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LAekladata.com/hURGkWoXZM0KMSAqq3MS1aHqAz0/La_Liste_-_Siobh… · LA LISTE Siobhan Vivian Traduit...
Transcript of LAekladata.com/hURGkWoXZM0KMSAqq3MS1aHqAz0/La_Liste_-_Siobh… · LA LISTE Siobhan Vivian Traduit...
LALISTE
SiobhanVivian
Traduitdel’anglais(États-Unis)parAnneDelcourt
Photodecouverture©2010byMichaelFrost/Designdecouverture:ElizabethB.Parisi
L’éditionoriginaledecelivreaétépubliéepourlapremièrefoisen2012,enanglais,parPUSH,undépartementdeScholasticInc.,sousletitreTheList.
©2012parSiobhanVivian
Publiéavecl’autorisationdeFolioLiteraryManagement,LLC
Traductionfrançaise©ÉditionsNathan(Paris,France),2013
Loin°49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse.
«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretoute
atteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»
ISBN978-2-09-254338-2
Pourmaman,pourunmillionderaisons.
«Laperceptiondelabeauté
estuneépreuvemorale.»
HenryDavidThoreau
Sommaire
Couverture
Copyright
Sommaire
Prologue
Lundi
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Mardi
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Mercredi
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Jeudi
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Chapitre29
Chapitre30
Vendredi
Chapitre31
Chapitre32
Chapitre33
Chapitre34
Chapitre35
Chapitre36
Chapitre37
Samedi
Chapitre38
Chapitre39
Chapitre40
Chapitre41
Chapitre42
Chapitre43
Chapitre44
Chapitre45
Chapitre46
Remerciements
SiobhanVivian
PROLOGUE
Aussiloinqu’ons’ensouvienne,lesélèvesquiarriventencoursledernierlundideseptembreaulycéedeMountWashingtonydécouvrentunelistenommantlafillelaplusjolieetlaplusmochedechaqueniveau.
Cetteannéeneferapasexception.Cettelisteestrépartiedansleslocauxàenvironquatrecentsexemplaires,dansdesendroitsplus
oumoinsvisibles.Ilyenauneplacardéeau-dessusdel’urinoirdestoilettesdesgarçonsaurez-de-chaussée,unequirecouvrelalistedesacteursdelapiècedefind’année,uneautreàl’infirmerie,intercalée entre deux prospectus sur la violence et la dépression. La liste est scotchée dans descasiers,glisséedansdesbureaux,agraféesurlestableauxd’affichage.
L’angle inférieurdroitdechaqueexemplaire,gaufré,porteenrelief la silhouettedu lycéedutempsd’avant lapiscine, lenouveaugymnaseet les labosd’informatique.Cesceauaauthentifiétous lesdiplômesde l’établissement jusqu’àcequ’il soit volédans lebureauduproviseur il yaplusieursdizainesd’années.C’estmaintenantunepiècedecontrebandemythique,quimetlalisteàl’abridescontrefaçons.
Personnene sait vraiment qui rédige cette liste chaque année, ni comment se transmet cetteresponsabilité,mais le secret n’a pas nui à la tradition.Au contraire, la garantie de l’anonymatconfèreaujugementdelalisteuncaractèreabsolu,impartialetlibredepréjugés.
Ainsi, à chaque nouvelle édition, les étiquettes qui répartissent les filles du lycée deMountWashington en unemultitude de catégories – les frimeuses, les populaires, les exploiteuses, lesringardes, les ambitieuses, les sportives, les cruches, les sympas, les rebelles, les coquettes, lesgarçons manqués, les allumeuses, les saintes-nitouches, celles qui se refont une virginité, lescoincées,lesdouéesquicachentbienleurjeu,lesglandeuses,lesfumeusesdepétards,lesparias,lesmarginales, les intelloset lesbarges,àtitred’exemples–s’évanouissent.Encesens, la listeauneffet rafraîchissant.Ellepeutréduire l’ensembled’unepopulation féminineà troisgroupesbiendistincts:
–Lesplusjolies;–Lesplusmoches;–Touteslesautres.Ce matin, avant la première sonnerie, toutes les filles du lycée de Mount Washington
découvrirontsileurnomfiguresurlaliste.
Cellesquin’y serontpas sedemanderont àquoi aurait pu ressembler l’expérience,bonneoumauvaise.
Leshuitquiyserontdevrontfaireavec.
Lundi
CHAPITRE1
AbbyWarnertourneautourduginkgobilobaenpromenantsamainsurlesépaisrenflementsdel’écorce.Unepetitebriseluimordlesjambes,découvertesdubasdesajupeenvelourscôteléjusqu’àsesballerines.Ilfaitpresqueuntempsàmettredescollants,maisAbbys’enpasseraaussilongtemps qu’elle supportera le froid, ou que son bronzage tiendra. Selon ce qui lâchera enpremier.
L’endroitestconnusouslenomd’Îledestroisièmes.C’estlàqueseregroupentlaplupartdestroisièmesdulycéedeMountWashingtonavantetaprèslescours.Àlafindel’automne,ilsfuientl’odeurrepoussantedégagéeparlesfruitsmûrs.Auderniertrimestre,àl’approchedelaseconde,ilsledésertentdenouveauparcrainted’êtrerepéréscommelesplusjeunes1.
LesWarnerontdéposéAbbyetsasœurFernenavanceaulycée,parcequecettedernièreavaituneréunion,àmoinsquelelundinesoitlejourdesondécathlonacadémique.Abbybâille.Elleaoublié.Entoutcas,cesmatins-làsontlespires.Elledoitseleverencoreplustôtpoursedoucher,secoifferetdécidercequ’ellevamettre;letoutdanslenoirpournepasréveillerFern,avecquiellepartage la chambre laplusgrandede lamaison.Sa sœurdort jusqu’auderniermoment, sebornantchaquematinàsebrosserlesdentsetàpiocherauhasarddanssonpetitstockdejeansetdetee-shirtsbasiques.
Aujourd’hui, Fern a enfilé fièrement un nouveau tee-shirt acheté en ligne, orné d’armoiriescomplexesproclamantsonallégeanceàunesectedeguerriersrebellesdeBlixEffect,unesériedefantasy qui obsède toutes ses amies.Et dans la voiture, elle a demandé àAbby de lui faire destressesafricaines,unedechaquecôté,commecellesqueportel’héroïnedeBlixEffectpourpartiraucombat.
Fern ne veut jamais rien d’autre que des tresses africaines. Pourtant,Abby sait aussi faire leschignonset les torsades–coiffuresqu’elle trouveplusclasses,etdoncplusadaptéesàsagrandesœur de seize ans. Elle a dumal à comprendre qu’on puisse vouloir se déguiser pour aller aulycée…MaisellenediscutepaslesdemandesdeFern;c’estvraiquelestressesluivontbien.Etaumoins,çadonnel’impressionqu’ellesepréoccupeunpeuplusdesonlook.
Lesvoitureset lescars scolairescommencentàarriverau lycée.Uneàune, lesamiesd’Abbyviennent la retrouver et leurs embrassades la réchauffent un peu.Elles ont passé leweek-end às’envoyerdesphotosdesrobesqu’ellepensents’acheterpourlebaldelarentréedesamedi.CellesurlaquelleAbbyatotalementcraqué–ellel’adéjàréservée–estunerobedosnuensatinnoir,resserréeàlatailleparungrosnœudblanc.Siellehésiteencore,c’estparcequepersonnen’apularenseignersurlescodesvestimentairesdesfêtesdelycée,endehorsdubaldefind’année.
–Ooh,Lisa!lance-t-elleàsameilleureamieenlavoyanttraverserleparking.TuasmontrémarobeàBridget?Ellenelatrouvepastrophabillée?
Lisajetteunbrasautourdesesépaulesetl’attirecontreelle.–Masœurditqu’elleestparfaite!Jolie,marrante,toutenrestantnaturelle.Abby pousse un soupir de soulagement en apprenant que son choix a reçu l’approbation de
Bridget. Lisa et elle sont les seules du groupe à avoir des sœurs aînées au lycée.Mais la Fernd’Abbyn’estvraimentpasàlahauteurdelaBridgetdeLisa.
Cet été, Abby a passé huit jours dans la maison de vacances de Lisa àWhipple Beach. Çatombaitàpic.SinonelleauraitpassétoutsonétéàsuivresafamilledanslatournéedesuniversitéspourFern.
Cette semaine-là,Abby etLisa ont fouiné dans la chambre deBridget.Elles ont inspecté sapenderie,dénichéquelquesnumérosdetéléphonedegarçonsdanssontiroiràchaussettesetessayésonbraceletàbreloques.Ellesonttestétoutsonmaquillage,parfaitementrangédanssacoiffeuseenvannerieblanche.Abbyatoujoursrêvéd’enavoirune,maislebureaudeFernprendtropdeplacedansleurchambre.
Bridgetapasséunebonnepartiedelasemainedanssoncoin,àenvoyerdestextosàsesamiesetàlirelapiledelivresqu’elleavaitemportés.Ellen’estalléequ’uneseulefoisàlaplageavecAbbyetLisa.Maisunsoiroùilpleuvait,ellelesalaisséestraîneravecelledanssachambre.Elleleurabouclé les cheveux avec son fer à friser et ellesont regardéun film ringard àplat ventre sur lecouvre-lit moelleux de son grand lit. Elles lui ont demandé des tuyaux sur la vie au lycée, etBridget leur a donné des tas de conseils vraiment utiles, comme de faire attention si ellesfréquentaientdesgarçonsplusâgés,deréserverleursconfidencesauxamiescentpourcentfiables,oudestrucspournepassentirl’alcoolenrentrantd’unefête.
Fern,elle,n’ariendemieuxàoffrirquedesavissurlesprofsdemaths.EtAbbys’estdemandéplus d’une fois siBridget savait vraiment qui était Fern, bien qu’elles soient toutes les deux enpremière.
Lisas’apprêteàallerbavarderavecd’autres fillesquandAbbysepenchepour luidemanderàl’oreille:
–Hé,tuasfinitesexercicesdebiologie?Lisafaitlagrimace.–Abby,tun’apprendrasjamaisriensitucopiestoujourssurmoi!Abbydémêlesescheveuxblondsavecsesdoigts.–Allez,s’ilteplaît!J’aipassétropdetempsàregarderlesrobessurInternethiersoir.C’estla
dernièrefois!Juré!Elleposeunemainsursoncœur.Lisasoupireavantdes’éloignerverslebâtimentpourallercherchersondevoirdanssoncasier.–Tuesunesœurpourmoi!luilanceAbby.Quelquesminutesplustard,Lisarevientencourant,saqueuedechevaltressautantdanstousles
sens.–Abby!Elleacriésifortquetoutel’Îledestroisièmess’estretournéepourladévisager.Lisaparcourtensprintantlesderniersmètresquilaséparentd’Abbyetseraccrocheàellepour
nepastomber.–Tueslaplusjoliefilledetroisième!–Jesuisquoi?faitAbbyenbattantdespaupières.
–Tuessurlaliste,idiote!Laliste!Masœurestdessusaussi.Lisaregardelesautresfillesavecunsourirepleindefierté,quesonappareildentairefaitbriller
demillefeux.–Bridgetaéténomméelaplusjoliefilledepremière!Abbyrestebouchebéedesurprise.EllenesaitpastropdequoiparleLisa,maiselleacompris
qu’ilsepassaitquelquechosedespécial.Parchance,l’unedeleursamiesdemande:–Quelleliste?SurquoitoutlemondesetourneversLisadansl’attented’uneexplication.Tandisqu’elles’exécute,Abbyhochelatêted’unairentendu,commesiellen’apprenaitriende
neuf.Évidemment,Fernn’apasprislapeinedeluicommuniquercetteinformationcapitale,pasplus qu’elle ne serait capable de la conseiller sur le choix d’une robe pour le bal.Quelquefois,AbbyéchangeraitbienFerncontreBridget.
Bon,d’accord,souvent.À tour de rôle, les amies d’Abby la serrent dans leurs bras ou lui tapent dans le dos pour la
féliciteretàchaquefois,lesbattementsdesoncœurs’accélèrent.Bienquelesgarçonsfeignentl’indifférencedevantcesdémonstrations,Abbyremarquequeleur
partiedefootballatendanceàsedéplacerdansleurdirection.Mais elle n’a toujours pas réalisé ce qui se passait. Il y a plein de filles jolies au lycée, dont
beaucoupsontsesamies.Mérite-t-ellevraimentdefigurerentêtedeliste?C’estunepositionbizarre,àlaquelleellen’estpashabituée.–Désoléequevousn’ayezpasétéchoisies,lesfilles,déclare-t-ellesoudain,enpartiesincère.–Turigoles,répondLisaendésignantsesdents.Jenerisquepasd’êtrenomméelaplus jolie
quoiquecesoitaveccesrailsdechemindefer!–Tais-toi!s’écrieAbbyenlapoussantducoude.Tuessuperbelle!Bienplusquemoi!Etellelepense.D’ailleurs,elleaeudelachanced’êtrenomméecetteannée,parcequedèsque
Lisa sera débarrassée de son appareil, c’est elle qui sera choisie. Elle a de longs cheveux noirstoujoursbrillants,unpetitgraindebeautéenhautdelajouegauche,etellemesureaumoinsdixcentimètresdeplusqu’Abby.Enplus,elleestsuperbienfichue,avecdesseinsetdesformes.Leseul défaut de Lisa, c’est son appareil. Et peut-être ses pieds, un peu grands. Mais les gensn’attachentpasbeaucoupd’importanceàcegenrededétail.
–Tunesaisvraimentpasapprécieruncompliment!s’exclameLisaenriant.Tuneterendspascompte?C’esténooorme!Toutlelycéevasavoirquitues,maintenant!
Abbysourit.Ellen’ajamaisétéaussiexcitéeàl’idéedesquatreannéesquil’attendent.–J’aimeraisbiensavoirquisontceuxquim’ontnomméepourpouvoirlesremercier!L’idée qu’une fille, peut-êtremême qu’un groupe, lui ait accordé cet honneur lui donne le
vertige.Çasignifiequ’elleadesamies,desfillesplusâgées,qu’elleneconnaîtmêmepas.–Tul’asvueoù,cetteliste?–Ilyaunecopiesurlepanneaud’affichageprèsdugymnase.Maisonlatrouvepartout.–Tucroisquejepeuxenprendreune?demandeAbby.Ellepourraitlarangerdansunendroitspécial.Dansunscrapbook,parexemple,ouuneboîteà
souvenirs.–Biensûr!Viens,onvaenchercherune.Ellesseprennentparlamainets’élancentencourantverslebâtiment.–Ilyaquid’autresurlaliste?s’enquiertAbby.Àparttasœuretmoi?–Alors,laplusmochedestroisièmes,c’estDanielleDeMarco.
Abbyralentit.–Attends,lalisteindiqueaussilesplusmoches?Danssonenthousiasme,ellen’avaitpascomprisça.– Ouais, confirme Lisa en la tirant derrière elle. En plus, cette année, ils ont ajouté des
commentairesmarrantsendessousdechaquenom.PourDanielle,ilsontécrit«DantheMan».Abbyn’estpastrèsprochedeDanielleDeMarco,mêmesiellesontsportensemble.Ellel’avue
exploser tous les records au 1 500mètres la semaine dernière.C’était impressionnant !De soncôté,Abbyauraitsansdoutepumieuxfairequesesminablesdix-septminutes,maisellenetenaitpasàsentirlatranspirationtoutelajournée.Évidemment,çan’estpascoold’êtredésignéelafillelaplusmoche,maisDaniellen’estsansdoutepasdugenreàselaisseratteindreparça.Enplus,elledoitsavoirqued’autresauraientpuêtrenomméesàsaplace.ExactementcommeAbby.Aufond,lehasardyestpourbeaucoup.
–Çaditquoisurmoi?Lisasepenchepourluimurmurer:–Ilstefélicitentd’avoirsurmontélagénétique.Elleterminesaphraseparunpetitriregêné.UneallusionàFern.Abbysemordlajoueavantdedemander:–Laplusmochedespremières,c’estFern?–Ohnon,sehâtederépondreLisa.C’estSarahSinger,lafillebizarrequifaitlatronchesurle
banclà-bas,prèsdel’Îledestroisièmes.Abby baisse les yeux en hochant la tête lentement. Lisa, qui a dû s’apercevoir de son air
coupable,luitapoteledosenajoutant:–Écoute,Abby,net’enfaispas.IlsnecitentpaslenomdeFern.Jepariequedestasdegensne
saventmêmepasquevousêtessœurs!–Peut-être,admetAbbyenespérantqueLisaaitraison.N’empêchequelesprofs,eux, lesavent.Çaaété letruclepluspénibleàvivreenarrivantau
lycée:lesvoircomprendreauboutdequelquessemainesqu’elleétaitloind’avoirl’intelligencedesasœur.
Lisacontinue:–D’habitude,c’esttoujoursFernquiestmiseenavant.Ettuestoujourssupercontentepour
elle.Rappelle-toil’andernier,quandtum’asforcéeàassisteràsonconcoursdelecturedepoésielatine!Cetrucadurétroisheures!
–C’était hyper important.Fern a été choisie parmi tous les élèves du lycéepour réciter sonpoème,etelleamêmereçuuneboursepourça.
Lisalèvelesyeuxauciel.–D’accord,d’accord.Jen’aipasoublié.Maismaintenant,àtontourd’êtreunpeulastar.Abbyserrelebrasdesonamie.Bon,lecommentairesurlagénétiqueestunpeuvache,maisLisa
araison.Cen’estpascommesielle l’avaitditelle-même.EtellefélicitetoujoursFernpoursesrésultatsscolaires.Abbynes’estmêmepasplainteuneseulefoisdetouscesréveilsàl’aubeàcausedel’emploidutempsdesasœur,nid’avoirpassépresquetoutessesvacancesàfairelatournéedesuniversités.
Entoutcas,pastouthaut.Lisaaccélèrelepasenapprochantdugymnase.–Tiens,lavoilà,annonce-t-elleentapantlafeuilledel’index.Écritnoirsurblanc.
Abbydécouvresonnomenhautdelaliste.Sonnom!Lefaitdelevoirrendlasituationplusréelle.Abbyestdésignéeofficiellementcommelaplusjoliefilledetroisième.
Ellenesaitpascombiendetempsellerestelà,lesyeuxrivéssurlepanneaud’affichage.Lisafinitparluipincerlebras.
Abby s’arrache à sa contemplation. Fern est en train de traverser le hall d’entrée avec unedéterminationincroyable,lesbretellesdesonsacàdosbiencaléessurlesépaules,leboutdesestressesvoletantderrièreelle.
Si Fern sait qu’Abby est sur la liste, elle n’en laisse rien paraître. Elle passe devant sa sœurexactementcommetouslesjoursaulycée:sanslavoir.
Une fois que Fern a disparu au fond du couloir, Abby fait sauter les agrafes de la liste avecl’ongledesonpetitdoigtlaquédevernisrose,enprenantbiensoindenepasdéchirerlescoinsdelafeuille.
1-Aux États-Unis, l’équivalent du collège (middle school) s’achève le plus souvent à la fin de laquatrième;leshighschools,équivalentsdulycée,allantdelatroisièmeàlaterminale.(Touteslesnotessontdelatraductrice.)
CHAPITRE2
Depuisleboutdelarue,DanielleDeMarcoserendcomptequ’ellearatélebus.Toutesttropcalme,surtoutpourunlundi.
Pasd’autresbruitsquelessonscaractéristiquesdumatin:legazouillisdesoiseaux,leclicclicclic des portes de garage automatiques qui se relèvent, le roulement sourd des poubelles videsqu’onremontedansl’alléedujardin.
Ellevientdepartirdechezellesansmanger,enretardpourlescoursettotalementépuisée.Paslameilleuremanièredecommencerlasemaine.
MaisDaniellepensetoujoursquelasoiréed’hierenvalaitlapeine.
Elledormaitdepuisdeuxheuresquandsontéléphoneasonné.–Allô?a-t-ellerépondudansundemi-bâillement.–C’estpasvrai!Tudormais?Iln’estqueminuit.Danielle a vérifié que la porte de sa chambre était bien fermée. Ses parents n’auraient pas
appréciéqu’Andrewappellesitard.Ilsparlentencoredeluicommedeson«copainducampdevacances»,etcen’estpourtantpas fautede lesavoirrepris.Àcroireque«petitami»est tropdifficileàprononcer.C’estpeut-êtrelefaitqu’ilaitunandeplusqu’ellequileseffraie.Maispourquelqu’unqu’ilss’évertuentàvoircommeunsimplecamarade,ilsontétabliunnombreétonnantde règles sur quand, où et comment Danielle peut le voir ; règles auxquelles, bizarrement, sameilleureamieHopen’ajamaisétésoumise…
C’estcequiaétéleplusdurenrevenantducampdevacancesdulacClover,oùilsontpassél’ététouslesdeuxcommeanimateurs.Ilsontperdulalibertédesevoir,deseparlerquandilsenavaient envie. Fini, les nuits où Andrew se glissait furtivement dans le noir et grattait à lamoustiquairedelafenêtredesachambre.Fini,lessoiréesoùilsallaientenpédalojusqu’aumilieudulac,puisattendaientquelabriselesramèneàlajetée.
Toutcelaluisemblaitdéjàtrèsloin.Danielleaenfouilatêtesoussacouetteetprissoindenepasparlertropfort.–Extinctiondesfeux,lesenfants,a-t-elleblagué.Andrewasoupiré.–Désolé de t’avoir réveillée. Je suis bien trop speed pour dormir. J’ai accumulé des tonnes
d’adrénalinependantlematch.Pasmoyendem’endébarrasser.Dansl’après-midi,depuislestribunes,DanielleetHopel’avaientregardérépéterenboucleses
exercices d’échauffement derrière la ligne de touche, tandis que les autres joueurs lacéraient lapelousedeleurscrampons.Ilsautaitsurlapointedespieds,étiraitlesbrasoucouraitenlevantles
genoux pour ne pas se refroidir. Après chaque quart-temps, les doigts noués sur la grille deprotection de son casque blanc étincelant, Andrew jetait un coup d’œil plein d’espoir versl’entraîneurdel’équipedulycée.
Danielleavaiteudelapeinepourlui.C’étaitlequatrièmematchdelasaisonetiln’avaitpaseudroitàuneseuleminutedejeu.Qu’est-cequeçaauraitbienpufaireàl’entraîneurdedonnersachanceàunélèvedeseconde?LesAlpinistesdeMountWashingtonperdaientpartroisessaisàlami-temps.Etilsn’avaientpasencoregagnéunmatch.
–Bah…jetetrouvetrèsmignondanstonmaillot.Andrewari,maisd’unrireunpeusec;etDanielleacomprisqu’iln’avaitpasencoredigérésa
frustration.– Si c’était pour ne pas me faire jouer, ce n’était pas la peine de me sélectionner. Ne me
demandepasceque jepensede l’équipe junior, jeneveuxpasêtre salaud.Mais c’est vexantderester sur la touche,etd’assister lesbrascroisésauxracléesqu’onseprend,matchaprèsmatch.J’auraismieuxfaitdemangerdeschipsavecvousdanslestribunes.
–Allez,Andrew.C’estquandmêmeunechance.Jepariequ’ilyaunetonned’élèvesdesecondequirêveraientd’êtreàtaplace.
–Possible.Enattendant,Chuckajouépendanttouteladeuxièmemi-temps.Moi,jenesuispasassezbaraqué. Jedevrais faireplusd’haltères, ou essayer ces saletés deboissonsprotéinéesqu’ils’enfiletoutelajournée.Jesuistropmaigre.Etjedoisêtrelepluspetitdel’équipe.
–C’estfaux.Etfranchement,tuasenviederessembleràChuck?Êtrebaraqué,c’estunechose,maisiln’estpasdutoutenbonneconditionphysique.Tucoursdeuxfoisplusvitequelui.
Andrewdevaitsedouterqu’ellen’étaitpasfandesoncopain.Il luiavaitracontéunefoisqueChuckréservaittouteuneétagèreàsesflaconsd’eaudeCologne,etqu’ilnesortaitjamaisdechezlui sans s’en être aspergé. Il enmettaitmême pour aller soulever des haltères dans son garage.D’aprèsAndrew,Chucknesupportaitpasl’odeurdelatranspiration,àcommencerparlasienne.
Andrewaréfléchiuninstant.–Là-dessus, tun’aspas tort, a-t-il reconnu.Cemecmangen’importequoi. Ilnedoit jamais
s’approcherd’unlégume,àpartceuxquiseplanquentdansseshamburgers.Pasétonnantqu’ilnesoitpasfichudesetrouverunenana.
Çalesafaitriretouslesdeux.Danielle avait mis quelques semaines à percer le mode de fonctionnement de la bande de
copainsd’Andrew.Ilssontàfonddanslacompétition,surtoutChucketAndrew.Entreeux,toutestprétexteàrivalité:lesnotes,lesnouvellesbaskets,quiarriveralepremieràlafontaineàeau…Engénéral,çanedébordepasducadrehabitueldesrelationsentremecs.Maisdetempsentemps,Andrew réagit super mal à un « échec ». Danielle aussi a l’esprit de compétition ; elle peutcomprendre ces petites blessures d’amour-propre.Mais elle ne se pose jamais en rivale de sesamies.Etaumomentdessélectionspourl’équipedenatation,ellen’amêmepasvouluenvisagerl’hypothèseoùHopeetelleneseraientpasprisestouteslesdeux.
Celadit,ellen’estpaspeufièredesavoirque,pourcequiestdusuccèsauprèsdesfilles,elleacontribuéauprestiged’Andrew.
–Hé,devinecequej’aiapprisaujourd’hui,areprisAndrew.Mêmesijenejouepasdetoutelasaison,j’auraiquandmêmeunblousondel’équipe1.
–Tuvasêtretropsexy!C’étaituneremarqueunpeuidiote,maisDaniellesavaitqueçaflatteraitsonego.–Enfin,jen’ytienspasplusqueça.N’empêchequetuseraischouettededanscethiver.
–T’estropmignon,aditDanielleenrougissantdanslenoir.C’estvraiquece seraitcooldeporter leblousond’Andrew, le tempsqu’ellegagne le sienen
natation.–Tuveuxbienresterencoreunpeuautéléphoneavecmoi?luia-t-ildemandéàvoixbasse.Danielle a redressé son oreiller et ils ont allumé chacun leur télévision, comme si leurs
télécommandesétaientsynchronisées. Ilsontricanédevant lespublicitésbizarresquicolonisentleschaînesducâbleenfindesoirée.Despubspourdespulvérisateursdefauxcheveux;pourdesappareilsdegymnastiqueauxairsd’instrumentsdetorture;pourdescuresanti-acné;pour despilulesderégimeinspiréesd’antiquesrecetteschinoises…
Danielles’estendormieavecsonportablecolléàl’oreille,desimagesd’avantetaprèsutilisationdesproduitsmiraclescrépitantdanslenoir.Sabatterieestmortependantlanuit.Ainsiquesonalarmederéveil…
C’estdoncparamour,ouquelquechosequiyressemble,queDaniellearatésonbus.Prèsdel’arrêt, elle voit un cahier ouvert par terre, dont les feuilles sont agitées par la brise. Elle leramasse, le colle en visière au-dessus de ses yeux et distingue le bus scolaire à l’arrêt suivant, àenvirontroiscentsmètres.Ellenel’apasratédebeaucoup.
Ellearronditledosetfixelebus.Unesecondeplustard,ellecourt.Sanséchauffement,elleaunpeupeurdesefroisserunmuscle.Ceseraitvraiment idiotdese
blesser et de se voir privée de bassin, tout ça pour rattraper le bus.Mais au bout de quelquesfoulées,elletrouvesonrythme.Uneagréablesensationdechaleurenvahitsesbrasenactionetsesjambesquiavalentlebitume.
Lebuss’arrêteetlaisseunevoituresortird’ungarage.Daniellegagneduterrain.–Hé ! crie-t-elle quand elle est assez près pour distinguer les têtes des lycéens par la vitre
arrière.Hé!Mais ils sont trop occupés à parler pour la remarquer. Le bus repart dans un nuage de pot
d’échappementquiluipiquelesyeux.Ellesedéportesurladroitedemanièreàseplaceraucentredurétroviseuretcriepourcouvrir levrombissementdumoteur.Ellefrappedupoingcontre lavitredelaporteavant.
Lebuspile.Lespassagerslaregardent,choqués.Danielleécarteunemèchedecheveuxbrunsdesonvisagetandisquelaportes’ouvre.
–Tuauraisputefairetuer!aboieleconducteur.Danielles’excuse,lesoufflecourt.Puisellemontelesmarchesenbrandissantlecahierau-dessus
desatêtecommeuntrophée,attendantquequelqu’unleréclame.
Arrivéeau lycée,Danielle fourre sonblousondans soncasieret entraîneHopeà la cafétéria.Elle s’est réveillée trop tard pour prendre son petit-déjeuner, et ne tiendra jamais sansmangerjusqu’àmidi.Ellepassesanss’arrêterdevantlestanddeventedepetitspainsdel’associationdeslycéens,parcequelesglucideslafontsomnoleretqu’elleestdéjàassezfatiguéecommeça.Pourvuqu’ilresteautrechosequedeschipsoudesbarreschocolatéesdansledistributeur!Depuisqu’elleest dans l’équipe de natation de troisième, son corps, en manque perpétuel de carburant, luiréclamedeplusenplusdenourriture.Elledoitveilleràl’alimentercorrectement.
Ungarçonplusâgélesdépassealorsqu’ellesentrentdanslacafétéria.–Salut,DantheMan!lance-t-ilenluibalançantunetapedansledos.
–C’estàtoiqu’ilparlait?demandeHope.Danielle est trop surprise pour réagir. Elle essaie de voir la tête du mec, au cas où elle le
connaîtrait,maisiladéjàdisparu.–Heu…aucuneidée.Ellesarriventaudistributeur,dontlavitreestrecouvertedefeuilles.Daniellesupposequec’est
l’œuvred’unclubenquêtedemembres,jusqu’àcequ’elleprenneunefeuilleetlalise.«DantheMan»?Laplusmoche?Chaquemuscledesoncorpssepétrifiecommesousl’effetd’unecrampegéante.Être traitée demoche, c’est une chose. Cette insulte-là,Danielle l’a déjà entendue. Comme
beaucoupdefilles,non?Etbienqueçaneluifassepasplaisir,c’estunqualificatifqu’onemploiesansréfléchir,poursoi-mêmecommepourlesautres.Unmotsigalvaudéqu’ilenapresqueperdusonsens.
Presque.Mais « Dan theMan », c’est différent. Ça fait mal, même si Danielle sait qu’elle n’est pas
particulièrementféminine.Elleestmalàl’aiseenrobe,commesielleétaitdéguisée,qu’ellefaisaitsemblantd’êtrequelqu’und’autre.Ellenesemaquillequeleweek-end,etencore,ellemetjusteduglossetparfoisunpeudemascara.Ellenes’estjamaisfaitpercerlesoreillesparcequ’elleaunepeurbleuedespiqûres.
MaisDanielleatoutcequiestcensédistinguerglobalementunefilled’ungarçon:desseins,descheveuxlongs,unpetitami…
Hopedécrocheunefeuilleetprendunegrandeinspiration,commeavantunplongeon.–Oh,non,Danielle…Qu’est-cequec’estquecetruc?Son amie ne répond pas. Elle fixe son reflet sur la surface de la vitre qu’elles viennent de
dégager.Commeellen’apaseuletempsdesedouchercematin,elles’estfaitunchignon.Elleadesépisàlanaissancedescheveux.Celanedevraitpasl’étonner–elleretrouvedespetitesmèchesdanssonbonnetdebainaprèschaqueentraînement–etpourtantsi.Elletentedelissersesépisd’unemaindevenuemoite,maisilsseredressentaussitôt.Elleretiresonélastiqueetsecouelatête.Asséchésetternisparlechlore,sescheveuxnebougentpascommeilsdevraient,etluiévoquentsoudainuneperruquedemauvaisequalité.
En se détournant de son reflet, Danielle aperçoit d’autres feuilles scotchées sur les casiers àl’extérieurdelacafétéria.
–Hope,jecroisquecetrucestaffichédanstoutlelycée,lâche-t-elled’unevoixrauque.Sansajouterunmot, lesdeuxfillesquittentlacafétériaetpartentencourantchacunedeleur
côté,arrachanttoutesleslistesqu’ellestrouventsurleurpassage.Danielle est contente d’avoir quelque chose de concret à faire pour réagir, mais c’est son
deuxième sprint de la journée à jeun. Elle doit puiser de l’énergie tout au fond d’elle pourcontinueràposerunpieddevantl’autre.Auboutducouloir,ellebousculeAndrew,accompagnédequelquescopainsdel’équipedefootballaméricain.
DontChuck.–Ouais!C’estDan!lancecelui-ci,enprenantunegrossevoix.DantheMan!Lesautresladévisagentenriant.Ilsontvulaliste.DoncAndrewl’avueaussi.–Allez,Andrew!ditunautremembredelabandeenlepoussantversDanielle.Val’embrasser!
–Ouais!crieChuck.Vivelesgays!Andrewritpoliment.Maistandisqu’ils’approched’elleens’éloignantdesesamis,sonsourire
s’évanouit.Ill’entraînejusqu’àlacaged’escalier.–Çava?luidemande-t-ild’unairinquiet,sanséleverlavoix.–Pastropmal,comptetenudel’opérationdechangementdesexequej’aisubiecettenuit.Aucundesdeuxneritdecettetentativedésespéréededétendrel’atmosphère.Ellebranditune
piledefeuillesarrachées.–Qu’est-cequec’estqueça,Andrew?–Unetraditionstupidequialieutouslesansunpeuaprèslarentrée.Elleleregardefixement.–Pourquoitunem’aspasprévenue?Il passe ses mains dans ses cheveux éclaircis par le soleil, qui commencent à repousser plus
sombres.–Parcequejen’aijamaisimaginéquetuseraisdessus,Danielle.Cetteréponselaréconforteunpeu.Justeunpeu.–Tusaisquiaécritça?Sansavoirbeaucoupd’amis,apriori,Danielleneseconnaîtpasnonplusd’ennemis.Ellenevoit
pasquipourraitluienvouloiraupointdefairequelquechosed’aussidégueulasse.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilsurlafeuillequ’elletientàlamain,Andrewsecouevivementla
tête.– Non, je ne vois pas. Écoute, Danielle… ne te fatigue pas à courir dans les couloirs pour
arrachercetteliste.Elleestpartout.Toutlelycéeestaucourant.Tunepeuxrienyfaire.Daniellerepensealorsaugarçonquiluiatapédansledosàlacafétéria,àlachaleurdesamain
sur sa colonne vertébrale. Elle ne doit pas commettre d’impair. Elle ne doit pas se ridiculiserdavantage.
–Jesuisdésolée,dit-elle–etellel’est,pourdiversesraisons.Qu’est-cequejedoisfaire,d’aprèstoi?
Andrewluieffleurelebras.–Lesgens s’attendent à te voir accuser le coup. Ils vontépier ta réaction.Tout lemonde se
souvientencorede JenniferBriggisetde sonpétagedeplombsquandelle s’est retrouvéesur lalisteentroisième.Crois-moi,cegenrededérapage,çapeutmassacrertoutestesannéesdelycée.
Daniellesentsonventresenouer.–C’estdingue,cettehistoire.C’estcomplètementdingue.–C’estunbrasdefermental.C’estlamêmerèglequecellequ’onapprendauxgaminsencolo:
faiscommesitutemoquaisdecequelesautresdisentdetoi,etilsteficherontlapaix.Nedonneàpersonneleplaisirdevoirqueçat’atteint.Tunedoisrienmontrer.
Ilplantesesyeuxdanslessiens.–Prendslakillerattitude,OK?Daniellesemordla lèvreethochelatêteenrefoulantses larmes.Andrewadûleremarquer,
maisilaletactdenepaslemontrer.Àcroirequ’ilaprissakillerattitude,luiaussi.Danielle s’accordeune secondepour se ressaisiret ressortde lacaged’escalieraprèsAndrew,
quelquespasenretrait.Hope, au milieu du couloir, regarde autour d’elle d’un air paniqué. Elle se précipite vers
Danielledèsqu’ellelavoit.
–Dépêche-toi !J’aipiquétous lesexemplairesquiétaientdans l’entréeetdans lecouloirdessciences.Onvaallervoirducôtédugymnase.
ElleserreDanielletrèsfortcontreelleetluimurmure:–T’inquiètepas.Jejuresurmaviededécouvrirquiafaitçaetdeluifairepayer.–Laissetomber,Hope,ditDanielleenjetantsapiledefeuillesdansunepoubelle.–Quoi?Commentça?HopeseretourneversAndrew,quiarejointsescopains.–Qu’est-cequ’ilt’adit?–Net’inquiètepas,ilm’aditexactementcequ’ilfallaitdire.Etellelepensesincèrement.
1-Ils’agitdesteddysou«lettermenjackets»enanglais,généralementmarquésàl’initialedulycéeoudel’universitéetdistribuésparleséquipesàleursjoueursméritants.Cettepratiques’étendàdessportsvariés.
CHAPITRE3
C’estuneblagueouquoi?Cescinqmotssontsortisd’unblocsurunenoteaiguë,unpeuincertaine.CandaceKincaidest
visiblementperturbéeparlacopiedelalistescotchéesurlaportedesoncasier.Libérant une mèche de cheveux bruns collée à son épaisse couche de gloss pailleté, elle se
penchepourmieuxlireetfaitglisserunongleframboiselelongdelaliste,oùlesuperlatifde«laplusmoche»setrouvereliéàsonnomdansuneassociationimpossible.
Sesamies,intriguées,surgissentderrièreelle.Ellessonttoutesarrivéescematinimpatientesdedécouvrirlaliste.Danssonexcitation,Candaceaàpeinedormidelanuit.
–C’estlaliste!lanceunedesfilles.–Candaceestlaplusjoliedessecondes!anticipeunedeuxième.–Ouais,viveCandace!Ellesentdesbrasl’envelopper,desmainsluidonnerdestapesdansledosouluipresserl’épaule.
Maissesyeuxrestentrivéssurlafeuille.Çadevaitêtresonannée.Franchement,l’annéedernièreauraitdéjàdûêtresonannée,maisMoniqueJonesavaitétémannequinpourplusieursmagazinespourados,àcequ’elleprétendait,entoutcas.CandacenetrouvaitpasMoniquesi joliequeça.Elleétaitbientropmaigre,avecunetêtetropgrossepoursoncorpsetdespommettes…enfin,bizarres.Enplus,ellen’avaitquedesamisgarçons.Attitudedepétasseclassique.
CandaceasautédejoiequandlesJonesontdéménagé.Ellepincelecoindelafeuilleenaplatissantlegaufrageentresesdoigtsetl’arrached’uncoup
sec,laissantdeuxcentimètresderubanadhésifetunlambeaudepapiercolléssurlaportedesoncasier.
–Désoléedevousannoncerça,lesfilles…maisilsemblequejesoislaplusmochedessecondesdeMountWashington.
Etelleéclatederire,parceque,franchement,c’estabsurde.Sesamieséchangentdespetitscoupsd’œilgênés.–Lescoop,reprendCandace,principalementpourmettrefinausilencepesant,c’estqu’onestà
peu près sûrs que c’est LynetteWilcox qui a rédigé la liste de cette année. Voilà unmystèrerésolu!
Lynette Wilcox se sert d’un chien pour se déplacer dans les couloirs. Elle est aveugle denaissance,avecdesyeuxd’unblanclaiteux,toujourshumides.
Detouteévidence,Candaceavouluplaisanter.Personnenerit.Enfin,unedesfillessouffle:
–Wouah.Candacesevexe.«Wouah»,c’esttoutcequ’ellestrouventàdire?Elleretournelalistepour
découvrir les autres noms, à la recherche d’erreurs qui pourraient confirmer cette aberration.Pourtant,SarahSingerestbienlaplusmochedespremières.CandacecroitvaguementvoirquiestBridgetHoneycutt,mais la fille enquestionétant loind’être inoubliable, ellepeut se tromper.ToutlelycéetrouveMargoGablecanon,ilestonnepeutpluslogiquequ’elleaitéténomméelaplusjoliedesterminales.Etbiensûr,JenniferBriggiss’imposecommeterminalelaplusmoche.Touteautrequ’elleauraitétéunedéception.Quantauxtroisièmes,Candacenelesconnaîtpas,n’ayantpaslamoindreraisondes’intéresseràelles.
Ilyaunderniernomquineluiditrien.Curieusement,c’estsarivaledeseconde.Laplusjolieopposéeàlaplusmoche.
Candacedonneunechiquenaudeàlafeuille,quiproduitunbruitsec.–Quic’est,LaurenFinn?–Cellequiprenaitsescoursàdomicile.–Qui?demandeCandaceenplissantlenez.L’unedesesamieschuchote,aprèsuncoupd’œilnerveuxpar-dessussonépaulepours’assurer
quepersonnen’écoute:–CrindeCheval.Candacefaitlesyeuxronds.–LaurenFinn,c’estCrindeCheval?Elleainventécesurnomilyahuitjours,pendantquesaclassecouraitle1500mètresetquela
queue de cheval d’un blond… chevalin deCrin deCheval se balançait au rythme de son trot.Candace s’est fait un point d’honneur de hennir en la dépassant, parce qu’il n’y a rien de plusringardquedegarderlescheveuxaussilongs.Àmoinsdelesdégrader.MaisceuxdeLaurensontcoupés au cordeau au niveau de la taille. Sûrement par sa mère, avec une paire de ciseauxémoussés.
–Bah…moi,jelatrouvejolie,intervientunefilleenhaussantlesépaulescommepours’excuser.Unetroisièmehochelatête.–Bon,elleauraitbesoind’allerchezlecoiffeur,maissinon,c’estvraiqu’elleestjolie.Candacelâcheunsoupirpeiné.–Jenedispaslecontraire,marmonne-t-elle,bienqu’ellenesesoitjamaisposélaquestion.(Et
pourquoileferait-elle?EllesnesontpascenséesparlerdeLauren,maisd’elle,Candace.)Maismenommerlaplusmochedessecondes,çan’aaucunsens.
Son regard glisse de ses amies vers d’autres secondes qui passent dans le couloir. En un clind’œil,elleadéjàrepéréaumoinsdixfillesquiauraientpuêtrenommées.Desmoches,qui,elles,seraientqualifiéespourletitre.
–Franchement,quoi,cetrucesttotalementbidon!Candacetendunenouvellepercheàsesamies,bienqu’ellesesenteunpeupitoyablededevoir
insister:–Sioncommenceàmettrelesbellesdanslesmoches,çaficheenl’airlatradition!–Enfin,lalisteneditpasquetuesmochepourdevrai!préciseunedesfilles,charitable.–Ouais,renchérituneautre,lesplusmochessontvraimentmoches.Lalisteditjustequetul’es
àl’intérieur.Cen’estpasladéfenseunanimequ’espéraitCandace.Maisellehochelatête,laissantgermerla
remarquedanssatête.Aufond,sic’estcequecertainspensentd’elle,oùestleproblème?Entout
cas,cen’estpasl’avisdesesamies,ouellesneseraientpassesamies.Etêtrejolieàl’extérieur,c’estleprincipal.Puisquec’estcequetoutlemondevoit.
–Bon,intervienttimidementuneautrefille.Onnedevaitpasdiscuterdecequ’onfaitpourlecortègedesBraves?
C’esteneffetcequeCandaceamisauprogrammedelamatinée.LecortègedesBravesalieusamedi, juste avant lematch de football américain de la fête de la rentrée. Il s’agit d’un défiléinformeloùleslycéensdeMountWashingtontraversentlavilleenklaxonnantdansleursvoituresdécorées,histoiredemettrelesgensdansl’ambiancedumatch.C’estlapremièrefoisqueCandaceet ses amies sont en âge de conduire, quelques-unes, dont elle, ayant passé leur permis cet été.Candacea toutplanifiédanssoncahier : lechoixde lavoiture (ladécapotabledesamère, sanshésitation),ladécoration(serpentins,guirlandesdeboîtesdeconserve,mousseàrasersurlepare-brise), et les tenues des filles (shorts, chaussettes et sweat-shirts avec le sigle de MountWashington).MaisCandaceestquandmêmesidéréequesesamiesnesoientpaspluschoquéesquecela.
–Jenepeuxpasdirequejemesented’humeurfestivedansl’immédiat,déclare-t-elle.Onremetçaàdemain,d’accord?
Unedesfilleshausselesépaules.–Maisonn’aquejusqu’àsamedi.–Etonnepeutpasattendreladernièreminute,ajouteuneautre.Ondoittrouverunconcept.
Maintenantqu’onestenseconde,onnepeutplussecontenterde…d’improviser.Un«concept»?Franchement.Candace lève lesyeuxauciel.Puisenvoyant tout legroupe
hocherlatête,elleserendcomptequelesfillesparlerontducortègedesBravesqu’ellesoitlàounon.C’estunesensationtotalementdingue,encoreplusdinguequed’êtretraitéedefillelaplusmoche.
Changeantsonfusild’épaule,ellearrachesapaged’idéesdesoncahier.–Tenez,voilàcequej’aiprévu,dit-elleenlaleurtendant.Décidezquimonteavecmoi,parce
qu’iln’yaquecinqplacesdansladécapotabledemamère.(Ellefaituncompterapidedesfillesquisetiennentdevantelle.Ellessontdix.)Sixenseserrant.
Candace ouvre son casier et s’absorbe dans la contemplation des lamelles métalliques de laporte, tandisque lesautressedirigentvers leursalledecours.Sesyeuxglissent jusqu’aumiroirmagnétiquefixéàl’intérieurdelaporte.Quelquechosedanssonexpressionparaîtdéséquilibré.Illui faut quelques secondes d’examen attentif pour s’apercevoir qu’elle a oublié de semettre del’eye-lineràl’œilgauche.
Pourquoineluiont-ellesriendit?Après avoir fouillédans sa troussedemaquillage,Candace s’approche jusqu’à ceque sonnez
frôlelemiroir.Elleétiredoucementlecoinextérieurdesonœilverslehautettracelelongdesapaupièreunelignecrémeusedecrayonchocolat,unéchantillonquesamèreluiadonné.Quandellerelâchesapaupière,lapeaurebonditsouplementetelleclignedesyeuxdeuxoutroisfois.
Elleestimequesesyeuxsontsonmeilleuratout.Ilssontd’unbleutrèsclair,commecinqlitresd’eauglacéeteintésdetroispetitesgouttesdecolorant.Ilsluionttoujoursvaludescomplimentsquiendeviennentunpeuagaçantsparleurcôtéprévisible.Maisellesavouretoujoursl’attentionqu’onluiporte,parexemplelorsqu’unevendeuselèvelenezdesacaisseets’exclame:«Wouah!Vousavezdesyeuxincroyables!»Ou,encoremieux,quandc’estungarçon.Sesyeuxattirentpluslesregardsquesesseins,etcen’estpaspeudire.EllefaitquandmêmeunvraibonnetC,etsanscesrembourragesridiculesqui,franchement,d’aprèselle,nesontquedelapublicitémensongère.
Ellesesentlégèrementrassérénée.Listeoupas,CandaceKincaidestjolie.Ellelesait.Toutlemondelesait.
Etc’esttoutcequicompte.
CHAPITRE4
LaurenFinnestd’accordavecsamèresurlefaitquelaberlinesentencorel’odeurdesongrand-pèredécédé:unmélangedetabacpourpipe,devieuxjournauxetd’eaudeColognebonmarché.EllesfontletrajetdeMountWashingtonlesvitresbaissées.Laurencroiselesbrassurlaportièreet,lementonsurlesmains,selaisseréveillerparl’airfraisdudehors.
Leslundismatinssonttoujourslesplusdifficiles,parcequelesnuitsquiprécèdentsonttoujoursles pires.L’appréhensionde la semaine à venir lamet à cran aumoment où elle aurait le plusbesoin de se détendre. Les nerfs à vif, elle sent chaque bosse du matelas, entend chaquecraquement,chaquesoupirdelavieillemaison.
Sanouvellevieacommencéilyatroissemaines,ettoutluisembleinconfortable.Exactementcommeprévu.
Le vent soulève ses longs cheveux pâles comme une grosse vague blonde, à part la mèchemaintenueparunebarretteenargentterni.
Elle a trouvé la barrette hier soir, après s’être tournée et retournée une heure dans son lit,précisémentdanslachambreet le litqu’occupaitsamèrequandelleavaitquinzeans.Lapetitetigemétalliquedépassaitduborddelaplinthecommeuncloumalenfoncé,sesbrillantstroublesétincelantauclairdelune.
Laurenestsortiedanslecouloirenpyjama.Lachaudelumièredelalampedechevetdesamèrefiltraitparlaporteentrouverte.EllesavaienttouteslesdeuxdumalàdormirdepuisleurarrivéeàMountWashington.
Laurenapoussélaportedupied.Plusieurspairesdecollantscaramel,fraîchementlavéesdanslelavabo,séchaientsurlecadredulitenferforgé.Laurenarepenséauxmuesdeserpentqu’ontrouvaitdans lesablebrûlantdesdunesdel’Ouest,derrière leurancienappartement.Dansleuranciennevie.
MrsFinnalevélesyeuxdesongroslivredefiscalité.Laurenazigzaguéentrelescartonsetsautésurlelit.Elleaouvertlesmainscommeuncoquillage.
Samèreasecouélatêteensouriantd’unairunpeugêné.–J’avaissuppliétagrand-mèredemel’acheterpourlarentréedetroisième.Elleaprislabarretteentresesdoigtspourexaminercefossiledesajeunesse.–Tun’as peut-être encore jamais ressenti ça,Lauren,mais quelquefois, quandon a quelque
chosedeneuf,onarriveàseconvaincrequecetobjetalepouvoirdechangertoutcequ’onest.Sonsourires’estétiréjusqu’àmodifiertotalementsonexpression.Avecunsoupir,elleaajouté:–C’étaitbeaucoupdemanderàunebarrette,non?
Puisellel’aglisséedanslescheveuxdeLaurenencalantunemècheenformedevagueau-dessusdesonoreille,etelleasoulevésacouettepourluifaireuneplace.
Si Lauren n’avait jamais éprouvé la sensation décrite par sa mère, elle faisait d’autresdécouvertes,nettementplusdéconcertantes.CommeavecRandyCulpepper.
Dèslepremierjour,elleavaitremarquéqueRandy,assisàdeuxplacesd’elleencoursd’anglais,avaitunedrôled’odeur.«Boiséeetunpeurance»,avait-ellepensé,avantd’entendrediredansuncouloirqueRandyétaitunpetitdealerquifumaitsonjointtouslesmatinsdanssavoiture.
Le fait de connaître désormais l’odeur d’une substance illicite illustrait l’ampleur deschangementssurvenusdanssavie.Parpeurdebriserlecœurdesamère,ellegardaitcesecretpourelle,ainsiquebeaucoupd’autres.Ellene luiavouerait jamaisquesaviedanssonnouveau lycéeétaitaussidifficilequ’onleluiavaitprédit.
Voirepire.Unpeuplustard,alorsqueMrsFinnavaitfinid’étudieretéteintsalampe,Laurenestrestéeles
yeuxgrandsouvertsdanslenoir,àtournerdanssatêtelesparolesdesamère.Ellenevoulaitpaschanger.Malgrétouscesbouleversements,elleresteraitlamême.Avantdes’endormir,elleaportélamainàlabarrette.Sonancrage.
Laurentouchedenouveaulabarrettealorsquelaberlinesegarelelongdutrottoir.–Dequoiai-jel’air?luidemandesamère.D’unecomptablequ’onvoudraitembaucher?MrsFinnrèglelerétroviseuretinspectesonrefletenfronçantlessourcils.–Çafaituneéternitéque jen’aipaspasséunentretien.Ladernièrefois, tun’étaismêmepas
née.Personnenevavouloirm’engager.Lesgenspréfèrentlespetitesjeunes.Lauren décide de ne pas voir les taches de transpiration sous les aisselles du chemisier de sa
mère,nilepetittroudanssoncollantquirévèlelapâleurdesapeau.Sescheveuxsontencorepluspâlesquesonteint,commeceuxdeLauren,maisparsemésdegris.
–Rappelle-toicequ’ons’estdit,maman.Metslepaquetsurtonexpérience,plutôtquesurlefaitquetun’aspastravaillédepuislongtemps.
Hier,aprèssesdevoirs,ellel’afaits’entraînerpoursonentretien.Ellen’avaitjamaisvusamèreaussipeusûred’elle,aussimalàl’aise.Aufond,MrsFinnn’apasenviedecenouveautravail.Ellevoudraitjusteresterleprofesseurdesafille.
Cette situation attristeLauren.La vie a étédifficile ladernière annéedans l’Ouest.L’argentlaisséparsonpères’estépuiséetMrsFinnarognésurlespetitsvoyagesqu’elless’accordaientpourvoir autre chose que l’Académie de la cuisine. C’est ainsi qu’elles appelaient le coin du petit-déjeuner,quandilleurservaitdesalledeclasse,dehuitàseizeheures.Laurennesavaitmêmepasque samèrenepayaitplus le loyer.En finde compte, lamortde songrand-père et lamaisonreçueenhéritageontétéunmalpourunbien.
–Lauren,promets-moideparlerdelalistedelectureàtonprofd’anglais.Çameferaitmalaucœurquetupassesunanàt’ennuyerdanssoncoursparcequetuasdéjàluetétudiétousleslivresauprogramme.Situn’osespaslefaire…
Laurensecouelatête.–Jevaislefaire.Aujourd’hui.Promis.MrsFinnluitapotelajambe.–Ons’ensortbien,touteslesdeux,non?–Oui,absolument,répondLaurenmécaniquement.–Àtoutàl’heure.Pourvuqueletempspassevite.
Laurensepenchepourserrersamèredanssesbras.Ellel’espèreaussi.–Jet’aime,maman.Bonnechance!Laurensortdelavoitureetentredanslelycée,vaguelettefendantlamaréed’élèvesquidéferle
dansl’autresens.Sasalledeclasseestvide.Lesnéonsnesontpasencoreallumés,etlespiedsdeschaisesretournéesdessinentune forêtd’étoilesàquatrebranchesqui l’encerclent.Elleretourneunechaiseets’assoit.
Ellesesentterriblementseuleici.D’accord,quelquespersonnesluiontparlé.Desgarçonssurtout,aprèss’êtremisaudéfidelui
poserdesquestionsidiotessurlescoursàdomicile,commesiellefaisaitpartied’unesecte.Riendesurprenant;sescousinsétaienttoutaussiniais,balourdseténervants.
Les filles valent à peinemieux.Quelques-unes lui ont fait l’aumône de sourires ou de petitsrenseignementspolis, commesur l’endroitoù il faut ranger sonplateauaprès ledéjeuner.Maisaucunen’aeuungestequiressembledeprèsoudeloinàunetentativederapprochement.Aucunenesembleintéresséeparl’idéedelaconnaître,unefoisconfirmélefaitqu’elleestbiencettefillebizarreàquisamèredonnaitsescoursàlamaison.
Çanedevraitpasl’étonner.C’estcequ’onluiavaitannoncé.Lauren fait semblantde lire, lenezplongédansuncahierouvertdevantelle.En réalité, elle
regardeducoindel’œillesfillesquientrentparpetitesgrappesdanslaclasseetviennents’asseoirautourd’elle.ElleapiquéletrucàRandy,quisesertdecettetechniquepoursomnolersanssefairerepérer.
Ellenevoitpaslameneuse,lajoliefilleauxyeuxcommedesglaçons.C’estinhabituel.Lesfilleséchangentdesmurmuressurvoltés,étouffentdesgloussements,totalementabsorbées
parleurscommérages.Jusqu’àcequel’uned’ellesremarqueLauren.Celle-cibaisselesyeux,maispasassezvite.–Ohlàlà,Lauren,lebolquetuas!Est-cequetuterendscompte,aumoins?Le sourire de la fille s’élargit démesurément et elle se précipite versLauren avec des airs de
conspiratrice.Celle-cirelèvelatête:–Pardon?Lafilledéposecérémonieusementunefeuilledepapiersursoncahierouvert.–C’estunetraditiondeMountWashington.Tuaséténomméelaplusjoliefilledetroisième.Elleaparlélentement,commesiLaurenétaituneétrangèreouqu’elleavaitl’espritlent.Laurenlit lafeuille.Ellevoitsonnom.Maisellen’ycomprendrien.Uneautrefillevientlui
taperdansledos.–Sourisunpeu,Lauren,luimurmure-t-elle,commeonleferaitpoursignaleràquelqu’unque
sa braguette est ouverte ou qu’il a du persil entre les dents.Ou les gens vont croire que tu esbizarre.
Lauren était tellement sûre d’être cataloguée comme telle que cette remarque désinvolte lasurprendencoreplusquelereste.
CHAPITRE5
Sarah a décidé de lui annoncer de but en blanc, histoire d’éviter une scène. À bas lescirconvolutions,lesexplications.Çaneferaitquetoutcompliquer.Ellevajusteluidireuntrucdugenre:«Écoute,Milo,c’estfini.Notre…amitié,oucequetuveux,c’estfini.Alorsvas-y,faiscequetuasàfaire!Vistavie!Devienssuperpoteaveclecapitainedel’équipedefoot.Pelotelameneusedespom-pomgirls,mêmesitoutlemondesaitqueMargoGablemetdessoutiens-gorgerembourrés.Cen’estpasmoiquitejugerai.»
Cettedernièrephraseseraunmensonge.Pourlejuger,ellelejugera.Assise surunbanc, ellegrignote les coinsd’un fourré à la fraise, auquel l’odeurde tabacqui
imprègne ses doigts donne un petit goût acide. Elle se force à avaler sa bouchée et balance lefourrage–pourtantlapartiequ’ellepréfère–dansl’herbe.Toutcesucreneluiréussitpas.Lesécureuilsn’aurontqu’à lemanger ;elle,elleabesoindegarder soncalme.Elleglisseunemainsous l’amas de colliers enchevêtrés sur sa poitrine pour sentir son cœur. Il palpite comme uncolibri, si vite que les battements s’enchaînent pour former un vrombissement permanent etdésagréable.
Ellearrachel’enveloppedecellophaned’unnouveaupaquetdecigarettes,enallumeune.Unelégèrebriseemportelafumée,maisellesaitqueMiloendécèleral’odeursurelledèssonarrivée.Un vrai chien policier, capable de détecter tous ses vices.Hier soir, penchée à la fenêtre de lachambre de Milo pour fumer l’avant-avant-dernière cigarette de son vieux paquet, alors qu’ilvenaitdeluifaireunrécitcirconstanciéetdéprimantdel’agoniedesatantemorted’uncancerdupoumon,elleluiaditqu’elleallaitsérieusementenvisagerd’arrêter.Elleritrienqu’enyrepensantetsouffledespetitsnuagesdefuméeparlesnarines.Lerireetlafumées’évaporentdansl’airvifdumatin.
Hiersoir,elleaditbeaucoupdeconneries.Quant àMilo, il faut croire qu’il n’a pas attendu hier et qu’il ne dit que ça depuis qu’ils se
connaissent.Aucune importance.Qu’il continueà luiprendre la tête sur lacigarette.Qu’il luidonneune
raisonclaireetnettedes’énervercontrelui,çaferaitunpeuoubliersesangoissesàSarah.Elle voit deuxminettes de première venir vers elle en trottinant à petits pas.Elle a beau les
connaître,elletrouvequetoutescesfoutuesfillesdepremièreseressemblent.Ellesportenttouteslescheveuxmi-longsavecdesstupidesbottesenpeaudemouton,unepetitepochetteaccrochéeaupoignetcontenantleportable,leglossetl’argentdudéjeuner.Ellesluifontpenseràdeszèbres,portant toutes lesmêmesrayurespouréviterque lesprédateursne lesdistinguent.Lasurviedel’espèce,telestlecredodeMountWashington!
Les deux filles s’arrêtent devant son banc et se campent en face d’elle, épaule contre épaule,serrantchacuneunefeuilledepapierdansleursmains.Lapluspetites’agrippeàsonamieetémetun petit rire haut perché. L’autre se contente de respirer par saccades, comme si elle avait lehoquet.
PourSarah,c’enesttrop.–Hé!aboie-t-elle.Sivousallieztenirvotrepetitconseilailleurs,mesdames?Etduboutincandescentdesacigarette,elledésigneunpointauloin.Sademandeluiparaîtraisonnable.Lesfillesonttoutlelycéeàarpentersansêtredérangées.Et
personneicin’ignorequec’estsonbanc.Ellel’adécouvertentroisième.Ilétaittoujoursvide,parcequ’ilsetrouvaitpilesouslafenêtre
delaproviseur.Çanelagênaitpas.Ellerecherchaitlasolitude.Enfin,jusqu’àl’arrivéedeMiloIshiauprintempsdernier.Ilestapparuunmatin,àladérivesurletrottoir,unnouveaujetédansunflotdelycéensavec
quiiln’avaitrienencommun.Ilcroisaitlesbrassursapoitrine,dansuneposturedéfensivetoutàfaitadaptéeàunJaponais
végétarien fluet au crâne rasé. Le style de Milo n’était pas non plus celui de Sarah, mais enreprésentaitpeut-êtreune versionplus évoluée.Sesbasketsne se trouvaientqu’enEurope.Soncasqueaudioétaitunmodèledeluxe.Lamonturenoiredeseslunettesétaitd’uneépaisseurpeucommune et probablement vintage. Il avait même déjà son premier tatouage, un proverbebouddhiste gribouillé sur l’avant-bras. Au bout de quelques minutes d’observation, Sarah, leprenantenpitié,luialancé:
–Hé!Lenouveau!Miloestd’unetimiditépresquemaladive.Ildétesteprendrelaparoleencoursetfaitunecrise
d’urticairedèsquesesparentssedisputent.Çaaétéundéfidelefairesortirdesacoquille,maisquandelleyestenfinparvenue,Sarahaeulesentimentdedécouvrirunsemblable,aussimarginalqu’elle.Ellel’asouventsuppliédelatorturerenluiparlantdesonanciennevieàWestMetroetdel’ambiancedanssonlycéeartistique.MilodisaitqueWestMetroétaitunevillemoyenne.MaispourSarah,quiagrandiàMountWashington,ilauraitaussibienpuluiparlerdeNewYork.LelycéedeMiloorganisaitdessortiesaumusée,n’avaitpasd’équipedesport,etsonclubdethéâtreneservaitpasjusteàmettreenvaleurdesfillesrêvantdedeveniranimatricesradioavecdesvoixsucrées.
Maintenant,c’estsurlefameuxbancqu’ilsseretrouventtouslesjours,matinetsoir,qu’ilsfontleursdevoirsetpartagentleursoreillettespourécouterdeschansonstéléchargéesillégalement.Cebancestuneoasisoùdeuxadosrepliéssureux-mêmespeuventenfincommuniquer.
Sarahavouluygraverleursnomsavecuncouteaudelacafétéria,maiselleacassélalameauboutdutroisièmeessaiets’estaperçueque lebancétait faitdansunedecesnouvellesmatièresindestructibles. Depuis, elle a toujours un feutre noir dans son sac, pour repasser une couched’encresurleursinitialesdèsqu’ellescommencentàs’effacer.
AlorsquelebusdeMilos’arrête,Sarahglisseseslonguesmèchesdedevantderrièresesoreilles.Milo lui a rasé l’arrière du crâne il y a quelques semaines, après s’être occupédu sien,mais çarepoussevite.Cespetitscheveux-là,toutneufsetdrus,sontdouxcommedelafourruredechiot,d’unbrundoréquitrancheavecsesmèchesdedevantteintesennoircorbeau.Elleavaitpresqueoubliésacouleurnaturelle.
Unmangaouvertsouslesyeux,Milos’approche,toutenosetanglesaigus.Àchaquepas,sesgenouxcagneuxsortentdesoussontreillistailléenbermuda.Ilprétendporterdesshortspartous
les temps.Sarah luiditquec’estparcequ’iln’a jamaispasséunhiveràMountWashington.Lapremièrefoisqu’ilenfileraunjean,elleneleraterapas.
Sesurprenantàsourire,ellesehâtedefaireredescendrelescoinsdesabouche.–Yo,lance-t-ellequandilarriveaubanc,prêteàabattrelecouperet.Milo relève le nez de sonmanga.Un sourire lui fend le visage, si large qu’il lui dessine des
fossettes.–Tuasmismontee-shirt,remarque-t-il.Sarahbaisselesyeux.Ilaraison,cen’estpassontee-shirtnoir.Lesienadestachesblanchesà
causeduproduitdécolorant.Ellesedécoloretoujourslescheveuxavantdeselesteindre,pourquelanouvellecouleursoitlapluspureetlaplussaturéepossible.Sinon,sateintenaturelleremonte.
–Tupeuxlegarder,murmure-t-iltimidement.–Jen’enveuxpas,detontee-shirt,Milo.Siellelepouvait,ellesechangeraitmêmetoutdesuite.–J’aidûmetromperhiersoir,reprend-elle.Etcommejen’aipasfaitdelessive,jel’airemisce
matin.Elles’éclaircitlagorge.C’estpasvrai,ellecommencedéjààperdresesmoyens.–Écoute,conclut-elle,j’aimeraisbienrécupérerlemien.Tumelerapportesdemain?–Pasdeproblème.Il s’affalesur lebancàcôtéd’elleet sereplongedanssonmanga.Sur lapage,Sarahvoitune
lycéenneinnocenteauregarddebicheetenjupeplisséequiserecroquevilledeterreurfaceàunmonstreféroce.
«Jusque-là,pasdesurprise»,songe-t-elleendétournantlesyeux.Auboutdequelquesinstants,Milodéclaretoutàtrac:–Jetetrouvebizarre.Tun’avaispasditquetuseraisnormale?N’importequoi.Ellen’estpasdutoutbizarre.«Onvaessayerderesternaturels,d’accord?»,a-t-elleditlaveilledanslachambredeMilo,en
ressortantsanssonjeandupetitespacequiséparaitlacommodedumur.Elleavaitgardétoutlerestesurelle:sonsweatàcapuche,seschaussettes,sessous-vêtements.
–OK, a-t-il répondu avecdegrands yeux, couché surdes drapsMickeyMouse aux couleurspasséesqu’ildevaitavoirdepuistoujours.
–Onneparlepas,a-t-elleajoutéavantdeseglissersouslesdraps.Lerestedesesvêtementsn’apastardéàrejoindrelejean.Maispassescolliers.Sarahn’enlève
jamais ses colliers. Quand Milo s’est allongé sur elle, elle a senti les minuscules chaînonsmétalliquess’enfoncerdanssesclavicules.
Tendant lamain vers la table de chevet, elle amonté à fond le son de la chaîne stéréo ; ilsécoutaientl’undesmixqu’elleavaitréalisésaudébutdeleurrencontre.Lesvibrationsontsecouélesobjetsentasséssurlacommodeetfaittremblerlesvitres.Maismêmeavecdelamusiquepleinla tête, elle entendait toujours la respiration de Milo, brûlante et rapide à son oreille. Et, àintervallesréguliers,ungémissement.Unlégersoupir.Desaproprebouche.
Le souvenir de sa voix lui emplit la tête comme un écho, encore et encore, comme pour lanarguer.
EllesedétournedeMilo.–Jenesuispasbizarre.Jen’aijustepasenviedeparlerd’hier.Jeneveuxmêmepasypenser.–Oh,faitMilod’untonmaussade.OK.Sarahrefusedeculpabiliser.Toutestdesafauteàlui.
ElletiresursacigaretteetsoufflelafuméesurlesacdecoursdeMilo.Ellesaitquesoncahierdecroquissetrouvededans.Ilsuffiraitqu’ellelesorte,qu’ellel’ouvreàlabonnepageetqu’elleluidemandedirect:«Pourquoitunemel’asjamaisdit?»
C’estcequ’elles’apprêteàfairequandelleseretrouvesoudaindébordéeparungroupedefilles.Dedeux,ellessontpasséesàquatreàrôderprèsdubanc.Elleshurlentderire,sanssedouterunesecondequ’unerelationestsurlepointd’implosersousleursyeux.
Sarahressentunemorsureauboutdesdoigts.Sacigarettes’estconsuméejusqu’aufiltre.D’unepichenette,ellebalancelemégotincandescentverslegroupe.Ilrebonditsurlesweat-shirtd’unedesfilles.
–Sarah,faitMiloenposantunemainsursonbras.–Tuauraispumebrûler!couinelafilleatteinte.Etelles’inspectefrénétiquementàlarecherched’unetracedebrûlure.– Je vous ai demandé gentiment d’aller voir ailleurs, leur rappelle Sarah. Et je ne suis pas
d’humeuràêtregentilleaujourd’hui.Unevagued’indignationagitelegroupe,quisedandined’unpiedsurl’autre.–Désolée,Sarah,répliquel’uned’ellesensecouantsafeuilledepapier.Maisc’estvraimenttrop
drôle.–C’estsouventlecasdesprivatejokes,répliqueSarah.Drôlespourceuxquisontdanslecoup
etsupergonflantespourlerestedelaplanète.Miloritdesarépartie.Çaamélioresonhumeurd’uncran.Aprèsunéchangederegardsentendusaveclerestedugroupe,uneautrefilles’approche:–Ehbentiens.Commeça,tupourrasrigoleravecnous.Sarahcomprenddequoi il s’agitdèsque la feuille atterrit sur sesgenoux.Cette foutue liste.
Tous les ans, ça lui donne envie de vomir, cette façon qu’ont les filles de se jauger comme dubétail,d’enmettrecertainessurunpiédestaletd’enpiétinerd’autres.C’estpathétique.C’esttriste.C’est…
Sonnom?«Àcroirequ’ellefaittoutpourêtremoche!»Sarahrelèvelatête.Lesquatrefillesontdisparu.Elleal’impressionqu’onvientdelafrapper
sous laceinturesans lui laisserunechancederiposter,et lasurprise faitencoreplusmalque lecoup.
–Qu’est-cequec’est?demandeMiloenprenantlafeuille.Ilestarrivéencoursd’année;iln’estpasaucourantdecettetraditionpourrie.Sarahaunhaut-
le-cœurenleregardantlire.Elles’apprêteàluiexpliquer,maisseraviseetsemetàserongerlesonglesensilence.Paslapeine.Toutestditlà,surcettefeuilledepapierdébile.
Milopinceleslèvres.–Quisontlesmecsassezconspourfaireuntrucpareil?–Lesmecs?Ha !C’estunpetitclansecretdepétassesnuisibles.Ça tombetous lesans,une
sorted’introductionsadiqueaubaldelarentrée.Jepeuxtedirequej’aihâtedemebarrerdecetrou.
Cenesontpaslesraisonsquiluimanquent.MiloglisseunemaintièdedanslapochearrièredujeandeSarahetprendsonbriquet.Aubout
dequelquesessais,uneflammes’élèveensifflant.Illapositionneaubasdelafeuille.Çafaitdubiendevoirlalisteseconsumer.MaisSarahsaitqu’ilyadesexemplairesauxquatre
coinsdulycée.Ilsvonttousladévisagerenespérantliresursonvisagelagêne,l’humiliation.La
dure à cuire enfin à terre, forcéed’admettrequ’ellen’est pas si indifférente à cequ’ils pensent.Quandlepapiertombeenpetitslambeauxdecendreincandescente,ellelesécrasesoussasemelle.
«Quelleconnejefais»,pense-t-elle.Commenta-t-ellepus’imaginerqu’ellepouvaitvivresavieeteuxlaleur,quelesdeuxcampspouvaientmalgrétoutcoexisterdansunfragileécosystème?Çacommencechaquematindanslebus.Elles’affalesurunsiègeàl’avant,metsacapuche,fourreses écouteurs dans ses oreilles et se rendort, la tête contre la vitre.Ça lui évite de les entendrebalancerdeshorreurs lesunessur lesautres,avantd’échangerdes sermentsd’amitiééternelle lelendemain.
Ce côté bidon, c’est ce qui l’écœure le plus chez ces nanas. Leurs mascarades d’amour etd’amitiésonnentaussifauxquelescomédiesmusicalesdefind’année.Maisellesjouentlejeu,enfaisant semblant de croire que leurs petits colliers à breloques « Amis pour la vie » brilleronttoujoursautantdansvingtans.
D’autresfillessonttombéesendisgrâce,commeelleencinquième.MaisSarahestlaseulequin’aitjamaisrienfaitpourseréintégrer,etellesaitqu’onneleluiapaspardonné.
La nature fournit des armes à ceux qui n’en ont pas. Les animaux portent des taches et descouleurs vives pour signaler qu’ils sont dangereux ou venimeux. Sarah Singer, elle aussi, s’estdonnébeaucoupdemalpourqu’ilsnepuissentpaspenserqu’elleaimeraitleurressembler.
Ce qui la rend dingue, c’est qu’elle aurait pu essayer. Elle aurait pu décider de faire sonshoppingdansleursboutiquesdenulles,acheterleursbotteshorriblesetleurspochettesdébiles,sautillersurleurmusiquepourrie.
Maissielleslatrouventmochesimplementparcequ’elleestdifférente,çaluiva.Finalement,missionaccomplie!–Laissetomber, luiditMilo.Cespseudo-jolies fillessonttotalementàcôtéde laplaque.Ce
sontelles,lesmoches.Elleletoise.S’illuiavaitditçahier,avantqu’ellenedécouvrelavéritésurlui,elleauraitpule
croire;elleseseraitsentiemieux.Maisc’étaithier.Aujourd’hui,elleacompris.Cequ’ilyapuavoirentreeuxn’existeplus.Impossible.Ellenepeutplusseleurrersurcequ’ilest.
N’empêchequedans l’immédiat,elleestcontentequ’il soit là.Pour l’instant.Parcequ’elleabesoindesonaide.
Elleramassesonsac,leposesursesgenouxetsortsonfeutrenoirdelapocheavant.–Rends-moiunservice.Écris«moche»surmonfrontaussigrosquetupourras.Miloaunmouvementderecul.–Pourquoitumedemandesça?Etpourquoijeleferais?Sarahcherchesesmots,etsedécidepour:–Fais-le!Ilrepousselefeutre.–Sarah,onacouchéensemblehier.Iladitçad’untonsupersérieux.Insupportable.–Milo !Ce n’est pas lemoment dem’énerver. Je le ferais bienmoi-même,mais j’écrirais à
l’envers.S’ilteplaît.Avecungrognement,ilsemetàgenouxsurlebancetécartelescheveuxdufrontdeSarah.Lefeutreaccrochesursapeau.Pendantqu’ilécrit,ellelèvelesyeuxverslestoilettesdupremier
étage,oùdesfilleslaregardentparlafenêtre.Commeellessavaientoùlatrouver,ellesontvouluvoirsielleétaitdéjàaucourant.Sarahlessalueenlevantlemajeur.
–Leplusgrosquetupeux,ordonne-t-elleàMilo.
L’odeurdel’encreluidonneletournis.Àmoinsquecenesoitl’idéedecequivasuivre.Milorebouchelefeutreavecunpetitbruitdeclapdecinéma.Lespectaclevacommencer.
–Pourinfo,jesuistotalementcontre,luichuchote-t-iltandisqu’ilsentrentdanslebâtiment.–Ehbien,riennet’obligeàm’accompagner,riposteSarah.Sérieux.Laissetomber.Elleluidonneunechancedes’enaller,des’ensortiràboncompte.Miloouvrelabouche,lareferme.–Jeviens,déclare-t-il.Jet’accompagnetouslesjoursjusqu’ensalledecours.SesyeuxremontentverslefrontdeSarahetlescoinsdesabouches’affaissent.Elle sent sa gorge se serrer. Bon Dieu, elle n’est pas en état de s’occuper du dossier Milo
maintenant.Alors elle accélère.La vitesse dégage ses cheveux de son front et rend lemot bienvisible.Etlefaitestquetoutlemondelevoit.
Maisseulementl’espaced’uneseconde.Cardèsqu’ilsserendentcomptedecequ’elles’estfait,ilscherchentviteunautreendroitoùposerlesyeux.Leurschaussures,leurscopains,leursdevoirs.Toutplutôtqu’elle.
Lalisteatoutpouvoir,sonjugementestabsolu,maispersonnen’estprêtàl’affronterinscritaufeutrenoirsurunfront.
Bandededégonflés.Ceconstatn’aidepasbeaucoupSarah.Nonseulementilslatrouventmoche,maisilfaudraiten
plusqu’ellesoitinvisible.
CHAPITRE6
Àmi-chemindulycée,LisacommenceàsupplierBridgetdeluiprêtersonrougeàlèvres.–Laissetomber,Lisa.Jen’aipaseuledroitd’enmettreavantd’êtreenseconde.–Allez,s’ilteplaît!S’ilteplaît!Mamannelesaurapas.BridgetHoneycuttporteunemaintremblanteàsonfront.–C’estbon,commetuvoudras.Évitejustedecrier,d’accord?J’aisupermalaucrâne.–Sûrementparcequetun’asrienmangé,répondLisa.Elletendlebrasverslabanquettearrièrepourprendrelatroussedesasœuretfouillededans
jusqu’àensortirunfintubenoir.Ducoindel’œil,Bridgetlaregardesepeindrelaboucheenrosepêche,pincerleslèvresetlui
envoyerunbaiser.Ceroserendl’appareildentairedesasœurencoreplusétincelant,maisBridgets’abstientdele
luisignaler.Elleditsimplement:–C’estjoli.Lisasetouchelescommissuresdeslèvres.–Quandj’auraitonâge,j’enmettraiunrougetouslesjours.–Lerougen’irapasavectonteint.Tuestroppâle.Lisasecouelatête.–Lerouge,çavaàtoutlemonde.IlsledisentdansVogue.Ilfautjustetrouverlebon.Pourles
brunesauteintpâle,c’estleceriseprofond.–Depuis quand tu lisVogue ? se demandeBridget à voix haute, en pensant aux reliures des
romanséquestresquidessinentunbelarc-en-cieldanslabibliothèquedeLisa.–AvecAbby,onaachetélenumérodeseptembreetonl’aluenentiersurlaplage.Onvoulait
êtreprêtespourlelycée.–Tum’inquiètes.–T’enfaispas.Àpartletrucdurougeàlèvres,onn’apasapprisgrand-chose.Çanousaquand
même donné des idées pour nos robes de bal. Abby sera contente que tu aimes celle qu’elle achoisie.Unevraierobedetapisrouge!
Lisafaitlamoue:–Pourvuquej’entrouveunesympa.Bridgetessuieunetachederougeàlèvressurlementondesasœur.–Jet’aiditquejet’emmèneraifairedushopping.Ontrouvera.–Tucroisquemamanvamelaissermemaquillerpourlebal?Jemedisquesijeréussismon
contrôledebiologie, jepourrais luimontrermanoteet luidemanderaprès.C’estpasunsuper
plan?–Peut-être…saufsielles’attenddéjààcequetuaiesunebonnenote.–Sinon,jepeuxmemaquillerenarrivantsurplace.Ilfaudrajustequepersonnenemeprenne
enphotoaudébutdubal.TandisqueBridgetsegaresurleparking,Lisaposelerougeàlèvressurletableaudebordet
ramassesesaffaires.–Àplus!Sasœurlaregardefoncerdanslacourenslalomantdansleflothumain,sonsacdecoursbourré
àcraquerbattantcontresesjambes,ledoscoupéendeuxparlalonguelignedesaqueuedecheval.Lisagranditàtouteallure,maiselleaencoretoutelacandeurd’unepetitefille.
CettepenséeredonneespoiràBridget.Çaluilaisseunechancederedevenircellequ’elleétaitavantl’été.
Elleéteintlemoteuretresteassiseunmomentdanslavoiturepourseressaisir.Ellen’entendque le bruit de sa respiration, profonde, mesurée. Et la voix dans sa tête qui lui lance desinstructionsdontl’échorésonnedanssonventrecreux.
Tudoismangerquelquechosecematin.Mangequelquechose,Bridget.Mange.Touslesjours,c’estlamêmechose.Àchaquerepas,àchaquebouchéequ’elleseforceàmâcher
ausondecemantramonotone,decetencouragementmentalquiluiestdevenunécessairepouraccomplirunetâcheàlaportéeden’importequi.
Bridgetreprendsonrougeàlèvresetfaitglisserundoigtsurlacouchedepoussièredutableaudebord.Elle voudrait se sentir fièrede ses effortsdesderniers temps.Fièred’arriver àmangerplus.Orellevitcesvictoiresaussimal,sicen’estplusmal,queseséchecs.
Unede ses copines la salue en cognant à sa vitre.Elle relève la tête et se force à sourire.Lacopines’ylaisseprendre.Commetoutlemonde.
C’esteffrayant,lavitesseàlaquelletoutadérapé.Bridgetypensesouvent.Lachronologiedesavieasuiviunetrajectoirelisseetrectilignependantpresquedix-septans.Jusqu’àcequesurviennel’accroc.
Etaussidinguequecelaparaisse,ellesaitàquoilaraccrocher:àunehistoiredebikini.
TouslesétésdelaviedeBridgetcommencentetfinissentdelamêmemanière:parunevisiteaucentrecommercialdiscountdeCrestmount.Ilsetrouveàmi-cheminentreMountWashingtonet la villa en bord de mer où les Honeycutt passent toutes leurs vacances. Ils s’arrêtent àCrestmountpourdéjeuner,prendredel’essenceetacheterquelquesvêtements.Enjuin1,BridgetetLisafontlepleind’articlesd’été.Auretour,ellestraquentlesbonnesaffairesparmilesgiletsetlesjupesdedemi-saison.
Audébutdesvacances,Bridgetavaitachetédestee-shirts,desshorts,unejupeenjeanetdeuxpairesdetongs.Ilneluimanquaitplusqu’unmaillotdebain.
L’armaturedesonbikinide l’anpasséétaitcassée,et lehautdeceluide l’annéed’avant troppetit.Ellel’avaitdonnéàLisa.Enleverl’étiquetted’unbikinitoutneuf,c’étaitcommecouperleruband’inaugurationd’unmagasinoud’unchantier.C’étaitleGrandJourd’Ouverturedel’Été.
BridgetafaitlesboutiquesdeCrestmountuneàune,biendécidéeàtrouversonmaillot.–Bridge,ilfautqu’onyaillesionveutyêtrepourl’heuredudîner,finiparluidiresamèreen
soupirant,quelquespasderrièreelle,toutenessuyantsalèvreensueursuruneservietteenpapier.
Lisa et ton père sont déjà remontés en voiture, ils doivent crever de chaud. Tu trouveras unmaillotdemainsurladigue.
MaisBridgetn’allaitpasselaisseravoir.Lesboutiquesdeladiguenevendaientquedestrianglesfluo qu’on aurait crus sortis du magazine Playboy, ou des une-pièce à fleurs mal coupés pourmamies.
C’étaitmaintenantoujamais.Plusieursnouvelles boutiques avaient ouvert au centre commercial depuis la dernière fois, et
Bridgetenarepéréune.C’étaituneboutiquedesurf,aveccomptoirenformedeplanchesdesurf,rideauxdeperlessurlesportesdescabinesd’essayageetunfondsonoredechansonsaciduléesquifaisaitvibrerlavitrine.IlyavaituneboutiquedelamêmechaîneàMountWashington,maisilsnesoldaientjamais.Àpeineentrée,sonœilesttombésurunbikinienvichyorangesorbetavecunebordureendentelleajouréeblanche.C’étaitledernier,ilétaitàsatailleetsoldéà50%.Elles’estprécipitéedanslacabine,tandisquesamèreluirappelaitdegardersessous-vêtementspournepasattraperdemaladies.
Bridget a froncé les sourcils en enfilant le bas, bizarrement serré. L’élastique lui sciait lesjambes.C’étaitpeut-êtreàcausedessous-vêtements?Elleaenlevésaculotteetremislebas,maisça n’allait pasmieux. Son ventre formait une bouée au-dessus des liens sur les hanches.C’étaitpareil pour le haut. Les bretelles lui cisaillaient les épaules, et quand elle a réussi à attraperl’attachepourtestersonélasticité,ellel’asentierebondirdanslegrasdesondos.
Bridget n’avait jamais considéré qu’elle avait un problème de poids.Mais son reflet dans lacabine d’essayage l’a perturbée. Elle a paniqué en repensant à la fête de fin d’année organiséeautourdelapiscined’uneamie,oùelleavaitpassélajournéedanssonvieuxbikini,sansmêmeuntee-shirtau-dessus,sanssedouteruneminutequ’elleétaitaussihorrible.
Elleavérifiél’étiquetteenespérantqu’elleavaitmallulataille.Maisnon.C’étaitlamêmequelesautresvêtementsqu’elleavaitachetés.Sataille.
Jesuisdansuncentrecommercialdiscount.C’estpourçaquelesvêtementssontmoinschers.Parcequ’ilyadesirrégularités.Desimperfections.Desdéfauts.Maiselleavaitbeaulesavoir,ellen’apasréussiàseraccrocheràcetteidée.Elleluiaglisséentre
lesdoigtsalorsmêmequ’elleserhabillaitetremettaittristementlemaillotsursoncintre.C’étaitunchouettemaillot.Tropmignon.Ouill’auraitétésielleavaitpeséquelqueskilosdemoins.
Bridget est sortie de la cabine en se lissant les cheveux.MrsHoneycutt prenait sonmal enpatienceenbavardantaveclavendeuse.Elleavaitdéjàsortisacartedecrédit.Sonpantalonenlinbleumarineformaitunrenflementàlataille,soussonhautblancsansmanches;sesbrasétaientboursouflésetfendilléscommedeshot-dogslaisséstroplongtempssurlegril.Samèreneportaitjamaisdeshort.Ellenesebaignaitjamais.Ellerestaitàl’abridelachaleurdansl’airconditionné,avecsespantalonslarges.
L’unedesestantesdisaitqueBridgetétaitleportraitcrachédesamèreàl’adolescence.Enlaregardant,Bridgets’estrenducomptequ’ellen’avaitpasunseulsouvenird’ellemince.
Elle a posé le bikini sur le comptoir et détourné les yeux des deux femmes et du maillot,pendantquesamèrepayait.
En retournant à la voiture, Bridget s’est efforcée de rationaliser sa décision.Tout lemondefaisaitça,acheterdesvêtementsunpeujustesenespérantsedonnerunemotivationpourperdre
dupoids.Unesortederécompensepourbonneconduite.C’estainsiquelebikiniestdevenuuntest,qu’ellecomptaitbienréussird’icilafindel’été.
Et comme ça, d’un coup, une nouvelle zone de son cerveau s’est activée, lui donnant uneconscience aiguë de ses mauvaises habitudes. Désormais, une sonnette d’alarme se déclenchaitquandLisaouvraitunpaquetdechipsdevantlatélé,ouquandelles’approchaitdetropprèsdel’assiettedecaramelsquesamèregardait toujourspleineà la cuisine.Soncerveauacontinuéàévoluerainsiaufildessemaines : il trompaitsesenviesdecrèmeglacéepardesdéfisdejoggingjusqu’àlanouvelledigue,inventaitdesexcusespourrefuserlesdélicieuxsandwichsauthondesonpère, jusqu’à ce que ces refus s’étendentnon seulement à tout ce qu’elle avalait,mais à tout cequ’elleenvisageaitmêmedemanger.Sonespritaeffacétoutsouvenirqu’elleaitpuêtrejoliepourenfaireunobjectif,qu’elleauraitpeut-êtrelachanced’atteindreunjour,àforcedepersévérance.
Lejourdelafêtenationaledu4Juillet,elleavaitremportésondéfihautlamain.Mais même maintenant que son beau bikini lui allait, Bridget le portait rarement. Elle ne
quittaitpresqueplussesjeans.Àlafindel’été,elleflottaittellementdedansqu’ellepouvaitglisserunpoingentresatailleetlaceinturedesespantalons.
EnrepassantaucentrecommercialdeCrestmountauretour,elleenaprofitépourserefaireunegarde-robedeuxtaillesendessous.Maisdansuncoindesatête,Bridgetsavaitquecen’étaitpassain.Aumoins,cettezone-làdesoncerveaufonctionnaittoujoursbien.Ilrestaitdel’espoir.
Bridgetal’estomacquigargouille.Endescendantdesavoiture,elletiresursonpullirlandaisenespérantcacherlabandedepeau
nue visible au-dessus de son jean. Depuis un mois, l’espace entre son ventre et sa ceinture adiminué.Ouplutôt,Bridgetl’arempli.Cen’estpluslepoing,maisseulementtroisdoigtsqu’ellepeutyglisser.
Tun’allaispasbien.Tuavaisunproblème,ettuasreprislecontrôledelasituation.Alorsqu’elleentredanslelycée,sescheveuxluifouettentlevisageetl’odeurdenoixdecocode
sonshampooingluiagresselesnarines.Uneodeurtropriche,tropsucrée.Sonestomacsesoulève.Despiècesdemonnaietintentdanssapoche.Elleaprévudes’acheterunpetitpainaufromageblanc,aprèsavoirjetélescéréalesqueLisaluiavaitpréparées.Elleauraitmieuxfaitdelesmanger.D’autantqu’elles’estcontentéedepicoreraudînerlaveilleausoir.
Prouvequetoutvabien,Bridget.Mangeunpetitpainaufromageblanc.Manges-enunenentieravantledébutdescours!Tous les lundis, l’associationdes lycéenscommencesaréunionparunénormebuffetpresque
devantlecasierdeBridget.Ilyad’énormessacsenpapierremplisdepetitspains,dubeurre,despotsdefromageblancformatfamilial.
Bridgetavanceprudemment,enrespirantavecprécaution.Lesodeurslasubmergent.L’odeuracidedupainlevé.L’odeurâcredel’ailbrûlé.Lapuanteurdouceâtredesraisinssecsdanslepain.Sonestomacproteste,maiscen’estpasdefaim.
Nefaispasl’imbécile,Bridget.ElleestleDocteurJekylletMrHyde,deuxfacesd’unemêmepersonneenconflitpermanent.
Elleenaassezdesebattre,decettelutteconstanteentreunbienetunmal,oùlebienressembleaumaletoùlemalluifaitdubien.
–Bridget!
L’une de ses amies contourne la table aux petits pains, les doigts luisants de beurre.Elle luiadresse un large sourire qui découvre ses dents, entre lesquelles quelques graines de pavot sontrestéescoincées.
–Tuasvulaliste?Tueslaplusjoliedespremières!Bridgetrestebouchebée.Lasimpleodeurdespetitspainssuffitàl’écœurercommesielles’en
étaitdéjàgavée.Etdansunéclair,laculpabilité,ladéprime,latristessequiluipesaients’envolent,remplacéesparunesensationdedoucechaleur.
Elle,BridgetHoneycutt,surlaliste?Impossible.Quelqu’und’autreluientendunecopie.Bridgetlitàhautevoix:–«Quelledifférencepeutfaireunété!»Ellerelèvelesyeuxetrougit.Tusaispourquoi.Tusaiscequiachangé.–Tiens!luilancel’unedesfilles.Jet’offreunpetitpainpourfêterça!Elleencoupeunendeuxetfaitjaillirdesgrainesetdesmiettestoutautourdelalame.Unefois
latabledébarrassée,ilresteradesmiettespartoutdanslecouloir.Bridgetlessentiracrissersoussessemellesenserendantencours.Grossescommedesgraviers.Commedesrochers.
–Beurreoufromageblanc?–Nil’unnil’autre,répondBridget.Elleécarteunemèchedecheveux.Sonfrontestmoite.–Heu…bon.Entoutcas,félicitations!–Merci,ditBridgetàmi-voixenprenantlepetitpain.C’estfoucommeilpèselourd.Elle entre dans sa salle, encore tremblante, sous le choc qu’elle vient d’éprouver. Pas une
secondeellen’auraitrêvéquecelapuisseluiarriver.C’estvraiqu’àlarentrée,elleaétéétonnéeparlenombredecomplimentsqu’elleareçus.Surlefaitqu’elleavaitl’airensuperforme,qu’elleavait minci ! Et voilà qu’elle est sur la liste. La plus jolie première du lycée. C’est bien laconfirmationqu’avant,quelquechoseclochaitdanssonphysique.Qu’elleavaitbesoindemaigrir.
C’estterriblementdéroutant.Mange.Après avoir posé son sac, elle se dirige vers la corbeille, les doigts serrés sur la pâte encore
chaudedupetit pain.Arrachantdesmorceauxdemie, elle les jetteun àun, commedespiècesqu’onlancedansunefontaineenfaisantunvœu, jusqu’àcequ’ilnerestequelacroûte.Qu’elles’apprêteàjeteraussi.
Enrelevantlatête,ellevoitLisapasserencourantdanslecouloiravecAbbyWarner.Lisaluiadresseunsourireradieux,toutefièredesagrandesœur.Lerougeàlèvresqu’elles’estmisdanslavoitureapresquedisparu.Ilseremarqueàpeine.
Bridgetestprised’unvertige.Mêmesiellesesentaitbienilyaencorequelquessecondes,ellen’estpasidiote.Ellesaitqu’aufond,elleestsurlamauvaisepente.Maiselledétestelapetitevoixraisonnablequiluivolecemomentdesatisfaction.Defierté.
Mange,Bridget.Rienquecinqbouchées.Despetites,situveux.Elleenavaledeux.
Ellen’apaslesentimentd’avoirquoiquecesoitàfêter.
1-Lesvacancesd’étéauxÉtats-Uniscommencentsouventdèsledébutdumoisdejuin.
CHAPITRE7
JenniferBriggissefrayeunchemindanslacohuematinaledescouloirs,lenezbaissé,comptantsilencieusementlesdouzedallesdelinoléumvertquilaséparentdesoncasier.Leslycéensquisesontarrêtéspourbavarders’efforcentdemurmurer,maisJenniferentendtout.Laplupartdeceuxdesaclasseneluiadressentjamaislaparole.Ilssecontententdechuchotersursoncompte,etaufildesannées,toutescesmessesbassesontfiniparavoiruncurieuxeffetsursesoreilles.Ellesontapprisàentendrecequ’ilsdisent,qu’elleleveuilleounon.
–Alors,tuasvulaliste?–Jenniferestdessus?C’estdingue,jetepariequeoui!C’estvraimentdingue!–Tucroisqu’ellesaitquec’estpouraujourd’hui?C’estforcé,non?Auboutdequatreans,elle
nepeutpasnepaslesavoir!–Jeteparievingtdollarsquesielleestnomméelaplusmochedesterminales,elledégobilleune
foisdeplus.Histoiredefairehonneuràlatradition.Touteslesconversationstournentautourdusujetdujour:silalisteladésigne,dansquelétat
d’espritlareineincontestéedesMochesdeMountWashingtonrecevra-t-ellesacouronne?C’estleprincipalsujetdepréoccupationdeJenniferdepuisqu’elleaéténomméelaplusmoche
des premières, faisant tomber l’avant-dernier domino de cette chaîne d’événements impossible.Quels que soient les sentiments complexes qu’elle retire de sa situation, il n’y a que deuxpossibilités.Enterminale,soitelleestsurlaliste…soitellen’yestpas.
Maiscen’estpascequicaptiveMountWashingtoncematin.Unenominationdeplusoudemoinsnechangerapascefait,cetteévidence,cettevéritéavérée:JenniferBriggisestmoche.C’estautrechosequ’ilsguettenttousdanslecouloir,etellelesait:saréaction.C’estlàqu’ilvaêtre,levrai spectacle. Et contrairement au fait d’êtremoche, cette attente d’une réaction honteuse etretentissanten’échappepasentièrementàsoncontrôle.C’estmêmeellequil’aprovoquée.
Enfigurantsurlalisteentroisième,Jenniferestdevenueinstantanémentunelégende.Personnedansl’histoiredesfillesmochesn’avaitjamaisréagidemanièreaussirépugnante.
Elles’estaffaléeparterredevantsoncasierets’estmiseàbeuglersansretenue,jusqu’àcequesonvisagebaignedansunmélangedelarmes,demorveetdesueur.Laliste,mouilléeetfroisséedanssonpoing,n’étaitplusqu’unebouledepapiermâché.Despetitsvaisseauxontsautésursesjouesetdansleblancdesesyeux.
Ellevenaitdesurvivrepéniblementaupireétédesavie,etmaintenant,ça?Tous les troisièmesont reculédansunmêmemouvementd’horreur,commes’ilsvenaientde
découvrir un cadavre. À ceci près que Jennifer était on ne peut plus vivante. En cherchant à
respirer,elleasuffoquéetvomisursesvêtements.L’odeuraaussitôtenvahilecouloir,etlesgenssesontréfugiésdanslessallesousesontbouchélenez.Quelqu’unacouruchercherl’infirmière,quiluiatenduunemaingantéedecaoutchoucpourl’aideràserelever.Onl’aconduitejusqu’àunlitdansunrecoinsombredel’infirmerie.Jennifernepouvaitpass’arrêterdepleurer.Sessanglotss’entendaient jusqu’en cours de bio, alors même que les portes étaient fermées. Sa détressericochaitsurlesparoisdescasiers,faisantducouloirunecaissederésonancequidiffusaitsapeinedanstoutlelycée.L’infirmièreafiniparlarenvoyerchezelle,oùelleapassélerestedelajournéeaulitàs’apitoyersurelle-même.
Au lycée, le lendemain matin, tous les regards la fuyaient. Elle a trouvé des excuses à cetévitementcollectif,cequinel’apasempêchéedesesentirtrèsseule.Etelleasuaveccertitudequesavied’avantétaitfinie.Elleavaitpassél’étéàessayerdeprendreleschosesduboncôté,etvoilàquelalistevenaittoutgâcher.Aprèssoncoupd’éclat,elleneretrouveraitjamaiscequ’elleavaitperdu.Ilneluirestaitplusqu’àallerdel’avant.
Celas’estavéréunetâchedifficile.AvantJennifer,onsesouvenaitsurtoutdesjolies,tandisqueles moches tombaient vite dans l’oubli. Mais elle avait renversé la tendance. Personne nel’oublierait.
Enseconde,ladeuxièmefois,ellesesentaitprêtepourunnouveaudépart,etlalistedel’annéeprécédenten’étaitplusqu’unlointainsouvenir,dumoinspourelle.
En troiscent soixante-cinq jours, Jenniferavaitgagnéunpeud’assurance.Elleavaitétéprisedanslachorale,oùelles’étaitrapprochéedequelquesfillessopranoscommeelle.Ellesn’avaientrien de spécial et n’étaient même pas vraiment intégrées dans le cercle de la chorale et del’orchestre.Leur style vestimentairen’était pasparticulièrementbranché ; ellesn’étaient jamaistentées par les activités que leur proposait Jennifer et préféraient louer des DVD de vieillescomédiesmusicalespourchanterdessusplutôtqued’alleràdesfêtes.MaisJennifersavaitqu’ellenepouvaitpasfaireladifficile.Lavieneredeviendraitjamaisaussicoolqu’avant.Elleallaitdevoircomposeraveclesmoyensdubord.
Lematindelaparutiondelalisteenseconde,Jenniferavaitprislebussanspenseruninstantàladate, et encoremoins imaginerqu’ellepourrait se retrouverdessus.Elle avaitmêmehâtededécouvrir qui serait nommédans son année.Elle avait établi ses pronostics. Presque toutes sescopinesdelachoraleétaientéligibles.
Cettefois-là,aprèsavoirdécouvertsonnom,ellen’estpasrentréechezelle.Elleaunpeupleurétouteseuledanslestoilettes,maisnes’estpasrouléeparterre,cequiétaitunlégerprogrès.Sescopinesontfaitcequ’ellespouvaientpourlaconsoler.
En première, en voyant son nom sur la liste, elle a ri. Non qu’elle ait trouvé celaparticulièrement drôle, mais parce que ça devenait ridicule. Elle savait qu’elle n’avait aucunechanced’êtrenomméelaplusjolie.Maisn’aurait-ilpasétéplusjustedepasserleflambeaudelaplusmocheàquelqu’und’autre?
Ellen’apaspleuré.Sesamiesdelachoralel’ontdenouveauréconfortée,biensûr,maiscequil’aleplussurpris,c’estquequelquesfillessontvenueslavoirpours’excuserpersonnellement.Ellesn’ontpas désignéedequoi,mais Jennifer a compris.Personnen’aurait dû êtredésignée la plusmoche trois ans de suite. C’était méchant, c’était dégueulasse. D’autres filles méritaient d’êtrechoisiesautantqu’elle.C’étaitduharcèlement.
Malgré un sentiment de colère face à cette humiliation répétée, Jennifer a accepté de bonnegrâcecespetitstémoignagesdecompassion.Etelles’estrenducompteque,devantsaréaction,lesautres se détendaient, déculpabilisés. Dans l’ensemble, les élèves ont semblé apprécier qu’elle
prenne les choses avec philosophie. Ils ont été soulagés qu’elle ne complique pas la situationcommeentroisième.Pasdescèned’hystérie,pasdevomissements.Elleavaitbonesprit.
Jennifer décodait parfaitement le processus. Pour le meilleur ou pour le pire, la liste avaitrehaussésonstatutaulycée.Presquetoussavaientquielleétait,etc’étaitplusquenepouvaientdirelesautresmoches,sescopines.
Lerestede l’annéedepremières’estdérouléesans incident. Jenniferaeudesnotescorrectes.Elleacessédefréquenterlesfillesdelachorale.Detoutefaçon,ellenelesavaitjamaistrouvéestrèssympas.
Auboutde ladouzièmedallede linoléum, Jenniferpivote sur ses talons.Elle fait tourner lacombinaisondesoncadenas,dixàgauche,vingt-deuxàdroite,onzeàgauche.
Elleprendunegrandeinspirationetouvresoncasier,suiviepardesdizainesdepairesd’yeux.Unefeuilleentombeenvoletantetatterritàquelquescentimètresdesespieds.EllevoitlesceaugaufrédulycéedeMountWashington.Lavéritéauthentifiéelivréeendirect.
Jennifer déplie la feuille, saute les autres classes, les autres filles, pour aller directement auxterminales.
Laplusjolie:MargoGable.Jenniferaimeraitpouvoirsedirequecen’estpasmérité,maisçal’est.Etjusteau-dessus,sonnompourlaplusmoche,pourlaquatrièmefoisd’affilée.Unepremière
dansl’histoire.Ellejouel’étonnée.Quelqu’unapplaudit.Carrément.«Roulementdetambour,s’ilvousplaît.»Jenniferfaitglissersonsacdecoursdesonépauleetlelaissetomberparterreavecunbruitsec.
Elletambourineàunevitessefollesursoncasier,jusqu’àcequeçaluibrûlelapaumedesmains.Ceuxquilaregardenttressaillentsousl’effetdesbattementscommesic’étaitdesélectrochocs.
Jennifersetournefaceàeuxet,dans lafoulée,exécuteunsautdegrenouille, jambesécartées,brandissantlafeuilleàboutdebraspourqu’ellesoitbienvisible,commelespom-pomgirlsquilèventlepanneau:«Dunerf,lesAlpinistes!»
Elle lance le «wooohoooo ! » le plus sonore possible en sautant et fait desmouvements depompeaveclesbras,ensignedevictoire.
Des élèves rigolent.Quelques-uns applaudissent, etquand Jennifer conclut son showparunerévérence,d’autressejoignentàeuxpourl’acclamer.
Puis Jennifer parcourt le couloir en sautillant, la main levée pour taper dans celles qui setendent.Ellessontnombreuses.
Àlafindelajournée,c’estunfait:Jenniferatraverséuneépreuveunique,accompliunexploitdont aucune autre fille au lycée de Mount Washington ne peut se vanter. Elle ne peut pass’empêcherdesevoircommequelqu’undespécial.Commeditleproverbe,ilfautsavoirfairefeude tout bois.Elle arbore sonplus grand sourire, pour qu’il soit bien clair pour tout lemondequ’ellesavourecemoment,qu’elleprofiteàfonddececadeau.
Elleveutquetoutlemondelesache.Elleaparcouruunlong,trèslongchemin.
CHAPITRE8
MargoGablemarchedefrontavecsesmeilleuresamies,RachelPotchaketDanaHassan,dansuncouloir surpeupléoù tous s’écartentpour les laisserpasser.Elles avancent en separlant têtebaissée dans une attitude conspiratrice, abritées derrière le rideau de leurs cheveux. Elles nediscutentpasdelaliste,commeonpourraitlecroire.EllessemoquentdesorteilsdeMrsWorth.Difformes et emprisonnés dans une paire de sandales orthopédiques, ces orteils ont hypnotiséMargo pendant tout le cours de maths. Elle s’est désintéressée des explications de la prof surl’équationalgébriquedurubandeMöbiuspourtenterdedénouermentalementsesarticulationstordues.
–Commentpeut-ons’acheterdessandalesquandonadespiedsaussiatroces?demandeRachel.–Bonnequestion,ditDana.Enplus,houhou!Onestpresqueenoctobre!C’estencoreplus
bizarredemettredessandales!Margo rassemble ses cheveux en chignon négligé en haut de son crâne, les attache avec un
crayonetréfléchitsérieusementàlaquestion.Laprofapeut-êtreunproblèmemédical?Ducoup,elleselaissesurprendreparMrsColby,laproviseur,quirôdaitprèsdel’escalieretqui
l’arrêteenluiposantbrusquementlamainsursonbras.MrsColbyvient justed’êtrenommée.D’aprèsMargo,c’est leplus jeunemembrede l’équipe
pédagogique.Elleestvêtued’unejupecrayonrougeetd’unchemisierensoieivoireboutonnépardes petites perles jaunes.Margo remarque sa coiffure : lourde frange et queue de cheval basse,commeonenvoitbeaucoupencemomentdanslesmagazines.
DanslegroupedeMargo,ilyadesfillesquitrouventqueMrsColbypourraitêtresagrandesœur.Deprès,elletrouvequeMaureen,savraiesœuraînée,estbienplusjolie.
–Margo,jevoudraisteparlerdecetteliste.Tuasuneminute?Margos’attendàuneconversationrapide,si«conversation»estlemotquiconvient.Ellecolle
sonchewing-gumàlapastèquecontresajoueetrépondàlaproviseurqu’ellen’estaucourantderien.
MrsColbyplisselesyeux.–Quandmême,Margo…tusaisquetuesdessus,non?Prisedecourtparlanuancedesuspicionqu’elleperçoitdanssavoix,Margosedittoutàcoup
qu’elledevraitpeut-êtrecesserdesourire.Çapourraitfairemauvaiseffet.Ellecoinceunemèchedecheveuxbrillantsderrièresonoreille.
–Oui,reconnaît-elle.Quelqu’undemaclassemel’adit.Enfait,c’estJonathanPolk,sélectionnépourlepremierrôledanslapiècedefind’année,quia
fait sonentréeen fanfarecematinendéclamant la listecommeunmonologue.Aprèsquoi il a
vainement tenté de persuaderMargo de faire la révérence. Cela dit, c’est sympa de figurer denouveausurlaliste.Elleyaétéentroisième,DanaensecondeetRachell’andernier.C’estaussil’annéeoùsasœurMaureenaéténomméepourlesterminales,avantd’êtreéluereinedel’année,cequiestlaprocédurecourante.
Margoamêmesongédansunpremiertempsàprévenirsasœurparuntexto,avantdechangerd’avis.Celafaitdessemainesqu’ellesnesesontpasparlé.
MrsColbysortd’unepocheminiatureunecopiedelaliste,pliéeendouze,façonorigami.–Commejesuisnouvelle ici,déclare-t-elle, j’espéraisquetupourraism’éclairersurcequ’est
précisémentcettechose.Margoaunlégerhaussementd’épaules.–Jen’ensaisrien.Justeunetraditiondulycéeunpeubizarre.Lasituationestétrange;àMountWashington,onn’apasl’habitudedeparlerouvertementde
lalisteaveclesadultes.Margoestpresquesûrequelesprofssontaucourant.Commentpourrait-ilenêtreautrement?Ceuxquiontétéélèvesici,commeMrsWorth,ontpeut-êtremêmeétédessusunjour!Entoutcas,commel’aditMargo,ilslatolèrentaunomdelatradition.Àmoinsqueçaneleursoittotalementégal,songe-t-ellebrusquement.
–Ettun’asaucuneidéedequipeutêtrederrièreça?DanaetRachel,quitraînentquelquespasplusloin,tendentl’oreille.–Non,répondMargo,avectoutel’assurancedontelleestcapable.MrsColbylaregarded’unairsceptique.–Tuconnaisd’autresfillesdelaliste?Elleluitendlafeuille,maisMargogardelesmainscroiséesderrièreledos.–Deuxoutrois,jepense.–Ettuesd’accordaveclasélection?Outuenauraischoisid’autres?–MrsColby,c’estlapremièrefoisquejevoiscettefeuille.Jenesaisrien,jevousassure.Loindesesatisfairedecetteréponse,laproviseurchassed’ungestedelamainRacheletDana,
quisesontrapprochées.–Allez,filez,mesdemoiselles,vousallezêtreenretard.Puis, tandis que les deux filles disparaissent dans l’escalier, elle entraîneMargo vers lemur.
Celle-cireconnaîtsonparfum;elleenaunflaconsursacommode.Maiscen’estpaslesujet.–Est-cequej’aifaitquelquechosedemal?s’inquiète-t-elle.–Non,répondMrsColby.Cequi,pourMargo,devraitêtrelemotdelafin,maisellepoursuit:–J’aimeraissavoircommenttucomptesréagir.–Réagir?–Tuasl’aird’avoirdel’influenceici,Margo.Etlamanièredonttudéciderasdetecomporter
aurasansdouteunimpactsurlesautres.MrsColbyremontesesmanchesetcroiselesbras.–Tunetrouvespasquec’estunetraditionmalsaine?Jecomptebiendécouvrirquipubliecette
liste.Alors,situsaisquelquechose,tuferaisaussibiendemelediretoutdesuite.Margolaregardefixement.Àquois’attendlaproviseur?Àcequ’elleavoue?Àcequ’ellecafte?
Ausecours.–Cen’estpasmoiquiairédigécetteliste,MrsColby.Etjenesaispasquil’afait.Laproviseurlâcheunlongsoupir.
–Penseàcellesquisontdanslesmoches.PenseàJenniferetàcequ’elleadûressentircematin,envoyantsonnomdanslalistepourlaquatrièmefois.
«Ilparaîtqu’elleétaitremontéeàbloc»,manquededireMargo.C’estdumoinscequ’onluiaraconté.Mais ellene veutpaspenser à Jennifer.Pasdu tout. S’il y aune chosequi a craint cematin,çaaétédedécouvrirlenomdeJennifersurlaliste.Margoaeul’impressionderevivreunefoisdeplusledramedelarentréedetroisième.
Ellecommenceàreculer.–Jevousprometsderéfléchir.Àlamoitiéducouloir,elledoits’arrêterpourrespirerpluscalmement.Laproviseuravaitl’air
tellementsoupçonneusequ’onpourraitcroirequ’ellesaitquelquechose.Margoentredanslacafétériaavecdesjouesplusrougesqueleslampeschauffantesalluméesau-
dessus des plats. Prise d’un léger vertige, elle s’empare d’une bouteille d’eau. D’une maintremblante,elleboitparpetitesgorgées,sansparveniràcontenirlesmini-vaguesquicoulentsurseslèvres.EllepaiesondéjeuneretvarejoindreRacheletDana,assisesencompagniedeMatthew,TedetJustin.Enchemin,ellepassedevantquelquestablesdeplusjeunes.Sentantleursregardssurelle,elles’empressedecollerunsouriresursafigure.
–Qu’est-cequ’elletevoulait?luidemandeDana.Margos’affalesurunechaise.–Vasavoir.Ellefaittoutunfoinausujetdelaliste.Elle se retient de regarder Matthew pour voir s’il est au courant. De toute façon, il l’est
forcément.Portantunemaindevantsabouche,Rachelmurmured’unevoixsifflante,audibledetous:–Ellepensequec’esttoiquil’asécrite?–T’esfolle?Margoatténueaussitôtsaréactionparunriredésinvolte.Souslatable,ellelisselesplisdesa
jupeécossaisepouressuyersesmainsmoites.–Biensûrquenon.–Moi,jeverraisbienlaproviseursurlaliste,déclareJustin.Ilselècheleslèvresavantdemordredanssonsandwichjambon-crudités.Danaluijetteuneservietteàlafigure.–T’esdégueu!Teds’adosseàsachaiseencroisantlesmainsderrièresatête.Ilporteunechemisedebûcheron
aucolrelevéetauxmanchesrouléesjusqu’auxcoudes.–Oùestleproblème?C’estvrai,quoi,lalistenefaitqueconfirmercequetoutlemondesait
déjà.Onatousdesyeuxpourvoirquiestsexyetquinel’estpas.–C’estmarrant,l’interpelleRachel,jecroismesouvenirquetucouraispasmalaprèsMonique
Jonesaprèsqu’elles’estretrouvéesurlalistel’andernier.–Mouché,ditJustinentapantdanslamaindeRachel.LesoreillesdeTeds’enflamment.–Çan’avaitrienàvoiraveclaliste,proteste-t-il,plusfortquenécessaire.J’aitoujourstrouvé
queMoniqueétait sexy.Elleaétémannequin, lesgars.La liste,çam’a justedonnéunprétextepourallerluiparler.
Matthewrabatlacapuchedesonsweat-shirtsursoncrânerasé.–Quifaitunepartiedeping-pongavecmoi?
Luiquiatoujourseulescheveuxlongs,retombantmollementsursonfront,ilasoudaindécidédelescoupercetété.Çan’apaspluauxautresfilles,maisçaarappeléàMargol’annéedeCM1,celleoùilestarrivéàMountWashington.L’institutricelesavaitplacéscôteàcôte,etMatthewavaiteul’air intriguéparlacollectiondegommesminiaturequ’elleavaitdansunetrousse.Ilsesoulevaittoujoursdesachaisepouressayerdevoirdedansquandelleenchoisissaitune.ÀNoël,elle luienavaitoffertuneen formedeballonde footballaméricain,en laglissantdiscrètementdanssonbureau.Ellenel’ajamaisvul’utiliser.Elleseplaîtàs’imaginerqu’ill’aencore.
Danasecouelatête,perplexe.–Mrs Colby devrait se détendre. Si ça continue, elle va instaurer une règle qui interdit de
dansercollésaubaldelarentrée.Elleboitunegorgéed’iceteaavantdereprendre:–Aufait,vousavezvuSarahSingersebaladerdanslescouloirsaveclemot«moche»écritsur
lefront?–Quellerebelle!commenteRachel,lesyeuxauciel.Matthewselève.–Allez,viens,Ted,jeveuxprendremarevancheauping-pong.–Tuvasprendreuneraclée,ouais,répondTedensebaissantpourramassersonplateau.Etilajoute,ensepenchantpar-dessusl’épauledeMargo:– Je pense que tu feras une très belle reine,Margo.Et si par hasard, je suis le roi, autant te
prévenirtoutdesuitequejenetelâcheraipasdelasoirée.–Bon,tutebouges?grommelleMatthew.Lapausedéjeunerestpresquefinie.–Heu,merci,Ted,répondMargoenessayantdenepasmontrersadéceptiondevantl’absence
deréactiondeMatthew.Ilnesaitpeut-êtrepasqu’elleestsurlaliste?Tedposeunefessesurlecoindelatable.–C’est vrai, tune trouvespas ça curieuxqu’onne soit jamais sortis ensemble ?Lebal de la
rentrée,c’estpeut-êtreledestinquivanousréunir!Sérieux,j’aitoujourspenséquetoietmoi,onpourrait…
–Allez,mec,onyva!lanceMatthew,lesmainsenporte-voix.–C’estbon,j’arrive,ditTedensecouantlatête.Onsereparleplustard,Margo!Rachelmurmureenlesuivantdesyeux:–Alorslui,ilnejurequeparlaliste!Etonnepeutpasdirequ’ilfassedanslafinesse.Margo regarde Matthew prendre les raquettes de ping-pong, rangées sur le distributeur de
canettes.Ilsn’ontjamaisétélibresaumêmemoment.Ellesortsouventavecdesgarçonsplusâgés,quipeuventcommanderdesbièresetquiontdesvoitures.Matthewsortavecdesfillesplusjeunes,legenredefillesmignonnesquiontdebonnesnotesetquisontsympasavectoutlemonde.
–Enfin…ditDana,commejedisaistoutàl’heure,cellequimefaitdelapeine,c’estJennifer.Elleseretournesursachaiseetlacherchedesyeux.–Regardez-la.Mêmelesfillesdelachoralel’ontlaissétomber.Àcontrecœur,Margoseretourneàsontour.Àl’autreboutdelasalle,assiseàlamêmetable
quetoutungroupedelycéens,Jennifermangeseuledanssoncoin.–Vousycroyez,vous,àsonsketchdubonheur?demandeDana.– Pas une seconde, répondRachel enmordant dans une frite.C’est une façade.Tu te rends
compte,êtrenomméequatreansdesuitelaplusmochedetaclasse?Ilyadequoiseflinguer.
– Je l’admirepour ça, ditDana.À sa place, je serais incapable dedébarquer en cours la têtehautecommeellelefait.
Etelleajouteenmurmurant:–Vousvousrappelezlepique-niqueentroisième,quandquelqu’unluiatapésurlatêteavecun
hot-dog?Etellequiriaitcommesic’étaitmarrant?Tedn’ajamaisvoulul’admettre,maisjesaisquec’étaitlui.Quelabruti!
Rachelsecouelatêted’unairdégoûté.–Etelledoitsansdouteencaissercegenredetrucstouslesjours.Les filles regardent Jenniferpicorer son sandwich.Deuxgarçonsplus jeunes–clairementdes
troisièmes–passentderrièreelleenallantrapporterleursplateaux.Danssondos,ilsladésignentàleurscopainsàl’autreboutdelasalleenfaisantsemblantdevomir.Jenniferlesignore.
Rachelreposesafourchette.–Çasuffitcommeça.Jevaisluidemandersielleveuts’asseoiravecnous.Margotendlamainpourlaretenir.–Arrête.Nefaispasça.Rachelfusilleduregardlesdeuxtroisièmesquis’éloignent.– Ça me rend malade que ces petits connards se croient autorisés à se moquer d’elle sous
prétextequ’elleestsurlaliste.Ilsn’ontaucunrespectpourlefaitqu’ellesoitenterminale?Sielles’assoitavecnous,ilsn’oserontplusriendire!
–Çan’estquandmêmepasunprivilègedemangeravecnous,soupireMargo.Ellesaitparfaitementquec’estfaux.EncoreplusconcernantJennifer.–Ouais.Facileàdirequandonestlaplusjoliedesterminales.–Çava,Rachel.Vousaussi,vousavezétésurlaliste.Pasdequoienfaireunplat.Danapenchelatêtesurlecôté.–N’empêchequec’esttoiquivasêtrenomméereinedelarentrée.–Onn’ensaitrien,rectifieMargo.Detoutefaçon,jem’enfous.C’estvraiquece serait sympa.Mais si ellen’avaitpasété sur la liste, si çaavait étéDanaou
Rachelàsaplace,çanel’auraitpasgênée.Rachelselèveenluidonnantunetapedansledos.–ProposeràJenniferdefinirdedéjeuneravecnous,çanevapastetuer.Margofaitminedeseconcentrersurlafeuilledelaituedesonentrée.Ellen’estpassurprisede
voirRachelrevenirtroisminutesplustardavecJenniferdanssonsillage.–Salut,Jennifer,ditDanaensepoussantpourluifairedelaplace.–Salut,répondJennifer.J’aimebientontee-shirt.Ilestsuper.Danabaisselesyeuxsursontee-shirtetsourit.–Merci!Pendantquelquessecondes,personneneditrien.Margos’aperçoitducoindel’œilqueJennifer
lafixe.–Salut,Margo,luidit-elled’untonenjoué.Etfélicitationspour…tusaisquoi.–Merci.Rachelpianotedesdoigtssurlatable:–Aufait,Jennifer,onvoulaittedirequ’onétaitdésoléesquetuteretrouvesencoreunefoissur
lalistecetteannée.Jenniferéludelesujetd’unreversdelamain.–Tusais,depuisletemps,j’ail’habitude.
–N’empêchequ’onnedevraitpasavoiràs’habitueràuntrucpareil,ditDanaenpinçant leslèvres.Ceuxquiontfaitlalistecetteannéesontvraimentdespourris.
Margorepenseautoutdébutdel’annéescolaire.DanaétaitassisederrièreJenniferenfrançaisetelleafaitdescommentairespendantunesemainesurlesbourreletsdesanuque.IlssedépliaientquandJenniferbaissait la têtesursoncahieret serepliaientquandelleseredressait,commeunaccordéondechairrepoussant.
Celal’énervedeconstateràquelpointDanaalamémoirecourte.Ellequin’apascettefacilité,elleenseraitpresquejalouse.
CHAPITRE9
Àquinzeheures,Daniellesortdesonderniercoursentraînantdespiedspoursedirigerverssoncasier.Elleprendseslivresetsonmaillotdebainlepluslentementpossible,n’ayantaucuneenviedefairecequ’elleaàfaire.Elledevraitêtreàl’entraînementdenatationavecHope.Maiselleauneautreobligation.
ToutlemondealevélenezquandMrsColbyafrappéàlaporteducoursd’anglais.Leprofl’asaluée,maislaproviseurascrutélesvisagesdesélèvessansluirépondre.QuandsesyeuxsesontposéssurDanielle,elles’estapprochéepourluidiresimplement:
–Àtoutàl’heure.Enlaissantàunenoteposéesursatablelesoindeluifourniruneexplication:
Auxélèvesfigurantsurlaliste:Mercidepasserdansmonbureauaprèslescours.Cecin’estpasoptionnel.Laproviseur,MrsColby.
Danielleamordillésoncrayon.Qu’est-cequeMrsColbypouvaitbienvouloirauxfillesdela
liste?Allaient-ellesavoirdesennuis?Laproviseuravait-elledécouvertquil’avaitrédigée?Cesquestionsavaientbeauappelerdesréponsescroustillantes,Daniellen’apaspus’yintéresser
davantage,carsonvoisindegaucheallongeaitlecoupourtâcherdelirelecontenudelanote.Elleaglissérapidementlepapierdanssonlivreets’estsentiefrappéeparlahontepourladeuxièmefoisdelajournée.
Sesjouesenbrûlentencore.C’est lemoment que choisit Sarah Singer, la plusmoche des premières, pour passer dans le
couloir. Mrs Colby marche derrière elle en la poussant d’une main. Sarah avance avec uneréticencecomique,àpastraînantponctuésdesoupirsd’agonie,lapointedesesbasketss’agrippantaulinoléum.
Danielle aentenduparlerdecette filleetdumotqu’elle a inscrit sur son front,maisellenel’avaitpasvudesespropresyeux.Dansunsens,elleestimpressionnéeparsoncran–unautrestyledekillerattitudeque lesien,quiconsisteà ignorer l’existencedecette liste.Mais l’idéequ’ellessontdanslemêmebainestunnouveaurappeldesonhumiliation;toutMountWashington,enlaregardant,liradésormaiscemêmemotsursonfrontàelle,qu’ilysoitécritoupas.
Elle referme son casier et s’appuie dessus. C’est le genre de blessure qui semble ne jamaispouvoirs’effacer,unecicatriceplusqu’uneégratignure.Quelquechosequ’elleporteratoujoursen
elle.–J’étaisdéjàsortiedulycée!seplaintSarah.Vousnepouvezpasmeforceràrevenirunefois
quelajournéedecoursestfinie!Soit la proviseur n’entend pas, soit elle s’en moque. En croisant Danielle, elle l’arrête d’un
regardetluidit:–Onyva.Toiaussi.
Lessixautresfillessontdéjàdanslebureaudelaproviseur.Lapièceesttroppetitepourqu’elles
puissents’installerdansunordredonné;parexemple,pourquelesbelless’assoienttandisquelesmochesrestentdeboutcontrelemur.Toutlemondes’entassedansunepagailleinconfortable.
Abbyaprisl’unedesdeuxchaisesplacéesenfacedubureau.EllesedécalepourfairedelaplaceàDanielle.Celle-ci la remercie d’un petit sourire,mais se contente de se percher sur l’un desaccoudoirs.
L’autrechaiseestoccupéeparCandace,lesfessesposéestoutauborddusiège,lepoidsportéversl’avant.Elles’estrapprochéedubureaudeMrsColby.
Laurenestassisesurleradiateur,lesgenouxrepliéscontresapoitrine,levisagetournéverslafenêtre.
Bridgetestsurledivan.Margosetientàcôtéd’elle,lesmainssurlesgenoux.Jennifer,debout,estaffaléecontreunecolonned’archivagenoire.Sarahrefusedefranchirleseuiletcroiselesbrasd’unairdedéfi.Ellesepousseàpeinepour
laisserentrerlaproviseur.Unefoisinstalléederrièresonbureau,MrsColbydéclare:–J’imaginequevousaveztoutescomprispourquoijevousaifaitvenir.Siquelqu’unconnaîtses intentions,personneneledit.Margoenrouleunemèchedecheveux
autourdesonindex.Bridgetfaitcraquersesdoigtsavecdespetitsbruitssecs.Jennifergratteunetachesursontee-shirt.
–Bien,soupireMrsColby.Jevaisêtreclaire.Ellesepencheenavantdansuneposethéâtrale.–Ilvousestarrivéquelquechosedegraveaujourd’hui.Etjecroisqueçavousferaitdubiend’en
parlertoutesensemble.Candace ricane. Les jambes croisées, elle balance un pied botté de peau d’agneau dans un
mouvementdependule.–Vousparlezpourquatred’entrenous,ironise-t-elle.Jepariequepourlesjolies,lajournéea
étégéniale.Laproviseursecouelatête.–Jerépètecequej’aidit,Candace.Ilvousestarrivéquelquechosedegraveàtoutesleshuit.
Quelqu’un s’est permis de vous sortir du lot, de vous coller une étiquette et de vous réduirearbitrairementàvotredimensionlaplussuperficielle.Çanepeutpasnepasavoirdeconséquencespsychologiques,quevoussoyezdu«bon»oudu«mauvais»côté.
CandaceseretourneversMargoetBridget.–Desconséquences?Commeparexemple,lefaitqueMargosoitsûred’êtreéluereine?Margocontinueàinspectersescheveuxàlarecherchedefourches.–C’estnormalquetusoisfurieuse,Candace,maiss’ilteplaît,laisse-moiendehorsdeça.
–Évidemment, je suis furieuse. (Son regardquitteMargopourprendre les autres à témoin.)Vousneleseriezpas,vous,sionvoustraitaitdemochequandtoutlemondesaitquec’estfaux?
Ellen’arrivepasàstabilisersavoix.Lesautresmocheséchangentdescoupsd’œilgênés.SaufSarah,quilafusilleduregard.MrsColbylesinterromptd’ungeste.–Lesfilles,s’ilvousplaît.Necommencezpasàvousbattre.Iln’yapasd’ennemisici.Iln’ya
quedesvictimes.Margolèvelamain.–MrsColby,jesaisquevousêtesnouvelleàMountWashington,maishonnêtement,cetteliste
n’apasbeaucoupd’importance.–Facileàdirepourtoi,marmonneDanielle,ens’étonnantelle-mêmedeprendrelaparole.Jenniferfaitunpasenavant.–Jesuisd’accordavecMargo.C’estvrai,siquelqu’unicialedroitdeseplaindre,c’estmoi.Et
jem’enfous.Çanemedérangepas.Laproviseurlaregardedanslesyeux.–J’aidumalàlecroire,Jennifer.Tudevraisêtreplusconcernéequetoutlemondeici.Jenniferrosit.Sarahlâcheungrognement:–Quelleestl’idée,exactement,MrsColby?Nousimposerunesortedeséancedethérapiede
groupe?Laproviseursecouelatête.–Sarah…lesfilles…écoutez,jecomprendsquevousn’ayezpasencoreeuletempsdedigérerce
quivientdesepasser.J’aidéjàpriscontactavecquelques-unesd’entrevous,mais jetiensàvousdirequejesuislàsivousavezbesoindeparler.Etsivousavezuneidéedequiapuétablirlalistecette année, j’espère que vousme ferez assez confiance pourm’en informer. Il est temps qu’onmettefinàceharcèlementetquel’auteurdecettelisteassumesesresponsabilités.
Danielleregardelesautres.Bienqu’ellerespectelatentativederassemblementdelaproviseur,laréaliténe lui laissequepeud’espoir.Si toutesont leurnomsur la liste,personnen’a l’airdejouerdanslamêmeéquipe.Aucontraire.
C’estchacunpoursoi.Ellen’aplusqu’às’accrocheràsakillerattitude.
Mardi
CHAPITRE10
Bridget se réveille tôt et en pleine forme.Elle se douche, se coiffe, semaquille et décide demettre une chemise blanche à rayures avec un legging et un long cardigan drapé. Quand elleentend Lisa faire tourner le robinet de la douche, elle descend l’escalier quatre à quatre endirectiondelacuisine.Sincèrementimpatiented’attaquersonpetit-déjeuner.Sanstrichercommeellefaitd’habitude.
Commetouslesmatinsavantdepartirautravail,MrsHoneycuttasortipoursesfilleslesboîtesde céréales, deux bols et deux cuillers. Bridget met son assiette et sa cuiller propres dans lamachine,aveclavaissellesale.
Hiersoir,elleamangédublancdepouletetdescarottesnouvelles.Sansleriz.Pasmal.Ellesortunboutdepapierdesapochedechemiseetledépliesurlatable.Puiselleouvreles
placardsetpartàlapêcheauxingrédients.Dusiropd’érable.DupoivredeCayenne.Uncitrondanslacoupedefruits.ElleadénichélarecettesurInternet.Unerecettedétox.Touteslesstarsfontunedétoxavantles
grandsévénements,pourêtreautop.Cen’estpasunrégime,justeunemanièrededébarrassersoncorpsdestoxines,detoutcequilapollue.
Etsurtout,çan’arienàvoiravecunjeûne.Lejeûne,c’estmauvais.Bridgetlesait.Ellel’asutoutl’été.Ellen’apaschoisilabonneméthodepourperdredupoids.Elleestpartiebilleentête,elles’estunpeuemballée.Ellen’ajamaisvoulufairepartiedecesfillesquifontattentionàtoutcequ’ellesmangentenserestreignantenpermanence.
Maisellesaitaussiquesiellefiguresurlaliste,c’estparcequ’elleamaigri.C’estécritnoirsurblanc.Sapertedepoidsdecetétéaclairementfaitladifférence.
Saufquetuaspresquetoutrepris.Bridgetneveutdécevoirpersonne.Cettefois,ellevasemontrerplusintelligente.Aveclebalde
larentréedanscinqjours,cettedétoxestlasolution.Illuisuffitdesuivrelesinstructions.Situétaisvraimentmalade,tunemangeraispas.Maistun’espasmalade.Tuvasbien.Bridgetsuitàlalettrelesdosagesdelarecette.Elleinclinelacuillerau-dessusdugoulotdela
bouteilleenplastique,etunpetitmonticuledepoudrerougeseformeaufond.Puisellecoupeuncitronqu’ellepresseentresesdoigtsenretenantlespépins.Lejusluipiquelecontourdesongles,làoùellesemordille lapeau.Ellen’aplusqu’àajouter lesiropd’érable.Leflaconenverreestgluantetlebouchonestcollépardescristauxdesucrequis’effritentquandelleledévisse.Bridget
verseunépaisflotambrédanslacuiller.Ellepréféreraitqu’ilyaitmoinsdesirop.Deuxcuillersàsoupe,çaparaîtbeaucoup.Ellevérifieletauxdecaloriessurleflacon,froncelessourcilsetdécidearbitrairementdediviserlaquantitépardeux.
Elleremplitlabouteilleàrasbordaudistributeuràeauduréfrigérateur.Enbuvantparpetitesgorgées,elledevraitavoirassezdemixturedétoxifiantepourlajournée.Ellesecouelabouteilleetretirelebouchon.DesparticulesdepoivredeCayenneflottentàlasurfaceduliquidemoussant,couleurdethé.Bridgetlerenifle.Ondiraitdelacitronnadeenfeu.
Lisaentredanslacuisine,vêtued’unerobechasubleenvelourscôteléchoisieparBridgetlorsdeleurdernièreexcursionaucentrecommercialdeCrestmount.Bridgetluitendlabouteilledelait.
–Elletevatrèsbien,cetterobe.–Bridge,onpourraitallerfairedushoppingaujourd’huiaprèslescourspourlarobedubal?
ÇafaitdessemainesquejeregardedesrobessurInternet.J’aimeraisbienenessayermaintenant!–Jenecroispasquejepourraiaujourd’hui.Bridgetveutlaisseràsamixtureletempsdefaireeffet.L’articleprécisequ’onpeutperdrecinq
kilosenunesemaine.Ellen’apasunesemaine;justecinqjours.–Peut-êtrejeudi.–Jeudi?faitLisaenécarquillantlesyeux.Maislebalalieusamedi!Etsionnetrouverien?–Çavaaller.Devantladéceptiondesasœur,Bridgets’empressed’ajouter:– Tu peux proposer à Abby de nous accompagner. Et j’ai déjà parlé à maman pour le
maquillage.Jepensequ’elleserad’accord,tantquetuyvasmollo.Ça,c’estunmensonge,maisBridgetaborderalaquestionavecsamèrecesoir.–Qu’est-cequetubricoles,là?luidemandesasœur.Bridget froisse vivement sa feuille de papier, le jette à la poubelle avec le citron et range les
autresingrédients.–Oh,justeuneboissoncenséeboosterlesystèmeimmunitaire.ElleseretourneversLisaenportantunemainàsagorge.–Jecroisquejesuisentraindem’enrhumer.Jenevoudraispasraterlebal.–Jepeuxgoûter?Bridgethausselesépaulesetluitendlabouteille.Elleatrouvéuncobaye.Lisaportelegoulotà
sabouche,etmanquede suffoquerdès lapremièregorgée.Elle seprécipitevers l’évierpour larecracher.
–Berk!Bridge!Cetrucestrépugnant!–C’estpassihorrible.Bridgetl’espère,entoutcas.Ellen’estpascenséeboirenimangerquoiquecesoitd’autrede
toutelasemaine.Lisasefrottelalangueavecunefeuilled’essuie-tout.–N’enrajoutepas,grogneBridget.Aprèsquoiellegoûteàsontour,prudemment.Leliquideluibrûlelefonddelagorgeettout
l’œsophagejusqu’àl’estomac.Finalement,ceseraitpeut-êtreplussimpledenerienmangerdutout.Bridgetfaitunenouvelletentative.Unegrandegouléepleined’audacepoursenoyerlecerveau.
Ellepeutlefaire.Ensuite,quandlebalserapassé,ellerelâcheralapression.Lisafroncelessourcilsensehissantsuruntabouret.Elleseversedescéréales–sespréféréesaux
marshmallows.Bridgetlesaimeaussi.Àcausedelafaçondontlespetitsboutscroquentavantde
fondre,etteintentlelaitenrosepâle.Bridgetreprendunegorgéedesamixture.–J’aiencorelegoûtdecettesaletédanslabouche,seplaintLisaenlaissantcoulerunfiletde
laitsursonmenton.Sasœurluitourneledosendisant:–Ehbien, évitede tombermaladeet tun’auras jamaisbesoind’enboire.Et arrêtedebaver
commeunbébé.
CHAPITRE11
C’estlebaldelarentréeetAbbydansecolléecontreungarçon,lajouesursonsweat-shirt.Ilsbougentlespiedssurunairqu’ellenereconnaîtpas,ausonunpeuétouffé,commequandonsebouchelesoreillesàcôtédesenceintes.Abbyportesarobeparfaite,lanoireavecunrubanblancàlaceinture,etsentsonjupondetullebalayersesjambes.Uneboulediscoquitournoieauplafondprojettedescarrésde lumièresur lesoldugymnase.Abbyvirevolteet la lumièretombesur lesvisagesdes couplesquidansent autourd’elle.Lesgens lui sourient.Toutdans l’atmosphèreestdouxetchaud,commedanslesrêveslesplusagréables.
Puistouts’efface.Lefrottementd’undrapquisesoulèveetlaclaquedel’airfraisdumatinfontvolersonrêveen
éclats.En ouvrant les yeux, elle voit Fern penchée au-dessus d’elle. Sa sœur laisse retomber sa
couvertureparterre.–Qu’est-cequisepasse?marmonneAbby,àmoitiéendormie.Saisieparlefroid,elleremontesondrapsurelle.–Leréveiln’apassonné,l’informeFernd’untonaccusateur,commesic’étaitlafauted’Abby.
J’aimanquélecoursdedécathlon.Elleallumeleplafonnier.–Dépêche-toidet’habiller.Onpartdanscinqminutes.Abbys’assoitdanssonlitenprotégeantsesyeuxdelalumière.Fernadéjàmissesvêtementset
faitsonlit.Ellebalanceseslivresdecoursdanssonsac.–Cinqminutes?Maisjedoismedoucher!–Tun’aspasletemps,ditFernensortantdelachambre.Abbyselèvesibrusquementqu’elleenaletournis,maiselleréussitàgagnerlasalledebains
sanstomber.Plusquequatreminutes.Sescheveuxsontsalesetpleinsdefauxplis.Ellelesnoueenchignonsursanuqueetsefaitune
tresseavecunemèchededevant,qu’ellerabatsursonfrontetderrièresonoreille.Elleselavelafigure,sebrosselesdents,metunetouchedeblush.Commeellen’aplusletempsderéfléchiràcequ’ellevaporter,elleenfileàlava-viteunerobetrapèzeenlainebleumarine.
Encomplément,deschaussettesécrues,sanouvellepairedemocassinsmarronetuneécharperayéeenrouléeautourducou.Elleadorecelookdecollégienneauvisagefrais;mêmesisesnotesnesontpasàlahauteurdecetteimagestudieuse.
Abby s’arrêtedevant lemiroirde l’entrée.Elleest satisfaitede sonallure.Plusque satisfaite,comptetenudescinqminutesqu’elleaeuespoursepréparer.Maiselleauraitbienvouluêtreau
top aujourd’hui.Pourvu qu’onne la regarde pas au lycée en se disant qu’elle nemérite pas defigurer sur la liste.Cette nomination a déjà fait d’elle quelqu’un qu’on remarque.On ne lui ajamais souri autant. Des gens qu’elle ne connaît pas, des élèves de toutes les classes, qui lareconnaissent et la félicitent. Pendant quatre semaines, elle n’a été qu’une fille de troisièmeanonymeet,pourlesprofs,lapetitesœuridiotedeFern.Désormais,elleexisteparelle-même.
Une seule personne n’a pasmentionné la liste hier : Fern. Elle a peut-être été vexée par lecommentaire sur la génétique. À moins que la seule liste qui l’intéresse soit celle du tableaud’honneur.
Abbyseprécipitedehorsenclaquantlaportesifortqueleheurtoirrebonditcontrelebois.Sesparents et sa sœur sont déjà dans la voiture. Elle entend le bourdonnement monocorde desinformationsàlaradioàtraverslesvitresfermées.
Fernsemetàtoussertandisquesasœurseglissesurlesiègearrière.–Lavache,Abby,tuasrenversélabouteilledeparfum.Abbyrentrelesmainsdanslesmanchesdesarobe.–Jen’aimisquedeuxpschitts!Enplus,c’estsonparfumaucupcake.Quin’aimepasl’odeurdescupcakessortantdufour?Ferns’écarteensecollantcontrelaportièreetbaisselavitremalgrélefroid.–J’ail’impressiond’avoirunkilodesucreglacesurl’estomac,grogne-t-elle.Abbysepencheverslesiègeduconducteur.–Papa,tupeuxmedonnerdixdollarspourleticketdubaldelarentrée?–Oui,biensûr,luirépondsonpèreensortantsonportefeuille.Ilregardesafilleaînéedanslerétroviseur.–Fern,ilt’enfautunaussi?–Jen’yvaispas,répond-elled’untonquisous-entendqu’ellenedevraitpasavoiràlepréciser.Sesparentséchangentuncoupd’œilsurpris.–Ahbon?Maispourquoi?–ParcequelapremièredeBlixEffectalieuceweek-endetquetousmesamisvontvoirlefilm.–Tun’asqu’àyallervendredi!suggèreAbby.Commeça,tupourrasalleraubalsamedi!Celadit,ellesemoquequesasœurailleaubaloupas.Ellesecontentedeluisignalerquec’est
possible.Fernadressesaréponseàsesparents,commesilaremarquevenaitd’eux.–Onvalevoirdeuxfois,dansdeuxsallesdifférentes.Levendredien3-Detlesamedienversion
classique.Abby ladévisaged’unairperplexe.Elle saitque la sériedes romansdeBlixEffect connaît un
énormesuccès,maisquiiraitvoirlemêmefilmdeuxsoirsdesuite?Lebaldelarentréeestunévénementtellementplusexcitant,tellementplusimportant!Iln’alieuqu’unefoisparan,etc’estleseulquisoitouvertàtouteslesclasses.
Fernadûs’apercevoirdesonregard,parcequ’ellerabatbrusquementsescheveuxenécranlelongdesajoue.Lesoleilmatinaltombesursesfourches.Contrairementauxcheveuxdesasœur,illuminésderefletsauburn,lessienssontd’unbruntotalementéteint.
Abbyserapproched’elleetprendlespointesdesescheveuxentresesmains.–Tuveuxque je te fasseun chignon relevé ? Jepourrais t’en faireun comme lemien,pour
dégagertonvisage.–Nonmerci,répondFernensecouantvivementlatêtepoursedégager.–Allez!Ilssonttoutrêchesderrière.Jet’assurequeçat’iraitmieux.
Abbysedemandebienpourquoiellesefatigueàêtresympa,vulafaçondontsasœurl’envoiebouler. Mais elle trouverait ça nul de ne rien tenter pour améliorer l’apparence de Fern, enparticuliermaintenantquelalistelesacomparées.
Fernsetourneverselled’unmouvementbrusque.Sesyeux,agrandisparlacolère,luilancentdeséclairs.Maisellesecontentedesoupirerenluitendantl’élastiquequ’elleportaitaupoignet.
–OKpourdeuxtresses.Maisjerefusedemepromenerdanstoutlelycéeenayantl’aird’êtretonsosie.
Ensuite,elleneluiadressepluslaparole.Abbyluifaitsestressesetlerestedutrajetsedérouledansunsilencecomplet.
ÀpeinearrivéeàMountWashington,Fernjaillitdelavoiturepourlongerl’Îledestroisièmesaupasdechargeetdisparaîtdanslelycée.
Lisafaitsesdevoirsassiseparterre,adosséeautroncduginkgobiloba.–Salut,Abby!luilance-t-elleenlavoyantapprocher.–Salut,ditAbbyavantdes’agenouilleràcôtéd’elle.Cen’estpastrèsconfortabledes’asseoirenrobesurlesolduretfroid,maisellen’apasenviede
resterdebout.D’ailleurs,aufond,ellen’apasenviedegrand-chose.–Qu’est-cequ’ilya?Tufaisunedrôledetête.–Rien.C’estvrai,qu’ya-t-ilàraconter?OnnepeutmêmepasdirequeFernetellesesoientdisputées.–Entoutcas,j’aiunenouvellequidevraitteplaire.Bridgetm’emmènefairedushoppingjeudi
pourcherchermarobedebal.Jesaisquec’estunpeutard,maisellenesesentpastrèsbienencemoment.Tuveuxveniravecnous?Elleaditquec’étaitOK.
Abbyarrachequelquesbrinsd’herbeenregrettantdenepasavoiravecsasœurlemêmegenrederelationsqueLisaaveclasienne.MaisBridgetetLisaontbeaucoupdepointscommuns,alorsque tout oppose Fern et Abby. Abby se demande soudain si elles seraient même capables des’apprécier,siellesn’étaientpasdelamêmefamille.
Sansdoutepas.–Ceseraitsuper,Lisa,merci.EtremercieBridgetdemapart.CommeLisaneluirépondpas,Abbylèvelesyeux.Lisafixeunpointéloigné.–Abby,j’ycroispas!–Quoi?–Neregardepas,luiglisseLisa,minederien,maispratiquementtouslesgarçonsdesecondede
l’équipedefootballaméricainviennentdroitsurnous.–Sérieux?Lisarabatunemèchenoirederrièresonoreille.–Jesuismieuxcommeça?Puisellesecouelatêtepourramenersamèchesurledevant.–Oucommeça?Abbyluidégagelevisage.–Commeça.Etmoi?Dequoij’ail’air?J’aieugenrequarantesecondespourmepréparerce
matin.Lisafaitlamoue.–Turigoles?Toi,tuestoujoursbelle.Ce n’est qu’un petit compliment, qu’Abby n’amême pas la tentation de croire.Mais ça fait
toujoursplaisir.
Six garçons de seconde traversent la pelouse d’un pas nonchalant en direction de l’Île destroisièmes.Laprésenced’élèvesdesclassessupérieuresautourduginkgobilobaestunévénementsansprécédent.
–Salut,Abby,ditleplusgranddelabande.Bravo,pourlaliste.Il s’appelle Chuck. Abby l’a identifié parce que c’est le plus costaud de tous les garçons de
seconde,etqu’ilsentsouventlemusc.–Merci,répondAbbyenbalayantrapidementlegroupeduregard.Certainssontfranchementmignons.Chuck,bof.Maiscommec’estleseulquilaregarde,c’est
surluiqu’elleseconcentre.–Jevoulaistedirequ’onvaseretrouveràquelques-unschezAndrewaprèslebaldelarentrée.AbbynesaitpasquiestAndrew,maissupposequec’estlemaigrichonàquiChuckdonneun
coupdepoingdanslebras.–Sesparentsneserontpaslà,onapporteradesbières.Vousn’aurezqu’àpasser,sivousvoulez.Abby voit Lisa arborer son sourire métallique, visiblement excitée. Abby l’est aussi, mais
s’appliqueàlajouerdétachée.–Mercipourl’invit.Jenesaispasencorecequ’onfera.–C’estpresquesûrqu’onseralibres,s’empressedenuancerLisa.ÇafaitrireChuck,quiajoute:–N’en parlez pas autour de vous,OK ?On n’a pas envie que tous les troisièmes se croient
invités.Çanevautquepourvousdeux.Etuneoudeuxcopinesàvous,sivousvoulez.Maispasdegarçons.
–Etsiçasetrouve,çan’auramêmepaslieu,intervientAndrew.Mesparentsrentrerontpeut-êtreplustôtqueprévu.Onnesaitjamais.
Àsagrimace,Abbyneparvientpasàdéterminers’ilseraitdéçuouplutôtsoulagéquelafêtesoitannulée.
Cettefois,ChuckgratifieAndrewd’uncoupdecoudeunpeurude.– Faut pas lui en vouloir, reprend-il, mon copain passe une mauvaise semaine. Donc,
mesdemoiselles,saufsijevousinformeducontraire,lafêteauralieu.Puisils’éloigneàreculons,bientôtsuiviparsesamis.Lorsqu’ilsnerisquentplusdelesentendre,LisaagrippelebrasdeLisa.–Pince-moi,jerêveouçavientvraimentdesepasser?–Jeteconfirmequetunerêvespas,luiditAbbyenriant.Lisaparaîtsurlepointd’exploser.–J’aitrophâtederaconterçaàBridget!Ellevafaireunedecestêtes!Ellen’ajamaisétéinvitée
àunefêtedeplusâgésquandelleétaitentroisième!Ellelèvelesyeuxaucielavantd’ajouter:–Soi-disantqu’àl’époque,elleavaitdeskilosentrop.Abbysecouelatêted’unairincrédule.–Jemesouvienspasdel’avoirconnueavecdeskilosentrop.–Moinonplus,confirmeLisaenfaisanttournersonindexsursatempe.Elledéraille.Jeparie
quelesgarçonsétaientjustetroptimidespourluiparler.Nonmaistuterendscompte,c’esttropgénial!N’empêchequ’ilsnenousauraientjamaisinvitéessitun’étaispassurlaliste!Tunepeuxpasimaginercequejesuisfièrequ’onsoitamies!
–Merci,Lisa.C’estsympa.
Lapremièresonnerieretentitetlesdeuxfillessehâtentd’entrerdanslelycée.Abbyseréjouitdeconstater qu’il reste encore quelques exemplaires de la liste affichés, bien que Mrs Colby aitdemandéaugardiendelesfairedisparaître.
Elleestsoulagéequepersonnen’aitrieneuàdirechezlaproviseursurleséventuelsauteursdelaliste.Mêmesicertainesontdesraisonsdeseplaindre,çal’embêteraitquelaoulespersonnesquil’ontrécompenséeaientdesennuis.
RepérantFernavecungrouped’amisprèsdelafontaineàeau,Abbyéprouvesoudainlebesoinirrépressiblede lui parlerde la fête et de l’inviter.Chuck adit qu’elle pouvait amenerqui ellevoulait.Çapourraitarrangerunpeuleschoses,aprèsl’accrochagedecematin.
Abbys’approcheetattendquesasœurs’aperçoivedesaprésence.Çaprendunmoment.Enfin,Ferntournelatête.–Oui?–Devine.–Quoi?–Jesuisinvitéeàunefêteaprèslebaldelarentrée.–Oh,répondFernd’untonneutre.Félicitations.Ellereportesonattentionsursesamis,luisignifiantclairementlafindeleurconversation.Mais
Abbyreprend:–Les garçonsontdit que je pouvais amenerqui je voulais. Je sais que tu as prévud’aller au
cinéma,maistupourraisavoirenviedepasseraprès.Jen’aiqu’àdemanderl’adressed’AndrewàChucket…
Fernsedécideàseretournerdenouveau:–Attends.Dequellefêtetuparles?–CelledeChucketdesescopainsdeseconde.ÇasepassechezuncertainAndrew.Separentsne
serontpaslà.Abbyenvisagedementionnerlabière,puisseravise.CeneseraitpasunargumentpourFern.Sasœurlâcheunriredédaigneux.–Jesuisenpremière,Abby.Queveux-tuquej’aillefaireàunefêtedesecondes?Ellefaitunegrimaceàsesamis,ettousrientavecelle.Abbysesentdevenirécarlate,etdénouesonfoulard.–D’accord.C’esttoiquivois.Jevoulaisjusteêtresympa.Elle semord la lèvre pour se retenir de dire ce qu’elle pense : que personne n’aurait l’idée
d’inviterFernetsabandeàaucunefête,pasplusdepremièrequedeseconde.Ellesecontentederemonterseschaussettesquitombentavantdes’éloigner.
CHAPITRE12
Sarahmetunmomentàretrouversonvélo.Ilesttoutaufonddugarage,recouvertdudrapàfleurspoussiéreuxquesonpèreutilisepourramasserlesfeuillesmortes.Unecarteàjouercoincéedanslesrayonsluirappelleladernièrefoisqu’elleestmontéesursonengin:ellefuyaitlabandedefillesqu’ellefréquentaitentroisièmeenravalantseslarmes,aprèsunénièmesarcasmesurundétailde«savoir-vivre»qu’elleauraitdûmaîtriser.
–Pourquoic’estsicompliquépourtoid’êtrenormale?sesontdemandétouthautces«amies»dansunchœurincrédulequandellesl’ontvuearriveràunefêteàvélo,toutepoisseusedesueur.
Commesiellesn’avaientpaspassél’étéàfaireduvéloensemble!Cen’étaitpaslapremièrefoisquecesfillesfaisaientcegenrederéflexion.Depuisledébutducollège,Sarahn’entendaitqueça:qu’ellefaisaittoutdetravers.
Elledécidedelaisserlacarteenplace,parcequ’elleaimebienlebruissementqu’elleproduit.Elledescendenrouelibrel’alléedugarageetpassedevantl’arrêtdebus,oùlesjeunesattendentenpetits groupes compacts. Sarahpédale endanseuse en changeant laborieusementde vitesse.Lesdentsmétalliquesquibordentlespédaless’enfoncentdanslessemellesdesesbasketsentoileusées.Lescouturesdesonjeannoirirritentsapeauetlancentdeslignesdefeulelongdesescuissesàchaquetourdepédalier.Sarahtousseenexpectorantuneglairequ’ellecracheparterre.
Foutuescigarettes.Sonvieuxvéloestdansunétatencorepluspiteuxqu’elle.Ilesttroppetitetellesecognesans
cesse les genoux contre le guidon décoré de fanions en plastique, raidis par l’âge, qui pendentcommedesspaghettis.Lachaîneabesoind’êtregraissée,lepneuarrièreestpresqueàplatet,plusdangereux,lesfreinsnerépondentplus.
Maisellen’iraplusàMountWashingtonenbusde toute la semaine.Elleamisaupointunplan.Unplanmachiavélique.LesgéniesdeMountWashingtonontvisiblementcomprisqu’ellenefaisaitrienpourtenterd’êtrejolieselonleurscritères.Maisquesepassera-t-ilsiellecherchecarrémentàdevenirmoche,pourreprendre le termede la liste?Laplusmochepossible,assezpourlesforceràlaregarder?
EllepeutremercierMrsColbydeluiavoirsoufflél’idée.
Quandlaproviseurl’aarrêtéedanslecouloir,Sarahavaittotalementoubliélemotécritsursonfront.MrsColby l’a remarqué toutdesuite,allant jusqu’àesquisser legested’écarter sa frange,avantdeseraviseretdecroiserlesmainsderrièresondos.
–Quit’aécritcelasurlefront,Sarah?a-t-elledemandéd’untonsoucieuxetpeiné.
Sarahafaitlagrimace.MrsColbypouvait-ellesérieusementimaginerquequelqu’unluiavaitbloquélesbrasetlesjambespourgribouillercetrucsursonfrontcontresongré?Sansdéconner.
–C’estmoi,a-t-ellerépondufièrement.MrsColbyaréagiparunsourired’incompréhension,commesiSarahparlaitdansunelangue
étrangère.–Lesautresnetevoientpascommeça.Sarahalulanotequ’elleluitendait,avantderépliquer:–Çavousapeut-êtreéchappé,mais tout lemonde icia lecerveau faitde lamêmefaçon. Ils
formentunesortedesecte.MrsColbyapousséungrossoupir.–Jetedemanderaid’allereffacerçaavantdevenirdansmonbureaupourlaréunion.–C’estdufeutrepermanent,apréciséSarah.Etjeneviendraipas.–Taprésenceestobligatoire,Sarah.Etcetteinscriptionperturbelesautres.Enoutre,jenesuis
pasd’accordaveccequetuasécrit.Sarahaplissélesyeux.Laproviseurenfaisaitdestonnes.Commesielleavaitlutropdeguides
du parfait proviseur pendant l’été. Sarah en a presque regrettéMrWeyland, qui avait pris saretraiteàlafindel’annéeprécédente.Ilavaitcentcinquanteans,dirigeaitlelycéeendictateuretnecomprenaitrienàrien,maisiln’avaitjamaisessayédefairecopain-copainavecquiquecesoit.ÇaparaîtdinguequeMrsColbyaitétéchoisiepourleremplacer.Elleapeut-êtretapédansl’œildeWeyland,pouravoirleposte.Elleestjolie,danslestylelisseetconventionnelquireprésenteunmodèlepourtouteslesfillesdeMountWashington.ÇacrevaitlesyeuxqueMrsColbyfaisaitunnuméroetqu’ellen’appréciaitpasplusqueçalescolliers,lepiercingdanslenezetlacoupedeSarah.
Celle-ciaramenésescheveuxsursonfrontdefaçonàrecouvrirl’inscriptionincriminée.–Voilà.Plusdeperturbation.Laproviseurapenchélatêtesurlecôtéetlancéunenouvelleoffensive:–Jecomprendsquecesoitdéstabilisantpourtoi,Sarah,etc’esttoutàfait…–Jenesuisabsolumentpasdéstabilisée.MrsColbyacommencéàs’agiter.Sarahavusesjouessecolorer,mêmesoussonmaquillage.–D’accord.Bon…tu as visiblementdes sentiments très entiers àproposde cette liste.Et ta
réactionme paraît parfaitement légitime. Je trouve choquant queMrWeyland ait laissé durercetteaffairetoutescesannées.
CettedernièrephraseasurprisSarah.Apriori,lesproviseursn’étaientjamaiscensésdiredumaldeleursconfrères.
–J’apprécieraisquetum’aidesàinciterlesautresàprendreposition,areprisMrsColby,pourqu’iln’yaitpasdenouvellesvictimesdecettepratiquedéplorablel’annéeprochaine.
Sarahs’estretenuederire.Laproviseurse fourrait ledoigtdans l’œilsielleespéraitpouvoirmettreuntermeàlapublicationdecetteliste.
– Je me fous des autres filles de la liste. Et je me fous que cette liste continue d’exister.D’ailleurs, non, j’espère qu’elle va continuer ! C’est du délire que les gens y accordent autantd’importance.S’ilsgobentn’importequoi,tantpispoureux.
Laproviseurafroncélessourcils.–Mercid’allertelaverlevisagetoutdesuite,Sarah.Jenevaispasteleredemander.Sarah est entrée en trombe dans les toilettes, s’est emparée d’une feuille d’essuie-tout et l’a
passéesouslerobinet.Cettefemmeétaitincroyable!Quelledifférenceentrelalisteetlebaldela
rentrée?Danslesdeuxcas, ils’agissaitdeconcoursdebeautédébiles,àceciprèsquelesecondétaitvalidéparladirection.
Elles’estfrottélefront.Évidemment,çan’afaitqu’estomperunpeul’encrenoire.Lesavonàdeuxballesdudistributeuraeupourseuleffetdeluipiquerlesyeux.Génial.Elles’estretrouvéeàgenouxparterreentraindes’essuyer lesyeux.Sidesfillesétaiententréesàcemoment-là,ellesauraientcruqu’ellepleurait.
Illuifaudraitattendrederentrerchezellepourlaverl’inscription.Etavoirleplaisirdereveniraulycéelelendemaincommesiderienn’était.
C’estlàqu’elleaeul’idée.Celledepasserauniveauderébellionsupérieur.Demontreràtoutlelycéecequ’ellepensaitvraimentdeleursopinionsetdeleursrègles.Jusqu’ici,elleavaitététroppassive,troptolérante.Ellelesavaitlaissésévirsansjamaisréagir.Etlabeautédugeste,c’estquesisonplanfonctionnait,ilgâcheraitlebaldelarentréedanslafoulée,grâceàunactederésistancegéant.
Sarah tourne à gauche et freine au pied d’une colline dont elle n’avait jamais remarquél’existence.Peut-êtreluiparaissait-ellemoinsénormequandelleprenaitlebus.Ellenedistinguepaslelycéeausommet,rienqu’unebanded’asphaltesansfinquis’élèveversleciel.
Elle pédale en danseuse, de toutes ses forces, pour prendre de la vitesse. À mi-montée, sonrythmeluipermettoutjustedegarderl’équilibre.Sonvélovacilleverslemilieudelachaussée.Desvéhiculescommencentà formerunequeuederrièreelle,etcertainsmontentsur le trottoirpourladépasser.
Mais Sarah est déterminée. L’air automnal lui picote les oreilles. Des feuilles mortes sedésintègrentsoussesroues.Deboutsursespédales,ellemettoutesonénergieàavancer,tandisquelasueurdégoulinesoussontee-shirt.
Letee-shirtdeMilo.Ons’enfout.Celuiqu’elleportaithier.Miloestarrivéàleurbancavantelle.–Salut!luilance-t-il,surpris.Cool,tonvélo.SesyeuxremontentverslefrontdeSarah.–Heu,apparemment,çan’estpaspourrienqu’onappelleçadufeutrepermanent?–Apparemment.Sarahesttellementessouffléequ’elleadumalàparler.Elletapotesonfrontensueuravec la
borduredesontee-shirt,délicatement,pournepaseffacerlemot.Ilyesttoujours,unpeuplusclairqu’hier.
–Tuasremismontee-shirt?–Tubossespourlapolicedelamode?Ellecherchesonpaquetdecigarettesdanssapochepuischanged’avis.L’odeurcamoufleraitses
effluvescorporels.Ellenefumerapasdelasemaine.–Oui,c’esttoujourstontee-shirt.Elle s’assoit auboutdubanc en ramenant les genoux contre sapoitrine.Elle a déjàmal aux
jambes.Une drôle d’expression passe sur le visage deMilo, lui donnant l’air de loucher derrière ses
lunettes.–D’uncôté,tuportesmontee-shirt,etdel’autre,tufaiscommesitunepouvaisplusmevoir
enpeinture.C’estpasunpeubizarre?
Ilplongelamaindanssonsacdontilsortuncarrépliédecotonnoir.–Jet’airapportéletien,aufait.Jel’ailavé.C’estmarrantcommeMilopeutmettrelespiedsdansleplatquelquefois.Commesi,malgrélui,
paréclairs,sagaucherieavaitraisondesatimidité.Sarah n’a pas encore évoqué avec lui le fait de mettre un terme à leur relation. Depuis les
événements d’hier, ça a été de la folie. En plus, pourquoi le ferait-elle ? Pourquoi faudrait-ilqu’elle se tape le sale boulot, alors qu’elle n’a rien à se reprocher ? Pourquoi devrait-elle luifaciliterlatâche?
Ellerelèvelementond’uncran.–J’aidécidédenepasmelaverdetoutelasemaine.–Sérieux?–Yep,confirme-t-elleenfaisantclaquerlep.Pasdedouche,pasdebrossagededents,pasde
déodorant, rien. Je garde les mêmes fringues, même les chaussettes et les sous-vêtements. Madernièredoucheremonteàdimanchesoir,justeavantd’allercheztoi.
Etelleconclutencroisantlesbras:–Jefaisl’impassetotalesurl’hygiènejusqu’àsamedisoir.Çaluifaitdubiendel’avoirformulétouthaut.Maintenant,plusmoyendereculer.–Pourquoisamedisoir?Consciented’êtreridicule,ellerépondengardantsonsérieux:–Àcausedubaldelarentrée.J’iraihabilléecommeça,l’objectifétantd’êtrelapluscradingue
etlapluspuantepossible.Miloexplosederire,puiss’interromptenvoyantqu’ellenel’imitepas.–Tudéconnes.–Pasdutout.–Pourquoitute laissesboufferparcettehistoire?Tudétestes les fillesdulycée,etdetoute
évidence,tuasbienraison.Etmaintenant,tuveuxtepointeràleurbaldébile?Çaneteressembleabsolumentpas.
Sarahlisse lesfanionscraquelésdesonvieuxvélo.CettedernièreremarqueestbienlapreuvequeMilonelacomprendpas.Ilnel’ajamaiscomprise.Etellen’aaucuneenviedeselancerdansdesexplicationsauxquellesilnecapteraitrien.
–Bon,onpeutéviterd’enfairetoutunplat?Detoutefaçon,c’estdécidé.Ilhausselesépaules.–Jepourraiveniravectoi?Ellesetournevivementversluipourledévisager.–Arrête.Ilsouritdetoutessesdents.–Onsemarreraitbien.Jemettraisunecravate.Jet’achèteraisuneguirlandedefleurs1.Sarahnedevraitpasêtresurprisequ’ilveuillealleraubal.Comptetenudecequ’ellesaitdelui
maintenant,c’estmêmeparfaitementlogique.–Alors,c’estd’accordpourlerancard?Ellesecouelatête,unpeudéconcertée.–Sipar«rancard»,tuparlesdedébarqueraumêmeendroitaumêmemoment,alorsoui,on
peutdireça.Maist’aspasintérêtàm’apporterunbouquet.Lasonnerieretentit.Toutçaesttellementridiculequec’enestcomique.Pasunesecondeelle
n’avait envisagé d’aller au bal de la rentrée de Mount Washington. Avec un garçon. Et elle
préférerait mourir que de l’admettre, mais une minuscule, pitoyable étincelle d’attente mêléed’impatienceluitquelqueparttoutaufondd’elle.
Enentrantdanslebâtimentdulycée,Sarahobservelesvisagesdeceuxqu’ellecroise.Personnen’al’airderemarquerqu’elleportelesmêmesvêtementsqu’hier.Raté.
Etpuis,toutàtrac,Miloluiprendlamain.Tranquillement,commesiçafaisaitpartiedeleurshabitudes.Alorsquepasdutout.
Malgré elle, en se disant qu’elle s’enmordra les doigts, Sarah lui abandonne samain. Parcequ’elleretrouvedanscegesteunéchoduMiloqu’ellecroyaitconnaître.Et,letempsdequelquessecondestropvitepassées,çaluifaitdubien.
1-LesjeunesAméricainesportentsouventunpetitbouquetouuneguirlandedefleursaupoignetauxbalsdulycée.Danslatradition,c’estlegarçonquil’offreàsacavalière.
CHAPITRE13
– Je me demande si Mr Farber va appeler aujourd’hui, dit Mrs Finn en regardant dans lerétroviseur.Espéronsqu’ilauralapolitessedemeprévenirsijen’aipasleposte.Ilyadesgensquineprennentmêmepascettepeine.Tunetrouvespasçaodieux?
–Si.Laréponseestvenueunpeuàretardement,unpeumollement,parcequeLaurenn’écoutepas.
Ellerelitleversodelaliste,glisséeentrelespagesdesoncahierd’histoire.Hieraétélegrandjourdesprésentations.Quelquesfillesontchoisiuneapprocheformelle,avec
déclinaisonde leursnomsetprénoms.D’autres luiontpasséunbrasautourdesépaulesdans lecouloir en se lançant dans des confidences plutôt intimes : plaintes sur les douleursprémenstruelles,bribesderagotssurdesgensqu’elleneconnaîtpasencore,secretsamoureux…
Laurenaessayéd’enregistrerlemaximumd’informationssurchacune.Elleaprisdesnotesaudosdelaliste:untiretsousformedefleuràcinqpétales,suivid’unnometd’unrapidedescriptifphysique. Au début, ça l’a amusée de voir la page se couvrir de fleurs comme un jardin auprintemps, mais à la fin de la journée, sa feuille ressemblait à une jungle impénétrable et ellen’arrivait plus à distinguer une fille d’une autre.Et ce constat la préoccupe, tandis qu’elle voitapparaîtrelelycéederrièrelepare-brise.
–Tuasuncontrôled’histoire?luidemandeMrsFinnenessayantdejeteruncoupd’œilsursescours.Tunem’enaspasparléhiersoir.J’auraisput’aideràréviser.
Laurenrefermesoncahierenserrantlesdoigtsautourdelareliure.–Non.Maisj’ail’impressionqu’onvaavoiruneinterrosurprise.Ilvadesoiqu’ellen’apasmentionnélalisteàsamère.D’abord, elle serait contre. C’est précisément le genre de pratiques dont elle a cherché à
protégerLaurenenluidonnantdescoursàdomicile.Etpuisellesontpassélasoiréeàpréparerpointparpointl’entretiend’embauchedeMrsFinn.
Samèreétaitpersuadéequ’ellen’auraitpasleposte.Laurenluiaassuréqu’elles’ensortiraittrèsbien,toutensedemandantcequiallaitsepasserdanslecascontraire.
Çan’estpastoujoursfaciled’avoirsamèrepourmeilleureamie.Celle-ciluiadresseunpâlesourire.–C’estbêtequetuaiescoursaujourd’hui.Jevaisdevenirfolleàtournerenrondtouteseuleàla
maison.Disdonc,j’aiuneidée!Tuneveuxpasqu’onaillesemangerdespancakes?Ilyaunpetitcaféoùtonpèrem’emmenaittouslesdimanches,quienfaitdedélicieux.Jepourraistefaireunmot.Jediraisquetuavaisrendez-vouschezlemédecin.
Lespancakessonttentants,maisLaurenestassezimpatiented’alleraulycée.C’estlapremièrefoisqueçaluiarrive.
–Désolée,maman,jenepeuxpas.Sionainterrosurprise,ceseraenpremièreheure.–Bon,tantpis.–Situt’ennuies,tun’aurasqu’àdéfairedescartons.Presquedeuxmoisaprèsledéménagement,legrosdeleursaffairesn’esttoujourspasdéballé.–Jeveuxd’abordêtresûrequ’onreste,répondsamère.Onnesaitjamais.Sijen’aipasceposte,
ilsepeutqu’ondoivevendrelamaison.–Tul’auras,ceposte,maman,c’estcertain.Maisaulieudeluisourire,MrsFinnlaregardecommesielleavaitditcequ’ilnefallaitpas.Quand la berline s’arrête devant le lycée,Lauren s’aperçoit quedes élèves ont remarqué son
arrivée.Aufond,cettelisteconstitueunesortedecertificatdenaissance.EllemarqueledébutdesonexistenceàMountWashington.Laurenseretourneverssamèreenespérantquecelle-cines’estrenducomptederien.Toutvabien:ellealesyeuxsurlerétroviseur.
Laurenentreenclasse,s’assoitetréviselesnotesqu’elleaprisesaudosdelaliste.Elletâchedese concentrer sur les fillesqui semblent constituer soncercle leplusproche : cellesqui luiontmanifestéleplusd’intérêt.
Une à une, elles arrivent et l’entourent. Certaines approchent leurs chaises, d’autres restentdeboutpourmieux la voir, et toutes lui sourient comme si elle était un bébé qu’elles venaientd’adoptercollectivement.
Apparemment sous le charmede son innocence, avecdespetits regards approbateurs, elles sesignalentàvoixbasselestransgressionssocialesdeLauren:sonabsencedemaquillage,lefaitqueseslivressoientrecouvertsdepapierkraft,sabarrettedanslescheveux.
Laurensentlesangluimonteràlatête,luidonnantuncoupdechaudetunlégervertige.Puislesquestionscommencent:–TuastoujourshabitéàMountWashington?–Non,répondLaurenaprèsavoirrepérédanslegroupecellequiaposélaquestion.Avant,je
vivaisdansl’Ouestavecmamère.Onadéménagéaprèslamortdemongrand-père.–Tesparentssonttoujoursensemble?Laurensetourneversunefilleassisesurunbureauàsadroite.–Non,onn’estquetouteslesdeux.–Tonpèrehabiteoù?demandeunetroisième,adosséeautableau.–Luiaussi,ilestmort.Quandj’étaisbébé.–Wouah,c’estsupertriste,souffleunevoixdanssondos.Lesautreshochentgravementlatête.–Ilétaitbeaucoupplusvieuxquemamère,préciseLauren.Elleperçoitleurenviedelaconnaîtreets’efforcedesuivrelerythmedeleursquestions.Àleur
manièredecommuniquerentreellessansseparler,pardeshochementsdetête,dessourires,descoupsd’œil,ilestclairquelaplupartseconnaissentpratiquementdepuistoujours.Laurenlesaobservéesàdistancecesdernièressemaines,marchantdanslescouloirsbrasdessusbrasdessous,sejetantdanslesbraslesunesdesautresentredeuxcours.Elleveutêtredesleurs.Elleal’impressiond’avoirtellementdechosesàrattraper!
Elle aimerait bien que la discussion soit un peu moins à sens unique. Elle aussi, elle a desquestionsàleurposer.Maisellesneluienlaissentpasletemps:
–Qu’est-cequetuaimescommeactivités?–Heu…jenesaispas.Lalecture?J’adorelire.–Tusorsavecquelqu’un?–C’estdesgarçonsquiveulentqu’ontedemande,préciseune fille,d’un tondemijauréequi
déclenchel’hilarité.Laurenfaitnondelatête.–Jen’aijamaiseudecopain.Je…jen’aijamaisembrasséungarçon.Elleserendcomptepresqueaussitôtqu’ellen’estpasjusteentraindeparleraveccesfilles.Ses
réponsesvontêtrerépétéesàdestasd’autresgensqu’elleneconnaîtpas.–Jamais?!piaillent-ellesd’untonaussiraviquechoqué.Quelques-unes se rapprochent encore de son bureau, comme pour la protéger. Elle ne se
rappelleaucundeleursnoms.–Ben,vouspouvezêtresûresqueçavachanger! lance l’uned’elles,sanscesserde la fixer.Je
pariequeLaurenauraunamoureuxd’icilebal.Laurensesentrougir.Laprédictionluisembletotalementdélirante.–Ça,onverra.–Tuasdéjàachetétonticketpourlebal?–Non.–Maistuvasvenir?–Sansdoute,répondLaurenenhochantlatête.Ellen’yavaitpasencoreréfléchi.Etilfautencorequ’elledemandeàsamère.–Super.EtceseraitgénialquetunousaidesànouspréparerpourlecortègedesBraves.C’est
une sortededéfilé avant lematch, où ceuxdu lycée font le tourde la ville dans leurs voituresdécorées.Touslesgenssortentdechezeuxpourregarder.C’esttropsympa.
–Avecplaisir.L’idéedetraverserlavilleenvoitureavecsesnouvellescopines,quisontpeut-êtreentrainde
devenirdevraiesamies,estterriblementattrayante.Toutàcoup,lavieaulycéeneseprésentepluscommelecauchemarqu’onluiavaitdécrit,maiscommenceàressemblerplutôtàunrêve.
Unefilledéclared’untonpensif,latêtepenchéesurlecôté:–Çadoitêtrevraimentbizarrepourtoi.Hier,tuétaisinvisible,etaujourd’hui,toutlemonde
saitquitues.–Moi,jetrouvaisquetuavaisl’airsympa,affirmeuneautre.Jenesaismêmepaspourquoijene
t’aijamaisditbonjour.–Moipareil,ajouteunetroisième.–C’estunpeudemafaute,lesexcuseLauren.Moinonplus,jeneparlaispasbeaucoup.Jesuis
unpeutimide.ElleregardelesfilleslesunesaprèslesautresetremarqueCandace,leuranciennemeneuse,qui
entredans la salle.Seule.Elle voit ses yeuxglisser sur legroupe sans seposer.Les autres, tropoccupéesàfixerLauren,nesesontpasaperçuesdesaprésence.
–Çam’embêtepourCandace,chuchote-t-ellealors.Elleavaitl’airénervée,hier.Lauren l’amêmetrouvéeplusénervéequetoutes lesautres fillesréuniesdans lebureaude la
proviseur.–Oh,laissetomber,marmonnel’unedesesnouvellesgroupies.–Pourquoi?–Parcequec’estunegarce,rétorqueuneautre.
Toutesconfirmentd’unhochementdetêtesolennel.–Jenecomprendspas,reprendLauren.Jecroyaisquevousétiezamiesavecelle!–C’estvrai!Onesttoujoursamiesavecelle.–Mais…ilfautadmettrequeCandacel’aunpeucherché.–Ellesecroittoutpermissousprétextequ’elleest…jolie,quoi.Çanesefaitpas.–Ellen’arrêtepasdecrachersurlesgens.CellequivientdedireçaregardeLaurencommesielleattendaitdeliresursonvisageunéclair
decompréhension.Nelevoyantpasvenir,elleprécise:–Surtoi,parexemple.Lauren essaie de se rappeler les quatre dernières semaines. Elle a fait son possible pour
s’intégrer,cequinel’apasempêchéedecommettredesbourdes.Lesbottesencaoutchoucqu’ellea mises le premier jour où il a plu lui ont valu quelques regards de travers. Elle s’habille demanièresimpleetpratique,sansrecherche.Sescheveuxsontnettementpluslongsqueneleveutlamodedumoment,etpersonnenelesmaintientplaquésavecunevieillebarretteternie.
Ellelèvelamainetretirelabarrettediscrètement.Ellesaitqu’illuirestebeaucoupàapprendre.Deschosesquesamèreignore,ouqu’elleneluiajamaisexpliquées.
Quand sonne le début des cours, Lauren a toujours le sentiment qu’elle devrait parler àCandace.Sefairedenouveauxamis,c’estgénial,maispasauprixdesefaireuneennemie.
VoyantCandacefilerauxtoilettes,elleluiemboîtelepas.–Salut,dit-elle.Jem’appelleLauren.–Merci,jesuisaucourant.Candaces’enfermedansuncabinet.Laurensetriturelesdoigts.–Je…jevoulaisdirequejesuisdésoléepourcequis’estpasséhier.Tuneméritesvraimentpas
qu’ontetraitedemoche.Auboutd’uneseconde,Candacetirelachassed’eau,alorsqueLaurennel’apasentenduefaire
pipi.Ellerouvrelaporteetvaselaverlesmainsaulavabo.–Ça,jelesais,réplique-t-ellesanslaregarder.Elle est clairement énervée.Lauren la comprend.Elle a peut-être tort de vouloir lui parler,
maiscelalasoulagedeluidirecequ’elleasurlecœur:–Et je suisdésoléeque tesamiesne teparlentpaspour l’instant.Mais je suis sûrequeçava
passer.Candacericane,etLaurensursaute.C’estvrai,qu’est-cequ’elleensait,aufond?Elleneconnaît
pascesfilles,nilescodesdefonctionnementd’unlycée.–Bon,enfin,jevoulaisjustetedireça,conclut-elle.ElleapresqueatteintlaportelorsqueCandacelarappelle:–Tu as quandmême compris que si ces filles sont sympas avec toi, c’est à cause de la liste,
j’espère?Cettefois,c’estLaurenquinerépondpas.Oui,ellelesait.Etelles’enmoque.L’essentiel,c’est
qu’ellessoientsympas.Etellecomptebiensavourerchaqueminutedesanouvellepopularité.
CHAPITRE14
Danielle touche lemurauboutdesoncouloir, fait laculbute, sepropulsed’unepousséedespiedsetfendl’eaupoursadernièrelongueur.Généralement,nagerluividelatêteetsonespritluiparaîtalorsaussiclairetépuréquel’eaudelapiscine.Maispaslà.Aujourd’hui,sespenséessontsombresetvaseusescommel’eaudulacClover.
LecampdevacancesdulacCloversetrouvaitàplusdecentcinquantekilomètresdeMountWashington.NiDanielleniAndrewn’yétaientjamaisallés,maistouslesdeuxavaientdansleurfamillequelqu’unquiyavaitséjournéetquis’étaitdébrouillépourleurdécrocherceboulotd’étégrassementpayé.
Lesautresanimateursadosavaienttouspassédesvacancesaucampenfantsetilsformaientunebandeassez fermée.Ilsconnaissaientparcœurtoutes leschansonsdecoloset tous lesnomsdesarbresde la région,et ils auraient sansdouteétéprêtsà travaillergratuitementpourpouvoiryvenirunétédeplus.DanielleetAndrewétaientdesétrangers. Ilséchangeaientparfoisuncoupd’œilironiquequandlesautrescritiquaientleursmangeoirespouroiseauxenpommesdepinoulesreprenaientquandilsprononçaientmallenomd’anciennestribusindiennesdelarégion.Maisonnepouvaitpasdirequ’ilsétaientamis.
Les enfants adoraientDanielle.Les autres animateurs ne s’occupaient pas beaucoup de leursgamins.Danielle,elle,participaitàleursactivités,neserait-cequepouravoirdesgensàquiparler.Lesfillesdesondortoirluiavaienttresséuncordonpoursonsiffletdemaître-nageur.Lesgarçonsn’arrêtaientpasdeladéfieràlacourseouàlanage.Audébut,ilsprenaientmallefaitdeperdre,surtoutcontreunefille;maispetitàpetit,leuraigreurs’étaittransforméeenrespect.
C’estàcemoment-làqu’Andrewacommencéàsefaireplusprésent.Ellelevoyaitmarchersurlarivedulacduhautdesonsiègedemaître-nageur.Ellelesentaitdanssondosenfaisantlaqueueaubuffet.Ellesurprenaitsonregardderrièrelesflammesorangéesdufeudecamp.
C’étaitlapremièrefoisqu’ungarçons’intéressaitàelle.Pours’amuser,elleécrivaitdeslettresàHope,commeonlefaisaitautrefois.Maislaquestion
«Andrew»réclamaitunmodedecommunicationplusdirect.Alorselles’estmiseàluitéléphonerendoucepourluifaireunrapportquotidiendesmanœuvresd’Andrew.
–J’ail’impressionqu’ilaenviedeparler,a-t-ellechuchotéunsoirdanssontéléphone,unefoislesgaminsendormis.
Elle scrutait le ciel dans l’attente d’une étoile filante, adossée à sa couchette en planches decèdre.
–Valuiparler,toi.
–Turigoles?–Danielle,c’estridicule!Onpasseentroisième!Ettuparlestoutletempsauxgarçons!–Jamaisàceuxàquij’aiunechancedeplaire,arectifiéDanielle.–Ildoitêtrenerveux,areprisHope.Tuesunpeu…intimidante.Danielleafermélesyeuxetrespirél’airlourd,chargéd’humidité.Elleaussisesentaitnerveuse,
cequiavaitleméritedelesmettreàégalité.Lelendemain,Andrewestpasséàl’action.Danielleétaitdanslelacjusqu’àlataille,occupéeàdirigerunrelaisdenatationpourlesonze
ans,quandellel’avuassissurleponton,lesjambesdansl’eau.C’étaitpeut-êtrelemaximumdecequ’ilpouvaitfaire.Elleanagéjusqu’àlui.
–Salut,aditAndrewquandellel’arejoint.Jesuisvenutemettreengarde.–Contrequoi?Elle s’esthissée sur leponton, et s’est assise à côtéde lui, en laissant entre eux juste assezde
distancepourqu’ilnesoitpasmouilléparl’eauquidégoulinaitdesonmaillot.Ilgardaitlesyeuxfixéssurlelac.–Touslesgarsdemondortoirontflashésurtoi.Danielle s’est demandé s’il s’incluait dans le lot.Tournant la tête vers lui pour ne plus être
éblouieparlesoleil,ellel’aobservé:ilétaitbronzé,avecdesmèchesdecheveuxblondroux.Lesmanches de son polo bleu marine aux insignes du camp étaient roulées jusqu’aux épaules etdécouvraitdesbrassecsetmusclés.
–Ilsparlaientdetoihiersoir,a-t-ilrepris.DannyFannelliaditqu’ilallaitfairesemblantdesenoyerpourquetulesauvesetquetuluifassesdubouche-à-bouche.
Danielleaéclatéderire.–Rienqueça?Entoutcas,mercipourletuyau!Ilaattenduunesecondeavantdedemander:–IlparaîtquetuvasàMountWashingtonl’anprochain?–Ouais.Pourquoi,toiaussi?–Oui.Ils’estgrattélatêteenplissantlesyeuxdanslesoleil.Etvoilàcommentlaperspectived’unepetiteaventured’été,l’occasiond’unamourdevacances
dequelquessemaines,s’estsoudainmuéeenunepossibilitéplussérieuseetpluspalpitante.Elleacherchéenvainuneréponsedrôleetspirituelle.Parchance,DannyFannelli,prèsdurivage,s’estmisàbattredesbrasdansunjetd’éclaboussuresspectaculaire,alorsquel’eaudevaitluiarriverauxgenoux.
–Qu’est-cequejet’avaisdit?afaitAndrew,unsourirejusqu’auxoreilles.J’aiprévenuDannyquetuavaissûrementunpetitami,pourqu’ilnesefatiguepaspourrien.
–Jen’aipasdepetitami,aréponduDanielleenriant.Elles’estrelevéeenrepliantlesorteilssurlebordduponton.–C’estbonàsavoir,a-t-ilcommentéenselevantàsontour.Àplus,Danielle.–Àplus.EtelleareplongédanslelacClover,dontl’eauneluiavaitjamaisparuaussichaude.
Danielle sort la têtede l’eauet retire ses lunettesdeplongéepourconsulter lechronomètre.
Quelquessecondesplustard,lesfillesdescouloirsvoisinsapparaissentàleurtour.
Tracy, l’entraîneurde l’équipedenatationdespremières etdes terminales, sepenche vers lecouloirdeDanielle,muniede son écritoire etde son sifflet.Elle est grande etmince, avecdescheveuxblondscoupésras,àl’exceptiondequelquesmèchesquibouclentderrièresesoreilles.Elleafinancétoutessesétudespardesboursesdécrochéesgrâceàsesperformancesdenageuse.Jusqu’àcequ’ellesedéchirelestendonsdesdeuxépaulesauxépreuvesolympiquesdansunecompétitionennagepapillon.
Tracy a déjà assisté à d’autres entraînements de troisièmes depuis les gradins, mais c’est lapremièrefoisqu’elles’yimpliqueactivement,enreléguantleurentraîneurentitresurlesiègedumaître-nageur.Danielleaentenduquelques-unesdesescamaradesmurmurerdans lesvestiairesqu’ellecherchaitdelachairfraîchepourcomplétersonéquipederelaisdulycée.
–Bienjoué,Dan,luiditTracy.Maistuperdsaumoinsunesecondelorsdetaculbute.Tudoisresserrertontemps.
Daniellen’entendpaslecompliment.Nilacritique.TandisqueTracys’éloignepourparleràuneautrenageuse,unebullemontedanssagorge.–C’estDanielle,enfait,sesurprend-elleàdire.Tracyseretourneenhaussantunsourcil:–Pardon?–Excusez-moi,bafouilleDanielle,untonplusbas.Jepréfèrequ’onm’appelleDanielle.C’est…
monnom.L’entraîneurdestroisièmesluicriedesonperchoir:–TuasentenducequeTracyt’adit?–Oui,j’aicompris.Jevoulaisjuste…Uncoupdesiffletstridentl’interrompt.Tracyrecrachesoninstrumentetlance:–Bon.Lesfillesdehors,lesgarçonsenpiste.Onsepresseunpeu.Daniellegagnel’échelle,ens’interdisantdesefairedesreprochespouravoirreprisl’entraîneur.
Aprèstout,sonnom,c’estDanielle.Mais sonnouveau surnomsembleavoir la viedure.Bienqu’elle aitpris soinde semaquiller
aujourd’hui,etdepassersescheveuxauferà lisser,desélèvesqu’elleneconnaîtmêmepasl’ontappeléeDantheMandanslescouloirs,avecunevoixrauquecenséeimiterlasienne.LavoixdeDanielle n’a rien de rauque.Mais pour le savoir, encore faudrait-il qu’ils fassent l’effort de luiparler.Chaquefois,elleadûprendresurellepournepasfairevolte-faceethurlerdetoutessesforces:«Jem’appelleDanielle!»
Maiselles’esttue.SaremarqueàTracyaétéjusqu’icisaseuleetuniquetentativederebellion.Etcettetimideprotestationsuffitàluidonnerunsentimentdeculpabilité,surtoutaprèslamiseengarded’Andrew.
Par-dessuslemarché,laseulepersonnequ’ellesesoitpermisdecorrigerest justementcelleàquielledoitfairebonneimpression.
HopeattrapeDanielleparlepied,latireenarrièreetl’éclaboussepouratteindrel’échelleenpremier.
–T’ascartonné,luidit-elle.–J’aigâchémachance,grogneDanielleensortantdubassinderrièreelle.Hopeprendunegourdeposéesurlesgradinsetboitunerasade.–Oh,arrête!Çacrèvelesyeuxquel’entraîneurestvenueexprèspourtoi!Combienonparie
quetuserassélectionnéedansl’équipedulycée?Jevaispeut-êtreenvoyeruneplainteanonyme
pourréclamerqu’ontefassesubiruntestADN.Jetejure,àtevoirdansl’eau,ondiraitquetuasdusangdesirène.
Daniellesouritsansconvictionenpassantlesmainssursonventrepouressorersonmaillot.Enrelevantlesyeux,ellevoitAndrewtraînerprèsdelaporte,enmaillotdefootballetgenouillères.Etsoncœur,quiavaitcommencéàs’apaiseraprèsseslongueurs,s’affoledenouveau.
Elleapassétoutunétéàsepromenerenmaillotdebainsouslenezd’Andrewsansseposerdequestions.Mais avant de le rejoindre, elle s’arrête pour prendre sa serviette sur les gradins ets’enveloppededans.
–Bravopourtaprestation,luidit-ilencroisantlesbras.Tunagesaussivitequ’unpoisson!Unpoisson,cen’estpasunesirène;maisDaniellenevapassevexerpoursipeu.Elleseréjouit
qu’ill’aitvuesoussonmeilleurjour.–Merci.Tunedevraispasêtreàl’entraînement,toi?–Commej’avaisenviedetevoir,j’aiprétextéquejedevaisallerauxtoilettes.Ilbaisselesyeuxsurlecarrelage.–Onn’apaseubeaucoupl’occasiondeseparleraujourd’hui.Désolé.–C’estpasgrave,répondDanielle.Çaluiapourtantgâchépresquetoutelamatinée.ElleacherchéAndrewenvaindanstousles
endroits habituels, avant de se résigner à l’idée qu’il devait l’éviter. Assez curieusement, ça l’asoulagée.Aveclui,elleadumalàmaintenirsonindifférencedefaçadeausujetdelaliste.Etc’estencoreplusvraiavec lescopainsd’Andrew,quinesegênentpaspour lamettreenboîte.Alors,dansunsens,tantmieuxs’ilsefaitdiscret.Çaleurrendlavieplusfacileàtouslesdeux.
Andrewluitapoteledosets’essuielamainsursaserviette.– Bon, je feraismieux d’y aller, avant que l’entraîneur ne se demande ce que je fabrique. Je
t’appelleplustard!–Jevaisfairedushoppingavecmamèrepourtrouvermarobedebal.Aufait…vousavezprévu
quelquechose,samedisoir?Ellenesaitpastropcommentlebalsedérouleaulycée;siceuxquisortentensembleyvonten
couple,commeaubaldefind’annéedespremièresoudesterminales.Andrews’éloigneàreculonsverslaporteensecouantlatête.–Jenesaispasencore.Chuckasansdoutedesplans…Onvasûrementtraîner,maisjenesais
pasencoreoù.Pourlemoment,onresteconcentréssurlematchdesamedi.Parceque,sionperdcelui-là, on va être la honte de toute la division. Mais je te préviendrai quand les plans sepréciseront.
Danielle s’éloigne avec un sentiment de soulagement. Elle peut encore jouer les fiers-à-brasquelque temps, jusqu’à ce que cette liste sorte des esprits.Ce soir, elle va se trouver une robesuperbepourlebal.Etpluspersonne–pasplusAndrewquelesautres–nepourradouterqu’elleestunefille.
CHAPITRE15
Les répétitions de cheerleading1 sont bien plus sympas qu’il y a quelques semaines. C’est laréflexionquesefaitMargoensechangeantdanslesvestiaires.Elleenfilesatenued’entraînement:legging,débardeuretbaskets,plusunsweat-shirtpourlacoursed’échauffement.DanaetRachelportentàpeuprèslamêmechose.Lestroiscapitainesaimentbienprésenterunfrontuni.
Aujourd’hui,Sami,leurentraîneur,vientpourlesdernièresrépétitionsdelachorégraphiedelami-temps. L’équipe maîtrise l’ensemble des mouvements. Cette session-ci n’est plus que dufignolage.Histoirequetoutsoitparfait.
–Ilfaudraitpeut-êtrequ’onsortedel’exerciceàtourderôleàchaquerépétition,pourvérifierquetoutlemondeestaupoint,suggèreMargo.
–Ouais,approuveRachel.Saminepeutpastoutvoir.–Bonneidée,confirmeDana.Enplus,ajoute-t-elleenriant,Samineregardepaslesautresdans
lemiroirquandelledanse;ellenevoitqu’elle!Ilneresteplusquequelquesrépétitionsavantlematch,quiseraleplusimportantdelasaison.
Desanciensdulycéeviendrontyassister.Lescapitainesdel’équipedecheerleadingdel’andernierserontlàaussi,etellesneleurferontpasdecadeaux.EllesyseronttoutesàpartMaureen,quinepeutpasrentrer.Elleneserapeut-êtremêmepas làpourThanksgiving2 ; toutdépendradesesexamens.Maislapressionn’estpasmoinsénorme.
L’équipepresqueaucompletattenddéjàdehorssurlesgradins.EnvoyantarriverMargo,lesplusjeunessemettentàl’applaudir.C’estgênant,surtoutdevant
Sami.D’autantqu’ellesl’ontdéjàfaithier.–Qu’est-cequisepasse?s’enquiertl’entraîneur.Les filles lui parlent de la liste, ce qui est une erreur.On ne parle pas de la liste devant les
professeurs, etMargo est unpeuparanodepuis l’entretiende la proviseur.MaisSami le prendbien.Elleenprofitemêmepoursevanterd’avoirfigurédessusilyaneufans,alorsqu’elleétaitentroisième.Toutel’équipel’applauditàsontouretMargoseréjouitdeneplusêtreaucentredel’attention.
PuisSamiajoute:–Pour fêter ça,Margo a le droit de rester avecmoi pendant la coursed’échauffement.Bon,
mesdemoiselles,ons’ymet!MargocroitvoirDanaetRachelseregarderenroulantdesyeux.–Jepariequetesamiessontjalouses,luiditSamiunefoisl’équipepartieaupetittrot.–Non.Cen’estpasleurgenre.Samiritsèchement.
–Tasœurenasouffertl’andernier.Lesgensneserendentpascomptedelapressionqu’ilpeutyavoirsurnous,lesjoliesfilles.
Margoregardelesautresatteindreleboutduterrain.Elleselèvedelapelouse.–Jereviens.Etelles’élancepourcouriraveclesfilles.Çaluifaisaittropbizarrederesteràl’écart.
Aprèsl’entraînement,Margopasseàsoncasierpourrangersonpomponetreprendreseslivres
decours.PuisellerejointRacheletDanadevantsavoiture,surleparking.Ellesontprévud’allerfairelesboutiquesàlarecherchedeleurrobedebal,etdedînersurlepoucedansunecafétériaducentre commercial. Sa mère lui a donné sa carte de crédit. Margo n’en abuse jamais. Ellecommencetoujoursparlerayondesbonnesaffaires.Maispourlarobe,ellen’hésiterapasàmettreleprix.C’estquandmêmeledernierbalderentréedesavie.Dansunan,elleseraàlafacetcebalneseraplusqu’unsouvenir.Elletientàcequ’ilsoitlemeilleurpossible.
Ellerabatlacapuchedesonsweat-shirtsursatêtepourseprotégerduvent.Peut-êtrequ’ellechoisirauneuniversitéausoleil.Biensûr,elleaencoreplusieursmoisdevantelle.Ellen’amêmepasrempliunseuldossierdecandidature,niréfléchiàseslettresdemotivation.Mais l’avenirseprofileinéluctablement,etvoiletoutd’unsentimentdenostalgie.EllesedemandeoùirontDanaetRachel,etsiellescontinuerontàsevoir.Ellel’espère.Cesontdevraiesamies.Ellelesadoretouteslesdeux.
LespenséesdeMargodériventverssonpremierbalderentrée,ilyatroisans.ElleavaitfaillisebrûleravecleferàfriserensebattantavecMaureenpouravoirdelaplacedevantlemiroirdelasalledebains.Elleserappellelevertigequ’elleaéprouvéàdanserdanssarobedebaletàboiredessodasavecDanaetRachel,avecl’espoirquedesgarçonsplusâgésviendraientleurparler.
Cetteannée-làaussi,elleétaitsurlaliste.BryTate,éluroidubalparlesterminales,luiaoffertsarosequandleDJapasséunslow.SansêtreMatthewGoulding,c’étaittoutsaufunpis-aller.Ilportait sonmaillot de football etMargo se souvient encore qu’il sentait l’herbe pendant qu’ilsdansaientsouslabouledisco.Touslesmembresdel’équipedefootballaméricainavaientgardéleursmaillots, après avoir écrasé à plates coutures l’équipedeChesterfieldValley.Plus tard cesoir-là,MargoaembrasséBrydanssavoiture,pendantqueRacheletDanaenfaisaientautantavecd’autresgarçonsdansd’autresvoitures.Deretourchezelle,elleamis saroseà sécherdanssonjournal.Margoaencorelespétales.
Ilsétaientsiheureux!Ilsavaienttouspasséunesoiréegéniale!Jennifer aussi figurait sur la liste en troisième, et elle avait séché le bal pour des raisons
évidentes.MaisMargoétaitrestéeauxaguetsaucasoùelleferaitsonapparition.Etmêmesiellen’avait pas voulu l’admettre, son absence avait largement contribué au fait qu’elle était aussidétendue.Pourvuque Jenniferne viennepasnonplus cette année. Il ne reste pas tant debonsmomentsqueçaenperspective.
Rachel etDana l’attendent assises sur le capot de sa voiture.Margo agite lamain dans leurdirection.
Soudain,ducoindel’œil,ellevoitunesilhouetteboulottearriverdroitsurelle:Jennifer,quiagitelamain,elleaussi.
Quefait-elleencoreaulycéeàcetteheure-ci?Margos’approcheenprenantunairdéconcerté:–Qu’est-cequisepasse?
–OnainvitéJenniferàvenirfairedushoppingavecnous,expliqueRachelensautantducapot.Ellen’apasencoresarobedebal.
–Jen’avaismêmepasl’intentiond’yaller,marmonneJennifer.Danaluicolleseslivresdanslesbraspourrefaireseslacets.–Tuvasaubal,Jennifer!Laquestionneseposepas.C’esttadernièreannée!–On verra. Peut-être, si je trouve une robe, répond Jennifer en serrant les livres contre elle
commesic’étaientlessiens.Danaseredresseetluidonneunetapedansledos.–Ont’entrouveraune!EllessetournenttouteslestroisversMargo,attendantqu’elledéverrouillelesportières.Margo
crispelesdoigtssursesclés.–Désolée,lesfilles,maisjedoisvouslâcher.–Commentça?gémitRachel.C’étaittonidéequ’onfassedushoppingaujourd’hui!– Je sais, soupireMargoen sedonnantunedemi-secondepour inventeruneexcuse.Maisma
mèrevientdem’envoyeruntexto.Ilfautquejerentretoutdesuite.Ondéjeuneavecmonpèreprèsdesonbureau.Çaladéprimequ’onnepasseplusbeaucoupdetempsenfamille,maintenantqueMaureenestàlafac.Àmonavis,ellenousfaitunpetitsyndromedunidvideàl’idéequejeparsl’anprochain.
«Trop de détails », se reprocheMargo. Rachel etDana ne cherchent pas à lui cacher leurirritation.Elleaussi,elleestirritée.Ellesauraientpulaprévenirqu’ellesavaientinvitéJennifer!Àmoins qu’elles n’aient cherché délibérément à la mettre devant le fait accompli ? Elles necomprennentdoncpasàquelpointc’estgênantpourelle?Etévidemment,ellenepeutriendire.CertainementpasdevantJennifer.
Danarécupèreseslivres.– Je croyais qu’on devait acheter nos robes ensemble pour être sûres qu’elles s’harmonisent.
Pourqueçafassedechouettesphotosdenoustrois.Elle appuie sur chaquemot, en particulier sur les deux derniers. Elle ne se rendmême pas
comptequ’ellefaitunegaffeendisantçadevantJennifer.Quin’irapasaubalavecelles.Quineseranullepartsurleursphotos.
Margoestsurlepointdeproposerqu’ellesyaillentdemain,quitteàcequeJennifers’incruste,quandcelle-ciluitourneledosetluicoupel’herbesouslepiedendéclarantauxdeuxautres:
–Sivousvouleztoujoursyaller…jepeuxvousconduire.Jesuisgaréelà-bas.
Margorestelongtempsassisesansbougerderrièresonvolant,àréfléchir.Elleauraitdûalleravec lesautres.Elleauraitdû jouer le jeu,aider Jenniferà se trouverune
robe, faire semblant que tout était normal. Comme s’il ne s’était jamais rien passé entre elles.Commesiellesn’avaientjamaisétémeilleuresamies.
C’était le dernier jour de classe. Plus que quelques minutes avant de passer du statut decollégienneàceluidelycéenne,etpourMargo,çachangeaittout.Toutcequis’étaitpasséavant(labatailledebombesàeauencoursdegym,ledînerd’adieuavecdespizzasetdela limonadedans des mini-gobelets en carton) ne représentait que des souvenirs dignes de figurer dans lejournald’unegamine.Commesisavieétaitsoudaindevenuetroppetitepourelle.
Elle se tenait au bout de sa rue avec Jennifer, qui finissait de lui raconter une histoire surMatthew.Ellel’avaitentendudireàsescopainsqu’unefoisaulycée,ilnesortiraitplusqu’avecdes
fillesarborantdesbonnetsB.Sinon,quelintérêt?ÇaneressemblaitpasàuneremarquedeMatthew,maisquandlesgarçonsparlaiententreeux,
toutétaitpossible.Margoabaissélesyeuxsursapoitrine,despetitsbonnetsA.Ellesvenaientjustedefinaliserlesplansduweek-endprévuchezJenniferdepuisdessemaineset
Margoavaitàpeineeuletempsdeluilancer«àtoutàl’heure»,qu’elles’estrenducomptequ’ellen’avaitaucuneenvied’allerchezelle.
Pire,ellen’avaitplusenvied’êtreamieavecelle.Jennifern’avaitpourtantrienfaitdemal.Oupasvraiment.Maisunefois lapensée installée–ouplusexactement,maintenantqueMargoavaitadmisun
sentimentqu’ellerefoulaitdepuisdesmois–,ellenepouvaitplusl’ignoreruneminutedeplus.Au lieu de rentrer chez elle chercher son sac de couchage et son pyjama,Margo, les orteils
agrippésaureborddutrottoir,aregardéJennifermonterlacollined’unpaslourd,courbéesouslepoidsd’unsacàdoschargédesreliquesdel’année:vieuxclasseurs,affairesdegymconfitesdanslasueur,petitsmotséchangésentreelles,fichesdelectures.Margo,quineportaitplusdesacàdosdepuisunan,avaitbalancétoutlecontenudesoncasieràlapoubelle.
Cette image, superposée à son nouveau sentiment de légèreté, lui a paru tout résumer : leuramitié,leurhistoire,etlesraisonsqu’elleavaitdevouloirtournerlapage.
Maistournerlapagen’allaitpasêtreuneminceaffaire.Deretourchezelle,Margoestalléevoirsasœurdanssachambre.Elleestentréesansbruit,s’est
assisesursonlitetaattenduqu’ellefinissesaconversationtéléphonique.Généralement,Maureenla jetaitdehorsàgrandscris,maisMargoa supposéqu’elledevait faireune sale tête,parcequepourunefois,sasœurl’alaissérester.
Maureenafiniparraccrocheretentreprisdesepeigner.–Qu’est-cequetuveux,Margo?–C’estJennifer.Je…C’estjuste…Elleacherchélesmotspourformulerlarévélationdelajournée.–Tuneveuxplusêtreamieavecelle,aénoncéplatementsasœur.Margos’estsentiesoulagée.Elle avait apporté son journal, fourré dans la ceinture de son short, pour se donner des
arguments. Somméede s’expliquer, elle pourrait fournir des exemplesde casprécis où Jennifers’étaitmontréeénervante,avaitattisésonsentimentdeculpabilité,s’étaitcomportéebizarrementavec ses autres amies.Margo se sentait rassurée par ces preuves qu’elle serrait contre elle. Çal’aidaitàjustifiersadécision.
Mais elle n’en a pas eu besoin.Elle n’a pas eu à convaincreMaureen. Sa sœur amêmeparusoulagéeparcettenouvelle.
–Ilfautjustequetuteprépares,parcequeJennifervapéterunplomb.Ellefaitunefixationsurtoi.
–Pasdutout,aprotestéMargo,endépitdufaitquec’étaitaussisonimpressioncesdernierstemps.
–Oh,arrête.Ellepiquedescrisesdèsquetuvoisd’autresgens.Mêmequandtu l’inclus,ellefinitpartelereprocher.
Leuramitién’avaitpastoujoursétéminéepar lestensions.Pendantdesannées,elless’étaientbienamusées,ellesavaientpartagédebonsmoments,desmomentsfaciles.Margos’estabstenuedelesignaler;inutiledecompliquerleschoses.Elles’estlaisséallersurl’oreillerrebondidesasœur.
–Àtaplace, jenetraîneraispas,apoursuiviMaureen.Tuvasentrerau lycée,tunepeuxpaslaisser Jennifer te freiner et te culpabiliser chaque fois que tu rencontres des gensouque tu esinvitéequelquepart.
C’étaitexactementcequis’étaitpassél’après-midimême.Deuxfilles–DanaetRachel–avaientinvitéMargopourlasoirée,pourfêterlafindescours.
Ellesavaientprévud’allers’acheterdesglaces,devoirquiétaitdesortie,etéventuellementdefinirchezquelqu’unquiavaitunepiscine.
Elles avaient attendu que Jennifer aille aux toilettes pour en parler à Margo. Toutes leursinvitationsprenaientcetteforme-là.Secrète.Exclusive.
Margose félicitaitde leurdiscrétion.Parceque si Jennifer l’apprenait, elle s’attendraitàêtreincluse. Elle semblait penser que, parce qu’elles étaient amies, elles ne pouvaient rien faireséparément.Etc’étaitpeut-êtrevrai.C’étaitpeut-êtreainsiquelesgrandesamitiésétaientcenséesmarcher.MaisMargoétouffait;uneautreraisondevouloirarrêter.
–JedorschezJennifercesoir.Çapeutêtrel’occasiondeluiparler.Mais l’idée d’un face-à-face l’angoissait horriblement. Comment présenter les choses ? En
listant toutes les raisons pour lesquelles elle ne voulait plus de cette amitié ? Et si Jenniferinsistait?Sielleargumentait?C’étaittoutàfaitpossible.Elleallaitsûrementpleurer.EtMargoaussi,parcequec’étaittriste.Etquandellesauraientfaitletourdelaquestion,Margoétait-ellecenséeresterdormir?Ensouvenirdubonvieuxtemps?Ellenepouvaitpasimaginersituationplusinconfortable.
Maureenaôtésescheveuxdupeigneetlesajetésdanslacorbeille.–Situn’aspasenvie,n’yvapas.Disquetunetesenspasbien,n’importequoi…–Ellesauraquejemens.Jeluiaiconfirméquejevenaisilyadixminutes.Samèrepasseme
prendredansuneheure.Maureenahochélatêteavecconviction.–Parfait!–Quoi?–Turéfléchistrop,Margo.Tun’aspasbesoindejustifierpointparpointpourquoituneveux
pas rester amie avec Jennifer. Elle le comprendra d’elle-même. Et sinon… ce n’est pas tonproblème.
Unpeuplustard,Margoaentenduunbruitdeklaxondanslarue.Elleagagnélafenêtredesachambresurlapointedespieds,écartélesstoresd’undemi-centimètreetregardésamèresortirentrottinantpourtransmettrelemessage.Jenniferetsamèreontprisunairgrave.MrsBriggisaeul’expression de n’importe quelle mère apprenant qu’un enfant est malade. Inquiète etcompatissante. Jennifera réagidifféremment.Elleestdevenueaussiblancheque le trottoiretafixélafenêtredeMargoàtraverslepare-brise,sabouchecrispéeformantunemincelignedroite.
Unevagued’angoisseaassailliMargo.Jennifersavait-elle?Avait-ellevuvenirlarupture?Etsioui,celaallait-illuifaciliterleschoses?
Margoaréprimél’enviedes’écarterdelafenêtre.Ellearelevélestorejusqu’enhautpourêtresûrequeJenniferlavoie,ensesentantàlafoislâcheetcourageuse.
MrsGableaagitélamaintandisquelavoituredesBriggiss’éloignait.Elleestrevenueverslaported’entréeenarrachantaupassageunetigedepissenlitpourlajeterdanslemassifdelierrequiséparaitleurjardindeceluidesvoisins.
Plus tard, quand Margo a demandé à sa mère de la déposer chez le glacier où elle devaitretrouverDanaetRachel,MrsGablearefusé.SiMargoétaitmalade,elleétaitmalade.Margoa
imploréduregard le soutiende sa sœur,maisMaureens’estcontentéede lui tirer la langueenquittantlapièce.
Lelendemainmatin,Margon’apasproposédenouvelledatepourlasoiréechezJennifer.Ellen’apasréponduquandcelle-ciluiatéléphonéetnel’ajamaisrappelée,pasmêmequandsamèrescotchaitsesmessagessurlemurdesachambre.Ils’estpasséplusieurssemainesavantqueJennifercessed’appeler.
MargoapasséunétégénialsansJennifer.Ilyaeudesfêtesautourdespiscines,desbarbecues,desdiscussionsenpleinenuitsurletoitdesongarageavecsesnouveauxamis.Danal’ainvitéeàmonterdansuncamiondepompiers le jourdudéfilédu4 Juillet.Ellepassédesweek-ends aumarché auxpuces avecRachel, à vendredesbouteilles deCoca-Cola vintage,mais surtout à sefairebronzerdansune chaise longue. Jenniferne luimanquait absolumentpas, et personnen’ajamaisdemandépourquoionnelesvoyaitplusensemble.
Uneseulepersonneserefusaitàadmettrecechangement.Rétrospectivement,Margos’estrenducomptequeçaavaitétéuneerreurd’impliquersamère
danscettehistoire.Toutaulongdesesannéesdelycée,celle-ciacontinuéàlafaireculpabiliser,enluidemandantdesnouvellesdeJennifer,commentçasepassaitpourelleencours,sielleavaitunpetitami,commentallaientMretMrsBriggis.Elles’obstinaitàinterrogersafilleensachantpertinemmentqueMargonepouvaitpasluirépondre.Ellevoulaitsansdoutemarquerlecoup.Luisignifiercombienelleétaitmesquine.EtMargonesongeaitpasàleluireprocher.Ellesavaitdequoiçaavaitl’airdel’extérieur:delajoliefillequilâchesacopinemoche.C’étaitsansdoutecequetoutlemondepensait.
ÀcommencerparJennifer.Margon’ajamaisprislapeinedesejustifier.Elleavaiteucequ’ellevoulait,ettantpispourlereste.Un coup frappé sur la vitre de sa voiture ramèneMargo à la réalité.C’estMatthew, dans sa
tenuedefootballaméricain.Ellebaissesavitreetavalesasalive,lagorgesèche.–Salut.–Tuasunproblèmeavectavoiture?–Non,toutvabien.Çava.Merci.Jecroisquej’étaisailleurs.–Oh.Bon,OK.Àdem…–Commentçasepasse,l’entraînement?demande-t-ellepourprolongerlaconversation.Matthewsoupire.Ilal’airfatigué.–C’estchaud.Onn’apasbattuChesterfielddepuislatroisième.Etçafaituneéternitéqu’onn’a
pasgagnédematch.Elleluidécocheunsourirecharmeurtoutenrenouantsaqueuedecheval.–Oh !dit-elle. J’aidunouveaupourma fêtedevendredi.Finalement,mesparentspréfèrent
resterà lamaison.LescopainsdeMaureenontabusé l’andernier.Quelqu’una fouillédans lesplacards demamère et piqué son peignoir.Mais on pourra boire. Et ils ont promis qu’ils nesortiraientpasdeleurchambre.
Matthewhochelatête,reculed’unpasetlaregarded’unairsceptique.–Tuessûrequeçava?Tuasl’air,jenesaispas,stressée.Ellesourit,d’unsouriresiétiréqu’elleenamalauxjoues.–Oui,oui,pasdeproblème.Cequiestfaux.Etelles’enveutdenepasavoirréussiàlecacheràMatthew.
ElleremontesavitreetrepenseàRachel,DanaetJennifer.Ellesvontforcémentparlerd’elle,sicen’estpasdéjàfait.QuevadireJennifer?
Riendebon,c’estcertain.
1-Le cheerlading est lenomofficielde ladisciplinedespom-pomgirls, aujourd’hui reconnue enFrancecommedisciplinesportiveàpartentière.
2-LafêtefamilialelaplusimportanteauxÉtats-UnisaprèsNoël.Ellealieuledernierjeudidenovembre.
CHAPITRE16
Jennifers’éloigneentoutehâtedelavoituredeMargo,étonnéed’entendrelesfeuillesmortescrissersousdespasderrièreelle.
Ellen’auraitpeut-êtrepasdûproposerd’emmener les filles au centre commercial.Margovasûrementluienvouloir.Jennifern’estpasaveugle,elleabienvuleregarddetraversqu’elleluialancé.CommesichaquefoisqueJennifers’approchait,elleempiétaitsursonterritoire.
Maisqu’était-ellecenséefairequandRacheletDanal’ontinvitéeàvenir?Jennifern’allaitpasles rejeter alors qu’elles faisaient tout pour être sympas. D’ailleurs, elle avait vraiment besoind’alleraucentrecommercial,maintenantqu’ellesl’avaientpersuadéed’assisteraubal.EtRacheletDanaauraientpurefuser.EllesauraientputrouveruneexcusepourattendreMargo.
Maisellesnel’ontpasfait.Ellesontditoui.Rachel s’installe à l’avant dans la voiture de Jennifer et fait défiler les stations de radio à la
recherched’unechansonqu’ellespeuventchanter.Danaseretournepoursurveillerl’anglemortde Jennifer tandis qu’elle s’engage sur l’autoroute.Cespetits détails lui réchauffent le cœur. Ilscompensent le faitque,pendant lamajeurepartiedu trajet, sesdeuxpassagèresparlentpresqueexclusivement entre elles. Pour leur rappeler son existence, Jennifer intervient quand elle al’impressiondepouvoirfaireuneremarqueutile.Lerestedutemps,elleseconcentresurlaroute,commeunebonneconductriceresponsable,ettentedenepassesentirvexée.Toutvabien.Trèsbien,même.Etellen’enrevienttoujourspasdeseretrouverenvoitureaveclespom-pomgirls,àaller acheter de robes de bal, après avoir été couronnée reine democheté du lycée deMountWashington.
MaiscettesituationluidonneaussiunaperçudecequesavieauraitpuêtresiMargonel’avaitpaslaissétomberavantlelycée.Était-ellepénibleàcepoint?Était-cesicompliquédel’intégrer?Ellesaitqu’elleauraitpufairedesefforts.IlauraitsuffiqueMargosoithonnêteavecelle.Aurait-elledûchangersamanièredes’habiller?Sacoupedecheveux?Perdredeuxoutroiskilos?Elleauraitessayé.SiMargoluiavaitlaisséunechance.
Maintenant que Jennifer s’en voit accorder une, elle a la ferme intention de ne pas la laisserpasser.
Àl’approcheducentrecommercial,laconversationdevientstratégique:quellesboutiques,dansquelordre.Rachelsetourneverselle.
–Dequelgenrederobetuauraisenvie,Jennifer?Celle-cihausselesépaules.–Jen’yaipasvraimentréfléchi.Jen’arrivetoujourspasàcroirequejevaisaubal.–Jesuissûrequetuseraissuperenjaunevif,déclareDana.
–Enjaune?Tuessûre?s’étonneJenniferenregardantDanadanslerétroviseur.Ellen’apasunseulvêtementjaune.Etcommeilsedoit,ellefuitlescouleursvives.–Lejaune,c’estlacouleurdumoment,l’informeDanad’untonassuré.Rachelretiresesbasketsetsessocquettesetcalesespiedssurlaboîteàgants.Ilssententunpeu
après l’entraînement de cheerleading,mais c’est secondaire ; parce que du gros orteil jusqu’aupetit,lesdoigtsdepieddeRacheldessinentunescalierd’unerégularitésansdéfaut.Sesonglessontlaquésd’unsuperbevernisrougecerise.Jennifernepeutpass’empêcherd’yjeterdespetitscoupsd’œil.Avecdespieds aussiparfaits,Rachelpourrait êtremannequinpourphotosdepieds.«Sij’étaisàsaplace,songeJennifer,jenemettraisjamaisautrechosequedessandales.»
–Net’inquiètepas, Jennifer, luiditRachel.Fais-nousconfiancepour te trouver laplusbellerobedebaldetouslestemps.C’estpromis.
Jenniferéprouveunebrusqueenviedepleurer,qu’elleréprimeaussitôtparpeurd’êtreridicule.Arrivée dans le parking, elle trouve une place juste devant les portes en verre du centrecommercial.
–C’estbonsigne,déclare-t-elleauxdeuxautres.BienqueJennifervienned’inventercedicton, lesdeuxautresapprouvent,d’unhochementde
tête,commes’ils’agissaitd’unevéritébienconnue.
Elles sont seules toutes les trois dans le salon d’essayage du grandmagasin. Rachel et Danapartagentlacabinepourhandicapés.Jenniferoccupecelled’enfaceetlesentendparleràtraversleslattesdesportillons.
–Beuh,faitRachel.Beuhbeuhbeuh.–Lejaune,çanemevajamais,grogneDanadansunbruissementdetissu.Dosaumiroir,ensous-vêtements,Jenniferfixeladernièrerobesuspendueàlaporte.Lesdeux
autresqu’elleadéjàessayéesgisentparterresurlamoquette.Lapremière,unfourreaulavandeaudécolletéenformedecœur,étaitcraquantesursoncintre.
Mais elle tombe mal sur elle : les coutures zigzaguent dans tous les sens telles des routes decampagne,commesiaucunepartiedesoncorpsn’étaitàlabonneplace.
Ladeuxièmeestunerobemi-longueendentellenoireajouréedoubléedesatinpêche.Jenniferl’atrouvéeunpeudémodée,maisRacheletDanaluiontexpliquéquelefauxvintageétaitsuperbranchéetqueçapouvaittoutàfaitêtresonstyle.
Erreur.Ellen’amêmepaspul’enfiler.Elleatoutdesuitevuqu’elleseraittropétroite,maisRachelainsistépourqu’ellel’essaye,après
qu’une vendeuse eut précisé qu’ils n’avaient pas d’autres tailles en stock. Tandis que Dana etRachelpassaientd’unportantàl’autrepourluitrouverdesrobes,leurscritèresdesélectionontpeuàpeuglissédecequiétaitjoliàcequiexistaitdanssataille.VoilàcommentlarobejauneaétéretenuepourDanaplutôtquepourJennifer.
Elle a fait de gros efforts pour garder un esprit positif. D’autant que les filles lui ont prisd’autresarticlesdanslafoulée:dessoutiens-gorgeplusemboîtantsquelessiensoudesballerinesléopard qui iraient avec tout. Lamission n’était plus limitée à trouver une robe de bal. C’estdevenuducoachingvestimentaire.
Elleaditouiàpresquetoutcequ’ellesluiontproposé.Maisauboutdedeuxheures,laviréeshoppingcommenceàl’épuiser.Etlemanqued’empathie
des filles l’énerve. Elles n’arrivent pas à comprendre que pour elle, faire les boutiques est uneépreuve.
CommequandDana amontré à Jenniferun jeanqu’elledevait absolument essayer, avantdefiler vers un autre rayon. Les minces peuvent passer devant une table couverte de piles depantalonsetprendrelepremiersansseposerdequestions.Facile.PourlesfillescommeJennifer,c’estuneautrehistoire.Pourdénichersataille,elleadûfouillertoutenbasdelapilequ’elleafiniparfairetomber.Etencore,aulieud’êtreexposées,lesgrandestaillessontparfoisremiséesdansdescasiersendessous,commeici.Jenniferadûs’agenouillerpourfourragercommeunetruiedanslebac,sonsacglissantdesonépaule,tandisqueDanaluicriait:
–Jennifer!Grouille!Ilfautaussiquetuessayescelui-là!Pourtant,Jennifertâchedeseplieraujeu.Mêmes’iln’yapasderobeparfaite,contrairementà
leur promesse. Et aussi critiques que semontrentRachel etDana envers leurs robes dans leurcabine, Jennifer sait que tout leur va. Elles pourraient mettre n’importe quoi, elles seraientsuperbes.Lesdéfautsqu’ellesvoient,personnenelesremarquerait.Àcroirequ’elleslesinvententpourlaconsoler.Saufqueçanemarchepas.Ellesesentencoreplusmal.Par-dessuslemarché,elleafaim.Ilestl’heurequ’ellerentrechezelle.
–Tuenesoù,Jennifer?luilanceRachel.–Heu,jecroisquej’aifini!Ellen’amêmepasenvied’essayerladernièrerobe.Çademandetropd’efforts.–C’estvrai?s’étonneDana,d’untondontJennifernesaitpass’ilexprimeuneréellesurpriseou
delacompassion.–Allez,reprendRachel.Montre-nousaumoinsunerobe!Ensoupirant, Jenniferdécroche ladernièrerobedesoncintre,peut-êtreunpeubrutalement
comptetenudesonprix.C’estunerobebustierentaffetasdecotoncouleurbleuet,avecunetailleEmpire,quis’évaseendessous.Ellelapasseparlatêteetbloquesarespirationpourremonterlafermetureéclairsurlecôté.Elledoitsetortillerunpeupourlaremonterjusqu’enhaut,maiselleyarrive.
Lescoinsdesaboucheébauchentunsourire.Elletournesurelle-même.–Celle-cin’estpassimal,enfait,annonce-t-ellenonsanssurprise.Elleouvrelaporte.DanaetRachelsontassisessurdeschaisesrembourréesàcôtédumiroirà
troisvolets,chacuneavecunepilederobesrejetéessurlesgenoux.–Vousaveztrouvéquelquechose?–Net’occupepasdenous!Regarde-toi,plutôt!répondRachel.–Attendsuneminute,ditDana.Elleselèved’unbondetglissel’étiquettedansledécolletédeJennifer.–C’estbon.Maintenant,voyonscela.Jennifergrimpesuruneestradeplacéedevantlemiroiràtroisfacesetremontesescheveuxdans
unchignonimprovisé.–Jecroisquejel’adore,déclare-t-elle.Elleenestmêmesûre,maisellevoudraitquelesdeuxautresl’adorentaussi.–Jelatrouveparfaite,annonceRachel.–Laparfaiterobedebal,confirmeDana.Jelaverraisbienavecdeschaussuresrouges,non?–Ohoui,destalonsrouges,ceseraittropmignon!Jennifermonte et descend sur la pointe des pieds.Elle s’imagine dans le gymnase, coiffée et
maquillée,dansantencercleavecRachel,DanaetMargo.Enespérantquequelqu’unprendraunephotopourl’albumdulycée.
Àcemoment-là,unevendeuseentredanslacabined’essayagepourvoiroùellesensont.Elleestvêtue de noir de la tête aux pieds, avec une queue de cheval au lissé impeccable. Elle regardeJenniferetsemordlalèvre.Visiblement,elleauneopinion.
–Qu’est-cequevousenpensez?luidemandeJennifer,toutensachantqu’ellevaleregretter.Lavendeusefaitlamoue,secouelatête.–Jen’aimepas.Elles’approcheetagitedevantJenniferunemainmanucurée.–Çavouscoupeendeux ici.Lebustierest trop serré.Et la jupe tombebizarrement survos
hanches.Elledevraitformerunelignedroiteaulieudeballonnercommeça.Jenniferresteimmobiletandisquelavendeusepointelesdéfautsdanslemiroir,dontlestrois
voletsrépliquentsesimperfectionsàl’infini.Salèvreinférieurecommenceàtrembler,sonmentonseplisseetsecreuse.
Lavendeuses’enaperçoitetreculed’unpasavecunaird’excuse.–Vousaurezpeut-êtreplusdechanceauBoudoir,audeuxièmeniveau.C’est làquelamèredeJennifers’habille.C’estuneboutiquepourgrossesdamesd’uncertain
âgequin’arienpourlesjeunes.Onn’ytrouveniclipssurécransgéants,niprésentoirsdevernisfluosurlecomptoir.Iln’yaurariendemettablepourunbal.
Rachelselèvedesachaiseetempiletouteslesrobesqu’elletenaitsurlesbrasdelavendeuse.–Mercipourvotreaide,dit-ellesèchement.Jeneprendsrien.–Mais…Jesuisdésolée,mademoisellem’ademandé…–J’aiditmercipourvotreaide.Onn’abesoinderien.Vouspouvezretourner…jenesaispas,
moi…plierdesaffaires.Lavendeusetournelestalons.Jennifersentleslarmesmonteret,cettefois,neparvientpasàles
contenir.Elles’assoitsurl’estradeenfacedumiroirpourpleurer.Danaseprécipite.–Jennifer!souffle-t-elle.Situesàl’aisedanscetterobe,qu’est-cequetuenasàfairedel’avis
decetteidiote?–C’estvrai !acquiesceRachel.Danscegenredepetitesboutiques, ilsembauchentn’importe
qui.Tupariescombienqu’elledétestesonboulot?Mais Jennifer pleure toujours.Et à travers ses larmes, elle voitDana etRachel échanger des
regardsapitoyés.Çayest,ellesontfiniparcomprendre.L’uned’ellesluifrotteledos.Lepiredetout,c’estdesedirequeMargoavaitraison.Jennifern’estpasfaitepourcettevie,
pourcemonde.Ellen’apassaplaceauprèsdeces filles.Elleaéchoué.Aurevoir, lebal.Etaurevoir,toutlereste.
–Jet’assurequetuessuperdanscetterobe,insisteRachel.Elletirelamanchedesonsweat-shirtpouressuyerdoucementlesjouesdeJennifer.–Lebalvaêtregénial,ajouteDanaens’agenouillantdevantelle.Onvas’éclaterensemble.Lesmots«on»et«ensemble»sonnentcommeunemusiqueauxoreillesdeJennifer.C’estune
invitation.Ellesveulentqu’elleailleaubalavecelles.Avecelles.Commedevraiesamies.EllesedemandecequevadireMargo.Aprèss’êtrechangéeetavoirséchéseslarmes,Jennifervaàlacaisseetrèglelarobeàlavendeuse
peaudevache.Avecunsentimentdevictoire.Oudumoins, l’impressiondes’accorderquelquechosedebienmérité.
CHAPITRE17
Unpeuavantminuit,Candacesetientdeboutauborddelapiscine.Sasurfaceestrecouverted’unebâcheargentée,tenduecommelatoiled’untrampoline.Desfeuillesmortes,desglandsetdelapoussièresurnagentdanslesflaquesdeladernièreaverse.
Malgré lesprotestationsboudeusesdeCandace, arguantqu’il allait encore fairebeau,Bill, lepetit ami de samère, a bâché la piscine il y a quelques semaines.Elle ne voulait pas que l’étés’achève. Elle s’était trop amusée. Presque tous les jours, elle avait invité des amies qu’ellechoisissaitenfonctiondesonhumeurdumoment.Iln’yavaitquequatretransats,cequiluiavaitservi d’excusepour sa sélectivité.En réalité, elle savourait le pouvoir que lui donnait ce jeudechaisesmusicales et le spectacle de ses amies se bousculant pour un siège libre.Elles voulaienttoutesêtreinvitées,etsil’uneoul’autresevexaitdenepasavoirétéchoisieunjourdonné,pouruneraisonconnued’elleseule,elleétaittropheureusedel’êtrelelendemainetarrêtaitaussitôtdeluienvouloir.Ellesécoutaientlaradio,separtageaientleursflaconsd’huiledenoixdecoco,sepassaientleursmagazinesetchangeaientdeplaceselonlapositiondusoleil.
Ces séancesdebronzage stressaient lamèredeCandace ; c’était sansdoutepour cela qu’elleavait tant insisté pour que Bill ferme la piscine. Coiffée d’un chapeau de paille aux bordsridiculement larges,MrsKincaid apparaissait régulièrement sur la terrasse, pour sermonner lesfillessurlesdangersdusoleil,leursignalerleprixexorbitantd’unebonnecrèmeantiridesetleurassénerqu’ellesneseraientplusjamaisaussijoliesqu’aujourd’hui.
Candacelevait lesyeuxaucielderrièreseslunettesnoiresenrappelantàsamèredequoielleavait l’air adolescente, l’été, àWhippleBeach, avec sesmarques de bronzage qui lui donnaientl’aspect d’un cône vanille caramel. Si sonmaillotn’avait pas étémouillé,Candace seraitmêmealléechercherlesphotossurlacheminéepourappuyersesdires.
SurquoiMrsKincaidseradoucissait,ets’asseyaitauborddutransatdeCandace.Elleracontaitalorsquelquesanecdotes;commentlesgarçonsvisaientsaserviettedeplageavecleurFrisbee;lamaniedugrand-pèredeCandacedefairelasiestesurlabalancelledelavérandapourdécouragerles voyous de venir lui voler sa fille ; sa participation à la réalisation du catalogue d’un grandmagasindésormaisdisparu.PuiselledéposaitunbaisersurlefrontdeCandaceetrepartaitenlagratifiantd’unvagueconseil,dustyle:«Vivezcommesichaquejourétaitledernier.»Aprèssondépart, les filles s’extasiaient sur labeautéde samèreet le faitqu’elleétait sonportrait craché.Candacesavaitpertinemmentquesamèreécoutaitderrièrelestore.
Cenuméro s’est répété quatre ou cinq fois, lamère comme la fille allant régulièrement à lapêcheauxcompliments.
Candacesoulèveuncoindelabâcheetseréjouitquel’eausoitencoreturquoiseettransparente.Mais,malgrésesprécautions,unpeudeboueglissedanslapiscineettroublel’eau.
L’annéedernière,Candaceacommencéàsedemandersielleseraitsélectionnéeavantlafindulycée pour faire partie des auteurs de la liste. Elle s’est même imaginée recevant un courrieranonyme surpapier à entête gaufré, ouune invitation à un rendez-vous àminuit aumilieuduterraindefootballavecunesociétésecrètedefilles,ouquelquechosed’aussithéâtral.Elleseraitparfaiteàcettefonction,parcequ’elleaassezd’assurancepourdireleschosestellesqu’ellessontetémettreunjugemententouteobjectivité.Onnepeutpasendireautantdeceuxquiontfaitlalistecette année.La nommer la plusmoche des secondes est vraiment un coup bas, porté par purejalousie.
Elletrempeprudemmentunorteildans l’eauetunfrissondefroid laparcourtde latêteauxpieds,latirantbrusquementdesarêverie.Ellereculed’unpas,surprisedesedécouvrirensous-vêtements.Enseretournant,ellevoitsonpeignoirjetéentasaupiedd’unechaisesurlaterrasse.Surlecoussin,lespagesdesoncarnettournenttoutesseulesdanslevent.Elletombesursonreflettelunfantômedanslabaievitréedusalon,cernéparlescouleurscruesdel’automneetparuncieldenuitcendré.
Sagorgesenoue.Elleapassédesheuresenligneaprèslescours.Etaucunefenêtredediscussionnes’estouverte.Personneneluiafaitsavoirqu’ilétaitdésolépourlaliste.Personnen’aditquec’étaitinjuste.Personneneluiamêmeadressélaparoleencoursaujourd’hui.ÀpartCrindeCheval.Candaceprendunegrandeinspirationetcourtverslecoindelapiscinequ’elleadébâché.Elle
saute dans l’eau, mais ses pieds, accrochant la bâche au passage, la libèrent de ses attaches etl’entraînentavecelle.Lorsqu’elle touche le fond,unebrindille s’enfoncedans saplantedepiedgauche et pendant quelques secondes, la douleur lui fait oublier la morsure de l’eau glacée.Candaceremonteenflèche,fendlasurfaceavecunglapissementetnagejusqu’aurebord.
La baie vitrée coulisse et sa mère sort en courant, dans ses vêtements impeccables, avec sacoiffureetsonmaquillageirréprochables.
–Candace!Candace!Àmi-chemindelapiscine,MrsKincaidsecogneàunsiègeets’arrêtepourvérifierqu’ellen’a
pasfilésoncollant.Candace se hisse sur le rebord et s’assoit.Elle est trempée, et le ciment est rugueux sous ses
fesses. Elle replie une jambe et inspecte son pied écorché en appuyant pour faire ressortirl’écharde.
–Tupeuxm’apporteruneserviette?MrsKincaidrestepenchéesurelle,incrédule.Ellelèvelesbrasavantdeleslaisserretomberle
longdesoncorpsdansuntintementdebraceletsenargent.–Tu asdécroché labâche ! Je vais devoir supplierBill de revenir la fixer.Et il va sûrement
falloirviderlapiscine,aveclessaletésquetuasmisesdedans.Maisenfin,Candace,qu’est-cequit’estpasséparlatête?
Candacelèvelesyeuxverssamère.Ellevoudraitluiparlerdelaliste,etdetoutlereste.Maiscesexplicationsseraienttropembarrassantes.Samèrerisqueraitdeleprendremaletd’allerfaireunscandaleaulycéeauprèsdelaproviseur.EtCandaceadéjàfaitassezdedégâtselle-même.Elle
sait que son comportement dans le bureau de Mrs Colby n’a fait qu’aggraver son cas, en luidonnantl’airencorepluspathétique.
Alors,ellesecontented’aboyer:–Tumel’apportes,cetteserviette,ouiounon?MrsKincaids’éloigneets’arrêtedevantlecarnetdesafille.–TuparticipesaucortègedesBraves,cetteannée?luidemande-t-elle.–Ouais.–C’estlalistedecellesquiveulentlefaireavectoi?Candacesaitcequesamèreregarde:unecolonnedenomsquicouvretoutelapage.Lalistede
sesamies.Desfillesqu’ellecroyaitattachéesàelle,etquiapplaudissentaujourd’huisachute.Unelistedesuspectes.–QuiestCrindeCheval?–Unenouvelle.–Elledoitêtre…intéressante,glousseMrsKincaid.Candacesecouelatêteetrépondsèchementenramassantsesaffaires:–Ellel’est.Crin de Cheval, devenue du jour au lendemain l’incarnation de la beauté et du charme. Le
sérieuxaveclequelelleaessayédeluiparlerdanslestoilettes,c’étaitsupergênant.Avecsonairdepetitesainte,tellementau-dessusdetoutça.Commesiellesefichaittotalementdefigurersurlaliste.
«Qui sait ? sedemandeCandace.Si ça se trouve, elle s’en fichevraiment.Elle estpeut-êtreassezbizarrepourça.»
MrsKincaid sur les talons,Candace entre dans lamaison enmouillant lamoquette. Elle sedirigeverslasalledebainsdupremierétage,contiguëàlachambredesamère.S’empared’uneserviette.Elles’apprêteàsesécherlevisage,maissuspendsongeste.Laservietteestaussibarioléequ’unchiffondepeintre,unvraiarc-en-cieldetachesdecouleurs.
–Maman,c’estdégoûtant!Samèresortuneautreserviettedesouslelavaboavecunsoupir.–Tiens,envoilàunepropre.Cetteserviette-ciesttachéeaussi,maisaumoins,ellesentl’assouplissant.Candaces’essuieenfaisantattentiondenerienrenverser.Chaquecentimètreduplandulavabo
estcouvertdeflacons,depots,detubes,d’épongesetdebrosses.Sa mère n’a pas besoin de tout ça. C’est une belle femme. Mais elle est presque toujours
maquillée.Candacedétestelavoirsouslalumièrecrue.Lapeaudesfemmesmaquilléesn’apaslemêmeaspectque lesautres.Elleaquelquechosededuveteux,àcausede lapoudrequiépaissittouslespetitspoilsinvisibles.
–Jet’airapportéçadustudio.MrsKincaidplongelamaindansunemalletteàcompartimentspleinedemaquillagedontelle
sortunpetitboîtierd’ombreàpaupièresdorée.–Çadevraitêtresuperbeavectarobedebal.Ooh,Candace,tuvoudrasbienquejetemaquille
pourlebal?Jesaisaussifaireleslooksplusjeunes,tusais.Elleestmaquilleusepourlachaînedetélévisionlocale,chargéedecamouflerlesridesenhaute
définition.–Onverra.Aupointoùelleenest,Candacen’estmêmeplussûred’yaller.
Samèreinsistetoujourspourluifairemettredel’eye-linerd’unvertbizarre,durougeàlèvrescorailmatoudes faux cils.Ellene semblepas avoir compris qu’au lycée, lamoden’est pas auspectaculaire.Pour lebalde find’année,peut-être.Mais certainementpas auquotidien.Enfin,c’estquandmêmesuperd’avoirsouslamainquelqu’unquisachefairelemélangedefondsdeteintparfaitpourmasquerlesboutonsoccasionnels.
–Tupourraisorganiseruneséancephotosiciaveclesfillesavantlebal!Candaceréfléchit.Unefêteavantlafête.Çapourraitaideràarrangerleschoses.–Tunousachèteraisdel’alcool?–Candace…grognesamère.Elle l’a fait à plusieurs reprises au cours de l’été, mais l’a avertie dès la rentrée que c’était
terminé.–Deuxbouteillesderhum,imploreCandace.Puis,pouraugmenterseschances:–Etjetelaissememaquiller.–C’estvrai?–Promis.Tupourrasmefairecequetuveux.Ombreàpaupièresdorée,rougeàlèvresnoir…–Arrête.Jenetemettraisjamaisderougeàlèvresnoir…–Jeblaguais,maman.C’estjustepourdirequetupourrastedéchaîner.–Jen’aipasbesoindemedéchaîner,rectifieMrsKincaid.Lerôledumaquilleurestd’accentuer
etdemettreenvaleurlabeauténaturelle.Ettuastoutcequ’ilfautdececôté-là,machérie.Toujourstrempée,Candacesepenchepourlaserrerdanssesbras.Danssonmouvement,elle
faittomberunflacondefonddeteintquisecasseetdéverseenglougloutantdanslescanalisationsuneépaissepâteorangée.
Mercredi
CHAPITRE18
Sarahfaittairesonréveild’uncoupsec,seretournedanssonlitetreniflesonaisselle.Ellefroncelessourcils.Çafaittroisjoursqu’ellenes’estpasdouchéeetelleestloindesentir
aussimauvaisqu’ellel’espérait.Ellesentàpeine,àvraidire.Çacraintàmort.Celadit,quandsagrand-mèreacommencéàavoirdesproblèmesdevessie,elleneserendait
absolumentpascomptequel’odeurd’urineimprégnaittoutesamaison.Sarahselèveetseregardedanslemiroir.Aumoins,elleal’airrépugnante.Lemot«moche»inscritsursonfrontresteétonnammentintact,maiselledoutequ’iltienne
jusqu’àsamedi.Ellepourratoujoursrepasserunecouchedefeutredessuslesoirdubalencasdebesoin.
Ses mèches de devant sont grasses des racines jusqu’aux pointes, et quoi qu’elle fasse, ellestombentbizarrement.Legraslesmaintientséparées,commeuneforcecentrifuge.Derrière,làoùilssontrasés,sescheveuxsonttoutsecsetladémangentatrocement.Etalorsqu’ellen’ajamaiseudeproblèmedepellicules,despetits floconsblancspleuventsursesépaulesdèsqu’ellepasse lesdoigtssursatête.
Sarahaunebellepeaunaturellement,àpartunboutondetempsentempsavantsesrègles.Maisaujourd’hui,ellesentsursesjouesunsemisdeporesbouchés,desrenflementsdursquidonnentàsonvisageunaspectcartonné.
Elleadelacrassesouslesongles.Elleadesdémangeaisonsdanslesoreilles.Elles’habilleleplusvitepossible.Décidément,renfilerseshabitssalessursoncorpssalemetà
l’épreuve sa volonté. L’encolure du tee-shirt deMilo est distendue et menace de dévoiler sondécolleté.Le sel de sa transpiration, en séchant, a créé des auréoles blanches sur le coton noirautourdesaisselles.Son jean,quipocheaux fessesetauxgenoux, semble incrustédecrasse.Sessous-vêtementssonttoutsimplementinfâmes,etseschaussettestotalementraides.
«Encoreheureuxqu’onsoitdéjàmercredi»,songe-t-elle.Ilneluiresteplusquelamoitiéduparcourspourgagnersondéfi.D’icisamedi,elledevraitêtreaussifaisandéequ’unsans-abri.
Surlaroutedulycée,SarahsefaitlaremarquequelaplupartdesélèvesdeMountWashingtonn’ontjamaisdûvoirunsans-abri.Despetitsbébésbienprotégés.
Miloesten traindedessiner sur leurbanc,voûté sur soncarnetouvert sur lesgenoux.Sarahdescenddevéloets’approchelentement,silencieusement.
Ellerepenseàdimanche.
ElleétaitallongéeparterredanslachambredeMilo,occupéeàfeuilletersoncarnetdecroquis.Ilesttrèsdouépourledessin.Elleavaittrèsenviedetravailleraveclui,surunebandedessinée,parexemple,oujustedeluifaireillustrerquelques-unsdesespoèmes.Elleneluiamêmepasditqu’elleenécrivait,parcequ’ilssontnulsetqu’ellepréféreraitmourirquedelesmontrer;maisilyenaquelques-unsqu’ellepourraitluifairelire.Peut-être.
LecarnetdeMilocontientsurtoutdespersonnagesdemangaféminins.Legenrecollégiennestoutdroitsortiesdesfantasmesmasculins,avecdesseinsprêtsàfaireexploserleuruniforme,delongscheveux soyeuxetunemoueboudeuse.Toujours lemêmemélangedevulnérabilitéetdetimiditéfaitpourqu’onenabuse.Elleenaéprouvéuncertainmalaise,cequ’elleatrouvéabsurde.Cen’étaitpasexactementdelajalousie.Detoutefaçon,ilnes’agissaitquedebandedessinée.EtMiloetellen’étaientpasensemblenirien.
Autournantd’unepage,Sarahesttombéesurledessind’unefille.Leportraittrèsréalisted’uneAsiatique.Unephotoscotchéedanslecoindelapageavaitservidemodèle.C’était lapremièrefoisqueSarahn’étaitpasépatéeparundessindeMilo.Celui-ciétaitloinderestituerlabeautédel’original. La fille sur la photo avait les yeux brillants, un sourire parfait, les cheveux quiretombaientendrapésuruneépaule.Elleportaitunchemisierrose,etunpetitpendentifAenorscintillaitaucreuxdesesclavicules.Onauraitditunangeasiatique.
–C’estqui?Milolaregardait,assissursonlit.–C’estAnnie.Ellesavaitqu’ilavaiteuunepetiteamieàWestMetro.Ilsavaientrompuavantsondépartpour
MountWashington, mais ils étaient restés amis. Régulièrement, Sarah voyait le nom d’Annies’affichersursonportableousursaboîtemail.Ilparlaitd’elle,aussi.Enyrepensant,ilasoudainsembléàSarahquelenomd’Annierevenaitsouvent.Ellenel’avaitjamaisvueenphoto.
Elleétaittoujourspartieduprincipequ’ellesétaientunpeulemêmegenredefilles,touteslesdeux.
Toutàcoup,unsentimentdepaniques’estmisàbouillonnerenelle.CommesiellevenaitdeprendreMiloenflagrantdélitdemensonge,oudedécouvrirsavéritableidentité,cachéejusque-làsousundéguisement.Enparlantd’Annie,pasunefoisiln’avaitmentionnéqu’elleétaitbelle.Lefaitqu’il ait choisi cette fille-là commepetite amiea soudain remisenquestion tout cequ’ellepensaitsavoirdelui.Aufond,siellenel’avaitpasinvitéàs’asseoirsursonbanc,ilauraitpeut-êtreattendu d’être adopté par des gens qu’elle détestait, ou il serait sorti avec quelqu’un commeBridgetHoneycutt.
UneombrearecouvertlapagetandisqueMiloselaissaitglisserdulitpoursepencherverselleetl’embrassersurleslèvres.Souslechoc,Sarahareculé…etvul’airsatisfaitdeMilo.Ilétaitfierdeluidel’avoirautournant.Iln’yavaitplusdanssonexpressionaucunetracedugarçontimidequ’elleavaitrencontré.Paslamoindre.
Saraharapidementreprissesesprits.Ellearefermélecarnet,basculésursesgenouxetembrasséMiloàpleinebouche,enespérantqueçaeffaceraitl’imaged’Anniequ’elleavaitdanslatête.
Çan’apasmarché.Ensuite,çaaétéunbrasdefermental,oùilsontfaitmonterlesenchèresjusqu’àcequ’ilsoit
troptardpourfairemarchearrière.Sarahn’estpasquelqu’unquisedéfile.Jamais.Milodevaitlesavoir. Peut-être même s’en est-il servi contre elle. Peut-être savait-il à l’avance qu’elle avaitattenducemomenttoutl’été.
Maispendanttoutcetemps,elles’estdemandécommentilpouvaitavoirenvied’êtreavecelleaprès être sorti avec une fille commeAnnie.La question était logique, plus que blessante ; cescontraires-làn’étaientpasconciliables.Ellene s’expliquaitpasdavantage le faitd’avoiréchangésonpremierbaiser,sansparlerdureste,pourlapremièrefois,lamêmenuit,avecungarçonquiluiapparaissaittoutàcoupcommeunétranger.
Tandisqu’elleattachesonvélo,Milodéclare:–Aufait,Annieditquejedoist’acheterunbouquet-braceletpourlebal.Sarahlaissesonvélotomberparterreetneprendpaslapeinedelerelever.–Qu’est-cequetuluiasraconté?Pourlapremièrefois,ellen’assumepastotalementsadécision.Etellenes’estjamaissentieaussi
saledepuissonréveil.–Jeneluiairienditpour,tusais,lefaitdeneplustelaver.Justequ’onallaitaubalensemble.Sarahsecouelatête.Ellenesaitpassiellepréfèreçaousic’estencorepire.–Milo,jet’aiditquejenevoulaispasdefleurs.–Jesais,maisAnniepensequ’aufond,tuseraissûrementcontentequejet’enoffremêmesitu
soutienslecontraire.Sarahs’estmiseàtrembler.–Annienemeconnaîtpas.Etapparemment,toinonplus.–Sarah,j’aijustepenséque…–Jen’enveuxpasdetesfoutuesfleurs!!Elleahurlédetoutessesforces.Tousceuxquitraînaientautourdel’Îledestroisièmessesontretournés.–D’accord!D’accord!Pasdefleurs!Milo ferme son carnet de croquis. Il inspire profondément, au point que ses épaules se
soulèvent,etdevientécarlate.–Sarah,j’aiuntrucàtedemander.J’aiétésinulqueça?Tusais…chezmoi,l’autrejour.Sarahtressaille.–J’ycroispas.C’estquoi,cettequestion?–Sérieusement.C’estàpeinesituacceptesdemeregarder,cesderniersjours.Ducoup,jeme
disquec’estparceque…parcequej’aiétédécevant.Il ne s’est pas rendu compte que ça lui a plu ?Àmoins qu’il ne l’ait comparée à quelqu’un
commeAnnie?Elles’assoitàl’autreextrémitédubancenlaissantunmaximumdedistanceentreeux.
–D’abord,Milo,ausecours!Jerefusedefairedescommentaireslà-dessus.Jamais.Ensuite,tun’espasmonuniquepréoccupation.
–Dans ce cas, parlons-en !Ou alors, je suis trop conpourque tupuissesmedire ceque turessens?Tucroisquejenepeuxpascomprendrecommeçapeutêtreblessantqu’ontetraitedemoche?
Sarahritetpense:«Pourquoiça?Annieaussiavaitceproblème?»MaisellesecontentedecontinueràrireenespérantqueMilofiniraparsesentirassezbêtepoursetaire.
–Tusaisquetucomptespourmoi.Non,Sarah?Cesparolessontagréablesàentendre,c’estsûr.Maiselleatropdechosesdanslatêtepourque
leurchaleurl’atteigne.Elleatropfroid.
S’ilssortaientensemble,ellepasseraitsontempsàseremettreencause.EllesecompareraitàAnnieetredouteraitqu’illaquittedèsqu’ilauraitrencontréquelqu’undemieux.
–S’teplaît…arrête,réplique-t-elle.–Doncturegrettes…tusais…avecmoi?Ilal’airatteintpresquephysiquement.–Jeregrettesurtoutcetteconversation,Milo.Franchement,jenetienspasdutoutàavoirune
grandescènededéballageavectoi.–J’essaiejusted’êtrelàpourtoi.–Ettuveuxquoi?Quejepleuredanstesbras?–Jeveuxquetumeparlescommeàunami.Sarahenfouitsatêteentresesmains.–Parcequemaintenant,onestamis?Bien.Donc,jen’aiplusàavoirpeurquetumeprennesla
main?–Non,répondMilo,labouchecrispée.– Bon, pas la peine d’en faire un drame. Je vais acheter mon ticket pour le bal. Si tu veux
toujoursveniravecmoi,trèsbien.Sinon,çamevaaussi.C’esttoiquivois.Miloplongelamaindanssapoche.–Jet’accompagne.Jen’aipaschangéd’avis.Illuitendunpapierplié,etSarahsentquelquechoseàl’intérieur.Unpetitrectangle.C’estunmorceaudechewing-gum.Milobaisselatête.–Neleprendspasmal.Disonsquetuas l’haleinechargée.Jen’aipasenviequequelqu’unte
fasseuneremarqueblessante.Sarahprendlechewing-gumetlejettesurlui.–Mercipourl’attention!Ceseraittellementplusfacilesiellen’étaitjamaisdevenueamieaveclui.Elle entredans le lycée.Àune table,dans lehall,deux fillesde terminalevendent les tickets
pour le bal. Elles ont chacune sur la poitrine un petit sticker portant la consigne « VotezJennifer».
JenniferBriggis,reinedubaldelarentrée?Ilssontsérieux?Sibesoinétait,celaconforteencoreSarahdanssadécisiondesemerl’anarchie.Jenniferestla
preuvevivantequecettetraditionpourriedelalistedoitêtresubvertieetbousilléedel’intérieur.Jenniferestunesorted’otage,brutaliséetoutescesannéesjusqu’àenavoirperdul’esprit.ÀSarahdejouerlesselsàrespirerpourlaranimer.
Ellevomiraitvolontierssurlesfillesquisetiennentderrièrecettetable.–Wouahou.Voilàquis’appellefairedesexcuses.Lafillequipréparelesstickersrelèvelatête.–Commentça?–Cettehistoirede«VotezJennifer».Sympa.Aprèsl’avoirtraitéecommedelamerdependant
quatreans.Elletendsonargent.–Deuxtickets.Lesfilleséchangentdesregardshésitants.Aucunen’esquisseungestepourprendresesbillets.Sarah sepenche en avant, ouvre la caissemétallique, fourre son argentdedans et prenddeux
tickets.
–Rendez-vousaubal!Ens’éloignant,elleentendl’unedesfillessifflerentresesdents:–Pouah!Cequ’ellefouette!Ellesourit,pourlapremièrefoisdelajournée.Ellevaempestertoutlegymnase,samedi.Elle
vasemersoninfectiondanstoute lasalle.Les joliesfillesdans leurs joliesrobesdevrontallerseréfugiersurlesgradinsensebouchantlenez.Elleferacequ’ilfautpourêtrelaseuleàs’amuser.
CHAPITRE19
Margoarriveau lycéeavecdixdollarspour le ticketdubaletunephotode larobequ’elleacommandéehiersoirsurInternet.Pourvuqu’elleplaiseàRacheletàDana!Elleespèrequ’elleneserapastropdécaléeparrapportàcellesqu’ellesseserontchoisies.
Elleestvertémeraude,courte,sansmanches;dansledos,unerangéedeboutonsrecouvertsdetissudescendducoljusqu’aucreuxdesreins.Elleestpeut-êtreunpeutrophabilléepourunbalderentrée,maisMargo,enlasélectionnantsursonordinateur,uneassiettedespaghettisenéquilibresurlesgenoux,s’estditquec’étaitsansdoutemieuxcommeça.Elleestenterminale,àunmoisdeses dix-huit ans. Et elle a l’intention de la remettre, cette robe, par exemple lors des soiréesd’associationd’étudiantes,sielledécided’enintégrerunel’anprochain.Ellegarderasansdoutesescheveuxlâchés.Etellemettraseschaussuresouvertesenveloursnoir,achetéesensoldeaprèsNoëletjamaisportées.
L’espaced’unmoment,ellearetrouvésonassurancehabituelle.SansnouvellesdeDanaetRacheldepuisleurexpéditionaucentrecommercial,elleaappeléle
fleuristepourcommandertroisbouquets-bracelets,desmini-couronnesderosesrougesminiatureetdefeuillesdecitronnier.C’estcequ’afaitMaureenpoursesamiesl’andernier.Etpuis,c’étaitune manière de s’excuser pour son comportement un peu bizarre envers Jennifer depuis laparutiondelaliste.
Elleestencoreunpeuparanosurcequecelle-ciapuraconterpendantlaséanceshopping,maiselle se raisonne. Les événements de cet été-là sont de l’histoire ancienne, et Jennifer n’a pasparticulièrementintérêtàaborderlesujet.Ilsnelesprésententsousleurmeilleurjournil’unenil’autre.
DanaetRachelvendentdesticketspourlebal,installéesàunetabledanslehalld’entrée.Ilyadéjàlaqueue.QuandMargoprendsaplaceauboutdelafile,quelquesélèvesluipromettentdeluidonner leur voix à l’élection de la reine du bal. Ils lui montrent la souche des tickets qu’ilsviennentd’acheter,oùilsontdéjàécritsonnomsurlebulletinimpriméaudos.Ellelesremerciepoliment,sansoublierdelesinformerqu’elledonneunefêtevendredi.
–Unticket,s’ilvousplaît,demande-t-elleenarborantsonplusbeausourirequandellearrivefaceàsesamies.
Entendantsonargent,elleremarquequeDanaetRachelportenttouteslesdeuxunstickerquiproclame : « Votez Jennifer ». Il y en a aussi une pile sur la table, et Dana est en train d’enpréparerd’autresaufeutrerose.
–Jennifer,lareinedubal?demandeMargo,incrédule.Danabaisselesyeuxetattaqueunnouveausticker.Rachelluirépondensoupirant:
–N’enfaispasunequestionpersonnelle,Margo.–Mesdeuxmeilleuresamies fontcampagnecontremoi.Pourune filleque jen’aimepas.Et
elleslesaventparfaitement!Difficiledefairepluspersonnel.–Écoute,situétaisvenueavecnoushier,tucomprendrais.–C’était horrible, commente gravementDana en dessinant une petite étoile sur le « i » de
«Jennifer».Carrémenthorrible.Çamedonneenviedepleurerrienqued’yrepenser.–Tu te rends compte qu’elle n’avaitmême pas prévu de venir au bal ! reprendRachel. En
quatreans,ellen’ajamaismislespiedsàunseulbaldulycée!Jenniferabesoindeça.Bienplusquetoi!
Etelleluitendsonticketainsiqu’unstickerpro-Jennifer.LeticketdeMargorejointlaphotodesarobedanslapochearrièredesonjean,maisellegarde
lestickeràlamain.Ellesaitparfaitementcequ’elledevraitfaire:semontrerfair-playensecollantlestickersurla
poitrine.Çaapaiseraitsûrementlestensionsentreelleetsesamies.Toutlemondesediraitqu’elleestquelqu’undebien.Personnenepourraitpenserdumald’elle,mêmepasJennifer.
Aulieudeça,ellelereposesurlatableaumilieudesautres.Lamoiteurdesapaumeafaitbaverl’encre.
–Jenepeuxpas.Rachels’adosseàsachaise.–T’espassérieuse,là.–Enfin,Margo,ditDana,pourquoituréagiscommeça?Danslaqueue,ons’impatiente.Margodansed’unpiedsurl’autreettoutlehallsemblesoudain
osciller.–Jenecroispasquecesoitunebonneidée.Onrisquedecroirequevousvousmoquezd’elle…–Trèsbien, lacoupeRachelenfaisant legestede lachasserd’unreversdemain.Commetu
voudras.–Rachel,écoute…–Paslapeine.J’aidûm’imaginerquetoi,plusquen’importequi,tusauteraissurl’occasionde
tedonnerbonneconscience.Maissituestimesquetun’asrienàtereprocher…Cen’estpascommeçaqueças’estpassé.Margosaitqu’ellen’estpastouteblanche.Maisellea
déjàeuassezdemalàromprelelienavecJenniferlapremièrefois.Ellen’estpasprêteàrouvrirlaporte,mêmepasà l’entrebâiller.Etellen’éprouvenullement lebesoindecéder lacouronneensignedepénitence.Ellen’estpaslaseulefautive.Jenniferporteautantqu’ellelaresponsabilitédeleurrupture.
Margovoudraitsejustifier,s’expliquer.Maislesregardsoutrésdesesamiesluifontcomprendrequetoutcequ’ellepourraitdireseraitmalinterprété.Elledonneraitl’impressionnonpasdesedéfendre,maisdes’acharnersurlamochealorsqu’elleestàterre.Alorsellereculeets’éloignesansajouterunmot.
Apparemment, tout lemonde porte un sticker « Votez Jennifer ». Tous ceux qu’elle croiseregardentsapoitrineens’attendantàenvoirunaussi,etilschangentrapidementd’expressionennelevoyantpas.Ilsmurmurententreeux,latêtebaissée.Àproposd’elle,c’estcertain.
L’histoiredesasœurl’avaitfaits’interrogersurcettedernièreannée,maiscettefois,c’estsûr:être nommée la plus belle des terminales n’est pas toujours un bienfait. Ça peut être unemalédiction.
Pendant sa terminale, la vie deMaureen a pris une curieuse tournure. Elle s’est disputée àrépétition avec ses amiesde toujours.Elle a renoncé àparticiper au voyage scolaire àWhippleBeach,alorsquesesparentsavaientdéjàpayé lesnuitsd’hôtel.Justeavant lebaldefind’année,sansraisonapparente,ellearompuavecWayne,soncopainsupersexyavecquiellesortaitdepuisdeuxans,celuiavecquielleavaitcouchépourlapremièrefois–àencroireunelettredeMaureentrouvéeparMargodanssontiroiràsous-vêtements.Aucunedesesamiesn’estvenueàsafêtedediplôme,oùelleafinicomplètementsoûle.Elleaterminélasoiréedanslesvapessurunechaiselonguesouslenezdesesgrands-parents,n’ouvrantl’œilquepourroter.
Margo a regardé sa sœur démolir systématiquement tout ce qui comptait pour elle avec lesentimentd’assisteràunmassacre.
Alorsquel’après-lycéeauraitdûreprésenterunecontinuité,Maureensemblaitnerienvouloirlaisserderrièreelle.
ElleafiniparchoisirunefacloindeMountWashington.Margoauraitvoulul’aideràfairesesvalises,maisleursrelationss’étaientdétériorées,etelles’estcontentéed’éviterdetraînerdanssespattes.Entreelles,ilyavaittoujourseuunetension,queMargonepouvaitinterpréterquecommedelahaine.Pendantledînerd’adieu,avantqueleurmèrenel’accompagneenavionàl’autreboutdupays,sasœurneluiavaitpasaccordéunseulregard.
Margos’estpresquesentiesoulagéedelavoirpartir.Ensuite,elles’estrenduedanslachambredeMaureen.Sacorbeilleàpapierétaitpleinedephotosde sesamis,quicouvraientauparavanttoutunmurdelapièce.
Margo,assiseparterre,aenlevédélicatementtouslesboutsdescotchdesphotosetaplaticellesquiétaientpliées.IlyenavaitunedubaldelarentréeoùMaureendansaitavecWayne,sacascadedecheveuxbrunsdomptéssoussatiare.
Laphotoétaittoutefroissée,etunplicoupaitlevisagedeMaureen.Maisapriori,ellesemblaitheureusecommejamais.
Surlechemindelasalledeclasse,Margorepèrelaproviseurquiobservelefluxdesélèvesdanslecouloir,sonregardsautantdel’unàl’autre.
Que va penserMrsColby de ce « Votez Jennifer » ? SiMargo participe à l’opération, ellepasserapourunehypocrite.Dans lecascontraire,elle serendraencoreplussuspectequ’ellenel’estdéjà.
Ellerebroussechemindanslecouloir,histoired’éviterpurementetsimplementlaproviseur.
CHAPITRE20
Lescrampessontpiresquedesdouleursderègles.Bridgetserrelesdentsetseconcentresurlesgraffitisgravésgrossièrementdanslapeinturebeigedelaportedestoilettes,danslesvestiairesdugymnase.Elleestpenchéeenavant,lescoudesappuyéssurlescuisses,lementonentrelesmains.Une bouteille d’eau àmoitié vide est posée par terre entre ses baskets, révélant un liquide auxcoucheshuileuses.
Cen’estpasundétoxifiant;c’estunepotionmagique.Le besoin d’aller aux toilettes l’a saisie à plusieurs reprises dans lamatinée, de plus en plus
pressant.C’estlatroisièmefoisdepuisledébutducoursdegym,etBridgetadûquitterleterraindevolleyaumilieud’unmatch,laissantsonéquipeavecunpasseurenmoins.Lescrampesétaienttelles qu’ellemarchait pliée en deux, lesmains pressées sur ses flancs. Elle a juste eu le tempsd’enleversonshort.
Siaumoinselleétaitchezelle,dansl’intimité…avecunlivreouunmagazinepourladistrairedeladouleur.Oh,lavache!Etsiunprofrefusedelalaisserallerauxtoilettes?Cescrampesaussil’inquiètent.Cen’estpasnormal.Ondiraitl’appendicite.
Non.Iln’yapasdequois’inquiéter.Lesinstructionsdelacureprécisaientqueçafaisaitpartiedes effets secondaires possibles. Elles disaient aussi qu’elle se sentirait affamée.Hier, l’envie demangerl’atenailléetoutelajournée.Pasuneenviespécifique,justelebesoindeseremplir.Bienpirequed’habitude.Maisd’aprèslesinstructions,sielletenaitbon,siellerésistaitàlapetitevoixquilapoussaitàmanger,ellepasseraituncapetlafaimdisparaîtrait.Globalement,c’estlecas.
Elledoitfaireconfianceauprocessus.Un nouvel éclair déchire ses intestins et un bruit d’éclaboussures résonne dans la cuvette en
céramique.Chaquefois,Bridgetestsûrequesonorganismedoitêtretotalementvidé.Etchaquefois,ellesetrompe.
Un coup de sifflet lointain transperce lesmurs en parpaing.Quelques secondes plus tard, laportedesvestiairess’ouvreà lavoléeet les fillesdéboulentpoursechanger.Bridgetse lèveà lahâteet tire lachassed’eauavecuncurieuxsentimentde fierté.Elle se sentplus légère,presquetonifiée,malgrésonventrequiluifaitl’effetd’unballonremplid’eau.
Çan’estpasgénial,denejamaisressentirlafaim?Franchement,si.Aprèss’êtrelavélesmains,Bridgetsedirigeverssoncasierpoursechanger.Laplupartdeses
amies,déjàrhabillées,sontalignéesfaceaumiroirrectangulairequifaitletourdesvestiaires.Leregardfixésur leurproprerefletdans laglace,ellesserenvoientsanspitiéàelles-mêmestoutesleurspetitesimperfections.
–J’aivraimentlapeaulaplushorribledulycée,geintl’uned’elles.Savoisinelapousseducoude.–Turigoles?Tuasunepeausuperbe!Tun’aspasunseulpointnoir,alorsquemoi,monnez
enestcouvert,ajoute-t-elleensepenchantenavantcommepourreniflerlemiroir.–Tais-toi!Tonnezestparfait.J’aisuppliémesparentsdemepayeruneopérationpourNoël.
Sérieux.Jepréfèreçadeloinàunevoiture.–Situallaisvoirunchirurgien,ilseficheraitdetoi.Avecmoi,ilauraitdequoiécrireunethèse.
Vousavezdéjàvuunefilledepremièreavecautantderides?Lafillesaisitsescheveuxqu’elletired’uncoupsecversleplafond,étirantdanslafouléelapeau
desonvisage.Bridgetdistinguelesveinesbleuessursestempes,ainsiquelescreuxetlesbossesdesatête.
Latroisièmefilles’observeendécouvrantlepluspossiblesesdentsetsesgencives,delacouleurd’unchewing-gumàlacannelle.
–Jeveuxbienéchangertesridesinvisiblescontremesdentsdetravers.Jenepardonneraijamaisàmesparentsdenepasm’avoirfaitporterd’appareil.C’estcarrémentdelamaltraitance.
Bridget passe son sweat-shirt blanc par-dessus sa tête, lentement, pour prolonger un peu lacaresse enveloppante du coton. Ce concours de défauts inventés est un rituel entre elles, oùchacunetentedel’emportersurleterraindel’autoflagellation.
Maisellepeutlesbattretoutes.Elles’emparedesabrosseets’approchedumiroir.–Vousêtesdingues,dit-elleenseregardantbienenface.Jesuisdeloinlaplusmochedenous
quatre.Biensûr,elleadéjàditcegenredechoses.C’estsonarmeabsolue,puisqueçaenglobetousses
défauts.Çacouvreabsolument tout.Etelley croit.Elle connaît ces fillesdepuis lamaternelle.Elle a grandi avec elles, les a vues échanger leurs petits amis, essayer de nouvelles coiffures,apprendreàfumer,sesoûleraveccequileurtombaitsouslamain,inventerdeschorégraphiessurdeschansonspopdébiles.Cesontpresquedesfemmes,aujourd’hui.Ellelestrouvebellestouteslestrois.C’estelle,levilainpetitcanarddugroupe.
Bridget défait sa queue de cheval pour se coiffer et sesmèches noires crépitent d’électricitéstatique.S’apercevantquelesautressesonttues,elleseretourneetlesvoitquilafixent.
–Oh,arrête,Bridget,ditl’uned’ellesavecungrossoupir.–Sérieux,ajoutesèchementuneautre.–Quoi?s’étonneBridget,avecdespicotementsdenervositéauboutdesdoigts.Ellesluirépondentenchœurparunregardauplafond.–C’estça.Tueslaplusmoche.–Tuespèresvraimentqu’onvateplaindre?Bridget en perd sesmoyens. Elles ont joué à ce jeu des centaines de fois, et voilà qu’elle ne
connaîtplussesrépliques.–Je…Je…Ellelaissetomber.Elleaenvisagédeparleràsesamies.Deleurconfierlaphasebizarrequ’ellea
traversée cet été. Si elle ne leur a rien dit, c’était pour ne pas les inquiéter. Par peur qu’ellespensentqu’ilyavaitquelquechosedecasséenelle.Ellenevoulaitpas les fairepaniquer.C’estpourcelaqu’ellenelesapasinvitéescetété.Elleauraitdûs’expliquer.Etpuis,detoutefaçon,çavamieux,maintenant.
–Toutlemondeestcontentquetusoissurlaliste,mais…
–Ontueraitpourêtreàtaplace,Bridget.–C’estpastrèssympadetapart, tucomprends,parcequenous,onatoutesdestrucsquine
vontpas.Alorsquetoi…toutlemondesaitquetuesjolie.Tuasreçuunesortedecertificat,quoi.UnenouvellecrampetordleventredeBridgetaumomentoùlasonnerieretentit.Ellefileaux
toilettestandisquesesamiessortentpourallerdéjeuner.Elles’apprêteàbaissersonjeanquandelles’aperçoitquecebesoin-ciestdifférent.Cen’estpas
lemêmegenredetorsion.Lapotionluiremontedanslagorge.Lasensationlalaissesouslechoc.Bridgetn’ajamais,jamaisvomi.D’accord,elleacomptéles
calories, les bouchées.Mais c’est tout. Et pourtant, ce besoin lui vrille le ventre. Elle sent lestoxinesbouillonnerdanssesentrailles.Commesiladécisionneluiappartenaitplus.
Ellesortdestoilettesàreculons,prendsabouteilleetseravise.Ellevaboireaurobinet.L’eauesttiède,avecunarrière-goûtderouille.
C’estl’heuredudéjeuner.Bridget se dirige vers le CDI. En chemin, elle vide la bouteille dans la fontaine à l’eau. Le
plastique sentmauvais.Bridget a l’impressionque l’odeurnepartira jamais et jette labouteilledanslafoulée.Elleneboiraplusdecetruc.Siellen’aplusriendansleventre,ellenevomirapas.Etmêmesisa logiqueestsérieusementperturbée,ellesaitquec’estunelimitequ’ellerefusedefranchir.
CHAPITRE21
Lauren et ses nouvelles amies déjeunent à la table la plus ensoleillée de la cafétéria, tout enélaborant leurs plans pour le cortège des Braves. Elles passent la premièremoitié de l’heure àdébattreavecenthousiasmedelafaçonlaplusdémocratiquededéciderdeladécoration.Plutôtquedeprocéderenlevantlamain,ellesdécidentdefaireuntourdetablepourquechacuneaitl’occasiondes’exprimer.Commeça,iln’yaurapasàchoisiràquidonnerlaparolenidansquelordre.Ilestétabliquetouteslespropositionssontlesbienvenuesetqu’aucuneidéeneserarejetéed’office.Aucunesuggestionneseraconsidéréecommestupide.
Plusrienneressembleradésormaisauxprocéduresenvigueursousl’autoritédeCandace.Pour la première fois, Lauren se demande si Candace est vraiment aussi horrible qu’elles le
disent.Elles semblent toutes s’épanouirmaintenantqu’ellesne sontplus sous sa coupe.Laurencomprend parfaitement cette sensation. Celle d’une libération. L’impression d’avoir soudainacquissonautonomie.Audébut,elleculpabilisaitd’alleraulycée,delaissersamère,devouloirvivresaproprevie.Maisc’estfini.Cesfillesluidonnentunnouvelélan.
Et c’est super excitant de voir fleurir ce nouvel idéal de fonctionnement.Quelqu’un sort lesnotesdeCandace sur le cortègedesBravespour lesdéchirer et toutes les filles l’acclament.ÇarappelleàLaurenlespremiersrévolutionnairesaméricainsquisesontsoulevéscontrelatyranniebritannique.
– Je peux faire la secrétaire, propose gaiement Lauren. J’écrirai tout ce qu’on dit dansmoncahier.Commeça,onn’oublierarien.
Elleadéjàprisladécisiondenepasparticiperàlarecherched’idées.Elletrouvequ’ilestunpeutôtpourcommenceràémettredessuggestionsetdesopinionssurdeschosesqu’elleneconnaîtpasencore,desexpériencesqu’ellen’apasvécues.Elleseréjouitjusted’êtrelà,d’êtrelabienvenueàcettetable.
Laurensuspendsonstyloau-dessusd’unepageblanche.Etelleattend.Maissilegroupeavaitbeaucoupàdiresurlafaçondeprocéder,lespropositionsconcrètessur
lamiseenœuvreducortègedesBravessontnettementmoinsnombreuses.Aprèsquelquessecondesdesilence,unefilledéclareavecunsoupir:–Enfait,çam’estunpeuégal,cequ’onfait,tantquec’estmieuxquecequeproposaitCandace.Laurennevoudraitpasquelesfillessedécouragent.Cequ’elleadéjàécritaurectodelafeuille
formedespetitesbossessursapageblanche.Ellerevientauxnotesprisespendantlederniercours.–Heu,vuquej’aidéjàluEthanFrome1unedouzainedefois,j’aifaitquelquescroquisencours
d’anglais.
Les filles se penchent vers elle.Comme son croquis est unpeu sommaire, elle le traduit auxfilles:
–Lamascotte deMountWashington, c’est l’Alpiniste.Et si ondécoupait desmontagnes encartonqu’oncolleraitautourdelavoiture?Commesinous,onétaitdesalpinistes!
–Génial,j’adore!s’écriel’unedesfilles.–Onpeutprendre lepick-updemonpère !proposeaussitôtuneautre. Ilyaassezdeplace
dedanspourtoutlemonde!–Onauraitdeschemisesdebûcheronàcarreaux,avecdesbâtonsdemarche,avecdelacordeet
tout!–Lauren!C’estsuper!–Quandjepensequ’onvoulaitdébarqueravecdesbanderolesetdelacrèmeàraser!Là,ona
unvrai…concept!–Hé,Lauren!Fautquetuviennesavecnousaprèslescoursacheterlematériel!Laurensourit,jusqu’àcequelamémoireluirevienne.–Mamèrevientmechercherenvoitureàlasortie.Maisjepeuxvousaideràfaireunelistede…–Appelle-lapour luidireque tunepeuxpasrentrer toutdesuite,dit l’unedes filles.Tiens,
prendsmonportable.Etelleajoute,avecuncoupd’œilpar-dessussonépauleendirectiondessurveillants:–Essaiejusted’êtrediscrète.Laurenappellechezelle.Coupdechance,elletombesurlerépondeur.–Salut,maman.C’estmoi.Pas lapeinedevenirmechercheraujourd’hui. Jedoisresterplus
tard, pour un travail de groupe. Je rentrerai à pied.OK ?Merci,maman. À tout à l’heure. Jet’aime.
Laurenraccrocheetrendsonportableàsonamie.Çan’étaitpassicompliqué.Letéléphonesonnepresqueaussitôt.Sapropriétaireregardel’écran.–Lauren,jecroisquec’estta«maman».Deuxautresfillesricanent.Laurensetordlesmains.–Heu…ellelaisseraunmessage.–D’accord.Environuneminuteplustard,ilsonnedenouveau.–Désolée,bredouilleLauren.Elleestunpeuàcrandepuisquejevaisaulycée.Unefillerelèvelatêteetmurmure:–Chut.VoilàCandace.Laurenlaregardes’approcherdeleurtable.Pasunefillenebougepourluifaireuneplaceet
ellesesentgênée,commesielleavaitpris lesiègedeCandace.Elles’apprêteàse lever,maissavoisinel’enempêcheenposantunemainsursacuisse.Candaceselaissetombersurunechaiseenboutdetable.
–VousbossezsurlecortègedesBraves?–Ouais.–Commentçaavance?Commepersonnenerépond,Laurentournesoncahierpourluimontrer.–Çaavancepasmal.Tuveuxvoirlesplans?–Non,répondplatementCandaceenrejetantsescheveuxpar-dessussonépaule.MaisLaurenvoitsesyeuxs’attarderuninstantsursesnotes.
–Jenepeuxpasparticipercetteannée,reprendCandace.J’aidestrucsàpréparer…D’ailleurs,c’estpourçaquejesuislà.
Ellesoupiremollement.–J’organiseunefêtesamedisoir,avantlebal.Toutlemondeestinvité,onpourraprendredes
photos.Mamèreapporteradeuxoutroisbouteillesderhumetilyauraàmanger.Laurendressel’oreille,maislesautresnesemblentpasréagir.–Cool,ditunefilleenpoussantsanourritureduboutdesafourchette.–Ouais,pourquoipas,réponduneautre.LesouriredeCandaces’efface.–Bon,OK,dit-elleenserelevantlentement.Entoutcas,j’espèrequevouspourrezvenir.Dèsqu’elleesthorsdevue,lesfillesbaissentlatêtepourchuchoterentreelles:–Qu’est-cequ’ellecroit?Qu’ellen’aqu’àfaireunefêtepourqu’onlatrouvesympa?–Sansblague!Enplus,aveclasoiréechezAndrewaprèslebal,onn’aplusbesoind’ellepour
avoirdequoiboirecommel’étédernier.–Cette fois-ci, elle va peut-être comprendrequ’onnepeut pas traiter les gens commede la
merdesansqu’ilyaitdeconséquences.– Elle s’est toujours comportée comme une garce. Elle ne changera jamais. Elle se croira
toujourssupérieure.Laurenbaisselenezdanssoncahier.Pourelle,ilestclairquel’invitationdeCandaceétaitun
gestedepaixpourtenterd’arrangerleschoses.Maislemalqu’elleleurafaitavisiblementlaissédestraces.Tropprofondes,apparemment,pourêtreeffacéesparunesimplefête.
L’unedesfillesserreleslèvres,plongéedanssespensées,puisobserve:–Remarque…çapourraitêtrecooldesechaufferunpeuavantlebal.Ceseraitpeut-êtreplus
marrant.–Hé!OnpourraitallerchezCandacejustepourlerhum,maissanss’occuperd’elle.–C’estvrai,approuveuneautre.Laurensemordlalèvre.Ellen’aimepasl’idéed’alleràunefêterienquepourboire.Maisbon,
lesfillescommencentpeut-êtreàcomprendrequeCandaces’enveut.Ilfautpeut-êtrequ’ellesseretrouventtoutesdansunemêmepiècepourcreverl’abcès.Etilestpossiblequ’àsafête,Candaceprésentedesexcusesenbonneetdueforme.
Unefillecroiselesbrasd’unairdécidé.–Entoutcas,siLaurenn’yvapas,jen’yvaispasnonplus.–Moipareil,déclareuneautre.Lerestedugroupeacquiesced’unhochementlatête.Laureneststupéfaitedevoirsesnouvellesamiesserallierainsiautourd’elle.Candaceavaittort.
Cen’estpassimplementparcequ’elleestjolie.C’estvraimentparcequ’ellesl’aimentbien.Cellequiluiaprêtésonportablesebaissesouslatablepourécoutersaboîtevocale.–Heu,Lauren?Tamèreaditdetedirequ’elleavaiteuleposte.LevisagedeLaurens’illumine.–Ouais!!Voussavezcequeçaveutdire?Qu’onresteàMountWashington!Ellepousseunpiaillementd’excitation.Les filles sourientpoliment, l’airunpeugêné, etLaurenporte vivementunemaindevant sa
bouche.–Désolée.Jesuistropcontente,ajoute-t-elleavecunrirenerveux.Lapropriétaireduportableparaîtunpeusurprise.
–Oh,OK,dit-elle.Tantmieux,parcequetamèreavaitunevoixunpeudéprimée.
Ethan Frome 1- est un roman d’amour tragique publié en 1911 par l’écrivain américaine EdithWharton.
CHAPITRE22
Lasonnerieannoncelafindel’avant-derniercoursd’Abby.Ellefaitunsigned’aurevoiràLisaquibonditdederrièreleurpaillassepourdisparaîtredanslecouloir.Sonprochaincoursalieuàl’autreboutdu lycéeetelledoitcourirpouryêtreà l’heure.LeurarrangementestqueLisasechargedepresquetouslescalculset lesexpériencesdelabo,tandisqu’Abbynotelesrésultatsetnettoieleursurfacedetravail.Del’avisd’Abby,c’estunexcellentaccord.Elleasportjusteaprès,etelleprendsontempspourreplierleurcarteenreliefetrangertousleséchantillonsdeminérauxsurlesétagères;elledétestelesportpresqueautantquelabiologie.
Àl’instantoùellesort,leproflèvesonstyloenl’air.–Abby?Elleestdéjàdanslecouloir,etseretourneversluienprenantsoindenepasremettreunpiedà
l’intérieur.–Oui,MrTimmet?–Jecroisquenousavonsunpetitproblème.Après lui avoir fait signe de s’approcher, il remue des papiers sur son bureau en évitant son
regard.–EntretesdeuxpremièresnotesdeQCMettondernierdevoirincompletdelundi,tesrésultats
enbiologiesonttrèsinsuffisants.Mince.Ledevoirdelundi.Aveclescoopdelaliste,elleaoubliédecopierlesréponsesdeLisa.–Abby,jesaisquecen’estqueledébutdel’année,maisonenestdéjàpresqueàlamoitiédes
notesdutrimestre,poursuitMrTimmetensortantunpaquetdefichesbleuesd’untiroir.Mercidefairesignercecipartesparentsd’icilafindelasemaine.
Illuitendsafeuilledenotes.Abbyenfoncesesmainsdanslespochesdesonjean.–Maisjetravaille,MrTimmet,jevousassure.Elle a pris un ton vulnérable et gentiment suppliant. Les profs commeMrTimmet, qui se
croient encore jeunes, qui pensent que leurs élèves peuvent les trouver craquants, sont souventsensiblesàcegenred’attitude.
–Etjesuisdésoléepourl’exercicedelundi.Ils’estpasséuntruccematin-làet…Elles’arrête,dansl’espoirqueleprofesseurmontrequ’ilasaisil’allusionàlaliste.Ouaumoins,
qu’ilmanifesteunelueurdecompassion.–Enfin,jevoulaisvraimentlefaire.Vraiment.MrTimmetremonteseslunettessursonfrontetsefrottelesyeux.–Jetel’aidit,Abby,ilnes’agitpasseulementdel’exercicedelundi.Jemeréjouisquetufasses
desefforts,etjeveuxquetusachesqu’iln’estpastroptardpourremonter.Jeterappellequ’ilya
uncontrôle important lasemaineprochaine.Avecunebonnenote, turécupérerais tamoyenne.Maisjedoisquandmêmeavertirtesparentsquecen’estpaslecaspourl’instant.
Abbysentsesgenouxfaiblir.Endessousdelamoyenne?Déjà?Ellequi avaitplacé tantd’espoirsdanscenouveaudépart !Elle s’étaitditque le lycée serait
différentducollège,oùelleavaitbarboté,passétoutessortesdecontratsaveclesprofs,multipliélescoursdesoutienetlescontrôlesderattrapagerienquepourmaintenirsatêtehorsdel’eau.
Cetteannée,Abbyavraimentessayéd’êtreattentivedèsledébut.Elleaprisdesnotes,mêmelepremierjour.ElleacopiétoutcequedisaitMrTimmetleplusproprementpossible.
Etaudébut,elleaeul’impressiond’yarriver.Des’yretrouverdanslescatastrophesnaturellesettouslestrucsdinguesquiremuaientdanslenoyaudelaTerre.Maisaufildesjours,leslistesdenomsdeminérauxontfaitplaceàdeséquationsauxalluresdehiéroglyphes.Jusqu’àcequ’ellesetrouvetotalementdépassée.
– Simes parents voientmes notes, ils vontme tuer. S’il vous plaît,m’sieur, on ne peut pastrouveruneautresolution?Jeferaitouslesexercicesquej’aisautés.Etjeviendraitouslesjoursencollejusqu’àcequemamoyenneremonte.
MrTimmetposelacarteenéquilibreinstabletoutauborddesonbureau.–C’estlaprocédure,Abby.Jenelefaispaspourt’embêter.MrTimmetestleprofpréférédeFern.Abbyimaginetrèsbiensasœuràsatabledupremier
rang,lesyeuxrivéssurlui,àcompterlesrayuresdesachemise.Ilportelegenredemontrequ’onmetpourfairedelaplongée.Pratiqueetrésistante.Seslunettescercléesdemétal,contrairementàcellesdesautresprofs,nesontjamaissalesnitachées.Encours,ilfaitdesblaguesenrapportavecsamatière,legenredetrucquifaitrirelesbonsélèves.Pasétonnantqu’ilaitautantlacoteauprèsdeFern.Maispourcesmêmesraisons,ilproduitl’effetinversesurAbby.
–Mr Timmet, je vous en supplie. On ne pourrait pas au moins attendre le contrôle de lasemaineprochaine?Samedisoir,c’estlebaldelarentrée,etmesparentsvontm’interdired’yalleret…
Abbys’interromptenvoyantleprofesseurseretournerverssonordinateur.Ilsefichebiend’elleetdubalde larentrée.Abbyn’a jamaisconnuletypederelationsqueFernaavecsesprofs.Ilsadorentqu’elleviennelesvoiràlafindeleurcours,pourleurparlerdecequiluiarrivedanssavie.
Lorsqu’il est clair qu’Abby a renoncé à plaider sa cause,Mr Timmet daigne la regarder denouveau.Ilal’airunpetitpeunerveux.Oualorsilregrettequelasituationaitprisunetournureaussiembarrassante.
–Malheureusement,cen’estpasnégociable,déclare-t-il.Lepoidsdeslivresd’Abbysemblesoudainmultipliépardix.Ellelesserrecontreelleetsesyeux
s’emplissentdelarmes.–Maisjevaisfairedesprogrès.Jevouslejure.–Jenedemandequecela,Abby.Tusais,tudevraisdemanderàtasœurdet’aider.Fernn’apas
deproblèmesenbiologie.Elleesttrèsintelligente.Abby prend la carte sur le bureau du professeur, si vivement qu’elle fait tomber une pile de
feuilles.–C’estça,grogne-t-elleentresesdentsensortant.Elleestaucourant,merci.Pendanttoutlecoursdevolley,Abbyexaminesesoptions.Sielledonnesafeuilledenotesàses
parents, il est évident qu’ils lui interdiront de sortir, et il y a toutes les chances pour qu’ils
l’empêchentd’alleraubal.Siellenel’apasfaitsignerd’icivendredi,MrTimmetappellerasansdoutechezelle,etellenepourrapasnonplusalleraubal.L’attentiongénéraleque luivaut laliste,l’invitationchezAndrew,toutçaserafichu.
C’estlegenredesituationoùonperdàtouslescoups.
Abbyestassisesursonlit.Ellen’apasenviedefairesesdevoirs,nideregarderleshowquipassesurlapetitetéléquitrônesurlacommodeaumilieudubazar.
Àl’autreboutdelachambre,éclairéeparuncônedelumièreparsemédepoussièredansante,Fernécritàsonbureau,danslecanyonquiséparedeuxmontagnesdelivres.
Abbyregardelestylodesasœurvoletersursoncahieràtoutevitesse,sansaucunehésitation.Leurs parents ayant chacun besoin d’un bureau à lamaison, elles doivent partager lamême
chambre.Elleestaménagéeenmiroir,aveclesmêmesmeublesetlesmêmesaccessoiresaumêmeendroitdechaquecôté :un lit,unbureau,unecommode,unetabledechevet.Maisau-delàdecettesimilitude,chaquemoitiéesttotalementdifférentedel’autre.
Les murs d’Abby sont recouverts de photos, de portraits de mannequins et d’acteurs, desouvenirsd’aventurespartagéesavecsesamies,commeceboutdeticketrougedelamachineàsousàlaquelleellejouaitsurladigue,l’étédernier,avecLisa.Lesoldisparaîtsouslesvêtements.
LecôtédeFernestunmodèlederangement.Toutestpropreetbienàsaplace.Sesvêtementssont suspendus sur des cintres ou pliés dans les tiroirs. Un enchevêtrement de médaillesacadémiquesestsuspenduàlacolonnegauchedesonlit.Scotchéeauplafondau-dessusdulit,uneaffiche représentant une plage au lever du soleil déclare : « rien ne remplace le travail ». Sontableauenliègenecomprendquedesépinglesàtêteblanche,quiserventàmaintenirunplanningmensueloùdevoirs,contrôlesetconcoursderhétoriquesontinscritsavecsoin.
SiAbbyavaitunesœurcommeBridget,ellepourraitluiparlerdesonproblèmeettrouverunesolution.Aupire,Bridgetinterviendraitpourapaisersesparentsausujetdelafeuilledenotesettrouveraitdesargumentspourlespersuaderdelalaisseralleraubal.
Fernnel’ajamaisaidéedecettemanière.Abbycherche la télécommandeà tâtonsetmonte lentement levolumede la télévision,degré
pardegré,jusqu’àcequelesapplaudissementséclatentcommeuncoupdetonnerre.Fern,toujoursoccupéeànoircirfurieusementseslignes,s’arrêteuninstant.–Tunepeuxpasallerregarderçaausalon?demande-t-ellesanss’encombrerdepolitesse.–Ah,parcequetumeparles,maintenant?marmonneAbby.–Quoi?Abbycoupeleson.–Jesaisquetum’enveuxàcausedelaliste.Voilà.C’estdit.Fernlaissetombersonstylosursoncahier.– Jene t’enveuxpasàcausede la liste,articule-t-elle lentement,commesielleparlaitàune
demeurée.Maisjenevoispascequ’ilyaàendire.–Ben,jenesaispas,moi.Parexemple…«félicitations»?Fernfaittournersonsiègeàroulettespourluifaireface.–Tuessérieuse?–Çasepeut,grommelleAbbyenregrettantcequ’ellevientdedire.Entoutcas,tun’aspasà
t’enprendreàmoi.Ças’esttrouvécommeça.Çan’estpasmafaute.
–Jesais,jeconnaisleprincipedelaliste.Çanet’obligepaspourautantàtepavanerdanstoutlelycée.
–Tuveuxdire,commetoiquandtureçoislesfélicitations?Fernricane.–C’estdifférent,Abby.–Ahbon?Mêmesijen’aijamaislesfélicitations,çanem’empêchepasd’êtrecontentepourtoi.–Maislesfélicitations,çasemérite.C’estlerefletdirectdutravailetdeseffortsquej’aifournis.
TunevaspasmettresurtonCVlefaitquetueslaplusjoliefilledetaclassedetroisième,si?FernritdesapropreblagueetAbbyaenviededisparaîtresoussacouette.–D’accord.–Etsituteconcentraisunpeusurtesdevoirsaulieuderegarderlatélé?Oudepassertoutton
tempsàchercherdesrobesdébilessurInternet?ajouteFernavantdeseretournerverssonbureau.Tupourraist’intéresseràdestrucsquicomptent.Essayerd’accomplirquelquechosequipuissevraimentteservirdanslavie.
–Çan’estpasdesrobesdébiles,Fern.Ettutrouvespeut-êtreçadébileaussid’êtresurlaliste,maistutetrompes.C’estunhonneur.
Fernreprendsonstylo.Maisaulieudeseremettreautravail,ellefixelemur.–Lalistenevapaschangertavie,Abby.Jenecherchepasàêtreméchante,maisjenevaispas
meprosterneràtespiedspouruntrucaussiabsurde.Maintenant,situreçoislesencouragements,jeserailapremièreàteféliciter.Jeseraimêmeprêteàaccrocherdesballonsàtonlit.
Abbyserefuseàpleurer,maisellen’estpassûred’arriveràseretenir.Elleesttiréed’affaireparla sonnerie de son portable. Sans répondre à Fern, elle le prend et sort de la chambre. Enremettantlesondelatélé,justepourfairesapeste.
–Salut,Lisa.Abby s’adosse au mur et sent les cadres des photos de famille s’enfoncer dans sa colonne
vertébrale.Elleentendsasœurseleverdesonsiègeavecungrossoupirpouralleréteindrelatélé.–Çan’apasl’aird’aller,luiditLisa.Qu’est-cequisepasse?Abbysemordla lèvre.Çalui feraitdubiendepouvoirparlerde la feuilledenotesetdeMr
Timmet,maiselleatrophonte.Alorselleditassezfort:–C’estmasœur.Ellesepenchepourjeteruncoupd’œildanslachambre.Ferns’estremiseautravail,penchée
sursesbouquins,etAbbyluilanceunregardassassin.–Franchement,depuisquelalisteaétéaffichée,elleesthorribleavecmoi.Lisabaisselavoix:– Jene veuxpas créerd’histoires entre vous,maisbon…c’est justede la jalousie.Tu le sais,
quandmême?–C’estmêmepasça,grogneAbby,furieuse.–Maisbiensûrquesi, idiote!OK,elleademeilleuresnotesquetoi.Maisjetepariequ’elle
échangerait volontiers tous ses superbulletins contre tonADN.C’est vrai, enfin, t’es tellementplusjoliequ’elle!
Quelquepartdansuncoindesatête,c’estaussicequeseditAbby.Cettepenséeapointésonnezpendantqu’ellesedisputaitavecsasœur.EtAbbysedégoûteunpeudel’avoireue,commes’ils’agissaitd’unterriblesecret,commesil’envisagersuffisaitàfaired’ellequelqu’und’horrible.
Celalasoulagedel’entendreformulerparLisa.Unpeu.
CHAPITRE23
Aprèsl’entraînement,Daniellesortdesvapeursdesdouchesdelapiscineetvaouvrirsoncasier.L’intérieurestverttirantverslejaune.Elleareçuuntextod’Andrew.
«RDVdevantlapiscineaprèsl’entraînement.»Elle l’a appeléhier soir en rentrantdu centre commercial, et ils se sont encoreparlé jusqu’à
l’aube.Elleluiadécritsarobedebal,rosepâleavecdesmancheronsengaze.Ellen’ajamaisrienportédesemblable,maisc’estonnepeutplusfémininetçaluivabien,mêmesiellesesentunpeuserréeauniveaudesépaules.Cechoixastupéfiésamère,quiadéclaréàlavendeusequ’ellen’avaitpasvusafilleaussihabilléedepuissapremièrecommunion.
Ilsn’ontpasreparlédelaliste,etDaniellesedemandeunpeucommentlevitAndrew,cequesescopainsdisentd’elle.Elleauraitpuluiposerlaquestion,maisellen’apasvouluplomberleurconversation.
Aujourd’hui,c’estuneautrehistoire.Andrewl’adenouveauévitéeaulycée,etellecommenceàdevenirparano.Serait-ilgênéàl’idéed’êtrevuavecelle?Sontextoparaîtunpeusec.Ets’ilavaitdécidéderompre?
Desgouttesd’eaucoulentdesescheveuxsurl’écrandutéléphone.Ellel’essuieavecuneservietteetdécouvrequ’ellen’apastoutlu.
Ellerelâchesarespiration,s’apercevantseulementalorsqu’ellel’avaitretenue.S’ilavaitvoulurompre,iln’auraitpasmisdesmiley.Toussesdoutessedissipentcommedesnuageschassésparlevent.Elleachaudaucœur.Elleahâtederetrouversonpetitami.
Hopesefaufiledevantelledansl’alléepourgagnersoncasier.– Tu veux venir dîner à la maison ce soir ? lui propose-t-elle. On mange des tacos. Et je
voudraistemontrercequejemetspourlebal.Jesaisqu’onestcenséesporterunerobe,maisj’aiplutôtenviedemettreunjeanetunjolichemisier,untrucdanscegenre-là.Jenesaispas.Jemesensmalàl’aiseenrobe.Encorepluspourdanser.
Daniellealemêmeproblème,maislechoixd’unerobeluiaparuêtrelemoyenleplusefficacedereléguersonnouveausurnomauxoubliettes.
–Cesoir,jenepeuxpas.JevoisAndrew.–Oh!faitHoped’untonsurpris.Çasepassebien,vousdeux?–Biensûr!Pourquoivoudrais-tuqueçasepassemal?EllesentleregarddeHopepesersurelletandisqu’elles’essuielescheveux.–Ben…tudisaisqu’il avaituncomportementunpeubizarredepuisque la liste était sortie.
Qu’ilétaitdistant.C’esteffectivementcequeDanielleluiaavouédansunmomentdefaiblesse,etelleleregrette.
–Cen’estpasvraimentça,essaie-t-ellederectifier.Onneseparlepasbeaucoup,c’esttout.–Tucroisqu’ilaborderalaquestion,unjour?–J’espèrequenon.Danielle semet du déodorant à la vanille. Avec un peu de chance, ça camouflera l’odeur de
chlore qui lui colle à la peau.Elle a beau se frotter de toutes ses forces sous la douche, elle atoujoursdumalàs’endébarrasser.
–Jenetienspasàavoirunegrandediscussionsupergênanteaveclui.Ellen’apasnonplustrèsenviedepoursuivrecelle-ci.Pourycoupercourt,ellelaissetomber
l’étapedupeigneetsedépêchederangersesaffaires.Hopes’assoitsurlebanc.–Çan’apasbesoind’êtreunegrandediscussionsupergênante,Danielle.Maisceseraitnormal
qu’ildisequelquechose.Dugenre…queçaluiestégal.Qu’iltetrouvebellequoiquepuissentdirelesgens.
–Onpeutchangerdesujet,s’ilteplaît?rétorquesèchementDanielle.Ellen’aaucuneenviequelesautresfillesprésentesdanslesvestiairesentendentHopes’efforcer
deluiremonterlemoral.Elleluitourneledos,fermelesyeuxunesecondeenécoutantlebruitdefonddessèche-cheveuxetdesconversationsmurmurées.Andrewneluiarienditdetel.Ceseraitpresque pire s’il le faisait.Comme si elle était une pauvre petite chose fragile qui avait besoind’êtrerassurée.
–Excuse-moi,reprendHope.Jeveuxjustequetusoisheureuse.–Jesais.Etelleestsincère.Maisellenes’arrêtepaspourautantderangersesaffaires.–Jet’appelleplustard.Ensortantdesvestiaires,Daniellesefaitunepromesse:celledeneplusjamaisparlerdecequi
sepasseentreAndrewetelle.Hopeneferaitqueleressortirunjouroul’autre,horscontexte,avecune interprétation entièrement faussée. Danielle ne veut pas donner une mauvaise opiniond’AndrewàHope,maisdetoutefaçon,celle-cinepeutpascomprendre.Ellen’étaitpasaveceuxcetété.Ellen’ajamaiseudecopain.Parlerd’Andrewnepourraitqueleséloigner.
Endescendantl’escalier,DaniellevoitAndrewparlafenêtre,avecsescopains.Elles’appuieàlarampeetlesregardeunmomentfairelesidiots.Enl’observantcommeçadeloin,quiessaiedeselibérerd’uneprisedeChuck,elleluitrouvesoudainl’airbienplusjeune.Andrewestlepluspetitdelabande.
Chuck s’en va dans la voiture de sport de sonpère.Uneminute plus tard, une fourgonnettes’arrêteàleurniveau.Tandisquelerestedugroupes’entasseàl’intérieur,Andrews’assoitauborddutrottoircommes’ilattendaitluiaussiqu’onviennelechercher.Ilagitelamain,attendquelafourgonnetteaitdisparu,selève,ramassesonsacetsedirigeverslapiscine.
Tournantlestalons,Daniellesemetàcourir.Pourarriverlapremièreàleurpointderendez-vous,etpournepassedemandersiAndrewaditàsescopainsqu’ilvenaitlaretrouver.
Ellereprendsarespirationtandisqu’Andrewtourneàl’angleduterrain.Dèsqu’ill’aperçoit,unsourireradieuxéclairesonvisage.Ilestheureuxdelavoir.Etelleestheureuseparcequ’ill’est.Çavautbienplusquen’importequelle formulede consolationoud’excuse ringarde au sujetde laliste.
–Devinequoi,dit-ilenjetantunbrasautourdesonépaule.Mesparentsnesontpaslàcesoir.Untrucdedernièreminute.
LesyeuxdeDanielles’illuminent.
–Ahoui?Ilsonttouslesdeuxdesparentsstricts.Elleal’impressionqueçafaituneéternitéqu’ilsn’ont
paspupasserdutempsseulssanssurveillance,commeilslefaisaientaulacClover.–Onpourraitcommanderunepizza,suggèreAndrew.Tum’asmanqué.Ilglissesesdoigtsentrelessiens.–Toiaussi,tum’asmanqué.Danielleappellechezellepourprévenirqu’ellevamangerdestacoschezHope,etilsprennent
lecheminquipasseàtraversbois.Dès qu’ils sont chez lui, il la presse contre le mur et pose sa bouche sur la sienne. Ils
s’embrassentavecardeur,puiss’allongentsurletapisdevantlacheminéeenroulantsurlecourrierglisséparlaboîteauxlettres.Danielleaimel’intensitédesgestesd’Andrew,safaçondeserrerlespoingssursontee-shirt,des’agripperàellecommeilnel’avaitjamaisfaitjusque-là.
Ellebasculeau-dessusdelui,enessayantdesesentiraussisexyetpuissantequelescirconstancesl’exigent.Maisquelquechosedanssapositionromptl’harmonie.Elleal’impressionquesoncorpsesttropgrandpourceluid’Andrew.Elleapeurdel’écraser.Commesic’étaitluilafilleetellelegarçon.
–Tuveuxqu’onarrête?demande-t-il.Ilécartelesmainsauralenti.–Qu’est-cequinevapas?Ellen’apasenviedeluirépondre.Maisilsn’enontmêmepasreparléuneseulefoisdepuisle
premierjour.–Cettehistoiredeliste,c’estridicule,soupire-t-elle.Ilfaitcourirsesdoigtslelongdesesbras.–N’ypensepas.–Facileàdire,répond-elleenroulantsurletapis.Tuyarrives,toi?Ils’assoitetenfouitsatêteentresesmains.–Lakillerattitude,tuterappelles?Daniellen’aimepaslatournurequeprendlaconversation.–Cen’estpasleproblème.Jepeuxavoirlakillerattitudelaplusconvaincanteetlaplusféroce
delaTerre,çanem’empêchepasdesavoirquelalisteestlegrandsujetdumoment.CommeAndrewnerépondpas,ellepoursuit:–Tesamissefichenttoujoursdetoiàcausedecettehistoire?–SurtoutChuck.Çaénervetoutlemonde.Maisçaluipassera.Jetienslechoc.Elle déteste l’idée qu’Andrew se fait charrier par sa faute.Leur stratégie de l’ignorance n’est
peut-êtrepaslameilleure.Ilsferaientpeut-êtremieuxd’affronterlaréalité.–Tudevraisluicollertonpoingdanslafigurelaprochainefoisqu’ilparledemoi.Elleébaucheunpetitsourire,mêmesielleestsérieuse.–Àmoinsquejem’encharge.–Ça,c’estl’idéedusiècle.Commeça,lesgensteprendraientencorepluspourunmec.Onest
vraimentobligésdeparlerdeça?Daniellerecommenceàl’embrasser.Aprèstout,ellesefichedel’opiniondescopainsd’Andrew.
Toutcequicompte,c’estqueluilavoiecommeunenana.Sanana.Nerveusement,elleramènelamaind’Andrewsursontee-shirt,enroulesesdoigtsautourdela
bordure et, avec son aide, le passe au-dessus de sa tête.Elle lui donne quelques secondes pour
dégrafersonsoutien-gorge.Commeilnebougepas,qu’ilresteassislààlafixer,ellefinitparlefaireelle-même.Sesmainstremblenttellementqu’ellemetunmomentàyparvenir.
Enfin,Andrewparaît se réveiller. Il tend lamain et s’aventuredansdes endroitsoù iln’étaitjamaisallé.
Daniellefermelesyeuxetseconcentresursessensations.Ellesaitqu’ellen’estpasungarçon.Maissonpetitami,lui,abesoinqu’onleluirappelle.
Jeudi
CHAPITRE24
AvantqueJenniferaiteuletempsdesortirdesavoiture,DanaetRachelsontlà,arboranttoutesdeuxlemêmesourirerayonnant.
–Hé,Jen-ni-fer!–Onaunebonnenouvelle!–Pitié, lesfilles, les imploreJenniferenprenantses livresetenverrouillantsaportière.Jene
croispasquejepourraisensupporterdavantage.Enseretournant,ellevoitqu’ellesportenttoujourslesticker«VotezJennifer».Ellepensait
que c’était juste une lubie qu’elles avaient eue la veille.Mais il semble qu’elles s’accrochent àl’affaire.
Ellessedirigentverslebâtimentdulycée.RacheljetteunbrasautourdesépaulesdeJenniferetluidemande:
–Qu’est-cequetufais,demainsoir?–Àtonavis?Ellearépondud’untonespiègle,letondelablaguedonttoutlemondeconnaîtlachute.Dana,quilesdevancedequelquespas,seretournevivementpourlaregarderbienenface.–Çateditd’alleràunefête?Toutlemondeysera.Lesgarsdufootballaméricain,les…–Attends,l’interromptJennifer.Jecroyaisquel’entraîneurappelaittouslesjoueursdel’équipe
juniorlaveilledesgrandsmatchspourêtresûrqu’ilsnefaisaientpaslajava.Rachelsecouelatête.– C’est des histoires pour que les plus jeunes aient la trouille de sortir. Enfin, bref, tout le
mondeyva,ettuesl’invitéed’honneur.–C’estvrai?!Unefête.Unepetitechoseanecdotique,insignifiantepouràpeuprèstoutlemonde.Saufpour
Jennifer,quienrêvedepuistoujours.Maisjamais,mêmedanssesfantasmeslesplusfous,elleneseseraitprojetéedanslerôledel’invitéed’honneur.
–C’estpasuneblague?Elle s’estdéjàposécettequestionplusieurs foiscette semaine,en sedemandantquandon lui
retireraitletapisdesouslespieds,quandtouscescadeauxs’évaporeraient.Ellesatteignentlesmarchesdulycée.DanaouvrelaporteetlatientpourJennifer.–Oncréetoutunévénementautourduthème«VotezJennifer»,reprendDana.Parexemple,
onnelaisseraentrerqueceuxquimontrentleurticketpourlebalavectonnomécritaudos.Rachelsepencheàsonoreillepourmurmurer:
–Jeneveuxpastedonnerdefauxespoirs,Jennifer,maisilyaunebonnechancepourquetusoiséluereinedelarentrée.
Jenniferenalachairdepoule.Commentsefait-ilquetantdegensquiétaientaussipromptsàl’abattreveuillenttoutàcouplaporterentriomphe?Pastous,biensûr.C’estuneévidence.Ilyaencorepleindegarçonsquilaregardentcommesiellen’avaitpasledroitd’exister;quandilslaregardent. Et quelques filles aussi, surtout parmi les plus jeunes et les plus jolies. Comme siJennifermenaçait de détruire le caractère sacré de toute la tradition de la rentrée en devenantreine.Commesielleétaitunagentinfiltrédanslafêteavecmissiondelabousiller.
EtpuisilyaMargo.–Merci,vraiment,lesfilles.Je…C’estd’accord.Çasepasseoù?–ChezMargo,ditDana.Jennifers’arrêteetsecouelatête.–Non.Margonevoudraitjamais.–Maissi,l’assureRachel.Ellenousl’adit.–C’estmêmeellequi l’aproposé,enchaîneDana.Elleaofficiellementdéclaré sonsoutienà
toutel’opération«VotezJennifer»!–Bon,ellenevasansdoutepasmettretonsticker,ajouteRachelàlahâte,sonregardfaisantla
navetteentreDanaetJennifer.Ceseraitbizarre.Vuquevousêtesencompétition.Danaapprouved’unhochementdetête.–Jesaisqu’ilyaeudesproblèmesentrevous,maisl’eauacoulésouslesponts,depuis.Jenniferlesregardetouteslesdeux,sijoyeuses,siexcitées,siavidesdecroireàcemensonge.Jennifer,elle,connaîtlavérité.Çanesepeutpas.Maisàsapropresurprise,etàsonsoulagement,çaneluifaitnichaudnifroid.–Cequejesuiscontentequetuviennes!lanceDanaenlaserrantcontreelle.Jenniferlasentquiappuiequelquechosesursapoitrine.QuandDanas’écarte,ilyaunsticker
«VotezJennifer»collésursontee-shirt.–Vousêtessûresquejedois…Rachelfaitouidelatêtesanslalaisserfinir.–Àmonavis,c’estbienquelesgensvoientquetutesensàl’aiseavecça.Jenniferbatdespaupières.–Pourquoijeneleseraispas?–Bonnequestion,faitDanaenluidonnantunetapedansledos.Bon,Jennifer,àplus!Cette fois, c’est sûr, Jenniferadûmourir sans s’enapercevoiret se retrouverauparadis.Elle
prendseslivresdanssoncasier,yrangesavesteetrefermelaporte.Maisdesvoixdanslecouloirlafontbrutalementredescendresurterre.
– IlparaîtqueSarahgardesoncacadansunsacenplastiquepour le jeter sur tout lemondesamediaubal.
–Quoi?C’estdingue!Maiselleseferaitarrêterpourça,non?Çadoitêtreundélit!–Ilsvontpeut-êtreannuler.Parsécurité.SarahSinger.C’estquandmêmeironiquequeleplusgrosobstaclequisedresseentreelleetunbaldigned’un
contedeféesnesoitfinalementpasMargo.Aulieudesedirigerverssasalledeclasse,Jenniferressort.Elleafroiddehorssanssavesteet
serreseslivrescontresapoitrinepourseprotégerduvent.Sarahestfacileàtrouver.Elleestassisesursonbanc.Legarçonqui lasuitpartoutsetientàcôtéd’elle, lenezdansunlivre.Audébut,
Jenniferhésiteàlesdéranger.Maisl’enjeuesttropimportantpourqu’ellesedégonfle.Elleavanced’unpasdécidé.
Sarahlaregardedetravers.–Tiens,salut,Jennifer.–Jepeuxtedemanderuntruc?Sarahetsoncopainéchangentuncoupd’œil.CommesilapolitessedeJenniferétaitridicule.–Onvitdansunpayslibre,remarqueSarah.Jennifer prend une profonde inspiration, et le regrette aussitôt.Elle ne voit pas comment le
copaindeSarahpeutsupporterderesterassisàcôtéd’elle.Ellesentdéjàsonodeuràplusieursmètresdedistance.
–Ilparaîtquetuasachetédesticketspourlebal.C’estvrai?–Pourquoi?Tuveuxquejesoistoncavalier?Jennifer a enviede luidired’aller se faire voir,maisSarahn’attendque ça.Cette fille est en
permanencedanslaprovoc,etJennifernevapastomberdanslepanneau.–Jevoudraissavoirsituasprévudemonteruncanularsamedipourgâcherlebal.–Uncanular?Commequoi?Jenniferdétestecettesuffisance,cettearrogance.–Heu…Jenesaispas,moi.Untrucpourtevengerdetoutlemondeàcausedelaliste?Ce
n’estpaspourçaquetusensaussimauvais?Sarahouvreuneboucheencul-de-pouleetportelamaindevant,d’unairfaussementchoqué.–Jenevoispasdequoituparles.J’aisuperhâted’alleraubal.J’aidéjàchoisimatenue.Elleaprisletonaffabledesactricesdesfeuilletonstélévisésd’autrefois.–Etçanesefaitpasdedireauxgensqu’ilssententmauvais,Jennifer.J’auraiscruquetuétais
bienplacéepourlesavoir.Jenniferlèvelesyeuxauciel.–Écoute,tucommetsunegrosseerreur.Toutlemondevatedétestersitufaisça.Sarahs’avancesurleborddubancetsepencheverselle.–Jemefousque lesautresmedétestent. Je lesdétesteaussi. Jedétestechaque individudece
lycéejusqu’audernier.Jenniferreculed’unpas.Elleaeutortdevenir.Iln’yapasmoyenderaisonneravecquelqu’un
d’aussi aveuglé par la colère. Si une fille devrait être chamboulée par la liste, c’est bien elle,Jennifer. Sarah n’y figure que pour la première fois, elle n’a aucun droit. Et si elle s’en fout,commeelleleprétend,pourquoitient-elletantàgâcherleplaisirdetoutlemonde?
– Bon, dit Jennifer.Mais autant te prévenir, je vais aller dire àMrsColby les trucs que j’aientendussurtoi.
Ellelèvelesyeuxverslafenêtredubureaudelaproviseur.Ceseraittropbeauqu’ellesetrouvejustederrière,entraind’écouter.
–Pourquoitiens-tutellementàcebal,Jennifer?Nemedispasquetuespèressincèrementêtreéluereine?
Jenniferfaitpasserseslivresdesoncôtégaucheàsoncôtédroit,révélantinvolontairementsonsticker«VotezJennifer».
–C’estpasvrai,murmureSarah.Ellepoussesoncopainducoude.–Regarde!luidit-elle.Regardesonsticker!Maismerde,Jennifer,tuycroisvraiment!Tuas
réussiàtepersuaderqueçaallaitvraimentarriver!
–Tuteridiculises,ajoutelecopain.JennifertoiseSarah:–C’estdelajalousie.Sarahpartd’unrireméchant.Unrirefaux,detouteévidence.Cen’estqueducinéma.Comme
sateinturenoireetsonfatrasdecolliers,etlemot«moche»presqueeffacé,fondudanslacrassedesonfront.
–De la jalousie ?De quoi ?De ne pas être la petitemascottemoche de la bande des fillespopulaires ?C’est une farce, Jennifer ! À tes dépens !Tu devrais les envoyer bouler ! Elles seserventdetoi.Ellessemoquentdetoidanstondos!Ellest’onttraitéecommeunemoinsquerienpendantquatreans,ettuleurdismerciparcequ’ellestemettentunevieillecarottepourriesouslenez ! Elles pourraient t’offrir une couronne de brillants, elles penseraient toujours que tu esmoche!
– Je sais comment je suis,OK ? riposte Jennifer, un ton plus haut qu’elle ne voudrait.Et jel’accepte.Maisj’aienviedechanger.Alorsquetoi,tuaslarage,parcequ’aufondtuvoudraisêtrecommeelles,maisquetuasbientroppeurdel’admettre.
Sarahselèveenlapointantdel’index.–Tucroisquecesgarcesdepom-pomgirlssonttesamies?Ellessefoutentcomplètementde
toi.Jenniferrit.–Etalors?Toinon,peut-être?–Si,moi aussi, rétorqueSarah,mains sur les hanches. J’ai juste de la peinepour toi.Çame
désolequetutelaissesbernerparcenuméro.Cequetufaism’esttotalementégal.Maismoi,aumoins,jeneprétendspaslecontraire.Maintenant,dégagedemonbanc.
Jennifers’éloigneenfrissonnant.Ellenecommenceàseréchaufferqu’enarrivantdanslebureaudelaproviseur.
Ellepassedroitdevantlasecrétaireetentresansfrapper.–MrsColby?Jedoisvousparler.–Entre,Jennifer.J’espéraisquetupasserais.Jet’avouequej’envisagetrèssérieusementd’annuler
lebal.–Heu,quoi?faitJennifer,prisedecourt.MrsColbyhausselessourcils.–Désolée.J’aivudesstickers«VotezJennifer»partoutetj’aipensé…–Cen’estpaspourçaquejesuislà.–Donc,tun’asriencontretoutça?Avecunsouriretimide,Jenniferrejettesescheveuxdanssondospourrévélersonsticker.– Non, ça me va. Je trouve ça chouette. C’est sympa que les gens fassent ça pour moi. J’ai
toujoursété« lamoche».C’estassezdinguedesedireque jepourraisdevenir« la reinede larentrée».(Jennifern’enrevienttoujourspas.)Alors,s’ilvousplaît,n’annulezpaslebalpourmoi.Toutlemondemedétesterait.Ilsm’envoudraient!
Rienqu’àcetteidée,leslarmesluimontentauxyeux.–Trèsbien,entendu,ditMrsColby,unpeusurprise. J’aidûmal juger la situation.Alorsde
quoivoulais-tumeparler?Jenniferlissesonsticker,dontlesbordscommencentàsedécoller.–DeSarahSinger.Ilnefautpaslalaisserfaire.
CHAPITRE25
Margohésite derrière sa chaise, projetant sonombre sur la table de la cafétéria.Elle détestecetteimpressiondedevoirattendrequesesamiesl’yinvitentpours’asseoiravecelles.CommesisaplaceétaitdésormaisréservéeàJennifer.
RacheletDanagardent lenezsur leurspotsdeyaourt.Ellesdécollent lescouvercleset,d’unmêmegeste,sansunmot,fonttournerleurscuillersenplastiquedansl’épaissetexturecrémeuse,quiseteintepeuàpeuderose.
Margoposesonplateauet s’installe.Elle songed’abordà les ignorerenguisedereprésailles,maiselleesttropencolèrepoursetaire.
–Jenniferdéjeuneavecnous,cemidi?–SoitelleestauCDI,soitellen’apasfinideparleràlaproviseur,répondDana.–Àproposdequoi?–Qu’est-cequeçapeuttefaire?rétorqueRachel,quisedécideenfinàlaregarder.Àmoinsque
çat’inquiète.Lesgarçonsarrivent.Matthew,JustinetTedposentbruyammentleursplateauxàl’autrebout
delatable.Margoplisselesyeux.–Pourquoiçam’inquiéterait?réplique-t-elleenchuchotant.Danasepencheverselleetrépondsurlemêmeton:– Les gens commencent à se demander si ce n’est pas toi qui aurais rédigé la liste. Et
maintenant,tufaislagueuleparcequeçateretombedessus.ParcequeJenniferpourraitdevenirreineàtaplace.
–Vousêtessérieuses,là?Margo doit faire un effort pour ne pas hausser la voix. Pas la peine que les garçons, en
particulierMatthew,entendentcetteconversation.–C’estcequeraconteJennifer?Quec’estmoiquiairédigélaliste?–Non,ditDana.C’estcequecertainspensent.«Certains».Margosedemandecombiendegensça fait.Matthewenfait-ilpartie?Ellen’a
jamaiseubesoindesepréoccuperdecequisedisaitsurelle,parcequeçan’atoujoursétéquedupositif,descompliments.
–Etpourtoninformation,Jennifern’afaitaucuneremarquevachesurtoi.Racheléchangeuncoupd’œilavecDanaavantd’ajouter:–Enfait,ellecroitmêmequetunousaidessurledossier«VotezJennifer».Et…quetul’as
invitéeàtafêtededemain.
–Non,nonetnon,faitMargoensecouantlatête.– Je ne te comprends pas, déclareRachel. Je croyais que tu te fichais d’être élue reine de la
rentrée.Jecroyaisqueçan’avaitaucuneimportance.– Absolument, je me fiche d’être élue reine, confirme Margo un ton plus haut, pour que
Matthewl’entende.Mêmesi,quelquepart,ellenes’enfichepastotalement,ellesesentobligéedelecachercomme
unvilainsecret.Ellenepeutpasrenoncerentièrementaurêvequ’elleaconçuàlasecondeoùlalisteestparue:êtrelareinedelarentréeavecMatthewcommeroi.Ilsdanseraientensembleetillaverraitenfincommeellel’espérait:commelafilleavecquiilvoulaitêtre.
Danapenchelatêtesurlecôté.–Danscecas,pourquoitut’obstinesàsaboterleschancesdeJennifer?–Jeneveuxriensaboterdutout.Jetrouveçagênantdevousvoirpratiquementsupplierlesgens
devoterpourelle.VoustrouvezçanormaldeprésenterletitredereinedelarentréecommeunhonneuraccordéàJennifergrâceàvotregrandegénérosité?
–D’abord,lacoupeRachel,onnesuppliepersonne.Onfaitcampagnepourcompenserlefaitqu’onluiarépétépendantquatreansqu’elleestlaplusmoche.Tunetrouvespasqu’elleméritedesesentirbelleaumoinsunsoir?Aprèstoutcequ’elleasubi?
Margochoisitsoigneusementsesmots.–Jecomprendsquevousvoulezbienfaire,maissoyonshonnêtes.Iln’yapasunepersonnequi
voteraitpourJenniferenétantsincère.C’estsoitunegrosseblague,soitunmoyendesedédouanerdeluiavoircrachédessustoutescesannées.
Danarit.–Commetoi,tuveuxdire?Margoestsidéréedutourqueprendlaconversation.–Autrementdit,jen’aipasledroitdechoisirmesamies?–Biensûrquesi.Maistoutlemondeconnaîttesraisons,Margo.Margoboitunegrandegorgéedelait.Ilesttièdeetaprisl’odeurducartond’emballage,mais
ellepersiste.Quandelleatoutbu,elledit:–Bon.Jenevaispasmentirenprétendantquesonphysiquen’yétaitpourrien.Çaajoué.Ellelaissecetteaffirmationflotterdansl’airquelquessecondes,pourleurlaisserletempsdese
rappelerqu’ellesluiontlargementmislapressionpourlapousseràlaissertomberJennifer.Maiselles préfèrent peut-être oublier le rôle qu’elles ont joué à l’époque.Àmoins que leur plan aitjustementpourbutdelesdéculpabiliser.
–Maisiln’yavaitpasqueça,reprend-elle.Margoinspireàfondettâchedes’éclaircirl’esprit,soudainbrouilléparunchaosdepenséeset
desentimentsquiremontentàlasurface.–Jennifer…medonnaitunemauvaiseimagedemoi.Elle seprépareà la réactionde ses amies,parcequ’elle saitqueçaa l’air absurde.Comment
Jenniferaurait-ellepuavoirdupouvoirsurelle?C’estelle-mêmequiarompu,quiachoisidemettrefinàleuramitié.C’estellequiestpartie.
Danaluitapotel’épaule.–Onsait.Etlà,tuasunechancedetefairepardonner.Deterattraper.Margofroncelessourcils.Lesfillesn’ontpasbienentendu.Oubienelles’estmalexprimée.
EllevoulaitdirequecettemauvaiseimageétaitlàavantlaruptureavecJennifer.Pasaprès.Enfait, du tempsde leur amitié,Margo se percevait d’unemanière totalement différente.Commequelqu’un qui manquait d’assurance. Quelqu’un de maladroit, de nerveux. Tout ça a disparuquandelleaarrêtédevoirJennifer.
–Qu’est-cequivasepasseraprèslebal,hein?Vousallezcontinueràlavoir?Àl’inviteràdesfêtes?
Margoconnaîtdéjàlaréponse.ElleslaisseronttomberJennifer.Etfranchement,elleahâtequecemomentarrive.Quelebalettoutecettehistoiresoientterminés.
–Siçasetrouve,c’estvousquiavezrédigélaliste.Etmaintenant,vousvousenvoulez.–Tulecroisvraiment?demandeRachelavecleplusgrandsérieux.–Etvous,vouscroyezvraimentquec’estmoi?répliqueMargotoutaussisérieusement.–Onsaitquetuesquelqu’undebien,Margo,s’interposeDana.C’estpourçaquetudevrais
nousécouter.–Danscetteaffaire,c’esttoiquirisquesdepasserpourunevraiegarce,enchaîneRachel.Nous,
toutcequ’onveut,c’estteprotéger.RacheldonneunpetitcoupdementonendirectiondeMatthewàl’autreboutdelatable.Les
garçonsonttouslatêtebaissée,maisMargosaittrèsbienqu’ilsécoutent.–Nelaissepastonorgueilfoutreenl’airtonimage.–Allez,Margo.LaisseJenniferveniràtafête.Margonemanquepasd’argumentsàleuropposer,maiselleenaassezdetoutça.Etàmoins
d’annulercarrémentlafête,ellen’apasvraimentlechoix:Jenniferseralà.Ellenerateraitpasuneoccasionpareille.
CHAPITRE26
Sarah lève les bras et se cambre en s’étirant aumaximum.Pas parcequ’elle est courbatuenifatiguée.Ellebâilleparpureréaction,avanttoutpourromprelesilencedubureaudeMrsColby.Etaussiparcequ’ellesaitquesonhaleineestaumoinsaussifétidequesonodeurcorporelle.
Elle peut presque visualiser lesmiasmes qui se dégagent de sous ses aisselles et de sa boucheouvertepourallerflotterau-dessusdelatablebienrangéedelaproviseur.
Celle-ciportesatassedethédevantsaboucheethumelavapeurenbuvantunegorgée.Sarahsemordlalèvrepournepasrire.C’esttropdrôled’observerl’airdégagédeMrsColby,quinepeutpourtant pas ignorer l’infection ; Sarah empeste autant que le ginkgo biloba d’ici quelquessemaines.Laproviseurnereposemêmepassatasse,etdéclareenlagardantsoussesnarines:
–Onareçudesplaintes,Sarah.Sans blague.Toute la journée, Sarah a participé en cours comme jamais.Elle s’est proposée
pourrépondreà toutes lesquestions, levantchaque fois sonbrasvers leplafondetdiffusant seseffluvesdanslaclasse.Lesprofsontvitepigésonmanègeetsesontévertuésànepaslavoir.Loindeladissuader,çan’afaitquel’encourager.Ellesefichaitbiend’êtreinterrogéeoupas.
Sarahnerépondpastoutdesuite.Elleprendunairméditatiftoutensegrattantlajoueavecunonglesale,incrustédepeaumorte.
–Jenesuispassûredevoirdequoivousparlez,MrsColby.Letonarrogantvients’ajouteràl’aigreurdesonhaleine.Direqu’elleafaillirenoncercematindansunmomentdefaiblesse.
QuandSarahs’estassisedevantsonboldecéréalesaupetit-déjeuner,samèreluiaproposécent
dollarspourqu’ellesedouche,etcinquantepourqu’ellechangedevêtements.Pourjustifiersoncomportement,Sarahaprétextéunprojetscientifique,cequin’estpasentièrementfaux;etelles’enesttenueàcetteversion.(«Tuveuxvraimentquej’aieunesalenote,maman?»)Baissantlenezdanssonverreenriantsouscape,elleabuunegrandegorgéedejusd’orange.Iln’avaitpasdegoût.Toutjustesielleasentiladifférenceavecdel’eau.
Dans la salledebains,Sarahaouvert laboucheet tiré la languedevant lemiroir ; elle étaitcouverted’unépaisfilmmoussu.
Une sorte de mousse végétale dense, du genre de celle qui recouvre les rochers de MountWashington.Sicen’estquecelle-ciétaitd’uneteintegrispâleunpeucadavérique.
Sa brosse à dents était là, sur le lavabo.Devant elle. Ça lui a fait encore plus envie que lescigarettesdontelleseprivaitdepuisledébutdelasemaine.Lesyeuxfermés,elleapassélalanguesursesdentscouvertesd’unesubstancevisqueuse,enrêvantauplaisirqu’elleauraitàlesrécurerau
dentifricebleufluoàlamenthe.Etaubaindebouche.Çadevraitbrûlercommedel’acidetouscesgranulesquicrissaientsursesdentsetsesgencives,etellen’auraitplusqu’àrecrachercetteespècede sablemouillédans laporcelaineblanchedu lavabo.Aumoins, sesmuqueuses retrouveraientleurjolieteinterose.
Elleareculéetéteintlalumière.Ellenepouvaitpaslaissertomber.Pasmaintenant,siprèsdubut.
Mais avantde sortirde la salledebains,Sarah s’est emparéedu fil dentairedans l’armoire àpharmacie.Elleaarrachéquelquecentimètresdeficelleblancheciréeetaraclésalanguesurtoutesa longueur, ratissant lapelliculequi la recouvrait commeelle auraitpelletéde laneige suruntrottoir. Cette initiative n’a rien arrangé. Au contraire. Sans cette barrière protectrice, elle nepouvaitplusignorerlemauvaisgoûtqu’elleavaitdanslabouche.
Sarah aimerait bien que la proviseur en finisse.Elle voudrait retourner en cours.Elle est entraindemanqueruneséancederévisiondebiologie,ets’apprêteàledirequandquelqu’unfrappeàlaporte.
Sarahseretournesursachaise.Milosetientsurleseuil,l’airnerveux.Leursregardssecroisentetellelitdeladéceptionsursonvisage.Soncoucommencedéjààsemarbrerdeplaquesrouges.
–Vousvouliezmevoir,MrsColby?demande-t-ilfaiblement.–Assieds-toi,Milo.Sarahsaitqu’ellealaboucheouverte,etneprendpaslapeinedelarefermer.PourquoiMiloa-
t-il étéconvoquéchez laproviseur? Iln’estpas impliquédans sesplans. Iln’estmêmepas soncomplice.Elleestàcentpourcentresponsabledesarébellion,etelleaimeraitbienqu’onluienaccordelecrédit,s’ilvousplaît.MrsColbys’éclaircitlavoix.
–Sarah,jenevaispasyallerparquatrechemins.Pourquoifais-tucela?Sarahpenchelatêtesurlecôté.–Çaquoi?–Jesuisinquiète,Sarah.Jesuisinquiètepourtoi.Elleluiadresseunregardimplorant.–Cen’estpassain.Tut’exposesàdes infections, sansparlerdufaitquetudois tesentirmal
danscesvêtements.C’estsûr.Maislaquestionn’estpaslà.Elleleurdécocheunsouriredecommande.–Milo,s’ilteplaît,reprendlaproviseur.JesaisquetutesouciesdeSarah.Jevousvoisensemble
touslesjours.Nemedispasqueçanetefaitrienqu’ellesetorturecommeça?Milo se tourneversSarahd’unair triste etouvre labouchecommepourparler.Commes’il
allaitréellementlasupplierd’arrêter.Sarahlefixedurement,detoutessesforces.D’unregardquiluidit:«Jet’interdisdefaireça».
MrsColbysecarredanssonfauteuil.Lasituationn’apasl’airdel’amuser.–Jevaisvousposerunequestiontrèssimple,àtouslesdeux.Sesyeuxfontl’aller-retourdeSarahàMilo.–Êtes-vousentraindemijoterjenesaisquelcoupd’éclatpourlebaldelarentrée?Jesaisque
vousavezprisvostickets.–Non,jejurequenon,assureaussitôtMiloavecemphase.Sarahsecouelatêteàsontour.–Biensûrquenon,dit-elle,d’untonquiluiparaîtpeuconvaincant.
–J’espèrepourvousquec’estvrai.Jetiensàcequeleschosessoienttrèsclaires:sivouscausezlamoindre perturbation, vous en subirez les conséquences. Je n’hésiterai pas à vous renvoyertemporairement.
Miloal’airsurlepointdemouillersonpantalon,maisSarahlâcheunpetitsourire.Avecsonsensde l’humourdécalé, elle trouve assez comiqueque laproviseur sedonne tout cemalpourprotégerlestraditionsdelarentrée.
Ellen’apasdéployéautantd’effortspourchercheràdécouvrirl’auteurdelaliste.Pourarracherlemalàlaracine,commeelleapromisdelefairelundidernier.Enrevanche,ilsuffitqueSarahoubliedesedoucherdeuxfois–bond’accord,cinq–pourqu’ellelamenacederenvoi?
MrsColbymetfinàl’entretien.SarahsuitMilodanslecouloir.–Ellenepeutpasfaireça.Ellenepeutpasmevirerjusteparcequejenemesuispaslavée.Enrelevantlesyeux,elles’aperçoitqu’iladéjàparcourulamoitiéducouloir.–Milo!Attends!–Jedoisallerencours,réplique-t-ilsanss’arrêter.–Pourquoit’esaussiénervé?–Parcequejeviensdemefaireconvoquerdanslebureaudelaproviseur.C’estlapremièrefois
queçam’arrive.Sarahgrogne.–Tuparlesd’uneaffaire…–Pourmoi,oui.Etjesaispassijeveuxencorealleraubalavectoi.Mêmesiellenetenaitpasparticulièrementàcequ’ilvienneaudépart,çalametenpétardqu’il
décidetoutàcoupdelalâcher.–Pourquoi?Parcequejeneviendraipasdansunejolierobe?Parcequetuashontequ’onte
voieavecmoi?ParcequejeneveuxpasdefleurscommeAnnie?Ilcroiselesbrassursapoitrine,danscetteposturedéfensivequ’ilavaitlejourdesonarrivée.–Qu’est-cequ’Annievientfairelà-dedans?– J’aide lapeinepour toi.Tuavaisunepetite amie superbe làoù tuhabitais avant, et tu te
retrouvesàglanderavecmoi.Moiaussi,àtaplace,çamedéprimerait.–Jenecomprendspaspourquoituréagiscommeça.– Tu te rappelles, lundi, quand tu as dit : « ces pseudo-jolies filles, ce sont elles les plus
moches»?TunepeuxpascroireçaenayanteuunepetiteamiecommeAnnie.–Mêmesielleétaitjolie,cen’estpasseulementpourçaqu’ellemeplaisait.–Oh,c’étaittonâmesœur,tuveuxdire?–Laferme,Sarah.C’étaitquelqu’undechouette.Jenepeuxpasendireautantdelafaçondont
tumetraitescesderniersjours.Jenevaispasmefairevirerjusteparcequetuasdesmotifsdeteplaindre.Jenevoulaispasalleraubal,enplus.Jedétestedanser.
–C’estmoiquidétestedanser,rétorqueSarahenhaussantlavoix.–Maisalors,bonsang,pourquoionyva?Ilnecriepasvraiment,maisellenel’avaitjamaisentenduparleravecuntelvolumesonore.Sa
voixchevrote,pousséeaumaximum.Ilpenchelatêteenarrièredansuneattitudedésespérée.–Jetrouvetoutecettehistoireridicule.–Jemefousdecequetupenses.– Je sais. C’est comme ça que ça marche entre nous, non ? C’est toi qui prends toutes les
décisionsetquiémetstouteslesopinions.Maisjeteledisquandmême:c’estri-di-cule.–Parcequetucroisquejem’amuse?
Ellesaisitunemèchedecheveuxgrasetlalaisseretomber.–Tucroisquec’estagréable,Milo?–Pasfranchement!Surtoutsionsebasesurtonodeur.Sarahfaitunpasenarrièreetsentsesjambessedérober.Quelquepart,ellesaitqu’elleavoulu
le mettre à l’épreuve. Pour être sûre, avant de craquer vraiment pour lui. Elle le comprendmaintenant,àl’instantoùiléchoue.Lamentablement.
Ellereprendrapidementsesesprits.–Vatefairevoir,Milo.Tusaisquoi?Tefatiguepasàveniraubalavecmoi.Pourcequej’enai
àbattre!Ellenesaitpass’ill’aentendue.Iladéjàfilé,lelongducouloir,derrièreletournant.Ilestparti.Sielleveutyarriver,elledoits’empêcherdepenseràMilo,àlaproviseur,àtoutlemonde.Elle
vajustedevoirsefrayersonchemin.Etça,Sarahsaitfaire.
CHAPITRE27
Abby a traité la question de sa feuille de notes de biologie comme elle traite toujours sesproblèmes:enfaisantl’autruchejusqu’àladernièreminute.C’estpourquoielleseretrouveassisedanslestoilettesdesfillesaprèslescours,àattendrequelesilences’installedanslescouloirs.
C’estsafaute,elleestidiote.Elleauraitdûmontrerlafeuilleàsesparentshiersoiretimplorerleur clémence. Mais Fern était tout le temps dans les parages et Abby aurait eu trop honted’avouerdevantsasœur:d’abord,àquelpointlebalcomptaitpourelle,etensuite,qu’ellen’avaitpaslamoyenne.ConnaissantFern,elles’enseraitmêlée,elleauraitparlédelalisteàsesparentsetilsl’auraientsermonnéesursonsensdéplorabledesprioritésetsurl’absurditédes’enorgueillirdecettehistoiredeliste.
Maisiln’yavaitpasqueça.Abbyavaitpeur.Peurd’avoirdesennuis,peurd’êtrepunie,peurdesregardsdéçusquesesparentsnemanqueraientpasdeluilancer.
Etc’estencoreparpeurdedécevoirqu’elleéviteLisa.Ellesavaientrendez-vousàlavoituredeBridgetaprèslescourspourallerregarderlesrobesaucentrecommercial.AulieudequoiAbbyseterredanslestoilettesenespérantqueBridgetperdrapatience,etqu’elledécideraLisaàpartirsanselle.Lisaserafurieuse,maisAbbyn’apaslecœurd’allers’achetersarobeparfaitesansavoirlacertitudedepouvoiralleraubal.Ceseraittrophorribledelalaisserdanssonarmoireou,pire,dedevoirlarapporteraumagasin.Ellepréfèreencorenepasl’acheter.
Abbyentendlaportedestoilettess’ouvriretdécollesespiedsdusol.Quelqu’unentredanslecabinetd’àcôté.Aprèsquelquessecondesdesilence,Abbyentendune
touxsèche,suiviedehaut-le-cœurétouffés.Lapersonnenevomitpas,maisAbbysedemandesiellen’estpasentraindes’étouffer.
–Hé,ditAbbyendescendantdesonperchoir.Çava?Lesbruitscessent.–Abby?Abbysortducabinet.Laported’àcôtés’ouvreetlatêtedeBridgetapparaît,toutepâle.–Ohlàlà,ditBridgetd’untonléger,c’estsupergênant!–Tuveuxquej’aillechercherl’infirmière?–Non,çava,répondBridgetenrepoussantlescheveuxdesonvisage.J’aimangéuntrucquine
m’apasréussi.Jedevraispeut-êtrerentrermecoucher,maisLisaatellementhâtequ’onaillefairedushopping…etonn’aplusbeaucoupdetemps.Jenevaispaslalaissertomber.
Unefoisdeplus,AbbycompareBridgetàFern,etcen’estpasàl’avantagedesasœur.Bridgetvaselaverlesmains.
–Tuvienstoujoursavecnous?J’espèrequejenet’aipasfaitpeur.Jet’assurequecen’estpascontagieux.S’ilteplaît,n’enparlepasàLisa.Jeneveuxpasqu’elles’inquiète.S’ilteplaît.
Ilyauntrucquicloche.C’estpeut-êtrelavitessed’élocutiondeBridget.Oulefaitqu’elleluidemandedecacherquelquechoseàLisa.MaisAbbyluisourit.
–Pasdeproblème,jenedirairien.–Merci.T’eslameilleure.BridgetprenduneservietteaudistributeuretAbbyremarquequesamaintremble.Ensortant,AbbyvaretrouverLisa,assisesurlecapotdelavoituredesasœur.–Salut!Oùt’étaispassée?–J’étaisauxtoilettes.J’aivutasœur…danslecouloir.Elleseralàdansdeuxminutes.ÇaluifaitbizarredementiràLisa,maiselleapromisàBridget.–Bon…OK.D’unemain,Lisal’aideàs’asseoirsurlecapot.– Écoute l’idée géniale que je viens d’avoir ! dit-elle. Je pense qu’on devrait toutes les deux
acheterunerobedebalplusuneautretenuechouetteàmettreàlafêted’Andrew.–Ouais.–Enfin,saufsituveuxgardertarobetoutelasoirée.Maisonseraitplusàl’aiseenjean.Lisasemordlalèvre.–PourvuqueCandaceetsabandedesecondesnesepointentpas,poursuit-elle.Jelesvoisd’ici
jouerlessalopesavecnouspartrouillequ’onleurpiqueleursmecs.Enplus,ilparaîtqueCandaceestprêteàtuertouteslesjoliesfillesdelalistetellementelleestjalouse!
–Oh…Lisaclaquedesdoigtssouslenezd’Abby.–Hé,jeblaguais!Abbyinspireàfond.–Écoute,jenepeuxpasallerfairedushoppingavecvous.–Quoi?Maispourquoi?Abbytriturelafermetureéclairdesonsacdecours.–Allez,tupeuxmedire.Jesuistonamie.AbbyouvresonsacettendàLisalerectangledecartonbleu.Lisanelereconnaîtpastoutde
suite, et sourit comme s’il s’agissait d’un de ces petitsmots qu’elles s’échangent. Abby se rendcomptealorsqu’ellen’ajamaisdûrecevoirdefeuilledenotes.
–Jedoisfairesignerçapourdemain,luiexplique-t-elle.Mesparentsvontmetuer.Lisarestebouchebée.–Mince !Bon,OK,tuvassûrement te faireengueuler.Tunepourraspeut-êtrepasvenirau
matchouàlafêted’Andrew.Maistesparentssontforcésdetelaisseralleraubal!–Saufqu’ilsnevoudront jamais ! Ils s’en fichent,dubal.Poureux, iln’yaque lesnotesqui
comptent.Etilsm’ontprévenueavantlarentréequejen’avaisplusdroitàaucunefeuilledenotes.–Abby,jeneveuxpasalleraubalsanstoi!Abbyneleveutpasnonplus.Toutessortesdepenséestourbillonnentdanssatête.–Jepourrais…jepourraislesignermoi-même.Àlaplacedemamère.–Génial!MrTimmetneserendraitcomptederien!Commentilpourraitfaireladifférence?Ilnepourraitpas.– Et ensuite, je travaille à mort pendant tout le semestre, précise Abby. Je pourrais même
demanderàFerndem’aider.
Sansblague;elleestvraimentdécidée.–Ouais,superplan,l’exhorteLisa.Aupointoùtuenes,qu’est-cequetuasàperdre?C’estcoold’avoiruneamiequitientabsolumentàcequ’elleailleaubal,presqueautantqu’elle
leveutelle-même.Lisan’estpasdu tout jalousequ’elle soit laplus jolie troisième.Ellevoitçacommeuntrucchouette,etelleestfièrepourelle.
Abbyprendl’undesstylosdeLisa,parcequelessienssonttousrosesoumauves.Aprèss’êtreentraînéeàfaireunesignaturequineressemblepasàlasienne,ellesignedunomdesamèresurlalignedepointillésavecunepetiteboucle.
–Jemesensdéjàmieux!déclare-t-elle.–Moi aussi, ditLisa en lui frottant ledos.Tuveuxqu’onaille ladéposermaintenant sur le
bureaudeMrTimmet?Ildoitêtreparti.Commeça,tun’aurasplusàypenser,etonpourraallerfairenotreshoppingtranquilles!
–Génial.Ellesentrentencourantdanslebâtiment,oùleurspasetleursriresrésonnentdanslescouloirs
vides.Abbysesentinfinimentpluslégère;maiselleestrésolueàfairelenécessairepours’ensortirenbiologie.Lesignald’alarmeafonctionné.
Laportedelasalledebiologieestouverte.Lesfillesentrentenpensantlatrouvervide.MaisMrTimmetestencorelà,entraindemettresonmanteau.
Et,prèsdelafenêtre,Fern,assisesurunbureau,balancesesjambesdanslevide.Abbyremarqueaussitôtqu’elleacopiésacoiffuredudébutdelasemaine,avecunchignonetunetresseramenéeautourdufront.Lerésultatestmaladroit,pleindebossesetd’irrégularités,maisFernaclairementessayédel’imiter.
–Je…heu…bredouilleAbby.MrTimmetluifaitsigned’entrer.–Tuasfaillimerater,Abby.Puisilremarquelafichebleuequ’elletientàlamain.–Tuasfaitsignertafeuille?Abbydoitfaireuneffortpourdéglutir.Ellehochelatêtesousleregardfixedesasœur.– Parfait. Je ne tenais pas à devoir appeler tes parents. Et j’espère que tu n’as pas été punie
commetulecraignais.Ils’approchepourluiprendrelafichedesmainsetseretourneversFernpourluidire:–Jedoisyaller.Incroyable,onaparlépendantunedemi-heure.Maismercipourl’article.J’ai
hâtedelelire.AbbyregardeMrTimmetglisserlenumérodePopularSciencedesonpèredanssoncartable.Fernselèveetsedirigeverslaporteenhochantlatêteetensouriant.–Tantmieux.Heu,c’est…chouette.Abbysortdelasalleàreculons,maladroitement.Lisal’attendledoscolléàuncasier,pétrifiée.Abby lui indique par gestes qu’elle l’appellera plus tard. Lisa articule en silence le mot
«désolée»avantdedisparaîtredansunescalier.Aprèsavoirditaurevoirauprof,Fernrejointsasœurdanslecouloir.Ellepassedevantelleen
disant:–Tun’aspaslamoyenneenbiologie,Abby?Onn’enestqu’àlaquatrièmesemainedecours.–Tais-toi,Fern,ditAbbyenlasuivantd’unpastraînant.–Quiasignétafeuilledenotes?–Maman,répondAbbyentâchantdenepassedémonter.
Fernéclatederire,etAbbyestébranlée.Puis,enpoussantlalourdeported’entrée,sasœurluilance:
–Ahouais?Onvaluidemander!
MrsWarnerlesattenddéjàdanssavoituredevantlelycée.Elleleurfaitsigne.Unpeuplusloin,lavoituredeBridgets’éloigneendirectionducentrecommercial.
–S’ilteplaît,neledispasàmaman,imploreAbby.–Etpourquoi?–Parcequ’ilsnemelaisseraientpasalleraubal.Abbyessuieunelarmeavecsamanche.EllesaitqueFernvalamépriserdepleurerjusteàcause
d’unefête.Maiselleapeut-êtreunechancedel’apitoyer.–Évidemmentquejevaisledire.Detoutefaçon,situcoules,ilsfinirontparledécouvrir.–S’ilteplaît,Fern!Tunepeuxpasmerendreunservice?Allez!Ellelasupplie.Sanshonte,elleimplorelapitiédesasœur.–S’ilteplaît.Jenetedemandejamaisrien.–Pourquoijedevraismentirpourtoi?–Parcequetuesmasœur.Lessœursnesefontpasçaentreelles.Abbytrembletellementqu’elleadumalàparler.D’ungestebrusque,Fernôtel’élastiquequiretientsescheveuxetdéfaitsatresse.–Personnen’arriveàcroirequ’onsoitdelamêmefamille.Etsurtoutpasmoi.
CHAPITRE28
Pendantlecoursd’histoireendernièreheure,unesecrétairefrappeàlaportedelaclassepourremettreunenoteauprofesseur.Aprèsl’avoirlue,celui-civientladéposersurlatabledeLauren.
MrsColbyveutlavoirtoutdesuiteaprèslescours.Laurenregarde leprofesseurd’unair interrogateur,mais il secontentedehausser lesépaules
d’unairindifférent.Çadoitencoreêtreàproposdelaliste.Sesamiesluiontditquelaproviseurétaitsurlesentierdelaguerrepourendécouvrirl’auteur.Est-cequ’ellelasoupçonnerait?
Laurenenvisagedesedéfiler,enprétendantnejamaisavoirreçulanote.D’ailleurs,samèreval’attendre à la sortie.Mais elle ne peut pas poser un lapin à la proviseur, au risquede paraîtredavantagecoupable.OuqueMrsColbyappellechezelle.Ellen’apaslechoix.Alors,àlafindel’heure,elleditaurevoiràsescopinesetserendàcontrecœuraubureaudelaproviseur.
Danslecouloir,elletombesursamèreassisesurunbanc.MrsFinnportelemêmechemisiercrèmeetlamêmejupeenlainequelundipoursonentretiend’embauche.
–Maman?Qu’est-cequetufaislà?Tunedevraispasêtreàtontravail?Soudain,Laurenaunnœuddanslagorge.Laproviseura-t-ellel’intentiondeparlerdelalisteà
samère?Elles’assoitàcôtéd’elleetdéciderapidementquesic’estlecas,elleferal’idiote.Ellesoutiendraqu’ellen’estaucourantderien.
MaisMrsFinnluirépond:–JesuispartieplustôtpourvenirparleràMrsColbydetonprofesseurd’anglais.Elleconsultesamontreetfroncelessourcils.–Puisquetun’aspaseuletempsdelefaire.D’uncouloirprocheleurparvientlavoixlégèredeMrsColbyquiditgaiement«àdemain»à
quelqu’un,sansdouteunprofesseur.–C’estelle?chuchoteMrsFinn.Laurenfaitsignequeoui,leslèvresserrées.–Elleaunevoix…jeune!Laproviseurapparaîtauboutducouloir,vêtued’unerobeenlainenoire,avecdestalonshauts
etunsautoirdetoutespetitesperlesnouéauniveaudesapoitine.Sescheveuxsontattachésbassursanuqueetsafrangeestretenueparunepairedelunettesenécaille.Laurensentsamèreseraidir.
–Bonjour!lanceMrsColbyenpressantlepaspourlesrejoindre.VousdevezêtrelamèredeLauren.C’estunplaisirde…
–Bonjour,MissColby,l’interromptsamère.Elleselèveenignorantlamainqu’onluitend.Laproviseurrougit,clairementprisedecourt.
–Désoléedevousavoirfaitattendretouteslesdeux.Lajournéeaété…bienremplie.Samère emboîte le pas àMrsColbypour entrer dans sonbureau.Lauren est à la traîne, la
bouchesèche.Laproviseurs’assoitderrièresonbureauetposesurLaurenunregardunpeuinquiet.–Donc,ils’agitducoursd’anglais,c’estbiencela?Lauren,tuasdesdifficultéspoursuivre?Les chaussures de sa mère. Voilà sur quoi Lauren va se concentrer. Elles sont plus vieilles
qu’elle,etsansdouteaussiqueMrsColby,bienqu’ellesaientl’airden’avoirjamaisétéportées.Encuirbeigeavecdespetitstalonscarrés.
MrsFinnritsèchement.–MissColby,lorsqu’ilestdevenuévidentquejenepouvaispascontinueràêtrel’enseignante
principaledeLauren, j’ai rencontré sesprofesseurs, àqui j’ai fournides copiesdemesplansdecourspourquetoussoientinformésdecenousavionsdéjàabordé.Jesupposequevouslesavezlus?
–Je…ilmesemblelesavoirvus,oui.MrsFinnsoupirelonguement.–Alors,vousdevezsavoirqueLaurenadéjàétudiépresquetousleslivresdelalistedelecture
deseconde.Lescoursontcommencéilyabientôtquatresemainesetsonprofesseurn’afaitaucunaménagement pour elle. Je pense que vous comprendrez à quel point c’est frustrant pourmoid’imaginerLaurenentraindes’ennuyeràmourirjouraprèsjour.
Lauren se fait toute petite. C’estmot pourmot la phrase qu’elle a elle-même prononcée laveille,àladifférencequ’ellesonnebienplusviolenteaujourd’hui.Ellevoulaitseulementremonterlemoral de samère, qui semblait tendue quand elle est rentrée de sa séance de préparatifs ducortège des Braves. Elle avait passé un super après-midi avec les filles, à peindre des sommetsenneigés sur leursmontagnes en carton, et elle avait perdu la notion du temps.Quand elle estarrivéechezelle,MrsFinnavaitdéjàmangésapartdudînerchinoisqu’elleavaitcuisiné.ElleatenucompagnieàLaurensansouvrirlabouchependantquecelle-cidînaitàsontour.Jusqu’àcequeLaurenseplaignedecequesonprofd’anglaisétaitnul, surtoutcomparéà samère.Sur lecoup,çaluiavaitparuuncomplimentinoffensif.
Laproviseurdéplacequelquespapierssursonbureau.Laurennel’ajamaisvueaussiagitée.–Jenesaispasquoivousdire,MrsFinn.Enfin…vousvousdoutezbienquelesprofesseursne
peuventpasmodifierleprogrammedansleseulintérêtdeLauren.–C’esttoutàfaitclair,ditMrsFinnd’untondeconfirmationamère,commes’ilétaitentendu
entreellesquec’étaitungâchisabsurde.–Néanmoins, reprend laproviseur, je suggérerai auprofesseurdeprépareruneautre listede
lecturepourLauren.Jesaisquec’estuneélèvebrillante,etlalaissergaspillersescapacitésiraitàl’encontredetouslesprincipesquim’ontamenéeàtravaillerdansl’enseignement.
Lauren regarde samère en s’attendant à la voir soulagée,maisMrs Finn semontre à peinesatisfaite:
–Jesupposequ’onnepeutpasnonplusendemandertrop.Surquoielleselève,imitéeavecunpeuplusd’empressementparlaproviseur,quiconclut:–Aufait,MrsFinn,jedoisdirequeLaurenafaitsonpetiteffetaulycée.Laurenlafixeplusintensémentqu’ellen’ajamaisfixépersonne.«Nefaitespasça,crie-t-elleen
silence.S’ilvousplaît,neparlezpasdelalisteàmamère!»MrsColbysemblecomprendreets’ensortenmarmonnant:
– Je… Je la vois toujours entourée d’un groupe de filles. Elle a l’air de s’être fait beaucoupd’amiesici.
Laurens’effondreintérieurement.C’estpresquepire.
MrsFinnasortisestenuesdebureaudeleurshousses.Ellelesessaietoutes,sedressantàchaquefoisnerveusementsurlapointedespiedspoursevoirdanslemiroircraqueléposésurlebureauenchêne.
Àplatventresurlelitdesamère,lesjambesrepliées,Laurenl’observe.Chaquearticleestpropreetbienconservé,maisd’unecoupedémodéequitrahitsonâge.Iln’y
apasd’argentpourenacheterdesneufs,pasencore.EtLauren,quis’estdonnépourmissionderemonterlemoraldesamère,neluifaitquedescompliments.Surlamanièredontlavestebleumarinefaitressortirlebleudesesyeux.Surlecaractèreindémodabled’unejupeàchevrons.
Tandis queMrs Finn s’observe dans lemiroir vêtue d’une énième tenue, Lauren prend soncourageàdeuxmainsetdéclare:
–Ilyalebaldelarentréesamedisoir.Elles’arrêtepourlaisseràsamèrel’occasionderéagir,maiscelle-ciesttropoccupéeàôterune
peluchesursonpantalon.–J’aimeraisbienyaller.Unebonneminutedesilences’écouleavantqueMrsFinnnerépondeaumiroir:–Onestunpeuserréescôtébudget,Lauren.–Lesticketsnecoûtentquedixdollars,etjelesai.Jen’auraispasbesoind’unenouvellerobeni
rien.Jecroisquelaplupartdesfillesserontenjean.C’estfaux,biensûr.Sesamiesneparlentquedeleursrobes.Laurensaitqu’elledevrafairesans,
et se contenter d’un jean et d’un joli chemisier. Sinon, il y a la robe noire qu’elle a portée àl’enterrementdesongrand-père.Etelleatoujourslapossibilitéqu’unedesfillesluiprêtequelquechose.
MrsFinnhausseunsourcil.–Ettucomptesyallerengroupe?AveclesamiesdontparlaitMrsColby?–C’estjustedesfillesdemaclasse.Onvaaumatchdefootballaméricainensembleetaprès…–Lematchdefootballaméricain?Samèresecouelatêtecommesiellen’arrivaitplusàsuivre.–Tunem’asjamaisparlédeça,Lauren.Safilleinspireàfond.Elles’efforcederesterpatiente,maispourquoisamèreest-ellesicassante
avecelle?Ellesn’avaientrienprévuensemblecesoir-là.–Oui.Unmatchdefootballetensuiteunbal.J’aimeraisbienallerauxdeux,s’ilteplaît.Le fait de demander la permission lui donne l’impression d’être une gamine, elle qui s’est
toujourssentieadultedanssesrelationsavecsamère.–Onseretrouvechezunefilleaprèslematch,etonvaaubalàpiedtoutesensemble.Samères’assoitsurlelit.–Çanetemanquepas,notrevied’avant?Quandonn’étaitquetouteslesdeux?Laurenseraidit.Àentendresamère,ellefaitquelquechosedemal.–Si,biensûr.Maisj’essaiedem’intégrer.–Tudoisfaireattention,Lauren.Tuneconnaispastrèsbiencesfilles.–Ellessontsympas.C’estmesamies.–Cettefête,quiest-cequil’organise?
–Unefillequis’appelleCandaceKincaid.–Etsitul’invitaisàdînerdemainsoir,quejepuisselarencontrer?Detouteslesfilles,c’estCandacequesamèreveutrencontrer?Çanemarcherapas.–M’man,s’ilteplaît!–Quoi,jedoistelaisserdéciderdetout,maintenantquetuesaulycée?répliqueMrsFinnen
secouantlatête.J’ailedroitdesavoirquitufréquentes.
Laurensesertdu téléphonedusalonpendantqueMrsFinnprendsadouche.Elleanoté lesnumérosdesesamiesaudosdelaliste,etenappelleunepourluidemanderceluideCandace.Lafillesembleunpeuinterloquéeetchercheàsavoircequ’elleveutenfaire,maisLaurenparvientàl’obtenirsansfournirtropd’explicationsgênantes.
LaurenadegrosdoutessurlaréponsedeCandace.Enfait,celle-cinel’ainvitéeàsafêtequ’àcausedesautres,parpolitesse.EtsiCandacenevientpasdîner,lamèredeLaurenrisquefortdenemêmepaslalaisseralleraubal.
Celadit,danscecas,lesfillesn’iraientplusàlafêtedeCandace.Celle-ciparaîtétonnéequ’ellel’appelle.Laurenluiexposelasituation.Ets’étonnedelarapiditéaveclaquelleCandaceaccepte.Elleenestmêmeplutôteffrayée.
CHAPITRE29
Danielle s’apprête à sauter dans le bassin avec les autres nageuses de troisièmequandTracy,l’entraîneur,luifaitsignedelarejoindredanssonbureau.
–Tuastesvêtementsdesportavectoi?luidemande-t-elle.–Oui.–Change-toietvaensalledemusculation,luiintimeTracyenramassantdespapiers.–D’accord,répondDanielle,intriguée.Lasalledemusculationdulycéesesituejusteenfacedugymnase.Cesontdeuxanciennessalles
declassedontonaabattulacloison.Lestableauxnoirsontétéremplacéspardesmiroirs,et lasalle a été équipée d’haltères, de bancs demusculation, de vélos d’entraînement et de tapis decourse.Unevieilleradiorégléeenpermanencesurunestationderockdesannées70fournitunebande-sonàbasedeLedZeppelin,dePinkFloydetdeSteveMillerBand.
Danielleentredanslasalleenpantalondesurvêtementetdébardeurblanc,passésursabrassièredesportrougepréférée.Elleestnerveuse,unpeuparcequ’ellen’ajamaisfaitdemusculation,maissurtout parce que l’équipe de natation du lycée est là presque au complet, garçons et fillesmélangés,entraindebavarder.Lapratiquedelanatationséparelesdeuxsexesetcesmomentsdemixitésontassezraresdansl’équipe.Maisleurcomplicitéestpalpable.Ilssemblenttousprocheslesunsdesautres.Commedesamis.
Danielleenconnaîtcertainsdenom,etdeuxoutroislasaluentd’unhochementdetête,avecl’airdesavoirquielleest.
Ici,personneneladévisagecommelefontlesautresdanslescouloirsdepuislaparutiondelaliste;onluisouritetonlareconnaîtcommeunebonnenageuse.
–Bien,ditl’entraîneurenentrantavecunepiledefeuilles.Aujourd’hui,lesfillesseconcentrentsurlesbrasetlesgarçonssurlesjambes.Formezdesbinômesetexécutezdeuxfoislecircuitdeshaltères.Etpourceuxquinelaconnaissentpas,jevousprésenteDanielle.
TracysouritàDanielle,enclind’œilàleurpetitéchangeautourdubassin.–Elle rejoint notre équipe de relais sur quatre centsmètres nage libre pour la rencontre de
samedi.Danielle ressent une poussée d’adrénaline.Elle va faire partie de l’équipe du lycée !C’est la
premièrebonnenouvelledelasemaine,etellelasavoure.Elle songeàdemander lapermissiond’aller aux toilettes.Pasparcequ’elle enabesoin,mais
pouressayerdetrouverAndrewetluiannoncerlanouvelle.Maisavantqu’elleaitpuréagir,elleseretrouveenbinômeavecune fillede terminale,unecertaineJane.Leurpremierexerciceestundéveloppécouché.
–Tuveuxcommencer?luidemandelafille.–Non.Je…enfait,jenel’aijamaisfait.Ilvautmieuxquetupassesenpremier.Janelestelabarrededeuxpoidsde4,5kgets’allongesurlebanc.–OK,Danielle.Place-toiderrièremoietposelesdoigtssouslabarre,sansappuyer.Jenetiens
pasàcequecetrucm’écrabouilleentombant.–Compris.Jane abaisse la barre jusqu’à ce qu’elle repose presque sur sa poitrine, puis la remonte et la
rabaissehuit fois.Aufuretàmesurede l’exercice,sesbrassemettentàtrembleretelledevientécarlate.Lahuitièmefois,Danielledoitl’aideràsouleverlabarre.Pasbeaucoup,maisunpeu.
Janeseredresse,légèrementessoufflée.–Bon,àtontour.Danielles’allongesurlebancetprendunegrandeinspirationjusteavantdesouleverlespoids.
Son rythmecardiaqueestdéjà élevé,principalement à causedu stress.Ellepousse etdécolle labarredesessupports.C’estmoinslourdqu’ellenel’auraitcru.Puis,àsapropresurprise,ellelaremontehuitfoissanstropdedifficulté.
–Attends ! s’exclame Jane, l’air étonné.C’était bien trop facilepour toi.Elle glisseun autrepoidsàchaqueboutdelabarre.
–Tupeuxyaller.Danielleobéit.C’estunpeuplusdurquelapremièrefois,maisçarestefaisable.–Tracy!appelleJane.Venezvoiruneminute.Daniellefaitexplosercebanc!L’entraîneur les rejoint, suivie de quelques filles de l’équipe. Jane leste la barre de poids
supplémentaires.Danielleexécutehuitnouveauxleversetlesfillespoussentdescrisd’acclamation.QuandDanielleregardeautourd’elle,ellevoitquedeuxgarçonssesontapprochéspoursuivre
lascène.Ilsluilancentdescoupsd’œiladmiratifsquoiqu’unpeuréticents.CommelesgarçonscetétéaulacClover,quandilsontdûadmettrelasupérioritéd’unefille.
DenouveauxpoidssontajoutésetDanielledoitvraimentforcerpoursouleverlabarre.TracyaremplacéJaneetlerestedel’équipes’estrassemblépourl’encourager.Quandelleabaisselabarrejuste avant le dernier lever, Danielle a l’impression que ses bras sont en caoutchouc.Mais lesencouragements de ses nouveaux équipiers lui donnent un dernier sursaut d’énergie et elleremontelabarredetoutessesforcesavecunrugissement.Sesbrastremblentetellelâchelabarre,quiretombeviolemmentsursonsupport.Toutlemondepousseuncri.
Danielles’assoit,prised’unlégervertige.Desgouttesdesueurcoulentlelongdesestempes.Etquandlepetitgroupesesépare,ellevoitquelquesgarçonsdel’équipedefootballaméricainquitraînentprèsdelaporte.
DontAndrew.Chuckestmortderire.–Hé,mec,DantheMantefaitça,àtoiaussi?CommeAndrewneluirépondpas,Chucksetourneverslesautresetricane:–Jepariequ’ilss’yprennentaussicommeçapourlespréliminaires.EllesoulèveAndrewetelle
lefaitmonteretdescendreunepairedefois.Andrewrestetotalementimmobile,lefrontbarrédeplisprofonds.Ilal’airencolère.Maiselle
nesaitpass’ilenveutàChuckdediredestrucsaussidébiles,ouàelledelesavoirprovoqués.Chuckbalancesonpoingsurlebrasd’Andrew.–Hé,encoreheureuxqueDannesemettepasaufootballaméricain,oututeretrouveraischez
lesjuniors!C’estsûrqu’elletepiqueraittapositiond’ailierrapproché.
Danielle voudrait se lever et sortir, mais elle ne peut pas bouger. Elle n’arrivemême pas àessuyerlasueurquicoulesursestempesetsoussonmenton.
–Laferme,ditAndrew.Maissavoixestnoyéeparlesmoqueriesdesescopains.–Sortezd’ici,messieurs,leurlancel’entraîneur.Vousdistrayezlesnageurs.Etellerepousselaportedelasallederrièreeux.Lecœurbattant,lesmusclestétanisés,DanielleregardeAndrewseretourneretpartir.
CHAPITRE30
–J’auraisdûprendreunesalade,ditLisaenfronçantlessourcilsdevantsonassiette.Bridget est assise en face d’elle dans la pizzeria du centre commercial. Bien qu’elle ait dû
débarrasserlesassiettesdesclientsprécédents,elleachoisiunetableprèsdelabaievitrée,pourdétournersonattentiondelanourritureenregardantdehors.Devantunkiosque,unhommefaitvolerdesavionsfabriquésavecdesélastiques,etelleobservelespassantsquifontdesembardéespourleséviter.
–Nedispasdebêtises,Lisa.Tuadoreslespizzasdecerestau.Alors…mangeetonyva.Bridget plante sa fourchette dans une feuille de laitue flétrie de la salade qu’elle s’est sentie
obligéedecommanderpournepaséveillerlessoupçons.Elleabeauêtreaffamée,cettesaladeluicoupel’appétit.
C’étaitbienl’idée,non?Enfait,elleestencolèred’avoirlaissétombersadétox.Sielleavaitcontinué,ellen’auraitpasfaim,etsiellen’avaitpasfaim,ellen’auraitpasdérapécommeellel’afaitaujourd’hui.
Lisasecouelatête.–Jedevraisarrêterdemegoinfrercommeça,déclare-t-elle.Surtoutquejenefaispasdesport.
Jevaisfinirparexploser.Bridgetposesafourchetteetobservesasœurd’unœilsuspicieux.–Qu’est-cequit’arrive,toutàcoup?EllesedemandesiAbbyn’auraitpasvendulamèchesurl’épisodedestoilettes.Elleaessayéde
vomir,maisellen’apaspu.Et ila falluqu’ellesefassesurprendreàcemoment-là.Aprèss’êtredécidéeàavalerdeuxbriochesachetéesaudistributeur.Desbrioches!N’importequoi!Ellenepouvaitpasprendredesfruitssecsouunebarredecéréales?
Lisahausselesépaules.–Jenesaispas.Entoutcas,çan’estpasdutoutdelajalousieparrapportàAbbynirien.Ellele
mériteàfond.Maisl’anprochain,ceseraitsympaquecesoitmoi.–C’estpasvrai,c’estçaquit’inquiète?répondBridget.Tuaslesgènesdepapa.Ilpeutmanger
toutcequ’ilveutsansprendreungramme.Alorsquemoi,jesuiscommemaman.Detoutefaçon,cen’estpasunepizzaquiferaladifférence.
–Tun’enmangesplusjamais,observeLisa.Bridget plante sa fourchette dans son assiette en polystyrène. En plus, elle n’aime pas cette
pizzeria.C’estLisaquiainsisté.Etmaintenant,elleseplaint?–Donne,s’énerve-t-elleenprenantl’assiettedesasœur.Mangeunebouchée.
Mangeunegrossebouchée.Ellearrêterasonnuméro.Aulieudeça,elleprenddesserviettesenpapier.–Siçat’angoisseàcepoint,faisça.Bridgetplaquequelquesserviettesàplatsurlefromageetappuiedoucementavecsesdoigts,qui
deviennentorangevif.–Çatefaitgagner,disons,centcalories.Sinon,tupeuxenleverlefromageetnemangerquela
pâte.Joignantlegesteàlaparole,elledéposelefromageentasauborddel’assiette.–Maislefromage,c’estcequ’ilyademeilleur!geintLisa.Enl’ignorant,Bridgetprenduneautreserviettepouressuyerlasauce.–Enplus,iln’yapaspirepourlasanté.C’estbourrédesucre.Enfin,Bridgetarrachelacroûte.–Laissetomberlacroûte,aussi.Çaralentitletransit.Sourcils froncés, Lisa reprend sa pizza disséquée, réduite à un bout de pain blanchâtre et
détrempé.–Jeteremercie!Bridgetalesdoigtstoutpoisseux.Sonpremierréflexeestdeleslécherpourlesnettoyer;mais
ellelesessuiesuruneservietteavectantdeforcequelepapiersedésagrège.Elles’enveutd’avoirimpliquésasœurdanssondélire,etd’avoirmassacréunepizzaquineluiavaitrienfait.Elleahâtequecestupidebalsoitpassépourpouvoirredevenirquelqu’undenormal.
–Jet’enrepayeune,d’accord?Jevoulaisjustetemontrerquec’étaitidiot.–C’estbon,murmureLisa.Jesaisquetuvoulaism’aider.Ellemangeletasdefromageetdéclare:–Onpeutyaller,maintenant.Bridgetinspireàfondetselèveenébouriffantlescheveuxdesasœur.Elledevraits’expliquer,
maiselleestsurtoutpresséedesortirdecettepizzeria.
Unedemi-heureplustard,danslegrandmagasin,Bridgetrepèreaupremiercoupd’œillarobedebaldesesrêves.Rougeàbustier.Féminine,ravissante.Entournantautourdumannequin,elles’aperçoit que le vêtement a été resserré par des épingles dans le dos. Aussitôt, elle revoit lesbrioches,imaginelesépinglesquisautentsouslapressiondesonventreetdéchirentletissu.
–Tuvasêtretropbellelà-dedans,luiditsasœurderrièreelle,enpassantlesbrasautourdesesépaules.
–Ouais,jesaispas.–Essaie-la!s’exclameLisaenbondissantversunautreportant.Bridgettrouvesataille,lamêmequecelledubikinidecetété,etplacelarobedevantelle.Elle
paraît trop ample, avec trop de tissu.On dirait un chapiteau rouge. Etmalgré cela, elle n’estmêmepassûred’entrerdedans.
Danslacabined’essayage,elleseregardedanslemiroir,lefrontplissé.Elleapuentrerdanslarobeetremonterlafermetureéclairjusqu’enhaut.Elledevraitêtrecontente;elleaperdutoutlepoidsreprisaprèslaplage.Etlerougevabienavecsescheveuxbruns.Maisseshanchessaillentetcassentlasilhouette.Sonventreaussidessineunrenflement,luifaisantcommeunepetitepochedekangouroudevant.Enplus,elleadegrosgenoux.
–C’esthorrible,cequiarriveàAbby,ditsasœurdanslacabined’àcôté.Direqu’ellerisquedenepaspouvoiralleraubal,toutçaàcausedeFern!
–C’estnul,confirmeBridgetauboutdequelquessecondes.Sevoirdanslaglaceluidonneenviedepleurer.Siseulementtufaisaisunetailledemoins…Ellerepenseaubikini.Àlafaçondontelleenafaitunobjectif,qu’illuiafalluatteindreaprès
l’avoiracheté.Avecdeuxjoursdevantelle,sielleachetaitlarobe,est-cequ’elleyarriverait?–Jepeuxvoir?demandeLisa.–Jemesuisdéjàrhabillée.Onseretrouveàlacaisse.Pendant que Lisa remet ses vêtements, Bridget fonce prendre la robe rouge une taille en
dessous.Ellevasemettreàl’épreuveunedernièrefois.
Vendredi
CHAPITRE31
C’estunemaladie,unemaladiequil’aentièrementcontaminée.Iln’yaplusdedifférenceentrelacrasseetlapeaudeSarah.Ellesontfusionné.
Quandsonréveilsonne,ellegardelesyeuxferméspournepassentirlecrissementdelasaletédansleplidesespaupières.
Elle a dormi toutenue.Ouplutôt, elle n’a pas dormi.Elle est juste restée allongée, à luttercontrelesdémangeaisons.
Ses vêtements forment un tas poisseux par terre.Elle triche enmettant ses sous-vêtements àl’envers.Çanel’aidepasbeaucoup.Elledoitfaireappelàtoutesadéterminationpourenfilerlereste.
Pendanttoutletrajetàvélojusqu’aulycée,elleimagineuneconversationentreMiloetAnniesurleurdisputed’hierdanslecouloir.Annieluiconseilleraitdeprendresesdistances.TrouveraitqueSarahal’aird’êtreunpeudérangée.MilodiraitàAnniequ’elleluimanque.Qu’ilesttristed’avoirdûdéménager.
Commepourconfirmersespirescraintes,iln’estpassurleurbanc.Par chance, il gèle. Sa peau se contracte et s’engourdit sous l’effet du froid, jusqu’à devenir
presque insensible, ce qui l’arrange.Elle s’assoit sur le banc et elle attend, figée dans sa crasse,jusqu’àcequeladeuxièmesonneriel’informequ’elleestofficiellementenretard.
AucunsignedeMilo.Cevendrediestradicalementl’inversedulundi.Personnenel’ignore;impossible.Maintenant,
tous ceux de sa classe la dévisagent avec horreur. Sarah s’affale à sa place.Des pieds de chaisesgrincenttandisquesesvoisinsessaientdes’écarterd’elle.Mêmecegestenepeutpasl’atteindreàtraversleblindagedesacrasse.Dessous,ellenesentrien.
À chacun de ses pas, aumoindre de sesmouvements, son odeur s’échappe, une odeur rance,acide, violente. Les garçons remontent leur col sur leur nez. Les filles collent leurs poignetsparfuméssurleurvisage.
C’estgrandiose.Sicen’estque,visiblement,ilsn’enattendaientpasmoinsd’elle.Ilsnesemontrentnichoqués,
niimpressionnés.Poureux,cen’estquelalogiqued’undestinquis’accomplit.
CHAPITRE32
Daniellesetientàlaportedubureaudelapiscine,unemaincrispéesursonépaule.–Tracy?dit-elleenserrantlesdents.L’entraîneurfaitpivotersonfauteuilàroulettesetprendunairinquiet.–Danielle?Ilyaunproblème?Pourquoitun’espasenmaillot?–Jecroisque jemesuis faitmalà l’épaulehierà lamusculation. J’aidû troppousser sur les
levers.DaniellesursauteenvoyantTracys’approcher.– Je… Je n’aurais pas dû essayer de frimer. Je me dis que je ferais mieux de ne pas nager
aujourd’hui,voussavez,pournepasprendrederisquesavantl’épreuvededemain.Tracyappuiedoucementlepoucedanslemuscledel’épauledeDanielle,quiétouffeuncride
douleuraumomentopportun.–C’est embêtant.Tu as besoin de t’entraîner avec ton équipe pour assimiler le timing d’ici
demain.Etonn’apasrésolutonproblèmedeculbute.Elle appuie sur deux autres points de son bras etDanielle fait la grimace quand elle le juge
approprié.–Jevaisdevoirprendrequelqu’und’autrepourteremplacer.– Je suis sûre que ça ira mieux demain. Je vous assure. Et je vais assister à l’entraînement
d’aujourd’huipournerienrater.Maisjenevoudraispasmeblesser.Unjoursansnageetceserapassé,c’estcertain.
Tracy continue à lui tâter l’épaule, mais ses gestes ont changé. Il s’agit moins d’établir undiagnosticqued’entretenirlacomédie.
–Situestimesquetuenasbesoin,jenevaispasdiscuteravectoi.Maisjenepeuxpascomptersurlefaitquetuserasopérationnelledemain.
Danielleamalens’éloignantdubureau.Maispasàl’épaule.Depuiscematin,elleaunpoidssurlapoitrine.Ellenepeutpasnageraujourd’hui.Pasaprèstoutletempsqu’elleamispoursecoiffercematin.Pasquandelleadesprojetspouraprèsl’entraînement,oùelledoitabsolumentparaîtreautop.
Elles’assoitdans lesgradinsetregardeplonger lesmembresde l’équipe,ainsiqueHope,queTracyvientdechoisirpourlaremplacer.
Deuxheuresplustard,Danielle,assisedanslesvestiaires,attendqueHopeaitfinidesechanger.–Tues sûreque tuveuxallermangerunepizza? luidemandesonamie.Tunepréfèrespas
rentrercheztoireposertonépaule?
–Cen’estpasunepizzaquivamefairemalàl’épaule,répondDanielleenrepliantlaserviettemouilléedeHope.
–MaissiTracytevoitaveclesgars?Ellepourraittevirerdel’équipedulycée.Danielle remarque queHope lui parle parfois plus commeune petite sœur que commeune
amie.Elleenaaussiunpeul’apparence,avecsespantalonsdesurvêtementtropgrands,sestee-shirts informes et son sweat à capuchenoué autourde la taille.En sortantde ladouche, elle aattaché sescheveuxencoremouillésenchignon.Hopeavraimentdebeauxcheveux,quandelleprendlapeinedelessécher.Danielleseditqu’elledevraitl’inciteràsecoiffer.Maiselleneveutpas faire attendreAndrew et ses copains. Et de toute façon,Hope, elle, n’a pas besoin de leurprouverquoiquecesoit.
–Queveux-tuqu’elledise?J’aibienledroitdemanger.Pasdequoienfaireunplat.Elleajoute,decrainted’avoirétéunpeusèche:–C’estcoolquetuviennesavecmoi.LaprésencedeHopeestuneidéed’Andrew.Il ne l’a pas appelée depuis l’incident de la salle demuscu et n’a pas nonplus répondu à ses
textos.Iladûavoirpeurqu’ellesoitencolèreàcausedelamanièredontilavaitréagi.Orellenecherchaitpasà le joindrepourl’engueuler.Ellevoulait luiannoncerqu’ellefaisait
partiede l’équipedu lycée.Bon, çan’avait rien à voir avec le fait d’être jolieoumoche et ellen’allaitpastoutàcoupêtrereinedubal.Maisellesavaitqu’Andrewetmêmesescrétinsdecopainsavaientdurespectpourcegenredechoses.
Et,plusquedurespect,ellevoulaitqu’ilretrouveunsentimentdefierté.Qu’ilsoitdenouveaufierd’elle,fierd’êtreavecelle.
Alorscematin,elles’estréveilléeenavancepouravoirplusdetempspoursepréparer.Elleamisdel’après-shampooing,ensedisantqu’elledevraitenutiliserplussouvent.Elles’estmaquilléeetaremplacésabrassièredesporthabituelleparunsoutien-gorgerembourré.Enfin,elleamislaseule robe d’été qu’elle avait emportée au lacClover, celle dont Andrew a dit une fois qu’ellerendaitdingueslesgarçonsdesachambre.Commeelleesttroplégèrepourlasaison,elleaajoutéungiletetunlegging.
PuiselleaattenduAndrewdevantsoncasieravantledébutdescours.–Salut,a-t-ilditd’unairfatigué.–Devinequoi,luia-t-elledéclaré.J’aiunenouvelleàt’annoncer.Elleaattenduqu’illaregarde.Ilafouillédanssoncasierpourprendreseslivres,levisagecaché
derrièrelaporte.Ettoutàcoup,ellenes’estplussentiequ’enpositiondedemandevis-à-visdelui,toutefierté
envolée.–Jemetrompe,outesparentsnesonttoujourspasrentrés?Jemesuisditquejepourraisvenir
cheztoiaprèslescours,commel’autrejour.Elle ne savait toujours pas trop quoi penser de ce qu’ils avaient fait mercredi, mais ça ne
l’empêchaitpasd’êtreprêteàrecommencer.–Enfait,jevaismangerunepizzaaveclespotesaprèsl’entraînement.–Oh.Çal’aétonnéeelle-mêmequ’unsipetitsonpuissecontenirautantdedésespoir.–Oùça?ChezMiméoouauTripoli?–SansdouteauTripoli.Jenesuispassûr.–J’adoreleTripoli.C’estlameilleurepizzeriadelaville.
Andrewafermésoncasieretelleasoudaineul’impressiondeledépasserd’unetête.–C’estmarrant,j’avaisjustementenviedepizzacesoir.–Tu…Tuveuxvenir?–Tuasenviequejevienne?Ilahaussélesépaules.–Encequimeconcerne,tupeuxmangercequetuveux!Ce n’était pas tout à fait l’invitation dont elle aurait rêvé ;mais elle savait que pour que ça
marcheentreeux,ilfallaitqu’ellearriveàs’entendreavecsescopains.Ilnesuffisaitpasqu’Andrewlatrouvejolie.Encorefallait-ilqueChucketlesautressoientdumêmeavis.
–Maistudevraispeut-êtreinviterHope,pournepasêtrelaseulefille.Sinon,çarisquedetefairebizarre.Etcommeça,tuaurasquelqu’unàquiparler.
–C’estpastonboulot?Entantquepetitami?Il l’a regardée de travers et elle a faitmachine arrière.Elle ne voulait pas qu’il revienne sur
l’invitationqu’elleavaitdéjàdûluiarracher.–OK,jeluiproposerai.Onseretrouveàlasortieaprèsl’entraînement.
DanielleetHopeattendentàl’entréeduparkingdepuisvingtminutes,toutenguettantlajeep
de Tracy. Ne voyant toujours pas arriver Andrew et ses copains, Danielle se demande si leurentraînements’estprolongé.Lesdeuxfillesvontvoirauterraindefootball.
Ilestdésert.Hopesoupire.–Tun’avaispasditqu’Andrew…?–Iladûoublier.Ilesttotalementfocalisésurlematchdedemain.Ilneparleplusquedeça.Hopenefaitplusdecommentairespendantlescinqminutesquedureletrajet,maisDanielle
luienveut.Sonamiefaillitdéjààsafonction:celledeluirendreleschosesmoinsembarrassantes.Danielleprofited’untroudanslefluxdelacirculationpourtraverserenflèche.Ellesaitque
Hopel’asuivie.Unevoitureklaxonne,maisellecontinue,lesyeuxrivéssurlapizzeriaTripoli.Les garçons sont là ; Andrew, Chuck et un paquet d’autres. Leurs assiettes sont déjà bien
entamées. Ils fontdubruit, ils rigolent.Mais ils se taisentenvoyantDanielle franchir laporte,Hopesurlestalons.
Daniellevadroitàleurtable.–DantheMan!s’exclameChuck.–Monnom,c’estDanielle.Chuckregardelesautresenécarquillantlesyeux.–Oh,pardon,Danielle.Etravidetevoir,mec!Lesgarçonss’esclaffent,àpartAndrew,quifixelatable.–Jecroyaisqu’onseretrouvaitàlasortiedulycée,luimurmure-t-elle.Ilgrattelefromagecollésursonassietteencarton.–C’estvrai,désolé.Lesgarsm’ontpratiquementtraînéicidirectementaprèsl’entraînement.Ils
avaientladalle.Etl’entraîneurnousalâchésenavance.Lesautresbaissent lenez, et elleneparvientpas àvoir s’ilmentoupas.Aumomentoùelle
s’aperçoitqu’aucund’euxn’abougépourleurfairedelaplace,ellesentunemainsursonépaule.–Viens,ditHopeenlatirantenarrière.Jenousaitrouvéunetable.Danielletremble.Ellen’ajamaisétéaussihumiliée.Maisàquoipouvait-elles’attendre?Ellea
pratiquementforcéAndrewàl’inviter.Siseulementellepouvaitremonterletemps!Maintenant,
ellen’aplusdesolutionderepli.Ilneluiresteplusqu’àlajouercoolpournepasacheverdeseridiculiser.
Daniellevaaucomptoir leurchercherunepizzaetunCocachacune.Quandelle s’assoit, lesgarçonsontreprisleurconversation.Ellemâcheleplussilencieusementpossiblepourentendrecequ’ilsdisent.
–Cesfillespeuventdirecequ’ellesveulent,ellespeuventcourirpourquejevotepourJenniferBriggis,ditChuck.C’estdudélire.Unemeufquiaéténomméelaplusmochedesonannéen’apasledroitdegagner.Pointfinal.
Danielle sent le regard de Chuck peser sur elle, mais elle ne peut pas se résoudre à le luiretourner.
–Etvousavezsentil’odeurdeSarahSinger?Unvraicamion-poubelle.Àcroirequetouslesthonsdulycéesontdemèchepourficheenl’airlebal!
Chuckfinitsonsoda,écrasesacanettedanssamainetpoussel’aluminiumfroisséversAndrew.–Autrenouvellepourrie,ilparaîtqu’Abbynepeutpasveniràtafête,mec.Elleestprivéede
sortie.Ilyadesfrottementsdepiedssouslatableetl’undesgarçonsmanques’étoufferderire.Danielleseraidit.UnefêtechezAndrew?Aprèslebal?Pourquoineluia-t-ilriendit?–Tagueule,Chuck,siffle-t-il.–Heu,ouais,grogneChuck.Commejedisais,Abbyestsupersexy.Pasvrai,Andrew?Daniellen’arriveplusàrespirer.–N’importequoi,répliqueAndrew.Chuckselèveetlepointedudoigtd’unairtriomphal.–Menteur!Tum’asditquet’étaissuperexcitél’autresoirenpensantàelle!Andrewluibalanceunecroûtedepizzaàlafigure.Lesautressemettentàbrailler.Hopeselève,sivitequ’ellerenversesonCocadanssonassiette.–Onyva,dit-elle.Daniellerestetétaniséeparlahonte.–Allez,viens!Hopelaforceàselever.–T’esqu’unconnard,Andrew,dit-elleenpoussantDanielleverslaporte.Etellel’entraîneàtoutevitessesurletrottoir.MaisDanielleneveutpaspartir;elleveutlaisser
àAndrewunechancedes’expliquer.Elletentedesedégager.–Hope…–Qu’est-cequit’arrive,Danielle?Depuisquandtutelaissesmarcherdessuscommeça?Hopealeslarmesauxyeux,etpourDanielle,c’estencoreplusdouloureuxquelereste.Andrewsortdelapizzeriaetlesrejointautrot.–Écoute,neleprendspasmal…Hopeouvrelabouchepourl’insulter,maiscettefois,Danielleseplacedevantelle.Elleravale
seslarmesetdit:–Leprendremal?Turigoles?Tufaisunefêteaprèslebaletjenesuispasinvitée?–C’estmêmepasunefête!C’estjustedeuxoutroiscopainsquiparlentdepasseràlamaison.
Moi,jeneveuxpasquetoutlemondedébarquechezmoi.Simesparentsl’apprennent,jemeferaituer.Mais c’estChuck qui…Écoute, je ne pensais pas que tu voudrais venir. Je ne voulais past’obligeràpasserlasoiréeaveclui,avectouteslesconneriesqu’ilsortsurtoi.
–Biensûr,quelledélicatesse!faitDanielleencroisantlesbras.Aufait,justeunequestion,tuasditquelquechosepourmedéfendre?Neserait-cequ’unefois?
Andrewregardeseschaussures.–Mesamiscomptentpourmoi.Etcequ’ilspensentaussi.– Moi pareil. C’est pour ça que j’ai passé toute la semaine à répéter à Hope que tu étais
quelqu’un de bien. Même si tu n’as pas levé le petit doigt pour me rendre les choses moinspénibles.
Andrewlèvelesmains,paumesversl’extérieur.–Tunepeuxpasm’envouloirdenepassavoirquoitedire.Jenepeuxpasmemettreàtaplace.Iln’asansdoutepastort.MaisdepuisqueDanielleleconnaît,Andrewsecomportecommes’il
avaitquelquechoseàprouver.IlatoujourspeurdenepasêtreàlahauteurdeChucketdesautres.Queçaconcernelesport,lesvêtementsoul’apparencephysique…
Encherchant,ilauraitpulacomprendre.Encreusantunpeu.–J’aitoutfaitpourterenvoyerunebonneimagedetoi,Andrew.Quandest-cequetul’asfait
pourmoi?Unevaguedechaleurmonteenelleetluidonneducourage.–Etc’estcommeçaqueturompsavecmoi?Enm’humiliantdevanttesamis?Ilsedécideenfinàlaregarder.–Jen’aipasrompuavectoi,marmonne-t-il.Ellemetunesecondeàenregistrersesparoles.Ilveuttoujourssortiravecelle?EllechercheàretrouversursonvisageleAndrewqu’elleconnaissaitjusqu’àlundidernier.Celui
qui était fier d’elle, qui lui a couru après pendant des semaines cet été. Comment les chosespeuvent-elleschangerautantenmoinsdehuitjours?NonseulementDaniellenesaitplusquielleest,maisAndrewestdevenuunétranger.
Elledistinguedestracesdetristesseaucoindesesyeuxetdesabouche.«Ilagardésakillerattitude»,réalise-t-elle.Unmasquepourcacherqu’ilahontedesoncomportementetdelafaçondontill’atraitée.Etsouscemasqueluitunpetitsignequimontrequ’ilregrette.
C’estuneminceconsolation.Riendeplus.Parcequ’elleaôté sonpropremasque.Elleaeu lecouragedesemontrerànu, sansrien lui
cacher.Le joli, lemoche, tout.Elle attendde luiqu’il en fasseautant.Qu’il soit vrai avecelle,pourunefois.Qu’iladmetteque,oui,çacraintquesapetiteamiesoitsurlaliste.C’estlahonte.Mais il ne devrait pas laisser ses copains la traiter comme ça. Il devrait prendre sa défense.Reconnaîtrequesakillerattitudeestunepreuvedelâchetéetnondeforce.
–Varejoindretescopains.Jenepeuxpascontinuer.Elle est étonnée. Sincèrement. Par elle-même, d’avoir été à l’initiative de la rupture, et par
Andrew,des’éloigneraussirapidement.
CHAPITRE33
C’estBridgetquiaeul’idéederatisserlejardinaprèsledîner.Elleaditàsesparentsquec’étaitpour l’argent, mais c’est faux. Elle le fait parce qu’elle s’est à peine dépensée en jouant aubadmintonaugymnase.
Latâcherépétitivel’apaise:ratisserlesfeuillesavecleslongsdoigtsd’araignéeenmétal,fermerles sacs-poubelles et les traîner sur la pelouse jusqu’au trottoir. Elle accélère l’allure pouraugmentersonrythmecardiaqueetbrûlerplusdecalories.
Bridgetentendunefenêtres’ouvrir.EllelèvelesyeuxverslepremierétageetvoitLisaquipasselatêtedehors.
–Tuasbesoind’aide?luidemandesasœur.–T’inquiètepaspourça!Bridgets’appuiesurlerâteau.Elleaunpetitvertige.–Çanemegênepas!Jem’ennuie.Nelalaissepast’aider.Ilt’enresteramoinsàfaire.Moinsdecaloriesàbrûler.–Jenepartagepaslefric,répond-ellesèchement.Mais Lisa a déjà refermé la fenêtre. Quelques minutes plus tard, elle est dehors avec un
deuxièmerâteau.BridgetdétesteLisa,quelquefois.Restantprèsdugarage, elledit à sa sœurde ratisserdu côté de la clôture, à l’autre bout du
jardin.Maiscelan’empêchepasLisadecontinueràluifairelaconversation.–Ilparaîtqu’ilyaunefêtechezMargocesoir.–Ahbon?–Tun’yvaspas?LesamiesdeBridgetyvont.–Jenecroispas.–Pourquoi?C’estàcausedecettehistoiredevotepourJennifer?Moi, jevotepourMargo,
mêmesi,bon…lesgensracontentquec’estellequiarédigélaliste.Bridgetestaucourantdecetterumeur.Elleacherchéquelslienspouvaientexisterentreelleset
quellesraisonsauraientpupousserMargoàlanommerlaplusjoliedespremières.Laseulequ’elleaittrouvée,c’estqu’ellesonttouteslesdeuxembrasséBryTate.
–JenecroispasquecesoitMargo,déclare-t-elle.–Moi,çanemeparaîtpastotalementabsurde.Sij’avaisfaitlaliste,jememettraisdessus,non?
Lesdeuxsœurs finissentderatisser le jardinet rentrentà lamaison.MrsHoneycutt inspecteleur travail par la fenêtrede la cuisine.Enplusde l’argentpromis àBridget, elle leurdonne àtouteslesdeuxdequois’acheterlesingrédientspourfairedessundaes.
–Jen’aipasenviedeglace,ditBridgetàsamère.–Tun’asjamaisenviedemanger,répliqueLisa,boudeuse.Elle plonge le doigt dans le reste de purée qui correspond à la part de Bridget, qui n’a pas
encoreétémisaufrigo.Bridgettueraitvolontierssasœur.Ellesecontentederemerciersamèreenprenantlesclésdela
voiture.
–Onprendquelparfum?demandeLisaenouvrantlaporteenverred’undescongélateursdansl’alléedumagasin.
Unnuagedefroidlesassaille.–Çam’estégal,Lisa.–Pépitesdechocolatàlamenthe?Bridgetsecouelatête.–C’estpasbon.Prendsdelavanillesimple.Lemotrouledanssabouche,qu’iltapissed’ungoûtdesucreimaginaire.–C’estsansintérêt,lavanille,objectesasœur.Bridgetcroiselesbrassursapoitrinepourseréchauffer.–Pourquoitumedemandes,alors?–Hé,désolée!TandisqueLisacontinueàhésitersurlesparfums,Bridgetvachercherlerestedesingrédients:
vermicelles,chantilly,coulisauchocolat,etunbocaldecerisesausirop.Unechancequetoutsoitemballédansdesboîtesoudespotsopaques.À lacaisse,elle retrouveLisa,qui s’est finalementdécidéepourlavanille.
–Zut,faitLisa.Onaoubliélesbananes.Bridgetposeleursachatssurletapisroulantpendantquesasœurrepartencourant.Lacaissière
estunedamed’uncertainâgevêtued’uneblouse,quiscannelesproduitssansmêmeluiaccorderuncoupd’œil.Biip…biip…biip…
Pendantquelesarticlesdéfilentsurletapis,Bridgetévitedeposerlesyeuxsurlaribambelledefemmesparfaitesquilafixentdepuisleurscouverturesdemagazines,unedizainedetitresrangésdansleursporte-revuesenmétal.Leurssouriressontassezsympas,maisBridgetsaitquec’estunpiège.Sielleselaissealleràlesobserver,ellesemettraàcompareraveclessienneslablancheurdeleursdents,lacirconférencedeleursbras.Àlirelesaccrochesdescouverturesquiluijetterontàlafiguretoutcequinevapasdanssonphysique.C’estuneoffensivedefront,unchantdessirènesirrésistible,quiluipromettentdeluilivrerleurssecretspourleprixd’unmagazine.
Legarçonchargéderemplirlessacsdoitavoirquelquesannéesdeplusqu’elle.Ellenel’apasregardé d’assez près pour en être sûre. Elle lui a juste signifié d’un hochement de tête qu’ellepréfèrelessacsenpapieràceuxenplastique.
C’estlàqu’elles’aperçoitqu’illadétaille.Ellesentsesyeuxladécouperentronçons,commeleboucherautabliertachédesangaufond
dusupermarché.Unepairedeseins,unetranchedefesses,uneportiondecuisses.Ladernièrechoseàlaquelleil
s’intéresse,c’estsonvisage.
Lesmannequins sur lesmagazines assistent à la scène sans ciller, un sourire approbateur auxlèvres.
Bridgetprendlachosedehaut,faisantsemblantdenerienvoir.Maisçalarendmalade.Elledétestecegenred’attention.Ellen’apasenviequ’illaregarde.Elleenalesmainsmoites.
–Çayest,annonceLisaenrevenant.Onatout.Ondiraitqu’ellesentcequisepasse,parcequ’ellejettedespetitscoupsd’œilintimidésversle
garçonenrestantderrièresasœur.Deplusenplusmalàl’aise,Bridgetsedépêchederécupérersamonnaieetdeprendresessacs.
Elleesttoujoursécarlateenarrivantàlavoiture.–Cemecn’arrêtaitpasdetemater,ditLisa.–N’importequoi.–Maissi,insisteLisaeninspectantd’unairsombrelecontenudesonsacdecourses.J’aimerais
bienqu’onmematecommeça.– C’est quoi, cette nouvelle manie ? réplique sèchement Bridget. Au centre commercial, et
maintenanticiaveccemec,àcroirequetoutcequit’intéresse,c’estdetefaireremarquer.Cequi,aupassage,n’estabsolumentpassexy.
Ellevoitlalèvredesasœurtrembler,maisfaitsemblantdenes’êtreaperçuederien.Ellemonteenvoitureetclaquelaportière.Aulieudelarejoindre,Lisarestedehors,surleparking,adosséeàlavitredupassager.
–Allez,Lisa!Taprécieuseglaceestentraindefondre!luicrieBridget.Lisasedécideàmonter.Ellesneparlentpasdetoutletrajet,maisBridgetsentbienquesasœur
vadirequelquechose.Ellevalamettreaupieddumur.En s’arrêtantdevant lamaison,Bridgetcompose lenumérod’uneamie.Sonportablecollé à
l’oreille,ellefaitsigneàLisadeporterlessacsàl’intérieur.Puisellefiledroitàsachambre,enfaisantcroirequ’elleenvisaged’alleràlasoiréedeMargo.Alorsqu’ellenecherchequ’unprétextepournepasmangerdeglace.
Tandisquelaconversationtoucheàsafin,elleentendlespasdeLisadansl’escalier.Sonamiearaccroché,maisellegardeleportableàl’oreille.Lisaouvrelaporte.Elleapréparéunsundae,ungros,avecdeuxcuillers.–Jesuisautéléphone,articuleBridget.Lisas’assoit,lefrontplissé.Bridgetcontinueàdire«hm…hm»danssonportable.Lisaposelaglaceetsedirigeversla
robesuspendueaufondduplacard.Il ne faut pas qu’elle voie la taille sur l’étiquette. Bridget dit « au revoir » à toute allure et
refermesontéléphoned’uncoupsec.–Jet’aiditquejenevoulaispasdeglace.–Jesais,répondcalmementLisaenserasseyantsurlelit.Maisjevoudraisquetulamangesavec
moi.Bridgetnesupportepaslechagrinquisepeintsurlevisagedesasœur.Lasupplication.Elleselève,ramassesonsacdecoursparterreetfouillededansàlarecherched’unlivre.–Enfait,j’aiduboulot.Alors…–Bridget,justeunebouchée.–Jesuissérieuse,Lisa.Laisse-moitravailler.Lisa paraît sur le point de fondre en larmes. Comme quand elle était petite et que Bridget
l’empêchaitdetoucherauxmeublesdesamaisondepoupée.
–Tunemangesrien.Jesaisquetunemangesrien.Commecetété.Bridgetsoupire.–Jeveuxêtrenickeldansmarobedebal,OK?–Maistuasquandmêmebesoindemanger.Puis,d’untondeprofondedéception,Lisaajoute:–Çaallaittellementmieuxquandonestrentrésdevacances,Bridget.Bridgetdétestelefaitquesasœuraitcompris,qu’ellen’aitpasréussiàcachersonjeu.–Jevaismanger,Lisa,promis.Aprèslebal.Unelarmecoulesurlevisagedesasœur.–Jenetecroispas.Bridgetsemetàpleureraussi.–Jet’assure.Aprèslebaldelarentrée,jeremangerai.Toutredeviendranormal.Juré.Regarde
commetuparlestoutletempsdelaliste,endisantquetuvoudraisêtredessusunjour?Ehbien,mets-toiàmaplace.C’estbeaucoupdepression.
Lisapleuretoujours,commesiellen’avaitrienentendudecequeBridgetvientdeluidire.–Jeculpabilise,maintenant,àcausedetoi.Chaquefoisquejemange,jeculpabilise.Jen’étais
pascommeça,avant.–Lisa…–Situneteremetspasàmanger,jeledisàpapaetmaman.Lisaessuiesesjouessursamancheetsortdelachambre,enlaissantlaglacefondredanssonbol.PourBridget,Lisanepouvaitrienfairedeplusméchant.
CHAPITRE34
Seuledanssachambre,Abbyfixesonrefletdansl’écrandelatélévision,commedansunmiroirsale.Quandlesodeursdecuisines’infiltrentdanslapièce,elledescend.Personnenel’aappelée.
Safamilleestdéjààtable.Lesportionsontétérépartiesdanslesassiettes,àpartlesteakd’Abby,sapommedeterreaufouretsapartdesalade,quil’attendentsurlecomptoir.Ellen’appréciepasbeaucoup cette manière tacite de lui signifier son retard, mais elle se sert sans faire decommentaire.
Sesparentssortentlesjournauxdeleursenveloppesdecellophaneetsepartagentlespages.Ferncalesonlivreentresonverredelaitetlepoivrierpourlemaintenirouvertetattaquesonsteak.ElleestentrainderelirelepremiertomedeBlixEffectavantd’allervoirlefilm,pouravoirchaquedétailbienentête.Lajaquettedecouvertureestuséeetdéchirée,etpresquetouteslespagessontcornées.
Abbyvas’asseoirenpoussantlachaisedeFernsanss’excuser,etmangesapommedeterresanscrèmefraîchepournepasavoiràlademanderàsasœur.
Elleneluiapasparlé,nel’apasregardéeetignoremêmejusqu’àsonexistencedepuisqueFernacaftéauprèsdesamèrequ’elleavaitimitésasignature.
Sous cette apparence demépris glacial, elle sent la colère brûler en elle comme un charbonardent,sansdonnerlemoindresignedes’éteindre.
Surlecomptoirdelacuisine,laradiorégléeensourdinesurunestationd’informationdonnel’impressionqu’ilsontinvitéuncinquièmehôtepourleurfournirdessujetsdeconversation.Leplussouvent,Fernetsesparentslèventlenezdeleurlecturepourémettreunavissurlesconflitsinternationaux, le cours de la bourse ou les derniers progrès scientifiques. Abby n’intervientjamais.Pourelle,cettevoixestunbruitdefond,aumêmetitrequelesmoteursdesvoituresquisegarentchezlesvoisins,l’avionquisurvolelestoitsendirectiondelaville.Enmodetypiquementado,ellemangeavecsonportablesurlesgenoux,pourlesentirvibrersiuneamieluienvoieunmessage.
Cesoir,elleessaievraimentdesuivrelesbribesdeconversationquipassentcommedesballonsau-dessus de sa tête, semblant la défier de les attraper. Elle prend la parole, sans exprimerd’opinion, juste pour confirmer ce quedisent ses parents.Chaque fois qu’elle ouvre la bouche,ceux-cisemblentagréablementsurpris.Fernneditpasunmot.
Quandtoutlemondeafinidemanger,Abbyseproposepolimentpourdébarrasseretfairelavaisselle.
Sesparentsfroncentlessourcilsau-dessusdeleursassiettessalesetdeleursjournauxfroissés.–Çanechangerapasnotredécision,Abby,luisignaleMrsWarner.
–Tunousasmentiettuasmentiàtonprofesseur.Parconséquent,tun’iraspasaubal,ajouteMrWarnerenlaregardantpar-dessusseslunettes.
Ferns’essuie laboucheavecuneservietteenpapierqu’elle laissetomberdanssonassiette.Lepapierrougitinstantanémentenabsorbantlejusdelaviande.
–Jesais,marmonneAbby.Elles’enveutdes’êtrelaisséebercerd’illusionsparLisa,quis’estprécipitéeàsoncasieraprèsles
courspour lui suggérerquesapunitionseraitpeut-êtreallégéesielle seconduisaitcommeunefillemodèle.
L’ampleurduchâtiments’abatsoudainsurelledanstoutesadureté.Elleneporterapaslarobede ses rêves.Elle ne sera pas invitée à danser par des garçons plus âgés.Elle n’ira pas à la fêted’Andrew.C’estcommesicettesoirée,cemerveilleuxsouvenirqu’elleauraitgardépourtoujours,avaitdéjàétéarrachéedespagesdesonjournalintime.
Parlafautedesasœur.–Fern,ditMrWarner,quandonaparléavecMrTimmettoutàl’heure,iladitqu’Abbyavait
uncontrôlelasemaineprochaine.–Onvoudraitquetul’aidesàréviserceweek-end,complèteleurmère.Abbyselèveavecunebouledanslagorge,commesiungrosboutdesteaktoutduryétaitresté
coincé.C’esthumiliantdelesentendreparlerd’ellecommesiellen’étaitpaslà.Ellesedemandecequ’ilsdisentquandelleesteffectivementabsente.Destrucsdugenre:«PauvreAbby,elleestvraimentstupide.»Ou«PourquoiAbbynepeut-ellepasteressembler,Fern?»
–Enfait,MrTimmetm’enaparlé,ditFernensereculantsursachaisepourqu’Abbypuisseprendresonassiette.MaisjevaisvoirBlixEffectcesoir.Etaprès,toutlemondevaboireuncafé.Ducoup…jenepeuxpas.
–Ehbien,çavouslaissesamedietdimanchetoutelajournée,répliqueMrsWarner.AlorsqueFernouvrelabouchepourrépondre,sonpèreajoute:–Qu’est-cequiprime,Fern?Aidertasœuroualleraucinéma?Commeelleneditrien,ilpoursuit:–Tuluidonnesuncourspendantaumoinsdeuxheuresdemain,oupasdeBlixEffect.AbbyprendleverredelaitdeFernetlelivredesasœur,n’étantplusmaintenu,tombeàplat.– Au fait, Fern, pourquoi tu traînes tous les jours dans la salle de cours de Mr Timmet ?
demande-t-elle.Tucraquespourlui?Elletriompheenlavoyantdevenirécarlate.–Tusaisqu’ilestmarié?Ilalaphotodesafemmesursonbureau.Supersexy.–Abby!lareprendsamère.Nesoispasaussigrossière!–Benquoi?VousnetrouvezpasçabizarrequeFernsoit,genre,obsédéeparMrTimmet?
Qu’ellecourelevoirtouslessoirsalorsqu’iln’estmêmeplussonprof?Alorsquejenel’aijamaisvueparleràungarçondesaclasse.
Abby place les mains en porte-voix autour de sa bouche et lance dans un « murmure »parfaitementaudible:
–Jecroisqu’ellepréfèreleshommesplusâgés.Fernjaillitdesachaise.Abbysouritenentendantsonpaslourddanslesmarchesdel’escalieret
toutlelongducouloir.–Abby,s’ilteplaît,laissetasœurtranquille.–OnsaitqueFernn’estpasaussiextravertiequetoi.Elleestplusàl’aiseaveclesadultes.–C’estparcequ’elleestasociale!lanceAbbyenespérantquesavoixportejusqu’àl’étage.
Après avoir prolongé d’une journée son interdiction de sortie, ses parents regagnent leursbureauxrespectifs.
Abbyprendsontempspourchargerlelave-vaisselle,enplaçantsoigneusementchaqueassiettedanssonencoche.Elleessuielecomptoiretlatableavantdepasserlebalai.Quandlacuisineluitcommeun souneuf, elle éteint les lumières et la radio,puismonte l’escalier, lemoraldans leschaussettes.
Elles’arrêteàlaportedeleurchambreetregardesasœurs’habillerpouralleraucinéma.C’esttoutjustesiondiraitunefille,avecsontee-shirttropgrand.
Abbypourraitl’aider.Ellepourraitluiapprendreàselisserlescheveux,àchoisirdesvêtementsplusjolis.ÇadonneraitàFernunechancederencontrerunintellosympacesoiraucinéma,unautrefandesasériedébile.
MaisAbbynel’aiderapas.Plusjamais,aprèscequ’elleluiafait.Encequilaconcerne,ellesnesontplussœurs.
CHAPITRE35
CandacearrivedevantchezLaurenquelquesminutesenavance.Ellesortdesavoitureetregardelavieillemaison,lapeintureblanchedesplanchesdeboisqui
s’écaille, lesbuissonsnontaillésquiontperduleurforme,lapelousejonchéedefeuillesmortes.«Voilàoùhabitelafillequim’apiquétoutesmesamies»,songe-t-elleavecunecertaineironie.
Elleprendlebouquetposésurlabanquettearrièreetôtelespétalesunpeufanés.Samèreal’habituded’arriveravecunpetitcadeauquandelleestinvitée.Çan’estjamaisvenuà
l’idée deCandace, bien qu’elle ait dîné unmillier de fois chez ses amies.Mais cette fois, c’estdifférent.Elleaunemissionàaccomplir.
«Mamère voudrait te rencontrer, lui a dit Lauren hier au téléphone.Tu peux venir dînerdemainsoir?S’ilteplaît?»
–Pourquoiveut-ellemerencontrer,moi?–Elle…Candace a quasiment entendu tourner les rouages du cerveau de Lauren tandis qu’elle
choisissaitsesmots.–Elleesttrèsprotectrice.Laurenasoupirédanslecombiné,produisantunbruitdefriture.–Etellenemelaisserapasveniràtafêtesanst’avoirrencontrée.Candaces’estmordulalèvre.Ellen’étaitpasvraimentcertained’avoirenviequeLaurensoitlà.
D’accord,elleétaitsympa,maiscequ’ellevoulaitsurtout,c’étaitfairelapaixaveclesautres.–Etenquoiçameconcerne?–Si jenevienspas, les autresneviendrontpasnonplus, a réponduLaurend’un tonneutre.
Alors,tuviensdîner?Demainsoir?Candaces’estfrottélesyeux.Àcertainsmoments,Laurenpouvaitêtreaussipauméequesielle
avaitgrandidanslajungle.Alorsqu’àd’autres,ellesemblaitparfaitementsaisircequisepassait.–Unvendredisoir?J’aiprévudesortir!agémiCandace,quin’avaitriendeprévumaistenaità
fairemesureràLaurenl’ampleurdesonsacrifice.Bon,c’estd’accord.Jepourrai toujourssortiraprès.
Aprèsavoirraccroché,Candace,étrangement,s’estsentieflattée.BienqueLaurenl’ait invitéeparobligation,elles’adressaitencoreàellecommesiellereprésentaitlegroupe,malgrélalisteettouteslesvacheriesquelesfillesdevaientbalancersurelle.
Alorselleadécidédejouerlejeu.Ellemettraitunejoliejupeetungilet.Elleapporteraitdesfleurs.
En plus, Candace était curieuse de savoir comment vivait Lauren, et c’était l’occasion de ledécouvrir. Elle se demandait encore vaguement si cette fille ne faisait pas partie d’une sectereligieusebizarre.Etelleavaitbeaufaire,ellen’arrivaitpasàvoircequirendaitsesamiesaussidinguesdeCrindeCheval.
Àdix-huitheurescinquante-neufprécises,Candacesonneàlaporte.Laurens’illumineendécouvrantlesfleurs.C’estmignon.–Ellesnesontpaspourtoi,préciseCandaceenlesramenantcontreelle.Ellejetteunrapidecoupd’œilausalonderrièreLauren:uncanapéàfleursavecuncreuxdans
chaquecoussin,une lourdetablebasseenchêne,une lampeaupieddorédontCandacedécrètequ’ellen’enajamaisvud’aussilaide.Iln’yaniphotos,nibougies,nijolispetitsvasescommesurlacheminéedeCandace.Ilflottedansl’airuneodeuracide,unpeucitronnée,uneodeurdeproduitménager.Lesrideauxsontouvertsmaislesvieillesfenêtressontbouchéespardufilmplastiquequiempêchel’airdeserenouveler.
MrsFinnsortdelacuisine.C’estuneversionencorepluspâledeLauren.Toutenelledénotelafatigue,desescheveuxplatsàsonpantalonterne,desonchemisierpasséàsesorteilsbarrésparlapointeplussombredesescollants.
Elleestl’opposédeMrsKincaid:sansmaquillageethabilléecommeunegrand-mère.Celadit,CandacedétestequandsamèreluipiqueunhautpoursortiravecBill.Maisaumoins,ellefaitdesefforts. Si elle en faisait aussi, Mrs Finn pourrait peut-être être jolie. Mais elle semble avoirrenoncéàprendresoind’elledepuislongtemps.Sondernierrendez-vousgalantdoitremonteràdenombreusesannées.
–Bonjour,MrsFinn,dit-elleenluitendantlesfleurs.Tenez,c’estpourvous.Laurenaunsourirejusqu’auxoreilles,etCandacetentedelarabrouerd’unpetitregard.Elle
estdéjàasseznerveusecommeça.MrsFinnhochelatêteetfaitsigneàsafilledes’occuperdubouquet.–J’aiprisunpeuderetardencuisine,annonce-t-elle.Jeviensdecommencerunnouveautravail
et,bon…–Ons’estlaissédépasserparletemps,complèteLauren.Jesaisquetuasprévuquelquechosece
soir.Çavaaller?Candacenetientpasàs’attarderpluslongtempsquenécessaire.Maisellesourit:–Pasdeproblème.Danslasalleàmanger,latableestmisecommepourundînerdudimanche,avecdesverresen
cristalremplisd’eaudurobinet.Netrouvantpasdevase,Laurenmetlesfleursdansunvieuxbocaldesaucetomatequ’elledisposeaumilieudelatable.
–Jevaisaidermamère,luidit-elle.Jerevienstoutdesuite.–D’accord.Candaceresteassiseseuleausalonpendantcequiluisembledureruneéternité.Cedînerétait
censépermettreàMrsFinndelaconnaîtreetelleseretrouvetouteseuledansunepiècesombre.Enfin,MrsFinnapporteunplatdespaghettis.Laurenfaitleserviceavecunsouriremécanique
demaîtressedemaison.–Jecroisquevousavezgrandiici,MrsFinn?demandeCandacepourlancerlaconversation.–Oui.–AlorsvousêtesalléeaulycéedeMountWashington?–Eneffet.Maisçaabeaucoupchangé,depuis.
–Jesuissûrequebeaucoupdechosessontrestéeslesmêmes,observeCandaceenpensantauxbanquettesmoisiesduCDI,auxvieillesvitrinespoussiéreusesetauxchaisesdurescommeduboisdelasallederéunion.
–Certainement,ditMrsFinn.UnebouchéesuffitàCandacepours’apercevoirquelesspaghettisnesontpascuits.Ellerepose
safourchetteetserabatsurlepainàl’ail.–Maisparle-moiunpeudetoi,Candace.Candaceboitunegorgéed’eauetcroiselesmainssursesgenoux.–Ehbien,jesuisenseconde,commeLauren.J’habiteàElwoodLane,del’autrecôtédelaville,
avecmamère.–Quefait-ellecommemétier?Candace s’anime.Elle adoreparler du travail de samère.Auxdames, surtout.Elles insistent
toujourspourconnaîtredessecretsdemaquillage.–Elleestmaquilleuse.Pourlatélévisionlocale.MrsFinnal’airsurprise,maispasparticulièrementimpressionnée.–Ehbien!Cen’estpasunmétiertrèscourant!–Avant,elletravaillaitaurayonmaquillagedugrandmagasindelaville,préciseCandace.Un
jour,elleadonnédesconseilsàl’unedesprésentatrices.Elleluiafaitunesortederelooking.Laclienteaadoréetellearecommandémamèrepourleposte.
–Tantmieux,ditMrsFinn.EtavantqueCandaceaitpureprendresafourchette,elleluidemande:–Etquelgenredelivresaimes-tulire?–Pardon?–Quelgenredelivresaimes-tulire?Laurenadorelalecture.–C’estvrai,confirmesafilleenhochantlatête.Candacen’apasludepuisdesmois.MêmepasEthanFrome,letitrequeleuradonnéàlireleprofd’anglais.–EthanFrome,répond-elle.–J’adoreEthanFrome!s’exclameLauren.C’esttellementtristeetromantique!Franchement,
tut’imaginesêtreobligéedevivreavectafemmeettamaîtresse,aprèsl’avoirrendueinfirmeparaccident?
Candaceseforceàsourire.–Pastrop,non.–Qu’as-tulud’autre,cesdernierstemps?insisteMrsFinn.Pourleplaisir.Candaceboitunenouvellegorgéed’eautièdedurobinetetreposesonverre.–Heu…fait-elleenlaissanttraînerlesonlepluslongtempspossible.–Maman,souffleLauren.Tunevaspasluifairesubiruninterrogatoire.–Jediraisquejelissurtoutdesmagazines.Plusquedeslivres.Candacebaisselesyeux.–Jesais,cen’estpasbien.–Maissi,lasoutientLauren.C’estsuper,lesmagazines.J’adorelesmagazines.–Laurenmeditquetuasbeaucoupd’amiesdanstaclasse.Àtonavis,qu’est-cequilesattire,
cheztoi?Encemoment,riendutout.–C’estdifficileàdire.Peut-êtrel’honnêteté,lasincérité.
–Lasincérité.C’estimportant.Tantmieux,parcequej’aiunequestionàteposeretjevoudraisque tu y répondes sincèrement. Je ne te demanderai pas si tu apprécies le repas, la réponse estclairementnon.
MrsFinnrit.Lesfilleséchangentunregardnerveux.–J’aimeraissavoirpourquoi,selontoi,toutlemondesemetsoudainàgraviterautourdema
fille.LaréponsedeCandacel’étonneelle-même.AulieudedirequeLaurenestjolie,elledéclare:–Parcequec’estquelqu’undebien.
–Mercibeaucoup,chuchoteLaurenenraccompagnantCandaceàlaporte.J’espèrequeçan’a
pasététrophorrible.Elleal’airépuisée,commesiçaavaitétéuneépreuvepourelleaussi.–Pasdutout,répondCandace,bienqu’ellesesentetotalementhumiliée.MrsFinnse fichaitbiende fairesaconnaissance.Ellevoulait justeprouveràCandacequ’elle
n’étaitpasdigned’êtrel’amiedesafille.«Nevousenfaitespas!aenviedeluicrierCandacepar-dessusl’épauledeLauren.Onn’estpas
amies,loindelà.»Laurenposeunemainlégèresursonépaule.–Jesaisquelasemainen’apasétéfacilepourtoi,maislesfillesvontsecalmer.Jeleurparlerai.–Merci,ditCandace.Etelleestsincère,bienquecelaluicoûtedel’admettre.Endescendantl’alléedujardin,elleauneidéeetralentit.EllepourraitproposeràLaurende
passerlasoiréeavecelle.D’abord,çaneluiferaitpasdemaldepasserdeuxoutroisheuressanssamère.Et puis,Candace éprouve tout à coupune violente envie de lui parler.Elle voudrait luimontrerqu’ellen’estpasméchante.Ellevoudraits’excuserdesonattitudemardidanslestoilettes,quandLaurenaessayéd’êtresympa.Ellevoudraitrevenirenarrière,reprendreledîneraudébutetfairemeilleureimpressionàMrsFinn.
Maisquandelleseretourne,Laurenadéjàcommencéàrefermerlaporte.Auderniermoment,elleluilance:
–Amuse-toibiencesoir,Candace.C’estvrai,elleestcenséesortir.–Jevaisessayer,répond-elletoutensachantqu’iln’enserarien.
CHAPITRE36
Jennifer compte cinquante-huit, cinquante-neuf, soixante longues secondes, puis sonne unedeuxièmefoisàlaporte.Etonneluiouvretoujourspas.
Elle n’est pas venue chez Margo depuis quatre ans. Du moins pas officiellement. Elle estrégulièrementpasséedanssarueenvoiture,justehistoiredevérifierquelamaisontenaittoujoursdebout.Jennifersepenchesurlecôtéenprenantappuisurlabalustradeduperronpourregardervers la fenêtrede la chambredeMargo.Le verre sombrene reflèteque lesbranchesnuesd’unarbredujardinetlesfilsélectriquessuspendusentredeuxpoteaux.
L’oreille collée sur la porte, Jennifer sonne pour la troisième fois. Elle guette le bruit de lasonnette,maiscelle-ciestsoitcassée,soitnoyéeparlamusiqueetlesrires.Ellefrappe.Puiscogneàcoupsdepoing.Desombressedéplacentderrièrelesvoilagesdesfenêtres.
Autrefois,Margooubliaittoutletempssaclé,seretrouvaitàlaporteetarrivaitchezJenniferquelquesminutesaprèsl’avoirquittéeaucoindelarue.Ellesregardaientdesdessinsanimésoudestalk-showsjusqu’àcequequelqu’unsoitrentréchezellepourluiouvrir.C’étaitenquatrième,avant que les choses se gâtent. Margo a fini par convaincre sa mère de laisser la clé sous lepaillasson.Ellen’estpresqueplusjamaisvenueaprèsça.
Jennifers’accroupitpoursouleverlepaillassonenherbeartificielle,maisellenetrouvedessousquedelapoussièreetdesfragmentsdefeuillesmortes.Unefourgonnettepassedanslaruesombre.Leconducteurluijetteuncoupd’œilavantdetournerdansunealléeprivée.
Jenniferfrissonne.Etsiunvoisinlaprenaitpourunerôdeuse?Elle cherche son portable dans son sac. À peine a-t-elle posé lamain dessus qu’elle se rend
comptequ’elleaoubliélenumérodeMargo.NiDananiRacheln’ontsongéàluidonnerleleur.Jenniferavaitpourseulesinstructionsdeseprésenteràvingtheures.
L’invitéed’honneurlâcheunprofondsoupir.Était-ceunevraieinvitation,oul’ont-ellesjustepriseenpitié?Etqu’est-cequeçachange?Celadit, ilestvingtheuresquarante-cinq;elleestenretard.Ellesontpucroirequ’elleavait
changéd’avis.C’estcequeMargodevaitespérer.Jenniferamisplusdetempsqueprévuàsecoiffer,enattachantsesmèchesdudessussurlehaut
du crâne pour les faire retomber en gros rouleaux souples. Elle a refait exactement la coiffurequ’elleasursaphotolaplusréussie,prisequandelleavaitneufansàl’anniversairedemariagedeses grands-parents.Margo y était aussi, et quand quelqu’un a apporté le gâteau sur une tableroulante, elles ont chanté ensemble, devant tout le monde, une strophe de leur chanson demariage.Ellesavaientrépété tout l’été.Sur laphoto,ellessont toutes lesdeuxenrobed’été, la
boucheouverte,deboutsurl’estradedelasalledesfêtes.Elleagardélaphotosurlacheminéedesonsalon,mêmeaprèslafindeleuramitié.Jenniferytient,carelleprouvequ’elleaunjourétéjolie.Àuneépoqueoùl’apparencenecomptaitpas.
Jennifer avait une bien plus belle voix queMargo, tout lemonde l’avait dit aumariage. Passeulementsesgrands-parents.
Entoutcas,endemandantàsesparentssiellepouvaitprendrelavoiturepourlasoirée,Jennifers’est sentie fière. Elle avait passé l’après-midi au centre commercial à essayer des piles devêtements,avantdesedéciderpourunpullnoiretunejupecrayonmauvequeRacheletDanaluiavaientconseilléd’acheter.
–Oùalieulafête?ademandésamère.–ChezMargo.Sesparentsontlevélatêtetouslesdeux,maisJenniferlesarassurésd’ungeste.–Toutvabien.Onafaitlapaix.–C’estbien,mafille.Enluidisantaurevoir,ilsn’ontpasremarquélabouteilledevodkafourréedanssonsac.Malgrésonproblèmedetiming,elleestencoretoutexcitéeàl’idéedesheuresmerveilleusesque
luiréservepeut-êtrecettesoirée.Peuimportequ’elleaitpasséquatreanssurlalistedesmoches,siçaafiniparl’amenerici.Elleestlà,etellevatâcherd’enprofiteraumaximum.
Neserait-cequepourprouveràMargoqu’elleaeutort.Elle entend le gravier crisser derrière elle, fait volte-face et se retrouve face à une paire de
phares.Lemoteurs’arrêteetlespharess’éteignentquelquessecondesplustard,luilaissantdeuxétoilesblanchesdanslesyeux.Quandcelles-cidisparaissent,JennifervoitMargo.
Ses cheveuxmouillés indiquentqu’elle sortde ladouche.Et son jean, son tee-shirt ajustédecheerleader, son gilet et ses baskets n’ont rien d’une tenue de soirée. Elle prend deux sacs enplastiquesurlesiègearrière.
–Qu’est-cequetuattendspourentrer?demande-t-elleàJennifer.Elle rit froidement, comme le font souvent les grandes sœurs quand elles veulent signifier
qu’elles ont l’avantage de l’expérience. Sans lui laisser le temps de répondre, elle passe devantJenniferettournelapoignée.Laporten’étaitpasferméeàclé.
Jenniferentre.Ilfaitchaudetunpeumoiteàl’intérieur,etellesentsesdoigtsrougiretpicoter.Il y aplusde lumièrequ’ellene s’y serait attenduepourune fête, autantquedansune salledeclasse.Pasd’éclairagetamisénidebougiespour l’ambiance.Elle jetteuncoupd’œilderrière leportemanteauendirectiondusalon.Iln’apaschangé,avecsesmursgrisauxplinthesblanches,sescanapésjumeauxquisefontfacedevantlacheminéeetsontapisorientalàfranges.Elleregardedenouveau.Non,cen’estpluslemêmetapis.Ilyapleind’adosinstalléssurlescanapés,parterre,perchéssurlestablesbasses,ouadosséscontrelesbibliothèques.
La porte d’entrée se referme derrière Jennifer et tous ceux qui ont remarqué son arrivée luidisentbonjour.Maiscontrairementàcequ’avaientpromisDanaetRachel,personnen’estcampéàlaportepourvérifierquelesinvitésontbienvotépourJenniferaudosdeleurticketdebal.
JennifersuitMargodanslacuisine.Assisessurlecomptoir,DanaetRachelboiventdelasangriadansdescoupesenplastiqueensepassantunecigarette.
–Margo!s’écrient-elles.Tuasapportédestrucsàmanger?–Ouais.Margovidelecontenud’unsacqu’ellerangedansunplacard.Jenniferserappellequec’estcelui
descéréales.
–Onplanqueçapourempêcherlesgarçonsdemettrelamaindessus.Devraismorfals.– Salut, Jennifer ! lanceRachel, presque comme si elle avait oublié qu’elles l’avaient invitée.
C’estcoolquetuaiespuvenir!–Tuveuxboirequelquechose?luiproposeDana,dontlalèvresupérieureestteintéederouge.
Onainventéuntrucquis’appellelePunchyPunch.Unpeusucré,maistoujoursmeilleurquecesbièresàdeuxballesqu’achètentlesmecs.Etçasoûleplusvite.Tiens,Margo,passes-enàJennifer.
Margo se sert un verre avant d’en donner un àmoitié plein à Jennifer. Elle le lui tend sanscroisersonregard.
–Oh,j’aiapportéça,annonceJenniferensortantlabouteilledesonsac.Jenesaispascequeçavaut,ajoute-t-elletimidement.
Danaprendlabouteilleetexaminel’étiquette.–Pasmal!Super,même.Ellesourit.–Merci,Jennifer.Margosemetàparlerdecheerleading–unchangementdechorégraphiededernièreminuteou
quelquechosedans legenre–etDanaetRachelse laissententraînerdansunediscussionsur lesujet.Ellesn’excluentpasvraimentJennifer,maisilestévidentquecelle-cinepeutpasparticiper.C’estcertainementdélibérédelapartdeMargo,pourqu’ellesesentedetropetqu’ellefinissepars’enaller.Ehbien,çanemarcherapas.Jennifersuspendsavesteaudossierd’unechaiseetrestelà,souriante,àvidersonverredePunchyPunch.Tantqu’elleyest,elledemandeundeuxièmeverreàMargo.Ellen’arriverapasàladéstabiliser,mêmesielleestchezelle,enpositiondeforce.
Etd’abord,avant,Jenniferétaittoutletempsfourréeici.–Lasalledebainsest toujoursenhaut?demande-t-elleenreposant leverrequ’ellevientde
vider.–Ouais,faitMargod’untonquisous-entend:«Quellequestion!»Jennifermontelentementl’escalier.LesmurssonttapissésdephotosdeMargoetdeMaureen.
JenniferatoujourssuqueMaureennel’aimaitpas.Celalamettaitmalàl’aisequandellevenait,surtoutàlafin.EnparticulierparcequeMargoadmiraitsasœur,quin’étaitpourtantpassisympaqueçaavecelle.
Enatteignantlepalier,Jenniferfixelesportesferméesquis’alignentlelongducouloir.Ellenesaitplusquelleestcelledelasalledebains.ElleenouvreuneauhasardettombesurlachambredeMretMrsGable.Ilssontlà,allongéssurleurlit,entrainderegarderlatélévision.MrsGablereste littéralement bouche bée en voyant Jennifer, etmanque renverser son grand verre de vinrougesurlacouetteblanche.
–Oh,excusez-moi,ditJenniferenreculantvivement.Jenesavaispasquevousétiezlà.–Onestenquarantaine,plaisanteMrGable.–Ilvautmieuxqu’onrestedanslesparages,aucasoùçadégénérerait,ajouteMrsGable.ElleposesonverresurlatabledechevetetfaitsigneàJenniferd’avancer.–Commentvas-tu,mapuce?Çafaitsilongtemps!Tunousasmanqué.Tuvasbien?Ettes
parents?–Trèsbien.EtcommentvaMaureen?Çaluiplaît,lafac?–Impossibledesavoir,avecelle.Ellen’appellejamais.Les yeux de Mrs Gable inspectent la pièce et s’arrêtent sur une méridienne couverte de
vêtements.–Tuneveuxpast’asseoiretbavarderunpeu?
Ellesemordlalèvreavantd’ajouter:–JedemandetoujoursdetesnouvellesàMargo.Commenttuvas,toutça.Jennifersentsagorgeseserrer.LesparentsdeMargoonttoujoursétégentilsavecelle.Ilslui
manquent.Etelleest touchéedevoirqu’elle leurmanqueaussi.C’estmoche, la façondont leschosesonttourné.
JennifervoitMrGablepresserdiscrètementlacuissedesafemme.–Jenniferdoitavoirenviederetourneràlafête,fait-ilremarquer.–Oui,biensûr.– En fait, je cherchais la salle de bains, précise Jennifer. Je neme souviens pas quelle porte
c’était.MrsGablesembleattristéequ’ellel’aitoublié.–Troisièmeàgauche,justeenfacedelachambredeMargo.Çam’afaittrèsplaisirdetevoir,
Jennifer.Passenousvoir,detempsentempsJenniferprometetressort.Elleessuiesespaumesmoitessursajupeavantdesuivrelecouloir
jusqu’àlasalledebains.Lamainsurlapoignéedelaporte,ellesuspendsongesteetseretourneverslaportedelachambredeMargo.
Elleestenvahieparl’enviedelarevoir.Elletendl’oreillepours’assurerquepersonnenevient;iln’yapasd’autrebruitqueceluidela
fêteaurez-de-chaussée.Ellefaitunpas.Undeuxième.Elleouvrelaporteetseglisseàl’intérieur.JenniferatoujoursadorélachambredeMargo,etelleestexactementcommedanssonsouvenir.
Unevraiechambredeprincesse : litàbaldaquin,armoiregéante,descoussinssur lebordde lafenêtre où elles s’asseyaient pour parler pendant des heures. Il y a des peluches adossées auxoreillers.
MêmesiJennifern’arienàfairelà,mêmesiMargoetellenesontplusamies,celaluifaitdubien de se retrouver dans cette chambre. La quatrième est à des années-lumière, et Margosoutiendraitsansdoutetoujourslecontraire,maisellesontétéamies.
La tenue de pom-pom girl deMargo est suspendue à une colonne du lit dans sa housse depressing,prêtepourlematchdedemain.Etparlaportedel’armoireentrouverte,JennifercroitapercevoirlarobedebaldeMargo.
Elleavancesurlapointedespiedssurl’épaissemoquetteivoire.Aprèsavoirfixélarobeuneminute,elleenfrottel’ourletduboutdesdoigts.Ellen’auraitpas
penséqueMargochoisiraitcestylederobepour lebalderentrée.Elleaurait imaginéquelquechose de plus original, de plus sexy, de plus léger. Avec un jupon qui tourbillonnerait quandMargotourneraitsurelle-mêmesurlapiste.Cetterobe-ciestprèsducorps,sombre,sophistiquée.Et,del’avisdeJennifer,pasdutoutadaptéeàunbalderentrée.
Ce vert va sûrement très bien au teint deMargo.Mais la robe ? C’est comme si elle avaitquelquechoseàprouver.Commesiellevoulaitmontrerqueceshistoiresdereinedubalettoutescesgamineriesdelycéennesnelaconcernaientpas.Qu’elleétaitau-dessusdeça.
MaisJennifer,elle,connaîtlavérité.Oulaconnaissait.Margon’estpasindifférenteàcequ’onpensed’elle.
Sansprendreletempsderéfléchir,Jenniferouvrel’armoire.Lesfaçadesintérieuresdesportessontcouvertesd’autocollants:arcs-en-ciel,chevaux,étoilesphosphorescentes.Ilyadesvêtementssuspendusàlatringleetd’autresempilésenvrac.Jennifern’arrivepasàvoirdanslefond, làoùMargocachaitautrefoiscequ’ellenevoulaitpasqu’ontrouve.
Elleplongelamainenavantettâtonnetoutaufond.–C’estpasvrai…JenniferseretournedansunsursautetvoitMargodansl’embrasuredelaporte.–Qu’est-cequetufousdansmachambre?Jennifern’arriveplusàrespirer.–Rien.Je…–C’est pas vrai, répèteMargo, avecmoins de surprise et plus de colère dans la voix que la
premièrefois.Ellesejettesurl’armoirepourrefermerlesportesetmanquedecoincerlesdoigtsdeJenniferau
passage.–Tu sais que tu as dubol, toi ? poursuitMargo, tremblante de rage, en secouant lesmains
commepourévacuersacolère.S’iln’yavaitpastoutcemondeenbas…Ellen’achèvepassaphrase,maisJenniferlavoitserrerlespoings.–Tu feraismieux de redescendre, reprendMargod’une voix sourde. Si je te revois dansma
chambre, les autres peuvent penser ce qu’ils veulent, je te fous dehors en te traînant par lescheveux.
Jenniferpassedevantellecommeuneflècheetdescendl’escalierquatreàquatre.DanaetRachelsont toujours dans la cuisine. C’est sûrement là que Margo va revenir, histoire de rapporterl’incident.
Jennifernesaitpasoùaller.–Hé!IlnousfautunTrouducparici!Suivant la voix, Jennifer arrivedans la salle àmanger, oùdes garçonsde terminale sont assis
autourd’unegrandetableenvahiedecanettesdebièrevides.–Jejoue,annonce-t-elleens’asseyantàlahâte.Le cœur battant, elle n’arrête pas de jeter des coups d’œil vers la cuisine pendant qu’on lui
donnesescartes.EllecraintqueMargonedéboulepourmettresamenaceàexécution.Jennifer regarde rapidement son jeu, comme si ça pouvait lui donner les règles. Justin les
rappelle pendant qu’il bat les cartes puis les distribue pour la partie suivante,mais Jennifer nel’écoutequed’uneoreille.Elle retient justequ’elledoit sedébarrasserde ses cartes leplus vitepossible.
–LeTrouducdoitêtreassisàgaucheduPrésident,préciseJustin.Jennifer se lèveavecdes jambesencotonetchangedeplaceavecMatthewGoulding.Telun
joueurdepokeraguerri,Matthewexaminesamaind’unairimpassible,sacasquettedebase-ballrabattuesursesyeux.
Margoestamoureusedeluidepuistoujours.Dumoins,ellel’étaitdutempsdeJennifer.Celle-cipasseenrevuelesrumeursdesquatredernièresannées.Est-cequ’ilssontsortisensemble?
Apriori,non.Plusieurssériespassent,quil’obligentàchaquefoisàéchangersesdeuxmeilleurescartescontre
lesdeuxplusmauvaisesduPrésident.Lejeuestconçudetellesortequ’ilestquasiimpossiblederemonterunefoisqu’onestaufond.
Jenniferfaitn’importequoiavecsescartesfortes.Dupeuqu’ellearetenu,ellesaitquecesontlesdeuxetlesas.Maisaulieudelesprotéger,ellerapprochesachaisedecelledeMatthewetluilaissevoirtoutsonjeu,luipermettantdechoisirquandilpiochededans.
Elleentendlesbruitsdelafêtedanslesautrespièces:desgarçonsquijouentàdesjeuxvidéo,desfillesquisedisputentsurlechoixdelamusique,labaievitréedelaterrassequis’ouvreetse
referme.Maiselleestbienlàoùelleest.Uneheureplus tard,elleaperdu toutes lesparties.Elleestcellequi seretrouveavec leplus
grandnombredecartes.Çaneladérangepas.LadernièrefoisqueMatthewagagné,illuiadonnéundeux,lacartelaplusforte.Etl’atmosphèreestplutôtdétendue.
Ted,unautregarçondeterminalequijoueaveceux,avisiblementtropbu.Ilarenversésabièredeuxfoiset,pendantladernièrepartie,s’estpenchétroploinenarrière.Sachaiseabasculéetils’estcognélatêtecontrelahucheàpainenbois.Iln’apasl’airdes’êtrefaitmal.Ilajusteunfourire.
–Bon,çadevientlassant,déclaregentimentMatthewaprèsunenouvellevictoire.Il tendà Jennifer ledeuxqui lui resteet luidonnedes conseils jusqu’à la finde lapartie. Ils
formentuneéquipe,maintenant.Elleluimontresescartesetilluiindiquelesquellesjouer.Elleresteauxaguets,espérantqueMargovaentreret lesvoir.Autourd’elle, lesautrescontinuentàgagner,maiselleréussitàterminerdeuxième.
–Jen’aipasperdu!–Félicitations!Matthewselève.–Maintenant,tevoilàVice-Trouduc!Jenniferleregardepartird’unairmorne.–Onestàcourtdebières!signaleJustin.Illaregardeavantd’ajouter:–C’estleboulotduVice-Trouducd’allerenchercher.Ilyaunfrigoausous-sol.Etilluidésigneuneporteaufonddelacuisine.–Jesais,merci,marmonne-t-elle.Elle se faufilederrière leschaisesdesautres joueursetvaà lacuisine.Aupassage,par labaie
vitrée, elle voitMatthewqui s’assoit d’un bond sur le coin de la table de la terrasse. Il parle àMargo,ilsourit.
ChaquepasdeJenniferfaitunbruitmatdansl’escalierdusous-solsombreetfrais.Enbas,ilyalelave-linge,lesoutilsdeMrGableetunvieuxfrigojaunequelesparentsdeMargoontremiséquandilsontfaitrefairelacuisine.JenniferetMargojouaientàlamaîtresseiciquandellesétaientpetites.Maislestableauxdeleçonsetlesfauxcontrôlesnesontplussurlesmurs.
Jenniferouvre le frigoen sedemandant comment remonterunmaximumdecanettes enunefois.Laporteduhauts’ouvreetsereferme.
–Salut,luilanceTedd’unevoixvaseuse.Ildescendlentementd’unpasmalassuré,ens’agrippantàlarampe.–Salut.Tedarrivederrièreelleetcroiselesbrassurlehautdelaportedufrigo.–Tuprendsdesbières?–C’estmonboulot!répond-elle.Elleregretteaussitôtsontonenjoué.Lesgensnesontpascensésseréjouird’avoirunboulotde
Vice-Trouduc.–Attends,ditTedcommes’ilallaitluiproposerdel’aide.Maisaulieudes’emparerdescanettes,ill’entraîneverslamachineàlaver.Laportedufrigose
referme,leslaissantdanslenoir.Tedfermesesyeuxvitreux,sepencheenavant,etaprèsunpetitcafouillage,saboucheatterrit
surcelledeJennifer.Elleestchaudeethumide,avecunlégergoûtacide.Ilglisselesbrasautourde
satailleetl’attireàlui.Jenniferfermelesyeuxàsontour.C’estsonpremierbaiser.EllesaitqueTedestsoûl,maisça
nefaitrien.L’andernier,ilajetéunhot-dogsurelle.Maintenant,ill’embrasse.EtsiTedestprêtàl’embrasser,çapourraitamenerd’autresgarçonsàs’intéresseràelle.Toutàcoup,lebaiserdeJennifersefaitplusinspiré.Ellepenseàcequ’elleavuàlatélé,àla
façon dont les femmes passent les doigts dans les cheveux des hommes, et elle fait pareil.Tedl’embrasseavecfougue,apparemmentprisdanslefeudel’action.Ellesentl’airchaudquisortdesesnarinesetsesmusclesquisetendent.
Laportedusous-sols’ouvreetserefermedenouveau.Puisserouvre.Àchaquefois,unraidelumièreseposesurTedetJennifer.
Ellesaitqu’onlesavus.ElleglissesesbrasautourdesépaulesdeTedetécartelesjambesautantque le lui permet sa jupe crayon, le laissant glisser sa jambe à lui entre les siennes. Ils sontemboîtés.
Ungarçonrit.OndiraitJustin.Illanced’unevoixforteàceuxd’enhaut:–Wouah!Teddoitvraimentêtrebeurré.IlrouleunpatinàJenniferBriggis!TeddétacheseslèvresdecellesdeJennifer.–Tagueule,crétin!lance-t-il.Maisiln’apasl’airencolère.Plutôtdetrouverçadrôle.Laporteserefermeetilssontànouveauplongésdanslenoir.–Faispasattention,dit-ilenrepoussantunemèchedecheveuxdeJennifer.J’aipasbutantque
ça.Sérieux.Elle le regarde, cherchant dans ses yeux vitreux et embués une étincelle de sincérité. Puis,
renonçantàlatrouver,ellerefermelesyeuxetrecommenceàl’embrasser.
CHAPITRE37
Margoetsesamiesnefumentquequandellesboivent.Ellesnes’achètentjamaisdepaquetetsecontententdetaper lesvrais fumeurs.Margosaitpourtantqu’elledoitseméfier.Honnêtement,elleestàdeuxdoigtsdeladépendance.
Maisaprèsl’incidentavecJennifer,ellemeurtd’envied’unecigarette.Ellesortsurlaterrasseetenfumequatred’affiléedanssoncoin.Enfin…elleleslaissesurtoutseconsumer,netirantquedesboufféesoccasionnelles.
Elleesttropfurieuse,tropoppresséepourinhaler.Elle se repasse la scène enboucle, se revoitmonter les escaliers, trouver Jennifer en train de
fouillerdanssesaffaires.Laparanoïalagagne.Sesmainssemettentàtrembleretlafuméedesacigarettes’élèveverslecieldansuntourbillonhaché.DepuiscombiendetempsJenniferétait-elledanssachambre?Qu’espérait-elleytrouver?
Lavéritélafrappebrutalement.LapinceàgaufrerdeMountWashington.En la trouvant, Jennifer aurait tenu son ultime vengeance. Elle serait redescendue en la
brandissantau-dessusdesatêtepourquetoutlemondelavoie.Etelleauraitétéassuréed’êtreéluereinedubal.Enprime,Margoauraitpassésonannéedeterminalesansunami,tenuàl’écart,commeJenniferpendantsonannéedetroisième.Lecyclecompletdukarma.
A-t-ellevraimentméritéça?Detouteévidence,Jenniferlaconsidèrecommequelqu’und’horrible.MaisMargonepeutpas
croirequ’elleapu sincèrement la soupçonnerd’avoir rédigé la liste.C’estpeut-êtreunepenséeidiote,aprèstoutcequ’elleafaitàJennifer,maiscelle-cidevraitlaconnaîtremieuxqueça.
Margoseretourneenentendantlaporteenverres’ouvrir.C’estMatthew.Ils’arrête,unpieddedans,unpieddehors.–Salut.Jevenaisprendreunpeul’air.Mais…t’asl’aird’avoirenviederesterseule.–Non,pasdeproblème,répond-elleensetournantdenouveauverslejardin.Elles’apprêteàéteindresacigarette,parcequ’ellesaitqu’iln’aimepasça,maisaupointoùelle
enest,àquoibon…Detoutefaçon,toutlemondesembledéjàlaprendrepourunesalope.MargoestquandmêmesoulagéedevoirMatthew.Çaluidonneral’occasiondenepluspenserà
Jennifer.Orc’estjustementd’ellequ’illuiparle.– JenniferBriggisme déprime àmort, déclare-t-il en s’asseyant d’un bond sur la table de la
terrasse.Jen’aijamaisvuquelqu’unsedémenerautantpoursefaireapprécier.«Moiaussi,jesuiscommeça»,songeMargoenfixantl’obscurité.
–Plusdelamoitiédeceuxquisontlàpensentquec’estmoi,l’auteurdelaliste.Ilscroientquec’estmoiquiaimisJenniferdessus.
–Ouais,faitMatthewenbalançantlesjambes.Jesais.Cetteconfirmationluidonnelevertigeetelledoits’agripperàlarambarde.–Elleaussi,c’estcequ’ellecroit.Jenepeuxpasluireprocher.LesyeuxdeMargos’embuent.–Elleatouteslesraisonsdemedétester,poursuit-elle.ElleseretournepourfairefaceàMatthew.–J’aiétéhorribleavecelle.C’est lapremière foisqu’elle ledit, sanssechercherd’excusenirejeter la fautesurquelqu’un
d’autre.Ellesemetàpleurer.Matthewdescenddelatablepours’approcherd’elle.–Çava?Elles’essuielesjouessurlamanchedesongilet.–Tudoismetrouvercomplètementidiotedepleurerpourcegenredetruc.Elleestsoulagéedelevoirsecouerlatête.–Non,répond-il.Enfait,çam’aépatéquetuaieslecrandedireàDanaetRachelcequetu
pensaisdetoutecettehistoiredevotepourJennifer.Illuifrottel’épaule.–Etpourinfo,jetrouveaussiquec’estunetrèsmauvaiseidée.–Ellescroientbienfaire,ditMargo.Maispourrait-elleendireautantd’elle-même?Elleenestmoinssûre.–Oui,sansdoute.Maisc’estassezdinguequeJenniferlessuivelà-dessus,ajouteMatthew.– C’est parfaitement normal. Elle a envie de se sentir belle, comme toutes les filles que je
connais.C’estbienpourçaqu’onfaittoutunplatdelalisteetdubaldelarentrée.Margoal’airdeprendreladéfensedeJennifer,alorsqu’enréalité,elleparlepourelle.Ellese
justified’attacherdel’importanceàlaliste,deteniràêtreéluereinedubal.–Jenecroispasquecesoitça,objecteMatthew.Vous,lesfilles,vousvoulezquetoutlemonde
voustrouvebelles.–Possible,concède-t-elle.Ellesaitqu’ilaraison;maisçaparaîtsipitoyable!–Jenecroispasquetuaiesrédigélaliste,Margo.Siçapeutteconsoler.–J’avouequejepréfèreça,ditMargo.Ellelaisseéchapperencoredeuxlarmesetrougit.–Jeferaismieuxderentrer.Puiselleécrasesacigaretteetleregarde.–Çasevoitquej’aipleuré?Iltendlamainpouressuyerladernièrelarmesursajoue.–Non.–Mercipourcequetum’asdit,etpourm’avoirécoutée.Etellesedirigeverslaportelecœurbattant.–Jedanseraiavectoidemainsoir,mêmesitunegagnespas,lance-t-ildanssondos.Unedanseaveclegarçonqu’elleatoujoursaimé.C’estmerveilleuxdepouvoirattendrequelque
chosequin’aitrienàvoiraveclalisteniavecl’électiondelareinedelarentrée,quelquechosequinesoitnitristesseniculpabilité.
Quinesoitquedupositif.
Lafêtecommenceàsetasserauxalentoursdeminuit.ChaquefoisqueMargoasortidessacs-poubelles,elleaessayéderepérerJennifer.Pasvraimentpours’excuser.Parcequedanslefond,Jennifern’avaitrienàfairedanssachambre.Maiselleauraitpeut-êtrepuluisourire,manifesterunsignedebonnevolonté,pourpacifierunpeuleurrelation.Maisellenel’apasvuedepuisdesheures.
Dana et Rachel l’aident à nettoyer. Les trois amies sont dans la cuisine, occupée à vider lescanettesdebièrepourlesjeterdansdessacsderecyclage,quandellesentendentgrincerlaportedusous-sol.JenniferetTedémergentdel’obscurité.
LesbouclesdescheveuxdeJennifersonttoutesaplatiesetformentunpaquetdenœudsderrièresatête.Ted,toutrouge,clignedesyeuxàlalumière.
–Merde,soupire-t-il.Etils’éloigned’unpaschancelant.Dana,RacheletMargoévitentdeseregarder.–Quelleheureest-il?demandeJenniferavantd’émettreundrôledebruitdegorge.–Heu,ilestplusdeminuit,répondDana.Vousêtesrestéscombiendetempsenbas?–Jedoisyaller.Jenniferessaiede faireunpas,maisellen’apas l’airdesavoirparquelpiedcommencer.Elle
vacillesurlestalonsdesesbottinessansavancerd’uncentimètre.Margoestgagnéeparunesensationnauséeuse,commesielleavaitbutropdePunchyPunch.–Tunepeuxpasconduire,déclareDana.OùestpasséTed?Rachelregardeparlafenêtre.–Jecroisqu’ilvientdepartir.–Quel crétin, commenteDana en se dépêchant de s’essuyer lesmains sur un torchon. Je te
ramènechez toi, Jennifer.Tun’asqu’à laisser tavoiture icietvenir la rechercherdemain.T’esprête,Rachel?
–Prête.Àdemain,Margo.Mercipourtout.JenniferpasseentitubantdevantMargosanscroisersonregard.–Ouais.Merci.Pourtout.
SAMEDI
CHAPITRE38
Onnepeutpasdormiraveclecœurbrisé.ChaquefoisqueDanielleseretournedanssonlit,ondiraitquedeséchardesluidéchirentles
flancs,luiinfligeantunenouvelleblessure.Àsixheuresetdemiedumatin,ellerenonceetenlèvesonpyjamapourenfilersonmaillotde
bainetlesurvêtementauxcouleursdesonéquipe.MrsDeMarcolaconduitaulycéeaprèsavoirjetésonmanteausursonpeignoirbleuenpolaire.Leparkingestdésert.–Tut’espeut-êtretrompéed’heure?–Possible,mentDanielleendétachantsaceinture.Maisnet’enfaispas,ilsvontbientôtarriver.
Retournetecoucher.Elleattendàl’entréeduparkingensefrottantlesmainspourseréchauffer.Dèsqu’ellevoitapparaître la jeepdel’entraîneur,Daniellecourtderrièresur leparking.Elle
collelevisageàlavitrecôtéconducteuralorsquelemoteurtourneencore.–Bonjour,Tracy.Sonhaleine dépose de la buée sur la vitre.Elle l’essuie avec lamanchede son sweat-shirt et
ouvrelaportièrecommeungroom.Sil’entraîneurestétonnéedelavoir,ellen’enlaisserienparaître.–Qu’est-cequetufaislà?secontente-t-elledeluidemander.–Mon épaule allait beaucoupmieux quand je me suis réveillée ce matin. Tout à fait bien,
même.Elle se tourne parallèlement à la jeep, penche le buste à l’horizontale et se lance dans une
simulationénergiquedenagepapillon.–Alorsjevoulaisvousdirequej’étaisprêteànagerlerelais,sivousavezbesoindemoi.– C’est ce qu’on appelle un prompt rétablissement, ironise Tracy.Mais quelqu’un a pris ta
place,jet’avaisprévenue.–Oui.Danielleseredresseetprenduneinspirationavantdedéclarer:–J’aivouluvenirquandmêmepourvousmontrerquejesuisconscientedelachancequevous
m’avez donnée. Et pour vous promettre que je ne manquerai plus un seul entraînement cettesaison.
Ellehésite.–…Etaussipourm’excuserpourhier.
Danielle espéraitqu’en reconnaissant cequ’elles semblaient savoir toutes lesdeux, elle auraitdroit à une seconde chance.Mais alors qu’elle s’attendait à ce que le visage de l’entraîneur seradoucisse,ellelevoitaucontrairesedurcir.
–Jefaistoutcequejepeuxpournepasprendrecequetuasfaitcommeuneinsultepersonnelle,Danielle.Maisautantquetulesaches, jetrouvelefaitdesimuleruneblessureparticulièrementoffensant.
LesyeuxdeTracyseplissentetlancentdeséclairs.–Àcausedecequemoi,j’aieuauxépaules,jenepourraiplusjamaisnagercommeavant.J’ai
ratémachanced’allerauxjeuxOlympiques.Pire,j’aiperdutouteunepartiedemonidentité,cellequifaisaitquej’étaisquelqu’un.Tuimaginescequejepeuxressentir?
Daniellebaisselenez.Elleaenviedetoutavouer,laliste,lafaçondontons’estmoquéd’elletoutelasemaine,saruptureavecAndrew.Elleessaiedeparler,maissavoixrestecoincéedanssagorge.Detoutefaçon,Tracyn’apasfini,etcontinuesanslalaisserintervenir:
–Tun’étais visiblement pas prête à assumer la responsabilité et l’honneur de faire partie del’équipedenatationdu lycée.Maismaintenantquetues là, tun’asqu’àprendre lesserviettesàl’arrièreetleschargerdanslecar.Aveclesbouteillesd’eau.Situveuxterendreutile,faisensortequ’ellesrestentpleinesjusqu’àlafindelarencontre.
Daniellenesaitpastropsielledoitseréjouiroudéprimer.Maisellefaitcequ’onluidemandeavantdemonterdanslecarquidoitemmenerl’équipesurle lieudelacompétition.Lesautresmontentàleurtour.Laplupartontrabattulacapuchedeleursweat-shirtsurleursyeuxetfourréleursécouteursdansleursoreilles.
Personneneprenddenouvellesdesablessureàl’épaule.EtDanielles’abstientdelesinformerqu’elleaétédéchuedelapositiondemembredel’équipeàcellederesponsabledumatériel.
Quand ellemonte dans le car,Hope a l’air agréablement surprise de voirDanielle.Celle-ciessaiedenepaséprouverdejalousieàl’idéequesameilleureamieaitprissaplace.Aprèstout,elleestlaseulefautive.
–Çanetedérangepassijem’assoisàcôtédetoi?luidemandeHope.Danielle se pousse.Mais elle a dumal à la regarder en face. Elle n’a pas totalement digéré
l’humiliationdes’êtrecomportéecommeunelavetteavecAndrew.–Commenttutesens,Danielle?–Moyen.–Tracyt’aditquetupouvaisnager?s’enquiertHopeàvoixbasse.–Non.–Jesuisdésolée.Daniellerabatsacapuchecommelesautres.–Ouais,moiaussi.
Lesuspenseseprolongetoutaulongdelacompétition.L’issueresteincertaine,chaqueécole
prenant l’avantagedansunrelaispour leperdredans l’épreuve suivante.Assisedans lesgradins,Daniellepassel’eauetlesserviettesauxmembresdel’équipeetrappellerégulièrementàHopedefairedessautsetdesécartspours’échauffer,commeelleavuAndrewlefairesurlebancdetouche.
Dèsquelapenséed’Andrews’insinuedanssonesprit,ellefaittoutpourlarejeter.Çal’attristedesedirequ’ellevadevoirintégrercenouveauréflexe.MalgrélesoupçonderegretmanifestéparAndrew, elle ne pourra jamais lui pardonner ce qu’il a fait, la façon dont il l’a humiliée, plus
gravementquenepouvaitlefaireunelisteouunsurnomidiot.Aussifortesoit-elle,ellenesaitpassiellearriveraàoublierAndrew.
Quandarrivele4x100mètresnagelibre,MountWashingtonaprisunelégèreavancegrâceàl’épreuvedenagelibreindividuellemasculine,oùlesgarçonsontarrachélespremière,deuxièmeetquatrièmeplaces.En sebattantdans ladernière épreuve, les fillesont encoreune chancedetransformerleuravantageenvictoire.L’entraîneurvientleurparler.
–Hope,jetesorsdecettecoursepourtemettredansle200mètresnagelibredelaprochainecompétition.
Puis,setournantversDanielle:–Vas-y.Tu prends la dernière position, celle de la plus rapide.Neme le fais pas regretter,
ajoute-t-elleavantdefourrersonsiffletdanssabouche.Unedécharged’adrénalinetraverseDanielle.Elleaenviedepleurer,deremercierTracy,mais
ilseratoujourstempsplustard.Unefoisqu’elleaurafaitsespreuves.Danielle se hâte d’enlever son survêtement. Elle n’a jamais été aussi tendue avant de nager ;
chacun de sesmuscles tressaille.Hope la serre contre elle pour lui souhaiter bonne chance etrentreunemèchedesescheveuxsoussonbonnet.
Danielle suit les autres filles jusqu’à leur couloir. Elle va nager avec deux seniors, Andrea etJane–celleavecquielleafaitéquipeensalledemusculation–etunejunior,Charice.Ellesaitquecesontlestroismeilleuresnageusesdel’école,etellenepeutpass’empêcherdesedemandersielleestauniveau.
Danielle, Andrea et Charice entourent Jane, qui leur dit à chacune quelques motsd’encouragement.Daniellen’écoutepas;elleregardelesautresfillesdansleursmaillots.Ellesontles mêmesmuscles, la même carrure qu’elle. Et elle a tout à coup le sentiment de se trouverparfaitementàsaplace.
Après ledépartde latroisième,Daniellemetses lunettesdeplongée,grimpesur leplotetseplaceenposition.Leuréquipeauneoudeuxsecondesderetardsurl’autrelycée.
Danielleplonge.Àpeineest-elleremontéeàlasurfacedel’eauquesatêtesevide.Àcoupsdebattementsdebrasetdejambes,elleexpulsetoutesapeine.Ennageant,elleoublietoutlereste.
DanielleetHopemontentdanslecarets’assoientcôteàcôteàl’avant.L’atmosphèren’aplusrienà voir avec celledumatin.Toute l’équipeestd’humeur festive, frappedupiedet tapedesmains.Tousentonnentà tue-tête lechantdecombatdeMountWashingtonpendantquedeuxgarçonsdansentdansl’alléecentrale.
L’équipederelaisdeDanielleestarrivéeentêteetelleabattulerecordindividueldevitessedel’école.Ellesaitquesonexploitaalluméaufondd’elleunepetiteétincelledejoie,maiselleesttropépuiséepour l’atteindre.Elle adonné tout cequ’elle avait.Elle se sent vidée, sans aucuneforcepourfêterlavictoire.Ellenerêvequed’allersecoucheretdedormirtoutleweek-end.
Jane,assisederrièreelle,sepenchepar-dessussondossier.–Danielle!Notrechampionne!Elledésignelefondducard’uncoupdepoucepar-dessussonépaule.–VousconnaissezWillHardy,lesfilles?Ilhabitedanslamaisonenbriquesrougesderrièrele
parking du lycée.Toute l’équipe va chez lui pour une petite fête avant le bal, on prendra desphotos,etensuite,oniratousensembleaugymnase.Vousdevriezvenir,touteslesdeux.
–Génial,merci!s’exclameHopeavecungrandsourire,avantdelanceruncoupd’œilcompliceàDanielle.Onysera!
Daniellerentrelesmainsdanslesmanchesdesonsweat-shirt.–Enfait,jecroisquejenevaispassortircesoir.Maismercidem’avoirinvitée.Janerestebouchebée.–Quoi?Pourquoitunevaspasaubal?–Jesuisvannée.Jen’aipasdûdormirplusdecinqminuteslanuitdernière.Janefaitlamoue.–Sicen’estqueça,tun’asqu’àfairelasieste!Lebal,c’estdanshuitheures.–Ouais.Jenemesenspastropd’attaque.DanielleserendbiencomptequeJanenecomprendpasetqu’elles’attendàuneexplicationun
peuplusconvaincante.Maisellen’estpasprêteàracontercequiluiarrive.C’estencorebientropàvif.
Hopesoupire.–Ellearompuavecsonmec,signale-t-elleàJane.Ils’estcomportécommeuncrétinavecelleà
causedelaliste.Hier,ill’ainvitéeàallermangerunepizzaetsurplace,ilalaissétoussespoteslamettreenboîtesansbroncher.
–Hope!protesteDanielle.–C’estqui,ceconnard?–AndrewReynolds,ditDanielle.Janehausselesépaulesensigned’ignorance.–Ilestenseconde.–Benils’enesttiréàboncompte,tonAndrew,parcequ’ilmériteraituncoupdepieddansle
cul,oui.Janeseretournevivementverslefonddubus.–Andrea!Charice!Venezm’aideràconvaincreDaniellequ’elledoitveniraubal!Aussitôt,lesdeuxfillesviennents’asseoirsurlessiègesvidesdel’autrecôtédel’allée.–Quoi?Pourquoiellenevientpasaubal?s’étonneCharice.–Àcausedesonex.AndrewReynolds,expliqueJane.–C’estqui?demandeAndrea.–IlestàMountWashington?enchaîneCharice.–Oui,répondDanielle,étonnéequ’ellesneleconnaissentpas.Mais,bon,c’estlogique.Andrewn’estqu’enseconde.–Ilestdansl’équipedefootballaméricain,précise-t-elle.–Maisilnejouepas,ajouteHope.Ilestassezpetit.Etilalesyeuxsuperrapprochés.Commesi
onluiécrasaitlesjoues.Levisaged’Andreas’illumine.–Ah,lepetitmaigrichoncouvertdeboutons?Daniellesecouelatête.–Fautpasexagérer.C’estàcauseducasque.Cela dit, elle se rappelle soudain qu’il a aussi de l’acné dans le dos. Elle n’y a jamais prêté
attention, après le jour où elle l’a remarqué la première fois qu’ils sont allés nager dans le lacClover.Çanel’avaitpasgênée.Ellel’appréciaitpourcequ’ilétait.
Etsielleesttouchéeparcequelesfillesessaientdefaire,elleauneraisonsérieusedenepasvouloiralleraubal.Prenantuneinspiration,elleavoue:
–Jenesaispassijepourraissupporterdelevoirdanseravecuneautrefille.
Ilsontdanséensembleilyasixsemaines, lederniersoirdelacolo.Laterrassequis’étendaitderrière la salle commune avait été décorée avec des guirlandes d’ampoules blanches. Ça nerivalisaitpasaveclesétoilesdansleciel,maisçamettaitquandmêmeunpeud’ambiance.
LedirecteurafaitleDJ,avecdesenceintesdelocationetlastéréodesonbureau.Ilapassédesclassiquesdu rock,deschansonspopetdesairs idiotsdeclubsdevacances.Seules les fillesontdansé, en couple ou par petits groupes. De temps en temps, un garçon faisait la poule ou unmouvementdehip-hoppourrigoler,maislesautressecontentaientderegarder.
Andrewn’étaitpasungranddanseuret,àvraidire,Daniellenonplus.Detoutefaçon,c’étaitlasoiréedesenfants,pascelledesmoniteurs,etilssontrestéstouslesdeuxderrièrelebuffet,àservirdesverresdesoda,àempêcherlesgaminsdesebalancerdelanourritureetàcalmerlesfillesquitournoyaientcommedestoupies.
Lesautresmoniteurs,lesanciens,restaientappuyésàlarambarde,àdéprimerparcequecettefêtesonnaitleglasdumeilleurmomentdesvacances.
Jusqu’à cette dernière soirée,Danielle ne savait pas trop ce qu’allait devenir sa relation avecAndrew. Depuis qu’ils sortaient ensemble, ses sentiments pour lui avaient évolué rapidement.Enfin,peut-êtrepastantqueça,comptetenudutempsqu’ilsavaientpasséensemble:unebonnepartdesactivitéscollectivesettroisrepasparjour.Ilsavaientregardétouteslesvidéosdelacolojusqu’àlalettreW,etAndrewavaitprisenphotocellesquirestaientendisantqu’ilspourraientleslouer et les visionner ensemble àMountWashington. C’était plutôt bon signe.MaisDaniellesavaitqueleschosesneseraientpluspareilles.Chacunseraitprisparsontravailscolaire,sesamis,sesactivitéssportives.
Ellesedisaitque,dansunsensoudansl’autre,çaluiconviendrait.Elleselerépétaitbeaucouplesderniersjours,dansl’espoirdefinirparseconvaincre.
Etpuis,sanscriergare,Andrews’estpenchéversellepourmurmurer:–Jesuiscontentqu’onn’aitpasàsequittercesoir.–Moiaussi,a-t-ellemurmuréenretour.Et la soirée a pris soudain une autre tournure.C’était la dernière pour les gamins, pour les
anciens,pourtoutlemondesaufpoureuxdeux.Lelendemainmatin,ilsn’auraientpasàmonterdansdeuxcarsquilesconduiraientdansdesdirectionsopposées.Ilsrentreraientaumêmeendroit.
Cen’étaitpasunefin,maisledébutd’autrechose.Ledirecteuraannoncéladernièredanseaumicro.AvantqueDanielleaitpuréagir,Andrewa
prissamainetl’aentraînéesurlapiste.Quelquesgaminslesontmontrésdudoigtengloussant.Maisçan’apasempêchéAndrewdeposersesmainssurlatailledeDanielleenglissantlesdoigtsdanslespassantsdesonshort.Elleamissesmainssursesépaules.
–Tuesmagnifique,a-t-ilmurmuré.
Rétrospectivement, ces paroles ont perdu leur sens aux yeux deDanielle,maintenant que laréalitéestvenueassombrirtouteslespromessesd’alors.
L’a-t-ilvraimenttrouvéebelle,cesoir-là?Elles’estsentiebelle,entoutcas,malgrésespiqûresdemoustiques,levernisvioletécaillésur
sesonglesdepiedetleshorriblesmarquesdebronzagedesongiletdesauvetage.Elles’estsentiebelletoutl’été.Maisçaparaîtsiloin.Verslafindelachanson,Andrewluiaécrasélespieds.Çaluiafaitunpeumal,maistoujours
moinsquedelevoirmarchersurlesorteilsd’uneautre.Janeclaquedesdoigts.
–Hé ho, Danielle ! C’est lui qui va être jaloux, quand il te verra danser avec des mecs determinale!
Daniellerit.–Jeneconnaispasdemecsdeterminale.–Ohmaissi!JaneseretournepourappelerWill.–Will,tudansesavecDaniellecesoir?–Pasdeproblème!répondWillavecungrandsourire,révélantdesdentsd’unerégularitéet
d’uneblancheurparfaites.Jeconnaisdesmouvements.Pleindemouvements.Ilremontel’alléeetretournes’asseoirtoutendansantlehip-hop.–J’aivuqu’iltematait,pendantlerelais,chuchoteAndrea.–Ouais,c’estça.CharicesepenchepourpincerlajouedeDanielle.–T’essupersexy!Pourquoituteprendslatête?–C’estdécidé,faitJaneencroisantlesbras.Onpassevouschercheràseptheurescesoir.–Jen’airienàmemettre!protesteDanielleenriant.–Maissi,luirappelleHopeenluidonnantuncoupdecoude.Laroberosequetut’esachetée.Danielle l’a essayéehier, dans le cadrede sa séanced’auto-apitoiement après sa rupture avec
Andrew.Onnepeutpasdirequecetterobeluiaille.Cen’estpasdutoutelle.–Pasquestionquejemettecetruc,dit-elle.JanedésigneAndrea.–Elleadesrobesjusqu’auplafond.Andrearejettesescheveuxenarrièreavantdeconfirmer:–Exact.Jesuisofficiellementunedinguedesfringues.–Merci,ditDanielle,quicommenceàseprendreaujeu.Ellearemarquéqu’eneffet,Andreaaundonpours’habiller.–Alors?–Alors,c’estOK,répondDanielleensouriant.
CHAPITRE39
Margomangeunbol de céréales en vitesse, debout près de l’évier.Plus quequelquesheuresavantlematch.Elleamissonuniformedepom-pomgirlets’estattachélescheveuxavecunrubanblanc.Lacuisineestaussiimpeccablequesilafemmedeménagevenaitdepasser.Lesseulestracesde la fêted’hier sont l’odeurdebièreéventéequi remontede l’évier, les trois sacsde recyclagepleinsà rasbord sur la terrasse,qui s’affalentprogressivementcontre labaievitrée, et la légèrebrumedefuméedecigarettequiflottedansl’air.
RacheletDanadevraientarriverd’uneminuteàl’autre.Margovaàlafenêtrededevantetécartelesrideaux.LavoituredeJenniferesttoujoursgarée
dansl’allée.Margopriepournepasêtrelàquandelleviendralarécupérer.Letéléphonesonne.Margoseditquec’estpeut-êtreunedesfillesquiappellepourdirequ’elle
seraenretard.Maisc’estMaureen.–Salut,ditsasœuraprèsunepauseunpeugênée,dueaufaitqu’ellen’apascherchéàluiparler
depuisunmois.Mamanestlà?Ellenedécrochepassontéléphone.–Elleestpartiefairedescoursesavecpapa.Aprèsça,ilsvontaumatchdelarentrée.–Ah,c’estvrai,ditplatementMaureen.Commentçasepasse?Margo hésite, mais par certains côtés, Maureen est mieux placée que n’importe qui pour
comprendreleproblème.–Honnêtement,pasgénial.IlyatoutunmouvementpourfaireélireJenniferreinedubal.Maureenlâcheunsoupirexaspéré.–Tunetrouvespasçamoche,Margo?Voustrouvezqu’ellen’apasassezmorflé?Margon’appréciepasdutoutletondesasœur,comptetenudelamanièredontelleparlaitde
Jenniferiln’yapassilongtemps.–Jen’airienàvoirlà-dedans,rectifie-t-elle.Jefaismêmepartiedesrarespersonnesdanscecas,
mêmesitoutlemondeaulycéepensequec’estmoiquiairédigélalistecetteannée.–Attends,quelleliste?–Çanefaitpasquatremoisquetuasquittélelycéeettuasdéjàoubliélaliste?Margoconsultesamontre.Lespom-pomgirlsontrendez-vousaulycéedanscinqminutespour
monterdanslecaraveclesjoueursetprendrelatêteducortègedesBraves.–Jen’aipasoublié,répliquesèchementMaureen.Maisenprincipe,ilnedevaitplusyenavoir
cetteannée.LamaindeMargosecrispesurlecombiné.–Commenttulesais?
Maureentardeàrépondre.Etpendantcelongsilence,unmauvaispressentimentobligeMargoàs’asseoirlentementsurl’accoudoirducanapé.Enfin,Maureeninspireàfondetannonce:
–C’estmoiquiaifaitlalistel’andernier.Uncoupdeklaxonretentitdehors.C’estDanaetRachel,quiviennentlachercher.–Commentça,tuasfaitlalistel’andernier?ditMargo,priseparletemps.Maistuétaissurla
liste.–Oui…Margoentendsasœurpasserlerécepteurd’uneoreilleàl’autre.–…jemesuisinscritedessus.–Mais…Nouveaucoupdeklaxon.Margojureentresesdents.–Tupeuxattendreuneseconde?Neraccrochepas!Elleposeletéléphonesurlecanapéetouvrelaporteàlavolée.–Jevousretrouveaulycée!crie-t-elleauxfilles.–Quoi?Pourquoi?brailleDanaàsontour.–TuvasraterlecortègedesBraves!ajouteRachel.–Alorsonseretrouveaustade!répondMargo.DanaetRachelnevoientpasdutoutquelleraisonellepeutbienavoirdemanquerlecortège
desBraves,maisellen’apasletempsdeleurexpliquer.–Jevousraconteraiplustard!leurlance-t-elle.Aprèsunsignedelamain,elleclaquelaporteetretourneencourantprendreletéléphone.–Maureen,tuestoujourslà?–Ouais,répondsasœurd’untonlas.Margovaregarderparlafenêtre.DanaetRachelsontparties.–Alors,dit-elleens’asseyantentailleuraumilieudutapisoriental.Qu’est-cequis’estpassé?Ellen’ajoutepasunmot.Ellenerespiremêmeplus.–C’étaitenfindepremière,commenceMaureen.Envidantmoncasier,jesuistombéesurun
sacenplastiquequipesait super lourd.Dedans, ilyavaitun trucemballédansdupapierkraft.C’était la pince à gaufrer deMountWashington. Il n’y avait pas demot. Aucune instruction,aucunindicesurquiavaitpulamettrelà.J’aifouillélacorbeilledanslaquellejevenaisdejetertousmesvieuxpapiers,aucasoùj’auraisjetélalettreavec.Jenesaispasdutoutdepuiscombiendetempsc’étaitlà.Maiscequiétaitclair,c’estqueçam’ouvraitdespossibilités.J’aipassél’étéàmedemanderqui j’allaismettresur la liste.Cegenredetruc,ça tedonneunvrai sentimentdepouvoir. Je ne pouvais pasm’empêcher d’évaluer toutes les filles que je voyais.Mes amies, tesamies,lespetitestroisièmeslejourdel’orientation.C’étaitcommeunénormeconcoursdebeautésecret, avec un seul juge :moi. À vrai dire, je réfléchissais uniquement aux jolies. Lesmoches,c’était juste… je n’y ai pensé qu’après. À part Jennifer. Elle, j’avais décidé pratiquement dès ledébutqu’elleseraitsurlaliste.
–Pourquoi?–Parcequec’estcequetoutlemondeattendait.Margoméditecetteremarquetandisquesasœurpoursuit:–J’aipenséàtoipourlaplusjoliepremière,Margo.Maisj’aichoisiRachelpournepaséveiller
lessoupçons.Tuimagines,toietmoi,nomméestouteslesdeuxlamêmeannée!–Tuauraispumeprendre,moi,plutôtquetoi,signaleMargo.–Hmm.Oui,c’estvrai.Maisj’aitrouvéquejel’avaismérité.
C’estdrôle,Margoaeulemêmesentiment.Ellen’ajamaisremisencauselanominationdesasœur,nisonélectioncommereinedubaldelarentrée.Maislefaitdesavoirquec’estMaureenelle-mêmequiestderrièretoutçamodifieunpeulaperspective.
–L’intérêtd’êtrelaplusjolieterminale,çaadûdureruneheure,continuesasœur.Mesamiesétaient jalouses. Elles se comportaient bizarrement avec moi. Elles pensaient qu’elles auraientméritéletitreplusquemoi.Etellesavaientpeut-êtreraison,maisj’aicommencéàmedemandersi c’étaientdevraies amies.Et jem’envoulais chaque foisque jevoyais Jenniferqui essayaitdeprendreçacooldanslescouloirs.Tuconnaisl’histoired’AllanPoe,celleducœurquibatsousleparquet?Mavie,c’étaitça.C’estcequim’adonnél’idée.Celledetoutavouer.
Aprèslesexamens,jesuisalléevoirJennifer.Jeluiaiditcequej’avaisfaitetjeluiaipromisdem’arrangerpourqu’ellenesoitpasdessusl’annéed’après.Qu’ellenesubiraitpasçaquatreansdesuite.Qu’iln’yauraitplusdeliste.
J’aitenuàjeterlapinceàgaufreràlapoubelledevantelle.Jemesuisexcusée,etj’aiditquejecomprendraisqu’ellemedénonce.
–Wouah.C’est…wouah.Aufait,sinon,àquituauraisdonnélapince?–Bah,sansdouteàtoi.Puis,aprèsunepause:–Maisjenet’auraisjamaisditqu’ellevenaitdemoi.LespenséestourbillonnentdanslatêtedeMargo.Quiaurait-ellemissurlalistesielleenavait
eulapossibilité?Malgrétoutesonenvied’êtrelareinedubal,aurait-elleétécapabledes’inscriredessuselle-même?
Question intéressante, certes, mais sans importance. Ce qui compte, c’est que Margo estinnocente.Etqu’elleadésormaislapreuvedelaculpabilitédeJennifer.
–Çaveutdirequ’aprèstondépart,Jenniferadûreprendrelapincedanslapoubelle,dit-elle.Etqu’elles’estnomméeelle-mêmelaplusmochedesterminales.
MaispourquoiJenniferferait-elleunechosepareille?–Oui,confirmeMaureen.Etqu’ellet’anomméelaplusjolie.
Bien que le cortège des Braves ait sûrement déjà amorcé son retour vers la montagne et le
match,Margo,elle,prendsavoiturepourallerchezJennifer.Ellenepeutpaslaisserlasituationtellequelleuneminutedeplus.
Direquependanttoutcetemps,Jennifersavait.EllesavaitquelesgenssoupçonnaientMargod’êtrederrièrelaliste,etellen’ajamaislevélepetitdoigt,jamaisditunmotpoursadéfense.Çal’abienarrangéequeMargosoitl’accusée,quesaréputationsoitcoulée,quesesamiesetdestasdegensqu’elleneconnaissaitmêmepaslaprennentpourunegarce.
Margoestfurieused’avoirpuéprouverdelapitiépourJennifer.Ellevoudraitpouvoirrevenirenarrière et effacer sa conversationavecMatthew.Pas la fin,bien sûr,mais sanshésitation, lesélémentsoùelles’estprésentéesoussonmauvais jour.ElleahâtedemettreJenniferaupieddumur, de la forcer à avouer. Ensuite, elle n’aura plus qu’à lancer à tous ceux qui la croyaientcoupable:«Jevousl’avaisbiendit.»
Tandisqu’ellesegaredevantchezJennifer,ellesesentnerveuse,toutàcoup.Ellesvontenfinavoiruneexplication,cellequ’ellesauraientdûavoirenquatrième.Sicen’estqu’àprésent,çavaêtrebienpluspénibleetplusviolent.
MrsBriggisvientouvrir.Margonel’apasrevuedepuislejourdelarupture.Elles’attendàunaccueilglacial;àtort.
–Margo!Quellebonnesurprise!MrsBriggisjetteuncoupd’œilderrièreelle.–Jenniferestencoreaulit.Jecroisqu’ellenesesentpastrèsbien.–Vouspensezquejepourraismonterluiparler,justeuneminute?C’estàproposdecesoir.–Biensûr.Ellevraimenthâted’alleraubal.C’étaitadorabledevotrepartdel’emmenerfaire
dushopping.Siellen’étaitjamaisalléeàunseulbaldulycée,jesuissûrequ’ellel’auraitregrettétoutesavie.
–C’estsûr,marmonneMargoenregardantsespieds.Ellemonte l’escalierquatreàquatreetentredans lachambresans frapper. Jenniferdort.Ses
vêtements,ceuxqu’elleportaitàlafêted’hiersoir,sontjetésentasparterre.Lesmurssontpeintsenjaunecitrontrèsvif.Margoneserappellepascettecouleur,maiselle
n’arrivepasnonplusàsesouvenirdecelled’avant.Leslitssuperposésontdisparu,remplacésparunlitàarmaturemétalliquedontlesmontantssontsurmontésdesphèresenverrerose.MargonedistinguedeJenniferquelamassedesasilhouettesouslacouvertureenpatchwork,faiteàlamainparsagrand-mèrepoursesonzeans.Margoadoraitcettecouverture.Sescarréspréférésétaientlesrosesaveclesdessinsdefraises.CeuxdeJenniferétaientlestrèfles.
Margo,quin’apaspenséàlagrand-mèredeJenniferdepuistroisans,songesoudainqu’elledoitêtremorte. Elle était très malade pendant leur année de quatrième, et son état ne faisait ques’aggraver.Jenniferl’appelaitàlamaisondereposetluichantaitdeschansonsautéléphone.
Margos’approchedulit.–Jennifer!murmure-t-elle.Jennifer,réveille-toi.Jennifers’extirpedescouverturesensetortillantetregardeMargo,lesyeuxplissés.–Qu’est-cequetufaislà?–Jesaisquec’esttoiquiasfaitlaliste,Jennifer.Masœurm’atoutraconté.Margocroise lesbraset attend.Elle attenddevoirnaître sur le visagede Jennifer cet airdu
coupablequisedit«oh-ho…»ensevoyantdémasqué.Jennifer se tourne sur le côté avecunegrimacededouleur.Sûrement l’effetde l’alcoolde la
veille.Ilyaunverred’eausursatabledechevet.Elleenboitquelquesgorgéesetdit:–Oh.Pas«oh-ho».Juste«Oh».MargochercheduregardlapinceàgaufrerdeMountWashington.Pouravoirunélémentde
preuveàemporteretàmontreràtoutlemonde.Maislachambreestenpagaille.Jenniferadûlacacher.Margoseretourneverselle.
–Pourquoitut’eschoisiecommelaplusmochedesterminales?C’étaitpourmepiéger?Outuvoulaisjustetefaireplaindre?
–Pourquoijen’auraispasledroitdemefaireplaindre?Iln’yaaucunetracedesarcasmedanssavoix.Saquestionestsincère.–Heu,parcequec’estdetafautesituessurlaliste?Tut’esfaitçatouteseule!JennifersecouelatêtecommesiMargonesaisissaitpas.–Ouais, cette année.Mais les trois autres ?Maureenm’aditqu’ellem’avaitmise sur la liste
parceque lesgens auraientétédéçusquece soitquelqu’und’autre.Et tu saisquoi ?Elle avaitraison.Sij’avaisinscritunautrenom,toutlemondeauraitpensé:«ÇaauraitdûêtreJennifer.»
Ellefermelesyeuxets’assoitavecunegrimace.–Écoute, jenepouvaispasprévoir toutecettehistoirede«Votez Jennifer».Çam’aautant
étonnéequetoi.
–Maisalors,pourquoitut’esmisedessus?–Parcequetantquej’yreste,jesuisquelqu’un.Lesautresmeconnaissent.Jenecomprendspas
cequitegêneàcepoint.Jet’ainomméelaplusjolie,non?Margolaisseéchapperunrire.Lundidernier,ellepouvaitsedirequetoutlelycéelatrouvait
jolie.Quec’étaituneréalité.Maisnon.C’étaitjusteuncoupdeJennifer.–Tueslaplusjolie,Margo,reprendJennifer.Etjen’aijamaischerchéàtevolerquoiquece
soit.MaisquandDanaetRachelontcommencéàêtresympasavecmoi,j’aipenséque…jenesaispas…qu’onpourraitredeveniramies,sijeprouvaisquej’arrivaisàm’intégrerdanslegroupe.
Ellefermelesyeuxdenouveauetsecouetristementlatête.–Maisclairement,çanet’intéressaitpas.«Là-dessus,elleavaitraison»,songeMargo.MaispourquoiJennifervoulait-ellerenouer?Elleauraitdûladétester,aucontraire!Soudain,Margosesouvient.Delascènedelaveilledanslachambre.–Qu’est-cequetufaisaisdansmachambrehiersoir?Qu’est-cequetucherchais?Puisquec’est
toiquiasrédigélaliste,lapinceàgaufrernepouvaitpassetrouverdansmesaffaires.Qu’est-cequetuespéraistrouver?
Enfin,ellelitsurlevisagedeJenniferl’expressionqu’elleattendaitdepuisledébut.Lescoinsdesaboucheretombent.Elleestgênée.Elleahonte.
Jenniferbaisselatête.–Tonjournalintime.Margo,souslechoc,reculejusqu’àsecognerdanslaporte.–Tulisaismonjournal?–Pastoutletemps,quandmême.Seulementquandtuascommencéàêtrebizarreavecmoi.Je
voulaiscomprendrecequisepassait,ettoi,tunem’expliquaisrien.Cettefois,toutsemetenplacedanslatêtedeMargo.– Tu savais toujours exactement quoi me dire pour que je me sente mal. Maintenant, je
comprendspourquoi.Elle était toujours frappéepar le donqu’avait Jennifer demettre le doigt pile sur les secrets
qu’elle venaitdeconfier auxpagesde son journal.Commequandelle seplaignaitque ses seinsétaient troppetits.Ouqu’elleparlaitdecequ’elle faisait endouceavecRachel etDana,de sessentiments pourMatthewGoulding, de la peur que lui inspirait parfoisMaureen…Et elle setourmentaitdespagesentièressurlefaitderompreoupasavecJennifer.
Jenniferdevaitsedouterdecequil’attendaitavantmêmequeMargoaitprissadécision.Ellesavaitquecen’étaitpasjustel’histoiredelajoliefillequilarguelamoche.EllesavaitqueMargoavaitmauvaiseconscienceàl’idéedelablesser.Margoprendunegrandeinspiration.Sielleavaitsu tout cela, au lieu de croire que Jennifer était tombée des nues, elle n’aurait pas culpabiliséautanttoutescesannées.
–Jemesuisditquesijetefaisaisdescendredetonpiédestal,çat’empêcheraitdemelâcherpourDanaetRachel.Maisçan’apasmarché.
MargoserendcomptequelaJenniferdeterminaleagardélamêmelogiquetorduequecelledequatrième.Elleveutquittercettechambretoutdesuite ;quittercettemaison,quitterJennifer,comme autrefois. La seule différence est que la petite Margo de quatorze ans n’était pasentièrement sûre de sesmotivations.Celle de dix-huit ans sait parfaitement pourquoi elle veutpartir.Etellel’assumeàcentpourcent.
Illuiresteunechoseàrégleravant.Elleavalesasalive.
–Jeveuxcettepinceàgaufrer.–Tuvasdireàtoutlemondequec’estmoi?C’estça,tonplan:m’empêcherdegagner?–Ilnes’agitpasdel’électiondelareinedubal,Jennifer!Enfin!Évidemment,jevaisdireque
c’esttoi.Toutlemondecroitquec’estmoi!–Oh,pauvreMargo,ironiseJennifer.Tuastaconsciencepourtoi.Qu’est-cequetuenasàfaire
decequepensentlesautres?Puis,d’unairunpeumoqueur:–Pardon,j’oubliais.Tun’aspaschangé.Tutepréoccupestoujoursdecequ’ilspensent.–Donne-moicettepince,Jennifer.Masœurm’aditqu’ellevoulaitquecettelistes’arrête.Jenniferserreleslèvresetsecalecontresonoreiller.–OK.Tuveuxlapince?Tuveuxmettrefinàlaliste?Trèsbien,jeteladonnecesoiraprèsle
bal.–Pasquestion.–Alors,pasdepince.–Parfait,répliqueMargo,lespoingssurleshanches.Jen’enaipasbesoin.Jevaisledire.Jevais
ledireàtoutlemonde.–Tunepourraspasleprouver.Etjenierai.Jenniferseretourneverslemur.–Etjelatransmettraipourl’anprochain,menace-t-elle.Jesaisdéjààqui.Tunepourraspas
m’enempêcher.Margoréfléchit.–Tuseraisvraimentprêteàfaireça?Etlesautresfilles?Etcellesquetuasétiquetéescomme
lesplusmoches?Çanetegênepasdeleurfairesubircequetuassubi?–J’avaisdebonnesraisonspourleschoisir,Margo.Toutes.Etavoiréténomméesunefois,çane
lesempêcherapasdesurvivre.J’aibiensurvécu,moi.Jennifersoupire.–Donne-moijusqu’àcesoir,Margo.Unsoir,unechancedenepasêtrelamoche.S’ilteplaît.
Etjetedonnerailapince.Sinon…bah,tupeuxtoujoursessayerdemegriller.MaisjeterappellequeMaureenenprendraituncoupaussi.
Margosaitqu’ellenedoitaucunefaveuràJennifer.Plusmaintenant.Maisellenesevoitpasluiarracherlapincedesmains,nidivulguerunevéritéquiéclabousseraitMaureen.
Cetteaffairenese limitepasàellesdeux.C’est l’intérêtgénéralquiesten jeu.L’occasiondemettrefinà la listeunefoispourtoutes.Etsoudain,pourMargo,c’esttoutcequicompte.Pasd’êtreéluereine,nideseblanchirauprèsdesescamarades,maisdefaireensortequepersonnen’aitplusjamaisàsubirça.
–Cesoir,dit-elleàJennifer.Jetelaissecesoir.Après,c’estfini.
CHAPITRE40
Abbyn’ajamaisvécuunsamediaussihorrible.LisaluienvoiedesSMSpendanttoutlematchdefootballaméricainpourlateniraucourantdu
score.C’estsympadesapart,maisçarendleschosesencorepluspéniblespourAbby,dedevoirsuivrel’actionàdistancesurunécranminusculealorsqu’elleauraitdûyassister.
Le match démarre mal. Au point que l’entraîneur, en désespoir de cause, fait entrer desremplaçants sur le terrain. Mount Washington réussit à remonter, mais au dernier moment,Andrew manque une passe qui leur aurait permis de gagner. Lisa le voit un peu plus tard,visiblementboudéparsescamarades.
Abbynepeutpass’empêcherdeseréjouirquel’équipeaitperdu.Avecunpeudechance,pardépit,Andrewvaannulerlasoiréechezlui.OuMargoetJennifer
vontsecrêperlechignonausujetdelacouronneetMrsColbydécideradesupprimerlebal.Oul’odeurdeSarahseradéclaréerisqueenvironnementaletlegymnaseserafermé.
Ilyatoujoursdel’espoir.Le restede l’après-midi se traîne avecune lenteur insupportable.Abbyne saitpasquoi faire
d’elle-même.Alors,quandarrivel’heureoùelleauraitdûsepréparerpourlebal,c’estexactementcequ’ellefait.
Ellesedouchelonguementetseraselesjambes.Ellesesèchelescheveuxetdonneunpeuderessort à ses pointes avec son fer à friser, commeBridget l’a fait pour Lisa et elle pendant lesvacances.
Puisellesemaquillelesyeux.Unlégertraitd’eye-liner,unpeud’ombreaucreuxdespaupières.Elledéposedublushrosepétalesursespommettes.C’estlateintequiauraitétélamieuxassortieàsarobe,cellequ’ellen’apasachetée.Elledessinelecontourdeses lèvresaucrayonavantdelesteinterd’unefinecouchederouge.
Abby envoie quelques SMS à Lisa pour lui réclamer une photo d’elle dans sa robe. Lisa nerépondpas.Soitparcequ’elleesttropsurvoltée,soitparcequeBridgetestentraindelacoiffer…Abby réussit à rédigerundernier textoqui luidonneenviedepleurer toutes les larmesde soncorps:
«Amuse-toibien!»Puiselleéteint son téléphone.Elleenvisagedeprendreunmédicamenthoméopathiquepour
dormir.Elleneveutpaspasserlanuitlesyeuxrivéssurleréveil,àimaginerlafêtequisedéroulesanselle.
Ellesortdelasalledebainspourallerdanssachambre.Fernestàsonbureau,avecBlixEffectetuncahier.
–Bon,tuesprêteouquoi?s’impatiente-t-elle.–Tuasdéjàlucelivreunedizainedefois,tuasvulefilmhieretturetourneslevoir.Tun’as
pasencoreretenul’histoire?–Hé!Jetesignalequejem’occupeenattendantquetuaiesfinidetefairebelledanslasallede
bains.Fernachèvedegribouillerquelquesmotsdans soncahier, lève lesyeuxet regardeAbbyavec
surprise.–Heu,tun’aspasoubliéquetun’allaispasaubal?Abbysentunetornadebouillonnerenelle.–Ferme-la.Elles’installedanssonlitetremontelacouvertureau-dessusdesatête.–Sympa,supersympa,grommelleFern.Àtraversunpetitinterstice,Abbylavoitregardertoutsonbazard’unairdégoûté.Fernsoupire
commeleferaitleurmère,maispluslégèrement,commeunepetitefillequijoueraitàlagrande.Puiselleselèveetdéplaceunepiledelivresdesonbureausursonlit,faitaucarré.
–Assieds-toilà,luidit-elleenluidésignantsonsiège.Ettudevraispeut-êtreprofiterdufaitquetunepeuxpassortirpour,disons,rangerunpeu.C’estvraimentimmonde.
Abbyrejettesacouvertureetvas’asseoird’unpaslourd.Ferns’accroupitparterreàcôtéd’elle.Abbyouvresoncahieretensortsondevoirincompletdelundi.Ilesttoutfroissé,cequial’airdedéplaire àFern ; cequi,ducoup, réjouitAbby.Celadit, ellepréférerait encorenepas avoir lamoyennequedesubircetteépreuve.
Abbysuitlesyeuxdesasœurquivolentsurlapage,enespérantqu’ellenevapastoutretenir.MaisFerndéclareauboutdequelquessecondes:
–Bon.Donc,tudoiscalculerletauxd’expansiondesfondsmarins.Abbyregardelacarte impriméedanssonlivre.Ilyauneétoilesur l’AmériqueduNord,une
autresurl’Afriqueetunfondbleupourreprésenterl’océanAtlantique.–Lesfondsmarinss’étendaientsurenvirondeuxmilledeuxcentskilomètresentrel’Amérique
duNordet l’Afrique ilyaquatre-vingt-quatremillionsd’annéeset fontquatremillecinqcentcinquantekilomètresaujourd’hui.
Abbycommenceànoter,maisFernl’interrompt:–Paslapeined’écrireça,Abby,c’estdéjàsurtafeuille.–Bien,ditAbby,quicroiseleschevillesetlesfrottel’unecontrel’autre.Aprèsquelquessecondesinterminables,Ferndemande:–Alors,c’estquoi,lapremièreétape?Abbyfixel’océan.Lebleual’airplussombreàl’endroitdelareliure.–Unesoustraction?–Heu…oui.Maisontedonnedeschiffresenkilomètresettudoisrépondreenpouces1.–Pourquoiilfautquecesoitenpouces?– Parce que les fonds marins s’étendent si lentement que le résultat en kilomètres serait
infinitésimal.Etaussiparcequ’onneparlepasenkilomètrescheznous.Fernauntonprofessoral,sûrdelui,quidonneàchaquemotuncôtépointuetcrissant,comme
lamined’uncrayonfraîchementtaillée.– Si le résultat est aussi infinitésimal, répète Abby en articulant le mot laborieusement,
pourquoions’embêteavec?Fernlaregardebouchebée.
–Parcequelemouvementdesplaquesprovoquedeséruptionsvolcaniques,destsunamis.Tuterendscomptequel’Everestgranditd’unpouceparan?
–Unpouce?Ça,c’estdingue.Fernnel’écoutepas.–Unkilomètreégalezérovirgulesoixante-deuxmile.Ilyacinqmilledeuxcentquatre-vingts
piedsdansunmileetdouzepoucesdansunpied.–Tusaistoutçaparcœur?Abby rit à gorge déployée, même s’il n’y a rien de drôle. Mais avec Fern, elle aime bien
renverserlasituationàsonavantage.–Cesontdesconversionsdebase,répliquesasœur.Pourrésoudretonproblème,tudoisfaire
unerègledetrois.Fernselèveetvas’affalersursonlitcommesielleétaitépuisée.Abbys’emparedesonstyloetnote«règledetrois»danssoncahier,enespérantquelefaitde
lirelesmotsvaluirafraîchirlamémoire.Çanemarchepas.FernrouvreBlixEffectcommepoursereplongerdedans,maisAbbysentsonregardbraquésur
elle.–Quandtuasconvertienpouces,tuappliquesunerègledetroisavecunmultiplicateurdeun,
Abby.Fernfaitunegrimace.–C’estduniveauquatrième.–Etalors,jeterappellequej’étaisdéjànullel’andernier,lancesasœurenselevant.–Tun’espasnulle.–C’estça,faitAbbyenallants’allongersursonlit.Detoutefaçon, jesaisquetuneveuxpas
m’aider.Laissetomber.Fernsecampedevantelle,lespoingssurleshanches.–Tu sais que t’es pénible ? J’ai des tonnes de devoirs à faire, je passe du temps à essayer de
t’aideretc’estcommeçaquetumeremercies!–Ouais,benmoi,jeratelebal!–C’estuneblague?Onseréveille!Situesaussimauvaisedanslesautresmatières,turisquesde
redoubler,Abby.Tuasenviedeteretrouverentroisièmel’anprochain?Quelimpactçaauraitsurtonprécieuxstatutsocial,tucrois?
Ferns’humecteleslèvresetrepartdeplusbelle:–Oh,c’estvrai,tupourraisdenouveauêtrelaplusjolietroisième!Supercool!Abby se tournevers lemur.Redoublerest sapirecrainte.Fern le sait.Etelle luibalanceen
pleinefigure.–Tuesunesœurhorrible!hurleAbbyàpleinspoumons.Fernsursauteetrecule.–Quoi?J’étaisjusteentraindet’aid…Abbyseredressesurlesgenouxplusieursfoisetlapointedudoigtavecunetelleviolencequele
matelasrebonditenmêmetemps.–Ettunet’enveuxpasunesecondedem’avoirdénoncéeàpapaetmaman?–C’estpourçaquetuasparlédeMrTimmet?Pourtevenger?Fernsecouelatête.
–Désoléedet’annoncerça,Abby,maisc’estentièrementdetafaute.Alorsarrêtedet’apitoyersurtonsortetdet’enprendreàmoi.
–Tuessaiesjustedemepunirpourlaliste!Parcequetuesjalouse!LevisagedeFernsefige.–C’estpitoyable.Abby a l’impression d’être arrivée en haut d’une pente abrupte et d’être précipitée dans la
descentesanspouvoirralentir.–Biensûrquesi.Tuesjalouseparcequejesuisjolieetquetuesmocheetquetoutlemondele
sait.L’espaced’uneseconde,ellesesentmieux.D’avoirditcequ’ellepensait,etcequipouvaitfaire
leplusmalàFern.Maislaseconded’après,ellen’arriveplusàrespirer.Toutsepassetrèsvite.Fernblêmit,puisleslarmessemettentàcouler,commesielless’étaient
accumuléeslàlongtemps,n’attendantquel’occasiondesedéverser.–Merci,Abby,jesaisquejesuismoche.Moiaussi,j’étaissurlaliste.Abbyestchoquéed’entendresasœurparlerainsi;setraiterelle-mêmedemoche.–Maisnon.Lalisten’apasmentionnétonnom.Enplus,tul’asdittoi-même,personnenefait
lelienentrenous.Ferns’essuielesyeux,cequin’arrangepasgrand-chose.–Jeneteparlepasdelalistedecetteannée.Lahonteluifaitdétournerlesyeux.–J’étaissurcelledel’andernier.J’étaislaplusmochedespremières.–Qu’est-cequeturacontes?s’exclameAbby.Maisenfouillantdanssamémoire,çaluirevient.Unsoirdel’andernier,elleaentenduFern
parlerdanslacuisineavecsesparents.Elleétaitbouleverséeparcequequelqu’unl’avaittraitéedemoche.
Abby comprend soudain que ce « quelqu’un » était en fait tout le lycée. En tout cas, unepersonneparlantaunomdel’ensemble.
LeursparentsontaussitôtapportéleursoutienàFern:lephysiquen’avaitpasd’importance;Fern était plus intelligente que lamajorité de ses camarades et c’était ce qui comptait ; et unmillierd’autrescomplimentsqu’Abbynerecevaitjamais.Ilsontvouluseplaindreaulycée,maisFernleleurainterdit.
PasétonnantqueFernaitétéaussidésagréableavecelletoutelasemaine.Abbys’enveut;maisFernauraitdûluienparler.
–Commentjepouvaislesavoir?demande-t-elle.Ettuasditquelalistenechangeaitrien.–C’estvrai,confirmeFernd’unevoixplatequicontrasteétrangementavecses larmes.Jen’ai
pasbesoind’unelisteidiotepourmedirecequejesaisdéjà.Abbyouvrelabouche,maisaucunmotn’ensort.Ellenesaitpasquoirépondre.–Etjeneregrettepasd’avoirrapportésurtoi,Abby.Jetrouveçadinguequetuconsidèrescette
liste comme ton seul atout. Sérieux, je ne comprends pas comment quelqu’un comme toi peutavoiraussipeud’estimedesoi.
Pour autant qu’Abby s’en souvienne, c’est la première fois que Fern lui fait une remarquesympa.
–Ben,toi,tun’espasmoche,Fern.Etelleleluiauraitditbienavant,sielleavaitsu.–Jelesaisparfaitement,quejesuismoche.
Enentendantsasœursipersuadéedecequ’elledit,Abbyaenviedepleurer.Elleahontedel’avoirpensé.D’ailleurs,ellenelepensaitpas,aufond.Pasvraiment.
–Cen’estpasvrai.–Ettoi,tun’espasnulle.Abbysecouelatête.–Jesaisdequoijeparle,Fern.–Moiaussi,Abby.Clairement,iln’yarienàajouter.Abbyestconscientequ’ellessontl’uneetl’autrefermement
convaincues de leur tare.Mais, pour ce qui paraît être la toute première fois, elles peuvent sesoutenirmutuellement,commedevraiessœurs.
Fernserassoitparterre.–Bon,jevaisresteràlamaisonpourt’aideràfairecetruc.Jen’aipasbesoinderetournervoir
BlixEffect.–Non,Fern,vas-y.Jevaisfairecequejepeuxtouteseuleettuvérifierasquandturentreras.Tu
veuxquejetemaquille?–Çairacommeça,ditFern.Etellesenrestentlà.
1-1pouce=2,54centimètres.
CHAPITRE41
Laurensautedelaplate-formesurchargéedupick-updesacopine.Laplupartdesfillesrâlentparcequel’équipedeMountWashingtonaencoreperdu.Lauren,elle,souritjusqu’auxoreilles.Ellenes’étaitjamaisautantamusée.Elleaadorécrierjusqu’àendeveniraphone,sentirleventluimordrelesjouesetluiemmêlerlescheveux.
–TunousretrouveschezCandacedansquelquesheures?–Ouais,àtoute!–Tuasbesoinqu’onviennetechercher?demandelaconductrice.–Non,c’estbon!–Jen’aimêmepasenvied’yaller,grogneunedesfilles.–Onn’aqu’àyallerleplustardpossible,proposeuneautre.Jenevaispasypasserlanuit.Laurensongequec’estlemomentidéalpourparlerdeCandace.–Bah,dit-elle.C’estplutôtchouettedecommencerlasoiréeparunefête.Commelesfillesn’ontpasl’airconvaincues,elleajoute:–Elleaététrèssympaavecmoihiersoir,etçan’estcertainementpasparcequ’ellem’aimebien.
C’estparcequevousluimanquez.–Tun’aspasàprendresadéfense,Lauren.–Jeneprendspassadéfense,jedisjustequ’elleapeut-êtrechangé.–Ellesesertdetoipoursefairebienvoirdenous.Laurenaenvied’insister,parcequ’ellepensesincèrementquec’estfaux.Maisellesetait.Çalui
faitdelapeinedenepasavoirréussiàpersuaderlesautres.Maiselleaessayé.EtCandaceauraunenouvellechanceàsafête.
Chezelle,elletrouvesamèreentraindeliredespapiersdansuncoinmaléclairédelacuisine.–Onaperdu!luilance-t-ellegaiement.Maisjenemesuisjamaisautantamusée.Ellevaboireunverred’eauàl’évier.–Lematchétaitsuperserré,maman.Onaperduauderniermoment,àcaused’unjoueurquia
manquéunepasse.Maisc’étaitgénial,bienmieuxqu’àlatélé!Etlelycéeaunsuperorchestre.Ilajouépendanttoutlematch,deschansonsdonttoutlemondeconnaissaitlesparoles.Etonétaitassisestoutesensemblesurlesgradinsavecdescouvertures.C’était…lerêve.
Laurens’affalesurunechaiseàcôtédesamèreetjetteuncoupd’œilsurlespapiersqu’ellelit.MrsFinn tient la liste à lamain.L’exemplairequ’elle agardé toute la semainedans son sacdecours.
–Ilfautqu’onparle,déclaresamère.–Tuasfouillédansmesaffaires,ditLaurenenserelevant.
Ellereculelentementjusqu’àbutercontreleplandetravail.–Jen’ycroispasquetuaiesfouillédansmesaffaires!–Qu’est-cequec’estqueces fillesque tu t’eschoisiescommeamies,Lauren?demandeMrs
Finnendonnantunetapesurlafeuille.–Cen’estpasellesquiontfaitça.–Alorsqui?–Jen’ensaisrien,moi!–Onnepeutpasdirequecesoit tendreavecCandace,entoutcas.D’ailleurs,çane faitque
confirmerl’impressionqu’ellem’afaite.Laurensecouelatête.Candaces’estmontréeonnepeutplusgentilleetrespectueusehier.On
nepouvaitpasendireautantdesamère.–Maman…–Pourquoiest-cequetunem’aspasmontréçatoutdesuite?–Parceque jene voulaispasque tu t’inquiètes. J’ai fait connaissance avecpleinde filles très
sympas.J’aidesbonnesnotes.Toutvabien.Toutestgénial,même.–Tucroisquecesfilless’intéressentàtoi?demandesamèreenpassantsesmainstremblantes
dans ses cheveux.Tu as changé, Lauren. Je n’aime pas les gens que tu as choisi de fréquenter.Quant à ça (elle froisse la liste), jen’aurais jamais imaginéque tupourrais te laisser embarquerdansunechosepareille.
–Maman…jen’aipaschangé.–Jedémissionne.–Quoi?–Çanemarchepas,Lauren.JetesorsdeMountWashingtonleplustôtpossible.Envendantla
maison,quiesttropgrandepournous,detoutefaçon,ondevraitavoirassezd’argentpourtenirjusqu’àlafindetesannéesdelycée.
Laurenalasensationquelesmursdelacuisineseresserrentautourd’elle.–Jeveuxcontinueràalleraulycée.–J’aitoujourseupeurdelafaçondontlesgensallaienttetraiter,maisjamaisquetudeviennes
une de ces filles horribles soi-disant populaires. Tu ne peux pas imaginer à quel point tu medéçois.
–Cequitegêne,c’estquetunepeuxpluscontrôlermavie.Quejen’aiepaspeurdulycéenidesgens.
Laurens’agripped’unemaintremblanteaudossierd’unechaise.–Jedoisallermepréparer.–Tun’iraspasàcebal.Laurens’assoit,souslechoc,maisdocile.Unesecondeplustard,elleserelève.–Tun’aspasledroitdefaireça!Jen’airienfaitdemal!–C’estmaresponsabilitédemèred’intervenirquandjevoismafilleprendreunemauvaisevoie.–Maman,jet’enprie.C’estlebaldelarentrée.Toutlemondeyva.–Lauren,jen’airienàajouter.Laurenfiledanssachambre,claquelaporteetselaissetombersursonlitenpleurant.Cen’est
pasjuste.Ellesaitquelalisteafaitdumalàdestasdefilles,maispourelle,c’estdifférent.Lalistelui a donné de l’assurance. Elle a incité les autres à entrer en contact avec elle. Peut-êtrequ’autrement,toutlemondelaverraitencorecommelafillequiprenaitsescoursàdomicile,maismaintenant,c’estdifférent.Elleestdifférente.
Plustarddanslasoirée,MrsFinnluiapportesondînersurunplateau.Ellesneseparlentpas.Laurenmangeunpeu,pasbeaucoup,etquandsamèrevientrécupérerleplateau,sesrideauxsontfermésetsalumièreéteinte.Làencore,Laurenneditrien.
Mais dès que la porte est refermée, elle sort du lit dans la robe qu’elle portait pourl’enterrementdesongrand-père.C’estunerobelongue,noire,sûrementpasappropriéepourunbal.Elleglisseseschaussuresetsonappareilphotodanssonsac.Elleouvredoucementsafenêtre,sautedehorsettraverselapelousepiedsnus.
CHAPITRE42
Ilesttempsdesavoirsilarobeluiva.Bridgettraverselentementlecouloir,emmitoufléedanssonpeignoir,unverred’eauglacéeàla
main.Elleprendunegorgée,qu’elle adumal à avaler.Lapeur lui serre lagorge, commeunegrossebouchéequinepasseraitpas.Unmorceaudepainmoisi,oudeviandeavariée…
À chaque pas qui la rapproche de sa chambre, Bridget fait le compte de tout ce qu’elle aingurgitécettesemaine.Lepetitpain, lesbouteillesdedétoxifiant, lesbrioches,unepoignéedesalade au centre commercial.Dans son cerveau déséquilibré, le total aboutit à une centaine dedînersdeNoël.
Silaroberougeneluivapas,siBridgetestencoretropgrosse,queva-t-ellefaire?Ellen’ariend’autre àmettre.Etde toute façon, sonplaisir seraitgâchépar le faitd’avoir échoué.Tous sessacrifices,sescrampesàl’estomacn’aurontserviàrien.
Enpassantdevantlasalledebains,elleentendàtraverslaporteLisaquichanteàtue-têteaveclaradioensebrossantlesdents.Savoixestdéforméeparlabrosseetlamoussedanssabouche.Lerésultataquelquechosederidiculeetd’adorableàlafois,quiallègeunpeulessombrespenséesdeBridget.Elles’arrête,s’accordantunsursisavantleverdictimminent,etentrouvrelaporte.
De la vapeur s’échappe de la salle de bains.Lisa est en short, débardeur et chaussons.L’eaudégouline de ses cheveux noirs luisants et mouille le bas de son débardeur, qui en devienttransparent.Dudentifricemousseauxcoinsdesaboucheetellesautilled’unpiedsurl’autre,enprenantsabrossecommeunmicroetletapisdebainpourunescène.
Bridgetn’apasbeaucoupvusasœuraujourd’hui.ElleapréférésécherlecortègedesBravesetlematch.Elleétaitfatiguée,etelleadécidédegarderlepeud’énergiequ’elleavaitpourlebal.Etpuisellesavaitqu’elleauraitdumalàéviterdegrignoter.Sesamiesadorentdévaliserlebuffet;elless’installentdansl’herbe,posentsurleursgenouxleursboîtesencartonbourréesdenachos,debrioches,dehot-dogsetdepop-corn,etsepartagentleurbutin.
Dansl’après-midi,Lisaadéboulédanssachambrepourprendrequelquechose.Sanssesoucierdufaitquesasœurétaitvisiblemententraindedormir,elleaallumélalumièreetfaitunraffutdetouslesdiables.
Enremarquantlebolabandonnédepuislaveille,danslequellaglaces’étaitfigéeenunesouperecouverted’unepeaudelaitcaillé,elleaeuunemouededégoût.
–C’estdégueulasse,Bridget,a-t-ellecommenté.Bridgetatrèsbiencomprispourquoielleétaitaussihargneuse.Ellesontcrevél’abcès,hier.Lisa
s’inquiètepourelle.EtBridgetelle-mêmenepeutpasnierqu’elleadebonnesraisonspourça.
Alors,aulieudesefâcher,Bridgets’estretournéeverselleetluiaproposédeprendresaplacedanslavoituredesacopine.DeparticiperaucortègedesBravesaveclesfillesdepremière.Bridgetn’avaitmêmepasbesoindeleurdemander.SesamiesadorentLisa,elleslachouchoutent.Çanelesdérangeraitpasdutoutdel’emmeneravecelles.
Loindeluiêtrereconnaissante,Lisaagrogné«nonmerci»avantdesortird’unpaslourd,etelleademandéàsesparentsdeladéposerauterraindefootball.
Enrentrantquelquesheuresplustard,Lisaafilédanssachambre.Bridgetneconnaîttoujourspaslerésultatdumatch.Lisa se penche pour cracher dans le lavabo. En se redressant, elle découvre Bridget dans le
miroir.Sonexpressionpasseaussitôtdejoyeuseàrenfrognée.–C’estoccupé,déclare-t-elleavantderepousserlaportedupied.Bridgetresserrelamainautourdelapoignéeetrepousselaportedansl’autresens.–Tuveuxquejet’aideàtecoiffer?–Non,répliqueLisa,lesyeuxplissés.–Tuvaslesboucler?Oulesremonter?–J’ensaisrien,Bridge.Ellerepousselaporte,plusfort,cettefois.Bridgetlabloqueavecsonpied.–Etpourlemaquillage?Tuveuxreprendremonrougeàlèvresdel’autrejour?J’ailecrayon
quivaavec.Tuasvraimentintérêtàenmettresituveuxquelerougetienne.–C’estpas vrai, tunepeuxpasme foutre lapaix ?brailleLisa en repoussant violemment la
portedesdeuxmains.Bridgetenlèvesonpiedetlaportesefermeenclaquant.Ellevacrierqu’elleauraitpuluifairemal,maisLisaadéjàallumélesèche-cheveux.Bridgetse
retourneets’adosseàlaporte.Lesvibrationsdel’appareilluienvoientdespicotementsdanstoutlecorps.
Elletedéteste.Elletrouvequetuesunesœurhorrible.Bridget parcourt le reste du chemin jusqu’à sa chambre complètement abattue. Si Lisa
s’inquiètetellementpourelle,quelbesoina-t-elled’êtreaussivache?Pourquoin’essaie-t-ellepasplutôtdel’aideràsesentirmieux?
De toute façon, c’est fini.Pour lemeilleuroupour le pire, le jourdubal est arrivé.Elle vamettrecetterobe,etadviennequepourra.
Laroberougeestsuspenduedansl’armoire.Bridgetôtesonpeignoiretleposesursonlit.Elleexpulsetoutl’airqu’elleadanslespoumons,commesiçapouvaitl’aideràdiminuerdevolume.Elleenfilelarobeparlebas,laremontesursapoitrine,tirelafermetureéclair.
Nickel.Victoire!Seslèvrestremblent.Deslarmesluiéchappentetellesepencheenavantpournepastacherle
tissu. Elle a réussi. Elle est même encore plus mince que l’été dernier. Plus mince que cegigantesquebikini.Plusmincequ’ellenel’ajamaisété.Ellen’aplusbesoindemaigrir.
C’estfini.Bridget lèvelesbrasdansungestedetriomphe,et larobeglissevers lebas,aupointqueson
soutien-gorgesansbretellesapparaît.
Encoremieuxquecequ’ellepensait.Ellevachercheruneboîted’épinglesànourricedans lachambredesamère.Puiselleretirelarobe, laposeàplatsursonlitetcommenceàlarétrécirtoutlelongdudos,commesurlemannequindanslaboutique.
Bridgetsurprendsonrefletdanslemiroir,ensous-vêtements.Penchéeainsisurlelitau-dessusdesarobe,elleparaîtencoreplusmince.Ondiraitl’undecesinsectesqu’ilsétudientenbiologie,àexosquelette,avecdescôtesetdesossaillantsquidessinentdespointesetdescrêtessoussapeau.Ellesourit.
Soudain,sonestomacgargouille.Tuesrépugnante.Tunepeuxmêmepasprofiterdecetinstantsanspenseràlabouffe?Tun’esmêmepasaussimincequeça.Lesmainsunpeutremblantes,elleachèvedefixerlesépinglesànourricesurlarobeetl’enfile
denouveau.Elle remonte ses cheveux, semetunpeude rouge à lèvres.Elle seprépare sans seregarderdanslemiroir.
Ellen’apasbesoindesevoir.Ellesaitdéjà.Elleneserajamaisjolie.
CHAPITRE43
Candaceestassisesurlecouvercledestoilettesdelasalledebains,lesyeuxfermés.Samèreesten traindeporter ladernière toucheà sonmaquillagepour lebal.Elleentend les filles rireetparler dans sa chambre et se réjouit. Elles sont arrivées plus tard que prévu, et apparemment,aucunen’atouchéauxamuse-gueulequ’elleapréparésavecsamère;maissonplanfonctionne.
Saseulepréoccupationdansl’immédiatestqu’ellesneboiventpastoutlerhumavantqu’elleaitpuseservir.
–Tuasfini?demande-t-elleàsamère.J’ail’impressionqueçaduredepuisdesheures.–Çayestpresque.Tuesmagnifique!Candacesentunpinceauluieffleurerleslèvres.–C’estbon,tupeuxregarder!Elleouvrelesyeuxetfixelafilledanslemiroir.Elleadumalàsereconnaître.Samèreluiadessinéunregard«smoky»,avecdesombressombresetuncernéàl’eye-linerqui
fontressortirsesyeuxetlesrendentd’unbleuencoreplusglacé.Elleaajoutédelalongueuretdel’épaisseuràsescilsencollantunerangéedefauxcilssursespaupières.Elleapoudrésonvisageuntonplusclairquesonteintnaturel,avantd’appliquerdel’autobronzantetdublush.LeslèvresdeCandace,redessinéesaucrayon,sontrougelie-de-vin.Etdespaillettesscintillentsursonvisageetsondécolleté.
C’estunmasque,enquelquesorte.–N’oubliepasquelerenduseradifférentdanslegymnase,oùilferaplussombre.J’enaitenu
compte.MrsKincaidéteintl’éclairagedelasalledesbainsetouvrelaportepourlaisserentrerlalumière
ducouloir.–Çateplaît?Candacenesaitpastrop.Maissamèreconnaîtsonboulot.Elleestpayéepourrendrelesgens
plusbeaux.Pourcacherleursdéfauts.Cequiestexactementlebutrecherchécesoir.Elleserenddanssachambre.–Wouah,Candace!J’aifaillinepastereconnaître!–C’estunpeutrop,non?demandeCandacesanshausserlavoix.–Non!Pasdutout!Tuesmagnifique!–Ondiraitunmannequin!Elleslacomplimententtoutes.SaufLauren,quiresteassisesurlelitdanssadrôlederobede
sorcière, les jambesballantes.Elleboit en renversant songobeletpresque à la verticale.Et elle
lâcheungrand«ahhh»aprèssadernièregorgée,commedansunepubpoursodas.–Sérieux,Lauren,c’estlapremièrefoisquetuboisdurhum-Coca?–Oui!s’écrieLauren.J’adore!Etelletendsongobeletpourqu’onlaresserve.Candaces’avancepourintercepterlabouteille.–Tudevraispeut-êtreralentir.–Allez,Candace,laisse-laenreprendreunpeu,ditl’unedesfillesavecunsourireencoin.–Elleenabesoin,intervientuneautre.Elleaeuunesalejournée.–Regardezsarobe!Elleestendeuil.Desricanementssefontentendre.–Parfaitement,ditLaurenenfaisantlamoue,tandisquequelqu’unluiremplitsonverre.Ma
mèremeretiredeMountWashington.Candacetressaille.–Quoi?Maispourquoi?–Elleesttombéesurlaliste.Ducoup,ellem’aprivéedebal.J’aifaitlemur.Oh,non,c’estpasvrai.LamèredeLaurenvaflipper.–Lauren…Avecungrandsourire,celle-cisepenchesurlecôtépourregarderlesfillesderrièreCandace.–Jesuissuperheureused’êtreiciavecvous,leurassure-t-elled’unevoixtremblanted’émotion.Quelques-unesrientetlesyeuxdeLaurenseremplissentdelarmes.–Non,jesuissérieuse.Jen’auraisjamaispurêvermieux.Vraiment.Lesfillesgloussent.Enessayantdeselever,Laurenseprendlespiedsdansl’ourletdesarobe,
tombesurl’uned’ellesetenprofitepourlaserrercontreelle.–Hé,Lauren!protestelafilleenlarepoussant.Doucement!Laurens’affalesurlamoquetteetseredresseaussitôtsurlesgenoux,commesiellemaîtrisaitla
situation.Elleembrasseunefilleassiseparterreàcôtéd’elleetcelle-cirenversesonrhum-Cocasursarobe.
–Maisenfin!Laurens’allongesurledosaumilieudelachambre,lesbrasetlesjambesenétoile.Ellefixele
ventilateurauplafondd’unairbéat.Lesautresladévisagentavecunemouededégoût.–Arrêtezdeluidonneràboire,leurintimeCandaceenluiprenantsonverre.
Letempsqu’onserefasseunebeautéetqu’onprennelesphotos,Laurenestcomplètementivre.
Les deux filles qui ont leur permis entassent un maximum de copines dans leurs voitures etprennentlaroutedulycée.OnadécidéqueLaureniraitàpiedpourdessoûlerunpeu.
Cellesquin’ontpaseudeplaceenvoituremarchentd’unpasvif.CandacefinitparralentirpoursemettreaurythmedeLaurenetl’empêcherdezigzaguerverslemilieudelachaussée.
–Tamèreesttropbelle,Candace,bafouilleLauren.–Merci.Laurens’immobilise.–Mamère,ellemedéteste.–Maisnon,ditCandaceenlaprenantparlamainpourlatirerdoucement.Elleessaiejustede
teprotéger.–Jeneretourneraipasaulycée.–Essaiedediscuteravecelle.Tu…
–Jesaisqu’ellenechangerapasd’avis,l’interromptLaurenensecouantlatête.Malheureusement,c’estaussil’impressiondeCandace.–Jesuisdésolée.Enmême temps, elle est consciente que l’annonce du départ de Lauren a déjà commencé à
changer les choses. Ses amies reviennent vers elle. Une fois Lauren disparue, il y a toutes leschancespourqu’elleslalaissentréintégrerleurgroupe.
Elles’aperçoitqueLaurens’estmiseàpleurer.–Jecroisquelesautresnem’aimentplus.Jenesaispascequej’aifaitdemal.–Maissi,ellest’aimenttoujours.Net’enfaispas.Laurenpleureencoreunpeu,puiss’arrêtedenouveau.–Tuasenviedevomir?luidemandeCandace.Sioui,neteretienspas.Tutesentirasmieux
après.Laurenlaregardeàtraversseslarmes,clignedeuxoutroisfoisdesyeuxetdéclare:– Jen’aimepas la têteque tu as avec tout cemaquillage.Çane te va pas.Tu es super jolie,
Candace.Tun’aspasbesoindetoutça.–Situledis,répondCandaceentâchantdegarderuntondétaché.Quandellesarriventenfinaulycée,lesautreslesattendentavecimpatience.Candaceentendla
musiqueàl’intérieurdugymnase.–Candace,dépêche-toi!Onyva!ElleregardeLauren,entraindevomirdanslecaniveau.–Ellenepeutpasentrer,objecteunedesfilles.Elleesttotalementbeurrée.–Alors,ilfautlalaisserdanstavoiture,ditCandace.Àdeux,ellesouvrentlaportièrearrièreetaidentLaurenàmonteràl’intérieur.–Évitedevomirdansmavoiture,l’avertitlafille.Fais-ledehors,d’accord?–D’accord,murmureLaurenens’allongeant.Tandis que ses amies s’engouffrent dans le gymnase, Candace se retourne de nouveau vers
Lauren.Elleestblême,visiblementsurlepointdeseremettreàvomir.Candacelatirehorsdelavoiture,l’amèneauborddutrottoiretécartesescheveuxblondsdesonvisage.
–Onvaattendrequeçaaillemieuxetjeteramèneraiàpiedcheztoi,dit-elleàLaurenquandelleafinidevomir.
–Non.Vadanser,Candace.Varetrouvertesamies.MaisCandaceestdéjàentraindechercherdesmouchoirsprèsdusiègeavant.Elleenprendun
pourqueLaurens’essuielaboucheetunautrepourenleversonmaquillage.
CHAPITRE44
Sarahsetientnuedevantsonmiroirenpied.Lecadreestcouvertdestickersetdephotosdesesgroupespréférés,mais elle a largementdequoi se voir enentier.Sapeauest terneet crayeuse,sillonnée de griffures qu’elle s’est faites en se grattant.Ondirait qu’elle a été attaquée par unebande de chats sauvages. En soulevant son amas de colliers, elle découvre une ombre verte demétaloxydésursapoitrine.Sescheveuxenbatailleluitombentparpaquetssurlevisage.Ellefixeunemèche avec une pince pour dégager le mot écrit sur son front. Il est presque effacé. Ellepourraitlerepasseraufeutre,maisdécidedelelaissertelquel.
Elle a glissé les deux tickets de bal dans l’un des coins supérieurs dumiroir.Dix dollars degaspilléspourceluideMilo.Celadit,c’étaitsonfricàlui.
Elles’assoitsursonlit.Seshabitsdelasemaine,enpassededevenirsatenuedebal,sontpliéssurledossierdesachaise.
Lesfestivitésvontbientôtcommencer.Elleestenretard.Grouille!Allez,grouille!Qu’est-cequet’attendspourt’habiller,Sarah?Mêmesielleaatteintladernièrelignedroitedesonactiondedissidence,ellen’apaslamoindre
enviederemettrecesvêtements.EllelesaenlevésàlasecondeoùelleestrentréeducortègedesBraves.
Danslecortège,elles’étaitplacéeavecsonvéloentredeuxvoituresdécoréesavecapplication.Celledederrièrearboraitdesbanderolesquiflottaientauvent,etdesmotstracésausavonsursesvitresproclamaientallégeanceàl’équipedefootballetàuneclassedulycée.Lesfillesdupick-upqui roulait devant elle étaient habillées en alpinistes. Elle les a regardées rire, danser et crierensemble.Ilyavaitdanslegroupeunedesfillesdelaliste,Lauren,cellequiavaitétéscolariséeàdomicile, et qui était devenue la chouchoute de sa classe de seconde. Elle ne faisait rien pourcachersonbonheurd’être là,sur laplateformedupick-up.Elledansaitenfouettant l’airdeseslongscheveuxblondsbrillantsaurythmedelamusique.Àlafindechaquechanson,elleserraitlesfilles contre elle comme une gamine de douze ans. Les autres la regardaient d’un drôle d’air,légèrementembarrasséesparcesdébordementsd’enthousiasme.
Lesgensétaientsortissurleurspelousesavecleurtassedecaféetagitaientlamain.Personnen’asemblé s’étonner de la présence insolite de Sarah. Sans doute parce qu’ils ne sentaient pas sonodeur. Elle ne faisait pas de grands signes, ne souriait pas. Elle a pédalé jusqu’au terrain defootball,lesyeuxrivéssurlespare-chocsdupick-up.Etquandlesvoituresontcommencéàarriverpoursegarer,elleafaitdemi-tourpourrentrerchezelle.
Tous ces coups de klaxon, ces chants guerriers et ces acclamations lui avaient donnémal aucrâne,etelleapassélerestedel’après-mididanssonlit.
Ellesongeaucontrastequ’ilyaentresespréparatifsetceuxdetouteslesautresfillesdelaville.Ellelesvoitd’ici,crémées,parfumées,pomponnées.Ellemetdelamusiquepunkàfondpoursedonnerducourage.Ellepenseàtousceuxqu’ellevadégoûteretsemotiveenimaginantleursairshorrifiés.
Elle finit par s’habiller, et c’est atroce. Comme une peau étrangère. Comme un horriblemanteaupuant.
Onfrappeàlaportedesachambre.Enouvrant,ellenevoitpersonne.PuisellesepenchedanslecouloiretdécouvreMilo,quelquespasenretrait,entrainderegarderunevieillephotod’elle.Unephotodecinquième.Horrible.Elleavaitvoulugonflersafrangecommelesautresfilles,cequi,évidemment,luiavaitdonnél’airdébile.Etcechemisieratrocequesamèreluiavaitachetéaucentrecommercialparcequelesautresavaienttoutesleleur.
–Salut,dit-ilsansdétacherlesyeuxdelaphoto.–J’allaispartir.Ellepassedevantluienlebousculantetillarattrapeparlebras.Elletentedesedégager,maisil
nelalâchepasavantdeluiavoirglisséquelquechoseautourdupoignet.Uneguirlandedepâquerettes.Aucungarçonneluiavaitjamaisoffertdefleurs.–Jet’aiditquejen’envoulaispas.Ellel’arracheetlejettesurlapoitrinedeMilo.Quelquespétalestombentparterre.C’estpas
vrai,ilvaréussiràlafairepleurer.–Jenesaispascequ’ilfaudraitquej’inventepourteprouverquejetetrouvebelle.Çamerend
maladedetevoirtefaireça.J’aiparléàAnnie…–Etmerde,Milo!Elleseprécipitedanssachambreenluiclaquantlaporteaunez.Elleveutqu’ils’enaille.Ilfaut
qu’ils’enaille.Merde,ellenepeutpasgérerçamaintenant!Maisilcontinuederrièrelaporte:–Etelleditquequoiquejefasse,çanechangerarien.Quejenepeuxpasteforceràmecroire.
Queçadoitvenirdetoi.–Ahouais?Parcequ’ellesaittout,pasvrai?Elledevraitanimeruntalk-showàlatélé!Sarahs’allongesursonlitetfixeleplafond.Sesyeuxs’embuent.Elleahorriblementenviedese
gratter.Miloouvrelaporteetellesecachelevisageavecsondrap.–Allez,viens,dit-ilentendantunemainverslasienne.–Oùça?–Àlasalledebains.–Non.J’aiunmessageàfairepasser,Milo.Tudoisrespecterça.–Jel’aifait.Résultat,tut’esévertuéeàconfirmercequelalistedisaitdetoi.Maintenant,àtoi
deterespecterentecollantsoustafoutuedouche.Tutesentirasmieux,Sarah.S’ilteplaît.Il la pousse dans le couloir. Et après quelques protestations, elle se laisse faire comme une
poupéedechiffon.Aprèsavoirouvertquelquesportes,Milo finitpar trouvercelleduplacardàlinge.Ilprenduneserviettebleuemoelleuse,laluitendetl’enfermedanslasalledebains.
Sarah fixe la porte fermée. Il a raison. Ceux de Mount Washington ne la verront jamaisautrement que comme ça les arrange.Moche.Quoi qu’elle fasse.Qu’elle oublie de se doucherpendantunesemaineouqu’elleailleaubaldanslarobelaplusluxueusedel’univers.Elleneles
ferajamaisrevenirsurleuropinion.Ellenepourrajamaisleurimposeruneleçonqu’ilsrefusentd’apprendre.
Milos’assoitparterredanslecouloir.Quandilentendl’eaucouler,ilentrouvrelaportepourluiparler,de toutetderien.Cen’estpas lecontenuquicompte.Ça fait justedubienàSarahd’entendresavoixsurfonddebruitsd’eau.Etcommeça,ilnel’entendpaspleurer.
Elledoitsesavonneretserincertroisfoisdesuitepouréliminerlacouchedecrasse.Etmêmesielleadumalàl’admettre,c’esttropbondesesentirpropre.
Ellesortdelasalledebainsaumilieud’unnuagedevapeur,enveloppéedanslaserviette.–Etmaintenant?demande-t-elle.Milohausselesépaules.–Onvaaubal.–Jeneremettraiplusjamaiscesfringues.Miloshootedelapointedupieddansletasdevêtements.–Jesuisd’accord.Ondevraitlesbrûler.–T’asraison.–Tuasunerobeàtemettre?–Jenemetspasderobe.–OK,metsuntrucdanslequeltutesensbelle.Ellenerelèvepasetsedécidepouruntee-shirt,sonsweatàcapucheetunjean.Etlaguirlandedepâquerettes.
Quandilsarriventaubal,Sarahs’arrêtedevantlaporte.Elleentendlamusiqueàl’intérieur.–J’ail’impressiond’avoiréchoué.Toutlemondes’attendàcequejefasseuncoupd’éclat.–Qu’est-cequ’onenaàfoutre,decequ’ilsattendent?–D’abord,jenevoulaispasvenir.Jeneseraisjamaisvenuesijen’avaispasétésurcetteliste.Elles’éloigneetfaitletourdulycéejusqu’àleurbanc.Milos’assoitàcôtéd’elle.Elleouvreun
nouveaupaquetdecigarettesetenallumeune.Ladernièreremonteàprèsd’unesemaine,et lafuméeluiagresselespoumons.Elletousseviolemmentetjettesacigarette.
Unefoissespoumonsvidés,elledemande:–Jepeuxtedireuntruc?Ellesemordlalèvrepourl’empêcherdetrembler.–Jenesaispassijemesuissentiebelleuneseulefoisdansmavie.–Sarah…–C’estvrai.Illaprenddanssesbrasetlaserrefortcontrelui.Etellelelaissefaire.Letempsdequelques
secondes,ellelâchepriseetsemontretellequ’elleest,lavraieSarah,danstoutesamocheté.C’estunmomentprécieuxetelleacceptedelevivre,cequidéjàestunpasdanslabonnedirection.
CHAPITRE45
Legymnaseestplongédanslapénombre.Lesseulestachesclairessontlesguirlandesdepapiercréponsuspenduesentrelespaniersdebasket,lesballonsdebaudruchephosphorescentsaccrochésauxgradins,lesboulesdiscofixéesàlatableduDJetlesraisdelumièrequifiltrentdel’entrée.Çasentlapizza,lepunchauxfruitsetlesfleursaupoignetdesfillesquidansentprèsdeJennifer.
Margo,DanaetRachelportenttouteslestroislemêmebracelet,desboutonsderosesrougesminiature à peine ouverts alternant avec de la gypsophile et quelques feuilles de citronnier àl’ovaleparfait,suruntressagedetigesdesaule.
Jenniferneporterienaupoignet,qu’ellepeutleveravecinsoucianceaurythmedelamusique.Sonautremain,cellequitientsapochette,pendlourdementlelongdesoncorps.
Dedans, il y a la pince à gaufrer deMountWashington. Elle prend tellement de place queJennifern’apaspuemportersonpeignenisespansementspourlesampoules.
Jenniferarespectésapartdumarché.Margon’amêmepasprislapeinedevérifier.JenniferpasseensetrémoussantderrièreDanapourseplacerenfacedeMargo.Elleveutattirer
son attention, brandir sa pochette sous son nez et luimontrer que, oui, comme promis, elle aapportélapince.Elleadéjàessayéplusieursfois.Maisaussitôt,Margofaitundemi-toursurelle-même.Ilyaprécisémentvingtpetitsboutonsvertsdans ledosdesarobe.Jenniferaeutout letempsdelescompter.
Aussiénervantequesoitl’attitudeglacialedeMargo,çan’estpaspirequelerestedelasemaine.AlorsJennifercontinueàdanserjoyeusement,parcequeMargoal’aird’avoirrespectésapartdumarché,elleaussi.
NiDananiRacheln’ontchangédecomportementenverselle.Margon’apasdûleurrévélercequ’elleavaitdécouvert.Ellessemontrenttouteslesdeuxpoliesetamicales.Ellesluiontfaitdelaplacesurlapiste,ontpartagéunCocaavecellependantunslowetontmêmeposéavecellepourunephotoqueJenniferapriseentendantlebras.
Iln’yaeuqu’unseulmomentdemalaisepalpable,àl’arrivéedesfilles,environunedemi-heureaprèsl’ouverture.
Jennifer, elle, était là avec une demi-heure d’avance.Lesmembres de l’association des élèvesétaiententraind’accrocherlesdécorations.Elleaproposédelesaiderendéchirantlesticketsàl’entréeetenvérifiantquetouteslesvoixétaientcomptabilisées.
Onl’a informéequecen’étaitpasnécessaire.Qu’ilyavaitdéjàdeuxélèvesdetroisièmepours’encharger.Onluiaditd’allers’amuser.D’enprofiter.
Malgrétout,elleestrestéeprèsdel’entrée,oùelleaentreprisdesaluertousceuxquiarrivaient.
–VotezJennifer,répétait-elleenboucleendésignantlestickercollésursarobe.Cen’étaitpasceluiqueDanaetRachelluiavaientdonné.Ilnetenaitplus.Elles’enétaitfaitun
nouveau,plusgros.Ellen’avaitpasdemalàdevinerquiavaitvotépourelle.Sespartisansluisouhaitaientbonne
chanceensouriantaumomentoùilsglissaientleurticketdansl’urne.CeuxquinedisaientrienouquifuyaientsonregardétaientceuxquiavaientvotépourMargooupourquelqu’und’autre.
QuandMargo,DanaetRachelsesontprésentées,Jenniferétaittoujourslà,prêteàlesaccueillircommeellerecevaittoutlemonde:enfaisantcampagne.
Elles l’ontregardéed’unairsuperbizarre.PourMargo,bon,çapouvaitsecomprendre.Maisqu’yavait-ildesurprenantàcequeJennifermettetoutesleschancesdesoncôtépourêtreélue?Listeoupasliste,elleavaitautantledroitdegagnerqueMargo.
EtlalogiqueauraitvouluqueDanaetRachellasoutiennent,commeellesl’avaientfaittoutelasemaine.Orellesonteu l’air surprisesde lavoir s’investiraussiouvertement.CequeJenniferatrouvéétrange.Ellesavaientelles-mêmeslancétoutecettecampagne.SiMargoneleuravaitpasparlé,qu’est-cequiavaitchangé?
La nouvelle chanson est plus rapide que la précédente. Jennifer accélère légèrement sesmouvementspourresterenrythme.
Etpendanttoutescellesquisuivent,ellesedéchaîne.Parpeur,pourcalmersesnerfs,pourdestasderaisons.Ilsepassetellementdechoses,cesoir!Etilluisemblequesielles’arrête,ellenepourrapluséviterdepenseràlapinceàgaufrerquipèsedanssapochette,etàtoutcequeluiaditMargoquipèsesursonestomac.
Ilfautqu’ellegagne,pourseprouverqu’elleestbelle.Qu’elleafaitlebonchoix.LeDJmetunslowetellerespire.–J’aibesoindeprendrel’air,annonceRachel.DanaetMargolasuivent.EtJenniferaussi,quelquespasenretrait.Elle est lapremière à voirMatthewGoulding arriverpar-derrière. Il ladépasse etglisseune
maindans celledeMargo.Celle-ci se retournevivement, croyant sansdoutequec’est Jennifer,maissonexpressionseradoucitquandellelevoit.
–Tuveuxdanser?Oui,elleveutbien.Évidemment.Jennifernes’attendpasàcequeTedl’invite.Elleaessayédecaptersonregardtroisouquatre
fois,maisilfaittoutpournepaslevoir:illuitourneledos,ilfixesespieds…Rachel,Dana et Jennifer se retrouvent donc dans un coin, près d’une porte ouverte sur une
portionduparkingpourlaisserentrerl’airfrais.EllesobserventMargo.Jennifervoitlebonheurinondersonvisage,lajoied’unesoiréederêvequiseréalise.Etcette
joieestpresquetropvive,tropcruedanscettepénombre.Maintenantqu’ellenebougeplus,Jennifercommenceàavoirmalauxpiedsdansseschaussures
rouges.EllelesenlèveetsetientpiedsnusderrièreDanaetRachel.–ElleatoujoursétéamoureusedeMatthew,ditRachel.–C’estunebonnechosequ’ill’aitinvitée.Çaluiferaunbeausouvenirpourcesoir.AutondeDana,Jenniferdécrypte lessous-titres :elleveutdirequeMargoneserapasreine,
bienqu’ellelemérite.Quecettecouronnequ’ellesluiontpourtantsouhaitéeàelle,Jennifer,ellel’avoléeàMargo.–Vousêtesvraimenttropbelles,touteslesdeux,leurdit-elle.
Ellen’apasarrêtédelerépéter;enmodeautomatique,pourmasquerlemalaise.–Oui,toiaussi,répondent-ellesd’unevoixfatiguée.Jennifersouritenregardantsespieds,leschaussuresrougesqueDanaluiafaitacheter.Quand
ellerelèvelesyeux,ellesontchangédesujet.–Vousavezvu?J’aiachetédeschaussuresrouges,commevousm’avezdit.Cettefois,ellesfontsemblantdenepasl’entendre.Jennifer se demande une fois de plus siMargo leur a parlé. Elle a promis de se taire, mais
Jenniferpensequ’ellevavendrelamèche.Peut-êtrepascesoir,maisplustard.Quandelleaurarécupérélapinceàgaufrer.Ellealesentimentqueçafiniraparsesavoir.
Aprèsavoirprévenulesautres,Jennifervas’asseoirseulesurlesgradins.LeDJpasseunairderock,maisellen’aplusenviededanser.
Nonloind’elle,DanielleDeMarcoestentouréed’ungroupeimpressionnant.L’undesgarçons,grandettrèsmignon,faitunefiguredehip-hopjustedevantelle.
Cen’estpassonpetitami.Appuyécontreunmuravecuncopain,AndrewobserveDanielleducoindel’œil.Jenniferrejettesescheveuxenarrière.Unnouveautouteslessemaines.Comportementclassique
d’allumeuse.C’est une des raisons qui l’ont fait choisirDanielle.Le fait de la voir se frotter àAndrewtouslesmatinsdanslescouloirs,etdeseprendreàchaquefoisdanslafigurequ’elle,ellen’apasdepetitami.
Jenniferavaitdespetitesraisonsdecegenrepourchacune.ElleachoisiAbbyparcequ’elleavaitentenduFernsemoquerdelabêtisedesasœurdevantses
amis.Etqu’elleavaitbiencomprisqu’aufond,Fernsecroyaitau-dessusdetoutlemonde,mêmesielleavaitfigurésurlalistel’annéeprécédente.
Elle a choisiCandaceparcequ’elle savaitqu’unecentainede filles lui adresseraientunmercisilencieuxpourluiavoirbalancélatristevérité:quetouslatraitaientdemocheensecretdepuisdes années. Elle va peut-être changer, maintenant qu’elle le sait. Jennifer en doute. Mais laquestionn’estpaslà.Ellenel’apasfaitpourluidonneruneleçon.Ellenel’apasfaitaunomdesautres.Ellel’afaitparcequ’elleenavaitenvie.
Elle a choisi Lauren parce qu’elle était différente de toutes les jolies filles qu’elle ait jamaisconnues.Elle,ellen’essayaitpasdel’être.EtJennifersavaitqueCandaceenseraitmalade.
ElleachoisiSarahpourladémasquer.Pourdénoncersonnumérodecirque.Sarahladureàcuire,larebelle…toutçan’étaitqu’unefaçade.Etellel’aprouvéennevenantpasaubalcesoir,aprèstoussesdiscoursetsesmenacesdegâcherlasoirée.Jenniferritintérieurementensongeantqu’elles’estlaisséavoirparsonbluff.
ElleachoisiBridgetparceque…Bridgetvients’asseoirsurlesgradinsquelquesrangéesdevantelle.–Salut,Bridget!luilanceJennifer.Bridgetseretourne.–Salut,Jennifer.Jennifers’approchepourluidire:–Aufait,félicitationspourlaliste.Jesuissupercontentepourtoi.Tul’asmérité.Bridget regarde une fille traverser la piste et Jennifer reconnaît sa sœur. Leurs regards se
croisent,maischacunedétourneaussitôtlesyeux.–J’auraispréférénejamaisyêtre,répondBridget.Çanem’aattiréquedesennuis.Jenniferplisselefront.
–Commenttupeuxdireça?Bridgettientungobeletdesodaàlamain.Elleleporteàlaboucheetprendunetoutepetite
gorgée.–Bah,nefaispasattention.EllesetourneversJenniferetluisouritsansconviction.–Jenevaispasgâchertagrandesoirée.Ilparaîtquetuasunechanced’êtreéluereinedubal.
Félicitations.–Merci,ditJenniferenlaregardantseleverets’éloigner.Margo ne pensera peut-être jamais de bien d’elle. Margo ne comprendra peut-être jamais
pourquoielleaagiainsi,pourquoielleafaitlalisteetlusonjournal.Çan’apasétéunaveufacile,mais elle a choisi de dire la vérité.Alors que rien ne l’y obligeait.Et elle n’a jamais raconté àpersonnelessecretsdeMargo.Toutcequ’ellealu,Jenniferl’agardépourelle,commelefontlesvraisamis.
Ellen’estpasquelqu’undemauvais.Sincèrement.Laproviseurvients’asseoiràcôtéd’elle.–Tut’amusesbien,Jennifer?Jenniferramassesapochetteetlaserresursesgenoux.–Oui.–Tantmieux.MrsColbyregardelesdanseurssurlapiste.– Jennifer, jem’enveux terriblementdenepasavoir réussi àdécouvrir l’auteurde la liste. Je
tenaisvraimentàfaireçapourvous.Jevaiscontinueràchercher,toutel’années’illefaut,laissertraînermesoreilles.Etsiçanesuffitpas,ehbien,jeredoubleraid’effortsl’anprochain.
Super.Génial.–Merci,ditJennifertoutbas.Lesouriredelaproviseurs’efface.–Celadit,jesuisvenueteparlerd’uneautrechosetrèsimportante.Tun’aspasétééluereinedu
bal.Jennifersenttoutlesangrefluerdesonvisage.–Vous…Vousêtessûre?–Jevoulaisquetupuissestepréparer.Jevaismontersurlepodiumetappelerunnom,ettoutle
mondedanscegymnasevasetournerverstoi.Lesgensvontvouloirobservertaréaction.–Merci,marmonneJennifer.Çayest,c’estlatroisièmequirecommence.Saufquecettefois,ellesaitcequil’attend.Cette
fois,ellesaitdéjàqu’elleestlaplusmochedanscettesalle.–Jesaisquec’estunedéceptionpourtoi.Maiscontrairementàcequis’estpassé lundiet les
troisannéesprécédentes,tuasl’occasiondedécidercommenttuveuxquelesautrestevoient.Jenniferjetteuncoupd’œilsurlapisteetrepèreMargo.ElleenlaceMatthewGoulding,latête
sursonépaule,lesyeuxfermés.–Toutçan’apasd’importance,Jennifer.Dansquelquesannées,toutlemondeauraoubliéce
bal,toutlemondeauraoubliéquiétaitlareine.Cedontvousvoussouviendrez,c’estdevosamis,desliensquevousaureztissés.C’estàceschoses-làqu’ilfauts’accrocher.
Jenniferalesyeuxpleinsdelarmes.Savisionsebrouille.–C’estMargo?C’estellequiagagné?
Aulieudeluirépondre,laproviseurluipromet:–Çavaaller,Jennifer.Ilfautjustequetuprennesquelquesminutespourteressaisir.Jennifers’assoitsursesmains.Mrs Colby a peut-être raison, mais elle ne l’espère pas. Parce qu’elle n’a plus rien à quoi
s’accrocher.Saufpeut-êtreuntoutpetitfragmentdedignité.Etellen’estmêmepassûredelemériter.
CHAPITRE46
QuandMargoentendlaproviseurannoncersonnomaumicro,plusunatomed’airnecirculedanslegymnase.Tousretiennentleursouffle.
ToussetournentversJennifer.Margoaussi.Sesyeuxbalayentlesgradins,inspectentlebuffet,fouillentlapiste.Jennifern’estnullepart.Alors la foule seretourneversMargo. Ilyaquelquesapplaudissements.Puisunpeuplus.Et
bientôt, la salle l’acclame.Dana et Rachel la soulèvent dans leurs bras.Même si elles ont faitcampagnepourJennifer,ellessontheureusespourelle.C’estleurmeilleureamie.
Lesélèvess’écartentdevantMargopourqu’ellepuissesefrayeruncheminjusqu’àlatableduDJ.Matthewyestdéjà,coiffédesacouronne.Illuitendlamainensouriant.
Margoalesjambesquitremblent;maisàchaquepas,ellesrépondentmieux,seraffermissent.C’estsongrandmoment,celuidontelleatoujoursrêvé.
Etilestentraindeseréaliser.MrsColbyposelemicroetprendlatiare.Margomontenerveusementlesmarchesjusqu’àelle.–Félicitations,Margo,ditlaproviseurenluitapotantledos.Margoseretournepourscruterlesvisagesdanslafoule.Est-cequeJenniferestlàquelquepart?
Est-cequ’ellelaregarde?–Jenniferestpartie,luimurmureMrsColby.C’estpilecequeMargoespérait.Elledevraitsesentirsoulagée,maisnon.Lapinceàgaufrer.Jenniferl’agardée,etmaintenant
qu’elleaperdu,Margon’estplussûrequ’elletiennesapromesse.ElledevraitrattraperJennifer.Toutdesuite.Maisbon,ellepourra toujours récupérer lapinceplus tard,après lebal.Quand leschoses se
seronttassées.Etc’enserafinidelatraditionunefoispourtoutes.Dans l’immédiat, Margo a retrouvé son souffle. Elle décide de savourer ce moment. Son
moment.Laproviseurdéposelatiaresursatête.Margoestsurpriseparsalégèreté.Ellesavaitbienquelesbrillantsn’étaientpasdesdiamants,maiselleatoujoursimaginéquela
tiareétaitenmétal.Enfait,non.C’estduplastique.
REMERCIEMENTS
Jetiensàremercier:David Levithan, pour le nombre incalculable de fois où il a nourri, influencé, soutenu et
défenduceprojet.Cequinepeutserésumerqueparcesimpleconstat:celivren’existeraitpassanslui;
EmilyvanBeckdeFolioLiterary.Moninfiniereconnaissancepour lasagessedesesconseils,sonsoutienindéfectibleetsaconfiancesansfailleenmescapacités;
TouslesgensmerveilleuxdeScholasticquionttravaillédurpourmoi.MercienparticulieràErinBlack,SheilaMarieEverett,AdrienneVrettos,ElizabethParisi,SueFlynnetCharlieYoung.
MonamitiéàNicketàtoutelafamilleCaruso,àBarbaraVivian,Papa,BrianCarr,JennyHan,LisaGreenwald,CarolineHickey,LynnWeingarten,EmmyWidener,TaraAltebrando,FarrinJacobs,BrennaHeaps,MorganMatson,RosemayStimolaetTracyRunde.
Oh,etmerciàtoiaussi,Bren,d’êtrecequ’ilyadeplusbeaudansmavie.
SIOBHANVIVIAN
SiobhanVivianestnéeen1979,àNewYork.C’estlàqu’elleagrandi,puisfaitsesétudes.Elleaobtenuundiplômedescénariste(pourlecinémaetlatélévision)àl’UniversitédesArts,puisunMasterd’écritureà laNewSchoolUniversity.Aprèsavoirétééditricepour lamaisond’éditionAlloyEntertainmentetscénaristepourDisneyChannel,SiobhanVivianpartageaujourd’huisontempsentreécritureetenseignementdel’écritureàl’UniversitédePittsburgh.
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