rapport au reste de la profession, avait peu progressé depuis et apparaissait désormais comme peu développée et peu fiable.

b) L'insuffisance de contrôle de la maison mère sur ses filiales

- La stratégie des filiales bancaires françaises

A l'exception de Clinvest, filiale spécialisée dans les prises de participation, chaque grande filiale bancaire française (BIGT, SDBO, Altus Finance) déterminait seule sa stratégie, ou ce qui en tenait lieu. L'analyse des "stratégies" poursuivies par chacune a montré qu'il s'agissait en réalité de choix d'opportunité, faits au fil du temps, qui n'obéissaient à aucune cohérence ni coordination entre eux ni avec les choix de la maison mère.

Comme pour la maison mère elle-même, ces stratégies de croissance étaient fondées sur l'exploitation à très court terme de "créneaux" jugés porteurs, sans vues à moyen ou long terme.

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- La stratégie d'Altus Finance

La stratégie d'Altus Finance au sein du groupe Crédit Lyonnais s'est caractérisée par un développement soutenu dans des domaines où cet établissement n'avait aucune compétence. Cette filiale a de ce fait fourni un exemple assez représentatif des conséquences négatives d'une politique de croissance active sur la qualité des risques.

La stratégie d'Altus Finance avait été définie par le Crédit Lyonnais comme étant ce qu'il ne peut pas, ne sait pas ou ne veut pas faire. De ce fait, cette filiale qui était spécialisée à l'origine dans les "opérations de marchés" (marchés de taux, marchés de change) s'est lancée en grand dans le financement des professionnels de l'immobilier et dans l'acquisition d'entreprises en difficulté en vue de les revendre. Son bilan consolidé a grandi de 41 p. 100 de 1990 à 1992, passant de 92 milliards de francs en 1990, année de l'entrée d'Altus dans le groupe Crédit Lyonnais , à 130 milliards en 1992.

En 1993, ce total est retombé à 85 milliards, essentiellement par déconsolidation de diverses participations malheureuses, dont la banque Colbert, reprise par le Crédit Lyonnais .

Les nouveaux domaines d'activité Altus Finance se sont révélés des foyers de pertes élevées. La viabilité de l'établissement dans sa configuration actuelle apparaît problématique et ne justifie pas son maintien comme entreprise autonome.

- La stratégie de la Banque internationale de gestion et de trésorerie (BIGT)

La même formulation négative (faire ce que le Crédit Lyonnais ne peut pas, ne sait pas ou ne veut pas faire) inspirait également la stratégie de la BIGT, dont la vocation était, selon ses dirigeants, d'être "une banque d'opportunités", à la fois banque généraliste et banque de "niches". Ce n'était pas une véritable stratégie.

Cette entreprise, créée en 1981 comme banque de marché et de trésorerie, a réalisé l'essentiel de ses résultats dans la fabrication et la commercialisation de crédits d'impôts fictifs 9 dont elle a été le "leader" sur le marché avec un total de 1 160 millions de crédits d'impôt fictifs émis. A cette occasion, la banque a consenti des avantages élevés à des personnes physiques, destinés selon elle à compenser de mauvaises affaires qu'elle leur aurait fait faire, et ce, dans des conditions de régularité des plus douteuses.

Après que la pratique des crédits d'impôt fictifs eut été proscrite, en mai 1989, la banque a cherché des fonds de commerce de rechange dans de multiples directions : la banque d'affaires, la gestion de patrimoine, le courtage interbancaire et financier, le conseil aux collectivités locales, l'informatique financière et bancaire, l'immobilier d'entreprise, l'assurance et la réassurance, le troc multilatéral, la location d'équipements mobiliers, l'ingénierie financière et fiscale, etc.

Dans aucun de ces domaines la banque, dont l'effectif total a culminé à 230 personnes, n'a atteint une taille critique suffisante, justifiant son maintien comme entreprise autonome.

Ses activités d'émetteur de crédits d'impôts fictifs font peser sur elle un passif latent élevé, constitué par les réclamations que lui ont signifiées ses "clients" redressés par le fisc.

- La stratégie de la Société de banque occidentale (SDBO)

La SDBO est la filiale bancaire dont la stratégie de croissance a été la plus marquée, avec une progression du bilan de 30 p. 100 par an en moyenne au cours de la période sous revue. Le bilan a été multiplié par 2,5 de 1987 (8,6 milliards) à 1992 (21,9 milliards). En 1993, si l'on fait abstraction du fait que le Crédit Lyonnais a absorbé 4,7 milliards de créances immobilières particulièrement mauvaises, le total du bilan a augmenté de 21 p. 100.

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L'activité de la banque s'est développée vigoureusement sans vue d'ensemble ni stratégie explicite autre que l'empirisme. Ses deux principaux domaines d'activité à la fin de la période sous revue étaient le financement d'affaires en redressement judiciaire et l'immobilier.

Le directeur général de la banque, ancien président au tribunal de commerce de Paris, était le principal apporteur d'affaires pour le financement des syndics de faillite, liquidateurs, repreneurs d'affaires passées en tribunal de commerce, secteur qui représentait 45 p. 100 des concours en 1992. Le développement des affaires y échappait parfois à la banque, qui ne résistait pas à la pression de certains de ses clients, notamment en ce qui concerne le premier de ceux-ci, dont l'encours douteux atteignait 1,4 milliard au 31 décembre 1993.

Dans le domaine de l'immobilier, la banque est devenue en trois ans sans aucune compétence particulière un des premiers banquiers des marchands de biens, activité qui représentait en 1992 45 p. 100 des concours délivrés par la banque.

Outre ces deux grands compartiments, la SDBO avait développé le financement des galeries d'art, commissaires-priseurs, spectacles, le métier de banque d'affaires et enfin la gestion de patrimoine, activité à l'occasion de laquelle la SDBO a pratiqué l'émission de crédits d'impôts fictifs, pour des montants toutefois moins élevés que la BIGT (133 millions de francs).

Dans aucun des domaines d'activité ci-dessus la banque ne réunissait les compétences et dans certains cas la taille critique justifiant le maintien d'une filiale autonome.

- Les contrôles sur les filiales françaises

Jusqu'à la mi-1993, les moyens de contrôle de la maison mère sur les grandes filiales bancaires françaises (SDBO, Altus Finance, BIGT) étaient faibles.

L'absence de coordination entre filiales et avec la maison mère résultait de l'application d'un principe de décentralisation poussé juqu'à l'extrême, selon lequel les filiales étaient totalement "autonomes", sous réserve de ne pas concurrencer le groupe sur des dossiers déterminés, et étaient jugées seulement sur leurs résultats. Le Crédit Lyonnais , lorsqu'il était entré dans ces filiales, y avait maintenu ou nommé des dirigeants favorables à un tel choix d'organisation.

Cela explique qu'il n'existait pour ces filiales aucun objectif chiffré arrêté en accord avec la maison mère dans le cadre d'une procédure "budgétaire", aucun mécanisme de comparaison des réalisations avec les objectifs, aucune analyse ni correction des écarts, c'est-à-dire aucun des éléments qui constituent la base minimale d'un contrôle.

. Chaque filiale bancaire française était libre de décider seule et sans limite ses engagements et prises de participations. Le contrôle des engagements relevait uniquement de chacune d'entre elles, sans coordination avec des procédures "groupe".

Le contrôle des engagements était organisé plus ou moins complètement selon les filiales. C'est ainsi qu'à Altus Finance la plupart des décisions étaient prises verbalement par le directeur général, souvent sans réel dossier d'étude préalable et sans examen par le comité des engagements.

Il n'y avait aucun contrôle des engagements des filiales au niveau du groupe Crédit Lyonnais , qui aurait pu servir de filtre pour l'examen des dossiers les plus importants. En septembre 1990, une proposition du directeur compétent du Crédit Lyonnais , visant à instaurer un tel contrôle préalable pour les dossiers d'un montant élevé, fut retournée à son auteur avec une mention du président selon laquelle il convenait d'envisager un tel contrôle plus comme une faculté que comme une obligation.

9) Les crédits d'impôts fictifs ont fait l'objet de deux insertions au rapport public de la Cour, l'une en 1989 et l'autre en 1994.

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Un tel dispositif autorisait les filiales, en profitant de l'effet de groupe, à prendre des engagements sans commune mesure avec leur taille propre, sans que la maison mère puisse intervenir à temps, alors que c'était elle qui devait, en définitive, combler les pertes.

De ce fait, la maison mère n'était le plus souvent informée de l'existence de tels dossiers qu'en cas d'évolution défavorable. Dans certains cas, la Cour a constaté que de gros dossiers difficiles, qui s'étaient développés dans telle ou telle filiale, remontaient officieusement au président du Crédit Lyonnais .

. Les procédures de compte rendu et de suivi étaient faibles :

A la SDBO, le suivi des crédits était mal assuré. Il n'existait pas de cellule de surveillance des grands risques, non plus qu'un outil informatique permettant de connaître les risques par dossier et les risques par client. En 1993 des pans entiers de l'activité étaient encore suivis à la main, notamment les plus gros dossiers de crédits , les opérations sur titres, les immobilisations.

Jusqu'en 1992, la fonction d'inspection interne n'était pas assurée.

Ce n'est que depuis 1992 que des comptes rendus mensuels chiffrés ont été envoyés à la maison mère.

Le total des risques sur le premier client de la société, sur lequel l'engagement de la banque a culminé à 2,3 milliards, ne faisait pas l'objet d'un état consolidé. La banque s'est laissée entraîner à quasiment tripler son encours de 1991 à 1994, souvent sous la pression du fait accompli, sans que soit consulté le comité de crédits , en passant insensiblement du découvert de trésorerie au crédit à court terme puis à moyen puis à long terme. Elle a accepté que ses crédits financent le fonctionnement de filiales déficitaires, avec des "vases communicants" de l'une à l'autre, privant le crédit d'un objet spécifique, le tout sans études financières ou industrielles préalables. Elle a accepté, en outre, que la plus grande partie des agios dus soit "réglée" par augmentation du découvert total. En fin de période les deux tiers des crédits accordés n'étaient pas couverts par des gages. Les provisions sur ce dossier étaient gravement insuffisantes : la Cour en avait formulé l'observation en précisant qu'elles devaient être augmentées de plusieurs centaines de millions, ce qui n'a été fait qu'au 30 juin 1994.

A la BIGT, où les pouvoirs étaient en fait concentrés entre les mains d'une seule personne, l'organigramme était d'une extrême complexité et en constant remaniement : ainsi en 1993 l'effectif total de 230 personnes était réparti entre la maison mère et 18 filiales (dont 4 jouant le rôle de sous-holding), ce qui rendait les comptes particulièrement difficiles à lire de l'extérieur.

A Altus Finance, où n'existait pas d'organigramme, les structures comportaient de multiples sous-holdings à plusieurs étages, rendant difficile le suivi des affaires. En outre, les dossiers de préparation ou d'exécution des décisions étaient sommaires, mal tenus, lacunaires, peu suivis, l'établissement sous-traitant systématiquement les tâches de gestion relatives à des entreprises dans lesquelles il avait des participations, auprès d'intermédiaires indépendants qui ne lui rendaient compte que de manière occasionnelle, partielle ou tardive. Altus Finance ne disposait d'aucun suivi de ses participations, au nombre de plusieurs milliers, et en ignorait le périmètre exact, se montant à 24 milliards de francs, chiffre qui a dû être reconstitué a posteriori par la Cour. L'établissement n'étant pas lui-même au courant de l'état de ses propres risques ne pouvait en informer valablement sa maison mère. En outre, l'inspection générale du Crédit Lyonnais n'avait effectué aucun contrôle sur cette filiale.

L'essentiel du suivi résultait de réunions mensuelles présidées par le directeur général de la banque, rassemblant pendant plusieurs heures une trentaine de personnes, comprenant des représentants de Thomson et du Crédit Lyonnais , les responsables concernés d'Altus, le collège des commissaires aux comptes et le cabinet de conseil auquel était sous- traité l'audit interne d'Altus. Il n'était tenu aucun procès-verbal ni relevé de décisions de ces réunions.

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Outre cela, le directeur général rencontrait une heure par semaine, lorsque cela était possible, le président du Crédit Lyonnais , président d'Altus Finance.

Des comptes rendus mensuels statistiques des filiales françaises à la maison mère ont été mis en place progressivement à partir de 1990, auxquels la SDBO ne s'est d'ailleurs conformée qu'en 1992. Ces comptes rendus étaient peu exploitables et d'ailleurs dans le cas d'Altus Finance, non exploités, pour les raisons suivantes :

- il n'existait pas de manuel de normes comptables applicables à l'ensemble du groupe, de sorte que les informations fournies étaient hétérogènes ;

- la qualité des informations fournies dépendait de chaque filiale, sans que le Crédit Lyonnais dispose des moyens d'y remédier et tout en se heurtant à de grandes difficultés pour obtenir des réponses à ses demandes d'éclaircissements ;

- il n'existait pas de manuel de consolidation à l'intérieur du groupe, de sorte que les données fournies dans les "liasses de consolidation" devaient être acceptées telles quelles, malgré leur hétérogénéité, et parfois leur caractère suspect, sans bien souvent que la maison mère ou ses commissaires aux comptes aient pu obtenir les informations nécessaires pour rendre fiable l'exercice de consolidation.

En outre, jusqu'au renouvellement des commissaires aux comptes décidé à la fin de 1993, la politique du groupe en matière de commissariat aux comptes, consistant à ne pas avoir de commissaires aux comptes communs aux diverses composantes du groupe, ne permettait pas, au moment de la consolidation, de pallier partiellement ces insuffisances.

En réalité, le seul "contrôle" sur ces filiales bancaires mis en place par la maison mère consistait dans la présence au conseil d'administration de membres de la direction du Crédit Lyonnais , et dans des conversations personnelles entre le dirigeant de chaque filiale et le président du Crédit Lyonnais . Dans le cas d'Altus Finance, le président du Crédit Lyonnais avait pris lui-même la présidence de la banque. Malgré ces relations personnelles, le président du Crédit Lyonnais était loin d'être au courant de nombre des affaires les plus importantes traitées par les filiales, et ses services l'étaient moins encore.

Ce n'est qu'à partir de juillet 1993 que fut mis en place un système de délégations limitatives de pouvoirs aux filiales, avec remontée obligatoire des dossiers à la maison mère au-delà des plafonds, système d'ailleurs imparfaitement respecté, et qui fut complété et transformé au début de 1994 par l'application pure et simple aux filiales des procédures de groupe mises au point au même moment pour la maison mère.

- Les filiales bancaires étrangères

Vis-à-vis des filiales bancaires étrangères, le dispositif était, à certains égards, plus élaboré que vis-à-vis des filiales françaises, dans la mesure où il existait un contrôle et un suivi des engagements au Crédit Lyonnais à Paris : chacune des exploitations à l'étranger se voyait imposer un plafond de compétence, au-dessus duquel elle devait présenter l'affaire devant la direction et le comité des engagements de la direction centrale compétente, à Paris. S'y ajoutaient des procédures de prévision budgétaire, de compte rendu et de suivi des résultats par le contrôle de gestion à la maison mère.

Le dispositif de contrôle des engagements, préexistant à la période sous revue, avait été monté pour contrôler une activité à l'étranger qui était axée essentiellement sur la clientèle des grandes entreprises. Il était en revanche inadapté à la stratégie décidée au cours de la période contrôlée, consistant à développer surtout la banque de détail, c'est-à-dire la banque de réseau s'adressant principalement aux particuliers et aux PME : plus de 85 p. 100 des opérations, en volume, passaient au-dessous des plafonds, qu'il était d'ailleurs exclu d'abaisser sous peine de paralyser le système, de sorte que le dispositif de pilotage et de contrôle antérieur manquait d'efficacité en ce qui concerne la banque de détail.

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De ce fait, il aurait fallu mettre en place des procédures communes, des critères de souscription communs, des stratégies coordonnées, à travers l'ensemble du groupe, guidant l'action quotidienne des filiales.

Or c'est l'inverse qui fut décidé : le principe d'autonomie des filiales fut poussé à l'extrême, dans les nouvelles filiales acquises au cours de la période sous revue, le Crédit Lyonnais s'interdisant de rien changer aux habitudes et à l'organisation des filiales qu'il acquérait, de même qu'à leur stratégie, et le président du groupe encourageant leurs dirigeants à cultiver leur propre culture et leur différence, et à s'adresser personnellement à lui-même en cas de conflits avec les services parisiens. Le cas extrême d'autonomie vis-à- vis de la maison mère était celui du Crédit Lyonnais Bank Nederland (CLBN), la filiale hollandaise acquise en 1981.

En conséquence, aucune stratégie commune ne fut mise en place, autre que celle de l'expansion du chiffre d'affaires, aucune procédure "groupe", aucun manuel "groupe" ne furent imposés, en particulier en ce qui concerne les critères des engagements, leur suivi ou la comptabilité.

Ce n'est qu'à partir de 1992 que commença la mise en place, très progressive, de procédures communes d'audit interne, d'une méthode commune d'analyse des risques et d'une procédure budgétaire, puis en 1993 d'une procédure de suivi des missions de l'inspection générale.

Dans les faits, l'encouragement des filiales à l'autonomie rendit difficile l'application de ces nouvelles mesures "groupe", même dans les filiales les mieux organisées ; ainsi la prise d'engagements élevés dans Metallgesellschaft par la filiale allemande en 1993 s'est-elle réalisée en dehors des procédures de groupe.

Dans les filiales moins bien organisées, les manquements ont pu aller jusqu'à la volonté de désobéissance, le cas le plus caractérisé étant celui du CLBN.

Après douze ans d'appartenance de cette filiale hollandaise au groupe Crédit Lyonnais , les mêmes défauts et les mêmes manquements déjà signalés en 1981 dans un rapport demandé aux auditeurs externes de l'entreprise ont été à nouveau constatés en 1993 par l'inspection générale du Crédit Lyonnais : absence de procédures internes formalisées, absence de plan à moyen terme, absence de politique commerciale, stratégie axée uniquement sur la croissance, inexistence de procédures d'engagements, absence de tableaux de bord tenus à jour, crédits octroyés au vu de dossiers sommaires, absence de souci et de critères d'appréciation du risque, manque généralisé de professionnalisme.

Tout au long de la période sous revue, la filiale a pris l'habitude de désobéir aux ordres de la direction compétente de la maison mère, augmentant ses engagements quand celle-ci demandait de les réduire, omettant de la saisir des dossiers dépassant les plafonds de compétence ou le faisant quand l'engagement était déjà pris, ne donnant pas suite à ses instructions écrites.

En fait, cette filiale, l'ancienne banque Slavenburg, avait été jugée dès l'origine (1981) comme trop "spécifique" pour relever des contrôles et procédures normaux. Les services la considéraient comme rattachée directement au président, en fait sinon en droit, le flou ainsi créé signifiant en réalité une absence de rattachement, dont cette filiale ne manquait pas de tirer profit.

Le défaut accepté de contrôle de cette filiale par la maison mère s'est traduit par des pertes cumulées atteignant 16,5 milliards de francs au 31 décembre 1993, hors MGM.

Il apparaît ainsi que les moyens de contrôle et de suivi dont disposait le Crédit Lyonnais au moment où il arrêtait une stratégie de croissance soutenue, tant en France qu'à l'étranger, n'étaient pas suffisants pour permettre de maîtriser les risques plus élevés inhérents à une telle stratégie.

Il était donc périlleux de décider puis de poursuivre une politique de vive croissance dans ces conditions.

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Troisème partie : Les principaux foyers de pertes du

Crédit lyonnais

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Les pertes au cours de la période sous revue se sont concentrées sur quatre grands centres d'activité :

- le réseau européen, pour 3 milliards de francs pour la seule année 1993 ;

- le cinéma et le para-cinéma, pour 16,5 milliards, hors Metro Goldwyn Mayer ;

- le partenariat banque-industrie, pour environ 12 milliards ;

- l'immobilier pour 23,4 milliards.

Ces quatre points feront l'objet chacun d'une étude particulière, exposant les causes des pertes, et leur montant global.

Le total des pertes ainsi recensées excède bien entendu les chiffres apparaissant au bilan, qui tiennent compte des éléments venant en atténuation : revenus ordinaires, opérations exceptionnelles, opération de cantonnement de 1993.

I. - LE RESEAU EUROPEEN

Le réseau européen a constitué un foyer de pertes de l'ordre de 3 milliards par an, valeur au 31 décembre 1993, du fait de l'absence de rentabilité à cette date de la stratégie de croissance accélérée, centrée sur la banque de détail.

La stratégie de croissance du Crédit Lyonnais a comporté un volet européen très marqué, la banque ayant affiché son intention de devenir la première banque universelle d'Europe. La croissance du PNB à l'étranger (Europe et reste du monde), retracée sur le graphique n° 10, ci-dessous, montre que l'essentiel de la croissance du PNB à l'étranger résulte de la croissance en Europe.

a) L'objectif poursuivi

En 1987, le réseau international du Crédit Lyonnais se composait pour l'essentiel de "banques de gros", tournées vers la clientèle des grandes entreprises. Il s'agissait d'implantations relativement légères, faites en agences directes plutôt que par filiales partout où la législation le permettait, et ne comportant qu'un ou deux guichets par pays, les Etats-Unis faisant exception en raison de leur taille, avec neuf points de vente.

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En 1987, le réseau international comportait également quelques "banques de détail", tournées vers la clientèle des particuliers et des PME : hors d'Europe, des implantations en Afrique francophone et en Amérique latine, qui avaient évolué vers une clientèle plus large et qui représentaient en tout 5 p. 100 du total du bilan du réseau international, et, en Europe, le CLBN déjà évoqué plus haut.

A partir de 1988, la banque s'est orientée vers l'acquisition systématique de nouvelles filiales exerçant le métier de "banque de détail" dans les différents pays d'Europe.

L'analyse qui présidait à cette stratégie était que l'ouverture européenne prévue pour le 1er janvier 1993 devait entraîner en peu d'années l'unification de l'ensemble des marchés européens ainsi que l'uniformisation rapide des produits et des modes opératoires dans le domaine bancaire. Les PME, les consommateurs et les travailleurs deviendraient mobiles, s'installant indifféremment dans tous les pays dont les spécificités locales disparaîtraient rapidement. Dès lors, la banque qui capterait la première cette clientèle "d'entreprises à vocation européenne" (dites "EVE") et de "particuliers mobiles" disposerait d'un avantage décisif sur ses rivales. Pour cela, il importait d'acquérir rapidement des banques de détail existantes, disposant déjà d'une clientèle d'"EVE" et de particuliers mobiles, et de développer un "effet de synergie du réseau maillé", chacune des nouvelles entités du réseau devenant dans cette nouvelle Europe l'équivalent des agences métropolitaines du Crédit Lyonnais dans le marché français.

Aucune étude ne fut menée pour savoir si une telle clientèle d'"EVE" et de "particuliers mobiles" existait déjà ou serait susceptible d'exister dans un avenir proche. Aucune étude ne fut non plus menée sur la rentabilité d'une telle stratégie. Le Crédit Lyonnais se borna à se fixer, pour chacune des acquisitions, un objectif, qualifié de "modeste", de retour sur investissement de 12 p. 100 après impôt, lequel ne fut atteint que dans une seule d'entre elles.

Cette stratégie marquait une rupture complète avec celle suivie précédemment à l'étranger par le Crédit Lyonnais comme d'ailleurs par l'ensemble des grandes banques comparables dans le monde, qui, sauf exceptions, consiste à viser exclusivement la clientèle des grandes entreprises, clientèle dont l'approche ne peut être que le fait de très grandes banques, seules capables d'offrir les volumes et les services nécessaires à cette clientèle.

b) Les réalisations

En 1993, le Crédit Lyonnais avait terminé de couvrir l'ensemble des pays d'Europe occidentale par des implantations de ce type. Globalement, les acquisitions et, à défaut, les ouvertures d'agences, étaient revenues à 17,8 milliards de francs. Elles avaient été faites à des prix se situant en général dans le haut de la fourchette habituellement pratiquée.

Dans aucune des banques acquises on ne trouvait la clientèle d'"EVE" et de "particuliers mobiles" recherchée, susceptible de créer des effets de synergie. Il s'agissait de la clientèle habituelle de la banque de détail la plus traditionnelle, ce qui conduisit le Crédit Lyonnais , après coup, à affirmer une nouvelle stratégie ne visant plus qu'une clientèle particulière nationale. Ces banques étaient, de manière générale, petites, en mauvais état, avec des images médiocres, des équipes traditionalistes et parfois peu compétentes, une organisation interne déficiente ou peu moderne. Seule la filiale belge possédait un personnel et une direction de bonne qualité, avec des performances au-dessus de la moyenne. Dans le cas de BFG (Allemagne), la banque était en pleine "restructuration" sous la conduite d'une équipe nouvelle, attelée à son redressement.

Malgré ces déficiences, le Crédit Lyonnais , poussant jusqu'au bout sa logique stratégique, supprima la plupart de ses agences directes, "banques de gros", pour transférer leur clientèle de grandes entreprises sur les nouvelles filiales, lesquelles se révélèrent le plus souvent incapables de donner satisfaction à cette clientèle, notamment faute de la surface financière leur permettant de lever des capitaux à des conditions compatibles avec ce métier.

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En Grande-Bretagne, où il s'avérait impossible d'acquérir une filiale, le Crédit Lyonnais ouvrit, sans aucune étude de marché préalable, des agences de proximité qui se révélèrent rapidement un échec.

En Europe de l'Est, des filiales furent ouvertes en Russie, République tchèque, Hongrie, Slovaquie, Ukraine. Dans la plupart des cas, les coûts d'implantation ont été raisonnables par rapport aux bénéfices escomptés. Dans le cas de la Russie, toutefois, l'ouverture d'une filiale à Saint-Pétersbourg s'est révélée une erreur, le centre des affaires étant Moscou. En outre, l'installation de la filiale est revenue à 180 millions de francs, dont l'essentiel a consisté à réhabiliter et à décorer un bâtiment situé sur la perspective Newski : les travaux d'aménagement et de décoration sont revenus à 35 000 francs le mètre carré. En novembre 1993 l'établissement avait ouvert 51 comptes, soit le quart de ses prévisions. Les pertes ont été de 30 millions en 1993 et devaient être d'environ 33 millions en 1994.

Pour l'ensemble des nouvelles implantations européennes, la stratégie de croissance entraîna une montée des provisions pour clients douteux (graphique n° 11), très supérieure à ce qui peut être observé dans le reste du réseau à l'étranger.

Le résultat net global en Europe, rapporté aux fonds propres inscrits au bilan (graphique

n° 12), n'atteignit jamais les 12 p. 100 fixés comme objectif, même s'il dépassa 9 p. 100 en 1989, 1990 et 1991, résultats d'ailleurs obtenus pour partie grâce à des insuffisances de provisionnement. Ce chiffre tomba progressivement à moins de 3 p. 100 en 1993, hors cinéma, alors qu'il était la même année de 14,5 p. 100 dans le réseau du reste du monde, essentiellement composé de "banques de gros", dont le résultat n'a cessé d'augmenter au cours de la période, malgré la crise économique, au contraire de celui des "banques de détail" du réseau étranger du Crédit Lyonnais . Pour les nouvelles implantations européennes de "détail" acquises depuis 1988, le résultat net global est même tombé à zéro en 1993, sans compter les pertes de la filiale néerlandaise sur le cinéma, rapatriées sur la maison mère depuis 1991 et dont il sera parlé plus loin.

Au 31 décembre 1993, le Crédit Lyonnais avait investi au total 20,2 milliards de francs pour acquérir les filiales européennes et procédé à 7,5 milliards d'investissements dans ces entreprises pour les moderniser. Compte tenu des coûts de portage, le manque à gagner annuel résultant de l'insuffisance de rentabilité de ces immobilisations est de l'ordre de 3 milliards par an.

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II. - LE FINANCEMENT DU CINEMA ET DU PARA-CINEMA

Le financement du cinéma et du para-cinéma est le fruit du développement accéléré de la filiale hollandaise (détenue à 94,2 p. 100), le Crédit Lyonnais Bank Nederland (CLBN), développement encouragé par sa maison mère : la croissance du bilan de cette filiale a été de 45 p. 100 en trois ans, en 1988, 1989 et 1990, dernière année avant que n'apparaissent, en 1991, des pertes élevées sur le secteur du cinéma et du para-cinéma, qui atteignaient 16,5 milliards à la fin de 1993, sans tenir compte des engagements sur la MGM qui représentaient à cette date un encours total de 17 milliards de francs.

La cause de ces pertes a été l'absence de volonté du Crédit Lyonnais de soumettre cette filiale, à la fois dynamique, indisciplinée et incompétente, aux règles et procédures en vigueur.

a) Le financement par le CLBN des "producteurs indépendants" d'Hollywood

La production de films d'Hollywood est assurée majoritairement par de grandes maisons de production (les "majors"), à côté desquelles travaillent de nombreux producteurs indépendants, entreprises personnelles ou PME, dont la viabilité en tant qu'entreprises est rendue incertaine par le fait qu'à leur niveau ne peut s'appliquer la loi des grands nombres, qui permet aux "majors" de compenser leurs pertes sur une majorité de films au moyen des recettes d'une minorité de succès. De ce fait, le financement de tels "producteurs indépendants" est un métier hautement risqué, pratiqué par des banques spécialisées.

Le développement du CLBN dans cette activité est né du fait qu'au sein de cette banque non rentable un seul petit département dégageait des bénéfices, en préfinançant à des producteurs de cinéma indépendants le montant de la vente des droits de diffusion de films déjà produits, au vu de contrats de diffusion déjà conclus à prix ferme et définitif avec des distributeurs. Au vu de ces contrats déjà signés, le CLBN faisait l'avance des recettes promises et gardait les contrats en gage. Il s'agissait en fait d'une variété d'escompte commercial classique.

Dans cette construction, le risque encouru par la banque était limité à l'hypothèse que le distributeur n'honore pas sa signature. Il ne s'agissait pas du risque cinématographique proprement dit, c'est-à- dire celui d'échec commercial du film. L'échec commercial, s'il survenait, était supporté par le distributeur.

La banque prêtait également au-delà du strict montant des contrats signés, de manière modérée et conformément aux usages suivis en la matière, lorsque existaient des estimations de contrats futurs, dont la valeur était évaluée par des banques spécialisées de bonne réputation.

En 1980, lors de sa prise de contrôle par le Crédit Lyonnais , la banque avait en clientèle trois "producteurs indépendants" d'Hollywood, pour un encours total de 100 millions de dollars. A cette époque existait en outre un engagement de 11 millions de dollars sur un risque de production de film d'un de ces producteurs, qui n'était pas le résultat d'une politique délibérée, mais d'une erreur des services.

Le Crédit Lyonnais encouragea le CLBN à développer cette activité rentable, sans fixer de limite à la nature des risques à encourir, et sans instituer de compte rendu à la direction centrale des affaires internationales à Paris, comptant simplement sur la présence d'un président français nommé par la maison mère à la tête du directoire de la filiale pour assurer en quelque sorte un autocontrôle.

La filiale développa cette activité tout en augmentant progressivement la part des crédits consentis sur simples espérances de recettes, passant de là graduellement au financement des films eux- mêmes, puis à l'octroi de crédits "en blanc" ne reposant sur aucun projet précis et souvent dépourvus de toute garantie.

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L'établissement trouva facilement de nouveaux clients, dès que fut connu dans le milieu des producteurs de cinéma d'Hollywood qu'il était désireux d'étendre son activité et qu'il était moins exigeant que ses concurrents sur la qualité des projets.

Au 31 décembre 1990, l'encours atteignait 956 millions de dollars.

Cette montée en régime s'accompagna d'incidents de paiement que des mesures de réorganisation tentèrent de limiter en octobre 1988, sans y parvenir. En juin 1990, l'inspection générale du Crédit Lyonnais appela l'attention sur les dangers des engagements pris dans le cinéma et sur les risques résultant du non-respect des procédures et des règles de prudence par le CLBN.

Au 31 décembre 1993, la banque était engagée pour 1,2 milliard de dollars de crédits faits à une cinquantaine de "producteurs indépendants" d'Hollywood, dont quarante faisaient l'objet de difficultés de remboursement. Les provisions pour créances douteuses atteignaient 75 p. 100 de l'encours total des prêts, soit un peu plus de 5 milliards de francs.

La Cour a constaté que la banque, en s'engageant dans le métier très spécialisé et très risqué du financement des producteurs de cinéma indépendants, avait commis simultanément ou successivement, pendant plusieurs années et de manière répétée, nombre de fautes professionnelles graves :

- pratiquer en grand un métier dans lequel on ne dispose que de compétences limitées ;

- traiter sans précautions avec des producteurs indépendants dont la moralité et la réputation, parfois la compétence, étaient connues comme douteuses ;

- dissimuler à la maison mère la nature et le montant des engagements contractés ;

- s'engager sur des dossiers de montant élevé sans autorisation préalable du comité des engagements de la maison mère, ou en violation des décisions de ce comité ;

- s'engager sur des dossiers légers, sans prendre de garanties et sans recueillir de renseignements sur l'emprunteur potentiel ;

- s'engager seule alors que les autres banquiers, spécialisés dans le financement du cinéma, retiraient leurs concours ;

- accorder de nouveaux concours à des producteurs qui lui avaient précédemment laissé des montants élevés d'impayés ;

- poursuivre les financements alors qu'il était établi que les nouveaux concours ne faisaient que combler des pertes, sans espoir de remboursement ;

- transformer des prêts compromis en participation en capital et se lancer sans autorisation de la maison mère dans la production de films au moyen d'une filiale ad hoc dans l'espoir de récupérer tout ou partie des capitaux compromis initialement prêtés. Dans un cas précis, la perte initiale maximale probable, qui atteignait 160 millions de francs, est ainsi passée en cinq ans à une perte réelle d'au moins 1,3 milliard de francs.

Au 31 décembre 1993, la perte estimée sur le financement des producteurs indépendants d'Hollywood était d'un peu plus de 5 milliards de francs.

b) La dérive des activités "cinéma" du CLBN

L'engagement du Crédit Lyonnais dans la Metro Goldwyn Mayer s'inscrit dans l'évolution qui précède. Elle ne fut qu'un cas particulier de la stratégie de croissance du chiffre d'affaires du CLBN en dehors de toute prudence et de toute règle.

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En 1987, deux financiers italiens demandèrent au CLBN de leur prêter la somme nécessaire pour racheter un producteur indépendant qui devait au CLBN des sommes élevées et était au bord de la faillite. L'un d'eux était à la tête d'un conglomérat créé en 1983, comportant plus de 300 sociétés dont il n'existait aucune liste disponible, réparties dans dix pays, agissant dans des domaines variés. Ces sociétés avaient les unes dans les autres des participations croisées ou en cascade qui ne cessaient de se modifier, rendant plus difficile la "visibilité" de la situation financière.

Les bilans étaient artificiellement gonflés par des créances croisées. Les sociétés ne cessaient de se céder mutuellement des actifs, réellement ou fictivement, qui gonflaient de valeur à chaque transaction, permettant de solliciter des crédits bancaires pour des montants croissants. Les comptes sociaux de la société holding et des sociétés consolidées n'étaient pas arrêtés à la même date, rendant possibles des décalages trompeurs.

Le second financier était à la tête d'un autre conglomérat, également créé en 1983. La réputation de l'un et l'autre était connue du CLBN, tant par les informations données par la presse à leur sujet, que par une fiche de renseignements commerciaux en la possession de la banque dès cette époque.

Le CLBN accorda aux deux financiers le crédit demandé, d'environ 80 millions de dollars, puis de nombreux autres par la suite, dans des proportions telles qu'elles provoquèrent l'inquiétude des autorités de contrôle : entre décembre 1987 et la fin de 1989, la Banque centrale des Pays-Bas rappela plusieurs fois le CLBN à la prudence à propos de ses crédits à ces deux financiers, précisant en particulier que les deux groupes concernés devaient être traités comme un seul du point de vue des règles prudentielles. En outre, le directeur du Trésor, à partir de mai 1989, manifesta son opposition à de tels financements.

Les mises en garde de la Banque centrale des Pays-Bas n'obtenant aucun effet, celle-ci écrivit le 12 février 1990 au président du Crédit Lyonnais pour rappeler que dès le début de 1989 elle considérait que les prêts aux deux financiers constituaient un risque exorbitant. Elle rappelait que les promesses du CLBN de réduire ces engagements n'avaient pas été tenues, les engagements s'étant au contraire accrus de 56 p. 100 pour atteindre plus de un milliard de dollars en octobre 1989. Elle signalait qu'une seule personne au sein du CLBN était au courant de l'ensemble de ces prêts, sur lesquels elle doutait que l'information du CLBN fût complète. Elle annonçait qu'étant donné la situation, elle estimait également de son devoir d'informer la commission bancaire française.

Le président du Crédit Lyonnais répondit à cette mise en garde par une lettre exposant qu'à son avis les deux financiers devaient être considérés comme des risques entièrement distincts, et qu'il était déjà prévu que, fin mars 1990, le montant des prêts serait substantiellement réduit.

En fait, il n'en a rien été : malgré des instructions verbales du président du Crédit Lyonnais , de nouveaux concours furent accordés, notamment par la voie du préfinancement de factures (dit "affacturage"), se montant à 2,8 milliards de francs au 31 décembre 1990, et par des prêts à des sociétés membres des deux conglomérats, tant par le CLBN que par le Crédit Lyonnais lui-même.

Entre-temps, le 6 mars 1990, les deux financiers s'étaient engagés à acquérir la Metro Goldwyn Mayer, pour le prix de 1,250 milliard de dollars, payable par acomptes mensuels, le solde à une date ultérieure.

Le CLBN leur avait fait connaître par écrit qu'il ne participerait pas directement au financement de cette acquisition, laissant ainsi de manière imprudente une porte ouverte pour des financements indirects, par l'escompte ou l'affacturage. Sollicité de manière urgente par les deux financiers, le jour même où ils devaient régler le solde du prix à peine de perdre toute leur mise antérieure, s'élevant à 350 millions de dollars, le CLBN obtint de Paris, verbalement et en dehors de toute procédure normale, l'autorisation de faire le complément nécessaire, par

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 escompte et avance pour 205 millions de dollars. Cette autorisation lui fut donnée, le 30 octobre 1990, par son ancien président du directoire, qui avait accordé les premiers concours du CLBN à ces deux financiers, et était devenu en juillet 1988 le directeur chargé à Paris de la surveillance du réseau européen.

Le Crédit Lyonnais se trouva ainsi engagé, hors de toute procédure normale, ainsi qu'il était habituel pour les affaires du CLBN, dans un processus complexe dont le résultat est que l'établissement est à présent propriétaire de la MGM et qu'il est titulaire d'une dizaine de milliards de francs de créances douteuses sur les deux financiers, l'ensemble de ces engagements s'élevant au 31 décembre 1993 à 25,8 milliards de francs, sur lesquels le montant des provisions pour pertes probables s'élevait à 11,5 milliards de francs.

Le défaut de surveillance par le Crédit Lyonnais , pendant de nombreuses années, d'une filiale indisciplinée et imprudente a été directement à l'origine de près de 34 millliards d'engagements dans l'activité cinéma, ou connexes à cette activité, sur lesquels les pertes estimées à la date du 31 décembre 1993, hors MGM, atteignaient 16,5 milliards de francs, soit un montant de plus de sept fois le prix que le Crédit Lyonnais avait payé pour acquérir cette filiale.

III. - LE PARTENARIAT BANQUE-INDUSTRIE

Le terme de "banque-industrie" est né spontanément pour qualifier la croissance soutenue des prises de participation du Crédit Lyonnais dans des entreprises.

L'expression a été employée pour la première fois devant le conseil d'administration en mai 1989, à propos du projet de souscription du Crédit Lyonnais au capital de Rhône-Poulenc. Elle a été consacrée dans le rapport publié par le groupe pour 1992 sous l'expression "partenariat banque-industrie", appliquée tant aux participations habituelles du groupe qu'à celles faites dans un esprit différent par Altus Finance.

Cette activité a été à l'origine de 8 milliards de pertes enregistrées dans les comptes et déjà signalées plus haut à l'occasion des augmentations de capital en titres, dont plus de la moitié imputables à Altus Finance, au 31 décembre 1993. Un montant supplémentaire de pertes, de l'ordre de 4 milliards, non encore enregistré dans les comptes au 31 décembre 1993, était en outre prévisible dans Altus Finance, ce qui porte à une douzaine de milliards l'ordre de grandeur du foyer de pertes imputable au partenariat banque- industrie, au 31 décembre 1993.

a) Une forte croissance

La prise de participations était une activité traditionnelle du Crédit Lyonnais , notamment en accompagnement de ses grands clients. Une filiale banque d'affaires, Clinvest, a été créée en 1987 pour recueillir et gérer l'essentiel de ces participations, puis une filiale Clindus, en 1991, qui devait détenir les participations destinées à être stables pour des raisons statutaires ou stratégiques, sans que la création de ces filiales spécialisées soit exclusive d'interventions du groupe par d'autres voies.

Globalement, les résultats de ces participations jusqu'au 31 décembre 1993 ont été positifs.

La Cour a relevé le caractère souvent artificiel d'un tel "partenariat". C'est ainsi que, dans le cas d'Usinor-Sacilor, la plus grosse participation de "banque-industrie", le Crédit Lyonnais ne participait pas aux décisions de son partenaire. Bien plus, au moment de consolider dans ses comptes ceux d'Usinor-Sacilor, le Crédit Lyonnais n'a pu disposer que de la plaquette publiée, concernant l'exercice précédent.

Avec Thomson-CSF, devenu, à la suite de la vente d'Altus Finance au Crédit Lyonnais , le plus gros actionnaire de la banque après l'Etat, avec 20 p. 100 du capital, il n'y avait aucun "partenariat" : ce groupe n'avait même pas de représentant au conseil d'administration du Crédit Lyonnais .

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L'activité de prise de participations sous ses diverses formes a connu un développement soutenu que traduit le graphique n° 13 ci- dessous, qui montre une accélération à partir de 1990, à la suite des augmentations de capital par apports de titres et également du fait de l'acquisition d'Altus Finance en 1990 : cette entreprise devait inaugurer un nouveau type d'intervention en capital dans des entreprises, avec un objectif de gestion plus active du portefeuille de participations.

Les participations ainsi retracées proviennent de diverses origines :

- les unes, déjà évoquées, sont la conséquence des augmentations de capital effectuées en titres ;

- le plus grand nombre sont le résultat d'une politique d'investissement dans les entreprises ;

- un certain nombre enfin sont le résultat de prêts malheureux qui durent, par la suite, être transformés en participations. Tel a été le cas, par exemple, de la participation dans la MGM.

b) Le cas particulier d'Altus Finance

Dans le cas d'Altus Finance, responsable d'environ 24 milliards de francs de participations, les décisions ont entraîné des pertes que la Cour a estimées à 8 milliards environ au 31 décembre 1993, soit un montant très supérieur à celui effectivement provisionné par l'établissement à cette date ; ces pertes étaient le résultat d'une stratégie de forte croissance alliée à un défaut de compétence et à l'absence de procédures d'engagement et de suivi des risques.

- La stratégie de participations d'Altus Finance

Altus Finance était issue de l'ancien service financier de Thomson CSF, qui avait fait fructifier de manière efficace la trésorerie de ce groupe, par des opérations sur les "nouveaux marchés" de change et de taux.

Les opérations de l'espèce devenant moins profitables, étant donné que, selon l'entreprise, ces marchés commençaient d'être mieux arbitrés, voire, pour les marchés de change, d'être manipulés par de grands opérateurs internationaux, l'établissement avait déjà commencé à se diversifier, au sein du groupe Thomson, notamment dans l'immobilier.

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L'entrée de l'établissement dans le périmètre du Crédit Lyonnais s'était faite pour des raisons d'augmentation des fonds propres, ainsi qu'il a été exposé plus haut. Du point de vue de son activité, ce nouveau rattachement n'obéissait à aucun besoin : au contraire, il le privait d'une partie de son fonds de commerce préexistant, qui était la gestion de la trésorerie de Thomson.

Comme par ailleurs la commission bancaire s'inquiétait au même moment de la place trop forte des "opérations de marché" dans ses activités et souhaitait que l'établissement se dote d'autres sources de revenus plus réguliers, le Crédit Lyonnais décida de réorienter ces activités vers des créneaux nouveaux. L'établissement, rebaptisé Altus Finance, ayant reçu mission de faire "ce que le Crédit Lyonnais ne sait pas, ne peut pas ou ne veut pas faire", se diversifia vigoureusement dans deux directions : la prise de participations, l'immobilier.

- Une vive croissance

Le bilan total consolidé d'Altus Finance est passé de 92 milliards de francs en 1990, année de prise de contrôle par le Crédit Lyonnais , à 130 milliards en 1992, soit une croissance de 41 p. 100 en deux ans (1991 et 1992).

En 1993, ces chiffres sont retombés à 85 milliards, après cession au Crédit Lyonnais de la banque Colbert, filiale destinée à regrouper notamment plusieurs participations bancaires d'Altus Finance ou du Crédit Lyonnais en situation difficile : IB SA, BAFIP, Alter Banque, et la banque SAGA elle-même.

Les participations dans des entreprises sont passées dans le même temps de 4 milliards environ à 24 milliards, hors banque SAGA, soit une multiplication par six.

- Le manque de compétence

Dans son nouveau métier de gestion active de participations, Altus Finance manquait de compétence. Les personnels et le directeur général ne connaissaient que les métiers de banque de trésorerie. Concurremment, le directeur général tenait à ne pas procéder à de nouvelles embauches, afin de conserver sa souplesse à l'entreprise.

Cela a entraîné trois conséquences :

. La première a été que les prises de participations ont été abordées dans le même esprit que les interventions à contre-cycle sur les marchés, à savoir l'achat pour revendre, afin de réaliser des plus- values de revente. Or rien ne permet d'affirmer qu'un tel principe puisse être transposé sans précautions à des entreprises industrielles et commerciales : lorsqu'une entreprise a des difficultés, et perd de la valeur, ce n'est pas toujours en raison du cycle économique. Ce peut être également pour des raisons structurelles. Or Altus Finance a acquis à des prix surévalués nombre d'entreprises qui étaient tombées si bas qu'elles ne pouvaient être éventuellement redressées qu'à des coûts exorbitants, cela entraînant pour Altus des pertes définitives pour des sommes élevées.

. La deuxième a été l'obligation de sous-traiter : l'établissement ne pouvait, avec ses moyens réduits, traiter lui-même un nombre extrêmement élevé de participations dans des sociétés pour la plupart non cotées. Il a donc sous-traité à un petit nombre d'opérateurs, presque toujours les mêmes, le soin de gérer les affaires, et parfois de les étudier et de les lui apporter. Ces opérateurs ont perçu des commissions d'apport, parfois extrêmement élevées, puis des commissions de gestion. Leur gestion, peu surveillée, s'est traduite globalement par des pertes élevées pour Altus Finance, quelles que puissent avoir été les mesures de remise en ordre mises en oeuvre par eux.

Dans la plupart des cas, les montages juridiques, d'une complexité inhabituelle, mis au point par ces opérateurs ou avec leur concours, étaient lourdement préjudiciables aux intérêts de l'entreprise.

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. La troisième conséquence a été qu'Altus pouvait difficilement juger de la qualité des affaires qui lui étaient apportées. Trop souvent, l'établissement a donc acheté cher, sans étude ni audit préalable, parfois sous l'empire du fait accompli, et toujours sans pouvoir critiquer le prix, des entreprises qui n'avaient aucune possibilité de redressement. Très souvent, et notamment dans les opérations les plus lourdes de pertes, les participations n'ont été prises que sous la nécessité d'absorber des crédits compromis.

Si l'entreprise avait procédé à une vraie évaluation préalable de ses participations industrielles et commerciales, elle aurait disposé d'informations qui auraient dû la dissuader de s'engager dans les plus risquées d'entre elles.

Dans la quasi-totalité des cas, l'entreprise n'a pas demandé l'aide des services compétents du Crédit Lyonnais pour de telles études préalables. Bien plus, lorsque ces services ont pu, sur certains dossiers, se manifester d'eux-mêmes, leur avis a été écarté au nom du principe de l'autonomie des filiales.

- Le manque de contrôle

Les conséquences de ce défaut de compétence ont été aggravées par le manque de contrôle de la part de la maison mère, particulièrement marqué pour cette filiale (voir page 56).

- Les résultats

Sur un montant total de participations de 24 milliards, au 31 décembre 1993 des pertes avaient été enregistrées dans les comptes, pour un montant de 4 milliards de francs.

Toutefois, l'inventaire complet de ces pertes était loin d'être terminé à cette date, étant donné le caractère lacunaire des dossiers, leur nombre élevé (plusieurs milliers) et leur extraordinaire complexité. Un montant supplémentaire d'au moins 4 milliards non provisionnés était prévisible à la date du 31 décembre 1993.

- Quelques exemples caractéristiques

. Altus Finance s'était engagé à hauteur de 1 600 millions de francs envers un groupe de distribution. La situation de ce groupe se détériorant gravement du fait de l'imprudence du dirigeant, et craignant des poursuites pour soutien abusif, Altus Finance en prit le contrôle et en confia la gestion à des opérateurs avec qui il avait l'habitude de traiter, à la fin de 1992, sans provisionner les engagements douteux déjà pris.

Altus Finance décida de prêter 1,5 milliard de francs à deux sociétés ad hoc dont les opérateurs étaient les seuls actionnaires, pour leur permettre de lui racheter la plus grande partie des entreprises du groupe de distribution. Ces sociétés étaient localisées à l'étranger, de manière à éviter de faire savoir que le Crédit Lyonnais était à l'origine des mesures prévisibles de "restructuration" et notamment de dépôt de bilan concernant le groupe de distribution.

L'établissement décaissa la somme de 1,5 milliard ci-dessus sans qu'aucun contrat de prêt n'ait été rédigé, sans qu'aucune garantie ait été prise, sans qu'aient été convenus ni le terme ni les conditions du "prêt" et sans que ce "prêt", ait été soumis au comité de crédits .

Ce "prêt" a été partiellement "remboursé" au début de 1994, par remise à Altus de deux des sociétés objet de la transaction, qui, malgré les mesures de "restructuration" mises en place par les opérateurs avaient dégagé des pertes d'un niveau tel que leur valeur était pratiquement nulle. L'établissement a accepté un abandon de sa créance pour le reste. La perte sur cette affaire a été d'environ 1,5 milliard de francs y compris les frais de portage.

Aucune provision n'a été passée en temps utile sur ce "prêt", de sorte que l'exactitude des comptes de 1992 en a été affectée, par déplacement de plusieurs centaines de millions de francs de pertes sur l'exercice suivant.

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. Dans une autre circonstance, les mêmes opérateurs ont acheté à Altus Finance à la fin de 1992, à un prix surévalué, des actifs dévalorisés, non provisionnés, et ce, pour l'essentiel au moyen de prêts consentis par la banque.

Une clause de retour était prévue dès le départ, leur permettant de revendre à Altus Finance les mêmes actifs, dans des conditions convenues d'avance, déséquilibrées au détriment d'Altus, et dont l'application se traduisait par un bénéfice à leur profit de plusieurs centaines de millions de francs. Lorsque ces personnes demandèrent l'application de cette clause, Altus réussit à ramener cette somme à 89 millions.

Ce montage a affecté l'exactitude des comptes de 1992 en déplaçant plusieurs centaines de millions de pertes sur l'exercice suivant.

. Altus Finance a passé avec d'autres opérateurs un accord déséquilibré à son détriment : l'établissement, désireux d'acquérir des entreprises dans un secteur d'activité potentiellement lucratif mais comportant des risques sérieux en raison notamment de la domination de quelques très grands groupes sur ce marché, chargeait ces personnes de lui apporter des affaires appartenant à ce secteur, et convenait que la gestion leur serait confiée, moyennant une rémunération fixée d'avance.

Le financement des acquisitions serait assuré par Altus Finance. Les associés se voyaient reconnaître le droit d'engager eux-mêmes l'établissement jusqu'à 50 millions par opération.

Ils firent acquérir par ce dernier des terrains leur appartenant, dont à ce jour, un seul a pu être utilisé pour le secteur d'activité en cause, se firent payer des "études" pour plusieurs dizaines de millions de francs, dont une bonne partie ne correspondait à aucune prestation réelle, se firent rembourser des frais non prévus au protocole, et qui auraient dû être pris en charge par eux.

Ils ont enfin fait acquérir par Altus des sociétés qui étaient et sont demeurées lourdement déficitaires. La plus importante acquisition, d'un montant de plus de 800 millions de francs, a été décidée par une personne qui n'avait pas le pouvoir d'engager l'établissement, et sans consulter le comité des opérations du Crédit Lyonnais , qui, à cette époque, devait obligatoirement être saisi avant toute prise de participation d'un tel montant.

Pour mettre fin au contrat qui le liait à ces personnes, Altus a dû débourser 58 millions à leur profit, par application d'une clause très déséquilibrée qu'Altus avait acceptée à l'origine.

. Dans une autre circonstance, Altus se porta acquéreur pour 425 millions de francs, d'une minorité de contrôle dans une banque qui avait prospéré jusqu'en 1989 grâce à la vente de plus de 600 millions de crédits d'impôt fictifs10. L'interdiction en mai 1989 de cette activité lui avait retiré l'essentiel de sa rentabilité. Altus ne fit pas procéder à un audit préalable comme il est pourtant de règle, s'estimant suffisamment garanti par l'existence de commissaires aux comptes communs à cette banque et à Altus. Si Altus Finance, qui ignorait l'activité de crédits d'impôt fictifs de la banque, avait fait procéder à un audit préalable, elle se serait aperçue que cette banque n'avait plus de réel fonds de commerce et était lourdement engagée dans des opérations perdantes. Le prix payé, fixé par application d'un multiple de 8 fois le bénéfice passé, était donc excessif.

A défaut d'avoir procédé à un audit préalable, Altus Finance aurait dû exiger une garantie de passif de la part du vendeur, comme il est de pratique constante. Aucune de ces précautions ne fut prise. Altus, après avoir pris contact avec le vendeur, traita avec deux dirigeants de cette banque, qui disposaient d'options d'achat et qui s'interposèrent de ce fait dans la transaction, acquérant du vendeur et revendant à Altus dans la même journée les titres objet

10) Sur ces pratiques, voir les rapports publics de 1989 et de 1994.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 de la transaction, en prélevant au passage un bénéfice égal à presque la moitié du prix de vente à Altus. L'autorisation de faire ainsi une vente en deux temps n'avait pas été demandée au Comité des établissements de crédit , compétent pour autoriser les transactions de l'espèce.

Plusieurs semaines après la transaction, des pertes apparaissant, Altus Finance fit signer aux deux dirigeants une convention inexactement qualifiée par elle de garantie de passif, qui s'analysait comme une révision en baisse du prix d'acquisition des actions de la banque par Altus, en cas de pertes en 1990 et 1991. La mise en jeu de cette convention qui aboutissait à constater que la valeur par action était nulle, n'apporta à Altus aucun moyen de comblement des pertes ni aucun remboursement du trop payé par les vendeurs, lesquels, conformément à une faculté prévue dans la convention, se libérèrent en cédant à Altus leurs propres actions de la banque pour 1 franc. Ceci eut pour résultat de rendre Altus majoritaire dans la banque, et de lui faire supporter la totalité des pertes. Compte tenu de l'importance de celles-ci et des augmentations de capital qu'elles rendirent nécessaires, le coût d'acquisition de cette banque par Altus fut finalement, par action, un peu plus du double du prix auquel les deux dirigeants de la banque avaient acquis ces actions auprès du vendeur d'origine.

Altus, devenue actionnaire de référence, laissa opérer sans contrôle les deux personnes ci-dessus, maintenues à la tête de la banque. Celle-ci se lança dans des opérations qui se révélèrent perdantes, notamment des prises de participations que la commission bancaire venait de lui signaler comme excessivement risquées. En outre, la société réalisa des opérations de défiscalisation dans le cadre de la loi d'incitation aux investissements outre-mer, dite "loi Pons", dans des conditions qui donnèrent lieu à des poursuites pénales.

Des pertes cumulées de plus de 700 millions de francs soldèrent les exercices 1992 et 1993, dont la plus grande partie resta à la charge d'Altus, le reste ayant fait l'objet d'une renégociation avec le vendeur d'origine afin de le faire contribuer partiellement (150 millions de francs) à leur comblement.

Le Crédit Lyonnais , devenu actionnaire unique, décida en 1993 de regrouper sous le nom de "banque Colbert" cette banque et un certain nombre d'autres qui étaient dans une situation difficile, dont il avait pris le contrôle sans aucune vue stratégique.

Les exemples ci-dessus ne condamnent pas dans son principe une stratégie d'acquisition à contre-cycle d'entreprises "en retournement". Ils montrent seulement que les conditions dans lesquelles cette stratégie a été mise en oeuvre étaient gravement défectueuses, obérant de manière à peu près insurmontable ses chances éventuelles de réussite.

IV. - L'IMMOBILIER

L'immobilier représente le foyer de pertes le plus important du Crédit Lyonnais , évalué au 31 décembre 1993 à 23,4 milliards de francs, cette somme incluant les 14,4 milliards de garantie et les 4 milliards de frais de portage dont bénéficie l'Omnium Immobilier de Gestion (OIG), la structure de "cantonnement" des créances immobilières compromises. Cette perte a été le résultat d'une politique de forte croissance dans le financement des professionnels de l'immobilier (promoteurs et marchands de biens), poursuivie par le Crédit Lyonnais au cours de la période sous revue, avec l'objectif d'être en France la première banque de l'immobilier.

Cet objectif a été effectivement atteint, puisque la part du Crédit Lyonnais dans les encours de l'espèce en France en 1993 était presque trois fois plus importante (14 p. 100 du marché) que sa part de marché globale toutes activités réunies (5 p. 100 environ).

L'accélération de la "production" de nouveaux crédits dans ce secteur date de 1988 : on observe une augmentation de 70 p. 100 en 1988 (23 milliards de francs), puis de 27 p. 100 en 1989 (19 milliards), + 17 p. 100 en 1990 (34 milliards), et enfin une stabilisation en 1991 avec 34 milliards.

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L'encours total a triplé de 1989 à 1991, tant au sein du Crédit Lyonnais que des filiales, pour atteindre 25,8 milliards au Crédit Lyonnais , 7 milliards à Altus Finance et 6 milliards à la SDBO.

Après 1991, à un moment où la crise de l'immobilier était déclarée, les encours ont peu progressé au Crédit Lyonnais , mais ont continué d'augmenter dans les filiales pour atteindre à la fin de 1993 13 milliards à Altus Finance et 8,6 milliards à la SDBO.

A la fin de 1993 l'encours total du groupe Crédit Lyonnais dans l'immobilier était de 109 milliards, dont 48 à l'étranger et 61 en France, ce qui représentait 5,5 p. 100 du bilan consolidé (6 p. 100 pour le bilan France seule).

L'échec de cette stratégie est dû à plusieurs causes, dont certaines ne sont d'ailleurs pas propres au Crédit Lyonnais , mais ont affecté également d'autres établissements bancaires à la même époque.

1° L'absence d'informations

Jusqu'à la fin de 1991 le Crédit Lyonnais ne connaissait pas à l'échelon central le total de ses engagements sur les professionnels de l'immobilier. Le premier recensement de ces risques a été fait à la date du 31 décembre 1991. Jusque-là il n'y avait aucun suivi centralisé : le suivi se faisait, de manière d'ailleurs imparfaite, au niveau de chaque agence ou de chaque filiale.

En outre les engagements n'étaient pas connus par promoteur, mais seulement projet par projet.

Le premier recensement, à la date du 31 décembre 1991, a abouti à un chiffre, dont la Cour a d'ailleurs mis en lumière par ses contrôles le caractère incomplet, de 32,1 milliards de francs pour la France plus 13,7 milliards sur l'étranger :

- il ne couvrait pas les engagements d'Altus Finance, dont le Crédit Lyonnais ignorait l'ampleur, et qu'une enquête de la Cour a chiffrés à 5,1 milliards à cette date ;

- il était partiel sur l'étranger : la Cour a constaté que les engagements à l'étranger à cette même date étaient de 21,6 milliards, soit 8 de plus que ceux recensés par le Crédit Lyonnais .

Les recensements effectués par le Crédit Lyonnais par la suite marquèrent, avec certains retards, une amélioration progressive de l'information. C'est ainsi que les encours déclarés par la filiale néerlandaise, comptés initialement pour 2,5 milliards de francs en 1992, se sont révélés finalement atteindre 8,6 milliards, au 31 décembre 1993.

Les progrès dans l'enregistrement des engagements immobiliers allèrent même, en fin de période, au-delà des définitions habituellement retenues pour de tels risques : les chiffres au 31 décembre 1993 incluent ainsi pour 3 milliards des opérations d'Altus sur golfs ou hôtellerie et des concours en blanc à des sociétés de promotion, pour près de 7 milliards.

Dans le même temps l'information communiquée au conseil d'administration demeurait incomplète. La première communication au conseil sur les risques immobiliers du groupe a été faite le 14 janvier 1993, sur la base d'engagements totaux du groupe se montant à 41,3 milliards, au lieu d'un total de 63 milliards recensé par le Crédit Lyonnais lui-même à la date du 31 décembre 1992.

2° Une méconnaissance des besoins du marché

Il est surprenant que le Crédit Lyonnais , première banque de l'immobilier, dotée de services d'études, se soit lancé dans cette activité dans une proportion trois fois plus importante que le reste de la place, sans avoir procédé à une étude de marché à partir notamment des chiffres publics disponibles, qui montraient dès le début de 1988 qu'une stratégie de développement des crédits aux professionnels de l'immobilier, notamment de bureau, était incompatible avec les possibilités d'absorption du marché. En tant que "leader" du marché, il a

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 ainsi contribué largement, et proportionnellement plus qu'aucun autre intervenant, à créer lui-même la crise dont il doit à présent supporter, plus que les autres, les effets.

Il est non moins surprenant que les autorités de tutelle n'aient pas non plus appelé sur ce point l'attention de la banque. Les données publiques alors disponibles montraient pourtant à qui les auraient consultées la survenance imminente d'une surproduction de bureaux.

Jusqu'en 1984, les chiffres publiés par l'INSEE montraient que la mise sur le marché des bureaux en Ile-de-France avait représenté une moyenne de 700 000 mètres carrés par an.

En janvier 1985 fut rapportée l'obligation d'obtenir un agrément administratif préalable pour les constructions de bureaux, qui existait jusqu'alors dans un but d'aménagement du territoire. En revanche l'agrément aux utilisateurs pour occuper lesdits bureaux demeurait en vigueur. A la suite de cette mesure les autorisations de construire dans la région parisienne, qui font l'objet de publications périodiques, triplèrent en trois ans. Elles représentèrent les quatre cinquièmes du total national et passèrent de 847 000 mètres carrés en 1984 à 1,2 million en 1985, 2 millions en 1986, 2,5 millions en 1987, 2,3 millions en 1988 et 2,5 millions en 1989.

Ainsi dès le début de 1988, l'information publiée permettait de se rendre compte qu'un stock d'invendus considérable était en train de se constituer. Le cumul des seules autorisations de 1985 à 1987 montrait déjà que les surfaces de bureaux autorisées pendant ces trois années correspondaient, compte tenu des surfaces moyennes occupées par personne employée, et même en tenant compte de besoins de remplacement et de desserrement, à la création de plus de 300 000 emplois de bureau en région parisienne.

Or, dans cette même région, entre 1975 et 1982, selon les chiffres issus des recensements de l'INSEE, il avait été créé chaque année 10 000 emplois nouveaux. Au cours des années 1982-1990 le rythme des créations atteignit en moyenne 32 000 emplois nouveaux par an.

En outre les projets les plus ambitieux de développement de la région Ile-de-France élaborés par les pouvoirs publics faisaient état publiquement à cette époque au maximum de 750 000 emplois nouveaux à créer en 25 ans, soit 30 000 en moyenne par an.

Le Crédit Lyonnais ne s'est pas informé des données ci-dessus pourtant publiées, dont l'examen aurait dû le convaincre de se dégager du financement des professionnels de l'immobilier de bureau dès 1988, ou, au plus tard, 1989. Au contraire 1988 a été l'année où le Crédit Lyonnais a augmenté de 70 p. 100 sa production de nouveaux crédits .

Il fallut attendre 1991 pour que le Crédit Lyonnais décide une simple stabilisation de cette production. En outre l'observation de l'étranger aurait dû le conduire à la prudence : la fin des années quatre-vingt avait été marquée par une crise immobilière profonde aux Etats-Unis, qui débuta au printemps 1987 et qui gagna la Grande- Bretagne en 1989. Il était à prévoir que la conjoncture française suivrait avec le décalage habituel les mêmes évolutions que celle de ses grands partenaires.

Un membre de la direction générale du Crédit Lyonnais avait d'ailleurs écrit en avril 1990 à propos de l'immobilier, de façon prémonitoire, qu'" il ne fallait pas se dissimuler qu'un fléchissement de la demande et donc des prix était toujours prévisible et surviendrait bien un jour ".

3° Des méthodes de travail dangereuses

La mauvaise tenue du marché immobilier n'a pas été la seule cause des pertes encourues par le Crédit Lyonnais dans le financement de ce secteur. Ses effets ont été amplifiés par des méthodes de travail dangereuses, oublieuses des règles prudentielles et qui se sont traduites par une proportion d'encours immobiliers compromis au Crédit Lyonnais supérieure à celle du reste du marché.

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a) Le Crédit Lyonnais lui-même

Pour ce qui est de la maison mère du groupe, les méthodes de travail utilisées ont révélé les erreurs suivantes :

- Une charge foncière excessive

Cette première erreur, presque toujours relevée, a été la plus lourde de conséquence, surtout dans le cas d'achats à des fins de rénovation et de revente de grands sièges sociaux d'entreprises situés dans les quartiers de Paris les plus chers. Le coût du foncier représentait ainsi 111 700 francs le mètre carré, soit 75 p. 100 du prix de revient prévisionnel d'une opération de 2,5 milliards dans laquelle le Crédit Lyonnais s'est engagé pour 400 millions. Elle atteignait 69 p. 100 (72 500 francs le mètre carré) pour une opération de plus de 4 milliards, dans laquelle le Crédit Lyonnais s'est engagé pour près de 800 millions.

Or les professionnels estiment qu'à ces niveaux de charge foncière une opération a peu de chances d'être viable, les prix de revient à la sortie devenant alors excessifs.

- Des fonds propres faibles ou absents

Cette erreur est une constante de tous les dossiers examinés. Des opérations de 650 millions de francs de crédits à Bordeaux, de 560 millions de crédits à Courbevoie, furent financées sans que le promoteur apporte de fonds propres à la société ad hoc support de l'opération. Ces cas sont loin d'être isolés.

Dans un projet proche de la place de la Concorde à Paris, d'un montant de 1,7 milliard de francs, le promoteur a apporté moins de 1 p. 100.

En outre, très souvent, lorsqu'ils paraissaient exister, les fonds propres étaient en fait prêtés par la banque, sous forme d'un crédit relais de fonds propres, assorti éventuellement d'une caution des banquiers membres du tour de table. En cas de difficultés, le manque de rentabilité ne pouvait alors s'imputer que sur les créanciers, et en tout premier sur les banques.

Dans de nombreux cas, le financement par crédit dépassait 100 p. 100, en s'étendant aux agios eux-mêmes, dus par les promoteurs. Le Crédit Lyonnais a ainsi oublié la règle selon laquelle les prêts sont faits à des entreprises et non à des projets. En prêtant pour des projets dont le financement ne comportait pas de fonds propres, la banque acceptait que la seule sécurité de ses concours fût constituée par les hypothèques prises sur le bien lui-même.

La règle de prudence traditionnelle veut que le promoteur apporte 20 p. 100 au moins de fonds propres, qui concrétisent son engagement personnel dans les chances du projet, et garantissent en outre les banques contre une baisse de rentabilité de celui-ci. Un tel apport de fonds propres est, finalement, la seule garantie solide pour le banquier, car, en cas de difficultés, la valeur des hypothèques prises sur le bien financé lui-même baisse en même temps que la valeur du bien et devient, ipso facto, insuffisante pour absorber les pertes.

- Des projets peu ou mal définis

Dans de nombreux dossiers, les financements ont été engagés alors que, au moment de l'acquisition, le promoteur ne savait pas ce qu'il ferait du terrain (revente, rénovation légère, reconstruction...). Fréquemment, le Crédit Lyonnais a accepté de se laisser forcer la main par des promoteurs qui l'engageaient sur le financement du terrain, puis, de proche en proche, sur celui de l'aménagement puis de la construction, sur des projets qui n'étaient ni définis ni chiffrés.

Dès lors, le prix de revient a souvent fortement augmenté, voire doublé, en raison de l'imprécision des projets initiaux.

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Et surtout on ne relève presque jamais d'accords de pré- commercialisation garantissant la sortie du projet, qui sont de bonne règle dans les "ventes en l'état futur d'achèvement" : un tel défaut de perspective de vente se rencontra notamment dans les cinq opérations lourdes d'achats de sièges sociaux auxquelles s'associa le Crédit Lyonnais .

- Des taux faibles de rentabilité prévisionnelle

Dans nombre d'opérations lancées en 1989-90, notamment dans les trois plus grosses opérations jamais financées par lui, le Crédit Lyonnais a accepté des rentabilités prévisionnelles si basses que seules des perspectives de très fortes hausses des prix auraient pu justifier qu'un investisseur accepte d'acheter les immeubles après achèvement. De tels projets n'étaient viables que dans une vue purement spéculative, que le retournement du marché a anéantie.

De plus, dans beaucoup de très grosses opérations, le Crédit Lyonnais , souhaitant s'attacher la clientèle de nouveaux promoteurs, ou la retrouver lorsqu'il l'avait perdue, a consenti des conditions de crédit si faibles qu'elles ne couvraient qu'à peine, voire pas du tout, le coût du refinancement des prêts de la banque.

- La confusion du rôle de prêteur et de promoteur

Dans les prêts aux grands groupes de promotion, qui ont représenté plus des deux tiers des crédits immobiliers du Crédit Lyonnais , la banque a pris des participations en capital dans les sociétés de promotion, en plus des participations habituelles aux "tours de table" des opérations elles-mêmes, considérant que ceci était pour elle la meilleure des garanties.

Le résultat d'une telle présence a été, le plus fréquemment, d'inciter la banque à l'indulgence lors de l'examen des dossiers de crédit , puis de la pousser à consentir des crédits supplémentaires, des reports d'échéance ou des transformations de créances en capital lorsque les affaires tournaient mal. En outre, lorsque les sociétés de promotion se sont trouvées elles-mêmes en difficulté, la position d'actionnaire de la banque dans ces sociétés l'a bien souvent obligée à assumer tout ou partie de leur passif, qu'elle ait eu ou non à l'origine la position d'actionnaire de référence.

Cette confusion des genres s'est donc révélée dangereuse, d'autant que, malgré sa présence au capital, le Crédit Lyonnais , dans la plupart des cas, ne s'était pas informé de la situation financière du promoteur, ni du total de ses propres crédits à ce promoteur, deux informations qui auraient dû conduire la banque, à partir d'un certain stade, à cesser ses crédits .

Dans le dossier le plus important, en 1992, la banque a dû prendre le contrôle d'un grand promoteur à qui elle avait accordé 3,5 milliards de crédits dans des conditions qui lui faisaient courir le risque d'être déclarée en situation de soutien abusif. Elle estimait la situation nette de ce promoteur à 460 millions, mais, après en avoir pris le contrôle, a découvert que cette situation était négative de 2,5 milliards de francs. Au 31 décembre 1993, les concours de la banque à ce promoteur se chiffraient à 7,4 milliards, qui ont été transférés à la structure de "cantonnement", l'Omnium immobilier de gestion (OIG), à concurrence de 5,9 milliards.

- Des provisionnements tardifs

La banque a retardé le plus possible le moment de constater par des provisions l'existence de pertes probables.

Elle n'a commencé de provisionner, en 1991, que lorsque les situations étaient devenues sans issue, et les pertes certaines, arguant que l'incertitude du marché immobilier était devenue telle qu'il était à son avis sans signification de provisionner les autres dossiers, alors que la réglementation impose de provisionner dès que le risque de pertes existe. Pour les comptes de 1992, après que la Cour eut appelé l'attention de l'entreprise, de la direction du Trésor et de la Commission bancaire sur l'insuffisance de ces provisions lors de l'audition du 11 mars 1993, avant l'arrêté des comptes, un effort significatif, mais insuffisant, de provisionnement a été accompli, de sorte que ces comptes n'ont traduit que partiellement l'état réel des pertes

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 probables, qui s'est révélé de ce fait avec d'autant plus d'ampleur et de brutalité dans les comptes de 1993.

b) La SDBO

La SDBO s'est lancée en 1988 dans le financement des marchands de biens, activité pour laquelle elle n'avait aucun savoir-faire, et qui présente un caractère spéculatif marqué : les opérations y reposent entièrement sur l'espoir d'une plus-value de revente rapide, après, le cas échéant, exécution de travaux de rénovation. Cette activité se nourrit pour une bonne part de la hausse des prix, et, de plus, y contribue.

La banque traitait avec une vingtaine de gros marchands de biens de la place de Paris. Ses risques étaient concentrés à raison de près de 80 p. 100 sur la région parisienne, et pour 30 p. 100 sur un seul opérateur, situation contraire au principe de dispersion des risques.

Jusqu'en 1991 la flambée des cours a permis à la SDBO de réaliser des profits. Le retournement de la conjoncture a fait apparaître de lourdes pertes en 1992, qui ont obligé le Crédit Lyonnais à absorber 5,2 milliards d'encours immobiliers de la SDBO, en risque et en trésorerie, soit 58 p. 100 des crédits de l'espèce.

Malgré les mises en garde de la Cour des comptes en juin 1992, la SDBO a continué à lancer des opérations nouvelles à la fin 1992, en pleine période de crise, pour 1,4 milliard de francs, dont 900 millions n'ont pu donner lieu à revente.

Au 31 décembre 1993, la totalité des crédits de la SDBO aux professionnels de l'immobilier, soit 7,8 milliards, a été considérée comme sensible ou compromise et transférée à l'OIG, avec un taux de provisionnement moyen inférieur à 10 p. 100.

La Cour a relevé que la SDBO finançait fréquemment à plus de 100 p. 100 les opérations, et qu'elle ne les suivait qu'avec négligence.

En septembre 1991, un an après le début de la crise immobilière, la banque est entrée à hauteur de 11 p. 100 dans le capital d'un marchand de biens dont la situation financière était difficile et dont elle n'était pas le principal banquier, en procurant à cette occasion près de 10 millions de francs de gains personnels injustifiés à l'un de ses dirigeants.

A la suite de cette participation, la banque développa ses concours à ce marchand de biens, sur lequel, au 31 décembre 1993, le total de ses engagements s'élevaient à 2,27 milliards, ce qui représentait 30 p. 100 des engagements immobiliers de la SDBO. Ce marchand de biens était lui-même endetté pour un total de 8,2 milliards de francs. Depuis septembre 1992 les agios sur les prêts de la banque ne sont pas payés. La perte probable de la banque est de plus de 900 millions.

c) Altus Finance

Le total des créances immobilières d'Altus transférées à l'OIG a été de près de 11 milliards sur un total de près de 15, ce qui témoigne de la qualité particulièrement médiocre des opérations.

L'établissement n'avait pas de compétence immobilière, étant donné son passé de banque de marchés et de trésorerie. Il a donc traité avec des opérateurs extérieurs, dans des conditions déséquilibrées à son détriment, et sans les surveiller. On donnera ci-dessous quelques exemples du manque de professionnalisme de l'établissement en la matière.

En outre, l'établissement a fait le choix, sauf rares exceptions, de ne pas partager avec d'autres banques le financement des opérations immobilières, contrairement à l'usage de la place, et malgré le fait que 77 p. 100 de ses encours étaient concentrés sur dix opérateurs, deux pratiques contraires au principe de dispersion des risques. La décision de ne pas partager avec d'autres banques le financement des opérations, prise afin de garder la totalité des profits, a eu pour conséquence de laisser à l'établissement la totalité des pertes.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

A la suite d'une première enquête de la Cour, les dirigeants d'Altus Finance avaient déclaré en 1992 à celle-ci qu'ils s'engageaient à arrêter les investissements aux professionnels de l'immobilier. Pourtant l'établissement a contracté pour 1,9 milliard de francs d'engagements sur des opérations nouvelles en 1993, alourdissant sciemment ses risques. Le plus important engagement, s'élevant à 1,6 milliard sur un seul promoteur, a été transféré intégralement à l'OIG neuf mois plus tard.

- Quelques exemples

L'établissement s'est associé à hauteur de 30 p. 100 au capital d'une société de promotion et marchand de biens dont les animateurs apportaient leur savoir-faire "administratif", mais n'avaient aucune compétence immobilière. L'établissement était en outre le banquier quasi exclusif de cette société. Il laissa agir les animateurs sans les contrôler et notamment sans s'inquiéter des rémunérations excessives qu'ils se versaient et des frais généraux élevés : au bout de 4 ans les pertes cumulées atteignaient 32 millions dont près de la moitié à la charge d'Altus.

. Dans un autre cas, l'établissement s'est associé avec un opérateur pour la réalisation d'un golf lié à un complexe immobilier, dans des conditions déséquilibrées au détriment de l'établissement. Les conventions passées avec l'opérateur prévoyaient que l'établissement apportait l'essentiel des financements, sans limitation, l'opérateur se réservant la direction de l'opération et étant dispensé de tout apport en compte courant ou de toute caution personnelle. Il était en outre associé à 50 p. 100 au programme immobilier, sans apporter de fonds.

Les engagements de l'opérateur étaient en fait limités à 1,6 million, cependant que l'établissement était en charge de 100 p. 100 du passif et ne pouvait prétendre qu'à 50 p. 100 de l'actif.

L'établissement, se fiant à des estimations initiales de coût très sous-évaluées, laissa agir l'opérateur sans contrôle, jusqu'au moment où ses engagements dépassèrent 300 millions. Alerté par ce montant élevé il renégocia alors ses accords avec l'opérateur, mais, plutôt que de prendre acte d'une perte probable de l'ordre de 130 à 150 millions, décida une fuite en avant en augmentant l'ambition du projet initial, qui s'étendit à l'acquisition en 1992 et 1993 de 35 autres golfs, le plus souvent en mauvaise situation financière, sur l'ensemble du territoire.

Au 31 décembre 1993, l'établissement était engagé sur ce secteur à hauteur de près d'un milliard de francs dont près de 200 millions avaient été provisionnés pour pertes probables. Au cours de cette même année, les pertes d'exploitation des 36 golfs ont été de 140 millions pour un chiffre d'affaires de 150 millions.

En 1993, pour dénouer les relations avec l'opérateur et retrouver la maîtrise de ses opérations l'établissement a dû lui verser plus de 15 millions de francs.

L'ensemble des engagements sur golfs et engagements annexes ont fait l'objet d'un transfert à la structure de "cantonnement", l'OIG, malgré leur caractère non exclusivement immobilier.

. L'établissement a traité pour la construction d'un hôtel avec deux personnes douteuses avec qui il était en relations d'affaires suivies : l'une a été condamnée huit mois après cette convention à être déchue pour dix ans du droit de gérer ou contrôler toute entreprise et l'autre avait été condamnée l'année précédente pour banqueroute à six mois de prison avec sursis et à l'interdiction de gérer pour dix ans. Le montage retenu donnait tout pouvoir à ces deux personnes pour engager l'établissement, elles-mêmes n'encourant aucun risque.

Le prix de revient final de l'hôtel atteignit 175 millions au lieu des 125 prévus. La revente de l'hôtel ne pouvant se faire qu'avec une perte de l'ordre de 40 millions de francs, Altus a préféré porter l'opération en attendant un acquéreur, et exploiter l'hôtel.

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Les coûts de portage s'ajoutant chaque année au montant des engagements, au 31 décembre 1993 le total des engagements sur cette opération était de 308 millions, pour une valeur de marché de l'hôtel estimée à 109 millions. La différence, soit 200 millions de perte probable, n'était pas provisionnée.

Lors de son enquête, la Cour a mis au jour un montage complexe par lequel les deux associés s'étaient arrangés pour encaisser par anticipation une "marge bénéficiaire" de 12,7 millions, totalement artificielle, sur cette opération perdante. A la suite de cette constatation, Altus Finance a mis fin à ses relations avec ses deux associés et a porté plainte contre eux.

d) International Bankers SA (IBSA)

La banque est entrée en 1990 pour 25 p. 100 au capital d'IBSA, filiale bancaire d'une société holding fondée par un de ses anciens présidents, dont l'activité était orientée à 85 p. 100 sur l'immobilier, secteur dans lequel la banque avait effectué une croissance rapide au moment où les prix étaient les plus élevés. Cette participation, qui faisait du Crédit Lyonnais l'actionnaire de référence d'IBSA, a été prise sans audit préalable et malgré une étude des services du Crédit Lyonnais soulignant, en avril 1990, la faible rentabilité de la banque et le poids excessif de l'immobilier qui pourrait entraîner de graves conséquences pour cette banque dans le cas d'un retournement de ce marché cyclique, "que l'on ne peut exclure a priori".

La survenance de ce retournement s'est traduite par la mise en liquidation d'IBSA et a conduit le Crédit Lyonnais à prendre en charge le passif de cette banque. Les actifs immobiliers se sont révélés de mauvaise qualité : 4,8 milliards sur un total de 5,7 ont été transférés à l'Office immobilier de gestion (OIG).

Les opérations reposaient intégralement sur du crédit bancaire, sans apports de fonds propres par les opérateurs, qui n'apportaient pas non plus leur caution, mais prélevaient sur les opérations des marges supérieures à la moyenne par divers procédés : niveau élevé des frais de préétude et des commissions d'apports, prix exorbitant des cessions de promesse de vente, honoraires variés, encaissement d'avances sur marges sur des affaires dont l'issue était incertaine, prélèvements sur les comptes d'associés au-delà des droits des associés à bénéfice.

Dans la plupart des cas, la banque finançait seule les opérations, sans syndiquer les crédits avec d'autres banques qui auraient partagé le risque. Elle était en revanche associée aux promoteurs ou aux marchands de biens dans des sociétés civiles, des sociétés en nom collectif ou des sociétés en participation, en moyenne à hauteur de 20 à 25 p. 100, de sorte qu'elle était tenue solidairement et indéfiniment, situation qui, en cas de difficultés, faisait d'elle le seul partenaire solvable figurant au "tour de table" des opérations, redevable de ce fait de pratiquement toutes les pertes.

Enfin, les deux cadres de la banque responsables de ces montages étaient bénéficiaires personnellement de protocoles déséquilibrés au détriment de la banque, qui leur permettaient d'être personnellement intéressés aux opérations, dans des conditions d'absence de prise de risque en ce qui les concerne, situation qui a contribué à la prolifération de montages suspects.

e) Le transfert à l'Omnium immobilier de gestion (OIG)

Les comptes 1993 du Crédit Lyonnais ont intégré l'effet des mesures de sauvetage mises en place au début de 1994, consistant dans le transfert à l'Omnium immobilier de gestion, filiale à 100 p. 100 du Crédit Lyonnais , de 42,7 milliards d'actifs immobiliers "sensibles ou compromis", bénéficiant d'une garantie des principaux actionnaires du Crédit Lyonnais (Etat, Caisse des dépôts, Thomson-CSF) de 14,4 milliards en capital pour cinq ans et d'une prise en charge par l'Etat de 4 milliards de coût de portage pour 1994 et 1995.

La Cour n'a pas encore contrôlé l'OIG, qui était en cours de constitution au moment de ses investigations, mais a pu examiner les mesures préparatoires aux transferts d'actifs. A cette occasion elle a constaté que le montant des garanties accordées avait été arrêté avant que n'ait été fait l'inventaire complet des risques concernés, de sorte que deux procédés ont été utilisés

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Le premier a consisté pour le Crédit Lyonnais à alléger d'environ 2 milliards de francs les provisions déjà insuffisantes constituées sur les actifs immobiliers transférés, ceci ayant pour résultat d'augmenter d'autant les "besoins" de garantie. Accessoirement ceci a permis à la banque d'augmenter ses résultats apparents de 1993 à due concurrence.

Le second a consisté à interpréter la notion de risques immobiliers de manière particulièrement souple, en y englobant notamment quelque 8 milliards de francs de créances "en blanc" sur des entreprises de promotion, non assorties de sûretés réelles, ainsi que des concours à caractère non strictement immobilier.

Compte tenu des éléments en sa possession à la date du rapport, la Cour appelle l'attention sur les dangers pour les finances publiques d'un plan de sauvetage qui, pour la première fois, institue un mécanisme de prise en charge d'une défaillance bancaire susceptible d'impliquer le budget de l'Etat. Ce risque est d'autant plus sérieux que la surveillance de l'Etat sur l'OIG est insuffisamment assurée, compte tenu notamment du nombre des biens immobiliers transférés, de la complexité des opérations de gestion de ces biens et de la divergence des intérêts entre la banque et les actionnaires publics.

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CONCLUSION

LA PREVENTION DES DEFAILLANCES

La Cour a constaté, en examinant les opérations des exercices 1987 à 1993, que la responsabilité des pertes incombait d'abord aux dirigeants de la banque. Celle-ci a été conduite à suivre une stratégie lui faisant courir des risques supérieurs à la moyenne, alors qu'elle disposait de moyens, notamment financiers, inférieurs à ceux de ses grands concurrents. Cette situation aurait dû conduire à instituer une surveillance serrée de la banque dès le début de l'application de cette stratégie.

Elle a constaté aussi que les dispositifs de surveillance et de prévention des défaillances dans le secteur financier - ceux du ministère de l'économie exerçant les droits de l'Etat comme ceux de la Commission bancaire - n'avaient pu empêcher des décisions et évolutions conduisant progressivement le groupe à une situation financière d'une extrême gravité.

La Cour, au stade actuel de ses contrôles sur le Crédit Lyonnais , a constaté :

- qu'une stratégie comportant des risques élevés a été développée dès les premières années de la période sous contrôle sans que soient mis en oeuvre les moyens correspondants et notamment les contrôles internes et externes renforcés qu'elle appelait, ce qui s'est traduit par des évolutions défavorables, de manière de plus en plus marquée au fil des années ;

- que, faute d'une attention suffisante portée à cette situation, aucune action correctrice d'envergure n'a été entreprise avant 1992 en vue d'éviter l'aggravation de la situation financière du Crédit Lyonnais , et que seule une action de sauvetage a été mise en oeuvre après que celle-ci eut été compromise ;

- que la Commission bancaire a commencé en novembre 1991 ses contrôles sur les filiales bancaires françaises du Crédit Lyonnais , puis en octobre 1992 sur la maison mère elle-même ;

- que les procès-verbaux des conseils d'administration du Crédit Lyonnais , comme c'est souvent le cas dans les entreprises publiques, reflètent une absence générale de débats au sein de cet organe, l'essentiel des rares questions posées, souvent de manière pertinente, émanant des représentants du personnel.

La Cour rappelle qu'il n'entre pas dans sa mission de se substituer aux autorités chargées de la surveillance des banques, notamment des banques nationales.

Elle constate que l'exemple du Crédit Lyonnais montre la nécessité d'une évaluation de l'efficacité des divers dispositifs de surveillance des banques.

Elle appelle l'attention sur le fait que la prévention des défaillances bancaires, toujours préférable à des mesures de sauvetage après coup, est devenue d'autant plus nécessaire que la privatisation de la plupart des grandes banques précédemment nationalisées a réduit les possibilités de l'Etat de mettre à contribution des institutions financières publiques pour opérer le redressement d'établissements en difficulté.

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ANNEXE I

METHODE UTILISEE POUR LES COMPARAISONS

ENTRE LE CREDIT LYONNAIS ET SES GRANDS CONCURRENTS

Dans le présent rapport les principaux agrégats des comptes du Crédit Lyonnais au cours de la période sous revue sont présentés en face des agrégats correspondants de ses principaux concurrents, de manière à mettre en lumière les évolutions respectives résultant de choix stratégiques profondément différents.

L'échantillon retenu

L'échantillon retenu pour la comparaison est constitué par l'addition des données comptables des deux plus grandes banques généralistes françaises comparables au Crédit Lyonnais : la BNP plus la Société générale.

Cet échantillon a été retenu de préférence au "groupe 110" de la Commission bancaire, qui regroupe les "trois vieilles", à savoir le Crédit Lyonnais , la BNP et la Société générale, ou même qu'à tout autre échantillon plus large établi par la Commission bancaire, en raison du fait que les chiffres de la Commission bancaire sont des chiffres de comptes sociaux et ne retracent que l'activité France. Ils n'intègrent donc pas les filiales même françaises, dont le rôle a été croissant au Crédit Lyonnais au cours de la période, ni à plus forte raison l'étranger. Or la plus grande partie des pertes du groupe Crédit Lyonnais a été imputable aux filiales, françaises et étrangères.

De ce fait, une comparaison avec les autres établissements n'a de sens qu'au niveau des groupes, c'est-à-dire au niveau des comptes consolidés.

Enfin, aucune banque étrangère n'a été retenue dans l'échantillon en raison, notamment, du manque d'homogénéité des chiffres et des différences de méthodes comptables.

L'origine des chiffres

Les chiffres retenus sont ceux qui ont été publiés par les groupes correspondants, approuvés par les assemblées générales et certifiés par les commissaires aux comptes.

Il ne s'agit de chiffres vérifiés par la Cour que dans le cas des deux groupes nationalisés que sont la BNP pour la plus grande partie de la période sous revue et le Crédit Lyonnais . Pour la Société générale, non soumise au contrôle de la Cour, il s'agit des chiffres publiés, sous le contrôle de la Commission bancaire. Ce sont d'ailleurs ces mêmes chiffres qu'utilise la Commission bancaire pour effectuer ses propres études et publications.

Les méthodes de comparaison retenues

Les comparaisons ont été faites selon deux méthodes concurrentes :

- La première a consisté à afficher des chiffres en valeur absolue, comme par exemple pour le graphique des résultats nets, celui des opérations exceptionnelles ou celui du total du bilan.

En pareil cas, pour rendre comparables les chiffres, l'échantillon constitué par les grands concurrents du Crédit Lyonnais a été ramené au niveau du Crédit Lyonnais , en valeur absolue, à l'année d'origine du graphique.

Le graphique se lit alors comme s'il était établi en base 100 lors de l'année d'origine.

- La seconde a consisté à exprimer des ratios, comme par exemple dans le graphique 4 a sur le total des provisions (d'actif et de passif) rapporté au bilan diminué de l'interbancaire ou le graphique n° 2 relatif au produit net bancaire.

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La base retenue pour établir ces ratios a été dans tous les cas le total du bilan, diminué des opérations interbancaires, base la plus significative en l'espèce.

L'alternative aurait été de retenir le montant des fonds propres. Ce choix n'a pas été fait pour les raisons suivantes :

- la première raison est le caractère heurté de l'évolution des fonds propres des groupes concernés, surtout d'ailleurs en ce qui concerne le Crédit Lyonnais , cela étant dû aux modalités d'augmentation des fonds propres de cet établissement jusqu'en 1992, puis à l'imputation des pertes de l'exercice en 1993.

Ce caractère heurté ressort du graphique n° 9 déjà examiné, qui retrace l'évolution des fonds propres et assimilés du Crédit Lyonnais et de ses deux grands concurrents au cours de la période, ramenés à l'échelle du Crédit Lyonnais .

Retenir la base "fonds propres" pour établir des ratios comparatifs aurait rendu l'évolution de ces ratios sans signification d'une année sur l'autre, d'autant qu'il n'est apparu aucune méthode incontestable qui aurait permis de lisser ces variations pour en éliminer l'incidence :

- la seconde raison est que la base "fonds propres" n'est réellement appropriée que pour apprécier la rentabilité au niveau du résultat net. En revanche, elle n'aurait pas été la plus adéquate pour les ratios retenus qui concernent l'encours des provisions d'exploitation, le PNB, et le RBE.

L'encours des provisions d'exploitation ne traduit la qualité de la couverture des risques souscrits que s'il est rapproché du total de l'actif, diminué des opérations interbancaires, qui représente l'ensemble des emplois de la banque susceptibles d'être provisionnés. A cet égard, un ratio par rapport aux fonds propres n'aurait pas de signification.

Le PNB et le RBE retracent des recettes et dépenses d'exploitation bancaire dont l'essentiel provient non des fonds propres, mais de l'ensemble des postes du bilan. Le rapprochement de ces agrégats du poste des seuls fonds propres n'aurait donc pas eu de signification pour évaluer la capacité de la banque à dégager une rentabilité courante à partir de ses divers emplois.

Les opérations interbancaires ont été retirées du total du bilan, à la suggestion du secrétariat général de la Commission bancaire, pour tenir compte du fait que les créances sur les établissements de crédit , contrebalancées au passif par des montants du même ordre de dettes envers les établissements de crédit , sont pour l'essentiel des opérations de pure trésorerie, sans relation avec l'activité des établissements, qui gonflent le bilan sans apporter de contribution significative au PNB et au RBE, surtout lorsque les taux longs sont moins élevés que les taux courts, situation qui s'est rencontrée pendant la plus grande partie de la période sous revue.

Enfin on aurait pu imaginer de mesurer la rentabilité courante par rapport au total du bilan et du hors bilan. Cette option n'a pas été retenue, d'une part parce qu'elle aurait réintroduit l'interbancaire dans la base de comparaison, et d'autre part parce qu'elle n'aurait pas eu de sens en raison du gonflement démesuré des hors bilans durant la période sous revue, dû au développement des "opérations de marché", et à leur mode de comptabilisation : en 1993, pour l'ensemble de la place financière, le total du hors bilan dû à ces "nouveaux marchés" représentait plus de deux fois le bilan proprement dit, avec de très fortes variations d'un établissement à l'autre.

En revanche, le PNB produit par ces opérations de marché, de même que celui résultant des opérations interbancaires, a bien été pris en compte.

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La Commission bancaire a fourni à la Cour, en annexe à sa réponse, une série de graphiques établie selon sa propre méthode, comportant le plus souvent des agrégats ou ratios autres que ceux retenus par la Cour, et couvrant une période légèrement plus courte : 1988 à 1993. Ces graphiques sont publiés en annexe à la réponse de la Commission bancaire.

On ne peut manquer d'être frappé par la convergence des conclusions qui se dégagent de l'examen des deux séries de graphiques, quelle que soit la méthode adoptée. On constate en particulier dans les deux cas les évolutions divergentes du Crédit Lyonnais et des banques retenues dans l'échantillon, notamment en matière de frais généraux et de provisionnement, et le niveau plus bas des résultats du Crédit Lyonnais avant éléments exceptionnels.

Si des divergences peuvent apparaître entre les deux séries, en particulier quant aux dates auxquelles la situation du Crédit Lyonnais se singularise ou devient critique, ce qui peut tenir pour partie au fait que les deux séries ne partent pas de la même année, il n'en est que plus frappant de remarquer leur convergence à compter des années 1990-1991 pour traduire la montée des difficultés au Crédit Lyonnais .

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ANNEXE II CREDIT LYONNAIS : CHRONOLOGIE RESUMEE

Août 1976 : nomination de M. Pierre Brossolette à la tête du Crédit Lyonnais .

1981 : achat de 50 p. 100 de la banque hollandaise Slavenburg, participation portée à 100 p. 100 dans les années suivantes. Un Français venant du Crédit Lyonnais est nommé vice-président, puis président du directoire jusqu'en 1988, date à laquelle il est nommé directeur pour l'Europe au Crédit Lyonnais à Paris.

1982 : nomination de M. Deflassieux à la tête du Crédit Lyonnais , nationalisation des 25 p. 100 de titres de la banque qui étaient dans le public.

En juin 1982, M. J.-F. Hénin, futur directeur général d'Altus Finance, entre à Thomson-CSF comme trésorier.

24 janvier 1984 : loi bancaire et début des effets de la déréglementation et de la désintermédiation : les grandes entreprises, tant en France qu'à l'étranger, ont accès aux marchés et recourent de moins en moins aux banques. Ces dernières cherchent des emplois de compensation, d'abord dans les crédits au tiers monde, puis dans ceux à l'immobilier.

Janvier 1985 : suppression de l'agrément préalable en matière de construction de bureaux en région parisienne. L'agrément pour les utilisateurs est maintenu jusqu'en 1992, date où il a été supprimé pour tenter d'aider à résoudre la crise de surproduction de bureaux.

1985 : la loi dite Badinter affaiblit les garanties prises par les banques en contrepartie des crédits accordés aux entreprises, accroissant le coût du risque pour les banques en cas de défaillance des entreprises.

Juillet 1986 : nomination de M. Lévêque à la tête du Crédit Lyonnais . Il reste à ce poste jusqu'à septembre 1988.

Sous sa présidence, création de Clinvest (avril 1987) chargée de devenir l'unité banque d'affaires du Crédit Lyonnais , décision de développer le réseau européen par acquisition de banques moyennes selon une cadence compatible avec les fonds propres du Crédit Lyonnais , création d'un comité exécutif au niveau de la direction générale, adoption du slogan "le pouvoir de dire oui".

Les premiers contacts avec deux financiers italiens datent de mai 1987.

1er janvier 1987 : suppression de l'encadrement du crédit et des réserves obligatoires sur les encours de crédits . Suppression des autorisations préalables d'ouvertures de guichets. Entrée en vigueur du règlement sur le coefficient de fonds propres. Ces diverses mesures accélèrent l'expansion des crédits et marquent le début de la diminution des marges bancaires, sous l'effet de la concurrence.

Printemps 1987 : début de la crise immobilière aux Etats-Unis. Chute de l'emploi de 45 p. 100 dans ce secteur au début de 1988 qui marque le fond de la crise en termes d'emplois. La crise gagne la Grande-Bretagne au début de 1989.

28 août 1987 : M. Trichet est nommé directeur du Trésor. Il le reste jusqu'en octobre 1993, date à laquelle il est nommé gouverneur de la Banque de France.

Octobre 1987 : krach boursier mondial. La crise immobilière s'aggrave aux Etats-Unis.

Février 1988 : envoi du rapport définitif de la Cour des comptes, sur les comptes 1983 à 1986 du Crédit Lyonnais , au ministre de l'économie et des finances et à la Commission bancaire. Ce rapport souligne notamment l'insuffisante rentabilité du Crédit Lyonnais et sa sous-capitalisation.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 Juin 1988 : le groupe de Bâle (groupe des gouverneurs des grandes banques centrales) met en place des règles de solvabilité ("ratio Cooke").

1988 : la SDBO décide de se développer vigoureusement dans le financement des marchands de biens.

Printemps 1988 : acquisition en Hollande d'une filiale d'un groupe américain, qui sera fusionnée avec le CLBN.

Juillet 1988 : le président français du directoire du CLBN quitte le CLBN pour prendre la direction Europe à Paris.

Courant 1988 : création d'un comité mensuel des directeurs et des responsables des principales filiales françaises.

15 septembre 1988 : M. Haberer est nommé président du Crédit Lyonnais . Son mandat sera renouvelé en juin 1989 et en juin 1992.

Début de 1989 : crise immobilière profonde et subite en Grande- Bretagne, qui conduit à l'effondrement des prix de bureaux. Le point bas, atteint en 1992, est de 58 p. 100 en moyenne des valeurs de 1988. En 1993, les valeurs sont revenues à 70 p. 100 environ du niveau de 1988.

Création d'un séminaire annuel du comité exécutif, d'une durée d'une dizaine de jours, pour préparer et arrêter les options stratégiques.

Janvier 1989 : le directeur du Trésor souligne auprès du ministre les dangers pour le Crédit Lyonnais d'augmentations de capital par apports de titres d'entreprises publiques non négociables, et expose que seules des émissions d'actions constitueraient "la solution adaptée".

Printemps 1989 : acquisition d'une filiale d'une banque américaine qui devient Crédit Lyonnais Belgium.

Au cours de l'année 1989, le CLBN augmente ses encours sur deux financiers italiens, pour les porter à plus de 1 milliard de dollars, malgré plusieurs avertissements écrits de la Banque centrale des Pays- Bas et malgré l'engagement pris envers celle-ci par la banque de réduire ses engagements sur ces deux financiers.

La Commission bancaire est alertée par la Banque centrale des Pays- Bas, verbalement plusieurs fois en 1989, puis par écrit en avril 1990.

17 avril 1989 : directive européenne sur la définition des fonds propres de base et les fonds propres complémentaires.

29 mai 1989 : le directeur du Trésor manifeste son opposition aux financements accordés par le CLBN à deux financiers italiens et interroge le Crédit Lyonnais sur ces opérations.

Juillet 1989 : le Crédit Lyonnais acquiert 49,5 p. 100 du Credito Bergamasco, en Italie.

Novembre 1989 : augmentation de capital du Crédit Lyonnais de 1,5 milliard, par la Caisse des dépôts et consignations.

Décembre 1989 : acquisition de 19,9 p. 100 de Woodchester Investments plc, entreprise irlandaise de crédit -bail.

18 décembre 1989 : directive européenne sur le ratio de solvabilité : le ratio de fonds propres de 8 p. 100 par rapport aux engagements pondérés devra être atteint le 1er janvier 1993. Cela oblige pratiquement la plupart des banques françaises à doubler leur ratio de fonds propres.

1er janvier 1990 : suppression du contrôle des changes. Libéralisation des conditions de rémunération des dépôts d'un mois au moins.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 6 février 1990 : prise de participation du Crédit Lyonnais dans Altus Finance, à hauteur de 50 p. 100, se traduisant par une augmentation du capital du Crédit Lyonnais de 4,9 milliards de francs.

13 février 1990 : lettre de la Banque centrale des Pays-Bas au président du Crédit Lyonnais appelant de manière insistante l'attention sur le danger des prêts du CLBN à deux financiers italiens. Cette lettre est suivie d'une réponse rassurante de M. Haberer.

Juin 1990 : les professionnels de l'immobilier notent les premiers "craquements" du marché en France.

1er juillet 1990 : liberté totale des mouvements de capitaux en Europe.

Juillet 1990 : prise de participation du Crédit Lyonnais à hauteur de 25 p. 100 dans International Bankers SA, dont la banque devient actionnaire de référence.

Juillet 1990 : engagement de la SDBO dans l'achat d'Adidas.

2 août 1990 : guerre Irak-Koweït. L'euphorie cesse. Lestransactions immobilières se bloquent et ne reprendront pas. Les prix commencent à chuter, suite à la disproportion entre la demande et les stocks de bureaux.

9 août 1990 : acquisition du Banco Comercial Espanol.

20 août 1990 : augmentation de capital à hauteur de 1,7 milliard de francs par apport de titres Rhône-Poulenc par l'Etat.

30 octobre 1990 : le directeur du Crédit Lyonnais pour l'Europe autorise verbalement le CLBN à participer au financement de l'acquisition de la Metro Goldwyn Mayer par deux financiers italiens, opération conclue le 31 octobre 1990.

26 novembre 1990 : achat par Altus Finance d'une minorité de blocage dans la banque SAGA.

20 décembre 1990 : acquisition par le Crédit Lyonnais de 15 p. 100 supplémentaires d'Altus Finance, se traduisant par une augmentation de capital du Crédit Lyonnais de 1,5 milliard de francs.

23 janvier 1991 : la participation dans Woodchester est portée à 44,9 p. 100.

Juin 1991 : acquisition de la Banca Jover en Catalogne.

Octobre 1991 : publication du numéro 1 du mensuel interne d'études économiques et financières du Crédit Lyonnais , baptisé "Accélérations", avec un billet de première page du président commentant le titre de la revue et soulignant que la crise s'installe de manière durable.

31 octobre 1991 : le directeur du Trésor porte à la connaissance du ministre les pertes potentielles d'Altus Finance, qui atteindraient 2,7 milliards de plus que les 1 200 millions déjà provisionnés. Il demande à la Commission bancaire d'accélérer le calendrier des investigations qu'elle devait en tout état de cause entreprendre avant la fin de l'année.

Novembre 1991 : début des contrôles de la Cour des comptes sur le groupe Crédit Lyonnais .

Au même moment, la Commission bancaire décide des contrôles sur les filiales : Altus Finance de novembre 1991 à avril 1992, IBSA de mars à novembre 1992, SDBO de mars à septembre 1992, Clinvest de mai à septembre 1992.

31 décembre 1991 : augmentation de capital de 3 milliards de francs par apports de titres Usinor-Sacilor par l'Etat.

Altus Finance ayant fait des pertes de change en 1991, cette activité est arrêtée. L'entreprise acquiert, début 1992, 3 milliards de dollars de "junk bonds" appartenant à Executive Life.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 Avril 1992 : un tribunal américain confirme les droits du Crédit Lyonnais face aux deux financiers italiens : la banque détient désormais la quasi-totalité de la Metro Goldwyn Mayer.

Juin 1992 : départ à la retraite du directeur général de la SDBO.

12 juin 1992 : rapport de la Cour des comptes sur l'immobilier de la SDBO.

Juillet 1992 : les agences de cotation internationales abaissent la note du Crédit Lyonnais .

1er septembre 1992 : le directeur du Trésor informe le ministre du fait que les comptes du premier semestre 1992 "seront très mauvais... en raison de pertes enregistrées sur un client du CLBN".

Septembre 1992 : mise en faillite du conglomérat de l'un des financiers italiens.

12 octobre 1992 : début des contrôles de l'inspection bancaire sur les grands risques du Crédit Lyonnais . Plusieurs rapports d'étape sont établis : le 15 décembre 1992, le 10 février 1993, le 4 mars 1993, le 16 mars 1993, dont le Crédit Lyonnais conteste les chiffres et la méthode.

23 octobre 1992 : le ministre demande au directeur du Trésor de "mettre en place une procédure de suivi de l'évolution des engagements importants du Crédit Lyonnais , en liaison avec la direction générale de cet établissement, dont vous voudrez bien me rendre compte périodiquement".

23 novembre 1992 : regroupement de plusieurs banques en mauvais état au sein de la banque Colbert.

3 décembre 1992 : le conseil d'administration du Crédit Lyonnais approuve le plan triennal de l'établissement impliquant notamment une diminution des provisions en 1993, 1994 et 1995 et l'absence d'appel du Crédit Lyonnais à son actionnaire principal.

Le représentant du Trésor, s'exprimant à propos des chiffres de 1992, regrette qu'ils traduisent une vive activité, choix qui lui paraît peu prudent.

31 décembre 1992 : acquisition de la banque BfG, en Allemagne.

31 décembre 1992 : augmentation de capital de 1,9 milliard par apport de titres Aérospatiale.

1er janvier 1993 : entrée en vigueur du marché européen unique des services bancaires et du nouveau ratio de solvabilité.

3 février 1993 : augmentation de capital de 1,8 milliard par apport de titres de la banque BfG acquis par les AGF.

Comptes 1992 de la SDBO : la banque est sinistrée par l'immobilier. Le Crédit Lyonnais lui reprend 4,7 milliards d'immobilier en sous- participation.

Début 1993 : achat de la filiale autrichienne de la Chase Manhattan Bank.

11 mars 1993 : suite aux constatations provisoires de la Cour sur l'immobilier, audition du directeur général du Crédit Lyonnais à la Cour des comptes, où la Cour appelle son attention sur l'insuffisance des provisions prévues dans ce secteur pour 1992, avant que leur montant définitif n'ait été arrêté. L'établissement ne tiendra que partiellement compte de cet avertissement.

Début 1993 : le conseil d'administration approuve le programme triennal 1993-1995, qui comporte notamment la diminution des provisions

17 juin 1993 : le prérapport de l'inspection bancaire sur la maison mère est remis au président du Crédit Lyonnais . Il y est demandé 7 milliards de provisions supplémentaires. Aucune "lettre de suite" n'est envoyée ultérieurement par la Commission bancaire et aucune communication n'est donc faite au conseil d'administration, alors que la communication des "suites du contrôle" à cet organisme est obligatoire en vertu de la loi bancaire.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 4 août 1993 : lettre du gouverneur de la Banque de France au ministre de l'économie en tant que principal actionnaire du Crédit Lyonnais , demandant 7 milliards de provisions supplémentaires dans les comptes sociaux en plus de ce qui avait été demandé aux filiales par ailleurs, et demandant d'augmenter le capital.

Octobre 1993 : M. Trichet est nommé gouverneur de la Banque de France.

3 septembre 1993 : apport par Thomson-CSF des 31 p. 100 restants d'Altus Finance, cela se traduisant par une augmentation de capital de 3,444 milliards de francs.

12 novembre 1993 : M. Peyrelevade est nommé président du Crédit Lyonnais .

24 mars 1994 : le conseil du Crédit Lyonnais est saisi des comptes 1993 et des mesures de sauvetage prévues.

Juillet 1994 : une augmentation de capital en numéraire au titre de 1993 est faite par les principaux actionnaires, à hauteur de 4,9 milliards de francs.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

REPONSE DU MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU PLAN

Le ministre de l'économie, des finances et du Plan se félicite que la Cour apporte aujourd'hui une analyse sur la gestion et les comptes du Crédit Lyonnais depuis 1987, complétant en cela les travaux de la Commission d'enquête parlementaire réunie sur la question et les analyses faites par ailleurs par le Gouvernement. Un tel exercice est important car chacun a le souci et la volonté de comprendre, même avec retard, les causes de la catastrophe qu'a enregistrée cette grande banque publique, et d'en tirer les enseignements nécessaires.

Le rapport de la Cour, qui est aujourd'hui la seule institution au sein de l'administration à disposer des prérogatives d'enquête qui sont les siennes, offre tout particulièrement un éclairage intéressant sur le mode de traitement d'un certain nombre d'affaires au sein du Crédit Lyonnais (cinéma, opérations d'Altus, de la SdBO, immobilier). Le ministre partage sur ces points les analyses présentées par la Cour, qui permettent de comprendre combien certaines structures ont été mal contrôlées au sein du groupe, et les critiques émises par la Cour.

Le rapport de la Cour montre ainsi combien il est difficile de diagnostiquer en temps utile, au-delà des difficultés propres à des dossiers, secteurs ou structures spécifiques, d'éventuelles évolutions néfastes.

Les analyses générales de la Cour, en effet, démontrent tout à la fois :

- combien les analyses comparatives offrent des résultats incertains (et des travaux antérieurs de la Cour, notamment sur l'immobilier, ont montré pour leur part toute la difficulté de telles études) ;

- la vitesse à laquelle une situation qui n'est que fragile peut rapidement être détériorée (les dérives enregistrées dans les opérations immobilières de la SdBO ou du Crédit Lyonnais , l'opération MGM, la faillite de Sasea, les opérations de prises de participations et de crédit immobilier d'Altus, l'entrée dans le giron du Crédit Lyonnais d'International Bankers SA sont des opérations dont aucune n'est antérieure à 1990 ; les comptes antérieurs à cette date ne pouvaient donc les refléter) ;

- et surtout que les dérives qui devaient conduire à une catastrophe telle que celle du Crédit Lyonnais ne peuvent être détectées que par une grande régularité de contrôles externes approfondis qui vérifient sur place la bonne organisation et l'efficacité des structures de contrôle interne.

Une présentation détaillée des observations que suscite le rapport de la Cour figure en annexe à la présente synthèse, pour publication conjointe à celle du rapport de la Cour.

Enfin, le ministre de l'économie, des finances et du plan tient à signaler qu'il ne peut en aucun cas partager, ainsi que l'a dit, le 22 juillet 1995, son prédécesseur en présentant l'approbation par la Commission des Communautés européennes du plan de redressement du Crédit Lyonnais , les critiques diverses qui ont été exprimées sur les structures et les agents tant de ce ministère que de la commission bancaire.

Analyse du rapport public particulier de la Cour des Comptes sur le Crédit Lyonnais

Certaines analyses de la Cour des Comptes s'efforcent de montrer que :

- les chiffres apparaissant dans les comptes du Crédit Lyonnais étaient, avant même le début de la période sous revue, significatifs d'une situation fragile et donc potentiellement porteurs d'évolutions dangereuses :

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

- qui, faute d'avoir été perçues et corrigées en temps utile, se sont donc trouvé aggravées par la stratégie mise en oeuvre, incompatible avec ses moyens, et la manière dont elle a été appliquée.

Pour dégager cette affirmation, la Cour a procédé successivement à une analyse des résultats ainsi que des causes et des foyers de pertes.

Sur de très nombreux points, ses observations apportent une contribution intéressante et utile pour expliquer les enchaînements ayant conduit à la situation actuelle. La description des défaillances du contrôle interne de la banque ainsi que celle du fonctionnement de certaines filiales comme Altus, sont à cet égard éloquentes.

On ne peut à cet égard que partager, en le regrettant, les critiques formulées par la Cour sur l'insuffisance - voire l'absence - de contrôle organisé sur les filiales ainsi que sur certains comportements contraires à la plus élementaire des règles de prudence bancaire.

Ces considérations soulignent une nouvelle fois l'importance qui s'attache à la qualité du contrôle interne qui constitue la seule véritable digue des préventions des défaillances bancaires. Elles mettent en lumière l'étendue de la responsabilité des commissaires aux comptes dans leur mission de préserver les intérêts des actionnaires.

Toutefois, au-delà des erreurs qui ont été commises au sein de la banque et de la conjonction d'événements de grande ampleur (cinéma, immobilier, conjoncture économique, etc.) qui ont abouti à la catastrophe inacceptable que l'on sait, certaines des conclusions auxquelles parvient la Cour des comptes ne peuvent être retenues.

A. - L'AFFIRMATION SELON LAQUELLE LES AUTORITES DE SURVEILLANCE N'ONT PAS PERCU A TEMPS LES PREMIERS SIGNES DE LA DEGRADATION ET ONT AGI ENSUITE TARDIVEMENT NE PEUT ETRE RETENUE

1. Les premiers signes précurseurs n'étaient pas visibles dès 1987 voire avant, mais uniquement à compter de l'exercice 1991

1.1. Certains indicateurs retenus par la Cour des Comptes sont peu probants

a) Le principe d'une comparaison entre le Crédit Lyonnais et ses deux principaux concurrents est certes de prime abord séduisant mais ne va pas de soi.

Aucun établissement n'est étroitement comparable à un autre. Selon sa propre histoire, sa stratégie, ses spécialisations ou ses zones d'intervention, ses soldes intermédiaires de gestion sinon ses résultats peuvent différer notablement de ceux d'un autre établissement sans qu'il faille outre mesure s'en alarmer. A cet égard, le Crédit Lyonnais ne peut facilement être comparé ni à la Société générale ni à la BNP, même si cette dernière lui ressemble sans doute plus que la précédente.

Cette difficulté de l'exercice est encore aggravée par la nature même de l'activité bancaire dont la spécificité est de reposer largement sur une science inexacte, celle de l'appréciation du risque. Sur les gros dossiers, aucun risque ne ressemble à un autre. C'est pourquoi seul un examen individuel des principaux engagements est de nature à donner une vision objective de la situation d'un établissement. Aucune étude comparative, sur la base d'hypothèses de répartition homogène des risques, ne peut être considérée comme suffisamment fiable. A cet égard, l'exemple malheureux des engagements pris par la filiale hollandaise du Crédit Lyonnais démontre les limites d'une telle approche, comme il en a été par exemple des difficultés rencontrées par la BNP avec la BIAO.

En outre, de telles comparaisons ne peuvent convaincre pleinement que si leurs bases sont homogènes. Or force est de constater qu'entre les établissements et, au sein des mêmes établissements, selon les exercices, ces bases diffèrent parfois grandement. Les comparaisons s'en retrouvent faussées, et il est nécessaire de retraiter les données en plus ou en moins sur la base de conventions discrétionnaires et forcément approximatives. A titre d'exemple, la

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 classification par la BNP d'une partie de ses provisions pour engagements sociaux dans les résultats exceptionnels, alors que le Crédit Lyonnais les intègre dans les provisions d'exploitation, fragilise significativement toute analyse de résultats exceptionnels.

b) Les comparaisons réalisées par la Cour s'appliquent parfois à des critères dont l'analyse est délicate

S'agissant des critères de référence sur la rentabilité, il convient de rappeler :

- que le produit net bancaire ne peut représenter un critère de rentabilité technique des établissements de crédit . Il s'agit davantage d'un critère servant à mesurer l'activité d'une banque et non son efficacité. De même, le rapprochement effectué entre le résultat brut d'exploitation et le total du bilan diminué de l'interbancaire, qui peut avoir sa logique, omet le fait parfois très important qu'une part non négligeable du PNB et donc du RBE est générée par des activités interbancaires, pour ne pas citer les opérations de hors-bilan ;

- que pour mesurer l'efficacité d'une banque avant analyse de son risque, la référence déjà trop simplifiée la plus communément utilisée par tous les analystes est celle du coefficient d'exploitation bancaire. Une comparaison effectuée à partir des plaquettes annuelles du Crédit Lyonnais et de la BNP montre qu'après avoir divergé en 1988 et en 1989 au détriment du Crédit Lyonnais , ces ratios sont redevenus quasiment identiques en 1991, après d'ailleurs qu'en 1990 celui du Crédit Lyonnais a été meilleur que celui de la BNP, la grève de celle- ci ne pouvant à elle seule expliquer cette évolution.

Il est vrai en revanche qu'à compter de l'exercice 1992 les situations ont considérablement divergé au détriment du Crédit Lyonnais .

S'agissant des provisions, l'analyse de la Cour aurait pu être enrichie par une référence aux situations spécifiques de chacun des établissements. Comparer le Crédit Lyonnais à la BNP et a fortiori à la Société générale sans tenir compte de la nature de leur activité et de leur risque peut induire en erreur.

C'est ainsi que, comme le souligne la Cour, sur une période dont le début est marqué par la monté des risques-pays, il est nécessaire de différencier selon la nature des risques. En effet, sachant que les risques-pays ont appelé un effort considérable de provisionnement (environ la moitié du risque compromis), tout établissement ayant des risques-pays proportionnellement supérieurs à ceux de ses concurrents pouvait se retrouver, toutes choses égales par ailleurs, avec un taux global de provisions supérieur à la moyenne sans qu'il faille pour autant en déduire que ses concurrents étaient sous-provisionnés.

De ce point de vue, sous réserve des difficultés mentionnées ci- dessus inhérentes à ce genre d'exercice compte tenu notamment de l'absence d'homogénéité des références, une comparaison entre le Crédit Lyonnais et la BNP montre que le retard apparent du Crédit Lyonnais ne se vérifie pas si l'on fait abstraction des risques-pays (lesquels ne sont aucunement à l'origine des difficultés ultérieures du Crédit Lyonnais ).

Une lecture différenciée selon la nature des risques permet de préciser l'évolution des dotations aux provisions. Ainsi, s'il est globalement exact que les provisions d'exploitation du Crédit Lyonnais sont demeurées stables en 1988, 1989 et 1990 malgré l'aggravation de la conjoncture, il est tout aussi exact que, pendant cette période, les dotations aux provisions pour risques spécifiques ont fortement progressé (4,2 milliards de francs en 1990 contre 1,7 milliard en 1988) - traduisant bien en cela la dégradation de la conjoncture -, la stabilité des dotations n'étant due en réalité qu'à la seule et forte diminution des dotations pour risques-pays. Certes, de son côté, la BNP enregistrait un fort courant de provisions sur risques-pays, mais cette situation traduisait notamment les difficultés spécifiques rencontrées par cet établissement sur la BIAO.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

En tenant compte de ces considérations, le Crédit Lyonnais ne présentait pas globalement de décalage notable par rapport à la BNP jusqu'en 1991. D'une manière générale, on peut seulement affirmer que, en moyenne sur l'ensemble de la période, la BNP avait un encours de risques-pays plus élevé et légèrement mieux provisionné que celui du Crédit Lyonnais (ainsi, en 1989, l'encours de la BNP était supérieur de 7 milliards de francs à celui du Crédit Lyonnais et présentait un taux de couverture de 60 p. 100 contre 56 p. 100 au Crédit Lyonnais , comme le précisent les plaquettes annuelles). Par ailleurs, à partir de 1990, la politique de gestion active de la dette souveraine suivie par le Crédit Lyonnais , comme par la Société Générale, a conduit le Crédit Lyonnais , à la différence de la BNP, à utiliser une partie substantielle de ses provisions. Compte tenu du poids relatif des risques-pays au sein des risques compromis dans chacun des établissements, il n'était pas dès lors forcément anormal que le taux facial de couverture global de la BNP ressortisse à un niveau supérieur à celui du Crédit Lyonnais sans que pour autant cette situation soit prudentiellement dangereuse ni qu'on puisse en déduire que les risques individuels étaient moins bien couverts.

Enfin, s'agissant des résultats des opérations exceptionnelles, le fait que le Crédit Lyonnais y a eu largement recours pour alimenter son compte de résultat n'apparaît, selon les tableaux mêmes de la Cour, qu'à partir de l'exercice 1991. Or la stratégie de banque-industrie du Crédit Lyonnais , en pleine montée en puissance, conduisait logiquement à une augmentation des produits exceptionnels sans que ce point puisse être à lui seul alarmant. De même, par exemple, l'intégration par la BNP de provisions pour engagements sociaux perturbe les comparaisons : sans cet élément, le résultat exceptionnel de la BNP aurait été supérieur de 900 millions de francs.

Pour la suite, il est indéniable qu'en 1992 et 1993 le Crédit Lyonnais a bénéficié, et pas uniquement au niveau du résultat exceptionnel, d'opérations non courantes : effectivement le Crédit Lyonnais disposait de réserves latentes ; face à ses difficultés, notamment celles résultant de risques exceptionnels dont l'ampleur ne pouvait encore être soupçonnée, le Crédit Lyonnais se devait d'abord de mobiliser toutes ses ressources internes avant d'envisager de faire appel au soutien de son actionnaire principal.

1.2. Ce n'est véritablement qu'au cours de l'exercice 1991 que des premiers signes tangibles d'une dégradation sont apparus, lesquels ont été confirmés et amplifiés au cours de l'exercice 1992

a) Les premiers véritables signaux d'alerte sont apparus en 1991

C'est plus une approche qualitative que comparative des résultats entre banques qui est à l'origine des premières préoccupations sur l'évolution globale du Crédit Lyonnais . En effet, au-delà des résultats nets publiés, c'est bien la survenance de plusieurs événements atypiques au cours de l'exercice 1991 qui a suscité des interrogations sur la situation de cette banque.

Tout d'abord, le Gouvernement a été conduit à s'intéresser de près aux conditions dans lesquelles le Crédit Lyonnais avait participé au financement de l'OPA de M. Parretti sur la MGM. Après qu'a été donnée l'assurance que le Crédit Lyonnais ne finançait pas cette opération, il a été révélé progressivement que la banque avait pourtant contribué à son financement. Par la suite, la dégradation rapide et profonde de la situation de la MGM puis le contentieux avec M. Parretti ont suscité de nombreuses interrogations sur la situation de la banque. L'enquête de la Cour met aujourd'hui utilement en lumière les enchaînements qui se sont produits à l'époque.

A la même époque se sont fait jour les premières véritables inquiétudes sur la situation réelle d'Altus Finance. C'est en effet au premier semestre de 1991 qu'Altus a enregistré une perte de change de 800 millions de francs, très importante par rapport à la taille de cet établissement, ce qui a constitué un premier signe d'alerte. Par ailleurs, certaines informations faisant état d'inquiétudes sur Altus Finance ont conduit la direction du Trésor à faire état de ses préoccupations au secrétariat général de la commission bancaire.

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Survenant dans un contexte de fort ralentissement économique et de déclenchement de la crise immobilière, ces événements atypiques affectant le Crédit Lyonnais ont véritablement constitué les premiers signaux "qualitatifs" d'alerte alors même que le résultat de l'exercice, certifié par les commissaires aux comptes, était encore nettement bénéficiaire.

b) Ces signaux ont été confirmés et amplifiés en 1992 sans toutefois laisser présager dans toute son ampleur la situation dramatique ultérieure compte tenu de la méconnaissance de certains risques

C'est à l'issue de l'exercice 1992 que la situation du Crédit Lyonnais est devenue très préoccupante. Au-delà de l'enregistrement d'une perte de 1,8 milliard de francs, il est en effet clairement apparu que la banque avait utilisé la plupart de ses marges de manoeuvre immédiatement disponibles pour faire face à ses difficultés.

Toutefois, il restait encore à apprécier l'ampleur de ces difficultés et leur récurrence. Or, dans un premier temps, cette appréciation a pu être occultée par la mauvaise connaissance, par le Crédit Lynnais lui-même, de ses propres risques.

La situation que décrit la Cour sur la connaissance par le Crédit Lyonnais de ses propres engagements immobiliers ainsi que celle d'Altus Finance ont sans aucun doute conduit à sous-estimer la profondeur de la dégradation. Il est ainsi noté que la communication faite au conseil d'administration du 14 janvier 1993 sur les engagements immobiliers ne reflétait pas fidèlement la réalité, pour la raison d'ailleurs que le Crédit Lyonnais était sans doute dans l'incapacité de la connaître. De même, l'impact de la faillite de Sasea a sans doute été sous-estimé, compte tenu de la complexité de ce groupe - les nombreuses ramifications ne sont apparues que progressivement -, résultant d'une tromperie sciemment organisée.

Par ailleurs, il est vrai qu'à cette même époque la profondeur de la crise économique avait été sous-estimée par l'ensemble des experts, y compris naturellement ceux du Crédit Lyonnais . Le consensus qui prévalait encore à cette époque était celui d'une crise passagère et modérée y compris dans ses effets sur la sphère immobilière.

c) L'analyse de la Cour sur les foyers de pertes confirme d'ailleurs que la traduction de la plupart d'entre eux dans les comptes est postérieure à 1989

En effet, la vision des dérives enregistrées dans le cinéma, relevant notamment de traitements professionnels très inhabituels en matière de prises de garanties et de contrats, ne pouvait figurer dans les agrégats bilantiels de la fin des années 80 ; la même remarque s'applique aux opérations immobilières de la SdBO ou du Crédit Lyonnais lui-même dont par ailleurs la Cour relève que le Crédit Lyonnais n'avait pas lui-même une connaissance exhaustive ; l'opération MGM, pour sa part, n'a été réalisée que fin 1990, pour une partie seulement des encours aujourd'hui considérés à risques ; la faillite de Sasea n'est intervenue qu'en 1992 et sans d'ailleurs qu'à cette date l'étendue du désastre ait pu être clairement cernée ; les opérations de prises de participations et de crédit immobilier d'Altus n'ont pas démarrer qu'à partir de 1990 et prendre une réelle ampleur qu'en 1991- 1992 ; International Bankers S.A. n'est entrée dans le giron du Crédit Lyonnais (à 25 p. 100) qu'en 1990.

2. Dès que les signes d'une dégradation importante ont été décelés, tous les moyens ont été mis en oeuvre sans attendre, même les plus exceptionnels, pour prendre connaissance de la situation

2.1. A partir du second semestre 1991, les premières missions d'inspection de la commission bancaire ont été envoyées dans les filiales les plus exposées du Crédit Lyonnais puis au sein de la maison-mère elle-même.

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a) Dans un premier temps, le secrétariat général de la commission bancaire s'est concentré sur les principales filiales françaises du Crédit Lyonnais .

Dès le second semestre de 1991, le SGCB ayant été amené, à partir des informations dont il disposait, à nourrir des inquiétudes sur Altus, une enquête sur place a été diligentée sans attendre. Cette enquête rejoignait le souci de l'Etat de mieux connaître la sitution du Crédit Lyonnais , en commençant par ses principales filiales à risques.

Puis, dans le courant du premier semestre de l'année 1992, alors même que le Crédit Lyonnais venait de publier un résultat de l'exercice 1991, certifié par ses commissaires aux comptes, certes en baisse mais encore largement bénéficiaire, le SGCB a lancé trois nouvelles missions de vérification sur place à la SdBO, Clinvest et IBSA.

b) Face à la dégradation de la situation, le SGCB a étendu son champ d'investigation à la maison mère

Ces enquêtes dans les filiales ont ensuite été prolongées par une mission d'inspection dans la maison-mère elle-même à partir de novembre 1992 et qui s'est achevée en mai 1993. A la suite de la procédure contradictoire qui s'est alors engagée, le Gouverneur de la Banque de France a, dans une lettre du 4 août 1993 au ministre de l'économie, attiré l'attention de l'actionnaire principal sur l'insuffisance de provisions, estimée dans le cadre de son enquête à 7 milliards de francs.

Au total, le secrétariat général de la commission bancaire a mobilisé pendant toute cette période des moyens très importants sur le groupe Crédit Lyonnais .

2.2. Sans attendre toutefois le résultat de la mission d'inspection, l'Etat actionnaire a mis en place un dispositif sans précédent de contrôle sur une entreprise publique.

a) Sur proposition de la direction du Trésor, le ministre de l'économie a décidé d'appliquer au Crédit Lyonnais une procédure exceptionnelle.

Dès l'annonce du résultat du premier semestre 1992, faisant apparaître un effondrement du bénéfice - mais pas encore une perte -, le ministre de l'économie a demandé au président du Crédit Lyonnais de lui rendre compte de ses principaux engagements ainsi que de procéder à une analyse de ses principaux risques.

Cette procédure, sans précédent dans l'histoire récente des entreprises publiques, représentait un message très fort à l'attention du président du Crédit Lyonnais en lui signifiant clairement l'exceptionnelle importance que le Gouvernement attachait à l'évolution de son établissement et à la maîtrise de ses risques. Elle n'avait cependant pas pour vocation de se substituer aux instances de contrôle que sont, d'une manière générale pour le Crédit Lyonnais , les commissaires aux comptes, auxquels s'ajoutent dans le cas d'un établissement de crédit la commission bancaire et, puisqu'il s'agit aussi d'une entreprise publique, la Cour des Comptes. Pour remplir cette mission, chacune de ces instances dispose des moyens juridiques - le secret bancaire et professionnel n'est opposable à aucune d'entre elles - et des compétences professionnelles spécifiques - le contrôle étant un métier à part entière.

Dans le cadre de cette procédure, la direction du Trésor a procédé avec la direction générale du Crédit Lyonnais à un long passage en revue des principaux risques. A cette occasion, il a été fait part au Crédit Lyonnais des graves inquiétudes suscitées par la dégradation de la qualité de ses actifs et plus particulièrement par certaines situations, comme celle d'Altus Finance ou l'immobilier, ainsi que sur la nécessité d'infléchir sa stratégie.

b) Ces doutes se sont aussi exprimés au sein même du conseil d'administration même s'ils n'ont pu l'être que sous une forme différente.

Dans la pratique constante, le conseil d'administration des entreprises publiques est un lieu d'information des membres du conseil par le président, la plupart du temps sur des sujets choisis par ce dernier, et de formalisation de la stratégie. A cet égard, la Cour souligne

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 justement que le directeur du Trésor avait signalé à l'entreprise, puis aux ministres, la difficulté à se procurer des informations auprès du Crédit Lyonnais .

C'est dans ce contexte que doivent se lire les interventions, ou les silences, des administrateurs en conseil. Leur mission est devenue d'autant plus délicate que les difficultés rencontrées par le Crédit Lyonnais devenaient patentes. Le représentant de l'Etat issu de la direction du Trésor est intervenu à plusieurs reprises pour faire part de ses inquiétudes, et notamment sur les points suivants : le contrôle au sein du groupe (et notamment le rôle de l'inspection générale vis-à- vis des filiales, en particulier d'Altus Finance) ; l'évolution de la situation du Crédit Lyonnais (notamment les conséquences de la baisse des résultat sur le ratio de solvabilité) ; le programme triennal du Crédit Lyonnais , rappelant que la maîtrise des risques et la rentabilisation des acquisitions réalisées précédemment constituaient deux objectifs essentiels pour l'Etat ; la capacité du Crédit Lyonnais à couvrir ses risques ; le contrôle d'Altus, à l'occasion de l'acquisition de la totalité du capital de cet établissement par le Crédit Lyonnais .

B. - S'IL EST VRAI QUE LE CREDIT LYONNAIS A POURSUIVI UNE STRATEGIE DE CROISSANCE VIVE, L'ANALYSE DES PERTES FAITES PAR LA COUR ELLE-MEME NE DEMONTRE PAS, FORT HEUREUSEMENT AU DEMEURANT, QU'IL Y AIT INCOMPATIBILITE GENERALE ENTRE CROISSANCE ET RENTABILITE

1. L'analyse stratégique du Crédit Lyonnais doit être replacée dans le contexte de l'époque

1.1. La stratégie proposée par le Crédit Lyonnais et avalisée par l'Etat n'était pas en soi absurde

Le fait que la dérèglementation de la sphère financière rendait plus risquée l'activité bancaire a bien attiré l'attention sur la stratégie du Crédit Lyonnais : c'est parce que le Crédit Lyonnais était conscient de ces mutations qu'il a conduit cette stratégie, avec l'accord de son actionnaire.

Sur un tel sujet, il faut à nouveau rappeler que le jugement que l'on porte aujourd'hui sur la conjoncture des années 1988-1993 dément cruellement les anticipations généralement faites à l'époque. Ce n'est que bien plus tard qu'il apparaît que la conjoncture des années 1987- 1988 était un pic de croissance. Les risques associés à la stratégie du Crédit Lyonnais , dont les autorités étaient conscientes, ont été appréciés à la lumière d'hypothèses notamment macro-économiques malheureusement très largement démenties par les évolutions ultérieures.

Il faut ici rappeler les deux axes qui différenciaient nettement la stratégie du Crédit Lyonnais de celle de ses autres principaux concurrents, à savoir la constitution d'un réseau européen et le partenariat avec l'industrie.

L'acquisition d'un réseau européen n'était certes pas sans ambition mais n'était pas non plus déraisonnable. En effet, la formulation de cette stratégie est intervenue à un moment où la perspective d'un grand marché unique au 1er janvier 1993, avec l'adoption de la deuxième directive bancaire, devenait une réalité. Tout comme de nombreux industriels ou d'autres institutions financières, notamment dans le domaine des assurances, le Crédit Lyonnais a acquis alors la conviction qu'une forte présence dans chacun des grands pays de la Communauté serait le gage de son succès futur en jouant notamment sur l'effet de réseau, et recherchait pour ce faire une place de premier rang au sein du grand marché de 1993.

De même, face au mouvement général de décloisonnement et de désintermédiation qu'impliquaient dans le secteur financier les évolutions européennes et mondiales et les engagements français en la matière, une stratégie de recherche de partenariats industriels avait sa propre logique. Au sein d'un marché ouvert, il n'était pas anoral que tel ou tel acteur use d'une stratégie de ce type pour conserver et développer son fonds de commerce et générer, par

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 ce biais, un courant d'affaires récurrent et des flux d'activités commissionnés rentables sur de nouvelles activités.

1.2. Le choix de l'Etat actionnaire pouvait s'inscrire dans une stratégie de diversification de ses risques

Lorsque cette stratégie a été formulée, l'Etat était encore actionnaire de nombreuses entreprises du secteur financier et industriel. Au sein du secteur financier, il n'était pas infondé de considérer que l'Etat pouvait accepter que se filiales aient des stratégies différenciées, ne serait-ce d'ailleurs que dans une saine logique de répartition de son risque d'actionnaire.

De ce point de vue, il est vrai que par comparaison avec la BNP, la stratégie du Crédit Lyonnais était nettement plus audacieuse. A une époque - toujours d'actualité - où l'une des critiques faites au système bancaire était de ne pas savoir accompagner le développement des entreprises, et notamment de l'industrie, la formulation d'une telle stratégie entendait répondre à l'attente de nombreux acteurs de la vie économique et politique.

2. Une éventuelle incohérence entre formulation d'une stratégie de croissance et amélioration de la rentabilité n'est pas confirmée par l'analyse des principaux foyers de pertes

2.1. Les liens entre croissance et rentabilité sont complexes Selon la Cour, la formulation d'une stratégie de croissance active était en soi peu

compatible avec un objectif de rentabilité accrue, une vive croissance entraînant un risque de dégradation de la qualité moyenne des actifs.

Cette relation doit en effet être utilisée avec prudence. Ce n'est pas parce que dans le cas présent on peut établir, ex post, une corrélation entre croissance et risque qu'il y a un lien de causalité général qui eût dû conduire, ex ante, à interdire cette croissance.

Certes, d'une manière générale, une croissance rapide s'accompagne trop souvent d'un relâchement dans la sélection des risques, l'établissement en cause étant amené à accepter des engagements que ses confrères refusent. Mais ceci ne peut être suspecté que si l'établissement sous examen a crû plus vite que ses concurrents (gain de parts de marché), hors effets de la croissance externe.

Or la croissance des prêts bruts à la clientèle du Crédit Lyonnais a été jusqu'en 1991 identique en moyenne sur la période à celle de la BNP. Dans ces conditions, le raisonnement valant pour le Crédit Lyonnais aurait dû valoir pour la BNP, ce que la suite n'a pourtant pas confirmé.

Par ailleurs, l'accélération de la croissance en 1992 provient pour une large part de la croissance externe avec la consolidation de la BfG. Or, les effets sur la rentabilité d'une opération de croissance externe dépendent trop étroitement de la situation de la structure absorbée pour qu'aucune règle générale, tel par exemple un phénomène systématique d'anti-sélection (cf. rapport p. 37), puisse être retenue.

La même prudence s'impose en ce qui concerne une incohérence supposée entre croissance et couverture des risques.

En fait, plus que la croissance elle-même, l'important est de savoir sur quelle nature d'activité s'exerce cette croissance, et donc sur quels types de risques, et selon quelles modalités de contrôle, et c'est bien ce que démontre le rapport de la Cour.

2.2. L'analyse des foyers de pertes montre que ceux-ci ne sont pas directement corrélés avec la stratégie de croissance

Toute l'analyse de la Cour montre que les principaux foyers de pertes se sont développés en marge de la stratégie du Crédit Lyonnais , laquelle ne peut donc expliquer l'essentiel des pertes.

Les pertes aujourd'hui enregistrées sur l'immobilier proviennent pour une part significative de comportements inhabituels qui ne peuvent d'une manière ou d'une autre trouver leur origine dans une stratégie délibérée approuvée par l'actionnaire. Comme le souligne à

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 juste titre la Cour, ces comportements relèvent d'un mélange de fautes de gestion ou de prises de risques inconsidérées que la méconnaissance des encours n'a sans doute pu qu'aggraver.

De même, les pertes provenant du CLBN, qui ont lourdement grevé à partir de 1991 les résultats du Crédit Lyonnais , résultent pour leur plus grande part (Sasea, MGM) d'un enchaînement d'accidents sans précédents par leur ampleur. Sans se prononcer sur la responsabilité respective des différents acteurs, il faut néanmoins constater que ces accidents sont sans rapport avec la stratégie affichée par le Crédit Lyonnais .

Les pertes que la Cour attribue aux conséquences de la stratégie de banque-industrie doivent être pour leur part distinguées. A tout le moins, le cas d'Altus Finance mériterait d'être dissocié de cette stratégie. En effet, dans ce dernier cas, le développement du portefeuille à un tel niveau ne résulte pas d'une stratégie délibérée, approuvée par les actionnaires, mais principalement de la conséquence dramatique d'engagements d'abord hors bilan puis en crédits , pris dans des conditions décrites par la Cour, et qui ont été ultérieurement transformés en participations. C'est si vrai que le chiffre cité par la Cour ne peut que surprendre par son ampleur. Il faut à cet égard rappeler que les informations dont disposait l'actionnaire faisaient état à la fin 1992 d'un portefeuille d'Altus de 6,3 milliards de francs qui avait déjà suscité de la part de l'actionnaire, par l'intermédiaire de la direction du Trésor, des inquiétudes avec une demande très forte de ne plus le développer.

Enfin, les pertes générées par l'acquisition du réseau européen doivent être remises en perspective. La conjoncture a été dans l'ensemble de l'Europe déplorable en 1993, ce qui a effectivement nettement détérioré le résultat des filiales. Même s'il est clair que les résultats ne sont pas et ne seront pas à la hauteur des attentes initiales, un jugement définitif ne pourra être porté que sur la longue période, comme pour tout investissement d'ampleur.

C. - L'AFFIRMATION SELON LAQUELLE LE CREDIT LYONNAIS N'A PAS DISPOSE D'UNE QUALITE SUFFISANTE DE FONDS PROPRES EST FINANCIEREMENT DISCUTABLE

Selon la Cour, les fonds propres apportés au Crédit Lyonnais , quoique respectant la norme juridique, ne répondaient qu'imparfaitement à deux qualités que la Cour déclare attendre de telles ressources, à savoir être mobilisables dans un délai raisonnable et apporter une contribution importante au PNB.

Les critiques de la Cour s'appliquent tout particulièrement aux opérations d'apport de titres, à l'utilisation d'intérêts minoritaires ainsi qu'à l'émission de fonds propres complémentaires.

1. Toutes ces opérations sont conformes à l'esprit et bien sûr à la lettre de règles internationales

La définition des fonds propres prudentiels en droit français n'est jamais que la transposition, sur un plan national, de règles internationales. En l'occurrence, il s'agit de règles fixées en 1985 par le comité des gouverneurs du G 10, sous le nom de ratio Cooke, et reprises par la directive des Communautés européennes instituant, à partir du 1er janvier 1993, un ratio européen de solvabilité.

Ces règles définissent précisément les exigences prudentielles auxquelles sont assujettis les établissements de crédit , en retenant notamment une définition de l'assiette des fonds propres. C'est ainsi que ces règles reconnaissent aux intérêts minoritaires la qualité de fonds propres dits de base ("tier 1"), ce qui est logique si l'on considère que parallèlement l'établissement consolide l'ensemble des engagements de sa filiale et non sa seule quote-part : le numérateur les intègre mais le dénominateur aussi. De la même façon, ce sont ces mêmes règles qui définissent et encadrent l'émission de fonds propres complémentaires.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

Enfin, la libération d'une augmentation de capital par un apport en nature n'est en rien interdite par la réglementation, pourvu que la parité d'échange ait pu être vérifiée ; de ce point de vue chacune des opérations a fait l'objet d'une vérification par des commissaires aux apports, comme le prévoit la loi. Les augmentations de capital en titres ne contredisent pas l'esprit des règles prudentielles et, dans tous les pays, de tels apports sont pratiqués.

A cet égard, la Cour estime que les perspectives de résultat dont il a été fait état au Conseil du Crédit Lyonnais pour Usinor étaient peu crédibles. Il convient toutefois de rappeler que la valorisation a été, à la demande de la Commission de Bruxelles, expertisée par une banque conseil indépendante qui a conclu à sa justesse, ce qui correspondait d'ailleurs au sentiment d'observateurs de l'époque.

Enfin, s'agissant de l'apport de titres Aérospatiale, la Cour regrette que cette opération ait été réalisée malgré les avertissements qu'elle avait donnés dans un rapport transmis le 18 décembre 1992. Or à cette date les opérations étaient lancées depuis longue date, le principe de l'apport ayant été arrêté dans le courant de l'été par le ministre tandis que l'assemblée générale était déjà convoquée.

2. Les règles appliquées au Crédit Lyonnais sont celles dont bénéficiaient l'ensemble des banques

Il eût été paradoxal d'interdire au seul Crédit Lyonnais des opérations dont bénéficient tous ses autres concurrents. La Cour souligne d'ailleurs que, s'agissant des fonds propres complémentaires, le Crédit Lyonnais y a eu moins recours que la BNP ou la Société Générale.

De la même façon, le jeu de la consolidation des intérêts minoritaires est utilisé par l'ensemble des banques sans que le Crédit Lyonnais fasse exception sur le principe. Enfin, le recours aux apports de titres n'est pas l'apanage du Crédit Lyonnais même s'il l'a utilisé plus que d'autres. C'est notamment le cas avec la BNP, à laquelle ont été apportés des titres de l'UAP pour rémunérer une augmentation de capital, comme de nombreuses autres banques étrangères.

Il faut par ailleurs rappeler que de manière générale les fonds propres minoritaires apportent une contribution au PNB de la maison- mère, dépend des résultats et de la politique de distribution des dividendes qui est suivie.

Plus généralement, on ne peut que rejoindre la Cour lorsqu'elle souhaite que les apports puissent être mobilisables dans un délai raisonnable pour permettre de faire face aux difficultés qui se présenteraient.

Tout au plus faut-il rappeler que, dans le cas spécifique des établissements de crédit , on ne peut considérer la liquidité que comme un tout sans qu'il soit possible d'en dissocier les composantes. C'est bien d'ailleurs la raison pour laquelle la réglementation prudentielle impose de respecter globalement un ratio de liquidités, sans considération de la "provenance" de celle-ci : c'est la mobilisation de l'ensemble de l'actif et non d'une fraction de l'actif qui importe, au regard du passif.

Un adossement fonds propres/liquidité, qui conduirait à n'insister sur la mobilisation que d'une petite partie de l'actif, ne peut être retenu.

Au total, ce n'est pas la nature des fonds propres qui ont été apportés au Crédit Lyonnais qui est le point réel du débat, mais bien plutôt, d'une part, le volume de ceux-ci et, d'autre part, la rentabilité de l'actif de l'établissement.

On retrouve ici, sous une autre forme, le débat général évoqué plus haut sur la compatibilité de la stratégie suivie par le Crédit Lyonnais avec sa situation et ses moyens financiers.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

REPONSE DU GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE, PRESIDENT DE LA COMMISSION BANCAIRE

Deux ans après que l'apurement des pertes ait été engagé et un peu plus d'un an après que la Commission d'enquête parlementaire a rendu un rapport très complet et documenté, la Cour des Comptes publie un rapport sur le groupe Crédit Lyonnais de 1987 à 1993.

Les investigations de la Commission bancaire ont commencé au sein du groupe Crédit Lyonnais en novembre 1991 parce qu'aux yeux du gouverneur de la Banque de France et du ministre des finances, informé de l'existence de risques sérieux par le directeur du Trésor, il apparaissait nécessaire de procéder à un contrôle sur place approfondi du groupe Crédit Lyonnais . Des indicateurs techniques concordants avaient montré en effet au secrétariat général de la Commission bancaire que la situation pouvait être préoccupante. La Commission bancaire a dès lors consacré des moyens très importants pour mettre en évidence les difficultés du Crédit Lyonnais .

Il faut souligner à cette occasion qu'en France, de même qu'aux Etats-Unis par exemple - mais contrairement à la pratique de plusieurs autres pays industrialisés - la surveillance bancaire repose non seulement sur des contrôles "sur pièces" mais aussi sur des investigations "sur place". Ce sont ces investigations "sur place" de la Commission bancaire qui ont permis de faire apparaître de graves anomalies qui n'étaient pas signalées par l'entreprise elle-même.

La Commission bancaire a organisé les investigations sur place en commençant par les filiales où il apparaissait que les risques les plus mauvais pouvaient être concentrés - ce qui a été malheureusement amplement vérifié par la suite - puis en inspectant la maison mère. Au total, pour la maison mère et les filiales, les investigations sur place comme sur pièces ont mobilisé jusqu'à cinquante agents de la Commission bancaire.

De tels contrôles, portant sur un groupe de très grande taille, exigent du soin, de la minutie et du temps. Ceci était particulièrement vrai dans le cas du Crédit Lyonnais pour deux raisons supplémentaires : le nombre considérable (par exemple de l'ordre de 8 000 dossiers chez le seul Altus Finance) et le caractère particulièrement complexe des opérations menées par certaines filiales ainsi que les graves lacunes du système interne de connaissance et de mesure des risques (à titre d'exemple les engagements immobiliers du groupe étaient en réalité le double de ceux que recensait et déclarait l'établissement).

Un chiffrage, inévitablement progressif dans ces conditions, des pertes a été effectué au fur et à mesure par la Commission bancaire. En août 1993, les investigations menées permettaient d'affirmer que le Crédit Lyonnais ne pourrait pas surmonter seul les difficultés révélées par la Commission bancaire et qu'il devait nécessairement faire appel à son actionnaire. C'est ce que le président de la Commission bancaire indiquait au ministre dans une lettre datée du 4 août.

Le rapport de la Cour des Comptes appelle notamment de la part du président de la Commission bancaire deux remarques importantes :

- comme le montre l'analyse financière développée ci-après, l'étude présentée dans les quinze premières pages du rapport, dont l'objectif semble être de faire admettre que les autorités de contrôle externe auraient dû s'alarmer bien avant 1991, repose sur des analyses techniques qui, pour l'essentiel, ne sont pas convaincantes ;

- la Cour omet de noter que ce sont les travaux menés par la Commission bancaire, et par aucune autre autorité de contrôle, qui ont permis de mettre en évidence les difficultés du groupe Crédit Lyonnais et de mettre en oeuvre, avec l'actionnaire du groupe, un programme ordonné de redressement permettant, ce qui était essentiel à ce stade, de sauvegarder la sécurité de la clientèle et d'éviter le déclenchement d'une crise systématique.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 COMMENTAIRES DETAILLES SUR LE RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES

Le détail des observations que suscite l'examen du rapport de la Cour des Comptes est présenté ci-après au fil des développements ; les citations du rapport sont indiquées en romain et entre guillemets.

A. - REMARQUES PRELIMINAIRES

Page 2 : 3e paragraphe "Au vu des réponses reçues à ses constatations et des auditions des entreprises et des personnes concernées".

Des remarques écrites, nécessairement synthétiques, ont été fournies par le secrétaire général de la Commission bancaire, dont il n'a été tenu que très partiellement compte. En séance officielle, le temps dont on a pu bénéficier celui-ci pour faire valoir son point de vue sur un dossier aussi complexe et important a été au total beaucoup trop bref (de l'ordre de la demi-heure) pour conduire de façon sérieuse un débat contradictoire et pouvoir ainsi redresser certaines erreurs du rapport.

B. - DEGRADATION DES RESULTATS DU CREDIT LYONNAIS

Page 7 : "A la fin de 1993 le groupe a changé radicalement de stratégie (...) ce qui conduisait à revoir à la baisse la valeur de certains actifs appelés à être cédés et à accélérer l'effort de provisionnement, ces deux facteurs ayant pour conséquence mécanique de faire enregistrer dans les comptes de 1993 un montant de pertes plus élevé que celui qu'aurait entraîné la poursuite de la stratégie antérieure".

Les chiffrages de pertes de la fin de 1993 n'ont pas été effectués dans une perspective de cession rapide de certains actifs. En particulier, la méthode utilisée pour calculer les provisions sur l'immobilier a reposé sur une estimation des prix de vente à moyen terme. C'est en 1994 que la nouvelle stratégie de cession rapide de certains actifs, notamment industriels et commerciaux, a entraîné une augmentation du montant des provisions, qui s'explique aussi par une nouvelle détérioration tant du marché immobilier que de la situation financière de certains emprunteurs.

"Ces pertes résultent d'une stratégie de croissance accélérée du Crédit Lyonnais très différente de celle de ses principaux concurrents, que l'établissement a été le seul à mener parmi les grands établissements de la place."

Cette affirmation n'est exacte qu'à partir de 1991. Il est notoire que les banques françaises ont conduit jusqu'à la période de récession conjoncturelle, qui a commencé en France en 1992, une politique de forte expansion de leurs opérations de crédit . Le même phénomène s'est d'ailleurs développé dans de nombeux pays européens. En ce qui concerne le Crédit Lyonnais , le graphique A ci-joint, établi sur la base de données consolidées, montre que la croissance de l'activité de crédits du Crédit Lyonnais (CL) épousait un rythme identique à celui de la Banque nationale de Paris (BNP) et de la Société générale (SG) jusqu'en 1990 - avec un léger infléchissement cette dernière année - ; le "décrochage" se produit en 1991 pour perdurer jusqu'à fin 1993, complètement à "contrecycle" effectivement.

Page 9 : "Corrélativement les dirigeants du Crédit Lyonnais n'ont pas mis en place les moyens de contrôle interne et d'organisation indispensables pour parer aux risques plus élevés qu'ils lui faisaient courir".

"(...) l'absence de précautions adaptées (de la part du Crédit Lyonnais ) contenait en germe des risques de pertes élevés qui auraient dû appeler l'attention des autorités de surveillance compétentes."

Comme il a été indiqué ci-dessus et sera démontré ci-après, l'accroissement anormal, par comparaison avec ce qui était constaté chez les principaux concurrents, des risques de crédit ne s'est produit en fait qu'à partir de 1991. Les éventuelles insuffisances des procédures de contrôle interne ne pouvaient donc alarmer aucun contrôleur externe auparavant. Cela

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 étant, les autorités françaises de contrôle bancaire avaient constaté d'une façon générale chez les établissements de crédit des faiblesses dans leur dispositif de contrôle interne. Le Comité de la réglementation bancaire avait adopté en conséquence des normes particulièrement rigoureuses à cet égard, notamment dans son règlement n° 90-08 en date du 25 juillet 1990, que la Commission bancaire s'attache tout particulièrement à faire respecter par les établissements de crédit .

Pages 11 et 13 : "Compte tenu de l'insuffisante rentabilité initiale du Crédit Lyonnais , les chiffres apparaissant dans ses comptes dès les premières années de la période sous contrôle traduisaient une situation délicate, porteuse d'évolutions dangereuses, qui se sont effectivement produites, faute d'avoir été perçues et corrigées en temps utile :

"(...) dès le début de la période sous contrôle, la rentabilité technique du Crédit Lyonnais était inférieure à celle de ses grands concurrents."

- si ces observations étaient exactes, on peut supposer que la Cour, qui avait examiné les comptes du CL jusqu'à l'exercice 1986, et notamment sa rentabilité, n'aurait pas manqué d'alerter le ministre de l'économie et des finances et la Commission bancaire sur le fait que les caractéristiques de la rentabilité du CL étaient telles qu'une grave crise menaçait ;

- de toute manière, ces formulations paraissent excessives. Certes, la rentabilité du CL a été de longue date moyenne ou médiocre, mais cela n'a pas empêché ce groupe de dégager année après année, sur une longue période, des résultats peut-être limités mais néanmoins bénéfiaires. Or, les pertes récentes proviennent essentiellement - la Cour le dit elle-même dans la troisième partie de son rapport - de quatre nouveaux types d'engagements, qui se sont développés à partir de 1990-1991 : l'immobilier, les participations industrielles et commerciales, le cinéma et certaines activités européennes. Si ces activités hautement spéculatives n'avaient pas été menées à marche forcée, le CL aurait pu mieux supporter le caractère médiocre de sa rentabilité. Il est donc exagéré d'affirmer qu'il existe, à cet égard, un lien de cause à effet.

Ce n'est donc pas le caractère médiocre de la rentabilité avant 1991 qui peut expliquer la dérive du Crédit Lyonnais , mais le développement de risques excessifs, dans des conditions très critiquables d'insuffisance de contrôle interne.

Page 12 : "Le produit net bancaire (...) mesure ainsi la plus ou moins grande efficacité technique des activités de la banque concernée" ;

D'après le rapport, le PNB permettrait de mesurer le caractère efficient des opérations d'une banque. Dans le secteur bancaire, le PNB n'est pas considéré comme un indicateur d'efficacité, mais comme une mesure, d'ailleurs imparfaite, de l'activité, puisqu'il n'intègre pas les frais généraux et les dotations aux provisions.

Les développements des pages 13 et 14 sont, pour cette raison, contestables.

Page 15 : "La Cour des comptes compare le revenu brut d'exploitation, qui constitue effectivement un bon indicateur de la rentabilité, au total du bilan, diminué des opérations interbancaires."

Ce ratio n'est pas solidement bâti sur le plan technique. Tout d'abord, il semble que la Cour des comptes n'ait pas pris en compte la moyenne des bilans de début et de fin d'exercice, ce qui est pourtant nécessaire car le résultat brut d'exploitation est un flux annuel. Par ailleurs, l'exclusion de l'interbancaire fausse également l'analyse : l'activité bancaire est un tout et, contrairement à une idée trop fréquemment reçue, il n'y a pas de raison d'exclure tel ou tel type d'opérations, sous prétexte que les marges y seraient plus faibles qu'ailleurs. Cette dernière hypothèse est d'ailleurs parfois inexacte : une banque gagne plus d'argent en faisant de la transformation sur l'interbancaire dans un contexte de courbe des taux nettement positive qu'en empruntant sur le marché obligataire pour financer à moyen terme de grandes entreprises, avec des marges extrêmement réduites.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

En réalité le bilan est constitué d'éléments composites qui ne génèrent pas tous le même type de rentabilité. Toute comparaison reposant sur un rapport entre les résultats et le total du bilan est donc discutable et doit au moins être très fortement nuancée, notamment en utilisant dans le même temps d'autres ratios complémentaires.

"Le graphique n° 3 confirme le manque de rentabilité du Crédit Lyonnais par rapport à ses grands concurrents de l'époque."

Cette affirmation n'est pas exacte :

- selon le graphique présenté par la Cour, au début de la période étudiée, l'écart entre le CL d'une part, l'ensemble BNP et SG d'autre part, modéré en 1989 (1,29 contre 1,03), était pratiquement nul en 1990 (0,98 contre 0,96) ; or, contrairement à ce qui est écrit dans le rapport, la grève qu'a connue la BNP au début de l'année 1990 ne peut expliquer l'essentiel de l'évolution du résultat de cette banque : en fait, le PNB de la BNP s'est accru cette année-là de 2,7 p. 100 ; les frais généraux se sont certes alourdis de 10,8 p. 100, mais, hors effets de la grève subie en métropole, la hausse, due principalement à des investissements informatiques et à l'intégration d'une importante filiale nouvelle, aurait encore été de 9,7 p. 100 (ces informations sont publiques puisqu'elles figurent dans la plaquette 1990 de la BNP) ;

- il faudrait comparer le CL à la BNP et à la SG prises isolément, car les structures de rentabilité de ces deux groupes et la nature de leurs activités sont dissemblables. Il ne paraît pas correct, sur le plan de l'analyse, de procéder à une comparaison avec une banque créée artificiellement par l'addition de deux entités qui ont chacune leurs particularités ;

- ainsi que cela a été évoqué précédemment, il faudrait prendre en compte la moyenne des bilans de début et de fin d'année ; afin de rendre comparables les résultats obtenus, les opérations interbancaires seront ci-après déduites de cet agrégat, bien que cela soit conceptuellement erroné lorsque l'on cherche à apprécier la rentabilité globale.

Après les rectifications présentées ci-dessus, il apparaît (cf. graphique B) que le CL avait, en ce qui concerne le RBE, une rentabilité tout à fait similaire à celle de la BNP ; à l'inverse, la SG est mieux située, par exemple, en 1988 : CL 1,32 p. 100 ; BNP 1,26 p. 100 ; SG 1,73 p. 100. En 1989, respectivement 1,40, 1,43 et 1,63 ; en 1990, 1,38, 1,21 et 1,28.

"Les frais généraux du Crédit Lyonnais sont passés de 2,018 p. 100 à 2,023 p. 100 du bilan entre 1987 et 1993, tandis qu'ils régressaient de 2,23 p. 100 du bilan en 1987 à 1,89 p. 100 chez ses grands concurrents" :

- ce ratio peut être utile mais demande à être regardé de très près, car les frais généraux ne sont pas proportionnels au total du bilan, dont l'évolution comprend des opérations pouvant par leur nature exiger peu ou beaucoup de frais généraux ;

- quoi qu'il en soit, ce calcul signifierait qu'en début de période, la position du CL en ce qui concernait le poids relatif des frais généraux était meilleure que celle de ses principaux concurrents (2,018 contre 2,23), ce qui viendrait contredire le propos général du rapport.

En fait, la rentabilité mesurée par le critère, plus usuel, du coefficient net d'exploitation, rapport entre les frais généraux et le produit net bancaire, est similaire, jusqu'en 1990 environ, au CL, à la BNP et à la SG. C'est même vrai si on compare le CL à l'ensemble des banques : le graphique C ci-joint est explicite à ce dernier égard.

Pages 16 à 18 : Cette partie du rapport vise à démontrer que le CL disposait, au début de la période sous revue, d'un "stock" de provisions moins important que ses confrères, donc qu'il était déjà particulièrement exposé sur ses risques. Il est notamment écrit : "En début de période le Crédit Lyonnais a davantage tiré vers le bas ses provisions, économisant sur ses dotations annuelles nettes aux provisions."

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Cela n'est pas exact. Les graphiques établis par la Cour des comptes présentent en effet plusieurs défauts du point de vue technique :

- on ne peut valablement regrouper la BNP et la SG, surtout en ce domaine, car, comme cela a été dit précédemment, les caractéristiques et les politiques de ces institutions sont différentes ;

- les provisions relatives aux opérations avec la clientèle sont principalement comptabilisées à l'actif, mais elles figurent également pour partie au passif, notamment lorsque l'établissement veut couvrir des risques juridiques ou "passer" des provisions qui ne sont pas affectées officiellement à tel ou tel dossier spécifique (le cas était assez fréquent pour les engagements immobiliers compromis comme auparavant pour les risques pays). Il semble donc plus pertinent de rapporter aux encours de crédits clientèle le total des provisions sur crédits d'actif et des provisions pour risques et charges figurant au passif, même si celle-ci comprennent également d'autres formes de dotations aux comptes de prévoyance ;

- enfin, le taux de provisionnement n'a de signification que si l'on tient compte de la qualité des risques. Le rapport omet de mentionner cette limite pourtant fondamentale de l'exercice comparatif que la Cour a mené.

Le graphique D ci-joint montre en tout état de cause que le CL n'accusait pas de retard particulier par rapport à la BNP et à la SG en début de période, en termes de "stock" de provisions.

Les graphiques E et F montrent que le taux annuel de dotations courantes aux comptes de provisions était normal jusqu'en 1991. L'action du secrétariat général de la Commission bancaire, qui a demandé à de nombreuses reprises et pour des montants importants des dotations complémentaires à compter de l'arrêté de 1991, notamment sur l'immobilier, explique dans une large mesure l'évolution particulière du taux de dotations annuelles aux comptes de prévoyance à partir de 1991.

On doit rappeler à cet égard que, à la connaissance de la Commission bancaire, la Cour des comptes s'était demandé à l'époque si toutes les provisions exigées par l'autorité de surveillance bancaire étaient bien nécessaires.

En particulier, le relevé de constatations provisoires de la Cour des comptes sur les comptes du Crédit Lyonnais de 1993 mettait en doute le caractère nécessaire des provisions demandées par la Commission bancaire sur les engagements immobiliers. Il proposait à titre de solution, évitant ainsi la constatation comptable de lourdes pertes, la location systématique des immeubles en cause - ce qui, compte tenu de l'écart négatif entre le rendement des loyers et le coût du financement des actifs, aurait rendu difficile un redressement d'une rentabilité estimée par ailleurs insuffisante.

Page 18 : "Les provisions n'ont augmenté qu'à partir de 1991, lorsque la dégradation de la qualité des risques s'est manifestée de manière visible par l'apparition de sinistres de grande ampleur."

Sur le plan comptable, les sinistres avérés donnent lieu à l'enregistrement de pertes et non de provisions.

En outre, les provisions qui ont été alors constituées l'ont généralement été alors que les pertes sur les encours en cause n'étaient pas effectives et concrètement constatées. Cela est notamment vrai en ce qui concerne les engagements immobiliers, mais aussi pour ce qui a trait à de nombreuses participations industrielles et commerciales. Cette soudaine prévoyance résulte d'ailleurs des contrôles sur place de la Commission bancaire.

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Page 21 : "Entendu par la Cour le 12 mai 1995, en présence de l'ancien président du Crédit Lyonnais , le secrétaire général de la Commission bancaire a indiqué que ces provisions et résultats avaient été établis" -en concertation - "avec le secrétariat général de cette commission."

D'une manière générale, les comptes de 1992, comme plus tard ceux de 1993 et 1994, ont été établis sous la seule responsabilité des organes sociaux et ils ont été certifiés par les commissaires aux comptes. En fait, le seul point sur lequel le secrétaire général de la Commission bancaire a indiqué à la Cour qu'un accord avait été donné au Crédit Lyonnais portait sur la possibilité de limiter le niveau de couverture des risques pays au ratio minimal de 50 p. 100. Ce ratio est également celui de fin 1993 et de fin 1994, les comptes de toutes ces années ayant été certifiés par les commissaires aux comptes, dont il est notoire que, notamment pour ce qui concerne l'exercice 1994, ils ont adopté une approche très prudente.

"La Commission bancaire, alertée notamment par la survenance de très gros sinistres à l'automne 1991..."

La Commission bancaire n'a pas été alertée "notamment" par quelques gros sinistres. Elle l'a été d'une part par l'évolution générale de l'activité et de la situation financière, d'autre part par un développement prononcé dans trois secteurs principaux de risques ; l'immobilier, le cinéma et le para-cinéma, et les participations industrielles et commerciales, secteurs où peu de sinistres étaient intervenus. C'est sur cette trame et non sur le seul fondement de quelques gros sinistres qu'ont été engagées les investigations sur place de la Commission bancaire.

Page 23 : "La croissance rapide du solde positif des opérations exceptionnelles à partir de 1990 et 1991, contrastant avec leur diminution chez les grands concurrents du Crédit Lyonnais , reflète la volonté de l'établissement de faire face à la montée des sinistres, qu'il ne pouvait plus absorber par d'autres moyens".

Cette proposition, ainsi que le graphique n° 5 présenté par la Cour, appelle plusieurs observations :

- il est exact que jusqu'en 1991, le CL ne s'est guère distingué de ses concurrents en matière d'opérations exceptionnelles ; le graphique G ci-joint le montre. Il est à noter qu'il est plus pertinent que celui qui est présenté dans le rapport sous le n° 5, car il rapporte les produits et les charges en causse à un agrégat significatif ;

- cela étant, la Cour établit une relation discutable entre les "sinistres" et les profits exceptionnels. Selon cette présentation, se faire abuser comme dans l'affaire SASEA, ce qui a occasionné de lourdes provisions avant même l'exercice 1993, ne serait pas "exceptionnel". En revanche, qu'Altus Finance réalise une bonne opération en quelques mois sur les "junk bonds" n'aurait été fait, de façon préméditée, que pour compenser le poids des provisions dans un autre département du groupe. Cette présentation des choses, qui repose de façon excessive sur les conventions comptables, ne constitue pas une analyse financière et économique équilibrée de la réalité ;

- enfin, la comparaison avec les concurrents doit tenir compte du fait que certains d'entre eux ont connu des sinistres tout à fait inhabituels au cours de ces années ; ainsi, c'est donc pour des raisons qui lui étaient en partie étrangères que le solde comptable des opérations exceptionnelles du CL a été parfois plus élevé que celui de certains confrères.

La plupart des développements relatifs à l'évolution de l'activité et de la rentabilité du CL au cours de la période sous revue n'apparaissent pas refléter la réalité. En fait, des comparaisons établies sur les bases techniques les plus assurées montrent que ce n'est qu'à partir de 1991 que la politique de croissance du CL et les caractéristiques de sa rentabilité se sont distinguées de façon significative de celles de ses confrères.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

La Commission bancaire s'en est d'ailleurs alarmée, ce qui l'a conduite à mettre en place, aussi bien sous la forme d'enquêtes sur place qu'à l'occasion de très nombreux entretiens et échanges de courriers, une surveillance exceptionnellement serrée de la situation du CL. En particulier, le gouverneur de la Banque de France a écrit au président du CL, à la fin de 1991 et au début de 1992, pour lui demander de faire preuve d'une plus grande prudence, notamment en ce qui concernait le montant des provisions à constituer. De même, des lettres officielles sévères, demandant à la fois la constitution d'importantes dotations aux comptes de prévoyance et un net affermissement des procédures de contrôle et de comptabilisation des opérations, ont été adressées aux présidents des filiales au cours de l'exercice 1992, avec demande de communication aux membres de leurs conseils d'administration.

Malgré ces recommandations fermes et répétées et ces appels à la prudence, l'activité a continué de se développer à un rythme excessif. Il a donc fallu - et la Commission bancaire et la direction du Trésor s'y sont employées - à la fois poursuivre les chiffrages de pertes et inciter à un changement profond de stratégie. Tel est notamment le sens de la lettre du gouverneur de la Banque de France en date du 4 août 1993 au ministre de l'économie, par laquelle il était signifié au ministre, à l'issue de l'enquête intervenue chez la maison mère d'octobre 1992 à la fin mai 1993, que le Crédit Lyonnais ne pourrait sortir de ses difficultés sans le recours à son actionnaire.

Durant cette période, la Cour des comptes a constaté un certain nombre de dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne la gestion des encours immobiliers et des filiales "à risques". Toutefois, la Cour des comptes n'a demandé la constitution d'aucune épargne de prévoyance autre, le cas échéant, que celle qu'avait estimée nécessaire l'inspection bancaire dans celles de ses missions qui avaient précédé les enquêtes de la Cour.

C. - CAUSES ET PRINCIPAUX FOYERS DE PERTES

Pages 43, 44, 46, 51 et 52 : "Il s'en est suivi l'obligation de recourir à des substituts à de véritables fonds propres en numéraire, ne répondant que formellement aux exigences réglementaires et entraînant des conséquences négatives pour l'établissement, comme il sera exposé plus loin".

Ce point de vue est contestable, comme cela sera démontré de façon détaillée ci-après.

"Pour un montant total de 50 milliards de francs le Crédit Lyonnais a recouru aux moyens suivants :

- l'émission de fonds propres complémentaires ;

- des augmentations de capital en titres ;

- l'accroissement du périmètre de consolidation."

"Les fonds propres doivent être mobilisables et apporter une contribution au PNB de l'établissement."

"Les fonds propres complémentaires répondent à la première finalité. En revanche, ils ne répondent pas à la seconde finalité des fonds propres, qui est de contribuer au PNB."

Il est exact que les fonds propres complémentaires ne contribuent que rarement, dans la réalité, au PNB. Encore faut-il préciser que les intérêts des titres subordonnés à durée indéterminée présentent, comme le principal, un caractère subordonné, donc qu'ils peuvent ne jamais être payés en cas de difficultés. En outre, les agios des titres subordonnés à terme peuvent contractuellement ne pas être versés, sur simple décision du conseil d'administration de la banque émettrice.

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Mais le débat est autre. La définition des fonds propres a été fixée au niveau international, par le Comité des gouverneurs des dix principales banques centrales siégeant à Bâle d'une part, par le conseil des ministres de la Communauté européenne lorsque celui-ci a adopté la directive sur les fonds propres, d'autre part. Cette définition comprend des "éléments complémentaires". La Cour des Comptes peut certes critiquer la réglementation, mais il en est ainsi dans l'ensemble des pays adhérents de l'Union européenne.

"Les augmentations de capital en titres (...) ne répondaient que très imparfaitement aux finalités des fonds propres, (...) on ne peut que s'interroger sérieusement sur le fait qu'il y ait réellement création de capitaux propres."

Pour des raisons qui lui sont propres, l'actionnaire n'était pas en mesure de procéder, comme il aurait été souhaitable, à des apports en capital en numéraire. Cependant, dans tous les pays, les apports en nature sont légalement acceptés comme constitutifs de fonds propres, notamment dans le domaine bancaire, sous réserve que leur valeur ait été déterminée de façon correcte ; en l'espèce, soit des commissaires aux apports, soit même dans certains cas des commissions publiques de privatisation ont arrêté la valeur des titres en cause, et la Commission bancaire n'avait aucun motif pour remettre en cause ces évacuations ; on peut d'ailleurs remarquer que la Cour des comptes ne l'a pas fait davantage.

"Ces titres n'étaient pas mobilisables."

La Cour semble ici raisonner comme si on devait bloquer les liquidités correspondantes à l'actif, dans un compte bancaire spécifique par exemple. Cela ne correspond pas à la réalité financière. Une augmentation de capital en numéraire peut immédiatement être investie en titres ou en immeubles - c'est d'ailleurs souvent le cas - : on ne voit pas alors l'avantage de la liquidité par rapport à un apport direct en nature. En fait, la liquidité est un tout, donc on ne peut pas séparer artificiellement les composantes car un bilan est fongible. La Commission bancaire examine avec attention la liquidité du CL comme celle de l'ensemble des établissements de crédit , mais elle le fait de façon globale et cohérente et non au travers de segmentations du bilan et de la trésorerie qui sont financièrement artificielles et de ce fait peu pertinentes.

"Ces titres ne contribuaient pas au PNB."

C'est exact, mais cela n'a a priori ni dégradé ni amélioré le résultat final car si les titres apportés présentaient un faible rendement annuel, ils ne coûtaient pas en financement puisque les fonds propres ainsi constitués n'impliquaient que le versement d'un dividende éventuel.

"L'accroissement du périmètre de consolidation a été employé comme troisième moyen de suppléer à l'absence d'apports de véritables fonds propres par l'actionnaire Etat."

La position ainsi exprimée appelle les observations suivantes :

- il n'est pas précisé dans le rapport que si les fonds propres minoritaires des filiales sont intégrés au numérateur du ratio, les risques supportés par les actionnaires minoritaires sont parallèlement ajoutés au dénominateur dudit ratio. Ainsi, le ratio consolidé ne s'est trouvé amélioré que si le CL a acquis des filiales fortement capitalisées, dont l'assise financière est plus large que celle de la maison mère. On ne voit pas pourquoi l'autorité de contrôle, ni d'ailleurs la Cour des comptes, auraient dû ou pu s'opposer, pour autant que cela eût relevé de leur compétence, à l'achat de filiales présentant de tels avantages comparatifs ;

- ce mécanisme n'est critiquable que s'il conduit à une répartition des fonds propres à l'intérieur d'un groupe qui soit très différente de celle des risques. Or, tel n'était pas le cas au CL ;

- il n'y a pas, contrairement à ce qui est écrit page 52, "défaut de contribution au PNB des fonds propres minoritaires" ; en effet, les fonds propres ne coûtent qu'à raison de la politique de distribution de dividendes de chaque filiale : on ne peut donc ériger en principe

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 général ce qui se produit, ou non, selon les cas ; en outre, les marchés locaux font souvent bénéficier les établissements relativement bien capitalisés de conditions moins onéreuses de financement : il y a donc indirectement gain en PNB.

Page 60 : "En fin de période, les deux tiers des crédits accordés (par la Société de banque occidentale - SDBO) n'étaient pas couverts par des gages. Les provisions sur ce dossier étaient gravement insuffi- santes : la Cour en avait formulé l'observation en observant qu'elles devaient être augmentées de plusieurs centaines de millions, ce qui n'a été fait qu'au 30 juin 1994."

La Cour fait état de ses observations dans le passé. Il convient à cet égard de souligner que la Commission bancaire avait demandé pour sa part, avant et après que la Cour des Comptes l'ait fait, des provisions complémentaires d'un montant supérieur au chiffre avancé par la Cour.

Page 82 : "Dans le cas d'Altus Finance, responsable d'environ vingt-quatre milliards de francs de participations, les décisions ont entraîné des pertes que la Cour a estimées à huit milliards environ au 31 décembre 1993, soit un montant très supérieur à celui effectivement provisionné par l'établissement à cette date ; ces pertes étaient le résultat d'une stratégie de forte croissance alliée à un défaut de compétence et à l'absence de procédures d'engagement et de suivi des risques."

Cette présentation laisse à penser que la Cour des comptes - et elle seule puisque aucune autre instance de contrôle n'est citée à ce propos - aurait constaté lors de l'arrêté des comptes de 1993 d'Altus Finance une insuffisance de provisions par rapport à celles alors comptabilisées par l'établissement.

Or tel n'est pas le cas.

En premier lieu, les huit milliards précités ne se trouvent dans aucun rapport précédent de la Cour dont la Commission bancaire a eu connaissance : jamais la Cour n'a énoncé un tel chiffre avant le présent rapport public ; a fortiori, aucune demande globale de provision correspondant à la différence entre ces huit milliards et ce qui aurait été constitué à l'époque n'a été formulée par la Cour.

Certes, la Cour a constaté, en ce qui concerne essentiellement certains dossiers immobiliers, des insuffisances ponctuelles du "stock" de provisions existant au 31 décembre 1993. Mais elle ne l'a fait, à la connaissance de la Commission bancaire, qu'en décembre 1994, donc bien postérieurement à l'arrêté et à la publication des comptes d'Altus Finance pour l'exercice 1993. Sur un plan général, relatif à l'ensemble du groupe Crédit Lyonnais , la Cour n'avait d'ailleurs formulé auparavant aucune demande de provisions autres que celles calculées par la Commission bancaire.

En deuxième lieu, il est très contestable de dénoncer le montant des provisions constituées à une date donnée sur la base d'une analyse effectuée quasiment un an après. En effet, durant le temps écoulé, la situation des emprunteurs se modifie, de même qu'évoluent les marchés, notamment celui de l'immobilier, dont on sait qu'il s'est à nouveau fortement dégradé en 1994.

En troisième lieu, il faut indiquer que la Commission bancaire et les commissaires aux comptes nouvellement nommés, avaient à nouveau, à l'automne 1994, avant que la Cour fasse part de ses appréciations ponctuelles sur les dossiers d'Altus Finance, chiffré de façon précise et exhaustive les besoins de provisionnement. Compte tenu de l'évolution des marchés et des situations individuelles depuis le début de l'année, la nécessité de renforcer significativement les provisions existantes par rapport aux chiffres de la fin 1993 avait été ainsi mise en évidence. Les constatations de la Cour, qui étaient de nature plus descriptive et limitées aux dossiers les plus importants - or, il y avait 8 000 dossiers environ chez Altus Finance -, ne pouvaient apporter d'aide majeure dans ce cadre.

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D. - L'IMMOBILIER

Page 97 : "Des provisionnements tardifs sur l'immobilier : la banque a retardé le plus possible le moment de constater par des provisions l'existence de pertes probables. Elle n'a commencé de provisionner, en 1991, que lorsque les situations étaient devenues sans issue, et les pertes certaines, arguant que l'incertitude du marché de l'immobilier était devenue telle qu'il était à son avis sans signification de provisionner les autres dossiers, alors que la réglementation impose de provisionner dès que le risque de pertes existe. Pour les comptes de 1992, après que la Cour eut appelé l'attention de l'entreprise, de la direction du Trésor et de la Commission bancaire sur l'insuffisance de ces provisions lors de l'audition du 11 mars 1993, avant l'arrêté des comptes, un effort significatif, mais insuffisant, de provisionnement a été accompli, de sorte que ces comptes n'ont traduit que partiellement l'état des pertes probables, qui s'est révélé de ce fait avec d'autant plus d'ampleur et de brutalité dans les comptes de 1993."

Quelques observations doivent être formulées, qui reprennent des informations qui ont déjà été portées à la connaissance de la Cour.

Tout d'abord, le CL n'a pas été le seul établissement de crédit , loin s'en faut, à ne comptabiliser des provisions sur l'immobilier qu'à compter de l'exercice 1991, pour une raison simple : la crise française de l'immobilier est intervenue à partir de mi-1991 environ.

Il reste effectivement que le CL a tardé à constituer des provisions suffisantes en raison notamment d'une mauvaise connaissance, au niveau central du groupe, des engagements (absence de base globale de données), si bien que les engagements consolidés, déclarés initialement à la commission bancaire comme s'élevant à cinquante GF environ, se sont avérés in fine, à la fin des inspections bancaires, de l'ordre du double, montant final qui était de fait ignoré de la maison mère.

Par ailleurs, l'assertion : "Pour les comptes de 1992, après que la Cour eut appelé l'attention de l'entreprise, de la direction du Trésor et de la Commission bancaire sur l'insuffisance de ces provisions lors de l'audition du 11 mars 1993, avant l'arrêté des comptes..." n'est pas acceptable. L'idée qui est suggérée par le rapport est que la Cour a demandé la constitution de provisions, y compris à la Commission bancaire, et qu'elle serait donc à l'origine de la couverture comptable des sinistres. Le responsable de la Commission bancaire présent à cette séance ne se souvient pas d'une telle demande, qui en tout cas n'a pu être que verbale puisqu'il n'en existe aucune trace écrite. La portée d'une telle remarque eût été en tout état de cause fort modeste ; en effet :

- la Commission bancaire était, en mars 1993, en enquête depuis plusieurs mois au sein du Crédit Lyonnais maison mère ; les inspecteurs de la Banque de France n'ont pas attendu que la Cour des comptes leur donne l'idée de demander des provisions complémentaires pour y songer eux-mêmes ;

- la Cour des comptes n'a assurément formulé aucun chiffre. Dès lors, demander de façon générale un renforcement du stock de provisions, avant même que des dotations aient été décidées au titre de l'exercice précédent, ne pouvait avoir de portée pratique.

En d'autres termes, soit la Cour des comptes avait une idée précise des provisions à constituer, auquel cas on s'interroge sur les raisons pour lesquelles elle n'a pas formulé de demande chiffrée, soit elle n'en avait pas, et on se demande quelle pouvait être l'utilité concrète d'une demande de portée aussi générale. Par ailleurs, le caractère "insuffisant", selon la Cour, des provisions qui ont été, finalement, comptabilisées au titre de 1992, n'a fait lors de leur arrêté et publication l'objet d'aucune remarque de la part d'une institution qui pourtant a pleine compétence pour assurer la vérification des comptes des entreprises du secteur public.

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On ajoutera qu'un relevé de constatations provisoires de la Cour des comptes relatif aux résultats de l'exercice 1993 doutait de la nécessité des compléments de provisions demandées, de façon précise naturellement, par l'inspection de la Banque de France.

Page 109 : "Les opérations interbancaires ont été retirées du total du bilan, à la suggestion du secrétariat général de la Commission bancaire, pour tenir compte du fait que les créances sur les établissements de crédit , contrebalancées au passif par des montants du même ordre de dettes envers les établissements de crédit , sont pour l'essentiel des opérations de pure trésorerie, sans relation avec l'activité des établissements, qui gonflent le bilan sans apporter de contribution significative au PNB et au RBE, surtout lorsque les taux longs sont moins élevés que les taux courts, situation qui s'est rencontrée pendant la plus grande partie de la période sous revue."

Le secrétariat général de la Commission bancaire avait effectivement recommandé de déduire les opérations interbancaires du total du bilan pour comparer l'évolution des volumes d'activité, essentiellement avec la clientèle. Cela n'est pas contradictoire avec la nécessité de tenir compte de ces opérations pour apprécier la rentabilité globale des banques.

Par ailleurs, il est contestable d'écrire que les taux courts ont presque toujours été supérieurs aux taux longs de 1987 à 1993 : c'est l'inverse qui s'est produit pour le dollar des Etats-Unis, et il y a eu des périodes très contrastées de ce point de vue pour ce qui concerne les taux d'intérêt du franc.

Page 117 : "17 juin 1993 : le prérapport de l'inspection bancaire sur la maison mère est remis au président du Crédit Lyonnais . Il y est demandé sept milliards de provisions supplémentaires. Aucune lettre de suite n'est envoyée ultérieurement par la Commission bancaire et aucune communication des suites des contrôles n'est donc faite au conseil d'administration, alors que la communication des suites des contrôles à cet organisme est obligatoire en vertu de la loi bancaire."

La communication d'une "lettre de suite" au président de la banque, alors que le rapport d'inspection lui avait été remis, n'est nullement obligatoire du point de vue juridique. Il arrive qu'il n'y ait pas de "lettre de suite" lorsque d'autres dispositions estimées plus utiles et efficaces sont prises. Tel a été le cas pour le Crédit Lyonnais . Il a été en effet considéré que l'ampleur du problème nécessitait des moyens de nature exceptionnelle, ayant une portée plus forte que ceux de la procédure de routine. C'est pourquoi le gouverneur a directement écrit au ministre de l'économie et des finances pour l'informer des montants de provisions relatives à la seule maison mère (les filiales, où étaient logées la plupart des pertes, ayant déjà fait l'objet de demandes de provisionnement et allant être à nouveau inspectées dans les semaines suivantes), et pour lui demander d'apporter des fonds propres substantiels. Cette lettre a été adressée le 4 août 1993 et a contribué de façon significative à une redéfinition complète de la stratégie du Crédit Lyonnais . Une copie de cette lettre au ministre a d'ailleurs été remise au président du Crédit Lyonnais . L'Etat actionnaire, qui nourrissait déjà de très fortes préoccupations sur la situation du Crédit Lyonnais et qui menait ses propres analyses, a été ainsi directement informé par le président de la Commission bancaire.

E. - CONCLUSION

Pages 105 et 106 : "La Cour des Comptes a constaté que les dispositifs de surveillance et de prévention des défaillances dans le secteur financier n'avaient pas pu empêcher des décisions et des évolutions conduisant progressivement le groupe à une situation financière d'une extrême gravité, qu'il s'agisse (...) ou de la Commission bancaire."

"... une stratégie comportant des risques élevés a été développée dès les premières années de la période sous contrôle, sans que soient mis en oeuvre les moyens correspondants et notamment sans les contrôles internes et externes renforcés qu'elle appelait..."

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Ces affirmations appellent les observations suivantes.

En premier lieu les analyses juridiques faites par la Commission bancaire font apparaître que la Cour des Comptes n'aurait pas plus compétence pour juger de l'action de la Commission bancaire que celle- ci n'en aurait pour apprécier la pertinence de l'action de contrôle menée par la Cour des Comptes sur l'ensemble des établissements de crédit du secteur public, et en particulier le Crédit Lyonnais .

En deuxième lieu, lesdites affirmations ne sont pas étayées par des analyses techniques convaincantes. La Commission bancaire a non seulement détecté, dès que cela a été possible, les difficultés, mais a chiffré l'ampleur des risques financiers et a fait en sorte, avec le ministre et son administration, les nouveaux dirigeants, les auditeurs externes, que les meilleures solutions soient trouvées afin qu'à aucun moment la sécurité des dépôts et celle, plus générale, de la place ne soient menacées.

En troisième lieu, l'objectif de la Commission bancaire, comme de toutes les autorités de surveillance dans les autres pays, est de faire appliquer la réglementation avec rigueur et, ce faisant, de protéger autant que faire se peut la clientèle des établissements de crédit et d'éviter la survenance de risques systémiques. Aux yeux de la Commission bancaire, il ne suffit pas de procéder à un contrôle sur pièces. Il convient d'aller sur place vérifier l'application de la réglementation bancaire et la pertinence des systèmes de contrôle. C'est ce qui a permis et permet à la Commission bancaire de mettre le plus souvent en évidence elle-même, à la suite de ses propres investigations, les difficultés, sans attendre que celles-ci soient révélées par l'entreprise elle-même. La Commission entend, en liaison avec les autorités de surveillance des pays européens et du groupe des "dix", renforcer encore son action de contrôle des systèmes d'audit interne. L'"audit de l'audit", exercé par l'autorité de surveillance, notamment sur place, est plus nécessaire encore aujourd'hui qu'hier.

La Commission bancaire n'est pas chargée, bien évidemment, d'une gestion en double commande des établissements de crédit . Dans une économie de marché, c'est aux dirigeants de la banque qu'il appartient de prendre les décisions de gestion, sans avoir à recueillir un accord préalable d'une autorité en terme de contrôle, qui n'intervient forcément qu'a posteriori. Cette conception ne semble pas partagée par la Cour des comptes, bien qu'elle soit en vigueur dans tous les grands pays, sans exception. Il en résulte qu'en France, comme ailleurs, des difficultés bancaires ne peuvent pas être exclues a priori et par principe.

Le rôle de la Commission bancaire n'est pas davantage d'effectuer un contrôle d'opportunité de l'action des dirigeants. En veillant à la qualité de la situation financière des établissements de crédit (art. 37 de la loi bancaire), elle n'a pas à autoriser les opérations décidées par les dirigeants, mais elle en tire les conséquences au regard de la réglementation bancaire et de la situation financière générale des établissements ; ceci la conduit en particulier à formuler les recommandations et les demandes de redressement appropriées. Cette action a été conduite avec beaucoup de vigueur dans le cas du Crédit Lyonnais .

"Il n'entre pas dans les missions de la Cour des comptes de se substituer aux autorités chargées de la surveillance des banques."

Cette affirmation n'est évidemment pas contestable. Il demeure que la loi donne pleine compétence à la Cour des comptes pour assurer la vérification des comptes et de la gestion des entreprises publiques du secteur bancaire.

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Graphique G

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REPONSE DE L'ANCIEN PRESIDENT DU CREDIT LYONNAIS (EN FONCTIONS DE SEPTEMBRE 1988 A NOVEMBRE 1993)

INTRODUCTION

Par lettre du 3 juillet 1995, le Premier Président de la Cour des comptes a bien voulu m'adresser un projet de Rapport public sur le groupe Crédit Lyonnais (exercices 1987 à 1993), en me demandant de préparer pour le 25 août au plus tard les réponses dont, en tant qu'ancien président du Crédit Lyonnais , je souhaite la publication au Journal officiel, en application des dispositions de l'article 52 du décret du 11 février 1985.

Je remarque que, sur les sept exercices sous revue, cinq (1988- 1992) ont été clos sous ma présidence, laquelle a commencé le 15 septembre 1988 (date de ma nomination) et a pris fin le 12 novembre 1993 (date de mon départ), ce qui me permet de me sentir concerné par 74 p. 100 de la période examinée par la Cour, mais m'autorise une légitime perplexité, chaque fois que le rapport mentionne "le président" ou "la présidence" sans indiquer une date précise.

Ayant quitté le Crédit Lyonnais il y a près de deux ans, ne disposant pas des dossiers restés dans les services dont ils relevaient, il ne m'est pas facile de produire des chiffres, des documents, des textes, encore moins de discuter des dossiers, toujours extrêmes, donnés en exemples, et qui ont fait l'objet d'une contradiction appropriée par les entités en cause (SDBO, Altus Finance). Il en va de même pour les deux directeurs généraux qui furent les miens et qui m'ont assisté dans la préparation des réponses, l'un parti il y a trois ans, l'autre il y a un an. Mais, par ses affirmations, par ses méthodes, par ses omissions, le rapport de la Cour appelle des réponses qui seront données ci-dessous. Ces réponses seront données pour l'ensemble du groupe, étant rappelé que les rapports particuliers consacrés à Altus Finance, BIGT et SDBO ont fait l'objet, par les responsables exécutifs présents et passés de ces filiales, de réponses appropriées, dont la Cour n'a pas suffisamment tenu compte dans son rapport public d'ensemble.

J'observe enfin que, contrairement à ce que je crois être l'usage de la Cour tel que je l'ai connu à d'autres moments de ma carrière, l'auteur du rapport de synthèse n'a jamais souhaité me rencontrer. Il n'a pas non plus rencontré mes directeurs généraux. Des erreurs de perspectives, de chronologie ou d'appréciation auraient cependant pu lui être ainsi évitées. Il est fâcheux que ces erreurs soient prises en charge par la Cour.

PREMIERE PARTIE

LES METHODES DECONCERTANTES DU RAPPORT DANS L'EXAMEN DES RESULTATS

A une époque où les analystes financiers, les agences internationales de notation, les autorités bancaires soumettent les banques à un examen continuel, dont le professionnalisme est de plus en plus exigeant, on est en droit de s'étonner des méthodes employées par le rapport de la Cour pour apprécier les stratégies, les performances et les comptes du Crédit Lyonnais .

A. - LE SILENCE SUR LES POLITIQUES SUCCESSIVES DE L'ETAT-ACTIONNAIRE

On peut comprendre que la Cour choisisse de ne pas sortir d'une neutralité politique indispensable à la sérénité de l'institution. Mais cela la conduit à ignorer systématiquement que pendant la période sous revue, il y a eu trois politiques successives de l'Etat-actionnaire, séparées par deux alternances politiques (mai 1988, mars 1993).

Mon prédécesseur, en juillet 1986, n'a accepté la présidence du Crédit Lyonnais , deux ans avant la limite d'âge du secteur public, que parce que sa mission était de conduire la privatisation de l'établissement, programmée pour la fin de 1987 ou le début de 1988. L'élan qu'il a donné à la maison, la présence médiatique et commerciale plus forte, n'ont pas d'autre explication. En outre, les échéances annoncées du ratio Cooke l'avaient convaincu que les

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 besoins en fonds propres du Crédit Lyonnais ne pourraient pas être satisfaits sans une privatisation permettant d'aller les chercher librement sur le marché.

Pour ce qui me concerne, en septembre 1988, ma mission a été définie dans des termes explicitement très différents. Du fait du carcan du "ni-ni", il était hors de question de mettre en cause le contrôle majoritaire direct par l'Etat. J'ai cependant réussi à ouvrir assez le capital pour que la part de l'Etat diminue de 80 p. 100 à 51 p. 100 en 1992 (évolution sans précédent que le rapport de la Cour ne mentionne même pas). Pour faire face aux échéances du ratio Cooke, l'Etat a cependant dû organiser des augmentations de capital répétées que, n'ayant pas les moyens budgétaires de les souscrire en numéraire, il a souscrites par apport de titres, selon une ingénierie financière qui n'augmentait pas les déficits publics, mais qui comportait certains effets négatifs : la Cour a beau jeu de les critiquer sévèrement, sans proposer d'alternative. En contrepartie de ces apports de fonds propres, l'Etat-actionnaire demandait au Crédit Lyonnais d'avoir une attitude active et responsable en matière de croissance et d'emploi, en tenant compte des priorités économiquees du pays, telles que le développement de l'industrie, la restructuration des grands groupes, la présence en Europe (Communauté européenne et pays de l'Est), la construction, l'exportation. La crise économique exceptionnelle survenue à partir de 1991 a naturellement accru cette pression de l'Etat-actionnaire pour "ne pas ajouter de la crise à la crise", expression qui, contrairement à ce que dit le rapport, n'est pas propre au Crédit Lyonnais , mais appartient au ministre de l'économie et des finances de l'époque.

Il suffisait de lire les programmes électoraux pour savoir que l'alternance politique de mars 1993 allait modifier en profondeur les intentions de l'Etat-actionnaire. Dans le seul entretien de trente minutes qu'il a bien voulu m'accorder sur la situation du Crédit Lyonnais avant de me demander mon départ quatre mois plus tard, le nouveau ministre de l'économie, indifférent aux efforts que le Crédit Lyonnais croyait devoir continuer à faire, du fait de sa dimension macroéconomique, pour aider sa clientèle d'entreprises à traverser la crise, n'a assigné qu'un seul objectif à l'établissement : se préparer à la privatisation la plus rapide possible, par tous les moyens. C'est cette volonté, exploitée par mon successeur, qui a conduit à faire prendre les principaux risques en charge par les actionnaires, par l'intermédiaire d'abord de l'OIG, puis de CDR, dans des conditions que la Cour n'a pas encore examinées.

Ne doit-on pas, pour ne pas parler des dirigeants, plaindre l'entreprise soumise par de tels zigzags à la volonté fluctuante de son actionnaire principal ?

B. - LA SOUS-ESTIMATION SYSTEMATIQUE DE LA CRISE DE 1991-1993

Une grande banque est immergée pleinement dans la conjoncture, non seulement dans celle de sa profession, affectée par les taux d'intérêt et les taux de change, les mesures de réglementation ou de déréglementation, mais par celle de tous les secteurs économiques où se trouvent les clients, dans tous les pays du monde où elle opère. Prisonnier d'une vue comptable apolitique, le rapport est en outre, le plus souvent, muet sur ce qui a été cependant la plus éprouvante crise économique du demi-siècle. On n'en trouve pas une seule mention dans la constatation dite "centrale", ni dans toute la première partie du rapport, consacrée aux résultats profondément dégradés ! On la voit discrètement évoquée (mais datée à tort pour la France du milieu de 1990, un an trop tôt) dans l'introduction de la deuxième partie, mais pour en minimiser les effets en se référant à l'obsédant échantillon de deux banques qui a soigneusement exclu toutes les grandes banques de la place ayant souffert le plus de la crise. Il est aussi discrètement concédé en une seule phrase que, sans la crise, le Crédit Lyonnais aurait pu "recueillir les fruits d'une politique hardie de prises de risques".

Lorsque le rapport aborde enfin, rapidement, le problème de la crise, c'est, avec une confortable clairvoyance rétroactive, pour affirmer que dès 1989 et 1990 on pouvait en interpréter les signes précurseurs. Il serait cependant facile de moissonner dans les textes contemporains de nombreuses citations contraires en provenance d'institutions et d'experts réputés. La vérité, inoubliable pour les entreprises qui l'ont vécue, est que si le ralentissement économique, à partir de 1991, a paru se conformer d'abord au cycle habituel des économies de

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 marché, personne n'a vu venir une crise assez grave pour diminuer les produits nationaux. Si le Crédit Lyonnais s'est trompé, il a été en bonne compagnie, y compris parmi les grandes banques occidentales et japonaises, et quasiment tous les gouvernements.

On retrouve la même cécité d'une approche comptable intemporelle dans la troisième partie du rapport consacrée aux "principaux foyers de perte". Par exemple le rapport indique que le résultat net global des filiales européennes, en rendement des fonds propres investis, a été supérieur à 9 p. 100 en 1989, 1990, 1991, avant de "tomber à moins de 3 p. 100". C'est tout simplement l'effet de la crise dans les économies européennes à partir de 1992, ce que ne dit pas le rapport. Le rapport croit pouvoir opposer cette évolution à celle du "réseau dans le reste du monde, dont le résultat n'a cessé d'augmenter au cours de la période, malgré la crise économique". Les résultats du reste du monde sont très principalement ceux du Crédit Lyonnais aux Etats-Unis, et l'explication est tout simplement que la crise s'y étant manifestée deux ans plus tôt, comme tout le monde le sait, et les banques américaines sinistrées par la crise pratiquant le " credit crunch", les banques européennes se sont engouffrées dans l'opportunité sans précédent qui leur était offerte pour financer les grandes entreprises américaines, le Crédit Lyonnais USA ayant été particulièrement performant et profitable dans cette période à saisir.

De la même manière, le rapport, dans sa description du financement du cinéma par le CLBN, ignore qu'il y a eu, par effet multiplicateur de la crise économique, une très grave crise de cette industrie, aux Etats-Unis notamment. La crise n'est pas plus évoquée dans le jugement injuste porté sur le partenariat banque-industrie, ni dans les difficultés rencontrées par Altus Finance, marchand d'actifs dont le portefeuille a été soudain dévalorisé par la crise, avant de l'être une seconde fois par la stratégie de liquidation choisie par mon successeur.

En revanche, pour l'immobilier, principale source des pertes, il aurait été difficile de passer la crise sous silence. Avec tout le confort de la clairvoyance rétroactive et de la prédiction ex post, le rapport fixe "au début de 1988" l'existence d'informations publiées annonçant la catastrophe. Si cette date, qui précède de trois ans le retournement du marché, a un sens, toute la place financière a été imprévoyante, car la plupart des grands crédits aux promoteurs immobiliers sont syndiqués, et toutes les autorités, Banque de France et Gouvernement notamment, ont manqué de vigilance, sauf la Cour, qui l'énonce sept ans plus tard.

C. - LA FORMULATION CARICATURALE DES STRATEGIES DU CREDIT LYONNAIS

Relevant avec insistance que la stratégie du Crédit Lyonnais a été différente de celle suivie par les autres banques de la place de Paris, le rapport ne témoigne cependant pas d'un grand effort pour l'analyser. Alors que la Cour pouvait avoir accès à tous les grands documents destinés à expliciter les stratégies (deux programmes triennaux, le discours annuel, particulièrement médité par le président, à la journée d'études des cadres, les déclarations au Comité central d'entreprise, les exposés de toute nature faits aux séminaires (dix jours par an) du Comité exécutif et les relevés d'orientation ou de décision qui les suivaient), elle s'est bornée à se référer au modeste texte d'une page, certes fait pour un lecteur contemporain très pressé et sans curiosité, qu'est la "Lettre du Président" précédant le rapport annuel. Ce court message n'a jamais été considéré comme un document stratégique ni par l'auteur, ni par quiconque. Appliquée à d'autres grands groupes, la méthode d'investigation stratégique choisie par la Cour conduirait à d'étranges méprises.

Le Crédit Lyonnais a eu une stratégie plus active que celle de ses concurrents français, et plus "affichée", en communication interne, car il était absolument nécessaire de motiver les équipes sur des projets ; et il a donc fallu l'afficher en communication externe, par cohérence. La chose n'étant pas habituelle dans le monde bancaire, il y a eu une certaine irritation des principaux concurrents, d'autant plus qu'en termes d'image, le Crédit Lyonnais a été de ce fait

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 classé premier pendant plusieurs années par des magazines ou sondages divers, et qu'il y a eu afflux de candidatures à son recrutement.

Cette stratégie, inlassablement répétée à des fins pédagogiques, comprise et approuvée par l'autorité de tutelle, s'articulait autour de cinq axes choisis pour améliorer la profitabilité future et dont aucun, pour cette raison, ne comporte en lui-même des risques de pertes. Il est extrêmement surprenant qu'ils ne soient pas examinés ni même mentionnés par la Cour. Ces cinq options stratégiques majeures, à partir de 1989, ont été les suivantes :

- en priorité, augmenter les fonds propres, ce qui dépendait de l'actionnaire public et des moyens d'action qu'il pouvait mettre en oeuvre ou laisser mettre en oeuvre ;

- restructurer le réseau commercial par la segmentation des marchés. Premier à s'y lancer, et enregistrant de ce fait des succès commerciaux, le Crédit Lyonnais a été ensuite imité par ses grands concurrents. Cependant, cette restructuration a gonflé les frais généraux et les investissements en équipes et en locaux pendant quelques années ;

- développer les activités sur les marchés de capitaux, afin d'y retrouver les clients se dispensant de l'intermédiation bancaire ;

- développer le partenariat avec les entreprises industrielles et commerciales, en acceptant sur leur demande de prendre des participations très minoritaires en capital, si cela consolidait ou développait le flux d'affaires avec elles et promettait des valorisations ultérieures ;

- préparer le grand marché bancaire européen, qui sera demain le marché domestique de tous, par croissance interne et surtout externe, afin de faire du Crédit Lyonnais une des quelques grandes banques capables (comme Barclays pour les britanniques et Deutsche Bank pour les allemands), d'avoir une identité européenne et d'avoir dans l'Union européenne une offre globale de produits et services bancaires et financiers à la fin du siècle.

A ces cinq orientations de base s'ajoutait un objectif permanent de nature sociale, également reflétant le souhait de l'Etat-actionnaire (du moins jusqu'en mars 1993) : ne pas effectuer de licenciements, malgré la faveur que les analystes financiers et les agences de rating manifestent pour des mesures massives et brutales. Cela n'a pas empêché de faire décélérer les effectifs à l'amiable, en passant même de moins 1 p. 100 par an à moins 2 p. 100. Mais, par le développement des dépenses de formation et par une stratégie d'expansion et de diversification, le Crédit Lyonnais a pu se dispenser de licencier, mesure qui est d'une gravité extrême, lorsque, du fait des sureffectifs de la profession, tout licencié risque de devenir un exclu. Dans ce domaine aussi, le Crédit Lyonnais a tenté d'être exemplaire, et aucun reproche contemporain ne lui en a été fait, bien au contraire.

D. - LE CHOIX D'UNE BASE DE COMPARAISON TROP LIMITEE

La comparaison des comptes du Crédit Lyonnais avec ceux de deux autres établissements considérés comme ses principaux concurrents est employée dans tout le rapport au point de relever d'une annexe méthodologique spéciale. Outre que comparaison n'est pas raison, surtout pour un groupe dont il est dit que sa stratégie est différente, la méthode présente de graves infirmités :

- l'échantillon, s'il est facile à constituer, est trop étroit : BNP et Société Générale représentent environ 25 p. 100 des banques AFB et environ 10 p. 100 du système bancaire et financier français. Si la comparaison a encore un certain sens pour les activités de banque à réseau en France (pour les particuliers et les petites et moyennes entreprises), elle n'en a guère pour les grandes entreprises, les affaires internationales (les réseaux sont très différents) et les activités de marché. Pour cette raison, le Conseil d'administration du Crédit Lyonnais se voyait présenter une comparaison beaucoup plus large avec les principaux établissements français et étrangers. Quant à la Commission bancaire, elle tient à jour un échantillon de la profession bancaire beaucoup plus large et donc beaucoup plus pertinent que celui retenu par la Cour ;

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

- faire des deux banques de l'échantillon un bloc, reflété par une moyenne des deux, masque qu'elles ont elles-mêmes, du fait de leur histoire, de leurs clientèles, de leurs stratégies commerciales, des évolutions souvent divergentes. La méthode de la Cour, si la BNP était encore éligible à ses contrôles, consisterait-elle à comparer ses comptes à la moyenne Crédit Lyonnais -Société Générale ? ;

- en se bornant à cette comparaison étroite, la Cour s'éloigne d'une référence objective aux performances du système bancaire français : son échantillon élimine, par un parti pris inexplicable, les autres grandes banques françaises qui, à des degrés divers, ont connu comme le Crédit Lyonnais des pertes du fait de la crise : Paribas, Suez, CIC, Crédit du Nord, Banque Worms, Marseillaise de Crédit , Banque Hervet, etc. ;

- un parti pris dans le parti pris apparaît en outre dans le commentaire du rapport consacré aux "opérations exceptionnelles". Il y a quelque chose d'aventureux à fabriquer une courbe de résultats du Crédit Lyonnais (graphique 6) "comme s'il avait eu recours aux facteurs exceptionnels dans une aussi faible proportion que ses deux grands concurrents". En effet, les opérations exceptionnelles, parfaitement régulières, approuvées par les actionnaires, se développent naturellement quand on fait face à une crise mettant en péril la profitabilité des opérations courantes. Or, précisément, le rapport ignore systématiquement l'existence des autres banques (Paribas, Suez, CIC, etc.) qui ont vendu des actifs, et parfois leur siège, pour tenter d'équilibrer par des opérations exceptionnelles l'évolution décevante de leurs activités courantes ;

- il y a quelque chose d'archaïque, en cette dernière décennie du XXe siècle, à utiliser des comparaisons franco-françaises pour des groupes dont les affaires se font pour plus de la moitié hors de France. Même pour les secteurs économiques où ne subsistent que deux acteurs français, est-il éclairant de se limiter à une comparaison Renault/Peugeot sans prendre en considération Fiat ou Volkswagen, ou Elf-Aquitaine/Total en oubliant l'existence de Shell ou d'Exxon ? ;

- enfin, tout rapporter au bilan, même diminué de l'interbancaire, a quelque chose d'anachronique qui étonne aujourd'hui, où, du fait du recul de l'intermédiation bancaire au profit des opérations de marché, les opérations enregistrées hors bilan se sont immensément développées. Or ces dernières sont, comme le bilan, sources de produit net bancaire, de charges d'exploitation, de revenu brut d'exploitation, de provisions et de résultat net. Certaines banques en on fait une des principales origines de leurs bénéfices. La Cour elle-même indique (en annexe) que le hors bilan de la place financière "représente plus de deux fois le bilan proprement dit". Est-ce une bonne raison pour ne pas le prendre en considération ?

E. - L'APPRECIATION FORFAITAIRE ET RETROACTIVE DES PROVISIONNEMENTS

En examinant les provisions longtemps après la clôture des exercices qui leur attribuaient une dotation, la Cour se donne une clairvoyance a posteriori dont ne disposent ni les dirigeants de l'entreprise et leur direction comptable, ni les commissaires aux comptes, et dont elle ne fait pas un usage objectif. Dès la définition qu'elle donne des provisions, tout en reconnaissant que "le calcul des provisions repose pour partie sur des éléments subjectifs", elle omet de dire que les règles prudentielles recommandent de provisionner les risques de manière suffisante, en fonction des informations dont on dispose le jour de l'arrêté des comptes. C'est une précision, pourtant essentielle, en particulier lorsque le cycle économique développe une crise surpassant progressivement tous les précédents connus de mémoire d'homme, et tous les pronostics officiels, comme c'est le cas par exemple pour l'immobilier, où, pendant plusieurs années (de 1991 à 1994), la situation du marché des bureaux a été, chaque année, sensiblement dégradée par rapport à l'année précédente. Il serait inadmissible d'appliquer rétroactivement aux provisions sur l'immobilier de 1991 et 1992, comme s'il s'agissait de normes, les taux de combat rendus nécessaires par l'aggravation de la crise au 31 décembre 1994 et de nouvelles normes prudentielles, ou alors, il faut mettre en doute la fidélité des comptes de toutes les

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 banques (et assurances) pendant ces années-là. Il serait aussi pervers de vouloir faire rétroagir les provisions constituées en 1993 ou 1994 sur des titres de participation publiquement annoncés comme devant être cédés le plus vite possible, alors que dans la gestion précédente du portefeuille ils relevaient du régime comptable appliqué aux participations durables.

Le rapport, méconnaissant que l'appréciation des risques est la totalisation d'un immense nombre de cas examinés dossier par dossier (ce qui est certes un travail considérable), se borne à en tenter une approche forfaitaire, globale, abstraite, en se servant d'une comparaison avec la moyenne BNP ù Société Générale dont il a déjà été rappelé l'étroitesse et les infirmités, et qui est aussi opportune, on l'a dit, que si on estimait les provisions de la Société Générale par rapport à une moyenne Crédit Lyonnais ù BNP. Si on avait voulu se faire une idée plus professionnelle des taux de provisionnement, il aurait fallu le faire, ligne à ligne, en distinguant par exemple :

- les crédits aux particuliers : France, Europe, reste du monde ;

- les crédits aux entreprises : France, Europe, reste du monde ;

- les crédits aux institutions et collectivités : France, Europe, reste du monde.

Les implantations, les positions et les chiffres d'affaires sur les neuf cases de cette grille élémentaire, affectés d'ailleurs inégalement par la crise et le décalage de deux ans de ses effets entre l'Amérique du Nord et l'Europe, divergent beaucoup entre les trois banques françaises, ce qui retire toute signification aux comparaisons telles qu'elles sont faites aux tableaux 4 A et 4 D des bilans (même diminués des opérations interbancaires) qui n'ont jamais été considérés en eux- mêmes comme l'assiette des risques.

Paradoxalement, le rapport n'évoque même pas le cauchemar des banques pendant les années 1982 et suivantes y compris la période sous revue, que fut le provisionnement des risques-pays pris sur la dette des pays en développement, peut-être parce que précisément il a été très variable d'un établissement à l'autre. Le Crédit Lyonnais , très en retard sur ses grands confrères en 1987, a fait, en accord avec son actionnaire pour en faire la priorité dans sa politique de provisionnement un exceptionnel et méritoire effort de rattrapage pendant les années suivantes : le montant des encours non provisionnés est passé de plus de 100 p. 100 des fonds propres en 1988 à 12 p. 100 seulement de ceux-ci en 1992. Le rapport passe sous silence ce véritable exploit.

Le rapport essaie de démontrer que le " Crédit Lyonnais a davantage que ses concurrents tiré vers le bas ses provisions de manière à pouvoir dégager des résultats nets". C'est une thèse méconnaissant les pratiques de la place. Pour les provisions dites individuelles, des réunions ont lieu chaque année entre les responsables des comptes des grands établissements pour discuter des taux de couverture sur les dossiers similaires ou ayant relevé de syndications, ce qui était le cas de la plupart. En outre, du fait même de la dimension systémique du Crédit Lyonnais , les principaux points d'application des provisions étaient, chaque année, portés à la connaissance et discutés avec la Commission bancaire. Les comptes de 1991 et 1992 ont été, comme les fiches adressées à l'époque à la direction du Trésor et à la Banque de France en témoignent, arrêtés en étroite concertation avec elles. Cela vaut pour les comptes consolidés, mais cela vaut aussi pour certaines filiales françaises, notamment pour la SDBO et Altus, où la Commission bancaire était déjà intervenue avant d'aller à la société mère, et sur lequel elle avait un regard particulièrement attentif, en raison de la singularité de l'établissement dès sa naissance au sein du groupe Thomson. Les comptes 1992 ont tenu compte d'un certain étalement de provisionnement, notamment en ce qui concerne l'immobilier, à la demande même de la Commission bancaire, de manière à ne pas créer un problème de place. A cette époque, la Commission estimait en effet prioritaire que le Crédit Lyonnais , grande banque française et internationale, présente un ratio de 8,20 p. 100 (c'est-à-dire supérieur au minimum réglementaire de 8 p. 100) pour la première année d'application du ratio européen de solvabilité. Des réunions spéciales avec le directeur du Trésor et le Gouverneur de la Banque

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 de France, eux-mêmes se concertant bilatéralement, ont précédé l'arrêté des comptes de 1992, et le montant des provisions à retenir cette année-là a été notifié au Crédit Lyonnais , la banque appliquant ainsi en matière de provisionnement sur l'immobilier les recommandations générales faites alors par les autorités de tutelle à l'ensemble de la place.

Le parti pris du rapport apparaît particulièrement à l'occasion du tableau 4 C, dont les courbes elles-mêmes démentent l'explication donnée en encadré : le Crédit Lyonnais n'a cessé de provisionner plus que le total BNP-Société Générale "ramené au niveau du Crédit Lyonnais en proportion, année par année". En 1990, le Crédit Lyonnais augmente sensiblement ses dotations tandis que les deux confrères maintiennent les leurs. En 1991 et surtout en 1992, l'effort du Crédit Lyonnais est sensiblement supérieur.

Le rapport n'a pas vu non plus que le stock des provisions est lui- même significatif puisque la politique de passation des créances en pertes par utilisation des provisions était elle-même très variable d'un établissement à l'autre. Il ne rend pas compte exactement, pour la période considérée, de l'effort de provisionnement massivement accru ainsi qu'il ressort du tableau ci-dessous (chiffres en millions de francs) pour le Crédit Lyonnais : ----------------------------------------------------------------------: : 1990 : 1991 : 1992 :---------------------------------------------------------------------:Dotations : 5 967 : 10 069 : 18 525 :Pertes constatées sans provision préalable: 683 : 1 089 : 818 : : : : : Total ........................ : 6 650 : 11 158 : 19 343

Ce triplement des provisions est un effort sans précédent dans l'histoire du Crédit Lyonnais . Il a été rendu possible par l'accroissement du RBE (doublé de 1988 à 1992 par une stratégie active) et par la réalisation d'opérations exceptionnelles qui seront commentées plus loin.

F. - UNE INCOMPREHENSION EXCEPTIONNELLE DES OPERATIONS EXCEPTIONNELLES

Toujours enfermé dans sa comparaison obsessionnelle avec deux banques françaises, le rapport l'emploie injustement (car les grandes banques exclues de l'échantillon, c'est-à-dire Paribas, Suez, CIC, etc. n'ont pas cessé, pendant les années difficiles de la crise, de recourir à des opérations exceptionnelles) et inutilement pour établir que le Crédit Lyonnais a eu recours largement à la mobilisation de plus-values sur titres ou sur immeubles pour faire face à la montée des sinistres provoquée par la crise dont, à nouveau, l'existence, qui explique tout, n'est même pas mentionnée en corrélation avec cette évolution. La croissance rapide du solde positif des opérations exceptionnelles à partir de 1990 n'est pas une "conséquence mécanique", mais une réponse volontaire, concertée avec l'Etat-actionnaire et la Commission bancaire pour se donner les moyens de constituer les provisions exceptionnellement élevées rappelées ci-dessus. Ces opérations ont été réalisées dans le strict respect des règles comptables, au-delà desquelles le rapport de la Cour se permet d'aller au nom de l'analyse économique, ce qui revient à méconnaître le caractère récurrent de résultats courants sur titres dont une grande banque module le flux en fonction de son portefeuille, de ses besoins et des cours de bourse, comme le prévoit le plan comptable.

Le graphique 6, dans la même ligne que le graphique 5, reflète l'archarnement méthodologique du rapport, qui, toujours prisonnier des comparaisons, va jusqu'à qualifier de "réel" le résultat qu'il a lui- même fabriqué comme équivalence "virtuelle" de ce qu'aurait été le Crédit Lyonnais s'il s'était conformé, en matière d'opérations exceptionnelles, à la moyenne BNP + Société Générale. Est-ce nécessaire pour énoncer la faible rentabilité courante du Crédit Lyonnais au cours de toute le période sous revue ?

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

Il serait honnête de rappeler qu'au cours des mêmes années sous revue, une politique systématique a été mise en place pour préparer, à terme, les opérations exceptionnelles génératrices des plus-values de l'avenir. Puisque la Cour ne le fait pas, il faut souligner les faits suivants :

- en matière immobilière, la banque a pris soin de se doter, notamment à l'étranger, de sièges en pleine propriété (acquisitions à New York, à Londres, en Suisse, à Rotterdam, à Madrid, à Budapest, etc.) ; en France, une réorganisation des sièges centraux d'exploitation a amené la banque à acquérir des immeubles en se défaisant d'immeubles non utilisables professionnellement pour réinvestir dans des acquisitions autour de son siège central. Ainsi furent vendus l'immeuble Renault des Champs-Elysées, la tour Crédit Lyonnais de La Défense, devenue difficilement utilisable avec une mauvaise configuration des locaux, le Palais Berlitz peu pratique sans une coûteuse rénovation. Cette gestion dynamique immobilière a joué dans les comptes du Crédit Lyonnais , simultanément par l'extériorisation de plus-values, d'une part, et par de nouveaux investissements, d'autre part, tous exceptionnels par rapport à l'exploitation courante ;

- a été considérée comme la préparation d'opérations exceptionnelles ultérieures la constitution de filiales dont le capital pourrait être ouvert (Clinvest, Union des Assurances Fédérales, Crédit Lyonnais Europe, CLIO), à moyen terme, si le marché s'y prêtait ;

- cette même gestion dynamique s'est portée également sur les participations jusque-là considérées comme des investissements immobilisés et qu'une gestion active devait au contraire faire tourner pour permettre le financement de l'activité dite banque-industrie ; c'est ainsi qu'à partir de 1987-1988 cette gestion active et dynamique localisée dans Clinvest a vu la réalisation de plus-values et de réinvestissements, et que cette filiale a été bénéficiaire chaque année. Mais il fallait pour optimiser cette stratégie que le portefeuille, encore récent, ait le temps de mûrir, et que l'évolution des cours de bourse ne soit pas contrariée par le niveau surélevé des taux d'intérêt. Toute stratégie de liquidation, au contraire, ne pouvait qu'être préjudiciable aux intérêts bien compris du groupe.

DEUXIEME PARTIE

LES CAUSES DES PERTES DANS LE GROUPE CREDIT LYONNAIS

Rechercher les causes des pertes survenues en 1992 et 1993 dans le groupe Crédit Lyonnais , en se regardant des exagérations médiatiques, des dérives passionnelles et de la méconnaissance des faits, demande une objectivité que le recul dont dispose institutionnellement la Cour aurait pu favoriser davantage. Puisqu'elle ne l'a pas fait, il convient de distinguer les causes partagées avec toutes les banques, les causes propres aux banques du secteur public et les causes particulières au Crédit Lyonnais . Car c'est la convergence de ces trois faisceaux de causes, soudain accélérée à partir de 1992 par la plus grande crise économique du demi-siècle, qui est à l'origine des pertes du Crédit Lyonnais .

A. - LES CAUSES PARTAGEES AVEC TOUTES LES BANQUES

1. LA DEGRADATION STRUCTURELLE DE LA RENTABILITE DES BANQUES FRANCAISES

Le rapport de la Cour, lorsqu'il évoque la croissance des opérations, passe sous silence l'effet d'une mesure essentielle, décidée en 1987, au début de la période sous revue : la suppression de l'encadrement du crédit . Or cet encadrement avait été, pendant des décennies, l'argument commode de l'exploitant refusant la demande de crédit d'un client. Dans les années d'expansion (de 1987 à la crise de 1991), la pression de la clientèle a été extrêmement vive, tandis que la frilosité des banques a été mise en cause par l'opinion et par les pouvoirs publics. On ne comprend rien au slogan commercial adopté bien avant 1988 ("Le pouvoir de dire oui") si l'on néglige cet environnement général. Toutes les banques, y compris les deux du mini-échantillon, ont vu progresser leurs encours sur leur clientèle française à peu près dans les

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 mêmes proportions (un examen trimestriel permettait de le mesurer), chaque banque défendant sa part de marché quitte à laisser s'éroder les marges, devenues rapidement les plus étroites d'Europe. Sur le taux de base et sur les marges, les pouvoirs publics, cherchant à compenser les taux d'intérêt trop élevés du franc fort, ont d'ailleurs exercé une pression constante, qui s'est exaspérée quand la crise est venue. En France, le métier de base des banques est devenu de moins en moins profitable, et les stratégies fondées sur le retour du métier de base sont vouées à l'échec. Toutes les banques françaises, y compris les deux du mini-échantillon, ont connu, à des degrés divers, des déclassements successifs par les agences internationales de notation.

En quelques années, de réforme en réforme, le système bancaire a connu une mutation accélérée de son cadre réglementaire, brusquement aligné sur les pratiques anglo-saxonnes alors que dans les autres pays du continent, on est allé moins vite et moins loin. Cet ultra- libéralisme, qui par de nombreuses réformes de détail a dispensé les grandes entreprises de recourir aux crédits bancaires (sauf dans des conditions en fait perdantes pour les banques) et donné aux particuliers un pouvoir de contestation sans équivalent à l'étranger, n'est cependant pas allé jusqu'à s'attaquer aux privilèges et statuts spécifiques des réseaux bancaires mutualistes, ni aux réglementations malthusiennes des horaires de travail pourtant vieilles de plus d'un demi-siècle.

En se refusant à prendre en considération les véritables documents explicitant les stratégies du Crédit Lyonnais , la Cour n'a pas compris qu'une de leurs inspirations directrices consistait à chercher un surplus de profitabilité soit dans les métiers spécialisés de certaines filiales ( crédit -bail, affacturage, financement de projets, assurance, services informatiques bancaires, etc.), soit dans les activités de banque commerciale là où, par volonté de la banque centrale et/ou autodiscipline professionnelle, elle disposait de marges intéressantes (Etats-Unis, Italie, Espagne, Allemagne), soit dans les métiers de la banque d'investissement (gestion pour compte de tiers, marchés de capitaux, fusions-acquisitions, prises de participation). On peut en discuter le comment, encore faut-il en admettre le pourquoi.

De même, le rapport de la Cour passe inexplicablement sous silence l'effort continu et efficace pour améliorer la part des commissions (c'est-à-dire d'une recette d'exploitation non liée à une prise de risque) dans le PNB, qui l'a fait passer progressivement de 15 p. 100 en 1985 à plus de 30 p. 100 en 1992, tandis qu'au contraire la part de la marge sur les crédits diminuait. C'était pourtant une sage politique, dans laquelle les deux confrères du mini-échantillon choisi par le rapport ont été moins performants que le Crédit Lyonnais .

2. LA CRISE DE 1991-1993

Tout a été dit, sauf par le rapport de la Cour, sur la gravité et l'étendue de la crise économique la plus sévère du demi-siècle, qui a affecté dans un premier temps l'Amérique du Nord et le Royaume-Uni, puis, avec un décalage de deux ans lui-même sans précédent, l'Europe occidentale et le Japon. Il y a surabondance d'informations sur les conséquences de la crise sur tous les systèmes bancaires (notamment américain, britannique, scandinave, français, italien, espagnol, etc.) pour savoir qu'il n'est pas surprenant que le Crédit Lyonnais , une des plus grandes banques internationales, en a eu sa part sur tous les marchés nationaux où il opère directement.

Que cette crise ait moins endommagé les banques conservatrices que les banques favorables au développement de leurs clients est évident. Le groupe du Crédit Lyonnais comprend assez de banques à gestion décentralisée pour avoir lui-même en son sein un échantillon des unes et des autres. Mais, globalement, il est clair que l'ampleur du retournement du cycle économique, qui n'avait été annoncé par aucun augure, a été sous-estimée et que, s'agissant de la France (pour environ la moitié des affaires), il n'a pas été jugé plausible que le maintien d'une politique de taux d'intérêts réels trop élevés (sans précédent dans notre pays) serait continuellement choisi malgré l'aggravation, propre à la France, des conséquences économiques et sociales qui, dans la crise, résultaient de cette politique. Si, dans cette

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 appréciation, le Crédit Lyonnais a été dans l'erreur, il ne l'a pas été dans la solitude, tant s'en faut.

3. LA CRISE PARTICULIERE DE L'IMMOBILIER

Il s'agit d'une crise qui, par sa dimension et sa durée, n'est pas que le simple effet cyclique d'une récession générale de l'économie. Le fait qu'elle se soit produite dans les mêmes conditions exceptionnelles en Amérique du Nord et dans tous les pays d'Europe occidentale suffit à relativiser "la méconnaissance des besoins du marché" que le rapport de la Cour borne étrangement aux statistiques concernant les bureaux surproduits en Ile-de-France après la suppression, en 1985, de l'agrément administratif préalable. On peut, avec un horizon plus large, attribuer la crise à la rencontre de plusieurs facteurs macro- économiques : la convergence des prévisionnistes pour estimer que la création d'emplois dans les pays industrialisés ne se ferait plus que dans les services, pour lesquels l'informatique, la télématique, la bureautique promettaient une meilleure rentabilité dans des locaux d'une nouvelle génération, situés hors du centre des grandes villes ; la politique des taux d'intérêt surélevés (auxquels les Américains surent renoncer pour sortir de la crise) qui a raréfié, en temps de stabilité monétaire, les acquéreurs, tout en fragilisant, par un coût de portage devenu ruineux, les promoteurs ; l'économie de marché appliquée à leur manière par les collectivités locales, maîtresses des permis de construire, et de nombreux avantages fiscaux ou autres, se disputant la clientèle des sociétés qui viendraient chez elles pour créer des emplois et payer des impôts locaux.

Toutes les banques françaises ont souffert, depuis 1992, de l'immobilier et vont continuer d'en souffrir. Beaucoup sont obligées de recourir à des sociétés foncières. Le cas du Crédit Lyonnais n'a rien de singulier ni de solitaire : la quasi-totalité des grandes opérations étant faite en syndication de place, il a sa part de marché dans la crise, c'est-à-dire la première. Car c'est une erreur de dire, comme le fait la Cour, que le Crédit Lyonnais avait "l'objectif" d'être en France la première banque de l'immobilier : il l'était, en absolu, depuis dix ou quinze ans, et cela était considéré comme une de ses forces.

Il ne l'était pas, tant s'en faut, en relatif. Alors que certaines banques avaient jusqu'à 20, 30 ou même 60 p. 100 de leur bilan en créances sur l'immobilier, cette proportion restait sagement autour de 3 p. 100, ce que la Cour n'a pas voulu mentionner. En revanche, ses relations assez intimes avec les grands groupes du BTP, puisqu'il était actionnaire de tous, l'ont entraîné à accorder peut-être trop d'importance à la qualité des immeubles construits plus qu'à la qualité des plans de financement.

Il est facile, après coup, d'ironiser sur les évaluations successives et croissantes des engagements immobiliers, qui furent une source permanente d'irritation pour la direction générale elle-même. Toutes les banques connaissent la difficulté de ce problème, car l'immobilier est un concept non pas comptable, mais qualitatif. Un club de golf, un hôtel sont-ils des entreprises commerciales ou de l'immobilier ? Banque travaillant pour moitié hors de France, le Crédit Lyonnais s'est heurté aux habitudes de classement qui varient selon les pays. Le rapport omet de rappeler que le périmètre de consolidation était en expansion par l'acquisition de banques européennes, ce qui explique aussi (notamment par la BfG) la vive progression des recensements de l'immobilier. Et il faut rappeler que les comptes au 31 décembre 1992 ont été établis par la direction générale et approuvés par le Conseil d'administration en mars 1993, en bénéficiant d'une estimation améliorée par rapport aux estimations antérieurement rassemblées en toute bonne foi par les services comptables.

En matière de provisionnement sur l'immobilier, sujet particulièrement délicat (car un immeuble ne vaut jamais un autre immeuble), il est habituel que chaque établissement ait sa politique. On peut le voir encore pour 1994, où le parti pris par Suez et le Crédit Lyonnais (provisionner une fois pour toutes) n'a pas été celui des autres banques de la place, alors que pourtant la crise a révélé sa vraie dimension, encore insoupçonnable en 1992 et même en 1993. Cependant, pendant l'hiver 1992-1993, le Gouverneur de la Banque de France a réuni plusieurs

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 fois les principales banques de la place pour énoncer ses propres recommandations, dont il reste des traces écrites. En gros, se référant explicitement à la crise de la dette des pays en voie de développement, pour laquelle le niveau des provisions s'est élevé graduellement, selon les possibilités des établissements, vers les 60 p. 100 (qui limitaient la déductibilité fiscale exceptionnellement accordée), il recommandait une marche progressive vers le niveau approprié, sous la surveillance de la Commission bancaire, ce qui, explicitement, signifiait un étalement sur plusieurs années de l'effort nécessaire.

La doctrine de la Commission bancaire s'est modifiée pendant les derniers mois de 1993, soit parce que, la crise s'aggravant, elle a estimé qu'il fallait plus de rigueur, soit à l'occasion du changement de Gouverneur. Cette modification, qui a consisté à adopter en fait la pratique anglo-saxonne du "marked to market" n'a pas été annoncée à l'avance, ni explicitement affichée, ce qui ouvre pour toutes les banques de la place financière la tentation de reproches rétroactifs sur les pratiques antérieures pourtant admises en leur temps par la Banque de France. Lorsque, du fait de la crise, un immeuble de bureaux parfaitement achevé ne trouve pas preneur sur le marché le 31 décembre d'une année donnée, doit-il être provisionné à 100 p. 100, ce qui signifie que sa valeur résiduelle dans les comptes est égale à zéro ?

B. - LES CAUSES PROPRES AUX BANQUES DU SECTEUR PUBLIC

La Cour, qui en a les moyens par ses contrôles, ne s'est pas attachée à faire une sommation de ce qui reste du secteur public dans le système bancaire ( Crédit Lyonnais , CIC, Société Marseillaise de Crédit , Banque Hervet, Banque du Phoenix) pour en mesurer les particularités, qui pourtant appelle l'attention.

1. L'INFIRMITE DU SECTEUR PUBLIC EN MATIERE DE FONDS PROPRES

De la loi de nationalisation du 2 décembre 1945 au 31 décembre 1992, le Crédit Lyonnais a payé impôts et dividendes sans jamais obtenir de l'Etat-actionnaire une augmentation de capital souscrite en numéraire. La première dotation en capital, et à ce jour la seule inscrite dans une loi de finances, a été apportée en juillet 1994 au titre de 1993 (3,5 milliards de francs). Alors que les entreprises industrielles du secteur public obtiennent, tant bien que mal, des dotations en capital, une sorte d'interdit pèse sur les banques du secteur public. En compensation, on pourrait leur permettre d'ouvrir leur capital sur le marché ; cela fut possible de 1973 à 1981, sous forme d'actions, et cela l'est depuis 1986, sous forme de certificats d'investissements mais, dans les deux cas, pour 25 p. 100 du capital seulement.

Il est clair que l'invention du ratio Cooke, première réglementation véritablement internationale pour améliorer la solvabilité des banques, avait l'arrière-pensée de rendre inconfortable la position des banques publiques (notamment françaises, italiennes, autrichiennes). Impécunieux, l'Etat-actionnaire n'a pu, en réplique, que recourir à des augmentations de capital souscrites par apport de titres. Les critiques techniques de la Cour sont fondées. Mais, à défaut de cette ingénierie financière astucieuse, que fallait-il faire ? L'opinion de la Cour est trop influencée par la conjoncture exceptionnellement défavorable des dernières années sous revue. Il n'y a rien de tellement surprenant à ce que les fonds propres "en nature" (c'est-à-dire apportés en titres de participation) aient vu leur rentabilité s'effondrer à partir de 1992 après avoir été favorable en 1989, 1990 et 1991. N'y-a-t-il pas eu, précisément sur cette période, une crise économique qui a dégradé profondément les rentabilités d'à peu près toutes les participations ? En outre, la Cour passe sous silence le fait que la valeur comptable des titres apportés était fixée non par le Crédit Lyonnais , toujours partisan de chiffres inférieurs, mais par la Commission d'évaluation des entreprises publiques, où la Cour est représentée, un de ses anciens membres la présidant même pendant la période en cause.

Doit-on rappeler enfin que le Crédit Lyonnais , par une lettre du 5 juillet 1993 restée sans réponse, a en vain demandé au ministre de l'économie de faire quelque chose pour neutraliser dans ses comptes (en lui indiquant plusieurs solutions possibles) l'effet comptable négatif produit par la crise aggravant une évaluation trop optimiste ?

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

La parcimonie de l'Etat-actionnaire dans ses apports de titres pour souscrire des augmentations de capital, le fait que, pour des raisons compréhensibles de concurrence, le Trésor tenait une balance exacte entre le Crédit Lyonnais en expansion et d'autres banques publiques plus conservatrices, ont conduit par ailleurs le Crédit Lyonnais à développer une pratique de contrôle simplement majoritaire des filiales chaque fois que cela était possible. Pour une banque du secteur public, il y a un intérêt particulier à la présence d'actionnaires privés minoritaires dans les filiales, soit qu'après croissance interne on ouvre le capital d'une filiale (modèle Sligos ou UAF), soit que par croissance externe on prenne le contrôle majoritaire mais non total d'une nouvelle filiale (modèle Credito Bergamasco, Woodchester ou BfG). C'est une pratique fréquente du secteur public (par exemple Péchiney International ou Thomson CSF). La Cour n'a pas tort de relever que ces fonds propres n'ont pas l'agrément d'une dotation en capital versée en numéraire que toute entreprise ne peut que préférer. Cependant elle n'en mentionne pas une conséquence importante : la présence de minoritaires impose une large autonomie des décisions, toute gestion trop centralisée par le siège pouvant contrarier leurs intérêts, qui n'ont aucune raison de se soumettre à d'éventuelles recommandations de l'Etat-actionnaire français.

2.LA PRESSION DE L'ETAT POUR OBTENIR DES DIVIDENDES

Aussi longtemps que l'Etat-actionnaire se refusait à apporter du capital aux banques publiques, la direction du Trésor les laissait, en contrepartie, gonfler leurs provisions qui, avant les règles du ratio Cooke, jouaient un rôle de quasi-fonds propres. L'examen des bilans de cette époque est édifiant de ce point de vue et la Cour dispose de ses propres rapports de l'époque pour se le rappeler.

En revanche, à partir de 1988, les pratiques ont changé. Pour équilibrer tant bien que mal la concurrence entre les banques privatisées et les banques publiques, ces dernières ont été soumises à un pay-out équivalent à celui de la moyenne de la place : entre 25 et 30 p. 100 du résultat net consolidé, part du groupe. En même temps, comme l'Etat jouait désormais son rôle d'actionnaire en apportant des augmentations de capital, il a été entendu en contrepartie que le gonflement habituel des provisions avait perdu sa raison d'être. A partir de l'exercice 1988, le Trésor s'est donc efforcé, avec beaucoup de vigilance, de jouer le rôle d'un actionnaire normal en examinant avec soin si les provisions ne risquaient pas de minimiser indûment le résultat et donc sa part en dividende. Des instructions en ce sens lui ont été données, en relation avec la difficulté croissante, pour l'Etat, de maîtriser ses déficits budgétaires. Quant à l'autofinancement des fonds propres, dégagé par la mise en réserve de la part non distribuée des bénéfices, il était pris en compte par le Trésor dans la programmation par l'Etat des échéances progressives du ratio Cooke.

Sans qu'il y ait de véritables vases communicants, il faut rappeler que, pour un résultat positif, le Crédit Lyonnais payait à l'Etat l'impôt sur les sociétés (33 p. 100), puis, sur le montant subsistant net après impôt, des dividendes à hauteur de 25 p. 100 ; au total, 50 p. 100 allaient "vers le contribuable", selon l'expression parlementaire et journalistique (toujours utilisée en sens inverse) tandis que 50 p. 100 restaient pour l'autofinancement de l'entreprise en fonds propres. Faut-il en déduire qu'il valait mieux, comme cela se fit naguère pendant des décennies, moduler vers le haut les provisions, pour diminuer le résultat net et ainsi réduire les deux versements faits à l'Etat ? L'idée de l'exemplarité, chère au Crédit Lyonnais , chère aussi aux pouvoirs publics de l'époque, s'y est opposée dans toute la période sous revue.

C'est la raison pour laquelle le groupe Crédit Lyonnais a suivi, entre 1988 et 1992, une politique active d'extériorisation des résultats, en faisant toutes les provisions jugées nécessaires année par année, selon les informations disponibles au moment de l'arrêté des comptes, mais également en matérialisant des plus-values latentes, voire en reprenant des provisions devenues non nécessaires, par exemple, comme d'autres banques l'ont fait, sur les risques-pays quand le pays en cause était sorti de la crise de sa dette.

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Il est injustifié d'affirmer, comme le fait le rapport, que cette ligne d'action, en "puisant dans ses réserves" aurait fragilisé la banque. La fragilisation provenait des risques encourus du fait de la crise économique ou des mauvaises affaires de CLBN Transformer des plus-values latentes ou des provisions ayant pris un caractère de réserve, c'est-à-dire des réserves occultes, en réserves affichées, se fait en toute transparence pour l'actionnaire. L'Etat-actionnaire y était d'autant plus favorable que cela le dispensait d'intervenir en capital pour mettre à niveau, année par année, selon l'échéancier progressif qui s'imposait à lui, le ratio des fonds propres. Et il l'a même encouragé explicitement en acceptant, chaque année, que la fraction du résultat bénéficiaire explicable par ces opérations soit soustraite de l'assiette retenue pour la détermination du dividende par application du pay-out cité ci- dessus, ce qui, en soi, répond à l'argumentation de la fragilisation.

3. LE SOUTIEN A LA CROISSANCE ET A L'EMPLOI

Dans les années sous revue, et particulièrement de mai 1988 à mars 1993, l'Etat-actionnaire a considéré qu'une banque appartenant à la collectivité publique devait avoir, à l'égard des agents économiques, un comportement exemplaire et responsable. Lorsque la crise est venue, en 1991, les recommandations générales et particulières (pour des entreprises en difficulté, traitées ou non par le CIRI) sont devenues pressantes. Du fait de sa dimension macro-économique, il a été demandé au Crédit Lyonnais de "ne pas ajouter de la crise à la crise", selon les termes du ministre de l'économie et des finances. Dans l'attitude de l'établissement à l'égard de ses clients en difficulté, comme dans sa manière de coopérer avec les tribunaux de commerce pour les affaires en dépôt de bilan, il y a eu un souci de l'intérêt général dont les banques du secteur privé se sont senti souvent dispensées. Le nombre des emplois sauvés ainsi par le Crédit Lyonnais dans l'économie française peut être estimé entre 100 000 et 150 000.

A ces recommandations générales se sont ajoutées des pressions plus discrètes, mais non moins suivies d'effet, pour influencer la position de l'établissement dans ses décisions commerciales, par exemple à propos du taux de base des crédits . Ainsi, pendant un an, le Crédit Lyonnais a-t-il pratiqué un taux de base inférieur à celui de la place.

4. LES CHANGEMENTS D'ATTITUDE DE L'ETAT A L'EGARD DE L'ENTREPRISE

Ces changements ont été évoqués dans la première partie des réponses : tantôt on veut privatiser à tout prix, tantôt on y revient. Dans les sept exercices examinés par la Cour, il y a eu trois politiques prescrites par l'Etat, et, faut-il le souligner, la désignation en conséquence de trois présidents successifs : des alternances dans le management de l'entreprise ont été produites par des alternances de gouvernement, en toute méconnaissance du moment conjoncturel qu'affrontait le Crédit Lyonnais . Aucune banque privée n'est soumise à une telle instabilité, qui désoriente le personnel, influence le comportement des cadres et développe chez les cadres dirigeants des réflexes de fatalisme et de survie. Aucune banque n'a connu une telle rupture de ses stratégies. Et, à cet égard, il est précieux que la Cour reconnaisse, en introduction à la première partie de son rapport, que la nouvelle stratégie engagée dans les derniers mois de 1993 "a fait enregistrer dans les comptes de 1993 un montant de pertes plus élevé que celui qu'aurait entraîné la poursuite de la stratégie antérieure".

C. - LES CAUSES PARTICULIERES AU CREDIT LYONNAIS

Il est important de les identifier, ne serait-ce que pour savoir si elles sont récurrentes ou non.

1. LES AFFAIRES PARRETTI ET SASEA

Tout a été dit sur les défaillances consternantes par lesquelles CLBN, la filiale néerlandaise, s'est laissée piéger dans deux escroqueries internationales de grande ampleur.

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Il faut cependant rappeler que le financement de l'acquisition de MGM a été décidé solitairement, en-dehors des procédures habituelles, par un cadre dirigeant du Crédit Lyonnais , en dépit des instructions reçues, comme l'a reconnu l'intéressé dans sa lettre demandant une mise anticipée à la retraite, remise au directeur général. Dans le cas de SASEA, les erreurs d'appréciation s'expliquent largement par la certification des comptes délivrée jusqu'au bout par une firme d'audit de grande renommée internationale.

Les procédures de contrôle interne ne suffisent pas à elles seules à protéger une banque des escroqueries. Alors que les banques allemandes ont la réputation d'avoir des procédures rigoureuses, elles ont, et notamment la Deutsche Bank, subi des pertes d'une ampleur équivalente avec le promoteur immobilier Jürgen Schneider, alors même qu'il s'agissait d'immeubles visibles et visitables situés en territoire allemand. Cela incline non seulement à perfectionner les contrôles internes, mais à perfectionner aussi les responsables qui sont chargés de les faire fonctionner.

2. LES CONTROLES INTERNES

Le rapport affirme que "la stratégie de vive croissance n'était pas compatible avec les moyens de contrôle dont disposait le Crédit Lyonnais ". C'est largement inexact, car la plupart des dommages causés par la crise ou les erreurs de gestion sont, selon le Rapport lui-même, localisés principalement dans les structures constituant le groupe Crédit Lyonnais avant la "stratégie de vive croissance" : direction des affaires immobilières, direction centrale des agences de France pour les petites et moyennes entreprises, direction centrale des affaires internationales pour les grands clients internationaux, filiales telles que CLBN, BIGT, SDBO, présentes dans le groupe bien avant la période sous revue.

En fait, les problèmes de contrôle interne appellent une autre analyse. En 1978, le Crédit Lyonnais , pour éviter l'engorgement bureaucratique d'un contrôle centralisé des engagements, l'a éclaté par direction centrale d'exploitation. Chaque direction centrale est alors devenue responsable sans partage tant de la prise des engagements que de leur contrôle. Elle pouvait, à son initiative, rapporter au directeur général, voire au président, si elle éprouvait des difficultés sur un dossier très important ou d'une nature exceptionnelle. Par ailleurs, un comité des opérations, présidé par le directeur général ou un directeur général adjoint, décidait deux fois par semaine pour les dossiers atypiques ou inter-directions, ainsi que pour ceux relevant des risques souverains.

Ce système avait beaucoup d'avantages. Dans son rapport de clôture notifié le 24 août 1988, la Commission bancaire, qui avait examiné les procédures d'octroi et de surveillance des concours à la clientèle domestique, concluait : "L'organisation en place, qui laisse une grande part à l'appréciation des hommes par le jeu des délégations, paraît concilier la nécessaire souplesse commerciale avec la garantie optimale du risque". Cette certification d'efficacité permettait de faire confiance aux procédures en place, du moins aussi longtemps que les comptes ont été bénéficiaires. Une sorte de consensus interne et externe validait, après dix ans d'expérience, la réforme de 1978.

Le système de 1978 a cependant été complété par deux réformes, dont l'une est omise par le rapport :

- en 1989, la création d'un comité des participations, centralisant les décisions de cette nature et procédant à des revues périodiques du portefeuille de participations, secteur par secteur ;

- en 1992, la création d'un contrôle général, chargé de superviser, au-dessus des directions centrales, les grands engagements consolidés du groupe. Non pas que ceux-ci aient été ignorés auparavant : un service spécial de la direction des études économiques et financières en était chargé, et de nombreuses notes appropriées et complètes sont toujours parvenues à la direction générale pour des rencontres, des négociations ou des voyages. Mais pour imposer un rassemblement plus systématique des engagements sur les grands clients.

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Cela dit, on se leurre en critiquant les procédures de contrôle sans faire la part des personnes chargées de les faire vivre. Ce regard sociologique, qu'on ne peut avoir que de l'intérieur de l'entreprise, échappe naturellement à la Cour. Le principal reproche que l'on peut faire au système décentralisé de 1978 est de s'être quelque peu dévoyé par l'usage qui en fut fait. Chaque direction centrale du siège s'est installée dans une sorte d'autogestion, protégée par une sorte de pacte réciproque de non-agression avec les autres directions centrales. La saisine du directeur général, a fortiori du président, s'est produite très peu souvent, la raréfaction du reporting n'ayant finalement d'autre limite que la médiatisation des dossiers (qui, le plus souvent, précédait, pour ne pas dire provoquait, la note d'information adressée à la hiérarchie). La venue de la crise et la montée des risques n'ont pas entraîné un grand progrès de l'information de la direction générale, chaque direction centrale redoutant, non sans raison, de voir sanctionnée la manière contestable dont elle avait géré, en toute souveraineté, les dossiers finalement les plus compromis. Le retard de certains provisionnements, s'il était établi, n'aurait pas d'autre origine. Dans les années sous revue, en tout cas jusqu'à l'automne 1993, la direction générale n'a jamais imposé aux directions d'exploitation de directives particulières en matière de provisions : celles-ci étaient constituées sur la base des propositions élaborées, en toute liberté, par l'exploitation, c'est-à-dire par les équipes des centres de profit placés sous l'autorité d'une direction centrale ; elles étaient vérifiées par l'inspection générale du Crédit Lyonnais dans ses missions régulières effectuées dans les sièges d'exploitation (en moyenne tous les quatre ans).

Ce qui manquait à la direction générale, m'a-t-il semblé, c'était une tour de contrôle lui permettant de reprendre un peu de pouvoir sur les baronnies des directions centrales. C'est le motif principal d'une réforme de 1989 que la Cour ne mentionne pas malgré son importance : la création, pour la première fois, d'une direction centrale de la gestion financière du groupe (DCGFG) c'est-à-dire sans responsabilité dans l'exploitation, mais regroupant toutes les directions chargées des disciplines de la société mère et du groupe : direction de la comptabilité, direction des budgets, des programmes et du contrôle de gestion, direction de l'ingénierie financière du groupe, contrôle général. De grands progrès furent accomplis par cette nouvelle structure, à laquelle cependant un certain nombre d'années était nécessaire pour faire évoluer en profondeur la culture d'entreprise et imposer son autorité.

3. LES RELATIONS AVEC LES FILIALES

Le Crédit Lyonnais est marqué par une culture d'entreprise de tradition monolithique, venue du XIXe siècle : la société mère a des relations psychologiques souvent difficiles avec ses filiales, soupçonnées de conjuguer de moindres disciplines et des salaires moins surveillés. En même temps, il est impossible de recruter et de motiver des dirigeants et du personnel de qualité si la filiale est télégérée sans autonomie commerciale, comme une simple succursale. On peut admettre que le Crédit Lyonnais n'a pas toujours bien trouvé et bien géré le point d'équilibre nécessaire entre des impératifs aussi contradictoires. Mais la vérité ne réside que dans un examen cas par cas, et même année après année. Ainsi, si les contrôles a priori ont effectivement fait défaut pour Altus, SDBO, BIGT (et IBSA, mais le Crédit Lyonnais y était minoritaire jusqu'à ce que la Banque de France lui prescrive de le prendre en charge), la période sous revue a été marquée cependant par un progrès substantiel des reportings a posteriori trimestriels ou mensuels (voire quotidiens pour les opérations de marché), obtenu par la DCGFG. Il n'y a pas eu dissimulation, par ces filiales, des engagements qu'elles prenaient.

Il est frappant que la Cour n'a pas songé un seul instant, dans son appréciation des procédures de contrôle des filiales, au problème posé par la présence d'actionnaires minoritaires chaque fois que le Crédit Lyonnais n'était pas propriétaire de 100 p. 100 des actions. La Cour semble ignorer tous les progrès accomplis, en France et à l'étranger, dans la protection des intérêts minoritaires, notamment mais pas seulement, dans le cas des sociétés cotées en Bourse. Un fait de société nouveau s'est manifesté : la facilité avec laquelle les actionnaires minoritaires peuvent ouvrir des procédures contentieuses pour se protéger contre

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 les abus de pouvoir de l'actionnaire majoritaire. La Cour ne semble pas se douter du préjugé, fondé ou non sur un long passé, qui règne hors de France sur la gestion des entreprises publiques françaises, soupçonnées d'obéir aux instructions de l'Etat même si celles-ci sont contraires aux intérêts de la filiale. C'est pourtant une raison qui justifie le respect d'une large autonomie commerciale, contrôlée surtout a posteriori, chaque fois qu'il y a des actionnaires minoritaires. Il en est allé ainsi pour de nombreuses filiales européennes, cotées en Bourse (CLBN, Crédit Lyonnais Portugal, Credito Bergamasco, Woodchester). Il en est allé ainsi pour les filiales françaises, soit cotées en Bourse (Sligos, puis plus récemment UAF), soit comportant des minoritaires (BIGT, Banque Colbert). Il en est allé ainsi aussi pour Altus Finance, où le Crédit Lyonnais s'est trouvé associé pendant quatre ans à un respectable partenaire minoritaire : Thomson, largement représenté d'ailleurs dans son conseil d'administration : ce n'est qu'avec la réduction, puis la disparition de ce minoritaire que les procédures de contrôle par la direction centrale de la gestion financière du groupe ont été rapprochées de celles en vigueur pour les filiales à 100 p. 100 du groupe.

On peut noter que la Cour n'émet aucune critique à l'égard de la gestion de grandes filiales comme Clinvest, UAF ou Sligos, mais, pour ce qui concerne les filiales françaises, les concentre sur Altus Finance et la SDBO. Mais c'est généraliser trop vite que d'écrire que "chaque filiale française était libre de décider seule et sans limite ses engagements et prises de participation". Seuls la SDBO et Altus Finance ont bénéficié quelque temps d'une certaine autonomie en raison de leur spécificité et de la personnalité de leurs dirigeants. BIGT dont le Crédit Lyonnais n'avait pas le contrôle majoritaire opérait à l'intérieur de limites fixées par son conseil de surveillance, et, soit dit en passant, n'a pas, contrairement à ce qu'affirme le rapport, fait "l'essentiel" de ses résultats par les fonds dits turbo. Les gestions étaient jugées sur leurs résultats, comme cela se fait dans beaucoup de groupes, et ces résultats ont été satisfaisants jusqu'à la venue de la crise exceptionnelle de 1992-1993, qui a mis en lumière des dysfonctionnements peu aperçus auparavant. Quant aux filiales qui constituaient le prolongement de l'activité de la maison mère (Laydernier, Chalus, Trad, etc.), elles étaient toutes soumises à un contrôle groupe a priori de leurs engagements.

La Cour relève que si le dispositif vis-à-vis des filiales bancaires étrangères était à certains égards plus élaboré que vis-à-vis des filiales françaises, il n'existait pas de cohérence de langage technique, informatique et autres pour assurer au sein de la maison mère une vue cohérente des activités de ce réseau. Il reste que toutes les filiales étrangères ont, dès leur création ou leur entrée dans le groupe, fait l'objet d'une application stricte des procédures de contrôle a priori des engagements. La DCAI et la DCGFG y ont veillé avec soin.

La stratégie européenne, cependant, imposait de ne pas traiter les filiales acquises comme de simples comptoirs télégérés par Paris. La qualité des équipes, essentielle pour leur efficacité, est proportionnelle au degré d'autonomie commerciale qui leur est donnée. Au surplus, dans les pays comme l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la loi bancaire organise la responsabilité au niveau du directoire ou d'un comité de direction équivalent, et non pas au niveau du conseil de surveillance ou d'administration où se manifeste la présence des actionnaires. Enfin, pour éviter de provoquer une fuite des meilleurs cadres, il a été choisi, lorsque le Crédit Lyonnais prenait le contrôle de leur banque, de passer par une phase d'apprivoisement et de familiarisation avant de resserrer les procédures propres à la culture du Crédit Lyonnais .

Par ailleurs, on ne peut méconnaître que le réseau international du Crédit Lyonnais présent dans 80 pays présente des particularités de réglementations locales, coutumes et traditions extrêmement diversifiées. La volonté des responsables a été au fil des années d'organiser ce réseau afin que la remontée des données de gestion et des analyses des risques soit faite sans alourdir les structures de décision locales et sans imposer des surcoûts administratifs par la mise en place de doubles comptabilisations ou reportings de données de gestion et comptables devant tenir compte simultanément des réglementations locales et

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 françaises. C'est ainsi notamment que fut rendue aussi cohérente que possible la circulation des dossiers de crédit , des informations à leur sujet et des documents nécessaires aux décisions, tout comme furent harmonisées les données de gestion.

Non seulement en Europe, mais dans le monde entier le degré d'autonomie des filiales prenait en considération le fait que l'entrée dans le groupe d'une filiale ne devait pas provoquer la disparition des éléments dynamiques qui avaient fait la valeur de l'entité qui rejoignait le groupe. Ce principe d'autonomie, très actif en matière de définition de stratégie et de gestion locale en fonction de la clientèle, de ses besoins et de son marché s'arrêtait lorsqu'il s'agissait de la transmission des données de gestion et de procédure de décision d'engagement de risques. Toute stratégie de télégestion autoritaire des filiales étrangères ne peut que se punir elle-même par un déclin des affaires et un affaiblissement des équipes, comme un certain nombre de grandes banques internationales en ont fait l'expérience.

4. L'INSUFFISANTE RENTABILITE DE L'EXPLOITATION COURANTE

Pendant toute la période sous revue et même, selon la Cour, dans la période antérieure, les métiers de base de la banque commerciale n'ont pas dégagé, même avant la crise, une rentabilité courante suffisante. La direction centrale de la gestion financière du groupe procédait périodiquement à des comparaisons avec les éléments connus pour caractériser la même activité chez les confrères. Les explications, pas toujours évidentes, invoquaient tantôt la structure de clientèle héritée d'un long passé, tantôt une culture d'entreprise marquée par près d'un demi-siècle de nationalisation, avec moins de sensibilité à la rentabilité finale d'une relation de clientèle qu'au volume des opérations et à la part de marché. Les tentatives de modifier ce handicap n'ont pas manqué, depuis la réorganisation commerciale selon une segmentation des équipes par marché jusqu'aux investissements accélérés dans l'informatique, mais le retard des instruments de gestion n'a pu être rattrapé à temps pour pouvoir fonder une action continue bien ciblée.

En revanche, c'est le plus souvent à tort que le rapport de la Cour affirme l'incompatibilité d'une stratégie de croissance active avec un objectif de rentabilité accrue. Le phénomène d'antisélection des risques et de diminution de la vigilance, qu'il décrit selon un schéma bien connu dans la sous-tarification des contrats d'assurance, peut jouer dans les prêts aux particuliers et dans les concours aux petites et moyennes entreprises : pour ces dernières, le moindre recours des grandes entreprises au crédit bancaire a sans doute déclenché, en contrepartie, une recherche plus active et parfois imprudente des PME par les banques à réseaux (avec des recommandations gouvernementales explicites pour celles du secteur public), sans que les moyens techniques de la décision décentralisée et le suivi des risques aient été testés au préalable dans une conjoncture difficile. Mais le raisonnement de la Cour condamnerait, d'une manière malthusienne, toute croissance interne, chaque banque devant se borner à gérer sa part de marché, et aucune banque nouvelle ou étrangère n'ayant jamais accès à ce marché. Le monde des entreprises est plus fluide, plus disparate et plus complexe que ne le suppose ce raisonnement trop théorique. L'innovation est le moteur de l'économie de marché, et le Crédit Lyonnais peut se flatter, dans la période sous revue, d'avoir accompagné, pour ne pas dire rendu possible, la croissance de grands groupes industriels et commerciaux qui sont aujourd'hui parmi les plus belles valeurs capitalisées de la Bourse de Paris. C'est par la croissance interne aussi que le Crédit Lyonnais USA, exploitant des circonstances favorables autant que l'estime méritée par ses équipes, a beaucoup augmenté ses parts de marché alors que ses provisions pour débiteurs douteux restaient inférieures à celles des grandes banques américaines.

Enfin, la relation entre les affaires nouvelles et la sélection des risques doit naturellement être modulée selon le moment du cycle conjoncturel : faible en période d'expansion, elle se resserre en période de récession. En cela, la grande crise économique a particulièrement nui aux filiales françaises comme Altus ou SDBO.

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Mais le raisonnement fondé sur l'antisélection des risques ne s'applique pas à la croissance externe, qui consiste précisément, pour éviter les risques et la lenteur de la croissance interne, à acquérir des fonds de commerce déjà constitués et sains. Or, précisément, c'est surtout par la croissance externe, concentrée sur l'Europe, que le Crédit Lyonnais a manifesté une stratégie active.

TROISIEME PARTIE

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES FOYERS DE PERTE

Dans l'introduction générale du rapport, la Cour a bien voulu constater qu'"il n'y avait pas eu au Crédit Lyonnais que des opérations financières perdantes telles que celles évoquées dans le rapport". Cette seule phrase trop discrète paraît bien insuffisante pour refléter l'activité, le dévouement, le professionnalisme de tant d'équipes présentes et efficaces dans tant de centres de profit tout au long des années sous revue, ou ayant rejoint le groupe pendant cette période.

A. - LE RESEAU EUROPEEN (HORS CINEMA/CLBN)

On comprend mal le parti pris du rapport contre le réseau européen du Crédit Lyonnais . Ce parti pris se décompose de la manière suivante :

1. INCOMPREHENSION SUR LA STRATEGIE EUROPEENNE

La stratégie européenne, fierté du groupe, qui développait des positions déjà conquises au XIXe siècle, a été énoncée et discutée dans de nombreux documents diffusés dans l'entreprise, sans oublier le texte d'une conférence du président prononcée devant des chambres de commerce. Elle n'était pas l'expression d'une absurde volonté de puissance, mais la conséquence commerciale des perspectives du grand marché européen, avant même le traité d'union monétaire, et la prise en considération du fait que, quel que soit le rythme souvent décevant des décisions politiques, les agents économiques considéraient de plus en plus le marché européen, harmonisé sur le plan fiscal comme sur celui des réglementations de la concurrence, comme leur marché domestique. Sur ce marché, il fallait préparer l'an 2000, c'est-à-dire devenir capable d'avoir une offre européenne de produits et de services bancaires et financiers. Cette stratégie n'avait rien de solitaire : elle est explicitement, avec la base de départ et la culture propre à chaque groupe, celle de la Deutsche Bank, de Barclays, d'ABN-Amro, de Banco San Paolo. Elle a reçu, du moins de 1988 à 1993, l'approbation de l'Etat-actionnaire, qui considérait dans ce domaine le Crédit Lyonnais comme le fer de lance le mieux placé du système bancaire français.

De tout cela, le rapport ne fait pas état.

2. ANACHRONISME DES CONCEPTIONS

Venue autrefois des Etats-Unis, où elle reflétait certaines contraintes des réglementations bancaires américaines, la distinction entre la banque de gros et la banque de détail, faite encore par la Cour, n'est pas en adéquation avec les activités bancaires de la période sous revue, marquée depuis les années 1980 par la nécessaire segmentation des marchés appelant des offres spécialisées de produits et services : banque des grandes entreprises, banque des PME, banque des particuliers, banque des marchés, gestion. La stratégie multimétier du Crédit Lyonnais conduisit à des séminaires et à des groupes de travail intereuropéens pour chacun de ces secteurs.

Contrairement aux affirmations du rapport, les acquisitions de nouvelles filiales en Europe ne visaient pas la banque de détail seulement. Mais la banque des particuliers et celle des PME étaient d'autant moins exclues que le Crédit Lyonnais pratiquait déjà ces deux métiers en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Suisse, en Espagne et au Portugal depuis longtemps.

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Contrairement aux affirmations du rapport, il n'a jamais été prévu que la profitabilité des filiales européennes proviendrait seulement des "entreprises à vocation européenne" et des "particuliers mobiles" (ce dernier concept est cité à tort, car il a été expressément écarté de la stratégie européenne du Crédit Lyonnais ). Le fonds de commerce national de ces filiales, auxquelles la décentralisation recommandait de conserver leur identité nationale, était en lui-même un objectif, d'autant que les marges d'exploitation sont partout meilleures qu'en France, ce qu'il ne faut pas oublier.

Il n'y a eu ni rupture avec une tradition précédente du Crédit Lyonnais , ni singularité. Ce que le rapport appelle la banque de détail est pratiqué en Europe par Deutsche Bank et Barclays, sur le plan mondial par Citibank. Il faut certes être une grande banque pour le faire, mais tous les experts savent que les meilleures marges d'exploitation se trouvent dans la clientèle des particuliers et non pas dans la clientèle des grandes entreprises, qui ne laissent à l'intermédiation bancaire que les opérations trop peu rentables pour être financées directement par les marchés de capitaux.

3. CARICATURE DES ACQUISITIONS

La Cour affirme que les acquisitions "ont été faites à des prix se situant en général dans le haut de la fourchette généralement appliquée". Elle serait bien en peine de trouver des éléments objectifs pour étayer cette affirmation, car, dans la période sous revue, il y eut très peu d'acquisitions de banques en Europe et les prix n'étaient généralement pas connus : les seuls cas pragmatiquement connus du Crédit Lyonnais sont l'acquisition en Italie par la Deutsche Bank de la Bank of America e d'Italia, pour laquelle le Crédit Lyonnais a soumis une offre à un prix nettement inférieur à celui auquel la Deutsche Bank a remporté l'appel d'offres, ou en Espagne, où la Banque Sao Paolo a acquis une banque catalane à laquelle le Crédit Lyonnais avait renoncé, tandis que la Deutsche Bank a acheté le Banco de Madrid, que le Crédit Lyonnais ne jugeait pas assez rentable pour le prix demandé.

Le rapport affirme plus loin que les banques achetées étaient "de manière générale petites, en mauvais état, avec des images médiocres, des équipes traditionalistes et parfois peu compétentes, une organisation interne déficiente ou peu moderne". Ce jugement, démenti par les offres de rachat qui se manifestèrent à plusieurs reprises, ne traduit pas la réalité. S'il y a une grande diversité dans les acquisitions puisqu'il s'agit de banques évoluant dans des environnements réglementaires et traditionnels différents, on peut estimer que les acquisitions de la période sous revue ont porté, après recherche et élimination, sur des filiales répondant à la ligne stratégique du Crédit Lyonnais , et ayant fait l'objet d'un audit.

Certes elles étaient de qualité différente ; dans certaines il y a eu de bonnes surprises (Chase Banque de Commerce en Belgique, Credito Bergamasco en Italie, Woodchester en Irlande), d'autres présentaient des caractéristiques que le groupe devait traiter en connaissance de cause (notamment Banco Comercial Espanol, précédemment filiale d'un grand groupe espagnol et ne disposant donc pas au départ de son informatique propre, ce qui naturellement était incorporé dans le prix). Quant à la plus importante, la BfG, le rapport relève que l'acquisition s'est faite alors que la banque était en phase de restructuration. On peut signaler que le dossier pour l'acquisition de cette banque fut présenté à la direction générale du Crédit Lyonnais à quatre reprises entre 1986 et 1991 ; il fut justement refusé parce que la banque n'avait pas fait sa restructuration et ne présentait pas les qualités requises pour l'entrée du Crédit Lyonnais dans son capital. Ce n'est qu'en 1992, alors que la restructuration était largement avancée (remplacement complet du directoire, assainissement de la banque dans la qualité de son portefeuille, couverture des risques pays, restructuration de son réseau et fermeture d'agences) que le Crédit Lyonnais a accepté d'ouvrir le dossier ayant mené à son acquisition. Les résultats observés depuis à la BfG démontrent que ce fut un bon choix.

Le rapport critique encore la "logique stratégique" incitant à transférer sur les nouvelles filiales la clientèle des grandes entreprises déjà existant dans des succursales du Crédit Lyonnais . La Cour croit-elle qu'il est raisonnable de faire fonctionner deux banques du

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 même groupe dans le même pays, à la fois pour la prise de risques, la gestion du personnel ou les frais généraux ? Aucun concurrent international comparable ne l'a jamais fait, et certaines banques centrales n'y sont pas favorables. La réorganisation nécessaire n'a pas toujours été facile, et il faut du temps pour changer les habitudes, mais, le plus souvent, elle a été possible.

4. AFFIRMATIONS DE NATURE NON COMPTABLE

On peut se demander pourquoi le réseau européen a été retenu par la Cour comme un des principaux foyers de pertes des années sous revue. Ce point, semble-t-il, est embarrassant pour le rapport lui-même :

- il reconnaît que le résultat net global en Europe rapporté aux fonds propres a été supérieur à 9 p. 100 en 1989, 1990, 1991 : c'est un peu inférieur à l'objectif ambitieux de 12 p. 100, mais c'est convenable, pour le moins. Aussi le rapport insinue-t-il qu'il y a eu "insuffisance de provisionnement", mettant ainsi en cause, sans préciser, les commissaires aux comptes et les autorités bancaires des pays en cause ;

- il indique que ce chiffre, toujours positif cependant, est tombé à 2,70 p. 100 en 1993. Il n'en mentionne pas l'explication, qui est la crise économique sans précédent qui a affecté tant de banques en Europe, notamment par l'immobilier, et pas seulement, tant s'en faut, les filiales du Crédit Lyonnais ;

- pour faire apparaître quelque part un signe négatif, il est obligé de recourir à la notion de coût de portage, sans dire le taux qu'il retient, pour aboutir à un manque à gagner (valeur 31 décembre 1993) de 3 milliards. On ne retrouve pas ce résultat simpliste si l'on tient compte des fonds propres apportés pour ou par la plupart des acquisitions. (Ainsi, la BfG n'a rien coûté en fonds propres, grâce à une ingénierie financière exemplaire) ;

- le rapport, en tête de sa troisième partie, rapproche des pertes constatées cumulées sur plusieurs années (cinéma, immobilier, banque- industrie) et, pour le réseau européen, son estimation "virtuelle" de l'année 1993.

B. - LE FINANCEMENT DU CINEMA INTERNATIONAL PAR CLBN

Il est facile, aujourd'hui, de décrire ex post la dérive des activités "entertainment business" de CLBN Les événements au jour le jour n'ont pas été vécus avec cette limpidité qu'ils semblent avoir après coup.

Il est trop simple d'affirmer que le financement du cinéma par le CLBN a été encouragé par sa maison mère. Il serait plus exact de dire que le financement du cinéma a été accepté par la maison mère puis, après analyse du développement des opérations et de leur rapide accroissement, freiné par celle-ci. En effet dans les années 1988 et 1989 une étude de la direction des études économiques et financières mandatée par la direction générale a été menée sur place. Elle a conclu à l'importance des opérations, à l'intérêt de celles-ci, mais elle a demandé que les engagements soient contenus, et pour certains clients, réduits. Cela n'a pas été fait suffisamment, mais ce n'était pas toujours possible, du fait de la grave crise du secteur affectant alors tous les client américains, crise dont le rapport ignore l'existence, comme il a été dit.

Pour ce qui concerne les deux financiers italiens qui, à des titres divers, ont obtenu des financements aventurés de la part de CLBN, il faut rappeler que jamais des informations alarmantes n'ont été données sur eux au groupe Crédit Lyonnais par une autorité policière ou bancaire française ou étrangère qualifiée. Lorsque le ministère de l'économie et des finances a, en mai 1990, refusé à M. Parretti l'acquisition de Pathé-Cinéma "pour cause d'ordre public", sa décision a été annulée en juin 1994 par le tribunal administratif de Paris pour excès de pouvoir. Ces faits sont rappelés pour montrer que la clairvoyance contemporaine de CLBN et de sa direction centrale de tutelle n'était pas aussi facile que la clairvoyance rétroactive du rapport l'imagine.

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Il est certain que l'autonomie commerciale de CLBN l'a conduit à prendre, sans professionnalisme suffisant, beaucoup trop de risques dans un seul secteur, et que la sociologie de cette baronnie, utilisant des délégations de signature parfaitement régulières, a échappé de manière croissante à sa hiérarchie, notamment quand, en janvier 1988, le président du directoire est devenu le tuteur de son successeur, jusqu'à son départ en mars 1991.

Sans excuser les erreurs de gestion commises par le CLBN, on ne peut s'empêcher de penser que le portrait-charge auquel se livre le rapport à deux reprises (contrôle interne et financement du cinéma) est outré. Sinon, comment expliquer que en 1995, lorsque le Crédit Lyonnais a dû mettre en vente cette filiale par appel d'offres, il se soit trouvé plusieurs groupes de grande réputation pour désirer acquérir à un bon prix un établissement au passé aussi décrié ?

C. - LES PARTICIPATIONS EN CAPITAL DANS LES ENTREPRISES

Malgré toutes les informations écrites et orales qui lui ont été données, la Cour persiste à appeler "partenariat banque-industrie", pour les recouvrir de ce même terme simplifié qu'elle entend critiquer, des fonds de commerce développés selon des stratégies différentes, souvent exposées dans les documents internes au groupe.

1. LES PARTICIPATIONS PRISES DANS UN ESPRIT DE PARTENARIAT

Tout le monde sait que le manque de fonds propres est un problème général de l'industrie française, l'étroitesse du marché des actions se conjuguant avec la difficulté à disposer d'autofinancement. Une des principales forces de l'économie allemande réside dans la relation séculaire qui a établi un partenariat efficace entre les banques et l'industrie. Depuis 1966, toutes les banques françaises ont le droit de le faire et des portefeuilles de participations se sont constitués, au- dessous de l'attente des clients.

Des circonstances nouvelles ont encouragé les banques à prendre de telles participations : le ratio européen de solvabilité traite de la même manière, pour la consommation de fonds propres, le crédit bancaire et la détention d'actions. Avec l'inquiétante érosion des marges sur crédits acceptées par les grandes et les moyennes entreprises, la prise de participation peut, en termes de rentabilité globale, rivaliser avec le métier de base : car, au dividende, peut s'ajouter, dans un esprit de partenariat, un flux d'affaires, et, à moyen terme (entre cinq et dix ans), une plus-value, si l'entreprise est performante et si la bourse n'est pas déprimée.

Dans cet esprit, le cas d'application le plus pur est sans aucun doute Clinvest, filiale créée en 1987, et dont les résultats, dans les années sous revue, ont été brillamment positifs. L'organisation de ses dossiers, la rigueur de ses procédures ont fait l'objet d'un rapport élogieux de la Commission bancaire. Cette filiale, très sollicitée par la clientèle, mais sélectionnant avec soin ses interventions en capital, a joué un rôle important dans les restructurations opérées dans de nombreux groupes français de l'industrie et du commerce. Elle a ainsi constitué un portefeuille auquel un minimum de maturation est nécessaire, toute stratégie de liquidation immédiate étant incompatible avec l'optimisation des valorisations attendues.

2. LES PARTICIPATIONS STRATEGIQUES CONCERTEES AVEC LES POUVOIRS PUBLICS

Clindus est la filiale regroupant, depuis 1990, des participations stables résultant, pour la plupart, d'opérations décidées conjointement avec les pouvoirs publics ou à leur demande, et notamment des apports de titres d'entreprises publiques décidés pour augmenter les fonds propres du Crédit Lyonnais . Les effets du partenariat y sont moins évidents, comme le relève la Cour sans l'expliquer : malgré quelques efforts louables de discernement, l'Etat n'a pas toujours tenu compte des positions acquises par les banques dans les affaires des entreprises et n'a pas voulu, ensuite, adapter leur représentation dans les conseils d'administration (car, pour pouvoir

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 nommer, il faut d'abord exclure). Sur ce dernier point, l'exemple d'Usinor-Sacilor est typique : le directeur général d'une autre banque publique siégeait au conseil, où le Crédit Lyonnais n'était pas représenté.

En revanche, l'exemple de Thomson cité par la Cour n'est pas approprié : le Crédit Lyonnais n'était pas actionnaire de Thomson, et c'est un cas, si l'on peut dire d'"industrie-banque", c'est-à-dire rigoureusement inverse. On ne comprend pas pourquoi la Cour tient à qualifier l'acquisition de Thomson CSF Finance de "participation croisée" (par référence inexacte aux participations croisées BNP/UAP, autorisées peu après, en "compensation", par le ministre de l'économie et des finances) puisque ni le Crédit Lyonnais ni Altus ne sont devenus actionnaires d'une entité quelconque du groupe Thomson. On ne comprend pas non plus pourquoi le rapport affirme que le "rattachement" d'Altus "au Crédit Lyonnais privait l'entreprise de son fonds de commerce préexistant, qui était la gestion de la trésorerie de Thomson" : l'accord entre les deux groupes, qui semble ne pas avoir été examiné, comporte au contraire des dispositions précises, longuement négociées et parfaitement respectées, pour conserver à Altus le fonds de commerce constitué par la couverture des risques de marché de Thomson CSF. Cela n'était pas contraire aux intérêts de Thomson, resté un actionnaire substantiel d'Altus. Le déclin de ce fonds de commerce est venu de l'évolution des marchés et surtout de la raréfaction des grands contrats, en conséquence de la grande crise économique mondiale.

3. LES ACTIVITES DE MARCHAND D'ACTIFS SOUS-COTES DEVELOPPEES PAR ALTUS FINANCE

Le fonds de commerce original développé par Altus Finance n'a pas été suffisamment compris par la Cour, malgré les explications écrites et orales qui lui ont été données. Il est vrai que l'auteur du rapport particulier consacré à Altus n'a pas jugé bon de rencontrer le principal responsable exécutif de la période sous revue. Est-ce pour cette raison que le rapport qualifie curieusement Altus de "banque" (alors qu'Altus est un établissement financier s'étant donné un statut de société holding), assure à tort qu'il n'y avait pas d'organigramme des responsabilités et que le périmètre exact des consolidations du groupe Altus était mal connu, affirme que les opérations étaient si peu suivies qu'Altus ne connaissait pas ses propres risques et qu'il y avait plusieurs milliers de participations alors que leur vrai nombre est de plusieurs centaines ? Que le groupe Crédit Lyonnais n'ait jamais adopté vraiment cet enfant trouvé (pour cause de fonds propres) qu'était Altus est évident. Que la Cour se soit laissée impressionner par des allégations hostiles aurait dû être moins facile.

"Faire ce que le Crédit Lyonnais ne sait pas, ne peut pas ou ne veut pas faire" était une définition discrètement humoristique, mais non une stratégie : comment la Cour ne s'en est-elle pas rendu compte, en énonçant que l'établissement "se diversifia vigoureusement dans deux directions : la prise de participation, l'immobilier" ? Dans ces deux domaines, justement, et il suffit de voir l'importance que le rapport leur donne, le Crédit Lyonnais pouvait faire, voulait faire et croyait savoir faire.

Partie de ses brillants succès en matière de trading, l'équipe d'Altus a développé des activités d'achat-revente à contre-cycle portant sur des actifs décotés (obligations ou actions), ce que le Crédit Lyonnais ne savait pas faire (la brillante opération sur les junk bonds d'Executive Life, saluée aux Etats-Unis comme "the deal of the year" appartient typiquement à Altus), et ce que le Crédit Lyonnais ne pouvait faire : compte tenu de la relation de partenariat qui relie la participation minoritaire au flux des affaires bancaires, le Crédit Lyonnais ne peut revendre ses participations rapidement et sans dommage, comme voulait pouvoir le faire Altus. De même, alors que le Crédit Lyonnais se cantonne dans des participations minoritaires, Altus, en tant que marchand de biens achetant pour revendre avec plus- value, devait rechercher des participations de contrôle, car c'est le contrôle d'une entreprise que le marché honore d'un surprix. Enfin, il y a des plus-values possibles quand on revend au prix de détail des actifs achetés d'un coup au prix de gros (exemple : les junk bonds américains), et à l'inverse, quand

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1 on réunit en un ensemble vendable à bon prix de petits éléments achetés ici et là à bas prix. Ce sont deux activités étrangères à la culture traditionnelle du Crédit Lyonnais .

Les affirmations du rapport sur Altus Finance sont souvent exagérées et méconnaissent les faits et les explications apportés par écrit et par oral dans la procédure de contradiction dont s'honore la Cour. Le rapport privilégie une attitude partiale, en contradiction avec les faits et les documents mis à la disposition de la Cour, pour critiquer une politique qui a été constamment bénéficiaire tant qu'elle n'a pas été remise en cause en 1993. Il y a une confusion entre les décisions qui ont été prises à l'origine, les conséquences d'une évolution macro-économique qui a endommagé le bilan de tous les prêteurs et investisseurs sur la place de Paris et les conséquences comptables et financières d'un soudain changement de politique imposé par l'actionnaire à sa filiale et qui a consisté à vouloir interrompre une stratégie de développement pour la remplacer par une politique de liquidation immédiate. Avec le contexte économique de la France de l'époque et la mauvaise publicité médiatique faite à ces opérations, les conséquences économiques de ce revirement ne pouvaient être que très négatives.

Comme dans d'autres cas déjà relevés, le rapport fait un usage sans retenue de la clairvoyance rétroactive dont il dispose. Ainsi il affirme qu'Altus "a acquis à des prix surévalués nombre d'entreprises qui étaient tombées si bas qu'elles ne pouvaient éventuellement être redressées qu'à des coûts exhorbitants" : c'est, après les dommages de la crise, une vue a posteriori. Ainsi il condamne globalement le recours à des opérateurs sous-traitants, ce qui appellerait, pour le moins, une distinction entre les cas où ce recours a eu des résultats positifs (le cas des junk bonds est le plus connu, mais il y en a eu d'autres) et les cas où ce recours a eu des résultats négatifs. Ainsi il énonce "l'incapacité de juger de la qualité des affaires", sans prendre en considération ni les effets de la crise sur la dégradation, imprévisible au départ, de certaines affaires, ni les refus opposés à de nombreux dossiers après un examen soigneux par Altus et_ou une consultation du Crédit Lyonnais . Ainsi il évoque des avis de certains services du Crédit Lyonnais (lesquels ?) qui ne furent pas suivis d'effet par Altus, mais passe sous silence le fait qu'aucune instruction de ne pas faire n'a jamais été transgressée par Altus.

Le rapport passe en revue quelques exemples, "caractéristiques" selon lui, regrettables certes, mais sur lesquels les mises au point, éclaircissements, réfutations, apportés par les responsables exécutifs successifs de la période sous revue, n'ont guère réussi à faire moduler, comme il se devait, la narration excessive ou inexacte qui en est faite par la Cour. Il faut savoir cependant qu'il y a eu réponse précise et documentée sur la plupart des points évoqués.

Par exemple, le rapport fait un récit simplifié, c'est-à-dire inexact, des conditions dans lesquelles Altus s'est porté acquéreur d'une minorité de contrôle dans une petite banque de la place. Tous les documents établissent que le multiple de huit fois le bénéfice qui a été retenu s'appliquait non pas à l'exercice clos comme le dit la Cour, mais à la moyenne de celui-ci, de l'exercice en cours et de l'année suivante. Il a été longuement expliqué à la Cour que l'absence d'audit s'explique par l'existence de commissaires aux comptes, communs aux deux groupes, ayant donné tous apaisements : la Cour ne mentionne pas cet important détail. Le rapport ne craint pas d'affirmer qu'aucune garantie n'avait été obtenue des vendeurs et néanmoins que près de la moitié des pertes de 1992-1993 ont été prises en charge par ceux-ci : comment, sans garantie donnée au préalable, auraient-ils eu ce geste charitable ?

4. LES PARTICIPATIONS RESULTANT DES DIFFICULTES D'UN CLIENT

Les banques prennent souvent des garanties sous la forme de nantissement des titres de propriété de l'entreprise cliente. En cas de défaillance de celle-ci, elles peuvent se retrouver actionnaires, voire propriétaires à 100 p. 100 d'une entreprise. La crise a multiplié, pour le Crédit Lyonnais et pour ses filiales bancaires, de telles procédures. Le cas le plus voyant est celui de MGM, gage des crédits octroyés par CLBN, à qui une décision de la justice américaine a transféré les droits de propriété en janvier 1992.

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Préventivement, soit sous l'égide d'un tribunal de commerce, soit par négociation entre les créanciers et le débiteur, des prêts sont transformés en participation en capital, afin de permettre un redémarrage de l'entreprise et une sortie différée. La crise a également multiplié ces formules pragmatiques, qui ne relèvent pas d'un partenariat banque-industrie, mais de la sauvegarde des intérêts de l'établissement prêteur, dans des formules concertées avec les autres créanciers, avec pour objectif explicite la survie de l'entreprise, ce qui renvoie à beaucoup plus tard la sortie espérée de l'engagement initial. En l'espèce, il ne faut pas attribuer à une stratégie de banque d'investissement ce qui n'est qu'un traitement approprié des risques pris par la banque commerciale.

D. - L'IMMOBILIER

Le rôle important du Crédit Lyonnais dans l'immobilier, qui fit l'objet d'appréciations favorables de la Cour dans son précédent contrôle de l'immobilier du groupe (en 1985), s'est toujours accompagné de précautions professionnelles tendant à diviser les risques :

- contrairement à la plupart des grands confrères, le Crédit Lyonnais ne possède pas de société de promotion. Il s'est toujours limité à des participations très minoritaires dispersées chez de nombreux promoteurs afin d'avoir une bonne information sur le marché ;

- contrairement aux banques qui se sont engagées dans l'immobilier pour une fraction importante de leur bilan (banque Worms, Comptoirs des Entrepreneurs, Indosuez, etc.), le Crédit Lyonnais a veillé à ne pas dépasser une proportion modeste de l'ordre de 3 à 4 p. 100, qui a quelque peu progressé par l'inclusion de la BfG dans le groupe, ce que n'indique pas le rapport, dont les chiffres sont produits comme si le périmètre de consolidation n'avait pas été constamment en expansion ;

- selon une pratique ancienne, le Crédit Lyonnais a veillé à équilibrer en deux moitiés à peu près égales les financements de logements et les concours à l'immobilier d'entreprise, dont les bureaux font partie. Les chiffres produits par le rapport ne font pas une distinction élémentaire ;

- sauf pour de petites opérations, et sauf pour Altus qui faute d'équipe suffisamment nombreuse préférait traiter peu de dossiers, les interventions du Crédit Lyonnais ont toujours pris place dans les syndications de place, donc conjointement avec d'autres banques publiques ou privées.

Il est exact, comme le constate la Cour, que pour les bureaux de la région parisienne la suppression de l'agrément administratif préalable à la construction a déclenché une vague de projets, d'autant plus que les promoteurs étaient convaincus que cette mesure bilatérale serait bientôt rapportée. Mais, sur un marché en croissance, les dérives se font sous la pression des établissements les moins engagés, qui cherchent à élargir leur place, et conduisent les établissements installés comme le Crédit Lyonnais , à s'aligner pour ne pas perdre leur clientèle. Ainsi, lorsque le rapport mentionne deux opérations de rénovation et revente de grands sièges sociaux parisiens, auxquelles le Crédit Lyonnais a participé, il passe sous silence le fait que le Crédit Lyonnais s'est tenu à l'écart de toutes les autres, bien connues de la place par l'ampleur des pertes finalement apparues pour ceux qui en avaient eu l'initiative et en escomptaient le profit.

Les critiques pertinentes de la Cour sur la charge foncière excessive, la faiblesse des fonds propres engagés par les promoteurs, l'insuffisante définition des projets, la faiblesse des taux de rentabilité professionnelle, le conflit d'intérêt entre la participation aux sociétés de promotion et l'octroi de crédits et même l'étalement des provisions admis à l'époque par la Banque de France, valent sans doute pour le Crédit Lyonnais mais aussi pour toutes les banques, comme il a été dit.

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Cour des comptes - rapport public particulier Le groupe Crédit Lyonnais (octobre 1995) 1

Ecrire que le Crédit Lyonnais a contribué "proportionnellement plus qu'aucun autre intervenant, à créer lui-même la crise dont il doit à présent supporter, plus que les autres, les effets", est tout à fait excessif. Aucune autorité de tutelle ne l'a dit en temps utile et l'appréciation relève de cette clairvoyance rétroactive dont le rapport ne se défend pas assez.

Sur les opérations immobilières de la SDBO ou d'Altus Finance citées comme exemples, il a été répondu à la Cour par ces établissements au niveau des rapports particuliers qui leur ont été consacrés.

CONCLUSION

On ne peut qu'approuver la Cour lorsqu'elle recommande, en conclusion, d'améliorer les dispositifs de surveillance et de prévention dans le secteur bancaire et financier, dont ses propres contrôles, s'ils étaient plus proches de l'événement, pourraient faire partie utilement, à condition naturellement qu'un secteur public s'offre encore à ses interventions.

Encore faudrait-il que, pour être médité dans le sens de l'efficacité, l'exemple de la crise du Crédit Lyonnais soit examiné en toute sérénité, c'est-à-dire sans les exagérations médiatiques, les anecdotes déformées, les arrière-pensées politiques, les étonnantes clairvoyances rétroactives, qui ont jusqu'à maintenant trop encombré l'analyse.

La constatation centrale est que les pertes survenues en 1992 et 1993 proviennent des dommages causés par la crise ou d'erreurs de gestion localisées pour la plupart, selon le rapport de la Cour lui- même, dans des structures constituant le groupe Crédit Lyonnais avant la stratégie de croissance engagée en 1989 : direction des affaires immobilières pour un secteur éprouvé dans des conditions sans précédent, direction centrale des agences de France pour les petites et moyennes entreprises victimes de la crise, direction centrale des affaires internationales pour certains grands groupes internationaux défaillants, filiales telles que CLBN, BIGT, SDBO. C'est-à-dire, et c'est une vérité amère pour un établissement plus que centenaire dont le professionnalisme semblait bien établi, dans les différentes formes et spécialisations du métier de base, qui est la banque commerciale.

C'est une erreur d'optique, certes rassurante à bien des égards pour tous ceux qui imaginent le métier des banques comme nécessairement statique et passif, que de faire croire que les stratégies engagées en 1989 à la recherche d'une meilleure profitabilité future, approuvées pour cette raison par l'Etat-actionnaire de l'époque, ont une relation mécanique de cause à effet avec les pertes constatées à partir de 1992. C'est une autre erreur d'optique que de faire imaginer que les forces mobilisées au service de ces stratégies auraient pu, en cas d'inertie stratégique, s'employer, en quelque sorte par substitution, à perfectionner les contrôles internes ou à améliorer la rentabilité de l'exploitation courante : il ne s'agit ni des mêmes tâches, ni des mêmes équipes, ni des mêmes motivations. Au contraire, il aurait été préférable d'agir simultanément dans les deux directions, si, dans les exercices bénéficiaires qui ont précédé la crise, les choix avaient été aussi évidents pour la gestion qu'ils l'étaient pour la stratégie.

On ne peut comprendre les pertes du Crédit Lyonnais qu'en distinguant les causes partagées avec toutes les banques, les causes propres aux banques du secteur public, et les causes particulières à l'établissement lui-même. Ces dernières n'ont pas été les plus importantes, tant s'en faut, et c'est leurrer les actionnaires, les clients, le personnel, les analystes financiers et l'opinion que de le faire croire, sans regarder en face les autres causes, auxquelles l'établissement n'a pu, ne peut et ne pourra porter remède à lui seul.

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REPONSE DU PRESIDENT DU CREDIT LYONNAIS (EN FONCTIONS DEPUIS NOVEMBRE 1993)

J'ai reçu communication du projet de rapport sur "Le Groupe Crédit Lyonnais - exercices 1987 à 1993" que la Cour des Comptes se propose de publier.

La rédaction retenue tient compte, par rapport à l'état qui avait été précédemment porté à ma connaissance, de nombreuses observations formulées par écrit ou lors d'auditions par des dirigeants ou anciens dirigeants du Crédit Lyonnais et des filiales les plus concernées par le rapport. Cela me paraît avoir amélioré sur bien des points le diagnostic et l'analyse des causes des difficultés traversées par le groupe au cours des dernières années.

Il reste que, sur plusieurs points, relatifs notamment à Altus, à la Société de Banque Occidentale et à Crédit Lyonnais Bank Nederland, le rapport me paraît prendre insuffisamment en compte les réponses déjà faites par le groupe et les personnes à qui le prérapport avait été communiqué.

Par ailleurs, en ce qui concerne le transfert d'actifs à l'Omnium Immobilier de Gestion et la garantie accordée à cette société, il peut paraître surprenant que la Cour, qui - comme elle l'indique - n'a pas encore contrôlé cette société, formule déjà une interprétation négative relative au mécanisme de la garantie et à la nature des actifs transférés à OIG. L'opération ne peut être appréciée qu'au vu de l'objectif poursuivi en accord entre le Crédit Lyonnais et ses actionnaires.