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HISTOIRE DE L’ART N O 84-85 2019/2020 37 « Considérer davantage le musée comme un acteur de la recherche que comme un lieu de dépôt des collections » Cécile SAUVAGE Conservatrice du patrimoine, responsable des littoraux Manche est- mer du Nord au département des Recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM, ministère de la Culture) Le musée est-il un lieu privilégié de l’archéologie ? L’archéologie se fait dans de multiples lieux : sur le terrain, bien sûr, dans les services d’archéologie après la fouille, dans les laboratoires de recherche, les universités, les revues, les colloques et également, il est vrai, dans les musées. À quelle archéologie le musée permet-il d’exister ? Le musée est le lieu privilégié de la prise en compte des collections. Pour peu qu’il accepte de ne pas être dépositaire uniquement des objets les plus exceptionnels d’une fouille, le musée peut permettre la réalisation de comparaisons entre les mobiliers issus Fig. 1. Archéologue-plongeur observant l’épave Nord Chapeau à Miquelon. © Photo Teddy Seguin/DRASSM.

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HISTOIRE DE L’ART NO 84-85 2019/2020 37

« Considérer davantage le musée comme un acteur de la recherche que comme un lieu de dépôt des collections »Cécile SAUVAGEConservatrice du patrimoine, responsable des littoraux Manche est- mer du Nord au département des Recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM, ministère de la Culture)

Le musée est-il un lieu privilégié de l’archéologie ?L’archéologie se fait dans de multiples lieux : sur le terrain, bien sûr, dans les services d’archéologie après la fouille, dans les laboratoires de recherche, les universités, les revues, les colloques et également, il est vrai, dans les musées.

À quelle archéologie le musée permet-il d’exister ?Le musée est le lieu privilégié de la prise en compte des collections. Pour peu qu’il accepte de ne pas être dépositaire uniquement des objets les plus exceptionnels d’une fouille, le musée peut permettre la réalisation de comparaisons entre les mobiliers issus

Fig. 1. Archéologue-plongeur observant l’épave Nord Chapeau à Miquelon. © Photo Teddy Seguin/DRASSM.

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de plusieurs opérations ou d’un même secteur géographique. Il est l’endroit privilégié pour réaliser des synthèses thématiques qui ne sont pas intéressantes que pour le grand public. En bref, s’il en a et s’il s’en donne les moyens, le musée peut être un des lieux permettant à une archéologie globale, synthétique, accessible et concrète d’exister. Par l’édition de catalogues, il peut aussi aider les archéologues à diffuser au plus grand nombre les résultats de leurs recherches.

L’archéologie existe assurément sans le musée. Vous semble-t-elle exister parfois dans ses angles morts, ou même contre lui ?L’archéologie se fait le plus souvent sans le musée, bien que ce dernier ait des choses à apporter à la discipline. Pour cela, il faudrait considérer davantage le musée comme l’un des acteurs de la recherche et non pas uniquement comme un lieu de dépôt des collections. Les professionnels des musées ont donc tout intérêt à être plus actifs dans la recherche en initiant ou en encadrant des travaux universitaires sur les collections, en étant membres d’unités de recherches, donc en se positionnant comme des acteurs de la recherche et non pas uniquement comme les dépositaires des travaux faits par d’autres.

Dans quelle mesure le musée peut-il faire évoluer l’archéologie ? Et dans quelle mesure les évolutions de l’archéologie trouvent-elles leur place au musée ?Parce qu’il est l’un des lieux privilégiés de la rencontre entre l’archéologie et ses publics, le musée joue un rôle dans la recherche en incitant ses acteurs à formuler ses problé-matiques de recherche et ses résultats en des termes accessibles à tous ou en étant à

Fig. 2. Sondage archéologique sur une épave de Miquelon. © Photo Teddy Seguin/DRASSM

CÉCILE SAUVAGE

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l’initiative de projets de recherche. Les évolutions de l’archéologie sont de mieux en mieux représentées dans les musées. Ces évolutions sont nécessairement présentées dans les expositions avec un certain décalage dans le temps, dû aux délais d’étude, de restauration et de transfert des collections. Pourtant, le musée peut se saisir de l’actualité archéologique en privilégiant d’autres formes de médiation, telles que des rencontres entre scientifiques et grand public, des projections-débats, des visites de chantiers de fouilles ou des outils numériques.

Les objets archéologiques sont-ils des œuvres d’art parmi d’autres au musée ?L’objet archéologique n’est pas forcément une œuvre d’art. Même s’il peut être doté de grandes qualités esthétiques, son intérêt et sa charge émotionnelle résident surtout dans le fait qu’il témoigne des populations et de leurs modes de vie à différentes périodes. Le défi de la présentation de l’archéologie au musée est justement de faire comprendre le sens d’objets désormais sortis de leur contexte. Pour cela, il faut replacer les objets dans un contexte paysager, architectural, humain, par le biais d’illustrations, de maquettes, de supports numériques. Il faut aider le visiteur à tisser du lien avec ce contexte et avec ses propres connaissances pour que sa visite puisse faire sens.

Quel rapport le musée peut-il/doit-il entretenir avec l’école ?Le musée ne doit pas être considéré comme un lieu qui permet d’apprendre ce qui n’a pas été vu à l’école. Bien sûr, le musée peut permettre d’approfondir des savoirs acquis en milieu scolaire, mais il faut se méfier de transférer telles quelles les méthodes pédagogiques du milieu scolaire au musée. Si l’on apprend au musée, il faut privilégier l’apprentissage sous d’autres formes qu’à l’école, avec d’autres outils. Par ailleurs, le musée ne doit pas être considéré uniquement comme un lieu d’apprentissage. C’est un lieu de découverte, de plaisir, de création…

Comment qualifieriez-vous la place que l’archéologie occupe au musée par rapport à d’autres disciplines voisines ? Comment souhaiteriez-vous voir évoluer ce rapport ?L’archéologie et ses évolutions sont présentées de manière de plus en plus dynamique et intéressante dans les musées qui lui sont entièrement dédiés. Dans les musées généralistes, qui disposent rarement de professionnels spécialisés dans cette discipline, les collections archéologiques font souvent figure de parent pauvre, insuffisamment étudiées et mal mises en valeur alors que de tels musées recèlent parfois des « trésors » archéologiques. La mise en réseau, par exemple à l’échelle régionale, de telles structures pourrait permettre à ces établissements de bénéficier d’une meilleure mise en valeur de ces collections.