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Archives de sciences sociales des religions 181 | janvier-mars 2018 Le religieux et le politique à l'épreuve des révolutions arabes « Bénie soit l’Égypte » Prier pour la nation dans l’espace public révolutionnaire Blessed be Egypt. Pray for the nation in the revolutionary public space "Bendito sea Egipto". Ora por la nación en el espacio público revolucionario Gaétan Du Roy Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/assr/38538 DOI : 10.4000/assr.38538 ISSN : 1777-5825 Éditeur Éditions de l’EHESS Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2018 Pagination : 141-159 ISSN : 0335-5985 Référence électronique Gaétan Du Roy, « « Bénie soit l’Égypte » », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 181 | janvier-mars 2018, mis en ligne le 01 mars 2020, consulté le 07 janvier 2022. URL : http:// journals.openedition.org/assr/38538 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.38538 © Archives de sciences sociales des religions

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Archives de sciences sociales des religions 181 | janvier-mars 2018Le religieux et le politique à l'épreuve des révolutionsarabes

« Bénie soit l’Égypte »Prier pour la nation dans l’espace public révolutionnaire“Blessed be Egypt”. Pray for the nation in the revolutionary public space"Bendito sea Egipto". Ora por la nación en el espacio público revolucionario

Gaétan Du Roy

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/assr/38538DOI : 10.4000/assr.38538ISSN : 1777-5825

ÉditeurÉditions de l’EHESS

Édition impriméeDate de publication : 1 mars 2018Pagination : 141-159ISSN : 0335-5985

Référence électroniqueGaétan Du Roy, « « Bénie soit l’Égypte » », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 181 | janvier-mars 2018, mis en ligne le 01 mars 2020, consulté le 07 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/assr/38538 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.38538

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Archives de sciences sociales des religions, 181 (janvier-mars 2018), p� 141-159

« Seigneur protège l’Égypte, amîn, Seigneur, bénis l’Égypte, amîn… » Le 6 février 2011, une petite délégation de l’église protestante évangélique de Qasr al-Dûbbâra se rendait à la place Tahrîr voisine pour participer au mouvement qui mènerait, quelques jours plus tard, à la destitution du président Hosni Moubarak� Posté sur une estrade, un orateur récitait à un public enthousiaste des versets bibliques prônant le changement : « Parle en leur faveur : gouverne avec justice, défends la cause des pauvres et des malheureux (Proverbes 31,9) »� Des slogans religieux étaient ensuite lancés à la manière d’une manifestation – le public composé de chrétiens et de musulmans y répondait en s’écriant « amîn» en chœur�

Depuis le 25 janvier 2011 la place Tahrîr était devenue le lieu de l’ex-pression des espérances de changement en Égypte� Alors que de nombreuses manifestations s’y déroulaient, la place se muait pendant plusieurs mois en une arène autorisant la formulation d’une nouvelle symbolique du changement et de l’unité du peuple� Des imaginaires autrefois limités à des communautés restreintes pouvaient s’exprimer sur une place devenue république en actes, un « lieu-événement » pour reprendre l’expression du géographe Michel Lussault (2017 : 123)� Les chrétiens n’étaient pas absents de ces manifestations et partageaient pour beaucoup d’entre eux les espoirs de leurs compatriotes de religion musulmane� L’Église copte, à laquelle se rattachent la grande majorité des chrétiens égyptiens, avait pourtant invité les fidèles à se tenir éloignés de la place Tahrîr, tout comme les représentants de l’islam officiel 1� Des chrétiens évangéliques, très minoritaires dans le pays, participèrent cependant aux rassemblements à travers des prières ou des chants religieux apprêtés au contexte de l’espace public révolutionnaire 2� Il s’agissait ici d’atténuer la coloration chrétienne de ces performances religieuses, de les

1� À la fin des années 1990, les protestants étaient environ 20 900 et les coptes catholiques 150 000, sur à peu près 5 millions de chrétiens au total (Heyberger, 2003 : 26-27)�2� Sur le concept d’apprêtement on se reportera à Stavo-Debauge(2009 : 55-56)� Un mouvement copte, la Légion Thébaine, y participa également (du Roy, 2015a)�

Gaétan du Roy

« Bénie soit l’Égypte »Prier pour la nation dans l’espace public révolutionnaire

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rendre compatibles avec une rhétorique prônant le changement, l’unité du peuple et celle des chrétiens et des musulmans� À l’occasion du soulèvement de 2011, un courant chrétien charismatique choisit donc de manifester son soutien à la révolution par des prières d’intercession organisées dans des églises mais également au cœur de l’espace public révolutionnaire� Ce courant rassemblait des protestants évangéliques égyptiens et des prêtres coptes influencés par le protestantisme évangélique et œuvrant pour l’« unité de l’Église 3 », au-delà des divisions dénominationnelles� Les rassemblements que je vais décrire ont réuni l’église évangélique de Qasr al-Dûbbâra et l’église du prêtre copte Sam‘ân, officiant dans le quartier de chiffonniers du Muqattam à l’est du Caire�

Un courant charismatique à la reconquête du territoire

L’église de Qasr al-Dûbbâra, dans le quartier de Garden City, à proximité de la place Tahrîr, est liée à l’International House of Prayer à Kansas City (Dowell, 2012 : 5)� Cette Église étasunienne est une église charismatique sans dénomination, fondée par le pasteur Mike Bickle en 1999� Bickle reçut une révélation alors qu’il séjournait au Caire : Dieu lui annonça qu’il allait contribuer à faire changer la perception du christianisme à travers le monde en l’espace d’une génération 4� Cette Église organise depuis lors une prière d’intercession ininterrompue en vue d’accélérer la venue du Christ (Jackson, 2009 ; Eckholm, 2011)� Qasr al-Dûbbâra, s’inspirant de cette pratique, organise également des équipes de prière qui se relaient jour et nuit dans une pièce nommée Bayt al-sallâ (La Maison de la prière) (Dowell, 2012 : 47-50)� Les fidèles de l’église évangélique sont ainsi convaincus que la révolution est le résultat de leurs prières d’intercession pour l’Égypte (Dowell, 2012 : 32-33)� Lors d’un talk show de la chaîne Sat 7, animé par le prêtre copte Andrâwûs Iskandir, proche des évangéliques, des jeunes femmes invitées sur le plateau exprimèrent également cette idée : « ce qui arrive est l’un des résultats de la prière� Parce que depuis des années nous prions pour l’Égypte, nous prions pour que Notre Seigneur visite l’Égypte� […] Il a décidé de commencer à visiter cette nation (oumma 5) et d’utiliser ces jeunes [les jeunes révolutionnaires] 6 »� Ces femmes, si l’on en juge par les habits qu’elles portaient et leur arabe mâtiné d’expressions anglaises, étaient issues de la classe moyenne supérieure (voire supérieure)� Cette

3� Wahdat al-Kanîsa� Il s’agit dans cette perspective de prôner l’unité des chrétiens égyptiens au-delà des frontières dénominationnelles� En ce sens ce courant s’oppose frontalement à la prétention hégémonique de l’Église copte en Égypte�4� http://www�watchman�org/profiles/pdf/ihopprofile�pdf, consulté le 23/6/2014�5� Ce terme se réfère souvent dans les discours musulmans à la communauté des croyants� Il est utilisé dans la traduction arabe de la Bible pour rendre le terme nation� 6� https://www�youtube�com/watch?v=RhaGaPmnARs&list=PLx75jgSnv5XmI8d6jtBqWdk5f5 BBOZUkx&index=7, consulté le 30/6/2015� Ce prêtre a été ensuite suspendu pour sa trop grande proximité avec les évangéliques�

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origine sociale favorisée constitue l’un des traits distinctifs du public de Qasr al-Dûbbâra, ainsi que celui du père Andrâwûs Iskandir, qui est également majoritairement féminin�

Autre membre de ce réseau charismatique, le père Sam‘ân est un prêtre copte, parti en missionnaire prêcher la bonne parole auprès des chiffonniers du Muqattam au milieu des années 1970� Il est très vite devenu un entrepreneur religieux à succès, attirant de nombreux visiteurs pour assister à ses exorcismes, construisant d’énormes églises dans le quartier et se plaçant habilement comme intermédiaire entre les ONG de développement, les hommes politiques locaux et la population du lieu 7� Il s’est progressivement rapproché des évangéliques de Qasr al-Dûbbâra, organisant de nombreuses réunions de prières dans l’église du Muqattam� Ces deux acteurs ont en commun d’être prosélytes et de s’inscrire dans des réseaux missionnaires transnationaux�

Les charismatiques, qui s’étaient longtemps concentrés sur le changement individuel (Gonzalez, 2011), ont adopté dans les années 1960 une conception de la prière d’intercession où « les notions de délivrance du pays ou de la nation confèrent une nouvelle organisation au collectif religieux et conduisent à sa poli-tisation (Gonzalez, 2008 : 50) »� Cet aspect se réfère aux théologies du spiritual warfare (combat spirituel) (Fer, 2016) extrêmement répandues en Amérique du Nord et du Sud, impliquant « une conception territoriale de la proclamation de l’Évangile, celle-ci constituant une revendication sur une cité ou une nation, au nom du Christ (Gonzalez, 2008 : 50) »� L’ethnomusicologue Carolyn Ramzy a, dans son travail, donné un bel exemple de ce genre de pratiques, en montrant que les prières d’intercession du chanteur copte Mâhir Fâyiz, également proche de Qasr al-Dûbbâra, invitaient les fidèles à reprendre possession du territoire égyptien par leurs chants de louange (Ramzy, 2016)�

Les années 2000 virent l’Égypte s’ouvrir aux médias satellitaires, ouverture dans laquelle s’engouffrèrent les missionnaires� Tournées vers le protestantisme évangélique, ces chaînes accueillent volontiers des prêtres coptes orthodoxes de la tendance charismatique� Ces télévisions satellitaires concurrencent désor-mais l’hégémonie de l’Église copte qui lança, en réponse, ses propres canaux télévisés pour résister à ces nouvelles propositions 8� Les médias d’inspiration évangélique charismatique ont ouvert aux chrétiens égyptiens de nouvelles voies pour interpréter leur situation politique et religieuse� Ceux-ci peuvent désormais se raccrocher à de grands récits formulés hors d’Égypte qui les autorisent à s’échapper de la réalité égyptienne, en vivant par procuration une manière attrayante de percevoir leur identité chrétienne� Tout se passe, dès lors, comme si ce discours déterritorialisé s’était soudain retrouvé happé dans la réalité égyptienne par la révolution, événement total qui imprimait sa marque à tous les aspects de la société� La vision eschatologique du combat spirituel chrétien se trouvait ainsi mêlée à l’expression d’une volonté de

7� Sur ce prêtre on se reportera à du Roy, 2015b�8� Febe Armanios prépare actuellement un livre sur l’histoire de ces chaînes de télévision arabes chrétiennes�

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changement politique, partagée avec nombre de leurs concitoyens musulmans� Un des buts affichés des prières d’intercession et de leur diffusion sur les chaînes satellitaires consistait d’ailleurs à démontrer aux musulmans « que les chrétiens aiment leur pays et qu’ils s’engagent pour qu’il devienne meilleur 9 » selon les mots d’un pasteur de Qasr al-Dûbbâra� Les griefs adressés à la domination publique de l’islam, de même que le rêve d’une rechristianisation de l’Égypte, se disent dès lors à mots couverts, en usant d’euphémismes, de métaphores et de stratégies détournées� J’essayerai pourtant de montrer que le nationalisme affiché doit être pris au sérieux et ne peut être écarté comme simple discours de façade�

Publicité de la religion et discours nationaliste

La symbolique de reconquête du territoire portée par les prières d’intercession semble donc exprimer une volonté de christianiser l’espace public� Je suivrai dans mon analyse la voie suggérée par C� Terzi et S� Tonnelat qui proposent de s’intéresser davantage à la manière dont un espace ou une situation acquiert un caractère plus ou moins élevé de publicité, plutôt que de me positionner par rapport à une définition normative de l’espace public (Tonnelat, Terzi, 2013)� À partir du cas des chrétiens égyptiens, je m’interrogerai sur le rôle que peuvent jouer les pratiques religieuses dans la lutte symbolique autour de la définition de la « réalité » dans une période de fluidité radicale et d’ins-tabilité des institutions chargées jusque-là de dire « ce qu’il en est de ce qui est », pour reprendre une expression du sociologue Luc Boltanski 10� Parmi les enjeux du processus révolutionnaire, la lutte pour le sens des mots et des situations fut probablement l’un des plus importants� Il s’agissait, pour des acteurs dépourvus d’une idéologie commune, de donner forme à une nouvelle réalité, sans cesse chahutée par le flot des événements� Pendant plus d’un an, les places publiques devinrent des scènes sur lesquelles apparaissaient de nouveaux récits ouvrant des horizons de sens inédits (Sabaseviciute, 2012)� La révolution autorisait désormais les Égyptiens à paraître en public, à être vus et entendus par autrui sur une scène d’apparition elle-même démultipliée par les médias (Arendt, 1983 : 60 ; Quéré, 1992 : 77)�

Il convient maintenant de revenir sur quelques caractéristiques du processus de publicisation en contexte égyptien� Le débat public y est marqué par de fortes contraintes argumentatives qui sont liées à la nature autoritaire du pouvoir et au processus de réislamisation qui a marqué la société égyptienne depuis les années 1970� On peut décrire la réislamisation comme un « regain de visibilité des codes, conventions et valeurs référées au religieux » (Haenni, 1999 : 121)� Dans cette configuration sociale de la réalité, il devint difficile,

9� Entretien avec un pasteur de Qasr al-Dûbbâra, le 20 août 2015�10� En effet, ce dernier oppose la « réalité » au « monde »� La réalité désigne ce qui se trouve stabilisé par « le pouvoir sémantique des institutions », le monde recouvrant quant à lui tout ce qui advient mais qui n’est pas forcément pris en charge par la réalité (Boltanski, 2009)�

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en Égypte, de contester publiquement un argument adossé à l’islam sans s’appuyer soi-même sur un autre argument religieux� Jean-Noël Ferrié, à qui j’emprunte cette analyse, décrit cette domination publique de la référence à l’islam comme un phénomène de « solidarité sans consensus » (Ferrié, 2004), ce qui signifie que si les Égyptiens musulmans peuvent difficilement contester cette domination de la référence islamique, ils ne se mettent pas pour autant d’accord sur ce qu’elle recouvre� Beaucoup acceptent par exemple l’idée qu’il faille instaurer la charia, mais ne sont pas souvent d’accord sur ce que signifie concrètement cette proposition� Dans les espaces publics urbains, la domination de l’islam se traduisit par l’exigence de se présenter en public d’une manière morale et pieuse� Cela engendra des attentes mutuelles générant une forme de surveillance généralisée où des inconnus s’autorisaient à « agir sur la vie d’autres inconnus » (Ferrié, 1998 :138)�

Ferrié ne pose pas la question des conséquences de cette configuration pour les coptes ou pour les Égyptiens qui ne se reconnaissent pas dans cette islami sation du domaine public 11� Pourtant la situation des chrétiens évolua de manière assez comparable et, bien sûr, en interaction avec l’environnement majoritaire� Tandis que les espaces et les débats publics s’islamisaient, un proces-sus de « rechristianisation » se produisait chez les coptes au sein de leurs églises, dans une sorte de fuite hors de l’espace commun� Un réformisme religieux chrétien de nature fondamentaliste se développait et la religiosité connaissait un nouvel essor marqué par une recrudescence de phénomènes miraculeux comme les apparitions ou les guérisons – la vie paroissiale enveloppait toujours plus d’aspects de la vie des fidèles 12� Les coptes se réfugiaient aussi dans un imaginaire religieux, une tradition réinventée faite de martyrs, de miracles et de résistance par la foi au joug musulman� Ils s’inscrivaient dans « des tempo-ralités autres 13 » que celles marquant la sphère publique nationale, exprimant leurs craintes et leurs espoirs au sein d’un espace politico- communautaire de substitution� Toute communication ne fut pas pour autant coupée entre coptes et musulmans car il existait une autre contrainte argumentative que Ferrié n’a pas prise non plus en considération dans son analyse de la domination de la référence à l’islam : celle du discours nationaliste dont l’union des coptes et des musulmans constitue l’une des thématiques majeures�

La période qui suivit le coup d’État de l’armée égyptienne le 3 juillet 2013 tend à montrer que la rhétorique nationaliste jouit d’une relative consistance en Égypte� Ce discours a par exemple été défendu depuis plusieurs décennies par une élite copte dans un but de pédagogie politique envers les moins éduqués et, dès lors, de contrôle social (Elsässer, 2014)� Par ailleurs, le nationalisme

11� Notre analyse reste ici schématique� Les espaces urbains du Caire ne présentent pas tous des configurations semblables et ce qui est autorisé d’y faire ou d’y dire varie considérablement d’un lieu à l’autre� Pour une exploration des ambiances urbaines et des passages de l’une à l’autre, voir Battesti, Puig, 2011�12� Ce que D� El Khawaga (1991) a appelé la « cléricalisation » des coptes�13� J�-F� Bayart, 1985, p� 350�

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centré sur la grandeur d’une Égypte éternelle, qui connut son heure de gloire dans les années 1920, devait beaucoup à des auteurs coptes� Ce discours, qui s’est affaibli au fur et à mesure de l’islamisation, est pourtant resté présent dans la sphère publique, soutenu notamment par la hiérarchie de l’Église� Cette vision était en effet celle qui se mariait le mieux avec le renouveau copte et permettait au patriarche de dépeindre l’institution dont il avait la charge comme un fer de lance du nationalisme égyptien depuis des siècles, face aux ennemis extérieurs de l’Égypte (Byzantins, Français ou Anglais)� Ce positionnement permettait en outre d’apparaître comme la seule Église chrétienne authentiquement égyptienne face aux catholiques et protestants égyptiens (Elsässer, 2014 : 113-121)� Le nationalisme permit sans doute de faire communiquer, tant bien que mal, les différentes sphères sociales d’un pays profondément segmenté, dont l’État est en réalité composé d’un assemblage de corporatismes disparates� Ce registre discursif constitue donc, à côté de la référence religieuse, l’autre contrainte argumentative qui marque la sphère publique officielle égyptienne� Pourtant, nous allons montrer les ambiguïtés qui marquent la structuration sociale d’un pays où la segmentation des publics se traduit par l’existence de scènes sociales enchâssées, s’ignorant le plus souvent les unes les autres� La très grande difficulté d’exprimer publiquement le désaccord a laissé de plus en plus de place à des manières alternatives de donner sens à l’appartenance nationale au sein de ce que l’on pourrait quali-fier d’« espaces publics liminaires 14 » (Hilgers, 2013 : 11)� En leur sein sont apparus des récits politico-communautaires alternatifs alliant nationalisme et discours confessionnel� Si ces espaces liminaires ne constituent pas forcément des lieux situés, on peut pourtant considérer que les églises et les mosquées furent, à leur manière, des espaces d’énonciation publique, dans le sens où s’y exprimaient des discours articulant les appartenances communautaire et nationale� Je propose de distinguer un espace public liminaire d’un simple espace communautaire par le fait que les discours qui se tiennent dans le premier ont une prétention à la généralité qui dépasse la communauté des fidèles� Nous montrerons comment les espaces publics liminaires des chrétiens charismatiques se sont impliqués dans la formulation d’un discours ambigu de soutien à la révolution qui n’a pas résisté à la brusque fermeture de l’espace public révolutionnaire à la suite du coup d’État de juillet 2013�

Promouvoir la Bible dans l’espace public révolutionnaire

Après la chute de Moubarak, la rhétorique révolutionnaire s’est imposée pour un temps comme une nouvelle contrainte argumentative, obligeant à prendre fait et cause pour elle, à respecter ses martyrs et à ne pas remettre en cause

14� Cette expression est utilisée par M� Hilgers dans le but de « subsumer les qualifications mul-tiples qui ont permis de décrire les espaces publics [qui se distinguent de l’espace public officiel] : espace public religieux, espace public oppositionnel, espace public périphérique, espace public officieux » (Hilgers, 2013 : 11)�

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publiquement le caractère révolutionnaire des événements 15� Cette configura-tion ouvrait la possibilité de publiciser des discours autrefois cantonnés aux espaces semi-publics� Ce fut le cas pour les évangéliques de Qasr al-Dûbbâra, souvent dénoncés auparavant par la presse pour leur prosélytisme� Cette église choisit d’intervenir dans l’espace public à travers des performances et des prières� Certains de ses membres se rendirent durant la révolution sur la place Tahrîr, située à proximité de leur paroisse, pour chanter des chants religieux� Ils rendirent ensuite les honneurs aux martyrs (musulmans comme chrétiens) après la chute du président à l’occasion d’une cérémonie organisée en leur église� La Société biblique égyptienne, une institution protestante proche des charismatiques égyptiens, choisit également de s’impliquer mais dans un style différent� Elle développa une approche inspirée du marketing, en s’employant à diffuser des affiches aux couleurs de l’Égypte dans les semaines qui suivirent la chute du président� Des slogans assez généraux invitaient par exemple à promouvoir les libertés, à changer le pays, à se montrer honnête, ces injonctions se voulant directement inspirées par des références bibliques� Ramez Attallah, le directeur de la Société biblique égyptienne, le racontait en décembre 2011 à ses collègues des autres sociétés bibliques :

Après la démission de Moubarak, une grande ferveur nationaliste s’empara du pays� La Société biblique commença immédiatement sa campagne « Reconstruire l’Égypte » dans le but de submerger le pays avec la parole de Dieu� Notre première sélection d’Écritures s’est concentrée sur la reconstruction de sa ville, de la foi et du comportement de son peuple par Néhémie� Nous avons promu publiquement des valeurs bibliques qui résonnaient avec les aspirations de la révolution à travers des publicités dans les journaux, des panneaux d’affichage, des bannières, imprimées et dans les médias, en présentant de manière créative les enseignements révolutionnaires de Jésus� […] Nous remercions Dieu pour ces opportunités, pour continuer à pro-mouvoir les Écritures et la présence chrétiennes dans l’Égypte postrévolutionnaire et d’encourager les Égyptiens à vivre comme des citoyens loyaux� Chaque publicité donne le numéro de la hotline de la Société biblique pour des livraisons gratuites et pour fournir un accès facile aux Écritures 16�

“To put the Bible on the Marketplace 17”, tel était l’objectif affiché par R� Attallah� Ce volontarisme dans la publicisation du christianisme, en s’appuyant sur un vocabulaire issu du marketing, souligne la dimension spatiale de l’émergence d’une nouvelle sphère publique dans le contexte

15� Il n’y eut pas, en réalité, d’unanimisme� Des contestations de la révolution se sont exprimées mais celles-ci constituaient un contre-public par rapport au discours majoritaire�16� The Bible Society of Egypt. Annual Report 2011, http://www�darelketab�org/EditorDocument/Annual_Report_2011_FINAL�pdf, consulté le 23/06/2015�17� Conférence de Ramez Attallah, “God, Manhood & Ministry – Building Men for the Body of Christ”, Minneapolis, 1er février 2012,https://www�youtube�com/watch?v=6KWrRFLDmFE, consulté le 30/6/2015�

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révolutionnaire� Il s’agissait d’occuper l’espace pour aiguiller les Égyptiens vers le véritable changement, comme Attallah l’exprimait en février 2012 :

Nous sommes dans une situation difficile� Au cours de la révolution il n’y a jamais eu aucune critique de l’islam en tant que religion comme étant oppressive en aucune manière� Pas simplement l’islam mais la religion� Ils parlent de liberté et de démocratie mais quand vous avez une théocratie, vous n’avez pas ce genre de liberté� Et l’autre chose que vous devez réaliser est que pour les Arabes musulmans, l’identité – en tant que musulmans – est aussi fortement liée à leur personnalité que votre identité de genre� Et donc il n’a pas traversé l’esprit de ces révolutionnaires courageux qui ont risqué leurs vies sur la place Tahrîr […] que la liberté signifie qu’ils pourraient changer de religion� La liberté signifie [pour eux] qu’ils puissent être libres en tant qu’individus ; la liberté signifie qu’ils puissent s’exprimer ; la liberté signifie qu’ils réinterprètent leur religion� Mais presque aucun d’entre eux n’a pensé que la liberté pourrait signifier qu’ils changent [de religion] 18�

On retrouve cette question délicate de la conversion qui se situe au cœur du combat missionnaire des charismatiques depuis de nombreuses années� Les différentes composantes de ces réseaux sont, en effet, activement prosélytes et tentent de convertir des musulmans et de rapprocher les coptes de leurs conceptions de la religion 19� Les prêtres coptes Sam‘ân et Makârî Yunân sont, par exemple, des exorcistes célèbres qui mettent en scène la supériorité du christianisme à travers leurs cérémonies publiques auxquelles des musulmans se rendent régulièrement� Alors que ces derniers viennent y chercher une gué-rison de leurs maux physiques ou surnaturels, la mise en scène de l’exorcisme représente une lutte du bien contre le mal assimilé à l’islam� La publicisation de ces pratiques par l’entremise des chaînes satellitaires a permis au cours des dix dernières années de diffuser ce discours auprès d’un large auditoire� Les exorcismes permettent de développer un discours crypté qui autorise à affirmer publiquement – sans le faire cependant de manière explicite – la supériorité du christianisme sur l’islam� En outre, la valorisation récente de l’identité choisie à travers la conversion ou le butinage religieux (Soares, 2009) a provoqué d’importantes tensions dans les années 2000 (Guirguis, 2007)� La fragilisation de l’endogamie des groupes confessionnels (réelle ou perçue) provoqua un sentiment d’insécurité, nourrissant des tensions entre chrétiens et musulmans, mais aussi au sein du christianisme égyptien, entre copte et protestants� Ces derniers sont ainsi souvent accusés de vouloir attirer les jeunes coptes par leurs réunions de prières attrayantes, et de nourrir des plans cachés pour les convertir�

18� Ramez Attallah s’exprimait devant une assemblée de pasteurs à Minneapolis, https://www�youtube�com/watch?v=6KWrRFLDmFE, consulté le 30/6/2015� 19� Dans les milieux que je décris, l’idée semble souvent revenir à encourager les coptes à renoncer à leurs traditions jugées arriérées et à adopter un style plus proche du leur�

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La communion ambivalente

Au-delà de cette occupation de l’espace par l’affichage, les charismatiques choisirent également d’exprimer leur soutien à la révolution à travers de grands rassemblements de prière, réunissant des chrétiens de plusieurs dénominations� Ainsi, le 11 novembre 2011, un énorme rassemblement spirituel fut organisé au Muqattam, en collaboration avec les évangéliques de Qasr al-Dûbbâra, dans la monumentale église en amphithéâtre logée au cœur du quartier des chiffonniers� Cette prière d’intercession collective devait durer jusqu’au petit jour� Ce n’était pas vraiment une première, car, en 2005 déjà, une grande prière œcuménique réunissant principalement des protestants et des coptes avait été organisée� L’événement s’inscrivait dans le cadre du global day of prayer lancé par l’homme d’affaires sud-africain Graham Power� Celui-ci avait reçu deux visions en 2000 et en 2001, l’invitant à réunir les Sud-Africains autour d’une prière de « transformation » (transformational prayer) le jour de la pentecôte� L’appel fut ensuite élargi à l’Afrique, puis au monde 20� Cette idée de transformer la réalité par la prière semble lui avoir été inspirée par un documentaire religieux de George Otis intitulé Transformations, relatant des phénomènes de changement par la prière dans des communautés de Colombie, du Guatemala, de Californie et du Kenya (Gunther-Brown, 2006 : 644)� La vision se référait à un passage de la Bible évoquant la seconde vision de Salomon « Et si alors mon peuple, sur lequel est invoqué mon nom, s’humilie, s’il prie, cherche ma face et revient de ses voies mauvaises, moi, j’écouterai des cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays » (2 Chron�, 7 : 14)� Ce même verset constitua le pivot du prêche du père Sam‘ân durant la cérémonie du 11 novembre 2011�

La prière du Muqattam s’inscrivait dans le contexte d’une période pré-élec-torale tendue et, surtout, un mois après le massacre par l’armée des manifestants coptes à Maspero� Elle se présentait comme une « prière pour l’Égypte », mais aussi « une nuit du retour à Dieu »� Le pasteur Sâmih Mûrîs, à la tête de l’église Qasr al-Dûbbâra et figure de proue des charismatiques, était présent mais ne s’exprima pas, les autorités cléricales ne tolérant plus que des prêcheurs protestants participent à des cérémonies dans des églises coptes� Le père Andrâwus Iskandir, un prêtre copte alors âgé de 51 ans et responsable d’une paroisse de la ville de Damanhûr dans le Delta, fut la voix de cette nouvelle génération charismatique lors de la cérémonie, aux côtés des pères Sam‘ân et Makârî, de 15 ans plus âgés et franchement hostiles à la révolution dès ses débuts� Le père Sam‘ân insista plutôt sur les « catastrophes » que les coptes avaient connues depuis le début de l’année, faisant allusion à l’attentat de l’église des Deux-Saints et aux incidents anti-chrétiens ayant émaillé l’année écoulée 21� Face à ces épreuves, il invitait à se repentir et à renoncer au péché

20� http://www�globaldayofprayer�com/index�php/about-us/history/, consulté le 24/06/2015�21� L’attentat de l’église des Deux-Saints intervint le jour du passage à l’an 2011 et fit de très nombreuses victimes� Jusqu’à ce jour les commanditaires de l’attentat n’ont pas été découverts�

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afin de guérir le pays� Andrâwûs, quant à lui, fit un prêche qui articulait, au contraire de Sam‘ân, le repentir à la révolution et à la nécessité de s’impliquer dans une nouvelle Égypte en mutations� Le retour à Dieu, dont il était question dans l’intitulé de la cérémonie, vint se préciser lorsque l’assistance se mit à crier « Jésus » (yasu‘a) durant de longues minutes en tendant le bras� Cette pratique se répéta dans les différents rassemblements à visée œcuménique qui se multiplièrent ensuite, notamment à la basilique catholique d’Héliopolis en 2012� L’événement oscillait donc entre l’expression d’un souci pour la révolution dans un langage chrétien, et l’affirmation de la puissance de la foi et de la prière� Il fut par exemple décrit par une journaliste de la chaîne ONTV (de tendance libérale, prorévolutionnaire à cette époque) comme un rassemblement de prière rassemblant des Égyptiens des deux religions pour le salut de leur pays 22�

Véritable « feuilleté de significations » (Cefaï, 2007 : 565), cet événement superposait « plusieurs registres d’intelligibilité, qui ne s’adress[ai]ent pas aux mêmes publics, lesquels [étaient] indiqués dans le déploiement de la perfor-mance elle-même (Cefaï, 2007 : 575) »� Unité de tous les Égyptiens dans la prière, ou démonstration de force des chrétiens, injonction à la conversion ? Toutes ces significations semblaient présentes simultanément, pouvant être interprétées de différentes manières par les divers publics de cette cérémonie� Car outre les milliers de spectateurs présents physiquement sur place, beaucoup d’autres pouvaient assister à l’événement, grâce à Internet ou à la télévision satellitaire Sat7� Les fidèles présents ce jour-là au Muqattam émettaient ainsi un message ambigu, affirmant à la fois, dans ces temps incertains, que les chrétiens se souciaient de leur pays et que la vraie révolution consisterait à se convertir au christianisme� Le second message devenait pourtant acceptable parce qu’il était euphémisé et qu’un certain public préférait y voir l’union renouvelée des chrétiens et des musulmans� Les chrétiens ne pouvaient se permettre, comme dans les assemblées de prière charismatiques suisses décrites par Philippe Gonzalez (2011), d’exprimer explicitement leur message de recon-quête spirituelle� Mais cette atténuation des aspects conquérants du message ne s’explique pas uniquement par la logique de contrainte argumentative que nous avons décrite plus haut� Les charismatiques partageaient certaines des aspirations des révolutionnaires, et le cours des événements allait une nouvelle fois provoquer des rapprochements avec les manifestants opposés au régime militaire de transition�

L’alliance des évangéliques et des révolutionnaires contre l’armée et les islamistes

Le 19 novembre 2011, quelques jours après la grande réunion de prière, éclatait la bataille de la rue Muhammad Mahmûd qui vit s’affronter de jeunes

22� https://www�youtube�com/watch?v=hHnFe04Pxrg, consulté le 13/07/2015�

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manifestants aux forces de sécurité à proximité de la place Tahrîr (Ryzova, 2011), provoquant une cinquantaine de victimes (Afify, 2013)� Durant les combats, l’église de Qasr al-Dûbbâra, proche du théâtre des événements, mit en place un hôpital de campagne pour soigner les nombreux blessés tombés sous les balles des forces de l’ordre� Cet épisode – qui était alors décrit par certains comme une seconde révolution – fut l’occasion de démontrer à nouveau l’unité des chrétiens et des musulmans face à l’adversité� Des musulmans se photographiaient en prière dans l’église évangélique, alors que Sâmih Mûrîs apparaissait aux côtés d’un médecin, membre des Frères musulmans, dans le talk show Akhîr Kalâm (le Dernier mot, ONTV) de Yusrî Fawda, l’un des programmes soutenant le camp des révolutionnaires 23� Le pasteur y exprimait sa déception vis-à-vis des attentes engendrées par la révolution de janvier 2011, évoquant la volonté de démocratie, de liberté et de justice sociale� L’église se positionnait ainsi en alter-ego de la mosquée ‘Umar Makram située égale-ment sur la place Tahrîr et qui abrita une clinique pendant les événements de Muhammad Mahmûd (Hessler, 2011)� L’imam de la mosquée, Mazhar Shâhîn, devint vite une figure importante de la révolution, assurant les prêches sur la place les vendredis de manifestation� La communauté de Qasr al-Dûbbâra se montra d’ailleurs solidaire de l’imam lorsque le ministre des Waqf-s de Morsi tenta de le démettre de ses fonctions en avril 2013�

Ce rapprochement favorisa de nouvelles opportunités de publicité pour les charismatiques� La place Tahrîr avait été occupée durant les semaines précédentes par les manifestants hostiles au régime du Conseil suprême des forces armées� C’est dans cette ambiance que le camp révolutionnaire organisa une célébration de Nouvel an, le 31 décembre sur la célèbre place� Celle-ci était présidée par Gamîla Ismâ’îl, une ancienne présentatrice vedette de la télévision, prorévolutionnaire et candidate aux élections législatives de novembre 2011-janvier 2012 24� Le passage de l’espace communautaire à l’espace public révolutionnaire se fit dans une grande marche au flambeau depuis l’église de Qasr al-Dûbbâra jusqu’à la place Tahrir où les chrétiens furent accueillis par des slogans proclamant l’unité des deux religions�

Gamîla Ismâ‘îl accueillit personnellement les chrétiens sur la place Tahrîr :

Nous ne voulons pas, lançait-elle depuis l’estrade, penser maintenant à ce qui s’est passé à l’église des Deux-Saints il y a deux ans ou le leur rappeler� Ils le savent bien� Et leur douleur est grande� En vérité leur consolation est venue de l’éclatement de la révolution égyptienne� Et de la participation des coptes et des musulmans, de la participation de tous les Égyptiens, des citoyens égyptiens, à cette révolution� Pour la première fois la nouvelle année arrive alors que nous éprouvons la liberté et la dignité� Musulmans et chrétiens [en montrant ses deux doigts pour signifier leur proximité], pour la première fois, nous parvenons à la nouvelle année en sentant

23� https://www�youtube�com/watch?v=d71FUCbAg9M&index=3&list=PLx75jgSnv5XlhL2Cj YohuXcMZbAPFpMHq, mis en ligne le 24/11/2011, consulté le 15/07/2015�24� La durée de celles-ci s’explique par le fait qu’elles étaient organisées en plusieurs étapes�

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que cette rue est la nôtre, que le pays est le nôtre, que cette place est la nôtre, que cette église est à nous [en faisant un geste de la main pour montrer l’arrière de la scène et désigner l’église de Qasr al-Dûbbâra toute proche] et que cette mosquée est notre mosquée […] 25

Ce discours soulignait, malgré sa volonté évidente de tolérance, l’altérité des chrétiens par rapport aux spectateurs musulmans� La mise en scène de ce Nouvel an visait à représenter un peuple accueillant les diverses composantes de la nation, ce qui impliquait d’identifier celles-ci comme fondamentalement hétérogènes� Tahrîr était alors « comme une synecdoque du territoire natio-nal » mettant en relation différents symboles du « répertoire traditionnel de la nation » (Pagès-El Karoui, 2014 : 44) parmi lesquels l’unité des chrétiens et des musulmans�

Les coptes sur scène se mirent alors à chanter bârik bilâdî, « béni mon pays », une chanson chrétienne aux accents patriotiques, devenue une sorte d’hymne de la tendance charismatique et que l’on chante lors de tous ses rassemblements� Ce chant religieux fut pourtant modifié afin de lui donner une teinte plus inclusive que dans la version originale 26� Durant une heure, des prières de bénédiction furent prononcées par les différents prêtres présents sur scène et de nombreux chants entonnés, y compris l’hymne national (à l’initiative de Gamîla Ismâ‘îl)� En marge de ce rassemblement de prière Samîh Mûrîs et le père Andrâwûs furent interviewés par la chaîne chrétienne Sat 7� Ils réaffirmèrent tous deux leur sentiment que le Christ était proche et qu’il s’apprêtait à visiter l’Égypte�

Nous attendons une visite divine cette année et que Notre Seigneur accomplisse tous les rendez-vous qu’il nous a promis� Et qu’il bénisse ce peuple par sa présence extraordinaire 27� (Samîh Mûrîs) Que dites-vous aux musulmans et aux chrétiens qui sont présents ? Je leur dis que c’est le meilleur Nouvel an que j’ai célébré de ma vie� Et je suis très heureux que nous nous soyons levés ensemble pour demander l’intervention de Dieu dans nos problèmes� Nous avons essayé par nous-mêmes et nous n’y sommes pas parvenus� Nous avons essayé de nous reposer sur nos idées et nos bras et nous n’y sommes pas arrivés� Je dis que la solution à nos difficultés ne viendra que si nos cœurs s’ouvrent les uns aux autres, si nos cœurs refusent le péché, si nous nous

25� Voir la vidéo de ONTV dont est tirée la citation : https://www�youtube�com/watch?v=-K0V__CLJIY, mise en ligne le 31/12/2011, consulté le 15/07/2015 ; la version du même événement par SAT 7 : https://www�youtube�com/watch?v=ZVcCbj4DqYA&list=WL&index=17, mise en ligne le 3/1/2012, consulté le 23/7/2015� 26� Voici le premier couplet traduit par Carolyn Ramzy (2014 : 3), “No matter [how bad it is], You can split the seas� No matter how dark it is on earth, the heavens are full of light� You are above all things, a Lord high in the heavens� You listen to the cries of the oppressed”� La version originale comprenait en plus la phrase suivante : “Just as Nehemiah came crying to you with tears / We are coming crying to you Jesus, lend your hand” (Ramzy, 2014 : 5)�27� https://www�youtube�com/watch?v=a-xALZPgnhs&list=PLx75jgSnv5XlhL2CjYohuXcM ZbAPFpMHq&index=1, consulté le 26/7/2015�

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repentons et retournons à Dieu… Le Seigneur reviendra sur terre et la bénira� Il fera de l’Égypte le meilleur endroit au monde 28 (Andrâwûs Iskandîr)�

Les célébrations de la Noël copte en janvier 2012 soulignèrent encore les divisions qui marquaient les chrétiens de ce contexte tourmenté� La cathédrale copte du Caire accueillit les représentants de l’armée et des Frères musulmans, tandis que l’église de Qasr al-Dûbbâra recevait d’éminentes personnalités du camp prorévolutionnaire opposées au Conseil supérieur de forces armées�

Ambivalences du hidden transcript

La place Tahrîr, transmuée pour quelques mois en scène de représentation du peuple, a permis aux charismatiques de donner un nouvel écho à leurs visions eschatologiques� Cette place avait déjà derrière elle une longue histoire de protestations 29 (Said, 2015 ; Pagès-El Karoui, 2014) mais elle vit converger de manière inédite les différentes sources d’un nouvel espace public en gestation : réseaux sociaux et médias plus classiques, arts visuels, rencontres et discussions en face-à-face, protestations sectorielles, récits symboliques ou affrontements violents (Salvatore, 2015)� La nouveauté pour les chrétiens charismatiques réside dans le fait d’avoir pu exprimer publiquement un imaginaire qu’ils réservaient jusque-là à leurs espaces publics liminaires, à leurs églises (et leurs prolongements satellitaires)� Ils ont pu – comme du reste les musulmans – venir manifester leur nationalisme ambivalent� La construction d’une démo-cratie, ou, comme le dirait Hannah Arendt, « l’accord incertain et seulement temporaire d’un grand nombre de volontés et d’intentions » (Arendt, 1983 : 226) se joue notamment sur l’équilibre instable d’une communication poli-tique toujours incertaine, toujours susceptible d’être interprétée comme un double langage�

La distinction entre public transcript et hidden transcript, entre les discours publics et ceux que les dominés tiennent à l’abri du regard des dominants (Scott, 2008), prend une tournure singulière dans le contexte égyptien� Les charismatiques furent en effet partagés entre l’inquiétude communautaire – s’exprimant dans le langage eschatologique – et une solidarité de classe avec la bourgeoisie musulmane avec laquelle ils partagent une forme de libéralisme politique et économique de même qu’une crainte des classes populaires� Pour ces différentes raisons, on peut penser que l’atténuation de la charge millénariste et prosélyte de leur discours à Tahrîr ou dans les affiches de la Société biblique obéissait à un véritable désir de rapprochement avec les musulmans, que le discours aux accents eschatologiques exprimait autant d’espoirs que d’appré-hensions� Philippe Gonzalez a montré la charge agressive de telles pratiques,

28� https://www�youtube�com/watch?v=UJLbWbZgWeY&index=2&list=PLx75jgSnv5XlhL2Cj YohuXcMZbAPFpMHq, consulté le 26/7/2015�29� Elle avait d’ailleurs été aménagée pour entraver les possibilités de rassemblements (Pagès-El Karoui, 2014 : 7)�

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en analysant les attaques menées contre le sécularisme par des évangéliques charismatiques qui utilisent les armes de la démocratie pluraliste contre elle-même� Mais l’Égypte n’est pas une démocratie pluraliste et ne présente pas une configuration publique séculière� Ainsi les minorités, a fortiori la minorité de la minorité, adoptent-elles un libéralisme de principe, un peu à la manière des juifs et des protestants dans la France révolutionnaire� Il est clair cependant que les discours intolérants et très antimusulmans qui se développent par l’intermé-diaire d’Internet et des chaînes satellitaires arabes chrétiennes ne facilitent pas l’émergence d’un espace public inclusif� Pourtant, la mise en valeur de l’identité choisie (born again) par ces mouvements et de plus en plus par les nouveaux prêcheurs musulmans, entame sérieusement le caractère ascriptif de l’identité religieuse (Valensi, 1986 : 89) qui reste pourtant la règle en Égypte et témoigne d’un « décrochage entre pratiques religieuses individualisées et appartenance communautaire » (Guirguis, 2012 : 111) qui favorisent le bricolage identitaire� Dans cet ordre d’idées Samuli Schielke a décrit de manière subtile les tensions qui travaillent en profondeur les musulmans égyptiens pris entre un modèle de piété démonstrative prônée par le modèle salafiste et l’idéal, très puissant lui aussi, de l’amour romantique (Schielke, 2009) 30� Toutes les dimensions de la vie des Égyptiens n’obéissent pas à des logiques religieuses – le modèle consumériste, les rêves d’émigration ou de réussite sociale, suscitent d’autres formes de solidarités que celles s’appuyant sur la religion� La révolution a, entre autres choses, permis d’ouvrir d’importantes brèches dans la structuration communautaire de la société égyptienne� Celles-ci furent ensuite colmatées par la contre-révolution de l’été 2013�

L’union sacrée : la logique de l’inimitié l’emporte

L’espace public révolutionnaire s’est refermé depuis la reprise en main du pays par l’armée égyptienne en juillet 2013, une nouvelle réalité a pris corps� L’énorme drapeau égyptien, planté au milieu du rond-point central de la place Tahrîr, le rappelle tous les jours aux Cairotes� La contrainte voulant que l’on ne dénigre pas la révolution subsiste tant bien que mal mais impose désormais d’évoquer la deuxième révolution, celle du 30 juin 2013 qui vit d’importantes foules défiler contre les Frères musulmans et le gouvernement de M� Morsi� Beaucoup de chrétiens firent cause commune contre les Frères� Le patriarche copte Tâwadrûs soutint le coup d’État en siégeant aux côtés du général al-Sissi lorsque ce dernier annonçait, le 3 juillet, la destitution du président élu� Les Frères musulmans parvinrent, par leur gestion calamiteuse, à se mettre à dos

30� Gregory Starett l’a exprimé différemment : certains anthropologues de la culture décrivent une Égypte apparaissant comme largement sécularisée (il évoque notamment les travaux de W� Armbrust sur la culture audiovisuelle) alors que d’autres travaux, dont les siens, semblaient indiquer, au contraire, que la religion occupait toujours davantage de place dans la société� Or, estime Starett, les deux types de travaux ont sans doute raison, chacun abordant, à sa manière, un pan différent de la réalité égyptienne (Starett, 2010)�

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une grande part de la population� Dans cette configuration, beaucoup de ceux qui avaient été d’actifs soutiens à la révolution durant les deux années écoulées depuis la chute de Moubarak, se tinrent à égale distance des Frères et de l’armée� Alors que, désormais, les soutiens d’al-Sissi envahissaient la place Tahrîr et que les Frères tenaient la place Rab‘a al-‘Adawiya à Madinat Nasr et al-Nahda à Giza, un troisième camp prétendait représenter une « troisième place » et refusait de choisir entre les uns et les autres� Les évangéliques de Qasr al-Dûbbâra choisirent quant à eux de soutenir l’armée, comme Sâmih Mûrîs l’exprima en décembre 2013� « Le royaume divin, expliquait le pasteur, divise le monde en deux parties », le royaume de Dieu et celui du mal� « Et à la tête de ce royaume du mal, se trouve un chef et même un chef élu, à travers des élections démocratiques� Il s’appelle Iblîs� La majorité l’a choisi pour qu’il gouverne son cœur et sa vie� Et malheureusement seule la minorité a choisi que Dieu gouverne son cœur […]� Bien sûr, il y a des gens au milieu qui ne sont ni ceci, ni cela… Spirituellement, je n’y crois pas 31 »�

Élu président en mai 2014, al-Sissi s’employa à restaurer l’État sécuritaire et à ériger un nouvel ordre moral, désignant les ennemis frappés d’impureté : les islamistes radicaux, les athées et les homosexuels� Alors qu’il encourageait le « renouvellement du discours religieux », l’union sacrée qu’il construisait avec le patriarche copte impliquait également une forme de « nationalisme paranoïaque » (Schielke, 2017) désignant les ennemis d’une nation en guerre, s’estimant incomprise par un Occident jugé hostile� Ce nationalisme recevait le concours des institutions religieuses officielles et les charismatiques appor-taient volontiers leur concours à la formulation de cette union sacrée� Le père Makârî Yunân estimait dans l’un de ses prêches, que Sissi avait été envoyé aux Égyptiens par le ciel 32 tandis que de hauts dignitaires d’al-Azhar comparaient le président et son ministre à des prophètes 33� La violente polarisation de la société égyptienne mit un terme aux tentatives de formuler un idéal commun de changement, comme celles que nous avons pu décrire� Une autre union s’est cristallisée autour d’une nation morale en guerre contre ses ennemis� Au moment d’écrire ces lignes, en septembre 2017, cet enthousiasme nationaliste s’est lui-même largement épuisé face à la répression implacable du régime et à la terrible crise économique qui frappe actuellement le pays�

Gaétan DU ROYUniversité catholique de Louvain

gaetan�duroy@gmail�com

31� https://www�youtube�com/watch?v=mPWdCT8yYuk, 31/12/2013, cérémonie du Nouvel an, consulté le 01/09/2017�32� https://www�youtube�com/watch?v=fyOtUTZJDPw, consulté le 26/7/2015�33� http://english�ahram�org�eg/NewsContent/1/64/93964/Egypt/Politics-/Egypts-Grand- Mufti-decries-identification-of-polit�aspx, consulté le 01/09/2017�

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« Bénie soit l’Égypte ». Prier pour la nation dans l’espace public révolutionnaire

Cet article examine les modalités de la participation des chrétiens charis-matiques égyptiens à la sphère publique révolutionnaire en Égypte. L’église évangélique de Qasr al-Dûbbâra, la Société biblique et l’église du père Sam’ân au Muqattam organisèrent des prières d’intercession pour l’Égypte. Ces performances témoignaient d’une volonté de soutenir la révolution mais celle-ci était, dans le même temps, décrite comme le résultat des prières de fidèles. L’article montre ainsi la profonde ambivalence de la participation des charismatiques qui semblaient voir dans les événements qui secouaient leur pays un signe de la venue prochaine du Christ. Ces chrétiens partageaient pourtant une grande part des aspirations au changement de leurs concitoyens de religion musulmane.

Mots-clés : Égypte, chrétiens charismatiques, espace public révolutionnaire, prière.

“Blessed be Egypt”. Pray for the nation in the revolutionary public space

This article explores the ways in which Egyptian Charismatic Christians par-ticipated to the revolutionary public sphere. The Qasr al-Dûbbâra Evangelical Church, the Bible Society, and Father Sam‘ân’s Church in Muqattam organized

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intercessory prayers for Egypt. Those performances showed a will to support the Revolution that was perceived as a result of the faithful’s prayers. There was a deep ambivalence in the Charismatics’ participation, for they seemed to perceive the events shaking the country as a sign of the imminent return of Jesus Christ, but at the same time shared the hopes for change of their fellow citizens who were Muslims.

Keywords: Egypt, Charismatic Christians, revolutionary public space, prayer.

«Bendito sea Egipto». Ora por la nación en el espacio público revolucionario

Este artículo examina las formas en que los cristianos carismáticos egipcios participan en la esfera pública revolucionaria en Egipto. La Iglesia Evangélica de Qasr al-Dibbara, la Sociedad Bíblica y la Iglesia Muqattam del Padre Sam’an organizaron oraciones de intercesión por Egipto.Estas actuaciones testificaron un deseo de apoyar la revolución, pero al mismo tiempo se describió como el resultado de las oraciones de los fieles. El artículo muestra la profunda ambivalencia de la participación de los carismáticos que parecían ver en los acontecimientos que sacudieron a su país un signo de la venida de Cristo. Sin embargo, estos cristianos compartían una gran parte de las aspiraciones de cambio de sus compañeros musulmanes.

Palabras clave: Egipto, cristianos carismáticos, espacio público revolucionario, oración.