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Filiatio 1 1 FILIATIO - n°1 - octobre 2011 Edito P. 2 Lu dans la presse P. 2-4 Dossier P. 5-11 Témoignage P. 12-14 Hors champ P. 15-17 En lisant P. 18-19 Tribunalités P. 20 Humour-humeur P. 20 Retrouvez-nous sur www.filiatio.be et sur les réseaux sociaux Hommes-femmes, drôles de genres Filiatio revient sur les différences hommes-femmes P. 15 Filiatio Ensemble, défendons le lien intrafamilial. Mensuel n°1 octobre 2011 Ne paraît pas en juillet et août Vers un congé de paternité européen Qui sont ces pères qui veulent s’occuper de leurs enfants ? P. 5 Belgique - België P.P. - P.B. 1099 BRU X BC31550 n° agr. P913051 Prix de vente : 3,50

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Filiatio

11 FILIATIO - n°1 - octobre 2011

Edito P. 2Lu dans la presse P. 2-4Dossier P. 5-11Témoignage P. 12-14

Hors champ P. 15-17En lisant P. 18-19Tribunalités P. 20Humour-humeur P. 20

Retrouvez-nous sur www.filiatio.beet sur les réseaux sociaux

Hommes-femmes, drôles de genresFiliatio revient sur les différences hommes-femmes

P. 15

Filiatio Ensemble, défendons le lien intrafamilial.

Mensuel n°1 octobre 2011Ne paraît pas en juillet et août

Vers un congé de paternité européenQui sont ces pères qui veulent s’occuper de leurs enfants ?

P. 5

Belgique - België 

P.P. - P.B.

1099 BRU X

BC31550

n° agr. P913051

Prix de vente : 3,50€

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La garde partagée,un modèle standard ?

IMPLICATION DES HOMMES

La fondation française Terra Nova, dans son rapport sur les inégalités hommes-femmes, recommande de faire de la garde partagée le modèle standard en cas de séparation des parents. Quel rapport avec l’égalité hommes-femmes ?

« Proposition numéro 44 : faire de la garde partagée le modèle standard en cas de sépa-ration des parents. La dérogation à ce modèle devra être justifiée de manière objective. »

Si le rapport final du groupe de travail de la très sérieuse fondation Terra Nova aboutit à cette recommandation, c’est parce que ses auteurs considèrent que la garde partagée est un outil en faveur de l’égalité des sexes. Il reste du travail à accomplir, soulignent-ils, pour atteindre cette égalité. Certaines revendications féministes devraient être réaffirmées: le développement massif des modes de garde des enfants, l’égalité de ré-munération effective entre les hommes et les femmes, la revalorisation des retraites, la mixité des internats, la parité, figurent parmi les thèmes mis en avant. Ce qui fait l’origi-nalité de ce rapport, c’est qu’il propose des pistes d’implication des hommes dans l’at-teinte des objectifs égalitaires.

La veille de la première journée internationale de la Femme, un auteur américain, M. S. Kimmel a écrit un essai intitulé « Le féminisme pour les hommes ». Il commençait par ces mots :

« Le féminisme permettra pour la première fois aux hommes d’être libres. »

UN OUTIL FÉMINISTE

Le principe : « la paternité vécue mettra fin au patriarcat ». En d’autres termes, lorsque les hommes s’approprieront des fonction-nements qui, jusqu’à aujourd’hui, appartien-nent aux stéréotypes féminins (l’éducation et le soin des enfants), le système social de domination des femmes par les hommes s’effondrera. Il serait vain d’attendre que ce changement se fasse par lui-même ; il faut, préconisent les auteurs, l’accompagner par des mesures concrètes.

L’implication des hommes passe non seule-ment par la lutte contre ces stéréotypes, par le partage des responsabilités domestiques, mais aussi par le rééquilibrage entre vie pro-fessionnelle et vie familiale. Et ce rééquili-brage doit se faire dans les deux sens, insiste le rapport : les mères vers la vie professionnelle, les pères vers la vie familiale. C’est ainsi que la recommandation numéro 44 propose de faire de la garde partagée le modèle standard en cas de séparation des parents. Mais comment traduire «standard» en langage juridique ?

Tribunal de la Famille et de la Jeunesse : oui mais…

Enfin ! La création d’un Tribunal de la Famille et de la Jeunesse a connu un coup d’accéléra-teur ces derniers temps. Proposé par plusieurs parlementaires et inscris dans la Déclaration gouvernementale, ce projet avait été soumis en avril au Conseil d’Etat par la commission de la Justice. Son verdict avait fait craindre le pire, étant donné le nombre élevé de mo-difications et remarques formulées. Mais les amendements se sont succédé et le texte a finalement été adopté en commission de la Justice le 15 juillet, puis présenté en séance plénière à la Chambre le 19 juillet.

Au cœur de ce projet, la simplification. Un seul dossier par famille traité par une seule juridiction, ce sera la règle. Ce dossier re-groupera l’ensemble des procédures liées au droit familial et les accords à l’amiable

seront privilégiés, tout comme l’écoute de l’enfant. Prochaines étapes : l’adoption par la Chambre et le Sénat, avant une mise en place prévue pour 2013.

B.D.

DÉCRYPTAGE

La simplification des procédures, mirage et pertinence !

Le mieux-être des familles séparées ou di-vorcées doit-il absolument passer par un tribunal unique des familles, symbole de transparence et de simplicité ? La com-plexité des procédures actuelles n’est certes pas un modèle de démocratie. Cependant, ne soyons pas non plus naïfs. La démocratie nécessite un certain dosage de complexité pour garantir les droits de toutes les parties. La simplicité comme seul projet mène très souvent à la tyrannie. Dans le cadre du pro-

cessus judiciaire, le fait de rassembler toutes les procédures autour d’un seul juge peut conduire à des effets pervers. Imaginons un parent obligé de se coltiner le même juge pendant toute la durée du litige qui le lie à son ex-compagne/compagnon, c’est-à-dire bien souvent pendant plus de 15 ans. Ima-ginons que ce juge l’ait pris en grippe. Ima-ginons que ce parent ne dispose d’aucun moyen juridique pour contourner l’abus de pouvoir du juge. Aujourd’hui, ce scénario ca-tastrophe peut encore être évité. Demain, avec une simplification mal pensée, cela ne sera presque plus possible.

Filiatio défend l’idée d’une simplification des procédures mais demande de mettre en place des mécanismes de contrôle bien plus efficaces pour pouvoir récuser un juge mal inspiré, pour pouvoir contourner des procé-dures sans publicité (huis-clos) et pour pou-voir atténuer la saisine (trop) permanente du juge de première instance.

K.M.

LU DANS LA PRESSE

RÉFÉRENCES

Terra Nova : http://www.tnova.fr Think tank français, politiquement plutôt à gauche, pro-européen, composé majoritairement de poli-tiques et de journalistes. Ses thèmes de travail : af-faires sociales, économie, emploi, réforme de l’Etat, finances publiques, immigration, écologie et déve-loppement durable...

Michael S. Kimmel, in : L’égalité de genre : pas seu-lement pour les femmes, Actes des conférences sur « Les hommes et l’égalité », 2005-2006, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, Bruxelles.

Michael S. Kimmel est un sociologue américain, pro-fesseur à l’Université de l’Etat de New Work. Il est spécialisé dans les études de genre et en particulier dans l’analyse des nouveaux rôles masculins et de la masculinité dans les sociétés contemporaines occi-dentales. Il dirige une association d’hommes anti-sexistes aux Etats-Unis.

Marie-Thérèse Casman (coord.), Evaluation de l’instau-ration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation, Recherche commanditée par le Secrétariat d’Etat à la Politique des Familles, Uni-versité de Liège, Panel Démographie Familiale, 2010.

Voir la présentation du livre « Résidence alternée : on arrête ou on continue ? » en page 19.

Pierre est désabusé. Ses trois grandes filles, il ne les voit presque plus, beaucoup moins que le temps prévu au moment de sa séparation.

Véronique a dû se battre pour maintenir ses deux garçons dans le cap, après que son mari l’eut abandonnée brutalement.Patrick se demande s’il a encore droit à l’amour. Il élève seul ses enfants, et son amoureuse, elle-même mère séparée, ne désire pas qu’ils se regroupent.

Trois histoires d’aujourd’hui, trois témoignages que vous découvrirez dans nos colonnes au fil des numéros, trois bouleversements. Et puis il y a Vincent aussi, Maria, Georges… Tant d’autres exemples. Des milliers de pères, de mères, d’enfants, de grands-parents, de com-pagnons et de compagnes découvrent com-bien le lien intrafamilial peut se révéler fragile.

Alors Filiatio a décidé de les aider. De les écouter. De leur donner la parole. De les informer. Et de relayer leurs revendications auprès des politiques, des juges, des avocats et de tous les professionnels en charge de la famille, des rôles parentaux, des processus d’éducation et de l’égalité homme-femme.

Dix fois par an, Filiatio approfondira les enjeux de l’égalité parentale, dès le projet d’enfant. Il le fera de façon anti-sexiste, tolérante, hu-maniste et respectueuse, au-delà des stéréo-types. Il le fera avec l’ambition d’être attendu par Pierre, Véronique, Patrick et tous les autres, et entendu par les décideurs.

Pour toucher le plus grand nombre, le journal Fi-liatio existe aussi en version digitale, accessible dès maintenant à l’adresse www.filiatio.be.Une page Facebook est déjà active, ainsi qu’un compte Twitter. Enfin, une newsletter élec-tronique sera envoyée régulièrement.

Bienvenue donc dans notre univers : rempli de questionnements et de débats, mais aussi (et surtout) d’occasions de rendre nos vies plus douces et épanouies.

Bonne lecture,Benoît Devuyst

http://www.filiatio.be https://www.facebook.com/Filiatio

http://twitter.com/Filiatio

ÉDITO

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Une nouvelle approche des différences hommes-femmes ?

DOSSIER

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L’HÉBERGEMENT ÉGALITAIRE S’INSTALLE PROGRESSIVEMENT

En Belgique, la garde partagée, ou alternée, également appelée hébergement égalitaire, est tout d’abord le reflet d’une évolution de la société. Nouveaux pères, augmentation du nombre de divorces et de séparations, rôle central de l’enfant dans la famille: la garde partagée s’est installée progressivement dans le paysage familial, et la loi du 18 juillet 2006 prévoit que les juges la favorisent. La loi s’in-titule précisément « Loi du 18 juillet 2006 tendant à privilégier l’hébergement égalitaire de l’enfant dont les parents sont séparés et

réglementant l’exécution forcée en matière d’hébergement d’enfant ». Pour l’instant, nous ne disposons pas de don-nées quantitatives sur l’application de cette loi – uniquement de données qualitatives. Selon l’étude réalisée en 2010 par l’université de Liège visant à évaluer l’impact de la loi, « tendre à privilégier » ne suffit pas ; ni pour contenter les professionnel(le)s chargés de l’interprétation de la loi, ni pour répondre aux parents, qui savent qu’ils dépendront de l’interprétation d’un juge.

En effet, selon l’étude, l’instauration de cette législation est mal acceptée « du fait qu’elle in-

siste sur l’aspect égalitaire des rôles parentaux. Il semblerait dans ce cas que l’idéal égalitaire promu par la législation est en porte-à-faux avec le vécu des parents, la répartition égali-taire des tâches n’étant alors que théorique ». L’étude montre en effet que les familles où les tâches sont les mieux partagées entre les hommes et les femmes sont celles où les pa-rents font majoritairement le choix de la garde égalitaire. De quoi renforcer la recommanda-tion de la fondation Terra Nova.

B.D.

DRÔLES DE

Des femmes incapables de lire une carte routière, qui maî-trisent de naissance la technique des couches-culottes. Des hommes qui ignorent le mot rangement, qui ne savent pas communiquer. Des clichés, vraiment ? Filiatio revient sur les différences entre les sexes pour parler du « genre », cette nouvelle façon d’envisager les rôles hommes-femmes et les pouvoirs dans la société.Par Sabine Panet

Sexe, assurance & discrimination

Au coeur des préoccupations visant à garan-tir l’équilibre entre les droits des hommes et des femmes, certaines décisions peuvent sur-prendre.

Ainsi, le récent arrêt de la Cour de justice européenne a fait l’effet d’une bombe dans le milieu des assurances auto. Dès le 21 dé-cembre 2012, elles ne pourront plus pratiquer une tarification différenciée selon qu’on soit conducteur ou conductrice. Les statistiques parlaient pour elles : 3 fois moins de risques d’être tuées, 2 fois moins de risques d’être blessées... Il n’en fallait pas plus pour que cer-taines femmes paient jusqu’à 45% moins cher leur assurance auto ! Une tendance encore

plus nette chez les jeunes : pour son premier véhicule, un jeune homme devait payer une prime entre 50% et 100% supérieure à celle payée par une jeune femme.

C’est l’association de défense des consom-mateurs Test-Achats qui avait lancé le pavé dans la mare en introduisant un recours en annulation contre une loi du 21 décembre 2007, modifiant une précédente loi datant de 2004. Cette loi transposait en droit belge une directive européenne instaurant le prin-cipe d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans la fourniture et l’accès à des biens et services. Jusque là, rien à redire. Sauf que l’article.3 de la loi de 2007 permet une dérogation en autorisant des différences proportionnelles en matière de primes et de prestations pour les assurés lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l’évaluation des risques, sur la base de données actuarielles et statistiques pertinentes et précises.

Dérogation sans limite dans le temps, ce qui est contraire à la réalisation de l’objectif d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes poursuivi par la directive en ques-tion, et incompatible avec les articles 21 et 23 de la charte des droits fondamentaux, comme le souligne l’arrêt de la Cour.

La Fédération européenne des compagnies d’assurance a fulminé : une mauvaise nouvelle pour les clients des compagnies d’assurance. En effet, on prévoit à partir de fin 2012 une aug-mentation moyenne de 25% des contrats pour les femmes (jusqu’à 45% pour les 18-29 ans).

B.D.

DÉCRYPTAGE

Pour ceux qui définissent le sexisme comme « délibérément discriminatoire vis-à-vis des femmes » (comme le vieux Larousse que j’ai sous les yeux...), il serait impossible d’être sexiste vis-à-vis d’un homme ! Pourtant, la Cour de justice européenne nous prouve le contraire. Les primes d’assurances étaient plus chères pour les hommes ; cela ne sera plus possible à l’avenir car discriminatoire. Néanmoins, notre inconscient collectif est tellement abreuvé de cas contraires qu’il ne peut imaginer qu’il n’en soit pas toujours ainsi. C’est pourquoi, de nombreux commen-tateurs, journalistes ou leaders d’opinion, se sont réjouis très - peut-être trop - rapide-ment de cette nouvelle avancée du combat contre le sexisme à l’égard des femmes. Car ici, pour ceux qui ne l’ont toujours pas com-pris, ce sont des hommes qui étaient victimes de sexisme.

K.M.

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LA DOMINATION MASCULINE

Par cette expression, le sociologue Pierre Bourdieu entend un système permanent, un « habitus » (un sys-tème de dispositions réglées dans la société) qui a entraîné la domination des hommes sur les femmes dans la plupart des société humaines. Pour Bourdieu, c’est un processus qui a enfermé à la fois les femmes et les hommes dans une image imposée.

LA VALEUR DIFFÉRENTIELLE

DES SEXES

L’anthropologue Françoise Héritier pense que la différentiation, l’expé-rience de la différence, est le prin-cipe fondamental des mouvements de notre perception et de notre réflexion. Elle pose que la diffé-renciation entre les sexes est l’ar-chétype de toutes les différences, et que les deux pôles, masculin et féminin, ne sont jamais égaux car le masculin est universellement considéré comme le supérieur.

RÉFÉRENCES

John Gray, Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, Michel Lafon, 1999.

Allan & Barbara Pease, Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières, First (éditions), 2002 – ou, par les mêmes, non en-core traduit : Why Men want sex and Women need love (« pourquoi les hommes veulent du sexe et les femmes ont besoin d’amour ») ® peaseinternational.com.

Margaret Mead, Moeurs et sexualité en Océanie, 1928, Plon, 1955 (traduc-tion française).

Pourtant, de nombreux enfants naissent inter-sexués, c’est à dire avec des organes génitaux externes « aty-piques ». Et ces enfants, une fois adultes, peuvent reven-diquer une identité soit homme, soit femme, soit inter-sexe, et estiment que des assignations (en « homme » ou en « femme ») qu’on leur a fait subir chirurgicalement à la naissance ont été abusives. Eux ne se reconnaissent pas dans ce « sexe biologique » et défendent une vision de la personne au-delà de la distinction hommes-femmes. Un exemple concret : l’Organisation Internationale des Inter-sexués, représentée par l’ASBL Genres Pluriels en Belgique, demande que la mention du sexe sur la carte d’identité ou sur la carte SIS soit abolie. Avant d’en arri-ver là, mon père aura sûrement eu le temps de s’étouf-fer avec sa carte routière. Il est en bonne route.

Pour la médecine, le sexe, homme ou femme, ce n’est plus juste un appareil génital. Entrent aussi en jeu des marqueurs chromosomiques ou hormonaux, la pré-sence de gonades (testicules et ovaires), des caractéris-tiques physiques secondaires (poitrine, hanches... pilo-sité...). La matérialité de ces éléments est difficilement contestable. Difficilement ? Oui, oui, on peut aussi contester ça. On peut dire que les données sont biolo-giques, et que le travail d’interprétation de ces données est social. Mais on peut aussi avancer dans cet article, car il nous tarde de savoir ce qui s’est passé pour que du sexe, on arrive au genre.

Lisez plutôt. Dans les années 1930, une anthropolo-gue américaine, Margaret Mead, observant de ma-nière participative les mœurs et la sexualité de po-pulations océaniennes, a conclu de ses recherches que certains traits de caractère (comme la violence, la créativité, la douceur) pouvaient ne pas découler du sexe biologique, et étaient construits de manière différente selon les sociétés. Mead a utilisé le terme de « rôle social ». Une génération plus tard, en 1949, Simone de Beauvoir publie le Deuxième Sexe. « On ne naît pas femme, on le devient » : citation historique que, cinquante ans plus tard, toutes les adolescentes (au moins une) taguaient encore sur les murs de leur chambre après la naissance de leur conscience révolutionnaire et de leurs premiers boutons. Ce n’est qu’en 1970 qu’un psychanalyste américain, Ro-bert Stoller, sépare « sexe » (biologique) et « genre » (identification, expérience de soi) dans ses études sur la transsexualité. Ainsi le genre devient le « sexe social ». Cette première acception se fait en même temps que les luttes féministes des années 1960 et 1970, et ce « genre » va nourrir la réflexion critique et politique selon laquelle le sexe est une division « na-turelle » de l’humanité, et le genre est une division « sociale », contre laquelle il est possible d’agir. Pro-blème : si le sexe correspond à la nature et si le genre correspond à la nature, alors la donnée brute « na-ture » reste incontournable, primordiale. Le genre est déterminé par le sexe, et la division homme/femme,

mâle/femelle, est renforcée. A ce stade, quelqu’un est visiblement en train de déchiqueter une carte routière à coups d’incisives.

C’est ainsi que dans les années 1990, les chercheurs ont déplacé leur regard et le genre est apparu non plus comme un complément social du sexe, mais comme un rapport social en lui-même. C’est cette compréhension qui domine aujourd’hui : le genre comme une façon de voir les relations entre - et l’(in)égalité hommes-femmes avec des outils de distan-ciation, en prenant en compte l’histoire, la sociolo-gie, l’éducation, les mœurs, les coutumes, qui peu-vent être à l’origine d’idées reçues. Derrière, l’idée que la différence des sexes est un rapport structu-rant : si on parle du masculin et du féminin, on parle de la société dans son ensemble.

LE MODÈLE DU CHASSEUR DE MAMMOUTHS

Tenez, revenons à Madame Cro-Magnon, qui jouis-sait d’indéniables attributs biologiques féminins. Se-lon la façon de penser les relations hommes-femmes qui prévaut à une époque donnée, un historien ou un anthropologue met en avant des éléments tout à fait différents pour trouver du sens à l’organisation de nos ancêtres. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, on pensait que les hommes allaient effectivement chas-ser tandis que leurs dames vaquaient à leurs domes-tiques occupations. Eh bien, non. Aujourd’hui, des chercheurs, intéressés par la femme préhistorique, montrent que Madame participait à la chasse, qu’elle

Lors des repas de famille, mon père, qui a un solide sens de l’humour, prend un malin plaisir à me citer à tout bout de champ des extraits de traités grand public des diffé-

rences hommes-femmes, dans le style du fabuleux Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, ou encore Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières. Ce n’est pas parce j’ai complètement loupé le test de représentation dans l’espace proposé par les « décrypteurs » des différences de nature entre les hommes et les femmes que ça me fait enrager. C’est autre chose. Morceaux choisis : « Conduisez lentement et selon ses préférences. Après tout, elle est assise à l’avant, juste à côté de vous. » J’ai mon permis, moi, une bête femme, et d’ailleurs j’aime rou-ler vite, avec la musique à fond. « En rentrant à la maison, allez embrasser votre femme avant de faire quoi que ce soit d’autre » : car elle est là, cette brave fille, assise dans son petit fauteuil recouvert d’un plaid en patchwork, les épaules voûtées, occupée à repriser les chaussettes de son gagne-pain d’homme. La Vénusienne, malgré d’éprouvantes tragédies do-mestiques (panne de four, aspirateur bloqué par des moutons de poussière, enfants turbulents...) « se montre toute heureuse de retrouver son mari quand il rentre à la maison. »

Peu importe que ces représentations des rôles hommes-femmes sentent la naphtaline : ça s’arrache sur les éta-lages des libraires, parce que (1) c’est drôle. J’en ai encore la larme à l’œil, à moins que ce soit l’odeur d’antimites. Et parce que (2) ça nous aide à nous comprendre entre nous, hommes et femmes, car nous sommes foncière-ment différents.

C’est là que ça cloche.

Reprenons la leçon. Si les femmes ont un rôle intérieur (non, non, pas inférieur), une vision périphérique et un cerveau multi-tâches, c’est à cause des cavernes. Si les hommes ont un rôle extérieur, une vision de loin et une profonde incapacité à changer les couches d’un bébé en même temps qu’ils passent un coup de téléphone, c’est encore à cause des cavernes. Sacrées cavernes. Un petit sursaut de mémoire archaïque : il y a, allez, quelques centaines de milliers d’années, les femmes – ces êtres faibles – se terraient au plus profond des grottes pour préparer à manger, s’occuper des petits d’homme, s’épouiller mutuellement et entretenir le foyer. Leurs compagnons, physiquement dominants (musclés et protecteurs) partaient à la chasse, profi-tant d’une série d’attributs physiques qui allaient, dans les milliers d’années à suivre, permettre à une majorité de peuples de justifier la supériorité des hommes et donc, la fameuse « domination masculine » de Pierre Bourdieu, ou « valeur différentielle des sexes » (Fran-çoise Héritier). De là, l’explication scien-ti-fique du be-

soin naturel de l’homme de finir sa journée au bistro, histoire de débriefer sur ses prises avec ses collègues chasseurs – la bière ne moussant que pour la déco. De là, le besoin naturel de la femme de finir sa journée à la maison en chantonnant, d’élever les enfants que son mari lui a faits (ceux qu’elle a pondus) et surtout de gérer la majeure partie des tâches ménagères : les temps sont durs.

Ça vous fait sourire ? Vous pensez que c’est exagé-ré, mais qu’il y a, dans tout ça, une part de vérité ? D’ailleurs, vous-même... Vous êtes une femme, et vous aimez le rose. Vous êtes un homme, et vous ai-mez le bœuf cru. Et vous avez raison. Le rose, c’est joli et le bœuf, c’est bon. C’est joli et c’est bon, mais ce n’est pas si simple (on y reviendra, au rose).

Déjà, c’est un sujet important parce que ces relations, et l’idée que la société s’en fait, façonnent toute notre vie. C’est un sujet important parce que les hommes et les femmes sont tous les jours confrontés à des préju-gés qui les font se sentir incertains dans leur « genre ». Il y a des préjugés particulièrement énervants : mon compagnon, par exemple, est gracieux. Quand il se déplace, il glisse avec souplesse sur le sol, comme un chat. Ainsi, lorsqu’il s’est retrouvé célibataire (avant de me rencontrer, bien sûr), des amis pétris de bonnes in-tentions lui ont présenté... des garçons homosexuels. Comme si on ne pouvait pas être un homme hété-rosexuel et gracieux. D’ailleurs, je connais des homo-sexuels poilus et patauds. Régulièrement, lorsque mon compagnon (qui, malgré sa délicatesse, a fait un enfant avec une femme) se rend à des consultations en pé-diatrie avec notre petite fille, il s’entend dire « et vous indiquerez bien la posologie à votre femme, et pour la prochaine fois, vous lui direz que... » Comme si on ne pouvait pas être un homme et prendre soin correcte-ment de son bébé.

Ces préjugés ont aussi des conséquences graves. Dans le monde du travail, dans les études, dans l’éducation des enfants, dans les politiques familiales, dans la tra-duction quotidienne des réflexions sur la maternité et sur la paternité. C’est pour ça qu’à Filiatio, nous avons voulu consacrer ce premier dossier aux drôles de genres dans lesquels nous sommes souvent enfermés.

SEXE ÉGALE GENRE?

Il y a le sexe biologique : homme, femme. Mâle, fe-melle. Pour la plupart d’entre nous, indiscutable. Enfin, c’est ce qu’on croit.

comme si on ne pouvait pas

hétérosexuel et gracieuxêtre un homme

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montré que seulement 10% des connexions entre les neurones (les synapses) étaient présentes à la naissance : les autres 90% se construiraient ensuite. Vidal interprète ainsi les résultats de ses recherches: « On trouve certes des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes dans les régions qui contrôlent la reproduction sexuée. Mais concernant les fonctions cognitives , la diversité cérébrale est la règle. En fait, la variabilité du cerveau entre les indi-vidus d’un même sexe est tellement grande, qu’elle l’emporte sur la variabilité entre les sexes. Donc, rien d’étonnant de voir des différences entre les cerveaux d’hommes et de femmes qui ne partagent pas forcé-ment le même vécu. A la naissance, le petit humain ne connaît pas son sexe, il va devoir l’apprendre. C’est l’influence du milieu familial, social, scolaire qui fait que l’enfant va adopter des comportements corres-pondant aux stéréotypes masculins ou féminins. »

En parallèle, des spécialistes des primates, parmi lesquels Sarah Hrdy, ont mis en évidence le fait que le père (humain), lorsqu’il est en contact intime et prolongé avec son bébé, connait lui aussi un boule-

versement hormonal presque comparable à celui de la mère : des mécanismes se mettent en branle, qui lui permettent de développer une empathie et donc, une capacité accrue au soin et à l’éducation de l’en-fant. Cela signifie que non seulement les femmes ne seraient pas réductibles à la maternité, mais aussi que les hommes seraient « biologiquement » capables de s’occuper des enfants.

Ainsi, on peut dire que je suis née femme, mais que c’est un caractère biologique comme une autre. Par ailleurs, je suis brune, j’ai les yeux clairs et je suis agile des doigts de pied. Être agile des doigts de pieds ne devrait pas m’empêcher pas de savoir lire une carte routière. Autrement dit : si je suis nigaude avec une carte routière, c’est parce que je le suis devenue (Si-mone forever !).

LA VIE EN ROSE

En conférence de rédaction, alors que je présentais avec enthousiasme le sujet de notre dossier et que

est probablement à l’origine de l’agriculture, que sa part de cueillette contribuait de manière décisive à la nourriture du groupe. Bref, on peut relativiser le modèle du chasseur de mammouth viril. Non seu-lement on « trouve » les femmes, c’est-à-dire qu’on leur reconnaît une histoire, mais on va plus loin : des chercheurs remettent en question le « biologique » de nombreuses différences auparavant considérées comme indiscutables.

L’anthropologue française Françoise Héritier explique : « Pour diverses raisons, relevant du symbolique et non de contraintes biologiques, l’alimentation des femmes a toujours été sujette à des interdits. Notamment dans les périodes où elles auraient eu besoin d’avoir un surplus de protéines, car enceintes ou allaitantes – je pense à l’Inde, à des sociétés africaines ou amé-

rindiennes. Elles puisent donc énormément dans leur organisme sans que cela soit compensé par une nour-riture convenable ; les produits « bons », la viande, le gras, etc, étant réservés prioritairement aux hommes. Ce n’est pas tant éloigné que cela de nos manières hexagonales : dans les années 40, dans ma famille paysanne auvergnate, les femmes ne s’asseyaient pas à table, mais elles servaient les hommes et mangeaient ce qui restait. Cette « pression de sélection » qui dure vraisemblablement depuis l’apparition de Néandertal, il y a 750 000 ans, a entraîné des transformations phy-siques ». Étonnant, n’est-ce pas ? Quelque part, ça me console sur le fait qu’il y a 750 000 ans, mon souple amoureux aurait pu se coltiner autant de cellulite qu’une femme. Pan, dans les dents.

Et mes cartes routières, demande mon père en mas-tiquant. Eh bien pour les cartes routières, ce serait comme pour les chasseurs de mammouths et le bou-din auvergnat. Beaucoup de progrès ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes du cerveau humain. La neurobiologiste Catherine Vidal, direc-trice de recherche à l’Institut Pasteur à Paris, a dé-

Filiatio : Est-ce que le genre (compris comme une re-lation de pouvoir entre les sexes) influence nos com-portements en matière de soin et d’éducation des enfants ?

Nadine Plateau : Cela dépend de ce qu’on donne comme sens au mot genre. On peut reprendre ici votre définition de « rapport entre les sexes » carac-térisé par des relations de pouvoir. Ce rapport-là est une construction sociale. Il y a une même logique de re-production de la hiérarchie des sexes qui traverse tous les champs de notre société: le milieu familial, le marché du travail, la culture, le monde politique et également le milieu de l’éducation. Que ce soit au sein de la famille, dans les crèches ou à l’école, la socialisation s’effectue en grande partie (et le plus souvent à l’insu des personnes concernées) confor-mément aux représentations traditionnelles concer-nant les sexes. Concrètement, ce qui pose problème,

Rencontre avec Nadine Plateau, présidente de la Commission Enseignement

du Conseil des Femmes Francophones de Belgique.

ce ne sont pas les différences, mais les inégalités, entre autres celles qui sont produites par le traite-ment différencié en fonction du sexe parce que ce traitement a des conséquences sur les trajectoires des enfants. Quand on est parent(e), éducatrice, éducateur ou enseignant(e), on a des idées, des ju-gements, des attentes différentes pour les filles et les garçons à cause de représentations stéréotypées complètement intériorisées. A condition d’en être conscient(e), on pourra lutter contre ce processus de différenciation et développer toutes les potenti-alités des enfants. Par exemple en encourageant les petites filles à explorer l’espace et les petits garçons à exprimer leurs sentiments. Sinon on enfonce le clou ! Et on renforce les rôles traditionnels qui non seulement mutilent les enfants mais conduisent à des inégalités entre eux. La question du genre doit donc absolument être prise en compte dans le soin et l’éducation des enfants.

F : Est-ce que le genre influence les politiques familiales ?

N.P. : On est ici dans un autre registre : la politique, c’est-à-dire les mesures prises par des gens élus à partir de leur conception de ce qu’est ou devrait être la famille. Ce sont des politiques « genrées » : d’une part, elles portent la marque de la socialisation des gens qui la font, d’autres part elles ont des effets sur les familles par exemple en encourageant ou décou-rageant la natalité.

Au niveau fédéral, il existe une politique de « gender mainstreaming » afin d’intégrer de manière transver-sale la question de l’égalité homme/femme. Cela si-gnifie qu’avant de prendre une mesure, on essaie d’en anticiper les effets sur l’égalité homme/femme. Par exemple, dans le cas de l’aide ménagère aux personnes âgées, on s’est aperçu que davantage d’hommes que de femmes bénéficiaient de ces services (à âge et han-dicap égaux), simplement parce que les hommes ne sa-vaient pas faire le ménage tout seuls ! Prenons la ques-tion du divorce : on a égalisé la situation hommes/femmes et on tend à limiter les pensions alimentaires comme si les deux sexes étaient symétriques. Mais, les femmes n’ont pas les mêmes carrières ni les mêmes ressources que les hommes et cela est dû en partie au fait qu’elles ont donné la priorité à leur compagnon et/ou à leurs enfants. Les organisations féministes critiquent les politiques qui ne tiennent pas compte du fait que les hommes et les femmes ne sont pas à

égalité réelle sur le marché du travail et qu’ils et elles ne partagent pas également les tâches ménagères et familiales. Le « gender mainstreaming » pourrait corri-ger ces inégalités.

F : Est-ce que les hommes, les pères, peuvent être aussi victimes de discriminations de genre ?

N.P. : Oui, on pense à l’attitude de certains juges qui donnent plus souvent la garde des enfants aux mamans, ce qui relève d’une conception traditionnelle de la pa-ternité et de la maternité. Mais il faut savoir que dès que des législations se mettent en place pour combattre les inégalités qui touchent majoritairement les femmes, il y a des hommes qui portent plainte. A l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, pour les 7 pre-miers mois de 2011, 6 plaintes pour sexisme ont été déposées par les hommes pour 24 déposées par des femmes, donc un sixième du total des plaintes.

« ON NE TRAITE PAS UNE FILLE COMME UN GARÇON »

Voir ici le dossier de la commission qui traite du traitement différencié

des enfants dans le système éducatif belge :

http://www.cffb.be/images/stories/dossier%20egalite.pdf

RÉFÉRENCES

Claudine Cohen, La femme des ori-gines, Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris, Belin-Herscher, 2003.

Françoise Héritier, Masculin Fémi-nin, La pensée de la différence. Paris, O. Jacob, 1996.

Pierre Bourdieu, La domination masculine, le Seuil, 1998.

INTERVIEW

On peut relativiser le modèle

RÉFÉRENCES

Catherine Vidal, Hommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?, Le Pommier, 2007.

Sarah Blaffer Hrdy, Les Instincts Maternels, Payot, 2002.

LE GENDER MAINSTREAMING

Le gender mainstreaming, de l’anglais « mainstream » (courant majoritaire) - est, selon le Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l’égalité (EG-S-MS) du Conseil de l’Europe : « la (ré)organi-sation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement im-pliqués dans la mise en place des politiques. »

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10 FILIATIO - n°1 - octobre 2011 11FILIATIO - n°1 - octobre 2011

je louvoyais en justifiant une taquinerie sur le rose et le bœuf cru, j’ai entendu parler d’une étude qui avait montré que les différences de goûts de couleur entre hommes et femmes étaient... biologiquement expli-cables et avaient peut-être une origine génétique.

A l’université de Newcastle, au Royaume-Uni, deux biologistes, Anya Hurlbert et Yazhu Ling, ont recruté 208 hommes et femmes entre 20 et 26 ans et les ont soumis à une batterie de tests pour déterminer leurs préférences visuelles. Parmi ces 208 personnes, un échantillon de 37 personnes chinoises devaient per-mettre de mettre en avant de possibles différences culturelles. Résultat des tests : la couleur universel-lement préférée par les deux sexes était le bleu, mais les femmes marquaient une préférence très distincte pour les bleus à tendance rougeâtre ou rosée. Idem chez les Chinois-es. Conclusion proposée : il semble que les différences de goûts hommes-femmes en ma-tière de couleurs sont d’origine biologique. Explication donnée par Madame Hurlbert (directrice de l’institut de Neurosciences de l’université de Newcastle, quand même) : la division des tâches entre les sexes, qui date du temps de, pfff, au moins Néandertal (nous y revoilà!). Dans la forêt, les femmes-cueilleuses s’exer-

çaient à distinguer les fruits rouges cachés entre les branches touffues des arbres préhistoriques. Du coup, aujourd’hui, nous serions plus sensibles aux tonalités rouge-rose, et le marketing sélectif en joue.

Mais alors, me demande-je, si l’explication biologique proposée par ces deux chercheuses est à trouver du côté de la division du travail entre les sexes, mais alors : est-ce que c’est parce que les femmes préféraient le rose (1) qu’elles se sont mises à cueillir les fruits pour la subsistance du groupe (2), et que, en conséquence, les hommes sont partis chasser les mammouths d’une manière virile (3) ? Vous n’avez qu’à me voir dans un grand magasin, moi qui suis myope comme une taupe, je vous dégote une petite paire de chaussettes roses taille 22 en quelques secondes d’un regard circulaire. Ou est-ce que, parce que les hommes avaient décidé de chasser les mammouths d’une manière virile (1), les femmes ont pris l’habitude de la cueillette (2) et ont développé une capacité accrue à déceler le rose en forêt et au supermarché (3) ? C’est idiot ?

C’est le cœur du débat. Quand on regarde la relation entre les hommes et les femmes, entre le masculin et le féminin, on peut adopter deux postures.

Première posture : okay, il y a peut-être des diffé-rences. Il y a, par exemple dans l’étude de la biologie des comportements, assez de matière qui montre que les hommes et les femmes auraient des gènes et des hormones différents vis-à-vis de l’attitude face à

la « reproduction », ou concernant l’allaitement (mal-gré toute sa bonne volonté, j’avoue que mon amou-reux n’a pas su allaiter notre fille). Mais le plus impor-tant, c’est que ces différences puissent être remises en cause et disparaître lorsqu’elles sont injustes en-vers un sexe ou l’autre.

Seconde posture : certes, il y a des inégalités, mais ce ne sont pas les différences des sexes qui en sont à l’origine. C’est l’inverse : c’est l’inégalité dans la répar-tition des tâches qui a causé les différences, même physiques (se reporter au boudin auvergnat). Mais d’où a surgi cette inégalité dans la répartition des tâches ? Dans la jalousie des hommes dont le ventre ne sait pas fabriquer les enfants ? Dans une différence, donc... Encore plus loin, certains concluent que le discours bi-naire homme/femme, même dans une démarche de « genre », de recherche d’équité et d’égalité, renforce la division des sexes et la « différenciation ». Et qu’il faut parler des individus, au-delà des (d)rôles de genre.

Papa, continue à déglutir avec précaution, car je n’ai pas tout à fait terminé. Presque. La question du genre est importante, et ce débat est fondamental, non

seulement parce que nous y sommes confrontés tous les jours, mais aussi parce que, dans le futur, nous de-vrons répondre à des questions essentielles : mater-nité (être une mère, c’est quoi ?), paternité (être un père, c’est quoi ?), procréation (qui fait les enfants ?).

Si la maternité est LA différence essentielle entre hommes et femmes, à l’origine de la valeur différen-tielle des sexes, si la maternité continue à renforcer les inégalités au sein des familles et dans la société, alors peut-on envisager, comme solution, la concep-tion des enfants ailleurs qu’au cœur de l’utérus ma-ternel ? Rappelez-vous, en 1932, dans le Meilleur des Mondes, Huxley imaginait déjà la gestation en dehors du corps humain. D’ici une cinquantaine d’années, se-lon certains biologistes, ce sera une réalité. Vertigi-neux. Est-ce que cela équilibrera la parenté ? Est-ce que ce sera la fin de la guerre des sexes ? Ou bien est-ce que ce sera une plongée dans le contrôle du corps, dans le totalitarisme ?

En attendant, nous, hommes et femmes et inter-sexués, continuons à chercher le bonheur. Visible-ment, l’homme gracieux qui glousse en changeant les couches de ma petite fille l’a trouvé.

POURQUOI CERTAINS PENSENT-ILS QUE LE GENRE EST DANGEREUX?

Il y a des adversaires au « genre ». Il y a ceux, d’un côté, qui pensent que le « genre » ne va pas assez loin et ne fait que reproduire la division des sexes. Et puis, à l’opposé, il y a ceux qui pensent que les hommes et les femmes sont à leur place dans les stéréotypes et que, sans ces rôles sociaux distincts, les hommes et les femmes ne peuvent pas se réaliser dans leur « masculinité » ou dans leur « féminité ». Par exemple, le pape Benoit XVI a critiqué les études de genre lors d’un discours à la curie romaine en décembre 2008 : « l’Église parle de la nature de l’être humain comme homme et femme et demande que cet ordre de la création soit respecté », et il précise : « ce qui est souvent exprimé et entendu par le terme “gender”, se ré-sout en définitive dans l’autoémancipation de l’homme par rapport à la création et au Créateur. L’homme veut se construire tout seul et décider toujours et exclusivement tout seul de ce qui le concerne. Mais de cette manière, il vit contre la vérité, il vit contre l’Esprit créateur. » A côté de la position du Vatican, nombreux sont ceux qui pensent que les hommes viennent vraiment de Mars, et les femmes vraiment de Vénus : ils pensent que si la différence des sexes n’est pas « respectée », alors les hommes et les femmes seront mal à l’aise dans leur identité car ils ne pourront pas se réaliser en tant qu’hommes ou en tant que femmes. Par exemple, un des reproches fréquemment fait aux féministes de la seconde vague, dans les années 70, est qu’elles ont favorisé une sorte de crise de la masculinité en remettant en question la hiérarchie et l’ordre traditionnel des sexes. Qu’en pense mon amoureux ? Est-ce qu’il risque gros dans son identité quand il passe l’aspirateur ?

DEMAIN, LE GENRE DANS NOS MANUELS SCOLAIRES ?

En France, la polémique fait rage autour de l’introduction du genre dans les nouveaux manuels scolaires des premières (l’équivalent de la 5ème rénové en Belgique). La circulaire ministérielle à l’origine de ce renouvellement stipule : « si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée. » Traduction dans les manuels : une paire de phrases pour réfléchir sur la différence entre l’identité complexe d’une personne et le sexe biologique. Evident ? Visiblement, pas pour 80 députés de la majorité UMP et des associations qui considèrent que la théorie du genre « porte atteinte à la liberté de conscience des pa-rents. » Réponse du ministre de l’éducation, Luc Chatel : « les programmes sont conformes à l’état actuel des connaissances scientifiques en biologie.... » Et en Belgique ? Interviewé par la RTBF début septembre, Conrad van de Werve, le directeur du Secrétariat général de l’enseignement catholique en Communauté française et germanophone de Belgique (Segec), répond : « Il n’y a pas réellement de débat public pour l’instant et la question n’a pas été étudiée. »

POUR ALLER PLUS LOIN

Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jauneit, Anne Revillard, Introduction aux Gender studies, de Boeck, Bruxelles, 2008.

1. Ined, n° 461, L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la

répartition des tâches ménagères au sein du couple ?

Populations et Sociétés, 2009.

2. La cognition est le terme scientifique qui désigne

la pensée. Les fonctions cognitives, ce sont les pro-

cessus que le cerveau met en branle pour percevoir,

traiter l’information, se déplacer, mémoriser, mais

aussi pour ressentir des émotions.

3. Hurlbert AC, Ling Y. Biological components of

sex differences in color preference. Current Biology

2007, 17(16), R623-R625

Ce dossier vous a intéressé-e ?Vous appréhendez maintenant l’épreuve de la Saint Nicolas ? Vous craignez d’offrir une robe de princesse à votre fille (par peur du stéréotype), mais vous n’irez pas jusqu’à en offrir une à votre garçon (par peur du ridi-cule) ? Les solutions dans notre dos-sier de novembre: « Saint Nicolas : des livres dans vos petits souliers (mais pas n’importe lesquels) ».

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C’est joli, Boitsfort. C’est la première fois que je viens. Je découvre les entrelacs de ruelles, le chant des oiseaux sous les toits, la mousse qui écarte vaillamment les pa-

vés bossus, les étangs à fleur de bitume. C’est joli mais il pleut, il pleut depuis un siècle. Cela n’entame pas la bonne humeur de Vincent, qui vient me cher-cher à l’arrêt de bus et me conduit dans la maison où il vit avec ses deux filles. Une éclaircie déchire le ciel.

Vincent rentre d’un long voyage sur la route de la soie. Les carnets de notes s’empilent sur sa table de travail et, sur des feuilles volantes, il consigne ses aventures d’une écriture haute et resserrée. Il doit remettre un reportage dans les jours qui viennent, et a travaillé cette nuit jusqu’au lever du jour. Il se frotte les yeux. Un chat file entre mes jambes pen-dant que nous nous installons au jardin, bravant les nuages sombres qui s’amoncellent à nouveau.

Il y a sept ans, Vincent et la mère de ses filles se sont séparés. Avant, Vincent pensait que l’amour pouvait durer toujours, ou qu’on pouvait se battre pour qu’il dure. Vincent et sa femme étaient dans le schéma de la famille classique. « Un jour, elle m’a dit combien la distance était grande entre ce qu’elle avait projeté de la vie, et la réalité. La réalité, ce n’est pas la vie rêvée, le cliché Disney ». Disney – il sourit en voyant que je prends note. Dans cette composition traditionnelle, lui-même avait sa place. Il gagnait plus d’argent que sa femme, qui travaillait à mi-temps et qui était donc, plus que lui, avec leurs enfants. « C’est un réflexe traditionnel lié à la vision d’une société, vision à la-quelle je ne souscris pas. Très souvent, à boulot égal, l’homme gagne plus que la femme. Cela pousse à pri-vilégier la carrière de l’homme. Peut-être qu’ensuite, quand le couple a trouvé son équilibre, cela peut de-venir un choix. Mais cette inégalité, au départ, n’est pas saine. » Il aurait voulu, un temps, rester davantage à la maison, et faire bouger cet équilibre, mais la sé-paration est survenue.

Les schémas classiques, ça a aussi été la stratégie de la défense. « Quand on s’est séparé, la maman des filles a rapidement pris un avocat – et m’a conseillé d’en prendre un. Secoué par la séparation, j’ai cherché quelqu’un qui pouvait proposer de la fermeté. C’était de la tactique. Je me disais aussi que ce serait plus efficace si la personne qui me représentait était une femme. Je ne regrette pas ce choix. » Le plus difficile, pour Vincent, a été d’accepter que la partie adverse soit dans un schéma très conservateur, « aucune créa-

tivité possible pour coller plus justement avec nos réalités à nous, et non avec des schémas ancestraux. Et puis, c’était comme si j’avais, moi, à payer la séparation. Comme si, du point de vue de la famille adverse, il fallait charger fort l’autre pour le mettre l’autre à plat, comme s’il y avait un honneur à sauver… »

Le conflit dont a souffert Vincent n’était pas lié aux enfants, mais aux aspects financiers. « Au moment de la séparation, on a considéré – et moi aussi – que je continuerais à mieux gagner ma vie qu’elle, et que nos arrangements pouvaient en tenir compte. Par exemple, fixer le domicile des enfants chez l’un plu-tôt que chez l’autre... » Vincent articule, avec sa voix posée, incisive. « Ce qu’il y a, c’est que moi, j’ai changé de vie depuis notre séparation. Donc le raisonnement de l’époque ne colle plus à la réalité d’aujourd’hui. »

Le grand bouleversement, la séparation. Tout ce qu’on pense, sur l’amour, sur le couple, sur la vie : plus rien. Plus de schémas. « J’ai vécu le décès de mon père étant jeune. La séparation, c’est une dou-leur au moins aussi grande », confie-t-il. « Souvent, à la sortie des études, on lance tout de front. La famille, la carrière. On crée sa propre unité. Avor-ter de ce type de projet, c’est hyper douloureux, ce sont les fondements de base que l’on touche. »

Après la séparation, vient le temps du règlement juridique. Une séparation, précise Vincent, ce n’est pas un règlement, ça ne règle rien, ça n’apaise pas les conflits, ça ne tait pas la souffrance : c’est une mise à distance, un recul. La difficulté, c’est d’ame-ner une autre vision. « Je m’entends encore dire, on n’est pas dans Kramer contre Kramer »... souffle Vincent. Ses sourcils se froncent et un pli marque son front. « Il n’y a pas longtemps, je lui [son ex-conjointe], ndlr disais : tu te rends compte que ta maman s’est adressée à moi quelques mois après la séparation en me disant : et si tu avais les enfants moins souvent, ça te laisserait plus de temps pour ta nouvelle vie ? Ça voulait dire : remettre en question la garde alternée. Cette suggestion m’avait révolté. Cette réflexion a participé au fait que je me batte et que je dise : ça fait cinq ans que je suis père, il n’y a pas de raison pour que je le sois moins aujourd’hui. Je continue à l’être, c’est important pour moi. »

Dans ces nouveaux schémas, Vincent se demande à quoi ressembleront les familles de ses enfants. « Bruxelles, c’est quoi ? Près de 60% des couples qui divorcent ? Même si je suis entouré de ça, je n’au-rais pas cru pouvoir dire, avant, qu’on n’aimait pas nécessairement la même personne toute sa vie… » Il rit, regarde en l’air, me regarde. « Je me fais un peu plus à cette réalité... » Pourtant, il fait tout pour que ses filles croient encore en l’amour, après l’amour mort. Quand il a une amoureuse, il fait en sorte

TÉMOIGNAGE

Des schémas : les anciens à déconstruire, les nouveaux à questionner. Les rôles parentaux, l’avenir de l’amour. Les hommes, les femmes. Les enfants. Dans tout ça, trouver l’équilibre, et surtout, ne pas avoir de regrets... Vincent, séparé, papa de deux adolescentes, témoigne.

REGRETS

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Comment protéger les jeunes parents ? Com-ment concilier au mieux vie professionnelle et vie privée, puisque l’arrivée d’un enfant dans une famille bouleverse la donne ?

Pourquoi pas un allongement du congé maternité à 20 semaines et une obligation de rémunération à taux plein, suggèrent des eurodéputés à la suite de la propo-sition de la Commission, en 2008, d’augmenter la du-rée minimale du congé maternité de 14 à 18 semaines – proposition qui recommandait la rémunération à taux plein. Beaucoup de parents belges ou français qui ont dû mettre leur bébé de deux mois et demi/trois mois à la crèche (quand ils ont trouvé une place...) envient les danoises ou les norvégiennes, dont le congé maternité est beaucoup plus long. Mais si la société ne change pas, est-ce qu’allonger le congé maternité n’est pas un risque d’une plus grande discrimination des mères sur le marché du travail ? Et combien cela coûterait-il aux États-membres ? Au Parlement européen, le débat fait rage. Coûts contre bénéfices. Pourtant, comme le fait remarquer l’eurodéputée néerlandaise Marije Cornelis-sen (Parti Vert Européen), « les coûts peuvent être résu-més dans des chiffres concis, pas les bénéfices. »

NOUVEAUX PÈRES, ÉGALITÉ PARENTALE

Une réflexion sur la maternité entraîne de nouvelles questions concernant le père, acteur toujours plus en-gagé dans le soin et l’éducation des enfants. Au nom de l’égalité des sexes et de la conciliation entre vie fa-miliale et professionnelle, un rapport coordonné l’an dernier par l’eurodéputée portugaise Edite Estrela (So-cialistes et démocrates) a appelé à l’instauration d’une règle en Europe pour un congé paternité de deux se-

maines minimum. Pour l’instant, il n’y aucune harmonie entre pays de l’Union. C’est dans le cadre de ce débat que, sous le patronage de Mme Cornelissen, 17 organisa-tions de pères de 12 États-membres ont officiellement fondé, le 28 juin dernier à Bruxelles, la Plateforme Euro-péenne des Pères (PEF) : Platform of European Fathers.

L’idée de départ des fondateurs de la PEF : l’égalité parentale, soit le partage entre parents (mère, père, co-mère ou co-père) des obligations et des droits vis-à-vis des enfants, est dans l’intérêt à la fois des enfants, des parents et de la société. Les enfants bénéficieront de l’implication de leurs deux parents dans leur édu-cation. L’égalité de genre en sera renforcée, et la so-ciété profitera d’une plus grande intégration des mères sur le marché de l’emploi ; si la responsabilité des enfants est mieux partagée, on peut penser que les pères s’impliqueront également plus dans les tâches

qu’elles se rencontrent, que ses filles voient aussi « le positif de l’amour ».

Ces dernières années, Vincent a connu les réalités d’autres femmes confrontées à leur vie séparée. « Derrière les dehors de bonne entente entre les parents séparés, dans l’intimité, ça reste conflictuel. C’est peut-être là que nos enfants auront un schéma qui permettra que ça se vive autrement? »

« Pour ma première fille, il est très important de res-pecter le rythme des semaines. Quand elle est chez sa maman, si on se croise, elle reste la fille de sa ma-man. Elle est dans sa semaine ‘maman’ », remarque Vincent, alors que sa plus jeune fille, gracieuse comme un lutin, l’appelle. « Je voulais reconstruire un projet de famille. Aujourd’hui, ma famille, et notre famille, elle est là. Et c’est concret pour mes filles, d’après ce que je crois percevoir. »

Et pour les parents ? « Lorsqu’on a un enfant, on est amené à devoir composer avec quelqu’un [l’ex-conjoint-e], ndlr avec qui on n’a plus d’intérêts com-muns, puisqu’on n’a plus aucun vécu ensemble. C’est une des difficultés de l’après. Le seul trait d’union, ce sont les enfants. »

Nouvelle parentalité, et nouvelle paternité. « J’ai des amis qui, du fait de leur schéma, se sont coupés d’une part de leur paternité. Le fait d’avoir moins les enfants, le fait qu’au moins une partie des enfants ne soient pas domiciliés chez eux, le fait que la mai-son des enfants devienne davantage la maison de maman... Tout ça crée évidemment de la douleur et n’aide pas la personne blessée à se reconstruire. Une séparation nécessite du temps. Il faut accepter de le prendre. »

Lui, Vincent, il voulait être fier : ne pas avoir de re-grets. « On sépare la famille, on sépare les biens, tout cela est très charnel et amène beaucoup de conflits. Pour nous, ça a été très conflictuel et je ne voulais pas avoir de honte en posant a posteriori le regard sur mon attitude pendant cette séparation. »

Je lui demande ce qu’il pense de la garde alternée. « Je ne voulais pas que mes filles se sentent plus étrangères chez moi », répond-il. En voyant la petite cabane à jouets barbouillée au fond du jardin, je sais très bien ce qu’il veut dire. Ses filles, il ne sait pas si elles souffrent de vivre avec des racines partagées, mais il ne les considère pas divisées ainsi.

Dans tout ça, on parle beaucoup des hommes. Com-ment être heureux, homme, père, comment trouver l’équilibre ? Se recaser ? « Les pères séparés, on ne les voit pas. J’en connais, mais peu sont encore comme moi, n’ont pas reconstruit autre chose que ce que j’ai

reconstruit avec mes enfants. La plupart se sont re-mis dans des schémas de couple et de vie de famille recréée. » Vincent se fait plus précis : « Par contre, je connais plein de femmes qui sont encore dans le même schéma que moi. » Pourquoi ? je demande, intriguée. Parce qu’elles doivent plus s’occuper des enfants, qu’elles ont arrêté de travailler, qu’elles sont trop loin de l’emploi ? «Non, je ne crois pas », répond Vincent avec précaution. « Qu’elles aient cru, ou non, au schéma Disney, aujourd’hui elles ont goûté à leur indépendance ; elles ont déjà des enfants, ont déjà vécu la maternité, elles se sentent bien comme ça, à se réaliser en tant que femmes » Dans une relation, oui, mais indépendantes.

Et alors, les hommes ? Ils ont plus de mal ? Visible-ment, oui, fait Vincent en hochant la tête. « Être homme maintenant, ce n’est pas facile. J’ai claire-ment vécu cette difficulté. L’homme doit pouvoir répondre à tous les clichés : salaire, être fort, présent aux enfants, à la femme, se réaliser ». Il a l’impres-sion qu’aujourd’hui, on accepte moins la limite chez l’homme que chez la femme. Selon lui, les femmes sont organisées, solidaires. Pour les hommes, il ne voit rien. Peut-être qu’il y a tous ces mouvements de développement personnel, mais... en y réfléchissant bien, en allant plus loin (Vincent, réfléchir, il fait ça tout le temps, et aller plus loin aussi), « le ‘tout au développement du bien-être’ crée une société indivi-dualiste », et cette vision le fait trembler.

Je quitte Boitsfort en frissonnant mais c’est parce qu’il fait froid. Dans le bus, je repense à notre conver-sation. Au fond, Vincent, ce qui le remue, c’est la question de l’amour – l’amour et l’équilibre. Entre les hommes, les femmes, dans la famille, dans la société. Comment aimer, être soi-même, comment changer soi-même avec l’amour ?

S.P.

HORS CHAMP

VERS UN CONGÉ DEPATERNITÉ EUROPÉEN

Le 28 juin dernier à Bruxelles, une plateforme européenne des pères a vu le jour sous l’impulsion de l’eurodéputée néerlandaise Marije Cornelissen. Mission : promouvoir l’égalité parentale via notamment l’instauration d’un congé de paternité de 2 semaines minimum, dans chaque pays de l’Union. Qui sont ces pères qui veulent s’occuper de leurs enfants ?

ET EN BELGIQUE ?

Depuis le 1er juillet 2002, un congé de paternité de 10 jours est en vigueur pour les tra-vailleurs du secteur privé ainsi que pour les travailleurs contractuels du secteur public. Depuis le 1er avril 2009, ces dix jours peuvent être pris dans les quatre mois à dater du jour d’accouchement. Ils peuvent être étalés, pris à temps partiel ou à temps plein. Les trois premiers jours sont rémunérés à 100%, à charge de l’employeur. Les sept jours suivants, le père perçoit une allocation de 82% du salaire brut, plafonnée, versée par la mutuelle. Mais la réglementation ne s’applique pas à tous les pères ; rarement informés de leurs droits et de leurs obligations, pour diverses raisons, ils ne prennent pas tous les jours de congés auxquels ils ont droit.

ÉGALITÉ PARENTALE

L’ « égalité parentale » est un concept général, plus programma-tique que prescriptif, qui sous-tend notamment la notion juridique d’’autorité parentale conjointe des parents sur leurs enfants. Dans la so-ciété civile, l’ « égalité parentale » a été défendue en particulier par les mouvements de pères divorcés ou séparés. Au-delà des aspects juri-diques stricts auxquels ce concept renvoie, Filiatio soulève l’impor-tance d’une réflexion globale sur l’égalité et la répartition des tâches entre les parents dès le projet d’en-fant et tout au long de leur relation, qu’il y ait séparation ou non.

Les témoignages...... sont au cœur du projet Filiatio. Nous informons, nous relayons, tout en restant à l’écoute des histoires qui nourrissent notre réflexion et motivent notre engage-ment. Sans porter de jugement, nous les partageons. Si vous souhaitez témoigner et nous raconter une tranche de vie heureuse ou douloureuse, contactez-nous à l’adresse suivante : [email protected]

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domestiques, que les mères resteront moins au foyer et qu’elles se réinsèreront plus facilement au travail.

Jetons un œil au Manifeste fondateur de la plate-forme. « Le congé paternité est un aspect important de l’égalité parentale, car : (1) un nombre croissant de pères veulent une part plus égale dans le soin des enfants et devraient y être autorisés dès le début de leur paternité ; (2) l’implication des pères immédia-tement après la naissance renforce leur implication tout au long de l’enfance ; (3) assurer le droit à un congé paternité transmet le message que l’égalité parentale est un choix légitime pour les personnes et pour la société ». Ainsi, la PEF réclame un congé paternité rémunéré à temps plein, afin d’être incita-tif pour les pères, et obligatoire, afin que les pères ne dépendent plus du bon vouloir de leur employeur.

C’est donc un manifeste pour l’égalité parentale. Élé-mentaire ? Pas si simple. D’abord, qui sont ces pères ? Des représentants d’organisations de défense du « droit des papas » ? Quand on regarde de plus près la liste des signataires du Manifeste apparaît SOS Papa Belgique , l’unique organisation signataire pour notre pays. Ainsi qu’on peut le lire, la PEF défend l’égalité de genre à travers la promotion de l’égalité parentale. Or le genre – comme vous pouvez le découvrir dans notre dossier du mois – est une façon de concevoir les rapports entre les hommes et les femmes dans le cadre de relations de pouvoir. Alors pourquoi aucune organisation de mères ne s’est-elle jointe à l’initiative ?

Et puis il y a le nerf de la guerre. Financièrement, ces deux semaines de congé paternité obligatoire sont-elles viables ? Combien cela va-t-il coûter aux pays et aux employeurs ? A ceux qui craignent les coûts, on peut aussi répondre qu’un père qui a eu deux se-maines de congé paternité est plus efficace à son re-tour au travail qu’un père qui n’a pris qu’une journée pour aller chercher sa femme et son bébé à l’hôpital, et qui enchaîne au bureau alors que chez lui, la nuit, personne ne dort... Que pèsent les arguments pro-ductivistes face à l’arrivée d’un enfant ?

Et enfin, deux semaines. Deux petites semaines. A peine le temps de déclarer l’enfant à la commune, à la mutuelle, de choisir les faire-part et de les envoyer. Est-ce que ces deux semaines auront une influence sur le reste de l’éducation des enfants ? Est-ce que ces deux semaines inciteront les pères à prendre des congés parentaux, qui pour l’instant sont un sas vers l’inacti-vité des femmes européennes ? On verra dans les pro-chaines années ; en attendant, on se prend à espérer que cette initiative contribuera à mettre en lumière la nécessité de la protection du lien intra-familial.

S.P.

INTERVIEW

POUR ALLER PLUS LOIN

Le blog de la PEF : http://europeanfathers.wordpress.com/2011/06/28/20/

Les amendements déposés en juin 2010 par la Commission des droits de la femme et de l’égali-té de genres, portant notamment sur le congé maternité de 20 semaines et le congé paternité : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+AMD+A7-2010-0032+001-081+DOC+PDF+V0//FR

L’étude quantitative Congé paternité en Belgique : l’expérience des travailleurs, Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, décembre 2010.http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/de_ervaringen_van_werknemers_met_vaderschapsverlof_in_belgi_.jsp

LA VOIX DES PÈRES DOIT ÊTRE ENTENDUE

Marije Cornelissen, eurodéputée néerlandaise, élue d’un parti écologiste,

revient sur la création de la Plateforme des Pères. Une nécessité, selon elle.

Filiatio : Comment vous est venue l’idée de la créa-tion de cette plateforme ?

Marije Cornelissen : L’un de mes thèmes de travail au Parlement Européen est une durée minimum euro-péenne de congé de paternité. Par exemple, aux Pays-Bas, les pères ont uniquement deux jours de congé à la naissance de leur enfant. Cela ne leur laisse pas le temps de s’impliquer vraiment dans les soins à leur en-fant. Il m’est apparu évident que les pères manquaient de soutien au niveau européen. Plusieurs pays abritent des organisations qui défendent les droits des pères, mais sans représentation à l’échelle européenne. Avec l’association néerlandaise “Father Knowledge Center”, nous avons contacté différentes organisations natio-nales. Le besoin d’une organisation ombrelle euro-péenne pour les pères s’est clairement révélé.

F. : Vous êtes active au sein du Comité Droits des Femmes et Égalité de Genre au Parlement Européen. Avez-vous rencontré des obstacles politiques dans votre projet ?

M.C. : La plupart des réactions à la création de la Plateforme des Pères furent très positives. Dans quelques cas seulement, j’ai dû expliquer que dé-fendre les pères n’était en rien conflictuel avec les droits des mères. Il y va de l’intérêt des femmes que les pères puissent partager avec elles les responsabi-lités de l’éducation de leurs enfants.

F. : L’égalité parentale, c’est un sujet de genre et un sujet de société. Or la plupart des organisations qui compo-sent la PEF se déclarent « masculines» ou « paternelles ». Pourquoi avoir fait le choix de créer une plateforme des pères, et non pas une plateforme des parents ?

M. C. : Je dois mentionner que la Plateforme des Pères est une organisation indépendante. J’en ai soutenu la création, mais la PEF est politiquement indépendante. La PEF représente les organisations nationales de pères, de soutien à la paternité et d’égalité parentale. L’égalité parentale est une priorité dans l’agenda de la PEF, et en particulier la promotion de politiques in-cluant les pères. Le rôle des pères est, malheureuse-ment, souvent laissé de côté par les politiques. Je crois qu’il est important que leur voix soit entendue.

F. : Que répondez-vous à ceux qui pensent que les efforts des pères sont égoïstes, dans le sens où les enfants auraient surtout besoin de leur mère ?

M. C. : Je ne suis pas du tout d’accord avec cet argument. Les parents sont tous les deux responsables du soin à apporter à leur enfant. Il est dans l’intérêt de l’enfant qu’un parent responsable et aimant s’occupe de lui.

Que ce soit une famille traditionnelle, un père, une mère, deux mères ou deux pères n’a pas d’importance.

F. : Aujourd’hui, on a l’impression que les « nouveaux pères » sont arrivés à égalité avec les mères. Par exemple, en Belgique, la garde alternée est considé-rée selon la loi comme la solution de garde à privilé-gier. Qu’en pensez-vous ?

M.C. : C’est l’un des thèmes de l’agenda de la PEF. Alors que la situation est réellement en train de s’améliorer, des pères, à travers toute l’Europe, sont toujours confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit de partager la garde après un divorce ou une sépara-tion. La PEF permet aux pères européens d’échanger des informations sur ce sujet. C’est particulièrement important pour les pères non mariés et pour les pa-rents qui vivent dans des pays différents.

F. : Si vous deviez identifier trois actions prioritaires pour arriver à l’égalité parentale, quelles seraient-elles ?

M.C. : Tout d’abord, les deux parents doivent avoir la possibilité de combiner le soin apporté à leurs en-fants avec leur travail. C’est la raison pour laquelle le congé de paternité et le congé de maternité sont mes priorités. Une recherche a récemment démontré que le congé de paternité amène les pères à s’impli-quer davantage dans les activités de soin à leur enfant pendant les premières années après la naissance. Ce partage des responsabilités donne aux femmes plus de temps pour travailler, ce qui a des avantages finan-ciers pour les ménages. Des congés de paternité et de maternité généreux auront également d’autres avan-tages. Cela réduira la différence entre les hommes et les femmes dans la prise en charge et le soin (« care gap » en anglais, ndlr). Cela permettra également aux femmes de s’élever à des positions de prise de déci-sion. Et cela répondra à l’un des besoins humains fon-damentaux : rester le plus près possible de ceux qu’on aime lorsqu’ils en ont besoin. Beaucoup d’attention est portée aux différences hommes-femmes en ma-tière de salaire (« the so called gender pay gap ») : à travail égal, les femmes sont toujours moins payées que les hommes. Mais je voudrais mettre la différence hommes-femmes dans la prise en charge des enfants au même niveau de l’agenda : les hommes s’occupent moins de leurs enfants que les femmes. Je voudrais que hommes et les femmes européen(ne)s aient le droit de travailler à mi-temps. Cela permettrait aux hommes, en particulier s’ils ont des employeurs peu convaincus ou conservateurs, de passer plus de temps à s’occuper de leurs enfants – et pour les enfants, il y a également des avantages. Par exemple, les hommes devraient également profiter du droit à utiliser les crèches et garderies de la compagnie pour laquelle ils travaillent.

Fathercare Knowledge Center Europe

(http://fkce.wordpress.com), présidé par

Peter Tromp : défend l’égalité parentale

et l’implication des deux parents dans la

vie de leur enfant après un divorce ou une

séparation.

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EN LISANT

CLASSIQUE 

LE COUP DE LA MÈRE PARFAITE

La pétillante revue Books de l’été dernier s’intitulait, en clin d’œil : « Tout sur la mère ». Les bonnes, les mauvaises, et les autres. Au menu : des mères coupables de tous les maux de leurs enfants. Des mères qui aiment leur mari plus que leur progéniture. Des mères qui refusent d’allaiter. Des mères-tigres, qui éduquent leurs enfants à la dure (des dures-mères). D’autres qui s’en contrefichent. Des mères qui choisissent une carrière plutôt qu’une famille. Des mères ‘bio’, qui lavent leurs couches et qui restent à la maison, contre lesquelles s’insurge Elisabeth Badinter dans un article inédit. A cette occasion, revenons sur le dernier ouvrage polémique de la philosophe, femme d’affaires et mère de trois enfants.

Il y a trente ans, Elisabeth Badinter dérangeait. L’instinct maternel est-il naturel ? demandait-elle à ses contemporains. Est-il exclusive-ment féminin ? Pourquoi se manifeste-t-il chez certaines femmes et pas d’autres ? En utilisant l’histoire, la philosophie et la sociologie, son explosive réponse était : non, l’instinct maternel n’est pas « natu-rel ». C’est un comportement social, qui varie selon les époques et les mœurs. Les mères ne sont pas « normalement dévouées » - comme les articles sélectionnés dans le dernier Books le montrent avec beaucoup d’humour : l’amour, c’est un plus, pas une donnée de départ ni une né-cessité. Il se tricote au fil du temps, et les façons d’exprimer cet amour sont aussi multiples que les figures humaines.

Une génération plus tard, les pères ont pris une place grandissante dans le soin et l’éducation des enfants ; on pourrait croire la question réglée. Pourtant la philosophe s’inquiète (et dérange encore). La so-ciété remet la maternité au cœur du destin des femmes, s’insurge Ba-dinter. De nouveaux discours naturalistes pousseraient la femme à faire des enfants, à rester à la maison, au détriment des avancées égalitaires des trente dernières années.

LE NATURALISME À LA CHARGE

Être une femme, être une mère : ce n’est pas la même chose ? Ce sont deux états qui peuvent être conflictuels, car la maternité est ambi-valente. Depuis que les femmes maitrisent leur fécondité, on assiste à la fois à un déclin de la fertilité, à la hausse de l’âge moyen de la maternité, à l’augmentation des femmes sur le marché du travail et à la diversification des modes de vie féminins, avec de plus en plus de femmes célibataires et de couples sans enfants. Pourtant, dans des temps économiquement difficiles, la maternité constitue une va-leur-refuge. Rassurante, en particulier pour les femmes précarisées.

Les sciences redécouvrent l’instinct maternel : théories du lien (l’atta-chement au bébé dans les semaines qui suivent la naissance), appel au maternage, discours culpabilisants pour les mères qui décident de ne pas allaiter, et nouvelle vague féministe essentialiste. L’égalité sera un leurre, selon ce type de mouvement féministe, tant qu’on n’aura pas reconnu la différence de nature (d’essence) entre les hommes et les femmes, une différence dont la maternité est le cœur. C’est un danger, pointe du doigt Badinter, car le retour à la « bonne mère » participera à la stagnation, voire au recul de l’égalité hommes-femmes. L’image de la femme, première dispensatrice d’amour et de soin au nouveau-né et à l’enfant, est ancrée dans notre histoire, et cette histoire est en train de changer. Nous sommes aujourd’hui à la recherche de nouvelles figures de la maternité, insiste Madame Badinter. Et l’argument de la nature est, selon elle, le plus grand danger.

CONTREPOINTS

Dans Books, la spécialiste des primates et anthropologue Sarah Hrdy juge la position d’Elisabeth Badinter « irresponsable » : considérer les scientifiques – et en particulier les biologistes – comme des ennemis, « c’est se priver d’importants moyens de se comprendre soi-même et de comprendre le développement cognitif et émotionnel ainsi que les besoins du bébé humain. » Elle cite une phrase extraite du Conflit : « le bébé est le meilleur allié de la domination masculine. » Au-delà de la provocation, Badinter veut montrer que la façon dont l’instinct et l’amour maternel ont été instrumentalisés au profit d’une vision sexiste de la société a permis la perpétuation de la domination masculine. Mais Sarah Hrdy déplore que Badinter n’ait pas pris soin de se rensei-gner sur les changements de paradigme de l’anthropologie de l’évolu-tion : il n’y a pas de raison, explique-t-elle, que l’homme ne s’implique pas presque autant que la mère dans l’ « élevage » des enfants (c’est bien une primatologue qui s’exprime !). En effet, depuis une dizaine d’années, les biologistes ont montré que « le mâle humain » (autrement dit : l’homme...) « comme dans les autres espèces pratiquant l’élevage coopératif, lorsqu’il cohabite avec la mère et est en contact étroit avec le bébé, subit une transformation hormonale ». Il y a la place, conclut Hrdy, pour un épanouissement de l’homme qui développe son poten-tiel d’empathie à l’égard des tout-petits.

C’est aussi la position que soutient l’essayiste et romancière Nancy Huston : « Si les pères étaient plus impliqués dans les soins des tout-petits, la misogynie pourrait peut-être commencer à s’atténuer », in-dique-t-elle dans une interview à La Vie. Qui sait ? En tous les cas, soutient-elle, « ce n’est pas en cherchant exclusivement à s’aligner sur les comportements masculins que les femmes résoudront le problème de l’inégalité. » En effet, si Badinter déplore les conséquences des conceptions visant à tenir le père à l’écart de la dyade mère-enfant, elle ne propose pas de piste concrète pour que les hommes devien-nent plus actifs dans les premiers mois suivant la naissance d’un enfant – et dans les années qui suivent. Nancy Huston continue : « Certes, il est dangereux de nos jours pour une femme de s’éloigner du mar-ché du travail. Mais la carrière d’un homme uniquement absorbé par sa propre promotion, est-ce vraiment ce qu’il y a de plus désirable dans la vie ? » Une réflexion nécessaire, alors que le Parlement européen n’ar-rive toujours pas à se décider en faveur de l’allongement obligatoire des congés parentaux.

S.P.

RÉSIDENCE ALTERNÉE, QUELLE EST LA BONNE DÉCISION?

En complément de l’actualité de ce mois, Filiatio revient sur un ouvrage sorti l’an dernier, co-écrit par une pédopsychiatre et une journaliste spé-cialiste de la famille (déjà co-auteur de Réussir la garde alternée – Profiter des atouts, éviter les pièges, avec le Dr. Gérard Poussin, Albin Michel, 2004).

Après plusieurs années de loi favorable à la résidence alternée, où en sommes-nous ? Si les chiffres valent pour la France (mais ressemblent aux nôtres), les questions de fond se posent tout aussi bien pour la Belgique. L’alternance propose, après une rupture, la « moins mauvaises des solutions » en offrant un équilibrage des rôles auprès de l’enfant, expliquent les auteurs. Pourtant les résistances au changement ont la peau dure et la pratique est encore limitée : pourquoi est-elle toujours contestée ? Quelles seront les difficultés rencontrées par les enfants, âge par âge ? Et par les parents ? En essayant de se tenir aussi loin que possible de la polémique, cet ouvrage clair et synthétique présente tout d’abord les avantages de la résidence alternée ainsi qu’ils ont pu être évalués dans le temps, et montre que les procès intentés par des experts à l’alternance sont bien souvent fondés sur des mauvaises rai-sons. On a centré le débat sur la résidence paritaire (en particulier du nourrisson) : c’est un raccourci diabolisant, car on ne présente que les extrêmes. On a mis en avant l’importance de l’attachement du bébé et de l’enfant à sa mère. Comment alimenter le lien père-enfant si l’on ne voit son tout-petit que quelques heures par semaine, au domicile de son ex ? D’autant plus que l’on sait aujourd’hui que les hommes sont, presque autant que les femmes, capables de prendre soin et d’éduquer les enfants. Sans tomber dans la défense de l’alternance à tout crin, les auteurs apportent des réponses constructives aux arguments anti les plus courants. L’importance de la co-parentalité, le problème de la parole des experts, celui de la parole des enfants ; comment construire l’alternance si l’un des deux parents s’y oppose, pourquoi l’alternance prend du temps à se construire: autant de thèmes abordés avec une grande souplesse, du bon sens et sans idées reçues. A lire, quand est pour, quand on est contre, quand on ne sait pas et qu’on en a assez des manuels de pensées précuites.

S.P.

POUR ALLER PLUS LOIN

A. Badinter, L’amour en plus, Histoire de l’amour maternel XVII-XXème siècle, Flammarion, 1980.

Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en Occident, PUF, collection Que Sais-je, 2002.

Sarah Blaffer Hrdy, Les Instincts maternels, Payot, 2002.

Née en 1946 aux Etats-Unis, Sarah Hrdy a fait sa thèse de doctorat de prima-tologie sur l’infanticide dans les colonies de singes langur, en Asie. Elle est l’auteur de nombreuses publications scientifiques qui ont contribué à renou-veler sa discipline au niveau international. Elle s’est également intéressée à l’ « instinct maternel », chez les primates et chez les humains ; elle est enfin une fervente avocate de la disponibilité et l’accessibilité des crèches.

La société remet la maternitéau cœur du destin des femmes.

PRATIQUE  MAGAZINE

disponible en ligne: www.booksmag.fr

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20 FILIATIO - n°1 - octobre 2011

TRIBUNALITÉS

Filiatio est un périodique publié par Smala!* Il est envoyé chaque mois aux parlementaires, aux avocats, aux juges et aux professionnels en charge de la famille, des rôles parentaux, des processus d’éducation et de l’égalité hommes-femmes. Il est aussi disponible pour le grand public par abonnement. Pour plus d’infos, pour témoigner, réagir ou agir, rendez-vous sur www.filiatio.be.Ont collaboré à ce n° : Sabine Panet, Benoît Devuyst, Koen Mater, Justine Reheul

HUMOUR-HUMEUR AU SOMMAIRE DU PROCHAIN NUMÉRO

Actualités : Cette année, les vieux ont de l’avance!Dossier : Saint Nicolas : des livres dans vos petits souliers(mais pas n’importe lesquels)Témoignage : Véronique ou la combattante

Hors champ : L’accouchement sous X en questions

* L’ASBL Smala! soutient la parentalité et la famille au sens large, l’égalité hommes-femmes au sein de la famille et dans la société à travers toutes activités d’éducation, d’accompagnement, de plaidoyer, de communication et de recherche.

Editeur responsable: Dominique BrichetAdresse: rue de l’Été 53 1050 Bruxelles BelgiqueContact: [email protected] ou www.filiatio.be

Filiatio est imprimé chez Massoz sur Cyclus Print, papier 100% recyclé blanchi sans chlore. N° d’agr. : P913051

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VIVE LA RENTRÉE ? 1er septembre, la rentrée scolaire est là. Et si l’on pourrait croire que ce cap se passera mieux pour les parents que pour leur progéniture, ce n’est malheureusement pas toujours le cas. En effet, certains parents sont confrontés ce jour-là à un problème de taille : leur enfant n’a pas été scolarisé dans l’école de leur choix ! Non pas parce qu’il n’y avait pas de place mais tout bonnement parce que l’autre parent a changé l’enfant d’école sans l’en avertir !

Or le principe de l’autorité parentale conjointe devrait permettre d’éviter cet écueil puisque les écoles sont censées faire signer le formu-laire d’inscription de l’enfant par les deux pa-rents, que ces derniers soient mariés ou non. Mais un constat s’impose : les écoles ne sont pas toutes aussi regardantes ! Et c’est alors au tribunal de trancher – le plus souvent en ré-

féré- sur l’école que devra fréquenter l’enfant.Cette situation pourrait paraître anecdotique et pourtant, rien que sur la journée d’hier, j’ai été confronté à trois parents dans le cas. Un finira par céder, conscient que c’est son fils qui pâtit le plus de cette situation ; les deux autres vont aller en référé dans les prochains jours pour faire entendre leur colère et imposer l’école qui avait été choisie avant les vacances scolaires.

Mais que décidera le tribunal ? Difficile de le dire à l’avance, tant chacune des parties croit avoir les arguments infaillibles pour justifier son choix. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : c’est l’enfant qui sera la principale victime de ce conflit puisqu’immanquable-ment, un de ses parents se sentira floué par la décision rendue par le tribunal, ce qui n’amé-liorera pas le climat familial.

Et si le tribunal décide que l’enfant doit être scolarisé dans « l’autre école » (par exemple parce qu’elle est à une distance plus raison-

nable des domiciles respectifs des parents, ou parce que c’est l’école où l’enfant avait été inscrit au préalable par les deux parents avant un volte-face de l’un d’eux), ce sera à l’enfant de s’adapter à ce changement, en débarquant dans quelques jours – voire semaines- dans sa nouvelle classe, qu’il ne connaît pas toujours !

La rentrée est-elle donc si réjouissante ? « Bof » vous diront certains !

Isabelle Scrève,Avocate au Barreau de Bruxelles

DÉCRYPTAGE

Les professionnels du Droit ne sont-ils pas démunis face au mal-être des enfants pris dans un conflit parental grave. Que devraient-ils faire ? Se lamenter ? Faire la morale aux

parents ? Dans ce dernier cas, n’est-ce pas le moins manipulateur des parents qui cèdera le premier, oubliant alors l’intérêt de l’enfant à long terme ?

Le roi Salomon proposa une solution. Face à deux mères qui revendiquaient le même enfant, il trancha violemment le litige par une formule restée célèbre. « Qu’on le coupe en deux ! »

L’une des mères préféra donner l’enfant plu-tôt que de le voir sacrifié. L’autre s’en satisfit. Salomon, alors, décida de donner l’enfant à la première, celle qui avait su renoncer. Il avait par là vérifié concrètement les projets éducatifs de chaque partie, par la confrontation, sans tom-ber dans le piège de la manipulation.

K.M.

benoit
Note
ajouter un point d'interro
benoit
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un peu perdu... plus grand STP, t'as encore de la marge!
benoit
Note
Pour solutionner, je propose d'écrire: TRIBUNALITÉS: DÉCRYPTAGE
benoit
Note
J'alignerais tout à gauche
benoit
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le N° d'agrég. n'a pas de rapport avec le papier recyclé > aligner à gauche Cf. retse du bloc txt