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A. Manço (éd.), Pratiques pour une école inclusive : agir ensemble 66 « École de l’Espoir » : quels projets pour quels effets ? Claire Gavray L’« École de l’Espoir » est un programme de soutien financier d’une durée de cinq ans pour des projets novateurs destinés à améliorer l’insertion scolaire et l’intégration sociale et citoyenne des jeunes et de leur famille. Le prix organisé par la Fondation Reine Paola (FRP) s’adresse aux implantations de l’enseignement fondamental et secondaire belge qui font déjà l’objet d’un encadrement différencié dans les différentes communautés linguistiques du pays. Les initiatives soutenues peuvent émaner des directeurs d’école, des groupes d’enseignants ou d’intervenants extérieurs pour autant qu’ils travaillent en lien avec l’école et son environnement. Ils doivent impérativement s’adresser à une communauté scolaire dont les élèves connaissent de lourds problèmes d’intégration. Dans les faits, les projets déposés et aidés concernent une large population d’élèves d’origine étrangère et de milieu défavorisé. Sur dix ans de fonctionnement, plus de vingt projets ont été soutenus par la Fondation en Fédération Wallonie Bruxelles. Nous avons évalué ces projets depuis leur dépôt, les visitant annuellement pour faire le point sur les réalisations, les évolutions positives et les difficultés rencontrées. Au départ du matériau émanant du suivi de ces projets, ainsi que des recherches menées récemment en Belgique, cet article mentionne le contenu de différentes initiatives et discute plus largement les avancées et les tensions en matière de pédagogie inclusive. Paradoxes et évolution du système d’enseignement belge Différentes études comparatives (dont PISA 46 ) donnent l’image d’un enseignement belge à la fois bon en moyenne, mais très inégalitaire et ségrégatif (Hirtt, 2006 ; Demeuse et Baye, 2007). Cette réalité se marque notamment au niveau de la concentration des populations précarisées et immigrées au sein de certains établissements scolaires de proximité. Elle s’exprime tant dans les constats de redoublements, retards et abandons scolaires que dans l’orientation précoce dans certaines « options » (dont principalement l’enseignement spécial ou préprofessionnel). Ce bilan contraste avec l’image d’un pays généralement présenté comme mobilisé dans la lutte contre les inégalités sociales. En fait, si l’idée a bien émergé que l’école est une unité pertinente pour mener une telle lutte, le décret du 24 juillet 1997 restreint son champ d’action à celui des résultats scolaires et cela au départ de trois situations précises : au moment de l’admission, durant l’enseignement et lors des examens. Cette politique s’appuie sur l’obligation scolaire jusque 18 ans (loi du 29 juin 1983), sur l’accès à un enseignement gratuit et de qualité, sur le choix de l’établissement scolaire et de 46 Programme international pour le suivi des acquis des élèves organisé et soutenu par l’OCDE.

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« École de l’Espoir » : quels projets pour quels effets ?

Claire Gavray

L’« École de l’Espoir » est un programme de soutien financier d’une durée de cinq ans pour des projets novateurs destinés à améliorer l’insertion scolaire et l’intégration sociale et citoyenne des jeunes et de leur famille. Le prix organisé par la Fondation Reine Paola (FRP) s’adresse aux implantations de l’enseignement fondamental et secondaire belge qui font déjà l’objet d’un encadrement différencié dans les différentes communautés linguistiques du pays. Les initiatives soutenues peuvent émaner des directeurs d’école, des groupes d’enseignants ou d’intervenants extérieurs pour autant qu’ils travaillent en lien avec l’école et son environnement. Ils doivent impérativement s’adresser à une communauté scolaire dont les élèves connaissent de lourds problèmes d’intégration. Dans les faits, les projets déposés et aidés concernent une large population d’élèves d’origine étrangère et de milieu défavorisé. Sur dix ans de fonctionnement, plus de vingt projets ont été soutenus par la Fondation en Fédération Wallonie Bruxelles. Nous avons évalué ces projets depuis leur dépôt, les visitant annuellement pour faire le point sur les réalisations, les évolutions positives et les difficultés rencontrées. Au départ du matériau émanant du suivi de ces projets, ainsi que des recherches menées récemment en Belgique, cet article mentionne le contenu de différentes initiatives et discute plus largement les avancées et les tensions en matière de pédagogie inclusive. Paradoxes et évolution du système d’enseignement belge Différentes études comparatives (dont PISA46) donnent l’image d’un enseignement belge à la fois bon en moyenne, mais très inégalitaire et ségrégatif (Hirtt, 2006 ; Demeuse et Baye, 2007). Cette réalité se marque notamment au niveau de la concentration des populations précarisées et immigrées au sein de certains établissements scolaires de proximité. Elle s’exprime tant dans les constats de redoublements, retards et abandons scolaires que dans l’orientation précoce dans certaines « options » (dont principalement l’enseignement spécial ou préprofessionnel). Ce bilan contraste avec l’image d’un pays généralement présenté comme mobilisé dans la lutte contre les inégalités sociales. En fait, si l’idée a bien émergé que l’école est une unité pertinente pour mener une telle lutte, le décret du 24 juillet 1997 restreint son champ d’action à celui des résultats scolaires et cela au départ de trois situations précises : au moment de l’admission, durant l’enseignement et lors des examens. Cette politique s’appuie sur l’obligation scolaire jusque 18 ans (loi du 29 juin 1983), sur l’accès à un enseignement gratuit et de qualité, sur le choix de l’établissement scolaire et de

46 Programme international pour le suivi des acquis des élèves organisé et soutenu par l’OCDE.

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l’orientation, sur son organisation et ses règlements et enfin, plus récemment, sur la participation des acteurs impliqués. Dans les faits, bien que le droit à l’inscription soit garanti en théorie, différents motifs de refus d’inscription sont régulièrement évoqués par les directions. Quant au système de « choix » dans l’offre scolaire en vigueur, il favorise les phénomènes de concentration et d’écrémage sociaux au sein de nombreuses écoles. Selon Draelants (2002) et Maroy (2006), la liberté de choix se serait en fait transformée en liberté marchande, exacerbant l’écart entre les familles disposant de capitaux sociaux et culturels élevés et maîtrisant les codes « gagnants » et les autres familles. Delvaux (2005) explique comment historiquement en Belgique, deux guerres scolaires entre l’enseignement officiel (laïc) et confessionnel ont alimenté ce quasi-marché scolaire, situation qui vient encore exacerber une concurrence qualitative et quantitative entre les écoles. On peut vérifier que si certains établissements d’enseignement défendent des politiques volontaristes de mixité sociale, il se révèle risqué pour un établissement de décider seul de ne pas jouer la carte concurrentielle. Sur le terrain, le récent décret « mixité sociale » censé réguler les inscriptions en première année de l’enseignement secondaire dans le but de mélanger les élèves d’origines socio-économiques différentes (Hirtt, 2009, 144) peine à délier le lien mutuel entre ségrégation scolaire et urbaine (Durut-Bellat, 2004, 173). De plus, le contexte de forte immigration et de crispation des relations entre les différentes cultures est venu aggraver et complexifier la situation, les écoles se retrouvant confrontées en première ligne au croisement entre différents rapports sociaux entrelacés : ethniques, nationaux, de classe, de genre. Ainsi, certaines écoles de Bruxelles comptent désormais moins de 15 % d’élèves d’origine belge et voient arriver, année après année, de nouvelles populations étrangères ne maîtrisant pas le français ni les matières de base. Cette situation place les politiques et pédagogies de remédiation classiques en échec. Elle crée aussi de fortes tensions, notamment au sein des classes hétérogènes entre ceux qui veulent et peuvent avancer et les autres, largués, qui se rebiffent ou deviennent totalement passifs. De nombreux observateurs (dont les promoteurs de projets de l’École de l’Espoir rencontrés) constatent et déplorent inexorablement un affaiblissement régulier des exigences lors de l’évaluation certificative commune pour l’obtention du certificat d’enseignement de base (CEB) en fin d’études primaires. On peut vérifier que progressivement, l’application des critères de réussite dans les décisions de conseils de classe, le redoublement très largement pratiqué en Belgique ainsi que l’aiguillage précoce vers l’enseignement spécialisé, s’est transformée en un outil de gestion de l’hétérogénéité, ce qui renforce encore l’homogénéité des classes au profit de l’idéologie de l’excellence (Monseur et Demeuse, 2001). La concentration de populations fragiles et les difficultés des écoles pour gérer cette dernière atteignent leur apogée au début de l’enseignement secondaire et cela principalement en restreignant le libre choix de l’orientation des élèves. L’offre est d’autant plus limitée qu’il existe peu d’options au sein de nombreux établissements scolaires de proximité fréquentés par les populations précarisées. Assez rapidement au cours de la progression dans l’enseignement secondaire, le mécanisme de tri socioculturel

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pousse ainsi les élèves les plus faibles vers les filières qualifiantes en même temps que vers la sortie de la scolarité. Ces phénomènes sont attestés par l’ensemble des recherches menées depuis un demi-siècle (notamment depuis Bourdieu et Passeron, 1970). Une étude belge (Parent et coll., 2002) indique par exemple que 62 % des garçons fréquentant l’enseignement professionnel ont un père ouvrier non qualifié. De manière générale, les filières techniques de qualification et professionnelles accueillent un profil d’élèves moins favorisés et davantage d’origine étrangère que les autres filières (filières générales ou techniques de transition donnant toutes deux accès à l’enseignement supérieur). Conjointement à ces évolutions, on a assisté à un mouvement de judiciarisation croissante de la sphère scolaire. Chaque école reçoit l’injonction de rédiger son règlement scolaire. L’idée est de s’appuyer sur le droit et sur des accords clairs et négociés entre les parties, ainsi que de permettre un contrôle de l’exercice du pouvoir, notamment via le vote de représentants (décret « missions » de 1997). Alors que ces règlements ont pris une place importante dans la mesure où une école ne peut par exemple prendre d’autres sanctions que celles prévues dans son règlement intérieur, ce dernier manque souvent de professionnalisme et attribue rarement des droits identiques à chaque partie. Le Délégué général aux droits de l’enfant dénonce par exemple régulièrement les contrats pédagogiques et de comportement, par lesquels certaines directions « rejettent sur le jeune et sa famille la responsabilité de l’exclusion en imposant des conditions souvent impossibles à respecter par le jeune »47. Par ailleurs, la participation des élèves aux décisions et au fonctionnement de l’école reste souvent symbolique et quand elle est mise en œuvre, on peut voir qu’elle est largement déconnectée des autres formes de participation. Dans la pratique, la mission de consultation et celle de renforcement des capacités de négociation de chaque acteur s’avèrent particulièrement difficiles avec les publics défavorisés et immigrés. Ces différents éléments expliquent que l’école échoue comme instrument efficace de lutte contre les discriminations et en faveur de l’égalité. Se développe également un malaise et des tensions au sein du corps enseignant. Certains professeurs expriment ainsi un mal-être face à ce qu’ils ressentent comme une reconnaissance illimitée des droits des élèves et des familles et comme une atteinte à la relation pédagogique. Ils disent également se sentir investis de missions impossibles face à des phénomènes qui, de leur point de vue, ne trouvent ni leur origine ni leur solution dans l’école (parlant des carences éducatives ou de la précarité des familles). La situation se complique d’autant plus qu’ils assistent impuissants à une paupérisation et une ethnicisation de la population scolaire de leur école. Et de fait, les indicateurs et témoignages concordent pour pouvoir affirmer que l’école est confrontée de plein fouet au phénomène de ségrégation et d’exclusion sociales d’un nombre significatif de familles. Les exclusions scolaires ont plus que doublé en dix ans. En 2011, plus de 2500 élèves ont été exclus dès l’école maternelle (Ligue des droits de l’enfant48). Conjointement,

47 http://blog.lesoir.be/salledesprofs/2012/02/01/des-exclusions-des-la-maternelle. 48 http://blog.lesoir.be/salledesprofs/2012/02/01/des-exclusions-des-la-maternelle.

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on ne peut nier que dans un même temps les attentes des jeunes, des familles et de la société vis-à-vis de l’école se sont accrues et diversifiées, cela en matière de santé, de gestion de l’agressivité et de la violence, de développement personnel. Ces attentes nourrissent encore le stress, le sentiment de perte de contrôle et les tensions interpersonnelles et institutionnelles. À propos de l’inclusion : l’école en réflexion et en mouvement Si les causes des inégalités sont multiples (économique, sociale, culturelle, religieuse, linguistique, ethnique, nationale et de genre) et se traduisent dans l’environnement de vie quotidienne des élèves au travers des mécanismes de ségrégation, d’autres inégalités de traitement sont reconnues comme inhérentes à l’enseignement lui-même et à sa structure (Nicaise, 2009). De nombreuses études sociologiques font régulièrement la démonstration de la manière dont l’institution scolaire participe à la reproduction des inégalités sociales et en matière de capitaux sociaux et culturels. D’autres recherches montrent inlassablement en quoi, à côté des conditions matérielles de la famille, l’expérience répétée de discrimination et de contacts négatifs avec l’école — comme avec les autres institutions sociales —, se révèle avoir des impacts personnels et collectifs non négligeables sur les enfants et adolescents (Gavray, Vettenburg, Pauwels, Brondeel, 2012). Selon la théorie de la vulnérabilité sociétale développée par Vettenburg et Walgave (1991), les jeunes vulnérables présentent un plus haut risque de développer des comportements problématiques et de manifester des attitudes de retrait et de mal-être dans la sphère scolaire. La raison en serait le manque d’opportunités permettant de créer des liens positifs stables avec la société, un manque de considération et un sentiment d’exclusion de la part des différents agents de socialisation et d’insertion sociales (famille, école, justice, police, marché de l’emploi…). La démonstration a été faite, année après année, d’une vulnérabilité multidimensionnelle et dynamique nourrissant le ressenti de discrimination. Ainsi, les « habitus » (Bourdieu, 1979) sont au croisement des rapports sociaux de classe, d’âge et de sexe. La vulnérabilité sociétale engendre une réaction sociale qui, à son tour, augmente les risques de stigmatisation, de désaffiliation scolaire et sociale. Selon Le Goff (2010), ces risques sont d’autant plus grands que nos sociétés contemporaines évacuent la question des hiérarchies et troquent l’objectif de lutte contre les inégalités contre celui de gestion des diversités. Ainsi, peut-on remarquer que le décret régissant actuellement l’enseignement en Fédération Wallonie Bruxelles, même s’il donne des moyens d’encadrement financier et humain supplémentaires aux écoles classées « en discrimination positive » de par le public fragile qui les fréquentent, parle désormais moins de lutte contre les inégalités que de pédagogie différenciée consistant à varier les méthodes pour tenir compte de l’hétérogénéité des classes et des besoins d’apprentissage des élèves. Dans une même ligne, la réforme du décret sur la formation initiale des institutrices, instituteurs et régent/es du 15 septembre 2005 a prévu de remplacer dans le programme le cours portant sur les mécanismes d’inégalités sociales par un autre cours intitulé « approche théorique et pratique de la diversité culturelle » (Conseil des femmes belges, 2009).

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Si les professeurs ne rejettent pas d’office l’objectif de reconnaître la diversité ni d’œuvrer en faveur de l’égalité des chances, nombreux sont ceux qui continuent à penser que la solution doit venir en tout premier lieu des efforts d’adaptation et d’intégration des élèves et des familles. Les concepts d’inclusion et d’éducation inclusive restent encore régulièrement compris comme une mission supplémentaire, voire concurrentielle, à celle d’enseignement. Néanmoins, des professionnels de l’école ont avancé de manière significative dans leurs réflexions au départ de ces deux concepts et ont commencé à les matérialiser dans leur travail quotidien (Van Hove, Mortier, De Schauwer, 2005 ; Meijer, 2006). Ils identifient et reconnaissent des exigences multiples, variées et articulées les unes aux autres : rechercher le soutien dont l’enfant, l’école et chacun des différents acteurs scolaires (y compris les parents et la communauté) ont besoin – veiller à ce que l’élève puisse développer ses compétences y compris transversales, développer son capital social, culturel et affectif. Ils sont persuadés que les apprentissages sont facilités quand on se sent bien, soutenu, impliqué, tiré vers le haut, quand on peut poursuivre un développement harmonieux en affinant ses objectifs personnels. La conception d’éducation inclusive s’inscrit dans cette ligne. Elle cherche à répondre à ce qui est dénoncé comme dysfonctionnement dans la théorie de la vulnérabilité sociétale ou dans celle de la reconnaissance développée par Honneth (2004, 2006). Ces deux théories développent l’idée selon laquelle tout être humain a besoin de soutien, de sécurité, d’affiliation et d’estime de soi pour pouvoir agir correctement. Toutes deux partent de la constatation selon laquelle ne pas se sentir bien à l’école pour un enfant ou un adulte peut entraîner des dégâts personnels et collectifs importants. Une telle approche n’a pas surgi totalement indépendamment de l’organisation officielle de l’enseignement. Les années 90 ont vu émerger en Belgique des politiques d’encadrement scolaire élargi réservées aux élèves d’origine défavorisée ou immigrée. Celles-ci se sont matérialisées dans des dispositifs comme les classes passerelles permettant d’accueillir dans de meilleures conditions les primo-arrivants et réfugiés ou les cours d’adaptation à la langue de l’enseignement. De son côté, le décret du 30 juin 1998 de la Fédération Wallonie Bruxelles en matière de discrimination positive visant à « donner plus à ceux qui ont moins », octroie des moyens supplémentaires aux établissements scolaires répondant à un certain nombre de critères quantitatifs relatifs à l’accueil d’élèves provenant des milieux les plus fragilisés. Si une telle aide s’avère la bienvenue, elle se révèle insuffisante et parfois mal utilisée (réservée à de l’achat de matériel ou à organiser des garderies, par exemple). De plus, elle offre peu de flexibilité quant à l’utilisation qui peut en être faite au fur et à mesure que de nouveaux problèmes ou de nouvelles idées voient le jour. On peut remarquer que malgré des décrets successifs, l’encadrement différencié (selon la dernière appellation du dispositif) n’a pas automatiquement débouché sur une évolution des conceptions et pédagogies d’enseignement. Un soutien supplémentaire provenant d’associations, de fondations, voire d’entreprises, s’avère nécessaire pour pouvoir étendre la palette des méthodes et projets pédagogiques permettant de s’écarter de l’enseignement « frontal » classique.

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Projets « École de l’Espoir » : esprit et réalisations Dans les écoles soutenues par la Fondation Reine Paola, les équipes éducatives partagent la caractéristique d’avoir réfléchi souvent de longue date à une façon de travailler de manière plus efficace. Pour eux, l’amélioration de la scolarité va inexorablement de pair avec celle du bien-être des jeunes dont ils ont la charge. Toutes ont détecté de manière endémique des souffrances, détresses et appels à l’aide de la part d’un nombre significatif d’enfants et de jeunes. Les projets tels qu’ils sont présentés et argumentés répondent ainsi à l’urgence de mieux équilibrer le développement scolaire et socio-émotionnel (Van Hove, De Vroey et Deprez M., 2009). Si la Fondation aide des projets de soutien scolaire individualisé et de remédiation, ces actions s’inscrivent automatiquement dans un programme d’action plus large et plus diversifié (par exemple, le projet à destination des jeunes d’origine subsaharienne souvent en conflit avec les valeurs et fonctionnements familiaux : le but est de recréer une relation de confiance entre jeunes, parents et société en même temps que de favoriser la réussite scolaire). Les projets subventionnés ne visent ainsi pas seulement le développement cognitif du jeune, mais bien son développement global dans l’articulation de diverses dimensions : corporelles et physiques, sociales, émotionnelles et affectives, artistiques et culturelles, citoyennes et politiques : « Nous voulons former un enfant autonome, responsable ; un enfant citoyen ouvert sur le monde, pratiquant la démocratie et la solidarité, respectant l’environnement », Projet « Halte au double rejet », École Les Tournesols. Williams (2003) parle de trois types d’activités permettant d’atteindre ce but : le sport (projet « sorties et atelier vélo », par exemple), les activités artistiques (plusieurs projets mettent l’apprentissage scénique et la création musicale au cœur des apprentissages scolaires, sociaux et comportementaux) et différentes formes d’encadrement et de coconstruction par les pairs (expériences de tutorat entre élèves sérieusement préparés et projets transécoles (collaborations entre des écoles drainant des publics sociaux différents) ou transclasses (décoration et rafraîchissement de la cour et de locaux, entre autres). On fait ici le pari d’apports mutuels positifs entre une approche intégrale et intersectorielle du développement de l’enfant et une amélioration de ses chances d’apprentissage et d’insertion sociale responsable. On mise sur la capacité et le souhait des élèves à développer et à élargir leurs goûts, leurs compétences, leur autonomie, leur sens de responsabilité et de l’entraide. Différentes approches et outils pédagogiques sont utilisés et articulés les uns aux autres pour aiguiser sur le long terme leur curiosité du monde, des autres et d’eux-mêmes (ateliers d’art plastique, radio, musicaux ou autour de contes, présentation d’œuvres et de spectacles, sorties hors du quartier, visites d’institutions culturelles et de musées, rencontres intergénérationnelles, participation à des actions citoyennes, mobilisation et valorisation des parents…). Un tel programme demande de repenser l’utilisation du temps et les activités en privilégiant l’épanouissement éducatif tout en ne se mettant pas en défaut par rapport aux réglementations scolaires, ce qui stresse un

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nombre significatif d’enseignants et de directions. En fait, il arrive régulièrement que l’on retrouve dans les écoles qui mettent en place des projets alternatifs quelques professeurs frileux ou attentistes à côté d’autres tout à fait enthousiastes et convaincus. L’appui de la direction s’avère un élément essentiel pour mobiliser les troupes. Au total, l’expérience s’avère très souvent positive tant au niveau des bénéfices pour les enfants qu’au niveau de la dynamique d’école. Les partenaires de projet Si l’hétérogénéité des publics peut apparaître comme une difficulté dans la mise en œuvre de tels objectifs et projets, pour certains elle est devenue indiscutablement la justification même de cette nouvelle approche. Les promoteurs de projet pensent d’un côté qu’il est grand temps de miser sur des innovations pédagogiques permettant d’augmenter l’efficacité de l’enseignement et du processus éducatif, quelle que soit l’origine du jeune. D’un autre côté, ils affirment que même si l’école n’est pas responsable des facteurs exogènes, elle doit pouvoir s’attaquer à certains obstacles. Dans ce combat, on met en avant la nécessité d’ouvrir l’école sur son environnement. Selon Pirard et coll. (2004), atteindre l’objectif d’école ouverte n’est possible que si l’on tisse plus de liens de collaboration avec les familles comme avec d’autres professionnels et acteurs de la vie associative. En fait, les conceptions de la famille ont évolué avec le temps. Dans les années 60, certains spécialistes considéraient les parents défavorisés comme un obstacle à l’émancipation de leur enfant tandis que d’autres pensaient que ces parents pouvaient être mobilisés efficacement à condition d’être accompagnés (accompagnement mixte obligatoire parent-professionnel dans le cadre d’activités studieuses et ludiques après les heures de cours). Actuellement, plus d’une école voit dans les parents de réels partenaires et experts à côté des professionnels : experts du développement de leur enfant, mais aussi de la lutte contre la pauvreté. Le temps a montré que les parents, même issus de milieux peu favorisés, pouvaient dans certaines conditions s’avérer des partenaires efficaces et fiables dans la durée. De plus, il est connu que la participation des parents de classe moyenne ou nantie n’est pas automatique non plus, loin de là. Les promoteurs de projet ont souvent préalablement fait l’expérience qu’il ne suffit pas d’inviter les parents pour qu’ils viennent. Souvent, ils ont eux-mêmes été tentés de classer certains parents comme démissionnaires par nature et peu intéressés par la scolarité et l’avenir de leur enfant. Ils ont vu des incompréhensions s’installer et des parents en situation de précarité ou de migration éviter les contacts avec les enseignants et éducateurs, cela d’autant plus qu’ils se sentaient jugés, disqualifiés, voire surveillés par l’école ; d’autant plus aussi qu’ils éprouvaient des difficultés à voir l’intérêt de la scolarité et de la certification scolaire au-delà d’un certain stade (par exemple, les parents roms). Dans une stratégie de survie, la scolarité obligatoire peut en effet entrer en concurrence avec la contribution apportée par le jeune au groupe familial (pour garder les frères et sœurs pendant que les parents s’absentent, pour aider le parent dans des activités de débrouille…). Les professionnels apprennent progressivement

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à décoder la dynamique selon laquelle les stratégies d’évitement et de survie développées par les jeunes et leurs parents vont, à leur tour, déclencher des réactions de jugement et de mise à distance de la part des éducateurs et enseignants, et déteindre sur la qualité du triptyque école-parent-élève. La plupart des promoteurs de projets pensent aujourd’hui que si les difficultés d’implication sont particulièrement fortes parmi les élèves d’origine étrangère et issus d’un milieu peu doté culturellement et socialement, la cause de ce phénomène est également à chercher en dehors d’attributs sociaux ou culturels. Nous avons déjà évoqué différents enjeux de l’organisation de l’école comme un marché, livrée à la concurrence entre établissements au profit des classes sociales aisées et d’une ségrégation sociale et scolaire croissante, concurrence décriée par de nombreux observateurs et analystes (Barroso, 2000). Des efforts sont aujourd’hui souvent déployés pour améliorer la communication école-familles, certains y voyant une ébauche de démocratisation. Quelques projets soutenus par la Fondation portent spécifiquement sur un travail avec les parents et au profit de ces derniers, cela dans la mesure où ils sont considérés comme les premiers maillons de la chaîne de changement. Ici, on n’invite plus seulement les mères d’origine étrangère à cuisiner des plats typiques pour la fête de l’école, mais on cherche à les faire sortir de leur isolement social ou de leur cloisonnement dans leur communauté d’origine (projet d’alphabétisation et de développement de réseaux de convivialité et d’entraide). Le but est d’augmenter la confiance en soi des mères et leurs compétences, cela au profit de leurs projets personnels, du groupe familial et des enfants. À noter la constatation générale selon laquelle il reste plus difficile d’impliquer les pères qui se montrent plus souvent volatiles et réfractaires. Un des apports de tels projets est une certaine fidélisation à l’école via davantage de contacts positifs et d’affinités entre les acteurs et générations. Néanmoins, les expériences menées montrent qu’une attention particulière doit être accordée au compromis entre les bénéfices accordés et les services rendus aux parents et aux enfants. Certains jeunes issus des milieux défavorisés ne sont pas, comme on le pense souvent, soumis à un déficit de surveillance parentale, mais bien à un excès (notamment les filles). L’école est pour eux un petit jardin secret dont ils ne veulent pas tout partager avec leur famille. En cela, ils peuvent être méfiants, voire se sentir trahis, s’insurger contre une présence trop marquée des parents à l’école, notamment lors des fêtes et spectacles. La pratique des projets montre l’importance à accorder aux enjeux des différents acteurs. Au bout du compte, on peut voir que la manière dont on conçoit l’enseignement et l’éducation a une influence sur la manière dont les jeunes, mais aussi les adultes, se voient et s’évaluent mutuellement, sur la façon dont évoluent les attentes mutuelles entre école et familles. Certaines écoles se retrouvent parfois démunies, entre le marteau et l’enclume, ne pouvant ni voulant contrer les règles de la famille ou du groupe d’appartenance alors que certaines de ces règles s’inscrivent en négatif par rapport aux valeurs et attitudes qu’elles veulent promouvoir. Comment garantir le respect mutuel et l’égalité quand par exemple certaines jeunes filles sont sur le point d’être promises en mariage contre leur gré ou quand certains enfants ne sont pas

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autorisés à serrer la main d’autres élèves sur l’argument d’impureté de ces derniers ? Selon les personnes qui ont réussi à dénouer de telles situations, le challenge consiste ici à considérer chaque acteur, y compris les parents concernés, comme cherchant le bonheur et le bien-être de l’enfant, de travailler et d’arbitrer les positions de chacun autour de cet objectif commun, cela en garantissant le respect et la sécurité à chacun. On peut en effet vérifier que quand les acteurs, quels qu’ils soient, ont acquis ou récupéré un bon niveau de sécurité (physique, psychologique, sociale, identitaire), quand ils peuvent donner du sens à leur action, ils peuvent alors enfin baisser leur seuil de vigilance agressive et commencer à coopérer. De nombreuses études ont montré que le sentiment d’insécurité qui touche le personnel scolaire émane pour une large part d’éléments institutionnels et organisationnels (politiques de recrutement et de nomination vécues comme discriminantes, sentiment de l’existence de privilèges du fait de l’ancienneté dans la constitution des horaires…). L’évolution de la composition même du corps enseignant au sein des écoles (par exemple en termes d’origine ethnique ou de génération) et le renversement des rapports de pouvoir entre ces différents groupes vient parfois alimenter le mal-être et le sentiment d’insécurité et de non-reconnaissance. Quand un tel climat s’installe, on peut remarquer qu’il s’avère difficile de développer des collaborations positives à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école. Dans le long processus d’ouverture de l’école, de nombreux projets intègrent significativement les institutions et associations présentes dans le voisinage (école de devoirs, centre culturel, académie de musique, maison de jeunes…), cela souvent dans une logique d’échanges et de services mutuels. Notons que les écoles dépendant d’un pouvoir organisateur proche sont souvent plus libres pour conclure de telles alliances que les écoles publiques qui doivent suivre des procédures précises et obtenir des avals hiérarchiques en chaîne. L’idée est que si l’éducation, l’enseignement et l’apprentissage forment un tout interactif, seule une collaboration approfondie entre une palette élargie d’acteurs peut donner de bons résultats. Cette évolution est facilitée par le fait que, récemment, le secteur culturel et du bien-être ont de leur côté manifesté une attention particulière pour la question de la marginalisation scolaire. Au bout du compte, les expériences menées dans ce sens encouragent souvent la volonté des enseignants et du personnel d’encadrement dans la voie de l’interaction, la coopération et réflexivité, en augmentant leur propre sécurité physique, affective, identitaire. Les professeurs acceptent également de plus en plus que des élèves puissent prendre une place d’expert auprès des adultes (projet de formation informatique et internet des professeurs par les élèves).

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Les enjeux culturels, citoyens et éthiques On peut vérifier que la mobilisation de contextes d’apprentissage élargis contribue à une meilleure compréhension des obstacles rencontrés par certains jeunes (obstacles liés non seulement au contenu, mais aussi au vocabulaire utilisé, à son niveau d’abstraction…). Elle promeut une approche diagnostique qui n’est plus seulement basée sur des tests de capacités, mais qui envisage l’enfant dans sa globalité, de manière flexible et intégrée à son environnement. Elle légitimise l’alliance « travail et plaisir », ainsi que les apprentissages authentiques, proches de la vie. Par exemple, le goût et l’apprentissage de la lecture dépassent le champ de la lecture purement technique quand on s’appuie sur les apports du conte, de l’écriture et du théâtre, quand on crée un journal d’école ou mobilise des recettes de cuisine. Notons que parfois l’atelier « cuisine » sert aussi à combler des manques criants (un manque de nourriture saine ou tout simplement suffisante, dans le cas de certains élèves). Des projets pensés en collaboration avec d’autres acteurs et structures peuvent s’attaquer significativement au problème de l’enfermement des jeunes dans leur quartier. En effet, la plupart des élèves peu favorisés ne quittent presque jamais ce dernier. Par ailleurs, ils ont très peu d’accès à la culture sous ses différentes formes (spectacle de musique, d’opéra, de théâtre, exposition, musée…). Outre le fait d’augmenter les capitaux culturels des jeunes, plusieurs initiatives de ce type sont décrites comme révélant les jeunes à eux-mêmes. Il n’est pas rare qu’ils se découvrent des goûts et des passions, des dispositions artistiques ou communicationnelles qu’ils auraient probablement ignorées sans cela (pratique d’un instrument de musique, animation d’un atelier radio…). L’école peut indéniablement jouer un rôle déterminant dans l’accès à la culture et à la citoyenneté des jeunes favorisés, cela tandis que les adolescents disposant de bons capitaux sociaux et culturels mettent l’école à distance comme lieu de vie et préfèrent s’investir dans des activités et associations en dehors de l’école (Becquet, 2012). Le témoignage d’anciens élèves ayant connu une destinée résiliente49 apparaît important dans l’évaluation positive faite des actions d’éducation inclusive : « Mes professeurs m’ont aidé à devenir ce que je suis. Un jour, mon professeur de français qui avait décelé probablement en moi une lueur m’a parlé de ‘Norge et des Oignons’. J’ai été bouleversé et je l’ai mis en scène en me disant que c’est cela que je voulais faire. Sans cela, j’aurais sûrement pris un autre chemin. Je ne sais pas si j’aurais pu vivre du théâtre, car il faut allumer tôt la passion pour arriver à un faire un métier… En tout cas, l’école et la culture jouent là où les politiques échouent. L’école peut casser l’enfant, mais aussi l’élever. Il faut rendre hommage à ces enseignants qui libèrent la parole, créent le débat d’idées en mettant en place des initiatives culturelles et pédagogiques. Ils nous permettent d’avoir un regard critique sur la société, de prendre confiance en nous. Les personnes immigrées ne doivent pas forcément être en section habillement ou travaux de bureau. Avec des

49 En référence au concept développé par B. Cyrulnik.

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projets culturels associés à l’école, elles peuvent aussi libérer de petites choses et au fur et à mesure, libérer de traditions plus lourdes » (Sam Touzani50). Les liens entre culturel et interculturel transparaissent dans ce témoignage. Il semble que la façon de penser l’interculturel ait aussi quelque peu changé sur les dernières décennies. On voit que certains projets s’attachent désormais à considérer les élèves comme créateurs et non plus simplement comme porteurs d’une culture (Peterson et Heywood, 2007). Par ailleurs, la preuve ayant été apportée que des cours théoriques sur la tolérance ne suffisent pas à favoriser l’apprentissage de cette dernière, mais peuvent au contraire parfois servir une image générale et figée du pays d’origine, de nombreux projets travaillent désormais la question des préjugés et stéréotypes in situ et au jour le jour. Les promoteurs de projets se montrent particulièrement attentifs aux mécanismes qui favorisent discriminations, racisme et sexisme dans une approche tant préventive que réactive. Il semble important de ne tolérer aucun acte délibéré de stigmatisation et de dénigrement et de prendre le temps de discuter sereinement et fermement ce qui se joue à travers de telles attitudes. Petit, Born et Manço (2002) ont mis en évidence que plus l’élève connaît des problèmes d’accrochage scolaire et ressent des discriminations, plus il intègre une vision de lui-même comme apprenant non performant, moins il croit aux résultats positifs de ses efforts, moins il adhère à la valeur du travail, de l’honnêteté, de l’ouverture aux autres et de la solidarité (Gavray et coll., 2012). À ce propos, les promoteurs de projets partagent l’idée selon laquelle la reconnaissance et le respect des diversités font partie de la formation générale de la personnalité des élèves, cela quels que soient leur origine ou niveau scolaire (Duru-Bellat, 2004). Les outils sont ici encore la communication, la participation. Si des initiatives visent spécifiquement l’apprentissage de la diversité et de la citoyenneté (projet de mise en place d’un mini Parlement européen par exemple, expérience de bénévolat dans une association ; échanges épistolaires entre une classe de Charleroi et une classe africaine…), la plupart des projets mentionnent dans leurs objectifs généraux celui de vitaliser la solidarité et la prosocialité, de rendre la démocratie signifiante pour les jeunes. Notons que dans l’ensemble de nos pays européens, dès le dix-neuvième siècle, l’école a reçu comme mission d’insérer les jeunes dans la communauté des citoyens (Schnapper, 2000). Dans la philosophie des projets menés, on dépasse clairement le message moralisateur. Les promoteurs ont pris conscience que l’enseignement théorique et l’expérimentation de valeurs hors contexte sont peine perdue (Banks et McGee, 2001). L’expérience montre que de telles ambitions peuvent seulement être rencontrées si l’on vise conjointement le bien-être des jeunes, le développement de la confiance mutuelle et en eux-mêmes ; également si les adultes montrent l’exemple au niveau de leurs attitudes, leur discours et leurs engagements. Partout, les élèves se révèlent plus tolérants dans une école où règne un climat positif et où l’équipe éducative est soudée, élargit ses rôles et investissements au-delà de la

50 Témoignage tiré de l’article du journal Le soir du 22 mai 2013 : « Sans l’école Cudell, Sam Touzani ne

serait jamais devenu acteur ».

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stricte mission d’enseignement. Il ressort des expériences menées qu’une augmentation de la tolérance et de la solidarité entre élèves contribue à combattre à son tour de manière rapide et significative la plupart des comportements problématiques et des violences de groupe (dans les cours de recréation, lors de compétitions entre classes ou interécoles comme « Sciences en scène »). Une volonté existe parmi les professionnels de ne pas dévier des missions de l’enseignement en pensant le fonctionnement de l’école dans une optique sécuritaire. Ce risque existe au vu de la confusion grandissante entre les notions de citoyenneté et de civilité, devant la définition toujours plus étendue de ce qu’on met sous le terme de violence et qui contribue à augmenter le sentiment d’insécurité (Gavray, 2011). Les projets ayant amélioré le climat d’école et le bien-être des enfants ont cette particularité d’avoir débouché sur une diminution des incivilités et des tensions ainsi que sur la neutralisation des leaders déviants (disparition rapide des violences gratuites et du harcèlement dans les cours de récréation). En cas de problèmes ou de préjudices aggravés, certaines actions de concertation élargie et restauratrice ont également pu voir le jour sur le modèle développé par Vettenburg (2003). Celles-ci ont souvent porté du fruit, réussissant à éviter le renvoi d’un élève (par exemple d’une jeune fille qui se montrait sous un bien meilleur jour lors de l’activité d’orchestre) et à casser le cycle vicieux des sanctions. Les facteurs critiques de réussite Les promoteurs de projets se montrent largement unanimes pour ne pas taire les facteurs critiques de réussite de ces derniers (Van Hove, De Vroey et Deprez, 2009). Même s’il n’existe pas de nombreuses évaluations répondant à des critères scientifiques expérimentaux stricts (impliquant par exemple de travailler avec des groupes tests et de référence), il est possible de discuter non seulement les avancées positives, mais également les difficultés rencontrées et les résultats apparemment mitigés, voire contradictoires. Les évaluations menées au départ des expériences montrent toutes que, quel que soit le type de programme ou de projet envisagé, ce qui importe c’est sa préparation, son recrutement, son encadrement, sa supervision et l’esprit dans lequel il se déroule. Si les bonnes conditions de base et d’exécution sont remplies, la pratique scolaire participative et créative a toutes les chances de représenter un atout émancipatoire et d’attachement pour les élèves, et notamment pour les plus défavorisés. Dans ce cas précis, l’objectif de réussite scolaire, s’il est présent, n’est pas toujours présenté comme central par les animateurs de projet. Pour certains enseignants, cet objectif n’est accessible qu’après des transformations a priori modestes, mais significatives de l’environnement, des apprentissages, des modes d’évaluation, des relations aux autres et à soi-même (une école communale au public défavorisé s’est vue par exemple propulsée au top du classement communal aux tests du certificat d’enseignement de base après deux années de pédagogie intensive par projet). Pour d’autres professionnels, certains adolescents confiés aux écoles sont tellement déstructurés, malmenés par la vie et loin dans le processus de mise à distance de

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l’école et de l’étude que l’on peut difficilement miser sur un rattrapage et un investissement scolaires exponentiels et définitifs les concernant. Pour Guigue (2003), les enfants attribuent avant toute chose les raisons de leur décrochage à des problèmes scolaires tels que l’ennui, l’échec, l’absence de goût et de motivation pour les études, le manque de perspectives d’avenir, même s’il existe des difficultés concomitantes telles que les problèmes familiaux, personnels et sociaux. Dans la dernière enquête ISRD51 belge (2006), plus on s’éloigne de l’enseignement général vers les sections professionnelles où sont concentrés les jeunes en difficultés, plus la proportion de jeunes en manque de confiance par rapport à l’école et aux adultes s’accroît, plus ils font l’école buissonnière, moins l’école fait sens pour eux et moins ils s’y sentent bien. Les expériences de terrain confirment les résultats de ces études : le besoin crucial des élèves issus des couches de la société les plus fragiles de recevoir de l’école et des enseignants avant tout des repères, des perspectives et un climat relationnel fait de respect et d’affection (Gavray, Vettenburg, 2007). Il ressort de ce qui vient d’être dit que selon certains professionnels impliqués dans les projets, la réussite de certaines initiatives serait moins de l’ordre du succès académique que de celui de la prévention individuelle et collective. Certains projets cherchent avant tout à fidéliser les jeunes pour qu’ils viennent à l’école, condition de base pour qu’ils y trouvent des appuis pour travailler avec eux leurs goûts et leurs compétences sociales et transversales, pour stimuler les différents types d’intelligence : par exemple, relationnelle (projet clown), musicale (orchestre de classe), spatiale, écologique… Certains projets misent spécifiquement sur l’accompagnement d’enfants arrivés en Belgique sans famille ou ayant vécu la guerre, cherchant à favoriser chez eux l’expression orale ou picturale de certains traumatismes (témoignages devant caméra, par exemple). Un des challenges pour un changement significatif des pratiques et la promotion de la philosophie de la pédagogie inclusive reste la difficulté de mobiliser l’entièreté de l’équipe éducative dans le projet à mener. Certains projets ont clairement souffert d’une dualisation croissante entre enseignants nommés et temporaires (Buidin, Petit, Galand, Philippot, Born, 2000) entraînant une implication et une motivation à différentes vitesses. Le recrutement de personnel non formé au sein des écoles comme la grande mobilité du personnel (y compris de direction) entre les établissements scolaires sont des phénomènes courants qui peuvent poser problème. Parfois, ils viennent entraver le processus et le rythme d’innovation ou mettre à mal la volonté même de changement de culture scolaire. Même dans le cadre de projets soutenus par la Fondation, l’« accrochage » de tous les professionnels reste parfois un défi, certains membres de l’équipe se plaçant en retrait ou manifestant de la suspicion, voire de l’aversion pour un type d’approche qu’ils considèrent comme naïve, inutile et trop coûteuse en temps et en argent. La réussite d’un projet tient souvent à l’équilibre fragile entre différentes forces en présence et en mouvement. On a pu vérifier que souvent, des professionnels réagissent à ce qu’ils ressentent sans pouvoir le nommer : un sentiment d’injustice, 51 International Study on Self-Reported Delinquency.

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de déclassement social et de perte de maîtrise du métier. Individuellement et collectivement (via les syndicats par exemple), ils se réfèrent à une vision nostalgique du passé où leur mission était d’instruire. Ils dénoncent également régulièrement des décrets démesurés et impraticables. À ce propos, les différents pays européens actent la complexité croissante de la tâche des enseignants, font de la professionnalisation de ces derniers une nécessité majeure. « La professionnalisation est au cœur de la formation et une valeur fondamentale la traverse et lui donne son esprit : l’égalité »52. Certains enseignants éprouvent toujours du mal à comprendre les racines sociales du désengagement scolaire de certains élèves et groupes d’élèves, voire de leur aversion scolaire, à imaginer le fossé existant parfois entre milieux scolaire et familial, ses impacts et ses enjeux ; à évaluer au cas par cas les difficultés du jeune à exprimer les obstacles et souffrances qu’ils rencontrent dans son développement, dans l’étude et les divers apprentissages, sa difficulté à accéder à une pensée abstraite ou à s’exprimer tout simplement. Pour s’impliquer dans une démarche éducative inclusive, il s’avère impératif de comprendre comment rendre l’apprentissage situationnel et intégré et ne plus saucissonner autant matières et compétences. Les promoteurs de projets doivent parfois avancer malgré la réticence de certains enseignants et faire quelques concessions vis-à-vis de ces derniers : « On ne changera pas ces collègues. Ce n’est pas grave tant que les enfants n’en pâtissent pas. Or ces derniers sont heureux, ne se rendent pas compte… » Les expériences menées ont montré l’importance de penser dès la conception du projet à ce qu’un maximum de classes et d’enseignants puisse d’une façon ou d’une autre profiter et de l’information et des moyens financiers mis à disposition dans le cadre de l’École de l’Espoir. Cela permet d’éviter d’attiser le sentiment d’injustice (par exemple entre différentes implantations scolaires dont une serait exclue des « bénéfices ») et de mettre en actes le principe de solidarité. Un projet traduit particulièrement cet état d’esprit et a placé cette préoccupation comme centrale. Celui-ci consiste en une bourse aux bonnes idées et initiatives au sein de l’établissement. Le budget a ainsi servi à financer une sortie, la création d’un jardin potager, l’organisation d’un cours de guitare ou d’un défilé de mode, l’achat d’un abri de jardin servant à la vente par les élèves d’aliments de qualité durant la récréation… Dans le même ordre d’idée, un challenge souvent évoqué est le manque de temps et de priorité accordés au bien-être du personnel scolaire et éducatif. Les encouragements et conseils donnés par la Fondation et les chercheurs impliqués dans le soutien aux projets sont déjà présentés comme un atout important et un levier essentiel de changement, cela notamment dans l’optique de restauration du sentiment d’efficacité mis en avant par Bandura (1997). Certains projets soutenus se concentrent spécifiquement sur cet objectif au niveau individuel et collectif (projet de coaching, de team building des professeurs, échanges de bonnes pratiques…). Ici,

52 Ministre F. Dupuis, Devenir enseignant. Le métier change, la formation aussi. Bruxelles : Ministère de

la Communauté française, p. 3, 2002.

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on part de l’idée que ce qui est bon pour les élèves est aussi important pour les professionnels. L’expérience montre que, pour tenir dans la durée, il s’avère extrêmement important de s’accorder autour d’objectifs réalistes et réalisables, de ne pas vouloir brûler les étapes ou viser des réalisations qui mettent les responsables de projets et leurs collègues sur les genoux. La maîtrise de techniques de coaching et de communication efficaces et conviviales rejaillit sur toute la communauté scolaire et favorise un bon esprit d’école qui attire et valorise l’ensemble des acteurs de l’école et autour de l’école. Pour relever tous ces défis et mettre en œuvre les différents chantiers, il est essentiel pour les promoteurs et acteurs de projet de recevoir un appui fort de la direction. Or il arrive que ces derniers évoquent un soutien mitigé, frileux voir une hostilité. C’est notamment le cas quand la direction n’était pas là dès la conception du projet ou qu’elle a simplement délégué l’écriture d’un projet ou d’une demande de fonds sans s’impliquer personnellement lors des étapes préparatoires et de mise en œuvre. Ce cas de figure reste très problématique. L’expérience montre enfin que le démarrage et le déroulement du projet sont souvent plus faciles dans les écoles gérées par un conseil d’administration proche (c’est plus le cas des écoles libres) que dans des écoles officielles. Dans ces dernières, plusieurs niveaux de responsabilité successifs entrent en jeu et parfois en concurrence (bourgmestre, échevin, direction de l’école, dans le réseau communal). Même si ces cas sont très rares, il est arrivé que des services administratifs non favorables à un projet ou pris dans la routine tentent de torpiller ce dernier (en sabotant par exemple l’organisation du transport des enfants vers certaines activités). Dans deux cas, une partie de l’argent du projet a déjà été quelque peu détournée de ses missions premières (même si cela représente des cas exceptionnels), car versée sur un compte sur lequel les gestionnaires de projet n’ont pas de droit de regard. Enfin, le risque existe de voir le projet « récupéré » à des fins politiques et électoralistes (soit pour en prendre la paternité, soit pour en taire le succès afin de ne pas donner aux électeurs l’impression que l’on favorise des groupes de populations en marge). Perspectives d’avenir Une des difficultés majeures des projets reste bien leur financement à long terme. Certaines écoles affirment s’épuiser à essayer de raccorder les différents budgets et projets pour inscrire l’efficacité de ces derniers dans la durée. La Fondation Reine Paola offre à ce niveau une aide financière précieuse par sa souplesse (du point de vue des justificatifs à rendre par exemple, ce qui est présenté comme précieux pour organiser des ateliers, dédommager les animateurs artistiques ou les déplacements de mamys et papys lecteurs ou tuteurs). Sa durée de cinq ans maximum est aussi très appréciée, car elle offrirait la possibilité de bien implanter un projet et d’en augmenter l’impact. La question cruciale se pose néanmoins quant à la survie et la poursuite des projets au-delà de ces 5 ans. La situation semble d’autant plus difficile

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que le contexte économique est peu favorable au mécénat et que le contexte de pensée évolue. Lors des visites annuelles d’évaluation des projets53, les promoteurs décrivent des initiatives largement porteuses et pourtant mises en danger, notamment du fait de la culture prégnante de l’évaluation quantitative et à court terme. Ils considèrent largement cette dernière comme peu réalisable et peu pertinente dans leur domaine. En fait, jusqu’ici, l’évaluation repose majoritairement sur les points de vue et remarques individuelles et collectives des promoteurs et animateurs de projet. Ceux-ci ne nient nullement l’importance de s’asseoir régulièrement pour faire le point, mais davantage au départ d’observations et de sondages ou d’enquêtes par questionnaire organisés auprès de différents acteurs, adultes ou enfants. Dans leur recherche de fonds, les professionnels se retrouvent aujourd’hui de plus en plus souvent confrontés à des pouvoirs subsidiants potentiels qui demandent d’autres preuves quant à l’efficacité des actions déjà menées. Les promoteurs de projet affirment qu’il faut s’entendre quant au type de résultats à évaluer (évolution des résultats scolaires des élèves, nombre d’incivilités recensées, état de bien-être des différents acteurs…) et qu’il faut tenir compte du fait que ces résultats peuvent offrir des évolutions contradictoires. Les politiques publiques sont elles-mêmes rarement évaluées (par exemple en ce qui concerne les discriminations positives). Les acteurs de projet rencontrés dénoncent une pression croissante pour répliquer les pratiques d’évaluation en vigueur dans les entreprises privées. Ces méthodes sont largement présentées comme intransposables (impossibilité de juger toutes choses égales par ailleurs, politiques de court terme hypothéquant parfois les effets positifs de certaines initiatives). Une certaine injustice est aussi relevée dans la mesure où ce seraient les personnes les plus actives et impliquées qui devraient se justifier et donner des preuves irréfutables de leur efficacité alors que les autres pourraient s’abstenir de le faire. Le culte de l’évaluation est aussi parfois décrit comme dangereux, car pouvant venir légitimer l’affaiblissement de l’offre publique de services et la privatisation d’un nombre toujours supérieur de prestations. En Angleterre, où la pratique de l’évaluation systématique est plus implantée, il faut noter que les associations se mobilisent aujourd’hui collectivement pour se plaindre de la large part de budget désormais obligatoirement dédiée au suivi et à l’évaluation scientifique dans le dépôt d’un projet de recherche-action, ainsi que de l’utilisation aléatoire, peu rigoureuse et politiquement orientée des résultats54. Des questions idéologiques sont présentées comme présentes au cœur de ce débat avec un risque réel de délégitimation de l’approche « lutte contre les inégalités et les discriminations » et de refuser à l’école de remplir cette mission. Les professionnels expriment aussi des craintes face à une vision culturaliste qui placerait la nationalité et l’ethnicité, voire la classe sociale, au cœur de l’identité des 53 À ce propos, notez la parution il y a plus de 10 ans d’un document présentant les premières réflexions

des évaluatrices de projet quant aux conditions favorisant le développement favorable des projets subsidiés par la Fondation : Gavray et Vettenburg (2004).

54 Point de vue largement exprimé au colloque Women, Crime and Criminal Justice Practice : Diversity, Diversion, Desistance and Dignity organisé à l’Université de Cambridge du 10 au 12 janvier 2012.

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personnes. La tentation existerait de considérer avant tout les enfants et les familles comme membres d’un groupe ethnique figé où peu de place est laissée en fin de compte à l’expérience et au développement individuels. Cette vision statique est quelque part toujours véhiculée par l’école elle-même et peut amener des tensions entre différents groupes nationaux présents dans l’école (rivalités entre groupes d’adolescents, entre groupes d’immigration historiquement en conflit ou en rivalité au vu de leur ordre d’arrivée en Belgique). Elle nuit également à la liberté individuelle intragroupe. Cette tendance se vérifie également en ce qui concerne les différences et inégalités de genre souvent à nouveau interprétées et présentées dans des termes essentialistes et culturalistes. À noter que peu de projets suivis visent directement la question sensible de la place des filles et des garçons dans l’enseignement, la formation et dans la société, cela même si des promoteurs et animateurs de projet disent aspirer à desserrer les contraintes et interdictions pesant sur les filles de certaines origines (leur permettre de prendre conscience de leur corps ou de leur voix par exemple). La promotion et l’apprentissage du fonctionnement démocratique au sein de l’école sont présentés comme censés servir la cause de l’égalité sexuée « du moins pendant le temps du passage des filles à l’école ». Au niveau de la conception et de l’organisation mêmes de l’enseignement, on peut remarquer que si les notions d’inclusion et de citoyenneté restent centrales pour penser l’école, des tensions restent palpables sur le terrain entre trois types d’approche qui ont tendance à se superposer. Le premier type « disciplinaire » articule l’objectif de transmission de connaissance formalisée avec celui du vivre ensemble. Le second est une approche réglementaire, juridique et de représentation définissant les devoirs, droits et normes des différents acteurs scolaires, ainsi qu’un système de représentation. Enfin, la troisième approche est inspirée par le concept de pédagogie inclusive implémentée au quotidien et par l’approche systémique. Les caractéristiques de la structure scolaire et la concurrence entre les différentes politiques menées sont révélatrices des façons de penser véhiculées dans la société. En Belgique, il semble que la tentation existe de faire marche arrière et, par exemple, d’aller à l’encontre des recommandations internationales faisant suite aux enseignements de l’enquête PISA. Ainsi ne va-t-on pas d’un pas décidé vers l’allongement du tronc commun d’enseignement pour tous les élèves. La tentation est également forte de réintroduire la possibilité d’un redoublement à la fin de chaque année. Selon Dupriez et Dumay (2004), on s’interroge peu sur la signification politique des changements et sur leurs conditions structurelles contradictoires : la tension forte entre un quasi-marché scolaire favorable à une logique de distinction et une réforme qui vise et qui prône l’égalité des chances et des résultats à la sortie de l’école. Cette situation peut expliquer que l’on reste prioritairement dans une logique de gestion de problèmes, continuant à mettre des moyens humains et financiers supplémentaires à disposition des écoles concentrant les élèves les moins favorisés. Si les pouvoirs publics et responsables politiques peuvent reconnaître l’intérêt de la philosophie de travail défendue par les projets soutenus par le programme École de l’Espoir, ils ne prennent pas le « risque »

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s’engager de manière volontariste à leurs côtés, surtout dans le contexte de rigueur budgétaire où on scrute leurs dépenses et budgets. Dix ans d’expérimentations de projets inclusifs ont montré que ces initiatives portent du fruit quand elles sont menées de manière professionnelle et dans de bonnes conditions. Les bénéfices concernent de nombreux niveaux (personnel, développemental, groupal, relationnel, institutionnel…) et l’ensemble des acteurs (jeunes, parents, enseignant et éducateurs, autres intervenants, citoyens). Les constatations et évaluations concordent et rejoignent celles de Grenot, Fisher et Staub (2001) : « Not all of the stories have happy endings and not all of the outcomes are optimal but, at the end of the day, they contain lessons for educators and school psychologists to learn about the unique environment that is an inclusive classroom »55. Bibliographie Bandura A. (1997), Self-efficacy : the Exercice of Control, New York : W. H. Freeman & C°. Banks J. A. et Mc Gee Banks C. A. (2001), Multicultural Education. Issues and perspectives, New York :

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