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Ce texte et d’autres sont disponibles au près de:- l’Infokiosque de l’Ekluserie81 rue Alphonse Guérin35000 Rennes- http://infokiosques.net

cette brochure est la retranscription d’un court-métrage anonymede 18 minutes. Couleurs. 2001.

Dans le grand corps social del'Empire, dans le grand corps socialde l'Empire qui a la consistance etl'inertie d'une méduse échouée, dansle grand corps social de l'Empire quiest comme une énorme méduseéchouée de toute sa rondeur surtoute la rondeur de la Terre, sontplantées des électrodes, descentaines, des milliers d'électrodes,des nombres à peine croyabled'électrodes.De type si divers qu'elles n'ontmême plus l'air, d'électrodes.

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il y a l'électrode Télé bien-sûr mais ily a aussi l'électrode Argent,l'électrode Pharmaceutique, etl'électrode Jeune-Fille.Par ces milliers, ces millionsd'électrodes , qui sont de nature sidiverses que j'ai renoncé à lescompter, on maintientl'encéphalogramme plat de lamétropole impériale.A tout instant, on diffuse par ces

canaux imperceptibles pour laplupart, les informations, lestournures d'esprit, les affects et lescontre-affects susceptibles deprolonger le sommeil universel . Etnotez que je passe sur tous lescapteurs qui s'ajoutent à cesélectrodes, sur tous les journalistes,sociologues, flics, intellectuels,professeurs, et autres agents, à qui jene sais quel incompréhensiblebénévolat a délégué la tâche

d'orienter l'activité, des électrodes.Il convient de maintenir un certainniveau d'angoisse afin de préserverla disponibilité générale à larégression, le goût de ladépendance.

Ce n'est pas au hasard que l'ondiffuse, à tel ou tel momentopportun, tel ou tel sentiment deterreur, de contentement ou demenace. Nul ne doit s'affranchir de cetteposition infantile de passivité repueou querelleuse, de satiété engourdieou de revendication gémiarde quifait le méchant murmure de lacouveuse impériale.On dit " le temps des héros estpassé", dans l'espoir d'enterrer aveclui toute forme d'héroisme. Le sommeil de l'époque n'est pas lebon sommeil, qui procure le repos,c'est plutôt le sommeil traversé

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d'angoisse et qui vous laisse plusépuisé encore, désireux seulementde le retrouver pour fuir un peu plusloin l'irritante réalité. Il est lanarcose qui appelle une narcose plusprofonde encore.Ceux qui, par malheur ou parchance, s'extraient du sommeilprescrit naissent à ce monde enenfants perdus.

Où sont les mots, où est la maison,où sont mes ancêtres, où sont mesamours, où sont mes amis ? Il n'y en a pas mon enfant. Tout està construire. Tu dois construire lalangue que tu habiteras, et tu doistrouver les ancêtres qui te rendentplus libre. Tu dois construire lamaison où tu ne vivras point seul.Et tu dois construire la nouvelleéducation sentimentale par quoi, ànouveau, tu aimeras. Et tout cela, tu

le bâtiras sur l'hostilité générale, carceux qui se sont réveillés sont lecauchemar de ceux qui dormentencore.

Ici prévaut la règle du non-agir, quis'exprime ainsi : la fécondité del'action véritable réside à l'intérieurd'elle-même ; je pourrais dire celaautrement, je pourrais dire : l'actionvéritable n'est pas un projet que l'onaccomplit, mais un processus auquelon s'abandonne. Qui agit, aujourd'hui, agit en enfantperdu.L'errance gouverne cet abandon.Nous errons . nous errons parmi les

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ruines de la civilisation ; etprécisément parce qu'elle est enruine cette civilisation, il ne noussera pas donné de l'affronter. C'estune bien curieuse guerre, que celleoù nous sommes engagées, et quiveut que des mondes et des langagessoient produits, que des lieux soientouverts et offerts, que des foyerssoient établis au milieu du désastre .

Il y a cette vielle notion,bolchevique, et un peu frigidecertes, la construction du Parti. Jecrois que notre guerre à présent,c'est de construire le Parti, ouplutôt, c'est de donner à cette fictiondépeuplée un contenu nouveau. Nous bavardons, nous nousléchons, nous préparons un film,une fête, une émeute, nousrencontrons un ami, nouspartageons un repas, un lit, nous

nous aimons, en d'autres termes,nous construisons le Parti. Les fictions sont des chosessérieuses. Nous avons besoin defiction pour croire à la réalité de ceque nous vivons. Le Parti est lafiction centrale, celle qui récapitulela guerre de l'époque.

Dans les derniers siècles de l'empireromain, tout était pareillement usé.Les corps étaient las, les dieuxmourants et la présence en crise.Aux quatre coins d'un monde enexil, retentissait la grande supplique,qu'on en finisse. La fin d'unecivilisation poussait à la recherched'un autre commencement.L'errance venait apaiser le sentimentd'être partout en étranger. il fallait s'affranchir du commercedes civilisés .Et tandis que de fameuses sectes

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expérimentaient de singulièresformes de communisme, certainscherchèrent dans la solitude l'exodenécessaire. Ils s'appelaient lesmonachoï, les solitaires, les uniques.Ils allaient s'installer seuls dans ledésert, à des dizaines de kilomètresd'Alexandrie, et ils furent bientôt ensi grand nombre, ces solitaires, cesdéserteurs, qu'ils durent s'inventerles règles d'une vie collective ; etl'empire qu'avait sur eux l'ascétismechrétien en fit les premiersmonastères.

Et on peut dire que des premiersmonastères naquit en peu de tempsune civilisation plus détestableencore que celle qui l'avait précédée,mais enfin, elle naquit de là.Ceci pour défendre et illustrer lavaleur stratégique du retrait offensif.

Il est dans l'art de la guerre qu'àcertains moments, il vaille mieuxproduire des lieux et des amitiés quedes armes et des boucliers.

Qui s'exile, exile ; l'étranger qui s'enva emporte avec lui la cité habitable.

Les pères ont disparu d'abord. ilssont allé à l'usine, au bureau. Puis, àleur tour, les mères, elles sont alléesà l'usine, au bureau. Et chaque fois,ce n'était pas les pères ou les mèresqui disparaissaient, c'était un ordresymbolique, un monde. Le mondedes pères s'est effacé d'abord, puis

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celui des mères, l'ordre symboliquede la mère, que rien jusque là n'étaitparvenu à ébranler. Et cette perteest si incalculable, et c'est un deuil sitotal que nul ne consent à le faire.L'Empire résume ce désir qu'unnéo-matriarcat prennemécaniquement la relève dupatriarcat défunt. Et il n'y a derévolte plus absolue que celle quidéfie cette domination bienveillante,ce pouvoir chalheureux, cetteemprise maternelle.

Les enfants perdus sont lesorphelins de tous les ordres connus.Bienheureux les orphelins, le chaosdu monde leur appartient.Tu pleures sur ce que tu as perdu .nous avons tout perdu en effet. Maisregarde autour de nous, nous avonsgagné des frères et des sœurs, tantde frères, tant de sœurs. A présent,

seule cette nostalgie nous sépare, àcharge d'inédit.Tu vas, tu es perdu ; tu ne trouvesnulle part le mètre de ta valeur, tuvas, et tu ne sais pas qui tu es, et tues sans valeur comme le premierhomme.Vas par les chemins .Si tu n'étais pas si perdu, tu neporterais en toi pas une telle fatalitéde rencontres.Fuyons, il est grand temps ; mais jet'en prie, fuyons ensemble. Regardenos gestes, la grâce naissante audedans de nos gestes ; regarde noscorps, comme ils s'échangent avecfluidité, comme cela fait longtempsque tant de gratuité ne s'est abattuesur le monde.Vois cet abandon, comme il est beauque rien ne nous atteigne…Mais tu le sais, il y a encore des murscontre ce communisme-là. Il y a des

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murs en nous, entre nous, qui sanscesse menacent.Nous ne sommes pas quittes de cemonde.Il y a encore la jalousie, la bêtise, ledésir d'être quelqu'un, d'êtrereconnu, le besoin de valoir quelquechose, et pire, le besoin d'autorité.Ce sont les ruines que le vieuxmonde a laissées en nous, et nousn'en sommes pas quittes. A lalumière de certains projecteurs,notre chute nous fait parfois l'effetd'une déchéance.Où allons-nous ?

Il y a les Cathares, qui haissent lesmaris bien plus que les amants. Il y ales gnostiques, qui trouvent plus decharme à l'orgie qu'à l'accouplementsolitaire. Il y a cet évêque duquinzième siècle en Italie quisoutient jusqu'à l'excommunication

qu'une femme qui refuse son corpsà un homme qui le lui demande parcharité commet un péché. Il y a lesBégards et les Béguines, qui habitentdans des maisons collectives et dontl'extrême désoeuvrement passe à serendre des visites. Il y a les spirituels,qui assurent que pour les parfaits, iln'y a plus de péché ; ils s'appellentfrères et sœurs, et la saint valentinn'est pas encore la célébration ducouple, mais le jour où la damemariée peut aller avec qui bon luisemble .

Bon,maintenant, il y a lesmétropoles, s'approprierl'inappropriable, feindre d'ignorertoute perdition, jouer à l'homme, àla femme, au mari, à l'amant, jouerau couple, s'occuper. S'établir le plussérieusement du monde dans le pluspénible des infantilisme. Oublier,

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dans une débauche de sentiments, lecynisme auquel condamne la viedans les métropoles, et parlerd'amour encore et toujours, aprèstant de ruptures.

Ceux qui disent qu'un autre mondeest possible, et qui ne se font pasporteurs d'une autre éducationsentimentale que celle des romans etdes téléfilms méritent qu'on leurcrache à la gueule.

Je ne connais pas d'état plus abjectque l'état amoureux. Entre aimer etêtre amoureux, il y a toute ladifférence d'un destin qu'on assumeet d'une condition que l'on subit.Nous voulons extraire de l'amourtoute possession, toute

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identification, pour devenir enfincapable d'aimer..

La question, c'est de savoir si lecommunisme, c'est la propriétécollective ou l'absence de propriété ;et ensuite, il y a celle de savoir ce quec'est que l'absence de propriété.Nous, la façon dont on pratique lecommunisme, c'est le libre usage,c'est la mise en commun. On décidele libre usage d'un certain nombrede choses que l'on possède.Ce qu'on fait, c'est qu'on remplit laforme extérieure de la propriétéd'un contenu qui la sabote, c'est-à-dire le partage absolu entre les êtres.L'important là-dedans, ce n'est pasl'objet du partage, mais son modecontingent, qui est toujours àconstruire.

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L’orgie prouve seulement ceci, quela sexualité n'est rien, rien qu'uncertain point de la distance entre lescorps.

Si je devais définir le vieux monde,je dirais, le vieux monde, c'est unecertaine manière de lier les affectsaux gestes, les affects aux paroles,c'est une certaine éducationsentimentale, et vraiment, celle-là,on n'en veut plus .Si je devais définir l'orgie, je dirais,l'orgie, c'est chaque fois que l'un oul'autre se met à détraquer le lien qu'ily a entre les affects et les gestes,entre les affects et les paroles, et qued'autres le suivent.

Nous essayons extraire de l'amour,toute possession, touteidentification, pour devenir enfin

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capable d'aimer.

Dans toute situation, il y a unecertaine distance qui se donne entreles corps. Cette distance, c 'est pasune distance spatiale, c'est unedistance éthique, c'est la différenceentre les formes de vie. La notiond'amour, l’intimité, tout ça, ça a étéinventé pour qu'on puisse plusl'assumer, pour qu'on puisse plusjouer avec, pour empêcher les corpsde danser et d'élaborer un art desdistances. Car toute distance est uneproximité, et toute proximité estencore une distance .

Une certaine idée du jeu, alliée à lacertitude de construire le Parti, noustient à égale distance du couple et dulibéralisme sordide.

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Tu vois, le Parti, et c'est des corps,c'est des lieux, c'est des corps quicirculent.

Souviens-toi, c'est au fond de laséparation que nous avons trouvé lecommunisme. Nous ne pouvionsplus rien partager que nous nevoulions partager.

Si tu veux, moi, je voudrais bienconstruire le Parti avec toi,enfin, si t'es libre …

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