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Panajotis Kondylis Thèmes choisis Une petite sélection de textes tirés : de “La politique planétaire après la Guerre froide” ; de “Le politique au XX° siècle”, et de l’introduction à : “Le philosophe et le pouvoir” 1 . Traditionalisme, valeurs « Ce classement peut déconcerter à une époque dans laquelle toutes sortes de nationalismes, de régionalismes et de traditionalismes, semblent renaître et faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Celui qui s’est cependant exercé à l’art de faire la différence entre la valeur nominale des idéologies ou des programmes et leur fonction objective, celui qui possède un sens historique tout à fait suffisant pour pouvoir discerner que la référence à un principe sert souvent à la réalisation de son contraire, celui-là ne se laissera pas troubler par le fait qu’une recherche plus précise sur les courants traditionnalistes peut montrer comment ils doivent, justement par la radicalisation de la tradition, se transformer en mouvements de modernisation s’ils veulent rester politiquement pertinents. ». 1 Cette sélection est sans aucun doute déterminée par un intérêt personnel. En particulier les considérations politiques relatives à la guerre dans “Politique planétaire après la Guerre froide”, les exposés philosophiques- historiques dans “Le philosophe et le pouvoir”, et en général les déclarations de méthode fondamentales de P. Kondylis sont négligées. Les échantillons fournis peuvent malgré tout inviter à une lecture plus complète. La mise entre parenthèses et les compléments relatifs au texte sont présentés entre crochets.

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Panajotis Kondylis

Thèmes choisis

Une petite sélection de textes tirés :de “La politique planétaire après la Guerre froide” ;de “Le politique au XX° siècle”, et de l’introduction à : “Le philosophe et le pouvoir”1.

Traditionalisme, valeurs

« Ce classement peut déconcerter à une époque dans laquelle toutes sortes de nationalismes, de régionalismes et de traditionalismes, semblent renaître et faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Celui qui s’est cependant exercé à l’art de faire la différence entre la valeur nominale des idéologies ou des programmes et leur fonction objective, celui qui possède un sens historique tout à fait suffisant pour pouvoir discerner que la référence à un principe sert souvent à la réalisation de son contraire, celui-là ne se laissera pas troubler par le fait qu’une recherche plus précise sur les courants traditionnalistes peut montrer comment ils doivent, justement par la radicalisation de la tradition, se transformer en mouvements de modernisation s’ils veulent rester politiquement pertinents. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 14).

« La chose décisive réside en effet dans la question de savoir quelles forces motrices mobilisent précisément aujourd'hui des traditions et les font valoir les unes contre les autres. Ces forces motrices ne se situent pas dans les traditions elles-mêmes, qui du reste ont leur origine pour la plupart dans des mondes morts depuis longtemps, mais ce sont les forces motrices des objectifs démocratiques de masse modernes qui ont déjà déferlé sur la planète tout entière. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 19).

« L’effet en aucun cas traditionaliste du traditionalisme est alors produit par sa radicalisation. L’on ne peut comprendre toutefois la possibilité d’une telle radicalisation que si nous nous affranchissons de l’idée conservatrice favorite selon laquelle la tradition serait pour ainsi dire une hypostase supra-personnelle qui plane sur les peuples et les individus et qui se dérobe à l’arbitraire de leurs décisions. […] Les traditions […] existent et agissent dans

1 Cette sélection est sans aucun doute déterminée par un intérêt personnel. En particulier les considérations politiques relatives à la guerre dans “Politique planétaire après la Guerre froide”, les exposés philosophiques-historiques dans “Le philosophe et le pouvoir”, et en général les déclarations de méthode fondamentales de P. Kondylis sont négligées. Les échantillons fournis peuvent malgré tout inviter à une lecture plus complète. La mise entre parenthèses et les compléments relatifs au texte sont présentés entre crochets.

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l’interprétation de supports concrets, elles sont construites sur la base de matériaux donnés, mais aussi librement traités et inventés, et elles s’opposent à d’autres traditions ou bien à d’autres interprétations de la tradition. [La tradition radicalisée se manifeste] lorsque celui qui est capable d’interpréter sérieusement la tradition défend l’idée que la tradition n’est pas du passé mort, mais du présent vivant, et que donc celui qui voudrait vivre selon la tradition ne devrait pas se détourner du monde d’aujourd'hui et reconstituer rigoureusement le passé […], mais trouver dans la tradition la croyance et les directives grâce auxquelles l’on pourra le mieux venir à bout des tâches du présent. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 68-69).

« La femme qui manifeste en faveur du maintien du costume traditionnel et qui descend dans la rue avec d’autres femmes avec un état d’esprit militant n’est pas la femme qui a porté ce costume depuis toujours. […] Autrefois elle exprimait […] symboliquement par exemple la position traditionnelle de la femme vis-à-vis de l’homme, mais maintenant elle doit symboliser en revanche en premier lieu le fait que la femme qui le porte veut se démarquer ostensiblement d’une autre culture - et non plus du tout qu’elle accepte la supériorité sociale de l’homme au sens antérieur. […] Le travail d’interprétation relatif à la tradition devient par conséquent plus important que les vestiges réels de la tradition. […] Une gestion déguisée de la sorte entraîne bien sûr aussi des blocages, mais elle offre en même temps un soulagement considérable qui est utilisé dans certaines situations de manière plus impérative que la liberté par rapport aux blocages. Les contenus modernes se laissent approprier beaucoup plus facilement dans un déguisement traditionnel sans que naisse de ce fait le sentiment humiliant que l’on singerait l’Occident détesté ou que l’on trahirait sa propre identité. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 70).

« Il est à remarquer que, ni dans sa théorie [celle du traditionalisme], ni dans sa pratique, […] l’on refuse tout net la technique et l’industrie modernes ou que l’on aspire à un retour aux méthodes préindustrielles de gestion de l’économie. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 71).

« Ceux qui attendent de la “résurgence des nationalismes” une nouvelle époque créatrice de la part des cultures nationales dans leur individualité connaîtront avant tout une déception. La “culture” en général et en tant que telle a été une valeur bourgeoise et la “culture nationale” a été la culture dans la perspective du nationalisme bourgeois. »

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 72). [Concernant la thèse de Huntington selon laquelle le présent et le futur seraient marqués

par le conflit des cultures :] « C'est le caractère des conflits qui détermine le rôle du facteur culturel et de l’image que l’on se fait de sa propre culture - et non l’inverse. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 89).

« En effet, d’une part, il y a des conflits extrêmes qui sont nés sur des sols culturels communs - par exemple les guerres civiles - et, d’autre part, le malaise provoqué par la relativisation de ses propres valeurs par des valeurs étrangères ne se transforme ensuite en menace existentielle et en hostilité que si cette relativisation est conçue comme un acte symbolique que d’autres actes réels devront suivre tôt ou tard. Aucune communauté ne vit bien sûr que de valeurs et aucune ne veut par conséquent mourir dans une guerre pour des valeurs qui n’affectent pas leur existence. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 90).

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« L’attitude d’une culture par rapport aux autres et à elle-même peut se modifier lentement ou rapidement en fonction du changement de sa position dans la configuration des sujets historiques. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 90).

« La différence culturelle est ensuite mobilisée si l’ennemi extérieur principal fait partie d’un milieu culturel étranger ou s’il apparaît approprié de traiter l’ennemi intérieur de marionnette de cet ennemi extérieur. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 92).

Le primat de l’économie et de la société

« La profession de foi dogmatique commune au libéralisme et au marxisme en faveur du primat de l’économie et de la société par rapport à la politique et à l’État se retrouve dans les utopies sociales des deux tendances, lesquelles varient à propos du thème du dépérissement de l’État et de la politique. À l’idéal libéral de l’abolition de la guerre grâce au commerce dans un monde unifié dans lequel règneraient en partie la main invisible, en partie des principes éthiques universels, correspond la vision d’avenir marxiste d’une société sans classes dans laquelle les sujets gérant l’économie s’administreraient eux-mêmes sans qu’ils aient à faire de la politique au sens traditionnel. ».

« L’économique n’a pas pu exposer de loi propre qui était espérée d’elle [par rapport au

politique] et ce pour la simple raison que c’était là une hypothèse idéologique et non pas une réalité. Cela ne tient pas au fait que […] les grandeurs idéelles, politiques, géographiques, etc., de l’économie seraient au moins au même niveau que le facteur historique, mais cela résulte de l’interdépendance originelle et par essence de l’économique avec les facteurs de pouvoir et de domination : l’“économie” n’est pas moins que la “politique” ou la “vie intellectuelle” une question de regroupement concret d’hommes, de relations concrètes entre des hommes concrets. ».

« Cette économicisation démocratique de masse du politique a en effet […] produit un état dans lequel la politique s’occupe de manière continuelle et systématique de questions économiques […]. ».

« Elle [la divergence entre la propriété économique privée et le domaine public démocratique de masse] implique que l’économie dirigée de manière privée soit sous une pression politique constante pour prouver sa productivité et son aptitude à servir au bien commun matériel de manière plus efficace qu’une économie planifiée par exemple. ».

« La notion de l’économique s’entrecroise [après la Deuxième Guerre mondiale] avec la

notion de bien commun […], parce que, étant donné son caractère social, la démocratie de masse doit aspirer à une transformation progressive des droits formels de l’égalité en droits matériels de l’égalité. Mais l’on ne peut y parvenir que grâce à des performances de plus en plus élevées de l’économie et à la redistribution de ce qui a été réalisé […]. ».

« La nécessité […] d’une interdépendance des aspirations politiques et économiques devient consciente dans toute sa profondeur si nous nous souvenons encore une fois que l’économie et la division du travail, par suite de la dissolution progressive des structures

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patriarcales-traditionnelles de la société, assument de plus en plus le rôle de forces sociales qui administrent la discipline afin de maîtriser l’anomie. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 22-26).

« […] mais l’économicisation du politique a fait également, et de loin, de l’État le plus grand employeur […]. ».

La fin de la nationalité, de la nation, du nationalisme

« Des analogies historiques montrent en tout cas [dans la question de la suppression des frontières ou de l’instauration de nouveaux empires économiques] que des tensions peuvent croître précisément en des temps d’interdépendance grandissante : c'est la proximité et non pas la distance qui occasionne des frictions. Des interdépendances dans de plus grandes proportions se déroulent en général de telle manière qu’une puissance économique peut pénétrer […] le territoire d’une autre assez profondément pour provoquer de l’inquiétude ou de la peur chez elle, mais pas suffisamment pour créer une unité d’ensemble d’intérêts sur telle ou telle base […] ».

Cela veut dire : l’État moderne a été un instrument infiniment plastique et capable d’adaptation […], il s’est allié avec des couches sociales différentes et il a servi des objectifs les plus différents […]. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 29).

« [Avec] les proportions démesurées qu’a pris l’universalisme des droits de l’homme […] il semble que s’annonce la fin de la nationalité […]. D’un point de vue structurel, il s’agit d’un aspect plus vaste de la planétarisation du phénomène démocratique de masse, étant donné que les faits sociologiques de l’atomisation démocratique de masse et du pluralisme de valeurs démocratique de masse s’expriment dans la langue éthique de l’universalisme des droits de l’homme. La conséquence de ceci serait […] une abolition de la souveraineté de l’État en raison de l’intervention de puissances étrangères qui se légitimeraient en se référant aux droits de l’homme ; les frontières claires entre politique intérieure et extérieure […] seraient en conséquence devenues caduques, ce qui pourrait être considéré comme le pendant du manque de netteté des frontières entre le privé et le public dans la démocratie de masse. Et pourtant l’on peut vraiment douter du fait que la politique planétaire suivra ce chemin direct et qu’elle dira adieu à la nationalité par une application conséquente des principes de l’éthique universelle et des droits de l’homme. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 33).

« Les frontières deviennent, en temps normal, (beaucoup) plus perméables, mais elles ne tombent pas, et au contraire elles se maintiennent à l’arrière-plan comme ultima ratio en cas de besoin. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 34).

« Dans la démocratie de masse développée, la nationalité devra se faire entendre haut et fort si un danger intérieur ou extérieur surgit à l’horizon […]. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 35). « L’autonomisation de fait d’une économie privée internationalisée par-dessus la tête

d’États ayant perdu beaucoup de leurs pouvoirs provoquerait un état d’anomie plus profonde,

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c'est-à-dire un retour au droit du plus fort. Or l’on ne peut combattre efficacement l’anomie, dans l’état actuel de la société mondiale, que dans le domaine et avec les moyens de la nationalité traditionnelle. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 37).

« Ce qui a été appelé “nationalité classique” a prospéré dans des conditions particulières qui ont à voir avec une certaine configuration de pouvoir entre les grands États européens et absolument pas avec l’évolution interne de l’État en tant que structure spécifiquement moderne. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 31).

« Les interdépendances économiques n’ont encore en aucun cas progressé au point que le signal d’alarme politique […] ne puisse pas être actionné à tout moment. Des rééditions [de la révocation](*)(*) de l’édit de Nantes, cette fois-ci dirigée contre des investisseurs étrangers, seraient pensables à notre époque même sans motivation religieuse et même en toute connaissance des conséquences économiques. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 45). « L’universalisme des droits de l’homme prépare […] ce dynamitage des frontières

quand, à certains égards, il essaie de soustraire l’individu à la compétence de l’État national et à charger des instances internationales de la protection des droits de l’homme. C'est ainsi que se forme peu à peu la conscience que l’on flotte entre humanité et nation, et que ce qui était pensé comme protection de la dignité humaine devient le prélude aux grandes invasions incontrôlées - et à l’affrontement […] direct de l’homme avec l’homme. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 56).

« La fixation sur le passé, compréhensible d’un point de vue psychologique, laisse cependant supposer des erreurs de jugement à propos du caractère du nationalisme dans le présent. L’interprétation du nationalisme comme une sorte d’irruption du passé dans le présent s’associe en revanche souvent à des conceptions étayées d’une manière anthropologique ou relative à la philosophie de l’histoire [c'est-à-dire classique-bourgeoise] qui renvoient la persistance tenace des mentalités nationalistes au besoin indéracinable qu’a l’homme de liens émotionnels et substantiels et d’une identité correspondante, et qui voient donc dans le nationalisme une rébellion sans surprise conte la rationalité instrumentale du monde technicisé et en même temps contre la rationalité utilitariste de l’État de droit. […] Les besoins “irrationnels” ou “émotionnels” agissent [cependant] de façon différente dans chaque situation et dans chaque époque, et c'est pourquoi l’on ne peut guère les tenir de manière appropriée pour des facteurs historiques et sociaux si l’on ne se demande pas par quel contenu et par quelles idées ils se concrétisent, quel ennemi ils ont et quels buts ils veulent poursuivre. L’on ne sen tire pas avec le renvoi général à “la” nation sans décrire le monde dans lequel la nation veut s’imposer, se déployer et se définir. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 61).

« La Révolution [française] a constitué la nation grâce aux mots d’ordre politiques de la liberté et de l’égalité qui signifiaient in concreto l’homogénéisation de l’espace national par l’abolition des privilèges d’état et des autonomises locales ou féodales. Le nationalisme bourgeois a donc été, de par son attitude antiféodale et anti-particulariste, une conquête de l’intérieur […]. ».

(*)(*) Rajout du traducteur. (NdT).

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(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 62).

« La désintégration d’États multinationaux [les Balkans, l’Europe de l’Est après 1990] en États nationaux se combine avec cet effort : chaque nation veut engager ladite intégration [dans l’économie mondiale] par ses propres moyens, et donc prendre en main elle-même la défense de ses intérêts, car elle pense qu’elle pourrait obtenir davantage pour elle au moyen d’un contact direct avec les autres membres de la société mondiale […]. »

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 64).

« La nation forme […] aujourd'hui le groupe d’intérêts le plus petit possible au sein de la société mondiale - à condition bien sûr qu’elle se constitue en tant qu’État souverain. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 65).

« Pendant combien de temps pourra-t-on encore mâchouiller sa propre culture nationale ? : en tant que culture exclusivement nationale, elle ne sera guère plus qu’une couleur locale(*)(*) […] à l’intérieur du panthéon ou du pandémonium multicolore de la société démocratique de masse mondiale. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 73).

« […] le gonflement des mythologies nationalistes pourrait en partie servir de succédané pour de grands projets utopiques, étayés par la philosophie de l’histoire, que l’on a entre-temps laissé tomber […] si le chiliasme à court ou à long terme pouvait se mettre au service d’ambitions hégémoniques de puissances moyennes ou grandes. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 73).

« D’autre part, l’on pourrait penser que le nationalisme favorise, en raison de la rareté des biens, la biologisation du politique sur le plan planétaire. Des goulots d’étranglement lors de répartition des biens devraient - du moins aussi longtemps qu’ils n’aboutiront pas à un lutte de tous contre tous - approfondir la délimitation entre les groupes de la société mondiale et ils érigeraient vraisemblablement la nationalité conçue racialement en caractéristique décisive de classification. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 73).

« Bien que la “gauche” veuille maintenant neutraliser les nationalismes pleins de vitalité ou mieux encore les rayer de la carte, elle se donne en même temps du mal pour mettre en évidence il n’existe pas du tout de nations pures […]. Il s’est réellement révélé vain de définir des races pures ou bien de dresser une liste sérieuse de caractéristiques objectives et valables en général sur lesquelles une nation pourrait être définie. […] Tout ceci peut être admis aisément - mais c'est politiquement complètement non pertinent. La question politiquement explosive est de savoir si des collectifs concrets sont prêts, en mobilisant si besoin est les mythologèmes qui y sont appropriés, à se définir comme nation et d’agir au nom de cette nation, et donc de vivre et mourir pour elle. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 104).

« La nation n’est pas entrée en scène bien plus tôt pour la raison qu’elle venait d’être constituée, mais parce qu’une élite s’était réclamée d’elle et qu’elle avait su mobiliser les masses dans ce sens. C'est ainsi que la nation française n’était pas inexistante en 1788 et qu’elle ne le serait pas devenue d’un seul coup là en 1789 ; il n’était pas vrai non plus qu’elle a dû d’abord constituer l’État. L’État était là depuis longtemps et la référence à la nation

(*)(*) En français dans le texte. (NdT).

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servait deux objectifs : constituer l’espace intérieur de l’État par l’élimination des particularismes féodaux et remplacer le principe dynastique par le principe de la souveraineté populaire. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 105).

Idéologie(s)

« Celui qui ne veut pas être le porte-parole du pouvoir ne peut pas non plus accepter l’image du pouvoir que celui-ci renvoie de lui-même et qu’il impose aux autres. Beaucoup d’hommes, avant tout ceux “de gauche”, vivent en pensant qu’ils refusent toujours le “système” seulement parce qu’ils font référence à l’idéologie du “système” pour critiquer certains points de sa formation réelle. Et pourtant, de cette manière-là, ils approuvent objectivement ce qu’ils refusent subjectivement ; l’idéologie du “système” en effet est autant une partie de la réalité que ses points obscurs visibles. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 11).

« Le vainqueur se sent bien sûr toujours autorisé à supposer que sa victoire est la preuve concrète de la coïncidence de l’image qu’il se fait de lui avec le sens de l’histoire. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 36).

« Au risque de scandaliser nos professeurs d’éthique, c'est-à-dire les idéologues de notre société, l’on doit constater que les principes universalistes des droits de l’homme, qui attribuent à tous les individus en tant qu’individus la même autonomie et la même dignité, ne peuvent s’épanouir que dans des sociétés dans lesquelles une division du travail hautement différenciée atomise le collectif et où la production et la consommation de masse tournent à plein régime. […]

« Plus d’un intellectuel pressent ou comprend [cette] affinité, mais il ne la conçoit que sous des augures optimistes. C'est pourquoi ils défendent globalement le système occidental […] et ses perspectives d’avenir, ils condamnent tout “pessimisme culturel”, et ils flairent derrière les invectives à l’encontre de la “civilisation de l’argent” une rhétorique nostalgique du type “sang et sol”. Ils abandonnent par conséquent la critique traditionnelle de la culture et du capitalisme, de même que le souvenir dégrisant du “tragique dans l’histoire” des soi-disant “nouveaux droits” […] ».

(Le politique au XX° siècle, p. 42).

« La diversité des valeurs est tolérée sous réserve de la validité exclusive de la valeur de tolérance et de surcroît des valeurs (par exemple la “dignité de l’homme”) qui doivent en être le support. Sur ce point, en dépit de tout son pluralisme fonctionnellement indispensable, la démocratie de masse a besoin d’une idéologie dominante au même titre que toutes les formations sociales du passé. La fin de l’idéologie, proclamée à plusieurs reprises, est un simple élément de sa propre image de soi idéologique. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 55).

« Mais la conscience du “système” constitue une partie de lui-même au même titre que son ventre. Et il y a lieu de supposer que le ventre dort ici moins que la conscience et qu’il dirige cette dernière. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 66).

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Globalisation, conflits

« L’Ouest ou le Nord hautement industrialisé considère toujours le processus de globalisation du point de vue confiant de cette partie du monde qui dispose de bien les trois quarts de la richesse mondiale et de l’énergie mondiale [et qui s’] appuie sur l’avance politique-militaire gigantesque des États-Unis.

«  Pourtant, le premier doute […] - et le premier frisson - s’est déjà insinué dans la confiance. Il se renforcera sous la pression des facteurs démographiques et écologiques (importés et d’origine interne). ».

« Et si quelqu’un répliquait que les démocraties modernes tendraient d’elles-mêmes à la démocratie mondiale, et donc à l’effacement des frontières entre le dedans et le dehors et à l’internationalisation des règles du jeu de la politique intérieure, l’on pourrait alors se souvenir de l’écrit de Kant sur la paix éternelle - et cette fois-ci bien sûr à une place qui n’est guère citée pour des raisons faciles à comprendre : c'est précisément le “mélange” ou la “fusion” des peuples qui semblait au philosophe mettre en danger la paix. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 87). « Un accord verbal autour d’une table ronde en vue de la résolution de questions

matérielles litigieuses ne coûte rien, et c'est la raison pour laquelle il n’a aucune conséquence non plus. En effet, ce n’est pas la “compréhension mutuelle” qui permet en soi la solution des questions litigieuses, mais c'est d’abord celle-ci qui crée la motivation pour celle-là. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 94).

Universalisme, éthique universaliste, droits de l’homme

« Les idées éthiques-normatives ne sont pas conçues pour être prises et concrétisées à leur valeur nominale, mais afin de fonder une identité ; et pour être mises en œuvre en tant qu’armes de cette identité en lutte contre d’autres identités. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 123).

« Dans le camp occidental, le refus de l’internationalisme prolétarien […] a conduit à une attitude positive vis-à-vis de la nation et de l’État indépendant comme unités politiques naturelles. L’approche universaliste pouvait aussi en même temps à l’Ouest [à l’Est : l’internationalisme prolétarien] se mettre très souvent au service des aspirations impériales du pouvoir d’État souverain de premier plan. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 32).

« Et l’instrumentalisation des droits de l’homme, notamment dans son application sélective, se révèlera correspondre largement à des points de vue n’ayant rien à voir avec l’éthique. Durant la Guerre froide, l’affichage programmatique des “droits de l’homme” à l’encontre du “totalitarisme” n’a détourné en aucun cas le camp occidental de conclure des alliances étroites avec des dictatures brutales. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 65).

« L’adoption des principes des droits de l’homme sous la condition de leur instrumentalisation en vue d’une politique de pouvoir atteste justement de l’impossibilité de

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les appliquer dans la pratique à leur valeur nominale - ce qui va très bien en effet avec la profession de foi en leur faveur. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 40).

« L’on peut aussi se satisfaire de l’aspect éthique sans avoir nullement recours à la rhétorique des droits de l’homme, et celui qui considère cette dernière comme creuse n’est absolument pas quelqu’un qui prend plaisir à des arrestations et à des tortures arbitraires comme les partisans de l’éthique universelle veulent le suggérer. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 63).

« L’on scandalisera à coup sûr nos professeurs d’éthique (c'est-à-dire : les idéologues de notre société) si, en tant que sociologue, l’on constate que ce qui se reflète idéologiquement dans cet universalisme [l’universalisme des droits de l’homme indépendamment de toute appartenance spécifique], c'est aussi bien l’atomisation sociale, qui est indispensable à la division du travail hautement développée sur fond de mobilité sans limites, que la revendication démocratique de l’égalité matérielle. Et pourtant cette constatation elle-même pourrait être évidente à tout être pensant lucide si on la formule de manière banale et si on pense à la vieille expérience : là où il y a peu de pain à partager, la place pour la dignité se rétrécit. Si cela est exact, alors je dois poser la question suivante : dans quelle mesure le concept occidental d’ordre pourrait-il se transformer involontairement et par la bande en un facteur déclenchant du désordre si la concrétisation de ses prémisses, c'est-à-dire le fait de surmonter la rareté des biens et la répartition selon les droits de l’homme (et donc démocratique) de biens en quantité suffisante sur le plan planétaire, devait ne pas se produire. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 49-50).

« Non seulement l’éthique universaliste a pénétré la conscience sociale la plus large […], mais les institutions nationales et internationales, qui fondent leur travail du moins nominalement sur des principes éthiques de valeur universelle, se sont également multipliées et renforcées. La novation qui caractérise le contenu de ce tournant se manifeste par la nonchalance avec laquelle la pensée de l’éthique universelle ne tient pas compte des facteurs empiriques aussi bien anthropologiques qu’historiques. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 107).

« [L’universalisme éthique de la théorie de la communication] projette sur une propriété originelle admise de manière axiomatique de la “vraie” communication ce qu’elle promet éthiquement de la “vraie” communication, et elle fait donc, selon un modèle très ancien qui a fait ses preuves, son être avec ce qui doit être, pour ensuite faire découler ce même ce qui doit être de l’être ainsi construit. [… cette théorie ne vaut rien] tant qu’elle ne développe pas ce que l’on est de façon sensée en droit d’attendre de toute théorie scientifique : à savoir qu’elle explique d’abord les phénomènes qui la contredisent. Comment, étant donné ce l’on prétend à propos de la structure essentielle de la communication humaine, l’hostilité et l’anéantissement réciproque ont-ils été si souvent possibles dans l’histoire jusqu’à maintenant ? ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 108).« Par rapport à la tradition éthique classique des présocratiques jusqu’aux Lumières

[…], on peut ici enregistrer [dans toutes les variations de l’éthique universaliste] une perte relative au contenu de réalité et au sens de la réalité dans la mesure où cette tradition partait du fait et de la nécessité de la lutte incessante de la raison contre la poussée démesurée des pulsions et des passions indéracinables […]. En revanche, l’éthique universaliste actuelle ne

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semble pas se préoccuper sérieusement et de manière théorique articulée de la capacité de l’homme à maîtriser durablement les strates sombres de son existence. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 108). « L’homme est réduit dans ce contexte à un unique point, à savoir à sa rationalité et à

son aptitude au discours ou au calcul rationnel. […] Réduits à leur rationalité, les hommes se ressemblent entre eux comme des épingles. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 109).

« […] Cela atteste par excellence(*)(*) l’enracinement des versions actuelles de cette éthique dans le monde des idées démocratiques de masse. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 110).

« La réduction de l’homme à sa simple condition humaine douée de raison traduit dans le langage idéalisant de la philosophie le fait de l’atomisation extrême qui est constitutif de la société de masse démocratique. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 110).

« […] : l’élimination épistémologique de l’histoire au nom de la raison serait donc le corrélat du balayage de fait des obstacles que l’histoire a jusqu’à présent mis sur le chemin de l’entente universelle.

« La réalité a l’air plus prosaïque. L’universalisation de l’éthique constitue un effet secondaire de l’unification croissante du marché mondial et de la politique planétaire, dans le même esprit et dans la même proportion que par exemple la standardisation progressive des règles et des habitudes économiques et juridiques. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 111).

« À l’époque de la Guerre froide, l’universalisme des droits de l’homme a été, en tant qu’arme, opposé par l’Ouest au communisme - non sans succès à long terme. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 113).

«  […] des droits que les hommes possèdent du fait de leur simple qualité d’êtres humains ne peuvent avoir de sens et d’existence réels que si tous les hommes, en vertu de leur humanité nue et indépendamment de leur origine ou d’autres conditions requises, peuvent en jouir partout sur la terre, et ce dans le lieu de leur libre choix et sans restrictions. Tant que cela ne se produit pas […], il faut, si l’on ne veut pas galvauder des concepts, seulement parler de droits civiques, et non pas des doits de l’homme. […] Aucun État ne peut donc garantir que l’on pourra jouir de droits qui sont réputés être des droits de l’homme par excellence(**)(**), comme le droit à l’intégrité physique ou la liberté de parole, à l‘extérieur de ses frontières. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 114).

« Seule la fin de la nationalité dans toutes les formes qu’elle connaît aujourd'hui inaugurerait l’époque des droits de l’homme réels. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 115).

« La seule chose que l’universalisme [les droits de l’homme] peut garantir, c'est la transformation de toutes les guerres en guerres civiles. ».

(*)(*) En français dans le texte. (NdT).(**)(**) Idem.

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(Le politique au XX° siècle, p. 54).

« Il y a un potentiel explosif dans les attentes que l’Ouest a éveillées par l’exportation dans le monde de son universalisme éthique. […]

« Étant donné que les droits de l’homme universels sont interprétés de façon matérielle, cette pression se renforce nécessairement dans la masse, ce qui, mutatis mutandis, répète ce qui s’est passé pour la première fois au XIX° siècle lorsque les socialistes ont revendiqué l’interprétation et la réalisation matérielles des libertés et des droits formels prônées par la bourgeoisie. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 116).

« Si les droits de l’homme sont maintenant interprétés de façon matérielle et associés à des espoirs de consommation, ils entrent nécessairement en conflit avec la rareté existante [et en augmentation prévisible dans l’avenir] des biens au niveau mondial. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 116).

« En ne pouvant pratiquer les droits de l’homme que sous la condition de la nationalité, l’Occident s’enferre dans une contradiction […]. [Lors d’interventions sélectives de l’Occident en vue de défendre les droits de l’homme] dans d’autres parties du monde […], il faudrait s’attendre à ce que des masses fanatisées, comme par exemple en Iran, lancent nécessairement le mot d’ordre : “À bas les droits de l’homme !”, comme les combattants espagnols qui luttaient contre Napoléon criaient à l’adresse du peloton d’exécution : “À bas la liberté !”. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 118).

« Si toutes les notions particulières qui s’opposent à l’acception universelle du terme “homme” deviennent caduques, alors le terme d’“homme” ne constituera plus un qualificatif […] mais il se transformera en un substantif destiné à désigner une certaine espèce animale. […] Cela peut avoir l’air paradoxal et pourtant il est certain que l’homme s’est différencié de toutes autres espèces animales justement par le fait qu’il n’était pas seulement un homme débarrassé de tous les autres attributs. […] C'est pourquoi il n’est pas exclu que la réduction de l’homme à sa simple humanité ouvrira et accompagnera une époque dans laquelle les hommes devront lutter les uns contre les autres pour des biens qui sont absolument vitaux pour la simple survie de l’espèce “homme” - dans le pire des cas pour l’air et pour l’eau. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 119-129).

La biologisation du politique

« Mais si le politique se réduit en des temps de misère extrême à la répartition des biens, une biologisation de celui-ci doit alors se produire d’un double point de vue : non seulement le but (direct ou indirect) de la lutte politique serait un but biologique, à savoir la survie dans un sens plus ou moins étroit, mais aussi les caractéristiques de différenciation qui serviraient à ce propos comme critères de regroupement seraient très vraisemblablement de nature biologique après que les différences idéologiques et sociales traditionnelles sur l’universalisme qui traversent les droits de l’homme seraient devenues caduques. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 50).

« Une biologisation du politique pourra déjà commencer parce que la politique planétaire devra se pencher de manière de plus en plus intense sur un fait brut biologique :

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l’explosion démographique. La conscience publique dans les régions prospères recule toujours d’effroi devant le fait de réfléchir profondément à l’ampleur et aux conséquences de ce processus vertigineux, sans précédent dans l’historique mondial, et la raison de cela réside dans le fait que l’universalisme des droits de l’homme qui domine idéologiquement n’est d’aucune utilité, sur le plan théorique et pratique, pour un phénomène comme l’explosion démographique. De manière révélatrice, les tendances éthiques religieuses et autres, qui veulent prendre au sérieux jusqu’à ses dernières conséquences la notion de dignité humaine refusent le contrôle des naissances […].

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 52).

« L’universalisme des droits de l’homme qui désire rester fidèle à lui-même peut bien sûr considérer l’explosion démographique comme un problème qui n’est même pas éthique étant donné que de tels problèmes ne peuvent être quantifiés ni dans un sens ni dans l’autre. Dans cette mesure, l’on peut dire qu’il constitue l’effet secondaire idéologique ou même la légitimation de l’explosion démographique, exactement de la même façon qu’il s’intrique socialement avec le processus d’atomisation et avec la division du travail hautement développée dans les démocraties de masse occidentales ; la dignité humaine, qui se repose sur elle-même et qui est maintenant indifférente aux justifications métaphysiques, est l’admiration de soi brutalement croissante d’une humanité qui s’accroît brutalement. […] L’on ne peut absolument pas répondre non plus à la question écologique parce que plus d’un professeur d’éthique contemporain a dû recourir à des chimères animistes telles que celle de la “dignité de la nature”. La question écologique est beaucoup plus concrète et elle est la suivante : la planète peut-elle assurer à x milliards (au choix) d’êtres humains des conditions de vie “dignes de l’homme” sans être détruite de manière irréversible sous peu ? Est-il défendable écologiquement que le Chinois ou l’Indien, qui possède la même dignité que le Nord-américain, consomme la même énergie par habitant ? Si la réponse à cette question n’est pas positive, l’on doit admettre pour le moins que la notion de la dignité humaine doit dans ce cas se détacher de l’idéal d’égalité interprété de façon matérielle, et qu’elle doit par conséquent abandonner sa signification démocratique de masse spécifique et aujourd'hui déterminante pour acquérir sa connotation pré-démocratique qui peut se concilier avec des idéaux de pauvreté et aussi avec des hiérarchies sociales très solides. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 53-54).

« La pensée biologique a très souvent servi de cadre de référence à la prise en compte des questions que posait la relation devenue plus étroite des peuples entre eux. Du point de vue européen, c'est ainsi que la hiérarchie impérialiste devait être fondée et que la mission relative à l’histoire mondiale de l’homme blanc devait être légitimée. Mais la biologisation du politique peut aussi se manifester comme un effet secondaire indirect et involontaire de l’universalisme des droits de l’homme. En effet, celui-ci supprime les distinctions idéologiques et sociales de sorte que les hommes, qui s’affrontent seulement en tant qu’hommes, et non pas par exemple en tant que communistes ou libéraux, bourgeois ou prolétaires, ne peuvent repérer parmi eux aucune autre caractéristique de différenciation et de critère de groupe que ce qui s’attache à chaque être humain de manière évidente depuis sa naissance.

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 55).

«  Comme on peut le prouver, il est faux d’attribuer l’amitié ou l’hostilité entre nations à des réalités raciales immuables ou à des archétypes psychiques rigides et de ne pas voir la plasticité infinie des intérêts et des objectifs qui se redéfinissent constamment. ».

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(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 61).

La toile de fond démographique et écologique «  […] que la répartition et la redistribution à grande échelle de masses de produits

gigantesques qui introduisent et renforcent en Occident des conditions démocratiques de masse n’aient pu avoir lieu que sur la toile de fond démographique d’un nombre d’habitants […] qui est stable depuis des décennies. Au niveau plantaire, les taux de croissance de la production de biens est à la traîne derrière les taux de croissance de la population. [En tout cas] aucune redistribution notable n’est réalisable. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 51).

« En même temps des problèmes importants, comme par exemple le problème écologique ou celui de la surpopulation, ont surgi à l’horizon de la planète qui est devenue trop petite et ces problèmes ne peuvent guère être appréhendés et maîtrisés à l’aide des catégories et des habitudes de pensée du conservatisme, du libéralisme et du socialisme. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 103).

« Le libre commerce apparaîtra sous une autre lumière lorsque le premier pays exportateur ne s’appellera plus les États-Unis ou l’Allemagne, mais la Chine ; et la liberté de circulation déclenchera des réactions hystériques et barbares si des centaines de millions d’individus devaient se mettre en route. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 37).

« Six, huit ou dix milliards d’êtres humains doivent consommer par tête autant que les bienheureux dans la région du monde hautement industrialisée et ils ont le droit de s’installer là où ils le veulent. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 41).

« La démographie a déjà sa fatalité en tant que quantité et elle déclenche des actions et des réactions spécifiques. Dans le cadre anodin de séminaires où des universalistes éthiques se rencontrent, l’on peut se sentir en toute tranquillité de purs êtres humains, mais rien que dans la cohue humaine d’un moyen de transport public, l’on n’a plus tendance spontanément à interpréter l’événement comme s’il ne s’y trouvait qu’une dignité humaine parmi plusieurs autres. Seule la conscience qu’il est temporellement limité rend un tel événement supportable et il facile de s’imaginer ce qui s’ensuivrait si cette conscience n’existait plus et si une grande densité de population permanente devait se combiner avec une paupérisation massive par suite de la concurrence économique globalement croissante. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 133).

La peur

« La peur de la quantité virera très vraisemblablement chez les larges masses en haine de la qualité dans des situations difficiles. Un historien important a décrit de façon saisissante l’effet de la peur comme le déclencheur psychologique des mouvements fascistes. Cette même peur élémentaire, cette fois-ci avec d’autres objectifs d’attaque et sous d’autres signes avant-coureurs, se profile déjà aussi bien dans des réactions au sein des démocraties de masse

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occidentales qu’également dans le caractère de nombreux nationalismes dans le monde entier. Une grossière erreur d’appréciation de la situation s’ensuivrait si l’on voulait refuser de reconnaître que des fortes tendances à long terme de la configuration planétaire actuelle nourriront plutôt qu’elles atténueront une telle peur. Et ce serait aussi une erreur de jugement que de faire découler simplement de la pensée raciste et fasciste les mouvements encore relativement petits qui expriment à voix haute cette peur en Occident ou ailleurs. […] Il y a ici quelque chose d’élémentaire qui est à l’œuvre, à savoir l’agression de l’animal lorsqu‘un animal étranger pénètre sur son territoire. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 54).

La nouvelle ascèse

« L’idéal d’égalité pourrait être ensuite préservé et encore interprété dans un sens démocratiquement matériel, mais non pas les attitudes hédonistes qui supportent sur le plan des idées la consommation de masse dans les démocraties de masse occidentales actuelles ; une nouvelle ascèse et peut-être une nouvelle religiosité dans les conditions d’une grande densité démographique et rareté de biens mettraient un terme au pluralisme des façons de voir et des valeurs démocratiques de masse. […] Le pluralisme n’est possible que là où il y de l’espace pour beaucoup de gens et pour beaucoup de choses. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 57).

“Conservateur”, “libéral”, “socialiste”

« […] le conservateur est le défenseur de ce qui existe à son époque, indépendamment de ce à quoi ressemble ce qui existe dans chaque cas particulier ; c'est ainsi que les hommes politiques conservateurs qui vivent dans des sociétés tout à fait différentes prennent fait et cause sans surprise pour des programmes complètement différents, et même opposés. Si toutefois ce ne sont pas les contenus politiques qui servent de critère dans les classifications politiques, alors ces classifications doivent se fonder sur des facteurs psychologiques ou anthropologiques […]. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 91-92).

« Celui qui employait le terme de “conservateur” au XIX° siècle pensait en premier lieu aux préoccupations sociales-politiques de la noblesse antilibérale et de la grande propriété terrienne patriarcale qui se sentaient menacées par les progrès du capitalisme industriel, tandis que l’on mentionne respectivement aujourd'hui comme soutiens sociaux de ce que l’on appelle le “conservatisme”, tantôt les défenseurs de l’économie planifiée et de la dictature à l’Est, tantôt les partisans de l’économie de marché et du parlementarisme à l’Ouest, tantôt les amis écologiquement motivés de la nature intacte, tantôt les ennemis à tendance religieuse de la minijupe. Le terme de “libéral” voulait dire aussi à l’origine en premier lieu une politique qui exprimait les idées économiques et constitutionnelles de la bourgeoise, et non pas un plaidoyer pour la liberté d’avorter ou pour un droit d’asile sans restrictions. Le caractère non contraignant du vocabulaire dénote son obsolescence. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 93).

« Les trois notions fondamentales du vocabulaire politique des cent cinquante dernières années, à savoir le “conservatisme”, le “libéralisme” et le “socialisme” (ou la démocratie sociale), n’ont incarné vraiment trois options sociales réelles et claires qu’à l’époque de leur

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formation (du reste presque parallèle). En effet, c’est seulement en 1848 que la noblesse, la bourgeoisie et le prolétariat, se sont opposés sur un champ de bataille unique. Mais le triptyque s’est réduit encore au cours du XIX° siècle à un diptyque car la noblesse déjà affaiblie a été absorbée en majorité dans la (grande) bourgeoisie en abandonnant nolens volens sa domination patriarcale sur la campagne et en prenant part à la vie économique capitaliste ainsi qu’au jeu parlementaire à différents degrés et sous différentes formes. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 93-94). « Les libéraux de leur côté ont dû faire leur la notion de conservatisme lorsqu’ils se sont

aperçus que le sens bourgeois originel de la notion de libéralisme s’estompait tandis que sa réinterprétation dans un but démocratique-égalitaire antibourgeois gagnait constamment du terrain. Étaient maintenant désignées par le terme de “conservatrices” l’idéologie et la praxis sociale-politique du libéralisme classique qui voulait se démarquer formellement des aspirations socialistes-démocratiques égalitaires. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 95).

« En effet les initiateurs desdits mots d’ordre [“liberté”, “égalité”, prônés dans le langage du droit naturel séculaire] pensaient seulement à ce propos à l’élimination des vieilles barrières et hiérarchies relatives à l’état, mais les inégalités sociales, qui devaient devenir la pierre d’achoppement pour les démocrates ultérieurs, étaient à leurs yeux parfaitement naturelles […]. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 95).

« Plus la société de masse façonnée de manière bourgeoise se rapprochait de la démocratie de masse moderne, et plus la notion de libéralisme s’associait de manière étroite aux tendances en partie éthiques-dirigistes, en partie radicales-individualistes et prônant la révolution culturelle. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 96).

« Dans sa nouvelle fonction de contre-notion du “totalitarisme” [à l’époque de la Guerre froide], le libéralisme signifiait certes aussi le libéralisme économique et par conséquent la propriété privée des moyens de production, mais l’accent n’était pas mis sur ce fait prosaïque […], mais sur les possibilités liées au libéralisme économique de l’épanouissement de la société et des individus ; le libéralisme consistait en conséquence dans le principe du changement sans limites et de l’ouverture d’esprit, de la tolérance et de la dignité de l’homme - bref de la liberté en lettres capitales. C'est à cette même liberté que l’on pensait si l’on utilisait la notion de démocratie comme synonyme de celle de libéralisme et si l’on opposait les “démocraties occidentales” aux “tyrannies communistes”. Le “libéralisme” et la “démocratie” étaient donc conçues ici de manière valide-normative […]. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 97).

« Curieusement, beaucoup de ceux qui se déclaraient auparavant anticommunistes “libéraux” ou “démocrates” se sont souvent prononcés pour le “conservatisme” lorsqu’ils désiraient exprimer de cette manière-là leur volonté de défendre des vérités et des valeurs éternelles que le communisme menacerait. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 98).

« Si plus d’un soutien ou défenseur de ce système [c'est-à-dire “bourgeois” de style classique] veut s’appeler “conservateur” à l’avenir, la raison en réside pour partie dans les besoins polémiques soulevés [contre une gauche stalinienne qui dénigre l’Occident comme

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étant “conservateur”], mais pour partie aussi dans sa conscience de soi éthique-idéologique qui ne veut pas se réconcilier avec l’idée que ce système vit maintenant [dans la révolution culturelle en cours] depuis longtemps de la destruction continuelle des anciennes valeurs, et même des réalités biologiques fondamentales, et qu’il vit donc de ce que l’on désignait dans les temps vraiment conservateurs comme étant l’“hybris”. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 99). « La démocratie de masse moderne a donc rendu d’un seul coup sans objet les notions

de “conservatisme”, de “libéralisme” et de “socialisme”. ».(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 101).

Marxisme, communisme, Union soviétique

« En effet, du point de vue de l’histoire des idées, le marxisme a puisé ses prémisses essentielles dans le libéralisme : exactement comme celui-ci s’est efforcé de faire la synthèse de l’économisme et de l’humanisme tandis qu’il a voulu comprendre en même temps le monde de l’histoire comme un progrès [le libéralisme oppose le libre marché avec sa main invisible ainsi que le libre commerce à l’État, à la politique et à la guerre des puissances nationales ; le marxisme explique le primat de l’économique par rapport à la superstructure de l’État” et de la “politique” ; le communisme auquel il aspire est atteint avec le dépérissement de l’État, avec la fin de la politique d’hégémonie entre les classes et les nations.].

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 102). « L’homme idéal de Marx est issu dans ses traits essentiels de l’idéal bourgeois

d’éducation dans lequel les idées d’harmonie classiques se mêlent à l’utopie anthropologique de l’homo universalis ; la société sans classes dans laquelle chacun pourrait déployer ses forces sans entraves grouillerait plutôt de petits Shakespeare et de petits Goethe que de popstars donnant le ton, de touristes profitant de la vie et de professeurs de la jet-set. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 32).

« Aucun homme moderne n’a présenté de manière aussi profonde et aussi claire que Marx le fait que l’histoire, l’économie, la politique, la philosophie et l’anthropologie, sont, tout compte fait, une unique chose et une unique discipline […]. »

(Le politique au XX° siècle, p. 36).

« L’élite communiste qui a pris le pouvoir l’a exercé au nom de l’égalité. C'est de cette manière-là qu’un gigantesque processus de massification a été déclenché avant tout dans les pays dans lesquels les structures sociales précapitalistes-patriarcales dictaient toujours leur loi et où l’individualisme bourgeois était faible et étranger. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, p. 129).

« Ce que l’on a fait passer pour de la praxis qui dictait la théorie [l’industrialisation forcée de l’Union soviétique à partir de la fin des années 20], a résulté de nécessités de politique intérieure et extérieure. Mais cela signifie que beaucoup de ce qui, du point de vue de l’adversaire, semble être de la paranoïa idéologique et un crime motivé par celle-ci, peut s’expliquer tout simplement par la perspective nationale et ne doit en aucun cas être attribué, indépendamment des conditions et des objectifs nationaux concrets, à la logique présumée interne de l’utopie. Prenons comme exemple un événement central de l’histoire soviétique dont le sens est compris de travers presque sans exception, bien que […] des explications

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claires de la direction soviétique de l’époque soient disponibles sur lui - sans parler de la logique de la situation. L’industrialisation forcée à partir de la fin des années 20 a été mise en chantier notamment dans l’attente fondée d’une nouvelle grande guerre dans laquelle l’Union soviétique aurait été livrée à ses ennemis bien supérieurs sur le plan industriel si elle n’avait pas pu rattraper dans les délais les plus rapides son retard dans le domaine de l’industrie lourde et de la production d’armement moderne. […] Sans la collectivisation et l’industrialisation forcées, l’Allemagne national-socialiste aurait gagné la guerre contre l’Union soviétique. ».

(La politique planétaire après la Guerre froide, pp. 132-133). « C’est l’Union soviétique stalinienne, et non pas la France libérale ou l’Angleterre

parlementaire, qui a vaincu le national-socialisme. Et les conditions préalables pour une intervention militaire couronnée de succès des États-Unis en Europe occidentale ont été crées à Stalingrad. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 31).

(Nouvelle) droite

« L’antiaméricanisme de la “droite” nationaliste provient certes politiquement du ressentiment des vaincus, mais, du point de vue de l’histoire des idées, il a son origine dans la critique anticapitaliste beaucoup plus ancienne de la civilisation actuelle, laquelle a également inspiré la “gauche” il y a peu encore. Les “droites” ne veulent pas admettre que ce qu’elles appellent l’“américanisation” n’est pas un article d’importation ou une acceptation, mais le mode de vie normal de la démocratie de masse, qu’on le veuille ou non. Mais ce n’est pas un hasard si elles ne poussent pas leur analyse plus loin. En effet, pas plus que les “révolutionnaires conservateurs” des années vingt, elles n’osent lier leur critique de la civilisation actuelle à une critique de ce qui est à la racine du mal largement déploré de la civilisation (post)moderne, et donc à une critique de la “libre économie de marché” et de la logique du marché. La contradiction tout à fait interne du “conservatisme” d’aujourd'hui est ici tangible. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 100).

L’Allemagne : la théorie de la voie particulière

« La version positive [de la voie particulière allemande (Sonderweg)] est la version originelle et on peut déjà la dépister dans les énonciations avec lesquelles d’éminents penseurs allemands du XVIII° siècle ont cherché à cerner l’élément spécifique de l’esprit allemand par rapport à celui de l’“Ouest” et avec lesquelles ils ont ainsi contribué à la formation d’une conscience nationale. L’on peut dresser une longue liste d’auteurs de renom qui ne tarissent pas d’éloges à propos de la supériorité pour partie philosophique et métaphysique, pour partie esthétique et éducative, des produits de la pensée allemande par rapport à ceux des Lumières “superficielles” de l’Ouest. […] Du reste, à l’époque, l’on n’en a guère voulu généralement aux Allemands pour tout cela. Étant donné que terres et mers ont été dominées par d’autres, l’on a volontiers laissé aux Allemands, comme le grand poète le savait déjà, le royaume céleste de la culture établi sur les idées et les idéaux […].

(Le politique au XX° siècle, pp. 162-163).

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« Les représentants français et anglais de l’esprit romantique-contre-révolutionnaire ont fait l’apologie des Allemands parce qu’ils sont soi-disant restés épargnés par l’influence des Lumières “superficielles” et par la griserie capitaliste, et aussi fidèles à ce qui est supérieur et sacré. ».

(Le politique au XX° siècle, p. 163).

« La fondation de l’Empire a mis un terme dans une large mesure à la propension de l’étranger à suivre les Allemands dans l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes. […] La victoire de l’armée prussienne et la force politique et économique du jeune Empire ont eu pour effet que l’aspect culturel jusqu’alors prépondérant de la conscience de soi idéologique allemande s’est associé avec un autre aspect, pour le moins de force équivalente, au centre de gravité duquel se trouvaient la vertu guerrière et la puissance. [C'est cela qui] a fourni le fondement de la mythologie nationaliste promue par les professeurs et les littérateurs à l’occasion de la Première Guerre mondiale et qui a ensuite été repris en grande partie par la propagande national-socialiste. Ici, l’“idée allemande” a pu être représentée par l’association idéale du guerrier et du penseur, laquelle est opposée à l’“idéal de commerçant” occidental et lui est bien supérieure. ».

(Le politique au XX° siècle, pp. 163-164).

« La version allemande positive élargie de la “voie particulière” allemande s’est opposée à une version négative “occidentale”. Celle-ci s’est formée, de la même manière que le conglomérat idéologique allemand, sur la base de matériaux hétéroclites et nébuleux, et elle a servi tout d’abord aux besoins compréhensibles et propagandistes des Français qui, en réaction à la défaite de 1870, avaient soif de vengeance, de même qu’à ceux des Anglais qui craignaient la concurrence impériale de ce Reich dynamique. L’appréciation négative de la “voie particulière” est apparue dans la propagande de guerre anglo-saxonne et française à partir de 1914 avec la prétention à une ample interprétation du fléau allemand, pour se constituer après 1933 en une véritable construction systématique qui devait faire comprendre le cours fatal de l’histoire allemande de Luther jusqu’à Hitler en passant par Frédéric le Grand et Bismarck. Ce n’est certainement pas un hasard si la longue et riche histoire intellectuelle de cette construction n’a pas été jusqu’à présent l’objet d’une recherche très poussée, bien que le sujet en soit extrêmement actuel : la compréhension scientifique des circonstances proches de sa formation ou de son caractère polémique-idéologique - pour ne pas parler de sa méchanceté à multiples facettes - exercerait inévitablement des effets dérangeants sur la rééducation qui, relativement au contenu, repose notamment sur cette construction. […].

« La première version emprunte des arguments aux catégories presque raciales. Elle a voulu voir dans l’Allemand la bête féroce, blonde et germanique, ou même le “Hun”, qui mettait le moyen de la technique moderne au service de sa soif barbare de destruction, laquelle a été de tout temps prétendument propre à son être et devait le mener à un conflit permanent avec l’humanité civilisée. La seconde version […] fait valoir, du moins dans sa forme pure, des points de vue exclusivement sociaux-historiques et elle cherche les raisons de la “voie particulière” allemande dans l’hypostasie de la bourgeoisie et dans la faiblesse de l’esprit bourgeois-libéral qui a accompagné la force correspondante de la mentalité réactionnaire-militariste par suite de la prédominance sociale de couches semi-féodales. ».

(Le politique au XX° siècle, pp. 164-165).

Pouvoir

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« Aussi longtemps que le royaume du philosophe n’est pas de ce monde, la philosophie doit plus ou moins demeurer une masturbation. ».

(Le philosophe et le pouvoir, pp. 7-8).

« L’aspiration au pouvoir avec une certaine exigence sociale, même médiocre, ne peut pas s’épanouir si le sujet concerné n’est pas en mesure de renoncer à une satisfaction immédiate de ses désirs et de subordonner absolument, par la planification et l’anticipation, ses souhaits à court terme à ses objectifs à long terme. Cette constatation doit toutefois sembler un énorme paradoxe aux professeurs d’éthique, à savoir que l’esprit qui aspire au pouvoir et à la domination ne procède pas autrement que l’esprit qui voudrait vivre vertueusement. ».

(Le philosophe et le pouvoir, p. 39).

La toute-puissance de Dieu n’était pas théologiquement sans problème. […] La toute-puissance ne signifie […] nécessairement en soi ni la bonté infinie, ni la justice parfaite. ».

(Le philosophe et le pouvoir, p. 18). « L’on peut dire en général que la microphysique du pouvoir de Foucault constitue

moins un progrès dans la compréhension, et davantage un reflet idéologique, des rapports démocratiques de masse en Occident, lesquels sont caractérisés par l’interdépendance du privé et du public et par l’adieu aux idées de domination traditionnelles. La conception [“microphysique”] ponctuelle du pouvoir représente l’affaiblissement des institutions vénérables et la dissipation des sujets collectifs sur le plan de la théorie, et donc le grand processus d’atomisation sur le plan de la praxis sociale. Le pouvoir en tant que problème est transféré dans la vie quotidienne et dans le réseau des relations avec les autres, de même que la lutte politique de grand style devient obsolète et qu’elle est remplacée par le désir de la réalisation de soi en petit cercle. ».

(Le philosophe et le pouvoir, p. 37).

* * * * *